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Compétences Relationnelles
Compétences Relationnelles
STRATÉGIQUES ?
Éric Persais
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Les compétences
relationnelles
stratégiques ?
Les récents articles publiés
L’
en sciences de gestion
intérêt aujourd’hui accordé à la notion de
tendent à montrer compétences dans la recherche en stratégie
l’importance des ressources
intangibles, en particulier démontre le formidable impact du courant des
des capacités relationnelles, ressources dans la communauté académique. La raison
dans l’acquisition d’un
avantage compétitif par principale de cet engouement provient de la reconnais-
la firme. Néanmoins, les
chercheurs focalisent sance du rôle exercé par les compétences dans l’acquisi-
généralement leur tion d’un avantage concurrentiel durable par l’entreprise
attention sur les alliances
qualifiées de stratégiques (Amit et Schoemaker, 1993). Les auteurs ont alors pour
et qui conduisent deux
ou plusieurs firmes à ambition de mettre en évidence ces capacités organisa-
mettre en commun leurs tionnelles qui contribuent à la performance, ainsi que de
compétences pour parvenir
à bénéficier d’économies décrire les conditions de leur émergence (Henderson et
d’échelle ou d’effets de
synergie. Peu de travaux Mitchell, 1997 ; Yeoh et Roth, 1998), de leur développe-
se sont jusqu’ici intéressés ment ou de leur renouvellement (Teece et al., 1997).
aux réseaux de relations
entretenues par les D’autre part, et bien que la notion de compétence soit
entreprises avec leurs
multiples partenaires aujourd’hui largement utilisée dans de nombreuses
directs et à leur incidence recherches, sa définition souffre encore aujourd’hui d’un
sur la compétitivité des
firmes. L’auteur propose manque d’unanimité au sein de la communauté scienti-
de montrer que les
compétences mises fique (Duyck, 1998). Les différents travaux entrepris ont
progressivement en œuvre alors pour objectif de clarifier ce concept (Meschi,
dans la relation avec les
diverses parties prenantes 1997 ; Javidan, 1998) et de préciser ses relations avec
contribuent à la
performance des d’autres notions voisines (ressources, actifs, connais-
entreprises et peuvent, sances, expertises, savoirs, savoir-faire, capacités, etc.). Il
par conséquent, être
qualifiées de stratégiques.
120 Revue française de gestion
tégiques, celles qui concernent les rela- qui se veut, avant tout, le résultat d’une
tions entretenues par l’entreprise avec des démarche conceptuelle.
éléments de son environnement, sont Dans une première section, nous montre-
aujourd’hui au cœur de nombreuses rons, en nous appuyant sur le modèle
recherches (Madhok et Talman, 1998 ; resource based, que la notion de compé-
Dyer et Singh, 1998 ; Rindova et Fombrun, tence est un élément central dans la com-
1999 ; Haanes et Fjeldstad, 2000). Néan- préhension des phénomènes organisation-
moins, la plupart d’entre elles traitent des nels. Nous chercherons alors à mettre en
coopérations entre firmes et visent à expli- perspective ses principaux aspects. La
quer la logique de ces collaborations sur la deuxième section sera consacrée au rôle
base de leur apport au plan stratégique qu’occupent les compétences dans la mise
(Lipparini et Fratocchi, 1999 ; Silverman, en œuvre de stratégies de relations inter-
1999) et de leur effet positif sur la perfor- firmes. Nous aborderons la question au
mance des partenaires en présence (Blan- travers des éclairages particuliers offerts
kenburg Holm et al., 1999 ; Combs et Ket- par les différents courants de pensée qui se
chen, 1999). L’acquisition de compétences sont intéressés à ce sujet. Dans une troi-
est d’ailleurs régulièrement présentée sième section, nous essayerons d’élargir
comme le mobile principal d’une opéra- notre approche en nous intéressant aux
tion de fusion/acquisition. Paradoxale- liens tissés avec l’ensemble des parties
ment, les chercheurs se sont peu intéressés prenantes. Notre ambition sera de montrer
aux autres interactions avec l’environne- que la question des compétences est égale-
ment. C’est alors oublier que l’entreprise ment au cœur de cette problématique.
entretient des relations avec de multiples Nous introduirons alors la notion de com-
parties prenantes et que la recherche d’ef- pétence relationnelle, notion que nous
fets de synergie ne préside pas toujours à définirons et dont nous décrirons les prin-
l’instauration de relations bi-latérales cipaux aspects. Nous tenterons ainsi de
entre la firme et des acteurs externes. mettre en évidence le caractère stratégique
Néanmoins, ces rapports sont nécessaires de ces capacités relationnelles dans un
Les compétences relationnelles 121
rables du cadre qui leur a donné naissance. firme. Kusunoki et al. (1998) partagent le
Elles résultent de la combinaison unique, même point de vue quand ils affirment :
coordonnée et valorisante d’un ensemble de « Organizational capabilities are accumula-
compétences professionnelles présentes au ted through long-term and continuous lear-
niveau élémentaire. Le passage des ning, therefore having path-dependent cha-
connaissances, des savoir-faire et des racteristics ». En d’autres termes, les
volontés individuels aux compétences col- compétences organisationnelles sont, par
lectives ne se résume pas à une simple définition, liées à l’existence de l’entreprise
affaire de consolidation ou d’agrégation de et ne peuvent, par conséquent, en être dis-
capacités individuelles. Ces compétences sociées. De surcroît, le concept de compé-
addition. Les phénomènes de complémen- ticulières dans un but précis, l’enjeu final
tarité entre acteurs génèrent alors des effets étant évidemment la performance. La
de synergie qui trouvent leur expression contingence est donc l’une des principales
dans une capacité organisationnelle propre caractéristiques des compétences organisa-
et dont le système d’offre exprime le poten- tionnelles (Meschi, 1997).
tiel. Durand et al. (1996) approfondissent la L’approche ressources/compétences pose
question du passage de l’individuel au col- que la source d’un avantage compétitif
lectif, en repartant du concept de représen- durable se situe dans la capacité de la firme
tation sociale introduit initialement par à tirer parti de ressources particulières au
Moscovici (1961). Ils montrent notamment sein de l’univers concurrentiel. En d’autres
que ces représentations, fruit des interac- termes, les différences de résultat consta-
tions entre individus, sont à l’origine de la tées entre les firmes d’un même secteur
connaissance organisationnelle. Ce-faisant, s’expliquent par des disparités au niveau de
ils souhaitent mettre en perspective, non leurs dotations en ressources stratégiques.
seulement, l’importance des aspects Au-delà des facteurs de marché (Peteraf,
sociaux (et émotionnels) dans ce phéno- 1993), les auteurs identifient généralement
mène, mais également le caractère circu- sept conditions qu’une ressource doit res-
laire du processus aboutissant à la cognition pecter pour représenter un atout compétitif
organisationnelle. pour la firme : la valeur, la rareté, le carac-
La valeur d’une compétence collective n’a tère inimitable, la longévité, la non-substi-
de sens que par rapport à l’entreprise qui les tuabilité, la non-transférabilité et la possibi-
a développées et qui les utilise (Meschi, lité d’appropriation (Amit et Schoemaker,
1997). En effet, comme le rappellent Dosi 1993). Comme le souligne Durand (2000),
et al. (1991), en matière de compétence, tout actif ou ressource tangible est par
l’expérience et le chemin suivi historique- nature identifiable et achetable, c’est-à-dire
ment comptent, puisque c’est au cours de ce imitable et donc non stratégique. Par consé-
processus d’apprentissage, que s’est quent, ce n’est pas au niveau des actifs
construite la base de compétences de la matériels que se situe la source de l’avan-
Les compétences relationnelles 125
sur la logique des rapprochements. La ques- domaines respectifs, peuvent alors s’analy-
tion de l’acquisition de compétences et la ser comme des repositionnements successifs
captation des rentes qui y sont liées, est dont la finalité est l’accès à des compétences
ainsi au cœur des problématiques de rela- particulières mobilisées dans un objectif
tions interfirmes (Madhoc et Tallman, précis. L’organisation peut alors optimiser
1998). L’accès à de nouvelles connais- ses performances, en devenant la meilleure à
sances ou à des compétences non dispo- tous les stades du processus productif
nibles ou insuffisamment maîtrisées, pré- (Fréry, 1999). Dans cette logique, les res-
side généralement à des accords de sources mobilisées par l’entreprise ne se
coopération entre firmes, voire à des pro- limitent pas à celles que l’entreprise détient
1. Voir à ce sujet l’article publié dans Les Echos intitulé « L’art du management de l’information : quelques réalités
sur les entreprises virtuelles » du 22-23 octobre 1999.
Les compétences relationnelles 127
transaction entre les participants, en instau- cant de produits très spécialisés, bénéficiant
rant des relations d’autorité, des procédures d’un savoir-faire reconnu sur le plan tech-
d’administration et de contrôle, ainsi que nologique, et d’une entreprise généraliste,
des incitations préservant les conditions de mais disposant d’un circuit de distribution
l’accord. sophistiqué, donne par exemple des résul-
Parmi les facteurs susceptibles d’influer sur tats supérieurs à ceux que chacun des prota-
l’organisation des échanges, la spécificité gonistes aurait obtenus séparément. La
des actifs joue un rôle déterminant notion de complémentarité trouve ici sa
(Williamson, 1975). Les actifs spécifiques, pleine expression.
par opposition aux ressources universelles, Enfin, la conclusion d’accords permet aux
sont généralement très coûteux à redéployer entreprises d’accéder à certaines compé-
pour un autre usage. Leur présence favorise tences ou capacités particulières, non dispo-
généralement une extension des frontières nibles sur le marché, en particulier l’exper-
de l’organisation. En effet, si la firme inves- tise dans certains domaines, ou les actifs
tit dans le contexte d’une coopération, elle intangibles tels que la réputation (Oliver,
doit faire face au risque d’un comportement 1997). En effet, alors que les marchés sont
opportuniste de la part de son associé et efficaces quand il s’agit d’échanger des res-
dispose de peu de recours si ce dernier sources aisément disponibles et facilement
cherche à modifier, à son profit, les condi- substituables, ils deviennent inefficients,
tions de l’échange (Combs et Ketchen, dès lors que ces ressources présentent un
1999). Néanmoins, sous certaines condi- caractère tacite et sont profondément
tions, le caractère spécifique d’actifs peut, à ancrées dans le savoir et la connaissance de
l’inverse, encourager la coopération. En l’entreprise détentrice (Teece et Pisano,
effet, un investissement conjoint génère une 1994). Les alliances offrent à l’inverse des
forme de dépendance réciproque, qui dimi- conditions favorables pour la transmission
nue l’incitation à s’engager dans un com- efficace et la coordination des flux de
sont promises à un échec parce que les manence (Zajac et Olsen, 1993 ; Doz,
partenaires ne reconnaissent pas ex ante la 1996 ; Ring et Van de Ven, 1994). Le temps
nature et le montant des investissements apparaît, dès lors, comme une variable
spécifiques nécessités par l’établissement déterminante. Une alliance se construit
d’une relation de collaboration (exemple : progressivement, plus qu’elle ne se décrète
procédures de gouvernement de l’alliance). à un instant donné. L’échec récent de nom-
D’autre part, le résultat d’une coopération breuses fusions et le résultat mitigé de
dépend du comportement de l’ensemble beaucoup d’autres est, de ce point de vue,
des parties. Les rentes dégagées sont évi- particulièrement édifiant. Ce que nous
demment supérieures quand les acteurs qualifierons de « contre-synergie »3 peut
concernés adoptent mutuellement une alors s’analyser, selon cette logique,
orientation positive, plutôt que quand comme le résultat d’une incompétence
ceux-ci ne sont guidés que par des ambi- dans la mise en place de relations bilaté-
tions plus sournoises. Dans une relation rales. À l’inverse, l’expérience et le savoir-
dominée par la défiance et la protection faire accumulés dans de précédentes colla-
contre l’opportunisme, les firmes rechi- borations peuvent alors être déterminants
gnent généralement à s’engager de pour la conclusion d’accords futurs, car ils
manière unilatérale et volontaire dans des permettent d’éviter les écueils qui appa-
actions non prévues par l’accord, mais raissent inévitablement dans l’établisse-
ayant un effet positif sur le résultat final. À ment d’associations entre firmes. Gulati
l’inverse, l’instauration d’une relation éta- (1999) parle de « ressources de réseau »
blie sur la base d’une confiance réci- pour montrer que la mise au point d’ac-
proque, réduit la nécessité d’inscrire des cords durables exige des compétences par-
clauses de sauvegarde dans l’accord et ticulières que l’on peut véritablement qua-
évite la mise en place de mécanismes de lifier de stratégiques.
contrôle. D’autre part, elle favorise l’im-
2. Vers un élargissement du rôle de leur adhésion aux projets initiés par l’or-
des compétences dans les stratégies ganisation, un comportement que l’on peut
relationnelles : l’apport de l’approche qualifier « d’acceptable ». La prise en
institutionnelle compte des intérêts de partenaires externes
La perspective institutionnelle offre un devient déterminante, dès lors que leur pou-
éclairage intéressant sur les stratégies rela- voir de nuisance ou d’intervention vis-à-vis
tionnelles et leur logique. Selon cette vision, de la firme, augmente (Coff, 1999). Recon-
les entreprises s’intègrent dans un cadre naître la réputation comme un actif intan-
social, imprégné de normes, de valeurs, de gible, revient, au final, à considérer toute
croyances et de présupposés, et qui tendent action externe visant à la détériorer comme
par une logique exclusivement financière. l’écoute de ses clients et répondre à leurs
Ils sont en partie contraints par des facteurs attentes. En ce sens, le réseau de contacts et
externes et sont le résultat d’interactions la qualité des relations avec l’ensemble des
sociales qui prennent leur origine dans le partenaires sont partie intégrante du capital
comportement humain (Oliver, 1997). La de l’organisation (Gulati, 1999). La vision
vision institutionnelle suggère que ce com- institutionnelle enrichit donc considérable-
portement va au-delà de l’optimisation éco- ment les précédents modèles puisque la
nomique, pour aller jusqu’à la justification question des relations de l’entreprise avec
et l’obligation sociale (Zukin et Di Maggio, diverses parties prenantes devient, dès lors,
1990). En accord avec cette perspective, les centrale.
théoriciens pensent que la conformité aux La mise en place de réseaux de relations
exigences sociétales, qu’elles soient internes avec les partenaires externes s’avère donc,
ou externes, contribue au succès de l’organi- selon cette logique, un élément déterminant
sation (Wood, 1991). Le comportement de de la survie et du développement de la firme.
l’entreprise ne peut donc répondre, exclusi- Hall (1992) définit ces réseaux comme des
vement, à une logique de rationalité écono- « relations personnelles qui transcendent les
mique. Au contraire, celui-ci doit être égale- besoins de la structure organisationnelle, les
ment conforme à certaines attentes des relations commerciales, etc. Ils concernent le
partenaires externes (Sethi, 1995 ; Coff, partage de l’information et ont pour but de
1999). Ainsi, les institutions ou les collecti- dégager un avantage mutuel pour les parties
vités territoriales, les organismes publics, concernées ». Parmi ceux-ci, l’auteur cite les
les organisations de consommateurs ou relations entretenues avec les consomma-
l’opinion publique en général, définissent, teurs, les fournisseurs, les agences gouverne-
au travers de leurs pressions ou au contraire mentales, les instituts de recherche et éven-
4. De nombreuses entreprises (Danone, L’Oréal, Axa, etc.), conscientes de ce problème, cherchent désormais à se
prémunir de cette éventualité, en intégrant la préservation de l’image à la gestion de leurs risques. Voir à ce sujet le
dossier du journal Les Echos du 23 mai 2000.
130 Revue française de gestion
tuellement les concurrents. Hall considère tion s’accordent ainsi à reconnaître le statut
que ces réseaux relationnels sont une des res- particulier du concept de compétence dans
sources intangibles indispensables à la firme, l’analyse des phénomènes organisationnels.
dans un environnement complexe et chan- L’étude des stratégies relationnelles menée
geant. Il convient donc, selon lui, de les précédemment, en constitue, de ce point de
mettre en place et de les entretenir continuel- vue, une parfaite illustration. Le MRC place
lement. Bontis et al. (1999) partagent égale- la gestion des compétences au centre de la
ment ce point de vue quand ils affirment que problématique entrepreneuriale et fait de
les relations constituent l’une des trois com- l’acquisition de capacités externes, le prin-
posantes du capital structurel : « Structure cipal mobile de l’établissement de relations
contribuent, au final, à améliorer la compé- coopérer dans les différents domaines qui la
titivité de la firme. Les organisations pro- relient au monde extérieur. Par exemple,
fessionnelles synthétisent une quantité d’in- l’instauration d’une relation constructive
formations dont certaines sont avec les organisations syndicales suppose
particulièrement utiles pour aborder de que la firme ait démontré une certaine com-
nouveaux territoires. Les distributeurs pétence en matière de dialogue social. Sur
ouvrent l’accès à certains marchés et col- un autre plan, l’établissement d’un partena-
lectent des informations indispensables sur riat avec une organisation écologiste prouve
la clientèle. Les clients suggèrent à la firme l’existence d’une qualité d’écoute et de dia-
de nouvelles compétences ou de nouveaux logue vis-à-vis de mouvements, sinon hos-
produits à développer et participent, par la tiles au développement économique, tout au
diffusion d’informations positives (phéno- moins soucieux de la mise en œuvre par
mène du bouche à oreille), à la croissance l’entreprise d’une gestion qui respecte
du chiffre d’affaires et à la rentabilité de l’intégrité des milieux naturels. Nous parle-
l’entreprise. Les administrations et les col- rons donc de compétence relationnelle pour
lectivités locales (au travers de leurs repré- désigner cette capacité d’une entreprise à
sentants) peuvent accélérer certaines procé- tisser et entretenir un lien positif et durable
dures dans le cadre d’une extension des avec un acteur-clé de l’environnement.
activités (exemple : autorisation d’implanta- Cette définition, de portée plus générale que
tion d’une unité de production, etc.). Les celle habituellement retenue dans la notion
diverses organisations issues de la société de « ressources de réseau » (Gulati, 1999),
civile (organisations écologistes, associa- englobe non seulement la question des rela-
tions de défense des consommateurs, etc.) tions interfirmes, mais également celle des
peuvent également, par leur attitude, favori- liens entre l’entreprise et les autres acteurs
ser une meilleure intégration de l’entreprise externes. Si l’on retient l’idée d’une organi-
dans son environnement. À l’inverse, l’éta- sation en tant que nœud de contrats, force
blissement de relations moins harmo- est de reconnaître que les liens établis avec
nieuses avec l’un des acteurs précédents, est les parties prenantes sont essentiels pour
132 Revue française de gestion
quences d’un conflit (boycott d’une marque habituellement en contact avec la firme
pour sanctionner un comportement non dans le cadre de ses activités normales
éthique de l’entreprise), difficilement chif- (clients/consommateurs, fournisseurs,
frables à court terme, ne seront, quoiqu’il actionnaires, salariés, alliés, concurrents,
en soit, pas neutres sur le résultat à long collectivités, établissements financiers,
terme (exemple dégradation de l’image). La organismes de recherche et de transfert de
sensibilité croissante des entreprises vis-à- technologie, etc.) que ceux y entrant de
vis des groupes activistes atteste, notam- manière fortuite, généralement dans le
ment, de la reconnaissance par le sommet cadre de relations plus conflictuelles (orga-
stratégique d’un risque potentiel lié au nisations consuméristes, écologistes,
déploiement de ses activités. Le développe- médias, etc.). La stakeholder theory sou-
ment de liens externes et la mise en œuvre tient deux logiques qui s’ancrent dans des
de partenariats avec des ces groupes géné- paradigmes différents : l’une qui consiste à
ralement chargés de les combattre permet- établir une hiérarchie des parties prenantes
tent alors de minimiser ce risque. La com- en fonction de leur degré d’influence poten-
pétence relationnelle constitue une tielle sur la firme (Odgen et Watson, 1999),
ressource essentielle puisqu’elle permet l’autre qui refuse l’idée de classification et
d’opérer ce rapprochement. Cette idée propose de ne faire aucune distinction entre
amène à reconsidérer la question des effets les parties prenantes (Clarkson, 1995 ;
de synergie5, puisque chaque connexion Donaldson et Preston, 1995). Bien que cette
avec un acteur-clé recèle un potentiel que deuxième conception soit légitime, la pre-
l’entreprise est en mesure de valoriser mière nous semble plus utile dans une
d’une manière ou d’une autre. Les compé- démarche d’identification d’acteurs-clés,
tences relationnelles comportent donc, par compte tenu, notamment, de son caractère
nature, une dimension stratégique puis- opérationnel. D’autre part, elle offre la pos-
sibilité de lever le dilemme de l’intégration
de parties prenantes ayant des intérêts geants puissent se défaire d’une optique de
opposés, ce que ne permet pas l’approche court terme et, d’autre part, qu’ils sachent
qualifiée de normative. évaluer les conséquences positives des liens
La détection des individus ou groupes instaurés avec des organismes dont l’acti-
influents suppose évidemment un effort vité ne couvre pas directement le champ de
d’anticipation et une certaine clairvoyance l’économique. La vision et l’intuition stra-
de la part des membres du sommet straté- tégique s’avèrent, par conséquent, détermi-
gique. Il convient, par exemple, que les nantes puisqu’elles constituent les princi-
décideurs évaluent les conséquences néga- paux mécanismes déclencheurs dans le
tives de certaines situations de crise et décè- développement de qualités relationnelles.
nécessité d’un dialogue avec les popula- tences ne seraient que le fruit d’une action
tions environnantes ainsi qu’avec les asso- réfléchie et délibérée initiée par le sommet
ciations écologistes particulièrement vigi- stratégique. Cette situation ne nous semble
lantes sur les questions de sécurité et de pas toujours conforme à la réalité, le hasard
prévention. Par conséquent, ces deux pouvant être à l’origine de relations
groupes devront être considérés comme des constructives entre l’entreprise et certains
acteurs-clés. La prise en compte croissante groupes d’acteurs (par exemple un dialogue
de la notion de risque au niveau de la struc- instauré avec des organisations écologistes
ture des entreprises (apparition fréquente à la suite d’une pollution accidentelle et
d’un service « management des risques ») ayant donné lieu à des manifestations). Les
facilite, sans aucun doute, cet effort d’in- situations de crise sont, d’ailleurs, réguliè-
ventaire. À l’inverse, l’entreprise doit ima- rement à l’origine d’une plus grande ouver-
giner, ce qui est plus délicat, l’intérêt de ture de l’entreprise sur l’extérieur. Ainsi, de
nouer des liens durables avec d’autres orga- nombreuses firmes saisissent l’« opportu-
nisations, liens qui s’avéreront essentiels nité » de confrontations avec des groupes
dans le cadre d’une politique de développe- d’activistes pour instaurer un dialogue
ment. La réflexion ne doit évidemment pas constructif avec ces acteurs qui devien-
se limiter aux connexions établies ou envi- dront, à terme, de véritables partenaires.
sagées avec des firmes complémentaires. Néanmoins, nous reconnaissons que la
Ainsi, l’instauration d’un partenariat construction et le renforcement de ces com-
durable avec un laboratoire scientifique pétences exigent une intention. La volonté
(exemple : laboratoire du CNRS) ou un et l’engagement sont, par conséquent, des
organisme chargé de promouvoir la diffu- conditions nécessaires (mais non suffi-
sion de la recherche (exemple : ANVAR) santes) à leur construction (Durand, 2000).
peut s’avérer, à terme, tout aussi profitable En d’autres termes, si le sommet straté-
pour l’entreprise. La mise en évidence des gique n’est pas, lui-même, convaincu de
acteurs-clés sur la base de la notion d’inté- l’utilité, sur le long terme, de rapports
rêt suppose donc, d’une part, que les diri- approfondis avec certaines parties pre-
134 Revue française de gestion
nantes, ces compétences ne pourront pas se toute connaissance de cause, les groupes à
développer. « privilégier » dans le cadre d’une politique
partenariale. D’autre part, les collectes
3. Comment développer ses compétences croisées permettent le recoupement et favo-
relationnelles ? risent, l’échange et la confrontation des
La construction d’une compétence relation- idées qui sont des éléments déterminants
nelle suppose que l’entreprise agisse simul- dans la construction d’un savoir collectif.
tanément sur les trois dimensions qui la Durand et al. (1996) affirment fort juste-
feront progressivement émerger : la base de ment que la connaissance n’est pas néces-
connaissances (savoir), les pratiques sairement obtenue par l’observation. Elle
à la détection des acteurs-clés. Elle est éga- d’interpréter différemment certains signaux
lement indispensable pour faire perdurer la externes. L’échange est par conséquent
relation qui lie la firme à ceux qu’elle bénéfique pour l’organisation. C’est la rai-
considérera comme ses principaux parte- son pour laquelle les collectes multiples,
naires. Pour agir sur les savoirs, l’entreprise effectuées à différents points de l’organisa-
doit, avant tout, développer les mécanismes tion, contribuent à rendre l’information
d’observation en privilégiant, néanmoins, plus pertinente.
la pertinence des données collectées par La transformation des données en informa-
rapport à la quantité d’informations en pro- tions utilisables par l’entreprise suppose
venance de l’environnement. Le rôle de la évidemment une capacité de traitement
direction s’avère, à ce stade, déterminant comprenant les phases habituelles de tri,
puisque les choix structurels reflètent en sélection, interprétation des données et tra-
grande partie l’importance stratégique duction en informations intelligibles, c’est-
accordée à tel ou tel facteur contextuel. Par à-dire facilement compréhensibles par les
exemple, la présence d’un « observatoire principaux décideurs. L’objectif est évi-
social » traduit une attention particulière demment de transformer des signaux de
portée aux salariés et aux organisations l’environnement en signes pour l’entre-
chargées de promouvoir les avancées dans prise, signes qui la guideront dans la quête
le domaine social. La nomination d’un d’une relation harmonieuse avec les
chargé de mission « environnement » signi- acteurs-clés. Bien que certaines tâches puis-
fie, tout au moins en partie, une volonté de sent faire l’objet d’une automatisation,
favoriser le dialogue entre l’entreprise et grâce, notamment, aux méthodes d’analyse
les principales parties prenantes concernées statistique (exemple : études de marché),
(populations environnantes, organisations l’interprétation et la compréhension de ces
écologistes, pouvoirs publics). Plus généra- données requièrent de la part des individus
lement, dans le contexte actuel, l’entreprise concernés, une capacité à déduire de ces
doit s’efforcer de multiplier les contacts renseignements les informations perti-
avec l’extérieur de manière à déterminer, en nentes. Dans d’autres cas, la collecte de
Les compétences relationnelles 135
données résulte plus de processus informels jugés comme déterminants pour l’avenir de
(communication orale, etc.), ou de phéno- la firme. Evidemment, ce mécanisme d’ac-
mènes d’observation (faisceau d’éléments cumulation de connaissances (mémorisa-
traduisant une modification quasi-imper- tion organisationnelle) s’apparente plus à
ceptible de facteurs de l’environnement, une remise à jour permanente qu’à un véri-
etc.). Par conséquent, les capacités indivi- table processus de sédimentation. La prise
duelles s’avèrent déterminantes dans le pro- en compte d’une évolution des attentes
cessus aboutissant au développement de vis-à-vis de l’entreprise (ex : dans le
compétences relationnelles au sein de l’en- domaine de l’éthique), des rapports de force
treprise. Au-delà, les phénomènes de com- au sein de l’environnement (ex : poids
du ressort de la gestion des ressources l’origine considéré comme une simple par-
humaines qui devra contribuer, par une tie prenante (exemple : un fournisseur)
politique adaptée (recrutement, formation, pourra s’avérer être un partenaire essentiel
etc.), à l’atteinte de cet objectif organisa- dans une politique de développement
tionnel. Ils se situent, d’autre part, au (exemple : la mise en place d’une politique
niveau de la direction qui focalisera, par ses de juste-à-temps…)
choix stratégiques, l’attention sur des Le développement d’un savoir-faire rela-
aspects particuliers de l’environnement. Par tionnel au sein de l’organisation suppose de
exemple, le fait d’imprimer une orientation garder le contact avec les parties prenantes
marché à l’entreprise, tend à mobiliser les et d’intensifier ses relations avec les acteurs
acteurs, et en particulier les responsables considérés comme clés. L’apprentissage qui
marketing, autour de la satisfaction du aboutit à la construction de ce savoir-faire
client. Partant, l’organisation acquiert pro- résulte avant tout des interactions entre la
gressivement, grâce à cette attention renfor- firme et ses partenaires. Un commercial et
cée, une meilleure connaissance de son son client apprennent, par exemple, à mieux
marché aval. se connaître en communiquant régulière-
L’ensemble des informations ainsi collectées ment. La détection d’espaces de négocia-
alimentera la base de connaissances de tion suppose notamment que chacun ait pu
l’organisation et permettra d’enrichir la exprimer ce qu’il est en mesure d’offrir ou
relation avec les acteurs-clés. Le rôle de la d’accepter, compte tenu de ses propres
cellule « veille stratégique », si elle existe, contraintes et possibilités. Par conséquent,
sera d’opérer une synthèse des renseigne- ce processus se compose d’étapes succes-
ments détenus et de rendre cohérente l’infor- sives d’écoute et de parole qui se répéteront
mation en permettant une vision plus glo- tout au long de la relation. Elles conduiront,
bale, c’est-à-dire moins parcellisée de la au final, soit à des concessions, soit à une
situation. De cette information résultera la solution profitable pour les deux parties.
prise de décision et la mise en œuvre d’une Notons, par conséquent, que la phase d’ac-
approche partenariale avec certains acteurs quisition de connaissances ne saurait être
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niveau organisationnel, deux éléments sem- d’agir directement sur cette dimension, il
blent particulièrement déterminants pour y dispose de moyens d’actions pour favoriser,
parvenir : le développement de l’intégrité et au niveau individuel, l’émergence d’une
de la loyauté à l’égard du partenaire et une attitude favorable à l’instauration de liens
attitude active et volontaire de la part de durables avec les acteurs-clés. Tout
l’entreprise. En premier lieu, l’instauration d’abord, le développement d’une identité
d’un climat de confiance et de compréhen- organisationnelle axée sur la notion d’ou-
sion mutuelle est susceptible de favoriser verture semble propice à une sensibilisation
des comportements loyaux chez les prota- progressive des individus sur l’importance
gonistes. Atteindre cet objectif suppose évi- des parties prenantes. Dans ce domaine, le
demment de rejeter toute forme d’opportu- rôle du dirigeant s’avère essentiel puisque,
nisme, de privilégier les relations de long comme le rappellent les chercheurs de
terme au détriment de liens éphémères, l’équipe Stratégor (1993), la formation des
quand bien-même, ceux-ci s’avéreraient-ils représentations individuelles est fortement
plus avantageux à court terme. Dans cette influencée par la personnalité du manager.
logique, certains donneurs d’ordres préfè- L’individu ne fonctionne pas seulement
rent, par exemple, aider leurs sous-traitants avec des normes, mais aussi avec des
à acquérir la norme ISO 14 000 (manage- modèles ; et le plus haut détenteur de pou-
ment environnemental), plutôt que de les voir est pour lui un modèle naturel, puis-
abandonner au profit de partenaires occa- qu’il est en mesure de définir un objet idéal
sionnels, mais déjà certifiés. En second lieu, (une stratégie et une structure). Par consé-
une attitude volontariste conduit l’entre- quent, le sommet stratégique doit contri-
prise à agir, de manière à faire perdurer ce buer, au travers de ses décisions, de ses
lien, y compris en dehors de toute sollicita- actes et, au-delà, de sa façon d’être, à
tion de la part des acteurs concernés. Une l’émergence et la formation progressive de
firme du secteur chimique pourra, par cette identité. Il peut, dans ce cadre, s’ap-
exemple, être à l’initiative de rencontres puyer sur les mécanismes culturels (projet
avec les groupes écologistes et les popula- d’entreprise, signature de chartes, commu-
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nication interne, etc.) et agir sur la symbo- « montrer la voie ». Il doit ainsi prendre part
lique pour mettre en avant les valeurs dési- à ce processus d’ouverture sur l’extérieur en
rables. Cependant, la construction d’une s’impliquant très directement dans des
identité n’est pas, en soi, un élément suffi- démarches ponctuelles (exemple rencontre
sant. Il convient que le salarié intériorise avec des groupes activistes), mais plus
l’ensemble des valeurs que celle-ci est cen- encore dans des actions durables (exemple :
sée véhiculer. Cette appropriation progres- la participation active et systématique aux
sive s’opère par le biais des mécanismes rencontres organisées au sein de groupe-
d’identification et d’introjection qui abou- ments professionnels). Son engagement,
tissent à une intégration des caractéristiques pour symbolique qu’il soit, doit avoir valeur
l’entrée, notamment) que celle-ci sera pos- valeurs partagées, ces références collectives
sible, c’est-à-dire qu’il n’existe pas trop de et ces objectifs communs, le dirigeant
décalage entre ce que l’individu est (sa per- cherche à rendre l’identité de l’organisation
sonnalité) et ce que l’entreprise ambitionne compatible avec la stratégie recherchée. Il
de devenir. Un léger déphasage est suscep- en résulte une convergence des actions vers
tible d’être comblé par le biais d’une poli- la recherche d’une plus grande ouverture,
tique de formation adaptée. Dès lors, le vers la constitution de liens privilégiés avec
salarié est en mesure d’agir face à certaines certains partenaires-clés.
situations conformément à ce code informel Enfin, la structure ainsi que les systèmes et
qu’il a progressivement intégré. La répéti- processus de gestion contribuent, par leur
tion de ce processus chez l’ensemble des fonction instrumentale, à développer égale-
salariés contribue à l’émergence d’une cul- ment le savoir-être. Les décisions organisa-
ture commune (phénomène de communali- tionnelles pèsent à la fois sur les tâches de
sation) et aboutit finalement à la constitu- chacun, sur la répartition des rôles et du
tion d’un savoir-être (et d’un vouloir-être) pouvoir et sur les règles du jeu en matière
collectif, élément-clé dans la construction de contrôle des activités. Il s’agit là de
de compétences relationnelles. mécanismes privilégiés pour faire évoluer
Ensuite, le leadership joue un rôle d’entraî- l’identité de l’entreprise puisqu’ils permet-
nement sur les acteurs de l’entreprise. C’est tent d’agir directement sur les comporte-
la raison pour laquelle, le sommet straté- ments individuels et collectifs (Desreu-
gique doit s’impliquer très directement dans maux, 1992). Ainsi, la mise en place d’un
ce processus d’intensification des relations système de planification environnementale
avec l’extérieur. Il s’agit d’expliquer en amène les salariés à agir en faveur d’une
interne l’enjeu de ces relations, de amélioration constante de la performance
convaincre les individus, et particulièrement écologique des produits et des systèmes de
ceux qui se situent aux interfaces, d’appor- production. Au-delà, les choix organisation-
ter leur contribution pour que ce but soit nels présentent un caractère symbolique. En
atteint. Le rôle du dirigeant est également de ce sens, la structure est une volonté plus ou
Les compétences relationnelles 139
moins affichée de rendre manifeste la cul- portent a priori aucune information sur les
ture et l’identité de la firme. Par exemple, la autres groupes externes. Néanmoins, dans
décision de créer un service déontologie certains cas, ces connaissances contribuent à
permet de montrer l’importance attachée à une meilleure insertion de l’entreprise dans
la dimension éthique dans l’entreprise. Son son environnement et présentent, par consé-
rattachement à la direction souligne le rôle quent, une certaine utilité. Par exemple, les
stratégique de cette fonction. Cependant, il connaissances acquises par une firme sur les
convient de remarquer que ce rôle symbo- possibilités techniques de ses fournis-
lique exige une parfaite concordance entre seurs/partenaires habituels lui permettent de
la volonté affichée et les faits. Ainsi, l’ab- mieux dialoguer avec ses propres clients. Le
structurels doivent être utilisés pour favori- lement le problème de l’articulation entre
ser la convergence des énergies indivi- savoir individuel et organisationnel. La
duelles vers les buts que s’est assignée l’or- construction d’une compétence collective
ganisation. Par conséquent, l’idée d’un exige évidemment que les données collec-
environnement organisationnel propice au tées par les individus alimentent une base
mécanisme de construction des compé- formelle de connaissances communes. Le
tences relationnelles semble justifiée. risque est évidemment celui de la rétention
volontaire ou non d’informations sur les
4. Une compétence relationnelle est-elle parties prenantes. Atteindre cet objectif sup-
transférable ? pose donc de sensibiliser les acteurs sur la
S’agissant du domaine relationnel, la ques- nécessité de transformer les données/infor-
tion du transfert d’expérience mérite d’être mations les plus tacites en savoirs explicites
abordée : une firme ayant construit un lien utiles pour la collectivité. Cela implique
positif et durable avec un acteur-clé est-elle également d’agir sur les mécanismes de
en mesure de se servir de ses acquis pour rétention d’informations et sur les micro-
établir une relation de long terme avec une pouvoirs susceptibles d’apparaître au sein
autre partie prenante ? En d’autres termes, de l’organisation. Ce problème renvoie
la compétence relationnelle est-elle contin- inévitablement à la question du savoir-être
gente ou, au contraire, universelle ? Pour abordée précédemment. Il convient donc
répondre à cette question, il convient de que le sommet stratégique s’implique de
considérer indépendamment chaque com- manière à ce que l’attitude (basée sur l’idée
posante de la compétence. de valeurs communes) contribue au déve-
Le caractère spécifique des données loppement d’une base de connaissances col-
acquises sur les parties prenantes, fait que lectives (savoirs partagés). L’objectif est
ces connaissances ne sont pas transférables, alors de faire, de ce capital, un bien acces-
au sens où nous l’entendons ici (utilisable sible à l’ensemble des acteurs en interne.
pour un autre acteur). En d’autres termes, Quant au savoir-faire, il est en partie trans-
les savoirs détenus sur un acteur-clé n’ap- férable, dans la mesure où l’entreprise est
140 Revue française de gestion
mune autour de la notion d’ouverture, cette coopérations interfirmes. Pour notre part,
composante de la compétence est acquise et nous avons choisi d’adopter une approche
finalement utilisable dans une autre situa- différente et d’intégrer, ce faisant, deux
tion. Cependant, l’établissement d’un lien courants de pensée majeurs de la littérature
durable avec un acteur-clé suppose, comme en sciences de gestion, le courant institu-
nous l’indiquions précédemment, l’instau- tionnel et celui des ressources. Nous avons
ration d’un climat de confiance et de com- tenté de démontrer que l’entreprise déve-
préhension mutuelle entre les partenaires. loppe des compétences dès lors qu’elle
Si cette condition n’est pas respectée, c’est- entretient des liens durables, non seulement
à-dire s’il n’existe pas réellement de avec certaines firmes, mais également avec
malgré une intention affichée de la direc- travaux, précisé quelles étaient les compo-
tion de mettre en œuvre une démarche par- santes d’une compétence relationnelle. Les
tenariale vis-à-vis de plusieurs acteurs-clés, questions relatives à l’émergence et la
l’entreprise ne pourra a priori être sûre du construction de ces aptitudes particulières
résultat de sa stratégie d’ensemble. En cela, ont ensuite été abordées. Nous avons ainsi
l’attitude ne peut être universelle. tenté de mettre en évidence les conditions
Les développements précédents ont démon- qui favorisaient leur éclosion et leur renfor-
tré que certains transferts d’expériences cement au sein de l’organisation. Et nous
étaient possibles, mais, qu’en tout état de avons enfin étudié, à partir des différentes
cause, il convenait de considérer la compé- dimensions qui caractérisent ce concept, les
tence relationnelle comme un élément conditions dans lesquelles les transferts
contingent. d’expérience pouvaient s’opérer au sein de
l’organisation.
CONCLUSION Cet article, qui se voulait, avant tout, le
résultat d’une démarche conceptuelle, a
L’ambition de cet article était double. Il permis de poser un cadre différent de celui
s’agissait, d’une part, de définir la notion de habituellement rencontré dans la littéra-
compétence relationnelle et, d’autre part, de ture, s’agissant de l’étude des liens entre
montrer que celle-ci présente, par nature, un l’entreprise et les éléments-clés de l’envi-
caractère stratégique. En règle générale, la ronnement. Nous avons proposé une grille
littérature en sciences de gestion privilégie, de lecture qui permette, tout à la fois,
dans cette perspective, la question des d’envisager la question des relations inter-
alliances entre firmes, les auteurs ayant firmes et celle des rapports avec les autres
pour objectif de préciser la place des com- parties prenantes. Notre ambition est de
pétences dans la mise en œuvre de straté- montrer que les compétences sont au cœur
gies relationnelles. L’appropriation de de la problématique relationnelle, tant
capacités, non détenues en interne, consti- dans le cas des partenariats, que dans celui
tue habituellement le point de départ des des connexions établies avec certains
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