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Père Joseph Kentenich

Nova creatura in Jesu et Maria

(Pensées sponsales)
Traduit en français par Herménégilde Ntabiriho, pour l’Institut des Pères de Schoenstatt
Mont Sion Gikungu , BUJUMBURA / BURUNDI

Janvier 2009

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Introduction

Les «Pensées sponsales», sous le titre «Nova Creatura in Jesu et Maria», sont un
héritage que notre Père et Fondateur nous a léguées de son temps à la prison de
Coblence (18.10.1941 – 11.3.1942).
La suggestion est venue d’un cours du noviciat de nos Soeurs, qui s’était fixé comme
objectif la réalisation de l’idéal sponsal.
Lui-même très stimulé par l’idéal sponsal et lors de la mise par écrit selon, ses
propres termes, «intérieurement plein de lumière de telle façon que la main et le
crayon ne pouvaient suivre l’envol des pensées», notre Père et Fondateur rédigea les
conférences suivantes. Il écrivit les dernières 52 pages en date du 19.1.1942 - une
journée avant sa décision lourde de conséquence, d’aller librement dans le camp de
concentration de Dachau.
Les «Pensées sponsales» ont été écrites dans des conditions défavorables
inimaginables, avec un crayon sur des blocs de papier détachables, sans sous-main –
en danger permanent de mettre en jeu son oeuvre et sa personne. C’est pourquoi
elles sont aussi un témoignage impressionnant d’une conscience de mission
exemplaire, d’une confiance en Dieu et d’un grand courage.
Le souhait de notre Père et Fondateur était que nous les lisions avec zèle, que nous
les méditions personnellement et enfin, que nous devrions les exploiter comme une
réponse à nos questions personnelles.
Comme notre Père et Fondateur devait vite envoyer les différentes parties des
conférences en dehors de sa cellule, à cause du danger d’être découvert, il ne
pouvait pas revoir les textes déjà écrits. Ce qui est alors étonnant, c’est comment il
gardait toujours en esprit la disposition de ses pensées.
Les textes soulignés émanent de lui-même.
La retranscription des Pensées sponsales s’est faite en conformité avec le texte
manuscript.

Berg Schönstatt
8 Juillet 1991

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SOMMAIRE

L’IDEAL SPONSAL

Il a une grande tâche à accomplir


Dans
l'histoire de notre Famille
l’histoire de notre vie
l’histoire de notre souffrance

Tout cela n’est compréhensible que pour quelqu’un qui a saisi profondément les
pensées sponsales, les a vécues et cherche constamment à les réaliser

1. Le nouvel idéal de cours n’est pas inconnu

a) Il a brillé dans toutes les situations de notre vie

b) Il a reçu une nouvelle nourriture chez les enfants les plus âgés de la Famille

aa à travers la préparation à la première profession religieuse


ab Les conférences sur le caractère personnel de la Mère de Dieu
parachevèrent les pensées sur l’enseignement sur corps mystique du Christ

2. L’idéal sponsal n’a pas façonné de façon particulièrement forte la vie publique et
l’aspiration de la Famille

3. Il est plus que temps de le placer au centre de notre combat

a) C’est ainsi que veut être interprété la nouvelle devise annuelle


b) Tout un cours s’empare du courant se trouvant dans la devise

PREMIERE PARTIE

L’idéal sponsal donne une explication à l’histoire de notre Famille

1) Quelle idée vous faites-vous de cette affirmation ?

2) Comment l’idéal sponsal donne une explication à l’histoire de notre Famille ?


Il le transforme en une sorte d’histoire sainte, explique ses côtés réjouissants,
accablants et ravissants

A Les côtés réjouissants


1. Le fait

Réjouissants dans la vie du Sauveur sont les grands succès. Il y a un


reflet de cela qu’il faut découvrir dans l’histoire de notre Famille

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a) Elle connaît des miracles de maturité intérieure et de développement
extérieur
b) Dieu s’est montré comme père et mère, comme sage-femme et comme
chef d’ouvrage

2. La signification

Buvons jusqu’au fond l’océan de miséricorde divine dans lequel notre


Famille nage
a) notre concept de Dieu s’explique
b) notre amour envers Dieu s’allume
c) notre fidélité envers Dieu est garantie

3. Le motif

La Famille a tellement de preuves des miséricordes divines, parce qu’en


tant qu’épouse du Christ, elle a attiré sur elle la bienveillance de l’Epoux
divin. Cette bienveillance nous offrit en cadeau la grande idée de notre
Famille

a) Depuis toujours, les grands hommes religieux, les familles et les


courants furent portés par une grande idée
b) La grande idée de Schoenstatt : l’homme nouveau et la nouvelle
humanité en Jésus et Marie
aa Différents accents tout au long des années
ab Une comparaison avec Saint Paul nous renvoie à l’aspect
marial de notre idée
ac Jamais nous ne serons infidèles face à notre tâche : Nous
veillerons à la bi-unité entre le Christ et sa Mère

c) L’image du Sauveur selon saint Paul est marquée par la vie, la


souffrance et la mort du Seigneur. Cela vaut aussi pour la vie de
l’Eglise et de notre Famille. Ce ne sont pas seulement les côtés
réjouissants dans la vie du Sauveur que nous trouvons dans
l’histoire de notre Famille, mais aussi les côtés accablants

B Les côtés accablants

I. Dans la vie historique du Sauveur

1. Le moment des échecs

1) Le succès et l’échec se succèdent


a) Les premiers temps de son activité étaient le printemps réjouissant de
sa mission.
Mais bientôt de nuages sombres couvrent sa vie

aa)Dans l’histoire de vocation de quelques apôtres

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ab)En Capharnaüm
ac) Lors du sermon sur la montagne

b) Des jours d’hiver sombres sont adoucis par des événements


réconfortants

2) Le tournant tragique dans sa vie

a) Le moment exact de ce tournant ne se laisse pas bien déterminer


aa)Les évangélistes n’accordent pas une grande importance aux
indications du temps
ab)Dans leur façon de présenter les faits, les évangélistes ressemblent
en quelque sorte à leur maître

b) Mais les évangélistes ne nous laissent pas non plus dans l’embarras
total quant au moment exact de ce tournant

Quatre niveaux de décisions de refus se dessinent


aa)Les autorités en Israël
ab)Le peuple : l’atmosphère se change
ac) Les disciples et les apôtres
ad)Le peuple ne s’incline pas devant lui dans la foi et dans l’amour
Ainsi le sort en est jeté

c) La conclusion du tournant dans la vie du Sauveur : Il se décide de


suivre le désir du Père de sauver le monde par sa souffrance et par sa
mort. Il prépare les siens dans cette perspective

aa)Dans une décision d’amour personnelle, libre et souveraine, il prend


le chemin de la souffrance, parce que son Père le veut
ab)Malgré les instructions du Seigneur, les apôtres ne s’ouvrent pas au
mystère de la croix
ac) La crainte de souffrir des apôtres augmente, lorsque le Seigneur
commence son chemin de souffrance et l’achève dans la mort et la
résurrection

Résumé
La première question concernant le temps des événements
accablants dans la vie du Sauveur est ainsi répondue.

2. De quel genre était la souffrance du Sauveur ?

Des lignes transversales à travers ce qui est déjà dit donnent la réponse

Quelques mots-clé :
Solitude – incompréhension – rejet, haine, persécution, mauvais traitement de
toutes sortes, mort sur la croix

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3. Le sens profond des événements accablants dans la vie du Sauveur

1) Le Père voulait la mort de son Fils dans le sens de la rédemption objective

2) Il voulait la mort dans l’intérêt de la rédemption subjective

a) La sagesse de Dieu utilise l’«impuissance» du Christ pour rendre


possible notre décision libre pour lui

b) Par l’«impuissance» du Christ, Dieu nous facilite la décision pour lui

c) L’«impuissance» du Christ rend méritoire notre décision libre pour lui :


héroïsme de la foi

II. Les événements accablants dans l’histoire de notre Famille

1) A côté des côtés lumineux, elle connaît aussi des côtés sombres

2) Mais elle ne peut pas enregistrer de tournant tragique


L’Inscriptio vécue nous gardera aussi dans le futur de ne pas perdre
l’intimité intérieure et la fidélité

III.Relations de la souffrance dans la vie du Sauveur et dans la vie de notre Famille

L’idéal sponsal donne la réponse


Nous ne connaissons pas seulement une vie en commun, mais aussi une
transfiguration et une crucifixion avec le Christ.
Nous voulons nous remémorer et approfondir nos connaissances sur le corps
mystique et nos relations sponsales avec le Christ

A) Rappel

B) Approfondissement
Nous nous efforçons de trouver

1 les idées de Saint Paul


Saint Paul est considéré comme un dogmaticien et un apôtre de la
pensée du corps mystique.

1.) C’est le Christ qui introduisit pour la première fois cette pensée
dans le corps des vérités catholiques

Saint Pierre et saint Jean en parlent aussi

2.) Saint Paul fait de la pensée du corps mystique l’idée directrice


de son enseignement, voilà alors son mérite

a) Il approfondit l’image de la tête et des membres

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b) Le fondement de cette pensée se trouve dans son
événement de Damas
a. Etienne témoignait qu’une puissance divine s’est
manifestée en lui, ce qui ne laisse plus Paul en
repos
b. Une sainte violence pousse Paul à annoncer le
mystère du Christ
c. Le mystère du Christ aide Paul à résoudre avec une
simplicité stupéfiante la question de la souffrance :
si la tête a souffert, alors nous souffrirons aussi en
tant que membres

c) Ce que saint Paul a enseigné, il l’a aussi vécu de manière


exemplaire

2 Une lumière claire de la manière d’enseigner et de vivre de saint Paul


éclaire la vie de notre Famille
C’est
une vie de chrétien
et une vie mariale et apostolique

Ainsi se terminent les pensées sur la vie accablante du Sauveur et de la


Famille

C) Les côtés ravissants dans la vie du Sauveur et celle de notre Famille

Il semble que c’est la volonté de Dieu de terminer provisoirement la série de


conférences.
La souffrance convient à la souffrance¨
La joie à la joie !

Attendez-vous aux pensées réjouissantes, lorsque le miracle de la vie


émanant de l’Inscriptio sera opérée. Nous avons donc le destin dans la
main

Fin
C’est entendu : Nous restons fidèles !
C’est entendu : Omnia opera mea Regi crucifixio et Reginae et Matri dolorosae
(Toutes mes œuvres au Roi crucifié et à la Reine et Mère douloureuse)

Références bibliques

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L’IDÉAL SPONSAL

L’idéal sponsal a à accomplir une tâche dans l’histoire de notre Famille, de notre vie
et de nos souffrances.

Tout cela n’est compréhensible que pour celui-ci qui a été saisi profondément par la
pensée sponsale et vit de cela et cherche continuellement à réaliser plus. Est-ce que
nous appartenons à ces heureuses personnes ?

1. De toutes les façons, ce nouvel idéal de cours ne nous est pas inconnu

a) Il y avait probablement même une fois un temps dans notre vie, où cet idéal a
brillé comme un soleil et nous emporté avec lui-même et nous a conduit au-delà des
abîmes. C’était à l’époque où nous avons renoncé consciemment au mariage et choisi
comme fiancé un Fils de Roi, le Fils de Dieu, pour le servir dans une fidélité
inébranlable - jusqu'aujourd'hui. Entre-temps d’autres grandes pensées avaient
donné des ailes à notre âme, notamment L'idéal d'enfant dans ses différentes
variétés, comme cela a pris une forme tangible dans beaucoup d'idéaux de cours;
l'idéal de mère, l’idéal de la joie et idéal de la paix et beaucoup d'autres encore. Mais
jamais l’idéal de l’épouse ne s’est totalement estompé. Au contraire, il a toujours
donné aux autres idéaux, de manière consciente ou inconsciente, une forme et une
couleur déterminées.

b) Il a reçu une nouvelle nourriture des enfants plus âgés de la famille.

aa) à travers la préparation à la première incorporation. Nous nous rappelons avec


joie et reconnaissance comment nous voyions briller, alors, le fondement dogmatique
solide de notre état d’épouses du Christ dans les instructions sur le corps mystique
du Christ. C’est un monde nouveau qui s’ouvrait à nous. Nous voyions tout dans une
nouvelle lumière: nous-mêmes, notre Famille, notre idéal et notre vie. Et
joyeusement, lors de notre incorporation, nous avons profondément renouvelé nos
relations sponsales avec le Sauveur et les ont rendues permanentes et exclusives.

bb) Ces pensées et ces courants obtinrent leur complément et leur achèvement à
travers les conférences de l’année passée sur le caractère personnel de la chère Mère
de Dieu.
Par la suite, ces pensées résonnaient dans les âmes de façon toujours plus claires et
fortes: Ce que la Mère de Dieu est, nous le sommes en miniature.
Elle est de manière exceptionnelle la digne mère-épouse, la campagne et l’aide
permanente du Christ dans l’ensemble de l’oeuvre de la rédemption, en tant que tête
de toute la création. Et nous?

A cette époque, nous avons commencé à comprendre pour la première fois le sens
profond et inépuisable du mot: épouse maternelle de Dieu. A cette époque aussi,
nous avons mis consciemment «notre» image mariale resplendissante dans notre
âme affamée, pour ne jamais plus la laisser se décolorer. Comme beaucoup d’autres

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expressions résonnent encore maintenant en elle! Unio quasi hypostatica – Chambre
nuptiale, fille d’honneur, fiancée. - Daigne Dieu nous accorder la grâce, le temps et
l’opportunité pour approfondir et transmettre les connaissances et les expériences de
cette époque-là.

De la sorte, notre compréhension pour les pensées nuptiales et en particulier pour


nos relations sponsales a grandi et continue de grandir. Peut-on dire que l’image
modeste de la religieuse bénie de crinis colli tui1 en nous s’est consolidée et continue
à avoir des effets? Ce que l’on veut exprimer ainsi, rencontre notre manière de voir
les choses:
La mère de Dieu est de façon exceptionnelle l’épouse de Dieu et du Christ. Plus je lui
appartiens et je lui ressemble, plus je peux me considérer et me croire entraîné en
elle dans une relation sponsale de façon merveilleuse. Cet état sponsal est une
participation à son état sponsal.

2. Du point de vue des idées, tout cela nous est familier et vrai. Mais l’affirmation est
aussi vraie: l’idéal sponsal n’a pas encore formé de façon particulièrement forte la
conscience publique, la vie et l’aspiration de la Famille.

3. Nous sentons tous qu’il est plus que temps de ramasser tout ce qui, dans cette
direction, veut depuis longtemps en nous aller vers le haut et attend silencieusement
d’être éveillé, et de le placer consciemment au centre de notre lutte commune.

a) C’est ainsi d’ailleurs qu’il faut interpréter la nouvelle devise annuelle 2 : Devenir une
communauté sponsale de destins, d’être, de pensées, de vie et de tâches avec le Rex
crucifixus et gloriosus selon le modèle de la mater dolorosa et gloriosa.

b) Est-ce que vous ne sentez pas que c’est de nouveau un coup brillant de la
conduite divine qu’en même temps tout un cours s’empare de lui-même du courant
se trouvant dans la devise annuelle et se choisit spontanément comme tâche pour la
vie de veiller à son éternisation et à sa fécondité dans la Famille !

Arrêtons-nous un instant ici. Agenouillez-vous avec moi afin de remercier pour les
grâces qui ont été acheminées vers nous de façon brillante et frappante à travers des
courants spirituels clairement reconnaissables. Une Famille qui est si grande, qui a
pris tant de champs d’activités ramifiés et a si peu de liens extérieurs, dépend pour
tous les temps de la réception judicieuse et du soin délicat de tels courants. Cela
nous pousse à formuler avec une grande intériorité la demande suivante : Mère de
Dieu, veille avec ta bonté maternelle et ta sagesse, à ce que ta création et ton
occupation favorites soit dirigée jusqu’à la fin des temps par des parents et des
éducatrices spirituels qui ont l’art d’éduquer à travers de tels courants et
encouragent une unité intérieure organique et une intériorité qui sont plus efficaces
qu’un simple confinement et un dressage vers l’unité.
1
De l’anneau de ton collier. Il fait référence au Cantique des Cantiques 4,9: « Tu
me fais perdre le sens, ma soeur, ô fiancée, tu me fais perdre le sens par un seul
de tes regards, par un anneau de ton collier!»
2
Omnia opera mea Regi crucifixo et glorioso.

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Tout ce que je vous dis ici, nous est bien connu. Et pourtant, ce n’est pas de trop de
le rappeler encore une fois. Bien au contraire. C’est seulement à partir de ce
fondement, à partir de cette optique : À partir de l’idéal sponsal bien compris et des
courants spirituels dans la Famille que nous comprendrons dans une certaine mesure
l’importance de l’idéal de cours.

(Première partie)

L’IDEAL SPONSAL DONNE UNE EXPLICATION À L’HISTOIRE DE NOTRE FAMILLE3

Puis-je maintenant poser une question?

1. Qu’est-ce que vous vous représentez dans cette première affirmation?

Est-ce que nous n’exagérons pas? Est-ce ça ne sonne pas trop osé ? En effet, nous
venons à peine de constater que la pensée des relations sponsales ont à peine
façonné et influencé jusqu’ici notre vie. Mais ici, je dois tout de suite intervenir et
attirer votre attention que vous ne m’avez compris qu’à moitié. J’ai expliqué que le
nouvel idéal n’a pas été à la conscience publique de la Famille et que les courants de
la Famille n’ont pas encore été nourris de façon réflexive et consciente par lui – mais
je n’ai dit en aucun cas qu’il ne serait pas ou n’est pas particulièrement efficace.

Non, j’ose d’ailleurs affirmer qu’il a façonné et formé de façon fondamentale l’histoire
de notre Famille et nos idéaux – mais il est vrai que c’était dans le silence sans qu’il
soit pressenti, connu ou compris par un grand nombre. Est-ce que vous ne percevez
pas que c’est une sorte de justice et d’équité de pousser enfin de l’ombre à la
lumière ce qui était jusqu’à présent si fortement efficace à l’arrière-plan ?Que cet
idéal sponsal veuille bien élever avec puissance toute la Famille vers le soleil et faire
descendre sur elle la bénédiction de Dieu, lorsqu’une fois il sera compris et vécu
consciemment par tous et qu’il détermine l’opinion publique de la Famille.

Vous pressentez certainement qu’il signifie la même chose qu’une forte intériorité
dans le Christ et un intense saisissement par le Christ.

Et je ne voudrais pas mourir avant que la Famille n’ait vu clairement son idéal du
Christ et embrasse les différents membres avec l’âme entière. C’était l’une de mes
supplications les plus intimes dans les quatre premières semaines : Seigneur, si tu ne
me juges pas digne de te faire connaître à tes disciples préférés, alors laisse-toi
toucher par ta Mère et choisis pour ce travail un autre instrument. Je veux alors au
moins à l'arrière-plan t'offrir pour ce présent digne de Dieu ma santé, toutes mes
forces, ma vie. Ne permets pas que ta famille soit entraînée dans des tempêtes plus
3
La deuxième et troisième parties annoncées pour traiter de l’idéal sponsal ne
seront pas abordées par notre père. A la page 19, la disposition indique que
«l’idéal sponsal a une grande tâche à accomplir dans l’histoire de notre Famille,
de notre vie et de nos souffrances».

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orageuses avant qu'elle ne te connaisse et ne t'aime davantage. Mère de Dieu, tu as
certes conduit tes enfants jusqu'à présent au Seigneur, mais tu exiges pour continuer
et parfaire ton travail notre collaboration encore plus totale et plus profondément
consciente … Ne laisse pas partir les tiens en haute mer avant qu'ils n'aient à peu
près terminé ce travail par tes instruments. Pour cela, je me mets à ta disposition
avec tout ce que je suis et avec tout ce que j'ai.
Si tu veux mon travail: me voici!
Si tu veux la mort lente de toutes mes facultés intellectuelles: me voici!
Si tu veux ma mort: me voici!
Mais veille à ce que tous ceux que tu m'as donnés
apprennent à aimer le Seigneur, à vivre et à mourir pour lui. ––

Est-ce que vous pouvez vous imaginer combien je me suis réjoui, lorsque je
remarquais que vous avez accueilli avec beaucoup de compréhension la devise
annuelle, et que les «Enfants Sponsa» veulent s’engager avec moi pour une
compréhension, un amour et une intériorité du Christ ?

C’est un lien solide qui, ainsi, nous relie les uns avec les autres, même si nous ne
pouvons pas nous voir et nous parler jusque je ne sais quand. Je demande une
coopération fidèle à tous ceux dont un tel amour brûle dans les cœurs. L’esprit
d’enfance qui est grandi si profondément avec la Famille, commence ainsi à recevoir
son enracinement surnaturel intense et ses effets au complet. En effet, c’est
seulement dans et par le Christ que nous sommes au vrai sens du terme des enfants
de Dieu. Certes, cet esprit d’enfance surnaturel trouve un fondement sain dans nos
dispositions naturelles en tant que créatures et femmes. Mais ce naturel pur et
simple n’est qu’un soubassement pour un grand édifice d’un esprit d’enfance voulu
par Dieu. Et nous ne voulons pas éveiller seulement des besoins naturels et les
satisfaire, mais plutôt avec le temps apprendre à prier et à vivre totalement et
uniquement dans le Christ : Abba, cher Père !

Si vous regardez plus précisément, vous remarquerez que tous les autres courants
dépendent de la même manière de la pensée du Christ, de la pensée sponsale. Cela
vaut surtout pour notre amour envers Marie, ––

Je ne peux pas traduire en mots tout ce qui vit dans l’âme, sinon je ne parviendrais
pas à la fin. C’est pourquoi je voudrais vous demander : Soyez conscientes que
l’amour envers Marie ne peut pas vivre sans l’amour envers le Christ ; les deux se
conditionnent mutuellement, sinon l’amour envers Marie n’est qu’un pur amour de
femme au lieu de devenir une forme concrète de l’amour envers Dieu et le Christ.

2. Puis-je encore une fois poser une question :


Jusqu’où l’idéal sponsal donne une explication à l’histoire de notre Famille ?
Je réponds : L’idéal sponsal transforme l’histoire de notre Famille en une forme de
l’histoire du Sauveur et cela selon une triple direction :

Il explique :
A les côtés réjouissants
B les côtés accablants

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C les côtés ravissants
de l’histoire de notre Famille. Ce sont les mêmes côtés que nous pouvons relever
dans la vie historique du Sauveur.

À suivre

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2° Suite

Dans la vie publique du Sauveur, trois parties sont facilement reconnaissables : le


temps des succès, le temps des échecs et la transfiguration.

Un mouvement populaire se développe après ses premières apparitions publiques.


Tous se dépêchent pour suivre le grand faiseur de miracles et le maître éclairé. Il
semble que le peuple voudrait se donner à lui dans la foi et dans l’amour. C’est la
période et le côté réjouissants dans la vie publique du Sauveur. Mais ce temps ne
dura pas longtemps. Il est succédé bientôt par la perception accablante que d’abord
les dirigeants du peuple élu et après la grande masse le rejettent. Aussitôt que cette
réalité se manifeste plus fortement, le Sauveur se retire de plus en plus de la vie
publique et consacre son amour, son temps et sa force à la formation et à
l’éducation de ses apôtres et de ses disciples. Entre-temps, les nuages s’accumulent
au-dessus de sa tête, on tire la boucle de plus en plus étroitement, jusqu’à ce que le
vendredi saint il livre sa vie au pilori de la croix pour la rédemption du monde. Le
troisième jour, il monte du tombeau de ses propres forces. Il se tient devant le
monde étonné comme le héros glorieux, le triomphateur transfiguré de la mort et du
diable. Ce troisième côté est par conséquent ravissant, parce que désormais, même
sa nature humaine est entraînée jusqu’aux plus basses parties dans l’éclat de la visio
beata et parce qu’il a mérité cette gloire pour lui et son corps mystique à travers ses
souffrances et sa mort.

C’est pourquoi la liturgie parle d’une passio beata, et le Sauveur lui-même donne
une explication instructive : «Ne fallait-il pas que le Christ endurât toutes ces
souffrances pour entrer dans sa gloire ?» (Lc 24,26). Le côté ravissant de sa vie
n’englobe pas seulement la résurrection et la transfiguration, mais également le
temps de ses souffrances – mais pour autant qu’il est la cause et le prix d’achat pour
sa résurrection et sa transfiguration.

L’Église est le corps mystique du Christ. Elle se nomme volontiers elle-même


l’épouse du Seigneur et voit dans la chère Mère de Dieu et dans ses relations
sponsales avec le Christ son modèle le plus parfait et son reflet. C’est très
compréhensible que le corps veut et devrait ressembler à la tête, l’épouse à l’époux.
Le Sauveur a l’intention – ainsi dit-on volontiers – de vivre encore une fois sa vie
dans toutes ses périodes et ses niveaux dans son Église. En toute justice, l’histoire
de l’Église doit aussi démontrer un côté réjouissant, accablant et ravissant.

Il en est de même pour l’histoire de notre Famille, parce que nous avons le droit,
dans l’humilité et la reconnaissance, de nous considérer comme un membre excellent
de l’Église. C’est avec raison que j’appelle l’histoire de notre Famille une histoire du
Sauveur. L’expression ne nous est pas familière. Mais nous sommes habitués à
concevoir la vie de notre Famille comme une vie mariale, mais une seconde vie de la
vie historique mariale. Mais cela n’est possible que parce que la Mère de Dieu reflète
et reproduit la vie du Sauveur de manière la plus parfaite. Les deux forment une
unité inséparable. C’est ainsi que le rosaire, qui donne une vision globale de la vie de
Marie et du Sauveur, rappelle de façon très visible dans ses trois parties, les côtés
réjouissant, accablant et ravissant dans la vie des deux.

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Ce n’est pas difficile pour nous de retrouver les trois côtés dans la vie de Marie,
quand elle accompagne de sa façon le Sauveur dans son activité publique. Les deux
sont et restent dans leur être et leur action unis de façon mystérieuse : comme une
mère et son enfant, comme l’époux et l’épouse.
Celui qui a devant les yeux de tels relations, reste et regarde avec un grand amour
les différents côtés de l’histoire de notre Famille.

Regardons d’abord de plus près le côté réjouissant. Ayons la conviction de son fait,
de sa signification et de sa cause profonde.

1. Le fait

Nous avons appelé réjouissant les grands succès dans la vie du Sauveur. –Est-ce que
nous pouvons découvrir un reflet de ces succès dans l’histoire de notre Famille ?

a) Ainsi nous touchons une pensée que nous avons déjà évoquée souvent dans nos
prières. Nous l’avons fait si souvent, lorsque nous feuilletions les pages des
miséricordes de Dieu dans notre Famille.
Voulez-vous que nous le fassions encore une fois ? –
Si vous voulez, vous pouvez vous servir des «Paroles pour l’heure» (Worte zur
Stunde 1939) ou de la vieille génération qui a vécu les miracles de l’amour divin
depuis le commencement.

Ce sont des «miracles» de la maturité intérieure et du développement extérieur.


Comme nous nous sommes développés en très peu d’années dans la largeur et dans
la profondeur !

b) Dieu s’est véritablement montré de façon tangible et merveilleuse comme Père,


comme mère, comme sage-femme et chef d’ouvrage.
Comme Père : Il nous aime comme la prunelle de ses yeux.
Comme mère et sage-femme : Dans sa bonté, sa sagesse et sa puissance, il a
chaque fois cherché et disposé les langes qui étaient le mieux appropriés pour nous
et pour notre développement.
Comme chef d’ouvrage : La Famille se tient devant nos regards étonnés comme un
chef d’œuvre de l’architecture divine. Elle s’est toujours considérée comme une
œuvre choisie et comme un instrument de Dieu et de la Mère de Dieu.

2. La signification

Il est très recommandable, et peut-être même nécessaire à cause des tempêtes qui
arrivent, de boire à fond très souvent et activement, le grand océan de miséricorde
divine, dans lequel la Famille nage. Ainsi notre concept de Dieu s’explique, notre
amour envers Dieu s’allume de nouveau et notre fidélité envers Dieu se trouve
assurée.

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a) Celui qui va dans la vie avec un regard ouvert, sait combien le concept de Dieu est
aujourd’hui non éclairci de différentes façons, et même chez les prêtres et les
religieux. – C’est regrettable, car l’homme ressemble à son Dieu. Cela me saute aux
yeux de façon de très forte depuis le 20 septembre. Ce que je connais depuis
longtemps et que j’ai souvent annoncé, je le vois depuis cette date concrètement
dans sa tragédie dans la vie quotidienne. Beaucoup ne surmontent pas les difficultés
ou n’escaladent pas le point culminant de leur développement voulu par Dieu, parce
que leur concept de Dieu est unilatéral, tordu ou n’est pas solide. Très peu de
personnes d’aujourd’hui sont intérieurement convaincus de ce que nous appelons loi
fondamentale du monde, de la vérité de cette phrase : Dieu est amour. Même ceux
qui ont utilisé 1000 fois de tels mots ou d’autres semblables hochent la tête avec
incrédulité, et trouvent par conséquent le Dieu vivant très peu ou pas du tout dans
les événements de la vie quotidienne, et surtout le moins du monde dans les
bouleversements d’une vie excitée par une révolution.

D’où vient cela ?


Parfois c’est un héritage mal transmis ou mal compris qui est en responsable. Mais
malheureusement, en Occident, Dieu est la plupart de fois conçu et présenté
pratiquement de façon unilatérale comme le Dieu de la justice. Oui, nous
connaissons cela par expérience et nous savons combien de temps ça nous prit
jusqu’à ce que nous puissions dire réellement du fond de notre âme et comme
expression de notre propre conviction : Dieu est réellement amour. Et toutes les
autres propriétés sont en fin de compte mises en mouvement par l’amour.

Dieu est Père, Dieu est bon,


tout ce qu’il fait est bon !

Ce ne sont pas seulement toute une série de concepts erronés qui doivent être
redressés, non, mais aussi de fausses directions de notre vie émotionnelles exigent
une correction. Vous connaissez le mot véritable de saint Augustin : l’amour est le
meilleur organe de la foi. Cela veut dire que celui qui fait une grande expérience
d’amour de ses parents, il ne lui sera pas difficile de déduire efficacement de tout ce
que les Saintes Ecritures nous raconte du bon Dieu – et même pour son cœur – :
Dieu est vraiment Père.

Mais celui qui n’a pas fait l’expérience de l’amour avec ses parents ou ses parents de
substitution, d’habitude, il ne peut rien entreprendre avec les notions de la Sainte
Ecriture se rapportant à ce sujet. Même si en cela vous convainquez la raison, l’âme
et le cœur restent froids.

Celui qui sait maintenant combien de personnes doivent se priver de l’amour


authentique et chaleureux des parents, pressent combien il faut revoir la
compréhension du concept de Dieu dans de très vastes cercles. Et cela à une époque
qui impose de telles lourdes charges à tel point que souvent même le «bon bois»
cède. Que faut-il encore attendre du bois sec !

D’autres ne parviennent pas à un bon concept de Dieu parce que Dieu est trop
spirituel dans son être et trop incompréhensible et insondable dans ses actions.

16
Oui, Dieu est esprit. C’est pourquoi il est difficilement concevable pour l’homme
sensoriel. C’est en tant que pur esprit que le Dieu trinitaire de la révélation se tient
devant nous.

Pour s’approcher un peu de notre raison, il veut nous rencontrer dans ses
transparents, dans des hommes nobles, particulièrement dans la Mère de Dieu et
dans son Fils unique.

Des images nobles – naturels et surnaturels – de Dieu facilitent aux hommes


pensants de monter de l’image à l’original et d’avoir une représentation tangible du
Dieu infiniment parfait.

De façon particulière, les hommes fondamentalement bons ont ici une mission
importante. Ils doivent faire comprendre aux hommes rationnels en quête ce qu’est
le bon Dieu.

De telles connaissances et observations sont appropriées pour nous stimuler à


rayonner les gloires de Dieu à travers l’être et la vie de façon le plus parfait possible.
Nous connaissons l’importance qu’a la Mère de Dieu pour le concept du Dieu de
bonté. Que de fois nous disons : Par elle, le principe maternel est introduit dans
l’ordre du salut ; par elle, les traits de Dieu sévères, parfois trop masculins, prennent
une forme féminine, maternelle. Celui qui, dans des heures difficiles s’est imaginé un
avenir dur et a dit prononcé de manière énergique avec un frisson et un
tremblement intérieurs son Fiat, son Deo gratias, son sitio, il sait ce que signifie,
lorsqu’on peut prononcer par conviction : Ce Dieu à qui tu te donnes docilement,
n’est en aucun cas un tyran. Il est bon comme une mère – comme la Mère de Dieu
se manifeste dans la Sainte Ecriture dans de différentes occasions. Ce qu’il fait est
sans aucun doute est le mieux pour toi. Et si une mère oublierait son enfant, il ne
m’oublie jamais. Il m’a inscrit dans ses mains avec amour et miséricorde.

Inscrite profondément dans notre cœur est l’image de la Mère de Dieu, une image si
belle et extrêmement douce, c’est pourquoi le visage de Dieu a pour nous, malgré les
traits masculins, sévères – malgré la force divine –, des traits aussi agréables,
divinement doux. A cause de nos relations avec la Mère de Dieu, ce n’est pas du tout
difficile pour nous de dire du fond du cœur : Dieu est vraiment notre Père.

De façon particulière, la figure de lumière et d’amour de Dieu s’approche de nous


dans l’image de son Fils. Le Père «habite une lumière inaccessible» (1 Tm 6,16).
Personne ne l’a vu si ce n’est celui qui vient du Père (cfr Jn 6,46), le Fils. Dieu est
totalement invisible pour nous. Nous avons une connaissance de lui uniquement par
son Fils – aussi bien par sa Parole que par son être et son action. Le Fils est l’unique
révélation complète du Père. C’est pourquoi il peut aussi dire : «Qui me voit, voit le
Père» (Jn 14,9).

17
Et la liturgie nous fait prier et chanter : Ut per amorem visibilium ad amorem
invisibilium rapiamur4. Donc, plus nous apprenons à connaître et à aimer le Fils, plus
nous comprenons les traits du Père céleste.

C’est pourquoi vous vous réjouissez tellement vous tous dans la Famille, dont le pain
quotidien est l’esprit d’enfance d’avoir une introduction profonde dans la
compréhension de sa personne et de son œuvre. Et d’autre part : Que de fois on
répète cette parole biblique : «Au milieu de vous se tient quelqu’un que vous ne
connaissez pas» (Jn 1,26). L’époque actuelle est une époque qui fuit Dieu, parce
qu’elle fuit le Christ. Beaucoup de catholiques, des prêtres et des religieux et
religieuses ont une image unilatérale, tordue, endurcie, parce qu’ils ne connaissent
pas celui qu’il a envoyé.

C’est pourquoi ils ne le comprennent pas non plus, lorsqu’il attaque de façon
authentiquement paternelle, lorsqu’il fait mal, lorsqu’il blesse, envoie des déceptions,
des souffrances, des persécutions de toutes sortes.

Celui qui vit entièrement dans l’esprit d’enfance envers Dieu, ce n’est pas du tout
difficile pour lui de répéter après François de Sales cette parole qu’il a mis dans la
bouche d’un enfant que son père – un médecin – doit opérer. A travers toutes les
douleurs aiguës et brûlantes, à travers toutes les larmes, il ne connaît qu’un seul
gémissement : Père, comme tu m’aimes !
Pourquoi donc je vous écris tout cela ? Vous allez me dire que ce ne sont là que des
lapalissades que nous avons déjà entendues souvent. Que puis-je vous répondre ?
Attendez une fois que vous rencontreriez des hommes qui souffrent terriblement de
telles unilatéralités de telle façon qu’ils sont en danger quotidien de s’écrouler. Alors
vous comprendrez pourquoi je veux vous imprégner chaque fois de nouveau ces
vérités importantes ; mais ce sera aussi une raison de prendre conscience, pourquoi
je vous prie de méditer très souvent sur les miséricordes de Dieu dans l’histoire de
notre Famille.
Vous devez nous aidez à atteindre un concept de Dieu qui soit vrai, solide, qui ne soit
ébranlé par rien dans la vie. Sœur Josefine 5 a donc une tâche importante à résoudre
dans notre intérêt.

b) Que de telles connaissances soient une nourriture pour un amour véritable envers
Dieu, l’expérience quotidienne, notre littérature de Schoenstatt et notre héritage
nous le disent.
Plus je me crois, plus je sais, plus je me sens aimé, plus mon amour en retour
s’enflamme plus facilement et plus rapidement et plus durablement. – Faites vous-
mêmes, s’il vous plaît, une application. Mais faites-le avec du sérieux. Plus vous
considérez et vivez ce monde comme votre patrie, plus la vie ne pourra pas vous en
éloigner.

c) Plus votre fidélité envers Dieu est aussi assurée.

4
Pour qu’à travers l’amour envers le visible nous soyons emportés vers l’amour de l’invisible.
Cfr Préface de Noël I.
5
Maîtresse des novices ?

18
Est-ce qu’il en sera de même pour nous comme cela s’est passé pour le peuple élu ?
Paul voit dans une grande perspective visionnaire son développement. Sa mission
s’est portée sur le monde païen. S’il reste fidèle à ce dernier, alors à la fin des temps,
le peuple de Dieu sera sauvé à cause de cette fidélité.

Est-ce que nous perdrons un jour notre mission ? Non ! Cela n’arrivera pas. C’est
pourquoi nous nous efforçons soigneusement d’accomplir notre profession
principale : aimer.
C’est entendu : nous restons fidèles !

C’est pourquoi l’âme cherche partout affamée de la nourriture pour l’amour et la


fidélité.
L’histoire de notre Famille est une nourriture pour nous qui ne voulons pas passer.

3. Le motif

Mais pourquoi est-elle remplie si nombreuses preuves des miséricordes divines ?


Pourquoi elle connaît tant d’aspects réjouissants ?
C’est la question principale qui nous intéresse ? La réponse est donnée rapidement et
facilement. Et nous la comprenons bien dans le contexte de toute la conférence. La
voici : Parce que, en tant qu’Épouse du Christ, elle a attiré et attire de nouveau vers
elle la bienveillance de l’Époux divin.

Vérifiez, s’il vous plaît une fois, comme la Famille est restée sponsalement pure et
fidèle jusqu’ici.
Christ l’a conquise comme épouse sans ride ni tache – de manière semblable que
l’Église – sur la croix. Et là au ciel, il veille fidèlement sur elle, semper interpellans
pro nobis – en intercédant incessamment pour nous. Et à côté de lui – sous la croix
et au ciel – sa Mère. La Famille était et est pour les deux une occupation et une
création favorites. C’est pour cela aussi que le Père la regarde avec bienveillance. Il
répète en nombre de fois incalculables cette parole : Celui-ci est mon fils bien-aimé,
en qui je me plaît (cfr Mt 3,17).

J’avais donc raison, lorsque j’affirmais que l’idéal sponsal explique les côtés
réjouissants de l’histoire de notre Famille.

Qu’est-ce qu’on en déduit ? En tant que Famille dans son ensemble, nous avons
remercié cordialement jusqu’ici le Père céleste et la Mère céleste plusieurs fois déjà
pour tous les bienfaits dont nous sommes témoins et porteurs. Est-ce que le Sauveur
ne se trouve pas ainsi poussé indûment à l’arrière-plan ?
Demandons-lui donc pardon et chantons pour lui maintenant au moins un Te Deum
laudamus …

Certes, notre cœur était encore trop petit pour embrasser les trois Personnes à la foi.
Entre-temps, il est devenu plus large. Lorsque au commencement aussi une certaine
inquiétude voulait nous envahir, si nous restons fidèles, il arrive un jour une période

19
heureuse où Père, Mère et le Sauveur constituent en quelque sorte dans notre vie
une unité.

Ave Maria, puritatis tuae causa aperi mihi … Je te salue, Marie, grâce à ta pureté,
garde purs mon corps et mon âme. Ouvre-moi grandement ton cœur et le cœur de
ton Fils !

20
3° Suite

a) Les grands hommes religieux, les familles et les courants furent toujours portés
par une grande idée qui était entretenue, vécue et à laquelle on s’attachait avec une
unilatéralité organique.

C’est ainsi que le Sauveur était porté par l’idée du Royaume de Dieu dans toutes ses
activités ; un François d’Assise mesurait la vie et l’action avec l’idéal du Sauveur
pauvre et humble en tant que mesure dominante de tout ; au centre du monde de
valeurs d’Ignace se trouvait la fidélité dans la suite de Jésus, le commandant royal en
chef … Comme c’étaient des hommes d’une seule pensée, ils se sont tracé un chemin
à travers toutes les difficultés et comme un aimant, ils ont attirés des personnes aux
mêmes affinités spirituelles : C’est la grande pensée qui les a rendus célèbres, leur
œuvre et leurs disciples. Aussitôt que la pensée s’affaiblit, qu’elle perd sa force
publicitaire, son étoile aussi décline …

Celui qui veut étudier exactement la force de pénétration et de publicité d’une


grande idée sur une base biblique, qu’il feuillette les Actes des Apôtres et les Lettres
pauliennes. Ce qui a fait de Paul, l’homme à 1000 cœurs, extrêmement grand et fort
et fécond, c’est son I.P. (idéal personnel) : l’homme nouveau dans le Christ

b) Nous aussi, nous croyons avoir reçu de Dieu une grande mission à une époque
très décisive. «Je veux connaître ta grande idée», dit une fois Nietzsche. Nous
connaissons la grande idée qui a donné naissance à notre Famille et la rend
constamment fraîche, ouverte, sûre du combat et de la victoire : l’homme nouveau
et l’humanité nouvelle (famille – société) en Jésus et Marie.

aa) Au cours des années, nous avons utilisé beaucoup d’expressions pour cela :
tantôt nous disions : l’homme de Schoenstatt, tantôt l’homme anti-bolchevique,
tantôt l’humaniste chrétien, tantôt le saint marial du quotidien.
Dans le sens de la nouvelle devise, nous devons échanger sur la nouvelle formulation
et nous lier d’amitié avec elle.

bb) Une comparaison avec la conception paulinienne renvoie d’abord expressivement


à une marque mariale de notre idée que Paul ne connaissait pas et ne pouvait pas
connaître tel que nous la connaissons aujourd’hui. Jusqu’à présent nous nous
sommes concentrés avec un grand sérieux et non sans succès sur «notre»
vénération mariale. Théoriquement, nous courants marials sont arrivés à une
certaine conclusion à travers le cours de retraite6 de l’an dernier, qui nous a confié
les esquisses claires de «notre» image dogmatique de Marie comme un héritage
imperdable et nous donna une tâche de vie inaliénable.

C'est et c'était pour nous une chose convenue que toute la gloire de la bonne Mère
de Dieu est de la grandeur et de la gloire empruntées. Tout ce qu'elle appelle sien,

6
De Maria nunquam satis, 4° Cahier : Du caractère personnel de la chère Mère de Dieu, mai-
juin 1941.

21
elle le doit à son Fils … C'était évident pour notre penser, notre sentir et notre
vouloir, que le nouvel homme en Marie est aussi le nouvel homme dans le Christ.
Nous voyions et voyons sur la même ligne l'apparition agissante et transformante de
Marie et du Christ. L'homme marial par excellence est pour nous aussi l'homme
christocentrique. Le marial a obtenu une note particulière à travers la forte mise en
évidence de la MTA et son attachement à Schoenstatt. Ce sont toutes des vérités qui
nous sont entrées dans le sang. Nous nous souvenons avec reconnaissance comment
jusqu'à présent dans chaque idéal de cours, nous avons chaque fois intercepté un
rayon de la bonne Mère de Dieu, caractéristique de son action à Schoenstatt. A ce
propos, elle se tenait et se tient toujours devant nous comme speculum justitiae,
comme un miroir qui n'intercepte que les gloires du Seigneur et les laisse apparaître
visiblement en public.

cc) Dès aujourd'hui, nous voulons plus jeter le regard du miroir sur le soleil. Nous ne
devons pas craindre que le miroir perdrait par là de son éclat et de sa force
d'attraction. Au contraire: Plus le Christ est grand devant nous, plus beaucoup de
lumières frappent sa très sainte Mère. Les deux se conditionnent, se réclament et se
soutiennent. Et il ne faut jamais être infidèle à notre mission: soucie-toi de la «bi-
unité» entre le Christ et sa Mère dans notre vie, comme cela a été esquissé dans
notre conception dogmatique de Marie.
Mais si nous voulons plus pousser consciemment le Seigneur au centre de nos efforts
communs, alors c'est bien d'aller à l'école de Saint Paul. Il ne nous décrit pas
seulement son image du Christ, mais aussi la force pédagogique de formation et
d'éducation du Christ, bref le nouvel homme dans le Christ …
Ainsi nous apprenons de lui à connaître un aspect de notre responsabilité et de notre
mission que nous avions en tant que famille entière, un peu laissée de côté, pour
l'entretenir plus sérieusement et plus explicitement dès maintenant.
Ce qui nous y pousse, c'est le souci pour une mission intégrale de notre famille,
pour son actuelle force de résistance dans le combat contre les tempêtes orageuses
du temps et la transmission de notre pure idée aux générations futures. L'époque de
l'individualisme que nous venons de quitter nous a ravi la conscience de la
responsabilité pour nos contemporains et notre postérité. C'est ainsi que c'est
incompréhensible pour nous, comme Dieu a si sévèrement puni l'humanité entière à
cause du péché d'Adam. C'est pour cela que ce n'est pas facile de comprendre toute
la portée de la responsabilité pour notre famille et de notre famille pour le
renouvellement futur du monde dans le Christ et en Marie. Pensez à ce qu'on nous a
dit récemment sur la première, la deuxième et troisième chutes 7.
Mais relisez aussi une fois comment le Seigneur était fâché et furieux contre les villes
et les hommes dont il avait pris soin comme la prunelle de ses yeux (Mt 11,20-24),
sans succès et sans effet. Même sa ville préférée doit se laisser condamner par le
jugement de réprobation: « Et toi, Capharnaüm, seras-tu élevé jusqu'au ciel? Tu
descendras jusqu'au séjour des morts! Car si les miracles qui ont eu lieu chez toi ( il
y avait fait beaucoup de miracles ) avaient eu lieu à Sodome, elle subsisterait encore
aujourd'hui. Aussi bien, je vous le déclare, au jour du jugement, le pays de Sodome
sera traité avec moins de rigueur que toi » (Mt 11, 23s ).

7
Voir «Brief aus dem Gefängnis “Zum Jahreswechsel”», Lettres du Carmel, p. 38ss.

22
Nous pressentons facilement ce que Capharnaüm aurait pu réaliser de grand dans
l'histoire du salut, si elle avait accompli sa mission. C'est pour cette raison aussi la
douleur facilement reconnaissable du Seigneur, sa colère et sa rage contenue.
De même le Seigneur a fait des miracles sur et dans notre famille. Lui avons-nous
déjà donné la bonne réponse? Sommes-nous si accrochés à lui comme Saint Paul, de
façon que nous puissions dire avec lui: rien ne peut nous séparer de l'amour du
Christ? (cfr Rm 8,39).
Non! Par conséquent avons-nous une fois tenu compte de toute notre responsabilité,
nous les vivants, pour les enfants vivants de la famille … Et que devons-nous dire en
premier lieu, si nous pensons aux générations futures qui nourriront sans cesse
certainement leur esprit des sources de la période de fondation?
Le Seigneur doit-il aussi se mettre en colère et fulminer contre nous les paroles qu'il
a prononcées sur "sa" ville Capharnaüm? …
De toutes les façons, nous ne pouvons et voulons pas descendre dans la tombe,
avant que nous ayons peint pour la famille son image du Christ – pour le grand
avantage de notre image de Marie et de l'homme nouveau que nous avons la joie
d'offrir à l'époque actuelle et au temps à venir.
Quand Saint Paul déclare: «Mihi vivere Christus est et mors lucrum» – «Vivre pour
moi, c'est le Christ, et mourir m'est un gain» (Ph 1,21), c'est de cette façon que nous
devons apprendre à prier, à aimer et vivre avec une conviction la plus profonde et
une grande chaleur: Mihi vivere Christus et Maria (MTA). Vivre pour moi, c'est le
Christ et Marie, la MTA; et si je meurs, ça ne peut être pour moi qu'un gain, parce
que je verrai alors les deux qui constituaient le sens de ma vie.
C'est ainsi que ça devient petit à petit et littéralement vrai, ce que j'ai pu dire en avril
1914, lors de la fondation de la congrégation: la congrégation nous apporte Jésus et
Marie.

c) L’image paulinienne du Sauveur est fortement déterminée par sa vision de Damas.


Là, il a vu le Maître comme Messie, comme Dieu et comme Tête de son Église,
comme il vit dans les siens, souffre, agit et meurt. Peut-être que d’autres visions ont
développé plus ces trois côtés, jusqu’à ce qu’il puisse formuler plus clairement la
pensée du Christ en nous, la pensée du Corps mystique et des relations sponsales et
déclarer : ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi ! Sa vie est une
continuation de la vie et de la mort du Christ. Cela vaut aussi de la vie de l’Église et
de la vie de notre Famille qui est et pour autant qu’elle est un membre par
excellence de l’Église.
En elle, le Sauveur a laissé prendre forme non seulement les traits et les côtés
réjouissants de sa vie mais aussi accablants, non pas seulement le succès, mais aussi
ses échecs et sa souffrance de manière si mystérieuse.

23
B Les côtés accablants

Après avoir pris connaissance des côtés réjouissants, trois questions poussent d’elles-
mêmes et exigent une réponse.

I. En quoi consistent la souffrance, l’échec dans la vie historique du Sauveur ?


II. Quelles formes adoptent-ils dans notre vie de Famille ?
III. Comment les deux sont-ils reliés ?

24
4° Suite

I. Celui qui veut connaître et comprendre réellement les événements accablants dans
la vie du Sauveur : Ses échecs et sa souffrance, ses persécutions et ses défaites
jusqu’à son effondrement, doit se renseigner sur

leur moment
leur genre et
leur sens.

1. La question du moment de ces échecs dans la vie du Sauveur peut être répondu
de deux manières.

1) D’abord, ce qui se laisse dire de tout travail apostolique, vaut aussi pour l’activité
publique du Sauveur : le succès et l’échec se succèdent constamment.

a) La première période de son activité était – comme nous l’observons aussi dans la
vie de nombreux prêtres et apôtres de deux sexes – la période printanière de sa
mission.
Après avoir vaincu Satan dans le désert, il rassemble ses apôtres qui veulent le suivre
librement, va avec eux à Cana dans les noces, à Jérusalem pour les fêtes, part de là,
en passant par la Samarie, vers Capharnaüm, sa ville favorite, là où il établit sa
demeure pour une longue période et suscite un mouvement de masse
enthousiasmée au milieu du peuple avec un succès exemplaire dû aux miracles et
aux guérisons de toutes sortes. Tout le monde accourt vers lui plein d’admiration et
l’acclame joyeusement. En toute vérité – semble-t-il – le Royaume de Dieu est sur la
voie. Et il ne reste plus beaucoup de temps – ainsi pense-t-on – que tout Israël
reconnaisse le Sauveur en tant que Messie.
Cette époque de printemps trouve sa fin et son couronnement dans le sermon sur la
montagne. Selon toute apparence, le Sauveur ne nage pendant cette période que
dans la lumière et la chaleur, il ne nage que dans le succès et dans la
reconnaissance. Et pourtant : Celui qui observe très attentivement, remarque bientôt
les côtés sombres qui traversent aussi maintenant sa vie. Il ne veut pas être mieux
traité que ses disciples …

aa) C’est très réconfortant de se laisser raconter l’histoire de la vocation de chaque


apôtre, qui est à placer dans les premières sorties publiques du Maître. Nous
apprenons comment Jean et André se laisser gagner et inviter dans sa demeure (Jn
1,35-39). André ne se repose pas avant que son frère Simon Pierre ne les suive et
pour cela il obtient la promesse : «Tu t’appelleras Céphas – ce qui veut dire Pierre»
(Jn 1,40-42). Le jour suivant, Jésus voulait aller en Galilée – ainsi rapporte Jean, et il
rencontra Philippe et lui dit: «Suis-moi! » (Jn 1,43). Philippe le suit. – De plus, il se
sent poussé à ce que les autres participent aussi à son bonheur. Il attire l’attention
de Nathanaël sur le Messie et l’introduit dans la vocation du cercle restreint des
apôtres. – D’autres vocations suivent. Lentement, les disciples qui le suivent de très
près augmentent très fortement que bientôt on peut distinguer un double cercle : un
cercle restreint, les apôtres, et un autre large, les disciples de Jésus, et parmi eux un

25
certain nombre de femmes. Ils s’attachent étroitement à lui, se laissent
particulièrement par lui et veulent partager selon les possibilités sa mission et son
destin.
Dès le début, le Maître consacre à ce double cercle une attention particulière. Il parle
aux foules en paraboles – « mais en particulier, il expliquait tout à ses disciples» (Mc
4, 33-34). Il répondait volontiers à leurs questions. Pierre lui demande: «Seigneur,
combien de fois, mon frère pourra-t-il pécher contre moi et devrai-je lui pardonner ?
Irai-je jusqu’à sept fois?» Jésus lui dit: «Je ne te dis pas jusqu’à sept fois, mais
jusqu’à soixante dix-sept fois» (Mt 18, 21-22).

Une fois encore, le Sauveur parla avec un sérieux tout à fait bouleversant. Ses
disciples se trouvent là impuissants et intérieurement écrasés. D’une petite voix, ils
disent : «Qui donc peut être sauvé? » (Mt 19,25). Ainsi sommes-nous embarrassé et
sans défense devant de telles exigences monumentales. Matthieu dit si agréablement
et simplement : Et Jésus «fixa son regard sur eux». Nous pouvons bien nous
représenter ce regard. C’est comme si nous le recevions et que nous entendions les
mêmes paroles de sa bouche – nous qui, comme les disciples, formons aussi un
cercle étroit autour de lui : «Pour les hommes c’est impossible, mais pour Dieu tout
est possible» (Mt 19, 25-26). À l’occasion, le double cercle devint conscient qu’il s’est
donné au Seigneur sans réserve – sans aucune assurance humaine et sans
restriction. C’est pourquoi Pierre demande – probablement au nom des autres :
«Voici que nous, nous avons tout laissé et nous t’avons suivi, quelle sera donc notre
part ?» (Lisez, s’il vous plaît la réponse dans Mt 19,27-30). Le cercle des disciples
demande que le Seigneur leur apprenne à prier. Le Seigneur leur enseigne le «Notre
Père» (Lc 11,1-13). Il les tranquillise aussi, lorsqu’ils se donnent du mal à
comprendre la pensée que le Sauveur rejette tout ce qui était autorité, prêtres et
scribes. Il les réconforte, les attache encore fortement à lui et dit : «Sois sans
crainte, petit troupeau, car votre Père s’est complu à vous donner le Royaume» (Lc
12, 32).
Certes, ils doivent se préparer aux persécutions: «Le disciple n’est pas au-
dessus du maître, ni le serviteur au-dessus de son patron …» (Mt 10,24-25).

Il attache une importance particulière à leur éducation à la foi, à la confiance et à


l’amour (Mt 17,14-21 ; Mt 14,22-33).

Les instructions merveilleusement profondes et radicales qu’il donne au cercle plus


restreint, les apôtres, avant leur envoi en mission apostolique, valent plus ou
moins aussi pour le cercle des disciples. C’est pourquoi nous voulons les lire et les
assimiler méditativement comme si elles s’adressaient à nous personnellement. Nous
voulons particulièrement rester plus longtemps sur une phrase. C’est une phrase
brève, mais qui en dit long sur le destin et la grandeur de l’apôtre. Elle est expliquée
dans WH 2218 et est libérée ainsi : «Qui aura trouvé sa vie la perdra et qui aura
perdu sa vie à cause de moi la trouvera » (Mt 10, 39).

8
Les numéros de page se réfèrent à Werktagsheiligkeit, édition allemande de 1937. Dans la
traduction française, c’est à la page …

26
En conclusion, nous devons admettre que c’est réconfortant d’étudier ces relations
du Sauveur avec les deux cercles de ses préférés. Nous surtout qui croyons avoir une
vocation similaire, nous les trouvons très souvent dans les situations décrites. Nous
n’avons pas de la peine à savourer la joie qui remplissait le cœur du Sauveur, parce
qu’il trouvait chez les siens des oreilles qui voulaient écouter et des âmes réceptives.
Et pourtant : lorsque nous regardons de plus près, nous remarquons tout de suite
que ce double cercle le comprenait à peine. C’est et c’était sa dure épreuve sur
terre : Être le grand solitaire, l’incompris. Quel bonheur pour les grands hommes
d’être compris par ses disciples ! Ce bonheur n’était pas réservé au Sauveur. C’est
pourquoi il y avait toujours un grand échec dans tous les succès.
Les deux cercles sont encore trop faibles pour assimiler en eux son Esprit et sa
mission et grandir et prospérer. Une épreuve dure ! Notre âme de femme pressent le
plus fortement combien cette épreuve de la solitude a dû être radicale et profonde
pour le Sauveur. – Est-ce que ce ne serait pas bien de lui offrir notre cœur pour
compenser tant d’incompréhensions ?
Il venait de faire le miracle de la multiplication des pains. Il part avec les siens en
barque, mais il est intérieurement encore occupé fortement avec le miracle qui venait
de se passer et sa signification symbolique. En partant de cette attitude il fit cette
recommandation à ses fidèles : Gardez-vous du levain des Pharisiens et du levain
d’Hérode» (Mc 8,15).
Ils ne pouvaient pas saisir cette simple image. Ils prirent le mot levain dans son sens
littéral et disaient : il dit cela parce que nous n’avons pas pris de pains dans la
barque. Le sachant, Jésus leur dit: «Pourquoi faire cette réflexion, que vous n’avez
pas de pains? Vous ne comprenez pas encore et vous ne saisissez pas? Avez-vous
donc l’esprit bouché, des yeux pour ne rien voir et des oreilles pour ne rien
entendre? » (Mc 8, 15-18)
C’est encore moins qu’ils le comprennent, lorsqu’il parle de ses souffrances. Ainsi il
ne se sent pas du tout reçu par les siens. Et il doit aussi s’attendre que durant ses
heures les plus difficiles – au Mont des Oliviers et sur la croix – il sera intérieurement
et extérieurement totalement abandonné par eux. Seules les pieuses femmes avec
leur âme profonde et leur simple fidélité ainsi que le disciple qu’il aimait, se tiennent
sous la croix et soutiennent son œuvre.
En vérité, dans sa vie, tout se développe tout à fait autrement par rapport aux autres
grands hommes connus. En mourrant ils laissent une école avec des élèves avec des
affinités intellectuelles, ils les comprennent et assimilent leur esprit et font du souci
de son maintien et de son éternisation leur devoir de vie. Rien de tout cela chez le
Sauveur. – Est-ce que cela était une souffrance pour lui ? La seule qui l’a compris
avant sa mort était sa Mère. Et même ici il devait réaliser un travail pédagogique très
sérieux jusqu’à ce que son cœur pur, réceptif assimile en lui plus profondément les
secrets de son cœur. La scène qui s’est passé au Temple de Jérusalem le prouve. On
trouve le mot très significatif : Ils ne comprirent pas ce qu’il venait de leur dire. Mais
– on ajoute tout de suite – «Et sa mère gardait toutes ces choses en son coeur » (Lc
2, 51), cela signifie qu’elle cherchait à mieux comprendre ces paroles et à pénétrer
plus profondément dans son mystère. – Elle nous aidera nous aussi à toujours mieux
comprendre le cœur du Sauveur et à l’aimer.

Son double cercle, ses disciples les plus proches commencèrent seulement à estimer
correctement, lui et sa grandeur et sa mission, et à s’engager pour cela, après que le

27
Saint Esprit fût venu sur eux. Ils devaient d’abord être des «enfants du Saint Esprit»
pour pouvoir devenir des «enfants-sponsa». Que le Saint Esprit vienne aussi sur nous
et qu’il nous donne de comprendre la Personne du Christ qui s’est fait homme et tout
ce qu’il a dit et fait.

Nous pensons volontiers dans ce contexte à notre petit cénacle. La Mère de Dieu qui
déjà lors de l’incarnation fut couverte par le Saint Esprit, reçut au cénacle encore une
fois le Saint Esprit et l’implora pour la jeune Église avec un amour, une sagesse et
une puissance maternels ; maintenant elle a été accueillie au ciel avec son corps et
son âme et est plongée profondément dans une connaissance du Christ d’une
réjouissance indicible. Qu’à partir de «nos» cénacles elle implore pour nous quelque
chose de sa connaissance et de son amour du Christ ! Alors nous n’aurions rien à
craindre. Et ainsi le Saint Esprit viendra sur nous et nous pourrons tout faire, en Celui
qui nous rend fort (voir Ph 4,13).

C’est donc vrai : dans la vie du Sauveur, les événements les plus joyeux sont
mélangés avec une certaine affliction.

bb) Permettez-moi de présenter un deuxième exemple émanant de sa première


période de son activité publique. Nous savons que le Sauveur a commencé en très
grande partie son activité publique à Capharnaüm, sa ville préférée. – Le succès
est extraordinaire. Tout le monde afflue vers lui. Marc rapporte:

«Ils pénétrèrent à Capharnaüm. Et aussitôt, le jour du sabbat, étant entré


dans la synagogue, il enseignait. Et ils étaient frappés de son enseignement,
car il les enseignait comme ayant autorité, et non pas comme les scribes» (1,
21-22).

Sa parole va droit au cœur ; elle bouleverse, emporte avec soi. – Cela ne suffit pas.
Aussitôt il commence avec les signes et les miracles. Il expulse un mauvais esprit (cfr
Mc 1,25-26), guérit la belle-mère de Pierre et se laisse servir par elle. Aussitôt naît un
mouvement populaire.

«Le soir venu, quand fut couché le soleil – ainsi continue le récit –, on lui
apportait tous les malades et les démoniaques, et la ville entière était
rassemblée devant la porte. Et il guérit beaucoup de malades atteints de
divers maux, et il chassa beaucoup de démons. Et il ne laissait pas parler les
démons, parce qu’ils savaient qui il était» (Mc 1, 32-34).

Nous voyons alors du succès sur succès.

Et au milieu de cette fête de joie tombent des gouttes de vermouth. Non loin de
Capharnaüm se trouve Nazareth, son lieu d’origine. Un jour qu’il se trouvait là, il se
rendit au Synagogue. Comme Nazareth n’avait pas de Temple mais seulement une
maison de la communauté, c’était la coutume que des membres majeurs de la
communauté expliquent à tour de rôle la Sainte Écriture. A partir des récits de Paul,
nous savons que le responsable de la Synagogue cherchait surtout des visiteurs pour
qu’ils disent un mot d’encouragement. Ainsi pouvons-nous nous représenter

28
Nazareth (cfr Lc 4, 14-17). Le Sauveur s’annonce pour faire la lecture. On lui remit le
livre du prophète Isaïe. Il ouvrit le livre, trouva le passage suivant et lit :

«L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour
porter la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé annoncer aux captifs la
délivrance et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer en liberté les opprimés,
proclamer une année de grâce du Seigneur» (Lc 4,18-20).

Alors il expliqua avec une simple majesté:

«Aujourd’hui s’accomplit à vos oreilles ce passage de l’Écriture» (Lc 4, 21).

Une parole qui, avec une simplicité divine qui témoigne de sa propre dignité de
Messie. –

Déjà une fois il avait utilisé le même texte pour le même but. C’était à l’époque où
Jean languissait au cachot et qu’il envoya vers lui ses disciples pour lui demander
une autorévélation. – La question était : «Es-tu celui qui dois venir ou devons-nous
en attendre un autre? » (Mt 11, 3) Nous connaissons la réponse : Avec un regard
visible du côté du passage du livre d’Isaïe cité, elle est :

«Allez rapporter à Jean ce que vous entendez et voyez: les aveugles voient et
les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les
morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres …» (Mt 11,
4 s).

Et il ajoute :

«Heureux celui qui ne trébuchera pas à cause de moi!» (Mt 11, 6)

Peut-être que cette dernière phrase s’adresse surtout à Jean. Si le Christ est le
Messie promis aux prophètes, il peut donc libérer Jean de la prison. Il ne le fit pas.
Jean peut participer au martyr futur du Messie. «Heureux celui qui ne trébuchera pas
à cause de moi!» Heureux celui qui comprend et dit oui à ces relations mystérieuses
à la lumière de la foi. Jean comprend le Messie – donne sa tête pour sa conviction. –

Au commencement, les habitants de Nazareth sont aussi emballés par la sagesse de


ses paroles et la majesté de sa personnalité. Mais par après, c’est le doute qui
s’installe. Il part du fait : N’est-ce pas un de nos rangs ? – Est-ce que ce n’est pas le
fils de Joseph ? Matthieu ajoute :

«N’a-t-il pas pour mère la nommée Marie, et pour frères Jacques, Joseph,
Simon et Jude? Et ses soeurs ne sont-elles pas toutes chez nous? D’où lui
vient donc tout cela? » (Mt 13, 55-56)

Le doute se creuse de plus en plus profondément et ronge solidement leur intérieur.


Le Sauveur demande tout de suite une explication avec des paroles insistantes :

29
«Et tous lui rendaient témoignage et étaient en admiration devant les paroles
pleines de grâce qui sortaient de sa bouche. Et ils disaient: “N’est-il pas le fils
de Joseph, celui-là? ” Et il leur dit: “À coup sûr vous allez me citer ce dicton:
Médecin, guéris-toi toi-même. Tout ce qu’on nous a dit être arrivé à
Capharnaüm, fais-le de même ici dans ta patrie.” Et il dit: “En vérité, je vous
le dis, aucun prophète n’est bien reçu dans sa patrie”. “Assurément, je vous le
dis, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d’Élie, lorsque le ciel fut
fermé pour trois ans et six mois, quand survint une grande famine sur tout le
pays; et ce n’est à aucune d’elles que fut envoyé Élie, mais bien à une veuve
de Sarepta, au pays de Sidon. Il y avait aussi beaucoup de lépreux en Israël
au temps du prophète Élisée; et aucun d’eux ne fut purifié, mais bien
Naaman, le Syrien”» (Lc 4, 22-27).

Et quel est l’effet ? Ils entrèrent en colère.

«Et, se levant, ils le poussèrent hors de la vielle et le menèrent jusqu’à un


escarpement de la colline sur laquelle leur ville était bâtie, pour l’en précipiter.
Mais lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin …» (Lc 4, 29 s).

C’était manifestement un triste événement qui troublait fortement les premières


années fécondes de son activité publique. À côté de cela s’ajoutèrent d’autres
perceptions. En effet, il voyait l’homme jusqu’au fond de son âme. C’est pourquoi il
savait aussi que la plupart attendait de lui des miracles, de l’aide dans toutes les
détresses, avant tout la libération des chaînes d’esclavage politiques : mais ils ne se
frayaient pas le chemin pour la connaissance de sa dignité de Messie …

D’où encore de nouveau un mélange constant des événements joyeux et affligeants.

cc) Nous trouvons ce fait confirmé, lorsque nous pensons à l’écho que suscita le
sermon sur la montagne chez ses auditeurs. Luc le raconte dans le sixième
chapitre, Matthieu dans les cinquième, sixième et septième chapitres. C’est bien de
faire de ce texte notre lecture préférée. – Il contient la magna charta de la véritable
attitude de l’Inscriptio ; il esquisse en des lignes claires l’homme nouveau dans le
Christ (et sa Mère). De plus il nous montre à quoi ressemble en détail le miracle de la
nuit sainte que nous aimerions ardemment voir se réaliser chez nous : l’irruption du
divin dans notre pauvre nature et la transformation profonde, générale de la nature
sous l’influence de cette irruption divine. Celui qui lit les exigences les plus sérieuses
et énergiques du Seigneur, verra se dissiper toute sorte d’exaltation et de rêverie 9. Il
se tient avec les deux pieds sur la dure réalité et s’élève avec sa tête dans le ciel. «La
formation de ce genre des personnes divinisées», voilà le miracle que le
christianisme doit opérer beaucoup de fois actuellement, d’une manière semblable
qu’à l’antiquité chrétienne où il y avait des miracles et des signes dans l’ordre naturel

Nous n’avons de la peine à nous imaginer comment les auditeurs de cette époque-là
étaient entraînés par la figure du Messie et disaient un joyeux oui à toutes ses
exigences – une raison vraiment suffisante pour la joie de son cœur humano-divin. –

9
Wolkenwandlerei

30
Pas même ses plus proches disciples ne pressentent ce que signifie s’habiller du
Christ, se débarrasser de tout ce qui est naturel dans les pensés comme dans la
volonté et devenir une offrande totale dans l’esprit de l’ Inscriptio pour le Dieu vivant.
D’où l’aspiration avide des postes et des sièges de ministre dans le nouveau
royaume ; d’où le fait de rester accrocher à des représentations politiques solidement
enracinées ; d’où l’irritation instinctive de vouloir appeler les foudres et les tonnerres
sur les villes qui ne leur obéissent pas ; d’où la crainte insurmontable de la croix qui
veut empêcher le Messie de prendre le chemin de la croix et écarter surtout la mort
méprisée et ignominieuse sur la croix comme le plus grand mal. –

Comme tout cela doit avoir attristé le Sauveur – malgré toute la joie sur la bonne
volonté des auditeurs. Il doit d’abord mourir et aller vers son Père, il devait d’abord
leur envoyer son Esprit, le Saint Esprit – et c’est après cela que le miracle de
l’homme nouveau dans le Christ et sa Mère était possible.

C’est donc vrai : Même la période printanière de ses grands succès n’est pas libre des
événements accablants.

b) Inversement – ainsi dois-je tout de suite ajouter –, même les sombres journées
d’hiver de ses souffrances et de sa mort étaient adoucies par des événements
consolants de toutes sortes. Nous en reparlerons encore plus tard. –

Maintenant, pour au moins me faire comprendre, puis-je vous prier d’aller un


moment à Golgotha ? Là-haut, le calice des souffrances du Seigneur est rempli
jusqu’au bord. – Et pourtant, il y a à côté de lui sa « digne compagne et
collaboratrice sponsale et maternelle permanente» en tant que «préparatrice de
l’offrande, porteuse de l’offrande et autel d’offrande» (cfr Les conférences sur Marie
de l’année passée). Le Père l’a abandonné – mais non son épouse et mère. – Cette
image devient plus réconfortante lorsque nous découvrons d’autres pieuses femmes
et le disciple Jean qu’il aimait à côté de la Mère de Dieu.
Et là où aucune personne ne se tient à côté de lui pour l’aider et l’encourager, le Père
envoie un ange – comme sur le Mont des Oliviers –, qui le console.

Après tout cela, il n’y a plus de doute que les événements joyeux et affligeants
alternent dans la vie du Sauveur.
C’est une réponse que nous devons donner à la question du moment de la tristesse
et de la souffrance dans sa vie historique.
Et la deuxième réponse ?
À suivre

31
5° Suite

2) Mais la question peut aussi avoir un autre sens. – Elle peut avoir une même
signification que la question concernant son tournant tragique dans sa vie d’héros,
la ligne descendante dans son activité, l’étoile pâlissante dans sa reconnaissance
publique, la victoire de ses ennemis ici sur terre et dans l’enfer sur sa personne et
son œuvre ; elle peut concerner le moment où les adversaires freinent sa marche
triomphale, où ils lui jettent la corde au cou, tirent lentement jusqu’à l’instant d’un
effondrement lamentable par la mort sur la croix.

C’est un monde plein de réalités bouleversantes et d’une vile méchanceté, un monde


d’une tragédie très profonde dans le cadre de toute l’histoire du salut qui s’ouvre à
nos regards.– Dans ses contours généraux, il nous est inconnu. Mais d’année en
année, au moins pendant le carême, nous essayons de méditer sur son ampleur.
Consueta vilescunt. Le quotidien que nous assimilons souvent, perd bientôt son
attrait – même s’il est aussi plein de tensions et d’une importance profonde –, ainsi
nous apprend un proverbe. Nous connaissons par expérience combien cela est vrai.
Un héros de théâtre éveille très rapidement notre compassion, tout notre intérêt,
lorsqu’il va à la mort pour sa grande idée. Combien par contre sommes-nous
intérieurement intéressés par les événements bouleversants dans la vie du Sauveur
qui nous sont connus. –

Ave Maria ! Puritatis tuae causa, custodi animam meam et corpus meum, aperi mihi
cor tuum et cor filii tui. – Je te salue, Marie, grâce à ta pureté, garde purs mon corps
et mon âme. Ouvre-moi grandement ton cœur et le cœur de ton Fils. Ouvre-moi
grandement ton cœur et le cœur de ton Fils ! Ne faudrait-il prier souvent et
intérieurement ainsi ou de la même manière ? Personne n’a compris ni vécu
intérieurement le chemin de la souffrance du Rédempteur comme son épouse
maternelle divine. Nous qui sommes unis si profondément avec elle, nous qui ne
voulons qu’être dans l’épouse du Sauveur, nous croyons avoir ici un droit particulier
de synchronisation pour comprendre et vivre avec le Sauveur, lorsque ce
Rédempteur du monde escalade le sommet de sa vocation de Rédempteur.

«Jésus m’aime en Marie», c’est ainsi qu’exprime quelqu’un de nos rangs son attitude
fondamentale spirituelle du moment. Celui qui pense et aime et vit ainsi, il n’a pas de
la peine d’inverser ce mot et de dire : J’aime Jésus en et avec Marie. –

Oui, que l’intérêt chaleureux que la Mère sponsale de Dieu avait pour la vie et la
souffrance de son Époux humano-divin, devienne pour nous une norme et un
modèle. – –

D’autres au sein de notre Famille perçoivent dans la pensée sponsale une forte
égalité, assimilation et synchronisation avec l’Époux. L’esprit d’enfance est
profondément enraciné dans leur âme qu’il est pour le moment impossible
d’appliquer sur eux et dans leur vie concrète le mot Époux. Ils veulent rester enfants,
enfants du Père céleste ; mais aussi enfants du Sauveur. Ils ne peuvent se concevoir
et vivre comme ses épouses – de la même manière que la religieuse dont il était
question plusieurs fois – dans une union d’amour sacrée et une bi-unité avec son

32
épouse exceptionnelle à qui s’adresse cette parole du Cantique des cantiques : Una
est amica mea, una est columba mea – sponsa mea . Même pour de telles âmes, ce
n’est pas difficile de trouver le chemin vers lui de manière parfaite dans et avec
l’épouse et mère du Seigneur. –

Et les autres, dont toute leur vie intérieure est orientée avec toutes ses fibres vers le
Père céleste ? Le Sauveur leur dit lui-même : «Nul ne peut venir à moi si le Père qui
m’a envoyé ne l’attire» (Jn 6, 44). – Nemo venit ad me, nisi Pater meus traxerit eum.

Justement, comme nous appartenons à Dieu le Père, avec notre corps et notre âme,
avec tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons, il veut attirer notre cœur
vers son Fils unique. Il n’attend que nos demandes, notre soumission et notre
docilité. Sans le Père, nous ne pouvons pas aller vers le Fils. – C’est ainsi qu’il
explique solennellement : «Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père …» (Mt 11, 27)
Heureux donc sont ceux qui ont des relations personnelles et profondes avec le Père.
Qu’ils soient sûrs qu’à travers lui, ils recevront aussi bientôt des relations intimes
avec le Fils. D’autant plus qu’ils doivent au Père leur relation avec le Fils. En effet,
«nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler» (Mt
11, 27). Nous connaissons le Père – cela ne serait pas possible sans le Fils … Est-ce
que nous l’avons suffisamment remercié pour cela ? Nous pressentons combien l’âme
est profondément ancrée dans le monde surnaturel, combien l’homme nouveau dans
le Christ et sa Mère doit mûrir jusqu’à la majorité du Christ, s’il veut goûter
théoriquement et pratiquement à cette merveilleuse trinité entre le Père et son Fils et
la divine épouse-mère10 .

C’est le grand objectif qui nous est fixé pour cette année, la grande grâce qui nous
est offerte. Nous la saisissons avec les deux mains et sommes prêts de tout faire et
laisser pour que, dans notre Famille, «le miracle de la nuit sainte», le miracle du
christianisme actuel puisse être opéré plus souvent. – – –

C’est l’attitude de prière exacte qui doit accompagner nos réflexions sur les
événements accablants dans la vie publique du Sauveur. Ainsi nous pouvons espérer
un grand gain pour la formation de l’homme nouveau dans le Christ et sa divine
épouse-mère.

Comment est donc maintenant le moment du tournant tragique dans la vie du


Rédempteur ?

a) Ce moment ne se laisse pas déterminer de manière très claire.

aa) Cela est dû au fait que, de façon générale, les auteurs sacrés n’attachent pas
d’importance particulière aux données exactes. Ils décrivent la vie du Seigneur à
partir de différents points de vue, et alignent les événements qui correspondent à
l’objectif qu’ils poursuivent. Nous pourrions dire qu’ils tracent de grandes lignes à
travers la vie et l’action du Maître, et dans l’ensemble, ils ne s’occupent
particulièrement du moment quand telle ou telle parole a été prononcée, ou quand

10
gottesmütterliche Braut.

33
tel ou tel événement a eu lieu. Lorsqu’ils écrivaient leurs livres – inspirés par le Saint
Esprit –, ils se trouvaient tellement sous une forte influence de la personnalité divine
de leur Maître de telle sorte qu’ils étaient éblouis par la plénitude de sa lumière et
qu’ils ne pouvaient recueillir quelques rayons. C’est pourquoi Jean conclut son
évangile avec l’affirmation : «Il y a encore bien d’autres choses qu’a faites Jésus. Si
on les mettait par écrit une à une, je pense que le monde lui-même ne suffirait pas à
contenir les livres qu’on en écrirait» (21, 25).

À cause de cette plénitude objective et ce saisissement subjectif par la matière, les


données temporelles étaient pour eux accessoires – et même parfois un obstacle
pour une plus grande efficacité de la présentation.

Ainsi nous pouvons bien comprendre combien les exégètes ont de la peine d’établir
une harmonie fiable des évangiles. L’enchaînement historique des événements est
tellement difficile que beaucoup de personnes sont d’avis qu’à partir du texte sacré,
on ne peut pas démontrer avec certitude une activité d’enseignement du Christ qui
s’étend sur trois ans.

bb) Dans leurs méthodes de présentation, les évangélistes ressemblent un peu à leur
Seigneur et Maître qui, de son vivant, brisait avec une liberté divine tout
asservissement lié tout schéma humain établi. – Il ne connaît qu’une chose : la
volonté d’amour du Père. C’est elle seule qui est déterminante. Nous lisons ce qui est
écrit là-dessus dans la «Sainteté du quotidien», page 77 et nous le faisons notre
thème de méditation. – Le Christ utilise pour cela l’expression : Mon heure n’est pas
encore venue … Aussi longtemps que la volonté d’amour du Père ne s’est pas encore
exprimée clairement, il utilise l’expression : Mon heure n’est pas encore venue …

Ainsi nous comprenons ce qu’il veut dire à sa Mère, lorsqu’il lui explique lors des
noces à Cana : «Mon heure n’est pas encore arrivée» (Jn 2, 1-8). Mais cette heure
arriva, c’est-à-dire que le Père désirait de lui le commencement de son activité
publique avec le miracle de la transformation de l’eau en vin, après la prière de sa
Mère. Ou nous pensons à son entretien avec ses «frères» que Jn 7,3-9 raconte.
Les «frères» le conseillent d’un air moqueur d’aller à Jérusalem et de montrer ce qu’il
peut faire. Est-ce que nous comprenons sa réponse ? Le Sauveur réplique et explique
d’abord : «Mon temps n’est pas encore arrivé …» ; mais ajoute tout de suite et en
leur rappelant à l’ordre : «Le vôtre est toujours prêt …» Il veut faire remarquer que
dans leur action, ils ne sont jamais poussés d’en haut, par le Père, mais qu’ils
agissent toujours poussés d’en bas, par leur volonté arbitraire et leur instinct. –

C’est un travail qui vaut de la peine de vérifier, à l’aide des évangiles, comment
c’était effectivement la volonté du Père qui était en tout déterminant pour lui. Il va
au Jourdain, dans le désert, choisit son double cercle, enseigne, opère des miracles,
souffre toujours quand et aussi longtemps que son heure est là. Puisque le Père l’a
décidé qu’il doit être baptisé d’un baptême de souffrance, il se rend courageusement
à Jérusalem, au milieu de ses ennemis et se laisse livrer à eux – et combien il se sent
pressé pour que tout soit consommé (cfr Lc 12,50).

34
Cette double confession en dit long sur tout ce qui sort de sa bouche : Ma nourriture
est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé et de mener à terme son œuvre (cfr
Jn 4,6-7 ; 31-34). Il n’éprouve qu’une faim et qu’une soif : l’Ita Pater joyeux,
courageux et héroïque. Il parle de ce mot de nourriture, lorsque les disciples le virent
assis au puits de Jacob, en train de savourer avec recueillement l’événement avec la
Samaritaine. – Ils pensaient qu’il avait faim. Ils revenaient avec la nourriture qu’ils
ont achetée et le prièrent : «Rabbi, mange» (Jn 4, 31). Il refuse – car en effet, il est
profondément plongé dans l’expérience avec la femme. – Il dit : «J’ai à manger un
aliment que vous ne connaissez pas.» (Jn 4, 32). C’est ainsi que tout à fait humains
et sincères, les disciples se demandent : quelqu’un lui aurait-il donner à manger ?
Une réponse s’en suivit tout à fait spontanément qui révéla sa volonté profonde, le
fond de son âme : «Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et
de mener son oeuvre à bonne fin» (Jn 4, 34).
Nous sentons qu’il vit totalement dans son monde : dans un monde avec d’autres
mesures et dimensions. Ce n’est pas fait de la chair ni avec le sang, ce n’est pas les
désirs humains qui le guident, non, non : seule la volonté d’amour du Père détermine
chaque élan de son cœur et de sa volonté et de son corps. – «Voici, je viens, pour
faire, ô Dieu, ta volonté» (He 10,7). Toute sa vie n’est formée et façonnée que par
l’attitude de l’Inscriptio.
Certes la nature crie à certaines occasions : Père, éloigne de moi cette coupe. Mais
cette demande filiale est dominée par la parole majestueuse : «Cependant, que ce
ne soit pas ma volonté, mais la tienne qui se fasse» (Lc 22, 42).
Digne d’une grande admiration et d’une attraction est la vie des anciens prophètes.
Ils nagent contre le courant. Contre les conceptions et les façons d’agir de leur temps
– et même contre la volonté des décideurs. Nous savons combien cette divergence
avec leur environnement et la dépendance complète d’En haut déterminait souvent
leur sort de prophète et conduisait à des événements tragiques. – C’est pourquoi
cela ne nous étonne pas non plus, lorsque nous retrouvons dans la vie du Sauveur
des rapports semblables. – Nous pouvons difficilement nous imaginer une très
grande contradiction : d’un côté le Sauveur avec son abandon total à la volonté
d’amour du Père et d’un autre côté l’Israël de cette époque avec son asservissement
total à «la Loi et les traditions des anciens». Cette divergence devait conduire à des
frictions, à des chocs, à des ruptures et des effondrements, surtout que le Sauveur
allait son chemin avec sa sainte insouciance des cris de ses ennemis endurcis. «Ne
saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père? » (Lc 2, 49) – ainsi
trouve-t-on comme écho sur chaque page des saints évangiles.
Voilà qu’il se tient très droit devant nous – tout doit céder à la volonté du Père ;
considérations humaines, préjugés, conceptions différentes : tout, tout. – Seule une
chose est valable : «Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel» (Mt 6, 10).

C’est ainsi qu’avec le temps, chaque parole de sa bouche, chaque pas de ses pieds et
chaque action de ses mains deviennent un coup de fouet pour les prêtres, les scribes
et les pharisiens et plus tard aussi pour la grande masse du peuple induit en erreur –
incitée à la révolte par ces derniers.

C’est ainsi que de dures expressions de ce genre ne nous surprennent plus :


N’avons-nous pas toujours dit que tu es un Samaritain (une personne à moitié
païenne) et que tu as un démon, c’est-à-dire que tu agit par la puissance d’un

35
démon (Jn 8,48) ? Nous comprenons aussi en quelque sorte, à partir de ce contexte,
la façon de faire des Nazaréens. Il revient encore une fois à la maison.

«Et de nouveau la foule se rassemble, au point qu’ils ne pouvaient pas même


manger de pain. Et les siens, l’ayant appris, partirent pour se saisir de lui, car
ils disaient: «Il a perdu le sens.» (Mc 3, 20-21)

Toute sa façon d’agir tranchait très fortement avec les habitudes de ce temps – les
habitudes des pharisiens. Et ses miracles et ses signes ? Ils ne pouvaient qu’être
interprétés seulement comme des miracles et des signes apparents, comme de la
magie démoniaque. Ce n’était pas seulement l’avis des simples natifs de son village,
non, les scribes de Jérusalem l’attestaient solennellement. –

«Et les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient: “Il est possédé de
Béelzéboul”, et encore: “C’est par le prince des démons qu’il expulse les
démons” (Mc 3, 22)

Dans cette situation, sa Mère et ses «frères», c’est-à-dire sa parenté, le firent


appeler. Mais lui, il se tient comme un rocher dans la mer, entièrement rempli par la
volonté d’amour de son Père qu’il doit accomplir. D’où la réponse mémorable :
Quiconque fait la volonté de mon Père, celui-là est ma mère et mon frère (cfr Mc
3,35).
Nous nous prosternons devant le Messie. Il se tient devant nous comme un homme
d’une seule idée : Que la volonté d’amour du Père se fasse dans le royaume de Dieu.
––
Oui, la volonté d’amour. En effet, Dieu est amour. Et tout ce qu’il veut et fait, se
passe par amour, à travers l’amour, pour l’amour éternel. Ce sont là les sons qui
nous sont familiers de la loi universelle de l’amour et que nous avons si souvent
entendus et transmis aux autres ; des sons qu’on ne sont plus entendus ni compris
plus nulle part et qui, par conséquent, se taisent de plus en plus. Nos rangs doivent
les chanter de manière polyphonique et harmonique jusqu’à la fin des temps. Nous
prenons des lèvres du Sauveur mourant le texte et la mélodie, et nous les
transmettons de génération en génération. Le désir ultime et profond de la volonté
du Père est et reste l’amour. C’est le grand mystère que le Fils a dévoilé clairement
dans son discours d’adieu.

«Comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimés. Demeurez dans mon
amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon
amour, comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure
en son amour» (Jn 15, 9-10).

Est-ce que nous comprenons cette parole si profonde ? Asseyons-nous avec


recueillement devant le tabernacle et méditons-la élément par élément, jusqu’à ce
que nous réalisons de nouveau que le Sauveur n’a pas seulement vécu, , aimé, lutté
et souffert pour la volonté du Père, mais plutôt pour la volonté d’amour du Père.
Nous découvrons donc de nouvelles lumières dans notre loi fondamentale de la vie et
de l’éducation. Nous profitons volontiers de l’occasion pour lire dans la troisième
partie de la «Sainteté du quotidien» les chapitres sur la loi fondamentale du monde

36
(233) et la loi fondamentale qui régit la vie des saints (242). Mais ça devient aussi
pour nous toujours plus clair comment ça pouvait conduire à la catastrophe entre
Israël et son Messie si ardemment désiré.
Israël s’accrochait à sa Loi et aux traditions des Anciens. – Dans son amour, Yahvé
avait conclu une alliance de fidélité avec Abraham et ses descendants. Le peuple
choisi devait sauver le concept pur de Dieu à travers des siècles et donner la vie au
Messie. Et pour cela Dieu exigeait une foi libre en lui … Le peuple tomba sous la
domination des Egyptiens, fut d’abord accueilli à bras ouverts, mais fut placé plus
tard sous de lourdes lois d’exception. La libre foi en Yahvé et la fidélité à l’alliance
furent ébranlées. Dieu renouvela avec Moïse l’alliance, mais lui donna la Loi qui
réglemente jusque dans les moindres détails les actions quotidiennes du peuple. Il
doit faire ainsi. Car en étant entouré de cette façon par des exigences constantes de
Dieu, il reste constamment attentif sur lui et a ainsi un contrepoids contre les
influences des grands peuples civilisés païens de cette époque : les égyptiens, les
babyloniens, les romains … Les lois sont difficiles et lourdes. Doublement lourdes,
parce que de leur observation dépendent non seulement leur bien-être terrestre,
mais aussi le salut éternel. Une classe à part se forme qui fait de l’étude et de
l’explication de la Loi leur devoir de vie. Ces explications obtiennent aussi un
caractère de loi et sont appelées «traditions des Anciens». C’est ainsi que l’Israélite
est entouré par un enclos de lois qui ne laissent jamais respirer librement. –
À côté des prêtres et des scribes sont surtout les pharisiens, un parti religieux qui
entraînent à l’observation servile de la Loi jusque dans les moindres détails. C’est
ainsi que petit à petit la Loi avait perdu son sens le plus profond. C’est ce qui ressort
surtout du fait curieux qu’Israël réclamait la mort de son Messie au nom de cette
même Loi. «Nous avons une Loi et d’après cette Loi il doit mourir» (Jn 19, 7).
Toutefois, Paul voit dans cette haie de lois aux mille et cent épines pointues un sens.
Elle devait augmenter le désir de rédemption du peuple. Ce que Paul a vécu
personnellement, c’était une expression d’une expérience générale. C’était
absolument impossible, la Loi telle qu’elle était transmise, c’est-à-dire pratiquement,
c’était presque impossible de vivre sans des péchés variés. Si donc le Messie met de
côté le fardeau de la Loi, ou encore mieux, s’il l’accomplit dans un sens plus élevé,
s’il absout l’esprit d’esclavage par l’esprit des enfants de Dieu, combien ceux qui sont
appelés vont jubiler comme Paul et se jeter dans les bras du Messie ! C’est ainsi
qu’au temps du Christ, l’opinion publique ne connaissait qu’une norme sur laquelle
tout reposait : la Loi et la tradition des Anciens. Et sur l’autre côté se trouve le
Messie. Et il ne reconnaît qu’une seule norme : la volonté d’amour du Père.

En vérité, nous comprenons combien les deux conceptions s’opposaient


catégoriquement et que leurs responsables devaient bientôt en venir aux mains.

Ces discussions devaient devenir d’autant plus fortes, parce que le Sauveur exigeait
aussi des siens sa propre attitude.
Il leur apprend le «Notre Père». Mais l’élément central de cette prière
néotestamentaire est la demande profonde : Que ta volonté se fasse sur la terre
comme au ciel. Ce don de soi à la volonté d’amour du Père semble être facile. Mais
en y regardant de plus près, il y a derrière un héroïsme le plus élevé. C’est pourquoi
le Sauveur dit aussi si amèrement : Je ne suis pas venu pour apporter la paix, mais
l’épée. Oui l’épée, qui doit pénétrer dans les penchants les plus profonds et les plus

37
nobles du cœur, jusqu’à ce que l’esprit de l’attitude de l’Inscriptio remplisse l’homme
entier. Nous nous effrayons presque jusqu’au plus profond de notre âme, si nous
lisons chez Luc 14, 26-33:

«Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants,
ses frères, ses soeurs, et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple.
Quiconque ne porte pas sa croix et ne vient pas derrière moi ne peut être mon
disciple. Qui de vous en effet, s’il veut bâtir une tour, ne commence par
s’asseoir pour calculer la dépense et voir s’il a de quoi aller jusqu’au bout? De
peur que, s’il pose les fondations et ne peut achever, tous ceux qui le verront
ne se mettent à se moquer de lui, en disant: “Voilà un homme qui a
commencé à bâtir, et il n’a pu achever!” Ou encore quel est le roi qui, partant
faire la guerre à un autre roi, ne commencera pas par s’asseoir pour examiner
s’il est capable, avec dix mille hommes, de se porter à la rencontre de celui qui
marche contre lui avec vingt mille? Sinon, alors que l’autre est encore loin, il
lui envoie une ambassade pour demander la paix. Ainsi donc, quiconque parmi
vous ne renonce pas à tous ses biens ne peut être mon disciple».

Est-ce que nous ne percevons pas de quoi il s’agit en réalité ici ? Il ne s’agit pas de
l’évitement de ce qui n’est pas noble ou ce qui est péché, lorsque et parce que ça ne
correspond pas à la volonté de Dieu. Nous pourrions bien et facilement comprendre
cela, nous tenions et tenons cela comme évident. Non, l’exigence va plus haut et
plus profondément. Les liens les plus nobles avec le père et la mère, oui les liens
avec nous-mêmes doivent même se soumettre complètement à la volonté d’amour
du Père. Oui, nous devons même haïr ces liens nobles, c’est-à-dire les traiter comme
nos ennemis, les détruire, les arracher, aussitôt qu’ils ne correspondent pas d’une
quelconque manière aux désirs les plus doux de la volonté d’amour de Dieu. –
C’est ainsi que ressemble l’homme nouveau dans le Christ et sa Mère. Il vit
totalement inspiré par l’attitude de l’inscriptio. Il veut et doit devenir totalement libre
des servitudes humaines les plus fines pour pouvoir appeler sienne la pleine liberté
des enfants de Dieu, dans le Christ et sa Mère. – –

C’est en vérité un sommet qu’on ne peut escalader sans le miracle de la grâce. –


C’est le trésor dans le champ, la perle pour laquelle celui qui la découvre est prêt à
tout abandonner. – – Il y a relativement très peu de chrétiens, de religieux et
religieuses, de prêtres, qui attendent et aspirent à ce miracle de l’homme libre,
nouveau, complet, dans le Christ et sa Mère, parce que cette nouvelle création
contient en soi très peu de réalité, très peu de valeurs supérieures. Celui qui veut
tout quitter, doit d’abord voir devant lui un idéal qui remplace tout pour lui, qui est
tout pour lui : se perdre complètement avec le Christ dans sa majorité avec un saint
goût de risque dans la volonté du Père. – –

Que ce miracle rare veuille bien devenir une réalité quotidienne dans le cercle de
notre Famille ! L’homme nouveau, libre, majeur, dans le Christ et sa Mère, qui ne
connaît qu’un idéal : «Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et
de mener son oeuvre à bonne fin» (Jn 4, 34)

38
La Mère de Dieu a vécu pour nous cet idéal de façon exemplaire. Elle a saisi le plus
profondément l’Esprit du Seigneur. En tant que compagne et collaboratrice sponsale,
maternelle permanente (bräutlich-mütterliche Dauergenossin und –gefährtin), elle
doit être le plus semblable à lui. Nous n’avons pas de la peine, à partir des
connaissances des années passées, de nous rappeler ce qui peut de nouveau nous
convaincre de son attitude d’Inscriptio. – –

De façon semblable, Paul aussi s’est laissé déterminé et dominé dans la liberté
complète des enfants de Dieu par la volonté du Père. Même dans sa méthode
missionnaire, il faisait très attention que le Père ne lui ouvrait pas à travers les
situations une porte par laquelle il pouvait passer. – Il était tout de suite prêt de s’y
engager, même si cela lui coûtait aussi de très grands sacrifices. La volonté d’amour
du Père de notre Seigneur Jésus Christ devait le dominer entièrement. La question
qui se pressait sur les lèvres après sa conversion de Damas, l’accompagnait jour et
nuit : «Seigneur, que veux-tu que je fasse?» (Cfr Ac 9, 6).

C’est la même question qui détermine essentiellement l’histoire de notre Famille, la


même question qui, par l’Inscriptio, est devenue la question préférée et vitale de la
Famille et de tout enfant authentique de la Famille.

39
6° Suite

Attiré par la magie mystérieuse qui émane de la personne du Messie, un jour, un


auditeur prend la parole pour pouvoir être intégré dans le cercle étroit autour du
Christ. – – D’abord, il avoue : «Je veux te suivre, Seigneur …» (Lc 9, 61). Mais par
après, voilà qu’il présente une demande pour retarder son accueil. Le motif qu’il
avance, semble très compréhensible au premier regard : «Permets-moi de prendre
congé des miens» (Lc 9, 61). Il ne veut rien faire que s’acquitter de ses obligations
sociales. Le Sauveur ne permet pas cela. Il donne la réponse brusque : «Quiconque
met la main à la charrue, puis regarde en arrière, n’est pas fait pour le Royaume de
Dieu» (Lc 9,62).
Le Maître veut donner dès le début un test de ce qu’il attend de ces disciples les plus
proches : le cas échéant on doit renoncer aux liens les plus nobles – nous dirions
pour cela l’attitude d’Inscriptio.
Ou bien prévoit-il que le candidat va perdre sa vocation, s’il retourne à la maison ?
(Lc 9,61-63) ?
L’exigence qu’il donne à un autre candidat sonne encore plus «inhumaine». Ce
dernier voulait une fois être inscrit parmi les disciples les proches. Le Seigneur l’avait
choisi au milieu de la foule et l’avait appelé en l’encourageant : Suis-moi ! Le
candidat appelé est d’une très bonne volonté, mais il demande d’abord encore une
permission pour pouvoir remplir ses devoirs filiaux. Son père est mort. N’était-il pas
vraiment tenu de veiller strictement à l’enterrement ! – C’est ainsi que dans les
conditions normales il demandait ce droit naturel. D’où la demande : «Permets-moi
de m’en aller d’abord enterrer mon père» (Lc 9, 59). Le Maître lui donne une leçon
sur l’attitude et la façon de procéder selon l’Inscriptio, une leçon qu’il n’oubliera plus
durant toute sa vie, mais qui fait frissonner aussi. Elle est constituée par une phrase
brièvement lancée, qui, venant d’un autre monde jette une lumière sur la vie
terrestre avec ses relations et ses conditions : «Laisse les morts enterrer les morts;
pour toi, va-t-en annoncer le Royaume de Dieu» (Lc 9, 60). Avec cela, il veut lui
dire : À partir de maintenant, tu dois considérer le passé avec toutes ses relations
comme mort. Désormais tu m’appartiens et tu appartiens avec ta force et tes intérêts
seulement au Royaume de Dieu. Nos enfants du cours « Fidelitas» diraient : À travers
ton Inscriptio, tu dois être seulement un petit flocon de plume pour la respiration de
Dieu dans la construction et l’extension du Royaume de Dieu.

Au mois d’octobre passé, nous avons tous posé l’acte d’Inscriptio avec la Famille. Par
conséquent – pour parler avec le Sauveur –, nous avons mis la main à la charrue.
Nous l’avons fait après une réflexion mûre. Nous avons d’abord mesuré notre force
et la grâce de Dieu ; la mission divine et les limites humaines. – Nous nous
comparions au bâtisseur dans l’évangile, qui voulait construire une tour et s’asseyait
d’abord pour estimer les moyens dont il dispose – ou du roi qui voulait faire la guerre
– mais qui, d’abord, évalua les forces disponibles. C’est pourquoi, dans le futur, nous
serons régis par cette parole dure comme le fer : Quiconque met la main à la
charrue et regarde en arrière, n’est pas digne pour notre Famille. Aut Ceasar – aut
nihil. Tout ou rien. Et même si le bon Dieu nous prenait les personnes les plus
chères sur terre – – !

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Il faut désormais considérer tout ce qui est créé – et même l’homme – comme
seulement un reflet, comme une forme concrète, comme un transparent de Dieu – et
non comme Dieu. Peut-être que Dieu veut, à travers les destins qu’il laisse atteindre
ces personnes qui nous tiennent à cœur, illustrer pour nous la vie, l’action et la
souffrance de son Fils et l’imprégner dans notre âme de façon plus vivante.
Peut-être ! Peut-être pas aussi ! Quoi qu’il en soit : Une chose est fixée de façon
inébranlable : C’est entendu, nous restons fidèles à l’Inscriptio. Et celui qui met la
main à la charrue et regarde en arrière, c’est-à-dire qui veut de nouveau
l’abandonner ou la secoue : celui-là n’est pas du tout digne pour la Famille. –

Mais – voilà qu’arrive dans la vie du Sauveur la catastrophe, lorsque son peuple avec
ses dirigeants autoritaires et une partie non négligeable de ses plus proches cercles
de disciples lui deviennent infidèles. – Nous par contre, nous sommes restés jusque
maintenant fidèles à la personne, à l’idée et à l’œuvre. – – Si donc il faut s’attendre
déjà à une synchronisation avec le sort du Sauveur comme conséquence de
l’Inscriptio, alors nous n’avons pas à craindre quelque chose de particulièrement dur
et de désagréable. – –

Oui, vous êtes restés jusque maintenant fidèles. – Mais est-ce que la fidélité vous a
rendu la vie dure ? Ou avez-vous déjà réussi les épreuves sérieuses ? Ce fut d’abord
le fondement surnaturel de la Famille (1935), et ensuite le lieu qui furent entraînés
dans des combats violents. – Nous sommes restés fidèles et pour cela, nous
pouvions parler de victoire. Mais est-ce que nous avons déjà résisté aussi jusqu’à
verser du sang ? La nouvelle phase des combats s’adresse directement à l’œuvre et
aux membres fidèles … Elle va exiger de chacun de grands sacrifices héroïques. Est-
ce que nous resterons maintenant aussi fidèles ? Même si c’est maintenant que tout
se joue jusqu’à l’extrême ? Nous l’espérons avec confiance. – –
Et pourtant ! Qui connaît les plans de Dieu en détail ? Quel est son conseiller ?
Advienne que pourra. Il y a une chose qui est pour nous inébranlable : C’est
entendu, nous restons fidèles ! Celui qui met la main à la charrue et secoue
maintenant son Inscriptio n’est pas du tout digne pour la Famille.

Mais lorsqu’il nous prend provisoirement la patrie, notre nid chaud, auquel nous
sommes habitués et nous rend ainsi semblables à son Fils, qui peut dire de lui-
même : «Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel ont des nids; le Fils de
l’homme, lui, n’a pas où reposer la tête» (Lc 9, 58), c’est-à-dire qu’il n’aura pas à sa
disposition un logement sûr, équipé et confortable comme pour les bourgeois,
pendant ses années d’apprentissage. – –
Nous sommes prêts ! Et nous espérons d’autant plus avec le Sauveur que nous
pourrons occuper la dernière demeure que personne ne pourra nous ravir : la
volonté d’amour – ou en d’autres termes : le cœur du Père et de la Mère de Dieu. –

Tout cela est juste et bon et digne d’efforts. Pour moi, que tout change sans cesse
en nous et autour de nous. Une chose doit demeurer inébranlable comme un rocher
dans la mer : l’Inscriptio. C’est entendu, nous restons fidèles. Celui qui met la main à
la charrue – comme nous – et secoue un peu son Inscriptio, n’est pas du tout digne
et fécond pour notre Famille bénie.

41
Oui, nous restons fidèles à notre don du jubilé ! Ainsi nous donnons au Sauveur
l’opportunité de continuer et de parachever son Inscriptio, son abandon total à la
volonté du Père, à la volonté d’amour du Père en nous et à travers nous.
Celui qui s’abandonne ainsi dans et avec le Christ à l’Éternel, comprend aussi
pourquoi les évangélistes dans l’ensemble ne sont pas préoccupés des données
temporelles particulièrement. Le grand coup divin dans la vie du Messie les a séduits
avant toute chose. C’est lui qu’ils veulent montrer selon leur genre et le transmettre
à la postérité. – –

C’est ainsi aussi que nous trouvons évident, lorsque nous recherchons en vain dans
les évangiles des données scientifiques sur le début et les étapes du tournant
tragique dans la vie du Messie.

b) Mais cela ne veut pas dire qu’ils nous laissent complètement tomber. Au
contraire ! Justement parce qu’il s’agit de la possibilité d’une pénétration plus
profonde dans la personne et l’œuvre du Rédempteur du monde, nous trouvons
relativement de nombreuses données révélatrices.

Si nous les rassemblons et que nous les laissons agir sur nous en tant qu’ensemble,
alors nous devons clairement constater et dégager quatre niveaux. Ce sont quatre
décisions qui sont d’une importance radicale pour la vie du Christ et toute l’œuvre du
salut. –
Nous voulons les examiner l’une après l’autre et les laisser agir sur nous.
Théoriquement elles sont rapidement alignées et présentées. Il s’agit de la décision
de refus des dirigeants en Israël, du peuple dans son ensemble, et une partie de ses
disciples les plus proches ; et enfin de sa propre décision lourde de conséquence de
se laisser souffrir et mourir cloué sur la croix. –

Mais à quoi ça nous sert, si toutes ces connaissances restent seulement dans la tête
et n'empoignent pas le coeur, les sentiments, tout l'homme intérieur! – C'est
pourquoi nos considérations veulent être toujours liées avec la prière …

Nous nous agenouillons et prions l'épouse-Mère de Dieu:


Ouvre-moi ton coeur et celui de ton Fils! Nous nous tournons vers le Père Céleste:
Révèle-nous ton Fils. Nous supplions le Saint Esprit: Enseigne-nous à bien
comprendre et à savourer lentement avec notre coeur et notre âme, ce qu'il a dit et
ce qu'on dit de lui!

Oui, quand de tendres fils de l'amour sincère et personnel de notre coeur nous lient
à la Personne humano-divine, alors notre intérieur le plus intime écoute
attentivement. Chaque mot empoigne tout l'homme. Et nous ne pouvons nous
rassasier de «l»'écouter. Car nous vivons profondément l'un dans l'autre et l'un avec
l'autre. C'est pour nous comme si notre vie serait une partie de lui. Les destins vitaux
deviennent, dans un sens tout à fait vrai nos destins vitaux. La vie selon l'Inscriptio
devient notre vie, même dans les situations les plus difficiles.

Il avait dit clairement par occasion à ses plus proches disciples qu’il devra souffrir
sans raison.

42
aa) Réellement sans raison ? Le premier cercle qui le fait souffrir sont les autorités
en Israël : les prêtres, les scribes et les Pharisiens. – Nous connaissons déjà les
prêtres et les Pharisiens. Nous avons aussi déjà évoqué les scribes. Ce sont des
hommes qui ont consacré leur vie à l’étude, à l’explication et à l’exégèse de la «Loi».
– Ils se distinguent fortement du peuple de la terre, du peuple commun qui ne
connaît pas bien la Loi … C’est le peuple qui joue un grand rôle, dans la vie et
l’action du Messie.

À partir de tout ce que nous connaissons de l’attitude d’Inscriptio du Sauveur face à


son Père et des durs coups de marteau qu’il donnait – aussitôt que son heure fut
venue – au culte purement formaliste qu’accordent les prêtres, les scribes et les
Pharisiens à la Loi, nous pressentons qu’on devait en arriver bientôt aux conflits
difficiles et insolubles. –

Pas du tout satisfait – aussitôt que son heure était arrivée –, de faire sauter pour lui
les chaînes d’esclaves de la Loi – il guérit le jour du Sabbat – et entraîner son cercle
restreint dans le monde de la liberté – ils arrachent les épis le jour du Sabbat,
mangent avec des mains non lavées, etc. – ; il continue et frappe avec des coups
violents la vacuité intérieure des dirigeants. Nous nous représentons la situation de
façon vivante à ce moment-là. Sur un côté les détenteurs du pouvoir fanatiques.
Leur norme la plus élevée, leur idéal le plus élevé est la «Loi et la tradition des
Anciens». Sur un autre côté, le fils du charpentier qui met en mouvement les masses
du peuple par des miracles et des signes diaboliques – ainsi disent au moins les
Pharisiens et les scribes. Les deux s’opposent. Les deux incarnent deux mondes qui
sont incompatibles entre eux. – Et maintenant, allez au chapitre 23 chez Matthieu.
Lisez-le phrase par phrase ! Et admirez le Messie qui, animé par une conscience de
mission, brandit le fouet – bien que sa façon d’agir soit constamment liée à un
danger de mort. Comment résonnent dans une telle situation des mots comme :
Hypocrites – sépulcres blanchis – Serpents – Engeance de vipères. –

Ses yeux divins lancent des éclairs et nous devons presque craindre qu’il va à tout
moment prendre un fouet pour frapper tout le monde.

Nous pouvons bien comprendre la conséquence. – Nous lisons chez Jean, du 7 e au


10e chapitre, pour assimiler profondément le conflit entre les deux directions,
comment il a ses conséquences à Jérusalem. Les Pharisiens envoient des gardes
pour le saisir (Jn 7,32). Mais son heure n’était pas encore venue. C’est pourquoi les
policiers retournèrent sans le Maître. «Pourquoi ne l’avez-vous pas amené ?» (Jn
7,45), voilà comment ils furent reçus de façon irritée. Ils répondirent : Jamais
homme n’a parlé comme lui. Est-ce un témoignage de pauvreté pour la police de
cette époque-là – ou une preuve de la puissance invincible qui se dégage de l’Envoyé
de Dieu !
Jean met un point final sur les événements décrits : il raconte une parole que les
Pharisiens qui nous montre le clivage extrême qu’il y a entre eux et le Messie. –

Vous aussi, vous êtes-vous laissé égarer ? Est-il un des notables qui ait cru en lui ?
ou un des Pharisiens ? Mais cette foule qui ne connaît pas la Loi (la foule de la terre

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décrite en haut, non instruite, idiote, paresseuse d’esprit), ce sont des maudits ! (Jn
7,32.45-49)

Insouciant, le Seigneur continue son chemin – dans le cœur une blessure brûlante.

En effet l’œuvre du salut était pensé d’abord pour Israël. C’est pourquoi il ne
s’occupe pas des peuples païens. – Il est envoyé directement pour les brebis perdues
de la Maison d’Israël. – À partir de là, le salut devrait alors être apporté dans le
monde entier. Et maintenant, les autorités d’Israël ne l’accueillent pas, elles le
persécutent, se livrent à des plans noirs, veulent le tuer. –

Nous comprenons combien cette connaissance est douloureuse. La deuxième chute


dans l’histoire du monde et du salut se prépare. – Et cela ne va pas durer longtemps,
avant que la foule inconstante suive ses dirigeants : la deuxième chute se consomme
dans un meurtre de Dieu, commis par le peuple choisi par Dieu, qui devait
transmettre le salut au monde. –

Il doit souffrir «sans raison», disait le Sauveur. Est-ce que les autorités du peuple
n’avaient pas réellement de raison pour arrêter et tuer le «détracteur de la Loi»,
«celui qui ne respecte pas la tradition des Anciens» ? Si Dieu parle, la créature doit
se taire. Il avait prouvé la Divinité de sa personne et sa mission à suffisance par des
miracles et des signes. Mais eux ne l’ont pas cru – c’est pourquoi ils ont cette idée
noire du «meurtre de Dieu». –

Ils ne croyaient pas ! C’était leur grand péché. – Et cela ne dura pas longtemps avant
qu’ils n’aient aussi arraché du cœur du peuple la foi dans le Messie.

bb) Oui, le peuple ! Le Sauveur retourne de Jérusalem en Galilée – et trouve ici une
atmosphère populaire qui a changé. La foule qui l’avait jusqu’à présent applaudi,
s’allie bientôt comme deuxième cercle aux rangs de ses adversaires et ennemis
mortels. La corde se serre de plus en plus étroitement autour de son coup.

Ce sont là trois choses qui sautent aux yeux d’un observateur silencieux :

La première chose : Le Seigneur ne trouve plus le même accueil chaleureux en


Galilée comme autrefois. Ce ne sont pas seulement les Pharisiens de cette région,
mais aussi le peuple commence à s’opposer contre lui de façon critique.
Les Pharisiens en Galilée étaient contaminés manifestement par leurs camarades
de Jérusalem. Luc 14,1-6 ; 11, 37-54, Marc 7,1-25 racontent leur nouvelle attitude
critique, presque sournoise.

«Et il advint, comme il était venu un sabbat chez l’un des chefs des Pharisiens
pour prendre un repas, qu’eux étaient à l’observer. Et voici qu’un hydropique
se trouvait devant lui. Prenant la parole, Jésus dit aux légistes et aux
Pharisiens: Est-il permis, le sabbat, de guérir, ou non? Et eux se tinrent cois.
Prenant alors le malade, il le guérit et le renvoya. Puis il leur dit: Lequel
d’entre vous, si son fils ou son boeuf vient à tomber dans un puits, ne l’en

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tirera aussitôt, le jour du sabbat? Ils ne purent rien répondre à cela» (Lc 14,
1-6).

«Tandis qu’il parlait, un Pharisien l’invite à déjeuner chez lui. Il entra et se mit
à table. Ce que voyant, le Pharisien s’étonna de ce qu’il n’eût pas fait d’abord
les ablutions avant le déjeuner. Mais le Seigneur lui dit: Vous voilà bien, vous,
les Pharisiens! L’extérieur de la coupe et du plat, vous le purifiez, alors que
votre intérieur à vous est plein de rapine et de méchanceté! Insensés! Celui
qui a fait l’extérieur n’a-t-il pas fait aussi l’intérieur? Donnez plutôt en aumône
ce que vous avez, et alors tout sera pur pour vous. Mais malheur à vous, les
Pharisiens, qui acquittez la dîme de la menthe, de la rue et de toute plante
potagère, et qui délaissez la justice et l’amour de Dieu! Il fallait pratiquer ceci,
sans omettre cela. Malheur à vous, les Pharisiens, qui aimez le premier siège
dans les synagogues et les situations sur les places publiques! Malheur à vous,
qui êtes comme les tombeaux que rien ne signale et sur lesquels on marche
sans le savoir!
Prenant alors la parole, un des légistes lui dit: Maître, en parlant ainsi, tu nous
outrages, nous aussi! Alors il dit: À vous aussi, les légistes, malheur, parce
que vous chargez les gens de fardeaux impossibles à porter, et vous-mêmes
ne touchez pas à ces fardeaux d’un seul de vos doigts! Malheur à vous, parce
que vous bâtissez les tombeaux des prophètes, et ce sont vos pères qui les
ont tués! Vous êtes donc des témoins et vous approuvez les actes de vos
pères; eux ont tué, et vous, vous bâtissez! Et voilà pourquoi la Sagesse de
Dieu a dit: Je leur enverrai des prophètes et des apôtres; ils en tueront et
pourchasseront, afin qu’il soit demandé compte à cette génération du sang de
tous les prophètes qui a été répandu depuis la fondation du monde, depuis le
sang d’Abel jusqu’au sang de Zacharie, qui périt entre l’autel et le Temple.
Oui, je vous le dis, il en sera demandé compte à cette génération. Malheur à
vous, les légistes, parce que vous avez enlevé la clef de la science! Vous-
mêmes n’êtes pas entrés, et ceux qui voulaient entrer, vous les en avez
empêchés !

Quand il fut sorti de là, les scribes et les Pharisiens se mirent à lui en vouloir
terriblement et à le poser des questions sur une foule de choses, lui tendant
des pièges pour surprendre de sa bouche quelque parole» (Lc 11, 37-54)

«Les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent auprès


de lui, et voyant quelques-uns de ses disciples prendre leur repas avec des
mains impures, c’est-à-dire non lavées – les Pharisiens, en effet, et tous les
Juifs ne mangent pas sans s’être lavé les bras jusqu’au coude, conformément
à la tradition des anciens, et ils ne mangent pas au retour de la place publique
avant de s’être aspergés d’eau, il y a beaucoup d’autres pratiques qu’ils
observent par tradition : lavages de coupes, de cruches et de plats d’airain –,
donc les Pharisiens et les scribes l’interrogent : Pourquoi tes disciples ne se
comportent-ils pas suivant la tradition des anciens, mais prennent-ils leur
repas avec des mains impures? Il leur dit: Isaïe a bien prophétisé de vous,
hypocrites, ainsi qu’il est écrit: Ce peuple m’honore des lèvres; mais leur coeur

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est loin de moi. Vain est le culte qu’ils me rendent, les doctrines qu’ils
enseignent ne sont que préceptes humains.
Vous mettez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la
tradition des hommes. Et il leur disait: Vous annulez bel et bien le
commandement de Dieu pour observer votre tradition. En effet, Moïse a dit:
Honore ton père et ta mère, et que celui qui maudit son père ou sa mère soit
puni de mort. Mais vous, vous dites: Si un homme dit à son père ou à sa
mère. Je déclare korbân (c’est-à-dire offrande sacrée) les biens dont j’aurais
pu t’assister, vous ne le laissez plus rien faire pour son père ou pour sa mère
et vous annuler ains la parole de Dieu par la tradition que vous vous êtes
transmise. Et vous faites bien d’autres choses du même genre.
Et ayant appelé de nouveau la foule près de lui, il leur disait: Écoutez-moi tous
et comprenez! Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui, pénétrant en lui, puisse
le souiller, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui souille l’homme. Si
quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende! Quand il fut entré dans
la maison, à l’écart de la foule, ses disciples l’interrogeaient sur la parabole. Et
il leur dit: Vous aussi, vous êtes à ce point sans intelligence? Ne comprenez-
vous pas que rien de ce qui pénètre du dehors dans l’homme ne peut le
souiller, parce que cela ne pénètre pas dans le coeur, mais dans le ventre,
puis s’en va aux lieux d’aisance (ainsi il déclarait purs tous les aliments). Il
disait: Ce qui sort de l’homme, voilà ce qui souille l’homme. Car c’est du
dedans, du coeur des hommes, que sortent les desseins pervers: débauches,
vols, meurtres, adultères, cupidités, méchancetés, ruse, impudicité, envie,
diffamation, orgueil, déraison. Toutes ces mauvaises choses sortent du dedans
et souillent l’homme.
Partant de là, il s’en alla dans le territoire de Tyr. Étant entré dans une
maison, il ne voulait pas que personne le sût, mais il ne put rester ignoré. Car
aussitôt une femme, dont la petite fille avait un esprit impur, entendit parler
de lui et vint se jeter à ses pieds» (Mc 7, 1-25).

La foule ne peut pas perdre de vue le conflit entre le Christ et ses adversaires. Et de
plus ces adversaires étaient constamment ses dirigeants. Ce n’est pas sans
inquiétude que les disciples racontent au Maître l’écho que son traitement des
Pharisiens a réveillé en eux. –«Sais-tu que les Pharisiens se sont choqués de
t’entendre parler ainsi ?» (Mt 15,12-14). C’est exprimé de façon très délicate. Nous
pouvons bien nous imaginer tout ce que les partisans de Jésus devaient entendre sur
lui derrière son dos, si nous pensons à la profonde sensibilité des Pharisiens et à leur
impuissance provisoire devant le Sauveur.

La deuxième chose qui nous saute aux yeux chez lui : il prépare les siens lentement
mais constamment sur une décision de la foi . Il le fait en dévoilant avec une grande
énergie et constance tout ce qui est accessoire et superficiel et en signalant ce qui
est essentiel. L’élément le plus important est : «Je suis le Chemin, la Vérité et la
Vie. Nul ne vient au Père que par moi» (Jn 14,6). – Cet élément est tellement
important qu’il ne se contente pas d’une présentation sobre. Il l’exprime dans une
parabole illustrative du pasteur et de ses brebis (Jn 10, 1-15):

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«En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans
l’enclos des brebis, mais en fait l’escalade par une autre voie, celui-là est un
voleur et un brigand; celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis. Le
portier lui ouvre et les brebis écoutent sa voix, et ses brebis à lui, il les appelle
une à une et il les mène dehors. Quand il a fait sortir toutes celles qui sont à
lui, il marche devant elles et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent
sa voix. Elles ne suivront pas un étranger; elles le fuiront au contraire, parce
qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers.
Jésus leur tint ce discours mystérieux, mais eux ne comprirent pas ce dont il
leur parlait. Alors Jésus dit à nouveau: En vérité, en vérité, je vous le dis, je
suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs
et des brigands; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Je suis la porte. Si
quelqu’un entre par moi, il sera sauvé; il entrera et sortira, et trouvera un
pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger et faire périr. Moi, je suis
venu pour qu’on ait la vie et qu’on l’ait surabondante. Je suis le bon pasteur;
le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. Le mercenaire, qui n’est pas le
pasteur et à qui n’appartiennent pas les brebis, voit-il venir le loup, il laisse les
brebis et s’enfuit, et le loup s’en empare et les disperse. C’est qu’il est
mercenaire et ne se soucie pas des brebis. Je suis le bon pasteur; et je
connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît
e que je connais le Père, et je donne ma vie pour mes brebis»

C’est Lui seul qui est le berger et la porte pour les brebis. Celui qui ne passe pas
donc par cette porte, qui ne passe pas donc à travers lui pour aller dans l’enclos,
c’est un voleur, un criminel. – En vérité, c’est assez clair ! C’est le Christ et celui qui
vient en son nom qui peut prétendre être le disciple, qui peut prétendre à la fidélité
et à l’obéissance. Seul celui qui agit en lui et par lui peut se considérer et considérer
les siens comme une plantation du Père et s’attendre à une existence durable et à la
fécondité. C’est sa réponse à l’information pleine d’angoisse des disciples : «Tout
plant que n’a point planté mon Père céleste sera arraché. Laissez-les (les Pharisiens,
etc.): ce sont des aveugles qui guident des aveugles! Or si un aveugle guide un
aveugle, tous les deux tomberont dans un trou» (Mt 15, 12-14).

Aussitôt la détresse s’éveille dans le coeur des disciples : Mais, ils sont en possession
du pouvoir. Ils peuvent nous faire mal, et même nous faire mourir. –

Déjà dans la parabole du bon pasteur, le Sauveur avait indiqué que le bon pasteur
est prêt pour donner sa vie. – Il avait raconté la parabole à un moment où la
décision totale de refus d’Israël n’avait pas encore eu lieu. Sinon elle aurait été
certainement autre, plus violente. –
Comme il sait parler de façon entraînante de la souffrance et de la mort, après que le
refus ait été une réalité complète ! Mais maintenant, il y a toujours une très petite
probabilité qu’au moins le peuple le suive dans l’amour et la foi, après que ses
dirigeants se soient séparés de lui. La probabilité est très petite. –
Mais il veut et doit tout faire pour solidifier cette petite probabilité et la mettre en
sécurité. C’est pourquoi il cherche à délivrer intérieurement les siens de toute
peur et lâcheté. Nous connaissons les paroles mémorables qui devaient servir cette

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cause. Elles ont rempli une grande mission au long des siècles. Et elles garderont
leur importance jusqu’à la fin des temps !

«Je vous le dis à vous, mes amis: Ne craignez rien de ceux qui tuent le corps
et après cela ne peuvent rien faire de plus. Je vais vous montrer qui vous
devez craindre: craignez Celui qui, après avoir tué, a le pouvoir de jeter dans
la géhenne; oui, je vous le dis, celui-là, craignez-le. Ne vend-on pas cinq
passereaux pour deux as? Et pas un d’entre eux n’est en oubli devant Dieu!
Bien plus, vos cheveux mêmes sont tous comptés. Soyez sans crainte; vous
valez mieux qu’une multitude de passereaux» (Lc 12, 4-7).

Ce sont là des sons auxquels nous sommes habitués ! Celui qui les comprend et les
laisse trouver un écho dans sa vie, se trouve dans une liberté souveraine malgré tous
les événements du monde, la peur et la détresse. Il ne connaît qu’une seule chose :
Inscriptio ! Sa profession principale est : l’amour de Dieu ! Et tout, tout concourt au
mieux ; et tout, tout le reste lui sera donné en surplus, si c’est utile. – En vérité, c’est
ainsi que se présente l’homme nouveau en Jésus et sa Mère sponsale et divine ! Mihi
vivere Christus et Maria est, et mori lucrum . Le sens de ma vie est le Christ et Marie
– et si je devais mourir, cela ne signifie pour moi qu’un gain. Alors tous les obstacles
terrestres qui me séparent de mon amour tombent.
Le Sauveur est tellement plongé dans sa matière, dans sa lecture sur l’Inscriptio qu’il
écarte de façon peu bienveillante une personne non intéressée et inattentive qui
posait une question. L’auditeur demande au Maître de dire à son frère de partager
avec lui leur héritage. Une intention qui d’abord n’a rien à faire avec l’Inscriptio. C’est
pourquoi il reçoit aussi la réponse brusque suivante : «Qui m’a établi pour être votre
juge ou régler vos partages ?» (cfr Lc 12,13-14). Aussitôt pourtant, il reprend les fils
et part de la pensée que l’auditeur avait lancée et continue son enseignement sur
l’Inscriptio. – Il exige la liberté vis-à-vis de l’attachement servile aux choses
économiques afin d’être libre pour Dieu.
Il est écrit dans Luc (12, 15-21):

«Puis il leur dit: Attention! gardez-vous de toute cupidité, car, au sein même
de l’abondance, la vie d’un homme n’est pas assurée par ses biens. Il leur dit
alors une parabole: Il y avait un homme riche dont les terres avaient
beaucoup rapporté. Et il se demandait en lui-même: Que vais-je faire? car je
n’ai pas où recueillir ma récolte. Puis il se dit: Voici ce que je vais faire:
j’abattrai mes greniers, j’en construirai de plus grands, j’y recueillerai tout mon
blé et mes biens, et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as quantité de biens en
réserve pour de nombreuses années; repose-toi, mange, bois, fais la fête.
Mais Dieu lui dit: Insensé, cette nuit, on va te redemander ton âme. Et ce que
tu as amassé, qui l’auras? Ainsi en est-il de celui qui thésaurise pour lui-même,
au lieu de s’enrichir en vue de Dieu».

À travers de tels enseignements et d’autres semblables qui en fin de compte


culminent dans l’exigence du détachement total de tout ce qui est imparfait et de
l’abandon total à la volonté d’amour du Père, par conséquent dans l’attitude de
l’Inscriptio, le Maître prépare les siens à la décision de foi ultime.

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Ainsi nous nous trouvons devant la troisième chose qui caractérise son activité
après son retour de Jérusalem.
Il a une sainte soif de travailler en vue de cette décision ultime. – L’opportunité
immédiate pour cela devait aussi se présenter bientôt. Matthieu nous fait le récit de
la multiplication miraculeuse des pains par le Maître (14, 15-22) :

«Le soir venu, les disciples s’approchèrent et lui dirent: L’endroit est désert et
l’heure est déjà passée; renvoie donc les foules afin qu’elles aillent dans les
villages s’acheter de la nourriture. Mais Jésus leur dit: Il n’est pas besoin
qu’elles y aillent; donnez-leur vous-mêmes à manger. – Mais, lui disent-ils,
nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons. Il dit: Apportez-les-moi ici.
Et, ayant donné l’ordre de faire étendre les foules sur l’herbe, il prit les cinq
pains et les deux poissons, leva les yeux au ciel, bénit, puis, rompant les
pains, il les donna aux disciples, qui les donnèrent aux foules. Tous mangèrent
et furent rassasiés, et l’on emporta le reste des morceaux: douze pleins
couffins! Or ceux qui mangèrent étaient environ cinq mille hommes, sans
compter les femmes et les enfants. Et aussitôt il obligea les disciples à monter
dans la barque et à le devancer sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les
foules».

Après l’événement merveilleux, le peuple veut le couronner. Mais il laisse ses


disciples traverser le lac, pendant qu’il priait seul. – Après il marcha sur les flots pour
rejoindre les siens et donna à Pierre le premier enseignement pratique sur la
confiance sans limites (Mt 14, 23-31).

«Et quand il eut renvoyé les foules, il gravit la montagne, à l’écart, pour prier.
Le soir venu, il était là, seul. La barque, elle, se trouvait déjà éloignée de la
terre de plusieurs stades, harcelée par les vagues, car le vent était contraire. A
la quatrième veille de la nuit, il vint vers eux en marchant sur la mer. Les
disciples, le voyant marcher sur la mer, furent troublés: C’est un fantôme,
disaient-ils, et pris de peur ils se mirent à crier. Mais aussitôt Jésus leur parla
en disant: Ayez confiance, c’est moi, soyez sans crainte. Sur quoi, Pierre lui
répondit: Seigneur, si c’est bien toi, donne-moi l’ordre de venir à toi sur les
eaux. – Viens, dit Jésus. Et Pierre, descendant de la barque, se mit à marcher
sur les eaux et vint vers Jésus. Mais voyant le vent, il prit peur et,
commençant à couler, il s’écria: Seigneur, sauve-moi! Aussitôt Jésus tendit la
main et le saisit, en lui disant : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté?»

Entre-temps, la barque est arrivée à Capharnaüm. Les foules qui ont été nourries
miraculeusement l’y attendent et lui font des reproches qu’il s’est dérobé de leur vue.
Et c’est maintenant le moment de la grande épreuve de la foi … Il leur demande de
croire qu’il est le pain de la vie : «Je suis le pain de la vie. Qui vient à moi n’aura
jamais faim ; qui croit en moi n’aura jamais soif» (Jn 6,35). –
Nous lisons tout le 6 e chapitre de Jean. Ce sont des pensées bien connues que nous
trouvons ici. Connues – et pourtant pas assez connues …

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Combien ont réussi cette épreuve de la foi ? Jean nous dit : Les Juifs se mirent à
discuter fort entre eux ; ils disaient : «Comment celui-là peut-il nous donner sa chair
à manger ?» (Jn 6,52).
L’incroyance a triomphé de la foi. –
Le peuple se tient sur le même terrain du refus avec ses autorités. – Maintenant la
deuxième chute est bientôt en voie d’achèvement. –

cc) Il reste encore le troisième cercle. Les plus proches collaborateurs du Seigneur,
ses disciples et ses apôtres.
L’épreuve provoque une grande déchirure dans le groupe des disciples. «Après avoir
entendu cela, beaucoup de ses disciples dirent : Elle est dure cette parole ! Qui peut
l’écouter ?» (Jn 6,60). Mais le Christ ne fait aucune concession, il reste ferme. Nul ne
peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire (Jn 6,44). C’est ainsi que s’opère
un troisième divorce : «Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ils
n’allaient plus avec lui» (Jn 6,66).

– Cette parole se trouve dans le 10 e chapitre (17-18). Lisons cela attentivement


essayons de puiser son profond contenu, élément par élément:

«C’est pour cela que le Père m’aime, parce que je donne ma vie, pour la
reprendre. Personne ne me l’enlève; mais je la donne de moi-même. J’ai le
pouvoir de la donner et j’ai pouvoir de la reprendre; tel est le commandement
que j’ai reçu de mon Père».

Le cœur du Rédempteur saigne. Mais il doit exiger la foi et l’amour. C’est ainsi que le
Père l’a voulu. C’est pourquoi il se tourne avec une majesté paisible, sûre, vers son
cercle le plus proche avec la question bouleversante :«Voulez-vous partir, vous
aussi ?» Pierre lui répondit au nom des Douze : «Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as
les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es
le Christ, le Fils de Dieu» (Jn 67-69).
Voilà enfin un point ferme, une petite communauté, une plantation du Père qui a
assimilé aveuglément la semence de la foi et l’a laissée mûrir.

Un petit cercle de douze fidèles. Non, ce ne sont pas du tout douze. En effet, Judas
était parmi les douze. Il n’a pas prononcé son humble credo. Ainsi la séparation des
esprits devint large et profonde. D’où le ton sérieux de l’accusation de Jésus : «N’est-
ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? Et l’un d’entre vous est un démon. Il
parlait de Judas, fils de Simon Iscariote ; c’est lui en effet qui devait le livrer, lui, l’un
des Douze» (Jn6,70s).

dd) À présent l’heure effroyable dans la vie du Sauveur est arrivée. Son peuple ne
veut pas s’incliner devant lui dans l’amour et la foi. Ainsi le sort en est jeté.

c) Maintenant il doit souffrir et mourir. Désormais, son entretien préféré est sa


souffrance et sa mort prochaines. – Il doit entraîner le petit cercle de ses fidèles sur
la fin de ce tournant dans sa vie … Sinon ils s’effondreront lorsque l’épouvantable
deviendra réalité.

50
7e Suite

D’abord il veut imprimer dans les siens qu’il s’engage dans la nouvelle voie et jusqu’à
la fin par une décision souveraine d’amour, libre et personnelle ; par après il
fait remarquer encore une fois clairement le genre de sa passion, pour enfin
suivre courageusement son chemin de la mort.

aa) Jean nous rapporte une parole du Seigneur révélatrice, qui nous donne la clé
pour comprendre la tragédie ultime et la gloire dans la vie du Rédempteur. – Cette
parole se trouve dans le 10 e chapitre (17-18). Nous lisons ce passage lentement et
essayons de puiser son profond contenu, élément par élément:

«C’est pour cela que le Père m’aime, parce que je donne ma vie, pour la
reprendre. Personne ne me l’enlève; mais je la donne de moi-même. J’ai
pouvoir de la donner et j’ai pouvoir de la reprendre; tel est le commandement
que j’ai reçu de mon Père».

Nous nous prosternons respectueusement devant la grandeur divine du Messie qui se


laisse livrer dans une décision autonome complète, personnelle et libre à la
souffrance et à la mort. – –
«Parce que je veux», ainsi entend-on de ses paroles. «Parce que je veux» – ainsi
respire chaque souffle de sa vie. Les bourreaux veulent s’emparer de lui. Avant qu’il
ne se livre, il prouve encore une fois son indépendance totale vis-à-vis de leur
volonté, de leur haine et de leurs chaînes. Sa puissante parole les projette par terre.
– Comme ça aurait été si facile de fuir maintenant, comme il l’avait si souvent fait. Il
ne le fait pas. – Son heure est arrivée maintenant. Son Père lui a donné la liberté de
s’incliner, de se livrer ou de s’enfuir et d’abattre ses ennemis. – Il renonce à sa
puissance divine et laisse les puissances des enfers jouer leur jeu. – Mais il grave
d’abord dans le monde, dans ses amis et dans ses ennemis : «Parce que je veux.»

«Parce que je veux», – ainsi confirme chaque trait de sa face, chaque mouvement de
son corps. Une dignité majestueuse se dégage toujours de lui. – Ce n’est que le
sous-homme et l’homme de la masse parfait qui ne pouvait pas voir cette dignité et
le considérer et le traiter comme immature. On lui donne des soufflets. Il se tient là,
bien droit, il domine fermement et sûrement la situation. Ai-je bien fait, alors
pourquoi me frappes-tu ; ai-je mal agi , témoigne-le (cfr Jn 18,23).

On sent qu’à chaque moment, il peut chasser ses ennemis. – Mais il ne le fait pas. –
Son heure est venue. Il souffre parce qu’il le veut.

On frappe son corps pur, innocent de manière indigne. Tantôt il se tourne et se tord
sous les coups violents, tantôt un profond soupir de douleur résonne de sa bouche …
Mais la dignité divine qui, malgré tout, rayonne de toute sa personne, proclame haut
et distinctement : Je suis livré aux bourreaux, parce que je veux.

Hérode veut jouer avec lui, il l’habille d’un vêtement ridicule ; la soldatesque
parachève le «jeu de roi», lui donne une couronne et un sceptre de raillerie. La

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dignité majestueuse de tout son être proclame de plus en plus fort : Parce que je
veux.
Le gouverneur romain veut l’intimider. – Avec surprise et admiration, ce procurateur
avait observé le calme inimitable de cet accusé au milieu de la rage et de la fureur de
la masse. Et même devant lui, le représentant de la puissance mondiale romaine,
d’abord un silence qui en dit long. D’où alors cette exigence du respect envers son
pouvoir et la décision définitive qu’il peut prendre : «Ne sais-tu pas que j’ai que j’ai le
pouvoir de te crucifier ?» (Jn 19,10).
La réponse ne connaît ni gémissement ni mendicité. Non, l’accusé reste le maître,
même là où il est extérieurement vaincu. – Tout sur lui et en lui crie : parce que je
veux. – C’est ainsi aussi qu’il faut comprendre cette parole de rappel et d’intimidation
qu’il dit à Pilate : «Tu n’aurais aucun pouvoir sur moi, si cela ne t’avait été donné
d’en haut » (Jn 19,11).
Solennellement, dans une fermeté intérieure totale, il témoigne de sa Divinité devant
l’autorité instituée par Dieu, bien qu’il sache que ça va lui coûter la vie : Tu le dis, je
le suis ! (cfr Jn 18,37).

Et sa personnalité devint plus grande. Tout sur lui le pousse vers le haut. Une divine
conscience invincible de soi et de la mission déclare : «Dorénavant, vous verrez le
Fils de l’homme siégeant sur les nuées du ciel» (Mt 26,64).

En vérité il souffre, parce qu’il veut. Il meurt, parce qu’il veut. Il ressuscite
glorieusement des morts, parce qu’il veut.

Parce qu’il veut. – Et pourquoi il veut ? Parce que le Père le désire ainsi !! Et
pourquoi le Père désire ce chemin sanglant de souffrance et de mort de son Fils
unique ? Dans l’intérêt de la rédemption objective et subjective.

Ici nous devons nous arrêter un instant. – Ce n’est pas une témérité humaine, mais
une conscience sérieuse de responsabilité qui nous pousse de le faire ! Est-ce que
nous sommes convaincus que le salut du monde devait venir par le peuple d’Israël ?
Alors nous comprenons pourquoi le Rédempteur se limite dans son activité sur ce
petit peuple et pays. – Israël devait jouer un rôle semblable en tant qu’ensemble
dans l’ordre du salut comme Adam au commencement de l’histoire du monde. – Son
oui et son non devait co-déterminer fondamentalement la rédemption. – Ici nous
nous trouvons devant le grand mystère de l’entrelacement des destins des hommes.

Quel parcours aurait pris la rédemption et quels fruits elle aurait produit, si Israël
s’était rendu au Messie dans la foi et l’amour ! Cet abandon à lui et ainsi au Dieu
vivant était manifestement l’exigence incontournable en tant que signe de réparation
contre l’autoritarisme et l’auto-divinisation des ancêtres. – –

Et si au moins le Rédempteur aurait exercé son activité publique non pas seulement
trois, mais plutôt dix, vingt, trente ans, accompagné par une reconnaissance
inconditionnelle et la docilité de son peuple, lui, dont les Saintes Ecritures disent : Il
croissait en sagesse, en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes ! (voir Lc
2,52). Oui, si ce développement de sa puissance divine croissait avec l’âge, comme le
monde sauvé serait comparable à une espèce de Paradis. – Alors la grande vision

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que Isaïe a mit par écrit dans le 11° chapitre, 6-9 serait littéralement réelle. C’est
écrit là-bas:

«Le loup habitera avec l’agneau, le panthère se couchera avec le chevreau. Le veau,
le lionceau et la bête grasse iront ensemble, conduits par un petit garçon. La vache
et l’ourse paîtront, ensemble se coucheront leurs petits. Le lion comme le boeuf
mangera de la paille. Le nourrisson jouera sur le repaire de l’aspic, sur le trou de la
vipère le jeune enfant mettra la main. On ne fera plus de mal ni de violence sur toute
ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance de Yahvé, comme
les eaux couvrent le fond de la mer».

Oui, si …, si …, si … À quoi nous sert toutes ces réflexions et recherches …? De


toutes les façons, une chose est pour nous claire : La responsabilité terrible du
peuple choisi. –
Après la première chute d’Adam s’en est suivie la deuxième d’Israël. – Dans une
décision libre et autonome, il refusa dans son grand ensemble de le suivre. –

Et maintenant ? Opera Dei perfecta ! Opera Dei sine poenitentia. Ce que Dieu a
décidé et commencé, il le poursuit victorieusement jusqu’au couronnement de
l’accomplissement.
Nous avons posé la question : Pourquoi le Père voulait la souffrance et la mort et la
résurrection de son Fils ? Nous connaissons la réponse : je la répète.
Après qu’Israël se fût décidé librement et criminellement contre le Messie, le Père
veut et désire le grand ordre de la croix transfiguré dans l’intérêt de la rédemption
objective et subjective.
Nous expliquerons en détail plus tard, ce que cela signifie. Pour le moment, gardons
cependant ceci : Désormais l’ordre de la rédemption est l’ordre de la croix
transfiguré. –
Nous n’avons pas de la peine pour comprendre correctement le mystère de la croix,
le mystère du signe de la rédemption, nous qui marchons dans la lumière de Celui
qui est ressuscité glorieusement et qui nous trouvons sous l’influence de l’Esprit Saint
qui est descendu sur l’Église au Cénacle !
Comment allons-nous venir à bout des pauvres apôtres ? Tout en eux se cabre et se
dresse contre la croix : le Juif, l’homme, la personne.

Le Juif ! Les apôtres sont des Juifs et restent des Juifs. Ils sont et restent de très
loin dépendants des représentations et des préjugés de leur nation. Dans
l’interprétation et l’inversion singulière des prophéties messianiques, les Israélites se
sont faits une image tout à fait fausse du Messie. Plus les chaînes serviles du peuple
dominateur des Romains les serraient fortement, plus ils s’accrochaient avec passion
à cette image. Comme cela se passe le plus souvent dans la vie, il fut autant ici
aussi. Le désir devint de plus en plus le père de la pensée. Le Messie dont ils
attendaient, était le grand libérateur de la servitude romaine, le grand roi qui
gouverne son peuple dans la splendeur et la gloire et le conduit dans une
progression irrésistible de victoire en victoire et le rend dominateur des peuples du
monde. –
En vain, le Sauveur a essayé de détruire cette mauvaise image du Messie. Il ne
réussissait pas. – Encore peu avant son Ascension, ils viennent à lui avec la même

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question (cfr Ac 1,6). Ce n’est que la venue du Saint Esprit qui produisit lentement la
transformation.
Comment donc ce Sauveur du monde véritable passe du Messie rêvé, comment il se
dévoile maintenant lentement ? – Où est sa couronne, où sont ses partisans, où sont
ses victoires ? Le rêve et la réalité ne peuvent faire un plus grand contraste qu’ici.
C’est pourquoi les apôtres ne savent pas où donner de la tête avec la réorientation
du Sauveur, avec ses indications en rapport avec sa souffrance et sa mort
prochaines. La fierté nationale juive se sent glacée jusqu’à la moelle. – –
Et même après la venue du Saint Esprit, cela prit encore un certain temps jusqu’à ce
que cette fierté soit vaincue jusqu’au dernier vestige. Certes le Saint Esprit les a
introduits dans la personne et les enseignements du Maître … Mais le Christ et son
ordre des valeurs est comme un nouveau monde qui s’est introduit en eux et dans
leur vie. C’est pourquoi ils comprennent et aiment non seulement l’ordre de la croix
transfiguré, mais ils sont encore remplis par l’aspiration brûlante de pouvoir perdre
tout leur sang avec le Maître sur la croix. Le miracle de l’homme nouveau dans le
Christ s’est réalisé. –

Et pourtant ! Les dernières fibres de la fierté nationale ne sont pas encore arrachées
de leur cœur. – La jeune chrétienté doit réussir la première plus grande épreuve de
force. De son vivant, le Sauveur n’avait pas pris une position exacte détaillée en ce
qui concerne la question de la «Loi» dans le nouveau Royaume … Maintenant après
sa mort, la question presse à ce qu’on prenne une décision. Elle déconcerte la jeune
chrétienté. Elle a vaincu les attaques de l’extérieur avec facilité. Est-ce qu’elle pourra
s’en sortir avec cette crise intérieure ? Autrement dit, le point litigieux est : Est-ce
que les païens doivent d’abord devenir Juifs en se faisant circoncire et ainsi se
soumettre à la Loi, lorsqu’ils se convertissent en hommes nouveaux dans le Christ,
lorsqu’ils veulent être des chrétiens ?

Les communautés chrétiennes sont divisées. – Paul est le dirigeant du parti de la


liberté, on voudrait placer Pierre à la tête du parti opposé. Nous pouvons nous
représenter difficilement aujourd’hui le bouleversement profond que la chrétienté
d’alors a vécu. Tous les anciens apôtres se trouvaient en principe sur le terrain de
Paul, mais beaucoup, comme Jacques et Pierre, voulaient un compromis pour des
raisons pratiques et tactiques. C’est le mérite immortel de Paul d’avoir établi ici une
clarté implacable. Le peuple choisi est devenu un peuple maudit. Il ne peut plus
prétendre dans ses institutions rester déterminant et indispensable pour l’éternité. –
Nous lisons la description de ce combat d’une grande importance dans ses
différentes phases et sa conclusion dans les Actes des Apôtres 15,1-35 et dans la
lettre aux Galates 2,1-21.
De toutes les façons, nous comprenons à travers ce contexte comment le Juif dans
les apôtres se défendait puissamment contre le Messie souffrant et crucifié – bien
qu’aussi transfiguré. Transfiguré ? Qu’est-ce qu’ils pouvaient bien comprendre
autrefois par transfiguration ! Ils n’avaient pas encore l’organe pour cela.

Le Juif est uni en eux en même temps avec l’homme, l’être masculin : et les deux
ne pouvaient et ne voulaient pas comprendre l’enseignement de la croix. Le type
masculin voit dès les origines une vraie grandeur dans la progression, dans la
conquête, dans l’attaque victorieuse. – C’était ma foi ce qui impressionnait jusqu’à

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présent les apôtres dans leur Maître … S’il était impliqué dans une bataille verbale
contre ses adversaires, si on voulait que la police l’appréhende, si on lui posait des
questions compromettantes pour pouvoir l’inculper politiquement et le livrer aux
Romains, il restait toujours, toujours le vainqueur. – Et comme il pouvait bien
galvaniser et guider les masses du peuple … Et comme il développe une énergie
lorsque le peuple avait besoin de lui ! Et combien de miracles sans égal, inouïs n’a-t-il
pas opérés ? Partout c’était l’action, l’action, le succès, la progression, la victoire. De
telles observations ont aidé les apôtres à surmonter l’incertitude intérieure que leur
causait l’hostilité ouverte des autorités juives contre le Maître. «Il leur tient tête –
jusqu’à présent il est toujours sorti vainqueur de tous les combats. – Tôt ou tard, il
viendra certainement un jour où tous le reconnaîtront avec nous comme le grand
Messie !»
C’est ainsi ou de la sorte qu’ils essayaient souvent de se consoler.
Et voilà qu’arrive maintenant le grand tournant dans sa vie. Celui qui était toujours
vainqueur devient le vaincu. Celui qui repoussait jusqu’à présent ses ennemis,
devient celui qui est poussé, bousculé, vaincu. – Voilà maintenant qu’il se tient là
devant eux tout à fait comme un homme, extérieurement abattu et écrasé. Le type
germanique arrive à percevoir même dans la mort pour une grande idée, dans la
souffrance qu’on porte, dans l’écroulement et le détraquement, la grandeur et
l’héroïcité. Mais cela ne signifie pas que l’homme germanique n’a pas non plus de la
peine à voir ses héros dans sa faiblesse, dans son effondrement. Seulement c’est
plus facile pour lui que pour le Juif.

Comme le judaïsme, la conception masculine dans l’esprit des apôtres était encore
de bout en bout impurifiée. C’est pourquoi ils ne comprennent plus aussitôt que le
Maître se montre dans sa nature humaine, aussitôt que ses ennemis l’emportent la
victoire sur lui. – Ils le quittent, perdent la foi en lui et sa cause. Pierre, le futur pape,
tremble même dans une psychose de peur face à une servante et le renie trois fois.
– Un seul part avec lui et ose de se placer à côté de lui sous la croix ! Jean, le
disciple «qu’il aimait».

Il en est autrement chez les femmes. Selon leur nature la compréhension de la


grandeur se trouve dans le fait de supporter la souffrance. C’est pourquoi elles lui
restèrent aussi fidèles – à leur tête l’épouse-mère divine (gottesmütterliche Braut).
Elle n’est pas seulement femme et mère dans le sens le plus noble du mot, mais elle
a aussi participé à une profonde formation dans sa proximité comme son épouse.
Quelle humanité, quelle impuissance et quel dénuement elle a expérimentés sur lui
quand il était encore mineur ! Quelles épreuves de la foi ces moments doivent avoir
signifié pour elle ! Elle les a toutes surmontés avec éclat. – Nous pensons aussi à la
façon dont elle a appris de lui à purifier et à mettre ses instincts naturels les plus
nobles dans le sens total de l’Inscriptio sous la volonté d’amour du Père.

La Sainte Ecriture décrit ce chef-d’œuvre, un échantillon de cette méthode


pédagogique sévère et cette sagesse, là où elle présente le jeune garçon de douze
ans à Jérusalem et communique la leçon qu’il a donnée à ce moment à sa mère et
épouse.
Entre-temps il est devenu adulte. L’humain dans son effondrement ne la dérange
pas. Et puisque le Père veut cette mort tragique, elle répète avec le cœur et la

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bouche et en action son Fiat. Stabat ! Elle s’attache inébranlablement et dans la
fidélité à lui et à son œuvre – même et justement au moment où presque tout le
monde l’abandonne, le dénigre et le déshonore. Et dans quelques heures plus tard,
elle peut de nouveau être tout pour le Sauveur du monde assassiné, le prendre sur
son sein et l’enterrer, comme elle était tout pour lui, lorsqu’il entra pour la première
dans le monde.

Quel dommage que les apôtres ne se soient mis à cette époque sous l’influence de la
reine des apôtres ! Ils auraient répondu rapidement les intentions du Messie et
mieux compris son mystère de la croix et seraient restés fidèles envers lui. –
Mais c’est ainsi qu’ils étaient là : impuissants dans leur nature juive, unilatérale,
inarticulée et virile.

Le désarroi s’accroît parce que la personne humaine en eux se heurte aussi à tout
ce qu’elle perçoit dès maintenant. – –
Ils savent que son destin sera aussi leur destin. Même s’ils étaient attachés à lui avec
une sincérité primitive, leur amour resta pourtant très longtemps emprunt
d’égocentrisme. – Sa compagnie coûtait certainement beaucoup de sacrifices et de
privations – mais en contrepartie, ils pouvaient savourer sa célébrité, sa grandeur et
sa popularité. Et finalement, qu’est-ce qu’on ne ferait pas, si on croit avoir
certainement un siège de ministre dans un grand royaume du monde!
Ces espoirs secrets qui surgissaient parfois spontanément, déterminaient leurs
propos et leurs actions, étaient l’aimant qui attirait chaque fois de nouveau. – Et
toutes ces gloires devraient maintenant être enterré d’un coup ! Les années de
collaboration avec le Christ devraient gâchées, perdues – être une grande déception.
– Non ! Non ! Cela ne pouvait pas, ne devait pas être.
Ainsi, sous n’importe quel angle, tout en eux est juif, viril, humain. –

bb)Ça ne sert à rien non plus que le Sauveur s’efforce de les faire revenir de leurs
erreurs… Ils ne s’ouvrent pas au mystère de la croix. Chaque fois, leur âme tressaille,
comme si elle recevait des coups de fouet.
Nous jetons rapidement un coup d’œil dans le 16e chapitre de Matthieu, verset 21:

«À dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu’il lui fallait
s’en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup de la part des anciens, des grands
prêtres et des scribes, être tué».

Dans le chapitre 17, versets 22-23, c’est écrit:

«Comme ils se trouvaient réunis en Galilée, Jésus leur dit: Le Fils de l’homme
va être livré aux mains des hommes, ils le tueront, et le troisième jour, il
ressuscitera. Et ils en furent tout consternés».

Et enfin, dans le chapitre 20, on rapporte dans les versets 17-19:

«Devant monter à Jérusalem, Jésus prit avec lui les Douze en particulier et
leur dit pendant la route: Voici que nous montons à Jérusalem, et le Fils de
l’homme sera livré aux grands prêtres et aux scribes; ils le condamneront à

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mort et le livreront aux païens pour être bafoué, flagellé et mis en croix; et le
troisième jour, il ressuscitera».

En partant du contexte décrit en haut, nous comprenons les passages cités sans plus
d’explication.
Mais si nous voulons saisir la réaction à ces paroles dans les âmes des apôtres, alors
consultons le mieux Marc.Il rapporte les prophéties de la passion : 8, 31-33; 9, 30-
32; 10, 32-34. Nous cherchons les passages et nous les lisons:

«Et il commença de leur enseigner: Le Fils de l’homme doit beaucoup souffrir,


être rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, être tué et, après
trois jours, ressusciter; et c’est ouvertement qu’il disait ces choses. Pierre, le
tirant à lui, se mit à le morigéner. Mais lui, se retournant et voyant ses
disciples, admonesta Pierre et dit: «Passe derrière moi, Satan! car tes pensées
ne sont celles de Dieu, mais celles des hommes» (8, 31-33).

«Étant partis de là, ils faisaient route à travers la Galilée et il ne voulait pas qu’on le
sût. Car il instruisait ses disciples et il leur disait: Le Fils de l’homme est livré aux
mains des hommes et ils le tueront, et quand il aura été tué, après trois jours il
ressuscitera. Mais ils ne comprenaient pas cette parole et ils craignaient de
l’interroger» (9, 30-32).

«Ils étaient en route, montant à Jérusalem; et Jésus marchait devant eux, et


ils étaient dans la stupeur, et ceux qui suivaient étaient effrayés. Prenant de
nouveau les Douze avec lui, il se mit à leur dire ce qui allait lui arriver: Voici
que nous montons à Jérusalem, et le Fils de l’homme sera livré aux grands
prêtres et aux scribes; ils le condamneront à mort et le livreront aux païens, ils
le bafoueront, cracheront sur lui, le flagelleront et le tueront, et après trois
jours il ressuscitera» (10, 32-34).

Est-ce que vous avez remarqué l’écho que la première prophétie a éveillé ? Pierre le
prend à part et commence à le morigéner. Et lui, le Messie : «Mais lui, se retournant
et voyant ses disciples, admonesta Pierre et dit : «Passe derrière moi, Satan ! car tes
pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes !» (Mc 9,32ss). Il veut
dire avec une grande clarté et un accent inhabituel : Tu veux m’empêcher
d’accomplir la volonté du Père. –

Après la deuxième prophétie, on écrit : « Mais ils ne comprenaient pas cette parole
et ils craignaient de l’interroger» (Mc 9, 32).

cc) Et comment sera la timidité, lorsque le Seigneur, comme un géant, commencera


à parcourir son chemin ? Lorsqu’il entamera son chemin de souffrance. Cela ne
durera pas longtemps et alors suivra coup sur coup : jusqu’à ce qu’il parachève son
œuvre dans la mort et la résurrection.

Nous allons relire pendant la Semaine Sainte les récits sur la passion du Seigneur et
après nous prendrons les conférences qui nous présentent la résurrection du

57
Seigneur. Tout cela devrait nous montrer de nouveau combien les différentes
décisions étaient profondes dans la vie du Sauveur !

La décision de refus des autorités du peuple, celle du peuple et d’une partie des
disciples. Et à la suite de cela sa propre décision de sauver le monde selon le désir
du Père par la souffrance, la mort et la résurrection.

Ainsi nous pouvons considérer comme répondue la question concernant le moment


des événements accablants dans sa vie.

2. Il se pose tout de suite une deuxième question. La voici : De quel genre était
sa souffrance ? Dans la vie du Sauveur, à quoi ressemblent ces moments accablants
de façon détaillée ?

Je vous prie de chercher vous-mêmes la réponse. Vous n’avez qu’à tirer une ligne
transversale à travers ce que nous avons déjà dit jusqu’à présent. – Cela devait vous
stimuler de méditer personnellement encore une fois la matière et de la retravailler.

Je mets quelques mots-clés et je vous laisse vous-mêmes, pour utiliser le temps ainsi
gagné à répondre à la troisième question qui concerne le sens de ces événements
accablants dans la vie du Sauveur, d’une manière encore plus exhaustive.

Voici ces mots-clés : Solitude – Incompréhension, refus, haine, persécution, mauvais


traitements de tous genres, mort sur la croix. –

Mais il ne faut pas que nous nous contentions de pouvoir approfondir et garantir
notre connaissance religieuse sur le Christ. Ce que nous assimilons en premier lieu
beaucoup plus comme matière de connaissance, doit maintenant pénétrer plus
profondément dans notre cœur et notre âme, y devenir actif et façonner les relations
entre lui, le Rédempteur du monde, et nous pour qu’elles deviennent plus intimes et
plus efficaces. Que nous devenions par après comme Paul qui, jadis, pouvait prier de
toute son âme : J’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ (cfr Ph 1,23).

Si de tels affects sont devenus l’expression sincère de notre propre volonté, de nos
sentiments les plus profonds, alors le miracle de l’homme nouveau dans le Christ et
sa mère-épouse divine est devenue une réalité et l’Inscriptio a réalisé son objectif.

58
8e Suite

3. Quel est donc

le sens très profond


des événements accablants dans la vie du Sauveur?

En partie à cause de la simplicité et de la clarté, laissez-moi choisir le point culminant


de ces événements: la mort sur la croix et concentrer la question là-dessus. Ce qui
est dit sur la mort du Messie, se laisse alors appliquer, d'une façon relativement
facile, sur toutes les autres déceptions et persécutions dans sa vie.
Mais sommes-nous aussi conscients de toute la monstruosité des faits? Le Messie est
Dieu, l'Éternel, l'Infini, le Tout-Puissant, la Toute-Bonté. Il se dépouille librement et
volontairement selon le désir du Père, jusqu'à ce qu'il se laisse tuer par sa créature
par la mort la plus ignominieuse selon la conception populaire de ce temps.

Paul est ébranlé et plein de saisissement devant ces faits monstrueux. Il se dit que le
Sauveur est Dieu et qu'il veut être reconnu comme Dieu, même sous la condition
humaine, mais il s'est en même temps dépouillé volontairement de façon si
inconsidérée – exinanivit semet – ipsum –, qu'il devint obéissant jusqu'à la mort, oui,
jusqu'à la mort sur la croix.

Nous lisons ses pensées dans le texte (Ph 2,6–9):

«Lui qui est de condition divine n'a pas considéré comme une proie à saisir
d'être l'égal de Dieu. Mais il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur,
devenant semblable aux hommes, et reconnu à son aspect comme un
homme, il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, à la mort sur la
croix.»

Allons-nous réussir à soulever un peu le voile de ce mysterium tremendum et


fascinosum? Ce que la foi sait nous en dire, ce que les théologiens croyants ont
pensé et écrit là-dessus, nous l'avons déjà exprimé dans la petite phrase:

Le Père voulait la mort de son Fils dans l'intérêt de la rédemption objective et


subjective du monde.

Avant que nous méditions en détail cette réponse très profonde, nous voulons nous
agenouiller et prier le Père, le Saint-Esprit et l'Épouse-Mère de Dieu pour qu'ils nous
accordent une lumière abondante de la connaissance. C'est vraiment un brin de vie
éternelle, de connaître le Messie. «La vie éternelle, c'est qu'ils te connaissent, toi, le
seul vrai Dieu et Celui que tu as envoyé, Jésus-Christ» (Jn 17, 3).

1) Le Père voulait la mort de son Fils dans le sens d'une rédemption objective.
Le péché de nos ancêtres – ça vaut également pour tout péché – est un acte libre et
sacrilège d'autoglorification, et d'autodéification.

59
Celui qui pressent toute la portée de cette méchanceté comprend facilement
pourquoi le Père réclama l'autodépouillement complet et le don de soi de son Fils.

Une grande loi parcourt tout l'ordre du salut: le Processus de la chute détermine le
processus du rétablissement, de la rédemption.
Par son élévation de soi, son autoglorification et son autodéification, le premier Adam
a entraîné dans la ruine toute la société humaine.
Le deuxième Adam devrait, par son autodépouillement parfait et un don de soi,
réconcilier le Père et apporter au monde le salut.

Le Père ne voulait pas se contenter d'un don de soi intérieur du Messie, un don de
soi qui reste au niveau des principes, il voulait l'acte consommé, parce que le premier
chef de l'humanité a aussi traduit l'intention en acte. Mais l'expression vivante la plus
parfaite du don de soi intentionnel est la mort de l'esclave acceptée librement: la
mort sur la croix.

Ainsi nous comprenons le rapport interne entre la rédemption objective et la mort du


Christ.

2) Mais le Père exigeait aussi cette mort de l'esclave dans l'intérêt de la rédemption
subjective.

Avant que nous méditions cette pensée de façon plus détaillée, nous voulons d'abord
nous rappeler que le Fils de Dieu incarné devient, dans sa souffrance et sa mort,
l'impuissance personnifiée face à sa créature. Car la forme concrète d'être livré
complètement à la volonté d'amour du Père, est son abandon à l'arbitraire et à la
méchanceté des hommes. Cette «impuissance» va si loin qu'il se laisse
volontairement tuer par eux. Une pensée effrayante …
Si nous nous représentons l'«entrelacement des destins» 11 de l'ensemble de tous les
hommes et la mission d'Israël dans l'ordre du salut en particulier, nous devons alors
nous laisser marquer au fer rouge avec le valet du bourreau comme les assassins de
Dieu – nous qui sommes des images de Dieu.
Ainsi, la sagesse de Dieu est d'autant plus compréhensible, elle qui fait de nous des
enfants de Dieu, des épouses de Dieu, par l'immersion dans le sang du rédempteur
dans le bain du baptême, par une acceptation volontaire et croyante du rédempteur
et de son oeuvre –, au moins là où l'homme est arrivé à faire usage de sa raison.

Ce mystère de «l'impuissance et de la sagesse de Dieu» ne vient d'ailleurs pas à


notre rencontre seulement dans la seule vie historique du rédempteur.
Tout le gouvernement divin du monde semble en grande partie en être rempli. Il y a
trois grandes puissances qui font l'histoire du monde: Dieu, le diable et l'homme.
Que de fois Dieu semble succomber impuissamment devant le diable et les mauvais
actes de l'homme. Le mal triomphe dans le monde, le bien succombe. C'est ici que

11
Schicksalsverwobenheit: Cette expression utilisée si souvent par le Père Joseph
Kentenich pourrait traduire l'idée en kirundi d'«ugusangira ugupfa n'ugukira».

60
commence, pour un nombre incalculable de gens, la grande crise de leur foi et de
leur vie.
Ils oublient que la sagesse de Dieu sait utiliser son «impuissance apparente» pour
rendre son salut possible, facile et méritoire.

Saint Augustin attire notre attention quand il dit que Dieu a sans doute créé l'homme
sans sa volonté, mais il ne veut pas le sauver sans sa volonté, sans sa collaboration.
Cette collaboration consiste – là où il s'agit des hommes qui sont capables de poser
des actes libres – dans la libre décision de croire dans le Christ et dans son oeuvre
de salut.

Ici nous entendons de nouveau un mot qui éveille dans nos oreilles et dans le coeur
un grand écho: une libre décision! D'anciens souvenirs sur des connaissances pleines
de grâces s'éveillent en nous. Quand nous parlions des événements du monde, nous
avons entendu la réponse très révélatrice et réjouissante: le sens des événements du
monde est, du point de vue de Dieu, le rapatriement victorieux des élus par le Christ
dans le Saint Esprit vers le Père; observé du point de vue humain, c'est le retour
victorieux des élus par une décision victorieuse pour le Christ dans le Saint Esprit …
Nous appelions jadis cette décision victorieuse pour le Christ, parce qu'elle était
personnelle, libre et volontaire et héroïque, ou tout au moins parce qu'elle devait
l'être.

Et ensuite nous nous sommes réjouis, en rapport avec notre âme pure, spiritualisée,
capable de se réjouir, pour le plus grand «miracle dans l'ordre naturel», la liberté de
la volonté humaine – nous qui avons si souvent crié chaleureusement, défendu et
vécu la vraie liberté voulue par Dieu, la libre liaison d'amour, comme un fondement
et un couronnement de notre aspiration, pour la protéger comme un bien permanent
de la famille.

Nous confessons chaque fois avec une grande joie et reconnaissance, avec une
sainte fierté: l'homme n'est pas en tout asservi à ce rythme aveugle de la causalité
des faits de la nature. Il peut nager contre le courant, il peut lui-même initier une
nouvelle série de causes, parce qu'il a une volonté libre. Il peut lui-même se décider
librement et exécuter la libre décision prise contre tous les obstacles.

Cette capacité de décision est l'élément central le plus fondamental de la liberté. Elle
facilite à l'homme, à partir de son for intérieur, de faire sienne l'échelle divine des
valeurs jusque dans les moindres détails dans et par le Christ.

C'est la vraie grandeur de l'homme libre, de se livrer à la volonté d'amour du Père


dans et par le Christ, comme nous le faisons dans l'inscription. Dans un grand
respect et reconnaissance, je m'incline devant tous les membres et enfants de la
famille, qui sont parvenus à ce point culminant de la vraie grandeur. Nous avons pris
l'inscription très au sérieux. Dieu nous prendra au mot! L'avenir de notre famille,
l'esprit de liberté des enfants de Dieu surtout sera codéterminé fondamentalement
par notre vie selon l'inscription. Nous avons notre droit d'existence avec notre façon
d'être originale, aussi longtemps que nous protégerons et entretiendrons ce
patrimoine: une liberté liée et une libre liaison d'amour.

61
La vie selon l'inscription est aussi l'unique garantie très sûre que le bateau de la
famille trouve le chemin dans le port de l'avenir à travers toutes les tempêtes de
l'époque actuelle.
Pour cela, que vive l'Inscriptio!

Dieu aime beaucoup la liberté utilisée de façon juste, le fait que notre volonté et
notre coeur se perdent totalement dans le Christ à ses désirs les plus fins, à cause de
la joie et de l'honneur que lui procurent le peu de héros du véritable amour de la
liberté, lequel endosse le déshonneur que lui cause des millions d'autres.
De ce point de vue, nous comprenons pourquoi Dieu accorde beaucoup plus de poids
à des situations qui appellent ses favoris à des décisions personnelles.

A partir d'ici, ça devient aussi compréhensible l'impuissance apparente de Dieu dans


l'oeuvre de la rédemption et dans le gouvernement du monde.

Pour ne pas perdre la continuité de la ligne de la pensée, restons avec l'oeuvre de la


rédemption. Mais il nous est libre d'appliquer de façon convenable sur les
événements actuels du monde dans le cadre du gouvernement divin du monde, les
réponses que nous trouvons.

a) De toute façon, l'affirmation présentée au départ résonne: L'«impuissance» du


rédempteur rend d'abord possible la collaboration à l'oeuvre du salut dans la forme
d'une libre décision déjà maintenant, ce n'est plus étrange.

Imaginons une fois que le Messie se serait dépouillé du manteau de la bassesse qu'il
avait mis, qu'il se serait dépouillé de son impuissance et se serait montré au monde
dans tout son prestige, dans la splendeur brillante de sa puissance divine et de sa
gloire et de ses miracles! Est-ce qu'alors il resterait encore de la place pour une
décision libre et personnelle?

Mais dans toutes circonstances, Dieu veut cette libre décision. Par conséquent il
devait laisser son Fils apparaître dans le monde dans son impuissance.

b) Mais tout de suite émerge la difficulté: n'aurait-il pas pu donner une possibilité de
décision avec un peu moins d'impuissance?
La réponse est: il a laissé l'impuissance prendre une très grande dimension, pour
nous faciliter la libre décision d'amour dans le Christ (et sa Mère) pour ses désirs les
plus intimes.

La réponse se trouve clairement et visiblement sur la ligne de nos idées favorites. Ça


va suffire sûrement si je vous rappelle que l'instinct primitif le plus fondamental de
notre instinct, l'amour, et que celui-ci est stimulé le plus rapidement, le plus
sûrement et le plus efficacement quand nous nous croyons et savons profondément
aimés ou même si nous croyons le sentir. C'est ainsi que vaut être comprise la parole
du vieux Sénèque12: Si vis amari, ama. – Si tu veux être aimé, aime!

12
Philosophe et écrivain romain (-4 JC+65).

62
Mais Dieu voulait être aimé dans une libre décision de nous, de tout notre coeur, de
tous nos sentiments, de toutes nos forces. En bonne justice, il devait nous montrer
son amour d'une façon la plus exubérante et la plus expressive par le Christ.
Mais l'amour le plus élevé est l'amour par le sacrifice. L'expérience quotidienne nous
le dit, les spécialistes nous le disent, le Seigneur lui-même nous le dit également.
Nous connaissons sa parole claire et éclairante: personne n'a un plus grand amour
que quand il donne sa vie pour ceux qui lui tiennent au coeur (cfr Jn 15,13).

N'a-t-il pas avec cela démontré sa propre façon d'agir et donné la raison pour son
anéantissement par amour à travers la mort sur la croix!

Oui, en vérité: pretio magno empti estis. Nous avons été racheté à un prix élevé.
Comme nous devons lui tenir profondément au coeur. Un exemple classique pour
cela est saint Paul. Il a dû racheter presque toutes ses communautés par des
souffrances indicibles. C'est pourquoi il s'attacha à toutes ces communautés, non pas
seulement comme un père, mais aussi comme une mère. Nous ne le percevons pas
comme une exagération quand il écrit aux Thessaloniciens (1Th 2,7s):

«Alors que nous aurions pu nous imposer en qualité d'apôtres du Christ, nous
avons été au milieu de vous pleins de douceur, comme une mère réchauffe
sur son sein les enfants qu'elle nourrit. Nous avions pour vous une telle
affectation que nous étions prêts à vous donner non seulement l'Evangile de
Dieu, mais même notre propre vie, tant vous nous étiez devenus chers.»

A partir de ces observations, nous pouvons facilement laisser s'ouvrir notre


intelligence pour l'océan d'amour infini qui, du coeur du Sauveur du monde, déferle
vers nous.
Qu'est-ce qu'il n'a pas fait et souffert pour nous!

Puissions-nous tout de même réussir, avec une grande conviction, à répéter avec
l'apôtre et tous les grands du royaume de Dieu sur terre la parole: dilexit me! Il m'a
aimé! Il m'aime!
L'«enfant de l'Inscriptio» laisse à la bonté de Dieu le Père le soin de déterminer à
quoi cette croix ressemble dans les détails. Demande-t-il le renoncement – la
séparation avec les personnes les plus chères, l'effondrement de l'oeuvre de ses
mains: «je suis attaché sur la croix avec le Christ, parce qu'il m'aime!»

Souhaite-t-il la fortune du corps et de l'âme, la restriction ou la perte totale de ma


liberté extérieure: je suis attaché sur la croix avec le Christ, parce qu'il m'aime!

Oui, amour pour amour!


sacrifice pour sacrifice!
fidélité pour fidélité!

c) Et pressentons-nous vraiment comme notre libre décision est méritoire pour le


Christ, justement parce qu'il vient à notre rencontre dans l'habit de l'«impuissance».
Maintenant il y a assez d'espace pour l'héroïsme de la foi. Spontanément nous

63
pensons à l'importance que le Sauveur accorde à la foi. Celui qui se livre au crucifié
dans la fidélité des disciples, peut s'attribuer toutes les déclarations de ce genre.

Pascal dit une fois que Dieu a étendu beaucoup de ténèbres sur notre intelligence
parce qu'il veut notre amour.
C'est ainsi. Parce qu'il y beaucoup de choses obscures, insaisissables, dérangeantes
dans la vie du Sauveur pour la pure pensée naturelle, un haut degré d'amour doit
donner un coup à la raison, afin qu'elle s'incline pieusement devant la «majesté
impuissante» du Rédempteur.

C'est ainsi que la sagesse de Dieu utilise son impuissance apparente pour nous tirer
parfaitement vers lui dans le Christ, pour nous transformer en une nova creatura, en
une nouvelle créature, en un homme dans le Christ.
Je termine avec la prière de l'Apôtre Paul:

«O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu!


Que ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables!
Qui en effet a connu la pensée du Seigneur?
Ou bien qui a donné le premier, pour devoir être payé en retour?
Car tout est de lui, et par lui, et pour lui.
A lui la gloire et l'honneur éternellement (Rm 11,33ss).

Nous nous sommes occupés longuement da la vie historique du Sauveur. C’était bien
ainsi. – «De l’abondance du cœur la bouche parle» 13. Pendant des années, nous
avons jugulé la bouche. C’est le moment de dire au moins quelque chose que le
cœur a silencieusement retravaillé. – Cela correspond d’ailleurs au programme de
l’année. – – On pourra savoir jusqu’à quelle profondeur le courant de l’amour envers
le Sauveur s’est entre-temps développé. Faites attention à tout ce qui vibre dans
l’âme, lorsque vous entendez les pensées sur le Christ. – Comme cela vous paraît
connu, même si je n’avais pas encore présenté cela dans cette forme. –
À partir de cela, vous pouvez conclure comme c’est bon que la Mère de Dieu et le
Père céleste nous conduise au Sauveur. C’est pourquoi nous restons aussi toujours
fidèles à eux. –

Maintenant le moment est venu de faire entrer le Sauveur dans les courants
spirituels publics conscients de la Famille plus que nous ne l’avons fait jusqu’à
présent.
C’est ainsi que veut la Mère de Dieu.
Nous trouvons aussi que c’est une occasion qui vient à point nommé pour combler
une lacune dans notre éducation. Certes, dans le plan de répartition des matières,
une introduction dans la vie historique du Sauveur est prévue depuis longtemps au
noviciat pendant la période à moitié ouverte et la période ouverte. Les quatre
semaines avant la première incorporation constituent la conclusion avec les

13
Proverbe : Wovon das Herz voll ist, läuft der Mund über !

64
enseignements sur le Corps mystique du Christ et ses membres, les pensées sur nos
relations sponsales avec lui. –

Cependant nous avions eu jusque maintenant, lors des journées réservées aux cours,
beaucoup de travail avec l’idéal du cours, les courants généraux dans la Famille et
les questions courantes, que n’arrivions pas à la matière effective prévue, ou bien
nous la traitions de façon tout à fait superficielle. Les pensées présentées indiquent
le chemin et la méthode pour arriver prochainement à la transformation. Nous
voulons le faire bientôt et de bon cœur, pour être bien centré dans tous les cas.
En même temps, nous essayons de mieux connaître la Sainte Écriture. – Nous
voulons volontiers avouer que nous connaissons encore très peu le livre, la lettre du
Père céleste à nous, ses enfants, et que nous n’avons même pas peut-être le désir
de la connaître correctement. Tout cela doit aussi changer dans l’avenir. Un jour, la
sœur de St. Thomas, le grand théologien, lui demanda ce qu’elle devrait faire pour
pouvoir arriver à un niveau élevé de la science. Elle reçut la réponse suivante : Vide
d’abord les petits ruisseaux qui sont à ta disposition, ensuite continue et ose d’aller
dans les rivières, par après va dans les fleuves – tu atteindras ensuite l’océan,
l’océan de la science.
Thomas voulait dire par là qu’elle devrait utiliser chaque fois les occasions offertes
pour s’approprier petit à petit un savoir solide … et on a assimilé une chose, c’est
mieux de passer à un autre thème. –
Est-ce que nous ne voudrions pas faire de même ? Retravaillons chaque fois les
conférences, prenons la Sainte Écriture pour relire les passages indiqués dans leur
contexte. C’est ainsi que nous acquérons un savoir religieux solide sur la vie du
Sauveur, et bientôt, nous sommes capables de continuer la recherche de façon
autonome.

Jusqu’à présent nous avions une formation religieuse claire qui allait du même pas
avec les courants religieux dans la Famille. C’est ainsi que cela doit toujours rester. –
Il ne faut jamais perdre les choses fondamentales. C’est pourquoi je me suis toujours
efforcé aussi de rompre pour vous le pain de la Parole de Dieu dans des conditions
extrêmement défavorables. – – – Si nous ne sommes pas saisis et entraînés par les
courants religieux, demain ou après-demain ce sont les courants mondains qui nous
embarqueront. – Et après – et après – –

Maintenant il est temps de nous rappeler dans quel cadre nous avons étendu l’image
décrite du Sauveur avec les traits et les événements accablants.

L’idéal sponsal – ainsi avons-nous dit – doit nous faire comprendre notre vie de
Famille dans ses traits accablants. En montant graduellement, nous avons par
conséquent posé les trois questions selon les traits accablants
I. dans la vie du Sauveur
II. dans la vie de notre Famille et
III. la relation interne entre les deux.

65
Nous avons déjà répondu suffisamment à la première question dans les moindres
détails14.

II. Les événements accablants dans la vie de notre Famille

Est-ce qu’il y a aussi dans la vie de notre Famille des ombres obscures, des ruptures,
des défaillances, des rejets et de la persécution ? – –
Ah oui, nous ne sommes pas seulement une communio sanctorum, mais également
une communio peccatorum. – Et ainsi nous ne nous appelons pas sans raison une
église en miniature. Comme le Sauveur revit dans l’ensemble de l’Église, ainsi vit-il
aussi dans notre «église en miniature» sa vie de faiblesse encore une fois. Par
conséquent, cela vaudra certainement la peine, après avoir connu l’océan de
miséricorde dans lequel nous nageons, d’approfondir notre compréhension de l’océan
de misère qui nous entoure.
Cependant, je dois me dispenser – au moins provisoirement – de ce travail pour
différents motifs, pour le reprendre plus tard peut-être – en temps utile et si
l’occasion se présente.
C’est ainsi que je vous prie de vous contenter de deux courtes pensées. Peut-être
qu’elles vont nous stimuler à continuer la recherche.

Si vous avez bien assimilé les considérations présentées jusqu’à présent, vous vous
êtes déjà probablement posé la question suivante qui ne veut plus être repoussée
maintenant : Est-ce qu’il n’existe pas – comme nous l’avons appris de la vie du
Sauveur – dans la vie de notre Famille aussi deux types d’échec et de faiblesse ?

Analysons cette pensée. Elle peut bien être féconde. –


Je ne donne que quelques lignes directrices. –

1) C’est sans aucun doute que l’histoire de notre Famille de jusqu’à présent
connaît à côté des jours favorables des côtés de l’ombre aussi …

Je pense à notre vie religieuse morale ! Quelles médiocrités, quelles faiblesses


morales, quelles pulsions, fautes – et peut-être même des péchés.

Je pense à notre vie professionnelle ! Est-ce que nous avons réellement profité de
toutes les occasions pour continuer la formation, pour être tout à tous ?

Je pense à notre vie communautaire ! Est-ce qu’on peut aussi dire de nous :
Regarde comme ils s’aiment !

Une chose est sans aucun doute fermement certaine :


Si nous avions utilisé toutes les grâces offertes, nous serions maintenant plus mûres,
plus nobles ; nous serions plus féconds dans notre profession et comme des

14
Depuis la 4e suite jusqu’à cette page (comparez les pages 48-135 de l’édition
allemande).

66
«apparitions mariales ambulantes» (wandelnde Marienerscheinungen) nous tirerions
les hommes vers le haut de manière plus durable et efficace.

2) Est-ce que la Famille a aussi trouvé le tournant tragique, la conversion vers la


montée sur toute la ligne ? –

Ce serait incompréhensible – si déjà maintenant, alors que nous commençons à


peine à bien fleurir et être fécond, de devoir diagnostiquer le flétrissement, la
décadence, le naufrage …

Dieu merci ! Nous n’en sommes pas encore là. – –

Mais, est-ce que vous ne voyez pas fumer les signes du feu ? – Jusqu’à présent nous
avons pu défendre avec succès – comme cela nous est bien connu – le fondement
surnaturel de notre Famille (1935) et de notre patrie (1938 etc). Est-ce que bientôt
l’œuvre en tant que telle et les membres dans leur totalité et dans leurs différences
ne doit-elle pas passer le test ?

C’est notre grande attente. – Nous nous y préparons avec un grand soin. –

C’est pourquoi nous luttons très sérieusement – animés par l’attitude de l’Inscriptio
– pour l’homme nouveau dans le Christ et sa Mère-épouse divine, pour le miracle du
christianisme à l’époque actuelle.

Si et dans la mesure où le miracle se réalise en nous et dans la Famille, alors nous


serons immunisés, et toutes les choses seront à notre avantage, non pas seulement
à nous personnellement, mais également à la Famille et à l’Église. –

Est-ce qu’alors il y a bientôt le déclin, la catastrophe ? Je ne pense pas même une


fois tellement à des conflits extérieurs. Je pense à notre intimité intérieure et à notre
fidélité. –

L’histoire ultérieure donnera là-dessus la réponse authentique.

67
9e Suite

Où est-ce que je me suis égaré ? Est-ce que la souffrance dans la Famille se limite
aux péchés, aux fautes et aux imperfections ?

Et comment est-ce que je vais jeter un pont entre ce que j’ai dit et la vie du Sauveur
qui se reflète dans la vie de notre Famille ?

Il y a un double pont qui relie les deux. L’un consiste dans le fait que le Sauveur, lui
qui est sans péché et sans tache, a pris sur lui et a expié nos péchés, nos fautes et
nos imperfections.

Dans la «Sainteté du quotidien15» il y a un passage significatif que nous comprenons


mieux peut-être dans ce contexte. C’est écrit à la page 54/55:

«On dit à propos de certaines âmes gratifiées de grâces mystiques, qu‘elles


ont parfois dans leurs états de souffrance, l'impression de porter le poids des
péchés du monde entier. Nous avons donc le droit d'imaginer que le Sauveur,
l'Être le plus pur et le plus saint, devait se sentir, après avoir été abandonné
par Dieu, comme une «bosselure» de péchés, affectée de tous les péchés les
plus horribles et les plus honteux, du fratricide de Caïn à la dernière mauvaise
action perpétrée avant la fin du monde. Nous comprenons alors comment il a
été possible que des gouttes de sang aient suinté de ses pores. Et nous
n'aurons pas aisément la tendance de placer notre propre souffrance - si
grande fût-elle - au même rang que celle de notre Sauveur. Avec Vincent
Pallotti, le grand apôtre de Rome et le fondateur de la Congrégation des
Pallottins, nous pensons et confessons: «Lors de son Incarnation, le Fils de
Dieu a sacrifié pour nous sa Personne et tout ce qui lui appartenait. Il est
entré dans le monde avec une disposition parfaite au sacrifice. Et il a confirmé
celle-ci tout au long de sa vie et jusqu'à sa mort sur la croix. Face à Jésus
crucifié, personne - qu'il soit pauvre ou riche, distingué ou insignifiant, instruit
ou ignare, puissant ou impuissant - ne saurait raisonnablement se refuser à
suivre le Christ. En comparaison avec le sacrifice de Jésus-Christ, qui s'est livré
sur la croix pour nous pécheurs, tout autre sacrifice est un rien du tout - quel
que soit celui qui l'offre, et même s'il s'agissait de ce qu'il y a de plus difficile
au monde».

Pour jeter un deuxième pont entre les faiblesses religieuses de notre Famille et la
souffrance du Sauveur, nous devons distinguer dans les péchés et les imperfections
ce qui est aberrant, plein de défauts, ennemi et contraire à Dieu et la souffrance
intérieure reliée à tout cela … Mais le Sauveur avait aussi goûté abondamment à la
souffrance intérieure sur le péché. – – – Est-ce que c’est facile maintenant pour nous
de découvrir des deux côtés les ressemblances ? –
Alors l’âme est suffisamment détendue pour continuer à poursuivre la
synchronisation entre les deux. –

15
Nailis, Sainteté du quotidien. Une contribution pour la sanctification de la vie
quotidienne. Traduit par Herménégilde Ntabiriho, Bujumbura 2001.

68
Nous pensons à la souffrance de la solitude, de l’incompréhension, à l’ingratitude des
hommes, à la méconnaissance qui nous ont été faites au sein et en dehors de la
Famille. – –

En plus de ces difficultés intérieures s’ajoutent les douleurs physiques, les


soulèvements du cœur, l’effondrement – – : toutes les formes de la souffrance dont
la Famille a dû porter une mesure bien pleine. – Puis-je dire : de pures blessures
dans le corps du Christ. C’est au moins ce que dirait St. Paul. Il appelait volontiers
«stigmates du Christ» (cfr Ga 6,7), les douleurs de ses tourments qu’il portait dans
son corps et dans son âme.

Ainsi nous avons déjà préparé la réponse à la troisième grande question.

III. La question est : Quelle est la relation interne entre la souffrance dans
la vie du Sauveur et dans la vie de notre Famille ?

L’idéal sponsal nous donne la réponse. – La Famille est, en tant que membre
excellent de l’Église, comme cette dernière, membre et épouse du Seigneur ; elle est
unie à Lui dans une communauté mystérieuse de l’être, de la vie, du destin et des
tâches – –, dans une bi-unité admirablement profonde et indicible. C’est pour cela
qu’elle ne connaît pas seulement une vie commune et transfigurée avec le Christ,
mais aussi une vie crucifiée avec Lui. Elle a le droit et doit dire avec Paul : Je suis
crucifié avec le Christ qui m’aime. – –
Comme l’omnia opera mea Regi crucifixio convient bien dans ce contexte ! Nous
avons si souvent utilisé cette parole : Ordo essendi est ordo agendi . La forme
objective de l’être doit être la norme pour notre forme de vie subjective,
personnnelle. Si on applique cela à notre cas, cela signifie : Nous voulons être
pleinement et entièrement conscients de notre tâche d’avoir une vie crucifiée avec le
Christ et l’embrasser et l’accomplir avec tout notre amour et notre ferveur. –
Nous sommes fiers, lorsque avec le Christ, nous faisons l’expérience de
l’effondrement sur la croix des forces humaines et de l’irruption des forces divines
pour la glorification du Père et pour le salut des âmes immortelles.
Ainsi nous voulons laisser la croix s’élever grandement dans nos cœurs, dans notre
Famille et dans notre peuple. – Voici ce que m’écrit un aumônier militaire : Dans les
mois difficiles et dans les pires situations, je me sentais tellement en paix et en
sécurité comme jamais auparavant. Le 20 septembre, nous étions complètement
bloqués par les Russes pendant 36 heures. À l’aide des exemples multiples, j’ai fait
l’expérience parmi mes hommes de ce que peut la force de la foi. – Et cela devrait
être ma tâche – et Dieu le veut ainsi –, et être de nouveau aussi la vôtre : mobiliser
les forces religieuses spirituelles, là où notre peuple doit donner toute sa dernière
énergie dans ce combat extrême. Afin que notre peuple devienne de nouveau un
peuple de Dieu fort et libre au milieu des peuples d’Europe. – –

Celui qui veut garder la force pour ses fidèles et pour lui-même, doit dresser la croix,
s’incliner devant la croix et se laisser suspendre volontiers avec le Christ sur la croix.

69
Omnia opera mea Regi crucifixio ! C’est ainsi que nous l’exige le programme de cette
année. Nous nous habituons petit à petit à considérer l’Épouse-Mère de Dieu non
seulement comme la «préparatrice de l’offrande» ( Opferbereiterin) et la «porteuse
de l’offrande» (Opferbringerin), mais aussi comme la porteuse du Christ
«Christusträgerin» et la porteuse de l’offrande ! Les deux termes devraient constituer
de plus en plus une unité indissoluble dans notre intérieur- – C’est ainsi que le
demande l’esprit de l’Inscriptio. C’est ainsi que le cœur de la chère Mère de Dieu
devient le lieu sacré dans lequel nous voyons volontiers plantée la croix avec le
Crucifié. C’est ainsi que nous luttons de plus en plus pour l’homme nouveau dans le
Christ et Marie. Les deux personnes doivent et veulent constamment constituer dans
notre pensée et notre amour une bi-unité qui plaît à Dieu et que rien ne peut
perturber ni ébranler.
Mais à la rédemption subjective fait partie non seulement la mort sur la croix, mais
aussi la résurrection. C’est pour cela que j’appelle consciemment l’ordre actuel un
ordre de la croix transfiguré. Paul ne se fatigue pas à insister chaque fois là-dessus.

C’est pourquoi l’homme nouveau dans le Christ ne connaît pas seulement une union
de l’être, des pensées et de la vie avec la vie souffrante et la mort du Sauveur, mais
aussi avec la vie transfigurée du Sauveur. Et la Mère de Dieu n’est pas seulement
pour lui la mater dolorosa, mais aussi la mater gloriosa.

C’est cela que le programme de cette année veut nous rappeler dans son contenu
total : Omnia opera mea Regi crucifixio et glorioso et Reginae et Matri dolorosae et
gloriosae. La formulation brève : Omnia opera mea Regi crucifixio et glorioso
suppose que l’unité entre le Sauveur et la Mère de Dieu remplit déjà tellement notre
âme, qu’en pensant à une personne, cela réveille aussitôt le rappel et le don de soi à
l’autre personne. – C’est pourquoi la devise de cette année devrait contribuer
considérablement à la formation de l’homme nouveau et de la communauté nouvelle
dans le Christ et Marie. – –

Nous nous occuperons plus tard du Rex gloriosus et de notre participation à la vie
transfigurée du Sauveur, lorsque nous montrerons les traits ravissants dans la vie du
Sauveur et de la Famille. –

Ici l’idéal sponsal nous intéresse plus du point de vue de la participation à la vie
souffrante et à la mort du Sauveur. Nous ne manquons pas de connaissance claire
sur ces vérités réjouissantes. Les quatre semaines et les méditations sur la sainte
messe nous les ont ouvertes pour la première fois. – Mais, est-ce que nous en
sommes saisis aussi intérieurement ? Est-ce que le Christ est réellement le centre de
notre vie, la force de notre vie, le contenu de notre vie, le but de notre vie ? Est-ce
que toute notre âme résonne avec, lorsque nous disons avec Paul : «Je suis crucifié
avec le Christ, et ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi» (Ga 2,19-
20). Comme cette expérience mystique de bi-unité entre Paul et le Christ doit avoir
été profonde !

Que devrons-nous faire pour parvenir à une telle profondeur dans l’expérience de
l’idéal sponsal ? Le moyen principal est la prière. C’est ainsi que nous voulons de
nouveau nous agenouiller et nous tourner vers la Mère de Dieu – vers le Père – vers

70
le Saint Esprit. Ce qui est aussi efficace, c’est l’effort sérieux et permanent de porter
toute souffrance animée par la conscience de la bi-unité avec le Crucifié.

À l’âme parle le Seigneur avec intimité :


Prends ta croix, chère épouse !
Et suis-moi sans te plaindre !
Je l’ai portée d’amour par amour pour toi.
Est-ce que tu m’aimes de nouveau ? Suis-moi !

Mais en cela, il ne faut pas que nous oublions de nous plonger en méditant comme
Paul dans les pensées du corps mystiques et les pensées sponsales de façon très
fréquente. –
Dans ce but, nous voulons nous arrêter ici et nous rappeler et approfondir nos
connaissances sur le corps mystique et les relations sponsales avec le Christ. –

Pour plus de facilité, essayons de faire une division de notre travail. Vous prenez en
charge vous-mêmes le travail de rappel, et moi je vous donne quelques idées pour
l’approfondissement.

71
A)

Le rappel se fait le mieux à la suite des parties relatives à ce sujet dans la « Sainteté
du quotidien» ou dans la brochure connue des enfants du cours Immaculata. Mais
réservez aussi, s’il vous plaît, du temps pour lire cela ! Et n’oubliez pas la vie et
l’action. Par occasion, la matière peut aussi devenir un sujet naturel de conversation
religieuse. – –
Si nous sommes pénétrés par ces vérités, alors elles coulent tout à fait d’elles-mêmes
dans nos entretiens. En effet, nous avons relativement beaucoup de temps libre. Est-
ce que nous restons conscients que nous en portons la responsabilité ? Aussi
longtemps que nous sommes une Famille aux grandes aspirations, la culture des
entretiens religieux discrets doit nous tenir tous à cœur ; les supérieurs en particulier
doivent y attacher de l’importance. Si c’est le bon esprit qui règne, de tels entretiens
ne fatiguent même pas. Au contraire, ils détendent. Vous le faites surtout quand
l’autre sujet de conversation ne quitte jamais un certain niveau. Tentons donc encore
une fois notre chance !

B)

Nous nous efforçons pour l'approfondissement de pénétrer d'abord un peu dans le


patrimoine de pensées de Saint Paul, principalement sous le point de vue de la
participation mystérieuse à la vie souffrante du Seigneur, pour après appliquer les
nouvelles connaissances sur la vie de notre famille.

1 C'est avec raison qu'on appelle Saint Paul le dogmatique et l'apôtre de la pensée
de l'incorporation des membres au corps du Christ, qui signifie la même chose que la
pensée sponsale.

1.) Mais cela ne veut pas dire que c'est lui qui a introduit pour la première fois la
vérité ainsi exprimée dans le stock des vérités catholiques. Cela s'est fait par le
Seigneur … Celui-ci l'a habillée dans la forme expressive de la vigne et les sarments.
À l'aide de la Sainte Ecriture et de la « Sainteté du quotidien» (p. 54ss), réfléchissons
pour voir quels sont, dans les paraboles, les éléments des paraboles, de noyau des
paraboles et les conclusions des paraboles. Aujourd'hui nous comprenons peut-être
mieux que pendant les quatre semaines, que le noyau des paraboles est la bi-unité
mystérieuse et organique entre la vigne et les sarments, l' unio quasi-physica entre le
Christ et les baptisés.

Saint Paul s'inspire vaguement de l'image de la vigne dans l'épître aux Romains (Rm
6,5).

Saint Pierre utilise pour la même vérité l'image connue de la construction vivante et
des pierres angulaires vivantes (1 P. 2,4ss).

72
Saint Jean parle dans les derniers chapitres de l'apocalypse des rapports profonds
d'époux à épouse, dans lesquels se trouvent l'Eglise avec son époux de confiance,
avec le Christ. Il veut ainsi parler de l'unio quasi-physica entre les deux.

2.) Le mérite de Saint Paul se trouve dans le fait d'avoir donné à la notion la forme
du corps mystique du Seigneur et avoir fait de celui-ci l'idée directrice de son
enseignement et de sa vie.

a) Avec un grand amour, l'apôtre des peuples a approfondi l'image: le Christ est la
tête, nous sommes les membres. Apparemment il n'a trouvé aucune expression qui
peut mieux traduire le grand mystère qu'il devait proclamer … Dans chaque lettre, il
sait ajouter un nouveau trait à cette image, gagner un aspect nouveau.

Nous essayons un jour, pour mieux lire la Sainte Ecriture, de feuilleter dans l'index
du Nouveau Testament les termes «tête», «membre» et relisons les passages
indiqués.

b) Cette pensée infiniment féconde pour la dogmatique, la morale, l'ascèse et la


prédication, a pris racine en lui déjà au moment de l'événement de Damas.

a. C'est plus une reconstruction riche d'imaginations, si nous nous représentons le


furieux Paul qui se lançait en avant, comment il était intérieurement possédé par la
figure idéale de son ancien condisciple Etienne, lapidé avec son concours. Comme ce
jeune martyr se tenait là, entièrement libre de toute pression, les yeux pleins de
lumière et de chaleur, le visage rouge d'enthousiasme. Paul entend encore les
paroles du mourant: «Voici que je contemple les cieux ouverts et le fils de l'homme
debout à la droite de Dieu» (Ac 7,56).

Etait-ce réellement une puissance divine qui se révélait dans le jeune héros chrétien!
La pensée ne voulait plus lâcher le fou furieux.

Et c'est à ce moment que fit irruption dans sa vie, ce grand événement de Damas. Il
se tient devant lui – celui qu'il ne pouvait pas souffrir et dont il ne pouvait pourtant
pas se débarrasser intérieurement – dans sa majesté céleste avec des traits
extrêmement bienveillants: le Christ. Le triste et aimable reproche de ses lèvres le
touche: «Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?» (Ac 22,8)

Depuis ce temps, Paul reste attaché fermement à deux pensées de façon


imperdable: Lui, le Sauveur du monde, le Kyrios élevé, m'aime, et vit dans les siens,
il souffre, meurt et triomphe dans les siens d'une façon très mystérieuse … Saul avait
tout de même persécuté les chrétiens. Mais le Seigneur lui demande la raison:
«Pourquoi me persécutes-tu?»

C'est ici que nous avons déjà l'esquisse, les lignes fondamentales de tout
l'enseignement de Saint Paul sur le corps mystique du Christ. Paul passe trois années
dans la solitude du désert d'Arabie; il se consacre intensément à la prière et à la
méditation, il peut avoir eu ici et même plus tard beaucoup de révélations. C'est avec
raison qu'il peut vraiment confesser (Ga, 1,12) que son évangile n'est pas une

73
oeuvre humaine, moins encore qu'il l'a eu d'un homme ou qu'il l'a appris dans des
leçons; il va à Jérusalem et là-bas, il se laisse initier profondément dans
l'enseignement et la vie du Christ par les anciens apôtres. Il assimile avec un intérêt
particulier – ainsi devons-nous le croire – l'enseignement du Christ concernant la
vigne et les sarments. Après avoir vérifié ses révélations face à la tradition, il
disparaît de nouveau pour une longue période dans la solitude, pour prier et
reméditer son évangile en tous les sens et assimiler de nouvelles révélations et
visions. Alors par après, il parcourt le monde comme un feu embrasé pour le Christ.

b. Il doit lui annoncer le grand mystère de Dieu et du Christ: le Christ en nous et


nous dans le Christ. Une sainte pression repose sur lui. Il ne peut rien d'autre.

Dans l'épître aux Ephésiens, il décrit son secret en de grands traits. Dès le début, il
indique le contenu principal:

«Il (le Père) nous a choisis en lui (le Christ Jésus) avant la fondation du
monde pour que nous soyons saints et irréprochables sous son regard, dans
l'amour. Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus-Christ;
ainsi l'a voulu sa bienveillance à la louange de sa gloire, et de sa grâce dont il
nous a comblés en son Bien-Aimé» (1,4-6).

On continue de parler de ce mystère dans les versets 7 – 14. De même, en 2,13-22;


3,4-14. Consultez, s'il vous plaît, ces passages, afin de vous habituer aux Saintes
Écritures.

Ce grand mystère du Christ n'était pas connu autrefois. Maintenant il a été révélé et
lui, Paul, a la mission de l'annoncer aux païens. Dans différents passages il lui donne
la courte formule: «Dans le Christ Jésus …»

On se sent guidé de voir comme il s'efforce de trouver des mots marquants pour
s'exprimer de façon compréhensive. Dans le Christ Jésus signifie selon lui, souffrir
avec le Christ, mourir avec lui, être enseveli avec, ressusciter avec, vivre avec, être
transfiguré avec, régner avec, avoir part avec, être incorporé et conforme.
Ou bien il parle de s'habiller du Christ, ou bien il emploie son expression favorite: le
Christ est la tête, nous sommes les membres. Comme la tête et les membres sont
unis dans une unité mystérieuse et organique, de même le sommes-nous avec le
Christ. Le Père lui a remis le monde entier, tout doit lui être incorporé en tant que la
tête. Si cela se réalise de façon parfaite comme prévu, alors nous nous trouverons
devant la fin du monde. Ensuite le Fils restituera le gouvernement du monde à son
Père. Alors le Père sera tout en tous. Voilà le grand message que Paul a à annoncer
aux païens. Le Christ, c'est la tête du monde entier! Tout doit, en lui et par lui, louer
et glorifier le Père. Cette pensée donne des ailes à Saint Paul; elle lui donne une
force surhumaine. Les conceptions judaïques étroites doivent être dépassées parce
qu'elles empêchent que le Christ règne en tout. Le monde entier doit se laisser
incorporer en lui. C'est pourquoi cela pousse l'apôtre des peuples de ville en ville, de
continent en continent.

74
Le grand adversaire du Christ est le diable. Pour lui, il n'y a rien d'impersonnel et de
neutre. Derrière l'ensemble des événements du monde, il y a pour lui deux
personnes, deux forces personnelles, vivantes: Dieu et Satan. Il ne connaît pas
d'autres oppositions aussi radicales.

Mêmes des choses et des événements apparemment indifférents sont attribués à


l'une ou l'autre personne. Souvent déjà, il voulait visiter ses Thessaloniciens. Mais –
nous dirions: des circonstances fâcheuses l'empêchaient chaque fois de le faire. Paul
déclare: «Satan nous en a empêchés» (1 Th 2,18). Il veut, et lui et son règne, les
vaincre dans et par le Christ, afin que le Kyrios élevé puisse régner.

c. Le mystère du Christ aide Paul à résoudre la question de la souffrance avec une


simplicité déconcertante … Nous sommes des membres du Christ. La tête a souffert,
par conséquent, nous devons également souffrir. Par le baptême, nous sommes
incorporés à la vie souffrante du Seigneur. En bonne justice, Paul peut dire avec
raison: C'est ainsi que je voudrais concevoir mon état de chrétien: comme une
communion à ses souffrances et devenir semblable à lui dans sa mort (Ph 3,10).
c'est pour lui le plus naturel du monde que ses souffrances soient les souffrances du
Christ, justement comme sa vie est la vie du Christ (Col 1,24). Nous devons par notre
souffrance compenser ce qui manque encore aux souffrances du Christ, c'est-à-dire
que les membres doivent souffrir avec la tête souffrante. Paul se sent
particulièrement appelé à la souffrance, parce qu'il sait «qu'il y a encore beaucoup de
souffrances non souffertes, et parce que Dieu l'a disposé, qu'il doit s'acquitter de sa
part sur ce reste que le Christ a laissé». «Les tribulations du temps messianique vont
être placées sur différentes personnes et groupes parce que le Christ veut encore
avoir des compagnons de souffrance.» – Plus l'homme s'approche du Christ, plus il
doit donner l'occasion au Christ de continuer à souffrir en lui. Cette loi touche le plus
intensément et profondément les apôtres et les directeurs spirituels. La communion
aux souffrances du Christ doit être pour eux le moyen de pastorale le plus préféré. –
Le Seigneur avait dit pour cela: «Le disciple n'est pas au-dessus de son maître.» (Lc
6,40). S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi» (Jn 15,20). Bien plus,
l'heure vient où celui qui vous fera périr croira présenter un sacrifice à Dieu» (Jn
16,2).

c) Ce que Paul a enseigné, il l'a aussi vécu d'une manière exemplaire. Il était parmi
les apôtres celui qui a été le plus intensément et parfaitement co-crucifié avec le
Sauveur du monde crucifié. Il n'a pas seulement beaucoup travaillé, il a même
beaucoup souffert plus que les autres.

C'est ainsi que son maître, le chasseur des âmes, aussitôt après avoir arrêté ce fauve
avant d'arriver à Damas, lui a laissé écrire dans le livre de la vie comme devise: «Je
lui montrerai moi-même tout ce qu'il lui faudra souffrir pour mon nom» (Ac 9,16).

Le nouveau converti n'avait pas besoin d'attendre longtemps. Dès le début ses
anciens coreligionnaires le persécutèrent.

Bientôt il sera aussi rejeté par une grande partie de chrétiens. Les chrétiens juifs ne
veulent rien savoir de lui. Ils craignaient d'être impliqué dans son sort. Il leur est en

75
tout trop fougueux, trop lié aux principes … Bientôt s'ensuivent aussi des oppositions
cassantes au niveau des principes. Pour sauver la personne et l'oeuvre du Christ au
complet, et pour pouvoir rendre plus facilement accessible le salut pour le monde
entier, Paul rejette le point de vue et les exigences du fort et puissant parti
d'opposition, qui veut aussi imposer la circoncision et la loi (de Moïse) aux païens
candidats au baptême. Selon eux, celui qui ne devient pas d'abord juif, ne peut
devenir chrétien. Paul gagne la baille de façon principielle lors du Concile des
Apôtres, et même à Antioche, il fait passer pratiquement, même contre Pierre et
Barnabé, la résolution convenue et reconnue. Des juifs et des chrétiens juifs le
persécutent durant toute sa vie. A-t-il fondé une communauté chrétienne, ils sont
derrière lui pour détruire son oeuvre. Ils semaient de la méfiance contre lui, contre
sa mission, contre la véracité de son évangile, la pureté et la transparence de son
intention. Comme cela doit avoir fait souffrir l'apôtre avec son coeur si tendre et
profond. On lui compliquait de toute façon ses nouvelles fondations. Il arrive quelque
part, gagne des partisans et tout de suite commence la persécution. Il doit
ordinairement fuir sous risque d'y laisser sa peau, lorsque les premiers grains
commencent réellement à pousser. C'est extrêmement séduisant de voir avec quel
naturel il supporte son sort. De ses souffrances, il n'en fait même pas beaucoup de
bruits. Elles sont pour lui le plus naturel du monde. Il se laisse fouetter à la manière
juive et flageller à la manière romaine: tout cela ne lui fait rien. On le lapide. Ami et
ennemi le croient mort. Aussitôt qu'il peut de nouveau respirer, il continue ses
voyages missionnaires. Ni un climat meurtrier, ni des tempêtes de mer, ni le temps
désavantageux ne peuvent arrêter son zèle. Récemment, des savants ont essayé de
parcourir, avec des moyens modernes de transport, les trajets qu'il a parcourus. Ils
ne cessent de s'étonner des efforts surhumains de ce petit Tarsien. Que le corps
succombe souvent sous le poids des labeurs, ne nous étonne pas. Aujourd'hui 16, on
le met dans une maison de détention par mesure préventive, et ensuite il est un
prévenu. Celui qui a lui-même vécu quelque chose de ce genre, sait ce que cela
signifie, surtout si on pense comme on ne reculait pas autrefois devant des tortures
physiques et des mauvais traitements.

Paul n'aurait jamais de lui-même parlé de ces choses, si ses adversaires ne le lui
auraient pas contraint. Pour prouver la sincérité de ses sentiments et la force de
sacrifice de son amour, il fait brièvement une liste de ses souffrances …
Comprenons-nous tout le poids des misères qui se cachent derrière ces récits secs
que Paul donne aux corinthiens? Là, on lit (2 Co 11, 23–33):

«Dans les fatigues – bien davantage,


dans les prisons – bien davantage,
sous les coups – infiniment plus,
dans les dangers de mort – bien des fois!
Des juifs, j'ai reçu cinq fois les trente-neuf coups,
trois fois j'ai été flagellé, une fois, lapidé,
trois fois, j'ai fait naufrage, j'ai passé un jour et une nuit sur l'abîme.
Voyages à pied, souvent, dangers des fleuves,

16
Il y a 2000 ans.

76
dangers des brigands, dangers de mes frères de race, dangers des païens,
dangers dans la ville, dangers dans le désert, dangers sur mer, dangers des
faux frères! Fatigues et peine, veilles souvent; faim et soif, jeûne souvent;
froid et dénuement; sans compter tout le reste, ma préoccupation
quotidienne, le souci de toutes les Eglises.
Qui est faible, que je ne sois faible? Qui tombe, que cela ne me brûle?
S'il faut s'enorgueillir, je mettrai mon orgueil dans ma faiblesse:
Dieu, le Père du Seigneur Jésus, qui est béni pour l'éternité,
sait que je ne mens pas. A Damas, l'ethnarque du roi Arétas faisait garder la
ville pour m'arrêter. Mais par une fenêtre, on me fit descendre dans une
corbeille le long de la muraille et j'échappai à ses mains.»

Tout cela ne gène en rien le saint dans sa course. Au contraire. Il se réjouit de ce


qu'il peut ainsi ressembler au crucifié et servir à la croissance des siens jusqu'à la
maturité dans le Christ. Avec joie il confesse en 1 Co 4,10:

«Nous sommes devenus fous (aux yeux du monde) à cause du Christ, mais
vous, vous êtes sages en Christ. Nous sommes faibles, vous êtes forts; vous
êtes à l'honneur, nous sommes méprisés,»

Il veut avec cela dire: notre faiblesse et notre respect vous ont procuré de l'honneur
et du respect. Voici le tout Paul, qui veut devenir tout en tous, afin de gagner tous
pour le Christ. Comment il se porte, est pour lui une chose secondaire, si seulement
les autres sont bien portants. C'est pourquoi il peut dire:

«A cette heure encore, nous avons faim, nous avons soif, nous sommes nus,
maltraités, vagabonds, et nous peinons en travaillant de nos mains. On nous
insulte, nous bénissons; on nous persécute, nous endurons; on nous
calomnie, nous consolons. Nous sommes jusqu'à présent, pour ainsi dire, les
ordures du monde, le déchet de l'univers» (1 Co 4,11–13).

La dernière phrase est très significative. Elle indique le sort des apôtres. Ils sont
devenus des ordures et des crachats de tous. C'est ainsi que Paul l'a intensivement
expérimenté dans sa vie. – Chaque vrai apôtre doit envisager un sort semblable. – Et
dans tout cela, l'apôtre, homme à la volonté de fer et à l'intelligence claire, avait un
coeur extrêmement doux et profond. Comme il avait besoin de la fidélité et de
l'amour de ses amis. C'est seulement dans cette atmosphère que pouvait se déployer
toute la richesse de son âme. C'est dans ce sens qu'il est un homme, un homme
complet. Comme il est fidèle à ses relations avec son disciple bien-aimé Timothée.
Comme il reste fidèle à Barnabé, même quand il doit physiquement se séparer de lui
dans l'intérêt de la mission. Il doit avoir en permanence un ami fidèle à côté de lui:
sinon il lui manque quelque chose d'essentiel. Si exceptionnellement il est seul, il
souffre de la solitude et met tout en marche jusqu'à ce que un de ses amis soit à ses
côtés.

Qu'une telle vie d'apôtre doit se terminer avec le crucifié sur la croix, correspond tout
à fait à notre penser et sentir de croyant.

77
2 Une lumière claire tombe de ce sommet de la vie et de l'enseignement pauliniens
sur la vie de notre Famille.

Nous partons de la conviction que la famille peut se concevoir de préférence comme


une épouse, comme une sponsa du Christ.

Réfléchissons alors pour voir ce que signifient les trois mots. Notre vie est une vie de
chrétien, une vie de Marie et d'apôtre. Est-ce qu'alors nous comprenons de nouveau
et de façon profonde pourquoi l'histoire de notre famille doit être une histoire de
souffrance, une histoire de l'«être co-crucifié» avec le Sauveur crucifié!
La vie du chrétien signifie la même chose que la vie du Christ … Et la vie du Christ
n'est pas seulement une vie transfigurée, mais aussi une vie crucifiée. En bonne
justice l'histoire de notre famille doit être une histoire de croix.

Mais nous ne voulons pas seulement mener tout bonnement une vie de chrétien,
mais plutôt une vie parfaite de chrétien. C'est pourquoi nous nous appelons des
Soeurs de Marie, et notre vie, une vie de Marie. Ne s'en déduit-il pas que l'histoire
de notre famille doit être une histoire exceptionnelle de la croix!
Il nous faut et il nous fallait enfin mener une vie d'apôtre. Est-ce que Paul ne nous
a pas montré en paroles et en actes que cela exige de nous que nous nous
confirmions exceptionnellement aux souffrances du Sauveur comme prix d'expiation
pour le salut du monde?

C'est ainsi alors que c'est vrai, ce que nous avons affirmé au début avec nos
considérations: l'idéal de la sponsa explique l'histoire de notre famille aussi bien dans
ses événements réjouissants qu'accablants. Comme notre famille s'est profondément
entregreffée avec le Sauveur dans tous les sens. Est-ce que cela ne doit pas nous
stimuler, de prier chaque fois le Magnificat et le Te Deum? En vérité, nous sommes
une oeuvre choisie par la Providence divine, une famille extraordinairement bénie.

La conviction est d’autant plus profonde de tous les côtés, si nous continuons la
comparaison de part et d’autre – aussi bien dans la vie du Sauveur que dans la vie
de la Famille – et si nous nous laissons imprégner par les côtés ravissants. - - Ainsi
nous avons trouvé un point de repos provisoire pour notre foi et notre amour. - -

Peut-être aussi que ça sera aussi plus facile de faire nous-mêmes des recherches
pour voir comment l’idéal «sponsa» explicite et transfigure notre propre histoire de la
vie future et notre histoire de souffrance. - -

Toutefois il me paraît que ça semble être la volonté de Dieu de terminer maintenant


déjà – au moins provisoirement - la série de conférences. - -

La souffrance s’assimile à la souffrance!


La joie convient à la joie!

78
C’était bien qu’au moment de la souffrance de la famille nous plongions plus dans les
intentions de Dieu. Il faut d’abord qu’il y ait un tournant. – Et après je vous
communiquerai mes joyeuses pensées.

Est-ce que nous pouvons les attendre ? Et quand ? D’abord il faut que le miracle de
l’homme nouveau et de la nouvelle communauté dans le Christ et Marie soit là, c’est-
à-dire le miracle de la vie à partir de l'Inscriptio, alors les autres miracles vont aussi
suivre.

Nous tenons par conséquent le tournant du destin dans la main. Si, avec la bonne
mère de Dieu, nous sacrifions au bon Dieu l’être le plus cher dans le Temple, nous
recevons en retour de Lui - au moins pour un certain temps - l’être le plus cher. Dieu
exige du plus profond de l’âme le plein abandon et dévouement de nous, sans
réserve. Celui qui ne marche pas avec nous ou est seulement suiveur, nuit à la
Famille, réduit son utilité et lui ravit une partie de la bienveillance divine.

Allons! Ainsi nous clôturons les séries:

C’est entendu: Nous restons fidèles!


C’est entendu: Omnia opera mea Regi crucifixio et Reginae et Matri dolorosae!

79
INDEX DES RÉFÉRENCES BIBLIQUES

Ancien Testament Mt 26,64

pages Marc

Cantique des cantiques Mc 1,21-22


Mc 1,25-26
Ct 4,9 Mc 1,32-34
Ct 6,9 Mc 3,20-21
Mc 3,22
Isaïe Mc 3,35
Mc 4,33-34
Is 11,6-9 Mc 7,1-25
Mc 8,15
Mc 8,15-18
Nouveau Testament Mc 8,31-33
Mc 9,30-32
Matthieu Mc 9,32
Mc 9,32ss
Mt 3,17 Mc 10,32-34
Mt 6,9-13
Mt 6,10 Luc
Mt 10,24-25
Mt 10,39 Lc 2,49
Mt 11,3 Lc 2,51
Mt 11,4s Lc 2,52
Mt 11,6 Lc 4,14-17
Mt 11,20-24 Lc 4,18-20
Mt 11,23s Lc 4,21
Mt 11,27 Lc 4,22-27
Mt 12,21 Lc 4,29s
Mt 13,55s Lc 6,40
Mt 14,15-22 Lc 9,58
Mt 14,22-23 Lc 9,59
Mt 14,23-31 Lc 9,59-61
Mt 15,12 Lc 9,60
Mt 15,12-14 Lc 9,61
Mt 16,21 Lc 9,61-63
Mt 17,14-21 Lc 11,1-13
Mt 17,22-23 Lc 11,37-54
Mt 18,21-22 Lc 12,4-8
Mt 19,25 Lc 12,13-14
Mt 19,25-26 Lc 12,15-21
Mt 19,27-30 Lc 12,32
Mt 20,17-19 Lc 12,50
Mt 23 Lc 14,1-6

80
Lc 14,26-33 Ac 7,56
Lc 22,42 Ac 9,6
Lc 24,26 Ac 9,16
Ac 15,1-35
Jean Ac 22,8

Jn 1,26 Lettre aux Romains


Jn 1,35-39
Jn 1,40-42 Rm 6,5
Jn 1,43 Rm 8,39
Jn 2,1-8 Rm 11,33-36
Jn 4,6-7 ; 31-34
Jn 4,31 Première Lettre aux Corinthiens
Jn 4,34
Jn 6,35 1 Co 4,10
Jn 6,44 1 Co 4,11-13
Jn 6,46 1 co 12,4-12
Jn 6,52
Jn 6,60 Deuxième Lettre aux Corinthiens
Jn 6,66
Jn 6,67-69 2 Co 11,23-33
Jn 6,70s
Jn 7,3-9 Lettre aux Galates
Jn 7 – 10 chap.
Jn 7,32 Ga 1,12
Jn 7,45 Ga 2,1-21
Jn 7,45-49 Ga 2,19s
Jn 8,48 Ga 6,17
Jn 10,1-15
Jn 10,17-18 Lettre aux Ephésiens
Jn 14,6
Jn 14,9 Ep 1,4-6 ; 7-14
Jn 15,9-10 Ep 2,13-22
Jn 15,13 Ep 3,4-14
Jn 15,9-10
Jn 15,13 Lettre aux Philippiens
Jn 15,20
Jn 16,2 Ph 1,21
Jn 17,3 Ph 1,23
Jn 18,23 Ph 2,6-9
Jn 18,37 Ph 3,10
Jn 19,7 Ph 4,13
Jn 19,10
Jn 19,11 Lettre aux Colossiens
Jn 21,25
Col 1,24
Actes des Apôtres
Première Lettre aux Thessaloniciens

81
1 Th 2,7s
1 Th 2,18

Première Lettre à Timothée

1 Tm 6,16

Lettre aux Hébreux

He 10,7

Première Lettre de Pierre

1 P 2,4ss

82

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