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NOUVEAUTÉS DU MOIS
La bande
à bobos
TRADUIT DE L’AMÉRICAIN
PAR MARCEL FRÈRE
GALLIMARD
Titre original :
Joe et Noreen Baxter sont assis côte à côte sur la banquette, l’air
heureux. Paul Cramer est assis derrière son bureau, l’air heureux, et
Tom Farley est debout devant la fenêtre, l’air heureux. Tout le monde
a l’air heureux.
— C’était, je l’avoue, dit Cramer, un coup de génie que d’avoir
enregistré tout ce qui se passait dans le bureau de Hackett. La police
s’est déclarée enchantée. Et comme Hackett… euh… a réglé la question
de son propre chef, oserais-je dire, elle a classé l’affaire. Le haut-
commissaire m’a écrit personnellement une lettre exaltant le rôle de
l’agence en la circonstance. Il y fait également allusion aux chaleureux
éloges dont nous couvre un certain Cyrus K. Millhound. Est-il besoin
d’en dire davantage ?
— Il a aussi donné de l’avancement à Joe, intervient Mme Baxter.
On dirait un cauchemar qui prend brusquement fin à l’instant du
réveil.
— Si jamais quelqu’un me demandait encore de trafiquer une
bande, fait Joe Baxter, je lui crierais Faux jeton ! à si haute voix qu’on
m’entendrait jusque dans le Maine !
— Ça me semble une bonne idée, j’approuve.
— Nous voulions seulement vous dire encore merci, monsieur
Royal, ajoute timidement Mme Baxter. Vous avez été merveilleux !
— C’est moi tout craché, lui dis-je modestement. La devise de
l’Agence Cramer, c’est de prodiguer ses services et de jouer tous les
parcours de golf compris dans un rayon de cent cinquante kilomètres
autour de New York !
— Très drôle ! grogne Cramer. Eh bien, monsieur et madame
Baxter, je ne puis que vous dire combien je suis heureux…
Il en débagoule de la sorte pendant cinq minutes et si le téléphone
ne sonnait pas pour l’interrompre à ce moment, il serait remonté pour
une demi-heure supplémentaire.
Les Baxter profitent de l’occasion pour s’esquiver. Je m’installe
dans un fauteuil et allume une cigarette. Tom vient s’asseoir à mes
côtés.
— Le seul pépin que je vois dans toute cette affaire, me dit-il, c’est
que l’agence ne se fera pas d’autre fric que les cinq cents premiers
dollars versés par Mme Baxter.
— Je crois que nous nous en tirons un peu mieux que ça, dis-je. S’il
n’en était rien, j’en serais surpris, pour ne pas dire éberlué !
Cramer termine sa conversation et raccroche.
— Comme je vous le disais, monsieur et madame Baxter… (Il
parcourt le bureau d’un regard déçu.) Où sont-il allés ?
— De-ci, de-là, dis-je joyeusement. Au fin fond du pays des Peaux-
Rouges !
— Ah bon ! fait-il en secouant la tête. Tout est bien qui finit bien. Et
cette affaire a bien fini. Il s’est passé une chose ahurissante ce matin.
J’ai trouvé une lettre des plus flatteuses de Millhound dans le premier
courrier… et un chèque de deux mille dollars pour services rendus
était inclus. Qu’est-ce qui a bien pu le pousser à une chose pareille ?
Je lui adresse mon regard suffisant.
— Vous vous souvenez de la bande trafiquée que nous avons
concoctée en captant le téléphone de Hackett ?
— Bien sûr que je m’en souviens ! râle-t-il. Quel rapport avec
Millhound ?
— Vous vous souvenez que nous y avons fallacieusement introduit
son nom ? C’était la victime virtuelle du prétendu chantage de
Hackett ?
— Oui, mais…
— Je suis allé trouver Cyrus et lui ai passé cette bande en entier. Il
a été très impressionné. Je me suis gardé de lui dire que nous avions
fabriqué la bande. Je pense lui avoir donné l’impression que c’était
l’article authentique que nous avons découvert quand Hackett s’est
flanqué par la fenêtre et tout a été terminé.
Cramer me considère d’un regard pénétrant pendant une dizaine
de secondes.
— Il y a des fois, Max, dit-il avec émotion, où je suis tenté de
penser que vous feriez presque honneur à l’agence !
— La plupart du temps, c’est à moi que revient l’honneur de faire
crédit à l’agence ! je déclare du ton le plus catégorique. Mais j’imagine
qu’en ce qui concerne l’affaire Baxter, il y a probablement une prime
en perspective pour Tom et moi ?
Une expression de supplicié se peint sur les traits de Cramer.
— J’aimerais tant vous accorder une prime à tous deux, débite-t-il
avec précipitation. Mais vous savez ce que c’est… les frais généraux ne
cessent de dévorer les bénéfices !
Il fait un bond en avant, empoigne le sac de clubs de golf et se rue
vers la porte.
— Je viens de me rappeler un rendez-vous urgent ! halète-t-il par-
dessus son épaule. Mais n’allez pas croire que je n’apprécie pas le
travail que vous avez accompli dans cette affaire, les gars ! (Il reprend
haleine.) Et pour vous prouver combien je l’apprécie… pourquoi ne pas
prendre tous deux le restant de la journée ? En entier !
La porte se referme trop vite pour nous permettre de riposter, ce
qui n’est probablement pas plus mal.
— Je me sens défaillir, dit Farley avec émotion. Une telle
générosité… j’en suis brisé.
— En petits morceaux, j’acquiesce. Ne va pas dilapider ce cadeau
merveilleux au bar le plus proche.
— Loin de moi cette pensée ! s’écrie Tom. Je ne bougerai pas du
bureau de Cramer du restant de la journée, et je vais l’employer à
briser le mobilier à coups de tatane !
Je quitte mon fauteuil et retourne au bureau de la réception. Il y a
une chance, me dis-je, une faible chance pour que la journée libre dont
je dispose puisse vraiment en valoir la peine.
Du satin noir bien ajusté froufroute doucement derrière la
machine à écrire.
— Il se trouve, dis-je prudemment, que M. Cramer – bénis soient
son âme et son cœur généreux – me donne campo pour le restant de la
journée et…
— Non ! dit-elle fermement.
— Mais je…
— Non !
— Ben, je pensais…
— Non !
— Vous voulez dire… que vous ne voulez pas ?
— Il y a des fois, monsieur Royal, dit-elle avec douceur, où vous
auriez presque la comprenette facile !
Je vais au téléphone et compose un numéro.
— Je voudrais parler à l’imprésario de M. Latronche, dis-je. C’est
au sujet d’un duo… Non, je ne suis pas un chimpanzé…
FIN
Cet ouvrage
a été achevé d’imprimer
sur les presses de l’imprimerie Bussière
à Saint-Amand (Cher), le 20 novembre 1978.
Dépôt légal : 4e trimestre 1978.
N° d’édition : 24254.
Imprimé en France.
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