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Syllogisme

La théorie de l’entrepreneur, son évolution et


sa contextualisation
Sophie Boutillier, André Tiran
Dans Innovations 2016/2 (n° 50), pages 211 à 234
Éditions De Boeck Supérieur
ISSN 1267-4982
ISBN 9782807390010
DOI 10.3917/inno.050.0211
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 18/04/2023 sur www.cairn.info par Doha Doha (IP: 196.217.66.184)

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SYLLOGISME
LA THÉORIE DE L’ENTREPRENEUR,
SON ÉVOLUTION ET
SA CONTEXTUALISATION
Sophie BOUTILLIER
CLERSE (UMR-CNRS 8019)
Université du Littoral Côte d’Opale
Réseau de recherche sur l’innovation
sophie.boutillier@univ-littoral.fr
André TIRAN
Laboratoire Triangle (UMR-CNRS 5206)
Université de Lyon 2
andre.tiran@univ-lyon2.fr
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Bien qu’au cœur de l’activité économique capitaliste, l’entrepreneur n’a
pas retenu l’attention de la grande majorité des économistes, à part quelques
exceptions. Ceux-ci ont en effet principalement focalisé leur attention, non
sur un agent économique en particulier, mais sur la dynamique économique
dans sa globalité (Boutillier, 2014). L’économie politique s’institutionnalise
à la fin du XVIIIe siècle avec l’école classique et les travaux d’Adam Smith
(1991), mais elle évoque peu l’entrepreneur, et surtout, semble s’en méfier, en
premier lieu du « faiseur de projets » qui est au cœur en revanche de l’analyse
de Cantillon, économiste pionnier de la théorie de l’entrepreneur. Depuis
Cantillon (1755), deux autres économistes ont été placés sur un piédestal
quant à la théorie de l’entrepreneur, Jean-Baptiste Say (1803) et Joseph
Alois Schumpeter (1911). Ces derniers ont mis l’accent sur la figure de l’en-
trepreneur en tant que moteur de la dynamique capitaliste. L’entrepreneur
personnifie au niveau macroéconomique le progrès technique, et au niveau
micro le processus décisionnel, ses motivations et comment il fait face aux
difficultés auxquelles il est confronté.
Pendant la période de forte croissance économique de l’après seconde
guerre mondiale (1945-1975), l’entrepreneur est ignoré dans un contexte
marqué par l’épanouissement du capitalisme managérial (que Schumpeter

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Sophie Boutillier, André Tiran

avait au demeurant annoncé). Pourtant au cours de cette période une


voix discordante se fait entendre, celle de Baumol (1968) critiquant les
Marginalistes pour avoir ignoré l’entrepreneur. Celui-ci lui apparaît comme
un acteur économique central, à tel point qu’il écrit que les Marginalistes
cherchent à jouer Hamlet sans le personnage principal du prince du
Danemark. Ainsi en 1990, Baumol souligne que l’offre et la créativité entre-
preneuriales sont fondamentalement dépendantes du contexte institution-
nel (définissant le droit de la propriété, du commerce, etc.). Contrairement
à la proposition marginaliste, l’entrepreneur n’est pas isolé, mais encastré
(Granovetter, 1985) dans un milieu économique, social, et politique dont il
tire son identité et à partir duquel il définit son action.
La théorie de l’entrepreneur occupe une place relativement marginale
par rapport à l’ensemble des questions posées par les économistes, mais elle
comprend ses concepts-clés et ses lignes épistémologiques de convergence
et de fracture. Pour apprécier leur portée et comprendre leur signification,
contextualiser les théories économiques et leurs auteurs s’avère indispen-
sable. La théorie de l’entrepreneur se développe d’abord avec Cantillon
alors que le capitalisme industriel commence son lent développement. Elle
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s’étoffe avec Say au début du XIXe siècle, quand elle s’affirme et se poursuit
avec Schumpeter, lorsque le capitalisme managérial pendant la première
moitié du XXe  siècle s’étend, justifiant apparemment la conclusion pessi-
miste de Schumpeter quant à la disparition annoncée de l’entrepreneur. Le
développement de l’économie industrielle, en tant que discipline scienti-
fique, à partir des années 1950 dans un contexte précisément marqué par le
développement du capitalisme managérial, marque une rupture fondamen-
tale dans l’histoire de la théorie économique de l’entrepreneur, car cette
approche l’ignore fondamentalement au profit d’une réflexion plus anonyme
sur les structures industrielles, leur impact sur la stratégie des firmes et les
performances de celles-ci. Pourtant, lorsque Marshall jette les bases de l’éco-
nomie industrielle en publiant en 1879 Economics of Industry, son objet est
précisément l’étude de l’organisation industrielle dans sa globalité, petites
et grandes entreprises. Marshall remet en cause le paradigme marginaliste
(remise en cause de l’homo œconomicus, atomicité du marché, organisation
hiérarchique de l’économie, etc.), pour s’intéresser à la montée en puissance
du capitalisme managérial, soulignant que l’industrie doit cependant tout
à l’entrepreneur, à ce capitaine d’industrie, qui est le moteur essentiel du
progrès.
La consolidation d’une économie mondiale structurée à partir de grands
groupes, principalement européens, nord-américains, puis japonais, justifie
cette rupture épistémologique entre l’entrepreneur et l’entreprise. Pourtant,

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La Théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation

la théorie de l’entrepreneur renait progressivement à partir des années 1970,


soit à la fin de la période de forte croissance qui a suivi la fin de la seconde
guerre mondiale. Kirzner est l’un des principaux artisans de ce retour de
l’entrepreneur en s’opposant à Schumpeter. L’entrepreneur n’est pas à ses
yeux l’agent économique qui effectue de nouvelles combinaisons de facteurs
de production, mais celui qui découvre de nouvelles opportunités d’affaires,
lesquelles préexistent au processus de la découverte entrepreneuriale. Ce
qui au demeurant est assez proche de ce qu’écrit Say. À partir de ce sou-
bassement théorique, la théorie des opportunités entrepreneuriales explose.
De nombreux chercheurs s’y réfèrent. Citons pour exemple les travaux de
Shane qui opèrent une savante combinaison entre la théorie des opportu-
nités de Kirzner (1973) et celle de l’innovation de Schumpeter. À partir
de ce moment, l’entrepreneur n’a plus de points communs avec le héros
schumpétérien, mais est un simple… détecteur d’opportunités. Depuis la fin
du XXe  siècle, en dépit de l’affirmation des grands groupes, qui structurent
l’économie mondiale, l’entrepreneur attire de nouveau l’attention des éco-
nomistes, telle une sorte d’aiguillon du changement, technologique, organi-
sationnel et social. La fin des années 1970 est marquée par la crise du keyné-
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sianisme, une croissance économique ralentie et un taux de chômage élevé,
ceci alors que les grandes entreprises ne semblent plus aussi performantes
que par le passé en matière d’innovation. Au fil des siècles, l’entrepreneur
est inséré dans des structures socio-économiques de plus en plus complexes.
Par rapport aux structures précapitalistes du XVIIIe siècle dans lesquelles se
positionne la réflexion de Cantillon, l’entrepreneur schumpétérien s’inscrit
dans des structures économiques où les interrelations entre les agents éco-
nomiques se positionnent dans un contexte fondamentalement différent,
celui du capitalisme managérial où l’entrepreneur aurait disparu, remplacé
par le binôme actionnaire-manager. La crise économique qui débute avec les
années 1970, sans le remettre en question, fait émerger un nouveau profil,
celui de l’entrepreneur en dernier recours, pour qui la création d’entreprise
n’est pas le produit d’un projet ambitieux et réfléchi, mais d’une solution
pour s’insérer sur le marché du travail dans un contexte de chômage structu-
rel de masse et de précarité de l’emploi.
Nous présenterons dans un premier temps, les fondements historiques de
la théorie de l’entrepreneur (depuis Cantillon jusque Schumpeter). Dans la
seconde partie, nous montrerons les prolongements plus ou moins récents de
ces thèses qui ont vu le jour dans un contexte historique tout à fait différent.
Nous montrerons ainsi que la théorie économique accompagne l’évolution
économique qui oscille en permanence entre une structure concentrée ou
éclatée sous la pression de la concurrence.

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Sophie Boutillier, André Tiran

LES FONDEMENTS HISTORIQUES DE LA THÉORIE


DE L’ENTREPRENEUR

Les premiers pas de l’entrepreneur dans une économie


préindustrielle
Pour sortir du carcan de l’économie vouée au Prince et exploiter les ver-
tus du libre-échange, Richard Cantillon (1697-1735) compte sur l’entre-
preneur. Il distingue les « gens à gages certains » et « à gages incertains », et
classe l’entrepreneur dans la deuxième catégorie. L’entrepreneur prend des
risques en s’engageant vis-à-vis d’un tiers de façon ferme, sans garantie de
la solvabilité de son client ou de son commanditaire. Généralement sans
fortune, l’entrepreneur, grâce à ses projets, fait cependant progresser l’éco-
nomie, mais la société se méfie de lui et le rejette. Cantillon fut lui-même un
entrepreneur, voire même une espèce d’aventurier. Il s’associa à John Law,
et mourut dans des conditions obscures (probablement assassiné suite à une
dette de jeu). Si l’économie est la science des affaires (Schumpeter, 1983),
Cantillon fut très certainement un grand économiste, car il accumula une
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fortune considérable, précisément grâce à sa capacité à prendre des risques
aussi bien dans les affaires que dans le jeu. Dans Essai sur la nature du com-
merce en général, publié en 1755, soit plusieurs années après sa mort, l’entre-
preneur matérialise ce qui deviendra plus tard la « main invisible » de Smith
(Murphy, 1997), en tant que « catalyseur de la production et des échanges »
(Murphy, 1997, 186). Cantillon n’a cependant pas la primauté de cette idée.
Il a été précédé dans sa tâche par d’illustres auteurs. En 1675, Jacques Savary
publie Le parfait négociant, véritable best-seller du droit et de la pratique
des affaires. Cependant, Cantillon donne à l’entrepreneur une dimension
nouvelle en conceptualisant son comportement (Murphy, 1997). Son ana-
lyse du rôle de l’entrepreneur est historiquement contextualisée. Il distingue
en effet deux types d’économie, l’une centralisée (symbolisée par un grand
domaine administré de type féodal) et l’autre l’économie de marché, décen-
tralisée, dans laquelle s’inscrit l’entrepreneur. La fonction entrepreneuriale
consiste à identifier les demandes et à diriger la production pour satisfaire
la demande. Il prend des risques et va en éclaireur pour trouver les activités
potentiellement rentables. La fonction entrepreneuriale est multiple, à la
fois dans la production (fermiers, manufacturiers et fournisseurs des services
de travail) et les échanges (grossistes et détaillants). Les premiers sont des
entrepreneurs producteurs, et regroupent un large ensemble de professions :
cordonniers, charpentiers, drapiers, médecins, avocats (voire des mendiants
et des voleurs).

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La Théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation

Adam Smith (1723-1790), contrairement à Cantillon (dont il connais-


sait probablement l’œuvre), ne fut pas entrepreneur, mais professeur de phi-
losophie morale. Est-ce pour cette raison qu’il se méfiait de l’entrepreneur ?
Ce faiseur de projets ne semble pas en effet lui inspirer confiance. Il voyagea
beaucoup en Europe et sympathisa avec les philosophes des Lumières. Il ren-
contra notamment Quesnay et appréciait son Tableau économique. Smith se
démarque ainsi d’Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) dont il connaît
l’œuvre, et qui est son alter ego Outre-Manche en tant que partisan du libé-
ralisme. Turgot a publié dix ans plus tôt environ une œuvre qui n’a pas eu
le même retentissement que La richesse des nations (publiée en 1776). Dans
La réflexion sur la formation et la distribution des richesses (publiée en 1766),
Turgot donne une place importante à l’entrepreneur qu’il décrit comme un
individu qui fait travailler des ouvriers par le biais de ses avances en capital.
Ses profits sont le produit de la vente des biens qu’il fabrique pour répondre
aux besoins des consommateurs. Cette conception de l’entrepreneur est plus
proche de celle de Say que de Smith (Ravix, 2014). Smith a à cœur en
revanche de montrer que le marché est seul capable d’apporter richesse et
prospérité, sans occulter l’État, ce réducteur d’incertitude, qui a pour fonc-
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tion de créer un environnement propice au développement des affaires.
Dans le tourbillon des affaires, les entreprises naissent et se transforment,
mais la concurrence doit être permanente, et l’économie se métamorphose.
La propriété du capital aussi. Smith s’intéresse au développement des socié-
tés anonymes. La séparation entre gestion et propriété lui semble nuire à
terme à l’initiative individuelle. L’actionnaire n’a pas d’intérêt particulier
quant au devenir de l’entreprise si ce n’est les dividendes qu’il pourra tirer
de l’évolution des cours. Les sociétés par actions sont par nature beaucoup
moins performantes que les sociétés dirigées par leur propriétaire, car les
intérêts des actionnaires ne sont pas forcément ceux de l’entreprise. Ce n’est
pas le cas de l’actionnaire qui raisonne en termes de paquets d’actions. Aux
dires de Smith, comme de Schumpeter (1979), près de deux siècles plus tard,
le capitalisme perd son identité en se socialisant.

La courroie de transmission entre la science et l’industrie


ou l’affirmation du capitalisme industriel
Jean-Baptiste Say (1767-1823), à l’image de Cantillon et de Turgot,
donne un rôle central à l’entrepreneur. En son temps, il était l’économiste
français le plus connu. Il crée la première chaire d’économie au Collège de
France et au Conservatoire national des arts et métiers. Say exerça en effet
un grand nombre de métiers au gré des circonstances et des opportunités :
journaliste, négociant, spécialiste du change, industriel et fut également

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Sophie Boutillier, André Tiran

rapporteur de la loi sur le Franc Germinal. Adepte des idées de Smith, qu’il
cherche à populariser en France, il publie en 1803 son Traité d’économie
politique où il identifie sans ambiguïtés les avantages de la libre entreprise
et du marché. Ce traité fut mal accueilli par le pouvoir. Il ne put publier
une seconde édition ni exercer la profession de journaliste, il devint alors
entrepreneur en créant une manufacture de coton dans le Pas-de-Calais
répondant aux critères de la modernité de l’époque. L’entreprise prospéra
très rapidement. L’un des intérêts majeurs de l’œuvre intellectuelle de Say
est qu’elle repose sur une connaissance pratique de l’entreprise, comme le
souligne Schumpeter dans son Histoire de l’analyse économique (publiée en
1953). Mais, Schumpeter est assez critique sur la qualité de l’œuvre de Say,
prétextant que l’on ne peut être à la fois un bon économiste et un bon entre-
preneur. Ce qu’au demeurant, Schumpeter n’a pas réussi, non plus.
Très certainement fruit de ses certitudes théoriques et de son expérience
entrepreneuriale, Say définit le « métier de l’entrepreneur » qui réunit un
ensemble de qualités très variées et peu communes. Say souligne avec insis-
tance que l’entrepreneur réalise un travail intelligent en tant que tel et sur-
tout par rapport aux autres acteurs de l’économie, en premier lieu l’ouvrier
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dont le rôle est cependant bien reconnu par Say. Ce métier réside en effet
dans un travail de coordination et peut-être aussi d’instinct. L’entrepreneur
doit être capable d’analyser et d’anticiper pour prendre les décisions qui lui
seront profitables. Say examine avec attention les qualités qui font le prix du
travail de l’entrepreneur. Il commence par la capacité à lever des capitaux,
ce qui suppose une réputation de probité et d’intelligence. La fonction entre-
preneuriale exige de nombreuses qualités individuelles qu’il résume dans le
talent d’administrer qui est peu fréquent. L’entrepreneur est preneur de risque
et responsable en dernier ressort de l’échec ou du succès de son action. Il
écrit dans Le catéchisme d’économie politique (publié en 1815) que les revenus
des entrepreneurs d’industrie sont toujours variables et incertains. Toutefois
Say n’assimile pas l’entrepreneur à un simple agent économique, il est un
producteur à côté du savant et de l’ouvrier. Les capacités et les qualités dont
dispose l’entrepreneur lui confère une grande liberté d’action que lui confère
le marché. Mais, l’activité entrepreneuriale est difficile. Un grand nombre
d’individus en sont ainsi exclus. Les facultés, des connaissances techniques
et les qualités que doit posséder l’entrepreneur sont peu communes (Tiran,
2014) recoupant des domaines très variés relatifs au fonctionnement d’une
entreprise : connaissance du métier au sens technique du terme, du marché
(en tant que débouchés, mais également pour acheter les matières premières
nécessaires à la production), de la gestion du personnel (difficultés à admi-
nistrer un grand nombre de personnes travaillant ensemble). L’entrepreneur
doit également savoir compter, car en l’absence de profit, l’entreprise ne peut

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La Théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation

perdurer. L’entrepreneur doit aussi avoir la tête habituée au calcul. Ce genre


de travail exige aussi des qualités morales dont la réunion n’est pas com-
mune : du jugement, de la constance, la connaissance des hommes et des
choses.
Cette idée d’un entrepreneur transformateur de l’économie et de la
société, est également présente chez Karl Marx (1818-1883) qui n’est certes
pas le théoricien de l’entrepreneur. Cependant une lecture approfondie de
son œuvre est riche d’enseignements quant au rôle et à la place de celui-ci
dans la dynamique du capitalisme industriel et des progrès renouvelés des
techniques. Marx emploie cependant rarement le vocable « entrepreneur »,
il lui préfère celui de « capitaliste », voire de « capitaliste-entrepreneur ». Ce
dernier peut être qualifié d’« agent fanatique de l’accumulation » qui « force les
hommes, sans merci ni trêve à produire pour produire (…) ». « Accumulez, accu-
mulez ! C’est la loi et les prophètes ». L’entrepreneur-capitaliste est pris dans une
espèce de spirale qu’il ne maîtrise pas. Sa capacité d’initiative (d’action) est
limitée par la loi coercitive du marché. Il est tout aussi aliéné que le travail-
leur qu’il exploite. Dans le Manifeste du parti communiste (publié en 1848),
Marx et Engels (1976, 47) qualifient la bourgeoisie d’agent « sans volonté
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propre et sans résistance » aux forces de l’industrie. Bien que Marx ait qualifié
le capitalisme de… révolutionnaire sur le plan technologique, il n’établit pas
de relation explicite entre innovation et entrepreneur. L’invention est deve-
nue une « branche des affaires » et « l’application de la science à la production
immédiate détermine les inventions en même temps qu’elle les sollicite » (Marx,
1977, tome 2, 220). Marx concentre son analyse sur la dynamique générale
du mouvement d’accumulation. Le capitalisme est pris dans une espèce de
dynamique qui le dépasse, mais aussi qu’il cherche à maîtriser. La concur-
rence est dure, l’incertitude forte. Il faut grandir pour ne pas disparaître. La
concurrence qui est la quintessence du capitalisme se transforme. Des entre-
prises de taille internationale émergent lesquelles cherchent à contrôler de
plus en plus étroitement l’incertitude propre au fonctionnement du marché.
L’activité productive se socialise progressivement. Le capitalisme change de
nature… Marx s’approprie la théorie de la fin de l’histoire de Hegel (que
Schumpeter reprend) évoquant la possibilité d’une nouvelle forme d’organi-
sation de l’économie où le marché et la propriété privée ont disparu.

Les faux-pas des Marginalistes


A la fin XIXe  siècle, les Marginalistes recentrent leurs travaux sur les
principes fondateurs de Smith (concurrence, marché et propriété privée) et
élaborent un ensemble d’outils d’investigation qu’ils veulent scientifiques.
L’entreprise disparaît et devient une combinaison de facteurs de production,

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Sophie Boutillier, André Tiran

soit une fonction de production. Ce concept fait abstraction tant de l’entre-


prise en tant qu’organisation composée d’un nombre plus ou moins impor-
tant d’individus et qui obéit à un ensemble de règles de fonctionnement,
que de l’entrepreneur en tant que décideur, manager ou innovateur. Dans un
modèle économique, où l’incertitude a été bannie, l’entrepreneur n’a plus de
raison d’être. Dans la théorie néoclassique telle qu’elle est formulée par Léon
Walras (1834-1910), l’entrepreneur est une sorte d’intermédiaire entre les
marchés (de facteurs de production, de marchandises, etc.), qui se plie sans
résistance à la volonté du marché par le mécanisme des prix. L’entrepreneur
walrasien est présent dans tous les secteurs d’activité (agriculture, industrie
et commerce). Quel que soit le secteur d’activité, il achète des matières pre-
mières, loue des terres, des bâtiments, des instruments de travail, embauche
des travailleurs, et vend les produits qu’il a fabriqués.
Bien que généralement associé aux travaux de Walras en tant que co-
fondateur (avec S. Jevons) du Marginalisme, Carl Menger (1840-1921)
construit un cadre théorique différent, puisqu’il met l’accent sur l’incerti-
tude, laquelle influe (et réciproquement) sur la rationalité des agents éco-
nomiques. Dans Recherches sur les méthodes des sciences sociales (publiée en
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1883), Menger développe la théorie des ordres spontanés, fruits d’actions
humaines non intentionnelles, qui trouve son origine chez Mandeville,
Ferguson, Hume et Smith (Dostaler, 2006). Son analyse économique
(contrairement à Walras), le conduit à mettre l’accent sur l’acteur. Le temps,
l’incertitude et l’ignorance sont des données fondamentales de l’expérience
humaine (Dostaler, 2006). Ce postulat le conduit à mettre l’accent non sur
les situations d’équilibre, mais de déséquilibre. La cause essentielle du progrès
réside dans la croissance connaissances scientifiques et techniques. Mais d’où
viennent-elles ? Et quels sont les agents économiques qui les mobilisent ? Le
processus qui conduit les agents économiques à prendre des décisions est
relativement plus complexe que celui imaginé par Walras, en premier lieu
parce que les informations dont disposent les agents économiques ne sont
pas seulement objectives, mais aussi beaucoup plus diffuses. Ces connais-
sances sont mobilisables dans l’action, c’est-à-dire à travers les interactions
des comportements individuels. À sa façon, et bien avant que naissent les
théories sur les réseaux sociaux, Menger souligne l’importance de la forma-
tion des réseaux d’affaires dans la formation des opportunités d’affaires.
Menger met ainsi l’accent sur le processus d’apprentissage au cours duquel
les agents acquièrent des connaissances, qui ont été découvertes par d’autres
agents économiques. Mais, Menger met aussi l’accent sur l’acquisition de
connaissances liées à l’activité concrète dans laquelle les agents économiques
sont engagés et par conséquent sur l’expérience. À travers l’acquisition de
connaissances, les agents économiques créent sans intention de le faire des

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La Théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation

institutions leur permettant d’atténuer l’incertitude. Les individus peuvent


être amenés à faire des erreurs en matière de prise de décision. Les institu-
tions sociales sont ainsi le résultat spontané des interactions des comporte-
ments individuels, interactions qui permettent en particulier la mobilisation
et la diffusion de connaissances tacites. La découverte de ces connaissances
tacites est le fait d’un nombre restreint d’individus qui ont un comportement
innovateur, les « agents clairvoyants ».
Dans un contexte d’incertitude, les agents ne peuvent avoir un compor-
tement maximisateur car ils ne maitrisent pas toutes les informations pour
ce faire. Par ailleurs, l’intérêt personnel n’est pas le seul ressort de l’action
humaine. Les agents économiques poursuivent des objectifs qui leur sont
propres dans un contexte d’incertitude et sont par conséquent susceptibles
de se tromper. Menger rappelle que si Smith a écrit La richesse des nations,
il est aussi l’auteur de La théorie des sentiments moraux. Deux individus ne
peuvent avoir la même vision du monde, car chacun la construit en fonction
de ses connaissances, de son expérience, en bref de son parcours. La rationa-
lité de l’entrepreneur est alors limitée, même si le concept n’apparaîtra que
bien plus tard (Simon, 1947). L’entrepreneur mengerien n’a pas une vision
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objective de sa situation économique, elle est subjective puisqu’elle dépend
de la position qu’il occupe dans le marché, mais également de sa propre
identité. Chaque agent économique est unique et se singularise par des traits
caractéristiques.

L’entrepreneur et l’esprit du capitalisme


Avant de traiter de l’approche de l’entrepreneur par Schumpeter, il faut
aborder l’analyse de Max Weber (1864-1920) et celle de Werner Sombart
(1863-1941) qui ont profondément influencé les travaux de Schumpeter
même si ce dernier ne s’y réfère pas toujours. Pour Weber, le capitalisme
moderne, c’est-à-dire le capitalisme d’entreprises, est fondé sur l’utilisation
rationnelle du salariat. Il apparaît en Occident grâce à un ensemble de pré-
conditions structurelles : en particulier, la présence d’une classe rationnelle
que représente la bourgeoisie libre de la ville médiévale. Pour Weber, ce qui
est décisif c’est l’apparition de ce qu’il nomme, comme Sombart, l’« esprit du
capitalisme ». Le capitalisme moderne est donc fondé sur le travail de sala-
riés dirigés, de façon rationnelle, par des entrepreneurs, au sein d’entreprises
qui sont organisées bureaucratiquement. Pour lui, le problème majeur de
l’expansion du capitalisme moderne n’est pas celui de l’origine du capital,
mais du développement de l’esprit du capitalisme, comme il l’explique clai-
rement dans L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (publié en 1905).
Plusieurs conditions sont nécessaires à l’émergence du capitalisme moderne.

n° 50 – innovations 2016/2 219


Sophie Boutillier, André Tiran

Son analyse relève de ce que nous appelons aujourd’hui la sociologie éco-


nomique, c’est-à-dire qu’elle combine à la fois une analyse strictement éco-
nomique et 1’analyse sociologique. Pour Swedberg (2005), Weber a bien
construit une véritable théorie de l’entrepreneur et de l’entrepreneuriat.
L’entrepreneur est l’acteur le plus important de l’histoire universelle de l’éco-
nomie et la société (Weber, 1991).
L’entrepreneur weberien est désigné par de nombreux qualificatifs, le
capitaliste comme chez Marx, l’entrepreneur nouveau style ou moderne. Son
analyse est insérée dans la question de l’entreprise rationnelle bourgeoise et
de son capitaine : l’entrepreneur. Dans Économie et société (publié en 1922),
Weber développe son approche de l’entreprise et de l’entrepreneur. Il note
dès le départ que les intérêts du propriétaire de l’entreprise, apporteur de
capitaux, ne coïncident pas avec ceux du chef d’entreprise qui recherche
une position de force sur le marché. Cette distinction est importante parce
qu’elle permet la sélection d’un chef d’entreprise qualifié et d’éviter l’ingé-
rence des apporteurs de capitaux et leur mainmise sur les postes dirigeants qui
sont facteurs d’irrationalité. Son entrepreneur est défini en creux (comme
chez Marx) à travers les concepts d’exploitation rémunératrice qui revient
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en fait à reprendre la position de Marx sur la recherche du profit, et chez lui
(comme chez Marx), l’entrepreneur est celui qui assure l’orientation d’entre-
prise et son activité d’une façon permanente et continue vers la recherche
du profit. Pour Weber, l’entrepreneur est l’homme du compte de capital qui
agit par l’évaluation préalable des chances de gain en termes de monnaie
à travers l’achat ou la vente de biens d’investissement. L’entrepreneur doit
assurer son indépendance à l’égard des apporteurs de capitaux, des salariés et
donc veiller à ce que sa domination, son contrôle total sur l’administration
d’entreprise soit effectif. L’entrepreneur est la figure centrale de L’éthique pro-
testante et l’esprit du capitalisme. L’apparition de l’entrepreneur nouveau style
est liée au fait que dans les familles des marchands entrepreneurs, les enfants
développent des qualités éthiques permettant de résoudre la contradiction
entre la recherche du gain maximum et la conduite de vie ascétique. Face à
la tendance au développement de la bureaucratie (celle issue de la longueur
des études et des compétences techniques), un seul acteur est capable de
s’y opposer : l’entrepreneur capitaliste dont Weber dit qu’il est la seule ins-
tance réellement « immunisée » « contre le caractère inévitable de la domination
bureaucratique rationnelle du savoir » (Weber, 1971, p. 230). L’entrepreneur
incarne la double nature de l’esprit du capitalisme, il est à la fois un calcu-
lateur avisé et un prédateur aventurier. L’une des principales critiques de
l’œuvre de Weber se trouve chez Sombart, selon lequel l’esprit du capitalisme
n’est pas une création de l’ethos protestant. Cet esprit était déjà présent à la
Renaissance, voire au Moyen Âge, dans le Bassin méditerranéen de l’Europe

220 innovations 2016/2 – n° 50


La Théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation

(dans les grandes villes italiennes catholiques de l’époque plus précisément).


Les idées de Weber ont été critiquées dès le XIXe  siècle notamment par
Schumpeter ou Sombart, puis par Braudel. Le premier situe la naissance du
capitalisme dans l’Italie du Quattrocento, les cités-États de Milan, Florence
et Venise ayant favorisé l’émergence du capitalisme, le second l’attribue aux
Juifs plutôt qu’aux Protestants.
Sombart modélise l’idéal-type de l’entrepreneur capitaliste moderne.
L’entrepreneur ne poursuit pas son propre intérêt, mais le taux de profit le
plus élevé possible pour ses entreprises. Selon Sombart, les deux facteurs par-
ticuliers caractérisant l’entrepreneur capitaliste moderne sont la fonction de
spéculation-calcul qui implique l’innovation et celle de gestionnaire-coor-
dinateur. Mais le « gestionnaire » doit avoir un talent pour spéculer, réaliser
des calculs et négocier avec les autres agents économiques (Freeddy, 1988).
L’entrepreneur doit posséder les qualités suivantes : vivacité d’esprit, pers-
picacité, intelligence. Sombart introduit une conception essentiellement
individualiste de l’économie, conception d’après laquelle la sphère d’action
de chaque sujet économique ne devait être limitée par aucune réglementa-
tion restrictive. La force motrice d’un tel système réside dans l’idée de profit,
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le capital doit tendre vers sa propre multiplication. L’incarnation presque
absolue de cet esprit capitaliste est l’entrepreneur. Il s’agit de la réunion en
une seule personne de l’entrepreneur et du commerçant, qui fondent leurs
deux âmes en une seule dans le sujet de l’économie capitaliste, au point de
former une individualité nouvelle, tout à fait particulière. L’entrepreneur est
un homme qui se consacre entièrement à la tâche qu’il doit accomplir. La
chose la plus importante chez l’entrepreneur est que son intellect contrôle
ses émotions, garde son calme, et exerce sa volonté dans la recherche du
profit maximum. Il possède une organisation mentale qui lui permet de réu-
nir en une synthèse créatrice le présent et l’avenir, il entrevoit d’avance
l’état futur des moyens de circulation, de production et d’échanges, tel que
le déterminent et le modifient des lois intérieures.
Sombart souligne qu’il y a un lien étroit entre les caractéristiques de l’en-
trepreneur et celles de l’esprit juif qui possède des qualités intellectuelles et
rationnelles. Ce qui ne doit pas être interprété dans un sens d’antisémitisme.
Son ouvrage Les Juifs et le capitalisme moderne (publié en 1902), est un pen-
dant de L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Weber, qui étudie les
relations entre le protestantisme et le capitalisme. À l’opposé de Weber avec
lequel il dirige une revue, Sombart met l’accent sur le rôle des minorités
qui ne sont pas paralysées par les préjugés de la majorité de la population
(non sur celui de la religion), ce que l’on pourrait rapprocher du fait que le
nombre d’entrepreneurs est plus élevé chez les personnes d’origine immigrée
que chez d’autres. À l’ère du grand capitalisme, le droit de mener toutes les

n° 50 – innovations 2016/2 221


Sophie Boutillier, André Tiran

activités économiques est entièrement transféré aux entrepreneurs. Ils sont


en mesure d’obtenir suffisamment de capital à crédit pour effectuer des opé-
rations innovantes. Sombart (1932) a aussi forgé le terme et le concept de
destruction créatrice repris par Schumpeter.

Les nouvelles combinaisons de facteurs de production


de l’entrepreneur
Au début du XXe  siècle, universitaire brillant, mais entrepreneur raté,
Joseph A. Schumpeter (1883-1950) développe une analyse pour pallier les
lacunes du modèle walrasien (qu’il admire pourtant), incapable d’expliquer
le progrès technique, la croissance et les crises économiques. L’entrepreneur
schumpetérien introduit l’idée de mouvement. Fortement influencé par
l’École historique allemande qui cherche à rompre avec le modèle universel
des Classiques britanniques, Schumpeter opte pour une analyse historique
de l’économie basée sur une analyse fine des faits économiques et sociaux.
Il définit ainsi l’entrepreneur comme l’agent économique qui innove.
Ce faisant il en fait un agent irrationnel au sens walrasien du terme. Son
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comportement n’est pas guidé par le calcul économique, mais par le jeu,
le défi. À l’image de ce que fut l’existence même de Cantillon, l’entrepre-
neur schumpetérien est un joueur. Il assume dans ces conditions à la fois la
réussite et la faillite. L’entrepreneur devient le moteur de la « destruction
créatrice ». Le mobile de l’entrepreneur schumpetérien réside dans le défi, le
changement, le jeu. Son objectif est d’aller contre l’ordre économique éta-
bli. L’entrepreneur est ainsi instrumentalisé pour expliquer la dynamique du
capitalisme ou « l’évolution économique ». Mais, l’innovation ne se limite
pas pour Schumpeter à la création d’un nouveau bien ou à l’introduction de
la machine dans les ateliers. L’innovation est, grossièrement, ce qui permet
à l’entrepreneur d’accroître son chiffre d’affaires et sa position dominante
sur le marché. Aussi, bien qu’il ne soit pas résolument certain de l’effet de
sa trouvaille, elle peut devenir (en cas de réussite) un moyen de lui confé-
rer provisoirement (en raison des rapports de concurrence) une position de
monopole. Par le pouvoir de l’innovation, l’entrepreneur délimite son propre
marché, il fixe ses propres règles, afin de maîtriser l’incertitude propre au
fonctionnement du marché. Les mobiles humains ne sont jamais strictement
individuels, mais s’inscrivent toujours dans une réalité sociale et historique.
En d’autres termes, l’entrepreneur investit dans tel ou tel secteur d’activité
parce que l’état de l’économie, de la société, des sciences et des techniques le
lui permet, et en apportant ainsi des solutions aux problèmes posés.
L’entrepreneur schumpétérien est l’agent économique qui réalise de « nou-
velles combinaisons de facteurs de production » qui sont autant d’opportunités

222 innovations 2016/2 – n° 50


La Théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation

d’investissement (Schumpeter, 1935, 329-336) : fabrication de nouveaux


biens ; introduction d’une méthode de production nouvelle d’une branche
de production vers une autre ; ouverture de nouveaux débouchés ; conquête
d’une nouvelle source de matière première ou de produits semi-ouvrés ;
réalisation d’une nouvelle organisation (ex. formation d’un monopole). La
définition générale que Schumpeter donne de l’innovation suffit largement
pour expliquer le profit comme un revenu exceptionnel et temporaire qui
récompense l’entrepreneur, soit l’agent économique qui a pris le risque de
rompre la monotonie de l’équilibre walrasien, situation où le profit est nul.
Paradoxalement, ces nouvelles combinaisons s’apparentent pratiquement
aux pratiques dénoncées par Alfred Marshall, selon lequel les hommes d’af-
faires détournent les progrès de la science pour donner de façon artificielle
aux choses une apparence nouvelle. Mais, tous les entrepreneurs ne jouent
pas le même rôle. Les entrepreneurs pionniers suppriment ainsi les obstacles
pour les autres dans leur secteur, servant par la suite d’exemple pour tous les
autres, quel que soit leur secteur d’activité. Ils deviennent alors le moteur du
cycle des affaires.
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LES PROLONGEMENTS CONTEMPORAINS
DE LA THÉORIE DE L’ENTREPRENEUR

Les avancées fondamentales de l’école autrichienne


Abandonnant l’hypothèse réductrice de transparence du marché, les
représentants de l’école autrichienne, via les travaux pionniers de Menger,
donnent à l’entrepreneur la fonction majeure de canaliser l’incertitude
propre au fonctionnement du marché. Ce qui le conduit du même coup à
détecter ou à créer les opportunités du marché. Knight, Mises, Hayek et
Kirzner décrivent un entrepreneur dont l’activité s’inscrit dans un environ-
nement socio-économique complexe.
Franck Knight (1885-1962) se rapproche de la définition quasi originelle
de l’entrepreneur, celle de Cantillon, puisqu’il le définit en vertu de sa capa-
cité à prendre des risques. Le profit que reçoit l’entrepreneur est pour Knight
une rémunération juste car elle est le produit de l’incertitude et du risque pris.
Il oppose deux types de société. La première est une société imaginaire, mais
qu’il cherche à décrire le plus près possible de la réalité. Cette société se carac-
térise par l’absence d’incertitude. Tous les agents économiques disposent des
mêmes connaissances et informations. Cette société change radicalement
avec l’introduction de l’incertitude et par conséquent de l’entrepreneur,
pour constituer le second type de société. Deux problèmes majeurs découlent

n° 50 – innovations 2016/2 223


Sophie Boutillier, André Tiran

de l’introduction de l’incertitude (Knight, 1965) : d’abord les entrepreneurs


doivent prévoir les besoins de consommateurs. Cette tâche, mais aussi la
direction technologique et le contrôle de la production se trouvent concen-
trées dans une catégorie d’individus particulière : les entrepreneurs. Ensuite,
dans ce contexte d’incertitude, le travail de conception devient prépondé-
rant sur celui de production et d’organisation. L’entrepreneur et l’organisa-
tion hiérarchique de l’entreprise seraient les conséquences de l’introduction
de l’incertitude dans une économie de marché. Dans ce contexte d’incer-
titude, l’entrepreneur est l’agent économique qui supporte des risques qui,
selon Knight, ne sont pas probabilisables en raison du caractère imprévisible
de l’évolution du marché. Le profit en est la juste rémunération.
Ludwig von Mises (1881-1973) partage aussi l’idée selon laquelle les
entrepreneurs sont la force motrice du marché. Il les définit comme une sorte
d’intermédiaire agissant sur le marché. Ce qui le conduit à mettre l’accent
sur les rapports de concurrence. L’entrepreneur est un agent économique qui
cherche à obtenir un profit en tirant parti de différences dans des prix. Mais,
l’entrepreneur de Mises n’est pas, contrairement à son homologue schumpé-
térien par exemple, une espèce de héros, car comme tout agent économique,
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il est à la fois entrepreneur, travailleur et consommateur. La distribution
des rôles n’est pas figée. Cependant, Mises définit la fonction spécifique de
l’entrepreneur qui consiste à déterminer l’utilisation des facteurs de pro-
duction. L’entrepreneur est l’homme qui les consacre à des fins spécifiques.
Son objectif est purement égoïste, il est de s’enrichir, mais il ne dispose pas
d’une entière liberté d’action car il ne peut échapper à la loi du marché. Les
consommateurs ont aussi un rôle important car l’entrepreneur doit répondre
à leurs besoins. Mises ne cherche donc pas à identifier un groupe social éti-
queté « entrepreneurs ». Il parle en termes de fonction entrepreneuriale. Il
considère que c’est un « subterfuge méthodologique » de chercher à incarner
l’entrepreneur comme un individu. Comme Schumpeter, et bien d’autres
économistes avant lui, l’entrepreneur n’est pas incarné dans un individu. Les
capitalistes, les propriétaires, les travailleurs et le consommateur sont des
spéculateurs par nécessité. Ainsi, tout le monde peut être un entrepreneur
(ce qui signifie implicitement comme que l’état d’entrepreneur n’est pas
permanant), et surtout si l’entrepreneur se livre à des arbitrages sur le prix,
ce n’est pas un comportement spécifique à cette fonction puisque tous les
agents économiques sont amenés à spéculer, chaque action est ainsi intégrée
dans le flux du temps et implique donc une spéculation.
Mises poursuit son processus de construction de la théorie de l’entrepre-
neur en remettant en question un ensemble d’idées généralement admises.
L’entrepreneur n’est pas un propriétaire car il doit emprunter les fonds dont

224 innovations 2016/2 – n° 50


La Théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation

il a besoin. Qu’en est-il du profit ? S’il réussit, le profit est à lui, mais s’il
échoue, la perte retombe sur les capitalistes qui lui ont prêté les fonds. De
son côté, le capitaliste qui lui prête les fonds est aussi un spéculateur et un
entrepreneur, car il court toujours le risque de perdre ses fonds. En conclu-
sion, il n’existe rien qui ressemble à un investissement parfaitement sûr.
Tout le monde peut être entrepreneur et spéculer. La spéculation n’est pas le
domaine réservé de l’entrepreneur.
Friedrich von Hayek (1899-1992) s’inscrit aussi dans la tradition men-
gerienne, l’entrepreneur ne prend pas de décisions dans un environnement
économique transparent. Au contraire, Hayek explique en substance que
la somme des connaissances de tous les individus n’existe nulle part. De
plus, au fur et à mesure de la progression de la connaissance, de nouvelles
zones d’ignorance sont découvertes. Hayek place l’activité entrepreneuriale
au cœur de sa représentation du processus de marché permettant à la tra-
dition contemporaine de développer sur cette base une typologie des diffé-
rents types d’activités exercées par l’entrepreneur. Hayek propose ainsi une
conception du marché non plus comme un état des choses, mais comme un
processus. En ce sens, il se détache des enseignements des fondateurs de la
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tradition néoclassique et se consacre uniquement à l’étude du fonctionne-
ment de l’économie de marché. Il néglige ainsi l’aspect sociologique et his-
torique de l’activité entrepreneuriale ébauchée par des prédécesseurs comme
Weber et Sombart. Les agents économiques prennent donc des décisions
dans un contexte d’incertitude. C’est pour cette raison fondamentale que
le marché fonctionne. Ce que les économistes, selon Hayek, n’ont jamais
compris dans leur grande majorité. Il reproche aux intellectuels de ne rien
comprendre ni à l’économie, ni à l’entrepreneur, que ce soit par bêtise ou
par ignorance. Or, explique-t-il en substance, les marchands ont été depuis
les premiers temps de l’humanité les moteurs de la civilisation et du progrès.
Il insiste tout particulièrement sur ce sujet en soulignant que le commerce
est antérieur dans l’histoire de l’humanité à l’invention de l’agriculture et de
l’État. L’information est le nerf des affaires : les agents économiques agissent
dans l’ignorance des décisions des autres agents économiques. L’idée majeure
est que l’individu peut paradoxalement réussir malgré lui, ou tout au moins
sans posséder toutes les informations nécessaires au succès de son entreprise
car il baigne en quelque sorte dans une espèce d’humus (le marché) d’où il
tire ce dont il a besoin.
Israël Kirzner (1930-) poursuit dans la même voie, et décrit l’activité
entrepreneuriale comme la découverte d’opportunités de profit invisibles
aux yeux des autres individus. Il en découle le concept de « vigilance entre-
preneuriale » qui se définit comme une sorte de capacité particulière des

n° 50 – innovations 2016/2 225


Sophie Boutillier, André Tiran

entrepreneurs à acquérir l’information de façon spontanée. Dans ces condi-


tions, le profit de l’entrepreneur est la récompense obtenue en partie par
hasard et grâce à l’habileté de l’entrepreneur à anticiper la manière dont les
individus vont réagir face au changement. Kirzner refuse la problématique
de la maximisation du profit. Ou, plutôt, l’entrepreneur n’est pas seulement
un agent calculateur, c’est aussi un agent économique attentif aux opportu-
nités. L’entrepreneur kirznerien, contrairement à son homologue schumpe-
térien, ne crée rien de nouveau, mais est un découvreur d’opportunités exis-
tantes. Les opportunités de profit naissent du déséquilibre, non de l’équilibre.
L’entrepreneur doit être vigilant pour détecter, puis exploiter les opportunités
de profit qui peuvent se présenter. L’entrepreneur se présente donc comme
l’agent économique qui exploite l’ignorance et révèle l’information. Mais,
alors que l’entrepreneur schumpétérien est un être hors du commun, qui par
son action fait évoluer l’économie de manière ponctuelle, dans l’acceptation
de l’école autrichienne issue des travaux de Mises et Menger, l’entrepreneur
est un homme comme un autre qui a su (ou qui sait) mieux qu’un autre
déceler les opportunités de profit. Cette capacité se manifeste par la faculté
de percevoir les opportunités offertes par le marché. Grâce à cette qualité,
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l’entrepreneur sait comment combiner les facteurs de production et dans
quelles proportions, et également comment trouver les personnes disposant
des informations dont il a besoin pour trouver des sources de profit. Kirzner
remet en question à sa façon le mythe du self-made-man en montrant impli-
citement que la réussite entrepreneuriale n’est pas fonction des seules quali-
tés intrinsèques d’un individu aussi exceptionnel soit-il.
D’un autre côté, en découvrant des opportunités de profit qui avaient
été jusqu’alors ignorées, l’entrepreneur introduit du changement qui crée
une nouvelle situation d’incertitude, mais dont peuvent tirer profit d’autres
entrepreneurs qui à leur tour décèleront d’autres opportunités que d’autres
avaient ignorées. Les opportunités naissent du déséquilibre, ce qui signi-
fie qu’il existe des poches d’ignorance au sein du marché. Or, en l’absence
de poches d’ignorance, il n’y a plus d’opportunités d’investissement et par
conséquent d’entrepreneur.

Le rôle des incitations et du contexte institutionnel


William Baumol (1922-…) est convaincu que la théorie économique ne
parvient pas à fournir une analyse rigoureuse du comportement de l’entre-
preneur (1968, 64). Pour lui dans le modèle néoclassique, l’entrepreneur
disparaît car sa présence est incompatible avec les conditions remplies dans
l’état d’équilibre (Baumol 1993). La conception néo-classique de l’entre-
preneur est celle d’un exécutant et d’un facteur de production séparé du

226 innovations 2016/2 – n° 50


La Théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation

triptyque : terre, travail et capital. Il est un « automate maximisateur ».


Il considère l’entrepreneur comme un innovateur et la source potentielle
du déséquilibre. Pour lui, l’entrepreneuriat peut être trouvé dans de nom-
breuses sociétés à travers l’histoire, mais alors qu’il est productif dans cer-
taines, il est improductif et même destructeur dans d’autres. En d’autres
termes, les activités entrepreneuriales peuvent avoir des conséquences
négatives en termes de revenus et de bien-être social. Les règles du jeu qui
déterminent les paiements relatifs aux différentes activités entrepreneu-
riales changent considérablement d’une période et d’un lieu à l’autre, alors
le comportement entrepreneurial change la nature d’une économie d’une
manière qui correspond aux variations dans les règles du jeu. En effet, à
certains moments, l’entrepreneur peut même mener une existence parasi-
taire qui est réellement dommageable pour l’économie. Le comportement
de l’entrepreneur dépend des règles du jeu économique et de la nature de
la récompense de l’entrepreneur. Pour Baumol, la créativité humaine et
l’esprit d’entreprise sont nécessaires pour combiner les facteurs de produc-
tion de façon rentable et productive. En conséquence, un environnement
institutionnel qui encourage l’entrepreneuriat productif et l’expérimenta-
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tion humaine devient le déterminant ultime de croissance économique.
Aussi, afin d’encourager l’entrepreneuriat créatif, il est nécessaire de créer
des conditions institutionnelles adéquates qui aboutissent à la création de
la richesse sociale.

Évaluer l’hétérogénéité du phénomène entrepreneurial


L’augmentation des créations d’entreprise depuis les années 1980 a mis
en évidence la diversité de l’entrepreneuriat. L’entrepreneur n’est pas seule-
ment un innovateur, la création d’entreprise n’est pas l’aboutissement d’un
projet longuement mûri, mais une solution en dernier recours pour échap-
per au chômage. L’entrepreneur est ainsi souvent dénué de ressources, et
doit fréquemment s’en remettre à son cercle familial pour mener à bien son
projet.
Mark Casson (1945-) prolonge l’analyse néoclassique afin d’y faire entrer
l’entrepreneur, pour ce faire il introduit des éléments extra-économiques, en
premier lieu la famille (1991). Les agents économiques sont ainsi encastrés
dans un environnement social particulier, avant d’être des agents écono-
miques qui s’affrontent sur un marché. Ce qui le conduit à mettre en évidence
deux éléments d’analyse fondamentaux pour expliquer la réussite entre-
preneuriale qui se recoupent : la famille (création d’un réseau de relations
pour trouver des financements et des marchés) et la maîtrise de l’informa-
tion (pour trouver des fonds et des marchés). Casson définit l’entrepreneur

n° 50 – innovations 2016/2 227


Sophie Boutillier, André Tiran

comme quelqu’un de spécialisé qui prend des décisions réfléchies relatives


à la coordination des ressources rares. Cette définition est valable, quel que
soit le cadre institutionnel considéré. L’entrepreneur n’est pas une caracté-
ristique de l’économie capitaliste. Il pourrait être le planificateur d’une éco-
nomie socialiste, voire un prêtre ou un roi dans une société traditionnelle.
Dans les faits, toutefois, la fonction d’entrepreneur est étroitement identifiée
par l’entreprise privée dans une économie de marché.
La réussite entrepreneuriale est conditionnée par l’information et la
famille. L’information englobe les opportunités de profit kirzneriennes. La
famille constitue une source notable d’informations potentielles. Le fait
d’appartenir à une famille donnée peut se transformer en avantage. Mais la
réussite est limitée par la fortune familiale et par l’éventail des compétences
familiales. L’entrepreneur est confronté à des multiples barrières à l’entrée :
sa fortune personnelle est souvent insuffisante ; la collecte de l’information
peut être difficile ; son niveau d’instruction peut être insuffisant. Casson
énumère les qualités requises pour être entrepreneur, qui sont très voisines
de celles énumérées par Say : capacité de négociation, d’organisation, de
gestion, de vente et d’innovation. Mais, Casson pose une question perti-
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nente qui remet en cause (encore) l’idée de l’héroïsme entrepreneurial, en
présentant les raisons qui peuvent conduire un individu à devenir entre-
preneur : devenir entrepreneur parce que l’on cherche un emploi ; parce
que l’on refuse d’être placé sous le contrôle d’un supérieur ; parce que l’on
recherche un complément de rémunération à une activité salariée, ou encore
comme un passe-temps ; mais la raison majeure est la recherche de l’autono-
mie nécessaire pour exploiter ses talents. Parmi ces différents arguments, le
dernier est le seul positif. Les premiers sont le reflet d’aspirations négatives.
L’individu agit alors en qualité d’« employeur en dernier recours » pour lui-
même. Il existe par ailleurs un lien très étroit entre la condition de salarié
et celle d’entrepreneur dans la mesure où la première peut constituer une
espèce de tremplin pour devenir entrepreneur, car c’est ainsi que l’individu
expérimente le monde de l’entreprise.
Mais, pour parvenir à créer son entreprise, les exigences sont nom-
breuses : où trouver le capital ? Quelles sont les formes juridiques sur les-
quelles l’entreprise peut prendre appui ? Quel est le niveau de qualification
institutionnel, l’expérience professionnelle de l’entrepreneur ? Sur quels
réseaux de relations, personnelles, familiales et professionnelles, peut-il
s’appuyer ? Le capital pose toujours problème. Il est difficile d’emprunter
car les prêteurs potentiels ne partagent pas forcément l’enthousiasme ou les
angoisses de l’entrepreneur. Pour contourner les obstacles, Casson affirme
qu’il convient soit de prendre un emploi de cadre, soit d’épargner du capital

228 innovations 2016/2 – n° 50


La Théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation

en faisant un travail routinier avant d’entamer une carrière d’entrepreneur.


Il souligne aussi que les conglomérats développent l’intrapreneuriat pour
acquérir plus de souplesse et être plus créatifs. La création d’entreprise n’est
donc pas seulement une décision individuelle, mais qu’elle est aussi étroite-
ment liée à la dynamique économique (et inversement). Plus une économie
compte d’entreprises nouvelles, plus elle est capable de se renouveler et par
conséquent de se développer. Ce filtrage des nouvelles vocations s’effectue
principalement par la qualification obtenue à l’université, dans les écoles de
commerce ou les associations professionnelles. Le système éducatif joue ainsi
un rôle important dans le développement des capacités des entrepreneurs.
Pour trouver les capitaux nécessaires au démarrage de l’entreprise, l’entre-
preneur peut avoir recours aux banques, mais ces dernières ne se montrent
pas toujours très favorables au financement du projet entrepreneurial. Ce
que Schumpeter regrettait également.
Deux facteurs principaux font que la famille est un substitut efficace
de la banque ou à toutes autres formes de financement institutionnel de la
création d’entreprise. D’abord une famille se développe sur plusieurs généra-
tions. La plus ancienne peut ainsi financer la plus jeune. Ensuite, les prêteurs
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engageront leurs capitaux avec confiance en raison de la bonne image de
la famille. Mais, on peut aussi se demander pourquoi nombre de nouveaux
entrepreneurs créent aujourd’hui leur entreprise sans même solliciter une
aide publique ? C’est souvent par ignorance, mais aussi parce que ces entre-
preneurs des milieux modestes, qui constituent une bonne partie des nou-
veaux entrepreneurs, mobilisent les forces qu’ils connaissent et maîtrisent.
Deux réseaux de soutien à la création d’entreprise coexistent, l’un institu-
tionnel, l’autre informel. Ils peuvent être complémentaires (et c’est souvent
le cas), mais l’on constate, en particulier dans le cas des entreprises créées par
des entrepreneurs peu ou pas diplômés que les réseaux familiaux l’emportent
sur les réseaux institutionnels. Mais, si la famille fait défaut, l’autre solution
consiste pour Casson à travailler davantage.
La théorie économique de l’entrepreneur repose cependant sur un para-
doxe car elle a hissé l’entrepreneur au rang de faiseur d’innovations (sou-
vent radicales), alors qu’elle est bien souvent dans l’incapacité d’en identifier
l’auteur. L’entrepreneuriat recouvre pourtant des réalités sociales et écono-
miques très hétérogènes, comme le souligne Howard E. Aldrich (2011), y
compris au-delà d’une classification sommaire entre entrepreneur révolu-
tionnaire et entrepreneur imitateur. Nombre de catégories sociales (ouvriers,
employés, cadres, demandeurs d’emploi) peuvent être conduites à créer une
entreprise, par conséquent devenir entrepreneur. C’est tout particulièrement
le cas à l’heure actuelle, dans une période de sous-emploi. Mais, c’est très

n° 50 – innovations 2016/2 229


Sophie Boutillier, André Tiran

certainement vrai historiquement car si l’entreprise a été largement plé-


biscité par les économistes comme un moteur d’innovation, elle offre aussi
à nombre d’individus (sans que celui-ci soit forcément un innovateur) un
revenu (qu’il s’agisse de l’ouverture d’un petit commerce ou d’un atelier).
Aldrich et Martinez (2003) distinguent les entrepreneurs innovateurs et
les reproducteurs en fonction de la façon dont ils vont s’inscrire dans une
trajectoire technologique donnée, comme Schumpeter, mais aussi Baumol.
Les premiers ont un comportement mimétique, qui est censé engendrer des
solutions efficaces à moindres coûts. S’il semble a priori plus facile d’imiter
des pratiques connues que d’en créer de nouvelles, cependant imiter n’éli-
mine pas le risque, parce que les entrepreneurs ne disposent pas de toutes les
informations objectives à propos des faillites d’autres entrepreneurs qui ont
utilisé des pratiques, procédés et produits. Il est de plus fondamentalement
difficile d’avoir un comportement imitateur dans une société reposant sur la
concurrence et l’innovation permanente. Cependant, l’imitation peut être
considérée comme un mode de reproduction sociale bon marché comparé
à l’innovation. Aussi la question est de savoir pourquoi des entrepreneurs
innovent, car les individus n’agissent pas comme de simples machines. Ils
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prennent des décisions en fonction de l’état de la conjoncture, or ils peuvent
avoir à faire à des situations inédites. Ensuite, il est historiquement prouvé,
que l’innovation a permis à l’humanité de s’adapter et de survivre, via la
créativité, l’expérimentation et les accidents qui peuvent en découler. Le
choix entre un comportement innovateur ou un comportement imitateur
peut se justifier du point de vue du revenu attendu car le risque n’est pas le
même. Certains entrepreneurs partent de façon délibérée de connaissances
existantes, et peuvent être conduits à partir de ce point à en produire de nou-
velles. D’autres encore peuvent être amenés par défi à aller à l’encontre des
pratiques et valeurs sociales et culturelles établies, et produisent des connais-
sances inédites.

Vers une transformation radicale du capitalisme


ou les promesses de la société entrepreneuriale
Poursuivant l’idée d’une finalité historique, David Audretsch (1954-) a
développé le concept de la « société entrepreneuriale ». Audrestch (2007)
fait partie de ces économistes qui ont contribué au cours des années 1980
(comme Casson) à montrer (contrairement à ce qu’affirmait Galbraith) que
les petites entreprises ne sont pas une survivance d’un système industriel
dépassé, mais qu’elles jouent encore et toujours un rôle fondamental en
matière d’innovation. L’entrepreneur est ainsi de retour dans un contexte
économique bien différent des années 1910, lorsqu’il a été héroïsé par

230 innovations 2016/2 – n° 50


La Théorie de l’entrepreneur, son évolution et sa contextualisation

Schumpeter : l’entreprise managériale est en crise, le keynésianisme est à


bout de souffle et les grands pays industriels (au premier rang desquels les
États-Unis) sont sur le déclin, menacés par de nouvelles puissances éco-
nomiques venues principalement d’Asie. Pourtant, c’est aux États-Unis
que va naître ce nouvel entrepreneur, incarné notamment par B. Gates et
S. Jobs… Audretsch cependant ne cherche pas à mystifier l’image de l’entre-
preneur, mais ambitionne davantage de décrire un changement systémique.
Ce phénomène s’inscrit en effet dans une longue évolution du capitalisme.
L’auteur décrit la société entrepreneuriale par petites touches, tel un tableau
impressionniste, sans véritablement la définir, comme une nouvelle com-
binaison entre grandes et petites entreprises, mais également comme une
nouvelle forme d’organisation du travail à l’intérieur et entre les entreprises,
permettant l’épanouissement de la créativité. En ce début de XXIe  siècle,
dans un contexte économique plus compétitif, mais aussi marqué par de
nouvelles innovations technologiques, une nouvelle division du travail se
dessine entre grandes et petites entreprises. Ces dernières jouent un rôle
fondamental pour transformer de nouvelles connaissances scientifiques en
biens commercialisables en premier pour les secteurs comme l’informatique
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ou les instruments de précision qui sont particulièrement intensifs en savoirs
de haut niveau.

CONCLUSION
De Cantillon à Audretsch, la théorie économique de l’entrepreneur s’est
construite au fil des siècles au gré des transformations structurelles dont a
été l’objet le capitalisme. Au terme de cette brève analyse des théorisations
de l’entrepreneur nous pouvons dans un premier temps rejeter l’idée d’une
conception seulement fonctionnelle de l’entrepreneur selon l’activité plus
ou moins spécialisée à laquelle il se consacre, selon la facette de son com-
portement qui est prise en compte, qu’il s’agisse du risque, de l’administra-
tion des affaires c’est-à-dire du management, de l’indépendance, de la sin-
gularisation de la personne. L’action entrepreneuriale s’inscrit à la fois dans
des structures économiques données (en l’occurrence celle de l’économie
capitaliste à différents stades de son développement), et par ses décisions,
contribue à changer ces structures dans une relation dialectique. Si la figure
de l’entrepreneur connaît aujourd’hui un tel succès c’est aussi que l’entre-
prise et les entrepreneurs, à travers un certain nombre de produits et de ser-
vices, ont extraordinairement amélioré notre quotidien. Ils ont permis une
abondance de biens et de confort indiscutable et ils incarnent d’une certaine
façon encore le progrès et la modernité et surtout la croissance.

n° 50 – innovations 2016/2 231


Sophie Boutillier, André Tiran

L’entrepreneur tel que nous avons tenté de le décrire ici n’est ni un pro-
priétaire, ni quelqu’un qui recherche le profit, ni un simple manager ; il peut
être un peu de tout cela et rien de tout cela. Au-delà de la figure héroïque
de l’entrepreneur tel que Schumpeter a pu la théoriser, il reste que la plupart
d’entre eux accomplissent des progrès modestes mais qui regroupés contri-
buent au développement de la société. Toutefois ceci ne saurait masquer les
excès du capitalisme, le fait que les entrepreneurs peuvent avoir des activités
destructrices ; et la finance ici est l’exemple parfait d’une activité qui est plus
parasitaire qu’autre chose. À l’inverse de la deuxième moitié du XIXe siècle
où le développement de la banque a joué un rôle fondamental dans le
développement de l’industrie et de l’activité économique. Il n’en va pas de
même aujourd’hui et donc l’entrepreneur doit être toujours resitué dans son
contexte. Les expressions telles que entrepreneurs de son propre talent, l’ar-
tiste entrepreneur de lui-même, sont aujourd’hui monnaies courantes mais
elles traduisent plus l’envahissement de la technique, des concepts et de la
logique du management que l’adoption de la figure de l’entrepreneur en tant
que telle. Au bout du compte la figure de l’entrepreneur doit nous rappeler
que l’État, la famille, le religieux n’ont pas disparu, et que toute une part
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de l’humain va résister inlassablement à la codification, aux techniques du
management, a toutes les procédures et à toutes les règles de rationalisa-
tion. Si nous voulons retenir quelque chose de ce survol c’est qu’au bout du
compte l’entrepreneur échappera toujours à une tentative de théorisation
totale. Il nous manque une théorie complète de l’entrepreneur qui ne verra
sans doute jamais le jour si nous lui appliquons le terme que Marcel Mauss
(1923-1924) appliquait à la monnaie en indiquant que l’entrepreneur est un
« fait social total ». Ou faut-il revenir à l’analyse marshalienne qui était bien
parvenue à concilier capitalisme entrepreneurial et managérial ?

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