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Théâtre des 5 continents Jean-Vincent Brisa

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Molière et moi
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Théâtre des 5 Continents


Collection dirigée par Robert Poudérou

Dernières parutions

294 – Koshi AKOUBIA, Nigrigudja (pièce en 3 actes), 2013.


293 – François JOXE, La passion du vieil Hundosh, 2013.
292 – Émilie BOUGHANEM, La Petite Aveugle, 2013.
291 – Luc SZCZEPANIAK, Dehors, 2012.
290 – Frédéric PRZYBYL, L’Œil de Caïn, 2012.
289 – Françoise VILLERS, Le temps qu’il reste, 2012.
288 – N’ZENZO KISALA, La bombe d’amour, 2012.
287 – Lionel ARMAND, Sacs de pluie, 2012.
286 – Annie VERGNE et Clarissa PALMER, Olympe de
Gouges porteuse d’Espoir (D’après les écrits d’Olympe de
Gouges), 2012.
285 – Suzie PELTIER, Le paradis des salopes, 2012.
284 - Christophe BUREAU, Elucubrations, 2012.
283 – Bernard H. RONGIER, Elégance des naufragés, 2012.
282 - Laura & Stéphane LIBRIZZI-HURT, Katrina, 21
scénarios pour une catastrophe, 2012.
281 – Lucette JASON, Appel à la fraternité, 2012.
280 –Sylvie JOPECK, La main invisible, 2012.
279 – Jean-Pierre BARBIER-JARDET, L’effroyable chanson
du poète voyant, 2012.
278- Jacques KRAEMER, Kassandra Fukushima, suivi de
Prométhée 2071, 2012.
277 – Jean LARRIAGA, Ceux du périmètre, 2012.
276 – Henri MELON, Chapeau pour notre époque ! (Mi lépôk,
papa !), 2012.
275 – Laurence CIRBA, Filiation, 2012.
274 – Emmanuel LAMBERT, Cie Bulles de Zinc, Exil. Exit.,
suivi de L’Afrique en collection Harlequin, 2012.
273 – Charles DJUNGU-SIMBA K., Mikoshi, Divertissement
en XII tableaux, 2012.
272 – Ambass RIDJALI, A part ça, tout va bien à Mayotte !,
2012.
271 – Jean-Loup PHILIPPE, Monsieur le Monde, 2012.
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Jean-Vincent Brisa

Molière et moi
Texte écrit, mis en scène et interprété
par Jean-Vincent Brisa
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À ma mère

Remerciements à Jean Serroy, Carol Duheyon,


Serge Papagalli, Guy Sisti, Nicole Vautier et
Danièle Klein, sans le soutien de qui ce texte
n'aurait pas vu le jour.

© Illustration de couverture : Alexandre Brisa


© L’Harmattan, 2013
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris

http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr

ISBN : 978-2-336-00709-0
EAN : 9782336007090
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– Molière et moi – 7

(Au centre de la scène un fauteuil avec, sur l’accoudoir droit, une


tête en polystyrène recouverte d’un tissu noir. À côté du fauteuil, à
cour, un petit tabouret. Tous les personnages sont joués par un seul
comédien.)

Molière : (perruque sur la tête) Mesdames et Messieurs, bonjour ! ou


bonsoir… C’est selon. Pour moi les jours et les soirs se ressemblent
beaucoup dans l’éternité. Celui qui vous parle est Jean-Baptiste
Poquelin connu sous le nom de Molière, ou du moins ce qu’il en
reste (il enlève la perruque et la pose sur la tête en polystyrène). Disons
sa voix, son ombre, son illusion… Enfin ce que vous voudrez. Je
tiens à vous dire en préambule aux paroles de ce faussaire qui prétend
avoir de la passion pour moi, qu’il ne peut pas connaître grand-
chose de ma vie. Et personne ne connaît grand-chose de ma vie. Si
mes œuvres traversent le temps, je peux dire que les ragots sur mon
compte prolifèrent aussi de siècle en siècle. C’est extraordinaire…
C’est ce qu’on appelle un mythe. Eh oui, je suis un mythe. On
m’aime ou on me déteste. D’ailleurs ma vie est plus connue à travers
ceux qui me détestent qu’à travers ceux qui m’aiment. Et c’est très
bien. Celui dont on ne dit pas de mal tombe très vite dans l’oubli.
Quand j’entends dire que pas un mot de mes pièces n’est de moi et
que ce serait mon soi-disant ami Corneille qui aurait tout écrit…
Vous croyez que ça m’ennuie ? Que ça me fâche ? Mais pas du
tout, au contraire, ça entretient ma popularité. On parle de moi.
Ceux qui m’aiment n’en croient pas un mot, comme ce pantin qui
va entrer en scène dans un moment, et ceux qui ne m’aiment pas
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sont aux anges. C’est étonnant comme on a tendance à préférer la


diffamation aux choses souvent vraies, mais anodines. Il faut dire
qu’avec toute la presse que vous ingurgitez dans votre monde, je
me demande comment vous faites pour vous y retrouver. Enfin,
ne croyez pas que mon siècle était meilleur… (Moi arrive, regard
d’étonnement, voix étouffée.) Chut, le voilà.

Moi : (regard d’étonnement, au public chuchoté) Molière ! Qu’est-ce


qu’il fait là ? Qu’est-ce qu’il fait là ?

Molière : Comment qu’est-ce que je fais là ? Mais je suis là mon


ami, je suis là ! Tu ne pensais pas que tu allais faire un spectacle sur
moi, tout seul ?

Moi : Mais c’était pas prévu que tu sois là. Et puis j’avais dit « je ne
parlerai pas de sa vie ».

Molière : Eh bien c’est moi qui en parle.

Moi : Mais je le sais qu’on n’a raconté que des choses absurdes sur
ton compte. Mais moi ce n’est pas ta vie qui m’intéresse. Ce que je
voudrais c’est parler de ce que tu as amené au théâtre, de tes œuvres,
de tes comédies…

Molière : Ah, attention ! Si tu ne parles pas de mes débuts dans la


tragédie, il sera difficile de comprendre pourquoi ma comédie est
sérieuse.

Moi : Ah, oui ! Tu veux que je dise… qu’après avoir renoncé à ta


charge de tapissier du roi, parce que ton père était tapissier du roi !
et c’était un honneur ! tu t’associes à Madeleine Béjart, comédienne.
Comédienne !… On peut dire que tu as rendu ton père heureux
avec cette décision ! Lui qui t’avait envoyé au collège de Clermont
pour que les Jésuites te donnent la meilleure éducation possible et la
plus complète… Une comédienne ! Et tu crées avec elle et sa famille
de comédiens, une troupe : « L’Illustre Théâtre », le 30 juin 1643,
tu as vingt et un an.
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– Molière et moi – 9

Molière : Ah Madeleine… Quelle belle femme et quelle artiste !


L’année précédente, mon titre de tapissier du roi m’avait amené à
suivre Louis XIII dans le Languedoc. C’est à Montfrin que, par
une belle soirée, presque estivale, j’assiste, à une représentation
théâtrale de la troupe des Béjart. Je n’ai pas écouté le texte. J’étais
captivé par cette comédienne, Madeleine Béjart. Sa beauté, ses
traits réguliers, sa taille fine, ses cheveux roux, son regard tendre, sa
voix qui parfois était douce, parfois autoritaire… Ah ! Je venais de
tomber amoureux. Pourtant je l’avais déjà rencontrée à Paris. Mais
là, à Montfrin tout s’est passé comme dans un rêve ou peut-être une
légende. Dans cette soirée provençale, entre le chant des cigales et
celui des grillons, ma vie allait connaître un bouleversement total.
Elle dansait, elle chantait, elle jouait de toute sorte d’instruments.
Mais sa véritable séduction était dans son esprit et son talent. Et
nous nous sommes aimés… Eh ! Je n’étais pas le seul à la courtiser.
Elle en avait des amoureux à cette époque ! Mais c’est moi qui l’ai
séduite et elle quitta le comte de Modène pour vivre avec moi. Je
crois que c’est cet amour pour Madeleine qui me donna la force
de basculer radicalement dans ma nouvelle vocation et d’affronter
mon père. Ah, non, non, non, non, non, non, non ! Il y avait
aussi le cercle philosophique que nous formions avec de grands
amis comme Chapelle, Cyrano de Bergerac, etc., autour de notre
maître, le philosophe Gassendi. Il développait toute sa passion pour
Épicure, et il nous a fait aimer la vie, la nature, la liberté. J’ai vécu
dans un siècle où l’on craignait pour le salut de son âme. Toute
idée philosophique nouvelle devait être en accord avec les Saintes
Écritures. Le corps n’avait pas sa place. Même Descartes démontrait
la supériorité de l’esprit. Le corps était honteux, il fallait le cacher,
et surtout renoncer à toute idée de plaisir. Alors quand Gassendi
nous disait « esprit et corps sont un, parce que l’un ne va pas sans
l’autre », tu imagines comme je buvais ses paroles ! Et… ça ne te
rappelle rien ?… (Il regarde le tabouret.) Mais où est-ce qu’il est
passé ? Oh, oh ! Tu es là ? Oh, oh ! Tu es où ?

Moi : Oh, oh ! Tu es là ? Oh, oh ! Tu es où ? Eh bien oui, je suis là ! Où


veux-tu que je sois ? Bien sûr que ça me rappelle quelque chose… ça
me rappelle le sujet que tu as développé dans Les Femmes savantes :
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« Mon corps est moi-même, et j’en veux prendre soin :


Guenille si l’on veut, ma guenille m’est chère. »

Molière : Eh oui, Les Femmes savantes, avec ces deux théories


radicalement opposées entre les deux sœurs… Henriette et Armande
(il met sa perruque et joue les deux sœurs) :

Armande : « Quoi ? Le beau nom de fille est un titre, ma sœur,


Dont vous voulez quitter la charmante douceur,
Et de vous marier vous osez faire fête ?
Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête ?

Henriette : Oui, ma sœur.

Armande : Ah ! ce « oui » se peut-il supporter,


Et sans un mal de cœur saurait-on l’écouter ?

Henriette : Qu’a donc le mariage en soi qui vous oblige,


Ma sœur…?

Armande : Ah, mon Dieu ! fi !

Henriette : Comment ?

Armande : Ah, fi ! vous dis-je.


Ne concevez-vous point ce que, dès qu’on l’entend,
Un tel mot à l’esprit offre de dégoûtant ?
De quelle étrange image on est par lui blessée ?
Sur quelle sale vue il traîne la pensée ?
N’en frissonnez-vous point ? et pouvez-vous, ma sœur,
Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ?

Henriette : Les suites de ce mot, quand je les envisage,


Me font voir un mari, des enfants, un ménage ;
Et je ne vois rien là, si j’en puis raisonner,
Qui blesse la pensée et fasse frissonner.
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Armande : De tels attachements, ô ciel ! sont pour vous plaire ?

Henriette : Et qu’est-ce qu’à mon âge on a de mieux à faire,


Que d’attacher à soi, par le titre d’époux,
Un homme qui vous aime et soit aimé de vous,
Et de cette union, de tendresse suivie,
Se faire les douceurs d’une innocente vie ?
Ce nœud, bien assorti, n’a-t-il pas des appas ?

Armande :
Mon Dieu, que votre esprit est d’un étage bas !
Que vous jouez au monde un petit personnage,
De vous claquemurer aux choses du ménage,
Et de n’entrevoir point de plaisirs plus touchants
Qu’une idole d’époux et des marmots d’enfants !
Laissez aux gens grossiers, aux personnes vulgaires,
Les bas amusements de ces sortes d’affaires ;
À de plus hauts objets élevez vos désirs,
Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs,
Et traitant de mépris les sens et la matière,
À l’esprit comme nous donnez-vous tout entière.
[…] »

(Un temps. Il s’assoit au fauteuil, enlève sa perruque et la pose sur la


tête en polystyrène.)

Et tu sais comment j’ai fait mes débuts au théâtre ? Eh bien sur les
tréteaux de Bary, sur le Pont-Neuf. Je vendais l’orviétan, cette potion
miracle qui guérissait toutes les maladies. Je faisais « le mangeur
de vipères » et ensuite je prenais l’antidote pour prouver aux gens
l’efficacité du produit. Bien sûr, tout ça était truqué. L’essentiel était
de vendre l’orviétan. Dans L’Amour médecin, j’ai placé cette petite
chanson pour le souvenir :

(Il chante)
L’or de tous les climats qu’entoure l’Océan
Peut-il jamais payer ce secret d’importance ?
Mon remède guérit, par sa rare excellence,
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Plus de maux qu’on peut nombrer dans tout un an :


La gale,
La rogne,
La tigne,
La fièvre,
La peste,
La goutte,
Vérole,
Descente,
Rougeole.
Ô grande puissance de l’orviétan ! (Bis)

Eh bien, dis donc, tu n’es pas très bavard !

Moi : Il va bien, lui ! Il accapare la soirée et puis allez, vas-y,


improvise… Eh bien oui j’ai des choses à te dire. Comme tu ne t’es
jamais remis de la mort de ta mère (je dois reconnaître que tu l’as
perdue très jeune, tu avais dix ans), tu as voulu montrer que tu as
choisi de suivre la voie qui était la sienne, celle de l’esprit, de l’art,
du théâtre… Tout ce qui, pour ton père, ne servait à rien, quoi !
Tu as fait ce choix pour lui montrer toute ton aversion pour la vie
bourgeoise… Tu as bien profité de son argent quand même ! Et
puis, tu n’as pas de leçons à donner aux bourgeois, car dans ta vie tu
n’as pas été autre chose qu’un bourgeois ! Et sa charge de tapissier
du roi, que tu reprendras dix-sept ans plus tard, elle t’a bien servi
pour te rapprocher de la royauté, aussi bien de Louis XIII que de
Louis XIV.

Molière : Ah ! ça, je dois dire que sans leur protection je ne serais


pas arrivé à grand-chose. Surtout la protection de Louis XIV. Quel
grand roi ! Il avait tout compris à la politique. Tu te rends compte
qu’à l’âge de dix ans il connaît un grand soulèvement national, la
Fronde, qui a bien failli être la Révolution. Bien sûr à cet âge-là il
n’a pas le pouvoir, c’est Mazarin qui gouverne la France. Mais c’est
bien Louis XIV qui saura mettre fin à La Fronde quinze ans plus
tard. À vingt-deux ans, il convoque les ministres et leur dit : « Je
vous ai fait venir, Messieurs, pour vous dire que le temps est venu pour
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moi de diriger réellement l’État. Vous m’aiderez de vos conseils, mais


uniquement quand je vous le demanderai. J’interdis dorénavant que
l’on signe sans mon ordre le moindre papier, fût-ce le plus insignifiant
passeport. Vous me rendrez compte chaque jour personnellement de
votre travail. » Tout le monde comprit qu’il fallait choisir son camp
et qu’il ne fallait plus faire un pas de travers parce que les têtes
allaient tomber. Il livrera un combat sans merci à tous ceux, qui
de près ou loin, avaient participé à cette Fronde. Il savait que ses
pires ennemis se trouvaient dans les hautes sphères du royaume :
la grande noblesse et le milieu parlementaire. Et il savait aussi que
pour être un grand roi, il avait besoin du peuple français, et pour ça,
il fallait que tout monde puisse manger à sa faim et se divertir. Il a
très vite compris que si j’avais besoin de lui pour me protéger de mes
détracteurs, il avait besoin de moi pour se rapprocher du peuple.
En fait, il avait compris, avant l’heure, que la noblesse avait besoin
de bourgeoisie. C’est le sujet que j’ai développé dans Le Bourgeois
gentilhomme et dans Georges Dandin entre autres. J’ai répondu à
toutes ses commandes de pièces, et mêmes à celles qui m’ont
causé le plus d’ennui comme Le Tartuffe qui a bien produit l’effet
qu’il souhaitait, mais devant la virulence des attaques des grandes
personnalités de l’église, je me suis retrouvé bien seul. Pourtant je
sais qu’il ne m’a jamais abandonné, puisqu’à chaque censure il m’a
laissé faire une nouvelle tentative, et qu’à la troisième, enfin, j’ai pu
porter Tartuffe sur les planches. Mais bon, la solitude a toujours
fait partie de ma vie et je l’ai toujours assumée. Ce que j’ai fait, je
l’ai fait parce que j’y crois. Je n’ai jamais sombré dans la peur. Je me
suis battu et j’ai affirmé mes actes et mes convictions. Je ne sais pas
si cela m’a vraiment servi, mais voilà quel a été le moteur de toute
ma vie.
Tu as l’air de me connaître, alors vas-y, dis-nous comment j’ai
commencé au théâtre.

Moi : Bon, mais on ne va pas faire que parler de ta vie !

Molière : Non, et tu as raison. Il faut dissocier ma vie de mes œuvres.


Mais elles ont été une sorte d’exutoire de ma vie. Les personnages
que j’ai écrits et interprétés sont des personnages que je condamne.
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C’est ce que peu de gens ont compris. Ils ont cru que je m’étais
identifié à Arnolphe, Alceste, etc., comme une sorte de thérapie…
Mais c’est faux. Je sais que je leur ressemble et que j’ai les mêmes
défauts qu’eux. Mais la différence c’est que j’ai su faire rire de tous
ces défauts. Tu sais, au théâtre, si on n’a pas connu l’amour, c’est très
difficile de jouer les amoureux. Et si on n’a pas connu tous les défauts
des hommes, il est très difficile aussi de les jouer. Mais en jouant, je
les condamne. Ce qui est très loin de moi c’est l’hypocrisie. Voilà
quel a été mon principal ennemi et le thème majeur de toutes mes
œuvres. C’est ce que j’ai fait dire à Dom Juan à la fin de la pièce :

« […] L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode


passent pour vertus. Le personnage d’homme de bien est le meilleur
de tous les personnages qu’on puisse jouer aujourd’hui, et la profession
d’hypocrite a de merveilleux avantages. C’est un art de qui l’imposture
est toujours respectée ; et quoiqu’on la découvre, on n’ose rien dire contre
elle. Tous les autres vices des hommes sont exposés à la censure, et chacun
a la liberté de les attaquer hautement ; mais l’hypocrisie est un vice
privilégié, qui, de sa main, ferme la bouche à tout le monde, et jouit
en repos d’une impunité souveraine. […] Combien crois-tu que j’en
connaisse qui, par ce stratagème, ont rhabillé adroitement les désordres
de leur jeunesse, qui se sont fait un bouclier du manteau de la religion,
et, sous cet habit respecté, ont la permission d’être les plus méchants
hommes du monde ? On a beau savoir leurs intrigues et les connaître
pour ce qu’ils sont, ils ne laissent pas pour cela d’être en crédit parmi
les gens ; et quelque baissement de tête, un soupir mortifié, et deux
roulements d’yeux rajustent dans le monde tout ce qu’ils peuvent faire.
[…] »

Mais je t’en prie, reviens à mes débuts, si tu les connais, sinon il sera
difficile de comprendre mon œuvre.

Moi : Tes débuts… Eh bien oui, je les connais. Je sais que tu ne


jouais pas souvent des comédies, parce que la comédie n’avait pas
bonne réputation ! Tu es né dans un siècle qui considérait que
seule la tragédie était digne de vertu. La comédie était le fruit de la
bassesse, de la vulgarité… Et puis disons-le : du Diable ! Un bon
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– Molière et moi – 15

chrétien ne devait pas rire sous peine de sombrer dans le vice qui
conduit tout droit dans les flammes de Satan. Alors on allait jusqu’à
interdire, censurer toutes les pièces qui pervertissaient le bon peuple
dans la voie infernale du rire. Et l’on condamnait tous ceux qui
étaient les instigateurs de cette perversité ! Tu n’as pas eu de chance
parce que nous, on aime bien rigoler. Tu imagines si on mettait tous
nos comiques en prison, condamnés pour crime de lèse-majesté du
rire ! En effet c’est ridicule ! Ah, ah, ah… !

Molière : (regarde Moi) Ah, ah, ah… ! Oui c’est ridicule, mais moi
j’ai vécu autre chose. Dans mon siècle, la religion interdisait toute
forme de comédie sous prétexte que « Jésus-Christ n’a jamais ri sur
sa croix ». Mais n’a-t-il jamais ri dans sa vie ? Qu’est-ce qu’ils en
savent ? Puisqu’il s’est fait homme, il a dû rire et pleurer comme
tous les humains. On n’a qu’une vie, on a bien le temps pour
pleurer, alors rions, rions tant qu’on le peut, car c’est la preuve que
nous sommes vivants et en bonne santé. Les pleurs nous rappellent
que nous ne sommes que d’humbles mortels qui vivons dans la
souffrance. Mais le rire, ah ! le rire ! nous ramène au niveau des
Dieux et de l’immortalité, car il nous fait oublier la mort.

(Ici Molière commence à rire pour provoquer Moi, et Moi éclate de rire)

Moi : (fou rire) Ah ! ça… la mort, on peut dire que tu en as parlé !


Plus de trois cents fois dans toutes tes œuvres. Depuis le début de ta
première pièce éditée, la farce La Jalousie du Barbouillé :

(La Jalousie du Barbouillé, scène première, extrait)

(Il en fait beaucoup) « Il faut avouer que je suis le plus malheureux de


tous les hommes. J’ai une femme qui me fait enrager : au lieu de me
donner du soulagement et de faire les choses à mon souhait, elle me fait
donner au diable vingt fois le jour… »

Molière : Arrête ! Arrête, tu me rappelles Montfleury, cet acteur


énorme dont s’est bien moqué Cyrano :
(Imitant Montfleury dans Nicomède de Corneille)
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16 – Molière et moi –

« Te le dirai-je, Araspe ? Il m’a trop bien servi ;


Augmentant mon pouvoir, il me l’a tout ravi :
Il n’est plus mon sujet qu’autant qu’il le veut être ;
Et qui me fait régner en effet est mon maître. »

Quelle horreur ! Je me suis battu toute ma vie pour que l’acteur soit
en harmonie avec la nature. Pour qu’un personnage soit vrai, il faut le
puiser en soi-même. Il faut parler comme tu parles dans la vie et surtout
bien se poser et gesticuler le moins possible. Voilà ce qui me valut les
foudres de tous ces tragédiens qui ne savaient jouer qu’en grimaçant
et qui considéraient que je récitais plutôt que de jouer. Non, tu vas
reprendre le texte, et tu vas imaginer que tu te confies à quelqu’un. Je
ne sais pas moi, tiens, par exemple… à ton psychanalyste.

Moi : (il marmonne) À mon psychanalyste ? … Il faut que je


m’allonge ? Non ? Bon, bon j’y vais. (Très sincère, regardant le
public) « Il faut avouer que je suis le plus malheureux de tous les
hommes. J’ai une femme qui me fait enrager : au lieu de me donner
du soulagement et de faire les choses à mon souhait, elle me fait donner
au diable vingt fois le jour ; au lieu de se tenir à la maison, elle aime la
promenade, la bonne chère, et fréquente je ne sais quelle sorte de gens.
Ah ! pauvre Barbouillé, que tu es misérable ! Il faut pourtant la punir.
Si je la tuais… »

Voilà donc le début de ta première pièce. Et voilà maintenant la fin


de la dernière, la der des ders, Le Malade imaginaire : (Il chante)

Vivat, vivat, vivat, vivat, cent fois vivat


Novus doctor, qui tam bene parlat !
Mille, mille annis et manget et bibat,
Et seignet et tuat !
Et seignet et tuat !

« Et saigner et tuer ! » Voilà quelle a été ta conception de la comédie


et du rire !

Molière (riant) : Eh oui ! Parce que dans la comédie, la mort n’existe


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– Molière et moi – 17

pas ! C’est le moteur de la tragédie pour qui la mort est inéluctable


et la seule solution finale. Mais dans la comédie, tout est vie et on
joue à la mort, comme Scapin à la fin des Fourberies : « Ahi, ahi,
Messieurs, vous me voyez… Ahi, vous me voyez dans un étrange état.
Ahi. Je n’ai pas voulu mourir sans venir demander pardon à toutes les
personnes que je puis avoir offensées. Ahi. Oui, Messieurs, avant que de
rendre le dernier soupir, je vous conjure de tout mon cœur de vouloir
me pardonner tout ce que je puis vous avoir fait, et principalement le
seigneur Argante, et le seigneur Géronte. Ahi… »

Non, la seule mort dans la comédie c’est le rideau qui se ferme,


les costumes que nous devons enlever et ranger dans les malles,
le maquillage qu’il nous faut effacer ! Mais nous savons que le
lendemain nous referons nos maquillages, nous remettrons nos
costumes et que le rideau s’ouvrira de nouveau. La comédie est le
principe même de la vie.

Moi : Pourtant, avant toi, il y a eu d’autres comédies : celles de


Scarron, Rotrou, et surtout celles de Corneille. Mais l’histoire ne
retiendra que Molière comme créateur de la comédie. Pourquoi ?

Molière : Tu sais, quand j’ai commencé au théâtre, j’étais à


mille lieues d’imaginer qu’un jour j’écrirais des comédies. Tout a
commencé en novembre 1643 quand nous sommes allés, toute la
troupe de l’Illustre Théâtre, à Rouen, en attendant que notre salle du
Jeu de Paume des Métayers soit aménagée. Nous, nous jouions La
Mort de Sénèque de Tristan l’Hermite ou L’Innocence malheureuse de
Nicolas Desfontaines, enfin, des choses très sérieuses et très tragiques.
Mais à Rouen, quel choc, nous avons assisté à une représentation
privée d’une comédie de Corneille encore en création : Le Menteur.
Ah ! Je ne pensais pas que la comédie portait autant de force en elle.
C’est là, à Rouen, que tout a commencé à germer dans ma tête. Je
dois beaucoup au Menteur. J’avais déjà le désir d’écrire, et j’étais en
doute sur ce que j’écrirais. Mes idées étaient encore confuses, mais
cette pièce les fixa. Sans Le Menteur, j’aurais composé sans doute des
comédies d’intrigue, L’Étourdi, Le Dépit amoureux ; mais peut-être
n’aurais-je pas fait Le Misanthrope.
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18 – Molière et moi –

C’est évident que je n’ai pas inventé ce style ! Seulement, jusqu’ici,


personne n’avait dérangé autant que moi. Les comédies étaient
là pour divertir. Moi je leur ai apporté autre chose en plus du
divertissement. Derrière le rire j’ai fait tomber des masques. Un peu
comme Hamlet de Shakespeare. Mes comédies ont été un révélateur.
C’est-à-dire qu’un grand nombre de bons citoyens que l’on a toujours
crus dignes de vertu et de confiance ont été reconnus derrière mes
portraits de personnages hypocrites, avares, faux-semblants, faux
dévots, seigneurs méchants hommes, etc. Ah ! on peut dire que j’en
ai fait du désordre dans l’ordre établi du xviie siècle !

J’ai voulu faire de la comédie un genre qui compte, sérieux si l’on


veut. Capable de traiter des grands sujets, ceux-là même qu’on
réservait jusque-là au seul grand genre reconnu, la tragédie. J’ai à
ce moment-là commis une sorte de crime de lèse-théâtre, que les
doctes ne m’ont pas pardonné : vouloir parler de la vie, de la mort,
de la science, de Dieu même, dans une comédie, c’était pour eux
comme rabaisser les sujets. Ils n’avaient pas compris que c’était
plutôt élever la comédie là où elle doit être.
Je suis devenu un personnage dangereux, l’homme à abattre. Alors,
ils m’ont identifié à ce style, qualifié par eux de subversif. De sorte
qu’aussi bien mes détracteurs que mes défenseurs, par réaction, ont
attribué la « comédie » à Molière !

Tu vois, toi par exemple, tu as passé ta vie à faire du théâtre et tu


restes un illustre inconnu. Pourquoi ? Parce que tu es trop gentil !
Tu n’as jamais dérangé personne ! Si tu ne dis pas quelques vérités,
mais mon vieux, tu ne décolleras jamais ! Regarde, dans mon siècle,
ces messieurs de l’Académie nous imposaient des règles d’écriture
théâtrale qu’il fallait respecter ou bien c’était la censure.
Dans La Critique de l’École des femmes, j’ai fait dire à mes personnages :
« Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les
ignorants et nous étourdissez tous les jours. Je voudrais bien savoir si la
grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire, et si une pièce de théâtre
qui a atteint son but n’a pas suivi un bon chemin. […] J’ai remarqué
une chose de ces messieurs-là : c’est que ceux qui parlent le plus des règles,
et qui les savent mieux que les autres, font des comédies que personne ne
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– Molière et moi – 19

trouve belles. […] Si les pièces qui sont selon les règles ne plaisent pas et
que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudrait de nécessité
que les règles eussent été mal faites. Moquons-nous donc de cette chicane
[…] Laissons-nous aller de bonne foi aux choses qui nous prennent par
les entrailles, et ne cherchons point de raisonnements pour nous empêcher
d’avoir du plaisir. »

Tu n’es pas d’accord avec ça ? Alors, s’il te plaît, ne suis pas les règles,
dérange et tu seras reconnu.

Moi : Écoute, parlons de Molière si tu le veux bien ! Qu’est-ce que


tu es allé faire dans la tragédie ? Ta première expérience de théâtre
tragique en janvier 1644 au Jeu de paume des Métayers a vraiment
été tragique… Pour toi et ta troupe, parce que dans le public on
n’entendait que des rires ! Et quand je dis public… on n’avait pas
besoin des deux mains pour le compter, car excepté les exempts de
payer, les parents de la troupe et quelque batelier, nul animal vivant
n’entra dans votre salle. Là, tu n’avais de leçons à donner à personne.
Ça a quand même été, comme on dit au théâtre, un bide, un four, un
plantage, et surtout un plantage financier ! Mais ça ne te suffisait pas
un échec. Il t’en fallait un autre. Et même, soyons larges et généreux,
agrandissons la troupe, augmentons les frais. Engageons de nouveaux
acteurs, des danseurs, des peintres… Comme ça, l’endettement sera
digne d’un grand homme comme toi. Molière ne se contente pas
d’un endettement de bas étage, il lui faut un endettement digne
d’un prince ! C’est d’ailleurs à ce moment-là, en signant un de ces
nouveaux contrats avec un danseur, que ton nom de Jean-Baptiste
Poquelin s’efface, remplacé par celui de Molière. Voilà encore un
mystère. Tu peux m’expliquer la raison de ce nouveau nom ?

(Silence, échange de regards.)

Molière : Non.

Moi : Non ?

Molière : Non !
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20 – Molière et moi –

Moi : Il y a beaucoup de gens qui ont cherché des explications. Mais


comme toi, tu n’as jamais rien écrit là-dessus… Alors on imagine.
On se dit qu’il y a des communes en France qui portent ce nom et
notamment dans le sud (Moi regarde Molière)… Non ? Bon. Ce mot
vient de meule. On a donné ces noms à ces communes parce qu’on
y trouvait des carrières de pierres pour fabriquer des meules, des
« meulières ». Non ? Non bien sûr ce n’est pas ça. Dans des origines
celtiques, une molière est un terrain marécageux, un trou humide,
dans lequel on s’enfonce. Ce n’est pas ça non plus ? Ah ! Ça y est, j’y
suis ! Il y avait cet écrivain libertin, de romans sans succès, assassiné
quelques années avant ta naissance… Ah ! comment il s’appelait
déjà ? Ah ! voilà : « Molière d’Essertines » ! C’est ça ? Tu as voulu
reprendre son nom ? Allez dis-le ! (Au public) Il ne dit pas grand-
chose. Ni ça non plus. Tu en es sûr, tu me donnes ta parole, parce
que… Bon. (Il éclate de rire) La meilleure que j’ai entendue c’est
« mulier », la femme en latin. Non ? ... Eh, une « moulière » c’est
aussi un parc à moules…

Molière : Tu peux arrêter tes bêtises ! J’ai envie de dire : c’est mon
secret, et en même temps c’est tellement sans importance. Quand
on veut changer d’identité, l’idée n’est pas dans le nom qu’on se
trouve, mais dans le changement d’identité. Devant le différend qui
m’opposait à mon père, j’ai voulu changer de nom pour le protéger
lui et pour imposer ma personnalité dans la voie que j’avais choisie. Et
puis tu imagines si j’avais gardé Pocquelin, qui vient de « Pocque » qui
veut dire « vérolé », ou « ça poque » ! Le Misanthrope de Pocquelin…
La pièce était vouée à l’échec rien que par le nom de l’auteur. Alors
que « de Molière » sonnait très bien. Et puis il faut arrêter de chercher !
Molière est l’identité de mon œuvre et de ma passion !

Moi : Ah ! oui ta passion, parlons-en de ta passion, on sait où elle


t’a conduit ta passion : à la prison du Châtelet ! Car Monsieur « de »
Molière a fait de la prison. (Au public) Ça, il n’aime pas beaucoup
qu’on en parle ! C’est bien joli de faire du théâtre, mais il faut aussi
payer ses dettes ! Ah ! on a voulu refaire un nouvel essai de grand
répertoire tragique dans la nouvelle salle du Jeu de paume de la
Croix Noire près du port Saint-Paul, refaite à neuf pour l’occasion
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– Molière et moi – 21

et avec un aménagement de pavés dignes d’accueillir les plus grands


carrosses de Paris ! Mais ce sera la fin du premier grand rêve ! Le
2 août 1645, tu es conduit à la prison du Châtelet sur la plainte d’un
maître chandelier qui en avait assez d’éclairer vos spectacles à ses
frais. Puis d’autres reconnaissances de dettes feront leur apparition,
représentant une accumulation spectaculaire de factures impayées et
d’emprunts qu’il fallait régler avec d’autres emprunts…

Molière : Oui, je serai relâché sous caution, mais le cœur n’y était
plus. C’est là que l’idée du départ germe dans ma tête et dans celle de
Madeleine, comme une fuite ou une façon de se refaire une nouvelle
vie ou de recommencer un nouveau rêve. À la fin de l’année 1645,
en plein hiver, nous chargeons notre convoi de fortune de tous nos
bagages, des costumes et des décors qui n’avaient pas été saisis par la
justice, et l’Illustre Théâtre quitte Paris en direction de Chartres sur
la route de Bordeaux.

Dix ans ! Dix ans à parcourir la France du nord au sud et de l’ouest à


l’est. Aujourd’hui, quand vous partez en tournée vous mettez tous vos
costumes et accessoires dans des caisses, et ces caisses avec les décors
dans des camions aménagés. Vous avez des contrats bien ficelés avec
des cachets et des défraiements. Nous, nous mettions tout dans des
malles, nous roulions nos toiles peintes et nous chargions le tout
sur des charrettes à bras ou tirées par des mules. Tout ça par tous les
temps. Et nous n’avions pas des routes comme les vôtres. Nos routes
étaient des chemins d’aujourd’hui. On s’enfonçait quand il pleuvait,
mais on allait de l’avant. On pouvait arriver dans une ville avec des
décors et des costumes trempés par la pluie ou la neige, fatigués par
le voyage, et on jouait quand même. En guise de cachet on passait
le chapeau et en plus nous devions faire un don à la ville qui nous
accueillait. Ah ! Il fallait vraiment aimer le théâtre. Et c’est vrai
que nous l’aimions. Et avec ça, nous étions considérés comme des
marginaux, des libertins, et nous étions excommuniés par l’église.

Moi : Eh bien nous, nous sommes intermittents du spectacle,


c’est pas mieux, et toujours marginaux. Il n’y a que les moyens de
transport qui ont changé.
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22 – Molière et moi –

Molière : Oui, c’est ça, plains-toi. J’aurais aimé te voir dans


cette époque. Tu vois j’ai toujours été un vrai Parisien. Jamais je
n’aurais pensé que j’aurais pu être heureux en dehors de Paris, et
pourtant ces dix années vécues avec des gens simples, loin de la
cour et de tous les faux-semblants, m’ont appris plus que cent ans
de vie parisienne. C’est là que j’ai découvert la véritable existence.
Être apprécié pour ce que tu es réellement, sans arrière-pensée,
ni jugement dogmatique ou tyrannique. Nous avons commencé
par parcourir l’ouest de la France, puis nous avons traversé vers le
Languedoc, avant de remonter la Vallée du Rhône, Lyon, Grenoble
et Dijon. Nous croisions d’autres compagnies, d’autres acteurs et
nous grossissions la troupe. Tu découvres un foisonnement et une
richesse d’artistes dans toutes ces régions, alors que Paris croit être
la seule ville où l’art rayonne ! C’est là que j’ai compris combien
le bon peuple aime rire plutôt que pleurer. Et aussi combien il est
bien plus difficile de faire rire que de faire pleurer, parce que pour
faire rire, il faut être simple et très bien dans sa tête. Et ça, ce n’est
pas donné à tout le monde. Comme je l’ai dit dans La Critique de
l’École des femmes : « C’est une étrange entreprise que celle de faire
rire les honnêtes gens. »

Pourtant, être bien dans sa tête et dans sa peau, ce n’était vraiment pas
mon cas. C’est là à Pézenas, à Gignac, à Lavagnac, à Montagnac…,
que j’ai appris cette simplicité. S’asseoir chez le barbier, écouter
des histoires, raconter ses histoires, et rire, rire avec tout le monde.
Ah ! ça faisait du bien ! Nous, nous jouions de grosses farces à faire
rire les vivants et les morts. À cette époque, des comédiens italiens
sillonnaient aussi les routes de France en jouant la Commedia
dell’arte. Quand j’ai vu l’énorme succès de ce théâtre populaire, sans
hésiter, je me suis lancé dans l’adaptation de ces farces italiennes.
Ces Italiens, que mon regretté grand-père maternel m’emmenait voir
quand j’étais petit, sur le Pont-Neuf.

Moi : Et ce seront toutes ces farces qui représenteront le vivier, le réservoir


sans fin de toutes tes œuvres futures. Il y avait Les Trois Docteurs rivaux,
Le Docteur pédant, Le Docteur amoureux, Le Médecin volant… Pourquoi
est-ce que tu as tellement lancé de pointes contre les médecins ?
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– Molière et moi – 23

Molière : Ce ne sont pas les médecins que j’ai joué mais le ridicule
des malades et de leurs maladies. Au xviie siècle nous n’avions pas
tous les laboratoires que vous avez aujourd’hui pour fabriquer tous
vos médicaments. Les médecins connaissaient les maladies, mais pour
les guérir ils n’avaient que les saignées, les purgations et les lavements.
C’était un peu maigre. Alors ils étaient ce qu’on appelait des
accompagnateurs. C’est-à-dire qu’ils accompagnaient les personnes
malades jusque dans l’autre monde en veillant à ce qu’elles souffrent le
moins possible. Et puis, j’avais dix ans quand ma mère est morte d’une
saignée. C’est alors que j’ai dit qu’aucun médecin ne me toucherait,
car j’ai toujours pensé que c’étaient eux qui avaient tué ma mère.

Moi : Tu n’avais pas de médecin ?

Molière : Si, bien sûr, il s’appelait Mauvillain. Mais il ne me soignait


pas si tu veux le savoir. Nous avions d’agréables conversations
ensemble. Il me donnait des remèdes quand j’étais malade, je ne les
prenais pas, et je guérissais.

Moi : Ah, c’est comme Lisette dans L’Amour médecin :

« Que voulez-vous donc faire, Monsieur, de quatre médecins ? N’est-


ce pas assez d’un pour tuer une personne ? Est-ce que votre fille ne
peut pas bien mourir sans le secours de ces messieurs-là ? J’ai connu
un homme qui prouvait, par bonnes raisons, qu’il ne faut jamais
dire : “Une telle personne est morte d’une fièvre et d’une fluxion sur
la poitrine”, mais : “Elle est morte de quatre médecins et de deux
apothicaires”. »

Et Sganarelle dans Le Médecin malgré lui :

« Est-ce là la malade ? Il ne faut pas qu’elle meure sans l’ordonnance du


médecin. Eh bien ! de quoi est-il question ? qu’avez-vous ? quel est le mal
que vous sentez ? (Il tend l’oreille) Eh ! que dites-vous ? Quoi ? … Je ne
vous entends point. Quel diable de langage est-ce là ? Ah, votre fille est
muette ? Plût à Dieu que ma femme eût cette maladie ! Je me garderais
bien de la vouloir guérir. »
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24 – Molière et moi –

Et Toinette dans Le Malade imaginaire :

« Je suis médecin passager, qui vais de ville en ville, de province en


province, de royaume en royaume, pour chercher d’illustres matières à
ma capacité, pour trouver des malades dignes de m’occuper, capables
d’exercer les grands et beaux secrets que j’ai trouvés dans la médecine.
Je dédaigne de m’amuser à ce menu fatras de maladies ordinaires, à ces
bagatelles de rhumatismes et de fluxions, à ces fiévrottes, à ces vapeurs,
et à ces migraines. Je veux des maladies d’importance : de bonnes fièvres
continues avec des transports au cerveau, de bonnes fièvres pourprées, de
bonnes pestes, de bonnes hydropisies formées, de bonnes pleurésies avec
des inflammations de poitrine : c’est là que je me plais, c’est là que je
triomphe ; et je voudrais, Monsieur, que vous eussiez toutes les maladies
que je viens de dire, que vous fussiez abandonné de tous les médecins,
désespéré, à l’agonie, pour vous montrer l’excellence de mes remèdes, et
l’envie que j’aurais de vous rendre service. (Il mime qu’il prend le pouls
de Molière) Donnez-moi votre pouls. Allons donc, que l’on batte comme
il faut. Ahy, je vous ferai bien aller comme vous devez. Hoy, ce pouls-là
fait l’impertinent : je vois bien que vous ne me connaissez pas encore.
Qui est votre médecin ?

Molière : Monsieur Purgon.

Moi : Cet homme-là n’est point écrit sur mes tablettes entre les grands
médecins. De quoi dit-il que vous êtes malade ?

Molière : Il dit que c’est du foie, et d’autres disent que c’est de la rate.

Moi : Ce sont tous des ignorants : c’est du poumon que vous êtes malade.

Molière : Du poumon ?

Moi : Oui. Que sentez-vous ?

Molière : Je sens de temps en temps des douleurs de tête.

Moi : Justement, le poumon.


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Molière : Il me semble parfois que j’ai un voile devant les yeux.

Moi : Le poumon.

Molière : J’ai quelquefois des maux de cœur.

Moi : Le poumon.

Molière : Je sens parfois des lassitudes par tous les membres.

Moi : Le poumon.

Molière : Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme


si c’était des coliques.

Moi : Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ?

Molière : Oui, Monsieur.

Moi : Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ?

Molière : Oui, Monsieur.

Moi : Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas, et vous


êtes bien aise de dormir ?

Molière : Oui, Monsieur.

Moi : Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre


médecin pour votre nourriture ?

Molière : Il m’ordonne du potage.

Moi : Ignorant.

Molière : De la volaille.
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Moi : Ignorant.

Molière : Du veau.

Moi : Ignorant.

Molière : Des bouillons.

Moi : Ignorant.

Molière : Des œufs frais.

Moi : Ignorant.

Molière : Et le soir de petits pruneaux pour lâcher le ventre.

Moi : Ignorant.

Molière : Et surtout de boire mon vin fort trempé.

Moi : Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire votre vin pur ;


et pour épaissir votre sang, qui est trop subtil, il faut manger de bon
gros bœuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et
du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre
médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je
viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville.

Molière : Vous m’obligez beaucoup.

Moi : Que diantre faites-vous de ce bras-là ?

Molière : Comment ?

Moi : Voilà un bras que je me ferais couper tout à l’heure, si j’étais que
de vous.

Molière : Et pourquoi ?
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Moi : Ne voyez-vous pas qu’il tire à soi toute la nourriture, et qu’il


empêche ce côté-là de profiter ?

Molière : Oui ; mais j’ai besoin de mon bras.

Moi : Vous avez là aussi un œil droit que je me ferais crever, si j’étais
en votre place.

Molière : Crever un œil ?

Moi : Ne voyez-vous pas qu’il incommode l’autre, et lui dérobe sa


nourriture ? Croyez-moi, faites-vous-le crever au plus tôt, vous en verrez
plus clair de l’œil gauche.

Molière : Cela n’est pas pressé.

Moi : Adieu. Je suis fâché de vous quitter si tôt ; mais il faut que je me
trouve à une grande consultation qui se doit faire pour un homme qui
mourut hier.

Molière : Pour un homme qui mourut hier ?

Moi : Oui, pour aviser, et voir ce qu’il aurait fallu lui faire pour le
guérir. Jusqu’au revoir. »

(Un temps. Moi prend un verre d’eau, boit et le tend à Molière.)

Molière : Merci (Il boit puis pose le verre au sol). C’est à Lyon, au
printemps 1655 que le public accueille avec un immense succès
L’Étourdi, ma première grande comédie. Il nous aura fallu dix ans
pour oublier le goût amer du Jeu de paume des Métayers, de celui
de la Croix Noire et du cauchemar de la prison. En voyant tous ces
gens en ovation, je comprenais que j’avais enfin trouvé la voie que
j’avais tant recherchée. La pièce était écrite dans les règles de l’art
et elle plaisait aux gens simples comme aux censeurs de la culture.
Plus personne n’avait à redire. Et quel bonheur, quel bonheur de
déguster cette victoire. Victoire que je devais à tous ceux qui m’ont
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accompagné et qui ont cru en moi, comme à tous ceux que j’ai
côtoyés dans toutes ces provinces et qui m’ont raconté tant de belles
histoires. (Un temps.)

Moi : (Se lève lentement et passe derrière le fauteuil. Il parle à la


perruque.) Ah L’Étourdi ! Voilà où commence ma passion pour
toi. Victor Hugo dira que c’est la plus lumineuse de toutes tes
pièces. Maintenant, tu es sur la voie du grand Molière. À partir
de L’Étourdi tout va s’enchaîner très vite. Tu as trente-trois ans
et dans les dix-huit années qui te séparent de la mort, tu écriras
plus de trente pièces, toute ton œuvre. Elles marqueront un
virage radical dans le théâtre français, mais aussi étranger. Tu
seras le fondateur du théâtre moderne. La Révolution française
te baptisera citoyen Molière et tes œuvres seront une source de
références pour le théâtre américain et le théâtre russe. Tu es le
défenseur du rire, de l’art populaire. Ta tendresse et ta générosité
traversent le temps, rendent tes œuvres éternelles, et la langue
que nous parlons est pour le monde entier la langue de Molière.
(Un temps.)

(Il prend la bourse sur le fauteuil, et vient devant la scène.) Le


premier type de personnage que tu te crées, à la façon de la
Commedia dell’arte, c’est « Mascarille ». Dans L’Étourdi c’est un
valet fourbe et malicieux, « le roi des serviteurs à qui son esprit
en intrigues fertiles n’a jamais rien trouvé qui lui fût difficile ».
Surtout quand il a en face de lui un bon bourgeois à la bourse
bien pleine.

(Moi sera à tour de rôle Anselme et Mascarille sans changer de place.)

Anselme : Par mon chef, c’est un siècle étrange que le nôtre !


J’en suis confus : jamais tant d’amour pour le bien,
Et jamais tant de peine à retirer le sien.
Les dettes aujourd’hui, quelque soin qu’on emploie,
Sont comme les enfants que l’on conçoit en joie,
Et dont avecque peine on fait l’accouchement.
L’argent dans une bourse entre agréablement ;
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– Molière et moi – 29

Mais le terme venu que nous devons le rendre,


C’est lors que les douleurs commencent à nous prendre.
Baste, ce n’est pas peu que deux mille francs dus
Depuis deux ans entiers me soient enfin rendus ;
Encore est-ce un bonheur.

Mascarille : Ô Dieu ! la belle proie


À tirer en volant ! chut : il faut que je voie
Si je pourrais un peu de près le caresser.
Je sais bien les discours dont il le faut bercer.
Je viens de voir, Anselme…

Anselme : Et qui ?

Mascarille : Votre Nérine.

Anselme : Que dit-elle de moi, cette gente assassine ?

Mascarille : Pour vous elle est de flamme.

Anselme : Elle ?

Mascarille : Et vous aime tant,


Que c’est grande pitié.

Anselme : Que tu me rends content !

Mascarille : Peu s’en faut que d’amour la pauvrette ne meure :


« Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure,
Quand est-ce que l’hymen unira nos deux cœurs,
Et que tu daigneras éteindre mes ardeurs ? »

Anselme : Mais pourquoi jusqu’ici me les avoir celées ?


Les filles, par ma foi, sont bien dissimulées !
Mascarille, en effet, qu’en dis-tu ? Quoique vieux,
J’ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux.
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Mascarille : Oui, vraiment, ce visage est encor fort mettable ;

Anselme : Si bien donc…

Mascarille : Si bien donc qu’elle est sotte de vous,


Ne vous regarde plus…

Anselme : Quoi ?

Mascarille : Que comme un époux,


Et vous veut…

Anselme : Et me veut…?

Mascarille : Et vous veut, quoi qu’il tienne,


Prendre la bourse.

Anselme : La… ?

Mascarille : (prend la bourse) La bouche avec la sienne.

Anselme : Ah ! je t’entends. Viens çà : lorsque tu la verras,


Vante-lui mon mérite autant que tu pourras.

Mascarille : Laissez-moi faire.

Anselme : Adieu.

Mascarille : Que le Ciel vous conduise !

(Collage Acte II fin scène 8)


Mascarille : Après ce rare exploit, je veux que l’on s’apprête
À me peindre en héros un laurier sur la tête,
Et qu’au bas du portrait on mette en lettres d’or :
Vivat Mascarillus, fourbum imperator !

(Un temps. Moi prend le verre d’eau le remplit, boit, et le tend à Molière.)
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Molière : Non merci (Il pose le verre au sol). Ma seconde grande


comédie Le Dépit amoureux, que nous créons le 17 novembre 1656
à Béziers dans le cadre des États généraux du Languedoc, sera un
triomphe de la même trempe que l’Étourdi. Je suis alors le protégé
du prince de Conti qui organise ces États, et les députés de la
Noblesse, du Clergé et du tiers état se ruent pour applaudir Molière
et l’Illustre Théâtre, la nouvelle troupe à la mode.

Après deux années de reconnaissance artistique, entre Aquitaine


et Languedoc, plus rien ne s’opposait à notre retour à Paris. Et le
24 octobre 1658, nous faisons une entrée triomphale dans la salle
des gardes du Vieux-Louvre devant le roi et la cour, grâce à une
farce Le Docteur amoureux, disparue depuis de mes œuvres. Le
roi ordonne que nous partagions la salle du Petit Bourbon avec
la troupe des comédiens italiens, animée par Tiberio Fiorilli, dit
Scaramouche, et nous prenons le titre de « Troupe de Monsieur,
frère unique du roi ».

J’ai peint les hommes d’après nature et les sujets ne m’ont vraiment
pas manqué. Et je l’aime cette nature. Je bannis l’artificiel, les faux-
semblants, les imposteurs, les hypocrites et je lutte pour la vérité,
la sincérité et l’amour. La comédie poursuit le vice en général. Elle
ne nomme personne en particulier. C’est la satire qui poursuit
nommément les gens. Mais moi ce que j’ai écrit ce sont des comédies
et non pas des satires ! Et c’est à travers le rire que je veux corriger
les mœurs. Castigat ridendo mores ! J’ai été un critique de l’ordre
social du xviie siècle, sans jamais avoir attaqué qui que ce soit en le
nommant. Mais, Vanitas Vanitatum, comme dit le proverbe « qui se
sent morveux se mouche », et j’en ai mouché plus d’un.
C’est ce que j’ai dit dans L’Impromptu de Versailles. « Si quelque chose
était capable de me dégoûter de faire des comédies, c’était les ressemblances
qu’on y voulait toujours trouver, et dont mes ennemis tâchaient
malicieusement d’appuyer la pensée, pour me rendre de mauvais offices
auprès de certaines personnes à qui je n’avais jamais pensé. Pourquoi
vouloir appliquer tous mes gestes et toutes mes paroles et chercher à me
faire des affaires en disant hautement : “Il joue un tel”, lorsque ce sont
des choses qui peuvent convenir à cent personnes ? Comme l’affaire de
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la comédie est de représenter en général tous les défauts des hommes, et


principalement des hommes de notre siècle, il m’est impossible de faire
aucun caractère qui ne rencontre quelqu’un dans le monde. Et s’il faut
qu’on m’accuse d’avoir songé toutes les personnes ou l’on peut trouver les
défauts que je peins, il faut sans doute que je ne fasse plus de comédies. »

(Un temps.)

Moi : Quel caractère renfermé ! Est-ce de la haine, est-ce de l’amour ?


Aimes-tu les hommes ou est-ce que tu les détestes ? Ne serait-ce pas
plutôt toi qui portes cette souffrance contre toi-même ? Depuis ta
plus tendre enfance, tu as compris que la vie rêvée était beaucoup
plus vaste que la vie vécue. Et c’est dans le théâtre que tu as trouvé
ce large champ ouvert sur l’imaginaire. On a dit que tu étais rêveur
et mélancolique. Que tu parlais peu, avec un penchant naturel
vers la tristesse. Que tu étais contemplatif, c’est-à-dire observateur.
Devant tous ces portraits que ton ami La Grange a faits de toi je n’ai
pas l’impression que tu étais porté vers l’optimisme, la gaieté et le
comique. Alors quand Bossuet a lancé à ton encontre, après ta mort,
en guise d’oraison funèbre : « Malheur à vous qui riez, car vous
pleurerez ! », je ne pense pas que cela a dû beaucoup t’affecter du
haut de ton Éternité, car le rire tu l’as toujours laissé aux autres, toi
tu n’as fait que pleurer tout ce que ta vie pouvait contenir de larmes.

(Un temps.)

Molière : Pourtant, à Paris, tout avait bien commencé.

Moi : Oui, tout avait bien commencé, mais aussi pourquoi


t’attaquer aux précieuses des salons parisiens que tu qualifies de
« ridicules » ? Car même si tes personnages, Cathos et Magdelon,
sont deux provinciales récemment arrivées à Paris, ce sont bien aux
précieuses parisiennes que tu t’en prends ? Non ?

Molière : Oui tu as raison. (Molière met sa perruque, se lève très


sérieux et joue tous les personnages au centre de la scène.) Ah ! Les
Précieuses… ridicules !
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(Extrait Scène IX des Précieuses ridicules)


Mascarille : […] Mais à propos, il faut que je vous dise un
impromptu que je fis hier chez une duchesse de mes
amies que je fus visiter ; car je suis diablement fort sur
les impromptus.

Cathos : L’impromptu est justement la pierre de touche de


l’esprit.

Mascarille : Écoutez donc.

Magdelon : Nous y sommes de toutes nos oreilles.

Mascarille : « Oh, oh ! je n’y prenais pas garde :


Tandis que, sans songer à mal, je vous regarde,
Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur.
Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur ! »

Cathos : Ah ! mon Dieu ! voilà qui est poussé dans le dernier


galant.

Mascarille : Tout ce que je fais a l’air cavalier ; cela ne sent point le


pédant.

Magdelon : Il en est éloigné de plus de deux mille lieues.

Mascarille : Avez-vous remarqué ce commencement : « oh, oh » ?


Voilà qui est extraordinaire : « oh, oh ! » Comme un
homme qui s’avise tout d’un coup : « oh, oh ! » La
surprise : « oh, oh ! »

Magdelon : Oui, je trouve ce « oh, oh ! » admirable.

Mascarille : Il semble que cela ne soit rien.

Cathos : Ah ! mon Dieu, que dites-vous ? Ce sont là de ces sortes


de choses qui ne se peuvent payer.
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34 – Molière et moi –

Magdelon : Sans doute ; et j’aimerais mieux avoir fait ce « oh,


oh ! » qu’un poème épique.

Mascarille : Tudieu ! vous avez le goût bon.

Magdelon : Eh ! je ne l’ai pas tout à fait mauvais.

Mascarille : Mais n’admirez-vous pas aussi « je n’y prenais pas


garde » ? « Je n’y prenais pas garde », je ne m’apercevais
pas de cela : façon de parler naturelle : « je n’y prenais
pas garde ». « Tandis que sans songer à mal », tandis
qu’innocemment, sans malice, comme un pauvre
mouton ; « je vous regarde », c’est-à-dire, je m’amuse
à vous considérer, je vous observe, je vous contemple ;
« Votre œil en tapinois »… Que vous semble de ce mot
tapinois ? n’est-il pas bien choisi ?

Cathos : Tout à fait bien.

Mascarille : « Tapinois », en cachette : il semble que ce soit un chat


qui vienne de prendre une souris : « tapinois ».

Magdelon : Il ne se peut rien de mieux.

Mascarille : « Me dérobe mon cœur », me l’emporte, me le ravit.


« Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur ! » Ne
diriez-vous pas que c’est un homme qui crie et court
après un voleur pour le faire arrêter ? « Au voleur, au
voleur, au voleur, au voleur ! »

Magdelon : Il faut avouer que cela a un tour spirituel et galant.

Mascarille : Je veux vous dire l’air que j’ai fait dessus.

Cathos : Vous avez appris la musique ?

Mascarille : Moi ? Point du tout.


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– Molière et moi – 35

Cathos : Et comment donc cela se peut-il ?

Mascarille : Les gens de qualité savent tout sans avoir jamais rien
appris.

Magdelon : Assurément, ma chère.

Mascarille : Écoutez si vous trouverez l’air à votre goût. « Hem,


hem. La, la, la, la, la. » La brutalité de la saison a
furieusement outragé la délicatesse de ma voix ; mais
il n’importe, c’est à la cavalière.

(Il chante.)

« Oh, oh ! je n’y prenais pas garde :


Tandis que, sans songer à mal, je vous regarde,
Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur.
Au voleur, au voleur, au voleur, au voleur ! »

(Un temps. Il remet la perruque sur la tête en polystyrène.)

Molière : Au type du personnage de « Mascarille » va en succéder


un autre : « Sganarelle ». Le 28 mai 1660, nous jouons sur le Théâtre
du Petit Bourbon, toujours sous la protection de « Monsieur, frère
unique du roi », Sganarelle ou le Cocu imaginaire. Tu connais ?

Moi : Ah, oui, bien sûr que je connais ! C’est ce personnage qui va
marquer le trait de ton véritable génie. « Mascarille » faisait rire en
se moquant des autres, « Sganarelle » va faire rire en se moquant
de lui-même. Il est l’image du vieux bourgeois paranoïaque. Tout
comme Don Quichotte, il vit dans un imaginaire des temps
anciens. Il porte la fraise, cette petite collerette blanche, et la barbe,
à la mode d’Henri IV. Son entêtement à refuser l’évolution sociale
des femmes et de la société en général fait de lui l’exemple typique
du mari cocu et du père borné dans les choix du mariage pour ses
enfants. Il est aussi avare, hypocrite, pleutre, violent, orgueilleux et
menteur.
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36 – Molière et moi –

(Sganarelle ou Le Cocu Imaginaire, Scène 17, extrait)

[…]
Sganarelle :
Vous apprendrez, maroufle, à rire à nos dépens,

Et sans aucun respect faire cocus les gens !
Il se retourne ayant fait trois ou quatre pas.
Doucement, s’il vous plaît ! Cet homme a bien la mine
D’avoir le sang bouillant et l’âme un peu mutine ;
Il pourrait bien, mettant affront dessus affront,
Charger de bois mon dos comme il a fait mon front.
Je hais de tout mon cœur les esprits colériques,
Et porte grand amour aux hommes pacifiques ;
Je ne suis point battant, de peur d’être battu,
Et l’humeur débonnaire est ma grande vertu.
Mais mon honneur me dit que d’une telle offense
Il faut absolument que je prenne vengeance.
Ma foi, laissons-le dire autant qu’il lui plaira :
Au Diantre qui pourtant rien du tout en fera !
Quand j’aurai fait le brave, et qu’un fer, pour ma
peine,
M’aura d’un vilain coup transpercé la bedaine,
Que par la ville ira le bruit de mon trépas,
Dites-moi, mon honneur, en serez-vous plus gras ?
La bière est un séjour par trop mélancolique,
Et trop malsain pour ceux qui craignent la colique ;
Et quant à moi, je trouve, ayant tout compassé,
Qu’il vaut mieux être encor cocu que trépassé : […]

Sganarelle apparaît dans sept de tes pièces, mais Arnolphe, Orgon,


Alceste, Dandin, Harpagon, Chrysale, Jourdain, Géronte, Argan,
sont toujours l’ombre de Sganarelle.

Harpagon quand on lui vole sa cassette : Au voleur ! au voleur !


à l’assassin ! au meurtrier ! Justice, juste Ciel ! je suis perdu, je suis
assassiné, on m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon argent. Qui
peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? Où est-il ? Où se cache-t-il ? Que
ferai-je pour le trouver ? Où courir ? Où ne pas courir ? N’est-il
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– Molière et moi – 37

point là ? N’est-il point ici ? Qui est-ce ? Arrête. Rends-moi mon


argent, coquin. (Il se prend lui-même le bras.) Ah ! c’est moi. Mon
esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce que je fais.
[…]

Orgon faisant le portrait de Tartuffe à son frère :

Mon frère, vous seriez charmé de le connaître,


Et vos ravissements ne prendraient point de fin.
C’est un homme… qui… ha !… un homme… un
homme enfin.
Qui suit bien ses leçons goûte une paix profonde,
Et comme du fumier regarde tout le monde.
Oui, je deviens tout autre avec son entretien ;
Il m’enseigne à n’avoir affection pour rien,
De toutes amitiés il détache mon âme ;
Et je verrais mourir frère, enfants, mère et femme,
Que je m’en soucierais autant que de cela.

Molière : Les sentiments humains, mon frère, que voilà !

Et Oronte lisant à Alceste son sonnet dans Le Misanthrope :

« L’espoir, il est vrai, nous soulage,


Et nous berce un temps notre ennui ;
Mais, Philis, le triste avantage,
Lorsque rien ne marche après lui !
[…]
Vous eûtes de la complaisance ;
Mais vous en deviez moins avoir,
Et ne vous pas mettre en dépense
Pour ne me donner que l’espoir.
[…]
S’il faut qu’une attente éternelle
Pousse à bout l’ardeur de mon zèle,
Le trépas sera mon recours.
Vos soins ne m’en peuvent distraire
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Belle Philis, on désespère,


Alors qu’on espère toujours. »
[…]

Mais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet …

Moi : Franchement, il est bon à mettre au cabinet.


Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles,
Et vos expressions ne sont point naturelles.
Qu’est-ce que « Nous berce un temps notre ennui » ?
Et que « Rien ne marche après lui » ?

Que « Ne vous pas mettre en dépense,


Pour ne me donner que l’espoir » ?
Et que « Philis, on désespère,
Alors qu’on espère toujours » ?
Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité
Ce n’est que jeu de mots, qu’affectation pure,
Et ce n’est point ainsi que parle la nature.
Le méchant goût du siècle, en cela, me fait peur.
Nos pères, tout grossiers, l’avaient beaucoup meilleur,
Et je prise bien moins tout ce que l’on admire
Qu’une vieille chanson que je m’en vais vous dire

(Moi commence à chanter : Si le roi m’avait donné…)

Molière : Non, non, non ! Ne chante pas ! Alceste est froid et


cérébral ! Il est toujours en souffrance, mais ne laisse rien paraître !
Que de la vérité !

(Molière reprend, très froid)

« Si le roi m’avait donné


Paris, sa grand-ville,
Et qu’il me fallût quitter
L’amour de ma mie,
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– Molière et moi – 39

Je dirais au roi Henri :


“Reprenez votre Paris :
J’aime mieux ma mie, au gué !
J’aime mieux ma mie.” »

La rime n’est pas riche, et le style en est vieux :


Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux
Que ces colifichets dont le bon sens murmure,
Et que la passion parle là toute pure ?

« Si le roi m’avait donné


Paris, sa grand-ville,
Et qu’il me fallût quitter
L’amour de ma mie,
Je dirais au roi Henri :
“Reprenez votre Paris :
J’aime mieux ma mie, au gué !
J’aime mieux ma mie.” »

Voilà ce que peut dire un cœur vraiment épris.

Et Le Bourgeois gentilhomme :

(Chantant)

« Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême,


Depuis qu’à vos rigueurs vos beaux yeux m’ont soumis ;
Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime,
Hélas ! que pourriez-vous faire à vos ennemis ? »

Moi : Monsieur Jourdain, le Bourgeois gentilhomme :

Cette chanson me semble un peu lugubre, elle endort ; je


voudrais que vous la pussiez un peu ragaillardir par-ci, par-
là. Comment ? Qu’est-ce que vous dites ? Il faut que l’air soit
accommodé aux paroles ? Justement. On m’en apprit un tout à
fait joli, il y a quelque temps. Attendez… Là… comment est-
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ce qu’il dit déjà ? Il y a du mouton dedans. Oui parfaitement


du mouton ! Ah ! Voilà !

(Il chante.)

« Je croyais Janneton
Aussi douce que belle,
Je croyais Janneton
Plus douce qu’un mouton :
Hélas ! hélas !
Elle est cent fois,
Mille fois plus cruelle,
Que n’est le tigre aux bois. »

N’est-il pas joli ?

(Un temps.)

Quelle férocité dans ta peinture de l’être humain. Et pourtant


qu’est-ce que tu l’aimes ce personnage de Sganarelle. Tu l’as créé à
ton image. Tu lui as donné toute ta mélancolie. La mélancolie qui
est la porte d’entrée de toute forme de folie.

Molière : Oui tu as raison. Et au Misanthrope je lui ai donné


le sous-titre d’Atrabilaire amoureux, c’est-à-dire atteint d’une
mélancolie noire et profonde. J’ai souvent qualifié Sganarelle de
loup-garou. Le loup-garou est, dans l’esprit du peuple, un être
dangereux et malin. Mais il est en réalité un fou mélancolique qui
court la nuit dans les champs et les rues. (Il regarde Moi.) Ça ne
t’arrive jamais ?

Moi : Dis, mais c’est fini, oui ! Parle pour toi ! Cette maladie s’appelle
la lycanthropie. Je ne suis pas un lycanthrope, moi ! Ce sont tous tes
personnages bâtis sur le modèle de Sganarelle qui en sont atteints !
D’ailleurs c’est dans L’École des maris qu’on entend pour la première
fois parler de Sganarelle dans des qualificatifs de « bizarre fou », de
« loup-garou », de « sauvage » de « dragon » et Lisette de conclure :
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– Molière et moi – 41

Vous, si vous connaissez des maris loups-garous,


Envoyez-les au moins à l’école, chez nous.

À partir de là tes comédies deviennent de « caractère », de « mœurs »


et tu peins à merveille les maris cocus et les fâcheux.

Molière : Ah ! Les Fâcheux ! Pour cette pièce-là, de manière presque


impromptue, j’ai découvert un nouveau type de comédie : la
comédie mêlée de musique et de danse, la comédie musicale si
tu préfères. J’ai adoré cela, cette comédie à grand spectacle, avec
effets spéciaux, danses, musique. Ça a plu tout de suite au roi,
qui m’a même demandé de rajouter un personnage à ma galerie
des importuns. C’est à sa demande que j’ai écrit le personnage
du chasseur, ce Tartarin qui inflige à tout le monde le récit de ses
exploits… Plus tard, à Versailles, il m’a demandé d’organiser ses
grandes fêtes : j’ai trouvé là des possibilités extraordinaires pour
la comédie, des décors grandioses, des machineries de théâtre, des
ballets, et même des ballets nautiques sur le Grand Canal.

Moi : Autant dire que tu as inventé Versailles Story, avant « West


Side Story… »

Molière : Mais oui. Sache que ce sont ces comédies-ballets qui ont
donné naissance aux comédies musicales américaines.

Moi : Mais, je le sais. Et puis, soudainement, tu t’en prends à


l’éducation des femmes et des filles.

Arnolphe dans L’École des Femmes :

(Il prend le tabouret et le place à l’avant-scène. Il parle à une fille du public.)


[…]
Je vous épouse, Agnès ; et cent fois la journée
Vous devez bénir l’heur de votre destinée
[…]
Le mariage, Agnès, n’est pas un badinage :
À d’austères devoirs le rang de femme engage,
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42 – Molière et moi –

Et vous n’y montez pas, à ce que je prétends,


Pour être libertine et prendre du bon temps.
Votre sexe n’est là que pour la dépendance :
Du côté de la barbe est la toute-puissance.
Bien qu’on soit deux moitiés de la société,
Ces deux moitiés pourtant n’ont point d’égalité :
L’une est moitié suprême et l’autre subalterne ;
L’une en tout est soumise à l’autre qui gouverne ;
[…]
C’est ce qu’entendent mal les femmes d’aujourd’hui ;
Mais ne vous gâtez pas sur l’exemple d’autrui.
Gardez-vous d’imiter ces coquettes vilaines
Dont par toute la ville on chante les fredaines,
Et de vous laisser prendre aux assauts du malin,
C’est-à-dire d’ouïr aucun jeune blondin.
Songez qu’en vous faisant moitié de ma personne
C’est mon honneur, Agnès, que je vous abandonne ;
[…]
Et qu’il est aux enfers des chaudières bouillantes
Où l’on plonge à jamais les femmes mal vivantes. […]

Quand tu écris ces pièces, tu es déjà dans les bras d’Armande. Alors
où est passé ton amour pour Madeleine ?

Molière : Là, c’est mon jardin secret. Tu ne peux pas y entrer, et


je ne t’y invite pas. J’ai toujours aimé la vie et l’amour, je te l’ai
dit : j’ai eu un très fort penchant pour Épicure. Je suis homme et
rien de ce qui est humain ne m’est étranger, ce n’est pas moi qui ai
dit ça, c’est Térence. La petite Menou, de son vrai nom Armande
Béjart, a débarqué pour la première fois à Lyon au moment de
L’Étourdi. Madeleine nous a fait croire qu’elle était sa sœur. En
réalité, j’apprendrais plus tard qu’elle était sa fille. Elle l’avait mise
secrètement au monde, non pas pour se protéger elle, mais pour
protéger la réputation du père, qui était le comte de Modène.
Armande a été élevée dans le secret, comme une petite princesse,
ou plutôt comme une enfant très gâtée. Je l’épousai le 20 février
1662. Elle était de vingt ans plus jeune que moi. Ce sera le début
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– Molière et moi – 43

d’un très long calvaire. Je lui ai donné tous mes rôles fétiches. Mais
celui qui ne l’a jamais quittée c’est le rôle de Psyché. Elle rêvait d’un
amour divin, et l’amour que je lui offrais était terrestre. Ce n’est pas
moi qu’elle épousait, c’était ma réputation, ce que je représentais
et l’univers royal que je fréquentais. Nous avons dû porter le deuil
de nos deux garçons morts très peu de temps après leur naissance.
Heureusement, notre fille Esprit-Madeleine nous aura survécu. Ce
qui est difficilement concevable, c’est qu’aujourd’hui je sais que c’est
Madeleine qui m’a vraiment aimé. Il est difficile de comprendre que
j’épousais Armande avec le consentement de Madeleine, parce que
pour elle, j’épousais officiellement les Béjart et que nous restions
toujours une famille unie. À partir de là, je te laisse imaginer tout
ce que tu voudras.

En même temps, je subissais les attaques acharnées de mes ennemis,


de plus en plus nombreux, de plus en plus virulents. J’ai passé ma
vie à me défendre. J’ai dû écrire La Critique de l’École des femmes et
L’Impromptu de Versailles comme mon propre plaidoyer, dans un
procès où la sentence n’a jamais tenu compte de la défense. Comme
a dit Bertolt Brecht, « si les requins étaient des hommes … », eh bien
ça ne changerait pas grand-chose à l’univers marin. Heureusement
que j’avais une formation d’avocat. Heureusement surtout, que
l’amitié qui naît entre le jeune roi Louis XIV et moi va me donner
la force de combattre. Le roi défend Molière, quelle chance ! Mais
était-ce vraiment une chance ? Sans que je m’en rende compte, le
complot contre moi prend des racines de plus en plus profondes,
dans les fondements même de l’État.

Moi : Oui, mais aussi, voilà, tu veux tout changer, tu veux faire une
révolution sociale à toi tout seul. C’est de l’orgueil ! Tu es bourré
d’orgueil ! Tu veux donner des leçons à tout le monde. Mais tu
aurais dû commencer par toi ! Tu n’attaques personne et pourtant
tout le monde se sent concerné. Tu prétends respecter les règles de
la morale et pourtant tout le monde te voit comme un libertin.
Tu ouvres le champ à des imaginaires qui vont tous contre toi !
L’École des femmes est considérée comme une pièce obscène et…
pornographique ! à cause d’un « le », trois points de suspension.
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44 – Molière et moi –

« Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelque autre chose ? » « Il m’a pris
le… » Tu pousses le public à imaginer qu’il s’agit du sexe d’Agnès,
mais toi, bien sûr, tu considères que c’est le public qui imagine
cela qui est obscène ; toi tu te fais aussi naïf qu’Agnès, aussi blanc
et innocent, mais tu ne l’es pas ! Tu provoques. Tu joues avec tout
le monde. Tu te crois au-dessus des lois parce que le roi te protège.
Quel piège !

Le roi aime danser, alors tu crées avec Jean-Baptiste Lully des comédies
musicales pour que le roi danse. Et c’est comblé de plaisir qu’il t’a
remercié pour Les Fâcheux à Vaux-le-Vicomte. Est-ce que tu as réalisé
que ta pièce a servi de prétexte à Louis XIV pour faire emprisonner
Fouquet, ministre des Finances et le faire remplacer par Colbert. Tu
as été le jouet du complot et c’est avec ça que tu veux te faire aimer !
Et le roi danse dans Le Mariage forcé. Et tu deviens l’intendant des
plaisirs royaux, ou plutôt le bouffon, le fou du roi ! Molière est le fou
de Louis XIV ! Tu feras danser le roi dans des quantités de comédies
musicales qu’il te commandera, encore et encore ! Et tu feras tout
pour combler ses désirs, mais le roi n’a pas dansé dans ta comédie-
ballet du Malade imaginaire. À la fin de ta vie, tu ne fais plus danser le
roi. Il t’a tourné le dos. Le roi t’a abandonné. Lully t’a trahi : il réclame
les droits de tous tes textes qu’il a mis en musique. Et le roi accepte.
Tu t’es enlisé dans un combat que tu ne peux plus gagner. Ce combat
c’est celui de Tartuffe. Pourtant, on sait que c’est le roi qui t’a passé
la commande de la pièce, et toi, comme à ton habitude, tu as été un
sujet fidèle et obéissant. Tu as écrit Le Tartuffe pour dénoncer pour
lui l’hypocrisie des faux dévots, parce qu’il voulait mettre un terme à
l’obscurantisme religieux, au jansénisme et à la Compagnie du Saint-
Sacrement de l’autel. Il pensait déjà à la séparation de l’Église et de
l’État, non pas comme un républicain, mais comme un monarque
absolu qui rêvait d’un pouvoir unique. Et puis, il en avait assez de la
morale religieuse qui lui était faite, surtout par sa mère, parce qu’il
aimait la vie, et qu’il avait des maîtresses, comme toi. Seulement,
les foudres que Le Tartuffe a déclenchées c’est sur toi qu’elles sont
tombées, pas sur lui. Tu as été l’instrument du roi. Il s’est servi de toi
et tu t’es laissé faire. Alors il ne faut plus pleurer maintenant. Ce qui
est fait est fait.
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– Molière et moi – 45

Tu seras accusé par l’Église d’être hérétique pour avoir blasphémé les
Saintes Écritures. Et au passage tu seras aussi accusé de libertinage
parce que tes détracteurs ont décidé qu’Armande était ta fille, ce qui
est absolument faux ! Quelle souffrance sera la tienne depuis Tartuffe
jusqu’à ta mort. Et le curé de la paroisse de Saint-Barthélemy qui en
rajoute une couche : « Un homme, ou plutôt un démon vêtu de chair
et habillé en homme, et le plus signalé impie et libertin qui fut jamais
dans les siècles passés, etc., etc., etc. »

Avec tout ça, que s’est-il passé dans la nuit du 17 février 1673 ?

Molière : Je ne sais pas. Je disais adieu à la vie, je crois, non ?

Moi : Essaye de te souvenir…

Molière : À quoi bon. C’est si loin maintenant tout ça !

Moi : On a dit tellement de choses, que je veux avoir ta version.


C’était à la quatrième représentation du Malade imaginaire. Tu jouais
le rôle-titre, et ta maladie à toi n’était pas imaginaire. Tu étais malade,
très malade. Ta toux devenait suffocante. Tu as demandé à ce que
la représentation soit avancée à quatre heures parce que tu n’aurais
pas pu jouer plus tard. Et à la fin de la pièce, en prononçant le mot
« Juro » tu t’es mis à cracher le sang et tu l’as caché avec un rire. Et le
public, croyant à un effet d’hémoglobine, s’est aussi mis à rire. C’est-à-
dire que jusqu’à la dernière goutte de ton sang, à l’image de Mercutio
dans Roméo et Juliette, tu as fait rire le monde de ta propre mort…

Molière (il met lentement sa perruque) : Ah ! Cette quatrième


représentation du Malade imaginaire… Ce jour-là je fêtais un bien
triste anniversaire… Cela faisait un an jour pour jour que nous
avions dit adieu à Madeleine… Je me sentais vraiment mal… Je
savais que la mort était là, qu’elle rôdait, mais je ne voulais pas la
voir. La mort n’a rien à faire dans le théâtre. L’acteur porte la vie. Et
j’ai voulu porter la mienne jusqu’au bout. Le Malade imaginaire ne
parle que de ça…
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46 – Molière et moi –

(Molière joue les deux personnages assis au fauteuil.)

Argan : […] Mais, enfin, mon frère, venons au fait. Que faire
donc quand on est malade ?
Béralde : Rien, mon frère.

Argan : Rien ?

Béralde : Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature,


d’elle-même, quand nous la laissons faire, se tire
doucement du désordre où elle est tombée. C’est notre
inquiétude, c’est notre impatience qui gâte tout ; et
presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et
non pas de leurs maladies.

Argan : […] Ouais ! vous êtes un grand docteur, à ce que je


vois, et je voudrais bien qu’il y eût ici quelqu’un de
ces messieurs, pour rembarrer vos raisonnements et
rabaisser votre caquet.

Béralde : […] Mon frère […] j’aurais souhaité de pouvoir un


peu vous tirer de l’erreur où vous êtes et, pour vous
divertir, vous mener voir, sur ce chapitre, quelqu’une
des comédies de Molière.

Argan : C’est un bon impertinent que votre Molière, avec ses


comédies ! et je le trouve bien plaisant d’aller jouer
d’honnêtes gens comme les médecins ! […]
C’est bien à lui à faire de se mêler de contrôler la
médecine ! Voilà un bon nigaud, un bon impertinent,
de se moquer des consultations et des ordonnances,
de s’attaquer au corps des médecins, et d’aller mettre
sur son théâtre des personnes vénérables comme
ces messieurs-là ! […] Par la mort non de diable !
si j’étais que des médecins, je me vengerais de son
impertinence ; et, quand il sera malade, je le laisserais
mourir sans secours. Il aurait beau faire et beau dire,
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– Molière et moi – 47

je ne lui ordonnerais pas la moindre petite saignée,


le moindre petit lavement ; et je lui dirais : Crève,
crève ; cela t’apprendra une autre fois à te jouer à la
Faculté. […] Tant pis pour lui, s’il n’a point recours
aux remèdes. […]
Tenez, mon frère, ne parlons point de cet homme-
là davantage ; car cela m’échauffe la bile et vous me
donneriez mon mal.

(Dernier souffle, il s’immobilise un temps, puis il enlève la perruque et


la pose sur l’accoudoir du fauteuil.)

Moi (assis sur son tabouret prend la perruque et lui parle) : Aucun médecin
n’accepta de venir à ton chevet. Aucun prêtre non plus. Le 17 février
1673, à dix heures du soir tu t’es éteint, chez toi dans ton lit, étouffé
par le sang qui envahissait tes poumons, entouré de deux religieuses à
qui tu donnais l’hospitalité. Ta mère est morte d’une saignée. Elle s’est
vidée de son sang. Et voilà que toi, qui a toujours refusé les saignées,
tu allais mourir comme elle, exsangue. Étais-tu avec elle, étais-tu
avec Madeleine ? Étais-tu avec les deux à la fois ? Vous envoliez-vous
vers Montfrin, dans le Languedoc, sur le coteau des Molière, entre
le chant des cigales et celui des grillons ? Qu’importe ! Tu n’es jamais
parti, puisque tu es là. Tu ne nous as jamais quittés. Qu’importe de
savoir combien il a été difficile pour Armande de trouver un cimetière
qui accepte de t’inhumer, toutes les suppliques qu’elle a dû adresser
à l’archevêque de Paris et au roi. Qu’importe de savoir que tu as été
enterré au cimetière Saint-Joseph dépendant de l’église Saint-Eustache,
où tu as été baptisé. Ils t’ont mis dans le carré réservé aux nouveau-
nés, comme si tu n’avais jamais existé. Ils n’ont vraiment pas compris
grand-chose. Ils n’ont pas compris que tu vis dans l’éternité !

(Il prend une boîte sous le fauteuil et range doucement la perruque,


comme un comédien qui range son accessoire.)

Quand un siècle plus tard, les révolutionnaires français sont venus te


déterrer pour te donner une meilleure sépulture, celle que tu aurais
méritée, ils ont été bien étonnés, car dans le cercueil où tu avais
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48 – Molière et moi –

été mis en terre, ils n’ont trouvé aucun ossement. Toutes tes traces
terrestres avaient disparu. Mais là aussi, ils n’avaient pas compris
grand-chose. Ils n’avaient pas compris que Molière a été, Molière est,
et Molière sera.
(Il lit l’épitaphe écrite sur le couvercle de la boîte. Il passe du tragique
au comique)

« Ci-gît un qu’on dit être mort ;


Je ne sais s’il l’est, ou s’il dort ;
Sa maladie imaginaire
Ne peut pas l’avoir fait mourir ;
C’est un tour qu’il joue à plaisir,
Car il aimait à contrefaire,
Quoi qu’il en soit, ci-gît ! Molière :
Comme il était grand comédien,
Pour un mort imaginaire
S’il le fait, il le fait fort bien. »

(Il sort en éclatant de rire.)

FIN
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Théâtre
aux éditions L’Harmattan

Dernières parutions

regard (Le) de Laurent Terzieff


Brunhes Olivier, Téphany Julien
Ce DVD propose deux documentaires inédits sur l’artiste d’exception qu’était
Laurent Terzieff. Laurent Terzieff et compagnie d’Olivier Brunhes (1996, 26
minutes), montrant Terzieff au travail dans sa mise en scène de Meurtre dans
la cathédrale. Terzieff par lui-même de Julien Téphany (2011, 38 minutes)
nous fait découvrir à travers les archives de l’INA la carrière de ce surdoué
qui a décidé de se retirer du monde des stars pour se consacrer à l’essentiel.
(20,00 euros) ISBN : 978-2-296-56778-8

Contribution d’une ouvrière du théâtre au bonheur


du monde – Pratique de l’atelier théâtre
Augier-Jeannin Isabelle
Ce livre témoigne d’une expérience théâtrale qui permet à l’auteure de faire un
constat : les techniques qu’elle a acquises et expérimentées peuvent contribuer
à un mieux-être en société, et individuel. Ces techniques et les témoignages
qui leur sont associés constituent un outil précieux pour les « intervenants »
(compagnies théâtrales, amateurs ou professionnels, désireux de proposer des
ateliers théâtre en parallèle à leurs activités de création), mais aussi pour les
« accompagnants » qui ont un projet éducatif et/ou de société : enseignants,
éducateurs, coachs…
(39,00 euros, 396 p.) ISBN : 978-2-336-00151-7, ISBN EBOOK : 978-2-296-50712-8

KASSANDRA fuKuShima Suivi de PROMÉTHÉE


Pièces librement inspirées d’Eschyle
Jacques Kraemer
Ces deux pièces forment un diptyque dont le point de départ est le théâtre
d’Eschyle : Prométhée enchaîné et Agamemnon. La première, Prométhée
2071, est travaillée par la question du réchauffement climatique et des
désordres planétaires qui risquent d’en découler. La seconde, Kassandra
Fukushima, exprime la hantise d’une articulation du terrorisme mondial au
nucléaire militaire et civil.
(Coll. Théâtre des cinq continents, 10 euros, 64 p., juin 2012)
ISBN : 978-2-296-99061-6

L’EFFROYABLE ChanSon du POÈTE VOANT


Jean-Pierre Barbier-Jardet
Le message de cette pièce est axé sur la révolte contre la famille, l’Eglise et
les despotes. Y figure la révolution de 1870, la Commune, mais aussi la guerre
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d’Algérie et les tortures dénoncées dans le livre d’Henri Alleg, La Question.


L’auteur retrace la guerre du Viêt Nam, l’Holocauste, la violence carcérale,
comme les événements de mai 1968. L’amour y est présent sous sa forme la
plus décriée puisqu’il s’agit d’homosexualité.
(Coll. Théâtre des cinq continents, 10,5 euros, 76 p., juin 2012)
ISBN : 978-2-296-97016-8
A
L À LA fraFRATERNITÉ
M’envole, me pose, m’abandonne, résistant aux vents violents
Lucette JASON
Si la culture a un socle, celui-ci se trouve dans la diversité de nos réalisations.
Cette oeuvre est un appel à la mise en commun de nos ressources pour mener
à bien l’éducation des enfants. Cette démarche diminue les frustrations et la
«rage», tout en acceptant d’écouter l’autre. Dans un quartier dit «difficile»,
Michael est défendu par sa mère, prête à résister. Elle se bat mais pense à la
conciliation. Ses pas sont alors ceux de l’espoir.
(Coll. Théâtre des cinq continents, 12 euros, 88 p., juin 2012)
ISBN : 978-2-296-99248-1

CeuX du PÉRIMÈTRE
Jean Larriaga
Ceux du périmètre sont jetés de chez eux sans ménagement, réduits à attendre
que soit désactivée la bombe américaine de 500 kilos mise à jour au pied de
leur immeuble. Les évacués attribuent à la bombe toutes les significations
possibles. L’aîné d’entre eux, mémoire vivante des raids aériens de 1943 à
1944, affirme qu’il n’y en a jamais eu un seul ici. La peur se fera angoisse,
le doute l’affirmation d’un châtiment rien que pour eux. Et pourquoi pas
nucléaire ?...
(Coll. Théâtre des cinq continents, 12,5 euros, 112 p., juin 2012)
ISBN : 978-2-296-96241-5

ChaPEAU POURPO ! MI LÉPÔK, PAA !


Pièce en créole et en français
Henri Melon
Nous sommes confrontés aux affres d’une révolution à l’échelle planétaire. Le
mardi noir du 11 septembre 2001 est l’un de ses pics, tout comme «la crise».
Dans cette pièce, alternativement comique et tragique, l’auteur rejette une
troisième guerre mondiale en tant que solution appropriée au problème de
l’humanité contemporaine.
(Coll. Théâtre des cinq continents, 12 euros, 96 p., juin 2012)
ISBN : 978-2-296-99312-9

LA PITIÉE
D’après le roman de Stefan Zweig
Elodie Menant
1913, dans une ville de garnison autrichienne, le riche M. Kekesfalva organise
un bal costumé en l’honneur de sa fille, Edith, paralysée. Lors de cette soirée,
la demoiselle rencontre Anton Hofmiller, jeune lieutenant de cavalerie. Pris de
compassion pour elle, l’officier lui tient compagnie et les visites se succèdent.
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Edith en tombe follement amoureuse. Comment réagir face à cet amour ?


Quels sont les limites et les dangers de la pitié ?
(Coll. Lucernaire, 8 euros, 84 p., juin 2012) ISBN : 978-2-296-96646-8

SOU PEAU, LE manège du déSir


Geneviève de Kermabon
Ce texte est écrit à partir d’interviews d’anonymes sur le désir amoureux et
d’extraits de l’oeuvre de Grisélidis Réal. Grand cirque de la passion, cabaret du
sexe, manège du désir, cette pièce explore le fantasme et la réalité amoureuse dans
tous ses états. L’Amour... Faire l’amour... et les autres, comment font-ils ? Que se
cache-t-il dans ma tête et dans mon ventre, d’inavoué, de trouble, de sulfureux
? Suis-je normale ? Charlotte ne sait pas, Charlotte ne sait plus. Mais qui sait ?
(Coll. Lucernaire, 13,5 euros, 128 p., juin 2012) ISBN : 978-2-296-96650-5

LA main inviSibLE
Sylvie Jopeck
Les Naudin, famille de patrons, reçoivent Bernard Lubinski, directeur délégué
de leur société, et sa femme. Dîner burlesque et tragique où entre séduction
et humiliation, se joue la comédie de la finance et de la fortune tandis que la
ruse et le mépris manipulent ceux qui croyaient au pouvoir de l’argent. La
Main invisible, celle dont l’économiste Adam Smith écrivait qu’elle conduit
l’homme à «remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions» est le
théâtre de ce jeu de dupes.
(Coll. Théâtre des cinq continents, 11,5 euros, 92 p., juillet 2012)
ISBN : 978-2-296-99453-9

ELÉGANCe deS naufragéS


Bernard Rongier
Un couple. H pour homme, F pour femme. Devant nous, cependant, deux
personnages parfaitement individualisés, et comme le commande toute
dramaturgie (ou presque), à la fois opposés et complémentaires. Lui mieux
armé, plus à même de mener une barque pourtant fort incertaine ; elle plus
faible, dépendante, souffrant de quelque obscure pathologie. Des éclopés de la
vie, des laissés-pour-compte, certes. Mais puissamment liés par une sorte de
tendresse résistante à l’accablement.
(Coll. Théâtre des cinq continents, 10 euros, 68 p., juillet 2012)
ISBN : 978-2-296-99660-1

MADAME de VILMORIN
Annick Le Goff, Coralie Seyrig
D’après les interviews d’André Parinaud
La pièce, adaptée des entretiens de Louise de Vilmorin et d’André Parinaud,
nous fait découvrir une séductrice et une grande amoureuse dotée d’un humour
corrosif. Elle met en scène une femme de lettres étonnante qui se souvient
de son enfance, des hommes qu’elle a aimés (Saint-Ex, Cocteau, Gallimard,
Malraux) et d’un monde aujourd’hui disparu. Elle nous livre ses réflexions
sur la littérature et sur la vie qui passe à la lueur d’une bougie et au détour de
quelques interludes au piano.
(Coll. Lucernaire, 8,5 euros, 52 p., juillet 2012) ISBN : 978-2-296-99412-6
Licence accordée à Nadia Messaoudi madame.nadia@gmail.com - ip:37.210.38.250

LA PAIX !
Vincent Colin
D’après Aristophane
« Nous autres les Malgaches, petit peuple vaillant vivant à l’écart des grands
enjeux planétaires, avons décidé de nous adresser aux dieux pour qu’ils
ramènent la paix sur Terre. » Gageons qu’Aristophane, ne serait pas fâché de
voir les comédiens de la troupe malgache Landyvolafotsy s’emparer de cette
version très libre de sa fameuse comédie. Le père Lagnole, l’un des leurs,
s’élève vers l’Olympe, à l’aide d’une machine volante de sa propre confection,
pour réclamer aux dieux la restitution ferme et définitive de cette paix qui leur
fait tant défaut sur Terre.
(Coll. Lucernaire, 8,5 euros, 68 p., juillet 2012) ISBN : 978-2-296-99411-9
TROI
S SoLITUDES
D.A.F. de Sade, Marie Lafarge, Josefa Menéndez
Jean-Marie Apostolidès
Trois individus ayant vécu à des moments différents de l’histoire sont arbitrairement
réunis dans l’espace abstrait d’une scène de théâtre. Il s’agit du marquis de Sade,
de l’écrivain romantique Marie Lafarge et d’une mystérieuse Espagnole, cloîtrée
dans un couvent de Poitiers, la soeur Josefa Menéndez. Chacun d’eux revit
son existence et sa passion, exacerbée en raison de l’enfermement auquel il est
soumis. L’excès, le délire et la mauvaise foi caractérisent leurs discours jusqu’au
moment où ces trois vies brisées se rejoignent en un chant collectif.
(Coll. Théâtres, 15 euros, 146 p., juillet 2012) ISBN : 978-2-296-99191-0
MARE
LLe
Michel Cornélis
Un soir de Noël, Paul et Lucie se retrouvent à minuit face à un cadeau étrange :
une marelle dessinée sur le sol et un livre fermé de sept sceaux. Le chemin
de la marelle les emmène sur un parcours initiatique parsemé de personnages
étonnants. Au gré de leur rencontre, les deux adolescents vont mûrir et tisser
des liens très forts afin de découvrir cette vérité détenue par le livre mystérieux.
(Coll. Théâtres, 10 euros, 64 p., juillet 2012) ISBN : 978-2-296-99657-1
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Achevé d’imprimer par Corlet numérique - 14110 Condé-sur-Noireau


 N° d’Imprimeur : 94829 - Dépôt légal : février 2013 - Imprimé en France
Molière et moi
L’idée, simple, est qu’un acteur, Brisa lui-même, interroge son maître
Molière (et c’est encore Brisa) sur sa vie, ses pièces, ses rapports avec
les femmes, avec le roi, avec son temps, avec la nature humaine.
Façon élégante et vivante de revisiter son classique, sans lourdeur ni
pédanterie, avec un bonheur d’écriture qui ne se dément pas. Au centre,
un fauteuil, celui de Molière ; à côté, un tabouret, celui du comédien.
Molière analyste de lui-même : l’exercice est périlleux ; il est réussi,
et un des intérêts du spectacle, et non des moindres, est de donner
une image précise et pénétrante de l’œuvre, de sa diversité de formes,
de sa multiplicité de sens : un « digest » que tout professeur devrait
utilement conseiller à ses élèves ou à ses étudiants. On y rit beaucoup
et, comme Musset, on aurait aussi envie d’y pleurer. Ce Molière-là est
animé d’une vraie passion pour le théâtre.
Jean Serroy, Le Dauphiné Libéré, 06/03/2009

Le spectacle est phénoménal et fait partie du peloton de tête dans les


joyaux du Off. Ce théâtre vous prend le cœur ! Molière est toujours là.
Jean-Dominique Rega, Vaucluse Matin, 28/07/2009

Jean-Vincent Brisa a été formé à l’École supérieure


d’art dramatique du TNS (groupe XV). Il s’ installe à
Grenoble comme militant du théâtre populaire et réalise
une cinquantaine de mises en scène dans le département
de l’Isère. Il écrit des textes pour les Fêtes révolutionnaires
de Vizille. Il a dirigé pendant dix ans l’Espace 600 à la
Villeneuve de Grenoble. Il a fait partie de la « short-list » pour la direction des
Tréteaux de France.

ISBN : 978-2-336-00709-0
9€

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