Vous êtes sur la page 1sur 10

Pierre Cossette (2016).

Publier dans une revue savante : 10 règles du chercheur convaincant


plus la « règle d’or », Presse de l’Université du Québec, 2e édition

Remarque : la première édition avait 10 règles. La deuxième édition ajoute la règle d’or.

Objectif de l’auteur :

L’ouvrage propose une vision à la fois globale et détaillée des règles à suivre pour celui qui
veut être un chercheur convaincant. Il a donc pour objectif d’aider les chercheurs en formation
ou non, à préparer un projet de recherche et à rédiger un texte destiné à une revue.

Introduction

Pour les études de la réalité sociale, le chercheur serait « un constructeur de connaissances et


non un découvreur de vérités cachées » (Cossette, 2012a, p.8).

Prendre part à une conversation savante n’est pas du tout un repos.

Un texte non publié est un texte mort et qu’un texte non cité est un texte qui agonise. Latour
(1987) soutient même que d’être ignoré « est pire que d’être critiqué voire d’être cité à tort et
à travers par des lecteurs peu attentifs » (p. 62).

Qu’est-ce qu’une recherche ?

Au sens strict, une recherche désigne un travail empirique, c’est-à-dire un travail qui repose
sur des données de terrain (ou de laboratoire) obtenues à la suite d’observations plus ou moins
structurées, d’entrevues plus ou moins dirigées, d’une enquête aux questions plus ou moins
fermée ou de toute autre méthode utilisée en milieu naturel ou non. Ces données, quantitatives
(c’est-à-dire numériques) ou qualitatives (c’est-à-dire narratives), peuvent également avoir été
recueillies à l’occasion d’une autre recherche ou figurer dans une banque de données privée
ou publique ; on parlera alors de données « secondaires ».

Une recherche peut être inductive ou déductive. Dans le premier cas, le chercheur observe,
décrit et analyse de façon détaillée un nombre limité de situations particulières (parfois une
seule) se déroulant dans un contexte spatiotemporel donné, avant de formuler sur la base de
résultats de son étude une théorie ou des hypothèses plus générales à mettre à l’épreuve. Dans
une recherche déductive, le chercheur met à l’épreuve cette théorie ou ces hypohèses plus
générales dans un contexte particulier, comme s’il leur faisait subir un test de réalité. En

1
résumé, avec le raisonnement inductif, on part du particulier vers le général (des faits vers les
idées), alors qu’avec le raisonnement déductif, on va du général vers le particulier (des idées
vers les faits).

Objectif d’une recherche

L’objectif d’une recherche, peu importe la façon dont il est formulé, est toujours de répondre
à une question fondamentale, dont et c’est très important, le chercheur ne connait pas la
réponse et à laquelle aucun autre chercheur n’a encore répondu.

Comment identifier les articles ?

Un article peut être conceptuel ou théorique.

L’article conceptuel n’est pas un article de recherche, même comme les deux formes d’article
doivent apporter une contribution théorique. L’article conceptuel ne rend pas compte d’une
recherche à proprement parler, même si, les données peuvent parfois être utilisées pour
illustrer un point théorique particulier (Kilduff, 2007). Les textes conceptuels représentent
plutôt les essais, c’est-à-dire des travaux prenant essentiellement la forme d’une
argumentation ou d’une démonstration en faveur d’une idée fondamentale que l’auteur
possède déjà. Un article conceptuel n’a pas de cadre méthodologique.

Kilduff (2006) insiste sur les dimensions d’un article conceptuel : les grandes idées proposées
doivent absolument et très implicitement conduire à de nouvelles questions empiriques.

Qu’est-ce qu’une théorie ?

La recherche savante doit, par définition, apporter une contribution théorique. En se basant
sur l’usage qu’en font les chercheurs, une théorie peut désigner un ensemble de construits liés
de façon causale ou non, une hypothèse ou un ensemble d’hypothèses représentées
graphiquement ou non, une explication de la relation constante qui existerait entre différentes
variables et qui témoignererait ou non d’une loi de nature, une ou plusieurs convictions tenues
pour acquises, une interprétation d’un évènement.

Une théorie est constituée de concepts abstraits, c’est-à-dire de « construits », comme


intelligence, rendement, leadership, motivation, satisfaction ou culture.

Dans une théorie, les construits et les variables dérivées de ces construits sont liées entre eux,
dans une mesure plus ou moins grande et, typiquement, de façon causale.

2
Une théorie constitue donc une description de la réalité, à partir de construits (et variables) et
de liens unissant certains d’entre eux. Kaplan (1964) soutient qu’une théorie doit apporter une
réponse au pourquoi du lien entre divers facteurs.

Ainsi, une théorie doit apporter une justification logique permettant au chercheur de prédire
l’influence d’une ou de plusieurs variables sur une ou plusieurs autres.

Des termes comme théorie, modèle et cadre conceptuel sont souvent confondus malgré les
efforts de certains chercheurs pour bien les distinguer. Ainsi, selon Shapira (2011, p. 1313),
une théorie désigne « une structure analytique ou système qui cherche à expliquer un
ensemble particulier de phénomène », alors qu’un modèle serait un outil évalué davantage en
fonction de son utilité concrète que de sa valeur explicative profonde. Un modèle semble
désigner la représentation graphique d’une théorie. Quant au cadre conceptuel, il fournirait
selon Shapira une façon d’organiser ses observations de manière claire et cohérente, mais sans
permettre de prédire, contrairement à une théorie ou un modèle.

Qu’est-ce qu’une contribution théorique ?

Dans le cadre d’une recherche inductive, l’apport théorique sera généralement de proposer un
nouveau construit, une nouvelle théorie ou de nouvelles hypothèses, un nouveau modèle, un
nouveau cadre conceptuel ou une nouvelle typologie susceptible d’être ensuite mis à
l’épreuve. La recherche inductive donne parfois lieu également à la proposition de nouvelles
typologies.

En somme, de façon générale, apporter une contribution théorique, c’est avancer de nouvelles
idées à propos de la relation qui existerait entre différents construits ou variables, que ce soit à
l’intérieur d’une recherche déductive ou inductive. Une autre contribution est
méthodologique, souvent sous-estimée. Elle provient de la mise à l’épreuve d’une méthode
(technique, outil, procédé, etc.) de recherche ou même d’intervention dans un contexte
particulier. Dans ce cas, le chercheur doit mettre l’accent sur les résultats de cette mise à
l’épreuve (ce que la méthode permet d’accomplir, ses limites, etc.) et sur les implications de
ces résultats pour la recherche à venir.

Une contribution théorique peut être évaluée à partir de deux dimensions : son originalité (est-
elle incrémentale ou majeure ?) et son utilité (est-elle scientifique ou pratique ?).

3
Règle N° 1 : Formuler clairement l’objectif général de la recherche, le « problématiser » de
façon convaincante et bien mettre en évidence l’intérêt de le poursuivre.

Cette colonne vertébrale d’une recherche est habituellement exposée dans l’introduction d’un
article. Par exemple, Mintzberg (1971) justifiait l’objectif de mettre en évidence les
caractéristiques du travail des gestionnaires en montrant que les travaux déjà réalisés sur cet
objet, surtout celui de Fayol publié plus de cinquante ans auparavant, dataient de plusieurs
années et que le monde avait beaucoup changé depuis ce temps-là.

En somme, alors que problématiser un objectif de recherche renvoie essentiellement à sa


justification en amont, en montrer l’intérêt sur le plan théorique constitue principalement sa
justification en aval.

L’objectif générale de la recherche est-il formulé clairement ?

Par définition, l’objectif désigne un résultat à atteindre. Même s’il est général, il n’a pas à être
flou et il doit être formulé clairement. Pour évaluer la qualité d’un objectif général de
recherche, on fait appel à trois critères qui sont : sa formulation, sa problématisation et son
intérêt. Un bon objectif doit être formulé avec un verbe d’action tel que : déterminer, mettre
en évidence, mettre à l’épreuve, comprendre, expliquer, etc.

L’auteur recommande par exemple d’éviter d’employer les mots comme « découvrir » parce
qu’il laisse croire finalement qu’il existe des mystères à percer ou des lois de la nature à
mettre au jour dans l’étude de l’organisation, ce qui serait étonnant. Le mot prouver (ou
démontre) est lui aussi inapproprié parce qu’il suppose que le chercheur ne pose pas au départ
une question à laquelle il entendrait répondre, mais qu’il propose plutôt une argumentation
justifiant une réponse dont il veut faire la promotion ou montrer la valeur ; s’il n’y a pas de
question de recherche, il n’y a pas de recherche.

L’objectif d’une recherche n’est pas l’objet de recherche. L’objectif représente un but à
atteindre, son objet (son sujet, diraient certains) indique ce sur quoi elle porte.

L’objectif générale de la recherche est-il problématisé de façon convaincante ?

L’argumentation justifiant la raison d’être d’une recherche possède dans la plupart des cas les
caractéristiques suivantes : elle doit être brève, logique, se terminer par un « problème ». Il est
bon de rappeler que le problème est un écart entre la situation réelle et la situation souhaitée.

4
L’intérêt théorique de poursuivre l’objectif de la recherche est-il bien mis en évidence ?

Il s’agit pour le chercheur d’exposer la « valeur ajoutée » de sa recherche, c’est-à-dire


l’enrichissement qu’elle permet d’anticiper sur le plan théorique. Il pourra alors démontrer de
façon détaillée et très convaincante de le poursuivre. Par exemple, la nature de l’éclairage
nouveau qu’apportera sa recherche, l’ajout de précision ou de robustesse à telle théorie, telle
classification ou tel modèle descriptif ou explicatif, sur la richesse qu’amènera la remise en
question de certaines convictions tenues pour acquises, perspectives, théories ou approches,
sur la réduction de l’incohérence dans les résultats de certaines recherches portant sur le
même objet, etc.

Modèle d’introduction d’un article de recherche

1. Considérations générales
2. Travaux dominants sur l’objet de la recherche
3. Problème dans les écrits actuels
4. Objectif général de la recherche
5. Intérêt de la recherche
6. Plan de l’article

Règle n° 2 : Bien justifier les questions ou hypothèses de la recherche et rendre compte de son
appareil théorique par un examen de la littérature approfondi, critique et bien structuré.

On a vu dans la première règle que l’introduction d’un article visait à positionner la recherche
de façon fondamentale, c’est-à dire à présenter clairement sont objectif général, à bien le
problématiser et à montrer l’intérêt de le poursuivre. Cette règle permet de faire la revue de la
littérature. Celle-ci doit aboutir à la conclusion que des questions ou des hypothèses découlant
directement de l’objectif général de la recherche sont justifiées et intéressantes sur le plan
théorique. Graphiquement, on peut résumer cette démarche ainsi :

5
Revue de la littérature sur l’objet de la recherche

Conclusion montrant le bien-fondé et l’intérêt de


questions spécifiques ou d’hypothèses particulières

Questions ou hypothèses très précises de la recherche

Il s’agit entre autres de répondre aux questions suivantes :

- Les questions ou hypothèses de la recherche sont-elles convenablement formulées ?


- L’examen de la littérature est-il approfondi et critique ?
- La présentation des fondements théoriques de la recherche est-elle bien structurée ?
- Les questions ou hypothèses de la recherche sont-elles solidement justifiées ?
- Les principaux construits de la recherche sont-ils bien définis ?
- Les convictions tenues pour acquises sont-elles explicites ?

Règle n° 3 : être très explicite sur tous les éléments du cadre méthodologique de la recherche,
procéder d’une manière adéquate sur le plan technique et s’assurer que tout soit en accord
avec l’objectif de la recherche théoriques.

Il s’agit de fournir les informations sur les aspects suivants :

- Le devis de la recherche : c’est un plan d’ensemble qui guide la collecte et l’analyse


des données.
- Les participants ou sujets de la recherche : on s’attend à ce que le chercheur expose la
manière dont il a procédé pour recruter les participants de sa recherche (échantillon au
hasard, stratifié, de convenance, etc.), de même que les caractéristiques des
participants (ou activités, entreprises, etc.)constituant cet échantillon : leur nombre ou
leur taille, l’endroit où ils se trouvent ou toute autres caractéristique considérée par le
chercheur comme pertinente dans sa recherche (âge, sexe, niveau de scolarité, etc.).
- La ou les techniques de collecte de données employées
- La ou les techniques d’analyse qui seront utilisées

6
- Le chercheur est-il très explicite sur tous les éléments constituant l’appareil
méthodologique de sa recherche ?
- Sur le plan méthodologique, le chercheur procède-t-il d’une manière adéquate ? Le
chercheur ici doit démontrer qu’il possède les connaissances et le savoir-faire
nécessaires sur le plan méthodologique. Plusieurs questions précisent viennent
rapidement à l’esprit. Exemple : le doctorant est-il à l’aise avec le devis de recherche
qu’il a retenu ? A-t-il procédé de façon à limiter les biais de son échantillon, quel que
soit la technique employée pour l’obtenir ? A-t-il pris les moyens qu’il fallait pour
réduire sa propre influence sur les participants de la recherche ? etc. en d’autres
termes, il doit s’assurer de la validité de son travail.
- Les éléments du cadre méthodologique de la recherche sont-ils cohérents avec
l’objectif de la recherche et ses fondements théoriques ?

Règle N° 4 : présenter très clairement les résultats de la recherche et les analyser


rigoureusement l’aide de techniques appropriées.

Lorsqu’on examine les résultats d’une recherche, il y a plusieurs questions qu’on peut se
poser. En voici quelques-unes.

- Les résultats sont-ils présentés clairement ?


- Les données brutes ou transformées sont-elles analysées à l’aide de techniques
(statistiques ou non) appropriées ?
- Les résultats sont-ils intimement liés à l’objectif de la recherche, à ses hypothèses ou à
ses questions spécifiques ?
- Les résultats sont-ils interprétés adéquatement ?

Règle n° 5 : discuter de manière approfondie de l’apport théorique des résultats et de ses


implications, sans oublier de faire état des limites de la recherche.

Le chercheur commence fréquemment cette partie en rappelant l’objectif de la recherche et en


présentant une courte synthèse de ses résultats, tout en s’efforçant d’être le plus original
possible, c’est-à-dire sans trop répéter ce qu’il a dit précédemment. Il discute ensuite des
résultats obtenus en insistant sur la contribution théorique qu’ils apportent, sur les
7
implications théoriques et pratiques qui en découlent et enfin discuter sur l’effet des limites de
la recherche sur l’interprétation et les suites à donner à ces résultats. Ces trois éléments de la
discussion renvoient à :

- L’apport théorique
- Les implications, c’est à dire les retombées de sa recherche, les conséquences
(managériale, théoriques, etc.)
- Les limites : certaines sont liées aux décisions d’ordre théorique et méthodologique
prise légitiment par le chercheur. Le chercheur parfois compte et discute de facteurs
qui auraient pu exercer un effet négatif sur la validité des résultats. Ces limites peuvent
être associées aux caractéristiques des participants eux-mêmes ou à la façon de les
recruter. D’autres peuvent carrement provenir des erreurs faites par le chercheur,
notamment lors de l’adoption du devis de la recherche ou de son implantation, ou
encore des problèmes imprévus.

Lorsque le chercheur présente l’apport théorique des résultats de sa recherche, il doit se poser
les questions suivantes : l’apport théorique de la recherche est-il très explicite, justifié et
discuté de manière approfondie ? les implications théoriques et managériales découlent de
l’apport théorique de la recherche sont-elles discutées de façon détaillée et appropriée ? Les
limites de la recherche sont-elles exposées clairement, sans une insistance démesurée sur ses
faiblesses ?

Règle n° 6 : Attribut au texte un titre informatif et accrocheur, et construire un résumé


représentatif de son contenu et convaincant quant à la valeur de la recherche effectuée.

On peut se poser au moins deux grandes questions quant aux caractéristiques souhaitables
d’un titre et d’un résumé :

- Le titre est-il informatif et accrocheur ? en règle générale, le titre idéal possède les
attributs suivants : il est court, il est précis, claire, interpelle ceux à qui le texte
s’adresse.
- Le résumé est-il représentatif du contenu du texte et convaincant quant à la valeur de
la recherche effectuée

8
Règle n° 7 : citer correctement et uniquement les travaux pertinents et publiés dans les
documents crédibles, tout en attribuant les idées rapportées aux auteurs qui en méritent la
paternité et après les avoir examinés dans le texte d’origine.

Les principales raisons pour citer des travaux déjà publiés : reconnaitre l’origine d’une idée,
d’un concept, d’une approche, d’un instrument de mesure ; montrer les limites des travaux
actuels ou des méthodes employées pour les réaliser, ou encore pour définir un concept ;
préconiser l’utilisation d’une théorie, d’un concept, d’une approche, d’une perspective, d’un
instrument de mesure, d’un contexte, d’une procédure ; fournir les nouvelles sources
d’information et enfin, affirmer que les résultats obtenus vont ou on dans le même sens que
des travaux précédents.

L’évaluateur se pose souvent les questions suivantes :

- Les travaux cités sont-ils pertinents ?


- Les travaux cités proviennent-ils de documents crédibles ?
- Les idées citées sont-elles vraiment attribuées aux auteurs qui en méritent la
paternité ?
- Les idées citées ont-elles été examinées dans les textes où elles figurent
originellement ?
- Les travaux cités l’ont-ils été correctement ?

Règle N° 8 : rédiger le texte dans un langage très clair, tout en respectant les règles et usages
de la langue employée et en adoptant un style vivant et un ton approprié.

Règle n° 9 : soumettre le texte à la critique avant de l’acheminer à une revue et le cas échéant,
réagir constructivement aux demandes de modifications.

Règle 10 : persévérer, persévérer et persévérer…

Règle d’or : agir en toute intégrité.

9
Des comportements comme la fabrication et la falsification de données ou le plagiat et
l’autoplagiat.

10

Vous aimerez peut-être aussi