Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Molière et moi
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
Dernières parutions
Jean-Vincent Brisa
Molière et moi
Texte écrit, mis en scène et interprété
par Jean-Vincent Brisa
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
À ma mère
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-336-00709-0
EAN : 9782336007090
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
– Molière et moi – 7
Moi : Mais c’était pas prévu que tu sois là. Et puis j’avais dit « je ne
parlerai pas de sa vie ».
Moi : Mais je le sais qu’on n’a raconté que des choses absurdes sur
ton compte. Mais moi ce n’est pas ta vie qui m’intéresse. Ce que je
voudrais c’est parler de ce que tu as amené au théâtre, de tes œuvres,
de tes comédies…
Henriette : Comment ?
Armande :
Mon Dieu, que votre esprit est d’un étage bas !
Que vous jouez au monde un petit personnage,
De vous claquemurer aux choses du ménage,
Et de n’entrevoir point de plaisirs plus touchants
Qu’une idole d’époux et des marmots d’enfants !
Laissez aux gens grossiers, aux personnes vulgaires,
Les bas amusements de ces sortes d’affaires ;
À de plus hauts objets élevez vos désirs,
Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs,
Et traitant de mépris les sens et la matière,
À l’esprit comme nous donnez-vous tout entière.
[…] »
Et tu sais comment j’ai fait mes débuts au théâtre ? Eh bien sur les
tréteaux de Bary, sur le Pont-Neuf. Je vendais l’orviétan, cette potion
miracle qui guérissait toutes les maladies. Je faisais « le mangeur
de vipères » et ensuite je prenais l’antidote pour prouver aux gens
l’efficacité du produit. Bien sûr, tout ça était truqué. L’essentiel était
de vendre l’orviétan. Dans L’Amour médecin, j’ai placé cette petite
chanson pour le souvenir :
(Il chante)
L’or de tous les climats qu’entoure l’Océan
Peut-il jamais payer ce secret d’importance ?
Mon remède guérit, par sa rare excellence,
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
12 – Molière et moi –
C’est ce que peu de gens ont compris. Ils ont cru que je m’étais
identifié à Arnolphe, Alceste, etc., comme une sorte de thérapie…
Mais c’est faux. Je sais que je leur ressemble et que j’ai les mêmes
défauts qu’eux. Mais la différence c’est que j’ai su faire rire de tous
ces défauts. Tu sais, au théâtre, si on n’a pas connu l’amour, c’est très
difficile de jouer les amoureux. Et si on n’a pas connu tous les défauts
des hommes, il est très difficile aussi de les jouer. Mais en jouant, je
les condamne. Ce qui est très loin de moi c’est l’hypocrisie. Voilà
quel a été mon principal ennemi et le thème majeur de toutes mes
œuvres. C’est ce que j’ai fait dire à Dom Juan à la fin de la pièce :
Mais je t’en prie, reviens à mes débuts, si tu les connais, sinon il sera
difficile de comprendre mon œuvre.
chrétien ne devait pas rire sous peine de sombrer dans le vice qui
conduit tout droit dans les flammes de Satan. Alors on allait jusqu’à
interdire, censurer toutes les pièces qui pervertissaient le bon peuple
dans la voie infernale du rire. Et l’on condamnait tous ceux qui
étaient les instigateurs de cette perversité ! Tu n’as pas eu de chance
parce que nous, on aime bien rigoler. Tu imagines si on mettait tous
nos comiques en prison, condamnés pour crime de lèse-majesté du
rire ! En effet c’est ridicule ! Ah, ah, ah… !
Molière : (regarde Moi) Ah, ah, ah… ! Oui c’est ridicule, mais moi
j’ai vécu autre chose. Dans mon siècle, la religion interdisait toute
forme de comédie sous prétexte que « Jésus-Christ n’a jamais ri sur
sa croix ». Mais n’a-t-il jamais ri dans sa vie ? Qu’est-ce qu’ils en
savent ? Puisqu’il s’est fait homme, il a dû rire et pleurer comme
tous les humains. On n’a qu’une vie, on a bien le temps pour
pleurer, alors rions, rions tant qu’on le peut, car c’est la preuve que
nous sommes vivants et en bonne santé. Les pleurs nous rappellent
que nous ne sommes que d’humbles mortels qui vivons dans la
souffrance. Mais le rire, ah ! le rire ! nous ramène au niveau des
Dieux et de l’immortalité, car il nous fait oublier la mort.
(Ici Molière commence à rire pour provoquer Moi, et Moi éclate de rire)
Quelle horreur ! Je me suis battu toute ma vie pour que l’acteur soit
en harmonie avec la nature. Pour qu’un personnage soit vrai, il faut le
puiser en soi-même. Il faut parler comme tu parles dans la vie et surtout
bien se poser et gesticuler le moins possible. Voilà ce qui me valut les
foudres de tous ces tragédiens qui ne savaient jouer qu’en grimaçant
et qui considéraient que je récitais plutôt que de jouer. Non, tu vas
reprendre le texte, et tu vas imaginer que tu te confies à quelqu’un. Je
ne sais pas moi, tiens, par exemple… à ton psychanalyste.
trouve belles. […] Si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas et
que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudrait de nécessité
que les règles eussent été mal faites. Moquons-nous donc de cette chicane
[…] Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par
les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher
d’avoir du plaisir. »
Tu n’es pas d’accord avec ça ? Alors, s’il te plaît, ne suis pas les règles,
dérange et tu seras reconnu.
Molière : Non.
Moi : Non ?
Molière : Non !
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
20 – Molière et moi –
Molière : Tu peux arrêter tes bêtises ! J’ai envie de dire : c’est mon
secret, et en même temps c’est tellement sans importance. Quand
on veut changer d’identité, l’idée n’est pas dans le nom qu’on se
trouve, mais dans le changement d’identité. Devant le différend qui
m’opposait à mon père, j’ai voulu changer de nom pour le protéger
lui et pour imposer ma personnalité dans la voie que j’avais choisie. Et
puis tu imagines si j’avais gardé Pocquelin, qui vient de « Pocque » qui
veut dire « vérolé », ou « ça poque » ! Le Misanthrope de Pocquelin…
La pièce était vouée à l’échec rien que par le nom de l’auteur. Alors
que « de Molière » sonnait très bien. Et puis il faut arrêter de chercher !
Molière est l’identité de mon œuvre et de ma passion !
Molière : Oui, je serai relâché sous caution, mais le cœur n’y était
plus. C’est là que l’idée du départ germe dans ma tête et dans celle de
Madeleine, comme une fuite ou une façon de se refaire une nouvelle
vie ou de recommencer un nouveau rêve. À la fin de l’année 1645,
en plein hiver, nous chargeons notre convoi de fortune de tous nos
bagages, des costumes et des décors qui n’avaient pas été saisis par la
justice, et l’Illustre Théâtre quitte Paris en direction de Chartres sur
la route de Bordeaux.
Pourtant, être bien dans sa tête et dans sa peau, ce n’était vraiment pas
mon cas. C’est là à Pézenas, à Gignac, à Lavagnac, à Montagnac…,
que j’ai appris cette simplicité. S’asseoir chez le barbier, écouter
des histoires, raconter ses histoires, et rire, rire avec tout le monde.
Ah ! ça faisait du bien ! Nous, nous jouions de grosses farces à faire
rire les vivants et les morts. À cette époque, des comédiens italiens
sillonnaient aussi les routes de France en jouant la Commedia
dell’arte. Quand j’ai vu l’énorme succès de ce théâtre populaire, sans
hésiter, je me suis lancé dans l’adaptation de ces farces italiennes.
Ces Italiens, que mon regretté grand-père maternel m’emmenait voir
quand j’étais petit, sur le Pont-Neuf.
Molière : Ce ne sont pas les médecins que j’ai joué mais le ridicule
des malades et de leurs maladies. Au xviie siècle nous n’avions pas
tous les laboratoires que vous avez aujourd’hui pour fabriquer tous
vos médicaments. Les médecins connaissaient les maladies, mais pour
les guérir ils n’avaient que les saignées, les purgations et les lavements.
C’était un peu maigre. Alors ils étaient ce qu’on appelait des
accompagnateurs. C’est-à-dire qu’ils accompagnaient les personnes
malades jusque dans l’autre monde en veillant à ce qu’elles souffrent le
moins possible. Et puis, j’avais dix ans quand ma mère est morte d’une
saignée. C’est alors que j’ai dit qu’aucun médecin ne me toucherait,
car j’ai toujours pensé que c’étaient eux qui avaient tué ma mère.
Moi : Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands
médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?
Molière : Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.
Moi : Ce sont tous des ignorants : c’est du poumon que vous êtes malade.
Molière : Du poumon ?
Moi : Le poumon.
Moi : Le poumon.
Moi : Le poumon.
Moi : Ignorant.
Molière : De la volaille.
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
26 – Molière et moi –
Moi : Ignorant.
Molière : Du veau.
Moi : Ignorant.
Moi : Ignorant.
Moi : Ignorant.
Moi : Ignorant.
Molière : Comment ?
Moi : Voilà un bras que je me ferais couper tout à l’heure, si j’étais que
de vous.
Molière : Et pourquoi ?
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
– Molière et moi – 27
Moi : Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j’étais
en votre place.
Moi : Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt ; mais il faut que je me
trouve à une grande consultation qui se doit faire pour un homme qui
mourut hier.
Moi : Oui, pour aviser, et voir ce qu’il aurait fallu lui faire pour le
guérir. Jusqu’au revoir. »
Molière : Merci (Il boit puis pose le verre au sol). C’est à Lyon, au
printemps 1655 que le public accueille avec un immense succès
L’Étourdi, ma première grande comédie. Il nous aura fallu dix ans
pour oublier le goût amer du Jeu de paume des Métayers, de celui
de la Croix Noire et du cauchemar de la prison. En voyant tous ces
gens en ovation, je comprenais que j’avais enfin trouvé la voie que
j’avais tant recherchée. La pièce était écrite dans les règles de l’art
et elle plaisait aux gens simples comme aux censeurs de la culture.
Plus personne n’avait à redire. Et quel bonheur, quel bonheur de
déguster cette victoire. Victoire que je devais à tous ceux qui m’ont
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
28 – Molière et moi –
accompagné et qui ont cru en moi, comme à tous ceux que j’ai
côtoyés dans toutes ces provinces et qui m’ont raconté tant de belles
histoires. (Un temps.)
Anselme : Et qui ?
Anselme : Elle ?
Anselme : Quoi ?
Anselme : Et me veut…?
Anselme : La… ?
Anselme : Adieu.
(Un temps. Moi prend le verre d’eau le remplit, boit, et le tend à Molière.)
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
– Molière et moi – 31
J’ai peint les hommes d’après nature et les sujets ne m’ont vraiment
pas manqué. Et je l’aime cette nature. Je bannis l’artificiel, les faux-
semblants, les imposteurs, les hypocrites et je lutte pour la vérité,
la sincérité et l’amour. La comédie poursuit le vice en général. Elle
ne nomme personne en particulier. C’est la satire qui poursuit
nommément les gens. Mais moi ce que j’ai écrit ce sont des comédies
et non pas des satires ! Et c’est à travers le rire que je veux corriger
les mœurs. Castigat ridendo mores ! J’ai été un critique de l’ordre
social du xviie siècle, sans jamais avoir attaqué qui que ce soit en le
nommant. Mais, Vanitas Vanitatum, comme dit le proverbe « qui se
sent morveux se mouche », et j’en ai mouché plus d’un.
C’est ce que j’ai dit dans L’Impromptu de Versailles. « Si quelque chose
était capable de me dégoûter de faire des comédies, c’était les ressemblances
qu’on y voulait toujours trouver, et dont mes ennemis tâchaient
malicieusement d’appuyer la pensée, pour me rendre de mauvais offices
auprès de certaines personnes à qui je n’avais jamais pensé. Pourquoi
vouloir appliquer tous mes gestes et toutes mes paroles et chercher à me
faire des affaires en disant hautement : “Il joue un tel”, lorsque ce sont
des choses qui peuvent convenir à cent personnes ? Comme l’affaire de
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
32 – Molière et moi –
(Un temps.)
(Un temps.)
Mascarille : Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien
appris.
(Il chante.)
Moi : Ah, oui, bien sûr que je connais ! C’est ce personnage qui va
marquer le trait de ton véritable génie. « Mascarille » faisait rire en
se moquant des autres, « Sganarelle » va faire rire en se moquant
de lui-même. Il est l’image du vieux bourgeois paranoïaque. Tout
comme Don Quichotte, il vit dans un imaginaire des temps
anciens. Il porte la fraise, cette petite collerette blanche, et la barbe,
à la mode d’Henri IV. Son entêtement à refuser l’évolution sociale
des femmes et de la société en général fait de lui l’exemple typique
du mari cocu et du père borné dans les choix du mariage pour ses
enfants. Il est aussi avare, hypocrite, pleutre, violent, orgueilleux et
menteur.
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
36 – Molière et moi –
[…]
Sganarelle :
Vous apprendrez, maroufle, à rire à nos dépens,
Et sans aucun respect faire cocus les gens !
Il se retourne ayant fait trois ou quatre pas.
Doucement, s’il vous plaît ! Cet homme a bien la mine
D’avoir le sang bouillant et l’âme un peu mutine ;
Il pourrait bien, mettant affront dessus affront,
Charger de bois mon dos comme il a fait mon front.
Je hais de tout mon cœur les esprits colériques,
Et porte grand amour aux hommes pacifiques ;
Je ne suis point battant, de peur d’être battu,
Et l’humeur débonnaire est ma grande vertu.
Mais mon honneur me dit que d’une telle offense
Il faut absolument que je prenne vengeance.
Ma foi, laissons-le dire autant qu’il lui plaira :
Au Diantre qui pourtant rien du tout en fera !
Quand j’aurai fait le brave, et qu’un fer, pour ma
peine,
M’aura d’un vilain coup transpercé la bedaine,
Que par la ville ira le bruit de mon trépas,
Dites-moi, mon honneur, en serez-vous plus gras ?
La bière est un séjour par trop mélancolique,
Et trop malsain pour ceux qui craignent la colique ;
Et quant à moi, je trouve, ayant tout compassé,
Qu’il vaut mieux être encor cocu que trépassé : […]
Et Le Bourgeois gentilhomme :
(Chantant)
(Il chante.)
« Je croyais Janneton
Aussi douce que belle,
Je croyais Janneton
Plus douce qu’un mouton :
Hélas ! hélas !
Elle est cent fois,
Mille fois plus cruelle,
Que n’est le tigre aux bois. »
(Un temps.)
Moi : Dis, mais c’est fini, oui ! Parle pour toi ! Cette maladie s’appelle
la lycanthropie. Je ne suis pas un lycanthrope, moi ! Ce sont tous tes
personnages bâtis sur le modèle de Sganarelle qui en sont atteints !
D’ailleurs c’est dans L’École des maris qu’on entend pour la première
fois parler de Sganarelle dans des qualificatifs de « bizarre fou », de
« loup-garou », de « sauvage » de « dragon » et Lisette de conclure :
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
– Molière et moi – 41
Molière : Mais oui. Sache que ce sont ces comédies-ballets qui ont
donné naissance aux comédies musicales américaines.
Quand tu écris ces pièces, tu es déjà dans les bras d’Armande. Alors
où est passé ton amour pour Madeleine ?
d’un très long calvaire. Je lui ai donné tous mes rôles fétiches. Mais
celui qui ne l’a jamais quittée c’est le rôle de Psyché. Elle rêvait d’un
amour divin, et l’amour que je lui offrais était terrestre. Ce n’est pas
moi qu’elle épousait, c’était ma réputation, ce que je représentais
et l’univers royal que je fréquentais. Nous avons dû porter le deuil
de nos deux garçons morts très peu de temps après leur naissance.
Heureusement, notre fille Esprit-Madeleine nous aura survécu. Ce
qui est difficilement concevable, c’est qu’aujourd’hui je sais que c’est
Madeleine qui m’a vraiment aimé. Il est difficile de comprendre que
j’épousais Armande avec le consentement de Madeleine, parce que
pour elle, j’épousais officiellement les Béjart et que nous restions
toujours une famille unie. À partir de là, je te laisse imaginer tout
ce que tu voudras.
Moi : Oui, mais aussi, voilà, tu veux tout changer, tu veux faire une
révolution sociale à toi tout seul. C’est de l’orgueil ! Tu es bourré
d’orgueil ! Tu veux donner des leçons à tout le monde. Mais tu
aurais dû commencer par toi ! Tu n’attaques personne et pourtant
tout le monde se sent concerné. Tu prétends respecter les règles de
la morale et pourtant tout le monde te voit comme un libertin.
Tu ouvres le champ à des imaginaires qui vont tous contre toi !
L’École des femmes est considérée comme une pièce obscène et…
pornographique ! à cause d’un « le », trois points de suspension.
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
44 – Molière et moi –
« Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose ? » « Il m’a pris
le… » Tu pousses le public à imaginer qu’il s’agit du sexe d’Agnès,
mais toi, bien sûr, tu considères que c’est le public qui imagine
cela qui est obscène ; toi tu te fais aussi naïf qu’Agnès, aussi blanc
et innocent, mais tu ne l’es pas ! Tu provoques. Tu joues avec tout
le monde. Tu te crois au-dessus des lois parce que le roi te protège.
Quel piège !
Le roi aime danser, alors tu crées avec Jean-Baptiste Lully des comédies
musicales pour que le roi danse. Et c’est comblé de plaisir qu’il t’a
remercié pour Les Fâcheux à Vaux-le-Vicomte. Est-ce que tu as réalisé
que ta pièce a servi de prétexte à Louis XIV pour faire emprisonner
Fouquet, ministre des Finances et le faire remplacer par Colbert. Tu
as été le jouet du complot et c’est avec ça que tu veux te faire aimer !
Et le roi danse dans Le Mariage forcé. Et tu deviens l’intendant des
plaisirs royaux, ou plutôt le bouffon, le fou du roi ! Molière est le fou
de Louis XIV ! Tu feras danser le roi dans des quantités de comédies
musicales qu’il te commandera, encore et encore ! Et tu feras tout
pour combler ses désirs, mais le roi n’a pas dansé dans ta comédie-
ballet du Malade imaginaire. À la fin de ta vie, tu ne fais plus danser le
roi. Il t’a tourné le dos. Le roi t’a abandonné. Lully t’a trahi : il réclame
les droits de tous tes textes qu’il a mis en musique. Et le roi accepte.
Tu t’es enlisé dans un combat que tu ne peux plus gagner. Ce combat
c’est celui de Tartuffe. Pourtant, on sait que c’est le roi qui t’a passé
la commande de la pièce, et toi, comme à ton habitude, tu as été un
sujet fidèle et obéissant. Tu as écrit Le Tartuffe pour dénoncer pour
lui l’hypocrisie des faux dévots, parce qu’il voulait mettre un terme à
l’obscurantisme religieux, au jansénisme et à la Compagnie du Saint-
Sacrement de l’autel. Il pensait déjà à la séparation de l’Église et de
l’État, non pas comme un républicain, mais comme un monarque
absolu qui rêvait d’un pouvoir unique. Et puis, il en avait assez de la
morale religieuse qui lui était faite, surtout par sa mère, parce qu’il
aimait la vie, et qu’il avait des maîtresses, comme toi. Seulement,
les foudres que Le Tartuffe a déclenchées c’est sur toi qu’elles sont
tombées, pas sur lui. Tu as été l’instrument du roi. Il s’est servi de toi
et tu t’es laissé faire. Alors il ne faut plus pleurer maintenant. Ce qui
est fait est fait.
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
– Molière et moi – 45
Tu seras accusé par l’Église d’être hérétique pour avoir blasphémé les
Saintes Écritures. Et au passage tu seras aussi accusé de libertinage
parce que tes détracteurs ont décidé qu’Armande était ta fille, ce qui
est absolument faux ! Quelle souffrance sera la tienne depuis Tartuffe
jusqu’à ta mort. Et le curé de la paroisse de Saint-Barthélemy qui en
rajoute une couche : « Un homme, ou plutôt un démon vêtu de chair
et habillé en homme, et le plus signalé impie et libertin qui fut jamais
dans les siècles passés, etc., etc., etc. »
Avec tout ça, que s’est-il passé dans la nuit du 17 février 1673 ?
Argan : […] Mais, enfin, mon frère, venons au fait. Que faire
donc quand on est malade ?
Béralde : Rien, mon frère.
Argan : Rien ?
Moi (assis sur son tabouret prend la perruque et lui parle) : Aucun médecin
n’accepta de venir à ton chevet. Aucun prêtre non plus. Le 17 février
1673, à dix heures du soir tu t’es éteint, chez toi dans ton lit, étouffé
par le sang qui envahissait tes poumons, entouré de deux religieuses à
qui tu donnais l’hospitalité. Ta mère est morte d’une saignée. Elle s’est
vidée de son sang. Et voilà que toi, qui a toujours refusé les saignées,
tu allais mourir comme elle, exsangue. Étais-tu avec elle, étais-tu
avec Madeleine ? Étais-tu avec les deux à la fois ? Vous envoliez-vous
vers Montfrin, dans le Languedoc, sur le coteau des Molière, entre
le chant des cigales et celui des grillons ? Qu’importe ! Tu n’es jamais
parti, puisque tu es là. Tu ne nous as jamais quittés. Qu’importe de
savoir combien il a été difficile pour Armande de trouver un cimetière
qui accepte de t’inhumer, toutes les suppliques qu’elle a dû adresser
à l’archevêque de Paris et au roi. Qu’importe de savoir que tu as été
enterré au cimetière Saint-Joseph dépendant de l’église Saint-Eustache,
où tu as été baptisé. Ils t’ont mis dans le carré réservé aux nouveau-
nés, comme si tu n’avais jamais existé. Ils n’ont vraiment pas compris
grand-chose. Ils n’ont pas compris que tu vis dans l’éternité !
été mis en terre, ils n’ont trouvé aucun ossement. Toutes tes traces
terrestres avaient disparu. Mais là aussi, ils n’avaient pas compris
grand-chose. Ils n’avaient pas compris que Molière a été, Molière est,
et Molière sera.
(Il lit l’épitaphe écrite sur le couvercle de la boîte. Il passe du tragique
au comique)
FIN
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
Théâtre
aux éditions L’Harmattan
Dernières parutions
CeuX du PÉRIMÈTRE
Jean Larriaga
Ceux du périmètre sont jetés de chez eux sans ménagement, réduits à attendre
que soit désactivée la bombe américaine de 500 kilos mise à jour au pied de
leur immeuble. Les évacués attribuent à la bombe toutes les significations
possibles. L’aîné d’entre eux, mémoire vivante des raids aériens de 1943 à
1944, affirme qu’il n’y en a jamais eu un seul ici. La peur se fera angoisse,
le doute l’affirmation d’un châtiment rien que pour eux. Et pourquoi pas
nucléaire ?...
(Coll. Théâtre des cinq continents, 12,5 euros, 112 p., juin 2012)
ISBN : 978-2-296-96241-5
LA PITIÉE
D’après le roman de Stefan Zweig
Elodie Menant
1913, dans une ville de garnison autrichienne, le riche M. Kekesfalva organise
un bal costumé en l’honneur de sa fille, Edith, paralysée. Lors de cette soirée,
la demoiselle rencontre Anton Hofmiller, jeune lieutenant de cavalerie. Pris de
compassion pour elle, l’officier lui tient compagnie et les visites se succèdent.
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
LA main inviSibLE
Sylvie Jopeck
Les Naudin, famille de patrons, reçoivent Bernard Lubinski, directeur délégué
de leur société, et sa femme. Dîner burlesque et tragique où entre séduction
et humiliation, se joue la comédie de la finance et de la fortune tandis que la
ruse et le mépris manipulent ceux qui croyaient au pouvoir de l’argent. La
Main invisible, celle dont l’économiste Adam Smith écrivait qu’elle conduit
l’homme à «remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions» est le
théâtre de ce jeu de dupes.
(Coll. Théâtre des cinq continents, 11,5 euros, 92 p., juillet 2012)
ISBN : 978-2-296-99453-9
MADAME de VILMORIN
Annick Le Goff, Coralie Seyrig
D’après les interviews d’André Parinaud
La pièce, adaptée des entretiens de Louise de Vilmorin et d’André Parinaud,
nous fait découvrir une séductrice et une grande amoureuse dotée d’un humour
corrosif. Elle met en scène une femme de lettres étonnante qui se souvient
de son enfance, des hommes qu’elle a aimés (Saint-Ex, Cocteau, Gallimard,
Malraux) et d’un monde aujourd’hui disparu. Elle nous livre ses réflexions
sur la littérature et sur la vie qui passe à la lueur d’une bougie et au détour de
quelques interludes au piano.
(Coll. Lucernaire, 8,5 euros, 52 p., juillet 2012) ISBN : 978-2-296-99412-6
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
LA PAIX !
Vincent Colin
D’après Aristophane
« Nous autres les Malgaches, petit peuple vaillant vivant à l’écart des grands
enjeux planétaires, avons décidé de nous adresser aux dieux pour qu’ils
ramènent la paix sur Terre. » Gageons qu’Aristophane, ne serait pas fâché de
voir les comédiens de la troupe malgache Landyvolafotsy s’emparer de cette
version très libre de sa fameuse comédie. Le père Lagnole, l’un des leurs,
s’élève vers l’Olympe, à l’aide d’une machine volante de sa propre confection,
pour réclamer aux dieux la restitution ferme et définitive de cette paix qui leur
fait tant défaut sur Terre.
(Coll. Lucernaire, 8,5 euros, 68 p., juillet 2012) ISBN : 978-2-296-99411-9
TROI
S SoLITUDES
D.A.F. de Sade, Marie Lafarge, Josefa Menéndez
Jean-Marie Apostolidès
Trois individus ayant vécu à des moments différents de l’histoire sont arbitrairement
réunis dans l’espace abstrait d’une scène de théâtre. Il s’agit du marquis de Sade,
de l’écrivain romantique Marie Lafarge et d’une mystérieuse Espagnole, cloîtrée
dans un couvent de Poitiers, la soeur Josefa Menéndez. Chacun d’eux revit
son existence et sa passion, exacerbée en raison de l’enfermement auquel il est
soumis. L’excès, le délire et la mauvaise foi caractérisent leurs discours jusqu’au
moment où ces trois vies brisées se rejoignent en un chant collectif.
(Coll. Théâtres, 15 euros, 146 p., juillet 2012) ISBN : 978-2-296-99191-0
MARE
LLe
Michel Cornélis
Un soir de Noël, Paul et Lucie se retrouvent à minuit face à un cadeau étrange :
une marelle dessinée sur le sol et un livre fermé de sept sceaux. Le chemin
de la marelle les emmène sur un parcours initiatique parsemé de personnages
étonnants. Au gré de leur rencontre, les deux adolescents vont mûrir et tisser
des liens très forts afin de découvrir cette vérité détenue par le livre mystérieux.
(Coll. Théâtres, 10 euros, 64 p., juillet 2012) ISBN : 978-2-296-99657-1
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
L'HARMATTAN, ITALIA
Via Degli Artisti 15; 10124 Torino
L'HARMATTAN HONGRIE
Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16
1053 Budapest
L’HARMATTAN GUINÉE
Almamya Rue KA 028, en face du restaurant Le Cèdre
OKB agency BP 3470 Conakry
(00224) 60 20 85 08
harmattanguinee@yahoo.fr
L’HARMATTAN CAMEROUN
BP 11486
Face à la SNI, immeuble Don Bosco
Yaoundé
(00237) 99 76 61 66
harmattancam@yahoo.fr
L’HARMATTAN MAURITANIE
Espace El Kettab du livre francophone
N° 472 avenue du Palais des Congrès
BP 316 Nouakchott
(00222) 63 25 980
L’HARMATTAN SÉNÉGAL
« Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E
BP 45034 Dakar FANN
(00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08
senharmattan@gmail.com
L’HARMATTAN TOGO
1771, Bd du 13 janvier
BP 414 Lomé
Tél : 00 228 2201792
gerry@taama.net
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250
ISBN : 978-2-336-00709-0
9€