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1 • INTRODUCTION GÉNÉRALE

La Maîtrise Statistique des Procédés, ou MSP, plus connue sous le nom de SPC
(pour Statistical Process Control) ne date pas d’aujourd’hui. Walter Shewhart, dans
son ouvrage [31], a posé les fondements du contrôle statistique des procédés. Un
changement fondamental apparaît au tournant des années 1900, quand les ingé-
nieurs passent du concept d’exactitude de la science, au concept de statistique.
Ceci constitue une véritable révolution dans la maîtrise de la qualité, puisque il est
admis à partir de là que des variations aléatoires régissent les phénomènes physiques
et industriels. La MSP et les cartes de contrôle vont toutefois mettre encore de
nombreuses années pour pénétrer en profondeur dans les entreprises industrielles.
Aux États-Unis, après la Seconde guerre mondiale, les entreprises américaines sont
dans une position très dominante et ne voient pas l’utilité d’améliorer la qualité
des procédés de fabrication et des produits. W. Edwards Deming, grand qualiti-
cien américain, va alors travailler au Japon et engager une transformation profonde
de la qualité industrielle de ce pays, qui va déboucher sur le succès des entreprises
nippones, avec l’aboutissement que constitue la place de numéro un mondial de
Toyota, une entreprise qui met la qualité au dessus de tout. Dans son ouvrage de ré-
férence, [17], Deming insiste beaucoup sur la réduction des inspections et des tests.
Cette réduction ne peut se faire qu’en améliorant la maîtrise de la qualité durant
le processus de fabrication, en particulier grâce aux cartes de contrôle, engendrant
ainsi un cercle vertueux : moins d’inspections, moins de retouches et de déclasse-
ments, une meilleure qualité et un coût réduit.
La MSP est alors utilisée dans de nombreuses entreprises dans le monde, parmi les-
quelles nous pouvons citer Ford, qui a toujours été en pointe sur le sujet, et qui
a été moteur dans la rédaction d’un ouvrage normatif [10] sur le sujet. Il semble
difficile de pouvoir prétendre à un niveau de qualité de classe mondiale sans MSP.
© Dunod. La photocopie non autorisée est un délit.

Il existe également une norme française sur la MSP [1]. Il reste encore toutefois de
nombreuses organisations pour lesquelles la mise en place de la MSP reste à faire, et
surtout dans les processus transactionnels et les services. C’est la prochaine frontière
pour la MSP. La MSP s’insère dans le domaine plus vaste de la maîtrise statistique
de la qualité. En effet, la MSP est un des éléments qui permet d’améliorer les pro-
cédés et processus. Une revue de ces différents éléments peut se trouver dans [4]. Le
préalable à la mise en place de la MSP est la qualité de la mesure, aussi appelée capa-
bilité de la mesure. En effet, de nombreux exemples industriels nous montrent que
la mesure elle-même n’est pas toujours fiable, rendant inefficace la MSP. La qualité
de la mesure est donc le premier pilier et une étude de la capabilité de la mesure est
indispensable avant de mettre en place un système de MSP.

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1 • Introduction générale

Un autre élément important est l’analyse des données, la modélisation et les tests
statistiques. Toutes ces méthodes permettent de tirer profit de l’information dispo-
nible dans les bases de données de nombreuses entreprises. Cette information est
de plus en plus importante grâce aux progrès des systèmes informatiques et à la
capacité de calcul, elle permet souvent de trouver des pistes d’amélioration si les
techniques statistiques adéquates sont utilisées. Les méthodes dites de Data Mining
peuvent aussi se révéler très utiles, une revue de ces méthodes et de leurs applications
se trouvent dans [8].
Quand les informations disponibles ne sont pas suffisantes, il faut aller chercher au-
delà de la variabilité naturelle du procédé et utiliser un autre outil fondamental : les
plans d’expériences. Ils permettent d’optimiser la collecte de l’information, de tester
de nouvelles hypothèses et d’analyser un grand nombre de facteurs en peu d’essais.
Ainsi la MSP, précédée de la capabilité de la mesure, est un outil préventif. L’ana-
lyse statistique des bases de données est un outil de résolution de problème, alors
que les plans d’expériences servent non seulement à résoudre des problèmes, mais
également à développer ou optimiser les procédés.
Si la MSP a été appliquée en masse après la Seconde guerre mondiale, elle a connu
un regain d’intérêt suite à l’initiative Six Sigma. Cette initiative a été lancée par
Motorola en 1986, suite à l’idée de Bill Smith. Bill Smith est « senior engineer »
au siège de Motorola, près de Chicago dans l’Illinois. C’est lui qui a eu l’idée du
Six Sigma, une nouvelle manière de mesurer la qualité ! En se basant sur les calculs
utilisant la loi normale, il rend homogène, de la conception des produits à leur
production, la mesure du niveau de qualité avec des indices de capabilité du procédé
que nous allons détailler par la suite. Ce concept sera déployé chez Motorola dans
toutes les usines du monde. C’est la naissance du Six Sigma.
À l’origine, le Six Sigma est plutôt un moyen de mesurer la qualité, avec les indices
d’aptitude. En fait, le Six Sigma a évolué et comprend maintenant trois éléments
bien distincts :
– Une unité de mesure : on parle de qualité à 3 sigma, à 4.5 sigma, à 6 sigma... c’est
l’origine du Six Sigma.
– Une philosophie : le fait de raisonner en se basant sur des données et de la sta-
tistique. Dans les entreprises industrielles, l’ingénieur est un expert dans son do-
maine, et il est naturel pour lui de trouver une explication physique déterministe
aux problèmes et aux variations. L’approche Six Sigma, elle, consiste à utiliser
des données, à les traiter de manière rigoureuse avec la statistique, pour avancer
dans la connaissance. Bien entendu, la connaissance physique des phénomènes
est indispensable mais le Six Sigma apporte cette dimension statistique qui est
fondamentale.
– Une méthodologie structurée d’amélioration : la démarche et les projets d’amé-
lioration de la performance industrielle vont suivre cette méthodologie ce qui
permet beaucoup de rigueur dans l’exécution, rigueur indispensable quand le
problème est complexe et l’équipe multidisciplinaire. Nous allons maintenant
détailler ce troisième élément.
Six Sigma a donc dépassé le cadre des calculs d’aptitude, avec un programme d’amé-
lioration de la performance industrielle en cinq points. Le Six Sigma est alors aussi

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1 • Introduction générale

une méthodologie de conduite de projets d’amélioration, formalisée par le DMAIC


(Le D a été ajouté par General Electrics).
– Define permet de bien définir le projet, ses objectifs, son équipe, son étendue...
Cette étape est trop souvent négligée alors qu’elle permet de poser les bases du
projet avant de se lancer dans l’amélioration.
– Measure permet de mettre en place les bons indicateurs. Ces indicateurs sont né-
cessaires pour piloter le projet, pour progresser vers l’objectif. Toutes les mesures
nécessaires au projet sont aussi mises en place dans cette phase, ainsi que l’étude
de leur capabilité. La performance courante du procédé est évaluée ici, avec l’uti-
lisation de la MSP par les indices de capabilité.
– Analyze est l’étape dans laquelle il faut trouver la cause origine de la mauvaise
performance de votre procédé ou processus. De nombreux outils qualité (par
exemple les 5 pourquoi, le diagramme d’Ishikawa) et statistiques (tests, régres-
sion...) doivent être utilisés dans cette étape, souvent longue et assez complexe.
– Improve est la suite de l’étape Analyze : une fois la cause origine trouvée, il faut
mettre en place l’amélioration. Les méthodes de créativité, les plans d’expériences,
la gestion du changement doivent ici être utilisés pour trouver une solution qui
permette d’atteindre l’objectif.
– Control est la dernière étape d’un projet Six Sigma : après la mise en place des
améliorations, il faut s’assurer qu’elles vont être pérennes dans le temps. C’est
dans l’étape Control que la MSP prend toute sa place, en particulier par la mise
en place ou le renforcement des cartes de contrôle pour prévenir toute dérive.
Voici quelques références sur le Six Sigma. Le nombre d’articles et d’ouvrages consa-
crés aux Six Sigma est très important, le livre de référence en France est celui de
Maurice Pillet [28]. Nous recommandons cet ouvrage, qui est très complet. L’article
du Journal of Quality Technology sur General Electrics [20] est très intéressant, une
discussion sur cet article est également disponible, qui parle en particulier des Black
Belts et de leur rôle dans le Six Sigma. Enfin, si vous tapez « six sigma » sur Google,
des millions de sites vont apparaître. Parmi toutes ces références nous recomman-
dons le site www.isixsigma.com, c’est une mine de ressources sur la méthode, et qui
renvoie à de nombreux autres sites et à toutes les méthodes qualité et statistiques
liées au Six Sigma. C’est un très bon point d’entrée pour le Six Sigma sur Internet.
Le diagramme ci-dessous montre l’évolution du Six Sigma dans le temps. Depuis
sa création en 1986, la méthode Six Sigma a beaucoup évolué et s’est surtout ré-
pandue à l’échelle mondiale. Il ne s’agit donc pas d’un simple effet de mode, mais
© Dunod. La photocopie non autorisée est un délit.

vraiment d’une méthodologie efficace qui a fait ses preuves. Il y a d’ailleurs un projet
de norme française sur le Six Sigma avec l’AFNOR.
À notre avis, une des raisons du succès du Six Sigma est liée à la statistique qui est
un puissant outil d’amélioration. Combinée avec une méthodologie très structurée
de projets d’amélioration, cela donne l’efficacité du Six Sigma.
Il est naturel de se demander quel est l’intérêt d’un ouvrage sur la MSP, puisque de
nombreux ouvrages de qualité existent déjà, parmi lesquels nous pouvons citer [27]
et [22]. La rédaction de ce livre que nous vous proposons ici a été motivée par deux
points. Le premier concerne un aspect pédagogique puisqu’au cours de l’enseigne-
ment de la MSP, le besoin d’exemples et d’applications pratiques, certes parfois peu

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1 • Introduction générale

1986 : création 1988 : Malcom 1995 : Statistical 2000 : GE and 2010+ : Six Sigma
1991 : Black Belt
par Motorola Baldridge Award Software @ work Six Sigma toujours à l’œuvre !

Shewhart, Deming, Juran


et Taguchi : les fondations

Figure 1.1 – Évolution du Six Sigma depuis sa création.

réalistes, s’est fait ressentir et la littérature n’a pas toujours su répondre pleinement
à cette nécessité.
Le deuxième concerne ce qu’il est parfois bien difficile à apporter dans un cours et
même dans des travaux dirigés et pratiques, l’application de la MSP au quotidien.
Nous avons tenté dans ce livre de partir de situations réelles rencontrées en entre-
prise, et de montrer comment les concepts de la MSP pouvaient s’appliquer. En
effet, il nous est apparu que la théorie de la MSP ne correspondait pas souvent aux
cas pratiques rencontrés en situation réelle. Nous montrons comment appliquer la
MSP dans des situations non usuelles.
Dans la première partie de cet ouvrage, les notions principales de la MSP sont
abordées de façon assez concise. Nous proposons dans la seconde partie des études
de cas réels abordant chacun des problèmes différents d’application.
Afin d’illustrer certains résultats, les logiciels suivants ont été utilisés : le logiciel R,
très répandu dans l’université, pour la Partie « Principes de la MSP » et les appli-
cations pratiques, ainsi que JMP, très facile d’utilisation, pour les études de cas
industriels. D’autre part, nous avons choisi de distinguer les applications pratiques
plus difficiles, et/ou plus théoriques, par le signe ♠.

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