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Objet d’étude Le théâtre, du XVIIème au XXIème siècle

Parcours : théâtre et stratagème

Les Fausses Confidences (1737) de Marivaux

Explications de textes :
Texte 1 Acte I, scène 2
Texte 2 Acte II, scène 10
Texte 3 Acte II, scène 13

Textes associés
Texte 4 Marivaux Le jeu de l’amour et du hasard Acte III, scène 6 1730
Texte 5 Cyrano de Bergerac d’ Edmond Rostand 1897 Troisième acte, scène 7

Lecture cursive
Ruy Blas (1838) de Victor Hugo

Texte 1 Les Fausses Confidences Acte I, scène 2 (1737) de Marivaux (1688-1763)

DORANTE. − Cette femme-ci a un rang dans le monde ; elle est liée avec tout ce qu’il y a de mieux,
veuve d’un mari qui avait une grande charge dans les finances, et tu crois qu’elle fera quelque attention
à moi, que je l’épouserai, moi qui ne suis rien, moi qui n’ai point de bien ?
DUBOIS. − Point de bien ! votre bonne mine est un Pérou ! Tournez-vous un peu, que je vous
considère encore ; allons, Monsieur, vous vous moquez, il n’y a point de plus grand seigneur que vous
à Paris : voilà une taille qui vaut toutes les dignités possibles, et notre affaire est infaillible, absolument
infaillible ; il me semble que je vous vois déjà en déshabillé dans l’appartement de Madame.
DORANTE. − Quelle chimère !
DUBOIS. − Oui, je le soutiens. Vous êtes actuellement dans votre salle et vos équipages sont sous la
remise.
DORANTE. − Elle a plus de cinquante mille livres de rente, Dubois.
DUBOIS. − Ah ! vous en avez bien soixante pour le moins.
DORANTE. − Et tu me dis qu’elle est extrêmement raisonnable ?
DUBOIS. − Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. Si vous lui plaisez, elle en sera si honteuse,
elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu’elle ne pourra se soutenir qu’en épousant ; vous m’en
direz des nouvelles. Vous l’avez vue et vous l’aimez ?
DORANTE. − Je l’aime avec passion, et c’est ce qui fait que je tremble !
DUBOIS. − Oh ! vous m’impatientez avec vos terreurs : eh que diantre ! un peu de confiance ; vous
réussirez, vous dis-je. Je m’en charge, je le veux, je l’ai mis là ; nous sommes convenus de toutes nos
actions ; toutes nos mesures sont prises ; je connais l’humeur de ma maîtresse, je sais votre mérite, je
sais mes talents, je vous conduis, et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est ; on vous épousera,
toute fière qu’on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ? Fierté, raison et
richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera : adieu ; je vous
quitte ; j’entends quelqu’un, c’est peut-être Monsieur Remy ; nous voilà embarqués poursuivons. (Il
fait quelques pas, et revient.) À propos, tâchez que Marton prenne un peu de goût pour vous. L’amour
et moi nous ferons le reste.
Les Fausses Confidences (1737) Acte II, scène 10 de Marivaux (1688 – 1763)
Texte 2
DUBOIS. C'est par pure colère que j'ai fait cette menace, Madame, et voici la cause de la
dispute. En arrangeant l'appartement de Monsieur Dorante, j'ai vu par hasard un tableau où
Madame est peinte, et j'ai cru qu'il fallait l'ôter, qu'il n'avait que faire là, qu'il n'était point
décent qu'il y restât ; de sorte que j'ai été pour le détacher, ce butor est venu pour m'en
empêcher, et peu s'en est fallu que nous ne nous soyons battus.
ARLEQUIN. Sans doute, de quoi t'avises-tu d'ôter ce tableau qui est tout à fait gracieux, que
mon maître considérait il n'y avait qu'un moment avec toute la satisfaction possible ? Car je
l'avais vu qui l'avait contemplé de tout son cœur, et il prend fantaisie à ce brutal de le priver
d'une peinture qui réjouit cet honnête homme. Voyez la malice ! Ôte-lui quelque autre meuble,
s'il en a trop, mais laisse-lui cette pièce, animal.
DUBOIS. Et moi, je te dis qu'on ne la laissera point, que je la détacherai moi-même, que tu en
auras le démenti, et que Madame le voudra ainsi.
ARAMINTE. Eh ! Que m'importe ? Il était bien nécessaire de faire ce bruit-là pour un vieux
tableau qu'on a mis là par hasard, et qui y est resté. Laissez-nous. Cela vaut-il la peine qu'on en
parle ?
MADAME ARGANTE, d'un ton aigre. Vous m'excuserez, ma fille ; ce n'est point là sa place, et il
n'y a qu'à l'ôter ; votre intendant se passera bien de ses contemplations.
ARAMINTE, souriant d'un air railleur. Oh ! Vous avez raison. Je ne pense pas qu'il les regrette.
À Arlequin et à Dubois. Retirez-vous tous deux.

Les Fausses Confidences Acte II, scène 13 (1737) de Marivaux (1688-1763)


Texte 3

DORANTE. − Madame, je ne trouve point de papier.


ARAMINTE, allant elle−même. − Vous n’en trouvez point ! En voilà devant vous.
DORANTE. − Il est vrai.
ARAMINTE. − Écrivez. Hâtez-vous de venir, Monsieur ; votre mariage est sûr… Avez-vous écrit ?
DORANTE. − Comment, Madame ?
ARAMINTE. − Vous ne m’écoutez donc pas ? Votre mariage est sûr ; Madame veut que je vous
l’écrive, et vous attend pour vous le dire. (À part.) Il souffre, mais il ne dit mot ; est-ce qu’il ne
parlera pas ? N’attribuez point cette résolution à la crainte que Madame pourrait avoir des suites
d’un procès douteux.
DORANTE. − Je vous ai assuré que vous le gagneriez, Madame : douteux, il ne l’est point.
ARAMINTE. − N’importe, achevez. Non, Monsieur, je suis chargé de sa part de vous assurer que la
seule justice qu’elle rend à votre mérite la détermine.
DORANTE, à part. − Ciel ! je suis perdu. (Haut.) Mais, Madame, vous n’aviez aucune inclination
pour lui.
ARAMINTE. − Achevez, vous dis-je… Qu’elle rend à votre mérite la détermine… Je crois que la
main vous tremble ! vous paraissez changé. Qu’est−ce que cela signifie ? Vous trouvez-vous mal ?
DORANTE. − Je ne me trouve pas bien, Madame.
ARAMINTE. − Quoi ! si subitement ! cela est singulier. Pliez la lettre et mettez : À Monsieur le
Comte Dorimont. Vous direz à Dubois qu’il la lui porte. (À part.) Le cœur me bat ! (À Dorante.)
Voilà qui est écrit tout de travers ! Cette adresse-là n’est presque pas lisible. (À part.) Il n’y a pas
encore là de quoi le convaincre.
DORANTE, à part. − Ne serait-ce point aussi pour m’éprouver ? Dubois ne m’a averti de rien.
Le jeu de l’amour et du hasard de Marivaux (1730) Acte III, scène 6
Texte 4
Lisette Encore une fois, monsieur, je me connais.
Arlequin. Eh ! je me connais bien aussi, et je n’ai pas là une fameuse connaissance ; ni vous
non plus, quand vous l’aurez faite ; mais, c’est là le diable que de me connaître ; vous ne vous
attendez pas au fond du sac.
Lisette, à part. Tant d’abaissement n’est pas naturel ! (Haut.) D’où vient me dites-vous cela ?
Arlequin. Eh ! voilà où gît le lièvre.
Lisette. Mais encore ? vous m’inquiétez. Est-ce que vous n’êtes pas ?…
Arlequin. Aïe ! aïe ! vous m’ôtez ma couverture.
Lisette. Sachons de quoi il s’agit.
Arlequin, à part. Préparons un peu cette affaire-là… (Haut.) Madame, votre amour est-il d’une
constitution bien robuste ? Soutiendra-t-il bien la fatigue que je vais lui donner ? Un mauvais gîte
lui fait-il peur ? Je vais le loger petitement.
Lisette. Ah ! tirez-moi d’inquiétude. En un mot, qui êtes-vous ?
Arlequin. Je suis… N’avez-vous jamais vu de fausse monnaie ? savez-vous ce que c’est qu’un
louis d’or faux ? Eh bien, je ressemble assez à cela.
Lisette. Achevez donc. Quel est votre nom ?
Arlequin. Mon nom ? (À part.) Lui dirai-je que je m’appelle Arlequin ? Non ; cela rime trop
avec coquin.
Lisette. Eh bien !
Arlequin. Ah dame ! il y a un peu à tirer ici ! Haïssez-vous la qualité de soldat ?
Lisette. Qu’appelez-vous un soldat ?
Arlequin. Oui, par exemple, un soldat d’antichambre.
Lisette. Un soldat d’antichambre ! Ce n’est donc point Dorante à qui je parle enfin ?
Arlequin. C’est lui qui est mon capitaine.
Lisette. Faquin !
Arlequin, à part. Je n’ai pu éviter la rime.
Lisette. Mais voyez ce magot ; tenez !
Arlequin, à part. La jolie culbute que je fais là !
Lisette. Il y a une heure que je lui demande grâce, et que je m’épuise en humilités
pour cet animal-là.
Arlequin. Hélas ! madame, si vous préfériez l’amour à la gloire, je vous ferais bien autant de
profit qu’un monsieur.
Lisette, riant. Ah ! ah ! ah ! je ne saurais pourtant m’empêcher d’en rire, avec sa gloire ! et
il n’y a plus que ce parti-là à prendre… Va, va, ma gloire te pardonne ; elle est de bonne
composition.
Arlequin. Tout de bon, charitable dame ! Ah ! que mon amour vous promet de reconnaissance !
Lisette. Touche là, Arlequin ; je suis prise pour dupe. Le soldat d’antichambre de monsieur
vaut bien la coiffeuse de madame.
Arlequin. La coiffeuse de madame !
Lisette. C’est mon capitaine, ou l’équivalent.
Arlequin. Masque !
Lisette. Prends ta revanche.
Arlequin. Mais voyez cette magotte, avec qui, depuis une heure, j’entre en confusion de ma
misère !
Lisette. Venons au fait. M’aimes-tu ?
Arlequin. Pardi ! oui. En changeant de nom tu n’as pas changé de visage, et tu sais bien que
nous nous sommes promis fidélité en dépit de toutes les fautes d’orthographe.
Texte 5 Cyrano de Bergerac d’ Edmond Rostand 1897
Troisième acte, scène 7

ROXANE, entrouvrant sa fenêtre


1 Qui donc m’appelle ?
CHRISTIAN
Moi.
ROXANE
Qui, moi ?
CHRISTIAN
Christian.
ROXANE, avec dédain
C’est vous ?
CHRISTIAN
2 Je voudrais vous parler.
CYRANO, sous le balcon, à Christian
Bien. Bien. Presque à voix basse.
ROXANE
3 Non ! Vous parlez trop mal. Allez-vous-en !
CHRISTIAN
De grâce !...
ROXANE
4 Non ! Vous ne m’aimez plus !
CHRISTIAN, à qui Cyrano souffle ses mots
M’accuser, -justes dieux !
5 De n’aimer plus... quand... j’aime plus !
ROXANE, qui allait refermer sa fenêtre, s’arrêtant
Tiens, mais c’est mieux !
CHRISTIAN, même jeu
6 L’amour grandit bercé dans mon âme inquiète...
7 Que ce... cruel marmot prit pour... barcelonnette !
ROXANE, s’avançant sur le balcon
8 C’est mieux ! -Mais, puisqu’il est cruel, vous fûtes sot
9 De ne pas, cet amour, l’étouffer au berceau !
CHRISTIAN, même jeu
10 Aussi l’ai-je tenté, mais tentative nulle
11 Ce... nouveau-né, Madame, est un petit... Hercule.
ROXANE
12 C’est mieux !
CHRISTIAN, même jeu
De sorte qu’il... strangula comme rien...
13 Les deux serpents... Orgueil et... Doute.
ROXANE, s’accoudant au balcon
Ah ! c’est très bien.
14 -Mais pourquoi parlez-vous de façon peu hâtive ?
15 Auriez-vous donc la goutte à l’imaginative ?
CYRANO, tirant Christian sous le balcon et se glissant à sa place
16 Chut ! Cela devient trop difficile !...
ROXANE
Aujourd’hui...
17 Vos mots sont hésitants. Pourquoi ?
CYRANO, parlant à mi-voix, comme Christian
C’est qu’il fait nuit,
18 Dans cette ombre, à tâtons, ils cherchent votre oreille.
ROXANE
19 Les miens n’éprouvent pas difficulté pareille.
CYRANO
20 Ils trouvent tout de suite ? oh ! cela va de soi,
21 Puisque c’est dans mon coeur, eux, que je les reçois;
22 Or, moi, j’ai le coeur grand, vous, l’oreille petite.
23 D’ailleurs vos mots à vous descendent: ils vont plus vite,
24 Les miens montent, Madame: il leur faut plus de temps !
ROXANE
25 Mais ils montent bien mieux depuis quelques instants.
CYRANO
26 De cette gymnastique, ils ont pris l’habitude !
ROXANE
27 Je vous parle en effet d’une vraie altitude !
CYRANO
28 Certes, et vous me tueriez si de cette hauteur
29 Vous me laissiez tomber un mot dur sur le coeur !
ROXANE, avec un mouvement
30 Je descends !
CYRANO, vivement
Non !

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