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Inno 050 0211
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© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 18/04/2023 sur www.cairn.info par Doha Doha (IP: 196.217.66.184)
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Bien qu’au cœur de l’activité économique capitaliste, l’entrepreneur n’a
pas retenu l’attention de la grande majorité des économistes, à part quelques
exceptions. Ceux-ci ont en effet principalement focalisé leur attention, non
sur un agent économique en particulier, mais sur la dynamique économique
dans sa globalité (Boutillier, 2014). L’économie politique s’institutionnalise
à la fin du XVIIIe siècle avec l’école classique et les travaux d’Adam Smith
(1991), mais elle évoque peu l’entrepreneur, et surtout, semble s’en méfier, en
premier lieu du « faiseur de projets » qui est au cœur en revanche de l’analyse
de Cantillon, économiste pionnier de la théorie de l’entrepreneur. Depuis
Cantillon (1755), deux autres économistes ont été placés sur un piédestal
quant à la théorie de l’entrepreneur, Jean-Baptiste Say (1803) et Joseph
Alois Schumpeter (1911). Ces derniers ont mis l’accent sur la figure de l’en-
trepreneur en tant que moteur de la dynamique capitaliste. L’entrepreneur
personnifie au niveau macroéconomique le progrès technique, et au niveau
micro le processus décisionnel, ses motivations et comment il fait face aux
difficultés auxquelles il est confronté.
Pendant la période de forte croissance économique de l’après seconde
guerre mondiale (1945-1975), l’entrepreneur est ignoré dans un contexte
marqué par l’épanouissement du capitalisme managérial (que Schumpeter
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s’étoffe avec Say au début du XIXe siècle, quand elle s’affirme et se poursuit
avec Schumpeter, lorsque le capitalisme managérial pendant la première
moitié du XXe siècle s’étend, justifiant apparemment la conclusion pessi-
miste de Schumpeter quant à la disparition annoncée de l’entrepreneur. Le
développement de l’économie industrielle, en tant que discipline scienti-
fique, à partir des années 1950 dans un contexte précisément marqué par le
développement du capitalisme managérial, marque une rupture fondamen-
tale dans l’histoire de la théorie économique de l’entrepreneur, car cette
approche l’ignore fondamentalement au profit d’une réflexion plus anonyme
sur les structures industrielles, leur impact sur la stratégie des firmes et les
performances de celles-ci. Pourtant, lorsque Marshall jette les bases de l’éco-
nomie industrielle en publiant en 1879 Economics of Industry, son objet est
précisément l’étude de l’organisation industrielle dans sa globalité, petites
et grandes entreprises. Marshall remet en cause le paradigme marginaliste
(remise en cause de l’homo œconomicus, atomicité du marché, organisation
hiérarchique de l’économie, etc.), pour s’intéresser à la montée en puissance
du capitalisme managérial, soulignant que l’industrie doit cependant tout
à l’entrepreneur, à ce capitaine d’industrie, qui est le moteur essentiel du
progrès.
La consolidation d’une économie mondiale structurée à partir de grands
groupes, principalement européens, nord-américains, puis japonais, justifie
cette rupture épistémologique entre l’entrepreneur et l’entreprise. Pourtant,
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sianisme, une croissance économique ralentie et un taux de chômage élevé,
ceci alors que les grandes entreprises ne semblent plus aussi performantes
que par le passé en matière d’innovation. Au fil des siècles, l’entrepreneur
est inséré dans des structures socio-économiques de plus en plus complexes.
Par rapport aux structures précapitalistes du XVIIIe siècle dans lesquelles se
positionne la réflexion de Cantillon, l’entrepreneur schumpétérien s’inscrit
dans des structures économiques où les interrelations entre les agents éco-
nomiques se positionnent dans un contexte fondamentalement différent,
celui du capitalisme managérial où l’entrepreneur aurait disparu, remplacé
par le binôme actionnaire-manager. La crise économique qui débute avec les
années 1970, sans le remettre en question, fait émerger un nouveau profil,
celui de l’entrepreneur en dernier recours, pour qui la création d’entreprise
n’est pas le produit d’un projet ambitieux et réfléchi, mais d’une solution
pour s’insérer sur le marché du travail dans un contexte de chômage structu-
rel de masse et de précarité de l’emploi.
Nous présenterons dans un premier temps, les fondements historiques de
la théorie de l’entrepreneur (depuis Cantillon jusque Schumpeter). Dans la
seconde partie, nous montrerons les prolongements plus ou moins récents de
ces thèses qui ont vu le jour dans un contexte historique tout à fait différent.
Nous montrerons ainsi que la théorie économique accompagne l’évolution
économique qui oscille en permanence entre une structure concentrée ou
éclatée sous la pression de la concurrence.
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fortune considérable, précisément grâce à sa capacité à prendre des risques
aussi bien dans les affaires que dans le jeu. Dans Essai sur la nature du com-
merce en général, publié en 1755, soit plusieurs années après sa mort, l’entre-
preneur matérialise ce qui deviendra plus tard la « main invisible » de Smith
(Murphy, 1997), en tant que « catalyseur de la production et des échanges »
(Murphy, 1997, 186). Cantillon n’a cependant pas la primauté de cette idée.
Il a été précédé dans sa tâche par d’illustres auteurs. En 1675, Jacques Savary
publie Le parfait négociant, véritable best-seller du droit et de la pratique
des affaires. Cependant, Cantillon donne à l’entrepreneur une dimension
nouvelle en conceptualisant son comportement (Murphy, 1997). Son ana-
lyse du rôle de l’entrepreneur est historiquement contextualisée. Il distingue
en effet deux types d’économie, l’une centralisée (symbolisée par un grand
domaine administré de type féodal) et l’autre l’économie de marché, décen-
tralisée, dans laquelle s’inscrit l’entrepreneur. La fonction entrepreneuriale
consiste à identifier les demandes et à diriger la production pour satisfaire
la demande. Il prend des risques et va en éclaireur pour trouver les activités
potentiellement rentables. La fonction entrepreneuriale est multiple, à la
fois dans la production (fermiers, manufacturiers et fournisseurs des services
de travail) et les échanges (grossistes et détaillants). Les premiers sont des
entrepreneurs producteurs, et regroupent un large ensemble de professions :
cordonniers, charpentiers, drapiers, médecins, avocats (voire des mendiants
et des voleurs).
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tion de créer un environnement propice au développement des affaires.
Dans le tourbillon des affaires, les entreprises naissent et se transforment,
mais la concurrence doit être permanente, et l’économie se métamorphose.
La propriété du capital aussi. Smith s’intéresse au développement des socié-
tés anonymes. La séparation entre gestion et propriété lui semble nuire à
terme à l’initiative individuelle. L’actionnaire n’a pas d’intérêt particulier
quant au devenir de l’entreprise si ce n’est les dividendes qu’il pourra tirer
de l’évolution des cours. Les sociétés par actions sont par nature beaucoup
moins performantes que les sociétés dirigées par leur propriétaire, car les
intérêts des actionnaires ne sont pas forcément ceux de l’entreprise. Ce n’est
pas le cas de l’actionnaire qui raisonne en termes de paquets d’actions. Aux
dires de Smith, comme de Schumpeter (1979), près de deux siècles plus tard,
le capitalisme perd son identité en se socialisant.
rapporteur de la loi sur le Franc Germinal. Adepte des idées de Smith, qu’il
cherche à populariser en France, il publie en 1803 son Traité d’économie
politique où il identifie sans ambiguïtés les avantages de la libre entreprise
et du marché. Ce traité fut mal accueilli par le pouvoir. Il ne put publier
une seconde édition ni exercer la profession de journaliste, il devint alors
entrepreneur en créant une manufacture de coton dans le Pas-de-Calais
répondant aux critères de la modernité de l’époque. L’entreprise prospéra
très rapidement. L’un des intérêts majeurs de l’œuvre intellectuelle de Say
est qu’elle repose sur une connaissance pratique de l’entreprise, comme le
souligne Schumpeter dans son Histoire de l’analyse économique (publiée en
1953). Mais, Schumpeter est assez critique sur la qualité de l’œuvre de Say,
prétextant que l’on ne peut être à la fois un bon économiste et un bon entre-
preneur. Ce qu’au demeurant, Schumpeter n’a pas réussi, non plus.
Très certainement fruit de ses certitudes théoriques et de son expérience
entrepreneuriale, Say définit le « métier de l’entrepreneur » qui réunit un
ensemble de qualités très variées et peu communes. Say souligne avec insis-
tance que l’entrepreneur réalise un travail intelligent en tant que tel et sur-
tout par rapport aux autres acteurs de l’économie, en premier lieu l’ouvrier
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dont le rôle est cependant bien reconnu par Say. Ce métier réside en effet
dans un travail de coordination et peut-être aussi d’instinct. L’entrepreneur
doit être capable d’analyser et d’anticiper pour prendre les décisions qui lui
seront profitables. Say examine avec attention les qualités qui font le prix du
travail de l’entrepreneur. Il commence par la capacité à lever des capitaux,
ce qui suppose une réputation de probité et d’intelligence. La fonction entre-
preneuriale exige de nombreuses qualités individuelles qu’il résume dans le
talent d’administrer qui est peu fréquent. L’entrepreneur est preneur de risque
et responsable en dernier ressort de l’échec ou du succès de son action. Il
écrit dans Le catéchisme d’économie politique (publié en 1815) que les revenus
des entrepreneurs d’industrie sont toujours variables et incertains. Toutefois
Say n’assimile pas l’entrepreneur à un simple agent économique, il est un
producteur à côté du savant et de l’ouvrier. Les capacités et les qualités dont
dispose l’entrepreneur lui confère une grande liberté d’action que lui confère
le marché. Mais, l’activité entrepreneuriale est difficile. Un grand nombre
d’individus en sont ainsi exclus. Les facultés, des connaissances techniques
et les qualités que doit posséder l’entrepreneur sont peu communes (Tiran,
2014) recoupant des domaines très variés relatifs au fonctionnement d’une
entreprise : connaissance du métier au sens technique du terme, du marché
(en tant que débouchés, mais également pour acheter les matières premières
nécessaires à la production), de la gestion du personnel (difficultés à admi-
nistrer un grand nombre de personnes travaillant ensemble). L’entrepreneur
doit également savoir compter, car en l’absence de profit, l’entreprise ne peut
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propre et sans résistance » aux forces de l’industrie. Bien que Marx ait qualifié
le capitalisme de… révolutionnaire sur le plan technologique, il n’établit pas
de relation explicite entre innovation et entrepreneur. L’invention est deve-
nue une « branche des affaires » et « l’application de la science à la production
immédiate détermine les inventions en même temps qu’elle les sollicite » (Marx,
1977, tome 2, 220). Marx concentre son analyse sur la dynamique générale
du mouvement d’accumulation. Le capitalisme est pris dans une espèce de
dynamique qui le dépasse, mais aussi qu’il cherche à maîtriser. La concur-
rence est dure, l’incertitude forte. Il faut grandir pour ne pas disparaître. La
concurrence qui est la quintessence du capitalisme se transforme. Des entre-
prises de taille internationale émergent lesquelles cherchent à contrôler de
plus en plus étroitement l’incertitude propre au fonctionnement du marché.
L’activité productive se socialise progressivement. Le capitalisme change de
nature… Marx s’approprie la théorie de la fin de l’histoire de Hegel (que
Schumpeter reprend) évoquant la possibilité d’une nouvelle forme d’organi-
sation de l’économie où le marché et la propriété privée ont disparu.
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1883), Menger développe la théorie des ordres spontanés, fruits d’actions
humaines non intentionnelles, qui trouve son origine chez Mandeville,
Ferguson, Hume et Smith (Dostaler, 2006). Son analyse économique
(contrairement à Walras), le conduit à mettre l’accent sur l’acteur. Le temps,
l’incertitude et l’ignorance sont des données fondamentales de l’expérience
humaine (Dostaler, 2006). Ce postulat le conduit à mettre l’accent non sur
les situations d’équilibre, mais de déséquilibre. La cause essentielle du progrès
réside dans la croissance connaissances scientifiques et techniques. Mais d’où
viennent-elles ? Et quels sont les agents économiques qui les mobilisent ? Le
processus qui conduit les agents économiques à prendre des décisions est
relativement plus complexe que celui imaginé par Walras, en premier lieu
parce que les informations dont disposent les agents économiques ne sont
pas seulement objectives, mais aussi beaucoup plus diffuses. Ces connais-
sances sont mobilisables dans l’action, c’est-à-dire à travers les interactions
des comportements individuels. À sa façon, et bien avant que naissent les
théories sur les réseaux sociaux, Menger souligne l’importance de la forma-
tion des réseaux d’affaires dans la formation des opportunités d’affaires.
Menger met ainsi l’accent sur le processus d’apprentissage au cours duquel
les agents acquièrent des connaissances, qui ont été découvertes par d’autres
agents économiques. Mais, Menger met aussi l’accent sur l’acquisition de
connaissances liées à l’activité concrète dans laquelle les agents économiques
sont engagés et par conséquent sur l’expérience. À travers l’acquisition de
connaissances, les agents économiques créent sans intention de le faire des
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objective de sa situation économique, elle est subjective puisqu’elle dépend
de la position qu’il occupe dans le marché, mais également de sa propre
identité. Chaque agent économique est unique et se singularise par des traits
caractéristiques.
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en fait à reprendre la position de Marx sur la recherche du profit, et chez lui
(comme chez Marx), l’entrepreneur est celui qui assure l’orientation d’entre-
prise et son activité d’une façon permanente et continue vers la recherche
du profit. Pour Weber, l’entrepreneur est l’homme du compte de capital qui
agit par l’évaluation préalable des chances de gain en termes de monnaie
à travers l’achat ou la vente de biens d’investissement. L’entrepreneur doit
assurer son indépendance à l’égard des apporteurs de capitaux, des salariés et
donc veiller à ce que sa domination, son contrôle total sur l’administration
d’entreprise soit effectif. L’entrepreneur est la figure centrale de L’éthique pro-
testante et l’esprit du capitalisme. L’apparition de l’entrepreneur nouveau style
est liée au fait que dans les familles des marchands entrepreneurs, les enfants
développent des qualités éthiques permettant de résoudre la contradiction
entre la recherche du gain maximum et la conduite de vie ascétique. Face à
la tendance au développement de la bureaucratie (celle issue de la longueur
des études et des compétences techniques), un seul acteur est capable de
s’y opposer : l’entrepreneur capitaliste dont Weber dit qu’il est la seule ins-
tance réellement « immunisée » « contre le caractère inévitable de la domination
bureaucratique rationnelle du savoir » (Weber, 1971, p. 230). L’entrepreneur
incarne la double nature de l’esprit du capitalisme, il est à la fois un calcu-
lateur avisé et un prédateur aventurier. L’une des principales critiques de
l’œuvre de Weber se trouve chez Sombart, selon lequel l’esprit du capitalisme
n’est pas une création de l’ethos protestant. Cet esprit était déjà présent à la
Renaissance, voire au Moyen Âge, dans le Bassin méditerranéen de l’Europe
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le capital doit tendre vers sa propre multiplication. L’incarnation presque
absolue de cet esprit capitaliste est l’entrepreneur. Il s’agit de la réunion en
une seule personne de l’entrepreneur et du commerçant, qui fondent leurs
deux âmes en une seule dans le sujet de l’économie capitaliste, au point de
former une individualité nouvelle, tout à fait particulière. L’entrepreneur est
un homme qui se consacre entièrement à la tâche qu’il doit accomplir. La
chose la plus importante chez l’entrepreneur est que son intellect contrôle
ses émotions, garde son calme, et exerce sa volonté dans la recherche du
profit maximum. Il possède une organisation mentale qui lui permet de réu-
nir en une synthèse créatrice le présent et l’avenir, il entrevoit d’avance
l’état futur des moyens de circulation, de production et d’échanges, tel que
le déterminent et le modifient des lois intérieures.
Sombart souligne qu’il y a un lien étroit entre les caractéristiques de l’en-
trepreneur et celles de l’esprit juif qui possède des qualités intellectuelles et
rationnelles. Ce qui ne doit pas être interprété dans un sens d’antisémitisme.
Son ouvrage Les Juifs et le capitalisme moderne (publié en 1902), est un pen-
dant de L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme de Weber, qui étudie les
relations entre le protestantisme et le capitalisme. À l’opposé de Weber avec
lequel il dirige une revue, Sombart met l’accent sur le rôle des minorités
qui ne sont pas paralysées par les préjugés de la majorité de la population
(non sur celui de la religion), ce que l’on pourrait rapprocher du fait que le
nombre d’entrepreneurs est plus élevé chez les personnes d’origine immigrée
que chez d’autres. À l’ère du grand capitalisme, le droit de mener toutes les
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comportement n’est pas guidé par le calcul économique, mais par le jeu,
le défi. À l’image de ce que fut l’existence même de Cantillon, l’entrepre-
neur schumpetérien est un joueur. Il assume dans ces conditions à la fois la
réussite et la faillite. L’entrepreneur devient le moteur de la « destruction
créatrice ». Le mobile de l’entrepreneur schumpetérien réside dans le défi, le
changement, le jeu. Son objectif est d’aller contre l’ordre économique éta-
bli. L’entrepreneur est ainsi instrumentalisé pour expliquer la dynamique du
capitalisme ou « l’évolution économique ». Mais, l’innovation ne se limite
pas pour Schumpeter à la création d’un nouveau bien ou à l’introduction de
la machine dans les ateliers. L’innovation est, grossièrement, ce qui permet
à l’entrepreneur d’accroître son chiffre d’affaires et sa position dominante
sur le marché. Aussi, bien qu’il ne soit pas résolument certain de l’effet de
sa trouvaille, elle peut devenir (en cas de réussite) un moyen de lui confé-
rer provisoirement (en raison des rapports de concurrence) une position de
monopole. Par le pouvoir de l’innovation, l’entrepreneur délimite son propre
marché, il fixe ses propres règles, afin de maîtriser l’incertitude propre au
fonctionnement du marché. Les mobiles humains ne sont jamais strictement
individuels, mais s’inscrivent toujours dans une réalité sociale et historique.
En d’autres termes, l’entrepreneur investit dans tel ou tel secteur d’activité
parce que l’état de l’économie, de la société, des sciences et des techniques le
lui permet, et en apportant ainsi des solutions aux problèmes posés.
L’entrepreneur schumpétérien est l’agent économique qui réalise de « nou-
velles combinaisons de facteurs de production » qui sont autant d’opportunités
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LES PROLONGEMENTS CONTEMPORAINS
DE LA THÉORIE DE L’ENTREPRENEUR
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il est à la fois entrepreneur, travailleur et consommateur. La distribution
des rôles n’est pas figée. Cependant, Mises définit la fonction spécifique de
l’entrepreneur qui consiste à déterminer l’utilisation des facteurs de pro-
duction. L’entrepreneur est l’homme qui les consacre à des fins spécifiques.
Son objectif est purement égoïste, il est de s’enrichir, mais il ne dispose pas
d’une entière liberté d’action car il ne peut échapper à la loi du marché. Les
consommateurs ont aussi un rôle important car l’entrepreneur doit répondre
à leurs besoins. Mises ne cherche donc pas à identifier un groupe social éti-
queté « entrepreneurs ». Il parle en termes de fonction entrepreneuriale. Il
considère que c’est un « subterfuge méthodologique » de chercher à incarner
l’entrepreneur comme un individu. Comme Schumpeter, et bien d’autres
économistes avant lui, l’entrepreneur n’est pas incarné dans un individu. Les
capitalistes, les propriétaires, les travailleurs et le consommateur sont des
spéculateurs par nécessité. Ainsi, tout le monde peut être un entrepreneur
(ce qui signifie implicitement comme que l’état d’entrepreneur n’est pas
permanant), et surtout si l’entrepreneur se livre à des arbitrages sur le prix,
ce n’est pas un comportement spécifique à cette fonction puisque tous les
agents économiques sont amenés à spéculer, chaque action est ainsi intégrée
dans le flux du temps et implique donc une spéculation.
Mises poursuit son processus de construction de la théorie de l’entrepre-
neur en remettant en question un ensemble d’idées généralement admises.
L’entrepreneur n’est pas un propriétaire car il doit emprunter les fonds dont
il a besoin. Qu’en est-il du profit ? S’il réussit, le profit est à lui, mais s’il
échoue, la perte retombe sur les capitalistes qui lui ont prêté les fonds. De
son côté, le capitaliste qui lui prête les fonds est aussi un spéculateur et un
entrepreneur, car il court toujours le risque de perdre ses fonds. En conclu-
sion, il n’existe rien qui ressemble à un investissement parfaitement sûr.
Tout le monde peut être entrepreneur et spéculer. La spéculation n’est pas le
domaine réservé de l’entrepreneur.
Friedrich von Hayek (1899-1992) s’inscrit aussi dans la tradition men-
gerienne, l’entrepreneur ne prend pas de décisions dans un environnement
économique transparent. Au contraire, Hayek explique en substance que
la somme des connaissances de tous les individus n’existe nulle part. De
plus, au fur et à mesure de la progression de la connaissance, de nouvelles
zones d’ignorance sont découvertes. Hayek place l’activité entrepreneuriale
au cœur de sa représentation du processus de marché permettant à la tra-
dition contemporaine de développer sur cette base une typologie des diffé-
rents types d’activités exercées par l’entrepreneur. Hayek propose ainsi une
conception du marché non plus comme un état des choses, mais comme un
processus. En ce sens, il se détache des enseignements des fondateurs de la
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tradition néoclassique et se consacre uniquement à l’étude du fonctionne-
ment de l’économie de marché. Il néglige ainsi l’aspect sociologique et his-
torique de l’activité entrepreneuriale ébauchée par des prédécesseurs comme
Weber et Sombart. Les agents économiques prennent donc des décisions
dans un contexte d’incertitude. C’est pour cette raison fondamentale que
le marché fonctionne. Ce que les économistes, selon Hayek, n’ont jamais
compris dans leur grande majorité. Il reproche aux intellectuels de ne rien
comprendre ni à l’économie, ni à l’entrepreneur, que ce soit par bêtise ou
par ignorance. Or, explique-t-il en substance, les marchands ont été depuis
les premiers temps de l’humanité les moteurs de la civilisation et du progrès.
Il insiste tout particulièrement sur ce sujet en soulignant que le commerce
est antérieur dans l’histoire de l’humanité à l’invention de l’agriculture et de
l’État. L’information est le nerf des affaires : les agents économiques agissent
dans l’ignorance des décisions des autres agents économiques. L’idée majeure
est que l’individu peut paradoxalement réussir malgré lui, ou tout au moins
sans posséder toutes les informations nécessaires au succès de son entreprise
car il baigne en quelque sorte dans une espèce d’humus (le marché) d’où il
tire ce dont il a besoin.
Israël Kirzner (1930-) poursuit dans la même voie, et décrit l’activité
entrepreneuriale comme la découverte d’opportunités de profit invisibles
aux yeux des autres individus. Il en découle le concept de « vigilance entre-
preneuriale » qui se définit comme une sorte de capacité particulière des
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l’entrepreneur sait comment combiner les facteurs de production et dans
quelles proportions, et également comment trouver les personnes disposant
des informations dont il a besoin pour trouver des sources de profit. Kirzner
remet en question à sa façon le mythe du self-made-man en montrant impli-
citement que la réussite entrepreneuriale n’est pas fonction des seules quali-
tés intrinsèques d’un individu aussi exceptionnel soit-il.
D’un autre côté, en découvrant des opportunités de profit qui avaient
été jusqu’alors ignorées, l’entrepreneur introduit du changement qui crée
une nouvelle situation d’incertitude, mais dont peuvent tirer profit d’autres
entrepreneurs qui à leur tour décèleront d’autres opportunités que d’autres
avaient ignorées. Les opportunités naissent du déséquilibre, ce qui signi-
fie qu’il existe des poches d’ignorance au sein du marché. Or, en l’absence
de poches d’ignorance, il n’y a plus d’opportunités d’investissement et par
conséquent d’entrepreneur.
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tion humaine devient le déterminant ultime de croissance économique.
Aussi, afin d’encourager l’entrepreneuriat créatif, il est nécessaire de créer
des conditions institutionnelles adéquates qui aboutissent à la création de
la richesse sociale.
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nente qui remet en cause (encore) l’idée de l’héroïsme entrepreneurial, en
présentant les raisons qui peuvent conduire un individu à devenir entre-
preneur : devenir entrepreneur parce que l’on cherche un emploi ; parce
que l’on refuse d’être placé sous le contrôle d’un supérieur ; parce que l’on
recherche un complément de rémunération à une activité salariée, ou encore
comme un passe-temps ; mais la raison majeure est la recherche de l’autono-
mie nécessaire pour exploiter ses talents. Parmi ces différents arguments, le
dernier est le seul positif. Les premiers sont le reflet d’aspirations négatives.
L’individu agit alors en qualité d’« employeur en dernier recours » pour lui-
même. Il existe par ailleurs un lien très étroit entre la condition de salarié
et celle d’entrepreneur dans la mesure où la première peut constituer une
espèce de tremplin pour devenir entrepreneur, car c’est ainsi que l’individu
expérimente le monde de l’entreprise.
Mais, pour parvenir à créer son entreprise, les exigences sont nom-
breuses : où trouver le capital ? Quelles sont les formes juridiques sur les-
quelles l’entreprise peut prendre appui ? Quel est le niveau de qualification
institutionnel, l’expérience professionnelle de l’entrepreneur ? Sur quels
réseaux de relations, personnelles, familiales et professionnelles, peut-il
s’appuyer ? Le capital pose toujours problème. Il est difficile d’emprunter
car les prêteurs potentiels ne partagent pas forcément l’enthousiasme ou les
angoisses de l’entrepreneur. Pour contourner les obstacles, Casson affirme
qu’il convient soit de prendre un emploi de cadre, soit d’épargner du capital
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engageront leurs capitaux avec confiance en raison de la bonne image de
la famille. Mais, on peut aussi se demander pourquoi nombre de nouveaux
entrepreneurs créent aujourd’hui leur entreprise sans même solliciter une
aide publique ? C’est souvent par ignorance, mais aussi parce que ces entre-
preneurs des milieux modestes, qui constituent une bonne partie des nou-
veaux entrepreneurs, mobilisent les forces qu’ils connaissent et maîtrisent.
Deux réseaux de soutien à la création d’entreprise coexistent, l’un institu-
tionnel, l’autre informel. Ils peuvent être complémentaires (et c’est souvent
le cas), mais l’on constate, en particulier dans le cas des entreprises créées par
des entrepreneurs peu ou pas diplômés que les réseaux familiaux l’emportent
sur les réseaux institutionnels. Mais, si la famille fait défaut, l’autre solution
consiste pour Casson à travailler davantage.
La théorie économique de l’entrepreneur repose cependant sur un para-
doxe car elle a hissé l’entrepreneur au rang de faiseur d’innovations (sou-
vent radicales), alors qu’elle est bien souvent dans l’incapacité d’en identifier
l’auteur. L’entrepreneuriat recouvre pourtant des réalités sociales et écono-
miques très hétérogènes, comme le souligne Howard E. Aldrich (2011), y
compris au-delà d’une classification sommaire entre entrepreneur révolu-
tionnaire et entrepreneur imitateur. Nombre de catégories sociales (ouvriers,
employés, cadres, demandeurs d’emploi) peuvent être conduites à créer une
entreprise, par conséquent devenir entrepreneur. C’est tout particulièrement
le cas à l’heure actuelle, dans une période de sous-emploi. Mais, c’est très
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prennent des décisions en fonction de l’état de la conjoncture, or ils peuvent
avoir à faire à des situations inédites. Ensuite, il est historiquement prouvé,
que l’innovation a permis à l’humanité de s’adapter et de survivre, via la
créativité, l’expérimentation et les accidents qui peuvent en découler. Le
choix entre un comportement innovateur ou un comportement imitateur
peut se justifier du point de vue du revenu attendu car le risque n’est pas le
même. Certains entrepreneurs partent de façon délibérée de connaissances
existantes, et peuvent être conduits à partir de ce point à en produire de nou-
velles. D’autres encore peuvent être amenés par défi à aller à l’encontre des
pratiques et valeurs sociales et culturelles établies, et produisent des connais-
sances inédites.
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ou les instruments de précision qui sont particulièrement intensifs en savoirs
de haut niveau.
CONCLUSION
De Cantillon à Audretsch, la théorie économique de l’entrepreneur s’est
construite au fil des siècles au gré des transformations structurelles dont a
été l’objet le capitalisme. Au terme de cette brève analyse des théorisations
de l’entrepreneur nous pouvons dans un premier temps rejeter l’idée d’une
conception seulement fonctionnelle de l’entrepreneur selon l’activité plus
ou moins spécialisée à laquelle il se consacre, selon la facette de son com-
portement qui est prise en compte, qu’il s’agisse du risque, de l’administra-
tion des affaires c’est-à-dire du management, de l’indépendance, de la sin-
gularisation de la personne. L’action entrepreneuriale s’inscrit à la fois dans
des structures économiques données (en l’occurrence celle de l’économie
capitaliste à différents stades de son développement), et par ses décisions,
contribue à changer ces structures dans une relation dialectique. Si la figure
de l’entrepreneur connaît aujourd’hui un tel succès c’est aussi que l’entre-
prise et les entrepreneurs, à travers un certain nombre de produits et de ser-
vices, ont extraordinairement amélioré notre quotidien. Ils ont permis une
abondance de biens et de confort indiscutable et ils incarnent d’une certaine
façon encore le progrès et la modernité et surtout la croissance.
L’entrepreneur tel que nous avons tenté de le décrire ici n’est ni un pro-
priétaire, ni quelqu’un qui recherche le profit, ni un simple manager ; il peut
être un peu de tout cela et rien de tout cela. Au-delà de la figure héroïque
de l’entrepreneur tel que Schumpeter a pu la théoriser, il reste que la plupart
d’entre eux accomplissent des progrès modestes mais qui regroupés contri-
buent au développement de la société. Toutefois ceci ne saurait masquer les
excès du capitalisme, le fait que les entrepreneurs peuvent avoir des activités
destructrices ; et la finance ici est l’exemple parfait d’une activité qui est plus
parasitaire qu’autre chose. À l’inverse de la deuxième moitié du XIXe siècle
où le développement de la banque a joué un rôle fondamental dans le
développement de l’industrie et de l’activité économique. Il n’en va pas de
même aujourd’hui et donc l’entrepreneur doit être toujours resitué dans son
contexte. Les expressions telles que entrepreneurs de son propre talent, l’ar-
tiste entrepreneur de lui-même, sont aujourd’hui monnaies courantes mais
elles traduisent plus l’envahissement de la technique, des concepts et de la
logique du management que l’adoption de la figure de l’entrepreneur en tant
que telle. Au bout du compte la figure de l’entrepreneur doit nous rappeler
que l’État, la famille, le religieux n’ont pas disparu, et que toute une part
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de l’humain va résister inlassablement à la codification, aux techniques du
management, a toutes les procédures et à toutes les règles de rationalisa-
tion. Si nous voulons retenir quelque chose de ce survol c’est qu’au bout du
compte l’entrepreneur échappera toujours à une tentative de théorisation
totale. Il nous manque une théorie complète de l’entrepreneur qui ne verra
sans doute jamais le jour si nous lui appliquons le terme que Marcel Mauss
(1923-1924) appliquait à la monnaie en indiquant que l’entrepreneur est un
« fait social total ». Ou faut-il revenir à l’analyse marshalienne qui était bien
parvenue à concilier capitalisme entrepreneurial et managérial ?
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