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NOTRE
Association Martiniquaise
BULLETIN
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de Recherche sur
l’Histoire des Familles
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EDITORIAL
Chers membres et amis de l’AMARHISFA, c’est avec quelque retard que nous vous proposons ce n°
29 de « Notre Bulletin » consacré en grande partie à quelques musiciens d’antan ou d’aujourd’hui,
connus et méconnus.
Il ne s’agit point d’un numéro sur l’art musical chez nous. Nous proposons juste une « excursion »
avec quelques noms. Soit l’observation d’un peu d’écume ou d’embrun de cet art. Mais nous savons
qu’écume et embrun peuvent renfermer et révéler les principes les plus volatiles et efficients de
produits naturels ou composés chimiques. Stellio, les musiciens de Malavoi, les frères Mothie,
illustrent une culture sans cesse vivante, enfouie par endroits ou s’étalant souvent de manière
surprenante aux heures du numérique et des traversées modernes. Avec eux, nous percevons
combien la pratique et la création musicale caribéennes sont phénomènes de l’histoire même de ces
îles. Les mots et expressions, contacts de civilisation titre d’un ouvrage de Michel Leiris, créolité,
créolisation, américanité si chère à Vincent Placoly, explosent comme autant de bulles d’une vérité
en gestation ininterrompue dont le sens s’esquive, se reprend, s’étale et se disjoint au désespoir secret
ou avéré de qui prétend en saisir ou établir une signifiance définitive.

Le lecteur percevra, nous l’espérons, l’intérêt de dépasser nos allusions brèves quant aux parts du
milieu géographique et social, de la famille, des circonstances de la vie commune en Martinique à
telle ou telle période. En tout cas, il sera tout aussi captivant de constater en quoi l’histoire des
familles conditionne le destin de tel ou tel de nos musiciens. Si nous apportons des éléments à propos
des frères Mothie, peu connus des jeunes générations; le lecteur pensera aux familles Nardal,
Bernard, Coppet.
Il ne s’agira pas d’établir des hiérarchies ou une « typologie » des genres musicaux, des talents et
génies, la nomenclature des carrières avec leurs échecs ou réussites. Mais consentons à des
observations non dénuées d’attraits, par exemple au niveau des communes et quartiers urbains ou
ruraux. Dès lors, interroger des anciens s’avère urgent. Certes les Terres Sainville furent vivier d’un
humus populaire et urbain. Mais au François, les parentèles Rosamond à Perriolat ou Breleur et
Caraman à Bonny, à Rivière-Pilote, Guitteaud, Marie-Angélique à Saint-Vincent, sont autant
d’éléments pour une histoire musico-familiale de la haute-taille. Des compositions restées inconnues
ou ré-enfouies (mazurkas par exemple), ne dépareraient pas le patrimoine. Ces réalités familiales,
bousculées par la dite « modernité », existent, nous le savons, pour le « bèlè » et d’autres genres
musicaux, voire la pratique de l’accordéon.
Viennent les débats ou controverses quant à l’authenticité, l’identité. Quand parler d’imitation, de
fermentation créole, d’éléments déclencheurs, voire de plagiat sans en déterminer au cordeau les
frontières si volatiles de la pratique de l’art, de la création ?
Dès lors, il en va des musiques caribéennes séculairement rechargées ou émettrices. Et ceci entre les
îles elles-mêmes et l’ailleurs plus ou moins lointain. Soit l’incessant d’un mouvement au même
rythme de la « mer toujours recommencée » aux plages, falaises et mangroves de ces îles. La mer,
pour les îliens, fermeture et innombrable ouverture à la fois.
A l’instar des créateurs, notamment les peintres dont l’art est un éloge au silence, nos musiciens, aux
mains et souffles si chargés de sons et d’émotion, possèdent, dans le secret de la création, des voix
qui peuvent être gourdes et bègues à force d’inquiétude, de doutes mêlés aux pulsions bien certaines
du désir d’art, de l’art comme un désir. Rendons-leur cet hommage, avec nos remerciements à M.
Meunier et aux éditions Frémeaux qui ont autorisé la publication de certains articles dans ce bulletin.
Roger PARSEMAIN

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ALEXANDRE STELLIO

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C’est le 16 avril 1885 à huit heures du soir, sur le territoire de la commune des Anses-d’Arlet au sud ouest
de la Martinique, qu’une jeune cultivatrice âgée de 22 ans, Louise Pierre-Lucien, met au monde dans sa
demeure située au lieu-dit « Le Flandrin » un enfant du sexe masculin qu’elle prénomme Fructueux. Elle ira
le déclarer à l’État-Civil le 18 mai suivant comme en a gardé trace l’acte de naissance n° 56 rédigé devant
deux témoins par Victor Genty, maire des Anses-d’Arlet. Cet acte de naissance reste cependant totalement
muet quant à l’identité du père. On sait peu de choses sur l’enfance de celui qui, en dépit de ses origines bien
modestes, allait devenir le plus célèbre interprète et compositeur de musique martiniquaise. Quelques
informations nous sont données par son épouse Adéla, décédée en janvier 1992 à l’âge de 94 ans. Louise
Pierre-Lucien ne tarde pas à quitter les Anses-d’Arlets pour aller vivre à Saint-Pierre où, vraisemblablement,
il lui était plus facile d’assurer la subsistance de sa petite famille. Nul doute que le jeune Fructueux ait été
profondément marqué par l’effervescence musicale qui régnait en permanence à Saint-Pierre, centre culturel,
politique et commercial de la Martinique jusqu’à l’éruption de la Montagne Pelée qui détruisit la ville en
1902, année où il est reconnu ainsi que sa jeune sœur, Eugénie Noéma, née en 1891, par son père, Alexandre
Émile Alexandre, un marin pêcheur des Anses d’Arlet, alors âgé de cinquante ans.

Très tôt, le garçon s’exerce à reproduire les airs populaires sur une petite flûte. En 1898, après semble-t-il un
séjour de deux années à Fort-de-France, la mère s’embarque avec ses enfants pour la Guyane et s’installe à
Cayenne, dans une maison appartenant aux parents de Gaston Monnerville, qui fut Président du Sénat de
1947 à 1968. Pour gagner sa vie et aider sa famille, le jeune homme apprend le métier de cordonnier. C’est
alors qu’il se prend de passion pour la clarinette, instrument qu’il étudie opiniâtrement en autodidacte, et dont
il acquiert peu à peu une étonnante maîtrise. Quelques années après la catastrophe de 1902, il se joint à des
musiciens locaux et devient une célébrité de Cayenne en se produisant au « Petit Balcon », le principal
dancing de la ville. La capitale guyanaise, où avait émigré depuis longtemps une importante colonie
martiniquaise, joua de toute évidence un rôle essentiel dans la survivance du patrimoine musical de Saint
Pierre, constitué comme on le sait de biguines, valses, mazurkas créoles, chansons satiriques et politiques (se
reporter à l’album BIGUINE, double CD, réf. FA007). Dès cette époque, le clarinettiste se forge un style
personnel, identifiable dès la première note, caractérisé tant par la sonorité incisive si particulière obtenue de
son instrument que par le lyrisme flamboyant de ses interprétations. Un admirateur lui donne bientôt le
surnom de STELLIO, surnom qu’il portera toute sa vie et qui deviendra son second patronyme. Fructueux
Alexandre s’appellera désormais Alexandre Stellio, l’étoile de la musique créole.

A Cayenne, Stellio joue aussi dans une petite salle de cinéma exploitée par un homme d’affaires martiniquais
installé en Guyane, René Didier. Le musicien a été engagé pour agrémenter la projection des films muets en
créant sur le vif l’ambiance correspondant à chaque scène. Après la fin de la première guerre mondiale, René
Didier décide de venir s’établir en Martinique. Il s’associe à William Bardury, le tout premier concessionnaire
d’un cinéma à Fort-de-France, et fait construire, au 34 de la rue Lazare-Carnot, une salle moderne de quatre
cents places. Pour la réussite commerciale de son entreprise, René Didier s’assure bien évidemment le
concours de Stellio et de ses improvisations musicales. C’est dans ces circonstances qu’en 1919 notre
musicien remet le pied sur son île natale, après en être resté éloigné pendant plus de vingt ans. La formation
du cinéma Gaumont comprend, outre le clarinettiste, deux musiciens recrutés sur place: Ernest Léardée
(violon) et Duverger (violoncelle). Dès son arrivée, Stellio se produit dans divers dancings (souvent appelés
« casinos ») de Fort-de-France: le « Casino Bagoé » de la rue du Pavé, le « Dancing Palace » qu’il inaugure
en 1919 avec Léardée au n° 5 de la rue du Commerce. La musique du Maestro fait l’effet d’une révélation sur
le public qui redécouvre avec stupéfaction le répertoire et l’ambiance des bals de Saint-Pierre. Stellio, dont le
jeu fougueux, mordant, puissant et nuancé correspond si bien à la sensibilité créole, enflamme littéralement
ses compatriotes. Il est de plus en plus demandé pour animer les réunions dansantes de la société
martiniquaise. A partir de 1922, Stellio joue au « Sélect Tango », 68 boulevard Allègre, en alternance avec le
titulaire du lieu, le clarinettiste Léon Apanon qui en avait fait l’ouverture le samedi 8 janvier de l’année
précédente. Mais les jeux des deux interprètes ne supportent pas la juxtaposition. Une rivalité se fait jour. Au
bout de quelques mois, la dissension éclate et Stellio quitte le Sélect Tango avec fracas. Trois cents mètres
plus loin, il ouvre sa propre salle de bal, qu’il baptise le « Quand-Même », dans un entrepôt mis à sa
disposition par René Didier dans l'enceinte de la fabrique de glace industrielle que celui ci exploite à la Pointe
Simon, en bord de mer. Cet épisode savoureux consacrera pendant des années la suprématie artistique de
Stellio. En peu de temps, le Sélect Tango se vide de ses clients, tandis que le Quand-Même n'arrive pas à
! 4!
accueillir toute la foule des danseurs venus biguiner sur la musique de leur idole. Léon Apanon en personne,
accompagné de son tromboniste Masséna, viendra un soir au Quand-Même proposer la réconciliation à son
rival. Celui-ci se laissera convaincre et, pour célébrer sa victoire, composera la biguine intitulée Quand-
Même, présente dans cet album. A grand renfort de publicité, la direction du Sélect Tango annonce le retour
de Stellio au grand bal d'inauguration donné le samedi 5 janvier 1925 pour la réouverture du dancing. Par la
suite, Stellio continuera d'y jouer régulièrement, et ce jusqu'à son départ de la Martinique en 1929. Vers la fin
des années vingt, Stellio, au sommet de sa popularité, se sent bien à l'étroit dans son île. Et les Martiniquais
qui reviennent de Paris rapportent des nouvelles qui font rêver. Il se prépare là-bas, pour le prestige des
Colonies Françaises, une exposition comme on n'en a jamais vu. Il paraît aussi que, dans un petit bal antillais
du 15e arrondissement, la biguine remporte un succès fou auprès d'une certaine clientèle d'artistes et
d'intellectuels de Montparnasse. Aussi, quand Ernest Léardée fait part à Stellio de son intention de partir à
Paris, le chef d'orchestre se laisse-t-il tenter par l'aventure. C'est à ce moment que deux Martiniquais:
Monsieur Blérald, voyageur de commerce, et Monsieur Laviolette, officier de la Marine Marchande, font le
projet d'ouvrir à Paris un nouveau bal de bonne fréquentation. Là pourront se retrouver chez eux, dans une
ambiance familiale, tous les Antillais qui fuient le Bal Colonial du 33 de la rue Blomet, envahi par une foule
de curieux depuis qu'il fait la une des journaux. Le 14 décembre 1928 en effet, Madame Weiler, fille d'un
riche industriel, a tué de trois balles de revolver son mari, ingénieur et fils du Gouverneur Militaire de Paris,
au retour d'une folle nuit passée au Blomet, faisant à cet établissement une publicité dont il se serait bien
passé. Léardée et Stellio s'associent à Archange Saint-Hilaire, un fameux tromboniste revenu de Guyane
deux ans auparavant, et qui les accompagne souvent au Sélect Tango. Les trois compères, ayant réuni les
fonds nécessaires, engagent le violoncelliste et pianiste Victor Collat, ainsi que le batteur et chanteur
Orphélien (de sou vrai nom Paul Crémas). Les cinq musiciens quittent Fort-de-France sur le "Pellerin de la
Touche" de la Compagnie Générale Transatlantique dans la soirée du samedi 27 avril 1929 et débarquent au
Havre le jeudi 9 mai au matin. L'après-midi, ils sont à Paris où les attendent Blérald et Laviolette qui ont
prévu leur hébergement dans un hôtel meublé au 9 rue Berthollet.

Une seule journée pour répéter et, le samedi 1l mai au soir, ils font l'ouverture du "Bal de la Glacière",
boulevard Auguste Blanqui dans le 13ème arrondissement, devant une foule enthousiaste. En dépit de ce
premier succès, le Bal de la Glacière doit fermer au bout de quelques mois en raison des plaintes du voisinage,
peu habitué à cette animation nocturne, comme nous l'a rapporté Léardée. Les musiciens se produisent alors,
en 1929, en semaine au "Canari", 8 Faubourg Montmartre, ainsi que dans un restaurant du Quai de Bercy,
"le Rocher de Cancale", L'objet de la présente réédition s'arrête aux trois premières années de l'activité
discographique de Stellio. Mais cette activité ne fut pas moins intense par la suite, puisqu'on a pu répertorier
au moins 128 faces enregistrées par le chef d'orchestre d'octobre 1929 à décembre 1938. (…) Celui-ci devait
mourir à Paris l'année suivante, le 24 juillet 1939, des suites de l'embolie qui le terrassa devant son public le
15 avril, veille de son anniversaire, alors qu'il animait un bal, rue de la Huchette.

Jean-Pierre MEUNIER © FRÉMEAUX & ASSOCIÉS S.A. 1994

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A LA SOURCE DES AIRS TRADITIONNELS MARTINIQUAIS
SEPAN MEG’ et ADIEU FOULARD

Cet air célèbre, Sèpan Mèg’, peut, sans nul doute, être considéré comme l’un des plus populaires
transmis par Alexandre Stellio (son vrai nom était Fructueux Alexandre) grande figure de la
mémoire musicale de la Martinique. Le nom de la chanson aurait été inspiré par le surnom de son
maître de musique, rescapé de la catastrophe de Saint-Pierre, qui apprit la clarinette à Alexandre.
Stellio a connu un succès immense. Cependant, la rumeur a persisté à considérer qu’il a pu lui arriver
de s’attribuer la paternité d’œuvres composées par d’autres auteurs. Certains attribuent l’air de Sèpan
mèg’ à Scott Joplin (1868-1917) le plus célèbre des auteurs de ragtime. Mais c’est le musicien
américain Charles Hunter qui apparaît être l’auteur d’une œuvre très proche :
En 1899, il compose un ragtime intitulé « Tickled to death » mot à mot « Chatouillé à mort » ou
encore « Mort de rire ». Ce fut la première œuvre de Charles HUNTER, né dans la ville de
Columbia (Tenessee) le 16 mai 1876. Aveugle de naissance, il grandit dans une région où
s’épanouissaient des talents musicaux. Il reçut à l’école « Jess French Piano Company » une
formation donnée habituellement aux aveugles, celle d’accordeur de pianos.
Bien qu’il n’eût pas reçu de formation musicale, Charles passe son temps libre à la création au piano.
Il apprend le style ragtime, né en Amérique dans les années 1890. Sa première composition obtient
un très grand succès, au - delà de l’Etat du Tennessee. Elle est suivie de huit autres œuvres.
Charles Hunter meurt en 1906, à 30 ans.
A l’adresse internet http://ragsrag.com/pr/pr.htmldresse, on peut découvrir à la lecture de la partition
de Charles Hunter que l’air « SEPAN MEG’ » est très proche de la composition de Charles Hunter ;
il est d’ailleurs traditionnellement interprété avec le rythme d’un ragtime. On peut écouter « Tickled
to death » sur : http://ragsrag.com/pr/pr.html

En définitive, il faut dire merci à Stellio de nous avoir transmis cet air si populaire !

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!Charles Hunter Alexandre Stellio


1896-1906 1885-1939
(*)!!Source!:!Article!Charles!Hunter!de!Wikipédia!en!français!(http://fr.wikipedia.org/wiki/Charles_Hunter)!

Robert CHARLERY-ADELE

! 6!
!!!!
."/.!

! 7!
ADIEU FOULARD

A Fort-de-France, quand les paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique, après avoir


largué les amarres, s’écartaient lentement du quai pour un voyage de plusieurs jours vers la France,
l’orchestre de bord sur le pont entamait « Adieu Foulard » ; comme un signal déchirant de la
séparation entre les partants et ceux qui restaient à quai. Le rite a disparu définitivement avec la fin
de ce mode de transport. Mais l’air flotte encore dans les mémoires.
L’origine de cet air est toujours restée couverte de mystère. Dans son livre Contes des Antilles ,
Lafcadio Hearn en avait recueilli les paroles en Martinique (**)
La version guadeloupéenne est attribuée à François Amour marquis de Bouillé, qui fut gouverneur de
la Guadeloupe et exerça aussi des fonctions en Martinique. D’où la revendication de l’origine
guadeloupéenne de l’œuvre : « Doudou an moin » n’est-ce pas du créole guadeloupéen ?
Certains auteurs ont indiqué par ailleurs que l’air et ses paroles étaient aussi connus en langue
anglaise dans la Caraïbe.
Cependant, il existe des partitions sur le marché, et des enregistrements sur le Net, qui permettent
d’entendre une œuvre composée, musique et parole, par un compositeur d’origine anglaise, Donald
O’Keefe : la similitude avec « Adieu foulard » est saisissante. Toutefois les paroles sont loin de la
nostalgie amoureuse de l’air antillais. Il s’agit d’une prière qu’on pourrait intituler « Quand vient la
nuit » :

Lorsque le jour s’en va, Alors, ta force sera grande,

Agenouille - toi et dis : Tu aideras ton prochain de tout ton cœur ;

«Merci, Seigneur, pour mon travail et pour ma joie ; Tu relèveras ceux qui se découragent,

J’ai essayé d’être bon, Tout au long de ton chemin.

Car je sais que tel est mon devoir». Quand vient la fin du jour,

Quelle belle prière pour la fin du jour ! … Agenouille toi et dis :

Quand la nouvelle aube se lèvera, «Merci Seigneur, pour mon labeur et pour ma joie ;

Ouvre les yeux, réveille ton cœur ; J’ai cherché à bien faire,

Sois prêt à accueillir ce que le jour t‘apporte, Car je sais que tel est mon devoir»

Et prépare toi à recevoir chaque homme, comme un Telle est ma prière quand vient la nuit
ami.

La manière dont cette œuvre est parvenue à notre connaissance mérite d’être contée :
Laissons la parole à Mme Simone JOS-GUILLOT :
Vous me permettrez cette anecdote savoureuse au sujet de notre « Adieu foulard »
J’ai vécu à Orléans une douzaine d’années au cours desquelles j’ai fait partie de la Chorale de
l’Université d’Orléans
Notre chorale organisait régulièrement des échanges avec d’autres chorales universitaires
françaises et étrangères

! 8!
Un de nos choristes qui avait vécu une année au Pays de Galles nous avait recommandé un chœur
d’hommes Gallois, chantant a capella. En 1986 ou 1987 l’échange s’est donc réalisé et ce chœur a
été reçu par la chorale universitaire orléanaise dont j’étais alors présidente.
Le premier concert donné par ce chœur composé exclusivement d’hommes a été, de l’avis de tous, un
ravissement pour l’oreille. Le Pays de Galles est réputé pour ses chœurs d’hommes. Celui-ci était
composé essentiellement de paysans qui ne chantaient que des chansons traditionnelles galloises.
Mais quelle ne fut pas notre surprise d’entendre une soliste (l’une des rares femmes qui avaient
accompagné ce chœur exclusivement masculin) interpréter, en fin de programme, en gallois, notre
très célèbre « Adieu foulard, adieu madras…… ». Le refrain était le même mais le couplet différait
nettement. Quel frisson, quelle émotion ! Seule antillaise de la chorale, j’ai d’abord cru qu’ils me
rendaient hommage. Mais comment avaient-ils su que j’étais martiniquaise et que cet hymne était
celui de mon pays ?
Intriguée, je me suis empressée, après la prestation, d’aller retrouver la soliste dans les coulisses
et lui demander d’où elle tenait cet air martiniquais ? La réponse fut sans équivoque : « C’est l’une
de nos chansons traditionnelles chantées depuis des générations dans notre pays ».
Vous imaginez ma stupéfaction. Je lui ai aussitôt demandé de me faire parvenir une partition de
cette chanson. Elle a promis de m’offrir la sienne à la fin des concerts.
Au moment du départ des Gallois: « Vous m’aviez promis votre partition ! » ai-je rappelé à la
soliste. Mais « Je l’ai remise hier à quelqu’un de votre chorale pour vous » m’a-t-elle répondu.
J’ai interrogé tous les membres de la chorale .Personne n’était au courant. Qui pouvait bien être
intéressé par une partition de « Adieu foulard » en gallois ? Je me suis enquise auprès des rares
amis antillais venus nous écouter; mais sans succès.
Terriblement déçue, je savais que quelqu’un de l’assistance détenait cette partition qui ne
l’intéressait peut-être pas, mais qui ?
Près de 30 ans plus tard la partition m’est revenue. Mais savez vous comment ? La fin de l’histoire
vaut son pesant d’or…
Il y a à peine un an lors d’une conversation avec Robert Charlery-Adèle, celui-ci m’a rappelé qu’il
m’avait entendu chanter à Orléans lors de la prestation d’une chorale anglo-saxonne dont une
soliste avait interprété « Adieu foulards ».
Mon seul regret lui ai-je dit c’est de n’avoir jamais pu récupérer la partition confiée à quelqu’un à
mon intention.
Et Robert d’éclater de rire : « La partition c’est moi qui l’ai !
La soliste la lui avait donnée à la fin du concert en lui baragouinant quelque chose en gallois qu’il
n’avait assurément pas compris. Pensant à une gentillesse de sa part, il l’avait gardée bien
précieusement et avait même entamé de sérieuses recherches sur l’auteur de cette composition, –
Donald 0’Keefe.
Robert à qui j’ai raconté l’aventure de cette partition a été très heureux de me la remettre et je me
suis promis de chanter les deux versions quand l’occasion s’y prêtera.
Robert CHARLERY-ADELE
Avec ses remerciements à Mme Simone Jos-Guillot
(**) D’après une étude de Mme Anca Bertrand

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!."/.!!
! 9!
! 10!
ÉTIENNE ET FERDINAND MOTHIE, MUSICIENS DE PERE EN FILS
Souvenirs de famille et destins croisés de musiciens.

Stellio, Apanon, Bagoé, Coppet, Donatien, Francisco, Marius Cultier etc,... autant de grands noms
aujourd’hui inscrits au panthéon de la musique antillaise.
Cependant, souvenons-nous de tous ces autres, modestes musiciens anonymes ou méconnus, sans qui le
patrimoine créole ne serait pas aussi riche aujourd’hui.
Ils ne cherchaient pas la célébrité, mais ils avaient compris l’importance de la transmission d’un héritage
culturel et nous voulons ici, leur rendre hommage.
Il en est ainsi d’Étienne et Ferdinand Mothie, musiciens passionnés de père en fils.

"ÉTIENNE" EMILE MOTHIE

Musicien-Luthier, Ebéniste (1895-1957) Étienne


Emile MOTHIE est né à Fort de France, rue Arago
le 26 décembre 1895. Il naît sous le nom de sa
mère : Cécile - Clémence MONTANUS,
blanchisseuse, elle- même sixième enfant d’une
famille de nouveaux citoyens de la commune du
Vauclin. Ce n’est qu’en 1920 qu’il est légitimé par
un M.Antonin MOTHIE son beau-père, infirmier.
En 14-18, il fait partie des 8788 poilus
martiniquais qui partent défendre la patrie et
revient blessé de guerre.
Issu d’une famille modeste, autodidacte, Etienne
Il se marie en 1922 et devient un ébéniste de talent MOTHIE avait acquis par ses propres moyens une
et aussi un luthier reconnu et même primé à culture générale et artistique. C’était un musicien
certaines occasions. Il habite dans le quartier accompli qui connaissait parfaitement le solfège. Il
populaire des Terres-Sainville (plus précisément jouait de plusieurs instruments: trombone, guitare...
Il était aussi organiste de l'église des Terres- Sainville.
Le Trabaud), autrefois nommé le «marais des
Il était souvent appelé pour animer des soirées dans les
misérables ». Dans ce faubourg récemment assaini
milieux huppés de la société « béké » ou de la
par Victor Sévère, bouillonne toute la culture bourgeoisie martiniquaise.
musicale des habitants rescapés de Saint- Pierre. Il était aussi dans l'orchestre la Sainte- Cécile, avec
Ce quartier ouvrier, que l’on peut qualifier de Léon APANON.]
véritable pépinière verra naître et grandir nombre
de musiciens martiniquais qui ont pour nom :
LEARDEE, COLLAT, LANCRY, CHARLERY,
NOIRAN, SAINT-HILAIRE...

En 1935, on célèbre Le Tricentenaire du rattachement des Antilles à la France. Des fêtes sont données durant
plusieurs mois en Martinique, en Guadeloupe et à Paris.

Les festivités ont lieu un peu partout à Fort de France en particulier au Parc Floral qui prend alors le nom de
parc du Tricentenaire. Etienne, lui-même crée son orchestre qu’il baptise le « Tricentenaire-Jazz ».

Plus tard Etienne MOTHIE, créera encore le « Caribbean-Jazz », mais comme beaucoup de musiciens de cette
époque, il jouait aussi dans différents orchestres en individuels ; dans les casinos, lors des concerts sur la
savane, les bals, dans l'orchestre du cinéma Gaumont de Fort de France (où jouait aussi Eugène DELOUCHE)
et faisait partie d'une fanfare.

! 11!
Après la seconde guerre, en échange de cours de piano pour l’une de ses filles, il jouait chez les sœurs
NARDAL personnalités reconnues de la petite bourgeoisie foyalaise, qui habitaient au centre ville.

Celles-ci y tenaient un salon artistique et intellectuel inspiré de celui qu’elles animaient déjà à Paris, avant leur
retour en Martinique. Les sœurs NARDAL étaient au nombre de 7 : Alice, Andrée, Jeanne ...et surtout
Paulette NARDAL, grande militante, passionnée de musique antillaise, créatrice de la chorale de la JEC
(Jeunesse Étudiante Chrétienne) qui deviendra la Chorale « La joie de chanter » ; elle lance le concours de la
plus jolie biguine qui deviendra plus tard... Concours de la Chanson Créole.

Etienne MOTHIE est décédé à Fort de France le 19 Aout 1957. C’était un musicien de la génération des
pionniers de la musique antillaise.

FERDINAND MOTHIE (1921-1988)

Musicien-Trompettiste, Tailleur

Joseph Antoine "Ferdinand" MOTHIE est né le 16


décembre 1921 à Fort de France dans le quartier
populaire du Trabaud, dans la maison de son père
Étienne MOTHIE, lui- même musicien.

Depuis tout petit, voilà qu’il est déjà tombé dans la


marmite. La musique est partout dans la maison
familiale, dans les rues, les marchés, les bars, les
salons de coiffeur ou les cordonniers, où tout est
prétexte à « faire le bœuf ». Il manifeste très tôt un
véritable don pour la musique, car il possède une Ferdinand MOTHIE
«oreille» musicale naturelle et exceptionnelle. Ce
que l’on appellerait sans doute de nos jours,
l’oreille absolue.).

Entre 10-14 ans, Ferdinand est déjà curieux, comme attiré irrésistiblement vers la musique. Il s’absente en
cachette pour voir d’autres groupes jouer et s’intéresse à la batterie. Cette curiosité le pousse à toucher à tous
les instruments de son père, dès que celui-ci quitte la maison. Lorsque qu’un jour celui-ci rentrant plus tôt que
prévu, le surprend à jouer avec sa propre guitare. Furieux, de colère il casse l’instrument que son fils venait en
quelque sorte de profaner. Pour un musicien passionné, un instrument de musique représentait beaucoup plus
que sa seule valeur marchande. C’était quelque chose de très personnel et de précieux qui ne se prêtait pas et
dont on prenait un grand soin. Hors de question qu’un enfant y touche sans permission, surtout à une époque
où l’autorité paternelle ne souffrait aucune discussion. Pour la guitare en question, elle était d’autant plus
unique que c’était Etienne Mothie, lui-même, qui l’avait fabriquée de ses mains et il avait même reçu un prix à
cette occasion.

Passée cette première colère, Etienne qui ne peut offrir des cours de musique à son fils, prend en charge lui-
même son éducation musicale. Plus que jamais, il lui transmet tout ce qu’il sait et surtout, lui enseigne les
bases de la musique et du solfège. Il le fait jouer dans son orchestre et sa fanfare et lui apprend plusieurs
instruments. Ferdinand est cité dans les Cahiers du Patrimoine, comme : « le plus jeune de l’orchestre
APANON ».

Des années plus tard, Ferdinand conservait toujours, comme une relique, un fragment du manche de la guitare
brisée, caché au fond de sa poche. Lorsqu’il croisait un ami musicien, il ne manquait pas de l’extirper, pour lui
raconter l’anecdote avec un amusement mêlé d’une pointe de nostalgie.

! 12!
1939, la 2ième guerre mondiale éclate. En mai 1942, Ferdinand a tout juste 21 ans lorsqu’il est engagé à bord
du Croiseur Emile BERTIN, en rade de Fort de France.

Après examen, il est officiellement reçu comme 2ième classe musicien. Il entre dans l’orchestre officiel du
croiseur, parmi un plus grand nombre de musiciens d’origine métropolitaine, tous formés et diplômés d’écoles
ou de conservatoire français, qu’il n’a jamais connus lui-même. Cependant Ferdinand fait preuve de sa
compétence et de son talent à un niveau aussi élevé que tous les autres…

Cette affectation de musicien professionnel de la marine, lui permet de se produire dans des concerts et des
bals militaires à l’étranger, Afrique du Nord et en France, d’où il tire une vraie richesse artistique en
particulier dans les nouvelles harmonies du jazz américain. Ainsi, il séjourne entre autres à Philadelphie,
lorsque l’Emile Bertin y est modernisé de septembre à novembre 1943.

« Débrouyapa péché ».

Ce proverbe créole, qui signifie : Etre malin n'est pas un péché, s’appliquait plus que jamais à cette période de
restriction que fut la guerre « An tan l’amiral Wobè ». Ainsi, lors de ses permissions, Ferdinand, comme
beaucoup de Martiniquais, tente d’améliorer l’ordinaire de la famille, en transportant clandestinement du
fromage, du savon et autres denrées rares, cachées dans son instrument de musicien de la Marine, un tuba et
une basse à 4 pistons.

Après la guerre, revenu à la vie civile, il fait son apprentissage de tailleur, rue Gallieni, dans l’atelier de Mr
Villageois à Fort de France, c’est là qu’il rencontre sa future épouse, Yolande CYRILLE.

Dans le quartier, flottent des notes de piano... Ce sont celles de la maison de la jeune Christiane EDA PIERRE
(future soprano) qui déjà apprend le piano et les vocalises, avec sa mère Alice NARDAL professeur de
musique, sœur de Paulette NARDAL. Parmi toutes les personnalités de cette époque, on se souvient aussi de
celle très pittoresque du chansonnier Faissal VAINDUC, acteur incontournable du Carnaval de Fort de France
dès 1945.

Ensemble, ils installent leur petite famille, d’abord à l’institut Pasteur prés de Crozanville, là aussi un vivier
d’artistes, puis rue du Pavé, non loin du quartier Trénelle situé sur les hauteurs de Fort de France.

Il exerce parallèlement à la musique, plusieurs métiers : tailleur, et aussi employé de commerce, contrôleur de
bus... Mais c’est avant tout un musicien capable de jouer toutes sortes de registres: musique traditionnelle,
classique ou jazz-caribéen, en passant par la musique latino-américaine.
Il joue dans tous les grands orchestres Martiniquais, avec un grand nombre de musiciens sur plus de trois
générations. Parmi tous ces noms on peut noter entre-autres :

FRANCISCO et son orchestre :!

Francisco avait son style propre,


les musiciens jouaient debout,
bien habillés avec le tambour en bonne place,
au milieu.
Photo prise pendant le carnaval de 1958, avec
Ferdinand au fond, à la trompette, Francisco et sa
chemise à manches bouffantes, à la conga, René
CIMPER à la guitare, les 2 chanteuses en costume
traditionnel.

! 13!
L’Orchestre de Maurice CHAMPVERT :

Sur cette photo, on reconnaît Ferdinand, debout au milieu,


toujours à la trompette, Yves NALRY à la guitare
(son bon copain à sa droite),
LORDINOT à droite au saxophone.

Fernand DONATIEN et l’Orchestre STARDUST qui comportait 14 musiciens


Il y fait la connaissance dans les années 60, entre autres de Gertrude SEININ, Gisèle BAKA et de Laurent
LARODE.
Une réédition sur CD des best de Stardust de 1960 à 1967 (16 titres), a été faite par «Collection Patrimoine »,
on peut y voir la liste de la vingtaine de musiciens ayant participé à ces enregistrements dont Ferdinand
MOTHIE.

«L’orchestre MARTINIQUE» de Loulou-BOISLAVILLE. (Celui-ci appelait Ferdinand « Freddy, Vié frè


mwen »,). L’orchestre accueillait les touristes débarqués des paquebots sur le bord de mer à Fort de France et
faisait aussi ses prestations à bord.

Ferdinand a fait partie de l’orchestre qui accompagnait la chorale : « La Joie de chanter ».

Solange LONDAS, présidente de l’association Carnaval-Foyal à partir de 1966, était la voisine de Ferdinand,
rue du Pavé. Elle fut pendant de longues années la complice et amie de Ferdinand toujours partante pour
l’accompagner dans ses projets pour promouvoir le patrimoine martiniquais. Il jouait sur les chars et dans tous
les bals pendant le Carnaval notamment le Grand bal du Mardi-Gras. Il a joué aussi avec le Bassiste Sully
LONDAS (frère de Solange Londas).

Ferdinand MOTHIE était devenu une référence en matière de musique créole (valse, mazurka, biguine...).et à
ce titre, il a fait partie du Jury, au concours de la chanson créole. La maison des MOTHIE était tout entière
habitée par la musique, elle était le point de rencontre de nombreux musiciens, comme le clarinettiste Hurard
COPPET qui avait un atelier d’ébénisterie au pavé, les frères JOYAU, ALBICY, Bruno COPPET (du jeune-
groupe des Sharks), Ralph THAMAR, les frères METHALY...

Tous les jeunes, habitants du quartier étaient imprégnés de la musique de Ferdinand lorsqu’il faisait ses
gammes ou répétait ses morceaux préférés de Biguine, de Valse créole et de Mazurka. Parmi les plus anciens
on peut citer « Sèpan Mèg’ » de Stellio, qu’il savait restituer dans son authenticité , ainsi que , bien sûr, tous
ceux qu’il avait enregistrés avec Stardust dont les plus connus de Fernand DONATIEN: « Es ou songé », ...
Ajoutons des airs de Calypso, Bossa-Nova, comme le très célèbre « Desafinado » de Antonio Carlos JOBIM
ou certain standard du jazz : « Petite Fleur » de Sidney BECHET, qu’il affectionnait particulièrement...

http://www.youtube.com/watch?v=RV5coBuN7Fw

On venait le voir pour solliciter ses conseils qu’il accordait volontiers. Il partageait et transmettait ce qu’il
avait appris des autres ou de sa propre expérience.

« Maître-MOTHIE » : car c’est ainsi qu’on surnommait Ferdinand. Vers l’âge de la quarantaine, Ferdinand
avait atteint l’apogée de son art : il maîtrisait la science des accords et de l’harmonie (apprise avec APANON)
et même de l’improvisation.

! 14!
Son instrument de prédilection était la trompette, il maîtrisait parfaitement la technique de « la colonne d’air ».
Toujours en recherche, il se réveillait la nuit pour noter une idée. Malgré ses moyens modestes, il ne lésinait
pas à la dépense lorsqu’il s’agissait de commander des revues de musique, des méthodes ou des disques
indisponibles en Martinique.
Il était maitre dans l’art des Arrangements pour d’autres compositeurs musiciens : parties cuivre de F.
Donatien, Claude GENTEUIL et pour l’orchestre « La Sensation » et d’autres encore. Sur un coin de table, il
réalisait aussi la transcription de leurs œuvres en vue de leur dépôt à la S.A.C.E.M. (comme le saxophoniste
Marcel CHANTELLY ou Vincent OZIER-LAFONTAINE....)

Chez lui, il donnait des cours de perfectionnement à d’autres musiciens, ou de simples conseils pour la
pratique de leur instrument. Des cours d’harmonica pour Jo AMABLE, des cours de trompette pour Jérémie
RANO (futur membre de La Perfecta), des cours de guitare et de tonalités pour Marcel MISAINE, copain
d’enfance qui habitait le Trabaud...

Avec ses amis, ils formaient un Quintet qui donnait des sérénades pour des personnalités connues (politiciens,
chefs d’entreprises) ou des amis. Il y avait Marcel MISAINE à la guitare, les frères NESTORET (dont Jean)
au violon et au chant et lui- même à la trompette ou à la guitare. Il s’agissait de véritables surprises, où l’on se
donnait rendez-vous, tard dans la nuit, sous les fenêtres du héros du jour..

Loin d’être improvisées, ces sérénades étaient très organisées, et préparées à l’avance avec des répétitions et
toute une organisation stratégique. Il y avait presque toujours un complice ou une personne de la maison qui
était dans la confidence et un buffet avec rafraîchissements attendait les participants.

Malgré cela, tout était fait pour que le secret soit bien gardé, jusqu’au dernier moment, pour surprendre
l’intéressé/e en pyjama, ...même s’agissant du préfet en personne.

A cette époque, la musique était souvent une histoire de famille qui se transmettait de père en fils, ceux-ci
baignant dans la musique depuis leur plus tendre enfance et il en était lui-même l’illustration. Ainsi on
rapporte que Ferdinand qui se produisait avec le pianiste Bernard SARDABY dans un piano-bar à côté du
palais de justice, répétait sa guitare avec le père, tandis que le fils Michel SARDABY, alors enfant, était assis
sur ses genoux.

Il a assisté à la naissance du groupe MALAVOI et jouait déjà avec nombre de leurs musiciens, comme Paul
JULVECOURT, Paulo ROSINE, Dédé SAINT-PRIX,... Des pianistes Marius CULTIER, Nell LANCRY,
Georges-Édouard NOUEL, Louis JEAN-ALPHONSE ... Il a joué avec tant d’autres : Maurice LONGRAIS,
Pierre LOUISS, Claude LAFAYE, Philippe BURDY, le guitariste GUIYOULE, Jean BALUSTRE, Archange
SAINT-HILAIRE, Eugène DELOUCHE, Pierre RASSIN, Jacques CESAIRE alias Gil, les frères BERNARD,
le père CHARLERY, RENARD,.... Tant de noms, impossibles à énumérer en totalité et parfois aujourd’hui
tombés dans l’oubli.

Ses qualités de musicien hors pair le faisaient rechercher pour jouer dans la cellule-orchestre des cirques, des
opéras de passage en Martinique. Ceux-ci recrutaient, sur place, après audition des musiciens lecteurs-
scripteurs polyvalents. Il a fait partie de tous les grands orchestres martiniquais et se produisait selon les
contrats dans la Caraïbe: « Harmonie-King », « La Sensation », « Blue Star », « Swing-King concerto »,
«Stardust » ou encore l’orchestre de Léon SAINTE-ROSE. Tous ces groupes étaient en compétition et
s’arrachaient les meilleurs musiciens. Lui-même avait formé le groupe « Caribbean-Boys ». Ferdinand a joué
dans toutes les salles et cabarets de l’époque : le Manoir, le Lido, le Vieux Moulin, les hôtels (Méridien,
Bakoua, la Batelière, le Palladium du PLM..), les paillotes (Vétiver...), le Dancing-Palace, et même la Maison
du Sport, La Mutualité, etc...

Il faisait la musique dans les cinémas (animations et concours). Il était demandé pour tous les grands bals
(Carnaval, Préfecture, Pompiers...), dans toutes les fêtes de communes et jouait aussi dans les fanfares de
Sainte-Cécile (Trénelle) et la fanfare des pompiers de Fort de France, sous le kiosque de la Savane. Il jouait
aussi dans les « enterrements de 1ère classe » dont les cortèges s’accompagnaient toujours d’une fanfare.

! 15!
Jusque dans ses dernières années, son plaisir était de s’asseoir sur un banc de la Savane, chère à son cœur.
Cette place représentait tant de bons souvenirs d’enfance, de vidés les soirs d’élection, de défilés militaires, de
représentations dans l’ancien kiosque à musique... Ferdinand qui était très sociable, y rencontrait ses
nombreuses connaissances, personnalités de Fort de France, anciens de la Marine et musiciens avec lesquels il
aimait prendre le temps de discuter musique et évoquer les derniers faits marquants, comme les funérailles de
Marius CULTIER.

Ferdinand MOTHIE meurt en musicien, à l’âge de 66 ans, le 31 janvier 1988, d’un accident vasculaire
cérébral survenu pendant son sommeil. La veille au soir encore, il s’était produit à l’Hôtel PLM avec
l’orchestre de Jaurès DAGOBERT. Fait étrange, ce soir là, après le spectacle les au revoir durèrent longtemps.
Ses amis l’avaient raccompagné au Pavé et étaient restés discuter devant sa porte, jusque tard dans la nuit.
Personne ne s’attendait à l’annonce de son coma le lendemain et de son décès, 15 jours plus tard.

Lors de ses obsèques, il y eut une foule importante dans la cathédrale Saint-Louis. Le cortège qui le
conduisait au cimetière nécessita une autorisation de la municipalité. Dans cette foule on comptait des
personnalités foyalaises, dont Gertrude SEININ, Gisèle BAKA, Loulou BOISLAVILLE, METHALY de
Stardust, Laurent LARODE et bien d’autres. Ferdinand avait composé lui-même la marche funèbre qui fut
jouée à son enterrement par ses amis musiciens.

Ancien combattant de la Marine, il était membre de l’amicale des Cols Bleus du Fort-Saint-Louis, et reçut les
honneurs militaires en signe de dernier adieu de la part de ses camarades. Il est inhumé au cimetière du
Trabaud, dans le quartier de son enfance.

Dans le monde de la musique antillaise, pas toujours tendre, où régnait la compétition, Ferdinand était de ces
musiciens un peu à part ; uniquement animé par l’amour de son Art, il était resté modeste. Ce qu’il aimait,
c’était transmettre et partager ses connaissances, encourager les nouveaux. Il faut noter que ce n’était pas le
cas de tous ; certains musiciens craignant peut-être que l’élève dépasse un peu trop le professeur.

C’est ainsi qu’il permit à plusieurs musiciens de la génération montante, de percer véritablement et de prendre
une certaine revanche sur tous ceux qui les avaient raillés ou n’avaient pas cru en eux.

Au cours de sa vie, il n’eut qu’un seul regret, celui de ne pas voir naître un véritable Conservatoire de
Musique digne de ce nom pour la Martinique, capable d’offrir les meilleures conditions pour l’apprentissage
de la musique à tous ces jeunes talents qu’il avait pu rencontrer et leur permettant à l’instar des conservatoires
de Métropole ou de la Caraïbe, d’accéder eux aussi, à une renommée internationale.

Maurice ALCINDOR, autre ami de longue date, lui rendit un hommage posthume, dans son émission de radio
sur RFO-Martinique, « Palé pa ni sézon », en invitant son épouse, compagne de toute une vie consacrée à la
musique. Celle-ci l’a rejoint en décembre 2005 et repose à ses côtés.

NOTES :
La Chorale " LA JOIE DE CHANTER " avait été fondée en Février 1954 par Melle Paulette NARDAL, qui était aussi à l’origine du
concours de la chanson créole. C’est Solange LONDAS qui prend la relève de 1948 à 1964 ainsi que l’organisation du carnaval des
écoles. Une école élémentaire des Terres-Sainville porte son nom.

Travail de la Colonne d’air : Technique de respiration, par le bas du ventre, utilisant la cage thoracique et le diaphragme pour
maitriser l’air expulsé et donc pour obtenir une meilleure sonorité avec le moins de fatigue possible. Cette technique très pointue,
indispensable pour la pratique de certains instruments comme la trompette, est basée sur des connaissances d’anatomie, de physique
et... de longues heures d’entrainement.

Tonalités : Beaucoup de ces musiciens étaient de purs autodidactes, ils n’avaient jamais appris de solfège et ne savaient au départ
jouer que dans une seule tonalité. Ils se retrouvaient très vite, très limités dans la pratique de leur instrument. Ils étaient ainsi la cible
des musiciens plus expérimentés qui prenaient un malin plaisir à les mettre en difficulté. Je ne sais pas s’il existe une expression
créole pour la Martinique, mais en Guadeloupe, cette « mise en boite » se disait « Baille en Tchimbé ».

! 16!
BIBLIOGRAPHIE :

Quelques extraits d’articles où il est question de Ferdinand MOTHIE, avec parfois une orthographe
approximative de son nom :

Dans les cahiers du patrimoine, N°6-(1989), Les Evénements de la vie : « Les Sérénades d’antan ». Marcel
MISAINE raconte:

"Lorsqu'un jour, je rencontrai Ferdinand Mothie, je constatai qu'il était passionné de musique; j'appris qu'il
était, comme moi, fils de musicien et aussi le plus jeune de l'orchestre » l’AURORE" dirigé par le père
Apanon. Nous nous liâmes d’amitié et nous voilà partis pour une longue série de randonnées nocturnes tous
les samedis. [...]
Hélas! La guerre éclata, Ferdinand qui m'avait prodigué tant de bons conseils fut mobilisé et partit sur
l’Emile Bertin. [...]
Nous avions été inconsciemment les héritiers d’une génération de musiciens comme les Lancry, Marius,
Charlery, Bagoé, Bédiat, Collat, Mothie,... "

Dans le grand livre des musiciens de la Caraïbe, Sully Cally mentionne F. Mothie dans un article consacré à
Jo Amable en écrivant ceci :

"II devient le batteur attitré de l’orchestre Swing King. [..] C'est à cette époque que se situe sa rencontre avec
le trompettiste et professeur de musique, Ferdinand Mottie(!). Celui-ci va aider Jo Amable à décoller
musicalement. Car jusqu'alors Jo ne joue que dans une seule tonalité, ce qui n'est pas sans engendrer une
certaine monotonie. Mottie(!) va lui enseigner le solfège ainsi que toutes les bases nécessaires à une bonne
formation de musicien. Après cette mise à niveau, Jo Amable s'engage avec l’orchestre des Caribean Boys,
que conduit Homère Gaspard."

Dans un autre article consacré à Marcel Misaine, on relève que Marcel Misaine est amateur de sérénades :
"Cet amour pour la sérénade ira très loin puisque pendant la seconde guerre mondiale, avec son ami Fernand
Mottie(!), tailleur et trompettiste, il n'hésite pas à braver le couvre-feu pour en donner quelques-unes, dont on
dit qu'elles enchantaient la patrouille de service !"

Dans L’ Encyclopédie de la Musique traditionnelle aux Antilles-Guyane d’Anderson Bagoé : à propos


d’Ernest CLERINE, on note que ce dernier «...débute avec Anderson Bagoé (1935) durant le tricentenaire
comme batteur (bal titane). Puis avec "Swing King". Nomel - Chantelly – Ferdinant Monty( !) - Renard –
Fibleuil, Champvert ... »

Dans Musique et Immigration dans la société antillaise, par Frédéric Negrit, il est question des diverses
formations et orchestres de cette période :

« Les plus célèbres des années 50 et 60 qui reviennent encore dans les mémoires, sont : Harmony King de
HENRY SOMMIER, Swing-King de GEORGES LOMMEL, Blue Star de JEAN GUANEL et PAUL
JULVECOURT et Caribbean Jazz de FERDINAND MOTHIE. Toutes ces formations comprenaient un nombre
important d’exécutants, quatorze en moyenne. Ces dernières étaient très recherchées pour assurer des
animations, dans les soirées mondaines en particuliers. ».

Sylvie GENDROT

REMERCIEMENTS à la famille MOTHIE et à Mme Monique Palcy de l’association AMARISHFA pour leur
aimable contribution.

! 17!
!
LA NAISSANCE DE MALAVOI
Quand le groupe musical qui allait devenir l’orchestre Malavoi fut créé dans les années soixante par
quelques jeunes garçons martiniquais, nul n’aurait prévu son incroyable ascension ni le rôle qu’il
allait jouer durant plus de trente ans dans l’évolution de l’identité musicale martiniquaise et sa
diffusion à travers le monde.

Cette histoire commence à la fin des années cinquante. L’instigateur en est un lycéen de quinze ans
passionné de musique : Emmanuel « Mano » Césaire, né à Fort-de-France le 26 février 1944. Il
est le fils d’Omer Césaire, docteur en pharmacie, frère aîné du poète Aimé Césaire. La mère de
Mano, d’origine guyanaise, est une brillante pianiste classique formée à Paris dans les années 1920.
Mano apprend le violon à l’âge de huit ans. Son professeur Paul Calonne, féru de musique et
collectionneur d’instruments, est cet homme distingué; affable et paternel qui ne ménage pas sa peine
pour ses élèves dans le documentaire « Le Roman de la Biguine » tourné en 1987 par Christiane
Succab-Goldman et Jean Pierre Krief sur le compositeur Ernest Léardée. Mano joue d’abord dans les
églises de la Martinique au sein du groupe d’élèves conduit par Monsieur Calonne. En 1957, il passe
à un degré supérieur en intégrant l’école de musique classique nouvellement créée à Fort-de-France
par la violoniste Colette Frantz.

Il convient à cet endroit de présenter Colette Frantz dont le rôle fut déterminant dans la vocation de
ses élèves et dans la diffusion de la musique classique à la Martinique. Née le 9 octobre 1903 à Paris
17ème, Colette Marie Frantz était issue d’une famille de musiciens originaire de la Lorraine. Son
grand-père Jean Baptiste Frantz et son père Albert Frantz avaient été facteurs de pianos à Metz puis à
Paris. Entrée au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris à l’âge de 12 ans, Colette
Frantz en sort en 1924 avec un premier prix de violon. Éminente représentante de l’école française
de violon conduite par le grand Jacques Thibaud, elle se lance dans une carrière de concertiste
internationale. En février 1932, avec la violoncelliste Edwige Bergeron, Colette Frantz est invitée par
André François-Poncet, Ambassadeur de France en Allemagne, pour donner une série de concerts à
Berlin, Karlsruhe, Cologne. Elle se produit la même année en Autriche, Finlande, Suède, Pologne,
Tchécoslovaquie. En avril 1933, elle est applaudie au théâtre musical de Tartu en Estonie. Pendant la
guerre de 1939-45, Colette Frantz vit à Montpellier. Elle y reçoit ses amis musiciens comme le
compositeur tchèque Bohuslav Martinu. En 1950, elle joue en Finlande avec le pianiste Tapani
Valsta. En 1954, accompagnée du pianiste grec Nicolas Astrinidis, elle part en tournée dans les îles
de la Caraïbe, se produisant notamment à Curaçao et en Martinique. C’est en 1957 qu’elle s’établit à
Fort-de-France, à l’invitation du député-maire Aimé Césaire, pour y créer à l’âge de 54 ans le
premier Conservatoire de Musique des Antilles Françaises. Nicolas Astrinidis la rejoint en 1959. Ils
fondent l’Orchestre de Chambre de la Martinique (Orchestre Jean-Philippe Rameau), un ensemble
semi-professionnel auquel étaient conviés les meilleurs élèves du Conservatoire. Colette Frantz
poursuivra seule la direction de l’école après le départ de Nicolas Astrinidis en 1962. Unanimement
aimée et estimée de ses élèves, c’était une femme au caractère énergique et au parler franc, réputée
pour la rigueur et la qualité de son enseignement. Les cours d’instrument s’accompagnaient de
leçons de solfège, écriture, théorie musicale. Les élèves devenaient rapidement d’habiles lecteurs.
Après avoir commencé par des cours à domicile, l’école de musique siégea plusieurs années dans un
vaste bâtiment du bord de mer prêté par la Mairie de Fort-de-France. Elle occupa ensuite un local de
l’ancienne caserne Bouillé dans le centre ville. Outre le violon et le piano, l’école proposait des cours
de chant, guitare, flûte et violoncelle.

Quand Colette Frantz quitta la Martinique au début des années 1970 pour prendre sa retraite à Paris,
! 18!
il n’y eut personne pour lui succéder. Cette grande dame qui consacra sa vie entière à la musique est
décédée centenaire le 7 janvier 2004 à Châtillon dans les Hauts de Seine. Mano Césaire se souvient
d’elle avec respect et gratitude : « Nous gardons tous un très bon souvenir de cette violoniste
exigeante mais généreuse, qui n’hésitait pas à assurer gratuitement des cours de violon quand les
parents avaient des difficultés financières. Sa motivation première n’était pas l’argent mais le souci
de voir progresser ses nombreux élèves. Aucun d’entre eux n’a oublié cette période où, grâce à elle,
la musique classique était très vivante à Fort-de-France. Femme dynamique et pleine d’initiatives,
elle avait fondé l’orchestre philharmonique de l’école avec tous ses élèves dont la participation était
obligatoire. »

Deux copains de Mano fréquentent la classe de violon de Colette Frantz :

Christian de Négri (né le 1er janvier 1946) et Jean-Paul Soïme (né le 28 août 1950). Mano et Jean-
Paul sont voisins et habitent le quartier des Terres-Sainville,

Au pied du Morne Desaix, au centre nord de Fort-de-France. Les Terres-Sainville sont un quartier
populaire, une pépinière de musiciens où, portes et fenêtres ouvertes, les rues résonnent du matin au
soir de biguines et mazurkas, airs anciens de Saint-Pierre ou nouvelles créations que répètent des
musiciens en herbe ou des vétérans rompus aux cadences subtiles et facétieuses nées au cours des
siècles du mariage inattendu des battements syncopés de l’Afrique et de la musique légère
européenne. Les boutiques de cordonniers et de coiffeurs sont autant de lieux qui participent à la
diffusion de la chanson créole, véritable gazette des petits potins de la ville. La jeunesse de Mano est
marquée des figures légendaires de la musique martiniquaise: le chansonnier Faitsalles-Vaingducs
qui attirait les badauds sur le marché de Fort-de-France et raflait tous les prix de biguine et de
mazurka, l’instituteur Victor Coridun qui recueillit méticuleusement les anciennes chansons du
Carnaval de Saint-Pierre, l’immense chanteuse Léona Gabriel-Soïme dépositaire de tout le passé
musical de la Martinique, mais aussi ceux qui commençaient à prendre la relève comme le violoniste
Maurice Champvert chef d’orchestre du « Swing King Concerto » ou les pianistes Marius Cultier,
Nel Lancry, Georges-Édouard Nouel. ..

Les trois amis font de rapides progrès. Quelques années plus tard, ils se produisent régulièrement en
concert dans l’orchestre Jean-Philippe Rameau. Après les cours de musique classique, les jeunes
violonistes n’ont qu’une hâte: se défouler en jouant de la musique de danse. On se retrouve chez
Mano pour répéter. Denis Dantin (né le 2 avril 1945), un copain de lycée qui habite à deux pas,
amène sa batterie ; un autre, Marcel Rémion, sa guitare ; un autre, Serge Lossen, sa flûte en bambou.
On se passionne pour les airs cubains à la mode, en commençant par ceux de l’illustrissime Charanga
Aragon dont la signature était ce délicieux cocktail de flûte et de violon hérité de la contredanse, du
son et du danzon. On puise aussi chez d’autres orchestres cubains comme la Sonora Matancera ou
Johnny Pacheco à ses débuts. Quant il faut, Mano transpose au violon les riffs des sections de
cuivres, donnant au petit groupe ce son inédit qui ne le quittera plus. Une large place est donnée à la
musique traditionnelle de la Martinique : airs du folklore et compositions personnelles car Mano,
depuis qu’il est enfant, a le goût de la création. Sa tête est remplie de mélodies ensoleillées qu’il
harmonise en s’aidant de sa guitare. Le groupe prend de l’assurance et se fait connaître peu à peu,
jouant d’abord dans des réunions d’amis. Il est bientôt demandé de manière plus officielle pour
animer des soirées dansantes organisées dans les communes de l’île. C’est ainsi que voit le jour, en
1963, l’orchestre des « Merry Lads » (les joyeux lurons). Il est composé de Mano Césaire et
Christian de Négri (violons), Serge Lossen (flûte), Marcel Rémion (guitare), Léon Raphanel
(harmonica, guitare basse), Denis Dantin (timbales) et Julien Constance (chant). Pas encore de piano.
Serge Lossen, sur sa flûte en bambou, improvise et reproduit avec beaucoup de brio les succès de
l’orchestre Aragon. Le petit groupe trouve dans toute la Martinique un accueil chaleureux. Durant les
! 19!
festivités du carnaval, il est occupé à plein temps. Chaque après-midi jusqu’en début de soirée, on
peut danser sur sa musique vivifiante sur la terrasse couverte de « La Rotonde », au dernier étage
d’un café à l’angle de la place de la Savane et de la rue de la Liberté, face à la Bibliothèque
Schoelcher. La foule se presse sur trois étages dans l’escalier et la queue déborde sur le trottoir et
jusque dans la rue.

Les années passent. Les jeunes garçons entrent peu à peu dans la vie active.

En 1965, après son service militaire, Mano trouve sa voie dans l’Éducation Nationale. Christian de
Négri se lance dans le métier du commerce. La formation continue d’animer les soirées dansantes.
Entre-temps, les violons se sont augmentés d’une nouvelle recrue: le benjamin Maurice Lagier (né le
25 janvier 1953) âgé de douze ans seulement. Lui aussi habite les Terres-Sainville, tout près de chez
Mano. Lui aussi est un brillant élève de Colette Frantz, passionné de violon et travailleur acharné. Le
groupe est bientôt rejoint par Paulo Rosine, né au Lamentin le 26 janvier 1948. Pianiste autodidacte
et surdoué, pourvu d’une extraordinaire mémoire musicale et d’un sens instinctif de l’harmonie,
Paulo a débuté dans l’orchestre de la Jeunesse Étudiante Chrétienne de Fort-de-France. Mano et lui
se sont connus dans le groupe « Conjunto Moderno » de Roger Jaffory. Les répétitions reprennent de
plus belle, chez Jean-Paul Soïrne ou chez Mano dont les parents ont l’avantage de posséder un
piano.

Depuis longtemps, Mano mûrit un projet qui lui tient à coeur. La musique traditionnelle
martiniquaise n’est pas pour lui un genre mineur. Il veut lui redonner une nouvelle dimension, un
nouvel éclat face à la concurrence que lui livrent sur son terrain les musiques haïtiennes et latino-
américaines. Les compositions de Mano sont bien au point et il rêve de leur donner une large
audience grâce au disque. Cette idée se précise fin 1967 avec l’arrivée à la Martinique du pianiste
Alain Jean-Marie (né le 29 octobre 1945). Alain et Mano se connaissent depuis l’enfance. Leurs
pères respectifs sont cousins germains, natifs de la commune du Lorrain. Alain venait souvent passer
ses vacances chez Mano à la Martinique. À l’inverse, Mano avait séjourné en Guadeloupe dans la
famille d’Alain en 1962. Durant toute une année scolaire, ils avaient suivi la même classe au Lycée
Carnot de Pointe-à-Pitre. En 1967, devenu musicien professionnel, Alain Jean-Marie travaille six
mois à l’Exposition Internationale « Terre des Hommes » de Montréal. L’orchestre comprenait trois
musiciens martiniquais: le chanteur Pierre Jabert, le saxophoniste Paul Julvécourt et le batteur Jean-
Claude Montredon. Alain les suit à la Martinique après la fermeture de l’Exposition. Monsieur
Nayaradou, patron de « La Bananeraie », grande et célèbre paillote du Lamentin, demande à Alain
de reformer et de diriger l’orchestre mi haïtien, mi martiniquais, de son établissement. Cet orchestre
intitulé « Tropicana » portait le même nom qu’un autre ensemble très connu en Haïti à cette époque.
La « Bananeraie » ne désemplissait pas chaque soir de la semaine tout comme le dimanche pour le
« punch en musique » et le « thé dansant » de l’après-midi. De 1968 à 1970, Alain Jean-Marie
retourne jouer trois étés de suite au Canada. Il revient chaque fois se produire à la Martinique avec le
saxophoniste Paul Julvécourt au « Cactus », route de Moutte, et à l’hôtel « Diamond Rock » sur la
commune du Diamant où il lui arrive d’accompagner la jeune chanteuse Lola Martin. C’est tout
naturellement que Mano Césaire pense à Alain – qui jouit d’une renommée bien établie – pour
assurer le succès de ses premiers disques. Reste à trouver un producteur et un studio
d’enregistrement. À la fin des années soixante, la production phonographique des Antilles Françaises
se trouvait localisée essentiellement en Guadeloupe chez deux producteurs : Henri Debs et
Raymond Célini qui disposaient de vrais studios professionnels. Ce dernier, soucieux de la
sauvegarde des richesses musicales de son pays, avait déjà publié une série de disques de folklore qui
se vendaient très bien en Martinique et en Guadeloupe. Alain Jean-Marie, avant son départ au
Canada, avait participé chez Célini à plusieurs séances où il avait accompagné Robert Mavounzy,

! 20!
Émilien Antile, Gaby Siarras … Quand Mano Césaire contacte Raymond Célini pour lui soumettre
son projet, ce dernier accepte aussitôt. Un dernier point à régler: choisir un vrai nom de scène, un
nom porteur en parfaite harmonie avec la philosophie du groupe et le style de sa musique. C’est
Jean-Paul Soïme qui le trouve: la formation s’appellera « Malavoi », nom d’une variété de canne à
sucre mais aussi titre d’un ancien bel air, chant traditionnel des veillées martiniquaises. Et comment
exprimer avec plus de force le cri d’un peuple, concentrer en un mot ses joies, ses peines, son
histoire, sa lutte pour la liberté et la survie autrement que par l’évocation du dur labeur de la canne
qui symbolise à elle seule des siècles d’oppression pour établir la richesse économique de l’île …

La voie est tracée. Les choses vont aller très vite. Mano travaille d’arrache-pied, peaufine les
arrangements, écrit les partitions de chaque violon, prépare les grilles d’accords pour le piano et la
guitare basse. À ce dernier instrument, il s’assure le concours d’Alex Bernard (né en 1948), autre
musicien de l’orchestre de la Jeunesse Étudiante Chrétienne, devenu bassiste professionnel. Les
violons sont ceux du noyau fondateur de Malavoi : Mano, Jean-Paul Soïme, Christian de Négri et
Maurice Lagier. Mano Césaire a la chance de s’adjoindre le chanteur Pierre Jabert, la plus belle voix
masculine de la Martinique à cette époque. Musicien professionnel, il chantait dans les grands hôtels
et notamment à l’Hôtel Hilton devenu aujourd’hui « La Batelière » sur la commune de Schoelcher.
Incomparable crooner s’accompagnant lui-même à la batterie, il possédait une diction impeccable et
s’était constitué à force de travail un immense répertoire international pour répondre à la demande de
la clientèle. Le batteur de la séance sera bien sûr Denis Dantin. Doué d’une voix brillante et haut
placée, il ne dédaigne pas chanter lui aussi pour assurer les secondes voix. Quelques répétitions pour
la mise en place et, un beau matin de 1969, les huit compagnons et leurs instruments s’envolent à
bord d’une Caravelle pour la Guadeloupe. Les billets d’avion et le séjour ont été pris en charge par
Raymond Célini. Retour prévu le lendemain. Toute l’équipe est exaltée à l’idée de graver ses
premiers disques. La séance commence à la fin de la journée dans le studio du producteur, un local
tout en longueur aménagée au fond d’un magasin. Le preneur de son se trouve dans un coin de la
salle avec un Revox à deux pistes et une table de mixage. Bien que le lieu soit insonorisé, il faut
attendre le soir pour commencer, de crainte que des bruits de circulation intempestifs ne viennent
perturber le travail depuis la rue. Six morceaux sont enregistrés pendant la nuit. Les musiciens
s’arrêtent à l’aube, harassés mais heureux car la séance est une pleine réussite.

Les disques sortent le mois suivant: trois 45 tours de deux titres, sous le nom de « Mano et la
formation Malavoi », rehaussés de pochettes chatoyantes conçues avec beaucoup de personnalité par
le jeune illustrateur guadeloupéen Jean Claude Toribio. Les compositions de Mano, relayées par la
radio, trouvent un succès immédiat en Martinique et en Guadeloupe. Le producteur ne tarde pas à
organiser une seconde séance pour réaliser un album 33 tours de dix titres. Mano garde la même
formation mais il la complète d’une conga prêtée et tenue par un voisin Camille Ouka, de trois
choristes et surtout d’un vibraphone en la personne de Paulo Rosine dont c’est l’un des rares
enregistrements sur cet instrument. Ce sont donc treize musiciens qui s’envolent cette fois pour la
Guadeloupe. Les conditions de prise de son sont plus problématiques car tout ce monde a peine à
tenir dans le studio devenu trop exigu. Maurice Lagier se souvient avec humour de cette séance très
spéciale : « Nous étions treize musiciens dans ce couloir! On était les uns sur les autres et l’on ne se
voyait pas car nous étions obligés de nous tourner le dos. Mais on s’entendait par contre … Il fallait
enregistrer tous les instruments en une seule prise. Et il n y avait pas d’autre façon de faire parce
que, de toute façon, les micros repiquaient un peu partout. C’était très particulier. Il n’y avait pas
non plus de séparation avec le technicien, il se trouvait juste un peu à l’écart, avec son matériel. ..
Mais nous étions très enthousiastes. On ne se rendait pas compte de l’exiguïté du lieu ni de la
chaleur qu’il faisait. Et quand on réécoutait, on était émerveillés d’entendre une belle composition
de Mano pour la première fois avec un certain recul. Je crois que nous avions un immense plaisir à

! 21!
enregistrer à cette époque. » Le jour est levé quand la séance se termine vers six heures. Les
musiciens repartent sans avoir dormi car ils doivent reprendre l’avion dans la matinée.

Le disque LP issu de cette seconde séance n’est malheureusement pas tant réussi que les précédents,
non pas à cause de la prestation des musiciens mais tout simplement parce que le preneur de son eut
l’idée saugrenue d’ajouter sur quatre titres (que nous avons préféré éliminer) une réverbération du
plus mauvais effet qui les rend quasiment insupportables à l’écoute. Par chance, les autres titres
furent épargnés ce qui nous permet d’apprécier de vrais joyaux d’humour créole comme « Ginette
démarré’ moin » et « Ti nain l’en morue », ou encore une composition très inspirée d’Alain Jean-
Marie et Paulo Rosine intitulée « Paulain » où, sans les violons, se révèlent la complémentarité et la
complicité des deux musiciens se répondant au piano et au vibraphone. Ce dernier instrument, peut
être à cause de sa lointaine parenté avec le balafon africain, connaissait un certain engouement aux
Antilles, pratiqué notamment par Pierre Rassin, Georges-Édouard Nouel, ou le jeune Eddy Louiss.

Les commentaires au verso de la pochette du disque sont d’une rare éloquence : « Assurément,
MALAVOI est l’une des formations les plus originales des Antilles par le fait même qu’elle
rassemble une diversité d’instruments peu utilisés dans la musique populaire. Ce qui frappe surtout
dans cette jeune formation, c’est la qualité du travail d’orchestration, la justesse, la cohérence des
morceaux qu’elle présente.(…). Malavoi est donc un symbole de renouveau dans la conception de la
musique antillaise. » Précisons que Danièle et Mano Césaire étaient tout jeunes mariés et qu’ils
s’étaient connus dans la classe de Colette Frantz où Danièle était aussi une éminente violoniste.

C’est le début de la légende de Malavoi. L’année suivante, en 1970, le groupe enregistre deux
nouveaux 45 tours pour la marque Hit-Parade. Jean-Paul Soïme, parti en Métropole pour y
poursuivre ses études, en est absent. La section de violons est accompagnée du trio « Liquid Rock »
formé par Alain Jean-Marie à son dernier retour du Canada avec le batteur martiniquais Jean-Claude
Montredon et le bassiste Winston Berkeley (originaire de la Grenade). Le chanteur est Julien
Constance accompagné de Pierre Jabert et Ralph Thamar (né en 1952) qui apparaît pour la première
fois dans Malavoi Deux titres, dont le succès « Ralé senn’ la », sont reproduits ici grâce à
l’obligeance de Mme Roy-Lareinty. Ces enregistrements sont les derniers avec Alain Jean-Marie
dont la présence se limitait d’ailleurs aux disques. Pris toute l’année par de multiples engagements
dans l’île et au dehors, il ne pouvait se joindre en permanence à Malavoi. Alain quittera
définitivement la Martinique en décembre 1972 pour une tournée au Maroc avec Jho Archer avant de
gagner la Métropole et y commencer sa brillante carrière de pianiste de jazz. Le pianiste régulier de
Malavoi était déjà Paulo Rosine à ce moment-là. À partir de 1970 le groupe, dont la notoriété ne
fléchit pas, se produit dans des configurations variables dont la base est constituée des violons réduits
à trois ou à deux, de Paulo Rosine au piano et de Denis Dantin à la batterie. Autour de ce noyau
viennent graviter des musiciens multiples et changeants: basse, guitare, percussions, flûte, chant. Au
bout de quatre ans, la formule s’essouffle et ne parvient pas à se renouveler. Maurice Lagier quitte le
groupe, d’abord pour raison de service militaire puis pour s’en aller lui aussi en Métropole. Malavoi
s’arrête durant presque un an. Le concept est réactivé en 1975 par Paulo Rosine mais dans une
configuration totalement refondue. Il ne reste plus qu’un seul violon en la personne de Christian de
Négri. Les autres sont remplacés par des soufflants : Paul Pastel (trompette, trombone), Michel
Pastel (trombone), Bib Monville (saxo ténor et soprano). La formation comprend aussi guitare basse,
batterie, percussions (Denis Dantin, Dédé Saint-Prix) et divers chanteurs (Raymond Mazarin,
Raphaël Rimbaud, Maurice Marie-Louise qui signent plusieurs compositions). Les arrangements
sont élaborés par Paulo Rosine dans la mouvance latin jazz et salsa: harmonies complexes,
rythmique appuyée et swing orchestral privilégiant cuivres et percussions, tantôt à la manière de la
cadence haïtienne, tantôt dans le style d’un Tito Puente revisité à la créole. En dépit de ce revirement

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suscité davantage par l’évolution des goûts du public, et après quelques disques et un engagement
quasi permanent au club sélect du Lido à Schoelcher, la lassitude s’installe à nouveau et l’orchestre
finit par se dissoudre en 1978.

Malavoi restera sur sa réserve encore durant trois ans. Mais ce sera pour mieux renaître en 1981 pour
le troisième acte de son histoire. Les quatre violons du début sont de retour, sauf Maurice Lagier
remplacé par Philippe Porry auquel succédera plus tard Patrick Hartwick. La nouveauté, c’est
l’arrivée d’un violoncelle en la personne de Jean-José Lagier, frère de Maurice. Piano, basse,
batterie, percussions, chanteur (Ralph Thamar, issu de Fal Frett) et choristes complètent la formation.
Cette fois, les violons reviennent sur le devant, comme élément musical certes mais aussi dans une
mise en scène visuelle et animée, attractive et colorée. Les arrangements conçus par le leader Paulo
Rosine sont d’une variété et d’une sophistication jamais entendues jusqu’alors, réalisant un étonnant
amalgame de sons classiques, traditionnels martiniquais, cubains, brésiliens, sur fond de percussions
aux prégnantes résurgences africaines, avec des intermèdes atteignant la profondeur et l’émotion
d’une grande musique symphonique, le tout sans que la force vitale indispensable à la danse ne soit
jamais altérée. Le répertoire s’enrichit de nouvelles et captivantes compositions de Mano Césaire et
Paulo Rosine. Ce dernier avait pendant un moment imaginé un orchestre avec une dizaine de
violons. La Martinique s’embrase pour Malavoi. Les succès, les concerts, les festivals et les disques
s’enchaînent. Pour la première fois, la notoriété du groupe dépasse les Petites Antilles et se répand à
partir de 1983 en Métropole (Printemps de Bourges) et dans le monde entier: tournées en Colombie,
Suisse, Japon, États-Unis, Allemagne, Pays-Bas, Belgique … Huit jours à l’affiche du Théâtre de la
Ville à Paris en 1984, concert sur la scène magique de l’Olympia en 1985. L’année suivante,
nouveau record de ventes avec « La Case à Lucie » de Paulo Rosine. En 1987, c’est un triomphe au
Zénith devant un auditoire surchauffé, un nouveau « Printemps de Bourges » avec Kassav, puis une
tournée au Brésil, en Équateur, au Canada, terminée en apothéose par un grand concert au Centre des
Arts de Pointe-à-Pitre.

Se pose alors la question du statut des musiciens face aux sollicitations et aux contraintes de plus en
plus problématiques qui pèsent sur leur vie de famille et leurs emplois à la Martinique. Le moment
n’est-il pas venu de devenir musiciens professionnels? Paulo Rosine, par ailleurs Attaché à la
Préfecture de Fort-de-France, y est résolument opposé. Après mûres réflexions, le groupe convient
de ne pas dévier de la ligne de conduite, garante de leur indépendance artistique et financière, qu’il
s’est fixée au départ. Seul Ralph Thamar en 1987 décide de franchir le pas pour se lancer dans une
carrière solo. Le chanteur à la voix suave, pénétrante et cuivrée de crooner latino avait été la figure
de proue de Malavoi durant plus de six ans. L’orchestre doit s’adapter. Il s’attache le concours de
Pipo Gertrude et, pendant un temps, de Tony Chasseur qui reprennent le répertoire de Ralph. Les
tournées nationales et internationales se poursuivent : Nouvelle-Orléans, Québec, Olympia de Paris
en 1988 ; Japon, Parc Gorki de Moscou en 1989 ; Zénith et Bataclan de Paris en 1990 (Mano
Césaire, qui ne supporte plus le rythme des tournées, se retire cette année-là) ; New York, Paris
(Palais de l’Élysée, Bataclan), Fort-de-France, Réunion en 1992. L’album « Matebis », sorti en 1992,
est sans doute l’œuvre la plus achevée de Malavoi, éblouissant patchwork musical faisant intervenir
une pléiade d’invités de premier plan: Édith Lefel, Tanya Saint-Val, Jocelyne Béroard, Francisco,
Philippe Lavil, Marcé, Ralph Thamar, Beethova Obas, Kali, Sam Alpha …

Puis le 30 janvier 1993 c’est la consternation: Paulo Rosine, malade depuis quelques mois, meurt
d’un cancer à 45 ans. Musicien charismatique et inspiré, compositeur arrangeur prolifique et
novateur, il était le gourou de l’orchestre. Sa disparition prend la dimension d’une catastrophe. Mais
Malavoi est devenu un monument. Le flambeau de l’âme musicale de toute la Martinique ne peut
s’éteindre. Jean-Paul Soïme reprend la direction du groupe tandis que José Privat succède à Paulo

! 23!
Rosine au piano. Les concerts redémarrent autour du concept Matebis avec une formation remaniée,
notamment sur le plan des violons. L’orchestre tourne aux Antilles, en Guyane, avant de revenir à
Paris sur la scène de l’Olympia en septembre 1993. Dès 1994 sort le premier album sans Paulo
Rosine: « An Maniman ». Cette même année, l’orchestre se produit à Paris, au Bataclan et au New
Morning. Nouvelle tournée sur la côte ouest des États-Unis en 1995. D’autres albums suivront avec
« Shé Shé » (1996), « Marronnage » (1998), et « Flèch Kann » (1999).

À l’approche des quarante ans de son existence, Malavoi est à nouveau sur sa réserve,
provisoirement n’en doutons pas. Il est fascinant aujourd’hui de pouvoir écouter les premiers disques
de sa jeunesse, quand la moyenne d’âge des musiciens dépassait à peine vingt ans. Avec le recul, les
qualités qui firent d’emblée la spécificité et le succès du groupe ressortent avec d’autant plus d’éclat.
Le signe distinctif de Malavoi, c’est avant tout la couleur sonore donnée par les violons.
L’instrument en lui-même n’était pas une nouveauté car il avait été longtemps présent dans les
orchestres populaires, que ce soit au temps des polkas et quadrilles de Saint-Pierre avant 1902 ou à
l’époque de la biguine à Paris au début des années trente. Rappelons-nous que les premiers disques
gravés par Alexandre Stellio en 1929 le furent avec une formation comprenant violon (Ernest
Léardée) et violoncelle (Victor Collat). Mais dans les anciens orchestres de biguine, de plus en plus
marqués par l’avènement du jazz, le violon était tombé en désuétude car il ne trouvait plus sa place
dans le volume sonore fourni par la batterie, le banjo, les anches et les cuivres. L’idée originale, c’est
d’avoir réuni quatre violons en une section agissant comme un seul instrument à la dynamique et à
l’ampleur renouvelées. Encore fallait-il que la parfaite cohésion en fût assurée grâce à la virtuosité
des violonistes, tous de formation classique.

La seconde force de Malavoi se trouve dans la qualité du répertoire et les sources de son inspiration.
Les thèmes des chansons écrites avec soin puisent dans la vie quotidienne et la culture du petit
peuple martiniquais. Chacun peut s’y retrouver ou y reconnaître son voisin. Les couplets tantôt
graves, tendres ou remplis d’humour acéré révèlent l’acuité du regard porté par leur auteur sur les
travers de ses compatriotes ou les blessures de la société qui l’entoure et dont il fait partie. Ainsi
voit-on le vaniteux Jojo délaisser sa famille et s’endetter pour la chimère d’une automobile, ou
l’infâme Albert poursuivre de ses assiduités la femme de son meilleur ami. Nous partageons la
révolte de la classe laborieuse contre la vie chère (Nou pé pa kimbé), le découragement du chômeur
qui n’arrive plus à nourrir ses nombreux enfants (Parole pé pa soulagé moin). Nous assistons au
travail harassant du coupeur de canne (Coupé cann’), à la solidarité de la pêche à la senne (Ralé sen’
la) et aux moments de convivialité intense où l’on noie ses soucis dans le rhum, la danse et la
musique (Baye la voix, Gouté biguine la).

Le mérite de Mano Césaire, fondateur de Malavoi, c’est aussi d’avoir préservé l’authenticité d’un
patrimoine musical hérité de la Martinique profonde en gardant la pulsation de base de la biguine
mais en lui donnant un nouvel attrait pour la jeunesse par l’introduction de composantes modernes
tirées des musiques afro-cubaine, latino-américaine et de la salsa. Mano Césaire est un expert de
l’écriture, aux compétences recherchées par ses amis musiciens, créateur de nombreuses
harmonisations pour la chorale « Joie de chanter ». Il est l’auteur de mélodies lumineuses qui vous
transportent et ne vous quittent plus, dans des arrangements témoignant d’une véritable science de
l’orchestration. Les riffs de violons, arrivant avec la même sûreté qu’une section de cuivres,
entretiennent la stimulation d’un bout à l’autre des morceaux. N’omettons pas l’empreinte de la
musique de jazz, spécialement perceptible dans les premiers enregistrements avec Alain Jean-Marie.
Il suffit d’entendre les ardentes improvisations de Mano et son violon dans ‘’nou pé pa kimbé » et
« Non pajè ça Albè ». On peut regretter qu’elles se soient raréfiées par la suite, dans des
arrangements qui laissaient moins de liberté à chaque musicien pour exprimer sa personnalité.

! 24!
Malavoi, c’est encore et surtout une grande et belle histoire d’amitié. C’est le suprême plaisir de
jouer ensemble, ressenti et partagé par l’auditeur. C’est la fraternité dans la communion d’une même
culture, d’une même passion de la musique et de la danse. C’est la spontanéité, la fougue, la joie,
l’optimisme de l’éternelle jeunesse. Les ingrédients qui firent le succès de Malavoi étaient tous
réunis dans le petit groupe formé par Mano Césaire en 1969 : section de violons d’une précision sans
faille; arrangements ciselés et swing incomparable; mélodies superbes portées en avant par la voix de
crooner ; continuité entre tradition, classicisme et modernité. Ainsi naissait le « son Malavoi » – ce
merveilleux mélange sucré salé pimenté reconnaissable à la première mesure – qui popularisa la
musique martiniquaise durant plus de trente ans dans le monde entier.

Jean-Pierre MEUNIER

Cet article a été rédigé à l’occasion de la parution du disque « Malavoi – Premiers enregistrements
(1969) » (réf. FA481) édité par Jean-Pierre Meunier chez Frémeaux & Associés.

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L’ETONNANTE HISTOIRE DE « MANMAN LAURENCE »

De son vrai nom Romaine LAGUERRE, « Manman Laurence » est née le 09 août
1872 à Fort de France ; elle décède près de 108 ans plus tard, le 10 janvier 1980.
Son histoire comporte quelques faits étonnants et nous pouvons penser que son
cas n’est pas unique.
Mais d’abord, intéressons-nous à son père, Laurencin LAGUERRE.
A la naissance de Romaine, lorsqu’il se présente pour la déclaration, il signe l’acte de naissance sous
le nom de « Laurencin Maxsimon (sic : voir acte ci-dessous) ».
Pourquoi cette signature ?
Il devrait s’appeler en fait Laurencin MAXIMIN. Ce serait donc une déformation du nom, imaginée
par lui, probablement à partir de ce qu’il entendait et connaissait ( ? )
Cependant, pour des raisons qui nous échappent (mais que nous nous plaisons à imaginer), il
s’appellera « LAGUERRE ». Comment ?
Son père, Laguerre Laurent, a été affranchi et reconnu par son propre père, Maximin, lors de son
mariage en 1842 ; ce dernier lui donne son prénom comme nom de famille et il devient alors
« Laguerre Laurent MAXIMIN ».
Laurencin naît 3 ans plus tard en 1845. Son acte de naissance ne comporte à aucun moment le nom
de « LAGUERRE », sauf en marge sous le n° d’acte où on peut lire « Naissance de Laguerre
Laurencin ». C’est « le sieur Laurent » qui comparaît pour déclarer la naissance de son fils et il lui
donne le prénom de Laurencin ; il déclare en outre qu’il ne sait pas signer.
C’est à ce moment que le nom de Maximin disparaît définitivement dans cette branche de la famille
(du moins officiellement puisque Laurencin va signer ce nom à la naissance de Romaine). Pourquoi ?
Son père aurait-il omis de préciser son nom de famille en ne donnant que ses prénoms? Le même
scénario va se reproduire lors de la naissance du 2nd fils en 1847 (il s’appellera alors Laurent André
LAGUERRE)
Et quand en il se marie en 1870, c’est bien « le sieur Laurencin Laguerre, fils légitime du sieur
Laurent Laguerre» qui épouse la demoiselle Marie-Henriette Brice. Notons qu’il déclare à ce
moment ne pas savoir signer (il aura donc appris avant la naissance de sa fille).
C’est donc ainsi que Romaine s’appellera LAGUERRE.
Son acte de naissance comporte 2 mentions marginales intéressantes.
La première, inscrite le 23 janvier 1948, fait état de son décès qui serait survenu…. le 15 juillet 1877,
soit 71 ans plus tôt. Elle serait alors âgée de 5 ans à son décès.
La seconde, inscrite le 25 janvier 1954, soit 77 ans après ce supposé décès (il n’est jamais trop tard
pour bien faire, mais quand même), annule la 1ère au regard d’un jugement intervenu le 5 janvier
1954 et transcrit dans le registre de l’Etat Civil le 18 janvier suivant. Ce jugement précise aussi que
la DCD est une certaine « Maria » et non Romaine. Cette dernière, alors âgée de 82 ans,
ressuscite enfin!!!
Malheureusement, le jugement ne précise pas la date de naissance de Maria ! L’acte de décès ne
mentionne pas non plus l’âge de l’enfant (ce qui pourrait constituer une piste)
! 26!
Car, malgré les nombreuses recherches, Maria reste introuvable sur les registres de l’Etat Civil !!!
Dans la famille, on chuchote bien que Romaine aurait eu une sœur jumelle, mais rien ne permet de le
justifier : il n’y a pas d’acte de naissance de Maria le 09 août 1872! Négligence des parents, erreur
de l’état civil ou tout simplement rumeur ? En tout cas Marie reste virtuelle !
L’histoire aurait pu être banale (après tout, les délais étaient longs à cette époque) si pendant ces
nombreuses années de clandestinité Manman Laurence était restée inactive et n’avait pas eu quelques
60 enfants, petits enfants et arrière- petits-enfants, tous déclarés !
Gageons que si les allocations familiales existaient à cette époque, la rectification interviendrait bien
plus rapidement !

On aura compris que le prénom Laurent était particulièrement affectionné de la famille, puisque
Romaine aussi deviendra Laurence, puis « Manman Laurence » pour tout le monde, même si
pendant le temps où elle aura été « vivante », officiellement le prénom de Romaine a fait foi.

L’acte original de naissance de Manman Laurence


2ème mention marginale :
« La mention ci-dessus a été annulée en vertu d’un jugement rendu le 5 janvier 1954 par le
Tribunal de Première Instance de Fort de France et transcrit le 15 janvier 1954 sous le n° 45 –
Pour mention le 25-1-54 »

Judith ROCHAMBEAU (petite-fille de Manman Laurence)

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Jean-Pierre MEUNIER © Frémeaux & Associés 2006


Disque disponible chez les disquaires et libraires, ou sur
www.fremeaux.com
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