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Le casse-croûte
Le vieux mit les mousserons dans un panier qu'il passa sous le nez de ma grand-mère en
disant :
- Tiens, Marie, respire ! Hein, ça sent bon ça, hein ?
Il la poursuivit jusque derrière le rideau du lit où elle s'était allée blottir, en poussant de
2
grands rires francs.
- Tiens, tiens, Marie, renifle-moi ça, tu la sens ton omelette pour ce soir, hein, tu la sens !
Il sortit pour tirer un seau d'eau au puits, s'y lava les mains et rentra en disant, l'œil allume
- On va d'abord casser la croûte, les gars. Après, on verra pour le programme des travaux !
Et il se mit à couper du pain comme pour un banquet de vingt couverts.
Assez, assez, cria Marie, tu vas trop en couper, qu'on va en perdre !
- Tu le donneras aux poules, aux canes, aux lapins, au cochon, à la vache ! Pas vrai les
gars ?
Henri Vincenot, Mémoires d'un enfant du rail, éd. Hachette.
-x-
Dialogues de bêtes
Ilsaute sans aucun bruit au bas de la console2.
TOBY-CHIEN, l'arrêtant : Que vas-tu faire ?
KIKI-LA-DOUCETTE : Gratter à la porte et entonner la Plainte du séquestré 3.
TOBY-CHIEN, désignant celle qui dort : Et la réveiller sans doute ?
KIKI-LA-DOUCETTE, embêté : Je chanterai à demi-voix.
TOBY-CHIEN : Et tu gratteras à demi-ongles ? Reste tranquille, Il l'a ordonné en partant.
KIKI-LA-DOUCETTE, hautain : M'ordonne-t-il ? Il me prie. C'est la seule raison que j'aie
de lui obéir, d'ailleurs.
Il se rassoit, en apparence résigné, et bâille longuement.
TOBY-CHIEN, bâillant : Tu me fais bâiller.
KIKI-LA-DOUCETTE : Non, mais tu t'ennuies. (Tentateur.) Tu penses à la liberté ... Une
poule
a pu s'échapper du poulailler, quelle chasse ...
TOBY-CHIEN : Tu crois ?
KIKI-LA-DOUCETTE : Je dis : peut-être. Le terrier du lapin, as-u fini de l'explorer ?
TOBY-CHIEN, agitė : Non ... il est si profond ! Je l'ai creuse hier, à m'y ensevelir ... La terre
collait à mon museau avec des poils de la bête ...
KIKI-LA-DOUCETTE, de plus en plus méphistophélique 4 Tu finiras cela demain ... ou un
autre jour.
TOBY-CHIEN, triste : Pourquoi pas l'an prochain ?
KIKI-LA-DOUCETTE : Qu'est ce que tu as ? Ta lèvre noire et vernie pend d'une aune 5 et
tes
yeux de crapaud miroitent de larmes ... Tu pleures ?
TOBY-CHIEN, reniflant : Non ...
KIKI-LA-DOUCETTE : Console-toi, sensible cœur. Tu trouveras tes plaisirs et tes amis. En
ce
moment même la chienne du fermier 6 croque des os dans la cuisine, pour tromper l'attente
où tu
la laisses, sans doute.
TOBY-CHIEN, atterré : La chienne ... oh !
KIKI-LA-DOUCETTE : D'ailleurs, elle n'est pas seule, le danois7 du garde lui tient
compagnie.
-- X --
TOBY-CHIEN, révolté : Ça n'est pas vrai.
KIKI-LA-DOUCETTE : Vas-y voir.
TOBY-CHIEN, après un bond vers la porte : Non, ça ferait du bruit.
KIKI-LA-DOUCETTE : C'est juste.
Silence morne. Toby-Chien se couche en turban et ferme les yeux parce qu'il a envie de
pleurer.
Son souffle court sanglote tout bas.
KIKI-LA-DOUCETTE, comme distraite, en mélopée presque insaisissable : La chienne ... la
petite chienne ... les os, la petite chienne ... le lapin, le terrier ... le danois, la petite
chienne ... les
os du gigot, le poil du lapin ...
TOBY-CHIEN supporte d'abord héroïquement son supplice, puis ses nerfs le trahissent et il
hurle, tête levée, la longue plainte du chien abandonné : Hôôôôôô6 !...
KIKI-LA-DOUCETTE, du haut de sa console : Tais-toi donc !
TOBY-CHIEN : Hôôôôôôô !! ôôôô ... ôô !
KIKI-LA-DOUCETTE, à part : Ça y est.
Et pendant qu'Elle s'éveille égarée, encore prisonnière de ses rêves, le Chat écoute
patiemment
s'approcher, dans l'escalier, la liberté pour lui, le châtiment pour l'autre.
Colette, Dialogue de bêtes, « Elle est malade »,
C Mercure de France, 1964.
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en se levant de sa chaise.
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. Et puis j'ai mouillé la culotte de quelques grands et
en se frappant le front. Voilà que tu te mets à mentir à ton père
_. C'est vrai ce que je dis, espèce de vieille poule mouillée !
en se fâchant tout rouge. Les enfants n'ont pas à répondre
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-- X --
Ivan Olsen
(Ivan Olsen est le souffre-douleur de son école, car il est ignorant et faible. À la maison,
c'est
pareil, jusqu'au jour où il rencontre une bonne sorcière ... )
Ce jour-là, quand Ivan Olsen rentra de l'école, il trouva son père - M. Olsen - en train de lire,
comme d'habitude, son album de Tarzan.
- Approche que je te vois, grommela M. Olsen en fixant son fils. Tu n'as pas ta culotte
mouillée une fois de plus ?
-Non
- Dis donc, tu n'as pas séché l'école au moins ?
-- Non,
- Hum,. Et qu'as-tu appris en classe ?
- Rien de particulier,
- Qu'est-ce que ça signifie « rien de particulier » ?
- Ben, rien de particulier,
- Mais enfin, tu n'as done rien fait de ta journée ?
- Bof, si. J'ai quand même lu un livre aussi grand qu'un réfrigérateur
- Aussi grand qu'un quoi ?
- Qu'un réfrigérateur, j'ai dit,
enfermé le prof de gym dans les toilettes.
- Bon Dieu !
maintenant ?
-Non !
- Ah, tiens-toi bien !
ainsi à leur parent. Evidemment, M. Olsen avait lui-même oublié comment il
s'adressait à son fils.
- Eh bien, les parents n'ont pas le droit non plus de parler ainsi à leurs enfants !
1 mélopée : sorte de chant monotone
en
4.
« livre » ?
5.
Dans la liste de synonymes proposés par le dictionnaire, lequel peut convenir
6.
7.
8.
EXERCICES
1. Classez ces mots selon l'ordre alphabétique.
doctrine - dictionnaire - dictature -- dupe- dire - déception - dans - diamant -- dictée - diction -
dicton.
2. Même exercice.
ange - anneau - agneau - angle - année - agnostique - anglais - angoisse - annuler - âgé -
anguleux.
3. Vous faites un concours de vitesse avec un camarade pour rechercher le mot « bateau
», votre page de dictionnaire est comprise entre les mots repères : « bâtisse » et « battre ».
Celle
de votre camarade entre les mots : «bataclan » et « bâtir ». Lequel a raison ?
Dans cette liste, quels sont les deux mots les plus proches qui encadrent le mot
liste - livarot - livreur - livret - littérature - lire - limiter - lisser - living - living-room - liane.
Ex. dans une liste qui comprendrait : bouder, bourse, boule, boucherie, bouc, bouton,
bouquiniste et bouche, le mot bouquin serait encadré par boule (avant lui) et bouquiniste
(après lụi).
au mot souligné dans les phrases suivantes ?
- Ce premier vers est simple et direct. Synonymes : franc ? crédule ? simplet ? naturel ?
- Il se mit à consulter le dictionnaire. Synonymes : prendre conseil ? examiner ? suivre
l'avis ?
- Les livres sont enregistrés selon l'ordre des acquisitions. Synonymes : inscrits ? compris
? filmés ?
- Alors il parla gravement. Synonymes : dignement ? dangereusement ? sévèrement ?
Ces phrases sont extraites de copies d'élèves. Le mot (ou l'expression)
souligné(e) n'est pas le mot juste. Le dictionnaire des synonymes donne souvent des
équivalents. Mais ils ne sont pas toujours utilisables !
Récrivez ces phrases, que vous transformerez au besoin, à l'aide des propositions
suggérées.
- Il y avait une femme qui s'appelait Virginie. Elle avait un pied pas normal, car elle avait
eu un accident de voiture.
Synonymes et expressions proposés : anormal - bizarre - inhabituel - déformé - abîmé
- difforme - elle était infirme, estropiée, handicapée.
- Les deux bandits jetèrent la valise, mais comme Rémy ne savait pas leurs noms et leurs
visages, les deux bandits ne purent pas être attrapés.
Synonymes et expressions proposés : ne connaissait
À quelle catégorie de mots appartiennent les mots soulignés ? Dites sous quelle
forme on peut les trouver dans le dictionnaire.
a) C'est l'hiver. b) Les mains aux poches. c) Ses yeux. d) Tous les jours. e) De folles
équipées.
Donnez le temps de chaque verbe souligné, puis dites sous quelle forme on le
trouve dans le dictionnaire.
Durant un bref moment, je crus que la boutique des sœurs Quincampoix s'était volatilisée.
Je ne
voyais que des morceaux de façades, quelques panneaux de ciment ou de briques. Tout le
reste
s'enfonçait dans le coton laiteux de la brume. Puis, il y eut un coup de vent ...
Pierre Gamarra.
larme à l'œil, avait fini par le prendre et l'abreuvait de taloches1 ... On entendait tout le jour :
«
Jacques, tu es un âne ! Jacques, tu es un butor2! » Le fait est que, lorsque le père était là, le
malheureux Jacques perdait tous ses moyens. Les efforts qu'il faisait pour retenir ses larmes
le
rendaient laid. La peur le rendait bête, M. Eyssette lui portait malheur. Écoutez la scène de
la
cruche :
dans la maison. « Si vous voulez, j'irai en chercher » dit ce bon garçon de Jacques.
Et voila qu'il prend la cruche, une grosse cruche de gres.
M. Eyssette hausse les épaules : « Si c'est Jacques qui y va, dit-il, la cruche est cassee,
c'est sûr.
Tu entends, Jacques - c'est Mme Eyssette qui parle avec sa voix tranquille - tu entends,
ne la casse pas, fais bien attention. »
M. Eyssette reprend :
« Oh ! tu as beau lui dire de ne pas la casser, il la cassera tout de même. »
Ici, la voix éplorée de Jacques :
« Mais, enfin, pourquoi voulez-vous que je la casse ?
- Je ne veux pas que tu la casses, je te dis que tu la casseras » répond M. Eyssette d'un
ton qui n'admet pas de réplique.
Jacques ne réplique pas ; il prend la cruche d'une main fiévreuse et sort brusquement
avec l'air de dire :
« Ah ! Je la casserai ! Eh bien, nous allons voir ! »
Cinq minutes, dix minutes se passent ; Jacques ne revient pas. Mme Eyssette commence
à se tourmenter :
«Pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé !
- Parbleu ! Que veux-tu qu'il lui soit arrivé ! dit M. Eyssette d'un ton bourru. Il a cassé
la cruche et n'ose pas rentrer. »
Mais, en disant cela - avec son air bourru, c'était le meilleur homme du monde - il se lève
et va ouvrir la porte pour voir un peu ce que Jacques est devenu. Il n'a pas loin à aller :
Jacques
est debout sur le palier, devant la porte, les mains vides, silencieux, pétrifié. En voyant M.
Eyssette, il pâlit, et d'une voix navrante et faible : « Je l'ai cassée ! » dit-il ... Il l'avait cassée !
Alphonse Daudet, Le Petit Chose.
Un soir, au moment de se mettre à table, on s'aperçoit qu'il n'y a plus une goutte d'eau
-- X-
Un tigre se promenait un jour sur un versant de colline. Il aperçut soudain un petit cerf
tacheté qui broutait l'herbe verte sous les arbres. Le cerf remarqua le tigre et resta paralysé
de
frayeur. Impossible de s'enfuir ! Alors, il fit appel à tout son courage et décida de tromper le
tigre. Il savait que celui-ci n'avait encore jamais vu de cerf de sa vie. Aussi fit-il comme s'il
n'avait pas remarqué le fauve. Il se retourna et continua tranquillement à brouter. Le tigre fut
très étonné : pourquoi donc cet animal bizarre ne se sauvait-il pas ? Il s'approcha et
demanda :
« Dîtes-moi, mon brave, à quoi vous servent ces cornes que vous portez sur la tête ?
- A déchirer des tigres.
- Et, dites-moi, pourquoi avez-vous toutes ces taches blanches sur le dos et sur les flancs ?
» demanda encore le tigre.
Le cerf répondit : « Chaque fois que je dévore un tigre, une tache blanche vient s'ajouter
aux précédentes. Et j'en ai tellement dévoré, que je n'arrive même plus à les compter toutes
».
En entendant ces mots, le tigre prit peur et il se sauva ... Il rencontra sur sa route un renard
à qui il raconta toute l'histoire. Le renard se mit à rire. « Le petit cerf tacheté s'est moqué de
toi », dit-il. Mais le tigre ne le croyait pas et continuait à trembler de frayeur.
« Puisque tu as si peur, dit le renard, permets-moi de grimper sur ton dos, et nous irons
ensemble voir le cerf pour en avoir le cœur net ».
Lorsque le petit cerf les aperçut, il comprit que le renard avait tout raconté au tigre.
Comment
faire pour échapper au danger ? Brusquement, il s'écria de sa plus belle voix :
« Merci, frérot ! Merci, cher petit renard ! Tu m'avais promis hier un bon gros tigre, et je
vois que tu sais tenir parole. Quel tigre splendide tu m'amènes ! Et juste à l'heure du
déjeuner !
À ces mots, le tigre fit un bond et s'enfuit à toutes jambes, non sans avoir au préalable
refermé ses crocs sur le pauvre renard !
Emi Siao (Contes de Chine)
L'école buissonnière
Il y avait longtemps que nous avions entendu sonner deux heures. Il restait bien du
temps encore avant qu'il fût quatre heures et que nous puissions rentrer chez nous, comme
des
enfants qui ont passé leur après-midi à l'école. L'ennui nous prit. Il nous semblait avoir
épuisé
tout le plaisir que pouvait contenir notre corps. La pensée ordinaire qui occupait nos
existences vint nous retrouver ... Gilardin me demande: « Quelle leçon avions-nous
aujourd'hui » ?
Nous avions une leçon de géographie. Nous n'en cûmes pas plus tôt parlé que j'eus
envie de la réciter à Gilardin.
Nous passâmes de la géographie à l'histoire. C'est ce jour-là que j'appris de la bouche de
Gilardin, à quelles dates exactes avait commencé et fini la guerre de Cent Ans : Je n'ai
jamais,
depuis, oublié ces dates.
- Un même sentiment finit par nous faire quitter le lieu où nous étions.
- Si nous retournions à l'école ?
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-
Charles Louis Philippe
Nous en prîmes le chemin. Nous n'osâmes pas entrer, du reste, mais par bonheur, le
derrière de l'école donnait sur un hangar.
C'était l'été, les fenêtres étaient ouvertes. Quand nous fumes auprès du mur, au-dessous
d'elles, nous pouvions entendre tout ce qui se disait dans la classe,
Nous restâmes là, cachés comme des lépreux, mais nous ne perdîmes pas un des bruits du
lieu dans lequel à défaut de nos corps résidaient nos âmes. Nous en scrutions tous les
bruits,
nous reconnaissions des voix qui nous étaient chères et qui étaient celles d'amis, dont un
affreux
malheur nous tenait séparés.
C'est Bonnet qu'on interroge, disons-nous. Que n'eussions-nous pas donné pour être à sa
place ! Et de tout ce qui était dit, rien ne fut perdu pour nous. Quel bonheur que nous ayons
été là
À quatre heures, quand nos camarades sortirent de l'école, dissimulés derrière un mur,
nous les vîmes défiler. Quelle belle journée, ils avaient dû passer ! Et leur visage à tous,
même
celui des cancres était éclairé par une lumière qui nous semblait celle de la science.
Peut-être, pendant cet après-midi, avaient-ils appris des choses que nous ignorons toujours.
Ils
seraient avant nous, maintenant, nous ne les rattraperions jamais.
EXERCICES
Dans le texte suivant, on a supprimé certains termes. Il s'agit ici de reprendre le prénom. Le
choix des reprises est limité. Vous n'utiliserez que : la répétition du prénom ; l'emploi du
pronom.
Il est parfois nécessaire de changer la place du pronom complément (3e personne) : ex. Il vit
David - Il le vit.
(David affronte Goliath, un Philistin dont le peuple est en conflit avec les Juifs à cette
époque,
environ 1000 ans avant le Christ.)
David prit son bâton, __ choisit dans le torrent cinq cailloux bien ronds et les mit dans une
poche de son sac de bergers, puis, la fronde à la main,marcha vers le Philistin. Le Philistin
s'avança, précédé de son bouclier et il arriva près de _. Lorsqu'il vit , il regarda avec
mépris, car c'était un jeune garçon ;__ était roux et de belle apparence. ( ... ) Le Philistin dit
à
.: Viens ici que je te d une en pâture aux oiseaux du ciel et aux bêtes sauvages ! » _lui
répondit : « Tu marches contre moi avec l'épée, la lance et le javelot, mais moi, je marche
contre toi au nom du Seigneur des armées » ( ... )
Goliath s'était avance et venait à la rencontre de
ennemis au-devant du Philistin ._ plongea la main dans son sac, en retira un caillou qu(e)
lança avec sa fronde ._ atteignit le Philistin au front, le caillou s'y enfonça et Goliath tomba
face contre terre. Ainsi,
s'élança et courut au-devant des
_ triomphe avec une fronde et un caillou.
Ancien Testament, Livre de Samuel, 17, 40-50.
-= X -=
L'annonciation
Le sixième jour, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, du nom de
Nazareth, à une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David', et
le
nom de la vierge était Marie. Il entra et lui dit : « Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur
est
1 De la maison de David : de la descendance de David, roi biblique qui régna environ 1000
ans avant Jésus- Christ.
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avec toi. »
A cette parole elle fut toute troublée, et elle se demandait ce que signifiait cette
salutation. Et l'ange lui dit : « Sois sans crainte, Marie ; car tu as trouvé grâce auprès de
Dieu.
Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de
Jésus.
Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de
David,
son père 1: il régnera sur la maison de Jacob 2 pour les siècles et son règne n'aura pas de
fin. »
Mais Marie dit à l'ange : « Comment cela sera-t-il puisque je ne connais pas d'homme 3 ? »
L'ange lui répondit : « L'Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra
sous son ombre ; c'est pourquoi l'être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. Et voici
qu'Élisabeth, ta parente, vient, elle aussi, de concevoir un fils dans sa vieillesse, et elle en
est
à son sixième mois, elle qu'on appelait la stérile ; car rien n'est impossible à Dieu. » Marie
dit alors : «Je suis la servante du Seigneur, qu'il m'advienne selon ta parole ! » Et l'ange la
quitta.
Extraits de La Bible de Jérusalem, évangile de saint Luc, 1, 26-38.
-- X --
Les Poules
Jules Renaud (1864 - 1910) raconte dans Poil de Carotte (1894) les malheurs d'un petit
garçon
persécuté pour ses cheveux roux. Voici le premier chapitre, intitulé « Les Poules ».
Je parie, dit madame Lepic, qu'Honorine a encore oublié de fermer les poules.
C'est vrai. On peut s'en assurer par la fenetre. La-bas, tout au fond de la grande cour, le
petit toit aux poules découpe, dans la nuit, le carré noir de sa porte ouverte.
- Félix, si tu allais les fermer ? dit madame Lepic à l'aîné de ses trois enfants.
- Je ne suis pas ici pour m'occuper des poules, dit Félix, garçon pâle, indolent et poltron.
- Et toi, Ernestine ?
- Oh ! moi, maman, j'aurais trop peur !
Grand frère Félix et sœur Ernestine levent à peine la tête pour repondre. Ils lisent, très
intéressés, les coudes sur la table, presque front contre front.
- Dieu, que je suis bête ! dit madame Lepic. Je n'y pensais plus. Poil de Carotte, va fermer
les poules !
Elle donne ce petit nom d'amour à son dernier-né, parce qu'il a les cheveux roux et la peau
tachée. Poil de Carotte, qui joue à rien sous la table, se dresse ct dit avec timidité :
- Mais, maman, j'ai peur aussi, moi.
: Comment ? répond madame Lepic, un grand gars comme toi ! c'est pour rire.
Dépêchez-vous, s'il te plaît !
- On le connaît ; il est hardi comme un bouc, dit sa sœur Ernestine
- Il ne craint rien ni personne, dit Félix, son grand frère.
Ces compliments enorgueillissent* Poil de Carotte, et honteux d'en être indigne, il lutte déjà
contre sa couardise3. Pour l'encourager définitivement, sa mère lui promet une gifle.
Poil de Carotte, les fesses collées, les talons plantés, se met à trembler dans les ténèbres.
1 De David, son père : de David, son aïeul.
2 La maison de Jacob : Jacob est le fils d'Isaac, lui-même fils d'Abraham. De leur lignée doit
naitre Jésus, selon
les prophètes de l'Ancien Testament.
3 Je ne connais pas d'homme : Marie est vierge, elle n'est encore que « promise » à loseph.
4 Enorgueillissent : le rendent orgueilleux.
5 Couardise : caractérise celui qui est couard, c'est-à-dire lâchement peureux.
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Elles sont si épaisses qu'il se croit aveugle. Parfois une rafale l'enveloppe, comme un drap
glacé, pour l'emporter. Des renards, des loups même, ne lui soufflent-ils pas dans ses
doigts,
sur sa joue ? Le mieux est de se précipiter, au juger, vers les poules, la tête en avant, afin
de
trouer l'ombre. Tâtonnant, il saisit le crochet de la porte. Au bruit de ses pas, les poules
effarées s'agitent en gloussant sur leur perchoir. Poil de Carotte leur crie :
- Taisez-vous donc, c'est moi !
Quand il rentre, haletant, fier de lui, dans la chaleur et la lumière, il lui semble qu'il
échange des loques pesantes de boue et de pluie contre un vêtement neuf et léger. Il sourit,
se
tient droit, dans son orgueil, attend les félicitations, et maintenant hors de danger, cherche
sur
le visage de ses parents la trace des inquiétudes qu'ils ont eues.
Mais grand frere Felix et sœur Ernestine continuent tranquillement leur lecture, et madame
Lepic lui dit, de sa voix naturelle :
- Poil de Carotte, tu iras les fermer tous les soirs.
Jules Renard, Poil de Carotte.
Partie III : DÉCRIRE
Notre maison
Notre maison est construite au bord de la route. Elle est toute neuve. Ses murs sont en
parpaings et sa toiture en tôle ondulée. C'est le maçon du village qui l'a bâtie d'après le plan
fourni par papa. Elle est bien plus solide que la paillote que nous avions auparavant.
Les portes et les fenêtres sont peintes en vert. On a utilisé la chaux blanche pour les
murs, et la chaux jaune pour les poteaux de la véranda.
Quand la nuit est venue, maman allume la lampe Petromax. Bientôt, nous aurons
l'électricité, comme en ville.
A gauche et à droite de notre maison poussent deux grands manguiers, qui donnent ombre
et fraîcheur toute l'année.
Notre propriété est entourée d'une clôture en bambou qui a été faite par papa, le soir
après son travail. Quand la nuit est tombée, et la barrière fermée, nous nous sentons
vraiment
chez nous.
-- X -=
Les Hobbits
Dans ce début du « Seigneur des anneaux », J.R.R. Tolkien présente le peuple imaginaire
des
Hobbits. Vous relèverez, dans cette description, tous les éléments qui donnent aux
personnages un caractère merveilleux.
Ce sont de petites personnes, plus menues que les Nains : ils sont moins gros et trapus,
disons, même s'ils ne sont pas vraiment beaucoup plus courts. Leur taille est variable et va
de 60
cm a 1 m 20 selon notre mesure. Aujourd'hui ils atteignent rarement 90 cm ; mais ils ont
diminué, disent-ils, et dans l'ancien temps ils étaient plus grands. D'après le Livre rouge,
Bandobras Touque (Le taureau mugissant), fils d'Ysengrin II, mesurait 1 m 40 et il était
capable de
monter à cheval. ( ... )
Il est clair qu'en dépit d'un éloignement ultérieur, les Hobbits nous sont apparentés : ils
sont beaucoup plus proches de nous que les Elfes ou même que les Nains. Ils parlaient
autrefois la
langue des hommes, à leur propre façon, et leurs goûts étaient très semblables à ceux des
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hommes dans leurs inclinations ou leurs aversions2. Mais il est impossible de découvrir
aujourd'hui notre relation exacte. L'origine des Hobbits remonte très loin dans les temps
anciens. Seuls les Elfes possèdent encore des annales de cette époque évanouie. ( ... )
J.R.R. Tolkien, Le Seigneur des anneaux,
Tome I : La communaute de l'anneau, 1966,
traduit de l'anglais par F. Ledoux, Christian Bourgeois éd., 1972
Jules Supervielle, L'enfant de la haute mer, Gallimard éd., 1978
Dans ce court récit fantastique, publié en 1931, Jules Supervielle (1884-1960)
imagine une petite fille qui vit seule dans un village sur les flots. Voici son portrait.
L'enfant se croyait la seule petite fille au monde. Savait-elle seulement qu'elle était
une petite fille ? Elle n'était pas très jolie à cause de ses dents un peu écartées, de son nez
un
peu trop retroussé, mais elle avait la peau très blanche avec quelques taches de douceur, je
veux dire de rousseur. Et sa petite personne commandée par des yeux gris, modestes, mais
très lumineux, vous faisait passer dans le corps, jusqu'à l'âme, une grande surprise qui
arrivait
du fond des temps. Dans la rue, la seule de cette petite ville, l'enfant regardait parfois à
droite
et à gauche comme si elle eût attendu de quelqu'un un léger salut de la main ou de la tête,
un
signe amical.
Le jeune Jody, dix ans, héros de ce roman de l'écrivain américain John Steinbeck (1902-
1968), vient de recevoir le plus beau cadeau de sa vie : un poney
Alors Jody restait là à observer le poney et il voyait des choses qu'il n'avait jamais
remarquées
sur aucun cheval, les muscles des flancs lisses et mobiles, les saillies des fesses qui se
contractaient comme un poing qui se ferme, l'éclat que le soleil mettait sur la robe rouge.
Ayant
vu des chevaux toute sa vie, Jody ne les avait jamais observés très attentivement jusque-là.
Mais
maintenant il remarquait les oreilles mobiles qui donnaient une expression, et même des
nuances
d'expression au visage. Le poney parlait avec ses oreilles. On pouvait savoir exactement ce
qu'il
éprouvait à propos de tout d'après la façon dont ses oreilles pointaient. Parfois elles étaient
raides
et dressées et parfois lâches et pendantes. Elles se couchaient en arrière quand il était en
colère
ou effrayé, elles se dirigeaient en avant quand il était inquiet, curieux ou content ; et leur
position exacte indiquait quelle émotion il éprouvait. John Steinbeck, Le Poney rouge, 1945,
traduit de l'anglais
par Marcel Duhamel et Max Morise, C Gallimard, 1946.
-- X --
Peu après, Tom rencontra l'enfant terrible du village Huckleberry Finn, dont le père
Voici un extrait des Aventures de Tom Sawyer qui introduit le personnage de Huckleberry
Finn.
était un ivrogne fieffé. Toutes les mères le détestaient et le redoutaient parce qu'il avait la
réputation d'être paresseux, mal élevé et méchant, et qu'il donnait à leurs fils le plus
mauvais
exemple. Il va sans dire qu'il était l'objet de l'admiration des enfants, qui se délectaient dans
sa société et ne souhaitaient rien tant que de lui ressembler. Comme les autres, Tom, à qui
sa
1 Inclinations : goûts, penchants,
2 Aversions : ce qui est détesté.
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tante défendait formellement de fréquenter Huckleberry, lui enviait sa condition de hors-la-loi
notoire et ne manquait jamais une occasion de jouer avec lui. Toujours en haillons,
Huckleberry
s'habillait avec la défroque des grandes personnes ; il portait un énorme chapeau auquel
manquait la moitié du bord, une veste qui lui tombait sur les talons, un pantalon dont le fond
lui arrivait aux genoux et dont les jambes traînaient dans la poussière.
Il allait et venait entièrement à sa guise. L'été il dormait à la belle étoile, et l'hiver il
passait ses nuits dans un tonneau ; point n'était pour lui question d'école ni d'église, de
maître ni
de professeur ; il allait à la pêche quand il voulait, prenait un bain dans la rivière quand cela
lui
chantait, se couchait à l'heure qui lui plaisait, était toujours le premier à marcher pieds nus
au
printemps et le dernier à mettre des chaussures à l'approche de la saison froide, ne se lavait
jamais, ne changeait jamais de linge, et jurait comme un Templier 1 . En un mot il jouissait
de
tout ce qui rend la vie digne d'être vécue ; telle était dans Saint-Pétersbourg 2 l'opinion de
tout
enfant surveillé et tenu en laisse par ses parents.
Tom héla le proscrit.
- Hello, Huckleberry !
- Hello ! Qu'est-ce que vous dites de ça ?
- Qu'est-ce que c'est ?
- Un chat crevé.
Bonne-maman
Tous les jeudis Simone de Beauvoir va déjeuner chez ses grands-parents ; après le repas
sa
grand-mère - bonne-maman -joue avec elle.
Bonne-maman avait des joues roses, des cheveux blancs, des boucles d'oreilles en diamant
;
elle suçait des pastilles de gomme, dures et rondes comme des boutons de bottine, dont les
couleurs transparentes me charmaient ; je l'aimais bien parce qu'elle était vieille. Elle faisait
avec moi des parties de dominos, de batailles, de jonchets3. J'étouffais un peu dans cette
salle
à manger plus encombrée qu'une arrière-boutique d'antiquaire ; sur les murs pas un vide :
des
tapisseries, des assiettes de faïence, des tableaux aux couleurs fumeuses ; une dinde morte
gisait au milieu d'un amas de choux verts ; les guéridons" étaient recouverts de velours, de
peluche, les aspidistras 3 emprisonnés dans ce cache-pot de cuivre m'attristaient.
Simone de Beauvoir, Mémoire d'une jeune fille rangée, Gallimard éd.
-- X --
Monsieur Poiret
Monsieur Poiret était une espèce de mécanique. En l'apercevant s'étendre comme une
ombre grise le long d'une allée au Jardin des Plantes, la tête couverte d'une vieille casquette
flasque, tenant à peine sa canne à pomme d'ivoire jauni dans sa main, laissant flotter les
pans
1 Templier : membre d'un ordre religieux du Moyen Âge ; on a accusé les Templiers de
proférer des blasphèmes,
des jurons contre Dieu.
2 Saint-Pétersbourg : Ville des États-Unis.
3 Jonchets : bâtonnets de bois, d'os, qu'on joue à jeter pêle-mêle sur une table pour les
retirer ensuite un à un
sans faire bouger les autres.
4 Guéridon : petite table ronde, à pied central unique.
5 Aspidistras : plante verte d'appartement.
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flétris de sa redingote qui cachait mal sa culotte presque vide, et des jambes en bas bleus
qui
flageolaient comme celle d'un homme ivre, montrant son gilet blanc sale et son jabot de
grosse mousseline recroquevillée qui s'unissait imparfaitement à sa cravate cordée autour
de
son cou de dindon, bine des gens se demandaient si cette ombre chinoise appartenait à la
race
audacieuse des fils de Japhet' qui papillonnent sur le boulevard italien.
Balzac, Le père Goriot.
Un jeune chat
Un fil qui pendait d'un vêtement, un bouchon trainant sur le sol, un papier froissé, tout
était prétexte à des jeux qui n'excluaient pas ceux de la grâce. Si les prétextes manquaient,
il les
inventait. Il y avait les coups de patte qui s'accélèrent et se suspendent dans le vide, des
façons
de ramper, de se ramasser en ondulant de l'arrière-train afin de mieux bondir vers une proie
imaginaire ou réelle, des courses soudain interrompues, l'œil rivé vers on ne sait quel
horizon.
Le don de beauté né le quittait pas.
Sa boulimie de chaton perdura 2. Cela nous valut des concerts de miaulements auprès du
garde-manger, et à lui, ce nom de Caruso 3 que lui attribua ma mère.
Louis Nucera, Le kiosque à musique, Grasset éd.
Les coupeurs de lavande
Ce n'est pas beau un coupeur de lavande. Ça sue, c'est mal rasé, ça porte sur le dos,
pendant que ça avance presque à quatre pattes, un ballot qui le fait ressembler à un
escargot, et
ça avance avec deux pattes arrière et deux pattes avant, dont une avec sa faucille de
sauterelle tond
toutes les fleurs en avant ...
C'est un travail assez dur, mais où l'on se sent libre et joyeux même en donnant toutes
ses forces ... Et puis on est dans la vraie nature. On se lève avec les étoiles du matin, on
voit
celles du soir si l'on travaille jusqu'à la nuit. Dans la journée on fait la sieste nécessaire.
C'est
la vie à la campagne, à la montagne, sans être ni paysan, ni domestique de ferme 4.
Georges Navel, Travaux, Stock éd.
-- X -=
Installation
Paul Guth, professeur débutant, vient de louer un appartement dans la petite ville où il a été
nommé.
Quand je vis, du dehors, la maison qui m'attendait, j'eus peur. Elle penchait si fort
qu'elle ne pouvait, me semblait-il, que tomber. Jamais je n'oserais dormir dans une maison
qui penche. Mon collègue Larmet, qui était du pays, m'affirma qu'il connaissait dans la ville
1 Selon ia Bible, Japhet, un des fils de Noé, est l'ancêtre des hommes de race blanche.
2 Dura très longtemps
3 Célèbre ténor italien
4 Les coupeurs de lavande ne sont ni des paysans (exploitants agricoles), ni des
domestiques de ferme (ouvriers
agricoles à temps plein) : ce sont, comme les vendangeurs, des travailleurs temporaires,
des journaliers.
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des centaines de maisons qui penchaient davantage. C'était le charme du Moyen Âge, que
venaient photographier les touristes.
Ma propriétaire aussi penchait. C'était une vieille dame, veuve d'un général. Elle se
propulsait en avant par un déboîtement qui, à chaque pas, inclinait son corps selon un angle
dangereux. Les lois de la pesanteur exigeaient qu'elle tombât. Par un miracle, dont elle ne
semblait pas étonnée, elle restait debout.
Paul Guth, Le Naif aux quarante enfants, A. Michel éd.
-- X --
Réveil dans la brousse
Nous sommes au Kenya, dans la réserve d'Ambolesi. L'auteur a passé la nuit dans une
hutte.
Est-ce qu'il avait tire sur mes paupières pour voir ce qu'elles cachaient ? Je n'aurais pu
le dire avec certitude ... Mais, quand je m'éveillai, je le trouvai assis, très attentif, au niveau
de
l'oreiller, et qui m'examinait avec insistance.
Sa taille ne dépassait pas celle d'une noix de coco. Sa courte fourrure en avait la couleur.
Ainsi vêtu depuis les orteils jusqu'au sommet du crâne, il semblait en peluche. Seul, le
museau
était couvert par un loup de satin noir à travers lequel brillaient deux gouttes : les yeux ...
Quelques heures plus tard, sa présence m'aurait paru naturelle. Sa tribu vivait dans les
hauts arbres répandus autour de la hutte ; des familles entières jouaient sur une seule
branche.
Mais j'étais arrivé la veille, épuisé, à la nuit tombante. C'est pourquoi je considérais en
retenant mon souffle le singe minuscule posé si près de ma figure.
Lui non plus ne bougeait pas. Les gouttes elles-mêmes dans le loup de satin noir étaient
immobiles.
Joseph Kessel, Le Lion, Gallimard, ed.
La métamorphose de grand-père
Le père d'Alex se trouvant « quelque part dans l'Himalaya », le garçon et son grand-père
décident de partir à sa recherche. Ils s'équipent en conséquence.
J'avais emmené grand-père s'équiper au Vieux Campeur1. Grand-père, c'était sans
doute le plus vieux campeur jamais vu au magasin et il avait fait vraiment sensation en
troquant son pantalon elime contre un knicker2 en velours, sa veste etriquee contre une
doudoune rouge vif, son chapeau melon contre un bonnet d'alpiniste, ses lunettes de myope
contre des lunettes de glacier, sa canne contre un piolet et ses pantoufles contre une paire
de
godasses tout terrain. Ah ! oui, il avait fière allure grand-père avec son sac à dos, sa gourde
métallique et sa corde de rappel enroulée à la gaucho autour de l'épaule, sans oublier les
chaussettes de laine rouge qui lui arrivaient sous le genou.
Jacques Lanzmann, La baleine blanche, Laffont éd.
-- X-
1 Célèbre magasin parisien d'articles de sport.
2 Knicker (mot anglais, le plus souvent au pluriel) : pantalon large et court, serré au-dessous
du genou.
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Un poney d'une rare intelligence
Je n'ai jamais vu plus effronté, plus polisson que cet animal. Il était très intelligent, beaucoup
plus intelligent que bien des êtres humains. Liouline savait fort bien se faire comprendre ; il
suffisait de traduire ses ébrouements, ses ruades, ses façons d'éternuer, de siffler, de
souffler.
Il m'en faisait voir de toutes les couleurs, mais n'importe ! Il ne se fachait pas quand je
m'agrippais à sa crinière pour garder l'équilibre. Au contraire ! Il redressait la tête avec
crânerie, l'air de dire : si je n'avais une forêt de poils et si solides, tu serais déjà par terre !
Quand je tombais, il trottait quelques instants, puis revenait sur ses pas pour voir si je ne
m'étais rien cassé. Il tournait autour de moi en piaffant.
- Tu ne peux donc pas apprendre à te tenir sur mon dos, non ? Il est pourtant assez large et
assez rond !
Marcel Schneider, Mère Merveille, Grasset éd.
Le général Dumas
Mon père, à l'âge de vingt-quatre ans, était un des plus beaux jeunes hommes qu'on
pût voir. Il avait ce teint bruni, ces yeux marron et veloutés, ce nez droit qui n'appartient
qu'au
mélange des races indiennes et caucasiques. Il avait les dents blanches, les lèvres
sympathiques, le cou bien attaché sur de puissantes épaules, et, malgré sa taille de cinq
pieds
neuf pouces, une main et un pied de femme.
Au moment où il se maria, son mollet était juste de la taille de ma mère.
Quant à sa force musculaire, elle était devenue proverbiale dans l'armée. Plus d'une fois, il
s'amusa, au manège, en passant sous quelques poutres, à prendre cette poutre entre ses
bras et à
enlever son cheval entre ses jambes. Je l'ai vu, et je ne me rappelle cela avec tous les
étonnements de l'enfance, porter deux hommes sur sa jambe pliée, et avec ces deux
hommes en
croupe, traverser la chambre à cloche-pied ...
A. Dumas. Mémoires.
Ce matin-là, pendant qu'il était assis devant son petit déjeuner, je ramassai la canne
que notre visiteur avait oubliée la veille au soir. C'était un beau morceau de bois, solide,
terminé
en pommeau1. Juste au-dessous de ce pommeau, une bague d'argent qui n'avait pas moins
de
deux centimètres de haut portait cette inscription datant de 1884 : « à James Mortimer, ses
amis
du CCH ». Une belle canne, canne idéale pour un médecin à l'ancienne mode : digne,
rassurante.
Ce docteur Mortimer est un médecin d'un certain âge, à mœurs patriarcales, aisé, apprécié,
comme en témoigne le geste de ceux qui lui ont offert cette canne.
Je pense que le docteur Mortimer est un médecin de campagne qui visite à pied la plupart
de ses malades.
Cette canne, qui à l'origine était très élégante, se trouve aujourd'hui dans un tel état que
j'ai du mal à me le représenter entre les mains d'un médecin de ville. Le gros embout 2 est
complètement usé, il me paraît donc évident que son propriétaire est un grand marcheur.
A. Conan Doyle
1 Boule à l'extrémité d'une canne.
2 Garniture d'une matière quelconque placée au bout d'une canne pour le protéger.
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L'embouteillage
Évidemment, comme chaque fois, à cette heure, l'endroit était bloqué par un
embouteillage. Malgré les efforts de l'agent de police, les voitures étaient, depuis une demi-
heure, immobiles, serrées les unes contre les autres. Bouillant d'impatience, un
automobiliste
finit par monter sur le trottoir et accrocha, sous les imprécations du boucher, une caisse de
volailles. Inquiet, il accéléra dans un affreux miaulement de pneus et, pour éviter un piéton
qui attendait l'autobus, donna un coup de volant, perdit le contrôle de sa voiture, pour
s'arrêter
enfin sur le seuil de la boulangerie.
Tel un serpent à sonnettes, le boulanger jaillit de sa boutique, un balai à la main, prêt à
combattre sans pitié le maladroit. L'agent, arrivant au pas de course, fit reculer les curieux,
chassa un chien qui en avait profité pour se régaler des croissants répandus sur un trottoir
pour
une fois appétissant, puis se retourna vers le conducteur avec un sourire meurtrier.
Le chat et la tortue
« Je ne puis pas rester très longtemps sans parler des bêtes », disait Colette. Il est vrai
qu'elle les
a aimées passionnément, qu'elle a su les observer et les comprendre. Voici le portrait
touchant de
deux bêtes amies.
Pierrot, le chat, et Lili, la tortue, ne se quittent plus. En huit ou neuf années, la tortue
n'a pas dépassé la taille d'une coquille Saint-Jacques moyenne. Elle est vive, plate, l'œil et
l'oreille actifs ... Elle sursaute joyeusement à entendre son nom, et accourt, si elle n'est pas
prisonnière de son cageot. Libre, elle franchit le seuil de son rez-de-chaussée ; puis-je écrire
qu'elle s'élance dans le jardin ?
C'est alors que commence l'angoisse de son chat affectueux qui la rejoint, lui parle, la
repousse de la patte dans le bon chemin. Mais elle est obstinée, et le chat la promène à la
manière dont nous promenons un chien, je veux dire qu'il la suit. Quand elle aborde une
région dangereuse, trop peuplée d'enfants, il se couche sur elle, la couve de son corps
blanc et
noir. Il lui fait croire que l'heure de la sieste est venue, et gagnée par la chaleur de son
compagnon elle se laisse couver.
Hors du ventre blanc pointe la petite tête reptilienne, pavée d'écailles, que le matou
contemple avec amour. S'il quitte, le premier, le cageot commun, Lili la tortue se tient
debout,
appuyée à la paroi, sur ses pattes de derrière, et languit jusqu'à ce qu'une bonne âme la
délivre.
Colette
Le père est un grand homme maigre, habillé de noir, avec un col dur. Il a le milieu du
crâne chauve et deux touffes de cheveux gris, à droite et à gauche. Des petits yeux ronds et
durs, un nez mince, une bouche horizontale, lui donnent l'air d'une chouette bien élevée.
Il arrive toujours le premier à la porte du restaurant, s'efface, laisse passer sa femme,
menue comme une souris noire, et entre alors avec, sur ses talons, un petit garçon et une
petite
fille habillés comme des chiens savants.
Arrivé à sa table, il attend que sa femme ait pris place, s'assied, et les deux caniches
peuvent enfin se percher sur leurs chaises. Il dit « vous » à sa femme et à ses enfants,
débite
des méchancetés polies à la première et des paroles définitives aux héritiers.
Albert Camus, La peste, Gallimard, éd.
20
GRAMMAIRE
Partie I : LA COMMUNICATION
Exercices I
Le petit Nicolas, le célèbre héros de René Goscinny (1926-1977), vient de recevoir un
cadeau du patron de son père, Monsieur Moucheboume : même si ce jeu de l'oie ne lui plaît
guère - il en a déjà un-, il est prié d'écrire une lettre de remerciement.
Bon, m'a dit Papa, prends le crayon et écris.
Je me suis assis au bureau et Papa a commencé la dictée :
- Cher monsieur, virgule, à la ligne ... C'est avec joie ... Non, efface ... Attends ... C'est
avec plaisir ... Oui, c'est ça ... C'est avec plaisir que j'ai eu la grande surprise ... Non ... Mets
l'immense surprise ... Ou non, tiens, il ne faut rien exagérer ... Laisse la grande surprise ...
La
grande surprise de recevoir votre beau cadeau ... Non, là, tu peux mettre votre merveilleux
cadeau ... Votre merveilleux cadeau qui m'a fait tant plaisir ... Ah ! non ... On a déjà mis
plaisir ... Tu effaces plaisir ... Et puis tu mets Respectueusement ... Ou plutôt, Mes
salutations
respectueuses ... Attends ...
Et Papa est allé dans la cuisine1, j'ai entendu crier et puis il est revenu tout rouge.
- Bon, il m'a dit, mets : « Avec mes salutations respectueuses », et puis tu signes. Voilà.
Et Papa a pris mon papier pour le lire, il a ouvert de grands yeux, il a regardé le papier de
nouveau, il a fait un gros soupir et il a pris un autre papier pour écrire un nouveau brouillon.
- Tu as un papier à lettres, je crois ? a dit Papa. Un papier avec des petits oiseaux dessus,
que t'a donné tante Dorothée pour ton anniversaire ?
- C'étaient des lapins, j'ai dit.
- C'est ça, a dit Papa. Va le chercher.
Sempé et Goscinny, Le Petit Nicolas a des ennuis,
Denoël éd., 1964.
Exercices II
1. Retrouver l'identité complète de l'émetteur à partir du texte suivant :
Lucile vient à ma boum le mercredi 28 juin de 14 h à 20 h, chez moi au 19, rue du canal
Saint-
Martin, 3e gauche, puis sonne à l'interphone à Picard, réponds-moi vite, bye, Élise.
2. Voici un texte enregistré sur un répondeur :
Vous êtes bien chez Jacques et Catherine B. Nous ne sommes pas là pour le moment, mais
vous pouvez nous laisser un message après le bip sonore. Nous y répondrons. À bientôt.
Reconstituer les principaux éléments de la situation de communication en remplissant le
tableau
suivant. Que manque-t-il pour que la communication soit établie ?
Emetteur
Récepteur
Message
Communication immédiate
Communication différée