Vous êtes sur la page 1sur 15

LA FRONTIÈRE

ALG ÉRO-M AROCAINE

Des combats sérieux ont opposé voici quelques mois les troupes
du Royaume du Maroc et celles de la République Algérienne pour
la possession de puits voisins du tracé, actuellement peu précis,
de leur frontière commune.
Le 21 février, M. Ben Bella annonçait qu'un accord avait été
signé mettant fin à ce conflit. De son côté, M. Reda Guedira,
ministre marocain des Affaires étrangères, déclarait que cet accord
était « avant tout un point de départ pour la normalisation des
relations entre les deux pays », mais, ajoutait-il, « le problème de
la frontière reste entier ».
Dans ces conditions et en toute objectivité, il nous a paru
intéressant de publier les suggestions d'une personnalité qui con-
naît parfaitement ces régions et est un spécialiste en la matière.
LA REVUE.

LA GENÈSE DE CETTE FRONTIÈRE


Le tracé actuel de la frontière algéro-marocaine résulte d
ensemble d'événements historiques et principalement militai
dont les protagonistes avaient d'autres soucis que la recherc
d'une frontière modèle ; on ne sera donc. pas surpris qu'il appara
maintenant détestable ! (1)
Au surplus, ces événements se sont déroulés sur un siècle
demi, de sorte que la frontière incriminée a été bâtie par br

(1) Voir croquis ci-joint.


LA FRONTIÈRE ALGÉRO-MAROCAINE 407

et parfois « bâclée », si l'on peut dire, au fur et à mesure que les


agressions ou les empiétements des uns ou des autres s'étendaient
de proche en proche.
Un premier tronçon résulte du vieuxt raité de 1845 entre la
France et le Maroc, consécutif aux opérations de Bugeaud (victoire,
de l'Isly) et du Prince de Joinville (bombardements de Tanger,
et de Mogador).
Partant de l'anse de Saïdia, à l'ouest du petit port de Nemours
en Oranie, il borde sur une vingtaine de kilomètres, l'oued Kiss
(côtier), forme une verrue autour de la ville marocaine d'Oujda,
pitonne au Ras Asfour (1.500 m d'altitude, à 15 km S.-E. d'Oujda),
fait un saillant au marabout de Sidi Bou Beker, puis un rentrant à
celui de Sidi Aïssa, suivi d'une ligne droite sur quelques 35 km pour
atteindre le col du Teniet Sassi, à la traversée du djebel Abid, où
la frontière stoppa, officiellement du moins, jusqu'à la fin du siècle.
Au total, un tronçon de 150 km seulement, au-delà duquel
s'ouvre l'immensité des Hauts Plateaux couverts d'alfa, qui débor-
dent de l'Oranie sur le Maroc.
Toutefois le même traité de 1845 reconnaissait, sans préciser
aucune limite, l'autorité du sultan sur l'Oasis de Figuig, à 300 km
au sud du Teniet Sassi.
En fait, cette magnifique palmeraie, enchâssée dans un cirque
du djebel Grouz, prolongement de l'Atlas Algérien, formait avec sa
dizaine de Ksour une sorte de petite république, et jouissait d'une
grande indépendance ; cela se traduisait, comme partout, à cette
époque dans « l'Empire Fortuné », par le libre exercice du brigandage.
Il en résulta, un demi-siècle durant, pour le voisinage algéro-
marocain, un état d'insécurité permanent, qui nous contraignait
à allonger sans cesse, face à l'ouest, notre dispositif de protection
en créant tout un chapelet de postes ou de simples blockhaus, à
travers les Hauts Plateaux et même, conformément à notre « droit
de suite » stipulé par le traité de 1845, à lancer des coups de bou-
toir en territoire marocain : telle fut en 1857 l'expédition du Général
de Martimprey dans le massif des Beni Snassen au nord d'Oujda,
(occupé 50 ans plus tard par le Général Lyautey au début de la
conquête marocaine) et en 1870 dans l'extrême-sud la colonne du
Général de Wimpfen dans le Haut-Guir (où il fallut également
finir par s'implanter en 1908).
En 1870 encore, la grande révolte des Oulad Sidi Cheikh, à
l'instigation de notre vieil ennemi marocain Bou Amama, nous obligea
408 LA FRONTIÈRE ALGÉRO-MAROCAINE

Sahara Occidental
LA FRONTIÈRE ALGÉROM AROC AINE 409

à étendre toujours plus l'occupation du Sud-Oranais, jusqu'à


atteindre vers 1880 le seuil d'Aïn Sefra, s'ouvrant sur la région
saharienne, entre les monts de Figuig et les monts des Ksour, autre
maillon de l'Atlas algérien ; d'où la création de nouveaux postes,
en couverture à l'ouest et au sud-ouest d'Aïn Sefra.
C'est ainsi que se constitua peu à peu, sur quelque 300 km,
entre le Teniet-Sassi et Figuig, un deuxième tronçon (virtuel) de la
frontière algéro-marocaine : encore plus mal « ficelé » que le précé-
dent, il passait théoriquement à faible distance de nos postes
avancés, dont Mengoub, Forthassa, Ich, Djenien Bou Rezg, et
venait contourner au plus près par l'est et par le sud l'oasis de
Figuig (90 km S.-O. d'Aïn Sefra).
La frontière stoppait là derechef devant le poste extrême du
Beni Ounif, dans une petite palmeraie détachée de la grande oasis
et à portée de canon, qui devint pour plusieurs années le terminus
du « tortillard » poussé progressivement au-delà d'Aïn Sefra, par
Djenien Bou Rezg et Duveyrier.
Cette situation dura tant bien que mal jusqu'au début de notre
siècle, non sans de fréquentes alertes pour les occupants de tant
de postes déshérités.

A la même époque, les événements se précipitèrent sur d'autres


points, dans la pénétration française des régions sahariennes.
Très timorée jusqu'en 1900, avec deux antennes précaires à
El Goléa et Ouargla, elle marqua un bond important pár la pro-
gression d'une mission scientifique jusqu'à In Salah (420 km sud
d'El Goléa), celle du professeur Flamand, avec une solide escorte
aux ordres du capitaine Pein : In Salah, capitale du Tidikelt, au
seuil du pays Targui, plaque tournante entre la direction du Hoggar
d'une part, et celle du Touat d'autre part.
L'occupation toute fortuite de cette oasis, nécessitée par l'at-
taque de la mission, eût été fort compromise en raison des réti-
cences du gouvernement français de l'époque, sans la nomination
au commandement supérieur des territoires du Sud-Algérien, en
1901, du lieutenant-colonel Laperrine, qui décida de la maintenir
contre vents et marées.

Bien plus, grâce à la création avec les seules ressources/ locales


de ses admirables compagnies méharistes, Laperrine étendit de
proche en proche la pacification du désert:
Il commença par l'occupation du Tidikelt en entier, suivie de
410 LA FRONTIÈRE ALGERO-MAROCAINE

celle du Touat, plus à l'ouest (350 km d'In Salah à Adrar), p


retournant vers le Nord, celle de la Saoura (590 km d'Adrar à
Abbès), non sans de durs combats livrés aux Berberes au cours
années 1901-1902.
De là, il ne restait plus qu'à tendre la main aux camarades du
Sud-Oranais : en effet 250 kilomètres seulement séparent Beni Ounif
de Beni Abbès par le sillon de l'oued Zousfana, qui sort de l'oasis
de Figuig et se joint au Guir au ksar d'Igli pour former l'oued Saoura.
C'est pour réaliser cette liaison que le cercle de la Saoura créa
le poste d'Igli à 70 km nord de Beni Abbès et que le territoire d' Aïn
Sefra lança une antenne beaucoup plus audacieuse en occupant la pal-
meraie de Taghit, dans la Zousfana, à 156 km S.-O. de Beni Ounif.
Ainsi se trouva fermée dans le Sahara Occidental une im-
mense boucle d'In Salah à Beni Ounif, englobant la totalité du
grand erg Occidental (500 km de longueur sur 200 km en moyenne
de largeur), bordé au sud par la coulée du Gourara, qui relie trans-
versalement El Goléa à la Saoura.
Il n'en fallut pas moins procéder au nettoyage du Gourara avec
une forte colonne et à l'occupation de son centre Timimoun, dont
le poste fut encore l'objet d'une attaque mémorable.
Ces événements devaient être rappelés pour leur répercussion
immédiate sur la situation dans les confins algéro-marocains.
La nécessité s'imposa en effet d'utiliser désormais la liaison
Beni Ounif-Beni Abbès comme voie de ravitaillement de la Saoura
et du Touat, raccourcie de la sorte dans des proportions énormes,
sans compter les facilités données par la voie ferrée, si modeste
fût-elle, reliant Beni Ounif à Oran.
Nous allions toutefois y trouver de nouvelles difficultés. Les
Berbères du Sud-Marocain n'avaient pas manqué de réagir en
multipliant leurs aggressions, harcèlements des postes, attaques des
convois militaires et des caravanes indigènes; le ravitaillement de
Taghit, notamment, devint une opération de guerre, exigeant une
grosse escorte et suscitant parfois des combats sanglants.
Il fallut faire face, non à de simples « rezzou », mais à de véri-
tables « harka », levées avec la complicité des autorités marocaines
du Tafilalet.
Le Gouverneur Général de l'Algérie en personne, M. Jonnart,
faillit être enlevé, au printemps de 1903, dans une embuscade au
col de Zenaga, entre Beni Ounif et Figuig, aux abords mêmes de la
palmeraie.
LA FRONTIÈRE ALGÉRO-MAROCAINE 411

L'anarchie au Maroc, l'insécurité dans les confins algéro-m


cains allaient en croissant.
La situation s'aggravait encore du fait que le Gouvernement
français, renonçant même au « droit de suite », venait d'interdire
formellement toute pénétration en territoire marocain, dont les
limites au-delà d'Ounif étaient... inexistantes, puisque la frontière
officielle stoppait entre Ounif et Figuig.
Toutefois, en raison des communications avec Taghit et la
Saoura, on la fixait arbitrairement en haut lieu à la crête du djebel
Béchar, un chaînon d'une centaine de kilomètres de long qui sur-
plombe à courte distanoe la vallée de la Zousfana, le chemin même
de Taghit ; choix bien maladroit, qui obligeait la seule ligne de
ravitaillement possible à longer une crête dont le franchissement
était prohibé ! C'était donner à l'adversaire le maximum de chances,
avec le minimum de risques.

Les choses allaient heureusement changer avec l'arrivée à


Aïn Sefra, au cours de la même année 1903, du colonel Lyautey,
appelé au commandement du territoire, et aussitôt promu
« brigadier ».
Lyautey commence par remanier le dispositif de couverture
en remplaçant la poussière des petits postes, réduits à la stricte
défensive, par quelques grandes redoutes avec des garnisons
capables d'en sortir pour donner la chasse aux dissidents.
Il s'avise en même temps de « se donner de l'air » en avant de
Beni Ounif et d'assurer une meilleure protection à ses communi-
cations avec Taghit et la Saoura.
Pour cela il faut étendre largement l'occupation du terrain
au-delà du djebel Béchar en faisant un bon de 110 km à partir
d'Ounif pour prendre possession d'un important carrefour et foyer
de dissidence qui s'appelle malencontreusement la palmeraie de...
Béchar, un nom qu'on n'osait pas prononcer !
Il s'agit donc de passer outre à l'interdiction du gouvernement.
Ce n'est pas pour couper les ailes à un Lyautey, mais, en fin diplo-
mate, il sait très bien qu'il est essentiel de ne pas lui faire perdre
la face vis-à-vis du pays.
Il use alors d'une joyeuse astuce, que favorisera pour une fois
l'ignorance de nos dirigeants en cartographie, et s'en va - sans
coup férir - - planter à la lisière de l'oasis de Béchar un solide poste
baptisé « Colomb », du nom d'un vaillant officier tué dans ces
412 LA FRONTIÈRE ALGÉRO-M AROCAINE

parages plusieurs années auparavant, au cours d'une péri


reconnaissance.
Cela permit au Gouverneur général Jonnart, qui lui accorde
toute sa confiance, de déclarer au gouvernement, en rendant
compte de cette progression, que nous étions à Colomb et non pas à
Béchar. Ce n'est que plus tard, après qu'on se fût incliné à Paris
devant le fait accompli, que le nouveau poste porta l'étiquette de
Colomb-Béchar, par un curieux assemblage de mots assez disparates.
Béchar occupé, il fallait bien instaurer un autre bout de fron-
tière - virtuellement tout au moins - entre l'Algérie et le Maroc.
On adopta, faute de mieux, la crête du djebel Grouz, qui, sur une
soixantaine de kilomètres d'est en ouest à partir de Figuig, longe
au nord la coulée naturelle conduisant d'Ounif à Béchar, avec un
étranglement à Ben Zireg entre le djebel Béchar et le djebel Antar,
un chaînon détaché du Grouz ; après quoi le nouveau tracé se
poursuivait par une ligne artificielle, encerclant l'oasis de Béchar
à des distances variant de 40 à 50 km et jalonnée par quelques
bordjs dont Talzaza au nord, Saf-Saf au N.-O., Meridja à l'Ouest.
Entre ces deux derniers, il enjambait l'oued Guir, qui s'en va
plonger, lui aussi, dans la Saoura.
Au-delà de Méridja, poste en avant des terrains miniers de
Kenadza (24 km 0. de Béchar) où le charbon affleure le sol, la
ligne de couverture allait se perdre dans la hammada. C'est en ces
parages désolés, soit dit en passant, qu'on devait beaucoup plus
tard installer la base dite Hammaguir, pour l'expérimentation des
« obus spéciaux » et des fusées.
Ainsi fut constitué, en 1903-1904, un troisième tronçon de la
frontière algéro-marocaine, dont le terminus mal défini n'allait
pas bouger pendant... vingt-cinq ans !

L'occupation de Béchar marque un fait très important dans


l'histoire des confins algéro-marocains : ce n'était pas seulement
un bouchon placé sur la route du Tafilalet, grand pourvoyeur de
bandits, mais aussi une antenne amorçant l'encerclement du Maroc
par le sud, avant qu'on ne fût amené, cinq ans plus tard, à en entre-
prendre la conquête pas à pas.
On y installa aussitôt, avec une forte garnison, le commande-
ment d'un cercle et l'on y poussa dare-dare depuis Ounif le tortil-
lard, protégé par des blockhaus et un solide poste à mi-distance,
dans la passe de Ben Zireg.
LA FRONTIÈRE ALGÉRO-MAROCAINE 413

La vie devint alors très dure pour les entrepreneurs de p


terie à travers le djebel Béchar, en direction de la Zousfana
coups durs néanmoins marquèrent encore l'année 1904 : le sièg
Taghit par une véritable harka et l'attaque d'un convo
Moungar, qui donna lieu à un combat sanglant.
Mais bientôt les agressions d'une certaine envergure cessè
pour se réduire à des rezzou (faibles bandes) ou à des djouch (qu
piétons).
En même temps la liaison avec Taghit, établie par la hammada
de Béchar, entre Guir et Zousfana, se trouva singulièrement rac-
courcie (114 km au lieu de 156 à partir d'Ounif) si bien que Colomb-
Béchard deviendra par la suite la tête des ravitaillements de la
Saoura et du Touat ; ces deux territoires seront même bientôt
rattachés au commandement d'Aïn Sefra.

Par ailleurs, dans le nord des confins, le général Lyautey réitéra


avec la même audace, mais plus de difficultés « le coup de Béchar »
en prenant sur lui d'implanter un détachement baptisé modeste-
ment « groupe d'observation » à Ras-el-Aïn des Beni Matar, lieu
dit Berguent, à 75 km sud d'Oujda et 30 km en avant de la fron-
tière déjà tracée, soit en plein territoire marocain, et seul point
d'eau utilisable dans la région. Motif : la protection solennellement
promise par le Général aux tribus Hamyan ralliées, situées à cheval
sur la frontière, contre les agressions provoquées par notre tenace
adversaire Bou Amama, avec la complicité du Rogui, un aventurier
prétendant au trône du sultan et insurgé contre lui. Cette fois la
chose faillit tourner très mal, bien que l'opération eût réussi, sans
la moindre anicroche : alerté plusieurs semaines après par une
campagne de presse, qui provoqua de la part du sultan une demande
d'explications à Paris, le Président du Conseil de l'époque,
M. Combes, fit donner à Lyautey par son ministre de la guerre,
le Général André, l'ordre formel d'évacuer Berguent.
Soutenu une fois de plus par le Gouverneur Général Jonnart,
Lyautey répliqua par des arguments péremptoires sur les dangers
d'une telle évacuation, accompagnés d'une demande tendant à sa
mise en disponibilité pour le cas où son point de vue ne serait pas
admis ; reqqête transmise par M. Jonnart, avec l'offre simultanée
de sa propre démission.
Et le Gouvernement céda, après qu'une nouvelle astuce eût
été suggérée : l'adjonction à notre groupe d'observation d'un
414 LA FRONTIÈRE ALGÈRO-MAROCA1NE

contingent de troupes du Maghzen, pour coopérer à une mesur


protection contre les agissements d'un ennemi de sa ma
chérifienne.
Le Général Lyautey avait ainsi démontré que la qualité primo
diale à ses yeux, des frontières qu'il avait à défendre était... l'élast
Mais surtout il continua d'appliquer une méthode qui lui a
si bien réussi au Tonkin et à Madagascar et qu'il devait pours
avec bonheur, quelques années après, quand il eut à conq
le Maroc tout entier, cette politique « de la tache d'huile », évit
le plus possible le recours aux armes, soucieuse avant tout « d'a
voiser » les populations indigènes en ouvrant à l'abri des postes
marchés, des écoles, des dispensaires.
Ce fut une pleine réussite ; l'ordre et la sécurité s'étendi
jusqu'aux lisières des avant-postes, qui n'avaient plus, de lo
loin, qu'à réprimer des actes de brigandage sans portée et i
tables tant que le Maroc ne serait pas totalement occupé.
Promu en 1906 au commandement de la Division d'Oran, L
tey gardait l'œil fixé sur ces confins que l'avenir lui réser
d'étendre toujours plus, sans qu'il fût besoin désormais de rema
ou d'allonger une frontière devenue sans importance.

Il n'entre pas dans notre propos de nous étendre sur la conqu


du Maroc qui s'étale sur une période de vingt-sept années.
Notons simplement que sur la frontière algéro-maroc
elle débuta en 1907 par l'occupation d'Oujda et, l'année suiv
par celle de Bou Denib, dans le Haut Guir, à 150 km oue
Colomb-Béchar ; nouvelle étape de la poussée visant à l'ence
ment du Maroc par le Sud, en direction générale du Tafilale
ne sera complètement occupé qu'au début de 1932.
Parallèlement à cette progression pas à pas, mais sans lia
avec elle, à cause de l'énormité des distances, en régions t
ment désertiques, et devant un adversaire réduit à ne form
des rezzous, nos contingents sahariens de Béchar, de la Saou
du Touat poussent toujours plus loin à l'Ouest leurs reconnaissa
de simples raids dont l'ampleur et l'efficacité seront singulière
accrues, au cours des années 1926-1930, grâce aux progrès ré
dans l'adaptation des véhicules automobiles au Sahara.
La tactique saharienne est en effet des plus sommaires
consiste à empêcher l'adversaire de boire, lui et ses chameau
sa présence se révélant en général après un mauvais coup, il
LA FRONTIÈRE ÀLGÉRO-MAROCAINE 415

de lui couper la route du retour en l'atteignant, ou mieux e


devançant à quelque point d'eau dont il ne peut se détour
tâche grandement facilitée par l'automobile, alors que le méhari
rattrape difficilement un adversaire disposant d'une cer
avance et aussi bien monté que lui.
C'est ainsi qu'au cours de l'année 1928, le lieutenant-colon
Trinquet, commandant le Cercle de Béchar, avec quelques voit
de liaison et autos-mitrailleuses sahariennes, réussit dans un
de 300 km à partir de Beni Abbès à atteindre l'oasis de Tabel
en contournant la corne nord de l'erg Er Raoui ; puis, pous
plus loin, il embouque toute la Ugne des puits qui jalonnent
bordure sud de l'immense plateau du Draa : Oglat Berab
Hassi Chaamba, Tinfouchi, etc..., itinéraire de prédilection
pirates en provenance du Rio de Oro, et aboutit, après
deuxième bond de 600 km, à l'oasis de Tindouf, important p
d'eau et gîte d'étape des caravanes se rendant du Maroc en M
tanie et au Sénégal, situé à moins de 100 km de la zone espag
et à peu près sur le même méridien que... Marrakech !
Incontestablement on se trouvait là au cœur du Sahara Maro-
cain, alors que nos troupes bataillaient encore dans le Moyen-Atlas
et que Bou Denib restait toujours tributaire de Béchar.
Il ne fut donc pas possible au commandant du cercle de Béchar,
avec ses faibles moyens, de s'installer à poste fixe à Tindouf ;
bien qu'on utilisât pour le retour un itinéraire plus direct par Oglat
Beraber, Abadia et Kenadsa, Tindouf n'en restait pas moins à
960 km de Colomb-Béchar I
C'est seulement six ans plus tard, en mars 1934, que les troupes
venant du Nord, après le nettoyage de 1' Anti- Atlas, atteindront à
leur tour Tindouf avec un groupement motorisé aux ordres du
même colonel Trinquet ; cette date marquait aussi le terme de
la pacification marocaine.
On profita même de la circonstance, en poussant ce groupe-
ment à 450 km au sud de Tindouf, pour effectuer une liaison avec
un détachement de méharistes mauritaniens. Ainsi fut ouverte
normalement à l'automobile la grande voie d'accès du Maroc à
la Mauritanie et au Sénégal, précédemment accessible aux seules
caravanes chamelières.
Du même coup Tindouf se trouva directement relié à la côte
Atlantique, au port marocain d'Agadir, sur quelques 480 km,
par Foum El Hassan et Tiznit.
416 LA FRONTIÈRE ALGÉRO-MAROCAINE

La jonction avec le Protectorat ainsi établie, la question


posa de prolonger la frontière algéro-marocaine, restée en suspe
depuis l'occupation de Béchar dans la hammada du Guir, de
nière à distinguer pour le moins les zones d'action des divers com
mandements militaires intéressés.
Or l'Algérie, arrivée bonne première à Tindouf, n'entendait
pas s'en dessaisir, non plus que de la ligne des points d'eau qui lui
avait permis d'y accéder.
On s'en tint alors à une solution simpliste : une seule ét immense
ligne droite coupant le Haut Plateau du Draa dans toute sa lon-
gueur et prolongée à l'ouest jusqu'à rencontrer le méridien servant
théoriquement de limite au Rio- de Oro, de même qu'à l'est jusqu'à
la hammada du Guir, où elle se raccordait tant bien que mal avec
le tronçon déjà adopté.
Elle laissait ainsi au Maroc le bassin de l'oued Draa, dont le
cours inférieur sert toutefois de limite septentrionale au territoire
espagnol, et coupait par le travers, un peu au Nord d'Hassi
Chaamba, le grand sillon de la Daoura, issu du Tafilalet, dont le
territoire restait aussi en entier au Maroc.
Ainsi fut constitué le quatrième et dernier tronçon de la frontière
algéro-marocaine, quelque quatre-vingt dix ans après le premier :
une gestation plutôt pénible I
Comme d'autre part la limite administrative entre les territoires
du Sud- Algérien et le Soudan français, également figurée par une
simple ligne droite, venait aussi buter non loin de Tindouf contre la
même frontière espagnole, on avait créé de la sorte au profit de
l'Algérie un saillant aigu d'environ 800 km, qui coupait au Maroc
la route de la Mauritanie et du Sénégal.
Les conséquences n'étaient pas graves tant que la France
demeurait de part et d'autre de ces frontières qui ne comptaient
pas pour elle ; la situation allait devenir intolérable quand de
jeunes Etats allaient se trouver nez à nez en présence de ces
hérésies géographiques.

PROCÈS DE L'ACTUELLE FRONTIÈRE


ALGÉRO-MAROCAINE
Ayant suivi au fil des événements la longue élaboration de la
frontière algéro-marocaine, on est en mesure maintenant d'en
percevoir tous les défauts ; les récents changements politiques ne
LA FRONTIÈRE ALGÉRO-MAROCAINE 417

sont pas faits pour les pallier et la nécessité éclate de procéder à


refonte presque totale de son tracé, si l'on veut éviter des confl
incessants entre les deux pays.
Toutefois il ne paraît guère possible de remettre en caus
vieux traité de 1845 en modifiant le tronçon depuis la Méditerr
jusqu'au Teniet Sassi, bien qu'il ait été accepté un peu à la lé
par les négociateurs français : l'oued Kiss ne constitue pas
bonne frontière ; celle-ci, dès l'origine, aurait dû englober, du c
algérien, la région d'Oujda et le massif des Beni Snassen, et s
plus bas la bordure occidentale des Hauts Plateaux, qui vien
tomber sur le bassin de la Moulouya.
Mais avec le temps il s'est établi dans ces parages ime cert
stabilité politique dont il y a lieu de se contenter ; la questio
se pose pas de ohanger de propriétaire dans l'Amalat d'Oujda.
Pour la même raison on peut encore admettre, au-delà du Ten
Sassi le tracé actuel jusqu'à la pointe marquée par l'ancien p
français à Ich (50 km O.-S.-O. d'Aïn Sefra).
C'est à partir de là que tout devrait changer.

Le tracé actuel, en effet, enserre de trop près l'oasis de Figui


Beni Ounif n'est qu'une petite palmeraie également maroca
cultivée de tous temps par les « harratines » des seigneurs de Fi
et l'on a vu qu'au-delà la frontière s'est constamment enfon
en territoire marocain, jusqu'à Béchar d'abord, jusqu'à Tind
ensuite, presque partout artificielle et aucunement matéria
sur le terrain.
Ce tracé, imposé au commandement français par les nécessités de
la pacification marocaine, ne se justifie plus, à aucun point de vue.
Gèo graphiquement, il coupe par le travers l'ensemble des bassins
hydrographiques formés par les eaux descendant du Haut-Atlas
macocain pour aller se perdre au cœur du Sahara, vers l'immense
dépression du Tanezrouft : c'est d'abord tout l'éventail des oueds
qui convergent vers la Sacura, soit la Zousfana, l'oued Béchar et
le Guir, puis la vallée de la Daoura, prolongement de l'oued Zis,
grand collecteur des eaux qui alimentent le Tafilalet.
Chacun de ces bassins forme une région naturelle secondaire,
avec son unité ethnique, politique et surtout économique.
Au point de vue ethnique , les autochtones, encore que plus ou
moins métissés, sont des Berabers, frères de race des Chleuh, qui
peuplent l'Atlas marocain.
LA EXTUI H* 7 4
418 LA FRONTIÈRE ALGÉRO-MAROCAINE

Sur le plan politique, qui dérive lui-même de l'Histoire, après


l'anarchie et le brigandage jugulés par l'occupation française
l'autorité ne peut revenir dans ces parages qu'au sultan du Maro
par l'intermédiaire de son représentant au Tafilalet, berceau de
propre dynastie et de temps immémoriaux fief au moins nòmin
de sa majesté chérifienne.
Certains sultans même y ont exercé une domination effective
tel à l'époque de notre Roi Soleil, le fameux Moulay Ismail, dont
l'emprise s'étendit jusqu'au Touat.
Sur le plan économique , la frontière actuelle découpe à tort
les grands courants chameliers et itinéraires accessibles à l'automo-
bile, reliant le Maroc aux pays noirs ¿ travers le Sahara, savoir
- d'ime part, les communications du Tafilalet, de Béchar et
de Figuig avec les riverains du Niger par la Saoura et le Touat.
- d'autre part la liaison du Maroc Occidental avec la Mauri-
tanie et le Sénégal par Tindouf.
Toutes ces voies sont, présentement, à la merci du bon vouloi
de la République algérienne, dont le moins qu'on puisse dire c'es
qu'elle n'inspire qu'une confiance mitigée.
Au total donc, sur un millier de kilomètres - à vol d'oiseau -
de Figuig à Tindouf, une frontière entièrement défavorable a
Maroc, sauf... sur le plan militaire où, ainsi qu'on va le voir, la
situation peut se retourner complètement ¿ son avantage, en ca
de conflit armé, comme il vient précisément d'en surgir à propo
du malencontreux saillant de Tindouf.
Ce n'est évidemment pas là une raison suffisante pour se conten-
ter d'une frontière défectueuse à tous autres égards I

L'expérience a prouvé à longueur de siècles que partout où


une frontière ne s'accroche pas à de sérieux accidents de terrain, elle
est dénuée de valeur militaire, tant pour l'attaque que pour la défense.
L'aviation, il est vrai, tend maintenant à diminuer l'impor-
tance du terrain et se joue des frontières - en cas d'hostilités du
moins, encore que les hommes, en temps de paix, aient la nouvelle
prétention de découper l'atmosphère jusqu'à créer « des couloirs
aériens » 1
Il n'en reste pas moins que le combat en terrain découvert
entraîne toujours des pertes plus sévères et seule une écrasante
supériorité des moyens y peut déterminer la victoire.
Or dans le cas présent, la frontière entre Béchar et Tindouf a
LA FRONTIÈRE ALOÉ RO-MAROG AINE 419

presque partout ce caractère artificiel que la carte dénonce par une


immense ligne droite ; elle est donc particulièrement vulnérable
et ne peut qu'entraîner des heurts sanglants, comme l'on prouvé,
dès le début du conflit récent, les rencontres d'Hassi Belda et de
Timjouk, motivées par l'enjeu de misérables puits, dont nul ne
sait au juste à qui ils appartiennent car ils avoisinent cette fameuse
ligne droite qui n'est pas matérialisée sur le terrain.
On trouve plus grave encore si l'on sort du domaine tactique
pour s'élever jusqu'à la stratégie : la frontière en cause est propre-
ment indéfendable du côté algérien, pour cette simple raison
qu'elle est longée de bout en bout et à courte distance par l'unique
voie de communication et de ravitaillement dont puissent dis-
poser ses défenseurs ; or la nature n'en offre aucune autre sur le
terrain. Les Algériens n'auraient alors d'autre ressource que d'utiliser
la voie aérienne avec une profusion de moyens... qui leur font
actuellement défaut.
Dans ces conditions les Marocains ont la partie belle pour couper
purement et simplement les vivres à leurs adversaires ; il leur
suffirait d'agir sur tel ou tel point, choisi à leur convenance sur un
front immense et inconsistant, ou tout bonnement à la racine même
de ces communications précaires, dans la zone qui s'étend de
Figuig à Aïn Sefra.
Et même, en certains cas, la seule interdiction de points d'eau
judicieusement choisis suffirait à contraindre des détachements
aventurés à la retraite si ce n'est à la reddition en rase campagne.

Ces observations suffisent à révéler l'inconscience avec laquelle


la jeune République Algérienne a pu s'exposer à pareille aventure,
et il n'est pas besoin d'être grand stratège pour comprendre que
selon toutes probabilités la partie est d'avance perdue pour elle,
d'autant plus qu'elle paraît loin de détenir la supériorité en moyens
de toutes sortes.
Elle a trop facilement accepté dans son intégralité l'héritage
qui lui était offert ; elle s'est laissée aveugler par l'orgueilleuse
satisfaction de se voir octroyer un territoire immense, tout déser-
tique qu'il soit, sans discerner les épines dont il était farci, sans
réaliser toutes les charges qu'elle allait assumer en pure perte.
Quant au Maroc, il est manifeste que la situation de sa frontière
sud n'est pas tolérable, pour les raisons politiques, historiques et
économiques déjà exposées.
420 LA FRONTIÈRE ALGÉRO-MAROCAINE

Avant tout, il ne peut admettre l'éventualité de verrous


sur ses communications mauritaniennes ou soudanaises, no
que de se voir frustré des ressources en minerais ferreux
détectés dans la région de Tïndouf et encore moins des mines d
bon en pleine exploitation à Kenadza, à 24 km de Colomb-B
S'il n'avait pas jusqu'ici provoqué la révision de cette fron
après avoir accédé, bien avant l'Algérie, à son indépend
c'est que les moyens lui manquaient pour s'en prendre à la Fra
il avait trop à faire pour s'organiser et se constituer une
armée respectable ; il l'eût assurément tenté par la suite, t
moins par la négociation, si la France s'était maintenue en Afr
du Nord.

Les choses n'ont pas traîné quand il n'a plus trouvé de l'autre
côté de la barricade qu'un voisin de moindre taille, qui, tout frère
de race qu'il soit, ne semble pas en mesure de le surclasser.

CONCLUSION

On ne peut préjuger ce qui sortira des tractations en cours ;


elles seront sans doute longues et délicates. Souhaitons surtout
qu'elles aboutissent à un règlement judicieux de la question prise
dans son ensemble et non à une solution bâtarde, portant sur des
détails de médiocre importance et conservant par suite les germes
d'autres conflits pour l'avenir.
Sans nourrir beaucoup d'illusions sur le poids de la raison, voire
du simple bon sens, dans toutes les circonstances où se heurtent
les intérêts des hommes, il n'est jamais superflu d'essayer de leur
frayer le chemin. C'est dans cet esprit que nous avons indiqué sur
le croquis à l'appui de ces pages, un tracé hypothétique remaniant
toute la frontière algéro-marocaine, à partir du saillant d' Ich
(laissé au Maroc), avec le seul souci d'une objectivité basée sur les
arguments de tous ordres ci-dessus exposés.
Nous gardons ainsi l'espoir de servir tant soit peu la cause
de la paix, non seulement dans cette Afrique du Nord qui fut si
longtemps nôtre, mais encore sur bien des points du continent noir
où, si l'on n'y prend garde, des menaces identiques peuvent surgir
dès demain, si ce n'est dès aujourd'hui comme en témoigne une
autre bagarre, survenue plus récemment encore entre l'Ethiopie
et la Somalie.
J. MIDOUZE.

Vous aimerez peut-être aussi