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1914-1917
(1) J'étais hanté par cette vision. Quelques mois plus tard, la tourmente
révolutionnaire ayant délié les langues, aboli les distances, j'allai frapper à la
porte de Nicolas Miehaïlovitch sans lui demander audience. Sur le fronton de son
palais, l'inscription qui, la veille, portait encore : o Hôpital militaire de Son Altesse
impériale Monseigneur le grand-duc Nicolas Miehaïlovitch », était réduite à celle-ci :
« Lazaret n° 21. » Un domestique sans livrée me dit : « Grand-duc » et ouvrit sans
cérémonie la porte d'acajou et de cuivre doré qui était celle du Conseil des Cinq-
Cents. Nicolas Miehaïlovitch avait la passion de tout ce qui touchait à la Révolution
française et à l'Empire. Lorsque j'entrai, il était assis à son bureau: «La révolution
ne m'effraye pas, moi, dit-il. Vivent les patriotes I Pourtant, je suis partisan d'un
régime d'autorité ; à dire vrai, je suis bonapartiste 1 « L'autorité vient d'en haut,
la confiance vient d'en bas », j'adopte la formule de Sieyès. Si c'est possible; je me
présenterai aux élections de la prochaine Assemblée constituante, et qui—vivra
verra 1 Vous ne pouvez pas me comprendre avec votre libéralisme attardé, vous
pleurez encore le duc d'Enghien.
— Comment, Monseigneur, pouvez-vous me reprocher des sentiments qui
ont honoré la cour de Russie ?
— Eh bien 1 moi, je vous déclare qu'il fallait un exemple, le duc d'Enghien
en fut la victime, mais Napoléon avait raison. »
Pendant qu'il parlait, je m'aperçus que les photographies de sa famille, dis-
posées sur sa table, étaient rangées dans un ordre inaccoutumé : Nicolas II, généra»
456 BEVUE DES DEUX MONDES.
CHARLES DE CHAMBRUN.
(A suivre.)