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School of Theology at Claremont

1001 1318614
CARACO

Le désirable
et le sublime
PHÉNOMÉNOLOGIE
DE L’APOCALYPSE

A LA BACONNIÈRE
eologg Libpapg

SCHCCL OE THEGLOGY
AT CLAREMCNT
ornia
1
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4
DU MÊME AUTEUR

INÈS DE CASTRO - LES MARTYRS DE CORDOUE


Deux tragédies classiques parues
chez Édit. Bel-Air, Rio de Janeiro, en 1941

LE CYCLE DE JEANNE D’ARC (suivi d’un choix de poésies)


plaquette illustrée par l’auteur
chez Édit. Arg. A. Quillet, Buenos-Aires, en 1942

LE MYSTÈRE D’EUSÈBE (Prédestination ou libre-arbitre)


Mystère illustré par l’auteur
chez Édit. Arg. A. Quillet, Buenos-Aires, en 1942

CONTES - RETOUR DE XERXÈS


contes symboliques, fantastiques et philosophiques entière: h ent
illustrés par l’auteur
chez Édit. Arg. A. Quillet, Buenos-Aires, en 1943

LE LIVRE DES COMBATS DE L’AME


Recueil de Poèmes
ir mystiques
ri (Prix Edgar Poe, Paris)
chez Édit. E. de Boccard, Paris, en 1949

L’ÉCOLE DES INTRANSIGEANTS (Rébellion pour l’Ordre)


Essais philosophiques - maximes
n n et sentences
chez Édit. Nagel, Paris, en 1952
CARACO
H/

PHÉNOMÉNOLOGIE
DE L’APOCALYPSE

LA BACONNIÈRE
Tous droits réservés. Copyrigh 1952 by
Editions de la Baconnière, Boudry-Neucbâtel (Suisse)
COLLOQUE PRÉALABLE
•— /•
J

Lui : — Ce livre, que vous publiez, de quelles libéralités le


tenez-vous et que voulez-vous entreprendre ? Les bons ouvrages
ne nous manquent
H pas, les autres surabondent. Sera-ce l’un de ceux
que l’on verra naître et mourir,
n fol assemblage de sophismes qui
brillent aux dépens de la lumièren ou multitude
II de ces riens sonores
clamant
II au bénéfice d’un mensonge ? Comment II s’appelle-t-il
d’abord ? —
Moi : — Le Désirable et le Sublime. —
Lui : — Voilà qui n’est pas trop modeste. Le Désirable embrasse
l’univers et le Sublime n’est de nulle part. Mon Dieu, que cela jure !
Le moyen de les mettreII ensemble ? —
Moi : — Aussi s’opposent-ils avec fureur et jusques à la fin du
livre. —
Lui : — Solution boiteuse. —
Moi : — Il n’est pas de solution, il n’est que des problèmes. II

Nos vérités sont provisoires, mais II il faut l’oublier quand elles nous
affectent, puis se le rappeler un autre jour, sous peine d’en mourir.
II —
Lui : — Or, j’aime les commodités. —
Moi : — A votre bienséance ! Mais ne vous plaignez pas si l’on
vous laisse à vau de route. Suivre ou périr, telle est notre devise. —
Lui : — Je vous suis donc. Ouvrons ce livre indésirable, indé­
sirable puisqu’il me
II dérange. Me remuer, malgré
rr mes
n certitudes ! —
Moi : — Vous en aurez de plus nouvelles. Que perdez-vous au
change ? —
Lui : — En premier, n ma
n raison de vivre. —
Moi : — Vos aises ne vous sauveront jamais n de l’évidence. Ayez
plus de courage et tentez l’impossible. —

7
Lui : — Je crains le ridicule et davantage que la mort. Il —
Moi : — Jamais II alors vous ne saurez où le Sublime habite. Que
vous importe la risée de ce monde II ? Ayons plus de valeur que lui
n’a de malice
II ! —
Lui : — Le Désirable et le Sublime et puis dessous : Phé­
noménologie de l’Apocalypse. Fracas de mots ! Qu’est-ce que la
phénoménologie ? —
Moi : — L’art d’étouffer dans l’œuf les mythes ou légendes.
Nous n’en voulons plus désormais. Mieux vaut mourir de leur ab­
sence. Nous les empêcherons de naître. —
Lui : — Et s’il en naît ? —
Moi : — Aucune ne sera viable, où nous ne sommes plus de bonne
foi. Le monde
II a perdu l’innocence, il est mûr II pour les vérités et
fussent-elles désolantes. « Et, s’il faut néanmoins quelques légendes,
les vieilles feront bien l’affaire : elles sont éprouvées et solides, elles
renferment des antinomies II souhaitables et se retournent volontiers
entre les mains
n de qui les fausse, elles travaillent doucement n à sa
confusion prochaine. Avez-vous jamais n regardé ceux qui réclament n

des légendes ? Non ? Mon Dieu ! Préservez-moi n de ces figures !


Des assassins en quête de prétexte ou des folliculaires évirés, puis
une tourbe de marchandsn sagaces. Dignes apôtres ! —
Lui : — Mais il nous manque n un je ne sais quoi d’ineffable.
Cela ne peut se définir, cela ne doit se définir, cela, vous m n ’entendez,

se sent, car c’est un rien, une nuance, une impression n fugitive et


néanmoins déterminante. n' —
Moi : — Et là-dessus vous bâtissez le monde. Avec des nuaisons !
Ce qui nous manque n n’est pas la légende, mais une vision de la
réalité, ce qu’un Français nomme n une Weltanschauung et que j’ap­
pelle I’imago mundi. Je m n ’évertue à vous la rendre. Quant aux

légendes, c’est la consolation des faibles et des abattus, de ceux


que le réel outrage et que la boursouflure a mis n en état de paraître.
Je vous le dis : ces méchants n que nous vîmes
n étaient faibles et ces
bourreaux des couards frénétiques, ils nous passaient leur épou-
vantement,
n ils firent de l’Europe une Assyrie à leur manière. n Nous
n’avons plus de larmes n ni pour nous, ni pour les nations qui la
remplissent : il n’est plus de martyrs, n il n’est que des coupables et
le péché suprême n est de n’avoir pas triomphé. Ces dures lois et
ces maximes
n n effroyables, combien de fois les entendîmes-nous n depuis
des générations ? Voici que d’autres les subissent, eux qui les
avaient à la bouche et croyaient n’en devoir souffrir. Prions pour
tous ces misérables
n et que le ciel nous mette
n en l’impuissance de les
imiter
n !—
Lui : — Doucement n ! —

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Moi : — Qui perd la force, il perdra la saveur et les lumières if lui
viendront à manquerfl infailliblement à bout de voie, il fera même n n

deuil de la véracité, nourri d’illusions et de mensonges, fl toujours


en reste avec ses trahisons, jamais If en possession de s’en démêler, h

lié de tant de nœuds mal II assortis qu’il irait succombant II à la menace


if

de sa liberté ! —
Lui : — Les vaincus de ce monde II n’ont jamais II la ressource
d’être aimables,
II ni même
n h généreux et la noblesse est l’une des pro­
fusions que la nature accorde aux favoris de toutes les batailles.
L’Europe de demain II pourrait-elle le demeurer il ? Quand elle le vou­
drait, en aurait-elle les moyens II ? Puis l’évidence, de nos jours,
est-elle sa complice ? Il faudra bien qu’elle restreigne son domaine II

en des limites
II plus étroites, sous peine de se dépouiller sans inter­
valle, repli trop légitime II et salutaire, encore qu’il la rende moins h

aimable,
ri mais
n est-il bon de s’immoler II
•» ou telle vision et mor-
à telle ri

telle et flatteuse ? Ceux qui chérirent cette Europe lui feront-ils


reproche de se conserver loin d’eux et même n ri plus loin d’elle ? Que
lui demandent-ils
II enfin? Qu’ils tournent leurs regards vers ceux qui
les préviennent et ne l’écrasent pas d’une exigence insoutenable
et que les puissants de ce monde II ont peine à digérer, oui, tant de
peine que, malgréII les étendues dominées et les armées II mises en
bataille, et les ressources incroyables et les prétentions œcuméniques,
ils nous paraissent mainte fois à bout d’haleine et comme 11VII dans
l’effroi de ce qui les exerce ! —
Moi : — Subir l’histoire, je l’entends, n’est pas la faire et toutes
les dimensions se changent à mesure, II il semble que la vie même if ri y
perde une saveur inimitable II et ce goût-là jamais II ne le retrouveront
ceux qui l’avaient perdu. Je ne l’ignore pas : vous y tenez sans le
connaître et vous vous demandez n parfois — et plus souvent que
vous ne le croyez vous-mêmes n n — la raison d’un malaise II sourd, dont
la présence n’est que trop réelle, le double enfin de toutes vos
démarches.
II —
Lui : — Ce double ne nous quitte plus et jusque dans les lieux
de la félicité. Il participe à la liesse et c’est pour l’amortir, poids
captivant les fins et les mobiles II ; l’on n’ose guère le nommer, lui
qui revêt un mille II de semblances, ce double est légion, nul d’entre
nous ne le dénombre plus, car il demeure épuisant inlassablement ri'

qui l’évalue et déroutant qui l’envisage : il est trop familier fi pour


qu’on le tente,I il est trop prévenant pour qu’on le brave, fl est l’in­
time
h le plus dévorant, lui qui nous change à l’ombre ri et nous dévoue
à la plénière inconsistance. Et qui se passerait de lui n’arracherait
que la tunique de Nessus d’une charnure en flammes iiiif ! —
Moi : — Heureux lorsque ce double est la chimère d’une spé-

9
culation ! Le fait des peuples avilis est d’être à la recherche de
coupables. Où le réel, loin de nous seconder, nous entreprend et
nous exerce, nous ne pouvons nous avouer notre impuissance Il et
demandons
II une victime n expiatoire, afin de nous payer du sentiment II

qui nous abîme n et de nous juger forts en tourmentant n plus faible


que nous-mêmes, n H et l’on console ceux qu’on humilie n en faisant de
plus misérables. Et c’est pourquoi l’Europe sera laide à l’avenir,
d’une laideur issue du spirituel et gagnant sur le reste : elle ne sera
plus l’harmonieuse
II ni la véridique, il lui faudra mentir H avant que
de saigner, toujours mentir, II se mentir
II à soi-mêmen H en n’abusant
guère le monde.
il Province de l’humanité, sans rien de plus et le do­
maine
n du vainqueur futur, à qui ses maîtres H iront demander des
bouffons, des artistes et des philosophes, métiers il d’esclaves plus
que de seigneurs. Province de l’humanité, n lieu de pèlerinage pour
les Pausanias énamourés de souvenirs, à charge qu’il en reste et
qu’ils méritent
n le voyage. —
Lui : — Mon cher, votre œuvre ne nous donne pas un art de
vivre, maisn bien plutôt un art de végéter. N’avons-nous pas assez
de malheur en ce monde n ? Nous nous traînons à la poursuite du
réel et l’évidence nous trahit, se cherchant d’autres ports en l’œcu-
n ène. Nous ne savons guère les lieux où le réel abordera, chargé

de gloire et de promesse, mais entendons qu’il se déplace et con­


naissons du moins n les endroits qu’il a délaissés pour n’y plus revenir.
Notre harmonie est un gémissement, n nos populations végètent ou
languissent, nos bouffons passeront la mer n et nos artistes rêvent
de les imiter.
n Quant à nos philosophes, ils nous maudissent it avec
éloquence ou nous consolent en lorgnant ailleurs : ils pensent tous
à Carnéade et cherchent tous la Rome de demain. Nous sommes
destinés à des triomphes n inconnus, nous en serons les ornements n

les plus modestes,


H n’ayant pas même n n les honneurs de la défaite.
Soyons artistes pour nous racheter aux yeux du monde, si tant est
qu’il nous le pardonne. Nous aurons toujours l’esprit de finesse. —
Moi : — Or le Sublime jure avec cet esprit-là ! Les fins n’at­
teignent guère au delà de leurs vœux, jamais II le toit ne cédera pour
eux et jamais II ils ne tomberont en l’altitude, la tête la première. II

Ils charmeront le monde, mais ils le laisseront tel quel, le meilleur


ou le pire, et jamais II Dieu ne les allie à l’œuvre de création réelle et
subsistante. Car la finesse est un empêchement lî n et trop de fois une
limite
II involontaire et, comme elle devine tout, elle ne pousse rien
à fond et la tiédeur la guette au bout de ses vivacités plaisantes.
La pesanteur est mainte II fois la rançon du Sublime et plus un peuple
vole, moins la perfection le fixe, encore qu’il y donne à cent reprises.
De tout cela que reste-t-il ? Des feux qui s’amortissent et de la

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cendre qui voltige. Heureux les pesants de la terre qui marchent Il

sous le poids de Dieu ! —


Lui : — Vous avez juré notre perte et vous nous dépouillez de
nos retranchements
n suprêmes. Nous forcer là, dans le plus fin
de nos lubies inconsistantes, où les barbares nous admirent ! Vous
nous coupez la gorge ! Qui voudra désormais de nos leçons ? Le
moyen d’étonner les sots qui vivent outre-mer et les sauvages de
la steppe ? Vous ruinez tous mes n neveux d’avance. Point de salut,
hors de l’Europe : nous sommes les derniers des Grecs et notre fin
doit entraîner celle du monde.
n Nous le voulons et nous le deman­
dons. —
Moi : — Vous êtes les derniers des Grecs et vous avez passé ce
que l’Asie avait de plus féroce. Quelles leçons ne donnerez-vous pas
au monde ! Je vous souhaite des élèves dignes de vous et de vos
soins. — •»
Lui : — L’égarement de quelques uns. —
Moi : — Et le consentement du plus grand nombre. —
Lui : — L’on se rappellera ce que nous fûmes, n avant l’erreur
des derniers temps. —
Moi : — Il n’est que la dernière image n à faire impression et ceux
qu’elle ne flatte plus ont beau s’ingénier à nous vanter l’antérieure,
le monde ne sera jamaisn tenu de réformer un jugement commode. iiiii

Il ne nous sert de rien d’avoir raison durant un siècle où, l’an d’après,
notre condition ne nous met plus en état de paraître. Il faut payer
de mine et jusqu’à bout de voie. —
Lui : — Et votre livre nous l’enseigne ou je me trompe fort. —
Moi : — Il ne consulte rien qu’il n’entreprenne et fuit l’allure
avantageuse ou le sublime n de parade. Il sait que la grandeur est
souveraine et simple, qu’elle ne se dément jamais et se repose aucune-
fois au faîte de sa précellence : quand l’homme vil admire la conten­
tion et s’émerveille
n sur l’emphase, elle en dissipe les nuées, elle en
dédaigne l’artifice et trompe volontiers les yeux qui la dépravent
en la voulant toujours ailleurs et le plus loin de son emplacement H

inévitable. Ecole de virilité, mais


ii de virilité sereine, prête à la mort
et consentant à vivre, école de mesure n et non pas d’indigence,
école de ferveur et non pas d’agitations allant au paroxysme, telle
est la fin que l’auteur se propose. —
Lui : — Que de merveilles
il dans un livre ! Le supplément n au
pain des Anges ! Tant de morale pour nous achever ! Vous four­
nissez le miel dont on embaumait n les cadavres. Je vais vous faire
un conte impertinent. Que le lecteur me n le pardonne, cela le pourra
délasser de nos discours, lesquels se suivent et ne se ressemblent lî

pas. —

11
FABLE

« La vie semble
II un arbre merveilleusement
II n épais et riche en
fruits de toute sorte. L’entendement vint le dernier. Il mûrit donc
et grossit à mesure,
n en s’indignant de se voir attaché, jugeant
l’écorce rude et les fleurs impudiques,
ri ses compagnons
n véreux et
tout l’arbre un scandale, lorgna les alouettes et les moucherons 9
disant : — Mon âme, n en quel enfer a-t-il fallu descendre ! II
devenait plus gros encore et plus rebelle, tirant sur les attaches
pour les rompre et ne laissant de raisonner : — Non, l’univers est
fait à mon
n image
n et je suis immortel,
mu j’en jurerais ! Je crois en Dieu,
lequel est une gousse verte et susceptible de se fendre, ainsi que ma n

raison l’enseigne, mais que nul arbre ne retient, que nulle sève ne
nourrit et nulle brise ne menace.
n Puissé-je voler jusqu’à l’habitacle
et le divin séjour des âmes n libérées ! — Pendant qu’il extravague
de la sorte, advient un brusque coup de vent : il choit et donne nez
en terre sur l’herbette, ses réflexions s’arrêtèrent là. Le voilà blet,
meurtri
n fort laidement,
ii la proie des géophiles et des mouches.
n »

Moi : — Plaisant morceau,


tt mais
n il ne prouve rien. Dieu ne vous
est pas nécessaire. —
Lui : — Il est constant que, de nos jours, les hommes iiiii d’ordre
n’y croient guère, pas plus d’ailleurs qu’en l’immortalité de l’âme n :
ils en héritent simplement,
n n c’est une affaire de tradition et nous
nous rendons à la messe n tout comme mu à la parade, où l’on défile
sous les étendards. Si nos aïeux avaient choisi l’Islam ou la doctrine
de Mani, les hommes n d’ordre seraient musulmans
n n ou même
ii n bogo-
miles.
iï C’est une affaire de tradition. Les défenseurs de notre Église ?
Ils la défendent d’autant mieux n qu’ils y croient moins.
n —
Moi : — Je crois au Christ par-dessus l’évidence. —
Lui : — Et moi,
n d’abord à ceux qui me u L’enseignent. Eux, du
moins,
u sont vivants ! Et comme iiiii ils se prodiguent ! Sur la doctrine
de l’Église je n’ai pas d’avis et Dieu m n ’en garde, s’il existe ! Brebis,

brebis et foin du reste : je bêle et je dévore. Nous sommes ainsi


faits dans le village. —
Moi : — Il s’agit moins de militer n que d’imiter.
n —
Lui : — On dit cela, mais n que ne dit-on pas ! L’on hu n anise
notre foi et c’est tant mieux,
n nous sommesmu plus à l’aise. —
Moi : — Je vous enseigne le contraire dans mon ir livre. L’obéis­
sance n’est pas tout et la soumission u ne nous doit pas faire oublier
le reste. Le corps où tout s’enchaîne par la tête est sous le coup de
tomber
u avec elle et par sa faute : il vaudrait mieux u qu’il en eût

12
davantage et qu’elles fussent à se dévorer, il en résulterait moins Il

de dommage et l’on n’aurait plus d’embarras à choisir la plus sainte


le jour qu’il serait expédient de saigner sous elle. —
Lui : — On ne se porte pas si mal II d’avoir les mains
II rougies,
il en est même qui les baisent et, de nos jours, le titre de bourreau
légal ou de sicaire assermenté II vaut seize quartiers de noblesse.
Saigner, saigner, c’est pour les autres. L’esprit du siècle, cher ami, II

le Zeitgeist en un mot. n Quant à l’Église, je vous le répète, cela fait


une part de nos traditions, de même n n que la bourrée ou la polonaise,
la gigue ou l’allemande.
n Si votre livre nous enseigne le contraire,
il est séditieux au premier n chef, il nous menace
n dans le sommeil
iiiii

le plus légitime et l’accommodement ii invétéré. —


Moi : — Et J. C. ? — ,
Lui : — Nous L’avons^fait monter n au ciel et nous nous chargeons
de la terre. Nous sommes les Juifs d’à présent et nous tenons rigueur
aux véritables, auxquels nous reprochons d’abord de L’avoir suscité,
puis de L’avoir crucifié, et même n de L’avoir suivi, car si nul Juif
ne s’était fait chrétien dans le principe, il est bien assuré que l’on
vivrait encore plus à l’aise. Nous punissons les Juifs au lieu de nous
embarrasser. —
Moi : — Ce peuple singulier que l’on dépouille en le lui repro­
chant, chez qui l’on n’a cessé de prendre et jusque sur l’autel et
qui paraît de trop aux lieux dont il est l’assurance. —
Lui : — L’assurance ! Nous la payons fort cher, cette assurance-
là, morbleu
n ! Ils mettent
n tout en mouvement,
n n on ne voit qu’eux au
monde, on n’entend qu’eux. Nous leur abandonnons le ciel bien
volontiers, puisqu’ils sont fils de la Maison, mais n qu’ils y restent. —
Moi : — On les appelle le levain des peuples et l’on veut oublier
qu’ils les cimentent
h parfois plus qu’ils ne les bouleversent. On leur
reproche de se mutiner,
ri mais dira-t-on que l’ordre qu’ils ébranlent
repose sur leur tête et leur a fait commandement n n de la toujours
plier ? Ce qui n’empêche
n les vilains et de se rire d’eux quand ils
l’ont basse et de les insulter, dès le moment n qu’ils la relèvent. —
Lui : — Nous haïssons l’Église dans les Juifs et c’est pourquoi
l’Église nous les livre, de peur de saigner à leur place. S’il fallait
qu’on les respectât et qu’elle appuyât leur défense, l’Église tom n ­

berait à rien : pour nous elle est un mal n et cette haine est le remède.
n

La bonne vieille ne l’ignore pas et s’entend merveilleusement n à


ménager
n ses peuples, ses petits payens baptisés, car nous le sommes
tous, à la réserve des illuminés, n des fous et des mystiques.
ri —
Moi : — Je vous sais gré d’être sincère. Et si les Juifs allaient
au Christ ? —
Lui : — Je sortirais de notre Église. Que gagnerait-elle à ce

13
change ? Elle y perdrait ses défenseurs. Tout, plutôt que de voir
les Juifs à mes n côtés ! Ils en profiteraient d’ailleurs pour se placer
en tête. Un pape juif ? Mais ce serait le comble II et la ruine de l’Eglise,
un Chinois vaudrait mieux. ri Un autre Pierre ? C’est déjà trop d’un
seul. Et puis en voilà bonnement H assez, vous m H ’échauffez la bile. —

Moi : — Consolez-vous. —
Lui : — Ma foi, je me il console et nous nous consolons les uns
les autres, nous irons loin à force de nous consoler et n’avons guère
les moyens d’en revenir. Les dieux se taisent et les hommes lllll se re­
muent,
n et les auteurs bien davantage. —
Moi : — Pour nous, du moins, seul le silence est méprisable n et
nos grandeurs se veulent éloquentes, nous devons même n n enfler la
voix et clamer par-dessus les têtes, nous sommes courtisans de la
faveur publique et l’avenir pour nous est une table de lecture,
fût-ce d’ici à mille
n années. —
Lui : — Je vous prédis à tous, artistes et folliculaires, un éternel
oubli d’ici à quelques lustres. —
Moi : — Prophète déplorable ! En quoi l’avons-nous mérité ii ?—
Lui : — Vous êtes des dégénérés, des Byzantins, des imposteurs,
vous vous moquez
n du monde
n et vous vous soutenez de pays à pays,
vous louangeant les uns les autres, fermant H la bouche à qui démasque H

votre fourberie insigne, vous empêchez H les vrais talents de parvenir


et ruinez ceux qui ne vous ressemblent pas, vous formez II une chaîne,
enfin la conspiration du mauvais II goût, de la sottise et des perver­
sités. —
Moi : — Que nous demande-t-on n; ? Que nous reproche-t-on ?
On parle trop de l’art dégénéré, mais n le moyen de trouver là ce qu’on
ne cherche plus ailleurs ? L’artiste n’est que le miroir n du siècle et
lui renvoie une manièreII d’abrégé fidèle, ce malheureux n n’est pas
en cause et n’a puissance de tenter un changement. il Que si nous
vivons à l’incertitude, l’art dépérit, enveloppé dans un remous,
remous
II le combattant
n sans cesse, toujours en peine de ses fins et
toujours égaré, mis n dans le cas de ne jamais s’atteindre et devant
repartir sans intervalle, en ne sachant pas même n n d’où. Mon temps
a l’art qu’il avait mérité,
11 le demeurant
II n’est que feintise, il n’a pas
à charger ceux qui le peignent à sa ressemblance : la faute n’en est
qu’au modèle et le modèle déplorable. Cela ne légitime II pas l’erreur
de tel artiste ou l’indigence de tel autre, mais II si l’inavouable s’en­
hardit et que l’horreur triomphe au point d’affliger nos regards,
l’abus suit de l’infirmité, II non pas de l’insolence et l’harmonie n’au­
rait qu’à paraître : tout se rétablirait à la faveur de ses délectations
prévenantes. Or l’harmonie II exige une conformité II de vues et de li­
mites, laquelle ne peut s’établir, faute de I’imago mundi. Le déclin

14
de nos arts procède là d’un général ensemble If et nous le manifeste
en un redoublement If d’aveux lugubres, fort susceptible d’ajouter
à nos misères — si l’infini supporte qu’on l’augmente II ! — Mais
croire telle ou telle coterie en possession de tuer le Beau me II semble
II

un jugement If digne d’un Iroquois. C’est aussi ridicule que de réclamer


une légende. Redevenez enfants ou soyez hommes H jusqu’au bout. —
Lui : — Redevenir enfants ? Nous sommes III II trop pervers. Être
hommes jusqu’au bout ? Il faut s’incommoder 1111 f outre mesure.
II —
Moi : — Que prétendez-vous faire ? —
Lui : — Nous servir des enfants pour ruiner les hommes. mil Sancta
simplicitas ! Ainsi nous régnerons jusqu’à la fin des temps. Nous
sommes
lilll les suppôts du diable. A nous la terre et toutes les églises.
Non, nul ne nous échappe et J. C. pourra dix mille fois descendre,
Il mourra néanmoins et cé jour-là nous commençons. Petit mystique, II

prenez garde ! Vous êtes notre boucher vivant, après lequel nous
poussons notre batterie. Oui, nous avons besoin de vous, vous êtes
le miroir
II aux alouettes, nous vous respecterons ou nous vous brû­
lerons, cela dépend de l’heure, puis l’on vous canonisera. Tenez-vous
bien, mon jeune ami, II les bigots vous regardent. Tenez-vous bien et
taisez-vous : les vrais mystiques II font silence. —
Moi : — Je ne l’ignore pas. —
Lui : — Alors pourquoi ce livre ? Ce livre troublera les simples. II

Laissez votre imago mundi, le monde II ne veut rien savoir et laissez-


nous les Juifs. Vous parlez d’une certaine Église invisible, n’est-ce
pas ? J’ai lu ces mots affreux dans les dernières pages. —
Moi : — Mon mysticisme n fi n’est pas une fin uniquement et je
mn ’en sers pour mieux rr entendre. —
Lui : — En faire un moyen n de la connaissance et s’élever si
haut pour aboutir à des échelles de valeurs, que dis-je, à tel ou tel
dénombrement il de la nature la plus simple ri ? Vous cultivez le para­
doxe et vous ingéniez à me n surprendre. Et quoi ? Vous consultez
les divins attributs, vous passez par les nuits et l’horreur d’une
double solitude — et la seconde encore plus épouvantable — et
ce cheminement illustre à quoi vous mène-t-il n ? A des ravissements n

muets
n ? A ce fameux n silence qui dit tout et ne révèle rien ? Que
non ! A des commencements de certitude pour la conduite d’un
ouvrage temporel n ! Quelle aberration, mais n elle est singulière et
d’une impertinence sans égale. —
Moi : — Je me if détourne de mes if fins, à dessein qu’elles m’ac­
compagnent
n en la chute. Non, je ne reste pas là-haut. Et qu’a fait
Dieu ? S’est-Il pas engagé dans le sensible ? Je suis le Maître pour
qu’il me n relève et, si je tombe, n c’est par Lui, Lui qui m II ’enseignera

la voie, la voie étrange où l’on est proche de son Dieu sans même II II

15
Le connaître et plus abandonné quand nous participons aux faveurs
manifestes.
11 —
Lui : — Dans quel objet ? —
Moi : — C’est pour vous débusquer. Nous quitterons le siège
des plaisirs divins, à seule fin de vous croiser au bon moment If et
de vous mieux II jeter à bas, de nous précipiter à votre tête et de vous
rompre
II bras et jambes.II —
Lui : — Monter si haut ! —
Moi : — Pour tomber II avec plus de force. —
Lui : — Nous voilà prévenus. —
Moi : — Enchaînez vos raisons, dressez vos batteries et massez II

vos légendes, ô défenseurs de la mauvaise II ivresse ! Nous prierons


pour vous en ne laissant de vous abattre. —
Lui : — Non, non, nous finirons par nous entendre. Vainqueurs,
vous prenez notre ressemblance. fl Vous en avez déjà le ton. Nous
égorger ? A quel profit ? Pour les beaux yeux de ceux qui nous re­
gardent ? Nous partagerons le domaine, il est assez de place et le
pays si large et les esclaves légion ! Nous sommes lllll dignes l’un de
l’autre. Accommodons-nous
n aux dépens du reste, allons nous em­
brasser, ils nous applaudiront. Ah ! quel spectacle, mes 11 amis
If !
Quelle alliance indéfectible en l’au delà du Bien comme fl du Mal !
Jenseits von Gut und Bôse ! Nous y joindrons les plus fameux II de
vos mystiques,
n c’est proprement ri leur carrefour, nous serons tous
mystiques,
fi élus de la nouvelle enfance et les mignons il de Dieu,
Dieu pur néant sans âme il ni frontière. —
Moi : — Pas d’alliance ! La guerre ! —
Lui : — Vous ferez provision de palinodies et vous les chanterez,
oui, toutes, car le réel déroutera vos conjectures. Régnez et vous
serez mis n dans l’alternative ou de vous démentir H ou bien de vous
démettre.
n —
Moi : — Or, nous ne voulons pas régner, nous resterons derrière
le rideau, nous ne voulons pas triompher, II car nulle vertu n’y résiste :
nous serons là pour consoler les justes abattus et menacer leurs
victimaires.
If S’il y a cinq personnes dans une maison, II N. S. est venu
pour les opposer trois contre deux, deux contre trois et puis chacune
au profond d’elle-même. fi Voilà notre mesure et nos ambitions. If —
Lui : — Je me n fais une loi de les trouver mauvaises. II —
Moi : — Nous vous déchirerons sans intervalle, les gardiens du
remords,
II les nourriciers de la divine incertitude. Voilà notre pou­
voir, celui qui marquera les âmes, II et c’est la tâche de l’Église, de
l’Eglise invisible et véritable qui jamais II ne se manifeste,
II à moins
que Dieu ne l’institue en nous abolissant. Le ciel nous garde des
puissances et des privilèges ! —

16
Lui : — Courage ! Nul n’ira si loin que vous, mais n vous en re­
viendrez comme h tant d’autres. —
Moi : — Et nous repartirons sans cesse. Nous serons pauvres,
méconnus,
n obscurs, invulnérables et présents. —
Lui : — Quelle humilitéH formidable ! Plus vous serez modestes,n

plus vous serez avides. Dix mille H exemples le démontrent.


il —
Moi : — Il suffitn d’un qui les traverse. En quelque lieu du monde,
en quelque temps du monde, un homme iT sera touché par la grâce,
un hommeniii aura la pleine connaissance, un homme n verra ce qu’il
est permis
n de voir et, tant qu’il vit dans le silence et le mystère,
le Mal est bravé dans sa force, et tant qu’il vit et qu’il respire il est
un point de l’univers où Dieu réside avec Ses légions. —
Lui : — Cela vous fait-il une belle jambe n ? Nous les y laisserons
tous deux et n’en vivrons' pas moins. —
Moi : — Vous en avez menti. n Ce point vous embarrasse plus
que l’univers ne vous contente, il empoisonne votre joie et tire à
lui ce qui vous fonde. On ne possède rien, manque n de ce point-là. —
Lui : — Je fais donc vœu de pauvreté. Allons, vous percez les
nuages ! —
Moi : — Craignez ma n chute ! —
Lui : — Je me n rétablirai. Comme de juste, on ne meurt IT pas d’être
un peu foudroyé. Nous nous valons, mon n cher, car si vous l’emportez,
vous devenez pareils à nous, sinon vous êtes inutiles. Vos précellences
ne résistent pas à votre domination et vous mourrez toujours d’avoir
eu l’avantage. Ou vous dérogerez à la promesse n ou nous nous char­
gerons de vous anéantir sans faute. Pour que la vertu règne, il faut
que l’homme saigne et l’homme n’en a cure. —
Moi : — Jusqu’à la fin des temps... —
Lui : — Nous lutterons ensemble. —
Moi : — Je suis le Bien. —
Lui : — Et devenez le Mal du simple n n ’avoir tenu tête. —
fait de m
Moi : — Le Mal, c’est vous. —
Lui : — Le titre n’est pas méprisable
n et le meilleur
n du monde
ri

dans mes
n intérêts. —
Moi : — Je vous le cède. —
Lui : — Et moi, je m ïï ’en contente. Dieu me n préserve d’être fier
et de briller à mon dommage n ! Gardez votre prérogative et ce fameux n

emplacementii où Dieu réside avec Ses légions. —


Moi : — Nous lutterons ensemble. —
Lui : — Cela vaut mieux n que de périr d’ennui. Le Mal n’est
pas fâché qu’on lui résiste et le moyen de faire violence à qui bat
la chamade
n ?—
Moi : — Le Bien non plus d’ailleurs. Nos lecteurs ne seront-ils

2 17
pas déçus ? Ils aimeraient
H nous voir finir cette querelle, mais tant
qu’il est des hommes et qui pensent, les débats resteront ouverts,
les solutions provisoires, les fins des accommodements
n n boiteux et
les mobiles des prétextes. Qui cherche le repos se voue à l’esclavage
et qui ne veut agoniser en l’altitude est l’objet du mystère
II au lieu
d’en être en plus le sujet et l’accord. Honneur à qui se gagne au delà
du mobile et de son immobilité ! —

18
LIVRE PREMIER

DU SIÈCLE D’A PRÉSENT

L Allure de
I l’histoire Le siècle d’à présent ne veut plus de
légende, l’histoire y file si bon train que
nous n’avons puissance d’en former,II le temps
II s’y précipite en un
remous
II jamais semblable à ce qu’il n’aura cessé d’être et nous
nous perdons au milieu
II de tant de mouvements
ii n de fuite que l’ana­
lyse en est une imposture et la plus signalée : à peine telle ou telle
ébauche se dessine-t-elle que des ellipses la remplacent, nous tenant
lieu de ce qu’elle n’avoue, où tout menace
II de se déclarer et n’aboutit
qu’à se reprendre. Nous vivons en retard de quelques définitions
et comme en un suspens multiplié
n par tant de solitudes, comme lllll

en un heu fait d’un amasn d’absences, comme en un vague issu d’un


nombre incalculable de linéaments,
II comme
II en un vide regorgeant
de démesures.
II

II. Figure de l’espace L’immensité nous fuit, l’immensité


Hiii nous
abandonne et tout l’espace n’est que
souvenir, le monde qui nous parut vaste est devenu la prison de
l’espèce et l’heure n’est pas loin que nous étoufferons d’y vivre.
Il ne nous reste qu’à le transformern en tirant le meilleur
ir des fonde­
ments
n que l’on délaisse, il n’est pas convenable de tout subvertir,
il n’est pas sage de tout préserver. Si l’homme n est l’être le plus
n alléable, il n’est pas nécessaire qu’il l’entende et nous devons le

changer en douceur, vu qu’il n’agit qu’en s’estimant n invariable :


il nous faut muer l’homme n avec le monde et jamais
n l’un sans l’autre,
visant à l’harmonie,
n laquelle est l’ordre avec l’état de grâce indis­
solublement liés.

19
III. État des lieux Le siècle d’à présent a mis U nos règnes en
balance et nous ne pouvons rien sur lui, bien
qu’il nous doive toute chose ; il n’est plus temps de pallier ce qui
ne souffre de remède,
II où l’univers a joué ses limites.
II Le monde est
clos, nous sommes entre nous et destinés à nous subir mourants,
vivants, inexorables. Au reste, la fatalité n’a-t-elle pas changé de
camp? n’est-elle pas entre nos mains? n Un acheminementII de tant
de siècles nous y mène II et s’emploie
n à nous y fixer qu’il ne subsiste
que l’espoir de demeurer en place, mais tout se meut II en dépit de
nos soins, tout se déchaîne en le recoupement n des suites insensibles,
les révélations mises
n en branle et les mystères
n éventés, puis de
nouveaux mystères
n nous assiègent de plus loin, l’espace vire à
découvert et les abîmes n s’y déversent. Au milieu de ce monde
II clos,
à qui nous sommesliai i entravés, les vastitudes s’ouvrent et les yeux
s’y plongent : des îles, des enrochements ii saluent les navigateurs,
des promontoires souverains, et l’âme n bondit en son au delà tissu
de normes
n amovibles,
n les regards fouillent les étoiles violées, de
lumineux enlacements n se trouvent pris dans un filet de chiffres et
les systèmes
II les plus écartés avolent du chaos pour se ranger aux
lieux que nos dérives leur assignent.

IV. Invention de notre solitude II est patent que de nos jours


l’homme
iiiii a redécouvert la solitude
et s’ingénie à la peupler, mais
n il est manifeste qu’il s’en tire mal n et
trop souvent à son dommage, où creusant les motifs dans les matières n

décidées, il ne parvient à s’établir, ne se confirme n nulle part, ne table


sur nulle assurance à couvert du litige et qu’il est seul face à lui-
même,
n aux autres comme à l’univers, seul, destitué de pouvoir et
n’étant rien, hormis
n ce qu’il possède. De là le général désir de combler
un esseulement
n irréparable, à quoi s’ajoute l’émulation de percer
un chaos de lois et de systèmes, n l’homme n étant le plus démuni,
sans laisser d’être le plus riche, encore que son opulence, ne lui
donnant accès auprès de ce qu’il en espère, lui soit éminemment iiiii

à charge. Le monde informe où nous nous remuons n étouffe nos


murmures,
n n il nous enseigne cependant qu’il n’en est d’autre à l’avenir
et qu’il faut ramper sous le joug, les vieilles fascinations se meurent
à l’épreuve et l’homme, investi d’antithèses, en vient à trancher
ce qu’il ne dénoue plus. Nul ne l’éclaire sur des intérêts dont il est
évident qu’il ne discerne pas l’affirmative,
n on l’engourdit, on l’as­
soupit dès le momentn qu’on ne l’exalte point et met n en œuvre des
ressorts tenant à ce qu’il a de plus couvert, on le dépouille de son
naturel et s’insinue dans les fibres de sa contenance, on prend des

20
sûretés qui le ravalent, on l’investit, on le retourne, on fait justice
de sa volonté, le voilà prêt à nous servir, nous, les dépositaires de
son âme, et nous en état d’abuser d’elle et de lui, formantH notre
demande
II en règle.

V. La solitude légion Que d’hommes qui se cachent ! que


d’hommes qui se taisent ! que d’hommes llill

méconnus en l’ombre de leur prince ! Et qui ne les ignorerait et


dès l’abord ? et qui ne tremble face à tant de solitudes ? et s’il
avait à les juger, à donner à chacun à la mesure II de ses œuvres,
que ferait-il ? que ne ferait-il pas ? A-t-il ressource de se mettre II

en branle et de les dénombrer, afin de les connaître ? Il n’aura


d’autre issue, à bout de voie, que le mensonge
n ou la subversion,
que l’arbitraire ou le chaos et parfois seulement
n un lustre d’harmonie,
reflet de la divine empreinte. Qui parle de justice où tout n’est
qu’à la force et l’œuvre la plus haute a besoin de martyrs H et de
martyrs
il involontaires ? De qui se raille-t-on ? Mais que sauver
d’abord et le moyen
n de porter assistance à qui retombe en l’aber­
ration où nos secours lui viennent à manquer
ri ? Et que devons-nous
à tous ceux qui vivent au jour la journée et, mis n en état de prévoir,
n’ont voulu consentir et s’en déchargent sur nous-mêmes, n ti qui mul­
tiplient en leur indigence et peuplent l’univers de malheureux
n qu’ils
abandonnent à nos soins ? Avons-nous à les consoler et puis de quoi ?
De leur indignité ? de la malice
n de ces gouvernants qui les engagent
à persévérer à seule fin d’en envoyer des milliers
ii à la mort ? Que
savons-nous ? que pouvons-nous et que devons-nous entreprendre ?
Nous demeurons saisis. Et quelles règles invoquer face à la démesuren ?
et quel exemple ? et quel passé dont l’héritage ne soit inutile ?
Voilà le point où nous en sommes : il n’est de fuite qu’en avant.

VI. Triomphe de la mort Un peuple multipliant


u sans mesure
n est
dans le cas de mériter
n un châtiment
n

sévère et se condamne à mourir


n plus nombreux. Le siècle d’à présent
est sujet à la frénésie et nul n’entend rester sur les arrières, on
craint de n’être pas assez si l’on ne se déborde et chaque vide appelle
un nombre immense immensément accru de mille ii parts ; l’on fait
la sourde oreille à qui nous vante les retranchements indispensables,
mais l’on accuse telle ou telle nation de n’être pas assez infortunée,
à cause qu’elle est raisonnable, et la jalouse avant que de la menacer
du surplus de ses propres gens qu’il aurait mieux valu laisser au
fond des limbes.
ir Les religions veulent des adorateurs, les gouver-

21
nants de la milice
H et d’autres même
if ri des esclaves, l’on pousse d’un
commun accord à ces manœuvres
II inconsidérées, le flot des misérables
if

nous va submergeant,
H des continents entiers s’épuisent vainement n

à les nourrir et, faute d’un soulagement,ii implorent


il qu’on les saigne
d’abondance. Le siècle d’à présent n’est qu’à la mort et c’est pour
la magnifier
n que les vivants se multiplient.
lï Nous n’achevons de
lui vouer les innombrables naissant parmi nous et la muette il ne se
rassasie, nous pensons l’étouffer, maisII elle nous désole.

VII. Temps de l’enfance Nqus sommes II rendus à l’enfance et


dépouillés de ce qui nous appuie, où
tout nous semble de ressource et nulle chose de secours, et malgré
la profusion n’est-ce pas là la marque II de notre indigence ? Nous
sommes pauvres au superlatif, nous devons obvier aux suites de
nos gains, nous prémunirII contre la violence de nos lois et, triomphant
du monde, envisager le pire au sein d’une fatalité nouvelle, fatalité
dans un degré plus éminent If que celle de nature et moins sujette
à nos emprises, vu qu’elle nous demande II de nous diviser et contre
nous d’abord : il ne nous reste qu’à nous affranchir de nous et l’uni­
vers nous sera doublement If soumis.
il Or, nous manquons
II de voies et
de mesures,
II et consultant les moyens en usage ou les lumières de
la foi reçue, il nous paraît que les difficultés reviennent, les éléments
de notion ne nous tirant de l’impuissance II ou produisant quelque
dérèglementII en nos ouvrages, bien qu’ils prétendent à nous éclairer.
Nous vivons sous le charme II et nous ne discernons de biais. Nous
sommes,
fl dis-je, rendus à l’enfance, à l’innocence non, ce qui ren­
verse l’appui le plus ferme II et déconcerte les menées des hommes
trop malicieusement
II enclins à nous donner le change et qui s’ap­
pliquent à nous abêtir sous le manteau ii des fables prévenantes.
L’on voudrait que ce temps n fût derechef à la mythologie, mais
notre espèce a découvert bien des pays et rompt souvent les pièges
qu’on lui dresse, la foi se double d’une foi mauvaise II et jamais
II la
simplesse ne l’éclaire. On nous enferme II en l’innocence et nous astreint
à l’ingénuité, l’on en fait son étude, l’on rêve de nous changer au
troupeau, de nous mener fl à reculons, de nous alimenter If de fraudes
et d’énigmes.

VIII. Temps de la servitude Où sont les maîtres


II légitimes
II ? On
séduit nos enfants qu’on ôte à leur
famille,
II on les déprave et l’on dispose de leur âme
II encore généreuse
à seule fin de les précipiter à la rescousse de l’abus, ils meurent
H à

22
foison pour le salut des parricides, ils meurent
Il aveuglés en martyrs
méprisables, on les attache agonisants sur une croix mauvaise. Où
sont les maîtres
II légitimes
H ? Nous nous vengeons pourtant de nos
bergers indignes, nous les avilissons, les obligeant à se produire,
ils se remuent sous nos yeux, ils nous caressent et nous flattent,
ils se conforment
•I à nos goûts et les préviennent d’industrie, ils iront
même
II se prostituer et, morts, nous violentons leur dépouille. Si
notre vie est un enfer à cause d’eux, nous le leur payons de retour
avec usure et profanons l’Olympe II de ces dieux immondes. Le bel
ouvrage et comme II il nous honore ! Où sont les maîtres
n légitimes
H ?
Nous languissons après les justes lois et ceux qui les défendent.
Où sont les maîtres
II légitimes ? Qu’on nous les restitue ! A quoi
se peuvent-ils connaître ? A ce qu’ils nous chérissent malgré H

nous, nous aiment invinciblement et sans nous cajoler, nous


servent et ne le proclament II pas à son de trompe, ayant notre
aise en vue et davantage que leur lustre, et qu’ils négligent de
nous étonner. Je le demande II à tous : qui nous affranchira des
bateleurs ?

IX. Néant de l’imposture Nous trempons assez généralement II

dans l’imposture et qui se met en peine


de nous éclaircir ébranle notre assiette et, loin de mériter notre
faveur, nous incommode
IIIII avant de s’attirer nos foudres. L’on ne
réprouve le mensonge qu’en peinture et vit très doucement n sous
sa tutelle ; les vieux régimes
n sont les complaisants de notre liberté,
bien qu’ils n’en parlent guère, ils s’ouvrent à nos prévenances,
ils ne se ferment point à nos abouchements, il ils ne promettent
rien à vue d’œil et nous demandent
ii peu de chose, leur bonne
foi n’est que prudence et leur malice
n la plus émoussée. Qui se
propose de confondre l’imposture est dans le cas de nous la
rendre chère et ses vertus nous payent mal il de nos dilemmes
iiiii :
il vient, il nous arrache à l’indolence la plus douce, il nous oblige
à tout reprendre et fixe nos désirs mollementn. n dans le choix
balancés, il en dispose pour ailleurs, il désenchante, il donne des
soupçons à qui ne prendrait de l’ombrage et, d’inventaire en
inventaire, il nous exerce et metn le fer à la racine. Auparavant,
nous étions libres de nous tirer d’embarras
n et l’on n’avait souci
d’une gouverne lâche et paternelle, armée n' seulement de faux rem ri ­

parts que l’on feignait de craindre en n’y laissant d’ouvrir un


mille
n de passages. Au siècle d’à présent, nos droits en l’air se
sont multipliés
n de telle sorte qu’ils nous emprisonnent et que
la liberté n’est plus à notre usage.

23
X. Nouveaux despotes Les peuples d’aujourdhui n’estiment guère
ceux qui les régentent noblement,
n j’en­
tends qui leur faisant du bien n’y mettent
il de la complaisance, mais
it

souffrent tout de ceux qui n’en dissemblent point, qui les oppriment
n

même
n n à charge de les rassurer : ils prisent davantage une manière
de tyrans à leur mesure
n que des saints qui les ignoreraient en ne
laissant de les servir.

XI. Misera plebs


I II paraît bien que de nos jours l’empire
H est dans
le train de choir entre les mains du peuple,
lequel relève notre tiers état, lui-même n ri usurpateur de la noblesse.
L’avènementII du dernier ordre, de la misera plebs, a lieu de tirer
à des suites générales en possession de marquer n les lettres, l’art et
tous les modes
n de pensée, outre les formes
n de la vie et nous serons
témoins
n d’un change en profondeur gagnant sur l’œcumène. II Les
maîtres
n sont pour l’ordinaire à la semblance des conditions : du
temps de la noblesse ils se moulaient sur elle et fussent-ils venus
d’ailleurs ; après le siècle des lumières,
II les souverains descendent
de leur trône et se composent l’air le plus bourgeois, mais II à cette
heure il faut se ravaler et tellement que l’on se vante d’être issu
de rien et s’encanaille à perdre haleine : on voit des princes fiers
de commander
iiln sous quelque rustre en portant sa livrée, l’élite d’une
nation se travestir et soulever la plèbe, de peur qu’elle ne la renverse ;
on voit les maîtres
n au balcon flatter le monstre à mille il têtes, lui
demander
ii l’investiture et légiférer en son nom, descendre même n u

dans la rue et danser et se donner en spectacle ; l’on a vu tout cela,


l’on verra mieuxn encore et sans mentir,
ii c’est l’air du temps avec
lequel il nous importe
n de nous conseiller et c’est l’allure à prendre
ou le régime à suivre, de bonne ou de mauvaise n' grâce.

XII. Les riches de demain


n L’on parle d’abaisser les riches, mais
n

l’on oublie que les maîtres


II qu’on se
donne auront de quoi les égaler et le pouvoir a ses délices. Mieux
vaut un riche démuni
II d’empire ou le devant à la séduction que les
puissants de petit lieu dominant
II' à leur guise et disposant de toutes
les ressources : est-il croyable qu’ils s’en privent à la longue et qu’ils
n’achèvent par se faire un sort ? Nous aurons d’autres riches,
désormais, devant lesquels nous semblerons II de misérables
n serfs
dénués d’armes.
H Nous nous raillons de l’opulence mal n gardée, à la
merci d’un général assaut, mais ii nul n’a murmuré
n; n contre l’usage
d’une force sans limites,
II de même n qu’on ne se rebelle plus en face

24
des fléaux de la nature. Le siècle d’à présent a besoin de fatalité,
lassé qu’il est de se choisir : il la demande à ceux qui le modèlent
Il

et leur accorde tout le reste, à charge qu’ils l’en puissent exempter.

XIII. Prestige de l’égalité L’égalité métaphysique


II est un non-
sens dans la rigueur des termes. Si
l’on se contenait dans les limites II les mieux ajustées, l’on en ferait
son deuil sans trop de peine, mais c’est un changement II que nul
n’opère et l’on adhère sciemment lllll à l’équivoque en ne laissant
d’appréhender les dérivations : or, les effets répondent de la source
et l’on a tort de chanter la palinodie en déférant à l’abus manifeste. II

Et le moyen de soutenir l’illusion et l’embarras, II où l’on s’engoue


des beautés de l’une et maudit
II les rigueurs de l’autre ? Voilà bien
les prestiges de la fable et les attraits de la métaphysique, II mais
nous les payerons un jour en y laissant plus que des mots, II car ces
mystères parlent pour la galerie. Il est plus généreux de dissiper
l’erreur que de la maintenir
II en obviant aux légitimes conséquences :
ou nous nous refusons ou nous prenons le tout en charge et qui se
joue à la suréminence du principe a l’obligation de servir la querelle,
enfin de se démettre.
II L’on eut d’abord le privilège d’immortalité,
lequel fut du ressort des maîtres et des rois, l’on étendit ce privilège
aux postulants les mieux
II doués, puis ce devint une façon de droit
qui se rendit universel et parut même II II une évidence imaginaire, l’on
parla gravement de cette mort II qui nous fait tous égaux et de ce juge­
ment
H où les monarques tremblent et les gueux sont exaltés, puis, la
foi s’éventant, l’on voulut retenir ces rêveries agréables, les préve­
nant dès ici-bas par une convenance naturelle. Avouons toutefois que
l’on eût pu changer de spéculations en d’autres siècles, donner dans
la migration
n des âmes
n p. ex. lequel est un principe rassurant et justi­
fiant l’inégalité de point en point, mais n à cette heure nos délais
expirent, nos raisons tombent ii et nos théorèmes, l’enchaînement
entre en effervescence et, faute de remèdes, ta nous cédons à l’orage.

XIV. Menace de l’égalité L’égalité métaphysique


ri emporte l’autre
et fût-ce au bout de générations, voire
de siècles ou de millénaires,
ri' l’histoire nous le montre
II bien et l’âge
où nous vivions l’illustre : elle est une menace
il suspendue et qui
s’augmente
ri en l’ombre, insidieux mélange
II duquel nos machinations
n’épuisent la fécondité, la fin promise et le commencement
ri II en l’ab­
solu nouveau qu’elle établit nous signifiant la sentence. L’on con­
jecture volontiers qu’elle s’achève en une impasse et se promet ri' de

25
longs atermoîments
II avec le dessein de l’y retenir, mais
Il elle s’en
évade et nous astreint à des manœuvres
n plus ardues qui nous ré­
duisent insensiblement
II à la mauvaise
n foi. Nos menteries ont beau
se redoubler, nous végétons dans une alarme II ruineuse, apologistes
morfondus et plus cruels que l’adversaire où nous nous savons plus
injustes, nous rendant monstrueux de peur de nous sentir coupables.
Qui nous seconde se déprave et qui nous innocente se détruit, nous
sommes
II au détour suprême
II et notre domination touche à sa fin.

XV. Défense des heureux Fait digne de remarque


II et d’épouvan-
tement,
II les pires forfaitures de ces
temps sont l’œuvre d’hommes éclairés, issus de parents honorables,
nourris souvent dans une aisance générale et désireux de préserver
l’acquis, au prix d’atrocités sans nombre ni mesure,II ayant pour
commensaux
IIIII des gens de petit fieu que leur bien-être a fascinés et
qui, loin de les jalouser, leur prêtent l’appui véhément II de leur
fureur désemparée et de leur crainte ambitieuse, affreuses gens
que la misère
II affole et mue
II en monstres
n douloureux, âmes damnées
des conservateurs et, malgré leur ignominie,
n1 moins
n redoutables que
les riches leur donnant l’oreille, à cause qu’ils sont tourmentants
ii i

et tourmentés,
II martyrs
II à leur manière
II et que les riches sont des
monstres tièdes.

XVI. Dilemme
IIIII sur l’humain
II Que le partage de ces temps est de
nous engager dans un dilemme iiiii sur
l’humain,
II lequel est toujours de saison, toujours ouvert, mais n dont
les constellations se changent à mesure II et dont l’appel ne souffre
de retardement,II dilemme apparemment tranché voilà des siècles,
dilemme sans litige et de plénière autorité dont la solution avait
pris fonds sur l’iMAGO MUNDI la moins sujette à la caducité, malgré
retouches et remanîments,
n n dilemme
II en passe de nous engloutir et
que nous affrontons munis n d’une abondance de moyens touchant
à l’indicible, dont les pullulements nous tiennent en alarme. n Or,
comme il sied de vivre en attendant, loin de dicter un jugement n

valide, on tombe II en la nécessité de brusquer l’aventure, quitte à


se faire violence, et de se rendre au provisoire, de mode qu’au
mépris
II de l’opulence on est mis II à la gêne et que les définitions les
plus universelles se sentent de nos pauvretés. Faute de mieux, II l’on
prône ouvertement n un genre d’hommes n qui n’en sont ou ne le sem ii ­

blent qu’à demi, n mais


n que leur nombre seul investit d’une majesté
n

suprême,ri de pauvres gens qui vivent de rencontre, à la merci des

26
lendemains,
ri esclaves de leurs sens et de leurs préjugés, n’ayant
que des vertus instrumentales, ombres chétives qu’on remue ri avant
que de les abêtir et dont les méchants se remparent dans l’attente.
Voilà notre modèle et qui soulage plaisamment l’infirmité, commode uni

à régenter de la manière
n la plus absolue et satisfait de peu de droits,
pourvu que tout le monde essuye un dégoût unanime II et languisse
en un tremblementH pareil, dont le mérite
n est de n’en pas avoir et
de ne ressembler
II à rien, afin que l’on s’y puisse reconnaître.

XVII. Fin de l’humanisme


II II Quand l’humanisme ii tombe, la nuit
se lève et les démences briguent, où
chaque mouvement II emporte,
II les acquêts des peuples et des géné­
rations : c’est un palais mis au pillage et qu’on démeuble
II en moins
II

de rien, que l’on délaisse et qui s’écroule. On le remplace prompte­


ment
II par une citadelle énorme
II et vide, si ce n’est d’un nombre
immense
lllll de captifs et de leurs maîtres.
II

XVIII. Gratuité L’idée de l’humain sait mal II défendre qui l’em II ­

de l’humanisme
il II ploie et n’a de force où l’homme se déclare, et
l’homme se déclare toujours à l’encontre d’elle,
à l’applaudissement des galeries. Les spectateurs ne s’imaginent II

point que ce déni les range à l’arbitraire et qu’ils sont en péril d’en
être les victimes consentantes, ils donnent voix et sentiments, II et
donneraient bien davantage en attendant de se livrer. Allez donc
prêcher l’harmonie
II à qui se tient fait de néant, maisII brûle d’en sortir
et ne le peut qu’à l’aide de la violence ! Il est facile d’allumer II autant
d’embrasements que l’on voudra, mais II une servitude volontaire
est une marque
II de profusion dont nous ne pouvons affecter ceux
que ravale la nature. Si l’on impose l’humanisme, II II on court le risque
de l’adultérer et sa faiblesse émane n de sa liberté qui s’y attache
nécessairement, en sorte qu’il ne dure guère devant les abus et souffre
mal qu’on l’en protège. C’est la plus excellente fleur et qui ne s’ouvre
que par intervalle et dans l’enceinte d’un palais ou d’une ville close
au demeurant de l’univers, bien que tout l’univers y tienne. Hors
là, point d’existence digne de nos soins : de la rigueur sans la mesure, n

de la roideur sans la noblesse, des superstitions et de l’absurde en


guise de lumières
ÎT et de grâces, point de raison ni de beautés et pour
quelques élancements II sublimes l’épouvantail de mille horreurs.
Malheur aux temps où l’infini ne semble pas de trop afin de nous
donner mesure
II de l’humain, où pour un homme qui s’y gagne l’hu­
manité
n s’y va perdant !

27
XIX. Seul drame
H du présent De nuit, quand le théâtre cesse,
la rue est pleine à déborder et tout
n’est qu’à la joie emmi lllll les bruits et la lumière,
n bourdonnement
II

immense
II où les largesses se déploient, spectacle merveilleux
n et fête
pour les sens, mais voici que le flot s’écoule où la rumeur s’apaise
et les lumières
II se vont éteignant : en moins
n de rien, la solitude règne
et les pénombres incertaines, en moinsn de rien tout nous menace
II et
malheureux
II qui n’a suivi le branle général et qui ne s’en est retourné,
loin de la rue et de ses portes closes, loin de la rue et de ses meurtriers
II

dont l’heure sonne où l’univers repose en la ténèbre.

XX. Déchirement universel En les temps d’infortune, on vise


à l’aboutissement et se partage entre
sommets et profondeurs, mais l’harmonie
n est au silence et l’univers
domaine du contraste. Nous vivons déchirés et déchirant, les uns
bravant les autres, abandonnés ou nous mortifiant,
n d’intelligence
avec l’horreur qui nous abîme ou les martyrs
n d’un règne sans défense,
épris de fastes révolus ou bien enracinés dans l’espérance, et les
tenants de la confusion dès le moment que nous ne sommes n les té­
moins
n des servitudes volontaires. Il ne nous reste qu’à choisir, il
ne nous reste qu’à mourir
n et, si possible, au nom de ce qu’on ne
renie plus et qui peut s’avouer du meilleur
n de nous-mêmes.
n

XXI. Etat présent de l’homme


ii Ce que je ne discerne pas est
dans le cas de m n ’abuser et ce

que j’entrevois meri convainc d’imposture


it : le moyen
il d’éluder l’in­
connaissable et de tourner le faux ? Hors moi,H point de réel et dans
mon
u sein l’erreur et le mensonge.
n Tel est le drame de l’espèce et
l’on en cherche le remède,
iï alors qu’il n’est d’issue ailleurs qu’en la
démarche
Ü inaltérablement continuée. Ce que je veux n’est pas ce
que je puis, ce que je puis n’est pas ce que je dois, ce que je dois
n’est point ce que je fais, ce que je fais n’est plus ce que je veux.

XXII. Sentence
i Parler de vanité n’est que sophisme
n et je n’admire
point les complaisants de notre mort n : mourir
me semble trop facile où notre vie est un forcènement
n et qui s’adonne
aux tâches de cet univers en porte l’édifice. L’homme est un mer H ­
cenaire, il vit et ne fera que souche d’amertume, il meurt destitué
de ce qu’il ne possède et riche seulement
n de ce qu’il perd. Le monde
se soutient par la démence des aveugles, le malheur de ce monde

28
est tel qu’il nous faut rendre grâce à Dieu de nous avoir laissés
aveugles, sourds et vivant à l’oubli de la condition humaine,
II en
nous donnant la voix pour ne cesser de crier et de plaindre.

XXIII. Prière Nécessité muable


II et froide, à janlais
H infidèle à
ce qui ne l’avoue et la servante de tes serviteurs,
plus juste malgré
n ta scélératesse que Dieu même et plus divine en
ton intransigeance, principe de ta solitude immaculée et fin de ton
avènement
il inéluctable, je men réclame
II de ton œuvre et m II ’asservis

à tes limites. Protège-moi


ii non contre les effets de ta puissance
souveraine, mais
II contre ma n faiblesse et mon indignité !

XXIV. Seul bien de l’homme La vie est le seul bien de l’homme


et tout le demeurant
II n’a point
d’usage à défaut d’elle et, néan II oins, nous n’avons droit de la juger
et ne pouvons que la subir. Ce bien que l’on possède et pour lequel
on tremble
II sans se l’avouer, il sied qu’on le méprise, qu’on le joue
et qu’on l’exerce en pure perte : on nous demande il d’avancer notre
ruine et, libres de péril, de revenir aveuglément II sur nos desseins
contraires, nous obligeant à n’aimer il que la vie en la multipliant,
il

à l’aimer aux dépens de nous et malgré nous, à faire tout pour elle
au détriment
il de nos vertus. On nous réclame H des bassesses pour la
maintenir
li et désavoue qui se préférait à son débordement, n mais
n

l’an d’après on blâme qui ne l’aventure pas. Que l’homme est mal n ­
heureux de languir de la sorte et de n’avoir jamais ü le droit d’être
à soi-même !

XXV. Abaissement
i Il sied, dit-on, que l’homme se dégrade, afin
de l’homme qu’on puisse l’éluder où ses bontés nous
incommodent.
il Nous le comptons
n pour faire
nombre et nous sentons fort empêchés quand l’outil juge qui l’em n ­

ploie et se déclare au mépris de nos soins, nous le voulons silencieux,


sauf à nous approuver, et ses regards nous gênent sitôt qu’ils se
lèvent de sa tâche : c’est pour cela que nous le poussons devers je
ne sais quel appareil formel
ri où la douleur alterne avec la jouissance
et parvenons de sorte à l’accomplissement
il de nos desseins, mais
ri

nous ne régentons que des esclaves, dont nul ne tire de la joie :


il nous faudrait qu’ils fussent tout ce qu’ils ne sont et demeurassent
n

entravés,
« nous rassurant le jour qu’ils nous inquiètent, nous donnant
de l’apaisement
n sans faire naître le dégoût, nous aimant
n au mépris
n

29
des fers et nous rendant justice où nous n’avons puissance de nous
l’octroyer. Cela s’accorde-t-il ? D’où la tristesse des tyrans, juchés
au faîte d’un amas
ii silencieux de vivants amortis
ii et de mourants
if

qui leur échappent.

XXVI. César est Dieu Le Rendez a César, vague au superlatif,


n’assigne point d’abornements h à couvert
de la démesure
n à l’hommen en quête de refuge et ne nous sauve plus
où César nous possède, où César conduit notre choix et ne nous
tient pas même
n n en assurance, où nous ne sommes
iiin que les instruments
n

de sa béatitude ou les moyens


ri de son autorité ; le Rendez a César
se fonde sur des privilèges abolis et vient de droits que nous cessons
d’avoir en propre, il nous égare désormais, n il n’avantage que nos
oppresseurs, il nous remetn en leur puissance et nous retranche le
recours à la révolte la plus légitime.
n Nous devons tout à Dieu, puis à
nous-mêmes
n n ; quant à César, il ne régente que les ombres et nous lui
dénions l’inviolable assentiment
il de notre inanité, car nous ne sommes
rien et ne voulons rien être, afin qu’il ne soit rien par nous et nous
lui refusons la grâce de nous investir de ce dont il nous prive.

XXVII. Universelle démesure


n Que l’homme de ces temps juge
assez qu’il naît libre et qu’on
l’entrave en passant la mesure
n et le retient dans une aveugle dépen­
dance, où l’on a lieu de craindre une rébellion toujours remise ri et
toujours menaçante.
H Le despotisme n d’autrefois n’est plus à notre
taille et les régime
II les plus rigoureux dont nous gardons le souvenir
manquaient
11 des moyens
II mis
n en œuvre et déployés sous nos regards,
moyens terribles et devant lesquels rien ne saurait impunément ii

durer, moyens nés de l’esprit qu’ils enténèbrent et renversent, fruits


pourrisseurs de l’arbre et conséquences meurtrières n de leur cause.
Jamais
n le ma]
n n’a paru mieuxII armé,
II jamais le bien plus véhément,
n

en dépit de l’atteinte, et jamais II l’univers croulé sous plus de vertus


ou de forfaitures. La démesure de nos temps confine à l’incroyable
et nous libère d’un passé dont les plus hauts exemples n nous sont
l’ordinaire et l’ordinaire moins n que rien.

XXVIII. Absence du passé Tous les exemples du passé ne sau­


raient prévaloir sur l’évidence et
l’état de ce monde
n est tel, à raison de sa nouveauté, qu’il faut parer
à ce qui vient au fieu de regarder à ce qui fut. L’erreur de nos spi-

30
rituels est de se confiner en le débris d’une tradition qui veut qu’on
l’outrepasse et le demande
Il sans alternative et par la voix de qui
nous l’a baillée.

XXIX. Domaine du fatal Si tout n’est sujet qu’à se perdre où


la matière
H se dégrade et l’univers
s’épuise doucement en un retour d’échanges balancés dont les ajus­
tements l’entament,
II l’homme H a raison d’y voir une menace,
n encore
qu’elle ne l’atteigne, et de puissants motifs
n de révoquer la providence
en doute, l’homme est admis à nier la justice, il est fondé pareil­
lement
H à recevoir l’absurde et nous ne pouvons l’empêcher n de
démentir
II jusqu’au divin par un enchaînement ir de suites déplorables,
mais
II impératives. Si le tneilleur
n n’a privilège de se maintenir
n et
qu’un partage similaire
il atteigne, mutilant, les fastes ou l’ignominie H

au choix de l’aventure, le bien n’est que modalité, les vertus spécu­


lations et l’immolation
II surnuméraire,
H tout l’ordre humain II mis
II en
balance et toute norme suspendue, à moins qu’on ne l’impose II à
force ouverte en l’abolition de nos franchises, le despotisme ir légitime n

et seul valable où tout nous est permis, II s’il ne parvient à nous abattre,
et l’homme racheté par ce qui le réduit à l’impuissance. II Alors le
tyran se fait rédempteur et l’heure du bourreau commence, puisqu’il
n’est rien qui nous émeuve II et que le tremblement
II II a la ressource
de persuader ceux que l’instance ne fléchit et que l’amour ne sollicite
plus. A l’avenir je n’entrevois que des relations de l’arbitraire le
plus inclément
IT et des rapports de force en le rétablissement H pur
de la fatalité nouvelle et qui n’aura de bornes désormais. II

XXX. Les maîtres


II de demain
II Nid adoucissement
II en vue à la
rigueur du siècle et, néanmoins,
qu’ilest sublime au méprisri de ses désolations ! Mon siècle est celui
de nos fins, heureux qui saura l’emporter
rr ! Plus de cinq mille
ri années
d’histoire et plus d’un cent de nations illustres n’aboutiront qu’à
lui, n’auront servi qu’à le déterminer, n’auront souffert que pour
qu’il naisse et les écrase. Le vainqueur de demain ri fera l’histoire
inébranlable et scellera l’abîme n du possible, il pèsera sur l’univers
comme une nuée immobile
iiiii et nous rendra de conseil pris à la fatalité,
j’entends la sienne propre, et Dieu ne saurait prévaloir sur ce qu’il
en décide. Peut-être l’apanage du vainqueur ne sera-t-il qu’un
monceau de ruines et de morts, mais rr il n’importe et l’on sent bien
que les ravages mêmes
II II qu’il exerce auront de quoi l’avantager en
obérant tout ce qui ne l’atteste point.

31
XXXI. Notre impuissance Qui transfigure le réel pour en jouer
l’offense et pour en éluder l’atteinte
est dans le cas de ne jamaisIl le vaincre et légitime
n nos mépris. Les
nations inertes, les peuples graves et futiles, l’amas
n' des songe-creux
méritent
il l’esclavage le plus rude et s’y destinent infailliblement.
il

Le monde a désormais n changé de face et qui fait mine


H de s’y dérober
est inutile et se condamne
n à périr sans remède.
n La foi ne sauve que
les faibles et l’espérance est le refuge de l’ilote, mais
ii les vainqueurs
de nos demains,
n seuls maîtres
n après Dieu, n’ayant de foi qu’en la
justice de leur règne et situés en l’au delà de l’espérance et par­
dessus la charité, seront et juges sans appel et parties unanimes. n

XXXII. Les peuples à l’encan Au siècle d’à présent, les nations


vouées à la servitude générale et
sur le point de disparaître en tant que telles au profit de l’hégémon,
se semblent roidir une fois dernière et l’on en voit qui naissent ou
qui montent devers leur intelligence d’un mouvement u' précipité. A
l’heure que tout va mourir et se confondre, on dirait que la vie entre
en fureur et que les peuples foisonnant s’acharnent à heurter de
front ce qui les enveloppe et les rassemble. Haine impuissante
n et
combien mal
ni venue, et qui rendra l’Empire désirable et juste ! De
mode
n que les hommes soulevés contre leur avenir et bandés à l’envi,
les uns désavouant les autres, préludent à l’issue inévitable et
semblent la brusquer, et que les meilleurs
n la souhaitent, d’où qu’elle
leur vienne.

XXXIII. La servitude reconquise Notre âge nous rendit à l’épou­


vante et nous y sommes rat­
tachés une seconde fois, mais sans l’illusion d’en réchapper à l’avenir
et c’est pour une fois seconde que le réel se double de fatalité, mais
nous y revenons ayant tout parcouru, tout ressenti, tout éludé,
pliant sous quelles chaînes ! Retour abominable et digne fin de nos
visées, les conquérants de notre servitude et les vainqueurs de nos
suffrages, dictant des lois à l’univers et s’exemptant de qui ne les
entrave !

XXXIV. La servitude triomphante Quand l’homme saura toute


chose, il pourra tout ce qu’il
entend, mais
n non sauver l’appui de sa noblesse, laquelle ne résiste
pas au vrai. La découverte la plus sombre
n de ces temps
n et qui ne

32
souffre de remède
n ni d’appel est bien l’intelligence de nos servitudes :
nous savons désormaisn que l’homme n n’est pas libre et que nous
disposons de l’âme au gré de nos manœuvres
n dolosives. Les témoins
qui se laissent égorger, dont la constance étonne les bourreaux
épuisés de supplices, dont la charnure fume, n saigne et dont les os
se brisent, que feraient-ils en face de nos tourmenteurs ? Eux qui
se tenaient libres et le demeuraient
H jusques aux portes de la mort,
que feraient-ils sans flammes, crocs, tenailles, limes et poinçons
devant un homme qui les rend soumis n à l’aide d’une poudre et les
oblige doucement
il aux renîments
n les plus affreux ? Cela, nul ne
l’avait prévu, nul ne l’a pressenti, nul ne l’aurait pas même
n soupçonné
mais
il nous, il nous le faut subir !

XXXV. Défense de la vérité Que vaut la vérité si nul ne consent


à mourir pour elle et que devient
l’erreur à quoi des peuples se vont immolant ? Et que nous prouvent
les témoins
n que l’on égorge ? Oui, les martyrs
n n’ajoutent rien à la
doctrine et la doctrine cependant a besoin d’eux et de leur sacrifice,
où la meilleure ne s’en passe et la plus mensongère
n y gagne au moins
le bénéfice de l’étonnement.
if

XXXVI. Point de martyrs II n’est plus de martyrs


n à l’ancienne
mode
n et les témoins qui se font
égorger ne nous démontrent que leur fanatisme n ou que leur déses­
poir, non la justesse de leur cause. Moyennant divers procédés mis n

en usage, on aboutit à renverser le jugement n de l’homme, on le


retourne comme un gant et lui fait professer un sentiment n dont
il ne s’avisait naguère ou qu’il désavouait d’emphase : le voilà
converti de bout en bout et semant l’épouvante. Cela n’a l’air
de rien, mais
n nul système
n ne l’avait prévu dans la rigueur des ter-
n es, les plus hostiles à la liberté n’osant la mettren à la merci
n

d’un juge armé il de potions et de pilules. Or c’est le point où nous


en sommes, les théologiens n’en sont pas revenus : il ne nous
reste désormais
n qu’à battre la chamade en renvoyant tous les
systèmes
ir dos à dos.

XXXVII. Débris de l’édifice Le propre de ces tempsII élus sous


la menace
II est l’impossible de les
renfermer dans les limites en usage. En trois ou quatre mille
n années
ce monde
n éprouva moins
n de changements
n que depuis l’autre siècle

3 33
et nous vivons sujets à la mouvance et ravis dans ses tourbillons,
les bornes fuient sous nos regards et les instances se redoublent,
tout nous attire de plus loin et chaque bagatelle amorce des rapports
dont l’admirable nous fascine, où les difficultés se vont multipliant n

à raison des erreurs que l’on dissipe : un détail simple n est un receuil
d’enseignements
II que l’on déroule et pour le rattacher à des lumières û

éloquentes, un intervalle un plein dont les relations abondent, béant


de motions
II et regorgeant de masses.
I» Tous les circuits éclatent,
provisoires, et l’homme
lllll vole d’assurance en assurance à travers le
chaos des faits, des lois et des principes, environné de plénitudes
entrevues dans la rumeur II de* ses transports et labourant l’espace
de sillages. Auparavant, l’on argumentait II à loisir, à la faveur du
syllogisme et la rigueur d’un absolu que nul ne révoquait en doute,
l’on bâtissait avec empire
n et menait
H l’édifice à bien, les différends
portaient sur la manière
n et jamais sur l’embasement que l’on disait
valide, inébranlable et hors de la querelle, au jugement II de tous ;
l’on s’affrontait, mais l’on était d’intelligence et l’on se disputait
à l’aide d’armes
II convenues et rigoureusement II semblables,
II tournant
dans le circuit et sous les mêmes
n n chefs. Depuis ces jours les fonde­
ments
n sont renversés et les seuils dans l’attente, mais II qui regarde
vers l’amont
n avoue sa défaite où l’avenir est devenir et non pas
ce retour imaginaire, fantôme II caressant et gage nominal. Le monde If

est clos et les abîmes sont ouverts.

XXXVIII. Haine de la raison Le propre de ces temps est par­


fois l’animosité que la raison sus­
cite, non pas chez tout le monde, mais n entre les meilleurs,
n les plus
avantagés et même n aucuns d’entre les plus savants ou qui paraissent
l’être et ces gens-là cabalent à l’envi pour ruiner l’empire de Pallas
et s’affranchir de l’importunité suivant d’une logique rigoureuse :
on les voit accueillir des bagatelles et des riens sonores, donner la
voix à des prestiges de l’imagination
n et s’engouer d’un mille
II de
sophismes,
II à la recherche de l’absurde. On a recours à l’inspiration,
on interpelle les mystiques,
il on forge des systèmes reposant ou sur
un trompe-l
n ’œil ou sur la foi la plus douteuse, on sème des confusions
étranges, l’on se dispense de les motiver
n et l’on se coupe froidement,
l’on parle de la contingence de nos lois d’un air trop satisfait pour
qu’on n’en tremble et, par des voies qui jurent dès l’abord, l’on
tend vers une fin que l’on se dissimule n à peine, vers une fin par quoi
nos jugements
n sont démentis et la raison à bas. Nos avocats de balle
et prêcheurs morfondus
ri sont las au souverain degré, la raison les
assomme
iiiii à les mettre en lumièren et puis elle ne sert de rien, pas

34
A Z* 9 1
même
il à qui se servit d’elle et le déplore de nos jours : on l’invoqua
pour s’établir, mais elle est infidèle, étant inébranlable et quand
tout change, elle demeure
li au lieu de suivre ceux qu’elle seconde.
Que de mauvaise
n foi sous l’esprit de finesse !

XXXIX. Mauvaise foi Que la nIIrauvaise foi semble ajouter à nos


puissances et tellement H que l’homme il mû
H

par elle a d’ordinaire l’avantage, à la condition de n’en jamais H

démordre. Un homme dont la cause est mal n fondée et la querelle


inavouable et qui le sait enfin, a-t-il ressource d’invoquer la pro­
vidence ou de bâtir sur les prestiges de la spéculation verbale ?
Il n’attend rien de la justicç qu’il viole, il se libère de son importunité,
fait diligence et se prodigue en multipliant
n ses menées,
n il revient à
la charge, il en avance les ouvrages, il se remue ii à l’heure que les
justes dorment
n à miracle,
n il met
IT tout en usage et fend la presse, il
se procure un établissement ri inébranlable et même n ii là sa vigilance
est en éveil et les ressorts bandés, oui, même
ri I
là ce méchant ne repose
et n’en devient que plus solide et que mieux appuyé, nul ne le brave
et nul ne le menace,
H il est à couvert de nos flétrissures, pour lui
nos jugements demeurent
n suspendus et nos lois impuissantes. Les
vertueux, à l’opposé, diffèrent les instances, les uns pour raffiner
sur les moyens, les autres à raison des préséances qu’ils affectent :
il leur paraît indigne de se démener outre mesure, ils prennent l’uni­
vers à témoin de leur droit, ils s’y complaisent amoureusement n n ou
se remparent avec lui, jugeant que ses bontés les rendent infaillibles,
ce droit ils le brandissent devant eux, persuadés que c’est l’égide la
plus efficace
n et moyennant
n laquelle on pétrifie les méchants
n d’emblée.
Il leur serait expédient d’entrer en défiance et d’ajuster les voies
à la fin prétendue, où la plus noble fin et l’assurance la plus haute
exigent un augment de soins et de mesures n diligentes. Nul droit
n’est de rapport s’il n’est pas défendable et le plus fermement ii ii fondé
ne nous attire que des railleries, quand il n’emporte la balance, il
a le don de soulever un courroux unanime et, s’il a besoin d’aide,
ce n’est pas faute d’illustration : je nomme ni n le bon droit une façon
de privilège et nous savons qu’un privilège est abusif dans la pro­
portion où sa faiblesse se déclare.

XL. Mortelle indifférence


i C’est le partage de ces temps qu’une
mortelle indifférence, un nonchaloir qui
ne repousse rien et semble
ii dépraver ce qu’il effleure, un abandon qui
ne veut pas flétrir ce qu’il diffame sans ressource et ne nous garantit

35
jamais
H ce qu’il nous vante impudemment,
n une confusion propice
à l’aventure où les mots
n mêmes
ii n se dérèglent, un chaos général où
le meilleur abonde en pure perte et les mensonges
II fructifient. Nous
sommes au milieu
n de nos prestiges, plus nous nous étendons, plus
ils nous investissent ; nous n’avons pour nous en défendre que nos
maximes
n n rebattues, que nos mystères
n éventés, que l’appareil dix
fois mis
n en litige et remis
n dix fois dans le train, échafaudage que
nous soutenons plus qu’il ne nous supporte et dont la force est de
nous faire accroire que nous nous étayons de lui. De quoi faut-il
qu’on s’émerveille
II ? Ces heures nous engagent aux derniers efforts,
ces heures nous demandent
n un surcroît de prévenance et de lucidité,
ces heures qui nous acheminent
n à ces lendemains, ces lendemains
qui nous feront participants de la surabondance méritée ou de la
désolation inévitable, ces lendemains qui mènent H l’homme à l’asser­
vissement total s’il n’est possible qu’ils nous affranchissent, eux
que nous redoutons à juste titre ou que nous espérons d’emblée, II

ils s’insinuent au réel et modifient l’évidence, ils seront l’une et


seuls nous répondront de l’autre.

XLI. Disette de l’espoir Le siècle est fatigué de plaintes ou gémisII ­


sements
il et les victimes
il ne l’émeuvent
plus, il doute de leur innocence et tout montre qu’il fait bien, il
ne les juge pas sur leur détresse et les condamne pour l’intention
qu’il s’ingénie à leur prêter, les diffamant d’emblée à dessein de les
mieux
n exclure. On nous proteste que le monde a soif et de justice
et de bonté, maisH je le tiens indifférent et n’espérant pas mêmen n en
ce dont nous l’avons nourri trop mensongèrement, hélas. Vers qui
le siècle d’à présent se tournerait-il désormais ? On lui donna le
change et le lui baillerait demain, il ne l’ignore plus et consent
à le recevoir, ne pouvant s’en défendre. Que doit-il espérer de
bon de ceux qui prêchant le martyre ont vécu selon la pru­
dence et qui s’instituant les défenseurs de Dieu se dont accom­
modés
n des pires ennemis,
n pourvu qu’ils leur jetassent quelques
miettes
n ? Dépositaires d’une vérité qui les accable, ils la trahis­
sent sans vergogne et la mutilent
ti sans relâche, puis on les voit
se démentir
H avec un siècle de retard et proclamer H soudain du
plus haut de la chaire une doctrine longuement abominée et
duement
II flétrie. Nous sommes tellementII lassés qu’il devient néces­
saire de changer la vie de l’espèce ou de trouver d’autres men II ­
songes plus insidieux : notre avenir est donc à ceux qui nous
étourdiront avec le plus d’adresse ou bien à qui régentera le
monde en rendant la justice égale.

36
XLII. Honte et péché Malheur à qui végète dans Facquiescence
et remet
n d’aube en aube un jour qu’il ne
décèle et qui jamais n’éclatera pour le ravir à son prétexte !
Malheur au sage insidieux et qui s’adonne au nonchaloir, sous l’om­
bre que la vie est nuaison et s’ente sur l’impermanence
n ! à la séquelle
des rêveurs, aux légions de niais qu’ils fascinent, à tous les déser­
teurs qui laissent l’univers dans les ténèbres et sacrifient l’homme n

à des figures ! ceux dont la bonne foi supporte un édifice d’avanies,


de fourbe et de mensonge ! Malheur à nous, spirituels, de qui la
pureté s’allie au Prince de ce Monde, à nous dont l’œuvre est sa
devise et la démarche
n son rempart
n ! Tous nos efforts s’épuisent
à nourrir la Bête ! Fuyez, mes frères, au plus loin et fuyez en
vous dispersant, car où trois hommes se rencontrent, l’un est
parjure et l’autre un indécis. Fuyez et de vous-mêmes n : sage est
qui ne se délimite plus, qui s’aventure et qui se joue et se veut
infidèle, pour ne jamais
n trahir et ne jamais
n céder.

XLIII. Le salut dans la fuite II n’est pas interdit de chercher


à se fuir au lieu de se connaître,
pourvu qu’on aille de l’avant et prenne le dessus. Ces fuites-là nous
rétablissent et l’on achève par s’y découvrir aucunes fois, mais
n en
possession de n’avoir plus à rougir de soi-même ii et, quant on se
déroberait d’un mouvement
n n sans intervalle et jusques en la mort,
on vaudrait mieux
ii que le mépris
ii dont les plus sages nous affectent.
Il n’est pas raisonnable de changer le nature] de l’homme nui et de
prétendre en la matière, nous lui devons marquer
n la tâche et le
laisser à son inconsistance, où peu méritent
n de se posséder et beau­
coup de ne pas s’atteindre, puis quel service rendre à ceux qu’on
affranchit des jugements du monde et qui végéteront pour lors
dans le dernier accablement ? Les hommes ii peinent davantage à
la faveur de l’ombre et se remuent avec plus d’entrain s’ils ne se
désabusent à l’avance. Hors notre aveuglement ou notre servi­
tude, combien de nous se peuvent soutenir, combien se mêler à la
vie et si l’intelligence de leur être les renverse, est-il indispen­
sable qu’ils en tâtent ?

XLIV. Prestige de l’obscur Que l’homme saigne de mauvaise


grâce pour les idées claires et dis-
tinctes est ce qui paraît de soi-même
n n où l’on meurt volontiers au
nomn de l’ineffable et pour l’avance: n ent d’une querelle ténébreuse

et pathétique. L’homme est en mal n d’énigmes à résoudre et de

37
légendes à broder, il ne désire pas autant la clef que la recherche
du mystère
H' et davantage le mystère
If que les procédés, il ne veut pas
que les murs
H tombent
n ni que les voiles se déchirent et nous avons
beau dissiper l’arcane, il en invente de plus dangereux, apparemment
ils naissent sous nos pas et leur inconsistance ne le trouble guère,
il y met
n tellement
ii du sien qu’il aura part à leur économie, éludant
nos insinuations, nous réduisant à l’impuissance et changeant nos
mesures en autant de pièges, de pièges où nous sommes iiiii pris, nous
qui venons avec l’intention de l’affranchir. Par une suite de faits
avérés, ce malheureux
n nous démunit
n et cet esclave nous enchaîne,
force nous est de l’abuser et de nous rendre à ses empressements,
si nous ne voulons qu’il nous traîne à soi, de le séduire ou de
nous voir entre ses mains,
n jouet de sa démence.
n Voilà comme la
tourbe a d’ordinaire l’avantage et les despotes les mieux appuyés
ne peuvent rien sur elle dès qu’ils se mêlent
ii de tout éclaircir, mais
n

tout s’ils l’alimentent


n de mensonges
n éloquents et de ravissements
ii

illustres.

XLV. Antilogie insurmontable II est indubitable que nous ex­


cédons les rêves les plus hardis
des Anciens et même
n de nos devanciers immédiats.
u Le triste pri­
vilège ! De quoi se peut-il que l’on rêve désormais n ? Nos découvertes
passent et de loin l’imagination
n et nous avons du mal n à les dépeindre,
nous nous traînons si lourdementri après notre évidence que le réel
offusque nos regards, nous végétons dans le mystère et nous nous
remuons
n dans les arcanes, mais
n nous n’osons en convenir et l’âme
se rejette, en peine de ses voies, sur les plus misérables
n subterfuges.
Que d’abandons au sein de la promesse n ! Que d’épouvantements n

au fort de l’assurance ! On ne porta jamais si loin l’horreur et jamais


l’on n’usa de tels remèdes.
n Oui, l’hommeiiiii est au superlatif en les
domaines qu’il aborde et sa dimension
n nouvelle a rompu les mesures
n

convenues, il ne lui reste qu’à changer, sauf à périr dans le dernier


accablement.
n

XLVI. Régime
n du pathos Le siècle d’à présent est celui du
pathos à la mesure la plus relevée et
l’homme
iiiii solidaire à travers l’étendue, les nations n’ont plus de
raison d’être et qui n’est maître
n de ce monde et le seul répondant
de l’univers entier n’aura sujet que d’obéir et d’autre emploi
n que
le silence : tel semble l’avenir dans les linéaments
n de sa rigueur
majestueuse
n et jamais
n temps n’auront connu plus de simplicité

38
depuis que les empires
fl s’entrechoquent, jamais l’espèce une allé­
geance plus aveugle et plus de servitude avec plus de moyens de
la lever. Si l’homme
uni ne se change pas et s’il ne prend l’ajustement
dont son état lui fait une obligation, il ira végéter au sein de l’abon­
dance et dépérir au fort de ses conquêtes par une succession non
interrompue,
H malgré l’avancement qu’il se procure, il tombera dans
une déchéance sans remède accrue infiniment 11 de toutes ses ressources
profanées, son œuvre l’incrimineraH dont les prestiges mettront
11 ses
démences
II en lumière,
n il lui faudra se contempler dans le dernier
accablement, lucide au méprisH de sa fougue et calme n en dépit de
sa frénésie, ayant la volonté du mal, n s’abandonnant avec empire
et de son propre mouvement,
n h et ressentant l’horreur de ce qu’il
veut, mais
n ne laissant d’en former ii le désir, tenu malgré
il soi-même
n n

à se désavouer et de se réduire à néant, peur de se voir et de s’évaluer,


brûlant que tout s’annule afin de n’avoir à se rapporter à rien qui
doive le restituer à sa personne. Or l’homme mu de ces temps est
prégnant de la mort du monde.

XLVII. La mort amie Et certes, de nos jours, la mort ne fait


trembler personne et nous volons, pour
mu
ainsi dire, à l’immolation : les héros naissent par milliers
n mu
et l’homme
souffre de la part de gouvernants illégitimes n ce qu’il n’a supporté
venant de maîtres
n paternels. La mort nous semble une rupture et
davantage qu’une fin, elle paraît mêmen h une issue et le commence
n ­
ment
n de notre liberté plénière, et nous ne redoutons aucunement n

ce qu’elle nous dérobe où nous n’y perdons que nos chaînes, la mort
est la tentation plus que l’orgueil de vivre et la mesure
n de sa volupté.
C’est pour cela que ceux qui bâtissaient sur l’horreur de la mort n

ne nous émeuvent
il plus autant et nous leur demandons
n une raison
de ne désespérer de vivre, mais n retranchez l’effroi de l’agonie et
notre religion y perd le plus clair de ses droits, d’où sa faiblesse
d’à présent et le besoin qu’on la réforme. n

XLVIII. Le désespoir familier Que l’hommemu a l’assurance de


périr, en attendant de vivre et
ce qu’on nomme n sûreté ressemble d’ordinaire à l’immanquable
mu et
l’immanquable à ce qui nous achève. Nous esquivons l’impasse n à
la condition de nous changer à notre certitude et n’avons d’autre que
de n’être pas, d’où la suprêmen tentation de mourir
I* de conseil pris
et de dessein formé.
ir Le désespoir est quelquefois une immolation
suréminente
n et si Dieu n’aide l’homme,
H il est admis
n qu’il s’y dévoue

39
et qu’il s’anéantisse, offrande de l’orgueil et sa victimen expiatoire.
En une telle mort il reste des beautés et j’aime n à la fureur cette
amertume
n u mâle
n et cette désolation impérative,
H à charge qu’elles
se soutiennent sans faiblir, car tout est là. Et j’abomine les prudents
et les railleurs qui ne l’entendent point et les réprouvent, ces dé­
sespérés, eux dont la complaisance est le poids mort n les liant à la
vie, à toute vie et fût-elle un outrage décidé. N’est pas martyr
II qui
veut. Sur le désespéré, seul le martyr
n l’emporte et lui seul est en
droit de blâmer
H qui se tue au lieu d’attendre qu’on l’achève.

XLIX. Contre les railleurs Ceux qui plaisantent agréablement II

de tout et qui médisent


II avec élo­
quence de nos œuvres, n’appellent des misères
rr de ce monde qu’à leur
persiflage et tympanisent à plaisir qui souffrent les deux mains 41

liées. Je le proclamen l’ennemi


II du genre humain celui qui nous refuse
à tout le moins
n silence et porte des regards avides sur les maux de
l’univers. N’est-il pas l’être le plus bassement abject celui qui ne
faisant rien distille son entendement
H dans le sarcasmeII et vole d’agonie
en agonie, afin de laisser des crayons pour nous distraire ? En nous
raillant des malheureux
H nous appuyons la cause de leur infortune
et les désavouons, peur de les secourir. Il n’est rien de si laid que de
confondre les bourreaux et la victime H en une même II réprobation et
de les renvoyer, si j’ose dire, dos à dos, où le dommage d’un seul
homme nous met II tous en cause et nous menace
II du seul fait que
l’on n’y porte les remèdes nécessaires.

L. Horreur du siècle En un temps d’infortune, la somme des mal­


heurs publics ne modifie
h en rien la passion
de l’homme
iiiii solitaire et ces calamités l’abreuvent d’horreur inutile
et ne retranchent guère aux maux qu’il lui faut essuyer. Les lamen n ­
tations de l’univers, les continents en flamme ii et tous les peuples
que l’on foule d’antipode en antipode ne m’affranchissent de moi- n

même
n et ne sauraient me ri consoler ; des mille
n et mille d’hommes
peuvent expirer que la douleur qui me n terrasse est une et bien la
n ême
n d’âge en âge. Mon siècle est des plus endurcis et mes n pareils
se changent en soudards, mais leur rudesse n’amoindrit l’effroi de
leur condition et leurs allures emportées ou farouches ne les ôtent
de leur naturel : ils tremblent quand ils ne s’oublient pas, ils souffrent
quand ils ne s’enivrent plus, ils agonisent quand ils ne géhennent
point. Vit-on jamais
ri de tourmenteurs
n plus démunis et de victimes IT

plus inertes ?

40
LL Bourreau légal Le vœu de nombre d’hommes en ce monde Il

est d’être des bourreaux ayant l’appui des


lois et soutenus par elles, de donner dans le crime H et de s’en délecter
paisiblement,
il assujettis à ce qui les enchante en faisant mine II

d’épouser une querelle méritoire,


II de se fortifier dans cette jouissance
et de briser les freins tout en se louant de leur servitude volontaire,
liguant un faux sublime il à des plaisirs solides, voire abjects. Il
s’agit de dissimuler
II et de les satisfaire au moyen
II' d’un impur
n mélange
n

où le plus haut dérobe les accès immédiats du plus infâme, n où Dieu


figure à trois pas du bûcher et l’amour II du pays natal procure des
ressources à l’atrocité, car l’homme vil éprouve le besoin aveugle
de haïr, de se payer de tout ce qui l’afflige et de se croire redoutable,
alors qu’il n’est rien par lui-même n et ne s’acquiert de droit, s’il ne
renverse ceux des autres.^Un homme iiiii vil ne rend jamais II la raison
de son choix, il s’y confirme n et n’aura garde de s’en éclaircir, pre­
nant un faux air de besogne, les invectives à la bouche, les armes II

à la main
II et plus sa foi paraît mauvaise et mieux II il s’y prodigue,
il se rejette sur l’incertitude et la défend avec l’acharnement
le plus extrême,II il y défend sa jouissance et combat II pour son
privilège, le privilège de l’ignominie, n mais
n quand il lâche prise,
exténué, c’est le vaincu le moins superbe, nul ne l’égale à ramper
sous le joug.

LU. Malice et tyrannie Qui sonderait les reins de notre espèce


aurait de quoi fournir aux rigueurs les
plus despotiques, il bénirait la loi sévère et baiserait la hache du
bourreau, pénétré du ressentiment n de la scélératesse générale ou
qui pis est de l’indolence criminelle
n et de l’obscène nonchaloir, il
verrait que les uns ne rêvent que luxure et que les autres brûlent
d’exercer une vengeance interminable, que les plus doux s’adonne­
raient au stupre et les plus résolus au brigandage, les plus stupides
à la dissolution et les plus richement
n doués à quelques monstruosités
inconcevables. Il saurait bien alors que les gouvernements sont des
miracles, que les plus tyranniques valent mieuxn que leur absence
et que les pires amoindrissent le joug effroyable dont la nature nous
surcharge : oui, les plus dignes de la réprobation n’excèdent nulle­
ment les penchants décidés, ils en dérivent d’une seule traite, ils
les ménagent,
ii les fomentent, les réprimant
n non pas en vue de les
étouffer, mais
n à dessein de s’en défendre et de les tourner sur des
objets congruents, plastrons de toutes les fureurs. De tels gouver­
nements
ii ajoutent en définitive à la malice
n de l’espèce, encore qu’il
soit difficile d’enchérir sur ce qu’elle a d’illimité
n : disons qu’ils la

41
révèlent au grand jour, la tirant de ses réduits les plus enfoncés,
qu’ils la répandent sans déguisement et la nourrissent sans relâche ;
ü

ils veulent cajoler le monstre en tremblant qu’il ne les dévore, ils


sont heureux lorsqu’ils parviennent à le renvoyer à ses cavernes,
ivre de sang et gâvé de dépouilles, quitte à le libérer si l’occasion
se présente ; enfin le monstre achève par briser les freins et les im
ni ­

mole en un sursaut de rage, ils meurent


n à leur tour, victimes des
puissances déchaînées.

LUI. Tragique souverain Mon siècle m’est en vénération, encore


qu’il ne laisse de sembler
n abominable,
et je pardonne à sa démencen' en raison seulement
n de tous les biens
qu’il met à ma n portée. Jamais,
n jusqu’à ces temps, l’œil de l’humainn

n’avait erré plus libre ni plus souverain ; quoi d’étonnant si l’hu­


manisme n s’en trouve épuisé, la religion branlante et le désordre
mis dans les puissances qu’infirment n nos profusions inaltérablementn

nouvelles? Et quel entendement H résisterait à l’afflux débordant qui


fait que les défenses croulent ? Nous sommes emportés de motions
en mouvements
ri n et de figures en multiples,
H et suscités d’emblée et
démentis
n d’avance en un remous H d’impasses. Nous cherchons la
platée et n’y devons bâtir, où déjà le sol tremble et se convulse,
nous vivons néanmoins, mal n assistés et répondant de ce qui nous
abîme, à jamaisn innocents et fût-ce de nos turpitudes, coupables
mille
n fois et mêmen de nos agonies. L’épreuve des plus hautes âmes
n’est-elle pas la nôtre désormais ? Voici que les derniers ont charge
du mystère, il leur est fait commandement n de s’en accommoder et
l’appareil du monde
n pèse à leur échine : quoi d’étonnant s’ils nous
maudissent
n ? Oui, l’univers à naître est à la démesure et l’homme n ne
l’assumera
rt qu’autant qu’il le surmonte, et ne le passera qu’à charge
de se définir en ce qu’il a de plus immotivé.n Il faut que l’homme
et l’univers se changent l’un par l’autre ou qu’ils périssent l’un dans
l’autre. Point de remise
n à l’heure que nous sommes, point de retar­
dement qui nous vaudrait de ne pouvoir attendre et nul délai s’il
est besoin que l’on en meure.

LIV. Bassesse en l’agonie esprit de l’hommen est ainsi fait qu’il


ne lui sert aucunement
n de vivre au
sein de l’éminence
n pour la refléter et qu’il ne change de mesure
n quand
tout change, nous le voyons si misérablement
ir n pareil à ce qu’il est
que l’on en tremble
n et se détourne ; on aurait souhaité qu’il réfléchît
l’horreur ou la magnificence
n et qu’il fût digne de soi-même
n n à s’ex-

42
céder de veilles ou de voies, mais H il demeure
H impénétrable
II et se
contente de plaisirs chétifs ou récrimine avec bassesse. Tel héros,
au sortir de la mêlée, s’adonne à la débauche et tel vaincu n’aspire
qu’à venger ses mauxil au préjudice d’un plus faible ; tel, dans l’é­
croulement
H de l’univers, n’a d’yeux que pour ce qu’il embrasse du
plus haut de sa fenêtre et tel jalouse, au fort de la ruine, un misérable
il

moins destitué, mais ils n’oublieront de satisfaire tous à leurs con­


tentements
H inavouables, ne mettant
H frein à la jouissance perpétuée
au sein de l’agonie et raffinant sur elle au milieu H des cadavres.
L’épreuve ne nous purifie et le malheur ne nous rachète point,
où nous les endurons comme autant de fléaux qui nous abattent :
nous saignons et nous succombons, si pleins de nous que l’on en
meurt décomposé d’avance. Tel peuple que l’on juge avec faveur
ne le mérite
il qu’à raison de sa fortune et ses vertus la suivent en
bon nombre. On le laissait charmant,
H officieux, orné de savoir comme
lllll

d’agrément; on le retrouve pensant de travers, ramas de jouisseurs


aigris et de frivoles décontenancés, déchu de ses prestiges, diminué
de ses largesses, lourd de rancune et de mauvaise
II foi, méconnaissable
H

enfin et tellement
il changé qu’on le renie de même
II qu’il s’est renoncé.

LV. Élection nouvelle Quoi de plus douloureux que de périr,


sachant que l’on n’emporte
ii rien et que
les survivants se passeront de nous ! La vanité que de se dire que
les peuples sont mortels,
n où d’autres les remplacent à merveille,
et que les nations enterrent dans leur chute un je ne sais quoi
d’admirable en son unicité, quand telle ou telle nous pourra le rendre.
On se prétend énamouré des fastes desservis et se préfère à l’objet
de sa passion, et l’on médite
n de les perdre à l’heure de sa déchéance.
Les servants de l’esprit le cherchent, s’il le faut, aux climats
II les
plus écartés pour se vouer à sa défense et le demanderont
II aux
peuples ennemis, si tant est qu’il réside là dans son entière pré­
cellence.

LVI. Paroles aux Français Que des Français donnent leur voix
à la louange de la déraison me
II paraît
un indice de leur trouble : il est patent qu’en ce domaine
II ils valent
moins
n que d’autres qu’ils ignorent ou déprisent. Que gagneraient-
ils à ce change que leurs vœux appellent ? Possèdent-ils des incli­
nations démesurées,
n des penchants doubles œuvrant de concert,
une âme
Jn malléable
ii et susceptible d’abolir tout ce qui l’embarasse,
une mémoire
II nébuleuse et pleine de revirements
n imprévisibles, la

43
faculté de n’être pas en ne laissant de devenir et d’être ce que l’on
n’assume,
ri une candeur inimitable et néanmoins fertile en roueries ?
Préviennent-ils l’entendement
H sur les fantasmesii qu’ils s’infligent
à dessein et peuvent-ils, de bonne foi, se montrer de la plus mauvaise ?
Ont-ils plaisir à vivre en débandade et de s’accommoder
iiiii assidûment
ii

à l’ordre de surface ? A nier cela même n qu’ils avancent et qu’ils ne


veulent démentir
n sans laisser de le feindre ? Ils passeraient de
maîtres
ii à courtauds !

LVII. Apologie de la raison Mes frères en esprit, la raison n’est


pas tout, mais n elle a droit à notre
révérence et fuyez ceux qui la ravalent. Appliquez-vous à ne la
mésentendre
n et ne lui demandez
n que ce qu’elle départ, en ayant
soin de suppléer au demeurant.
n Chacun de vous en reste l’obligé
jusqu’à la fin des siècles. Craignez et combattez ceux qui s’acharnent
après elle et forment
n le dessein de l’abolir pour aveugler leurs juges.
Que l’intuition dont ils se clament
n n’est pas la clairvoyance du génie
ou le pressentiment de l’âme n pure, non, mais
n la manœuvre dolosive
et le détour inavoué par quoi leur fourbe se rachète : ils pensent
tout brouiller, de peur qu’on ne les incrimine et font la nuit sur
leur passage, ils savent être de mauvaise
n foi et rêvent d’annuler
la bonne à l’aide de phébus et de mystères
ir ineffables, ils veulent tout
confondre et s’imposer, indignes. Mes frères en esprit, je vous les
livre, beaux louangeurs d’une menteuse
n absurdité, les parangons
de la chimère serve et les habiles noblement n dissimulés derrière le
spirituel, derrière les poètes et les saints, les héros, les martyrs et
la moisson
n des justes morts pour une juste cause. C’est là qu’il vous
les faut chercher !

LVIII. Logique des pervers Que la logique des pervers émane


ii de
leur crainte et se prévaut de leur
faiblesse, que dans le fond de leur méchanceté
n l’on aperçoit moins
ii

de malice
n que de désarroi, qu’ils se figurent être inébranlables, mais
ne le sont jamais, vivant à leur division plus qu’à l’unicité dont ils
raisonnent à l’envi, que cette frénésie d’arguments
n n’est pas bon
signe et ne démontre que la gêne. Et c’est pourquoi, bien qu’ils
méritent nos rigueurs et le supplice, nous ne laissons de les tenir
en une estimen basse et les touchons par là mille fois plus qu’en
raffinant sur les tortures : s’ils désespèrent de nous étonner, leur
jactance est par terre et c’en est fait de leur présomption, car ils
dépendent de nos sentiments
H plus que des leurs et ne l’ignorent
point.

44
LIX. La volonté du mal Le méchant dit en son particulier que
l’on fera meilleure
fi contenance en face
de l’adversité si l’on se juge absolument n coupable et digne à ce point
du dernier supplice que tous les fléaux conjugués ne nous sauront
assez punir. Et véritablement if il ne s’aveugle point et c’est une allé­
geance que le mal, Il mais le maln éminent
fi qui ne regarde pas ailleurs,
qui persévère au delà du possible et met n le reste dans ses intérêts,
mieux affermi dans son néant que d’autres en leur nonchalence,
ne revenant
1 jamais de sa prévention et la victime II consentante de
son choix. Cet homme-là fi mérite
n le respect, puis l’enfer éternel,
lequel est une marque n d’éminence où peu d’humains II accéderont,
mais
II tel qu’il est, mes
n frères en esprit, il est plus proche du Seigneur
que le ramas des tièdes et Diçu s’honore de sa résistance, oui, Dieu
s’honore de sa nuit et ses "ténèbres glorifient I les divines, Dieu lui
pardonnerait dès le premier soupir qu’il jette, il a pour lui des tré­
sors d’indulgence et le destine aux charges les plus hautes, il l’aime II

inamissiblement
if il et le méchant
If ne cède pas, il ne le peut à l’avenir,
l’enfer étant la volonté du mal, laquelle est proprement II celle de
l’impuissance.

LX. Les temps sont proches II est parfois requis de mettre fl les
idées en sommeil,
IIIII afin de les sous­
traire à ceux qui les profanent, de laisser là l’entendement n et sa
parure, l’art et ses voluptés et tout ce que l’on prise, et de fermer ri

le temple pour veiller en armes II devant les portes closes. Nous le


savons, nous qui montons
II la garde au péristyle et mesurons
II les feux
qui nous menacent,
II et nous avons la charge du trésor dont nous serons
comptables face à l’Éternel. Notre œuvre est de nous maintenir if et
de sauver l’acquis, de résister à toutes les séductions de l’heure et
de la vivre sans fléchir, notre devoir de nous associer inébranla­
blement
ri' ceux qui nous aimentfi et ne se déclarent pas et même fi ri ceux
qui nous ignorent ou ne veulent nous juger, et de ne mépriser per­
sonne, le Sauveur étant parmi nous sans qu’il nous soit permis n de
le connaître. Mes frères en esprit, ne sommes-nous une milice sainte ?
Ne sommes-nous
iiiii prédestinés à la victoire et Dieu n’élut-il résidence
en notre aveu suprême n ? Quand on nous briserait l’un apres l’autre,
ne suffirait-il pas d’un seul, d’un seul au monde if pour que la vérité
s’affirme et que le temple ne soit violé ? Qu’ils entrent mille fois
en mill
n e sanctuaires, ils ne s’acharneront que sur le néant qu’ils
ont suscité : nous les verrons au comble de leur impuissance, fi à la
lueur de quels embrasements,
if fi s’évertuer à vaincre l’esprit pur et

45
talonner une ombre
n qu’il leur jette. Ils reviendront de siècle en âge
et battront la muraille
n en la plus vaine des conquêtes, puis ils
retomberont
n au sein des nuits qui les vomissent
n inlassablement.
ri

Mes frères, accourez ! Leur troupe est innombrable ! Vous qui savez
que l’Éternel se perpétue d’heure en heure, soyez l’appui de sa
pérennité, soyez le gage et devenez ce que vous êtes. Le siècle est
assez grand pour que le Dieu s’y manifeste et si vous ne Le recevez 9
comment pourrait-Il avenir ? En tous les temps, n les temps sont
proches.

LXI. Tout changer Les uns protestent qu’il faut tout bouleverser,
ou ne changer rien afin que l’homme atteigne à la félicité char­
nelle, où d’autres veulent que rien ne se
change, à la réserve de nos sentiments, et l’on en nomme n d’entre
les premiers qui jugent Dieu le plus néfaste des symboles, et d’entre
les seconds qui tiennent les réformes n inutiles, voire sacrilèges. Il
me
n paraît que les mutins
n haïssent davantage Dieu qu’ils ne ché­
rissent l’homme et que leurs adversaires n’aiment n Dieu qu’en vue
de L’associer à leurs prérogatives, de mode qu’en la disputation
et l’hommen et Dieu ne sont que des chimères,
II mais
II les diffamateurs
n

hideusement réels de même n H que leurs intérêts inavouables. Pour


dire vrai, Dieu semble le garant de l’homme et de ses libertés, quand
Il ne les étouffe : il nous importe de les accorder ensemble H et de
veiller à ce qu’ils restent en présence et dûment
II à part. Ni l’hommeII

gagne à la confusion, ni Dieu, s’il faut que l’homme lllll s’y déprave et
le Divin s’y perde.

LXIL Contre les Que nous sert-il de gourmander


n les pauvres
faux prophètes hommes ? Avons-nous besoin que l’on chausse
le cothurne et prophétise sur la fin du monde ?
Dieu nous préserve de ces justes à l’humeur n si reprenante et qui
s’emparent
IT de nos âmes
n pour les effrayer ! Les maux
n dont nous
souffrons méritent
II davantage et veulent des consolateurs et des
remèdes.
ii Mes frères en esprit, soyez consolateurs, mais n n’oubliez
que les remèdes suspendent tous les maux H que vos paroles n’abo­
lissent, que les meilleurs
II enfin vous rendent inutiles. Que vous
importe
il ? Allez où les remèdes ne suffisent pas et bénissez les fieux
qui vous ignoreront, que tous les fieux vous puissent ignorer, que
nul n’ait besoin de miséricorde
n et qu’elle surabonde en vous ! Alors,
s’il est un Dieu, vous L’aurez bien servi.

46
LXIII. L’homme et son Dieu Le dramen de l’humain
H est d’as­
sumer
n le Dieu qu’il nie ou qu’il
ignore et d’être cela même
H qu’il ne voulait concevoir, d’être l’élu,
mais
ri qui se meurt
n dans les ténèbres. Le partement de Dieu se fait
de la manière
n la plus douce et nulle rumeur
il ne transpire, où tout
nous parle de la liberté de l’homme : la vie semble si légère et telle­
ment remplie, et l’homme si bien appuyé que l’on s’étonne d’avoir
cru, que l’on s’indigne d’avoir espéré ailleurs, que l’on s’en veut de
n’avoir abjuré dès le principe et clame l’élargissementil de l’univers.
Voici qu’enfin les chaînes tombent, que rien d’emblée ne s’oppose
à nos contentements et n’en appelle à d’autres qu’à nous-mêmes, ri

que les mystères


ri éventés retournent au néant dont ils procèdent,
que l’homme n est seul et seul comptable de ses biens, qu’il vit en
pleine suffisance et qu’il rend témoignage
n de son être et s’y confirme
n

à découvert, qu’il marche dans la force de ses flancs, le maître


n de
ses destinées, et qu’il exulte dans sa gloire. Fut-il jamais si proche
de sa fin, jamais si démuni, si loin de ce qu’il représente et qu’il ne
saurait découvrir en n’étant qu’à soi-mêmen ? Fut-il jamais si pauvre
et tellement à l’abandon ? Quels charmes décevants le privent de
ses droits ?

LXIV. La servitude Nous sommes à la fois et libres et déter­


et la franchise minés, mais la franchise est une profession
de créance à quoi nous nous vouons, au
mépris
ii du réel dont nous savons les chaînes. L’homme est conduit
à se poser en un jour d’artifice ou de théâtre et d’agir en partant
d’une imposture signalée qui l’établit son juge souverain et le retire
de l’attachement
n : il sera libre au seul regard de ce qui n’y ferait
empêchement et qu’il ne manquerait de servir en esclave, s’il
n’estimait qu’il en dispose, mais il ne règne pas ailleurs. Le tout est
de savoir où cet ailleurs commence.

LXV. Quête de l’absolu


i La mutabilité de l’homme appelle l’im n ­

muable et, faute de ce Jénitif, il vague


inapaisé, que nulle certitude ne contente et nul bien n’assouvit, en
compromis avec l’intempérance de son âme, ii prodigue à son apai­
sement et destitué de remèdes, car il ne veut rien à demi, ii sauf à
ne rien vouloir. Si l’on ne donne à cette frénésie un désirable emploi,
c’est un soulèvement si général qu’il faut qu’on le réduise à la der­
nière abjection ou bien encore c’est une recherche telle de plaisirs
qu’il est expédient qu’on l’aiguillonne pour l’en arracher, quitte

47
à le rendre moins
n soumis.
H L’esprit désire d’être le commencement
n n

de l’absolu, maisn non dans l’absolu, hors celui qu’il se donne à se


poser en tant que tel et l’absolu qu’il délimite H appelle enfin Celui
qu’il a frondé, Dieu rentre en l’univers qu’il échafaude à sa commo­
dité, le Maître l’inondant l’emplit si naturellement II qu’il semble
II

que nos désaveux travaillent à Sa gloire, où couronnant l’issue II


légitime
II le principe et fait que tout s’anime à Le fixer. Dieu grandit
avec nous et plus nous élargissons le domaine, plus le mystère fuit
en l’ineffable et plus Dieu nous en rend les raisons décisives, Il se
dépouille de Ses enveloppes, Il se dilate en reculant et se remultiplie
II

indiscernable. Point de dégagement If à l’embarras et nulle parenthèse


où l’on feint d’oublier Celui que tout annonce et dont l’absence
même est un débordement il en l’infusion de Sa gloire. Ainsi dans les
achèvements,
II l’intelligence est parvenue à Le connaître aux lieux
où la suprême foi Le situait depuis qu’elle se fonde.

LXVI. Renoncement
II prémédité
H Au siècle d’à présent le sens
commun est mis à la torture,
on bâtit sur ce qu’il allègue et le résigne en la dernière instance et,
s’il préside aux entretiens qui règlent nos démarches,
II il ne peut rien
sur elles, car elles n’en relèvent plus, il leur donna l’ébranlement,
mais
II la conduite de l’ouvrage est hors de sa portée, il ne doit qu’as-
sentir aux vérités qu’elles avancent, il les reçoit avec soumission,
11

il en fait son étude, il les consulte et trouve en elles les articles de


sa foi. Nous sommesn rendus au mystère
II au déclin même
n n du mystère
et, pour le coup, mieux
n asservis en étant mieux persuadés.

LXVII. Carence d’imago


n mundi
n Pour la première
II fois depuis
qu’il est des hommes et qui
pensent, l’essentiel nous a fait ostensiblement
IT défaut et nous man­
quons de I’imago mundi propre à nous situer en l’univers. Nous
sommes
ni n investis de privilèges incroyables, nos jugements
n sont va­
lidés, les phénomènes
n en la dépendance de nos volontés et l’œcumène
dans le train de nous servir, notre discernementil en passe de tout
investir et, néanmoins,
II nous n’avons prise et languissons à découvert,
mis à la gêne et vivant empêchés de ce qui nous soulage : notre
opulence nous accable et nous ne savons plus faire un dénombrement II

de ces profusions dont l’amas monte et se diversifie. Il est requis


de se pencher un lustre ou deux sur telle ou telle d’entre les matières
II

pour avoir droit d’en parler avec fondement H et les matières s’am-

48
pfifient et se débordent, de mode il qu’il les faut rediviser et qu’on en
trouve une douzaine au lieu de trois ou quatre. Tel médecin qui
dominait le propre de son art en l’étendue la plus générale aura
quitté la place à deux ou trois, puis cinq ou six et toujours davan­
tage : à cette heure on y verrait presse. A quelques générations de
nous, un homme richement il doué se rendait à la fois juriste et phi­
lologue et théologien, sans préjudice de l’histoire et même n H des ma II ­
thématiques,
ii' pouvant connaître en plus la médecine
il ou la physique
et se mêler
ir de belles-lettres, dans la puissance de tout dominer et
de voler de discipline en discipline. Qu’on prenne de nos jours les
illustrations les plus diverses, qu’on vous les réunisse et qu’elles
tiennent assemblée et fût-ce durant bien des mois, elles ne tombe II ­
raient d’accord, à faute de, s’entendre, ou ne s’obligeraient qu’à
divers actes de foi mutuelle
II ; il ne s’y trouverait pas un discernement
II

capable de légitimer ce qu’il approuve en tirant les données de son


fonds, pas une intelligence susceptible d’inférer ce qu’elle admet
de ce qu’elle professe et pas un homme en état de conclure et de
son mouvement,
II mais un chapitre de savants dont tous les membres II

restent cois en leur domaineII et n’en démarquent


II la limite,
H peur de
se démentir ou de se prêter quelque ridicule. Cela nous vaut des
rudiments
II d’une finesse inégalable, une abondance de raisons qui
ne s’accordent plus, des arguments n à la douzaine et point d’image
II

de ce monde, laquelle est impossible


n à l’avenir.

LXVIII. Vœux et remèdes


II Point de réponse générale ou de
lumière
II tout unie et seulement des
cas d’espèce, autant qu’il paraît d’hommes désireux de prendre
ajustement
II ; de la confusion dans les ensembles, II puis le débris
d’un mille
II de solutions contraires, voilà l’image II de ce monde et
la plus justement
II cruelle. La vérité mise
II en dilemme, lllll des règles
provisoires, une morale irrésolue, un amalgame
II II de lois mortes et
d’usages imprécis, mais
II souverains, voilà bien le théâtre où nous
nous prodiguons au déçu de nous-mêmes,
n if les lieux qui nous menacent
II

à tout mouvement et dont il n’est loisible qu’on se tire. Où l’homme lllll

s’interroge avant que de se remuer


II et d’entreprendre, il ne consulte
rien et sa démarche
II enfante l’œuvre et répond même II de la norme II :
nous n’avons d’autres pleiges que nos têtes et vivons solidaires de
nos garanties, nous n’avons d’autre appui que l’assurance et nul
ne nous l’a procurée où nous nous dispensons d’en faire emploi. II

Mais il nous reste, en dépit de l’esseulement,


H l’exemple et l’imitation
de ceux qui nous précèdent, leurs faits et gestes, leur verbe et leur

4 49
enseignement
11 et, plus encore, leur esprit, et sommes-nousIl alors
reçus à prétexter une ignorance criminelle
n ? S’ils furent, n’est-ce
pas à l’intention d’être à jamais
II vivants parmi n nous et ne les tuons-
nous pas une fois seconde en rejetant leurs prises ? Car ils sont morts
pour nous et qui s’immole
n de dessein formé
II n’a-t-il pas donné le
meilleur
II à ceux qu’il aime
n en vision tout comme en espérance ?
Et quelle ingratitude où l’on n’a cultivé de tels attachements II ! où
l’on s’est endurci pour se tirer du pair et se juger plus admirable !
Il faut désespérer, il faut languir à sa confusion, on est tenu de se
haïr dans la rigueur des termes II et nous devons encore davantage :
nous refuser à plier le genou devant l’idole de nos déplaisirs, la rompre
II

sur l’autel et consumer nos morgues


II solennelles dans l’acte pur de
l’adoration. Il est une réponse générale, une lumière tout unie, il
est des vérités et des préceptes, quand nous savons les quérir à la
bonne source et les payer de notre vie en ne cessant de la bouter
en gage.

LXIX. Vengeance de l’arcane En prenant mine


n d’ignorer ce qui
nous passe, on tombe enfin dans
les désordres les plus dignes de risée et l’on en voit qui savent distiller
l’entendement
ri dans une fable et n’aboutissent qu’à des drôleries
graves à souhait. Ils nous démontrent qu’on peut s’abuser selon
les règles.

LXX. Nouveau sublime


n Nous sommes tels que vivant en un
monde
il où trois arpents suffisent à l’am­
bition du plus grand nombre, l’idée que l’espace ait des limites n

renverse tous les jugements et ferme n toutes les lumières.


n De l’infini,
l’entendement
n se jouait merveilleusement
n à l’aise, il en tirait même
n n

un tribut de gloire, il y multipliait les univers, il y goûtait l’ivresse


la plus capiteuse et le vertige le plus éminent
n : le voilà démuni de
ses fantasmes,
n déchu des raisons qu’il apporte à leur mobile et rendu
sans miséricorde
n à la tutelle du cadastre. Cent lieues de pays ou
mille
ri fois cent millions ne changent rien à ce dilemme, où nous
nous savons infailliblement
n délimités, et l’augment infini d’une
distance est peu de chose au regard de son terme, lors même n n que l’on
s’ingénie à le placer à des portées fabuleuses. De tels pensers en­
ferment le dessein d’un change à quoi nous ne voyons d’élusions et
qui nous ôtera pas mal
n de prétéritions ou d’hyperboles, au dam de
nos rhéteurs. Il ne manquait à l’infortune de l’espèce que ce retran­
chement, dont elle a sujet de se plaindre et qui la prive de son lustre,

50
la majesté
Il de nos douleurs ne souffrant de mesure
n et clamant
II après
l’infini d’une aire sans limites. Mais nous n’y perdons rien et l’on
viendra nous soutenir que l’univers n’est plus à notre échelle et
que l’humain
H le passera, ne fût-ce qu’en peinture, et cela nous
annonce une attitude d’un sublime n à la dimension
II du siècle, une
révolte généreuse où l’homme,n jusques alors perdu dans un espace
menaçant de l’engloutir, se bande sous l’entrave et semble reculer
les bornes devers l’infini dont il se juge le miroir
H et qu’il aspire de
violenter.

LXXI. Du devenir à l’absphx De nos jours l’univers est à la


forme ouverte et, malgré n nous,
d’intelligence avec son devenir dont les limites n en recul n’ont laissé
de multiplier
n les voies et ferment
ri les accès au jugement
n de l’homme ni n

à l’investir de raisons péremptoires, le vague s’élargit en nous à


l’heure que nous pénétrons le concert des lois supposées, les fins
du réel se dérobent et tous les droits acquis sur l’évidence ne nous
les rendent plus en la poursuite de l’ouvrage, nous voyons trop
d’emblée et jamais
n ce qui nous accorde, il nous faut abjurer un sem­
blant de logique et nous ensevelir en un désordre concerté, le monde n

se déclare et nous ne parvenons à l’épuiser, nous sommes iiiii dans le


flux, mieux avertis de ce qui nous détrompe, en un regorgement n de
faits, en une redondance de possibles, mais n le moyen
n d’en être la
mesure
n et de les rapporter à nous ? Ces faveurs nous excèdent de
bien loin, ces dépositions nous assourdissent et ces lumières n nous
offusquent, nous voilà derechef abandonnés, avec nous-mêmes n ii et
rien d’autre, et cependant les forces débandées redoublent leurs
empressements,
n le pire nous menace
n où nous l’envisageons gagnés
à ses tutelles et les dehors nous veulent aspirer : nous nous ache­
minons à l’indivis, nous éclatons, manque de bornes stables, c’est
un feu d’artifice, un amas de merveilles
H inutiles dans les approches
de la fin. C’est là le point où nous en sommes.IIIII A l’avenir il n’est que
l’absolu pour mettre
II empêchement à la ruine et fermer l’horizon,
nous rendant une assiette inamovible II et nous délimitant
II à force,
il n’est que l’absolu pour nous tenir à la contrainte la plus désirable
et la plus nécessaire et prévenir l’insatiable accroissement, II pour
soulever le poids de la fatalité nouvelle il n’est que l’absolu, pour
nous réduire à l’indigence et rompre nos mesures,
II pour nous restituer
à nous par une vocation manifeste
II et des freins salutaires il n’est
que l’absolu, l’empire universel et le seul légitime, n il n’est que l’ab­
solu du règne clos, harmonieusement infus et volontairement n tranché,

51
du règne clos délimitant
H l’espace et du régime articulant la suite
de nos lendemains,
II la prévision dirimante
H et la gouverne paternelle,
la douce et l’inflexible qui cède et ne transige pas. Il ne nous reste
que le sommeil ou la mort.
H

LXXII. Le salut Le dogmatisme, H un penchant décidé que nul


par le dogmatisme II n’abjure et qui subsiste sur le même II pied en
tout domaine
ri de l’entendement,
II renouvelant
l’économie
II de ses phases, n’iijiporte
ir l’origine du prétexte, et tra­
vaillant à le consolider, déterminant
n ses lois moins au sujet qu’il
entreprend qu’à ses conduites les plus générales, rebâtissant à des
niveaux dissimilaires
II d’une manière
II continue, une et la même, n

aménageant
II les lieux qui tombent sous l’arrêt, les rendant familiers ir

à nos puissances et réparant le trouble suscité par les nouvelles


découvertes enveloppées dans un tout qu’il administre. La fin du
dogmatisme II est l’iMAGO mundi qu’il édifie, obligeamment iiiii tenace,
en prenant fonds sur l’affluence des lumières, mais ri' il n’endure pas
un change qui les bouleverse et défend l’œuvre de ses jours, quitte
à persévérer dans une erreur indubitable : encore est-il besoin qu’elle
soit générale, universellement
II reçue et qu’elle nous soit imposée,
et qu’on ait la ressource de nous y contraindre.

LXXIII. Séduction Il est plus noble de languir sur le penchant


de l’aventure de ses traditions, mais plus avantageux d’en
être le principe et de les établir en payant
de sa tête, plus valeureux aussi, nul ne nous protégeant, et l’homme
résolu préfère l’aventure à la commodité d’exemples inutiles, car
inutile toute tradition l’est si nul besoin ne la motive plus et qu’elle
s’émancipe
H outre mesure
II avec notre évidence. Les uns mourront
de leurs antilogies, les autres vivent d’elles, elles travaillent à les
affermir
n comme
iiiii ils les mettent
11 en usage et c’est l’exemple à méditer,
II

rien n’étant simple, hors l’illusion. Les bonnes lois préviennent


doucementII ce qu’elles n’auraient assumé,H puis ceux qui les publient
y laisseront de règle un soupçon d’ouverture, afin qu’elles ne tombent
pas en leur entier, entraînant l’édifice dans leur chute : ils les feront
précises, mais ambivalentes, ils ne s’engageront pas au delà, pour
réserver une ombre d’avenir et légiférer à l’avance, donnant à
l’actuel un augment II de validité. Mais tout cela concerne les lois
politiques, jamais les obligations dites civiles, jamais les règles de
II orale simple où tout n’est que sévérité, sans l’espoir d’un allégement
II

52
possible : on se ruinerait à laisser planer l’équivoque en un domaine
étranger, certes, à l’antilogie et dont l’antilogie a le devoir impé
Il ­
rieux de nous répondre.

LXXIV. Appel Mes frères en esprit, le monde vous appelle et


les royaumes de la terre ont soif de libre servitude ;
l’heure est venue de laisser le temple et la retraite et de vous mêler H

à la foule. Que nul ne vous connaisse où vous aventurez la Nouvelle


adorable et qu’ils l’entendent comme à l’impourvu,
II dans le mystère
II

et le recueillement
IT propices. Allez vous partager en vous commu­
niquant et réveillez les âmes en sommeil,
ni n mais
n ne prêchez le nom II

des causes établies : la vôtre-n’en est point et met


ii en l’homme seu­
lement
II' sa lumière et sa complaisance. Ne discernez la fin du monde
en chaque événement et ne jouez avec la peur des simples : le monde II

est dans le cas de nous survivre et nous n’avons pas à nous réjouir
de l’emporter à ses dépens, vu qu’i] est souhaitable qu’il subsiste
et fût-ce contre nous, et même
n n la Nouvelle. L’esprit de charité ne
saurait bâtir au défaut de la matière et notre foi n’est susceptible
d’ébranler une montagne : nous devons maintenir
II ce qui demeure
et transformer
II qui penche à la ruine. Mes frères, que chacun de vous
soit le principe originel et chacun de vous tous la fin dernière !
Allez de vous à vous, en passant par vous-mêmes, vous que le Dieu
suit à la trace !

LXXV. La rébellion sainte Nul n’a la garde du dépôt s’il en


oublie la promesse.
IT Les temps
II sont
avenus qu’il nous est légitime
II de l’ôter par une violence et de dicter
un jugement valide, où nul ne se prononce et chacun se récuse.
Oui, malgré
II ceux qui le défendent, nous l’irons sauver une fois
nouvelle et nous l’ajusterons à nos impératifs, nous n’avons plus
à le jouer à l’heure qu’il s’évente et qu’il se perd sans intermission.
II

LXXVI. Le peuple du retour Que le rassemblement


II des Juifs
en Palestine est un événement II

d’une portée inégalable et tellement qu’il passe tout ce qui s’est


fait depuis vingt siècles, mais
II peu de gens le savent ou l’entendent,
de mode
II que fort peu le brûlent d’empêcher et que les Juifs y gagnent
de se rétablir au milieu
n du mépris
il des nations aveugles. L’Histoire
Sainte, de nos jours, semble avoir commencé pour une fois nouvelle
et sous les yeux du monde
n entier que l’on appelle en témoignage,

53
avant que de le mettre en jugement. L’Histoire Sainte est parmi
nous, dans la figure de ee peuple restauré, dressé vers l'orient, et
que les nations ont immolé durant vingt siècles sans l'abattre.
L’Histoire Sainte vit et nul n'a le pouvoir de rompre à l'avenir
ce que Dieu même lie et scelle.

LXXVII. Le peuple de la fable Ce peuple singulier, ee peuple


d'Israël, en qui le fabuleux ne
se remarque plus et les miracle^ perdent leur raison, dont l'existence
est un prodige et le retour inconcevable, aveugle cheminant le
diadème en tète parmi les nations encore plus aveugles, chez qui
tout paraît ordinaire et pourtant rien ne l'est, qui brave l'évidence
et dément le réel, conduit malgré lui-même au-devant de ses fins
qu’il ne discerne pas.

LXXVIII. Le siècle Le siècle où nous nvous m'éclaircira des


des achèvements doutes qu'il m’a proposés. Il a de bon qu'il
nous illustre ce que les autres ont dissimulé,
qu’il nous dévoile les ébauchements et les mécomptes de nos im­
postures, qu'il ne fait rien qu'il ne surmonte et fût-ce dans l'horreur,
et qu'il s’oblige même à devenir pareil à ce que l'homme ne s’avoue
en ne laissant de l'être. Nous voyons en un même lieu les origines
et les fins qui se pénètrent, nous remontons à tout moment aux
sources les plus reculées, les causes semblent fuir au pourchas de
l’atteinte et les dimensions de l'univers se bander jusqu'à rompre.
Nous sentons le pouvoir de la matière et la faiblesse de l'esprit et,
dans ce monde mis en mouvement, nous demeurons liés à l'appareil
des fables et des mythes, nous efforçant de lever un obstacle, déme­
surément appesanti, par le secours de religions qui furent bonnes
en leur temps, mais dont le nôtre ne saurait s’accommoder, à moins
qu’elles ne changent. Quoi de si vain que de nous rebeller et de
flétrir l’époque, où nous pouvons nous élargir et nous hausser,
ayant l’abîme sur les bras ? Nos charges se sont mille fois accrues,
mais si nous n’entendons que notre siècle nous écrase, il nous im­
porte de le définir et puis de l'assumer. L'histoire ne nous aide plus
et nous devons l'improviser, la créant à proportion ; nous sommes
libres, désormais, et nos limites se démentent au jour la journée,
la démesure est nôtre et force nous sera de compter avec elle, jamais
nous ne retrouverons les bâtiments risibles et superbes que nos
ancêtres élevaient afin de se jouer de l'évidence. Dieu n'en sera
que plus divin et j'attends l'homme qui nous Le rendra, digne de

54
nous et de nos fastes, le plus intime
H dans l’éloignement, le plus
distant en la dernière approche, environnant tout l’être au sein
duquel ses règnes se prononcent et s’unissent, joint à Soi-même
H n à
travers Soi, par le canal de nos entendements.
II

LXXIX. Bravade de l’impie II est plaisant de déifier l’hommeii

et fût-ce le plus digne de l’avoir été,


quand nos savants lui tourneraient l’intelligence en la menant ii où
bon leur semble ; le nouveau dieu s’accuserait lui-même n d’imposture
et donnerait créance aux juges les plus endur;is, il les supplierait
de le flétrir et de faire un exemple
ii à ses dépens, engageant ses ado­
rateurs à rentrer dans Uobéissance. Socrate se fût renié, Luther
abjurerait ses propositions, Mahom se moqueraitff de l’Ange et
n’irait plus se joindre à Dieu, et que serait-ce de nos saints? Voit-on
Bernard, Ignace, François ou Dominique ri en la présence de nos
juges ? Et si N. S. nous revenait, serait-Il pas vaincu dans Sa nature
humaine
if ? L’homme est l’objet de l’homme et nous n’y savons de
remède,
ii où la matière
n débandée a l’avantage et l’esprit délibère
sur le choix dont fl ne sera plus l’arbitre. Et cela nous oblige à sub-
vertir le fondement
ii de nos croyances, tirant meilleur
if parti de la
secousse et nous rangeant à d’autres lois, peur d’être déterminément
H II

enveloppés dans la ruine des anciennes.

LXXX. Réponse du croyant Oui, nous ne craignons pas de


l’avouer, l’humanité
II de J. C. ne
saurait nous suffire et l’immolation passée est inutile, en la rigueur
des termes
II : l’humanité de J. C., l’égale de la nôtre, est désormais
vaincue en elle. Si l’hommeiiiii n’est pas libre, on est tenu de voir en
l’oblation du Seigneur une manière
n de symbole provisoire et qui
ne s’étend nullement
ii à nous, nous que l’Esprit seul a pouvoir de
racheter où notre humanité
n perd ses franchises, nous qui ne pré­
sumons de la gouverne, à n’avoir plus sujet de nous mentir II face
au réel que nous déracinâmes. La charité de N. S. J. C., tout rassem n ­

blé, n’était qu’une figure et le réel est épouvantement, ri et c’est à


quoi notre âme le décèle. Nous sommes à la Grande Peur et pouvons
dire avec dessein que, de nos jours, la mort seconde eut raison du
Seigneur de Vie et qu’il n’est plus d’exemple rr en l’univers. Et,
cependant, l’humanité de l’homme est le jeu solennel à quoi l’Auteur
a convié le monde,
n où Dieu même n. a sa part, s’il n’en devient la mise,
n

et qui ne cesse pas au long des âges ni des lieux. Nous devons poser
l’absolu, nous n’avons d’autre mire n et c’est par lui que nous nous

55
fondons en puissance, mais n l’absolu veut le combat et nul n’en
jouit s’il n’en tremble,n l’embasement
H de notre certitude écrase nos
appuis charnels et le domaine est en épreuve, où nous agonisons,
atlantes débordés. Nous posons l’absolu pour que les autres vivent,
nous sommes n les garants du nonchaloir, les répondants de l’assurance
et nous mourons
h les pleiges de l’humain. Ils nous délèguent leur
sollicitude et nous les dispensons du choix, et s’ils demeurentII libres,
ils ne le doivent qu’à notre allégeance ! Mes frères en esprit, élargissez
votre âme et la rendez comme la mer, II soyez vos engloutis en ne
laissant de déborder tous les rivages, pour que le Dieu vous aime II

et vous habite : alors vous serez pleins de Lui, qui sera plein de vous
et l’univers ne tardera plus à sombrer, vous serez un par l’indivis,
vous serez un dans l’indivis et rendus sans partage à qui se donne
sans mesure
II ! Il est requis de sauver le message
II du Seigneur et de
ne faire état du reste ; il est besoin de regarder à la substance même
de l’enseignement II et de bannir l’amasII des riens et des chimères
qui ne se peuvent soutenir ou persuadent moins qu’ils ne se prêtent
à l’irrévérence ; il faut sortir de la confusion où l’on demeure II à
notre insu par un attachement n vénal, non pour nous exempter du
choix, mais
n à dessein de nous reprendre et de gagner à Dieu des
serviteurs qui se gouvernent librement h et dont chacun vaut plus
qu’un mille
n de zélotes ; il est indispensable de tenter l’épreuve en
le dépouillementn de qui nous fonde et d’aller au-devant du pire
en aimant
ir le Seigneur d’une amour n de désespérance, oui, d’une
amour veuve et d’objets et de prétextes, d’une amour d’abandon,
d’une amour n d’holocauste et d’une amour n enfin si délibérément
n

profonde que Dieu, pris de vertige, y roule du plus haut de Sa


divinité !

CONCLUSION

La vie est une veille au sein de la ténèbre, un éternel commen­


cement
n au fort de ce qui ne s’achève, une éternelle fin de l’univers
que l’univers ignore, un incessant refus lucidementn armé.
n Heureux
qui tremble
n à cause de soi-mêmen n et cesse de trembler pour soi !
Infortunés les murs
h qui ne renferment rien, à la réserve de leur
ombre
n ! Réalité, l’acte de foi de tout l’entendement en les puissances,
de toutes les puissances en l’entendement. n Heureux qui vit en
donnant toute sa mesure et meurt de crainte d’y manquer n !

56
LIVRE DEUXIÈME

DE L’HISTOIRE

I. Approches de l’histoire S’instruire à fond des sentiments


H qui
nous échappent n’est-ce pas là gageure
déclarée ou fantômeIf engageant ? Et c’est à quoi les annalistes se
dévouent et qu’ils s’efforcent de nous rendre, ils ne reculent devant
rien et s’abandonnent à leur intuition sur les arrangements
II à prendre,
ils se transforment en oracles, ils restituent le passé dans les rapports
essentiels à qui leur en fait la demande
II et, par les procédés à bien
mettre en usage, ils y découvrent les leçons que nos instances sol­
licitent, leçons prodigieuses dont la teneur varie au gré des juges,
temps ou lieux, mais
n qui leur savent délivrer les attestations les
plus serviles et les mieux
ri venues, leçons qui tiennent de la fable
et fixent l’évidence en fournissant aux dépositions du siècle, l’his­
toire ayant pour tâche de lui prodiguer le secours nécessaire en dé­
terminant son langage à l’offre. L’histoire, un jugement qui se
veut terminal et dont la génération suivante appelle en réformant II

notre sentence.

II. L’histoire fable L’histoire, sans mentir, est un asile de licences.


Nous voyons que l’on entreprend sur elle et
la retourne et vous la rebâtit si bien que sa réalité s’efface dans
les jugements
n dont on ne cesse d’appeler. Tel s’ingénie à dénombrer
les mille
n occasions perdues, dont tout le moins qu’on puisse dire
est qu’elles baillent force gages au néant. Quoi de plus faussement
insidieux que de la réformer à l’aide de possibles ? Que savons-
nous d’un homme et que présume-t-on
u d’un mort? Nous nous payons
d’une réalité fâcheuse en dérivant le cours du fleuve où nous ne

57
passons plus. On ne connaît jamais ce que l’on interroge et la ré­
ponse émane
II trop de fois de celui qui la veut entendre. L’histoire
ramassée
II en un seul point ne fléchit guère l’évidence et le dernier
événement
II efface l’œuvre de dix siècles.

III. Néant des faits Je sais tel fait dont la mémoire


fi a mis les
siècles en rumeur
•I et qui présentement
n nous
laisse tout comme de glace, et j’en sais d’autres qui nous semblent
n

merveilleux
II et qui mourront de leur plus belle mort au fond des
oubliettes. Les preuves prouvent ce qu’on leur fait rendre et nous
démontrent ce que l’on désire ; nous sommes
n les plus forts, et même
n n

contre l’évidence à quoi nous taillons mille


n habillements
II divers.

IV. Prétexte de
I la cause L’on nomme cause un enchevêtrement II

et d’absolus et de possibles, l’indis­


cernable amas II à quoi nous nous bornons, voulant que toute chose
s’y ramène,
II un parti pris à défaut d’autre et que bien d’autres
savent remplacer
II' le temps
n venu, la fin, mais la fin provisoire de
l’enquête et davantage un signe qu’une préséance. En toute cause
il est une abondance d’élémentsn qui ne se définissent guère en leur
particulier et dont nous recevons l’intelligence en vertu de leurs
mutuels
n rapports, éléments
ii dits de situation et qui dépendent de
l’assiette. Nous raisonnons à l’infini sur les mobiles de l’histoire,
les causes de la précellence et de la chute et le pourquoi de l’inégalité
de peuple à peuple ou d’âge en âge, mais ri nous n’y sommes
11141 point
de bonne foi, le sujet nous regarde de trop près et nous nous y mêlons
II

plus qu’il n’est désirable, avec le souci permanentII de nous laver


des charges les moins ambiguës et de semer H l’incertitude où l’évidence
est un empêchement.

V. Effets et causes Que dans l’histoire les effets ne nous ré­


pondent nullement
n des causes, lesquelles ne
sauraient les préjuger à tous les coups. A l’origine des événements
n

l’on ne discerne qu’une masse et l’on y taille à l’aventure ou suivant


nos penchants couverts et les idées à la mode, mais l’on retire un
autre jour les raisons qu’on avance et remanien un même
n n fait au
long d’un inventaire que l’on ne cesse d’infirmer
n de temps en temps,
nous passons en revue une séquence interminable et n’avons jamais
tort, puisque les faits nous doivent l’existence et que leur poids
n’est rien dès le moment
n n que nous les oublions, nous nous vengeons

58
des rebuts essuyés et nous nous payons de l’absurde en tordant
l’évidence ou devenant, pour ainsi dire, une fatalité nouvelle à quoi
l’événement
ii s’ordonne.

VI. Puissance de l’histoire Qui fut et qui ne fut jamais


n ne seraient
qu’indivis et que néant, mais la mé n ­

moire
n suffit à les rompre
n et désunit l’événement n passé d’avec l’inexis­
tence. Le fait de l’homme ii n’est-il pas d’introniser le temps et de
le changer aux annales ? L’histoire se présente comme n l’artifice
le plus nécessaire et le mensonge le plus prévenant, sans quoi le
train du monde ne serait qu’impermanence
n n et l’homme le jouet du
provisoire inaltérable en son avènement. n L’histoire vit, soit qu’elle
demeure
n intangible à force de nous contenter à la manière n d’un
proverbe ou même n n d’une liturgie, soit qu’elle suive nos démarches ir

et se rende leur complice. Nous faisons d’elle tout ce qu’il nous plaît
d’en faire et disposons de sa richesse à notre volonté, mais il se
peut qu’elle se venge et nous contraigne à lui donner le pas sur
l’évidence, au risque de tout renverser : le passé, devenu présent,
entre en matière et nous réduit à consentir où le réel demande II qu’on
résiste, les faits se payent de nos mots et de leur mésusage, et nous
allons tête baissée au-devant de la honte en expiation d’un faux
honneur ou de chimères savamment lllll entretenues. Le ridicule en
une nation ne saurait provenir de sa faiblesse, pas même n de la dé­
mesure
II et chaque outrance emporte
II une agonie ou la menace
n d’une
fin totale, il se dérive d’un semblant d’allure et d’un engagement II

prêt à se démentir
II en face de l’adversité.

VII. Triomphe de l’inattendu L’histoire est belle et je crains


toutefois de raisonner sur les
exemples qu’elle nous étale et que l’on juge au gré des peuples et
des temps,
II selon les découvertes et les goûts de chaque génération
dont nul ne se pourra déprendre, en sorte qu’il est malheureux
II d’en
tirer la leçon, leçon inévitablement sujette aux variations impré­
visibles. Suffit-il pas d’un fait nouveau pour qu’on ruine des idées
admirables dont le seul tort fut de ne l’avoir pas envisagé ?

VIII. Abornement des causes Les causes les plus reculées emII ­

brouillent ce qu’elles démontrent,


vu qu’elles partent de trop loin pour avérer ce qui nous touche, en
nous le rendant plus étrange. On n’a que faire de ces preuves fabu­
leuses qui vous remuent tant de pays et d’années, qui rompent tant

59
d’usages établis, qui mettent
ri le désordre en nos puissances, qui nous
accablent et nous étourdissent : ce sont là jeux qui ne méritent pas
qu’on se travaille. Les causes nécessaires ne se logent pas si loin et
ne demandent
n pas qu’on les dépasse en les légitimant
n à force : il
est des points d’arrêt dont il est bon qu’on ne se prive et qu’on ne
gagne pas à démasquer,
ri fût-ce en les reculant, il est des bornes
provisoires qu’il nous sied de juger éternelles, quitte à les déplacer
le temps venu. Rien ne s’ébranle et nulle chose ne se parachève,
à défaut de limites.
n

IX. Éloge des limites Tout se relie et tout s’enchaîne, mais


n nous
n’avons que faire de ces liaisons multi­
pliées et de ces mille enchaînements, nous qui venons pour trancher
et les rompre,
n et bâtir l’univers en partant de nos fins, nous de
qui l’évidence émane
n et qui la recevons avec l’image
n du réel, nous
dont le moindre est ]a position de l’absolu, le moindre l’œil de Dieu,
le moindre la raison de tout ce qu’il renferme ii ou départage.

X. Litige sur les fins C’est une illusion que d’aligner les faits et
tel suivant tel autre est dans le cas de n’en
jamais dépendre et de se dériver d’un épisode antérieur ou mieux n

de quelque enchaînement n indiscernable, de mode que l’éventuel


part de multiples
H sources à la fois, les unes proches et d’aucunes
en des lieux à jamais hors d’atteinte. Assigner une cause est le
partage des oisifs et l’inclination des simples, et c’est encore la
menée
II des pervers et l’appui scandaleux des gouvernants illégitimes,
nul n’ayant de regard pour les réserves que ces définitions appellent,
mais tout le monde
ri à solliciter des coupables. Or, le moyen
iï de les
trouver quand on ne les invente pas? D’où l’obligation de simplifier
l’évidence et de réduire le réel à ce qui donne dans la vue, adultérant
l’histoire et lui faisant porter le caractère le plus émouvant, que dis-je,
le plus pathétique ! l’on montre ainsi l’enchaînement essentiel. L’on
met
n le mal en face et parle tout modestement n au nom du bien que
l’on assume, l’on détermine n les coupables, la forfaiture les dénonce,
on les arrête au piège et l’on s’honore de les immoler, l’histoire est
le champ de bataille où la malice se déploie et les vertus se réta­
blissent en triomphe. Que si tel peuple nous abat, il est la verge
du Seigneur et nous devons à l’avenir plus de soumission aux
prêtres ; que si tel peuple est renversé, Dieu nous prodigue ses faveurs
et nous engage à Le servir plus furieusement encore ; que si la terre
tremble,
n Dieu nous corrige et nous fait avertissement n de L’aimer
n

sans partage ; que règne l’abondance, les uns ne manquerontn d ’y

60
voir le fruit des bonnes œuvres, les autres la déploreront, y discernant
une menace
n épouvantable. L’histoire, cependant, ignore la finalité,
de même
n que les raisons pathétiques, elle est modeste
Il et néanmoins
subtile et, creusant les motifs, multipliant
H les sources, revenant sur
elle à chaque pas, est-il loisible qu’elle donne une retraite aux pré­
jugés, mêlant l’antécédant, le conséquent, le changeant et le per­
sistant pour le service de nos fables ?

XL Dilemme de l’autorité L’autorité n’est pas le nombre et


l’âge vénérable d’une erreur ne la
mitige
ti aucunement
H ; une aberration me semble toujours neuve et
dès le moment
n qu’on la sonde à découvert. Notre devoir est de
céder à l’évidence et d’y ranger nos modes et nos lois : jamais alors
l’humain ne cesse d’être noble et de se confirmer n en ce qu’il a de
plus valablement
n solide, au mépris de l’intermittence
ii ou de l’alter­
native consenties. Il est des faux qui dorment
n douze siècles et des
illusions que l’on reçoit depuis les origines, mais
il qui ne laissent de
tomber en moins de rien, car dix mille ans ne pèsent guère face au
jour qui les annule et ce jour-là peut avenir et chaque lendemain II !

XII. L’engagement et le refus Nous recevons une nouvelle à pro­


portion de l’engagement et si nous
inclinons à croire un fait mal n démontré,
n quand nous nous rendons
difficiles sur un autre qui l’est mieux et même H le mieux appuyé,
c’est qu’il attente au jugement
II du reste ou nous oblige à des présomp­
tions inadmissibles. En ces domaines-là, nos procédés varient à
mesure de nos fins et qui nous mène II au parallèle est de mauvaise
II

foi, car il s’agit bien moins de l’éclaircissement que de l’allure à


prendre au sortir de la polémique ! Oui, plus les faits tendent au
loin, plus notre jugement balance et plus nous réclamons II de sûretés
nouvelles, à bon droit, ce nous semble-t-il,
n en prévision des suprêmes
conséquences. Une querelle d’érudits ne nous affecte point et ne
s’évade guère de leurs livres, nous les laissons à leurs débats imagi n ­
naires, nous recevons de leurs lumières le tempérament le mieux
ajusté, nous en tenant à l’avis le plus raisonnable, mais h il en va
différemment touchant les Evangiles, d’abord à cause qu’on les
disait infaillibles, raison de nous piquer d’honneur, et puis en vertu
de leur influence : là, le menu
n détail respire bien la majesté
n de la
matière
n et l’on redouble d’exigence, les uns mus n par l’ambition de
saper l’édifice, les autres de le conformer
n à telle ou telle vision dont
ils professent la doctrine, si difficiles sur le choix, les uns de même n-

que les autres, que nulle histoire ne serait possible ailleurs et que

61
les grandes lignes resteraient dans l’ombre. Il n’est pas requis de
leur en vouloir et nos chercheurs ont quelque fondement Il à raffiner
sur le litige, il le mérite
H raisonnablement et, de nos jours, l’on ne
saurait assez l’étudier, puis leur empressement
II nous marque
ü d’évi­
dents hommages : c’est apparence que le sujet ne s’épuise guère et
qu’on n’en finit l’examen,
ü tant nous y sommes
lllll engagés. Qui prouve­
rait que Jésus n’est pas Juif le convainc de mensonge et s’il le rend
plus agréable aux payens baptisés, il réduit à néant promesses,
prophéties et royauté messianique, et si Jésus ne descend plus de
leur maison royale, encore qu’on le tienne Juif, il fait figure d’im ü ­

posteur et ses triomphes ne démontrent


ü rien : il est donc nécessaire
qu’il soit Juif et du lignage des rois judéens. Le reste à l’avenant.
A l’égard de la culpabilité des Juifs, si l’on observe qu’ils se dis­
persèrent et dès avant la mort du Christ, vivant en mille ii endroits
de la Tarragonaise à la Chaldée et plus nombreux en la dernière
qu’en la Palestine, il est absurde de leur imputer la condamnation

du Maître, dont ils ne surent parfois l’existence qu’en essuyant pour


la première
ii fois l’outrage des adeptes.

XIII. L’histoire
i et la tradition Si la tradition est le dépôt ina­
movible,
H l’histoire est le procès
en permanence,
n mais l’une rejaillit sur l’autre et le partage en semble
malaisé,
ii les deux sont quelquefois d’intelligence ou feindront bien
de l’être et, si l’on fausse l’une à violenter la seconde, il se peut même ü

que les deux s’ignorent, faisant bande à part, et qu’on défère à la


tradition où l’on ne laisse de changer l’histoire, les esprits les plus
déliés et les plus difficiles sur Je choix ne balançant pas à la recevoir
en tant que telle et n’ayant garde de la réviser, eux qui raffinent
à plaisir sur le dépouillement ü de nos annales : sous l’ombre de la
foi, les hommes
il les plus retenus en tous leurs jugements ü prononcent
sans délibérer et parlent sans entendre, ayant mis le discernement ü

à la contrainte. On veut l’histoire complaisante et, de ce pas, la


rend notre sujette ; elle est une façon de voir où l’on ne manque II pas
de se trouver, la représentation qu’on se donne, un jeu de qui la
règle principale est de n’en convenir jamais, il une émulation
n de
certitude provisoire en quoi l’on prétend statuer inamoviblement n n

à l’avenir, une reprise solennelle et visant à tout abolir, moins l’arrêt


qu’elle dresse. La tradition, elle, est d’un usage plus embarrassant
et l’on en sait de tellementil rigides qu’il n’est moyen
il de réformer
il ce
qu’elles nous imposent
il : il ne nous reste alors qu’à les diviniser pour
les réduire à l’impuissance, un tout dont les habiles se sont avisés
avec un bonheur manifeste. De même ii ii que dans une langue il est

62
des façons qui ne changent plus, des phrases faites que les générations
se passent et des proverbes subsistant comme fl des îles en la mer
n

mouvante, les traditions vivent immobiles,


fl quand tout se mue n à
l’entour d’elles. Tel roi serait abominé de nous, qui fit peut-être
les délices de nos pères : nous le voyons avec leurs yeux, non pas
les nôtres, priant les souverains de se régler sur un modèle
If cher à
la mémoire
n ii et ne songeant que nul n’y gagnerait présentement. II

Tel autre serait susceptible de nous convenir et nous l’appréhendons


à simple
11 vue, nous souvenant qu’on ne l’aimait
II pas à son heure,
qu’il parut malheureux
II et qu’on le diffama.

XIV. La permanence Tout nous échappe, hors l’esprit, et ce


de l’esprit domaine-là ne change point, l’abstrait se
ralliant à l’immutable. Qu’on se dépouille
enfin de ce qui nous attache, nul d’entre nous, quand même n u il serait
au plus haut, n’ira descendre ailleurs qu’aux lieux de son départ.
Il est absurde de se modérer de vive force où nous envisageons les
mœurs et les mobiles,
II lesquels infirment II ce détachement
11 et l’on
rédige moins que l’on ne plaide, il nous est impossible II de nous ou­
blier et nous y revenons en tapinois. L’image du passé me semble
l’inventaire de nos vues et même
fi ii de nos invectives, nous y mettonsII

décidément
ii; du nôtre et ne nous échauffons que pour des fables
éloquentes au superlatif, où les aveux abondent et les procédés, le
tout moins volontaire qu’on ne l’imagine. n Et le moyen
n de cultiver
ce beau détachement, sauf à se perdre en la mystique n ? Les mœurs
et les mobiles du passé relèvent-ils de ce qui les résigne et se peut-il
qu’on les renferme en ce dépouillement n lequel s’exerce à les répudier ?
On nous objectera qu’il faut s’abstraire et qu’on discernera le de-
n eurant à l’aventure, que par un merveilleux
H détour on en réformeran

l’arrangement tout d’une vue, où l’intuition débande les ressorts


et frustre le néant de ces fantômes qu’elle éprouve. L’on ne se forge
pas une âmeII à la mesure
II des temps II révolus, mais l’on compose des
romans roulant sur les annales et le passé que l’on n’altère plus
meurt
II une fois seconde. L’histoire est une affaire d’inclination, de
mode ou de parti, plutôt que vérité mise n en lumière et nous voyons
avec les yeux du siècle, ou mieux fi de notre génération.

XV. Leçon à méditer Tel fait qui ne ressemble à rien ou ne parut


trancher sur le commun
n de notre histoire
est dans le cas de ressortir et le plus vivement,
ff sans préjudice d’ap­
plications outrées, mais
II tel dont le ressouvenir obsède les vivants
perd de son lustre au jour le jour, avant de s’identifier à l’ordinaire.

63
L’enseignement
H d’un homme,
lllll d’un homme
HIH pauvre et démuni, qui
vécut dans le fond d’une province, a remué les peuples et les temps
II

et fondé l’ère où nous nous situons depuis vingt siècles, nous, les
témoins du menaçant
II empire échafaudé pour durer mille
II années
ou davantage et qui ne laisse rien, hors des ruines et des tombes,
de la fumée
II et la plus vague des rumeurs,
If plus qu’à demi couverte.

XVI. Emplacement
n du mal
n Ce qui fut mal n dans le passé le reste
à l’avenir à l’égard du passé, le reste
et le demeurerait
n quand l’avenir lui ferait pleinement justice, quand
n ême
if il se modèlerait
n sur la matière
n de l’exemple,n et l’on a beau
se travailler l’entendement, beau multiplier
n les sophismes, n l’on serait
bien en peine de l’apologie à le restituer à nous dans son originelle
virulence. On loue un traître et l’on vénère les félons que le bonheur
appuie, et l’on enjambe les événements, n volant par-dessus l’objet
du litige, les yeux tournés vers une fin connue au préalable et qui
dévie les suffrages. Et, tout de même, n n on s’ingénie à se laver d’une
conduite sciemment préméditée,
II que rien ne légitime, ii à moins
n de
saper notre foi jusqu’à la subversion générale, en prenant fonds
sur les vicissitudes de l’histoire : on farde menées h et cabales, l’on
innocente les bourreaux et les habiles, parce qu’une alliance se
renverse et que les ennemis n changent de camp. n Il serait bon de les
punir au lieu de leur laisser le temps if de remonter
ii i à la surface en
invoquant des riens sonores et des arguments n cornus, en cherchant
manifestement
n n querelle à ceux qui les amnistièrent, en semant n la
confusion dont ils s’étayent de leur mieux, ii en se rendant accusateurs
où le silence leur serait de mise,n coupables à jamais n et persévérant
dans l’ignominie,
n en sorte que l’acharnement fi les portant à la tête
est moins le désir d’amende
n honorable que le projet de diffamer n

leurs juges, moins le dessein de racheter que de glorifier la forfaiture


et d’ériger les crimes
n en exemple.n Il est dommage de se servir de
tels compagnons,
n mais
n il est déplorable de céder le pas à qui n’a
plus à se montrer
n au jour, mais
ii à se dévouer dans l’ombre, ii à mourir
n

sans loyer et que l’on rémunère


n en perdant sa mémoiren et la mémoire
n

de ses félonies.

XVII. Constantes Depuis les commencements


if n de l’histoire, nul
de l’histoire n’a fait table rase et les rebelles, devenus les
n maîtres, se sont gardés de brusquer la nature

et d’improviser une voie où d’autres auraient plus de latitude. Rien


ne transformera
if le monde en son entier et, malgré
n l’apparence, il

64
reste un fonds sur quoi les normes n roulent, il reste un noyau de
possibles qu’on ne passe, un réseau de limites
H qu’on n’enfreint et
de démarches
fi qui ne s’abolissent plus. Dès le principe, l’homme iflii

eut la plénière connaissance et depuis deux fois mille


n années il vient
remplir les moules préalables, il n’a rien inventé qu’il n’ait dû pres­
sentir et, malgré
n l’évidence, il a gagné tous les paris ouverts contre
elle.

» l’homme
XVIII. Le fait de Depuis que l’homme peuple l’uni­
vers, il est en différend avec les lieux
de sa condition qu’il dénature pour s’y retrouver. L’image n de ce
monde est mouvement
n de siècle en siècle et même
n dans chacun de
nous, nous sommes
hIîï
libres de la retoucher à notre guise, de nous
l’associer ou de la rendre l’ennemie n de l’humain.
n Le monde
n nous
assiste des faveurs que nous lui prodiguons et nous retranche celles
qu’on dénie à son théâtre. Qu’on sache qu’il ne tient qu’à nous de
faire de la vie une grimace
u et de trembler
n à notre image où l’univers
nous la renvoie.

XIX. Le brisement
if de l’indivis Dans le passé tout semble de
niveau, tous les événementsII re­
posent hors d’atteinte en une majesté
ri profonde où l’esprit s’aventure
et se découvre fasciné, domaine
n immense et climat aboli dont la
mesure
II est de n’en point avoir, destitué de ses recours à faute d’un
présent qui le rappelle, enseveli dans l’impuissance
n où nous le vouons
à l’oubli, mais sans lequel le présent même n H nous échappe. Notre
présent n’est que l’affleurement
H perpétuel, ou mieux
If l’exhaussement
II

d’une façon de socle et par lequel l’amas II du révolu se manifeste


II à
nous, où le passé n’est rien quand on ne le ranime II pas et ne le re­
manie
n au long de la semblance, et le présent ne vaut qu’à raison de
l’embasement
n n qui le situe en une sphère intelligible. A nier telle
congruence, on aboutit à vivre par secousses, sauf à languir en
l’indéterminé.
II

XX. L’histoire fille A l’origine était l’aheurtement et de ce branle


de l’aheurtement
II naquit la démarche,
II où l’être semble la ré­
ponse à qui l’a suscité pour mieux
fl l’abattre,
En l’homme vague le possible et le possible est en éveil quand il
éprouve la menace
II et s’e: II ploie à la détourner : dans cette vue,
un ordre se fait jour et nous le prenons à garant, mis à la gêne de

5 65
dessein formé,
II pour triompher
II et sans comparaison ou pour nous
perdre et sans ressource. Alors l’humain
II se choisit immanquablement
IIIII

et n’en dispose par ailleurs, il monte à la surface, il en épouse le


contour et s’affranchit de seconder l’atteinte : il la retourne, l’al­
térant, jusqu’à ce qu’il se l’associe et brandit l’arme, II à l’avenir
complice,
II et dont le monde a fourni le prétexte.

XXI. Le choc est Le choc est père de l’événement, à la condition


père de
i l’événement que l’homme II ne s’y plie et tire un augment de
vigueur de la menace balancée. Où l’entourage
le seconde et l’affranchit de se porter à la limite ii ou même
II II de la
reculer, l’homme
IIIII ira s’énervant de proche en proche, et, de
l’acquiescence imperceptible
II en vient aux servitudes sans appel,
né pour languir et végéter, esclave d’un bonheur plus redoutable
que la mort. Où la nature moins ru prodigue l’asservit au jour le
jour et le contraint à veiller sans ressource, il ne s’y gagnera pas
davantage et donnera l’exclusion à tout ce qui ne l’aide à vivre
sans délai. Le choc est père de l’événement, u à charge qu’il suscite
l’harmonie
II et que l’humain réponde, et sa réponse nous la dénom II ­

mons l’histoire.

XXII. Ambivalence Pour être il faut que tout commence


mu et tout
a l’obligation de remourir
il sans discontinuer,
aux fins que l’être se soutienne et malgré
n les mutations
n qui servent
à le rendre inamovible,
n mais
n une loi d’airain refuse l’éternel à ce
qui prenant origine a voulu se délimiter et qui, brisant l’attache,
est devenu l’agent de son altérité, le fondement de sa gouverne et
le domaine de sa référence : il obtient la franchise convoitée, il en
emporte les faveurs, mais il la paye de sa tête. Qui veut tout ce
qu’il veut a les moyens de le pouvoir, s’il reste confiné dans la mesure
n

le déterminant,
il hors de laquelle il ne subsiste que la mort ou la
démence.
il

XXIII. De la nécessité Que la nécessité n’est qu’enchevêtrement


d’effervescences, moyenne
n de saillies et
constellation de branles, balance de ferveurs et de commotions,
étau d’essors et de litiges où, pour un infini d’emportements,
n un
acte se fait jour à la faveur d’un mille de ruines, où l’ordonnance
est une tuerie froide et l’harmonie un abrégé cruel. Que la nécessité

66
domine en formant une élection aveugle et parce qu’elle ne ménage
ii

rien, et que l’absurde est l’instrument


H de sa tutelle en même
n temps
que la promesse de nos libertés, l’absurde ouvrant les intervalles
et les marges
il dont l’homme
iiiii s’accommode
il pour jouer et s’affranchir.

XXIV. Tout choix est meurtre Pour s’ébranler, il est aucune


fois besoin de faire place nette
en rompant moules et modèles.
n Le souverain de Chine qui brûla
tant d’œuvres du passé, voulait, en secouant l’entrave, assurer
l’avenir pour les diverses nations qu’il avait rassemblées en une
seule, chacune avec ses traditions divergentes. Fallait-il pas les
mener
n à l’oubli dans le dessein de les confondre et de tirer l’empire
ii

de leur mutuel renoncement à l’héritage propre ? L’histoire lui


donna raison. Tout choix est meurtre
n et nous avons à l’expier, le
bon comme
n l’indigne, et toute forme ensevelissement ; le péché dit
originel nous vient de là, non pas d’ailleurs, et l’existence est à ce
prix. L’histoire semble le combat que l’homme mène n pour s’atteindre
avec l’intention de se choisir et sa visée implique sa révolte ; l’his­
toire est une lutte de l’informen qui se désavoue et s’appareille en
un renoncement
n aux voies du possible ; l’histoire est une impasse
consentie et faute de laquelle un peuple est en deçà de la réalité ;
l’histoire aspire avant que d’être et souffle sur le monde qu’elle
violente et change à son économie, n elle est et c’est par elle que nous
sommes,
n et c’est en elle que nous devenons, et c’est pour elle que
nous mourons libres et légitimés.n

XXV. L’histoire est un refus L’histoire est un refus : un peuple


naît à dire non et de s’en faire
gloire, et de ce pas il divertit son inclination de tout ce qui l’a ba­
lancée, il consolide sa démarche et prend l’ajustement le plus aven­
tureux, heurtant de front et donnant la bataille. Que défend-il au
juste à l’heure qu’on ne le menace irrésistiblement et qu’il lui suffi­
rait de se démettre
n ? Ce n’est pas lui qu’il défend de la sorte et s’il
encourt la haine générale et risque d’en périr, il lutte afin de sentir
qu’il résiste et de se gagner sur l’effroi de sa condition, d’être en
un mot, d’être et de s’établir en une permanence inamovible iï : cela
vaut tous les maux
ii et les martyres.
n Qui s’eni exempte est digne de
mépris
n et ne mérite plus de vivre ; aussi ne vivra-t-il jamais,
n n’ayant
pas consenti de naître. L’histoire est une douleur continue et c’est
par elle que nous devenons et que nos fastes se déploient, les arts
se forment
n et les langues s’édifient, par elle que l’humain
n se tente

67
et se déclare et que le genre se diversifie en aboutissementsil con­
traires, que les splendeurs montent à la surface et que le sol se peuple
de sommets.
u L’histoire agence les parties qu’elle éprouve, elle ouvre
les chemins
n qu’elle discerne et délimite
n les abords qu’elle s’assigne,
elle est un ordre en quête de son harmonie,
n un devenir à la recherche
de ses fins premières,
n le moule
n en passe de se rompre et que travaille
un éternel enfantement
n de formes
n idéales.

XXVI. Prestige de l’histoire Heureux le peuple maître


II de ses
fins, qui meurt
H sachant la cause et
vit évaluant l’augure et les aplombs
n ! Heureux le peuple quitte de
son ombre
II et plein d’inviolable attachement
h à ce qui le rempare !
Heureux le peuple aux yeux duquel tout signifie et s’appareille !
Heureux le peuple né, l’issu des limbes et des gémonies !

XXVII. Inégalité des peuples II tombe sous l’entendement que


tous les peuples
1 ne sont pas éga­
lement
n doués et que leur éminence
II a lieu de varier d’étrange sorte,
à raison de leurs glandes ou viscères ; qu’il en est de plus mâles et
de plus efféminés,
n voire d’enfantins, et qu’il en est de roides ou de
malléables
ri : les uns commandent
n et les autres le subissent, les uns
se changent d’affilée ou d’autres se conservent immuables,
ni n tel nous
donnant sa langue et tel ses lois et tel jusqu’à ses dieux, tel autre
les prenant ensemble et pour se juger leur égal, quand il n’est rien
qu’il ne leur doive ; tel créateur et tel garant de l’œuvre ou de la
prise, et tel la laissant dépérir; tel inutile à l’univers entier au point
qu’il finirait en l’indolence générale et tel ayant marqué
n le monde
au sceau d’une matière
n inimitable.

XXVIII. Les maîtres légitimes


n Que chaque lieu me semble
n dans
l’attente de son maître. Il ne
suffit aucunement
n de vivre en une terre et d’y languir depuis
vingt siècles pour la mériter,
n il faut encore qu’on l’amende
n et la
travaille. Heureux le pays misn entre les mains
n de ceux qui l’embel
n ­
lissent et trois fois misérable la contrée assujettie à des barbares
légitimes
n ! En vérité, qui se refuse au changement n de l’heure et qui
s’efforce de perpétuer le dénûment
ri et l’ignorance abdique l’apanage
et se condamne à perdre irrémissiblement n ses droits les mieux
n

fondés.

68
XXIX. Présence du milieu Que l’entourage fait empêchement H

aux uns, mais


n semble irriter la vertu
des autres, et qu’en un même n lieu des peuples édifient ou végètent
à trois âges d’intervalle, et quelquefois des peuples issus de la même
n n

souche. Qu’est l’hommen en Règle générale, s’il ne paraît uniquement


n

l’effet du sol ou l’œuvre de la race, encore qu’il soit l’un ou l’autre


et plus souvent les deux ? Le choix qu’il forme n et le dessein qu’il
prend, et toujours le possible débordant de résolutions nouvelles,
le monde
n en mouvement et les réponses dans l’attente, à l’abri de
ses murs.
ii Plus il est malléable
n quand il faut et peser le mobile et
légitimerrr la démarche,
n plus il est ferme à l’heure de l’assentiment,
n

et plus il ira contestant de fougues et d’hégémonie avec les lieux


de sa gouverne et les traditions de sa lignée et plus il sera proche de
lui-même,
n car l’homme ne s’atteint qu’en l’altitude, voire au défaut
de sa correspondance.

XXX. Genèse de la force Qui sollicite l’énergie est dans le cas


de promouvoir la force et nous savons
de longue date et l’endurance et la vigueur d’un peuple accoutumé n

de se roidir à seule fin de subsister, luttant avec les paluds qu’il


assèche ou ]es rivières qu’il endigue et s’obstinant à rompre la forêt,
à ceinturer la mer,
ii à percer la montagne. Ce peuple amasse n des
réserves de constance et le voilà plus fort qu’il n’imagine et fait
pour donner des soucis à qui l’entoure, le voilà propre à s’ingérer
de leurs besognes et querelles, sa vigueur ne le laissant en repos
dès le moment qu’il a suffi contre l’empêchement
n n de la nature.
Venise dompte sa lagune et la Hollande épuisera la mer n avant que
de porter leur domination jusqu’aux limites n des deux Indes. Un
peuple correspond aux forces qui le sollicitent, duel dont l’issue
est l’enjeu remis
n d’alternatives en retournements,
n jusqu’à ce qu’il
parvienne à s’établir ou qu’il succombe, et les mobiles des a chute
ont la vertu de l’épauler s’il en est digne et de répondre même n n de
sa précellence, à la condition de n’être pas démesurés.
n

XXXI. La force en la division Le fondement


n de l’unité repose
en le balancement
n de ses con­
traires. Nous sommes forts de ce qui nous déchire et ne parvient à
nous abattre. Les nations men semblent d’autant plus à redouter
qu’elles sont moins unies, où rien ne les menace.
n Quoi de si mer
n ­
veilleux que l’union de tant de forces librement
n éparses, chacune
donnant sa mesure,
n et qui travaillent à la même
n n fin, accoutumées
n

69
qu’elles sont à la poursuivre en cent et mille
n ? Quoi de plus ferme
et de mieux
Il cimenté
n que l’accord généreux de mouvements
n n adverses
portant sur la même
ii ri voie le plein de leurs carrières opposées ?

XXXII. Sublime de l’histoire L’histoire est un échange de con­


traires dans le sein d’un battement
qui se déploie ou s’involue, un entr’empêchement H d’alternatives
et de chutes, une balance d’agonies d’où ne s’élèvent que des ru­
meurs majestueusement
H n lointaines, la permanence
n du passage et
l’oubli des moyens misn en éprehve, un aplanissement
n d’où les som­
mets
H jaillissent, un indivis de morts secondes.

XXXIII. Menace de l’absurde,


I L’absurde, le moteur de toutes
réponse du tragique les raisons qui s’ingénient à le
transmuer et ne parviennent à
l’anéantir, est la menace
ri à jamais suspendue et sur l’entendement n

de l’homme
ri et sur les fins de l’univers, le cauchemar dont ]a pré­
sence se devine où le réel s’entr’ouvre et la négation de l’absolu
dont l’âme s’alimente,
n un infondé de vagues et de voies, de spasmes n

et de battements, un enveloppement n de chutes et d’essors, un


monstre
n aveugle et froidement
n lucide, mais jamais ]’être que nous
présumons
n et toujours moins qu’une personne. L’absurde nous ignore,
de même
n n qu’il ne se connaît, et nous le sentons au milieu
n1 de nous,
fait d’immanence et de séquences démenties : il nous alarme et nous
ne pouvons subsister, manque
ri de lui, rivés à qui nous désassemble
et défendant qui nous abat. Telle est la destinée de l’humain, laquelle
ne se légitimen qu’à l’égard des mêmes
n n fins que nous nous assignâmes.
n

Point de solution valide et point de raison dirimante, n mais


if quelle
tragédie auguste et souveraine, et quel enivrement n d’être homme et
de savoir que l’univers ne nous mériteri pas !

XXXIV. Largesses de l’histoire L’histoire s’offre aux divers


peuples de la terre par une suc­
cession non interrompue et les engage à s’illustrer en suivant l’occur­
rence, mais n’est pas dans l’usage d’insister et ne les sollicite guère
une seconde fois, à quelques races près. L’Espagne et l’Angleterre
ont eu ce bonheur en partage et s’en montrèrent
iï dignes, la France
et l’Allemagne
n ont échoué : la langue des premiers
n survit à leurs
empires,
n où l’allemand
n et le français ne passeront leurs bornes
naturelles. A tel moment l’on pouvait gagner un pays entier, tel

70
autre nous refuse une province et tel le moindreii des villages : il
fallait entrevoir et courir l’aventure, aimer
n le risque ou déborder de
foi, le tout n’était pas seulement de raisonner et la chimère Il avait
du bon, où le discernement nous arme il d’indolence et la prudence
abat la verve la plus généreuse. Que dans l’histoire l’homme n est le
prétexte, les foules les agents et la survie le mobile,
n mais
u l’accident
est le ressort et davantage que les plans et les mesures.
n L’histoire
semble mainte fois la poudrière où l’étincelle manquen et nul n’est
venu l’y bouter, jusqu’à ce que l’eau tombeii et mouille sans remède.
H

XXXV. Les servitudes Nous ne pouvons nous le promettre et,


de la gloire quoi qu’on fasse, il n’est dilemme heu­
reusement tranché qui n’en suscite
d’autres, lesquels se posent dès l’abord et nous ramènent à leur
embarras, et la solution n’y modifie
n rien, parce que d’autres viennent
à leur appendice, où l’on n’avance jamais qu’on n’en lève d’imprévus
n

et mainte
n fois d’imprévisibles. Plus nous nous étendons et plus ils
nous faut peser au domaine : nous courons, volons et nous revenons,
partant de tous les côtés à la fois, multipliés
n en la présence et nous
minant
ii à dessein de suffire à l’œuvre indivisiblement accrue, ayant
un monde sur les bras. Qu’un pays change de frontière et gagne
une province, il aura l’obligation d’abattre sa victime ri ou de parer
à sa vengeance et, s’il l’écrase, il lui faudra déconcerter les ligues
ou les vaincre, se rendre formidable
ir à tous et ruiner ceux dont l’at­
teinte le menace, il sera mis dans le besoin de subvertir un continent
moins
n pour le dominer
n qu’en vue de se prémunir
n contre une affaire,
d’autant plus vulnérable qu’il a de surface et succombant au moindre
lieu, devant la moindre place et la plus faible armée qui l’ayant
bravé lui fait résistance et le contraint à rompre ses mesures géné­
rales, au bénéfice de l’empêchement.
n n Les possibilités en faveur
d’une entente ont plus de chance d’aboutir entre deux pays opposés,
mais
n de puissance égale qu’entre l’un d’eux et plusieurs nations trop
faibles. Il est des liens et des rapports subtils qui peuvent balancer
les inclinations que l’on affiche, il est des sortes de complicités de
qui l’atteinte est enveloppement et dont les nobles assurances nous
protègent mal.

XXXVI. Figure de l’histoire Tout s’établit par une violence et


n
ne subsiste que par un égarement
où l’homme,
iiiii ne se fondant en raison, veut assurer l’absurde et,
néanmoins,
n rien ne se perpétue à son défaut, de mode qu’il est sen­
sément
n un mal n inévitable, dont il est nécessaire de ne point guérir,

71
à charge toutefois qu’il ne nous fasse rendre l’âme. Il Loin qu’il le faille
incriminer, l’absurde vaut par ce qu’il donne et ce qu’il ne décerne
pas, et si l’on a bien soin de le réduire à ce qu’il est, il nous départ
une raison de vivre où les raisons les plus solides ne nous soutien­
draient peut-être. Ce qui se légitimeII tend à s’affaiblir et la démarche
la plus ferme
n est celle qui se passe de mobile et se déploie en vertu
de l’ébranlement,
n puis seulement
n en vue de sa fin, où la démencen

remédie
II d’un tenant à ce que nos manœuvres
n et nos marchandages
n

ont défait durant les siècles.

XXXVII. Eloge du conflit La règle la plus élevée est impuissante


et la réforme
n la plus rude sans vigueur
où leurs effets s’étendent largement
H et jusques aux derniers détours,
aplanissant et nivelant ce qu’elles touchent. C’est pour cela que
nous devons nous souhaiter des adversaires dignes de nos soins.

XXXVIII. Marches et frontières Un pays répond de sa marche H

et garnit sa frontière, il est à


l’une et s’en remet
n à l’autre ; en l’une il devient ce qu’il est, en
l’autre il s’y confirme,
n où la première
II le possède et la seconde le
soulage ; nous vivons et veillons pour l’une et l’autre semble nous
garder, mais
II c’est à nous d’y voir. Les marches
n se défendent seules,
non la frontière, les marches
n étant l’âme
n d’un pays et la frontière
le pourtour ; anx marches
n' les meilleurs
n affluent, à dessein de les
soutenir et de les reculer sans cesse, à la frontière l’on attend et
se rempare, mais
H l’on n’avance plus : les marches
n sont en mouve
n ­
ment,
II quand la frontière est sa limite. n Aux marches
n l’ennemi
ii se
heurte à la contrée même ü n et la bataille, dès l’abord, est toujours
décisive et néanmoins
n intarissable : il semble que tout le pays s’y
doive ensevelir et tellement qu’y donnant sa mesure, II il tombe
avec la marche
II prise. A la frontière, l’on se rompt ou passe et file
meilleur train, n’ayant pas l’adversaire sur les bras et le forçant
dans les retraites, à moins qu’il ne se bande et ne se constitue en
n arche à l’intérieur du pays.

XXXIX. Figure des patries Que l’âme


h d’un pays se change et se
déplace, allant sur la lisière ou tenant
le milieu,
n volant à la menace
n ou refluant au centre, plus vaste ou
plus diminuée,
n plus lâche ou plus tendue et tellement
n diverse qu’un
même
n n peuple a la ressource de se montrer sous une douzaine de

72
visages. L’histoire nous enseigne que toute force est en augment Il

devers les lieux qui la suscitent, que tout refus gagne à raison de
leur instance et que l’atteinte est dans l’usage d’épauler ce qu’elle
ne ruine pas. Les marches
H d’un pays abondent en natures généreuses
et l’âme
II s’y condense : les faibles les délaissent, les bons s’y trempent
à l’envi, qu’ils en procèdent ou les joignent pour les remparer dans
une veille générale ; de ce roidissement
II naît une race qui tient moinsII

de l’origine que des mœurs


n et dont les hommes se ressemblent d’âge
en âge et de climats
n en antipode. Que le péril décline et ces natures
violentes se retournent et vont asservir le pays qu’elles défendaient,
prenant sur elles de le rompre en lui communiquant
II le plein de leur
huineur farouche et le traînant dans leur sillage, ne consentant jamais
à vivre hors d’affaire. Barbares, si l’on veut, mais II ils nous mettent
H

à couvert ; le principal est de les tenir à distance en leur donnant de


l’exercice et de les stimuler,
n quand ils retombent en langueur.
L’empire le mieux assuré me n paraît le plus unanime II et dans le sein
de la diversité qu’il n’aura garde d’abolir, tirant de l’avantage des
querelles sourdes, fort de ses différends qu’il se prodigue à balancer
et détermine
u de ne pas éteindre, et doublement II uni par l’ordre qu’il
affirme
n et le divorce qu’il soutient.

XL. Frontières idéales Les bornes de l’état se modifient


n et se
déplacent, afin de s’écarter ou de se rap­
procher des naturelles, mais
n ces frontières idéales préservent gran­
dement
n les autres, dont elles forment l’enveloppe et qui reçoit les
premiers coups, raison légitimant
n la tuerie pour dix arpents de neige
à plus de mille lieues de notre capitale. Il serait pertinent de mesurer
parfois nos forces véritables, peur de n’avoir à les connaître et par
le truchement
n de l’adversaire.

XLI. Ame
n des
i peuples Qu’un peuple ne se définit jamaisn par ce
qu’il est et qu’il importe
n de le juger en un
n ême
n temps fait à sa dissemblance,
n où nul ne semble entièrement
n

déterminé quand on le prend pour tout ce qu’il se donne. Il n’est


d’emplacement
n n qu’un autre ne motive ou ne balance et nul rapport
n’existe en l’homme,n au défaut de l’inverse : je dirai même n que
l’unicité me
n paraît un achèvement et qu’on y tend plus qu’on n’en
vient, l’erreur commune envisageant la source à raison d’une fin
dernière et préalablement
n élucidée. Or, tout varie et jusques à la
fin dernière, de mode qu’on ne fixe un peuple avant sa disparition

73
totale, à la lumière de laquelle on gage que sa destinée se confirme H

et ses divers agissements s’enchaînent avec une rigueur non pareille :


illusion, peut-être, mais
II bien de celles qu’on ne passe plus. L’histoire
vaut pour ce qui nous élude et nous ne laissons d’y puiser à pleines
mains,
H n’ayant jamais
iT l’élection du reste.

XLII. L’énigme et ses détours On est encore à deviner par quelle


voie un peuple est devenu ce qu’il
annonce et l’on raisonne interipinablement n sur les vertus du sol et
de la race, on s’interroge sur le nature] premier n et l’on dispute au
sujet de l’acquis, l’opinion s’en mêle
II et fausse les mesures concertées,
se réservant peut-être une vengeance utile et rendant l’examen II

fallacieux. Il est des points que rien ne justifie : à quoi tient le som­
meil de telle race et la vieillesse de telle autre, où l’aspect général
des habitants n’a pas changé, ni la nature de leur sol, où l’homme
est ce qu’il fut et le demeure en ne laissant de languir empêché ?
Il suffit d’un dérangement n imperceptible
n et la machine
II se dérègle,
le meilleur
n équilibre est le plus menacé,
ri la plus noble harmonie est
la moins
n soutenable et ce qui cesse alors est dans le cas de ne jamais
renaître et même d’engager tout l’avenir en l’obérant de sa mémoire. n n

Le souvenir démesuré
n n’ajoute pas à l’opulence, il la fait impossible,
il voue l’homme
iiiii à la disette et met n les nations en compromis, il
fixe leurs penchants, il les allume ii sans les mitiger
II et les irrite sans
les satisfaire, il les épuise en un chagrin nouveau, fruit de l’attache­
ment impérissable,
II et face au peuple qui végète dans l’oubli de ce
qui le rendit illustre et semble l’ombre de soi-même, «t n il n’est d’égal
en sa morosité que le vivant à la réminiscence et que talonnent ses
présomptions. Le passé d’une nation n’est pas le gage du futur et
la mémoire des faits révolus ne nous répond aucunement II de nos
démarches
II à venir.

XLIII. Le prix du choix Le sentiment


II qu’un peuple nourrit au
V sujet de sa personne est le plus tard venu.
Des nations demeurent
II en repos durant des siècles, l’objet qui les
arrête est loin de les fixer et tout leur âge se consume II en un balan­
cement
II irrésolu, plus riche de promesses
II’ que de certitude, et puis
il semble qu’elles se condensent, prenant forme II et se voulant, pour
ainsi dire, situer en un moment
II qu’elles s’efforcent de perpétuer.
L’on voit d’ici la gravité de leur dilemme, iïiit où l’avenir est en la dé­
pendance du seul choix et fera fonds sur ce qu’il lui propose.

74
XLIV. Le sommeil
Il du possible Tout germe est un recueil d’em n ­

preintes, tout germe un sommeil n

du possible et la puissance de le rendre manifeste,


II en lui l’histoire
veille et ressuscite la genèse de l’espèce, en lui l’éveil est en attente
et ] avenir bandé, par lui la fin passage et le passage un renouveau
de fins que l’on surmonte. Quoi de plus sot que l’habile homme n imbu
n

de 1 arbitraire ou le savant épris de la fatalité, non celle des Anciens,


mais des chimères qu’il invente et dont il se fera des points de religion
rigoureux ? Tel peuple, dira-t-il, ayant perdu ses classes militaires,
se verra désormais destitué de combattants,
<1 car de semence
il de
courtauds ne saurait provenir un soldat généreux et que le sang
porte infailliblement
H à l’apertise. Cela nous remémore la vertu ma u ­

gique attribuée à tel ou tel lignage et qui le suit au long de ses dé­
roulements,
ri au mépris de ses défaillances, vertu prodigieuse et qui
ne se dément
n jamais où tout la semble démentir, et dont les pires
participent à l’égal des rejetons les plus illustres, vertu si fabuleuse
qu’elle est éternelle, à charge que la maison
n ne s’éteigne, et qu’il
nous est permis d’en augurer merveilles sur merveilles.
n

XLV. L’école de nos dignités Nous nous fondons en dignités à


bâtir sur l’histoire et d’elle viennent
primautés et précellences ; nous n’avons guère d’autre témoignage
de nos fastes, d’autre moyen
n de les renouveler ni d’autre enseigne
et nous ne sommes qu’en vertu de sa mémoire
n it négligemment tenace
et jusque dans les lambeaux de l’augure. Nous nous voulons, par
un fréquent usage, immotivés
uiii et motivant, mais
n nul ne s’y confirmeri

et nous n’y pouvons que nous éluder, où le dépassement n exige des


aplombs
ri et la rupture des attaches. Il faut se rallier au préalable
et se choisir en une antécédence à quoi notre avenir s’ordonne et
nos discernements
n s’éprouvent. L’histoire, plus que l’oubli diaphane
et que nous disputons à sa vacance, est une motion première, n un
jugement
n ostentatoire et le rebours par le moyen duquel nous nous
réfléchissons à la rencontre de nous-mêmes.
n n

XLVI. Rêve et raison Mieux vaut un peuple de rêveurs que


mènent
n les plus froids tyrans du monde
que les pays de raison concertée aux mains d’un fanatique. Les
dirigeants possèdent tous les droits qu’ils peuvent s’arroger, moins
n

celui de l’inadvertance et quel est l’homme


n plus sujet à l’aberration
que tel ou tel illuminé vivant le songe qu’il distille et l’imposant
par forme
n de préceptes ? Ces gens ont quelquefois le bonheur en

75
partage : il est de l’ordre du miracle,
II ce bonheur-là, mais
H il ne prouve
rien et deux ou trois suffisent à vous ruiner un peuple, c’est une
ivresse dangereuse qui charme H fort le temps qu’elle subsiste et vous
assommeH pour des générations. On doit oser s’il n’est moyen
II de nous
soustraire à l’aventure ou si tout parle en la faveur de nos desseins,
jamais où l’évidence nous condamne.

XLVII. Subir l’histoire L’histoire, le fléau de ceux qui la subissent


et n’en peuvent mais,n que leur empla­
cement
n en l’univers destine à* l’expiation la plus immotivée
n et dont
le crime
n est de ne consentir à leur néant, des malheureux qu’un
cent de peuples envahissent, à cause qu’ils les trouvent en chemin, H

et dont les chaînes se redoublent d’âge en âge, qui naissent endeuillés


pour vainement
H bâtir et meurent sur leur tombe. 11

XLVIII. La tentation La mort,


n la tentation des meilleurs
II et la
des meilleurs
II mesure
n de leur âme,
n recours inviolable au
fort de la menace
il et heu de sûreté sur le
penchant de la ruine, enfin la certitude essentielle, mais II il ne faut
pas souhaiter que l’on y donne avant que d’épuiser le reste. Qu’un
homme II la désire ou qu’une nation, il y paraît bien de la différence
et s’il est beau de s’y ruer nous-mêmes, n n un peuple y gagne moins
d’éclat que d’être le jouet des survivants impitoyables, seuls maîtres ir

désormaisn de sa fortune et qui disposent à loisir d’une mémoire n n

plaisamment
n sujette. Non, les honneurs rendus à la dépouille et
l’encens le plus capiteux, ni les éloges des rhéteurs ne valent pas
notre survie, en dépit de l’insulte, et qui se refuse à mourir,
H il scellera
l’histoire en réformantII un jour les privilèges accordés. Vaincre n’est
rien, le principal est de survivre, n’importe II la condition, et de se
souvenir de ce que l’on se doit, où les retournements II sont imprévus
comme
IIIII ils sont innombrables.
II La seule faute est de s’éteindre ou
de s’abandonner à ce qui nous achève. Et, cependant, il est des
peuples que leur condition passe et tellement qu’afin de l’assumer II

il leur faudrait non moins II de saints ou de héros que de vivants.

XLIX. La consolation des abattus La seule consolation des peu­


ples abattus n’est-elle pas de
se persuader que leur vainqueur est invincible ? Le moyen II qu’ils
n’enragent pas à le savoir mis en échec, tout en ne laissant de former
II

des vœux pour sa déconfiture ? Ils voudraient — mais II que ne vou-

76
drait-on pas lorsque, visiblement,
n on ne peut rien se payer de
leurs : n aux au préjudice de leurs alliés restés debout et les venger
en : n ême
n temps par leur secours. Quoi de plus douloureux et de
plus ridicule ?

L. Déchéance Sur le penchant de sa ruine, un peuple languit


volontiers dans l’indolence et ses rébellions n’a­
gitent plus ses profondeurs, il songe à vivre au jour le jour et le com­
plice de ses inclinations charnelles, il les observe, elles le perpétuent,
il rend au naturel ce que le naturel lui donne et cet échange suffit
à sa gloire, il n’envisage rien, hors ce qui tombe
n sous la vue et gagne
sur les destinées ce qu’il dérobe à sa démarche.
n Le déclin d’une nation
se connaît principalementn au défaut de génie, lequel est le dessè­
chement
n de l’âme,
n et puis à la tiédeur qui met
n les choses de niveau,
confusion propice à l’erreur capitale, à l’erreur que tout fortifie,
dont nul exemple ne la tire plus, où tout la précipite enfin et jusqu’à
la mémoire
n de ses fastes. Qu’un peuple tomben et ses limites
ii l’inves­
tissent et l’accablent, il se roidit en apparence et veille sur les bords,
il n’ose rien, mais
n contrefait son naturel et, s’épuisant à l’imiter,
ir

nous donnera longtemps n le change, avant que de s’abattre avec


fracas pour végéter ensuite, lassé de feindre et ne pouvant se res­
saisir, fermant
n la bouche à qui l’exhorte ou se riant des remontrances
n

les plus pathétiques, sourd à la voix qui parle et faisant le désert


à son approche, établi dans sa mort vivante et devenu le complaisant
n
de ses ténèbres, matière
n plus que nation, indigne de se gouverner
et méritant que d’autres en disposent à leur bon plaisir, l’associant
à quelque emprise en la violentant, réveil dont elle leur sait gré,
car ils lui prouvent qu’elle existe à l’heure qu’ils la foulent et la
navrent.

LI. Augures de la liberté La liberté prend la forme n de l’impré­


visible. Moquons-nous de ces maîtresn

solennels qui nous assignent une allure au préalable et nous con­


damnent à légitimern les arguments
n que l’on apporte. Ils font miracle,
H

à l’ordinaire près, ils font merveille


n et gagnent à la controverse,
mais
n la nature est le miracle permanent
n et l’ordinaire tissu de pro­
diges : les voilà décontenancés, l’homme n ayant davantage de res­
source que les formules
n de la prévision. Quand bien l’histoire aurait
suivi les mêmes
n pentes et dix fois, il se pourrait que la malicieuse
n

nous infligeât peut-être un démenti.


n L’inévitable prime n seulement,
n

à charge qu’on le veuille et, dès le moment n qu’on le nie, il est sujet
à des retournements
n inattendus.

77
LU. La fable du retour II n’est point de retour et ce qui fut n’est
jamais
n dans le cas de revenir sur l’eau,
tout rentre en une profondeur muette et l’univers n’est que l’abîme
clos d’unicités pour toujours englouties. Le rêve le plus fol de l’homme
et le plus attachant se nomme le retour, par quoi nous obvions à
l’évidence et la rangeons à n’être qu’un reflet du prévisible et l’issue
obligée de nos spéculations. Nous légiférons de la sorte, allant de
biais en traverse et déployant un effort incroyable à nous fléchir
en dépit de nous-mêmes,
n ardents à travestir les formes et les faits,
tenus à nous bailler le change où notre sentiment n nous donne tout
ce que l’essence ne départ, où nous la recevons comme iiiii venant de
lui, mais
n niant qui se joue de nos fables. L’histoire, cependant, au
mépris de nos soins, est une belle sans merci n que les retours n’é­
meuvent
n guère et qui se pique d’inlassables nouveautés : nous la
croyons la même
n n et tenons qu’elle suit la règle, afin d’en creuser
les motifs, mais
ni notre profondeur ne saurait l’obliger et nous ne dis­
putons valablementn que sur ce qu’elle a cessé d’être.

LUI. Retour et liberté La fable du retour est d’une singulière im ii ­

pertinence et d’ailleurs pleine de » séduc­


tions, ayant le double privilège de tout ramener
n à ce qui nous assure
et de fournir à l’âme n un point d’attache, en dépit d’une fausse pro­
fondeur que l’on remue H à notre guise et d’où n’émanent
II que des
leçons indulgentes, mais l’homme est libre éperdument II et sans
remède
n : il a beau faire tentative, il y retombe et chaque événement
le déconcerte, à moins
n de s’abêtir selon les règles. La vérité m’en­
seigne et l’absolue nouveauté de chaque pnénomène et sa vertu
d’être à jamais
n le seul de son espèce en ce qu’il a d’uniquement II total ;
tout paraît suspendu dans le plus libre milieu de mouvance
II et tout
possible à tout moment, encore que déterminé par un ensemble de
moyennes et de lois issues de l’entendement
i. et relevant de nous
non moins que de leur évidence. Lois et moyennes ri semblent l’ar­
mature de ce cosme n et ne l’obligent qu’à raison de nous, mais le
réel est perceptible et l’efficace fera brèche aux arguments. 11 Puis
l’évidence est un échange immotivé, né de l’aheurtement II I et qui
s’incline devers l’immobile.

LIV. L’histoire de la foule Pour juger d’une époque, il ne suffit


pas d’aller aux témoins, il sied de les
choisir selon nos vues propres. Les attestations d’un homme en place
ignorent volontiers le sentiment du populaire et ce dernier est souvent
incommunicable, à force d’être informulé, d’où l’embarras des

78
sûretés qu’on nous allègue. L’histoire de la foule est un piétinementH

et se signale mainte fois par un défaut si général que l’on ne voit


personne à l’horizon de tant d’annales, hormis les prêtres et les
princes ; le demeurant peine dans l’ombre et l’on devine qu’il existe.
La foule est le conservateur et, si l’on fait réflexion que les instances
périmées
il échouent là, l’on est frappé d’un tel mélange et de tradi­
tions mal assorties et de coutumes n sans emploi, d’absurde et de
frivoleen la vieillesse la plus inutile où l’on a tout, moins
il un langage
et rien de ce qui hausse l’homme ou l’affranchit des servitudes
naturelles, les rudiments et non le choix, le chaos et non l’appareil,
mille occasions, mais
il d’erreur en face d’un dépôt minime
n de sagesse,
un vague et qui ne s’étend nulle part, un plein, mais n destitué de
volume et des prémices éternelles se renouvelant d’âge en âge, qui
n’aboutissent que par aventure à leur principe dans l’histoire.

LV. Les hommes


n singuliers Que le ressentiment de l’homme
n est
susceptible de muer tout l’univers et
qu’il suffit aucune fois d’un seul pour mener
n l’œuvre à terme. Que
nous disons à tort que l’isolé ne représente rien et que la force de
l’esprit ne se rapporte nullement au nombre. Que l’histoire a mille
n

ressorts cachés et tenant plus au cœur de l’homme n qu’aux moyens


dont il dispose.

LVI. Sauveurs calamiteux


n Les hommes
ri singuliers font moins
l’histoire qu’ils ne la violent et l’on
se passe d’eux, si l’on a des vertus de reste, ils ouvrent les entrées
à la confusion et plus on s’aide de leur art, plus on dépend — ne
fût-ce qu’à la longue — des abus qu’ils imposent. Les ressorts de
l’autorité ne gagnent pas au change, nous sommes en repos de toutes
les affaires autant par inclination que par devoir et, si nos maîtres
H

viennent à périr, ils laissent un grand vide au lieu d’exemples riches


en enseignements et de préceptes bien liés, nous voilà mis dans une
dépendance essentielle qui flatte leur mémoire
il et nous incline aux
aventures les plus dommageables : nous réclamons de nouveaux
maîtres,
ri ajournant le débat et craignant davantage un trouble
passager que mille servitudes péremptoires, nous livrant à l’incon­
sistance de leurs mandements illégitimes plutôt que de nous réformer il

en dernière analyse. Les hommes singuliers, à se mêler de tout,


enfoncent le pays en l’hébétation. Pour faire face à l’ordinaire et
conserver l’usage de nos droits, des gouvernants honnêtes nous suf­
fisent et nous écarterons les gens qui, loin de servir le pays, se servent
de leur peuple aux fins d’étonner l’univers.

79
LVII. Victimes
H d’obligation Que les vicissitudes de l’histoire
affectent moins les opulents et les
plus démunisII que ceux placés à mi-chemin,
n n en butte aux variations
de la fortune et ne les pouvant surmonter, sans laisser d’y prétendre.
Les plus avantagés disposent de leur établissement et, quand le
nécessaire manque,
II ils ont l’expédient du superflu dissimulé,n puis
la ressource d’aller vivre ailleurs : ainsi, dans les temps n désolés, il
est des hommes H qui subsistent à leur aise, à charge de se taire, et
sur lesquels le siècle n’a de prise. Les derniers de la nation, ceux qui
n’ont rien malgré
II les profusions générales, ceux que la faim n menace
n

au fort de l’abondance, n’éprouvent aucun changement essentiel


dans la ruine du pays et goûtent même n n le bonheur de se trouver
des compagnons
ti parmi
II ceux qui les ignoraient et dont ils jalousaient
le sort : ils se tenaient abjects, les voilà merveilleusement
II n justifiés
dans la paresse, l’ignorance, la dépravation et le malheur n et voilà
tout le monde de niveau, les jugements n en compromis et les sentences
en litige, puis les échelles de valeurs à bas, de sorte qu’on végète
exemptil de la censure, où nul ne nous offusque plus et rien ne nous
dépasse. Quelle douceur et quel apaisement n ! Mais les honnêtes
gens, placés entre les fortunés et les plus misérables,
n ayant les goûts
spirituels de la richesse en une condition ravalée, mesurent il l’amer
il ­
tume
ii de leur chute en faisant mille H réflexions pertinentes, dans le
dernier accablement n du monde et n’y voulant pas consentir. Pour
ces disgrâciés l’histoire n’est pas un vain mot, ils sont en cause
et jugement,H instruits de leur misère
H et lamentablement
n lucides,
souffrant de leur état et plus encore de sa honte. De là les révo­
lutions.

LVIII. Les peuples mutilés


n Tel peuple a trop souffert pour être
dans le cas de se remettre
n et de
marcher
n dans une voie égale, il a perdu l’assiette et les appuis
l’écrasent, il se commet hors de saison, il s’arme d’indolence en ne
laissant de couver des transports mal n assortis de toutes les manières,
H

épanchements
n dont il se persuade et ne retire rien, il devient odieux
à force d’être faible et de n’y consentir, et pitoyable en même
n u temps
que digne de risée. Il ne lui reste qu’à pâtir et, s’il a trop souffert
pour demeurer l’égal de sa démarche,
u à ressentir une douleur toujours
nouvellement accrue et d’en mourir, à moins n qu’il ne se purifie et
ne se trempe, où le remède à la souffrance est la souffrance même, n

mais volontairement
u portée. Mieux vaut l’épreuve sans délais et
l’affre sans miséricorde,
n et mieux
ri vaut l’agonie que le ressentiment
n

où la douleur nous abandonne.

80
LIX. Abîme
Il duressentiment
II Que le ressentimentII est le poids
mort qui nous fait trébucher, alen-
tissant l’avance et ne nous donnant de relâche, un manque h de nous-
n êmes
n au surplus et le dernier parti que l’homme ru n ait la ressource
de jouer et qui vaut moins que sa ruine. Par le ressentiment qu’il
nous impose,
il un vainqueur double le triomphe et nous abîme après
nous avoir abattus, il nous rend dignes de ses procédés et nous le
soulageons de tout remords éventuel par le spectacle de nos infamies. II

Le monde tient à la laideur de sa victime n et son abaissement le


met
H à couvert du reproche. Une victime n s’y dérobe néanmoins, à
la condition de ne jamais n répondre à l’avanie, où la défense est
irréalisable et légitime n le sarcasme, et d’opposer à l’assaillant le
mépris
II de la mort
n avec le. pardon de l’injure, manière
n de le diviser
et contre lui d’abord. La repentance est le moyen n sur quoi nul homme II

ne prévaut et qui met II bas sa morgue en minant


u les aplombs : nul
n’y fait brèche et nul ne s’en exempte, et nous devons la susciter
en multipliant
II ses mobiles,
II convaincre les bourreaux de leur mau­
vaise foi, les retourner et les changer à nos fidèles, leur montrant
que nous sommes n les mieux
II appuyés où tout soutien nous manque II

et les mieux
n défendus où nous n’avons plus sujet de les craindre.

LX. Noblesse du
i martyre
n Nous avons part à ce que nous voulons
et qui se ferme
n à la surabondance est
néanmoins ouvert à ce qui le dévore, il nourrit son néant des pri­
vilèges dont il se désiste, il saigne au creux des gouffres inutiles,
il se démembre en pure perte et se consume n au lieu de s’immoler.
uni

L’adversité n’ajoute rien à nos erreurs et les calamités n les plus


cruelles ne nous en lavent pas, nous sommes malheureux
ri et néan­
moins coupables, notre agonie est vaine et nos souffrances en ap­
pellent d’autres, car nul ne pleurera sur nous. Notre infortune n’aura
pas de fin, jusqu’à ce qu’elle soit martyre
n et ce jour-là nous serons
rachetés.

LXI. Le vainqueur inutile Le péché le plus noir est de se pré­


munir à l’heure qu’il faut espérer, de
travailler à sa défense quand il importe de s’abandonner et de se
refuser où nous devons mourir, au lieu de mourir
n aux fins de renaître.
Dieu nous punit alors en nous rendant esclaves de nos mursn et les
servants du dogme, il nous enchaîne à l’appareil qui nous rempare
et nous vivons, invulnérables face au monde
n et hors de la divine
atteinte, de formidables languissants, piliers sans voûte et portes
sans passage.

6 81
LXII. Prions pour les heureux Le comble de la tragédie est
d’entrevoir qu’il est des pays et
des temps lesquels se passent de nos maux,
H qui les ignorent bonne­
ment
H et ne s’en trouvent que plus à leur aise, et qu’ailleurs même,
n n

au sein de l’infortune, il est des îles où l’on vit comme devant, des
gens à ne souffrir de rien, dont l’existence coule invariablement il

sereine en vertu de leurs biens, de leur naissance et de leur caractère,


ayant ce qu’il leur faut et désirant ce qu’ils possèdent. A l’égard
de ces hommes, les saints perdent figure. Le comble de la tragédie
est de savoir qu’il en subsiste, que nul d’entre eux ne fournira son
contingent de peines et de veilles, de souffrir et périr sans que cela
les touche et, cependant, nous n’avons pas à les exclure, eux qui
nous méconnaissent.
II Mes frères en esprit, nous les renfermerons
dans notre charité, les heureux de ce monde, et prierons que Dieu
leur continue Ses faveurs insignes. Nous entendons par eux que
N. S. nous mit
II' en épreuve et bien qu’ils soient dignes d’envie, nous
ajouterons à leur opulence en ne laissant de soulager les autres.

LXIII. Eloge de la foi Que les transitions nous ouvrent les


abîmes, maisn que les plénitudes les
épuisent. L’histoire est un balancement n de l’un à l’autre, le concert
inlassable ou le désordre en permanence,
n un tout qui s’articule en
mille
n débats subalternes, mais s’il dispose de leur changement, il
en est de bien faibles à première
n vue et qui se rendent insensiblement
considérables, anticipant un jour sur l’harmonie de ce tout, fragile
au point qu’une ombren le dérange ou qu’un défaut en désassemble n

les rouages, fragile en dépit de sa cohérence impérative et qui n’est


rien, s’il n’a pouvoir sur toute chose. Que les transitions nous ouvrent
les abîmes,
n nous rendant à l’informulable en une dissolution verbale
où régnent les antinomies, et que les plénitudes les surmontent à
l’aide de la foi, la rassembleuse et qui s’ingère du chaos pour l’or­
donner aux constellations de ses mystères,
n la foi, mesure
n du divin
dans l’homme n et la matrice
n de ses postulats, l’appui du monde et
sans lequel les fondements
u fléchissent, la foi, genèse des concepts,
la nourricière de l’entendement n et qui valide ses démarches.
H

LXIV. Assises de la grâce Que la noblesse d’Israël est de s’en


prendre au mal
ii et de se charger de
la faute, à l’opposé des nations qui se déclarent innocentes pour
l’incriminer. Les peuples vils n’ont point l’intelligence de l’erreur
et cherchent des coupables en tout lieu, mais
n jamais
n en eux-mêmes
u :

82
ils le ressentiraient comme une injure, ils se rebelleraient d’un
u ouvement
h et, quelque ravalés qu’ils soient, il leur faut des
victimes
H sans défense. Tel accusa les Juifs de travailler à sa ruine,
afin de n’avoir pas à donner la bataille et de justifier le déshon­
neur, et tel, s’étant fort malheureusement
II battu, mit sa défaite sur
leur dos, où le premier
II fut lâche et le second immodéré,
lllll les deux
abominables.

LXV. Les armes et l’histoire L’histoire naît les armes


n à la main,
II

puisque les armes n la font naître ;


elle est vengeance tout d’abord et perpétue les vengeances, mieux II :
elle s’en avoue et ne se lasse d’y venir, les gloires mêmes la fatiguent,
ir ais les rancœurs la tiennent en éveil, elle a besoin de haines pour

survivre, elle ira jusqu’à les chercher et c’est l’affaire la moins


n difficile.
Qu’un nombre incalculable d’hommes ait pu croire et de témoins
souffrir qu’on les égorge, cela ne prouve que leur fermeté, mais n

non la précellence de leur foi. Nous mourons


n aussi volontiers pour
l’erreur qui nous flatte qu’au nom de la plus juste des querelles.
Mille ans de menterie
n se dissipent au regard d’un jour de certitude
et l’édifice de l’absurde a beau multiplier
n ses pavillons, il suffit que
J’on ôte de ses fondements
H pour mettre
n la machine en branle, où
l’appareil ne se soutient qu’en portant sur nous-mêmes. n n

LXVI. Dimensions Champs de bataille ! Relais du genre humain n-


du provisoire sur le cheminii de l’existence. La voix des
foules est muette,
H l’histoire la méprise
n : qui
se souvient des cris et des sanglots des villes saccagées, des peuples
mourant sur les routes, des continents entiers fumant n de sacrifices
monstrueux et d’hécatombes anonymes n ? Tant qu’un poète n’y
mettra la main,
n tout n’est que cendre et que poussière. Il ne suffit
pas de gagner une bataille, il faut encore qu’on la chante, afin de
l’emporter une autre fois, non face à l’ennemi, il mais
u face au temps,
des adversaires le plus redoutable. Malheur au peuple qui l’oublie !
Les nations se forgent avec les épées, le jour de la bataille est l’aube
du destin des peuples, les pays sans légende ou qui les ont perdues
sont à l’article de la mort, l’histoire n’est pas une loi que l’on pro­
mulgue et nous devons la mériter
n : dans le présent elle ne saurait
naître, il la détruit sitôt qu’elle se forme.
n Nul ne commencera
n l’his­
toire en partant de soi-même n et vivrait-il un siècle, il ne verrait
qu’un jour ; qui veut l’attendre ne l’aura jamais, il n’aura que le
provisoire.

83
LXVII. L’homme et le provisoire Le provisoire n’est pas tel aux
yeux de sa victime H et moins
n

encore au sentiment de qui le met en œuvre : ainsi, de tout côté,


le provisoire est à l’image
il de ses fins qui le situent hors de sa durée.

LXVIII. Le devenir Le devenir est à l’impermanence


il et nul n’y
et l’espérance met
n une dernière main, sa polémique n est
toujours amorcée et nul ne s’y réfère à se
tenir en le milieu,
n nous n’allons jamais au-devant de lui qu’il ne
nous déconcerte et ne le poursuivons qu’à force de nous démentir :
nul ne le gagne à sa querelle et nul ne le prévient, car il n’est peuple
à vivre dans ses bonnes grâces. Malheur à qui l’adjure pour s’en
exempter et languit dans l’illusion de l’avoir en partage ! Cabales
et menées ne peuvent rien sur lui, les belles résolutions ne le remuent II

pas ni les serments


ri inviolables, il roule en majesté
n d’un mouvement
II II

aveugle et nul ne le traverse qu’il ne le réduise à néant. Tel est le


devenir, le semeur de l’histoire et le giron de la réalité, sous lui les
peuples naissent et s’éteignent, aucuns le suivent des années, aucuns
des générations entières, aucuns le perdent et le trouvent une fois
seconde, aucuns l’ignorent à jamaisn et meurent
II à le recevoir, quand
il les touche enfin au bout de siècles de sommeil.
III II Mais l’espérance
est la plus forte et vole, inamissible,
n au-devant de son cours, l’endigue
et le surmonte et l’enveloppe en un débordement où sombre n la
fatalité, nul n’a raison de l’espérance et l’univers ne prévaut à sa
joie.

LXIX. Voix de ce monde De l’évidence nul n’a pouvoir de nous


consoler et l’on s’en venge en espérant
contre elle et de la sorte l’on se venge bien, à cause qu’il n’est d’alti­
tude que l’espérance ne surmonte et de néant qu’elle n’emplisse,
mais
n je préfère l’autre et qu’on espère contre moi, vu que l’espoir
ne me
•i fera mourir, où l’évidence suffit à m’ôter la vie et la gouverne.
Soyez puissants d’abord et tout le reste vous sera donné. Malheur
à qui n’est rien et malheureux celui que l’on remplace de plein saut.
Soyez tels qu’on vous sache craindre et l’on vous aimera, II mais
II

n’inspirez d’amour
n à qui ne vous redoute en premier II lieu, ne soyez
charitables que pour ceux capables de sentir la force de vos mains, n

ne vous livrez qu’à ceux qui jamaisn ne s’affranchiront de vos tutelles.


Le monde
n vous épie, à vous de le confondre et, s’il vous abomine,
à vous d’agir en sorte que sa rage se fasse amoureuse,
n à vous de
tourner sa fureur contre soi-même
n n et de vous établir en son abatte-

84
ment.
Il On vous réclame II une assurance et nul n’exige l’embarras
des peines et des veilles qu’il ignore, nul ne vous sollicite d’avouer
ce qu’il ne doit entendre et nul n’a souci qu’on lui prouve ce que
lui-mêmene
n n balance point à recevoir

LXX. Réponse du croyant II n’est pas bon de mettre


h l’évidence
contre soi, mais
n il est mainte
ii fois
requis de ne céder à l’évidence et de se la gagner en espérant qu’elle
se change. En notre espoir il est une manière
n de présence fugitive
et cependant réelle, qui ne se laisse vaincre à nul fléau, mais II se
délecte à l’endurer, une fureur de véhémenceII et de défi que les
épreuves alimentent,
II un yenouveau que l’on n’abat, un paradigme
qui ne cesse, une trouée en permanence,
II un circuit ascendant de
faveurs innombrables dont l’opulence s’amplifie et, s’augmentant II

de ce qu’elle renonce, contente seule son infinité. L’espoir est une


source d’océans cachée en l’océan, un résidu fragile et qui soutient
les môles
II et les masses, un reposoir en l’altitude où le divin se plaît
et l’homme s’enracine, un fondementII qui plane et l’appui solidaire
où le réel cède à mon assurance et je lui fais raison de ma
II disparité !

LXXI. Illusion de l’avenir Pour ce qui touche à l’avenir, l’illu­


sion est usuelle et les plus fins s’y
laissent prendre : on le fait consister en un déroulement
ri de l’ordinaire
et l’on y voit commen une suite naturelle, on en raisonne gravement ir

à la légère et l’on divague d’assurance, on détermine sa figure à


s’étayer de tout ce que l’on pense, éprouve, attend, désire ou s’ima n ­
gine à l’heure qu’on l’agite et l’on y met sa complaisance
n ou nos
alarmes,
n à la mesure
ii de l’esprit du siècle. On eut d’abord le sentiment
n

d’un général déclin, l’on crut à FAge d’Or et l’on se dépeignit une
façon d’Eden paré de couleurs mensongères, l’espèce avait donné
le meilleur
n de soi-même
n et l’univers touchait à sa ruine ; des siècles
ont passé depuis et nous vivons plus grands, plus forts et les mieuxn

aguerris d’entre les hommes.


ri Du règne des lumières,
n aucuns entre­
voyaient les temps futurs comme n un languissement
n aimable
n où l’on
éprouve les secrets de la nature et se remue il par ressorts, ayant
tout mesuré,
n tout calculé, tout concerté : où l’on voyait en noir, on
ne peignit qu’en rose. Pouvait-on bien s’imaginer qu’en moins n de
trente lustres l’univers se plongerait en une barbarie affreuse ? Et
n’avons-nous pas agi de la même n sorte et nos oracles s’autorisent-
ils d’un jugement
n plus délicat ? Qui nous assure des penchants de
notre descendance ? Que savons-nous des nôtres ?

85
LXXII. Naissance Or, du point mêmen n où nous nous situons,
de la conjoncture nous ne pouvons juger cinq lustres à l’avance,
l’histoire n’étant guère un simple H aligne-
ment
H des faits, mais
II chaque événement
n le résultat d’une moyenne
et chaque point un milieu n de recoupements
u dont l’origine suit
d’une rencontre parfois tellement n lointaine ou se dérive d’ un pays
si vague, et tout cela dans un arrangement si difficile à postuler,
que l’on ne prophétise pas, sauf à se perdre en l’ambigu, II s’enve­
loppant de nuaisons. En l’univers tout est possible à tout mo­
ment,
II encore qu’il soit des lois réputées générales ou le se: II
blant depuis que l’on observe. L’an mil II neuf cent cinquante
ne se rapporte nullement H à la prévision des gens de l’autre
siècle et ne ressemble guère aux pronostics de nos devins en
l’an de grâce milII neuf cent, il a de quoi surprendre l’haruspice
de la génération antérieure et, si les grandes lignes furent annon­
cées par tel ou tel penseur, il s’agit d’un augure indéfini, des­
titué d’usage et n’ayant pu s’accréditer, dont nous feignons de
sentir la justesse, à la condition de ne le pas fouiller, et nous y
mettons
n de la compl n aisance.

LXXIII. Vœu de l’humain


ii Sans contredit, le vœu le plus ardent
de l’homme est qu’en ce monde tout
soit réversible et toute fin promesse d’un retour ; cela parle à l’esprit,
le fournit de raisons de vivre et lui fait endurer les maux
n s’attachant
le plus généralement
n à la condition, où, par la nécessité de son être,
l’homme
iiiii envisage l’absolu devant les lois qu’il tire du réel. Or,
l’absolu tombe à néant, si l’on avère que tout passe et l’impossible
d’un retour le mue n en stipulation aléatoire. Et que nous vaut un
absolu, s’il nous ignore ou qu’on n’y doive atteindre ? Et s’il n’est
enfin que chimèren ou fantôme n engageant ? L’impermanence
n est une
objection que nul ne lève désormais n et nous n’avons moyen d’en
retrancher les suites, nos découvertes nous l’annoncent à chaque
mouvement n de la matière
n et nous nous savons pris dans l’homogène
le plus despotique, unis par mille liens de dépendance à sa confi­
guration indiscernable, lambeaun de l’univers que nous jugeons du
fond de l’impuissance et les ministres de l’entendement n que nous
brûlons d’y révérer, mais
n la figure de ce monde passe et l’éternel ou
l’infini nous semblent les dimensions de notre intelligence seule.
Et le moyen de les trouver ailleurs ? En cas que l’éternel existe ou
l’infini, voire les deux indissolublement, rien ne serait possible et
tout à l’indivis, sans masse
n ni frontière, on aurait le divin à l’état

86
pur, non manifeste.
Il Il est loisible d’alléguer que l’univers présent
est une dilatation que le divin aurait fait naître pour se définir, il
est permis
n de supposer du même
n II coup le choix délibéré de la planète
où l’homme n se remue,
II élection voulue à dessein d’honorer les voies
et de glorifier une conduite apparemment iiiii inconcevable, mais
II nous
voyons où le projet nous mène n et sa témérité
n nous jette. Il est plus
raisonnable de suspendre un jugement n dont nous savons l’antinomie,
au moins en le domaine
n des sciences, de peur de mêlerH qui s’accorde
mal
n ensemble et se ruine mutuellement,
n II à faute de confins tranchants
et de limites
n absolues.

LXXIV. Assiette de l’histoire Nous agissons par dépendance de


l’histoire, laquelle nous préserve
du néant à force de nous enchaîner à son litige et qui nous enveloppe
en un déroulement n venant à s’augmenter en profondeur tout comme
en étendue et par ce que nous ajoutons sans intervalle à l’amas n de
ses éléments,
n mis
n dans le train et mouvant qui nous meut, n les nour­
riciers de qui nous alimente n et la raison de nos appuis, vivant pris
dans la masse
n et les sujets de nos domaines, plus libres néanmoins
à la faveur de nos limites, ii que l’homme a l’obligation de toujours
conquérir. L’histoire, la réserve inépuisable et l’honneur même ri il de
l’espèce, où nos aveux s’éclairent mutuellementn n dans l’ombre et nos
débats se perpétuent, le médiat n s’amorce
il et l’immanence
il se déclare,
où le réel acquiert le sens d’où nous tirons celui de l’être et l’évidence
articulée ordonne nos conseils, nos vues et nos agissements n aux voies
les plus majestueuses.
n Par elle chaque fait se range à l’équilibre le
légitimant
n et signifie à la lumière de sa généralité, dont les pouvoirs
se communiquent à sa trame, n il se relie à des prémisses if solennelles
et patentes, il conduit à des fins insatiablement il ouvertes, dont les
enchaînements
ii ébranlent l’avenir et fixent les mobiles il du présent,
il tire le réel humain n nous séparant du chasme n et nous vivons au
lieu de végéter, assujettis à nos dimensions, n mais
fi souverains par
elles. Nous sommes bâtisseurs de l’œcumène et bâtisseurs inassouvis,
nous, les aplombs de la durée, les arpenteurs de l’indivis, qui régnons
sur les airs et tonnons sur les eaux, affermissant n l’inconsistance en
un débordement n précaire et jamais
ni en repos de nos richesses amassées, n

de ce trésor de larmes n et de fastes, du labeur inutile d’une année


et de l’ivresse d’un matin. L’histoire monte auréolée en une
trombe
n au-dessus de la mer n du temps, elle l’aspire en un surgisse­
ment unique et l’univers est un pour être l’habitacle de l’esprit
qu’il manifeste
n !

87
LXXV. Présence de l’histoire Entrer un jour dans l’histoire n’est
pas chose de peu, les obligations
viennent en foule, il faut répondre et se justifier. L’histoire est commeH

une présence et nul ne s’y dérobe, le moindre


n événement
n y prend
figure et se relie à d’autres, innombrables, et dont la masse
n va crois­
sant ; la majesté du fait dérive de l’histoire et d’elle aussi la dignité
de l’homme. L’on vit des peuples délaisser leur terre d’origine et
gagner d’autres situées au plus loin, avec leurs prêtres et leurs rois,
la cendre de leurs morts
u et les pénates du foyer, restant pareils à
ce qu’ils furent, gardiens de l’héritage et les vainqueurs du sol qui
reçut leur empreinte.
n Ils songeaient à leurs dieux, symboles des
patries anciennes, fiers d’en porter le joug et plaçaient les conquêtes
sous l’égide des pouvoirs tutélaires. Mais d’autres, brûlant de se
libérer de ce qui nous attache, s’en vinrent nus et les mains vides,
se croyant maîtres,
n parce qu’ils ne vénéraient que leurs désirs et
fondateurs, parce qu’ils assemblaient
n des pierres. Le sol les sub­
jugua, leur imposant des servitudes non pareilles. Ils défrichèrent
les forêts, percèrent les montagnes, ils établirent des chantiers im u ­

menses, leurs villes montaient vers le ciel, mais


n ils ne laissaient d’être
misérables,
n rien ne les consolait de la douleur de vivre, ils ne savaient
pas même
n n ce qui leur faisait défaut, jusqu’à ce qu’ils partirent un
beau jour à la recherche du passé. Ce jour ils surent qu’ils avaient
perdu des siècles sur la terre.

CONCLUSION

Hors notre vie ou notre mort, nous n’avons rien que nous puis­
sions offrir et l’on n’éprouve notre assentiment n qu’en exigeant ou
l’une ou l’autre, et mainte
ri fois les deux. De l’univers ne monte
n que
le hurlement
n de l’homme et la rumeur de ses travaux, dans le silence
de ses œuvres et dans la solitude de ses morts. n Ne rien attendre et
néanmoins tout espérer, se résigner à l’ordinaire et tenter l’impos­
sible, envisager le monde
n en ce qu’il a de plus affreux et croire à
l’éminence
n des vertus ou des préceptes, voilà qui fait les sages dignes
de ce nom. Je hais ceux qui flétrissent l’univers ou se contentent
de railler et j’aimeH qui, le supportant, mesurent
n la condition de
l’homme
uni à l’immolation
mu du Maître.
L’homme, tourbillon jailli du sein de l’Etre, à la semblance de
ses lois, n’est que l’achèvement en la prémisse, n à l’heure qu’il ne
tend à devenir sa fin dans le principe.

88
LIVRE TROISIÈME

DES MŒURS ET DES LOIS

I. L ordre prodige Quand l’homme n s’interroge, il donne éveil à


son entendement
u et prise à toutes ses puis­
sances, il est la galerie et le spectacle, il se rempare et se débande,
il choit au plus creux de ses fondementsn et vole au plus subtil de l’air
ou de la flamme, il enveloppe l’étendue et se mesure d’intervalle
en intervalle, il semble qu’il se précipite en même H temps qu’il se
dépasse et qu’il ne laisse de rentrer en ce qu’il a de plus intime, n à
l’heure qu’il le paraît élargir. De ce bouillonnement le pire se dégage
et le meilleur
ni est mis
n en liberté ; suprêmes
n les douleurs et les conten­
tements
n incomparables,
n la vie est à la démesure
n et les limites
n sus­
pendues, les mondes à jamais n ouverts. Il n’est de règles ni de lois
qui ne dérivent de ces tourbillons qui les abrogent ou les établissent,
et les coutumesH les plus rigoureuses peuvent suivre des négations les
plus altières. On s’émeut n bonnement
ii de voir combien
n de liberté
préside à l’établissementn de nos contraires, de quelles spéculations
tumultueuses
n' mainte fois procèdent nos défenses, de quoi sont faites
nos murailles : point d’assemblage n qui ne doive s’ébouler jusques
à tomber
n à néant, sitôt que les regards le fouilllent ! De l’ordre ou
de l’étude, il nous importe de choisir et de savoir qu’ils sont inco: n
patibles ; dans ce domaine, l’examen n détruit l’objet qu’il élucide
et rares semblent les intelligences propres à le ranimer. Le commun iiiii

des mortels s’épargne les longueurs de la recherche et prête son


consentement au pire : en lui, les mondes s’ouvrent sur l’abîme et
chaque liberté le rue aux nœuds de la licence ou dans le règne de
l’inavouable. Le monden se conserve, toutefois, par le canal de ceux
qui l’envisagent sans le perdre et de tous ceux qui le supportent sans
l’entendre, à l’aide des mutins soumis n et de ces foules consentant à
l’immolation, pourvu qu’elle se légitime et se motive. n

89
II. L’homme infini De l’homme
iiiii que ne puis-je dire qu’on dé­
mente
H ? De l’homme tout nous semble vrai
qui ne se justifie et néanmoins
n s’avère, et fabuleux qui se légitimant
Il

ne se confirmen pas. Ne prouve rien qui seulementn s’entend à le


prouver et l’homme n' est en dehors de tout ce qu’on démontre. II est
pourtant de fait qu’on s’ingénie à le déterminer,
H mais,
h: par bonheur, il
ne se fixe point et nous ne disputons que sur ce qu’il nous désempare.

III. Acte et puissance Que l’homme est à la fois ce qu’il nous


semble et ce qu’il est, plus tout ce qu’il
ignore et qu’on ne peut savoir, plus le reflet de ce qu’il ne veut
être et que nous désirons qu’il soit, le jouet de soi-même
ii n et l’objet
de son entourage, lui qui démêle
n ses confusions et ne découvre sa
retraite, à l’instant même
n n qu’il y tombe. A devenir ce que l’on est,
trop d’hommes se détruisent et se connaître est privilège, et combien
gagnent en cet univers à ce qu’on les mutile
n ou les entrave à leur
salut, lequel réside à mille pas de leur personne !

IV. Mesure de l’humain D’un homme i ni i à l’autre il est bien des


n esures, mais
ii nul ajustement
n ne nous
rend compte de l’article et nous devons légiférer à l’impourvu. Cha­
cun de nous semble à la fois tout ce qu’il est et plus encore, et moins u

infiniment, selon le mode


n ou la manière,
n et représente un chiffre
simple auquel il est aisé d’en substituer mille, n en même
n temps que
l’unité de spéculation, mesure de la masse, H enfin la solitude close
et l’absolu total qui passe les dimensions les plus extrêmes. ii Il suit
que l’homme est ombren ou chair, multiple
n ou nonpareil, moyenne
ou résultante et généralement le tout ensemble, en sorte qu’il varie
au gré des juges qu’il se donne et qu’en un lieu les sentiments II se
changent, selon qu’il tombe sous les lois divines ou mortelles.
II Qu’il
aille de l’église aux salles de justice ou des bureaux aux magasins, n:
il est parfois un dieu, moins
n ce qui l’en éloigne, et parfois un atome, ri

plus ce qu’il y rajoute. On lui remontre qu’il mérite des égards de


douze en douze pas et le méprise
n dans les intervalles.

V. Démesure
n Point de mesure
ii de l’humain,
n si l’homme est libre
et qu’il dispose libre: n ent de sa tutelle. La dé: n esure
est aussi pleinement de l’homme que le reste et nous voyons les règnes
de l’iniquité fleurir et les victi: n .es : n ourir invengées. Les autres ont
pouvoir sur nous et nul ne les évite, eux qui nous dissimulent tout
le demeurant et montent jusqu’à Dieu nous dérober la Face.

90
VI. Réponse Au seuil de l’âme
n le déni s’arrête et le divin se mani
n ­
feste, au mépris
u1 de l’horreur et de ses épouvante-
ments,
II car l’âme
II est forte de souffrir et de ne consentir jamais, II

inébranlable au sein de qui l’ignore et connaissant qui la terrasse,


et portant même
n n qui l’a terrassée.

VII. La solitude impure II n’est en l’univers de fondement n qui


me
II résiste, de règle où je me n puisse re­
poser de foi certaine et j’y dois renoncer d’emblée, en ne cherchant
ailleurs qu’en moi, tenu commeiiiii je suis de me ravir à mes n instances.
Tout m H ’est butin, quand je me
n n ’avoue où je me
fais la proie et tout m u

suis contraire. De quel affreux courage est-il besoin que l’homme ni n se


rempare, afin de s’employer
H à l’œuvre de dépouillementn' et qu’est-il,
s’il ne se vide de soi-même,
II à la réserve d’un impurn mélange
n ?

VIII. Chaos et frénésie Tout mon forcènement II travaille à rendre


la contention plus doucement aisée, où
l’altitude se fait reposoir en l’union des cimes II et des pointes. Je suis
l’amas
u dont les retournements
u me
n tiennent en alarme et déraisonne
mieux
n à longuement
n délibérer, menteur
u assermenté
n courant fortune
de passer pour cela même h n que j’avoue. Je mortifie mes H violements
II

en les poussant dans le péril et me II réconcilie avec moi-même II II aux


fieux qui me II voient loin de ma personne. Mon être et mes refus, ils
compatissent
II bien ensemble
II et tout l’absurde qui les départage les
allie inavouablement.II Tel que je suis, je me II sens disponible et ne
saurais vous dire à quoi, mais vous en donne les enseignes. Oui,
vous me II ressemblez et nous n’avons pas lieu de nous en réjouir.
Nos gouvernants nous jugent et nous brident sans miséricorde, II et
nous vivons, battant les mains II liées.

IX. Désir inavouable


I II est besoin que l’homme soit pour qu’il
devienne et qu’il devienne pour qu’il soit,
mais
II l’homme
II désire être ce qu’il est en devenant tout ce que bon
lui semble, où n’étant jamaisII à soi-même,
n n il n’a cessé de devenir
ce qu’il n’est plus.

X. Lassitude Dispensateur de ce qui l’aiguillonne et le délasse,


indigne au premier chef de tout ce qu’il avoue, par
devers soi sujet à se dédire où l’unité fait double emploi,
II l’entendement
n

milite en la faveur de qui nous la refuse et la raison met bas les armes
n

pour le temps voulu, quand elle ne demandeII en grâce qu’on l’achève.

91
XI. Consentement de l’homme Que le consentement
Il de l’homme
ne mn ’assure point de lui, s’il n’a
de centre où je le puisse pleinement n atteindre et que le reste est
jeu sur quoi rien ne se fonde et toutes choses se démentent. il Que
l’homme
lllll apparemment
lllll le plus soumis est de la garde la plus difficile
et qu’un empire n’est aucunement II de trop pour le réduire à ses di­
mensions et les moins dommageables, qu’il faut encore le borner
au tréfonds de lui-même II II où la puissance de nos lois est incapable
de l’enceindre, et qu’il se juge libre, nonobstant, sans quoi notre
menace
H est vaine et notre assise tombe à rien. Le refus d’un seul
homme est susceptible quelquefois de mettre 11 à néant le consente­
ment
II de tous. La mort de tous ne nous assure même H II pas de celui
qu’on voulait punir.

XII. Débat Que vous paraît de l’hommeiiiii et que vous semble de


cet enragé qui subvertit l’espèce en se jouant et fait
sa gloire d’être ce qu’il n’est, en publiant sa déchéance à son de
trompe
n ? — Ce qu’il m’en semble ? Qu’il est encore digne, en son
indignité, de tout ce qu’il refuse et qu’il ne démérite n point de ce
qu’il perd, lui qui vaut tant de fois la mise
n et le loyer de sa fortune !

XIII. Légitimation
n de la douleur Nous consentons au pire et
l’endurons avec liesse, où notre
mal
n se justifie au nomn de ce qui nous dépasse. Il faut qu’à nos
tourments
n on donne l’emploi le plus relevé, qu’ils tirent aux der­
nières conséquences, et qui détrompe l’homme n de ces vues, le fera
doublement mourir.
n Nous sommes
iiiii tels que le plus vil aspire à l’ex­
cellence et nourrit le dessein de l’obtenir : les gouvernants auraient
grand tort de la lui refuser et de se confirmer
n dans un mépris
n stérile,
quand nous les servons à plaisir, pourvu qu’ils entrent dans nos
sentiments.
n Nous voulons être vus et remarqués, et nous ne haïssons
rien tant que ceux qui nous soulagent en nous déprisant. L’on ne se
concilie pas les hommes en les secourant, il faut de plus qu’on les
estime
n et le leur montre.

XIV. Vanité de la plainte Qui tire la raison du portement


n de nos
douleurs charge à demi n le poids qui
nous abîme et nous souffrons plus volontiers et de meilleure
n grâce
en justifiant l’arbitraire, je dirai même
ir que cet arbitraire cesse où
nous voulons ce qu’il paraît vouloir. Rien de si lamentablen que

92
rebelles et mutins
u : en l’univers il n’est personne à qui l’humain
n

s’en puisse prendre et la révolte est bagatelle et ne se justifie


qu’en raison de ceux qui nous regardent trépigner ou nous
entendent geindre.

XV. Ressort de l’homme Un homme abjure ses contentements n

pour l’ombre
n d’une vanité, donnant la
préférence à ce qu’il imagine,
n et se console toujours mal
n de forfaire
à l’esprit. La marque
n de son éminence est qu’il ne suffit du réel pour
que l’homme en jouisse.

XVI. Amour-propre Que l’homme n se démontre invariablement n

qu’il signifie, à longueur de journée, et qu’il


ne sort de là, qu’il entend le prouver aux autres, qu’il se remue n et
se géhenne à seule fin de n’en démordre et qu’il se meurt
n se le voulant
persuader encore et signifier même
n n en le néant, lequel est plein de
sa présence. Que les plus fous s’attachent furieusement n à ce qui les
détrompe et ne s’en lassent guère, où les plus sages ne travaillent
qu’à se muer en eux-mêmes,
n n se combattant et s’approuvant jusqu’à
ne faire qu’un avec un être de raison, lequel dépasse les raisons de
vivre. Que nul ne se contente en l’immobile ou de son ordinaire et
qu’il ne laisse d’aspirer à l’immutable en exigeant que le nouveau
ne puisse l’offenser. Que nous tendons à l’ambigu,
n sans nous le dire,
et voulant joindre à nos visées l’imperceptible
n mouvement
H II qui les
abroge et sans lequel nulle saveur ne nous chatouille.

XVII. Servitude plaisante Un homme n n’est heureux que s’il


démontre sa présence et qu’elle semble
ri

toujours de saison, mais


n c’est la tâche la plus malaisée
n et l’on y
dépend tellement des autres qu’on cesse de s’appartenir, afin de
leur prouver que l’on existe.

XVIII. Servitude déplaisante Que l’homme


iiiii est aisément
n persuadé
lorsqu’il y va du sentiment H qu’il
nourrit de soi-mê.
n n e et n’est pas longtemps à se rendre. L’on force

le consentement des prévenus en poussant l’artifice et par degrés,


jusqu’à ce qu’ils s’obligent à se démentir,
n peur de se ravaler et qu’ils
s’immolent en fureur à leur semblant
n d’estime.
n

93
XIX. Autre ressort L’amour
II s’avère le ressort de l’âmeIl et sans
lequel nous nous portons à la révolte. Nul
homme,
HUI certes, n’est rebelle de naissance ou de dessein formé, II mais
II

les meilleurs
II en viennent à se mutiner
H quand ils estiment
II l’infortune
sans remède.
II L’acharnement
II des factieux est une amour
II qui se
retourne et se démontre qu’elle existe en revirant de bord. Les
maîtres
II de ce monde
II ont le devoir de susciter l’attachement,
II de le
solliciter, puis de n’en être pas indignes.

XX. Tréfonds perpétuel Les marques de la barbarie sont de celles


qu’on n’invente point et qui nous
trouvent où nous demeurons,
II nous n’y tombons
II jamais
II autant
qu’elle s’élève en nous et nous avons beau l’étouffer, qu’elle subsiste
et couve sous la cendre, en sorte qu’elle n’est jamais si dépérie qu’elle
ne pointe à nos dépens, le moindre
II souffle la ranime II et la voilà
sifflant telle qu’un feu de forge et menaçant
II les aîtres.

XXI. Le philosophe autodidacte L’accoutumanceII descend dans


les profondeurs et le plus fin du
naturel est sujet à l’accoutumance.
II On trouverait malaisément
n u en
l’homme
IIIII de quoi le rendre à ce qu’il est, vu qu’il ne semble n rien à
faute d’elle et qu’ils s’ajustent l’un à l’autre au plus intime u comme
en la surface. Tant il y a qu’on ne se détermine n que par elle, soit en
la recevant, soit en ne voulant s’y plier : elle est pivot, quand elle
n’est prétexte. —
— Si l’homme était l’unique à sa manière et sans relation formelle II

avec les bêtes de son entourage, il resterait indivisiblement n humain,


II

en ne laissant de vivre au milieu d’elles : l’enfant nourri par une


louve éprouverait un jour qu’il est d’une autre race et quand même tr

il n’aurait vu d’homme,n et plus d’un philosophe en retraça l’histoire


imaginaire.
n —
— L’on connaît celle de l’Arabe, où le héros, abandonné sur un
îlot désert, est allaité par la gazelle et devient membre n de la harde.
L’auteur nous le dépeint s’éveillant à l’intelligence et méditant, n

pour achever le tout, divers problèmes II de métaphysique,


II encore
qu’il ne parle aucune langue. Il devient même II II un sujet absolu, ne
se devant qu’à soi. —
— Vous oubliez qu’il y discerne enfin la religion naturelle, en
l’occurrence celle de l’Islam, n dont il retrouve les maximes.n n —
— Merveille édifiante où la nature gagne au préjudice de l’acquis !
Je me
n rendrais de bonne grâce à d’autres preuves. Quoi de si digne
de risée ? —

94
— L’on a bien découvert de tels enfants, mais Il rien ne les distingue
dès l’abord et leur conduite infirme II nos penseurs. Aux Indes, par
exemple. —
— Deux filles élevées chez les loups marchaient
II à quatre pattes,
fouillaient le sol avec la tête, lapaient ingénieusement il et déchiraient
la viande au heu de la saisir, se régalant parfois d’une charogne,
montraient
II les dents et dressaient les oreilles, voyaient de nuit,
hurlaient et gémissaient
H de façon inhumaine.
n Après des soins con­
tinuels portant sur des années, l’on réforma n l’une des filles, la mort
de l’autre aidant. —
— La mort de l’autre aidant en raison du deuil suscité ! —
— Qui mit cette sauvage à la meilleure
II école ou celle des douleurs.
Il lui fallut cinq ans pour se tenir debout et plus de deux pour se
nourrir avec décence et sept ne furent pas de trop avant qu’elle
parlât tant bien que mal. II —
— L’exemple nous donne à penser et nous asserte que l’humain II

se range aux lois qui lui sont faites. —


— L’humanité
II de l’homme
ni ri est un acquis fragile et, dans l’enfant,
le résultat de l’emprise assidue et des modèles incessants. En l’humain n

gît le tout-possible, il devient ce qu’il peut ou ce qu’il doit et rarement n

ce qu’il voudrait et souvent il n’a rien voulu, mais n se contente de


subir. La liberté se surajoute à la profusion et des lumières n et de
l’abondance, elle en couronne l’édifice et plane en l’éminence n la
plus relevée où quelques favoris atteignent, et parfois le seul maître
en un pays entier : ailleurs, elle est de spéculation et même h n là
matière
n à privilège. Il suit que l’homme n pense en remontant à la
condition et qu’il dérive d’elle. —
— A la réserve des tyrans doués ou des mystiques n affranchis ! —
— Et même
n n ces derniers se feraient loups à l’instar de nos filles,
ils ne retrouveraient ni la raison, ni Dieu, leurs vertus se dépen­
seraient en l’exercice le plus dommageable,
riiii où chaque mouvement n

enchérirait sur une servitude inamissible n et sans retour. —


— Oui, nos idées ne se forment ri qu’en partant des mœurs et
les concepts reposent sur le train de vie le plus général, puis se
ressentent ordinairement n de nos projets couverts et de nos aberra­
tions latentes. —

XXII. Universalisme
n L’esprit de France a la vertu louable d’être
généreux et d’œuvrer à l’achèvement H de
ce dont il présume,
II en faisant honte à ceux qui le déçoivent, ne leur
laissant d’autre ressource que de l’adopter ou de le feindre. Et quoi
de plus flatteur que de nous supposer une raison commune II et la

95
plus déliée de surcroît ? Le moyen
Il de se dérober à son avance ?
Que de barbares s’en affublent et qu’on lui voit d’imitateurs
II ! Or,
j’ai regret à l’avouer, un tel esprit n’est pas moins faux que les anta­
gonistes : l’idée de l’humain
n varie d’âge en âge et quelquefois de
peuple à peuple, elle en essuie l’inconstance et c’est une erreur
manifeste,
n quoique belle au delà de toute étendue, de lui tracer
une limite
n: née d’événements
n et de climats
ri trop singuliers pour que
le monde s’y décèle. Dieu me n préserve de briser un tel miroir,
n mais
n

il déformeh ceux qui furent dans l’usage de le consulter !

XXIII. Des préjugés Le mal


n n’est pas d’avoir les préjugés, sans
quoi les hommes
iiiii tombent dans le pire,
mais de n’avoir les bons. Point de morale où nous formons un choix
interminable
n et, mettant
n les sentences au pilon, passons les faits
en jugement,
n nous travaillant l’esprit à chaque nouveauté. Dans
ce domaine-là, l’esprit ne saurait travailler assez, ce qui n’empêche
que la démesure
ii n’en soit dommageable
n et l’au delà du bien comme
du mal s’achève d’ordinaire au sein du monstrueux. Quiconque
éprouve le désir de raisonner avec justesse, se doit fonder sur le bon
sens et les coutumes n du pays qui le vit naître, lesquelles ne sont
jamais
n si futiles qu’elles ne lui permettentn d’exister, ce qui vaut
mieux
ii que d’en avoir de belles dans les livres qui l’eussent conduit
à la mort.
n Il faut apprendre à vénérer avant de comparer n ; la vo­
lonté de bien servir ne vaut pas l’habitude acquise et le commun
des hommes n’a moyen de croire en ce qu’il juge ouvertement. n La
multitude
n et la diversité des mœurs suffisent n à brouiller l’intelli­
gence. Si l’on est jeune, il convient de nous inculquer les mœurs,
voire les préjugés en cours, et nul ne sait en quoi nous sommes ri plus
heureux de dissemblerri de ceux qui nous entourent, quand nous ne
l’emportons à l’aide de vertus en propre. Où ces vertus nous man n ­
quent, notre mérite
n est de ne point trancher sur le commun et de nous
honorer de notre obéissance. Instruire la jeunesse me n semble la nourrir
dans le respect des formes, n pour l’amour de ces formes ri mêmes,
n n car
si l’on touche à l’apparence, il est constant qu’un jour ou l’autre les
principes la suivront dans leur ruine, de mode que nous sommes
obligés de les examiner n ensemble ou de les subvertir isolément.

XXIV. Choix du passé IIne faut prendre du passé que ce qui


nous permet
n de lever les traverses, non
ce qui les rend formidables.
n Le passé n’est que l’assemblage
n des
moyens
n que nous mettons en œuvre, un arsenal où nous puisons,
une retraite où nous nous restaurons avant que de nous battre, une

96
réserve dans le temps, une manière
n de repli dont nous faisons l’em il ­

ploi le moins
11 intelligible, ajournement
n au sein de la durée et point
d attache où nous venons à notre bienséance et fût-ce du plus loin,
le port où nous nous retrouvons à l’antipode de nous-mêmes.n u Déli­
cieux retour et qu’il abonde en voluptés mortelles ! Chaque homme
et chaque nation possèdent un tel domaineII où l’on végète impuné­
ment, un monde en marge
II du réel où l’on prévient qui nous offense,
un poids de souvenirs mort-nés et de querelles indécises, un vide
que l’on entretient et dans lequel on se déverserait pour n’être plus
ce qu’on assume.
II

XXV. Traditions maîtresses


II La tradition n’est pas une fin, mais
II

et servantes le moyen de retrouver ce dont elle


procède et qu’elle dissimule
II à le
vouloir défendre, et nous la ruinons à l’adorer, quand il nous sied
de la revivre. Non, certes, elle n’est pas une idole, mais
n une voie
intelligemment
IIIII ouverte, un péristyle en mouvement,
ii' n un seuil qui
se déplace et la fidélité de l’homme
II est de la suivre et non de l’in­
voquer pour en trahir l’essence.

XXVI. Débat < sur l’esprit Les traditions servent l’homme iiiii et ne
des traditions sont bonnes qu’à cela, mais
n nous ne
leur devons que ce qu’elles nous
rendent, nous leur portons un respect de cérémonieII et ne laissons
d’agir à notre bienséance, en disposant de tous leurs changements, II

quand nous les tenons nécessaires, et n’hésitant dans le besoin à nous


garantir d’elles. Nous savons que la suffisance est un empêchement
n' n

et qu’il n’est faute plus griève que de se juger assuré, quand il n’est
certitude en l’univers, hormis d’être vaillant et de s’entendre à
bien mourir.
n —
— Les traditions valent par l’exemple,
n à charge que l’exemple
nous concerne ou qu’on y puisse rapporter l’événement n dont on
redoute les issues. Ailleurs elles sont l’embarras le plus fâcheux et
qui nous met
n dans le dernier accablement,
n si nous n’avons sujet de
les proscrire, une manière
n de fardeau sous quoi le peuple expire
volontiers, moitié d’entêtement,
n moitié de couardise. —
— La fin de nos traditions n’est-elle pas de nous en retrancher
l’amorce et de nous assoupir à la faveur de l’adhérence, de peur
qu’on n’aille les reprendre et du plus loin ? Tout rassemblé, que
nous enseignent-elles en définitive ? A n’entrer point dans le mystère,
n

7 97
à passer outre en ne laissant de leur en déléguer l’usage, à ne pré­
tendre aucune chose d’elles ni de lui, nous référant à leur ajustement,
sous peine de quitter le parti dit de l’ordre, et de nous faire un point
de religion de les soutenir à force ouverte, au mépris n de l’erreur
ou de la démesure, n les recevant comme à l’aveugle. C’est le passé
II s en sommeil,
mi iiiii la belle au bois dormant, n mais
n l’on ne manque jamais n

de la tirer de son rêve et quand tous les chemins se fermeraient, n

l’entendementII n’aurait de cesse qu’il n’en frayât d’autres. —


— Ceux qui protestent de l’amour II qu’ils donnent à ces pieux
mensonges, dans le dessein de nous intimider et de nous contenir,
font mine
II d’oublier qu’en ce domaine-là notre innocence est désor­
mais perdue et qu’on ne la regagne pas. Vivre ignorant de bonne
foi n’a point de ressemblance ii avec une simplicité de pure forme
et nous ne sommes ri pas tenus de solliciter l’indigence ! —
— Pour demeurer fidèle à son principe et ne se jamais II démentir
II

touchant les règles épousées, nous ne devons les observer dans le


repos qu’elles nous donnent, mais II nous restituer en diligence à l’état
même
h n qui les fonde et les revivre à la lumière II de l’impulsion dont
elles se dérivent. La norme se connaît à la faveur de ses prémisses,
la norme II est aventure et les commencements
uni n défi. —
— Nul n’a de certitude et nul n’a d’assurance, à moins de les
gagner, en dépit du réel, sur l’univers qui les ignorera toujours. Il
nous importe de courir fortune en une remontée à la première II source
et d’abdiquer d’un mouvement II le manifeste et l’ordinaire, il nous
convient de tenter le chemin et de frayer la passe où la plus ferme
des traditions et la plus belle est démunie II de puissance, la règle
s’annulant si l’homme III II s’y refuse et se continuant à charge de re­
naître à l’affilée. —
— Puis donc que nulle chose ne subsiste en la raison primordiale
et d’autant moins qu’elle s’y noue avec plus d’allégeance, il n’est
de certitude qu’en l’épreuve et seule l’immolation II nous en impètre
la faveur. —

XXVII. Principe La raison d’être de nos mœurs gît au profond


de nos mœurs de la nécessité, laquelle veut qu’on lui résiste
en se moulant
n sur elle, avant que de la traverser,
et dans le sein de quoi l’humain
n vit, s’alimente et multiplie
II ; nécessité
la même
n' n en chaque lieu, puis tellement
n diverse au gré de nos empla­
cements qu’il n’est moyen de la déterminer, quand on ne l’envisage
en tant que forme n close. En règle générale, plus la nature est âpre
à l’homme
uni et plus les mœurs
ii' se tendent, les moindres manquements
n n

prenant figure de menace


n et touchant la survie de l’ensemble.n Les

98
lois ne viennent qu’en secondes, suivant des mœurs
il dont elles se
séparent, quand elles ne les fixent pas, de mode
II que les lois, filles
des mœurs, agissent sur leur cause originelle et peuvent même
il n se
substituer à la raison légitimante.

XXVIII. Des lois, Les lois se changent en suivant les


des mœurs et des humains
II mœurs,
II les mœurs se moulent sur
les hommes,
n les hommes demeurant
n

une inconnue où tout vient aboutir et d’où les lois procèdent. En


chaque nation, l’on marque
ii un cent de peuples, tribus, hordes et
de clans étrangement
n divers, issus de climats
n opposés, qui s’entre­
mêlent
n ou se muent,
n et 'dont l’ajustement
n semble en épreuve : il
est avantageux qu’ils s’attribuent la même n n origine et qu’ils oublient
de dessein formé ce qui les désassemble, mais n cette volonté n’em n ­

pêchera les sangs d’agir. A la naissance d’une loi, nous percevons


les mœurs et les penchants qui les commandent, et sous les mœurs
et les penchants des causes tenant à la vie, et sous la vie même un
édifice en mouvementn où l’esprit et la lettre se confondent et s’op­
posent, une manière de creuset où rentrent les façons de se nourrir
et les coutumes
n arbitraires, et le débris des lois anciennes à jamais ii

tombées, et la mémoire
n d’un réel fantasque et néanmoins plus fort
que l’évidence, et puis la voie et les démarches n inconnues de la
chair profonde. Les nations commencent d’être en partant d’une
fin qu’elles s’assignent et rangent à la source de leur cours.

XXIX. Mœurs pré­ Les lois sont l’œuvre de nos mœurs et nous
sidant aux lois savons qu’elles les suivent à la longue et
tellement qu’un change dans les mœurs
emporte la ruine des lois opposées, mais tout dépend du malléable
n

de ces lois et de la violence de ces mœurs,


n de mode
n que les lois sub­
sistent en peinture et souffrent qu’on les tourne ou qu’on les torde,
où l’on fait mine de les révérer et s’accommode merveilleusement
n n

de leur faiblesse. Les vieilles lois sont les plus douces et malgré
h

l’appareil de leur solennité, vu qu’elles cèdent mainte


n fois autant
qu’elles astreignent.

XXX. Force des mœurs La rigueur de nos lois n’a pu se soutenir


et se relâche dans l’alternative, où le
fréquent usage en adoucit l’intempérance et les mœurs établies la
traversent, et plus les lois sont dures, plus elles sont sujettes à se

99
rompre, mais
n la sévérité des mœurs,
II active et vigilante, exerce
parmi
n nous la domination la mieux
•f reçue, enveloppant tout l’hommeiiiii

et disposant du naturel, le célant à soi-même


U et l’obligeant à se mentir
n

quand il s’est mutiné,


II de mode qu’on échappe aux mœurs
H en tombant
n

dans la fourbe universelle et risque de s’y perdre, y jouant ses limites


et ses voies, raisons des libertés que l’on postule !

XXXI. Soumission
n des lois Les mœurs agissent sur l’entende-
n ent qui les réforme et les préceptes

tombent à néant, dès le moment


n qu’ils violentent la coutume.n Les
mœurs amorcent
n qui les modifie
n ou les redresse et nul système ne
s’implante
n où l’on a foi dans ceux que l’on possède. Les sages de
l’Antiquité, ceux qui donnèrent les premières n lois, improvisèrent
H

moins qu’ils n’ont déterminé, leurs règles n’étant pas nouvelles,


mais
n plus valablement
II assises et plus fermement
II II élucidées, et le
mérite
n d’une loi revient au peuple au sein duquel elle avait pris
naissance. La nouveauté ne saurait jaillir d’improviste et les réformesH

scellent d’amples
II acheminements
n n que l’on veut oublier au béné­
fice du législateur et même
n n au détriment
H du peuple dont elles
procèdent.

XXXII. Lois présidant Les mœurs sont aussi l’œuvre de nos lois,
aux mœurs mais
il seulement à force de détours et
d’abord insensiblement
H et comme
Il 111 au tra­
vers d’une persuasion dissimulée
II : il faut séduire avant que de con­
traindre et les meilleures
II lois échouent, quand elles ne suscitent
divers préjugés qui les répandent et les consolident. On agit sur
les mœurs
II par le canal des mœurs et non le truchement II des lois,
lesquelles risquent de porter à faux ou de tomber à rien, quand elles
les négligent.

XXXIII. Puissance L’unique et le plus sûr moyen d’avoir raison


du mensonge
II des lois qui nous offensent n’est que de
renchérir sur elles. Les lois ne peuvent
rien contre les hommes de ressource et qui n’épousent une règle
que dans la vue de s’en affranchir. On punit, certes, les rebelles,
mais
n l’on demeure court en face de ces beaux messieurs, complai­
samment
lïl II habiles, qui donneraient le change à Dieu. Le front sévère
d’une loi fut-il jamaisII l’objet de telles vénérations mêlées
II de pareils

100
outrages ? Or, la puissance de nos lois les plus farouches t s’arrête
où nous lui faisons l’ouverture et leur emportement
n n languit où nous
prenons la mine de céder. —
— Il est des peuples doués pour la fraude et qui s’entendent à
marquer
II un agrément
II inépuisable à toutes les mesures, de mode
que nous échouons d’avance et n’avons prise sur le naturel qui se
dérobe sous l’allure, mais quelle loi vise à l’atteindre et quelle règle
pousse jusqu’aux fondements II ?—
— Il n’est pas recevable de tout publier et l’on n’a d’ailleurs
garde de s’en acquitter, de façon que l’on ment II de connivence où
l’adversaire le plus acharné se trouve mis de plein saut dans nos
intérêts et nous d’intelligence avec les siens ! L’on se doit, de puis­
sance à puissance, quelques ménagements.
II L’on ne dit point ce que
l’on veut et l’on a bien raison, et quoi de plus universel que le silence
fait touchant nos inclinations et les moyens
II que l’on déploie ? Nul
philosophe ne l’aborde et ceux qui feignent d’en parler ont soin
d’outrer ce qu’ils nous laissent voir, de façon à nous donner le
vertige et de se dérober sous un échafaudage d’impostures. —
— En l’occurrence, on va trop loin ou ne s’ébranle qu’en pein­
ture, mais l’on n’atteint jamais au vif. —
— D’où la puissance de nos mœurs que nulle loi n’entame n : il
y persiste un je ne sais quel ordre inavoué que les censeurs ne mar n ­
quent pas et dont on a mauvaise grâce à publier l’économie, un
monde étrange où l’on cultive les bons procédés et ne s’en glorifie
point, où l’on est prévenant à charge de n’en rien connaître et
prévenu dès le moment II qu’on n’y regarde pas, royaume plein
d’aveugles et de sourds qui passent leur chemin, ne s’incommodent
pas les uns les autres et se devinent en leur ombre mutuelle,
II tous
merveilleusement
II II d’accord. Qui se mettrait en peine de les démentir
II

ferait le vide à l’entour de sa voix ! —

XXXIV. Foi de l’Espagne Les mœurs se glissent en les lois et


les ruinent, afin de se payer de leurs
violements et plus on pèse sur les lois, et plus les mœurs se tendent.
Lorsqu’une nation a beaucoup à souffrir d’une morale II à quoi son
naturel ne semble
n la porter et qu’elle la fait sienne, elle y met
n une
rigueur de mauvais
n aloi, vu qu’on est plus à l’aise où l’on est mieux
n

persuadé ! De même
n n à l’égard des religions qui se ressentent dou­
loureusement
u de l’âpreté mise
n au service d’une foi contraire : les
Espagnols l’illustrent à merveille
n et l’on peut dire qu’il n’est peuple
moins
II touché de l’esprit véritable de l’Eglise, qu’il défend toutefois
contre soi-même
n n et contre l’univers de la manière
II la plus véhémente.
II

101
Ils ont placé les mœurs sous le couvert des lois, ne pouvant s’en
défaire, et la Nouvelle est devenue un assemblage monstrueux
n armé
il

de feux, de pointes et de fers, le culte d’une mort n inassouvie et la


grimace de nos Évangiles, mais n tout cela l’Église ne l’a combattu,
pour qu’ils ne se détournent pas de son enseignement n et cherche à
les atteindre, nonobstant, voulant qu’ils se relâchent de leur naturel
au profit insensible de ses lois. La fin des lois n’est-elle point de
susciter une inclination nouvelle et qui nous porte à leur céder
comme venant de nous et non pas d’elles, de mode n qu’elles passent
dans les mœurs au travers de nous-mêmes ii H ? J’ajoute qu’il est peu
de lois capables d’aller aussi loiii et de changer un homme à ce qu’elles
l’obligent.

XXXV. Débat touchant Au fond de toute loi nous retrouvons


l’Église et les gentils les mœurs d’un peuple en tel ou tel
moment de son histoire, et le contraire
de ces mœurs, mais rien qui se situe impunément n hors l’un ou l’autre,
et c’est pourquoi d’aucunes lois ne sauraient convenir à tous les
peuples, n’étant pas même
n désirables chez celui qui les promulgue,
à l’heure qu’elles cessent de répondre à ses besoins. —
— La preuve en est qu’elles nous pèsent et qu’on s’acharne à
les miner, les mœurs nous servant de complices, mais ii ce biais
demande quelques générations et ne travaille qu’en douceur, encore
qu’il soit efficace. Les mœurs
n imbiberont les lois, ne leur laissant que
l’apparence et nous en tirerons un mille ii d’agréments, pourvu que
l’on se taise et que l’on mente, donnant le change à ceux qui sont
dans l’ignorance des coutumes véritables, d’où simagréesn. et postures.
L’on voit des nations multiplier
n les soumissions feintes et produire
une assurance très formelle
ii à qui la veulent recevoir, et notre Eglise
ne les prendre au mot ; l’on voit des peuples consentir à tous les
sacrifices pour éluder celui qu’on leur impose et déployer des efforts
incroyables et touchants pour n’avoir pas à devenir chrétiens, dis­
simulant
H leurs inclinations profondes sous l’ardeur et sous la véhé­
mence.
n Voilà comme les mœurs
n ont limité
ii les lois qu’elles ne peuvent
rejeter. —
— L’Église est l’œuvre de certaines mœurs, ii mais
n elle emporte
des lois absolues, voire dirimantes, elle est mêmen ri la loi par excellence
et qui ne souffre de partage, au moinsn dans le spirituel, et cette loi
qui s’insinue emmi les nations les veut changer à ce qu’elle leur
manifeste
n et ramener les mœurs
n vers elle seulement. L’Église a
feint de céder aux coutumes if établies, quand elles ne la rendent im H ­

possible : on l’aura vue consentir à l’esclavage et l’abolir dès le

102
principe, où toutes ses leçons ne visent qu’à le prohiber. Quand
elle semble intransigeante, il faut se dire qu’elle ruse et que sa dureté
réside ailleurs ; lorsqu’elle plie, il nous importe de donner l’alarme Il

et de tout craindre, nous qui savons qu’elle se fonde en agonie et


se rempare de tourmentes.
H De peuple à peuple nous la sentons une
et chaque climat la diversifie, elle se mue II à passer la frontière et ne
s’altère point, elle s’appuie sur les lois à dessein de fléchir les mœurs II

ou les pénètre dans l’intention de retourner les lois, elle entreprend


ce qu’elle achève et remanie
if ce qu’elle n’amende II plus. —
— Avec les Espagnols elle milite
n ; elle soupire avec les Portugais ;
en France elle raisonne plus qu’ailleurs ; en Italie il semble II qu’elle
s’affranchisse et prenne d’étonnantes libertés, mais II c’est la nation
la mieux
II persuadée et la plus fortement
fi assujettie à ses commande
ni n ­
ments ; avec les peuples d’outre mer n elle conspire ou s’amuse
rf à
des bagatelles. —

XXXVI. Abus à préserver


t Le correctif est admirable
If où la pre­
mière
fl généralité subsiste et demeure
inchangée : il y met ordre alors au nom des mêmes n ii causes, d’où sa
prérogative manifeste, mais
II il se change à l’abus qu’il réprime II et
dès l’instant que l’abus cesse. Il est donc juste soit de préserver
l’abus, soit d’abolir qui le retranche heureusement, II de maintenir
II

l’excès avec l’amende ou d’annuler enfin les règles inutiles, ce qu’on


balance à faire, sous l’ombre que l’abus antérieur est dans le cas
de revenir, puis l’on redoute moins
II celui partant de nos mesures n

préventives. Or, ce dernier s’annonce pour le temps marqué, fi plus


dangereux parce qu’il faut le deviner où l’on répugne à le connaître.
L’on meurt
II souvent à raison de l’excès et plus souvent des moyens II

qui l’évitent. Nous ne devons jamais fi avoir la superstition des règles,


sinon les règles nous abîmentn à leur tour et d’autant plus qu’elles
nous semblent vénérables. On légifère pour l’éternité, mais II c’est à
cause de la galerie et l’on serait malavisé
n d’y croire.

XXXVII. Péchés Les lois entraînent des péchés nouveaux, il


suivant des lois n’est de lois qui n’en suscitent et plus il est
de lois, moins il est d’innocence et plus elles
sont absolues, plus elles porteront dommage à ceux qu’elles dé­
fendent, plus elles voudront s’imposer, plus elles seront démenties
n

et plus elles exciteront de troubles. Rien ne se fait de bon ni de


valide où l’on n’a soin d’avoir les mœurs de son côté, les lois s’annu­
lant à l’usage et dès l’instant qu’on les publie, à moins qu’elles ne
s’en étayent, les mœurs
n leur servant de supports, écartant les em-n

103
pêchements
il et rétablissant la concorde, mais
Il de pareilles lois main
n ­
tiennent plus qu’elles ne changent et nous consultent mêmen n au lieu
de statuer, bien qu’elles s’insinuent à la longue. Il est douteux que
l’on en veuille et le législateur n’en prise nullement
il la dépendance,
ayant le goût de l’absolu, goût déplorable et sur lequel on ne revient
que malgré
fl soi, nos habitudes nous liant à ses prestiges depuis trop
de siècles.

XXXVIII. Le prix de l’absolu Le prix de l’absolu, nous le savons


de longue date et nul n’ignore
tout ce qu’il en coûte aux lois humaines fl qui l’appuient : il double
nos ferveurs, mais il il ajoute à nos scélératesses, il est un bien pour
les meilleurs
n et pour les autres un surcroît d’ignominie et, si des
hommes
iiiii gagnent à le révérer, l’humanité le paye et l’absolu la dé­
dommageii mal
ii des lésions qu’elle a pu recevoir. Que le législateur
prudent l’écarte et qu’il mitige ii les assertions, qu’il en dédaigne la
facilité, car l’absolu rend toute chose prévenante et nous évite un
mille de désagréments H de qui le poids est moindre
H que le sien, mais
H

l’on préfère s’acquitter en une seule fois au heu de languir sous le


frein et se condamne à la dernière servitude, peur de toucher au
dénoûment n avant le terme.n Oui, l’absolu nous porte et règle habi­
lement
n les dispositions à prendre, il aménage le domaine, n il le soumet
n

à nos édits, il leur procure une manière n de relief de véhémence


ii et
de contention : l’on dira néanmoins n qu’il ne l’opère, qu’autant qu’il
nous exerce et nous y prenons de l’obligation au point de ne jamais n

l’éteindre. Jugez des conséquences !

XXXIX. Danger des Le propre des lois qui se fondent en hautesse


lois sublimes
it est qu’elles nous dépriment n dangereuse­
ment,
ri lorsqu’on ne peut les recevoir en leur
entier. Où l’on flétrit les voluptés, nous obligeons les hommes
iiiii à la cafar-
dise et les rendons impurs, et davantage qu'ils ne semblent l’être sous
des lois moyennes : l’on fait un saint pour millen sots et pas une âme
entière et digne de ce nom, ii de gravité lucide et de sévérité prudente.

XL. Débat sur la nature Plus les préceptes montent


n devers le
et le sublime
n sublime
h et plus l’abaissement de
l’homme et sa laideur se manifestent.
Quand l’innocence est un aveuglement,n nous agissons tout comme n

des enfants pervers, mais


n nous y mettons
ri de la grâce et l’on ne par­
vient à nous diviser d’avec nous-mêmes.
if n La connaissance nous fait
monstrueux
n en portant nos démarches
n dans l’horreur qu’elles as-

104
sument.
n Nous savons désormais n que nous péchons et, de mutins, n

nous devenons coupables et, de sauvages, réprouvés. Il est des


peuples enfantins que l’on s’acharne à réformer n et pousse rigoureu­
sement
n dans la licence en leur rendant les vices plus délicieux qu’ils ne
pouvaient le concevoir, ou qu’on dégoûte de la vie à force d’une pureté
fâcheuse et qui les fait mourir. n Les religions exigeantes n’animent n

que les hautes âmes, n en ne laissant de pervertir le demeurant. n —


— Si tous les hommes iiiii étaient raisonnables, mais n raisonnables
souverainementu1 et dans le cas d’aller jusques au bout et fût-ce à
leur dommage,
ni n la foi ne serait plus de mise n et les vertus suprêmes n

inutiles, l’on aurait peu de saints, mais n nombre de gens éclairés,


peu de scélératesse et beaucoup d’indulgence, un mépris n général
des puretés intransigeantes, ùn goût solide de la jouissance modérée, n

plus de mesure
n que d’emportement,
n n plus d’ironie que d’austérité,
l’on saurait ménager
n le tempsn et notre vie et l’on se moquerait de
toutes les idoles, l’on aurait soin de faire peu d’enfants et jamais
au delà de nos ressources, l’on ne se piquerait de rien, moins de
paraître plus civil et plus léger que l’ordinaire et l’on mettrait n les
règles en bons mots.ri Mais nous nous situons ailleurs, par infortune,
et comme il n’est expédient de décharger la terre des légions
d’aveugles qui l’habitent, la raison n’est que fable et l’on doit biaiser
dans la poursuite des moyens, n l’on doit s’armer n et d’absolus et de
mensonges
n dilatoires, promettre
n et menacer,
n donner le branle et
contenir, jouer de nos ressources, multiplier n les ruses et la violence
et relever le tout, moyennant l’héroïsme des plus emportés n ou
moyennant l’exemple des martyrs. n —
— Heureux s’il reste des emplacements, ri des lieux de sûreté,
des îles où l’on vit selon les règles de l’urbanité, de ces refuges ado­
rables où l’on plaisante, où l’on commente, iiiii où l’on se divertit sans
craindre les fâcheux, où l’on est homme ai enfin et le démontren !—
— Où l’on est homme ? Les mœurs n de l’Inde confèrent aux
rapports charnels un je ne sais quel air de sainte gravité, dont la
morale
n souffre étrangement. rr A vue de pays, l’on est émerveillén de tant
de latitude et l’on envie les Indiens de forniquer sous l’œil des dieux
et les préceptes à la bouche, et de goûter un plaisir non-pareil en
ne sortant de leur devoir et comme n à l’abri même
n n du soupçon. —
— L’heureux manège n et le loisir voluptueux à la douceur de
mon
n repos ! Et que ne suis-je adepte du Seigneur suavement n cruel
de qui les dieux ne purent mesurer n le membre ! Quel art et quelle
politesse et comme il fait bon vivre en ces climats n ! —
— Par infortune, la malice de l’espèce s’en est tellement n mêlée
n

qu’il n’est de gens plus adonnés à la luxure, et malgré n la justesse


du principe et l’élévation de la métaphysique, on ne saurait trouver

105
de nation plus digne du mépris
Il de ceux qui la connaissent. Le lustre
des dilemmes et des antithèses ne nous procure pas toujours ce qu’on
dénomme un établissement
II honnête et la recherche est infamante
il

où l’on s’en autorise pour s’abandonner. —

XLI. De l’amour du prochain Lorsque les mandements


n nous
passent à raison de l’altitude, il
est de fait que nous n’avons plus d’exercice et déjouons ce qui s’élève
sur nos têtes, mais n’a de prise sur les membres.
u n Les lois sublimes
n

sont trop vulnérables et le précepte d’aimer n son prochain trop vaste


pour signifier ; une morale a charge d’être négative ou l’on se moque ti
d’elle et tourne ses maximes, n car les paroles ne sont rien, quand
elles ne s’imprimentir en l’accoutumance la plus générale et qu’elles
ne nous semblent
n. revenir des profondeurs inviolées. Qu’il faille
aimer notre prochain comme ni n nous-mêmes
n n est la maxime
n la plus
imprudente et celle que l’on tourne avec le plus d’adresse : qui s’y
réfère se donne un ridicule inimitable et qui la met n en œuvre est
à portée d’en mourir.
ii Pour qu’elle soit expédiente, il sied d’abord
d’être à soi-même
n ce qu’on est, ni moins,
n ni davantage, et de s’at­
teindre pleinement
ri en une permanence où tout conspire à nous
fixer, mais
n l’on ne saurait y venir à l’impourvu. Que si le nombre
n’a moyen
n de se porter à ce dont il est naturellement n exclu, devons-
nous l’abuser à le nourrir d’une fumée n où nul ne trouve sa provende,
avons-nous droit de prêcher dans le vague et de fermer n les yeux
sur mille
n horreurs que nous ne réprimons, est-il loisible de nous
consoler de la malice
n générale en nous couvrant de la bonté de nos
devises, pour n’avoir pas à faire contenance et nous laver les mains ?
N’est-il pas admirable de prôner ce que les meilleurs d’entre nous
ajustent une fois sur douze et que les autres ne soupçonnent guère,
un but si loin de nos visées que l’on irait au bout du monde avant
de songer à le voir et qu’il n’est antipode en l’univers qui se situe
à plus d’écart de nos démarches
n ? Ces hautes vérités nous passent
par-dessus la tête et les méchants s’en trouvent à merveille, n où
plus de modestie et davantage de rigueur ont incidence en nous
frappant au défaut de l’armure. n

XLIL Morale close Métaphysiques et morale ne s’accordent pas


et les relations de voisinage ébranlent la
seconde ou diminuent
u les prestiges de la transcendance. Une morale
est faite pour servir, non pas en vue d’exercer un jugement u qui la
retourne, une morale
n taille et tranche, une morale prononce en droi­
ture et ne revient jamais
n sur le litige, à moins
n d’y perdre, et l’efficace

106
de ses mandements
n n varie à raison de sa contenance et du refus de
transiger. Pour elle toute spéculation est un moyen
Il de s’affermir,
II

une réserve d’arguments ou de propos de circonstance et rien de


plus. Tel sentiment
II dirige ses travaux dans le domaine,
II elle a la
garde de l’enclos et veille sur les passes.

XLIII. Point de mystique


II Qu’il n’est pas sage de bâtir sur une
dans les lois foi trop exigeante et que le législateur
le plus avisé répare le désordre en
fixant les penchants qu’il n’éteint dans leur source, mais
n la mystique
n

va trop loin pour déterminer l’homme au devoir ordinaire et le su­


blime
11 excède lois ou mœurs,
H de mode que les scélérats s’y cachent
à loisir et consolident leurs abus. Dans la naissance des corps poli­
tiques, les lois obligent et diriment,
II visant à maintenir, et le dessein
de l’état digne de ce nom est de conserver la patrie en faisant l’équi­
libre. Là, l’incidence de nos mandements
11 nous répond de leur
efficace et plus que la sublimité de vues imaginaires,
11 car le réel
demande
II un prompt secours et la justice passe avant la charité,
les foudres avant l’indulgence et les limites avant l’étendue. Les
gens de bien méritent qu’on les favorise et qu’on les venge, quand
le pardon des forfaitures suit d’illusions louables, mais II vexantes,
d’illusions que l’on révère et ne seconde pas. Les lois de chaque jour,
les règles claires, les édits indubitables et tout l’appareil enfin que
nous devons subir, émanentil de l’étude la plus réfléchie et pèsent
l’homme en tant que tel, le supposant rebelle d’industrie et conjec­
turant sa malice ; elles professent froidement, ces lois, que l’habitude
a l’avantage sur les nobles résolutions et que la crainte mercenaire
H

a plus de force que l’élan en apparence le plus généreux, que l’ha­


bitude nous soutient au déçu de nous-mêmes,n n quand les plus fermes
If

résolutions nous viennent à manquer, et la frayeur servile diminue


les attraits que nos ferveurs négligent et n’extirpent point. L’amourn

de la vertu nous semble moindre que l’effroi du crime et cette horreur


est au-dessous de l’épouvante du scandale et de la honte du supplice.
Porter la singularité dans les édits sous l’ombre d’une loi plus haute
est moins
lï le fait de l’amour que de l’imprudence et trahit le désir
d’en imposer aux galeries, car le royaume ri de nos lois est de ce monde.

XLIV. Il faut s’incommoder Le fait de la morale


ri est proprement
n

de nous incommoder et de nous


établir en un dégoût stérile, car tout relâchement
n alarme sa vertu,
mais
n l’homme incline aux voluptés et tellement
n qu’au sein de l’ordre
le plus despotique il renouvelle ses plaisirs, infatigable scélérat, et

107
qu’il dérange les préceptes à force de s’y dévouer en un désordre
ravissant. La rigueur le chatouille et les travaux n’abrègent guère
ses délices, il tire de ses maux
H le complément
n n de sa liesse, on le voit
prosterné devant ce qui le foule et cet esclave se délecte à se sentir
humilié
H plus que ses maîtres
II à le requérir.

XLV. Le plaisir et la mort L’anéantissement et le plaisir nous


semblent trop de fois dans un rapport
essentiel et les atteintes de la mort II animent l’être aux jouissances
les plus enragées, où l’agonie nous répond de nos empressements II

et les délices nous excèdent. A devenir l’objet de nos instances, nous


nous rendons pareils au sujet absolu, nous éprouvons qui nous abîme
et, dans la démesure
H de cet abandon, l’on juge mieux de ce que l’on
immole,
IIIII allant au précipice avec une manière
u de transport que nos
puissances à l’envi secondent : en ce démembrement,
n l’homme
IIIII est
le maître
II de sa plénitude, il l’enveloppe entière au moment de la
résigner et c’est une affluence de faveurs qui l’étourdissent, de mode
que l’ultime
II joie ébranle au delà du sensible qui touche au dénoûment II

et se délecte en elle. Par les approches de la fin les voluptés se renou­


vellent, l’alarme II les redouble à force de les abréger et les derniers
ressorts se tendent jusqu’à rompre, II engagement
n suprême où l’être
se rassemble en le désir de n’être plus, maisir à la condition de goûter
l’offrande et de sombrer en un ravissement n qui le foudroie.

XLVI. Mystique Chez les meilleurs


II tout comme chez les pires,
de l’inavouable le penchant le plus décidé relève de l’inavouable
et les accorde à l’unisson, ils veulent jouir de
se perdre et se gagner au travers de leur chute, associant la mort
au paroxysme II le plus véhément
II et, s’il advient qu’ils mettent
II de
la différence dans le tour, si le regard des uns fouille les nues et que
les autres sacrifient à l’abysse, nous savons que les dimensions
II se
renversent en l’au delà de nos limites et que le vol atteint ce que la
chute effleure. En l’au delà seul l’indivis subsiste et l’absolu méprise
II

nos débats, là règne l’ambigu de plénitude et l’homogène II infus de


qui le bien commeiiiii le mal
n nous semblent
u; les prestiges, là s’abolit
toute morale
H et les échelles de valeurs se désajustent.

XLVII. Embasement
n Et c’est pourquoi nulle morale péremptoire
de la morale ne se fonde où la morale ne se ferme n et
que les leçons les plus hautes ne valent rien,
si l’on néglige les maximes
u n ordinaires et prudentes. Qui dit morale
dit mesure
n et c’est la garde de l’enclos, non pas son élargissement
n ;

108
c’est une veille aux portes, loin du sublime Il et de l’abominable ;
une rigueur étudiée et des principes réfléchis, ayant pour fin la
conservation de l’ordre et pour ambition dernière l’harmonie. Elle
ne souffre pas qu’on mette
II les adages au pilon, elle redoute qui la
mine ou la terrasse, elle n’ignore aucunement n le danger de l’incerti­
tude et le péril de la confusion, elle se voit à mi-chemin
n de qui l’ignore
ou la déteste, le sommet la dédaigne et les abîmes la vomissent,II il
lui faut s’établir en l’intermède, en un balancementII destitué d’éclat,
que vilipendent les élus et dont se raillent les perfides, se rejetant
sur l’amertume
n n et craignant la liesse, allant bâtir sur le soupçon
et s’abreuvant à mille
n dégoûts onéreux, appesantie et vengeresse,
incommodante et la plus sourdement II inassouvie, où ses morosités
la tiennent en éveil. ’

XLVIII. Morale et déplaisir Point de morale sans la déplaisance


et qui procure de la joie inspire de
l’ombrage
II aux défenseurs de l’ordre, et même II l’allégresse ressentie
à suivre les commandements
lllll au préjudice de nos inclinations ! Ces
défenseurs s’abusent-ils ? Jamais II entièrement,
II hormis l’excès de
retenue et l’uniforme II de leurs procédés, lesquels fatiguent à la longue
et nous émoussent par degrés, raison de varier la phrase et d’amoin n ­
drir le joug dont leur manie nous surcharge, en permettant n des
voluptés légales, faibles concessions à la malice et moyennant les­
quelles nous refrénons le reste.

XLIX. Morale et bonheur De la morale nous dirons que l’on est


fort contre elle où l’on dédaigne son
bonheur et qu’elle n’est jamais
n de trop, si l’on a soin de viser à la
jouissance. Un homme
ni ri dur, qui ne s’accorde rien et s’abomine même,
n ri

est naturellement
n inaccessible à son empire et dans le cas de l’ignorer.
Face à de telles gens, la religion la plus absolue échoue de nécessité,
mieux
II : elle cède à leur prestige et capitule d’obligation, heureuse
de les employer,
II mais
II' craignant tout de leur indifférence.

L. La fin des lois Les lois sont tutélaires de la vie et n’ont pas
d’autre usage, et les meilleures
n la protègent
ou l’augmentent ; les lois sont faites nommément
n pour ceux qu’elles
régissent, mais
II nul ne leur doit révérence à titre de leur qualité, les
lois étant plus serves que maîtresses : nous leur portons le respect
qu’elles nous témoignent et l’harmonie veut, qu’en notre mutuelII

109
échange, les droits balancent l’obligation et s’amortisse
H l’avantage
où toute redevance cesse. Je les appelle des moyennes et des tru­
chements,
n leur fin n’étant que leur emploi,
ù jamais
n à l’opposite de
la nôtre, selon que nous la discernons d’emblée ou d’évidence. Le
but des lois consiste à nous sauver et d’elles et de nous.

LI. Lois invisibles Les lois ne constituent pas leur fin, mais
n la
défense d’une intention qui se propose d’y
viser. Nous sommes
n les sujets des lois qui nous rapprochent de ces
fins et n’oublions jamais
n quelles les servent, mais nous n’avons
plus à servir de loi félonne où l’amour de nos fins suprêmes nous
commande
ii de la violer et sans ambages ni remords.

LU. La bonne loi Nous savons qu’une loi trahit, quand elle cesse
de viser à l’absolu qu’elle renferme et dont
elle est servante, mais
n ne le discernons valablement
n qu’à charge
d’avoir le cœur dépouillé. La bonne loi paraît ensemble et sa limite
ii

et son issue ouverte : elle est tout ce qu’elle est, mais davantage,
et ne le serait plus à n’être qu’elle-meme.
ri

LUI. Force et faiblesse Que l’incidence d’une loi met n tout le


de
i la bonne loi peuple en la nécessité d’une réforme n et
le contraint à se mouler sur les articles,
bien plus que le sublime d’un précepte à quoi les nations ne prennent
garde. La force d’une loi dérive de la sphère qu’elle exerce et des
limites
n qu’elle trace, et moins
il il est de marges ou de creux et plus
elle s’affirme,
n au détriment
ii de ceux qui s’ingénient à la tordre. La
bonne loi nous veut rendre en commun iiiii ce qu’elle nous retranche
isolément, ayant un général égard à l’homme n pris en tant que tel,
lors même qu’il la nie ou la viole. La bonne loi ne vise pas à l’altitude
seulement
n et promeut la justesse et l’incidence la plus rigoureuse,
elle ne rougit pas d’être sévère, mais elle a la vertu de n’avilir per­
sonne et marque de l’estime à ceux qu’elle châtie, puis sous l’empire
d’une bonne loi nous sommes à couvert de la menace, u mis dans l’em n ­

pêchement de nuire et rendus à nous-mêmes. n' n Or, la meilleure loi


n’est faite que de mots et si les mots se muent, que lui sert-il de
prôner ce dont nous n’avons plus l’absolue intelligence ? De là
dérive un nombre d’abus incroyables et qui ne souffrent de préser­
vatif, de là ces marges entre ce que l’on affirme n et ce que l’on entend,
de là l’espèce de mensonge où nous vivons à l’aise et qui ne manquera H

110
pas de nous énerver, de là l’absurde triomphant et la ruine au bout
des stratagèmes
II et des visions. C’est pour cela qu’il ne faut point
ruser, gagnant du temps au préjudice de tout l’avenir, c’est pour
cela qu’il nous importe de souffrir et de nous rebeller, dès le moment
n n

qu’on nous abuse, au lieu de nous ranger à l’apparence d’une déraison,


qu’il nous importe même
n n de périr au nom des lois que l’on détourne
de l’usage, car nous ne sommes rien lorsqu’elles nous abdiquent.

LIV. Le fondement
II Que l’homme est, sans déguisement, le mieux
de la créance persuadé qui pense trouver en soi-même II une
démarche
II qu’on lui souffle d’industrie. Que
l’art est de se lever un complice involontaire et de ne point se mettre
n

au-devant des raisons que l’on démontre. Les peuples se réforment il


quand chaque homme IIIII est fondement
II de la créance et qu’il se juge
tel. Les grandes charges font que l’on supporte mieux les servitudes
inhérentes à la vie et que la vie en paraît plus illustre. Il sied de pro­
mouvoir chacun de nous et tellement qu’il semble que cet univers
repose en lui comme II en la pointe d’une pyramide : le moindre est
le support de la création, la dignité de l’être émane
H de nos jugements
ii

et la lui refuser emporte condamnation et légitime la révolte.

LV. Triomphe par l’absurde Les bonnes lois sont d’ordinaire les
plus faibles, à cause qu’il suffit d’un
rien pour les corrompre et que tout semble conspirer en permanence
n

à leur abaissement, mais


ni leurs rivales ne se peuvent soutenir sitôt
qu’il n’en subsiste un demeurant
n fragile et, faute de ce misérable
n

reste, elles avortent avant que de naître ou meurent


ri dans le train
de leur principe.

LVI. Les belles vérités Lorsqu’ils descendent en la foule et que


chacun les évalue ou les adopte, il est
certain que les préceptes se dépravent. Rien de si faible et de plus
vacillant qu’une maxime
n n ouverte et pleine, généreusement,
n de tout
ce qui la nie, et c’est à quoi son élévation se peut connaître. Un
homme n’est, pour l’ordinaire, susceptible de former ii un choix et de
le démentir
n d’un seul tenant, à l’heure qu’il s’y donne sans partage,
et les réformateurs s’obligent à ne jamais l’oublier. La bonté d’une
loi ne se situe guère en profondeur et vaut par la surface, puis nulle
loi ne dure, à faute de limites
ii rudement tranchées, mais
n ces limites
la feront mourir le temps venu. En promulguant
n la loi, nous enten-

111
dons la publier pour tous les âges, nous le disons et proclamons à
son de trompe,
Il légiférant en vue de l’éternité, car il n’en faut pas
moins
II si nous voulons convaincre et plus n’y ferait point de mal. II

Si l’on se permettait
n de révoquer les moindres
n mots
n en doute et de
laisser entendre que les lois se changent, nul ne les priserait et
chacun s’en irait les tordre, les plus stupides sortiraient de leur devoir
pour entrer dans leurs intérêts et les meilleursri se lasseraient de
se contraindre sur l’article. Les belles vérités, les vérités augustes,
il me
n paraît indispensable de les mettre
n en un lieu sûr, où nul ne les
viendra corrompre,
n en un lieu hors de la portée et du grand nombre
et des malicieux habiles. Les* belles vérités sont au-dessus des lois
et l’appareil des lois ne sert qu’à les défendre, les tâches de la loi
ne sont que des moyens,
n des moyens
ri infidèles qu’on impose
ri avant
de les suspendre ou de les altérer, la loi n’est une fin qu’aux yeux
des multitudes
n apeurées. Les belles vérités demeurent
n à jamais
u

inconnaissables, nul ne m n ’enseigne à discerner les formesn dont elles


se vêtent, nul ne m’apprend à violer l’enchantement n qu’elles m’op­
posent, nul ne me n définit l’essence où leur allure se déjoue et ne m’ex­
horte à les envelopper en me rendant l’égal de leurs élusions, et toute­
fois nous parvenons à les connaître et c’est par quoi nous sommes
dignes d’elles et de nous.

LVII. Les vérités d’usage A l’homme simple


n la sentence ou le
précepte et l’appareil des formes et
des lois, à cause qu’il ne fait le bien que sous l’empire de la crainte
ou seulement
ii en vue d’un loyer. La charité veut qu’on ne l’abandonne
point à soi, puisqu’il est mû de toute chose et ne demeure nulle part.
Il est donc nécessaire de l’environner, lui laissant quelque latitude
et lui coupant l’issue avec le libre choix, qui ne serait que dérobade ;
il a d’ailleurs si peur du virtuel qu’il lui préfère l’asservissement
IT et
consent à l’absurde, à seule fin de se perpétuer.

LVIII. Prémisses
n Quand l’homme
iiiii noble cherche le principe, il
est de fait que l’homme
ni n vil entend qui le lui
représente et lorsque le premier
n l’abdique en faveur d’une loi plus
haute, le second l’admet sans partage et trahit volontiers les lois
divines. Le philosophe se contente des idées, le peuple exige des
figures ; l’un veut une logique et l’autre se régale de merveilles
n ;
le Dieu du philosophe est l’objet d’une spéculation qui Le rend
improbable et nécessaire, le Dieu du pauvre une personne que L’on
touche au doigt et qu’on ne rougit guère d’affecter des mouvements
n

112
del’âme la plus serve. Un homme Il habile est le soutien de l’ordre
qu’il méprise et que le simple jette bas dès le momentII qu’il cesse
de trembler; l’un se dédouble en demeurant uni, quand l’autre se
possède à charge de s’abandonner, et le premier
II se gagne à devenir
tout ce qu’il est, où le second s’amende
II à ne se remuer
II que par
ressorts.

LIX. Débat sur le mensonge


II Aucuns préceptes en renferment II

d’autres, lesquels nous ouvrent de


plus singuliers, de mode que l’on va d’ajustements n en convenances
mais
II tellement
11 plus loin que l’on en tremble n !—
— Nous savons des ipaximes n n immobiles
iiiii et mouvantes, dont
l’apparence cache le travail et dissimule n l’inclination profonde, et
nous nous servons chaque jour de phrases redoutables et de mots
immodérés, lesquels n’épient que l’occasion pour se venger de tels
emplois. Par quel enchantement II vivons-nous toutefois ? Par quel
biais nous tirons-nous de ces traverses ? —
— C’est le plus bel usage de l’entendement II que de nous faire
subsister en dépit de son œuvre et de nous fournir les moyens II' de
lever les obstacles qu’il se donne. Malgré tous les préceptes, lois,
maximes
n n et formules,
H la menterie
II est la réserve où l’incommodité
respire et la feintise le domaine de nos libertés : là seulement II je puis
ce que je veux et nul ne me H traverse, et là, dans le péril suprême, n

l’on se rejette pour le temps II voulu sur le péril. Que nous importe n

l’avenir de nos maximes


II II à ressorts, de nos formules à multiple n

issue et d’un ramasII d’enseignements II lourd de séquelles ? —


— Nous serons quittes à changer de batterie ! —
— Est-il de loi que l’on ne sape au nom II de sa légalité ? Est-il

précepte ou religion qu’on ne fausse à l’abri de l’école et sous couvert


de la doctrine ? Est-il figure de l’esprit de quoi l’entendement II ne
puisse avoir raison ? Allez au bout de l’univers et le mensonge II vous
tient compagnie et défend l’homme II en divisant ou rompant ses
chimères,
II la fourbe nous escorte ! —
— La vie est une trahison perpétuelle et qui l’ordonne la menace n :
elle se cherche une raison, mais II ne saurait l’entendre ; elle réclame n

une visée, mais


II ne voudrait la soutenir ; elle se fonde à l’impourvu,
mais
II se dégage au pied levé, s’arrête pour se contenir et ne se fixe
en aucun lieu. —
— La vie est proprement II l’absurde et se gouverne par un lot
d’incohérences motivées. Que d’embarras ir à trancher en suivant
les règles ! Mieux vaut se les constituer à la faveur de l’ombre et
les abandonner avant qu’elles nous laissent. —

8 113
LX. Des récompenses La tâche des réformateurs
il n’est pas de
et des peines transformer
II l’ensemble de l’espèce et nul
n’est dans le cas de rendre l’homme n

meilleur
n qu’il ne l’est, mais de le tenir en haleine et faire empêche
n ­
ment
n à sa malice.
II Mieux vaut qui tremble de pécher et vit en l’or­
gueil de ses bonnes voies que l’homicide que le repentir assaille et
dont la pénitence n’avantage que soi-même n n et ne répare ni le tort,
ni le dommage.
IIIII Nous préférons, dans la pratique, un honnête homme
plein de ses vertus, mais II qui ne nous égorge pas, au meurtrier
II le
plus touchant et quelque prude solennelle à la plus tendre fille que
son âmeII charitable ne présetve de la dissolution. Notre morale
d’ici-bas est négative et ne nous juge qu’à raison de la semblance,
et la semblance seule nous importe, à cause que le demeurant II est
une vue de l’esprit, mais il non le moyen le plus efficace de tutelle.

LXI. Sur les méchants


n Le fondement
n de la morale est d’assurer
que les méchants
n sont les plus mal­
heureux d’entre les hommes, n quand l’évidence nous enseigne le
contraire. Pour dire vrai, les méchants
n gagnent sur les faibles, mais
n

ils seraient bien empêchés de nuire si les faibles y mettaient bon


ordre. La force des méchants
u provient de l’embarras,
n de l’ignorance
et de la peur qui troublent, déconcertent et confondent la plupart,
de mode qu’ils leur cèdent sans donner bataille. Au lieu d’en appeler
au ciel et d’en attendre le secours il est besoin qu’on le devance et
Dieu ne manquera
n d’en bénir le succès. Puis nul n’est libre de
prôner le mal
n et cette erreur est punissable, où je n’en vois de plus
malicieuse
n que de tout mettre
n de niveau, sous couleur d’un semblant
de liberté qu’il serait juste de nommer
iiiii délire.

LXII. Débat sur la justice II nous incombe d’assister le bien,


dont nul objet n’égale la faiblesse
et qui demande un secours prévenant sans discontinuer, il nous
faut l’appuyer de toutes les rigueurs permises,
n lui donnant préfé­
rence sur le reste et veiller à ce qu’on l’honore incontinent et même
ii ii

avec un point de démesure,


n rien n’étant plus louable ni plus difficile,
et nous ne devons pas attendre que la probité se veuille consoler
de notre flegmen ou désespère de nous émouvoir.
n —
— Quoi de plus odieux que de laisser une vertu sans récompense
et d’ajouter à son épreuve, sous l’ombre qu’elle nous dispense un
éternel loyer et que les vertueux sont trop avantagés de l’être pour
qu’il soit juste de les soutenir ? Récompensez le bien et châtiez
le mal
n !—

114
— Mais pardonnez à ceux que le pardon a la vertu d’anéantir
en leur malice
H et qui se puniront eux-mêmes H sans miséricorde.
H Les
autres, livrez-les à leurs bourreaux, afin que le supplice les rédime n

ou que du moinsII ils servent pour l’exempleII en prévenant le mal n

qu’ils ont distribué. —


— Ne juger qu’à raison de l’apparence est l’ordinaire de l’humain II

et de ses lois, maisIt faire état de ce qui la motive


II le propre de Dieu
seul. C’est pour cela que nous devons sévir en pardonnant. —
— Il ne s’agit pas seulement H de faire grâce et nous devons encore
plus de charités à la victime H qu’à ses victimaires,
II ne fût-ce que pour
effrayer ceux qui bâtissent dès l’avant sur l’indulgence et qui se
loueront d’avoir méprisé
II des juges soucieux de leur renom et plus férus
de magnanimité
n que de justice probe et véritable. Oui, le recours su­
prême H des méchants est de nous piquer de noblesse et nous n’en sommes IIIII

jamais
u plus destitués qu’en donnant notre voix à la manœuvre. II —
— Il est une sévérité barbare, il est des latitudes criminelles. II —
— L’on ne se concilie pas les hommes en leur pardonnant et les
meilleurs
II préfèrent mainte h fois qu’on les châtie, en leur montrant
qu’on les estime. n Que suis-je pour que l’on me II. fasse grâce à vue de
pays ? Ce pardon prouve assez que je ne suis pas même Il en cause
et qu’on m’ignore en me H voulant innocenter. —

LXIII. Vertu des Moscovites II est un point où les Russiens


emportent
II nos suffrages, par quoi
leur nation fait violence à notre estime et gagne sur nos défaveurs :
ils savent les bontés d’un jugementII sévère, ils le réclament
II et s’y
plient, ils se l’imposeraient au défaut de leur juge et se tourmentent II

en l’absence d’un bourreau. Voilà qui m n ’émerveille


H et je ne trouve
rien de plus conforme à nos préceptes. Le châtiment II meII sembleH

l’envers de nos dignités, mais les honneurs y puisent une raison


d’être et les bourreaux sont les ministres
II de nos précellences. Il
ne faut pas qu’un châtimentH nous avilisse, et qui nous frappe en
nous donnant un ridicule a subverti l’échafaudage et corrompt II la
nature en la première source : c’est à quoi tendent les tyrans, jaloux
qu’un homme puisse hautement II mourir et n’accordant pas même II H

aux prévaricateurs le moyen de se racheter.

LXIV. Du repentir Que repentance est volupté. En se mortifiant,


II

nous jouissons de ce que l’on consume II et la


douleur que l’on repasse est un vertige doux-amer.II Le sacrifice où
l’on ne se déplaît, les incommodités
II où l’on respire un charmeII trop
suavement
II subtil et tous les vœux qui nous écrasent en ne laissant

115
de nous ravir d’aise, que représentent-ils pour l’ordinaire et qu’éta­
blissent-ils en nous, si ce n’est gourmandise
n ? L’on en viendrait à
pécher d’industrie, à seule fin de se retourmenter
n et de sentir que
l’on se foule, puis nous savons des âmes délicates qui raffinent à
miracle
II sur les mêmes
n n apparences, dont la fureur n’est jamais H as­
souvie et qui s’acharnent amoureusement
II il contre une vision toujours
plus déliée. J’aime
fl une loi sévère et des natures franches, de la sou­
mission
H grondeuse et de la loyauté lucide, des hommes
lllll qui résistent
ou s’emploient et ne balancent pas à relever la tête, et je me H ris
des peuples enfantins que l’on absout ou qu’on menace,
II qui vivent
sans peser leurs gouvernants, qui ne se jugent pas eux-mêmes, u n qui
se débrident, s’abandonnent et se prostituent, quitte à se repentir
avec des geignements.
II

LXV. La force du bon droit Les maîtres scélérats et les gouver­


nements
n de balle et tout ce que
le monde a de plus méprisable
n s’étayent de nécessité non pas des
règles qu’ils s’imposent, mais
it de la majesté
n des lois qu’ils violentent,
où se raillant de nos vertus, ils nous commandent
ii d’en avoir et tom­
beraient s’il fallait qu’on se modelât sur leur exemple. Les brigan­
dages et les coucheries ne font merveille
if que dans l’ombre
n et le plus
vil des gouvernants serait fâché qu’on l’imitât, n il a besoin qu’on le
méprise
ii et qu’on le mette
n au rang des fléaux naturels, afin de per­
sévérer dans l’impénitence. Et que serait-ce des habiles et des poli­
tiques ? Ils daubent sur la bonne foi, mais n ne sont rien quand elle
vient à décliner et cet objet dont ils se rient supporte l’édifice des
cabales. C’est pour cela que la justice est la plus forte, à charge de
pouvoir attendre, et que nous sommes lllll assez généralement
II vengés
si nous ne consentons à disparaître.

LXVI. De ce qu’est l’univers Le monde se mourrait


n s’il prônait
les enseignements
n qu’il met
n en
œuvre et, s’il voulait acquiescer à l’ordre des morales
if qui le lui
défendent, il se mourrait également.
u Il vit à force de se démentir
n

en jouant sur l’absurde et parvient de la sorte à reculer une échéance


de maux
n infinis et d’horreurs incroyables.

LXVII. Les lois essentielles Les lois de l’univers sont les plus
rudes que l’entendement
II se puisse
figurer et celles que nous promulguons n’y sauraient que malai
II ­
sèment
II atteindre. En se moulant sur la nature seule, il n’est pas

116
démontré
n que Pon y gagne et Pâme n la plus endurcie a fort à faire
pour lui rendre ses leçons : un méchant
n se fatigue où la nature ne
dételle point, il n’est de monstre qui ne se démente II où l’univers
demeure
II en l’établissement
H d’un calme
n souverain. Hors nous, la
vie est à jamais
II abominable, à moinsn qu’on ne la dissimule
n sous
des fictions et qu’on ne l’adultère à force d’embellissements
It n ; la terre
est un charnier, la mer
II abîme de massacres,
II Pair une tuerie et l’au-
delà plus meurtrier
II que tout le reste. Il n’est d’emplacement
n n où
Pon ne se dévore et si Pon trouve quelques beux plaisants, nous le
devons à l’homme.

LXVIII. Horreur du
I monde En l’univers, tout est possible à
tout moment et toute chose à nous
permise.
II Voilà les deux abîmes en présence et l’un nous enveloppe,
alors que l’autre bée horriblement
H au tréfonds de nous-: II êmes. L’on
ne surmonte point le tout-possible en se servant du tout-permis II

et Pon n’échappe aucunementii aux pièges de ce monde


II en s’enferrant
d’emblée. Qui veut ce qu’il désire est mainte
ii fois l’esclave du loyer
et joue plus que l’objet de sa mise.n Le tout-possible ne m il ’est rien,

ce qu’il attache a peu de prise et les embrasements


n n dont il secoue
l’univers ne peuvent m II ’étonner où je consens d’avance à qui doit

m’avenir. Le hbertaire est le chaos dans le chaos, l’esclave de l’ina­


vouable, à la merci
II' du premier
II vent, usurpateur inassouvi, lui qui
n’est maître
II qu’en peinture et ne régente que nuées.

LXIX. Prodige en permanence


II Nous le savons de longue date :
en l’univers, tout est possible et
tout permis,
n mais
n nous n’en sommes que plus faibles et plus démunis II

au sein d’une profusion dont nous n’avons que faire, où Pon ne


s’arme
II de refus. L’abîme II veille en permanence et nous ne veillons
que le jour, il lui suffit pour être de se ressembler, alors que nous ne
sommes nous qu’à charge de nous démentir II' sans intervalle ; l’abîme
est à soi-même enfoncement II en la plongée et repos dans sa chute,
et s’il commence
IIIII en tout heu de ce monde, il ne saurait finir où son
essence est de ne pas s’atteindre. Je vois l’abysse tant de fois mul-
tiphé qu’il me II paraît que nous vivons en marge II de ses profondeurs,
puis qu’il s’en ouvre incessamment d’inaltérables et de plus nou­
velles : chacune suffirait à m II ’engloutir avec l’image de ce monde,
II

et toutefois nous demeurons


n en place entre ces mille
n bouches mena­
çantes, nous vivons néanmoins n et chaque jour est un miracle
u immé-
morant
II de ces traverses. Ce qu’on dénomme l’ordinaire est tissu
de prodiges.

117
LXX. De l’ordre Que l’ordre de raison n’est qu’une résultante
et n’a de fondement
II ailleurs qu’en l’homme,
IIIII

qu’ilest la ligne tracée au travers d’un monde immémorant des


attributs et qui les violente, qu’il est moyen
II par excellence et nul­
lement
H le répondant de sa gouverne. Qu’il est enfin consentement il

et non pas abdication, sous peine d’altérer ce qu’il aborde. Qui traite
l’homme en suivant l’apparence est un fléau de l’homme IIIII et qui
l’oublie sa victime
II ou l’objet de sa raillerie. La tâche des bons gou­
vernants n’est-elle pas de nous persuader de notre dignité ?

LXXI. Caprices de l’humain


it La pire servitude semble douce au
prix de l’évidence et nous voulons
d’un objet de menace
n et soupirons après l’horreur qui se motive,
bien plus que de trembler en ne sachant pourquoi. Si nous aimons
l’empire de la règle, c’est à dessein de faire pièce au tout-possible,
mais
n il nous faut l’incertitude et l’assurance en même temps, car
l’une gagne par l’abouchement
n de l’autre et la soutient en faisant
mine de l’intimider. Nous voulons que l’atteinte soit mortelle
ii et
qu’on n’achève d’en périr, puis demandons
n qu’on nous égare dans
les grands chemins.
n

LXXII. Double valeur Double est la valeur de l’idée et fût-ce


de nos idées la plus noble : valeur de proposition,
laquelle en détermine la substance au
fort de l’absolu, mais en dehors de la réalité présente, et puis, secon­
dement,
n valeur de sa position, laquelle tourne sur l’ensemble des
rapports la nouant au réel. Pour que l’idée nous soit bonne, il ne
suffit pas qu’elle veuille l’être, il faut qu’elle le puisse et que sa
liaison ne la démente
n pas, où les principes les mieux
ii avenus l’em n ­

portent sur les normes les plus relevées, lesquelles pour se maintenir
n

— et contre l’évidence — auront à se doubler d’un effroyable amas n

et d’imposture
n et de scélératesses, de mode
H que les lois de précellence
entraîneront les pires désaveux, quand elles s’établissent à défaut.

LXXIII. Ordre et mauvaise


n foi Que le tenant de l’ordre est tou­
jours de mauvaise
n foi, pour le
motif qu’il n’est de règle sans victimes
ii innocentes, qu’il ne l’ignore
nullement
n par devers soi, mais
n qu’il préfère l’avantage à l’équité,
mettant
n le désirable au-dessus du sublime n et que son âme ne lui
donnant de relâche, il est plus malheureux
n en la profusion que l’in­
nocent persuadé de la justesse de ses droits.

118
LXXIV. Symboles invoqués Ceux qui s’attachent I à ce qu’ils dé­
nomment
II l’ordre et qu’ils ne souf­
friraient, s’il leur était contraire, ne se réclamentir point de ceux qui
leur ressemblent et prônent généralement n des libertaires ou des
révoltés. Dans le principe, tous les fondements n reposent sur qui ne
les reconnaissent et l’on aurait mauvaise
II grâce à partir de tenants
peu susceptibles de nous enivrer. Il suit que nombre de chrétiens
reprochent gravement II aux Juifs du premier
II siècle ce qu’on ne cesse
de leur imputer depuis une dizaine au moins, qu’ils les reprennent
d’avoir condamné ce qu’ils repousseraient eux-mêmes n n de plein saut
et d’avoir préféré ce qu’ils défendent chaque jour et mettent n par­
dessus le reste.

LXXV. L’ordre et la liberté De la confusion peut naître ou ser­


vitude ou mêmen n liberté, lesquelles
viennent tout pareillement de l’ordre, en sorte que ni l’un ni l’autre
ne sont préférables, mais
II qu’il faut s’attacher à ce qu’ils nous dé­
partent, le plus bel ordre ne nous payant du renoncement II à la fran­
chise et la franchise motivant l’amour
II des troubles qui l’ont suscitée.
Quand l’ordre observe la justice ou tente de s’en approcher, il est
loisible qu’on le serve librement, mais l’ordre cesse de nous obliger
quand il viole les principes, lui qui ne représente rien à défaut de
leur observance. Il se peut mêmen n que nos libertés s’assurent dans
le sein d’une confusion propice et se délient d’allégeances quelquefois
mortelles,
II en dépit de leur noblesse. Que le désordre n’est pas tou­
jours l’ennemi,
II qu’il ne faut certes guère pousser à la roue et mul n ­
tiplier ses chaînons, mais
n qu’il est convenable d’en user avec pru­
dence et de s’y tailler des retraites sûres, dont l’ordre ne pourra nous
déloger et qui nous muniront
n de droits d’avis et de regard. Que
l’ordre est un achèvement
n et plus qu’un renouveau, lui qui n’assigne
que des places déjà prises : c’est donc une nécessité de se pourvoir,
car l’ordre est dans l’usage d’accorder bien moinsn qu’il ne confirme
et bâtit sur les valeurs préalables, au lieu de les remettre
n en la ba­
lance.

LXXVI. L’ordre et le Dans le domaine


n de la politique, il est
sens de l’opportun loisible de se servir des rencontres, mais
non de les servir et c’est le travers où l’on
donne à négliger à s’armer
n de principes. Nous sommes
iiiii libres en par­
tant de nos limites réfléchies, ailleurs le vague nous surcharge et
l’ombre la plus défiée offusque nos lumières
n abusives, ailleurs des

119
malheurs
n accablants nous sembleront
n le fruit d’une conduite mesurée
n

à quoi pourtant tout manque


il s’il manque
il des frontières et ces fron­
tières méritent-elles
ii pas qu’on les recherche ? Cela vaut mieux
n que
de languir, les poursuivis de leur absence. L’opportunisme n est une
libéralité de l’ordre et le loyer de nos rigueurs, il se soutient par
elles, elles s’en passent au besoin, il leur vient de surcroît et ne
saurait les abjurer, n’étant rien par lui-même
it h et se devant à son
attache.

LXXVII. Chute de l’ordre Tout se défait le jour qu’on sembleii

ce qu’on est, mais


it cesse véritablement
it

de l’être, au lieu de devenir ce qu’on ne semble pas encore et qu’il


est nécessaire d’être pleinement,
H afin de le sembler.
n

LXXVIII. De l’ordre Mes frères en esprit, il nous sied d’aimer


à l’harmonie l’ordre pour ce qu’il nous dispense et jamais n

en vertu de ce qu’il est. La fin de l’homme iiiii

est l’harmonie
il et l’ordre vaut s’il nous y mène, n il en paraît l’amorce
et quelquefois le truchement,
n mais
n il y met
n obstacle et dès le moment
qu’il s’en autorise pour nous asservir, lui, notre serviteur. L’ordre
est l’ajustement
n de rigueur prévenante et le moins dommageable
à ce qu’il évalue, où l’harmonie est une plénitude accommodée iiiii à ses
divers empires
n ; quand l’ordre assigne des limites, n elle en épouse
qu’elle modifie, elle improvise savamment de reculade en avancée :
l’ordre est beauté, maisil' elle est grâce ; il est fragile et dur, elle est
plus vulnérable et plus tenace. Mes frères, estimez H chaque ordre et
ne pliez que devant l’harmonie ! En l’ordre, l’homme se roidit et
les faux mouvementsn1 le brisent, il doit sans cesse revenir sur ce
qu’il envisage, un manquement
ri n suffit
ii à le trahir et, peur de la ruine,
il lui faut s’exempter des charmes n et des choix, combler sa latitude
et se réduire à n’être que sa veille au long de son rempart ; en
l’harmonie
ri où les débats se taisent, il s’improvise
II maître
n du possible
et joue de l’élection, multipliant
H les saillies et les prises et dénombrant
H

ce qu’il diversifie en ne laissant de régenter ce qu’il suscite.

LXXIX. L’âge d’or Que l’ordre soit à l’harmonie


n et l’âge d’or
est au milieu
n de nous. Il faut pour ce que
l’homme
ni n soit mis par-dessus l’humain, non plus en marge
n de l’hu­
main, et qu’il s’atteigne aux lieux qu’il se dépasse, afin de se con­
naître en l’au delà de toute connaissance.

120
LXXX. Chine et Nippon Le Nippon semble
•I à l’ordre ce qu’est
la Chine à l’harmonie et nul n’ignore
qu’il est plus facile d’en venir à l’un que d’édifier l’autre, et qu’elle
se dissipe en moins
II de rien où l’ordre se restaure sans relâche.

LXXXI. Le privilège Les meilleurs d’un pays le sont et le de-


et l’harmonie meurent,
n quand ils n’en jouissent et qu’ils
le servent en retour. Où règne l’harmonie,
les meilleurs n’en abusent pas et l’on défère à leur tutelle. Qui
les remplacerait alors, qui voudrait de leur charge et qui leur por­
terait envie ? Les privilèges semblent naturels, nul n’y regarde et
l’on aurait mauvaise
n grâce à les incriminer,
n vu qu’ils les dédom­
magent
n de leur peine et de la peine la plus manifeste,
n si l’augment
n

de rigueur restaure la balance. Il vient un jour que les meilleurs


n s’ou­
blient, se trompent ou se rendent moinsn indispensables, mais
n ne
retranchent rien de leurs prérogatives, puis qu’ils se changent aux
fléaux dont leurs ancêtres nous ont prémunis.
n L’on touche au tempsn

de les haïr, ils le ressentent et de part et d’autre il n’est d’issue,


moins celle qu’on devine.

LXXXII. Prémices
ii de révolte Le bien cesse de l’être et dès le
moment
ii qu’il ne signifie ou n’a
rapport à ce qu’il met
if en œuvre. Il vient un jour que les meilleurs
n

nous pèsent et nous fournissent des motifs de les abominer ou de


tramer
u leur chute. Eux-mêmes n le ressentent et perdent de leur assu­
rance, on les voit condescendre aux doléances de la foule et prévenir
qui les menace
n ou se roidir et se liguer ensemble avec une fureur
égale à celle des esclaves, mais
if plus de ruse et d’industrie. En ce
débat qui tourne à la bataille, la foule n’a que l’avantage de son
nombre et de sa bonne foi, laquelle est absolue et de la pureté la
plus entière, si, malgré
n ses laideurs, le peuple a généralement n les
vertus de l’enfance. Il est donc malaisé
ri de le haïr, encore qu’il soit
mainte
n fois perdu d’estime. La foule la plus véhémente u est sujette
aux remords
n et les bourreaux, de victimaires implacables,
n se font
juges, voire pénitents, manière
ii dont les maîtres
fi n’ont souci, quand ils
n’en raillent à leur bienséance.

LXXXIII. Les nouveaux maîtres


n Quand face aux meilleurs
ii de
jadis il naît des hommes sus­
ceptibles de les évincer, les meilleurs
ii peuvent les corrompre
if ou les
associer à leur tutelle, à moins
ii de les détruire, et même
n n recourir à

121
tous les moyens
Il à la fois ; et leurs rivaux n’ont d’autre alternative
que la mort physique ou la ruine et l’avilissement,
u sauf à se bien
dissimuler
II en attendant leur heure, prêts à mourir
n et consentant
à vivre.

LXXXIV. Le privilège Le privilège dénué des forces qui le jus-


sans la force tifient semble
n une charge qu’on supporte
mal
n et le défi de l’impuissance. L’on ne
pardonne rien aux faibles : quand ils relâchent des prérogatives,
nul ne leur veut savoir le moiûdre
n gré, nul ne fait cas de ce qu’ils
abandonnent et l’on n’a d’yeux que pour ce qu’ils ménagent,
ii leurs
grâces nous paraissent dues et le pouvoir s’échappe de leurs mains.
ir

Ils semblent désireux de pallier les choses et nous, nous brûlons


de les subvertir.

LXXXV. Des pauvres Quand deux partis prétendent une meme 11 II

et des riches fin, il est justice de céder le pas à qui la


veut pour se défendre, en déboutant qui
la postule dans un intérêt inavouable ou despotique. Les basses
gens, à suivre une logique rigoureuse, l’emportent sur les autres,
vu qu’ils demandent
n l’assurance du plus ordinaire et que les riches
briguent celle des faveurs ou des tutelles, dont nous savons qu’ils
les défendent avec plus de bonheur et plus d’âpreté que les destitués
leurs aliments
n de chaque jour. —
— De l’éminente dignité des pauvres : fasse le ciel qu’ils s’en
contentent ! —
— Se dire que les pauvres s’accommodent de leur établissement ir

s’appelle se payer de mots, mais n suffit à nous rassurer, à faute de


meilleures
n preuves, et dans cet ordre-là les pires sont les bienve­
nues. —
— Oui, la plupart de nous sont tellement n infortunés qu’ils n’ont
d’humain
II que l’apparence. La véritable charité consiste à faire
empêchement
II II à ce qu’ils ne se nuisent pas, mais
ii sans leur imprimer n

de vertus inutiles. La soif de vivre chez les malheureux importe


davantage que le demeurant n et tout est bon pourvu qu’ils ne pré­
fèrent de mourir.
II —
— Il n’est remède II à la misère
n que la continence et c’est la seule
liberté de quoi les pauvres n’usent point, vu qu’ils n’ont d’autre
source de plaisir et qu’ils se réfugient en l’accouplement, II afin de
perdre la mémoire
H II d’un état plus effroyable que la mort. II —
— Il n’est pas nécessaire à l’homme d’être assurément II heureux,

122
il nous importe davantage d’en avoir le sentiment Il que la prérogative,
où le bonheur suit de la persuasion et tient plus de la rêverie que
de l’évidence. C’est un chapitre que les gouvernants oublient quand
ils aiment
II leurs sujets. —
— Et dont abusent les despotes. —
— Puis les réformes II les plus généreuses tombent à néant, lors­
qu’on n’a pris le soin de se concilier les âmes. n —
— Si l’homme ni n ne vit pas uniquement n de pain et qu’il demande n

un aliment
u qui ne se trouve guère à sa portée, il reste, néanmoins, n

qu’il se mourrait d’abord et donnerait le pain du ciel, afin de sub­


sister. Il est donc légitime qu’il s’attache à la substance la plus vile
et perde l’âme II à la solliciter, car l’âme II se regagne à tout moment, n

si tant est que l’humain.. H survive. —


— Un homme digne de ce nom égorgera les siens et périra lui-
même,
n ii avant de consentir au pain de l’amertume n n qu’on lui jette,
et certes Dieu le jugera coupable, encore que —
— Encore que mille n fois moins que l’offenseur dissimulé. n —
— Montrer à l’homme qu’il est malheureux ii ne sert de rien, si
l’on ne remédie à la disgrâce et nous n’avons que faire de l’intelli­
gence de nos maux, u lorsqu’ils nous passent infailliblement. L’effroi
de la condition du plus grand nombre n est tel qu’il gagne sans dispute
à ne le pressentir et qu’il est trop heureux de languir en l’aveugle­
ment
n ou de se remuer n en la démence.
H La charité commande
IIIII qu’on
l’y laisse et la prudence qu’on l’y fortifie, de peur qu’il ne se désabuse
avant de s’être mutilé. ii —
— La charité commence iiiii où la justice ne peut rien et le dommage n

a passé l’ordinaire, mais n jamais


n elle ne supplée à la justice et la
prolonge seulement. ii Nous rejetons l’avis de ceux qui se réfèrent à
la charité pour n’avoir pas à rendre la justice et les nommons deux
fois abominables,
n vu qu’ils infirment
n l’une et qu’ils profanent l’autre,
mais nous ne laissons d’improuver l’usage violent de l’équité se
voulant absolue et qui ruine plus qu’elle n’amende. n La vérité se
situe en l’accord et l’harmonie exige un mutuel n emploi
n de justes
lois et d’œuvres de miséricorde,
n où la justice est fondement, n la cha­
rité suréminence et l’ordre les allie et leur assigne des limites. n Rien
de si doux que la justice et rien qui plaise davantage, il n’est d’objet
qu’elle ne mette
n dans son jour et l’homme digne de ce nom n la chérit

plus que l’existence. Oui, tout perd la saveur dès le moment n n qu’elle
nous manque
n ! La charité ne sied qu’aux âmes saintes, les âmes n

saintes en ont privilège et savent nous la départir abondamment iiiii

et sans nous offenser, où trop souvent elle est une manière n de scan­
dale, une émulation
n de zèle mercenaire,
n un abrégé de nobles atti­
tudes, l’école enfin de la posture et des grimaces, ii par quoi l’indigne

123
donateur se tient l’associé de N. S. même il n et l’instrument
H de la divine
providence, alors qu’il n’est que l’augment de fatalité dont les
victimesn souffrent, joignant la honte à l’indigence et la multipliant H

en vertu de ses œuvres. —


— Voyez les pauvres sous le porche, ce ramas n digne du néant,
ces âmes II basses qui préfèrent de survivre à leur ignominie n !—
— Et voyez ceux qui les assistent ; voyez ces gestes, ces regards,
entendez les soupirs et les gémissementsH il : de part et d’autre, quels
rapports inavouables ! —
— De part et d’autre, quels abouchements n ! Pour moi, je ne
saurais priser les riches que tenaille la mauvaise n foi, les puissants
sourdement H honteux ou qui le feignent, les niais charitables étalant
une éloquence aux vertus assoupies et tous ces gens imbus de
somnolences et de simagrées.ii Que l’on me il montre
II enfin des riches
fiers, impénétrables, assurés et méprisantsii ; des pauvres orgueilleux
et résolus, leurs dignes adversaires, puis qu’on les lâche dans
l’arène ! —
— Nous vivons attachés par tant de liens subtils à la condition
qui nous est faite et jamais n nous ne parvenons à nous déprendre
d’elle ni de nous, sauf à mourir au monde comme à sa douleur ou
ses prestiges, raison qui légitime n en apparence les tenants de la
matière,
il mais
il leur doctrine illustre davantage la bassesse de l’hu­
main
il que les moyens
H dont il s’avise pour la surmonter. N’empêche
qu’on n’ait tort de fermer n les yeux d’industrie et d’oublier que
l’homme se réduit à ce qu’il peut, et que le plus grand nombre ne
peut rien, hors consentir. —
— La charité présume H la malice
H de ce monde et qu’il n’est de
remède
n à l’évidence, elle permet aux uns d’exercer leur tutelle et
fait commandement n aux autres de la subir à jamais. n Où la justice
règne, la charité n’est plus de mise. II —
— Je ne dis pas cela. —
— Sur quoi s’assure la félicité ? Sur la condition ? Peut-être,
et davantage sur les sentiments ii avec lesquels on la reçoit. Il est
donc sage de conduire l’âme ii et de la disposer au bonheur même n n avant
que de nous octroyer les privilèges. —
— Les privilèges ! Apparemment que l’on est aise où l’on nous
vante et l’abnégation et le détachement n des biens du monde, très
belles choses, à la vérité, mais u éloignées de nos mœurs à la pro­
portion de l’avoir préalable. On se rend mieux n à l’indigence volon­
taire en faisant abandon de sa richesse qu’en refrénant le désir de
ces biens que l’on ne posséda jamais et quoi de plus tenace que nos
amertumes
H H ? Il est facile de se désister d’une profusion que l’on
épuise, il l’est et davantage que de suffire à nos ressentiments n tou-

124
•> ■ . ’y ? y ( '

jours nouveaux et toujours indomptables.


H Un homme H fortuné, sur
le penchant de ses dégoûts, se laissera tenter par un dévot et s’ira
dépouiller, lassé de lui comme de l’univers, exemple dénué de raison
décisive, puis pour dix opulents en veine de salut combien de misé il ­
rables sans rancune
i ? en trouverais-je un seul et celui-là que peut-il
être ? Un saint, dans la rigueur des termes. La pauvreté spirituelle,
richesse inaccessible et rare, et supposons-nous faux à l’enseigner
aux humbles ? Y croyons-nous d’abord ? Et quel est notre exemple ?
Tremblons, car ce que notre charité n’amorce point, la haine l’ins­
titue et la rébellion le parachève, et dans le temps
n marqué,
n ce peu
d’amour que l’on marchande
n à l’infini vaut beaucoup de pru­
dence ! —

LXXXVI. De l’horreur Que notre vie ne se passe qu’à nous pré-


de la pauvreté munir
n contre les suites de la pauvreté,
dont nul n’a le courage de se peindre
l’épouvantement. Que tous les saints du mondeH ne nous sauvent
pas de cette horreur, où leur exemple nous démontre puissamment
qu’il est besoin de grâces souveraines pour s’en affranchir et qu’elle
nous abîme,
n à moins que Dieu ne veuille s’abaissant à nous nous
transformer
n à ce qu’il est, mais
n c’est un privilège plus exorbitant
que d’avoir un pays a dévorer et ces profusions demeurent
n Papa-
nage des élus.

LXXXVII. Du vrai La prérogative du riche, la seule véritable


bonheur des riches et celle dont le moraliste
n est dans l’usage
de ne rien marquer,
n ne semble-t-elle
H pas la
multitude
n des possibles, l’amasn des liaisons en état de servir et le
cumul
•r enfin des mêmes
n n libertés ? Le riche peut, d’un mouvement,
II

se livrer à l’incontinence ou faire noblement II retraite, il peut choisir


d’être savant, il a moyen de se porter aux sources de la connaissance,
il est en droit de voyager et de courir le monde, il a le privilège
de languir ou de se prodiguer, il change de manières et d’accoutu­
mance
II et, si la vie est une mer, il en mesure
II l’étendue, il en savoure
les périples, il en butine les ressources, et les rivages les plus écartés
le verront apparaître. Mais l’avantage primant II sur le reste est bien
celui de demeurer en un majestueux
II repos, en l’au delà des brigues
et des vœux, au carrefour de nos possibles démentis, II le maître
II de
l’élection toujours remise et le Protée aux mille faces sommeilleuses.
Oui, la suprême II volupté n’est-elle pas de réunir en un faisceau les
innombrables
II fils qui nous conduisent vers nos fins ? Ce riche qui

125
végète doucement H et se différencie à peine de la foule besogneuse
est si loin d’elle et tellement
II plus haut qu’il semble résider en d’autres
univers, car il renferme tout ce qu’il peut devenir et dont elle est
à ja: «i ais démunie.
n

LXXXVIII. Bruits et légendes Le mépris


ir de nos dignités meu se: ii
ble de fort bonne politique et seul
en état de nous consoler de n’avoir la ressource d’en jouir. L’exemple
d’une chute illustre et des misères n attachées à tout règne a la vertu
d’en écarter les pauvres, lesquels demeurent n volontiers dans le
devoir, quand ils ne voient les riches vivre et ne connaissent que
les tribulations de la puissance et non ses joies très solides. Les
premiers
H d’entre les humainsu ont avantage de se dérober, lorsqu’ils
ne sont pas malheureux,
n et gagnent à paraître au jour qu’ils tombent
de leur haut, vu qu’ils préservent leurs pareils restés en place. Les
contes que l’on fait de l’infortune des puissants et du malheur ii des
riches sont des moyens fabuleux, mais u propres à donner le change,
où l’art suprême ii en un loisir voluptueux est qu’on vous plaigne au
lieu de vous porter envie et que la plainte émane n des mieux
n opprimés.
n

Les grands spirituels ne manquent n d’y jouer le rôle qui les rend si
chers à qui n’ont de motif de les priser et se remparent manifestementn n

de leur démarche
«i : ils forment
ii la défense et valent plus que lois et
que murailles,
n tenant des riches et des pauvres, et rassurant et l’opu­
lence et consolant et la misère.
n En vérité, la pauvreté que l’on épouse
d’industrie et pare des richesses de l’entendement h est la profusion
la plus habilementn couverte, à quoi peu d’hommes 11*11 seront appelés,
vu qu’elle violente la nature. Il est donc faux d’y rapporter l’état
des misérables
n démunis
ii de vertus nécessaires, lesquels n’éprouvent
qu’épouvante au sein de leur abaissement n et ne savourent que les
joies de leur corps. La tâche des spirituels n’est pas de s’allier à
tel ou bien tel ordre, mais n de se tenir en dehors, de laisser là les
pauvres et les riches, de n’aller qu’aux mourants et de ne soulager
que les plus abattus, de se cacher de préférence à tous et, fuyant les
abouchements
II d’où qu’ils leur viennent, de rentrer et dans l’ombre
et le désert.

LXXXIX. Égalité A mettre


II tous les hommes
ni n de niveau, l’hu­
manité se va perdant et, sous couleur d’une
justice, est dans le cas d’édifier cent arbitraires. Supposé que chacun
de nous, venu d’un mêmen n' point, s’efforce de gagner sur l’autre en
jouant sur l’événement
n à l’aide d’une mise
n égale, et les plus rudes

126
auront l’avantage ou les industrieux et les habiles, mais non les
généreux, les nobles et les délicats. Il est des vertus susceptibles
de nous faire parvenir et de hausser le moindre
Il aux charges les
plus éminentes,
n encore que la possibilité de les atteindre ne nous
réponde nullement
ii du moyen
n de les soutenir, et puis il est des pen­
chants adorables qui se manifestent
n aux lumières
il et se perdent sans
ressource en une condition ravalée.

XC. Dilemme de la plénitude La plénitude est privilège et qui


se nomme tel est une anomalie H et
ne saurait impunément
n multiplier.
n Pour qu’un seul homme atteigne
à cette sphère où les puissances se déploient, il est besoin que d’autres
peinent dans les profondeurs, et nul ne nous démontre qu’ils méritent
n

de souffrir, vu qu’ils ne sont pas tous indignes d’un allégement n et


que l’élu doit parfois davantage à l’éminence
II qu’à ses titres naturels.
Le sage entend que des heureux ne semblent point à la mesure de
leur privilège et que des misérables peuvent être des assujettis dont
l’âme
II n’est pas en défaut,WH
mais empêchée de s’atteindre ; il formeraII

des vœux pour que les uns désertent un emplacement il qui les grandit
plus qu’ils ne le relèvent et que les autres puissent accéder aux
échelons dont l’infortune les divise, maisil il ne voudra point qu’on
mette
H tous les hommes de niveau, sous l’ombre d’une charité facile.

XCI. Le péché dit originel Le péché dit originel est une habile
invention et, mieux
n encore, un lénitif
à nos alertes, qui nous ménage n des facilités et met
n empêchement
à la révolte, ayant le don et d’apaiser les raisonneurs et de calmer n

la populace en faisant tous les hommes n dignes de leurs maux.


n —
— Dans le péché qu’on dit originel sommeille trop de fois la
haine de l’espèce et l’on s’en autorise d’une vue et de manière n à
nous confondre. Ce péché-là donne des armes n au mal
n existant dans
la nature, un pays habité par des pécheurs doit être dans la déso­
lation et le spectacle en est fort beau, car il nous édifie et, si des
hommes ennemis H ajoutent à l’adversité, ce malheur
n est dans l’ordre,
nul ne mérite
H de ménagement.
n n —
— Savant remède II et postulat dont il convient que l’on se per­
suade, et l’on en détermine II l’efficace
n le jour qu’il faut doubler la
garde, à l’heure que le monde a publié son innocence et qu’il nous
somme
iiiii de le rendre heureux, s’autorisant de violences qu’il tient
légitimes.
n —
— Lutter contre ce mal n est un principe de rébellion et le déraciner

127
un acte de révolte, on entreprend sur Dieu, l’on vise à prévenir
les traits dont il nous frappe : il est impie n d’endiguer ce fleuve, de
se soustraire à ses débordements, •I ministres
if des fureurs divines,
mais
H il est criminel
II de détourner son cours et d’altérer les marques
de la providence. La guérison des maladies II naissant du commerce II

amoureux
II entrave l’œuvre salutaire et rend les hommes II dissolus,
il vaudrait mieux n aggraver les chagrins et multiplier les frayeurs.
La transformation n du monde est l’œuvre de mutins II que Dieu ne
saurait épargner le jour de Sa vengeance ! Je vous traduis, n’est-il
pas vrai ? —
— Vous vous moquez, je pense. Et, toutefois, si l’on est convaincu
de sa perversité, l’on ne réclame II qu’un allégement, mais II plus on se
dit juste et plus on enchérit sur la demande, il on multiplie
II les pré­
tentions et naturellement H les voies, on s’arme II de rigueur, on se
mutine
II et l’ordre menacé
II n’a plus qu’à se roidir ou céder à l’orage.
Il n’est donc pas si mal II de l’invoquer, en dépit de l’absurde, ce péché
qu’on dénomme originel, et hors la transmigration de l’âme, II laquelle
est la solution par excellence et le modèle II des préservatifs, l’on ne
distingue pas de moyens II en état de l’égaler, ce péché les déprime II

tous et déconcerte l’homme, le retenant dans le devoir, loin


d’espérances abusives, loin de l’immodestie lllll et du cortège des
séditions. —
— Ah ! comme Hll ils manifestent
II leur pieuse alacrité, comme ils
sont à la joie et comme II ils se remuentII en face des calamités II impré
If ­
visibles ! Ils sont les alliés de tous les fléaux naturels, de la famine II

et de la guerre, où les malheurs II les accréditent, mais II les remèdes II

les ravalent et les préservatifs suffisent à les abolir ! —


— Il est avantageux de croire en la misère II' de la vie et la malice
de l’espèce, de modérer u notre raison d’énigmes au superlatif et de
principes sagement n liés, de ne pas engendrer de vœux qui minent II

lois et mœurs, en attendant une rébellion à découvert menant il de


règle à de nouvelles servitudes. C’est une charité que d’abêtir ceux
qui jamais II ne s’iront élever, à moins que tout ne se renverse. Et
II êmeII alors ! La révolution doit ne jamais II cesser une fois mi II se en

branle et la raison qui le motive est le débris des lois antérieures,


des privilèges, des coutumes n et d’un cent de rudiments, II d’amorces
II

ou de partis pris, qui semblent h nous garder de l’excès en la démesure H

et dont l’absence appelle d’autres, plus sévères ou plus tyranniques.


En abrogeant l’ensemble des lois établies, de ce qui les renforce et
les mitige,
II on ouvre un précipice et l’on s’y coule, à moins II que l’on
n’y tombe, et de cet accommodement iïin n dérive un despotisme II égal
au préalable et mieux II armé,
n de mode
n que nous sommes les perdants,
si nous ne devenons les maîtres. il —

128
— La révolution doit ne jamais
Il cesser, une fois mise en branle.
Et le moyen
H qu’on y résiste ? —
— Et je meII le demande
il aussi. Nous donnerons toujours dans
l’ordre, ne fût-ce que par lassitude, et l’ordre a ses victimes.
il —

XCII. De l’esprit d’exanlen Ce qui se définit se double et la plus


claire intelligence d’une servitude
est dans le cas de peser davantage que la servitude même.n n Ce qu’on
discerne est engagé dans le sensible et nul ne s’affranchit des suites
du dilemme
iiiii : on remet
ri la sentence, en préférant le débat inutile
ou les longueurs auliques, au moyenn d’une procédure et de sorites
bien liés, de cavillations eu diallèle et d’un recours à tout ce qu’on
déteste ; cela ne change pas le fond et l’on ne peut que l’on n’y
verse, d’où révolution si le retard est d’importance et simple H crise
où l’on y remédie
n à l’heure, et moins encore si l’on sacrifie aux pro­
babilités en devançant l’irrévocable.

XCIIL Le danger Revendiquer la certitude implique un assez


de la certitude général dérangement de nos affaires. C’est le
dernier moyen
ri dont il leur faille s’aviser et
l’on n’ignore plus qu’à tirer nos lois de leur vague, on s’astreint à
les mettre dans la dépendance de l’événement.
n

XCIV. Débat sur l’esclavage La liberté, mouvance


II au long de
ses limites
II consenties, n’est que
l’inviolable attachement
n à ce qu’elle supporte et l’on n’est jamais
n

assuré de la servir en prenant sa défense. Nous obligeant, elle s’ourdit


et ne s’oblige pas, et notre zèle même n nous met hors de sa portée.
Ellese donne à qui l’épouse au détriment de sa gouverne et la re­
nonce en le désistement
n de sa franchise. Nous sommes libres du seul
fait que nous pouvons mourir où bon nous semble et tuer notre
espèce en nous, par le refus de la perpétuer : c’est là le double fon­
dement
n sur quoi le demeurant
ii s’appuie et l’on ne dompte que les
hommes
ni ir qui préfèrent l’existence à l’éminence. L’on gagne à pro­
portion de la mise
n et qui ne joue tout ce qu’il doit perdre a voulu
consentir à ne jamais prétendre. —
— Ma liberté n’est pas de vouloir tout ce que je veux, maisii tout
ce que je dois et tout ce que je puis. —
— La liberté de mourir
ii de sa mort
il vaut mieux que l’obligation
de vivre par et pour les autres. L’esclave n’est jamais n si fort que
parce qu’il a cessé d’être et qu’on obvie mal il à son absence. Vivant,

9 129
il sert d’outil à qui dispose de ses membres Il et mort, il convient de
le remplacer
II ou de sentir qu’il fut ou qu’il nous manque. II Sa dignité
n’est qu’au passé. L’esclave ne commence IIIII d’être qu’en cessant de
l’avoir été. —
— La liberté de l’homme est une affaire de moyens et l’homme
a beau vouloir ce qu’il ne peut, en vertu de ces préséances qu’il
affecte, il n’en demeure II pas moins sujet d’instruments ii dont il dispose
où les possibles le régentent. L’esprit se manifeste n au travers des
outils accumulés,
II il en reçoit même n l’empreinte et l’œuvre agit sur
l’artisan par une convenance mutuelle n et le retour le plus fécond,
où l’attirail prend une vie imaginaire n et dicte les lois imprévues
dont il exauce les requêtes. L’histoire de l’humain H se ressent géné­
ralement
If des moyens mis II en évidence et l’on n’ignore plus que les
idées en dépendent d’ordinaire et les traduisent mainte II fois. —
— L’attachement II des hommes
IIIII à la vie est le principe de leur
servitude et nul n’est libre qui ne veut mourir. L’esclave paye sa
faiblesse et ne mériteII que les fers, si tant est qu’il ne s’y dérobe.
Malheur à qui savoure l’existence et la préfère à ce qu’elle est,
malheur
n: à qui s’en est rendu complice et multiplie II en l’avilissement,
II

malheur
if à qui ne se refuse pas et se prodigue ignoblement, qui s’en
remet
il aux seules nuits du soin de l’arracher à son entrave, quand
toutes les menaces
H de ce monde s’arrêtent sur le seuil de notre
mort ! —
— Qui tout possède éprouve moins II d’injure à tout abandonner
que l’homme II qui n’a rien, hors l’existence, et qui marchande If sa
limite
II ou s’y retranche en l’amertumeII et la fureur. -

XCV. Du suicide Qu’il est plus souhaitable de laisser mourir qui


s’entend vouer à la mort que de le traverser,
où nous ne savons point s’il ne déchargera cette fureur sur d’autres,
innocents. L’histoire est pleine de ces fauteurs de misère et d’épou-
vantement
n qu’il valait mieux
fl armer contre leur propre sein et
mettre
ti à la raison en leur faisant perdre la tête. Qui veut périr
ne manque de le mériter
ii et, sans mentir,
If l’état se dédommage de
sa fin, vu que tout homme n se remplace et qu’un fléau n’est jamais
il

de ces chefs qu’il faille conserver en dépit de leur sentiment.


H

XCVI. Noblesse Qui nous refusera l’estimeII en déployant mille


n

efforts pour nous rendre méprisables, est l’ennemi


n

par excellence et dont nous n’avons pas à briguer le suffrage. Est-il


de forfaiture plus abjecte que de s’élever non pas sur la ruine des

130
vaincus, mais
Il sur leur infamie
II et de l’entretenir d’office et dans la
vue de se croire avantagé ? Quel ordre de noblesse est-ce donc là ?
Que vaut ce qui subsiste à travers l’avilissement II de nos égaux et
de nos pairs ? L’on est en droit de se juger meilleur
II que ses pareils,
quand on les passe sans les mutiler
II et les devance en leur donnant
moyen de se mouvoir.

XCVII. Noblesse des extrêmes


II En l’homme vivant au jour la
journée, il est loisible de trouver
un penchant à la précellence et comme une ouverture de l’esprit.
Ce n’est, pour l’ordinaire, qu’un très faible indice et nous ne laissons
d’y bâtir la Cité même
H il où Dieu réside en toute Sa merveille.
II Qui le
décélérait en l’homme mieux n nanti, s’il est trop aise de ses biens,
de sa personne et de l’arrangement II de l’univers ? On le découvre
plus souvent en l’âmeII de nos rois et des premiers
H d’entre les hommes lllll

lesquels, à force de tout dépasser, consument II leur emportement


II II en
l’exercice et creusent la raison de l’être. Les premiers II et les derniers
se ressemblent en définitive : les uns, parce que tout les brise, les
autres, puisque rien ne les arrête et les plus éloignés de Dieu se tien­
nent souvent entre les extrêmes. II

XCVIII. Rançon Pour rendre tous les hommes frères, il convient


de la fraternité de leur imprimer
IT un tremblement
II II égal et de
leur imposer le même
il II joug, afin qu’ils servent
et pâtissent côte à côte, où leur souffrance dissimule tout le demeu
n ­
rant, que chacun n’ait que sa journée à vivre et que le lendemain n

soit toujours à l’attente de sa nuit. Vaut-il pas mieux


II qu’ils restent
francs, quitte à s’abominer
II les uns les autres ?

XCIX. Prêcheurs marrons


II Que je déteste ces cafards prêcheurs
de vice et de rébellion, à l’heure qu’ils
ne nous régentent pas, et qui nous prônent l’ordre et les vertus,
sitôt que la gouverne est mise
n dans leurs mains
u: !

C. L’art des méchants


n Quand règne la mauvaise
n foi, les lois op­
priment
If et les mœurs
IT s’effondrent, les
mots
if se changent et l’entendement,
fl sevré d’appuis, se meut dans
les nuages ; on veut durer, mais
il tremble
fl d’aboutir et l’on n’aborde

131
rien, de peur de se démettre
Il : il faut jouer, mentir,
n escobarder et
braver l’évidence, il faut boucher l’issue et fermer n les accès, faire
une bagatelle d’un dilemme
IIIII et tenir les lumières
n en échec, appesantir
les uns et dépraver les autres, donner le ridicule à ceux que l’on
n’achète point et rendre criminelsII ceux qui languissent hors de
prise... en un mot, se fonder sur la ruine générale et tellement qu’elle
se parachève où nous ne retenons et n’épaulons ce que nous mîmes II

tant de soin à fomenter


il ! L’art des méchants
II est de paraître indis­
pensables, de mode qu’on les souffre en oubliant qu’ils sont à l’origine
de la désolation dont ils prétendent nous guérir et qu’ils n’ont jamais ii

intérêt à ce que l’on se passe de leur ministère. Quand ils se meurent


n

ou qu’on les assomme, on voit le vide général où l’on subsiste et*


si l’on ne redouble les efforts et n’en surmonte l’amertume, n n

le vide appelle un nouveau maître II et pour lequel nous ferons


davantage.

CI. Peuples prédestinés Les peuples adonnés à toutes les délices


de la chair, mois, languissants, timides
11 et
craintifs, appellent les tyrans, bien plus que les tyrans ne les sub­
juguent et la faiblesse attire les violementsII qu’elle promeut.
II Les
nations rigides et farouches me II semblent souvent les mieux pré­
munies
II et les plus libres en vertu de ce qu’elles s’imposent. Les
peuples francs ont l’âmeII fortement
II trempée, l’intelligence cauteleuse
et les mains
n promptes, la nuque roide et les puissances en éveil :
ceux-là sont maîtres
n et n’essuient de tyrans, à cause qu’ils sont
hommes et se fournissent mutuellement
II II leurs sûretés. Les peuples
vils approuvent qu’on les violente et leur démontre II qu’ils existent,
n’étant rien par eux-mêmes
n n et ne se connaissant qu’au travers de
la honte prise et de la forfaiture savourée.

CIL De la terreur La terreur veut persuader et n’est que le


sanglant prélude aux fins qu’elle poursuit et
qui la désavouent. Ses buts sont plus modestes que les formidables
moyens
II mis
II en œuvre et tel échafaudage de contraintes et d’horreurs
ne vise qu’à nous demander
II un semblant
II de suffrage et moins
II encore,
mais
II notre dignité ne souffre pas que l’on se mente
II et, par ce trou,
l’ouvrage qui l’assure est emporté
n jusques aux fondements. Le propre
du tyran est de tout exiger, de l’exiger un nombre de fois incroyable
et toujours à propos de rien : il veut que la personne y passe et qu’elle
y passe inaltérablement,
ri d’où la suprêmen force des vétilles et des
bagatelles qui nous arrachent un renoncement inassouvi.

132
CIII. Vœu des tyrans On aimerait
il tant fixer l’homme H et le borrne
en l’absolu, tant l’ajuster à nos raisons,
tant le mouler sur nos prétextes, l’on aimeraitn tant à le faire simple
qu’il n’en subsisterait que l’être le plus démuni,n le plus risible et le
plus chimérique, une figure ne se remuant n que par ressorts, voire
un objet que l’on manie
II et qu’on mutile, dont nous nous établissons
juges souverains. Voilà bien l’idéal de nos despotes, mais II il ne suffit
pas qu’on leur témoigne l’adoration la plus rampante, il faut encore
qu’on simule
il un choix, un libre choix qu’ils nous imposent, il faut
qu’on les rassure en feignant de les approuver : ils nous demandent n

un avis, ils sollicitent un aveu de pure forme, ils nous condamnent


à nous renoncer nous-mêmes,
n n ils veulent qu’on leur donne le spectacle
d’une foule se ruant à l’esclavage et d’une presse à qui s’enchaînera
le mieux et le premier,
il ils revendiquent un plaisir que l’étendue de
leur domination ne leur accorde pas et que notre faiblesse est à
portée de leur vendre. Nul n’aime à régenter un ramas ri d’asservis
et le despote éprouve la démangeaison
il de sentir qu’on le brave :
ses peuples, il les traite en femmes, donnant la préférence à ceux
qui lui résistent, pour être à même
n u de leur faire violence. Que sommes-
iiiii

nous aux regards d’un tel maître n que notre obéissance contrarie
en le privant du moyen de nous accabler ? Que sait-il de nous tous
et de nos solitudes menaçantes
il ?

CIV. Le despote abusé Nous nous perdons souvent et sans remède n

à force d’avoir oublié les mille


n fois dix
mille
H qu’on ne voit et qui ne laissent de nous mettre
n en jugement,
à l’heure que l’on cède volontiers aux dix ou quinze de son entourage,
dont la présence est infailliblement
ii' multipliée
n et dissimule
n l’univers,
comme un grand tas de sable à quatre pas nous cèle une montagne
immense à quatre lieues de chemin. il La belle affaire que dix paires
d’yeux pour infirmer nos résolutions, mais il n’en faut pas davantage
et la manie
ii d’y penser a la vertu de balancer le demeurant.
n Les maîtres
n

de ce monde
n ont subi la tutelle de ces yeux et goûté le plaisir d’une
faiblesse délicieusement
u cachée et d’autant plus morbide,
n ils se dis­
pensent l’agrément
n de trembler devant ce qu’ils peuvent abolir d’un
geste et d’implorer secours à qui leur doit la force dont ils le revêtent.

CV. Nos partisans Le tout n’est pas d’avoir des défenseurs, si


l’on n’est libre de les révoquer ou de les payer
froidement
n de son ingratitude, et la meilleure
n cause est subvertie
où des méchants
n l’assument.
if Malheur à qui triomphe en devenant
l’émule
n de ses partisans !

133
CVI. Dernier prestige L’armée
n la plus déconfite n’est jamais
H tel­
lement
n diminuée
n qu’elle ne puisse tenir
sous le joug le pays qu’elle a si mal
n défendu, manière
H de se venger
de sa honte et de se rendre formidable
h: à qui la jugerait.

CVII. Goût de l’abaissement


II Le propre d’une nation déchue est
qu’elle n’attend rien de soi, vu
qu’elle se méprise.
II Elle souhaite qu’on la violente pour lui prouver
qu’elle est encore désirable et belle, elle aime n mieux
n le soudard
oppresseur que l’ami rr charitablement
II lucide, elle préfère ses bour­
reaux aux juges les mieuxn prévenus en sa faveur. Il serait bon que
ses amis
II la satisfissent pleinement
n sur tel chapitre et lui marquassent,
II

en la soutenant, qu’ils sont à même n n de la subvertir : leurs bienfaits


n’en auront que meilleur
n goût et donnant moins, mais II joignant le
prestige à la clémence,
n il leur sera loisible de tout obtenir en ne
laissant de l’obliger.

CVIII. Tyrannicide Suffit-il


n pas d’un homme n: pour en terrasser
un autre et venger ceux qui lui délèguent
leur raison de vivre ? Ce meurtre
n n’est-il pas une défense légitime
n

et tout un peuple racheté par une main n qui frappe ? Où se tient


l’homme
iiiii et quel est-il ? Despotes qui sondez nos reins, votre pouvoir
ne le saurait déterminer,
n car l’homme
iiiii est une créature en mouvement
u

perpétuel, un devenir impénétrable, un vague béant sur le monde,


amas
ii sans multitude
n et formeu sans partage, inviolable assentimentn

au renouveau qui le libère. Nid ordre ne vous en protège et nul


suffrage ne vous baille garantie, s’il ne se rend à vous pour renoncer
entre vos mains
n ce qu’elles lui conserveront mieux n que lui-même !

CIX. La vie des méchants


n Le meurtre
n d’un seul homme est sus­
ceptible de changer le cours des faits
et de leur imprimer
n n un biais inconnu. Attenter à la vie des méchants
n

témoigne d’une amourn profonde pour le genre humain n qu’ü est


requis de chérir davantage que le semblant d’une justice à tous
égards vénale. Ceux qui se tiennent au-dessus des lois sont rejetés par
elles, ceux qui méditent
n de les violer méritent
n qu’on leur fasse violence.

CX. Sur le régime


n politique Que le régime ii le plus souhaitable
est en possession d’éloigner des
affaires les talents rares et les esprits remuants,
n qu’il omet
II volontiers
de faire usage de noms n fameux
n ou d’hommes
iiiii providentiels et qu’ü

134
n’en réussit pas moinsfl à tenir la balance au jour le jour et d’âge
en âge, engourdissant l’impatience
II et prévenant le trouble, ayant
un grand dessein dont il ne sonne mot et de petits expédients qu’il
nous étale, et toujours soucieux d’économie. Les règnes éclatants pro­
cèdent de ces législations habiles, ils ne se peuvent passer d’elles,
mais
II ils ne servent qu’à les épuiser, dilapidant ce qu’elles ménagèrent
et, néanmoins, la foule les appelle de ses vœux. Le bon gouvernement II

n’existe point : il faudrait que les gouvernants le fussent, qu’on leur


permît
II de l’être et de le demeurer,
II que leur pays les reconnût pour tels,
que la fortune les favorisât, que leurs voisins n’en prissent de l’om n ­

brage et ne les accablassent à raison même n n de ces vertus éminentes.


n

CXI. L’état Nous plongeons en l’état comme en un tout massi­


vement
II ductile et, libres au dedans, nous nous mou­
vons, sujets de nos limites, d’un patrimoine imaginaire II aux liaisons
du défini. L’état, l’ensemble de nos volontés, n’en est pas forcément
une moyenne, il n’en est jamais II l’indivis ou le total, ni même n ii la
vacance et, si le meilleur II ne s’accorde pas toujours au sentiment ii

de la mêlée,
II le pire a des fidèles à foison et davantage qu’on ne pense.
L’état ne s’échafaude point aux lieux de son économie, il ne suit
guère de l’emplacement,
n les éléments
II dont il relève se massent II aux
extrémités
n et l’on ne peut juger de ce qu’il est, si l’on s’en tient à ce
qu’il manifeste,
u le plus rigide et le mieuxH affermi II ne laissant d’être
une façon de compromis instable, où le plus lâche a néanmoins des
restes de tutelle. On dirait qu’il balance à mi-chemin ii n du Tout et de
l’Ensemble et se rapproche de l’excès de domination ou de l’abus
de complaisance, mais II qu’il y tend plus qu’il n’y donne et se doit
raviser, sous peine de sa chute. Nous le nommons mu un Tout, quand
il ne veut lien ménager
If et qu’il affecte du mépris à l’égard de nos
jugements,
II se croyant issu de lui-même n et dieu parmi II les hommes, II

comptables de ses procédés à la fortune de l’histoire, ne nous devant


que la rigueur du souverain et le silence de l’arcane, et travaillant
à son hégémonie, aux fins de justifier sa conduite. Nous le nommons
Ensemble,
If quand sa puissance est limitée II à raison de nos voix, que
nous le querellons de pleine autorité, nous insurgeant s’il nous fait
réprimande
II et lui rendant son exercice âpre et de nul effet, déterminés II

à l’abus de nos droits et nous investissant de privilèges à loisir,


multipliant
n l’état jusques à l’annuler à force de divisions. L’état
semble
n à la vérité participer de l’un comme iiiii de l’autre, selon divers
arrangementsn où les proportions varient à mesure, n allant de l’ordre
général à l’unanime n acquiescence et d’un système de mensonge II ou
de délation à l’harmonie n où Tout n’est qu’à l’Ensemble et Tout

135
l’Ensemble
à en ceux qui le gouvernent, moment
H de privilège et de
concorde à l’unisson, fait d’un abouchement
II de libres volontés que
détermine
ir un même
n H branle. Or, l’harmonie est infailliblement
n

l’école des facilités

CXII. L’école du gouvernement


II L’état n’est pas l’école du gou-
vernement,
II il risquerait d’y
perdre. Quiconque ne l’a vu sans l’avoir dirigé, n’a lorgné longuement
II

dans la coulisse, n’a surpris la tournure et mesuré


II le train, n’est
digne qu’on l’y fasse présider ùn jour. C’est peu de s’élever, encore
est-il besoin qu’on s’y maintienne à l’avantage de la république,
mais
II' les vertus qui nous permettent
II de gravir les échelons ne sont
pas celles qui nous habilitent en leur éminence.
Il Les parvenus sont
détestables de se les attribuer sans les avoir en propre et de juger
qu’elles dérivent infailliblement
II de leur astuce.

CXIII. Étrangetés communes La bonne politique fait la con­


cession plus généreuse et le re­
tranchement
n indigne de regrets. Le prix de ce que l’on dispense
importe
n moins que l’heure ou la façon, l’heure d’abord, laquelle
est souveraine et nous permet n d’agir à notre guise, en sorte que je
nommerai
n « justice » un art de la réduire à la semblance
n et de pa­
raître l’observer, et que l’injuste est le défaut de mal
n choisir le temps
H

et la manière. Il est des jours où l’on peut châtier tous les rebelles
sans discernement,
II et d’autres où pour mieux
II les perdre il suffit
II

de leur accorder la grâce et de montrer


II qu’on les dédaigne, afin
qu’ils restent méprisés.
II

CXIV. Des libertés, Je marque


n au reste que les libertés dis­
des privautés semblent de nos privautés, que moins n un
peuple a de pouvoir réel et plus les souverains
lui passent les dernières, qui ne leur coûtent rien, mais
n qui le flattent.
Les libertés demeurent
n vagues et lointaines, fort étrangères à l’esprit
des gens, lesquels ne les discernent point, de mode qu’on les leur
retranche ; les privautés semblent l’image
n de nos droits : un peuple
se tient libre lorsqu’il en a beaucoup. En tel pays, le château fut-il
pas l’endroit ouvert à tout le monde, son antichambre le domaine n

des petits marchands


ii et ses couloirs une sentine ? Ailleurs si l’on
avait accordé le droit de chasse aux paysans se seraient-ils pas
jugés les hommes les plus libres de la terre ?

136
CXV. Révolte Mais la révolte est proche où le grand nombre Il

songe à se pourvoir de cela même


n n qu’il désirerait
de nous et qu’il refuse comme lui venant de nous, fort de nous
l’arracher par une violence et sachant qu’il le peut, s’il l’ose.

CXVI. Nouveau débat II n’est pas digne de l’humain II de prendre


sur l’homme l’obligation qu’il n’envisage en l’étendue
de ses charges les plus accablantes, mais II

il est trop certain qu’alors nul n’en voudrait. Ainsi la dignité nous
ferait-elle dépérir et nous la bannissons, de peur qu’elle ne nous
dévore sous le prétexte de nous conserver. —
— Oui, l’homme rit n vit dans une aveugle dépendance et ne démêle ri

les confusions de sa nature, et cependant qu’il en essuie les effets,


il se rengage de plus belle. On légitime n ses penchants, on les assiste
et va jusqu’à les susciter, mais n c’est afin de se donner quelque pou­
voir sur la personne et de la retenir par le canal de tout ce qui la
désassemble. On blâme n ses désirs, sitôt qu’il se déborde et l’on est
grandementn fâché, s’il a l’audace de s’en faire maître n ; on le veut
assez fol pour se montern la tête et raisonnable, néanmoins, h de peur
qu’il ne se dédommage n point et l’on réprouve d’un seul mouvement n n

ceux qui prévoient et ceux-là qui jouissent, en pardonnant de pré­


férence à ces derniers, vu qu’ils se désavouent mainte fois, quand
la sagesse demeure
n en crédit et marche n en assurance. Le moyen de
ne pas sourire de ces vertueux que leurs penchants arrêtent, malgré
qu’ils en aient, et qui s’affirment n les soutiens de l’ordre, dont ils
ne sont que les complices ri misérablement
n n bernés ? —
— L’état ne nous demande u pas que des vertus ! Le monde n ne
redoute pas les amoureux et sourit à leur solitude, il les approuve
de se joindre et les attend à bout de voie, il sait qu’ils lui reviennent
infailliblement
n et du plus loin, il n’a guère à les relancer, il les arrête
au piège et les entrave en un tempérament n n de lassitude et de rigueur,
il les annulle mutuellement,
n n les change à des moyens qu’il met n en
œuvre, il les transforme en pierres qu’il aligne et qu’il entasse. Eux
s’estimaient
n loin de ses lois, ils le bravaient d’intelligence, ils jouis­
saient d’une ardeur sans égale et voici qu’il l’emporte et, sur le déclin
du mystère,
IT a prévenu les fins de leur témérité. n Le monde
n ne redoute
pas les amoureux qui multiplient
n le néant, mais
n appréhende l’homme
solitaire et les débats de sa lucidité ! —
— La femme mu seule nous détourne de nos fins, nous rendant à
la vie et nous arrache le consentement n à l’univers en même
n n temps
n

que la semence.
n Par elle l’homme se fera chaînon, perdant ses
royautés mortelles. —

137
CXVII. Louange de l’absurde Les hommes
IIIII souffrent davantage
pour l’absurde et meurent
H avec
plus de grâce au nom d’une chimère II issue de leur spéculation que
pour défendre la meilleure
II cause raisonnable, et les plus simples
même
II II ont de l’attachement à ce qui les remue II assouvissant leur
gourmandise,
II quand les plus délicats invoquent l’ineffable et s’en
repaissent. L’absurde qui nous fait périr a le pouvoir singulier de
nous aider à vivre et l’existence semble en interdit, quand l’homme II

vient à bout de la réduire à ce qu’il est, car la vengeance de l’absurde


est de nous affecter de ce qu’on lui retranche et de se librement
11 com­
muniquer
II à toute chose. Nous* ne pouvons nous contenir en l’ordi­
naire et le plus bel ajustement
II nous laisse froids, s’il ne nous boule­
verse.

CXVIII. La vérité d’ensemble Horniis


II les vérités d’ensemble,n il
n’est que le débris de mille n cas
d’espèce et qui nous rendent de mauvais
II offices, nous mettant
n usuel­
lement
H en défiance sur les autres, puis en la dépendance d’éclair­
cissements
It de petit lieu, mais
II pour aller aux vérités d’ensemble il
faut en épuiser le nombre et c’est l’affaire de trois siècles ou de six.
La vérité d’ensemble est l’aboutissement II d’un ramasII de détours,
une moyenne d’agonies, le résumé ni de tant d’épreuves de diverse
sorte que l’on est trop heureux de n’avoir pas à les remémorer
II et moins
encore à les revivre, ce qui n’empêche cette vérité d’être en balance
et d’essuyer alternatives ou rechutes, mais II nous ne sommes
uni nulle­
ment
n tenus d’y vouloir ajouter et devons appuyer qui nous seconde.

CXIX. Religions On ne conteste pas avec les rites de la foi reçue


et tous les éclaircissements
n que l’on en donne,
en vue de s’en prendre à la créance même, n It ont moins
n d’effet qu’une
religion nouvelle. Jamais n on ne remplace l’absolu, jamais
n l’humain,
n

en les modalités dont la nature est susceptible, n’aura moyen de


vivre à court de spectres engageants ou de chimères n de la spéculation
et l’homme II est animal
II métaphysique.
II A n’en pas convenir, l’on reste
sciemment
IIIII à découvert et trop de fois à la merci n d’un mouvement
imprévisible
II : où les dieux viennent à manquer,
n les dieux renaissent,
il n’est de vide qui ne se repeuple et la raison se fait idole en face
des idoles abattues. Les gens de petit lieu ne vivent que pour l’im n ­

médiat
n et l’absurde, ils n’envisagent que l’utile et l’absolu, jamais n

ils ne surmontent le litige et ne conduisent les réflexions par l’ordre


tiré de leur fonds indivisible.

138
CXX. De l’homme vil Que l’homme in vil réclame
ii des raisons pa­
tentes et des formules
H absolues, car il est
ainsi fait qu’il se dérobe naturellement par divers chemins
n de traverse
et qu’il emprunte
ii les issues que l’on néglige de sceller. Nous sommes
n

avertis de l’investir en le tenant à la contrainte.

CXXI. Colloque sur la tolérance La tolérance ! Est-elle sage ?


est-elle souhaitable? Il faut un
lien en chaque nation, un lien si fort qu’il la retienne aux heures
solennelles, un lien qui ne procède point des lois, mais n qui les justifie,
donc un ensemble de préceptes établis sur des pensers communs n

qu’il est besoin de recevoir. Sitôt qu’une doctrine est inspirée, elle
ne souffre de rivale et ne saurait l’admettre à ses côtés, parce qu’elle
envisage l’absolu, que l’absolu se trouverait détruit s’il existait deux
voies, que l’absolu paraît enfin l’unique fondement n de nos pré­
ceptes. —
— Je tiens la tolérance indispensable, à charge qu’on en parle
le plus doucement, it peur de scandale aux yeux des faibles. Il est
expédient qu’on ne s’en vante pas et lui ménage ti des faveurs secrètes,
mais
H qu’on se garde de la mêler II à nos vœux inavouables, car le plus
sûr moyen de ruiner la tolérance est de s’en prévaloir, dans le dessein
de subvertir une morale nous mettant II à la gêne. Je nomme tolérance
une manière
II d’agrément
II que l’âme donne volontiers aux divers
modes d’accéder à l’éminence et non à l’art de les confondre et de
se passer d’elle. Elle est une franchise dans le bien et nullement II un
droit hors de ce qu’elle affecte, où les émules II la remparent
II et les
complices
II la diffament. —
— La tolérance n’est pas recevable de tous ceux qu’elle désarme II

et dont elle abat les ferveurs, gens faibles et tenus de parler d’une
voix ou de se dépraver en tombant II d’une pièce. Les justes le déplorent
mais le moyen de prôner une loi sévère, où d’autres la paraissent
démentir,
II et d’incliner un peuple aux vertus les moins naturelles,
quand il est des systèmes II plus accommodants ? Et ne devons-nous
pas marquer la préférence aux théories que nos penchants désavouent
et qui méritent
ii de puissants secours ? A mettre II de niveau ce qui
demande
n tout à l’hommeIIIII et ce qui le résigne à l’ordinaire, il est de
fait que nous le fournissons d’un trop d’excuses prévenantes. —
— Ce qui demande II tout à l’homme IIIII ! En l’âme
II basse, l’absolu
n’entraîne que le fanatisme II et les rigueurs les plus démesurées II :
où l’on demandeII tout à l’homme et bâtit sur les passions, l’on serait
mal
II venu d’en improuver
If les suites. Qui nous déchaîne de la sorte
ou rend la fureur désirable ou seulement II possible, a tort d’incriminer
II

139
la foule des humains,
n laquelle ne se meutn qu’en bondissant ou rentre
en le repos de l’immobile.
iiTn —
— Or, l’homme n s’affermit
n en son débordement n et perd l’assiette
aux mêmes
ii n lieux qu’il s’enracine. L’homme, iiiii à mesn yeux, ne peut
se définir en partant de soi-même H et l’absolu n’est pas de trop pour
le sauver en son humanité, n car l’être vil ne se régit que moyennantn

l’idée la plus simple n ; c’est donc une nécessité que de le tenir en


haleine, il a besoin de croire au mal n et de le voir, pour ainsi dire,
face à face ; il a besoin de s’animer n incessamment
iiiii contre l’objet
de sa terreur, si l’on ne veut que son émoi n ne se relâche et ne s’en
accommode enfin. Gardez-voufe d’oublier que jamais
ii ii il n’avise au
mal
n s’il ne le touche et qu’il ne le décèle au profond de ses reins, lui
qui n’est guère susceptible de se définir. Donnez licence à qui vous
donne sûreté ! —
— Le peuple est dans l’usage de s’en prendre à qui ne lui résiste
pas ou dont il peut avoir raison, mais it il balance où le contraire le
domine
ii et lui fait mainte
•ï fois l’honneur de le juger un fléau de nature
avec lequel il est fort honorable de capituler. —

CXXII. Cas de
i l’Espagne Que l’Espagnol ne fait rien à demi, n

de mode qu’il est tout en démesure n

et se relâche follement, quand il ne peut s’évertuer. Trop malheureux


ü ii

s’il n’a que l’ordinaire, le moindre l’y devance et i’héroïsme ir sans


éclat ne saurait émouvoir la nation la plus fantasque. Souvent le
peuple de l’Espagne agit pour les beaux yeux de ceux qui le regardent
vivre et leur emprunte le motif de toutes ses fureurs ; charnel et
jusques à la frénésie, il ne parvient aucunement à rompre ses racines,
mais
n il s’élève plus que d’autres mieux
n doués en apparence. Que
sa folie est belle et que sa vie bassement
n futile ! Et qu’il est loin de
Dieu, quand il ne Le possède ! De lui nous ne devons attendre que
le pire ou le meilleur,
tt aucune fois les deux ensemble.

CXXIII. Colloque en guise d’intermède,


ii touchant diverses
» nations

A. De ce fameux
n Oui, chaque nation se prévaut d’un je ne
« Je ne sais quoi » sais quoi, lequel est proprement11 sa quin­
tessence et dont elle fait plus état que de ses
vertus les plus manifestes.
II Il se peut même
n n qu’on l’ignore à force
de le trouver en tout lieu, mais
II on ne tarde pas à le sentir, quand
l’un ou l’autre le met
II en son jour avec une éloquence inimitable.
H —
— Tel peuple, ne se pouvant définir, attend le choix propre à
la mieux
II fixer dans l’ordre des linéaments
II dont il s’avoue et qu’il

140
Z Z '
recherche sans les établir. Qu’un homme IIIII se produise et les lui trace,
il les adopte et s’y confirme H et, quand ils roulent sur l’inavoué,
la convenance est infaillible. —
— Il se dissimulait
II en nous, cet air si dangereusement II subtil
et le voilà dehors, le voilà libre et nous après. Lorsqu’il flottait
au sein du vague, il nous soufflait des motions irrésistibles, mais II'

couvertes. Il nous régente, à vue de pays, à l’heure qu’il se fixe et


nous transforme n sans recours. Nous fûmes n tout ce que nous sommes, n

en puissance, et nous le devenons, prenant figure malgré n nous,


figure enfin de ce je ne sais quoi, dont nous ne réchappons. —
— La quintessence définie se change en destinée. —
— Et l’ineffable appesanti nous moule n sur des formes closes. —
— Voire abusives. L’Espagne est celle du plus grand Philippe
et de son peintre venu de la Crète, et nous ne consentons à la chercher
ailleurs, bien qu’elle ait mué
ii de semblance et qu’elle en ait eu d’autres
plus avantageuses. La France est au regard de l’étranger le pays
de Voltaire et de la raison triomphante
n associée à la galanterie, et
l’on oublie volontiers son Moyen Age et ses tendances à la démesure.
Les Chinois se transforment sous nos yeux et prennent goût à ce
dont on les jugeait incapables. —
— Mais nous ne laisserons de les tenir pour ce qu’ils ne sont
plus, jusqu’à ce qu’il nous faudra déchanter. —
— Le caractère d’une nation est sujet au balancement n et ne se
définit que par un assemblage de contrastes : la raisonnable est
mainte
n fois imprévoyante et dissipée, la plus rageusement IT raidie est
une frénétique et la plus sobre la plus follement n lascive ou bien la
plus fantasque. —
— Les Teutons et les Moscovites se dérobent en s’abandonnant,
le libre choix les précipite dans la servitude et nos rigueurs les ôtent
de souci ; les Espagnols sont graves et futiles, puis tellement n lascifs
qu’ils se débordent jusqu’en la matièren la plus solennelle. —
— A moins qu’ils n’outrent les retranchements, H de peur de
s’avouer ! —
— Les Portugais sont les plus doux et les plus rudes, toujours
de leur village et fût-ce au bout du monde, et dévorant l’espace
sans qu’il les pénètre. —
— Et nombre d’Italiens si composés ri qu’ils en arrivent même n n

à feindre la vivacité qui leur est naturelle ! —

B. Des pays
» et des peuples Nous parlons de la France ou de
l’Espagne, non de la nation qui les
habite, mais
n nous disons les Allemands
n et volontiers le peuple turc.
La France est le pays où vivent les Français ou ceux qui le deviennent

141
à la longue et c’est au peuple d’Allemagne H à faire son état, lequel
n’est rien s’il n’en prend conscience. L’Espagne se situe en l’inter­
valle, elle est comme une France à jamais II désunie, amas
II de nations
pareilles à la germanique
II et dont plusieurs ne se conviennent pas,
rêvant d’une absolue autonomie II et dans le sein de l’homogène en
état de la garantir. Et l’on a dit longtemps le peuple turc, à cause
qu’il était le dernier venu d’entre tous, le pays lui devant son nom
après en avoir connu d’autres. —
— Les peuples d’hommes II tirent le meilleur
II d’eux-mêmes,
n ii se
confessant et s’éprouvant ; les ^peuples enfantins demandent n qu’on
les sauve et clament
II une providence à part ; les nations efféminées n

supplient qu’on les violente et goûtent leur abaissement n comme


iiiii

une volupté sensible. —


— Il est enfin des nations de morts n qui vivent à subir l’histoire
et faire nombre.
n —
— Puis elles siègent dans les assemblées. —
— Les peuples de commandement n et qui ne valent que par là
ne sauraient vivre et prospérer, faute d’esclaves. Nous le voyons
en divers lieux du monde. Quoi de plus lamentable n que ces Turcs
livrés à leur fainéantise ou que les Espagnols réduits à leur unique
compagnie ? —
— Ces gens ne brillent qu’à sabrer ou conquérir, mais n œuvrent
moins
n que ceux qu’ils tiennent à mépris, n lesquels se passent mer if ­
veilleusement
if de leurs vertus ou de leurs soins. —
— La nation la mieuxii douée est propre à toute chose : travail,
loisir, paix, guerre, épreuve en l’ordinaire et tribulation suprême, n

voire félicité. Les peuples unimentn nantis, de la figure la plus ridicule,


ressemblent à des souverains destitués d’insignes et de droits, fort
bons à charge qu’on les serve et les nourrisse, et qui laissés à leur
incompétence, ne savent que languir en ne cessant de tout
prétendre. —
— Qui n’a l’esprit de sa condition ne la surmonte pas. —

C. Nord et Midi Dans le Midi de cette Europe le peuple a des


vertus lucides et chantantes, le goût des formes u

et des fins, le don de la mesure


n et rarement
H le sens de la grandeur
ou de la plénitude. —
— Ils ne vont jamais
n par-dessus l’humain
II et tiennent le milieu
de préférence, mais
n ils ne tombent
H guère ou savent amortir
II leur
chute. Ils aiment
H plus la ville que les champs, la solitude les repousse
et la nature leur peut agréer, sans qu’elle les possède, à mi-chemin
ii n de
la béatitude et de la consternation, ils prisent un bonheur facile
et limité.
ff —

142
— Ils qualifient de chimère il ce qui ne porte l’homme lllll aux biens
sensibles, la fougue les étonne, encore qu’ils la feignent à miracle, II

mais
II leur saillie est de surface et ne remue guère les abîmes. il —
— Ils ne haïssent point la vie et goûtent plaisamment ce qu’elle
leur dispense, ils se défient des sublimités II et tâchent en premier II

de n’être jamaisII ridicules. —


— Quand ils agissent, ils font cas des yeux d’autrui, les yeux
d’autrui leur semblent l’univers et l’univers une manière II de théâtre,
Dieu n’est pour eux que l’Autre à la dimension II de l’incommensurable,
lllll

une personne qui les juge et les a regardés. Métaphysiciens minables,


ils ne s’élancent qu’en circuit fermé, n remâchent
n les maximes
n n les
plus vieilles et n’amplifient nullement, ii de peur de l’intervalle. —
— Il leur faut de la teïre sous les pieds. —
— La vérité mise en lumière II et les chemins II tracés d’avance. —
— Où l’on bondit à pas comptés en gambadant par quelque
résidu d’irrévérence ! —
— L’absurde abat leur verve sur le champ. II —
— Aussi préfèrent-ils les menteriesII agréables et les équivoques
sommeilleuses, et leur penchant à la mesure II incline ces badins à
toutes les demi-mesures
n h : pour eux point de dilemme ouvert et point
de litige en souffrance, et nulle tragédie, où l’on ne goûte que le
mélodrame, H ils veulent des solutions tranchées quand ils ne peuvent
engourdir l’impatience
II ou faire un accommodement, II l’antagonisme II

les alarmeII au souverain degré, ils n’en discernent guère la beauté


profonde et parlent de tout consommer lllll à force de tempéraments. n —
— Leur absolu n’est qu’aveu d’indolence et de futilité, le trompe- n

l’œil majestueux
n où leurs mirages
n se remparent,
II un vague solennel
et creux où l’on entasse les formules, n échafaudage rutilant à la merci H

d’une fumée n et bulle de savon en guise de recours suprême. II —


— Ainsi les Latins, peuples sobres, deviennent chimériques, II non
par excès de visions imaginaires,
n mais
n en vertu d’un manque ri de
courage. —
— Et le réel qu’ils tremblent d’abjurer les abandonne sans retour,
à cause qu’ils ne le désertent pas. —
— Il est des nations dont la vivacité prévient nos jugements n

et nous séduit, de mode qu’on les tient spirituelles, mais n qu’on les
pousse et les voilà de suite à bout de voie, le pied leur manque u et
la stupeur en a raison et la décontenance : elles excellent aux débats,
mais
n subalternes, elles consomment tout leur âge dans cet exer­
cice, où des adages éprouvés en règlent les saillies, et ne leur
demandez
il pas de besogne de concision, ni de payer tribut à la
recherche ! —
— Ils ne s’imposent de tels soins, en hommes il sacrifiant au pro-

143
bable et s’y mouvant à l’aise, ou s’ils se rendent attentifs, ce n’est
que pour se jouer aux surfaces, dont ils composent Il les rapports de
main
II de maître,
II habiles à nouer les mots, à faire le discernement n

des ridicules et des pointes, jamais II à court de reparties et multi n ­


pliant les finesses, sophistes à tout dire et dont l’intelligence est
un éloge de facettes. —
— Ne les prenons pas à garants de leur boutade, leur verve est
cliquetis de traits ou d’antithèses, l’ensemble vieux et plus que les
chemins, le fondement n passé de mode et les ressorts antiques,
l’audace convenue et l’impudence n théâtrale, on en devine le principe,
on entrevoit ses développements n et nulle fin n’a la ressource de nous
étonner : cela remonte au moins jusqu’au déluge et ne varie guère,
cela ne cesse de rouler sur un fonds d’indigence, cela rassure les
plus chatouilleux. —
— Tels sont les peuples du Midi, mutins n de l’éloquence et qui
répugnent d’ordinaire aux variations fondamentales, n se procurant
l’illusion du change et l’ayant en horreur, s’il les affecte de nécessité,
qui se remuent
n et se démènent pour n’avoir pas à devenir, abominant
l’idée en tant que telle et pétris de limon. —
— Fidèles à la terre et n’aimant n de l’esprit que les bouillonne­
ments
n et que la mousse.
ri —
— Dont la vivacité confine à l’indolence et jette l’homme n en un
circuit de pauvretés imaginaires,
H moyen
II par excellence de tout main­
tenir sans gloire. —
— Allons au Nord. —
— Là, je vous suis. —
— Aux peuples du Septentrion la forme manque et ne veut point
venir. En changement n perpétuel et fût-ce dans le sein de l’immobile, iiiii

ils semblent ambigus, n en dépit de la loyauté qu’ils aiment n pour se


donner une attache et ténébreusement subtils sous les dehors de
la simplesse,
n. mais
n s’ils divaguent et se fourvoient même, n n il est cons­
tant qu’ils pèchent par excès et le plus généreux tant à l’égard
du bien que pour le mal, n n’en faisant pas toujours la différence la
mieux
n ajustée ou voulant tout confondre en un dépassement n imagi­
naire. —
— L’histoire est, à leurs yeux, le devenir que rien ne justifie
et que l’humain n s’efforce de légitimer u au long d’une démarchen sans
espoir, duel tragique et démesure n inassouvie. —
— Ils trouvent des beautés jusqu’en l’informe et divinisent
l’ordinaire, à faute d’aliment. —
— Ils ne redoutent pas de se sentir et vivent comme fascinés
par leurs abîmes, n puis se débondent avec brusquerie, assidus enragés
enveloppés en une fougue imprévisible et se refusent du retour,

144
épris de jouissance et de néant, et savourant l’une dans l’autre. —
— Ayant la démesure
Il en vénération et taxant la prudence ou
de lésine ou de poltronnerie, ivres à leur manière II et souhaitant de
l’être au moment II de se recueillir. —
— Ils aiment la nature et ne haïssent point la solitude, à cause
qu’ils la peuplent de muettes
H frénésies, le rêve les devance et leur
querelle ne s’apaise, ils l’entretiennent à dessein et la raniment n

sans relâche. La peur qui les talonne, ils la font ressentir aux
autres. —
— Quand ils allumentn tant d’embrasements,
II II ce n’est qu’afin
de rompre les étaux de leur démence II et ces bourreaux calculateurs
ne savent pas mourir, j’entends mourir ir en honnête homme, iiiii sans
larnles,
ii mais
n sans phrases,^d’une manière
n ferme H et douce, avec un
abandon plein de mesure n et plein de calme II majesté.
II Ils vous de­
mandent
rt' des trompettes
n et des chœurs, ils veulent se donner la tra­
gédie et défier le monde,
n ils mettent de l’emphasen où le bon goût
exige de la résignation, ils se démembrent
n pour nous étonner et nous
amènent
n à sourire. Ce sont là fauves enfantins qu’il nous importe
de flatter, les rassurant, pour qu’ils ne cherchent à se rassurer à
nos dépens. —
— Les peuples du Septentrion ont la ressource de changer, le
devenir est leur partage et c’est pourquoi nos jugements n sont pro­
visoires. Où les Latins ont abouti, prenant la forme n et perdant le
possible et liés à la forme n au point de mourir
n avec elle ou de tomber
à rien, les peuples du Septentrion essuient l’aventure et, parce qu’ils
ont mis n le fondement
n en gage et librement choisi l’incertitude, ils
peuvent espérer loyer à leurs travaux et le plus magnifique, pour
n’avoir pas une âme n habituée. —

D. De quelques nations Que d’Allemands


n sont faibles et craintifs
dans le pays ultime n de leur être ! —
— Ils n’y sont que terreur aveugle et que gémissement
n n immotivé,
iiiii

mais ils le savent à demi, n d’où l’humeur


II querelleusement
n brutale
dont ils sont dans l’usage de s’armer
II pour nous donner le change sur
leur tremblement et s’abuser eux-mêmes.
II II —
— Il serait bon qu’ils l’ignorassent en entier ou l’éprouvassent
jusqu’au bout, la demi-connaissance
ir étant de règle la plus domma iiiii ­
geable. Or, ils n’excellent pas dans l’art de s’assigner une limite, n

ils le dédaignent à l’accoutumée


n et s’en font gloire, ils entreprennent
de tout subvertir et cherchent l’au delà dans un forcènement n per­
pétuel où la morale
n ne les accompagne guère et tous les monstres
les assaillent, ils parlent de gravir mille
n échelons et se retrouvent
au plus bas, au niveau de l’inanimé. n —

10 145
— Les Moscovites rêvent et leurs dirigeants raisonnent ; les
Allemands n raisonnent, quand leurs maîtres Il extravaguent. Si les
premiers n donnent la préférence aux têtes les plus froides en matière II

de gouvernement, II les seconds ne haïssent pas qu’on les enchante.


L’on voit des fous servir les desseins les mieux II concertés et des
logiciens se perdre dans le vague en suivant l’inspiration des thau­
maturges.
II —
— Et l’Espagnol ? —
— Ce peuple vaut pour les dimanches II et les jours de fête, mais II

quelle nation a l’assurance d’une destinée indolemment complice ?


Depuis des générations, l’Espagne est au lundi, le triste lendemain h

d’une fortune à jamais II dissipée et de légendes abolies, mais ii elle s’y


refuse et met II tant d’éloquence à démentir II l’état de sa condition
qu’il est des gens pour y donner leur voix et pour s’y fournir de
lunettes. —
— Quand l’Espagnol ne donne toute sa mesure, II il est moins que
son ombre. II — '
— Et s’il le fait, nul ne l’égale. —
— Il est plaisant de démêler n l’acquiescence où l’Espagnol ne
rougit plus de vivre. Le beau mérite u de se retrancher un mille II de dou­
ceurs, pour n’avoir pas à les gagner et d’être par fainéantise exemple
de frugalité ! de laisser un pays à l’abandon, gueusant et malversant, «I

toujours superbe et toujours misérable II ! de s’engourdir industrieu-


sementII et de s’évertuer en ne changeant de place, de se roidir au
lieu de se déterminer, II de brusquer la défense en bandant ses fureurs,
allant au pire d’une traite ou se vouant à la meilleure II cause, touj ours
aveugle et toujours acharné, parfois sublime dans l’horreur et trop
souvent abominable en la justice, ayant le don de profaner une
querelle sainte à force de moyens outrés et de désordres véhéments, II

et de légitimer n la plus mauvaise


II en déployant des vertus magna­
nimesII ? Il aime n cette ivresse et la demande II à l’impourvu, sans
peser l’origine ou sans considérer la fin, il goûte librement II la ser­
vitude, il remplit son devoir avec une âpreté voluptueuse et, gour­
mand
H d’agonie, il semble jouir et des maux qu’il multiplie II et des
souffrances qu’il endure. —
— Il est moins volontaire que zélé, moins ferme II que rigide et
s’il abonde en qualités, il ne travaille pas à les faire agréables et
s’il plaît, néanmoins, c’est parce qu’il est sa victime II et ne triompheIf

impunément
n n de rien. —
— Et c’est pourquoi Dieu lui pardonnera toujours. —
— La religion des douleurs est une bonne chose, les peuples qui
s’en font un point se laissent remuer n et nous surprennent mainte
fois par des élans que l’on ne trouverait ailleurs, des grâces préve-

146
nantes et des manières
ri délicates, et l’on ne saurait quelle retenue
au milieu
Il de ces mouvements,
n n quelle justesse en dépit de ces aban­
dons et quelle habileté, malgré l’ardeur qui les emporte, un air de
politesse et d’élégance où l’on n’attend qu’une chaleur désordonnée.
Cela se voit dans tout le Midi de l’Europe. —
— L’Europe aime II la vie, elle s’afflige outre mesure
II de la perdre
et la soutient avec une fureur désespérée, la résignant avec une amer ii ­
tume
II nonpareille. Qui la remplacera demain II ? Qui jugera comme
iiiii

elle, lucidement,
n i les yeux ouverts, sur le penchant de la ruine ? —
— Personne, il n’est personne. —

CXXIV. Spirituel Ceux qui défendent le Spirituel en l’affectant


et temporel de vertus singulières, le veulent en tout lieu
du monde et jugent le remède II avec une faveur
si véhémente
H qu’ils nous feraient mourir sans nul tempérament. II

En nous subordonnant à la tutelle du divin, ils pensent nous régir


si doucement
II que la rigueur y perdrait de sa force et tiennent leur
pouvoir si légitimeII qu’ils sont en droit de nous anéantir, dès les
préliminaires
II de sédition. Loin d’être ménager, n il n’est de règne plus
cruel et Dieu n’est jamais II si honteusement n servi que par ses clercs.
Un ordre dit spirituel s’ingère de nos libertés couvertes, ne nous
laissant pas même
n n une ombreII de franchise, il nous divise contre
nous et quand il ne nous force à nous abasourdir, nous rendant
hébétés, il nous oblige à l’imposturen et nous contraint aux fourbes
les plus noires, nous mettant
n en demeure
II de choisir entre une ser­
vitude flétrissante et des manœuvres
n dignes de mépris.
II Ce règne-là
suscite un mille de niais et quelques monstres. L’absurde en est
le principal ressort. Il vaut donc mieux n le séparer d’avec le Temporel
que l’on n’hésite pas d’y ménager n et dont les attributs ne cessent
de grandir, un Temporel
II où le profane est à l’abri, mis ir dans la dé­
pendance de nos lois et nous servant à point nommé. iiiii Cet ordre-là
ne vise qu’à l’utile et se contente du probable, il nous astreint à
quelques redevances, mais notre sentiment II ne le remue n guère, il
a la religion du succès et ne démêle II notre contenance, il nous méprise n

mainte fois ou se contente de nous ignorer, dès le moment n qu’il


nous juge en surnombre, il veut des instruments n apparemment mu do­
ciles, des bras, des jambes et des têtes : du demeurant n il ne fait cas
et nous n’y perdons rien. Ce règne-là nous semble plein de marges, II

de retraites et d’enfoncements n ; il ne nous prend qu’à la surface,


jamais
il de haut, jamais
n de loin et ne nous suit jamais II en notre pro­
fondeur dissimulée, il est une incidence, au lieu que l’autre semble fl

une possession inassouvie.

147
CXXV. Embûches . Point de police véritable où nous ne séparons
du spirituel le Temporel d’avec le reste. Il n’est péril si
redoutable que le mélange
Il impur et la doc­
trine ne s’ajuste guère aux lois. Les lois ne visent qu’à nous pré­
server et nous punissent d’avoir mal n agi, quand la doctrine nous
excuse trop souvent sur les intentions et nous délie, à raison d’une
repentance. Les peuples uniment n religieux commettent des forfaits
étranges et de bonne foi, car les penchants inavouables leur demeu­
rent, dépravant règles et modèles. Où l’on se juge en paix avec le
ciel et vit en l’assurance des faveurs divines, les pires dissolutions
ne manquent de lever la tête et les régimes n dont les clercs font jouer
les ressorts emportent un augment n d’abus et de mensonges.
n Qui
se réclame des lois invisibles prend de singulières libertés avec les
nôtres, il sape et mine l’édifice par le haut, il nous demande n de
surseoir à nos affaires, laissant agir le tribunal céleste. Voilà de fortes
garanties et de suprêmes n assurances.

CXXVI. Faiblesses Tout moyen


If qu’on emploie
n est une fin con­
du spirituel traire à celles que nous poursuivons, s’il est
indigne des fins imparties.
n C’est la raison
que les doctrines les plus éminentes ne manquent
n de se pervertir
et que la pureté de nos religions réclame H des malheurs
H illustres.
Nulle institution ne se déprave aussi rapidementIf que celle qui se
juge au-dessus de nos lois et ne relève que des siennes, rien ne l’ar­
rête dans sa chute.

CXXVII. Abus en la religion Un peuple chichement n nourri,


vivant dans une langueur per-
manente,
n à la merci
n d’une chaleur humide
u et de diverses pestilences,
facile à conquérir et trop soumis
n aux maîtres avenus, dont les rébel­
lions sont davantage à l’indolence qu’à la frénésie et tiennent quel­
quefois de l’une et l’autre, endure plus qu’il ne surmonten et, loin de
secouer le poids de l’existence, y voit commen un empêchementn abo­
minable
H : il n’envisage que la liberté de l’immobile
iiiii et la sereine man ­
jesté de l’indivis, il aime la confusion dernière et prêche l’abolition
de toutes les mesures,
II il se veut fondre et non délimiter II et n’être
plus, sans laisser de jouir, il se dépeint une béatitude où l’âme n est
dans le sein d’une vacance générale, plongée en une infusion qui
la rend irréelle en tant que sa réalité. Formant
n d’incestueux désirs,
il multiplie
n cependant, il se déborde en niant l’univers, il grouille
à la surface, il emplit son domaine et se lamente u en refusant de se

148
plier aux lois de l’évidence, où dans un monde
H qu’il juge illusoire,
sa déchéance ne l’est point et sa misère
n inégalable. Que si la foi peut
être l’ennemie
H de l’espèce, l’Inde le montre
n au souverain degré.

CXXVIIL Religieux com­ Les pires adversaires ne sont pas les


plices de l’inavouable
I furieux dont la brutalité met II les
empires de niveau, mais n les méchants
habiles qui ménagent
H la victime et s’emploient
n nommément
H n à l’avilir,
tout en gardant un semblant de justice. Ils viennent dépouillant
et divisant, ils pressent les secours, réforment ii les abus qu’ils édifient,
ils lâchent prise à dessein d’aller plus avant, ils nous découvrent
leurs scrupules, maisII tout cela ne fera point de conséquence et s’ils
louvoient apparemment, lllll c^est qu’ils se trouvent de loisir : ils nous
endorment
n à dessein de renchérir sur une atteinte et de la savourer
où nous prenons le change, voulant que leurs retournements n nous
tiennent en alarme. H Le but de ces méchants
ri habiles est d’associer
une victime II à leur manœuvre
u et de la rengager dans une servitude
sans ressource. Voyez tel conquérant avide, impitoyable ii et cruel
à plaisir ! Des hommes n l’accompagnent,
n pauvres, charitables et
pleins d’éloquence melliflue,n ils s’établissent parmi les victimes n

étonnées, ils les secourent doucement n et les assistent contre leurs


pareils, en ne laissant de leur persuader que la révolte est inutile
et les désirs coupables. Voilà-t-il pas des maîtres h: plus terribles ?
La gent conquise est divisée et le pouvoir de l’étranger s’assure
doublement
ri par le canal des hommes hui charitables, lesquels s’efforcent
d’affaiblir tout l’odieux d’une rigueur permise ri à l’avantage des
auteurs, dont ils se rendent les complices.

CXXIX. D’une autre charité II est plus charitable d’ameuter


ri le
peuple que de l’abêtir et qui le
persuade de son infortune a démontré
n qu’il le juge estimable, encore
qu’il l’entraîne en pure perte, et même
ri là, même
n n en l’abîme sous nos
pieds, il est des hommes dignes de mourir,
n n
de hautement mourir
et qui le savent ou le sentent.

CXXX. Mystiques et tyrans L’égalité de sépulture et dans la


mort,
n la belle impertinence que
voilà ! et la mauvaise consolation ! et le piteux raisonnement n !
Je n’en connais d’aussi niais que celui nous remémorant
n n l’état où
nous venons au monde, en l’appareil des anges ou des bêtes. Ce
que nous fûmes
ii ou serons ne nous importe
n en rien et, tant que nous
vivons, la seule tâche est de nous mettre
n par-dessus les autres. Ah !

149
qu’ils méritent
H qu’on les foule, ceux qui se laissent abuser et se con­
solent moyennant sophismes II ou chimèresII ! Qu’ils le méritent et
qu’on les écrase bien, pendant qu’ils prient pour leurs maîtres II jugés
assez malheureux
n par ces victimes
II délirantes ! Mais l’ordre a besoin
de semblables
n: fous et cherche à les multiplier
II : ils nous épargnent
des soins incroyables. Il n’est de meilleure
II alliance que celle des
spirituels aveugles, que les despotes ne l’oublient point et qu’ils
nous passent incartades et phébus ! Les mots obscurs et les sentences
ampoulées ne dissimulent pas toujours l’idée de rébellion et l’on
apaise les mutins
II en les rendant stupides. L’utile des mystiques
H est
d’abord de brouiller les intelligences bassement n nanties, qui prennent
feu pour tout ce qui les jette dans l’étonnement, n et d’arrêter les bons
esprits sur un dilemme
iiiii insidieux et fascinant qui les empêche mer il ­
veilleusement
II d’agir et de nous menacer
II !

CXXXI. Que nul n’est De tel ou tel régime ii nous savons qu’il
l’ennemi
II des forts nous promet II une merveille,
n à condition
de l’attendre au lieu de se dédommager
sur l’heure. Nous y vivons comme iiiii en haleine au sein du provisoire,
avec pas Jmal
II de sûretés, mais
•! en peinture, et convaincus à l’insu de
nous-mêmes, de peur de nous désabuser. On a tant espéré que l’on
répugne à revirer de bord et s’enracine, inaccessible à tout secours et
le complice des ennuis indignement II soufferts. Avec cela la plainte
est générale et nous n’avons de bonheur qu’en ombrage, nos direc­
teurs assurent qu’ils répondent de notre avenir et gagnent sur le
présent infidèle, et nous nous laissons emporter à toutes les remises. ii

J’avoue qu’il en est de même


n n ailleurs et qu’on nous promet la mer n ­
veille depuis tant de siècles que l’histoire en semble celle de l’espèce.
La vérité profonde est qu’il se faut payer de ce que l’on désire et
primer
II sur le demeurant,
h que nul n’est l’ennemi il des forts, si tant
est qu’on ne puisse les abattre, et qu’après une vie de triomphe et
de prudente iniquité nous trouverons assez de prêtres pour nous
bailler une absoute solennelle, heureux de ce revirement II dont ils
savourent l’importance. Le repentir des seigneurs de la guerre
illustre davantage les maximes
IT n des spirituels que le chagrin des
pauvres hommes,II dont les péchés sont aussi misérablesH que la vie.

CXXXII. De l’homme Que le divin protège l’homme en la


et du divin menace
II du permis
II et du possible ; que
l’homme, sans les dieux, est impensable
et ne remet
II sa latitude qu’à l’événement,
n le jour qu’il ne se déborde
pas ; que l’homme
IIIII seul n’est même
n n plus humain et n’ayant d’autre

150
choix que de se faire objet ou monstre,
Il n’est jamais
n libre de vouloir
ce qu’il assume
li et qu’il usurpe ses consentements.
n D’où vient que
ce qu’il fait de sa personne est rondement
n capable de l’anéantir
et l’univers en sus.

CXXXIII. Ressource et probité Que l’esprit délié ne s’accommode


pas d’un certain fonds de probité,
vu qu’il est toujours en effervescence et semble II voler en dix lieux
d’un même
n u mouvement,
H qu’il est en peine de solutions, non faute de
moyens,
n mais
u attendu leur nombre
II et qu’il discerne trop lucidement
n

son avantage. La clairvoyance est un empêchement H de marque


n et
l’on s’honore bien d’être sagace où l’on rougit de ses mécomptes.n

L’habile a la religion de l’art et l’homme


H de ressource est trop enclin à
faire usage de ses facultés, sans penser à grand mal, et nous ne pouvons
le mener
II à la vertu qu’en le piquant d’honneur ou l’animant u à lever
des traverses, heureux si nous y parvenons ! Un tel esprit n’y voit
qu’un art de plus et la manière de s’y prouver sa finesse, pour lui la
vertu n’est qu’un jeu qu’il sied d’apprendre et nous n’avons guère à
le détromper,
II l’abandonnant à l’exercice et le tenant à la contrainte.

CXXXIV. De l’animal Quise refuse à croire en Dieu ne saurait


il étaphysique faire état de l’homme et n’y discernera
qu’un fuyant assemblage, amas de mo­
tions et de modules, jeu d’ombre et de lueur, faisceau d’aheurtements
et de tutelles, mais
II point de nœud d’où l’univers rayonne et point
de centre où le réel doit aboutir ; il n’y discernera que fumée n ou
bassesse, des mouvementsII à défaut de mesure
II et des lambeaux
n en
guise de principe : un tel, en fait de chair, en a suffisamment pour
qu’elle saigne et qu’elle serve, et non pour qu’elle signifie, il devient
irréel sitôt qu’il se prononce et nous ne le souffrons qu’à dessein
de le subvertir. La raison d’être de l’humain ni n’est pas en l’homme
ni n

et jamais
n hors de l’homme
iiiii : elle est en lui par ce qu’il a de pleinement
n

divin et hors de lui par ce qu’il semble n à nos regards. Meilleur qu’il
ne le pense et plus méchant qu’il ne le veut, il est plus faible mille
fois qu’il ne consent à l’avouer, et valant moins n qu’il ne s’estime,
n

il représente plus qu’il ne saurait le concevoir, où Dieu seul est mesure n

de l’humain, lequel est sans mesure il d’homme ri’ à l’homme.

CXXXV. Des faux spirituels Considérer la mort


n fait l’entretien
des plus habiles. Les saints n’en
parlent pas autant ni mieux
ii que les bailleurs de piperie. La mort
n

ne justifie qu’elle et ne nous prouve que les sentiments


n dont on

151
l’affecte. La paix de l’âmen est le premier
n des biens, le seul qui fruc­
tifie en abondance et malgré
n les privations, le seul à la mesure
H de
l’humain
II et le conciliant avec soi-même,
n n où tout l’entrave ou le
déchire, et l’assoupissement
n ne nous en montre que l’imageH la plus
fausse. La paix de l’âme
n ne saurait être un sommeil
lllll de nos puissances,
mais
II leur union triomphante.

CXXXVI. Honneur de Que l’esprit d’examen


n n’est pas à rejeter
l’esprit d’examen
II et qu’il est une marque
n de l’humaine
II

digilité. Que si la foi mérite


n nos égards,
il n’est pas toujours convenable de la recevoir les yeux fermés II et
quel qu’en soit ou l’âge ou l’étendue. Les peuples vivant au facile
inclinent à verser dans les chimères
II closes. Pour n’avoir entrepris
d’asseoir l’entendement
II dès le principe, il devient exigible de la
fournir d’inspirations ne se fondant qu’en elles-mêmes,i.i de l’étayer
de boursouflures et de nues, de l’entourer d’un monden imaginaire
H

où les puissances jouent à se perdre et l’âme


II se détend à s’employer
aux visions qu’elle démêle.
II

CXXXVII. La vanité Le châtiment


II des peuples qui s’alarment
II

du ridicule sur le ridicule et n’oseraient franchir le


pas, peur de manquer
II de grâce ou dans
l’attente de se mettre en meilleur
II train, est de languir et de se remuer
II

loin du sublime,II puis de s’ôter jusqu’aux moyens d’y tendre. A


craindre la risée, on gagne le mépris
IT et se désigne comme un raison­
neur de basse taille. L’orgueil ignore l’ironie et ne s’attache qu’à
ses fins, mais
it une nation sujette aux gourmandises
II de la vanité
demande
ii aux autres de lui prouver son mérite. Le vrai sublime n n’est-
il pas en la témérité
n que l’on veut absolue à proportion de la mise
n ?
Et notre mise n est-elle pas l’engagement
II dont rien n’approche ?
La mortn efface tous les ridicules de la terre et qui la voit sur la ba­
lance a-t-il sujet de craindre?

CXXXVIII. Ordre et foi Nul homme ne nous laisse en sûreté,


quand nous ne disposons d’un autre
qui le garde et nous devons commettre un tiers à leur commune lllll

surveillance, en tâchant néanmoins qu’ils ne se liguent tous en­


semble et qu’ils répondent solidairement de leur intention la plus
couverte. C’est par la foi dans l’irréel que les réalités demeurent,
II

que les états se fondent, que l’homme


lllll endure l’évidence, que notre

152
vie est supportable et que la mort se légitime
II : nul ordre, et fût-ce
le meilleur,
il n’est en mesure
ii de nous apaiser à l’aide d’arguments
H

tirés de la logique. Nous valons mieux


II que les raisons les plus
flatteuses et les promesses les plus raisonnables.

CXXXIX. L’âme
II et le monde II est plus malaisé de contenter
son âmeH que le monde
II : qui
satisfait à l’une est dans le cas de se passer de l’autre et qui se voue
au monde
n est toujours affamé
H de sa louange et porte en soi le chasme II

où l’univers peut s’engloutir, sans qu’il nous rassasie. Je prie Dieu


de me
II changer à ce qu’il est et je sais bien que les profusions n’a­
paisent mon attente, où j^-ne suis celui que je dois être. Mon âme H

se connaît plus qu’il n’en semble et se mesure de justesse, mes II men-


If

teries ne l’émeuvent
II point et j’ai beau faire qu’il ne reste en moi II

ce rien que l’univers n’a les moyens


II de rompre et qui me
II juge. C’est
pour ce rien-là que les cités flambent.

CONCLUSION

L’homme
IIIII est le temple
II de la solitude en l’océan de l’univers et
la présence même II II de l’esprit au sein de l’œuvre qu’il emporte, il
est raison de tout ce qui respire et fin de tout ce qui se parachève,
un centre se mouvantII de monde
il en monde
II et le constituant à la
dérive de ses pas acheminant n l’abîme que ses règnes ne sauraient
emplir
II et que Dieu seul déborde, afin de Se conjoindre.
Doux est l’empire du néant, douce l’approche de la mort II et le
sommeil la citadelle des félicités, mais II' nous n’avons pas à fleurir
le tombeau de nos jours, nous vivons dans le monde II pour le subjuguer
et le marquer
II du sceau de nos merveilles.
II Hors l’homme,
iiiii le réel n’a
point de sens : n’ayant le droit de le nier et les moyens n nous manII ­
quant pour le fuir, il ne nous reste qu’à le transformer n jusqu’à ce
qu’il nous serve. On ne peut renoncer qu’à ce que l’on possède : il
fallait posséder d’abord. Nous sommes IIIII le domaine
II et le rempart.
II

Hors nous, point de limite II et point de liberté.

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LIVRE QUATRIÈME

DE L’ART

I. La vision de l’homme Si l’homme n voyait dès l’abord tout ce


que l’œil embrasse,
n il en éprouverait
de la confusion et ne saurait où donner de la tête, il serait mis ii au
désespoir devant une affluence immodérée,
nlif il en immolerait
iiiii très
volontiers l’exubérance, afin de disposer de moins et de le faire
mieux
il servir. Il a donc ce bonheur de ne pas même ri n discerner les
objets inutiles, bien qu’ils ne laissent de tomber
il sous le regard les
effleurant, avant que l’un ou l’autre le suspendent ou le fixent.
Ce sont là les préliminaires officieux de notre intelligence et les plus
libérales facultés qui nous instruisent, sans demander
n de notre part
qu’une faveur minime, en l’occurrence de les ignorer.

II. L’inconnu dans Qu’il est des impressions générales faisant


le connaissable
i œuvre de pivot, sur quoi le demeurant
u vient
à tourner, enveloppant ce qu’elles nous an­
noncent et ce qu’elles retranchent, qui semblent fixer un ensemble
cohérent d’états mis
n en leur dépendance et dans lequel elles se
gravent, à jamais
n indélébiles, impressions
H qui nous résument
IT l’uni­
vers et nous le rendent familieril en nous en dérobant, au reste, les
apparences insolites. Or, une vision fidèle, articulant les faits,
éprouve de la répugnance à demeurer II sur la réserve et s’anime
il à
tout rompre
II : au sein du connaissable, elle se porte à l’inconnu
qu’elle envisage sous le même
II jour et se délecte à se désabuser dans
les matières les mieux décidées, accréditant ce qu’elle est seule à
pressentir et multipliant
II le réel à force de creuser le vague. Le but
du philosophe est de tout déserter et puis d’y revenir dans un degré
plus éminent
II et de plus loin, afin de briser les marchés
II conclus au
préalable et de remettre
II' les litiges en balance.

155
III. Du jugement
Il En toute singularité, nous discernons des ru­
diments
n qui peuvent se communiquer à l’aise
et rentrent dans l’alignement il des règles les plus générales, on les
réduit sans peine à la formule II la plus nivelée, en l’occurrence les
proverbes, mais n il en est de moins n communément
IIIII II reçus et qui de­
mandent
II une mise
n à part : il faut les définir et leur attribuer un juste
emplacement n dans l’ordre des catégories, fût-ce en les dépouillant
sans trop de retenue ; et puis l’on en dénombre n de plus richementII

subtils qu’il nous importe II de sentir, manière


If d’éléments
II intrans­
missibles
II à la pure connaissance et tombant davantage sous l’amour II :
ceux-là, nous les avons à pénétrer en ne manquant n de nous ouvrir
nous-mêmes,n n de mode qu’ils nous parlent, sans qu’on ne laisse de
les inventer et qu’il se fait un mutuel échange, où les puissances
gagnent et l’entendement h s’affine ; en dernier, il est de ces éléments n

qui se refusent avec un empire n tel qu’il n’est moyen de les déterminer, n

pas même
II ill
—________ ■
en les aimant
h à la lumière de l’ intelligence, ils semblent
emmurés
mil ou vagues ou ténus, ils se dissipent ou se cachent, ils
s’involuent ou s’altèrent : sur eux, nous n’avons de puissance,
mais
n ils effleurent quelquefois les régions où l’âme n se délie et les
meilleurs
n d’entre les hommes ni ri ont privilège de les percevoir, quand
ils s’efforcent de les vivre.

IV. Le culte de l’empêchement


n Pour l’ordinaire, on juge sur
l’effet, lequel fournit une réponse
dans les formes,
n mais
n ne démontre que ce qu’il avance et rien de plus.
Il serait pertinent de nous incommoder
n et de ne plus languir à la
surface, et l’on a part à l’évidence où l’on diffère d’y céder : dans
cette vue, on est conduit à mettre
n les dilemmes en balance, à ne
les point trancher devant qu’on les épuise, à faire empêchement n à
ce qui les accorde et les ramène
n à des solutions hâtives ou préli­
minaires, à rendre toute chose plus difficile qu’elle n’est, à renchérir
au lieu de se reprendre ou de se vainementn multiplier
it à contresens.

V. Simplicité dans l’innombrable Le Beau n’est jamaisii simple ou


l’est infiniment
H et l’on peut dire
alors qu’il n’est simplicité
n qui tienne davantage : on admirait la
forme
n la plus nue, on la contemple et la retourne, on l’analyse, on
vous la dissocie, l’on y dénombre mille n et toutes merveilleuses,
ii

c’est l’harmonie
n la plus achevée, un monde
n à l’unisson et le miracle
n

en permanence
n ou mieux : c’est une fugue aux sujets inlassables
dont les parties se dérobent et s’enchaînent, un mouvement n issu

156
de tous les antipodes, le branle et l’entrelacs de files d’alternances
et c’est la théorie la plus savamment lllll distribuée, une manière
n de
ballet où chacun se prodigue et se dépasse, mais n nul ne se dérègle
au détriment
n de la mesure.
n La beauté semble un accomplissement
n n

et l’on dirait qu’il n’est loisible d’y changer une ombre,


n elle est comme
u

une sphère où rien ne manque


n et n’est de trop, vu que tout s’y ba­
lance.

VI. Débat sur Fart Tout jugement n se désavoue où notre appui


de bien juger se change et la créance la plus ferme n est à
la merci
n de l’événement.n Qu’on envisage
l’homme
nui en partant soit des hardes, soit des formes n vives de son
corps et la beauté ne saurait demeurer n en place. —
— Tel siècle juge moires
n ou lampas n et tel fait cas des seins ou
de l’épaule ; un dameret
n de l’un, cousu de pierreries et dont la Cour
raffole, est à nos yeux un avorton aux membres n grêles et pointus ;
nos élégants du jour eussent paru des rustres basanés et l’on se
serait moqué de nos femmes iiiii dans le temps n qu’on les aimait
rn plus
grasses, le dos rond, le col penché, le ventre épais et la charnure
torse. —
— Nos mœurs souffrent la nudité, nos vêtements la dissimulent
à demi,
n mais
n l’œil traverse le costume n en se jouant et les atours
ne l’embarrassent plus, pas même n if ceux des siècles difficiles ou mo n ­

destes : simarres
u et pourpoints, paniers et vertugades s’effacent à
l’envi, le jour se lève et, comme ni i r au Jugementn Dernier, le monde
se dénude ! —
— Le Beau ne saurait plaire à tous les coups ni faire impression
d’emblée et, du consentement n des juges les mieux ir avertis, il ne s’en
trouve guère en état d’accorder les hommes nui : on voudrait l’unisson de
leurs suffrages, c’est une voie impraticable et l’on ne peut que s’en
tenir à des tempéraments,
n où l’on rêvait les cohésions les plus vives.—
— Il sera force jugements
n fermés n à notre émotion et des esprits
doués se refusant à notre flamme ou même n n souriant de nos trans­
ports, et d’autres resteront sur la réserve en feignant de les partager.
Le Beau n’existe pas en soi, mais n par bonheur l’on en dénombre
mille
n et dans chacun le reflet de son absolu, le Beau n’est qu’un
prestige de l’imagination,
ri un être de raison et qui ne vit sans le
secours de la pensée et, quand il semble précéder l’humain n discer­
nement,
n nous tirant au dehors de nous, sachez qu’il en dérive et
qu’il en fournit l’abrégé. —
— Le goût l’évaluant, que dis-je, le formant n à nous le rendre
plus sensible, ce goût nous enveloppe et nous résume, H il part de nous

157
et nous revient conjointement tt avec le Beau par un système mitigé, Il

ce Beau n’est plus tout ce qu’il est. —


— Il est sans doute moins. —
— Mais il l’est davantage, il est ce moins dans un degré plus
éminent,
n il approprie son langage à celui de nos inclinations et qui
l’infirme
u nous atteint.—
— Le Beau tient de la jouissance, il tient à nous au travers d’elle
et nous sentons qu’elle s’en aide, elle réside en son impulsion, il
plaide merveilleusement
•I II sa cause et l’homme fait son divertissement II

de l’un comme de l’autre. Le Beau ¥ dans l’ œuvre d ’ art est le canal


où les plaisirs se jettent, il les assemble et les remultiplie, II il les rend
solidaires : l’on manifeste son délice et le prolonge sans déguisement II

par la commodité
II de l’assouvir, c’est une surenchère où les plus sen­
suels sont les plus glorieux et les mieux n retenus les plus cou pables. —
— Le sens de juger avec art se forme u au sein des cabinets, il ne
réside pas ailleurs. Une œuvre doit servir d’exemple et ne souffrir
d’écarts fâcheux, qu’il est toujours facile d’y glisser à la faveur de
la confusion et du tumulte. II —
— Le Beau n’est pas absolument ii ce qui nous touche et dès
l’abord, nous le devons connaître et mainte n fois le recevoir pour tel
avant que de former II un jugement u à son égard. Il est de règle à la
mesure
II de nos facultés et du ressort de nos maximes, n u il ne peut rien
sur nous, à faute de prévention et les beautés en apparence les plus
naturelles n’émeuvent
II que les délicats. —
— Oui, les sauvages goûtent moins l’éclat d’un site ou les appas
d’une charnure que l’homme IIIII issu d’un pays où l’on en raisonne et
l’on a d’excellents tableaux. —
— Leur vision est d’ordinaire basse et pleine de ressouvenirs
tenant au lucre immédiat, quand la magie u ne s’en mêle.II —
— Eux qui vont nus, ils se déforment n à plaisir, ils se mutilent
volontiers et ne rougissent pas de nos haillons, ils ne discernent
guère les richesses de la forme II dépouillée et, bien qu’ils leur ressem II ­

blent à l’occasion, ils ne savourent point le Beau des effigies selon


la modèle antique. —
— L’art veut que l’on excelle à faire son étude et plus nous nous
rendons savants, plus nous en recevons de voluptés et justes et sub­
tiles, plus il se fait valoir et moins nous l’épuisons, car il ajoute à
ce qu’on lui décerne et multiplie
u ce qu’on masse.H Il faut aller à lui,
la tête et les mains
II pleines, moins n innocent que prévenu, de peur
qu’il ne nous touche pas et mieux n vaut redresser un jugement II falla­
cieux que de n’en point avoir, il est admis de prononcer en se moulant
sur d’autres, le goût se formant II à mesure.
II —
— La plupart sont persuadés, que pour le Beau, c’est assez que

158
d’être sensible et d’en jouir, le demeurant Il leur semble de surcroît,
ils s’en dispensent volontiers, les préambules raisonnés les engour­
dissent, les théories les assomment, n ils font naïvement n les entendus,
mais
n ils se flattent de ne rien savoir et jugent que c’est preuve d’in­
nocence : ils vont au Beau d’un air inimitable, n demandent
n qu’il les
serve et qu’il les divertisse, il le leur faut solide et néanmoins léger,
avec un soupçon de finesse, un peu de bâtardise et de la complaisance n

au souverain degré, le Beau d’usage qu’on savoure et qui chatouille


sans nous remuer n outre mesure.
n La pureté les met n en défiance et
la rigueur les incommode, ils n’aiment n nullement
n les raisons péremp­
toires, ne voulant guère qu’on les dépayse, les grandes vues les
offensent, leur inclination se partage à l’accoutumée n entre le vague
où l’on se perd et les formules
n bassement n enflées, ils louent la sottise
pathétique et les allures redondantes, le mélodrame n n; les ravit, les
balivernes les transportent. —
— Mais le réel en ce qu’il a de dépouillé, de nécessaire et de tra­
gique exerce trop leur âme ri et leur démontre enfin qu’elle est
ignoble. —
— Ils seraient bienheureux de ne l’avoir appris ou d’être seuls
à le conjecturer ! —
— Or, ce réel va joint au Beau, jamais u' le Beau ne le déprime ii

il en respire l’exigence, il en observe la sereine retenue, il est tout


comme lui dur et sublime, n énamouré de tension et demeurant n: en
elle, il fuit les lieux de sûreté, dès le moment qu’il ne les fonde, il
dément
n qui ne lui résiste : les moyens assurés et les formules n infail­
libles il les éprouve derechef à suivre des voies inconnues. Le Beau
demande
n la plus longue étude et nul n’y passe maître, n à moins
n de
renchérir sur les obstacles. —
— Le Beau semble affecter les sièges du plaisir. —
— Mais c’est par dépendance de l’acquis, il est besoin qu’il s’y
réfère et qu’il s’ajuste aux raisons préalables, il n’entre que fort
peu de naturel en ce qu’il nous imprime n et les ravissements
n les plus
naïfs nous semblent concertés. Et véritablement n de quoi nous peu­
vent-ils instruire que l’on ne sache dès l’abord ? Mais il fallait l’ap­
prendre et qui l’a négligé reçoit moins il de plaisir, où toute suffisance
est un empêchement, ri les plus savants sont les mieux n partagés et la
matière
n nous couronne où nous lui donnons le prétexte. —
— Pour démêler,
n il est expédient que l’on discerne et l’on dis­
tingue mal n ce qu’on ne délimite n pas. Or, on ne détermine rien, à
faute de leçons et, quand elles nous manquent, u un âge d’homme iiiii

n’y pourrait suffire et que d’erreurs et que d’écarts de jugement,


que de lumières à l’aveugle et de fins prétendues ! Vaines embûches, n

s’il est vrai qu’on les déjoue en prenant de l’école ! —

159
— Nous accordons parfois qu’un art veuille entreprendre sur
tel autre et s’établir en un domaine inattendu, mais, H à l’épreuve,
l’audace est dommageable et la prétention mortelle, la moindre H

conséquence en est le général déplacement II des bornes, qui fera


naître les subtilités frivoles dont souffrent et les styles dépouillés
et la grande manière.
II On ne saurait porter l’habileté plus loin. —
— Encore n’est-il jamais IT sûr qu’on en revienne et là réside le
péril, car l’un s’oblige à doubler l’autre et les suivants rougissent
d’être en reste : où le premier II n’osait, le successeur s’emporte
II et
les derniers venus paraissent voler sur leur trace, en moins de rien
voilà tout en rumeur
II et tout bouleversé, le bon goût se déprave et
l’on réclame
II innocemment l’indu. —
— L’on veut des peintres philosophes et des sculpteurs qui
sachent peindre, des musiciens
II architectes, voire géomètres et des
poètes symphoniques,
II il faut qu’un édifice chante et que l’argile du
potier raisonne, on sollicite l’ineffable et l’on se vante d’en jouir,
on touche au dénoûmentII dès le principe et l’on ne laisse d’enchérir
sur les diverses fins, les lignes se renversent et les supports s’é­
branlent, les règles se gauchissent à l’envi dans une véhémence II

péremptoire et l’on ne remédie n plus à leur écart, nous renvoyant


sans cesse à de nouvelles impostures,
n l’esprit n’ajoute plus à la re­
cherche, il la subit dans l’épouvante, elle l’excède et le replonge en
un chaos industrieux, il rêvera bientôt de l’abjurer, il vise à la rudesse
il ourdit d’âpres lois et sous la langueur énervée de ces mi II ­

gnardises...—
— Il forge, appesanti, l’éclat des lendemains II barbares ! —

VII. Traditions à renverser En dernière analyse, l’art gagne par­


fois à l’oubli des traditions impor II ­
tunes, il en reçoit comme une impulsionII nouvelle, au moins
II en de
certaines rencontres, et leur absence, à l’ordinaire désastreuse, nous
semble
II un bienfait à l’occasion. Les grands modèlesII nous écrasent,
dès le moment qu’ils cessent de nous animer, II il vient un temps
II qu’ils
ferment
II l’horizon, nous rendant leurs captifs, nous faisant ramper
sous le joug des fausses bienséances, nous ôtant les lumières II natu­
relles, le sens de juger avec art et tous les moyens d’aller plus avant.
Que l’on souhaiterait alors de rompre les idoles ! de retrouver un
semblant d’innocence et de se frayer une voie où nul n’aura passé
devant nous-mêmesn II ! de vider la querelle seul à seul et non dans
l’ombre de nos cimetières,
II parmiH les règles éprouvées, les marques
II

infaillibles et l’appareil des lois qui ne se faussent plus ! Le vœu


secret des maîtres
ir est la solitude avec le droit de la peupler, le bri-

160
sement
H de ce qui les devance et l’oubli général de ce qui les annonce,
le privilège de tuer les morts, sans laisser de vivants en place, à la
réserve d’épigones. Ce vœu ne change point et le réel le frustre,
disons-le, fort heureusement,
n mais
n il demeure
H que l’on gagne à
mettre
H aucune fois les normes
n en sommeil, non par immodestie n et
non par impuissance, à seul dessein de tenter l’aventure et revenir
au port, chargé d’une dépouille magnanime.
II il Il faut diversifier
l’évidence, il faut que surabonde le possible et qu’on néglige de
louables intérêts dans la pensée d’en former il de plus nouveaux,
que l’on rebute l’indolence, évitant de rebattre les sujets que les
générations épuisent à la longue, à moins n qu’on ne les restitue à
leur jeunesse à les parer de séductions imprévues,
n de celles que l’on
attendait sans les attendra et qui remplissent
n tous les vœux qu’elles
font naître.

VIII. Échelles de l’inattendu Dans les sujets qui se présentent,


l’art ne hait nullement
h l’inattendu,
lui sachant gré de le piquer d’honneur en la substance de l’alerte
et se donnant des sûretés nouvelles et plus fortes. Voilà d’aimables
n

embarras que l’on souhaite et qui nous mettent n en épreuve ; ils


nous ménagent
n des facilités de cela seul qu’ils les reculent et l’ordi­
naire se fait jeu si l’on est aise de l’entrave, l’obstacle surmonté
fournit à l’abondance et lie mieux
n les éléments
n qu’il avait disloqués
au préalable : rien de pareil à l’union que l’on adopte en l’exercice
le plus continu, rien qui la désassemble et ne lui cède par degrés,
cela passe nature et fait provision d’autorités, cela dérange le réel
et le complète, cela déroute l’évidence et la redouble, c’est pro­
prement la marque
ir de l’humain,
n élu sous la menace.

IX. Louange de l’incertitude Mes frères en esprit, aimez


n l’incer­
titude et révérez le tremblement,
n

mais
n que ce soit afin d’aller aux certitudes solennelles, devers les
climats
n étoilés où l’âme
n se surmonte et ne craint plus que d’être
indigne de la source. Là nul ne tremble en vain et nul ne doute à
l’avenir, où nul ne s’interroge plus et chacun sait répondre.

X. Leçons de l’ignorance Pour sentir la conformité


ni des membres
n n

qui nous soutiennent dans la marche,


n

il est expédient de savoir trébucher et le rapport de cette gaucherie


à l’art d’évoluer avec désinvolture ajoute à la dernière un agrément
ri

11 161
inépuisable. De même
n n ailleurs. C’est demander
n quelques leçons à
l’ignorance, mais
n elles sont à rechercher et mettent
ii l’hommeH sur
l’inattendu, trouvaille digne de remarque
II et dont l’attrait n’efface
point ce qu’il relève. Ainsi l’on gagne l’innocence en partant des
lumières
II décidées.

XL La réticence désirable Que la beauté ne saurait être familière


ii

impunément
n et n’émeut
ii. l’homme
qu’autant qu’elle s’en éloigne en ne laissant de le violenter ; que
l’homme hait ce qu’il atteint‘et qu’il se lasse un jour de ce qui se
dérobe, énamouré de qui le touche l’éludant et le pénètre inaltérable.
Donnons à l’homme
iiiii plus qu’il n’en demande
n et lui montrons en
n ême
n temps qu’il n’a rien obtenu !

XII. La rigueur indigente En la rigueur extrême n il est un aveu


de faiblesse et seul le fort impunément n

se joue à qui le désassemble,


n et seul le fort a moyen
n de s’en éclaircir.
Le fanatisme sied à qui pense uniment n et ne metn d’arguments
n en
l’intervalle, à qui s’attache et s’ôte l’esprit d’examen n ou de retour,
ne pouvant se lier s’il ne s’aveugle et misérable
ii dès qu’il ne se lie
point : il veut l’acquiescence impartageable,
n la servitude sans res­
source, la foi sans preuve et l’absolu sans rien qui le traverse, et
tout cela de peur de se juger ou d’être le garant de sa démarche. h

En la rigueur il est un tremblement n subtil, un bruit de chaînes et


de plaintes, et par-dessus le hurlement,n la frénésie et la démence ii

volontaire ou bien la froide dignité, la roideur solennellement n bandée


et la contention sans grâce. En la rigueur, l’homme iiiii est présent à
son absence, il semble
n qu’il l’habite et qu’il s’y fortifie, il y devient
un spasmen de superficie et sous le tourbillon duquel les eaux sont
mortes en la profondeur. Tel est le châtiment n de ceux qui ne se
gagnent pas et dont l’emprunt
n est la ressource.

XIII. Fallacieux enivrement


i A l’intuition il manque
n la mesure,
u

de sorte qu’on ne l’évalue guère.


Moyen d’approche, il convient de lui tracer des limites
ii l’endiguant
et de ne s’affranchir des modes susceptibles de la seconder. Jamais
u

elle ne vaut par elle seule et l’homme


ni il en obtient davantage en la
brusquant ou la rognant qu’en recevant d’un air soumis H les fruits
de sa démarche, car l’intuition varie à raison de l’organe et de
l’événement, et sa richesse n’a d’égale que son indigence : elle est

162
un instrument
n plein de superbe et dont la bonne foi retire de l’avan­
cement,
n à moins
u qu’il ne l’ébranle ou la ruine, et la mauvaise
n des
bonheurs solides. Elle en libère dix, elle en enchaîne mille.
ii On croyait
se passer, alors que l’on s’échauffe : l’élancement
n ne nous fait sur:
monter que des obstacles en peinture et dont l’illusion retarde
l’embarras, mais
H ne répare l’évidence et ne fournit qu’un semblant
de triomphe à notre gourmandise.
H Que j’aimeu mieux
n qui s’arme
II

froidement
II et se défie de l’ivresse, en empruntant la voie la plus
monotone et non pas toujours la plus difficile à l’apparence, en tra­
vaillant sans discontinuer.

XIV. Fruits de l’attente Pour le meilleur usage des talents, il ne


faut pas s’ingénier à les mettre en valeur
de vive force, mais
n les laisser, de conseil pris, en la réserve et jusques
au débordement.
n Les talents doivent longuement n mûrir,
n de peur
qu’ils ne s’éventent et les solides, à l’accoutumée,n se rendent insen­
siblement
r« considérables, modifiant tout l’homme et s’imprimant n en
lui, de sorte qu’il retire de leur fonds un aliment u inépuisable. Que
perdons-nous à différer où nous y gagnons le centuple et de ne jamais
rester court dans la poursuite de nos entreprises ? Le dernier pri­
vilège est de se conseiller avec le temps
n au lieu de le solliciter à faux
ou de le presser sans relâche et, si nous ne déméritons
n en conséquence
de nos voies, nous lui ménagerons
n un accueil favorable et nous ver­
rons qu’il s’en acquitte, à se multiplier
n dans les limites
n qui l’enfer­
ment : tels lendemains
n nous vengent de l’éternité !

XV. Le refus créateur Quand l’homme s’en remet n à l’apparence,


il ne demeure
n nulle part et chaque motion
le pousse en l’intervalle le plus infidèle, il paye d’un abaissement n

illinlité
ii sa trahison premièren et, parce qu’il ne s’arme n de refus,
tout l’univers secoue ses tutelles. Que le refus dans l’art vaut bien
la prise et qu’il souligne le plus beau d’une manière n inimitable
rr :
là, le dernier achèvement
ii consiste à ménager
n les vides, les profusions
se portant dommagen l’une à l’autre et les splendeurs engourdissant
qui ne démêle
n leur limite.
n S’il est louable d’exceller, on ne doit pas
surenchérir et la justesse a plus de grâce que la beauté même, n u où
le judicieux emploi relève en les multipliant les avantages qui se
perdent. De là le besoin du refus, l’appel au vide et la sagacité de
l’inégal, l’art d’animer
n un artifice et de le faire servir au dessein
de l’œuvre, où le semblable
n ne se désoblige pas à voisiner et le divers
s’accorde. De là l’utile de l’école et de son formulaire,
II les procédés

163
que Ton se passe et qu’on adopte sans nul examen, H l’habileté que
l’on déprime
n et sans quoi l’art divague ou balbutie, car le refus s’ap­
prend et les moyens
n s’enseignent. En chaque artiste il faut un artisan
et qui s’ignore à force de maîtrise.
H

XVI. Maîtrise et piperie Nous pénétrons le faible de chaque


œuvre mensongère
II et n’avons nullement
fl

besoin d’en creuser les motifs, ce faible donne souvent dans la vue
ou ne résiste pas à l’examen
H le plus léger et, s’il se dissimule enfin
par un dérèglement étrange et surprend notre foi, nous passerons
carrière sur la tromperie au nom de l’art et souffrirons qu’il nous
abuse, à la condition de nous tenir en joie ou de nous émouvoir,
mais
H ne ment
n pas qui veut et même
n n alors l’estime
n ne va guère à
l’abus manifeste.

XVII. Le débat sur La ressemblance, mais n laquelle ? On en dé­


la ressemblance nombre
n dix où l’on ne voyait qu’une, il en
est davantage et l’on ne finit de les passer
en revue, il en est tant qu’elles nous désappointent, on a beau
s’élever contre leur foule, elles disposent à l’étude la plus réfléchie
et, si nous donnons notre voix à celle qui nous flatte, il est constant,
de l’avis général, que l’on résigne par son choix une opulence in­
formulable.
n La ressemblance,
n mais
ir laquelle ? —
— Et si l’on va multipliant les traits qui nous la rendent, on ne
la porte jamais assez loin, pas même en imitant d’une manière ini­
mitable. —
— On se rejettera sur quelque subterfuge, on nous abusera de
main
ii de maître
n et ce retour à l’évidence est la défaite de l’humain. n

Quel art vain de prestiges ! —


— Voilà les aboutissements
n de la fidélité laborieuse : ils mènent
à l’inconsistance et trompent
n l’œil sans nous persuader, ils ne l’élèvent
pas à son modèle
n et l’art vaut moins,
n en dépit de ses fastes, que l’objet
misérable qu’il imite.
n —
— En la matière,
n on donne accès au recevable et laisse tout le
demeurant
n dehors, mais
n il n’empêche qu’il n’existe et détermine
le réel visible, il est le complément n de l’œuvre, un complément n à
quoi cette œuvre est suspendue, en dernière analyse, et qui s’impose n

à nous sans autre préambule. —


— Dans cette persuasion, nous dirons qu’on imite il mal
u à n’imiter
n

que la nature. —
— Nous devons en rabattre, à seule fin de l’avérer, la considérant
dans ses voies, en prévision de ses fuites. La ressemblance relevée

164
est le tempérament de tout ce qu’elle enferme Il et puis un abrégé
subtil de ce qu’elle n’embrasse pas, une ouverture sur l’informulable II

en la conduite de l’ouvrage, étrangère à ses fins, mais 11 les rendant


plus éloquentes. Il ne suffit pas d’imiter,
il il faut que l’on engendre et
nous dépeigne une création nouvelle, il faut que la réalité de l’œuvre
enserre l’évidence du moment
H et le possible en sa richesse la plus
étendue et les démontre par la même IT H voie, que le réel en l’art soit
à la plénitude, qu’il la respire et que l’on soit fidèle à force d’ajouter
à la nature ou d’enchérir sur l’identique. —
— Il est impertinent
H de se traduire et de n’avoir d’autres objets,
si l’on n’a rien en propre et manque
n de génie, mais
ü l’on fait preuve
de misère à n’être que le truchement n de ce qui nous entoure. —
— Le Grand Art joint les deux et les accorde à l’unisson. —

XVIII. Calcul et démesure


il C’est par le médiat
n que l’immédiat
ü

se surmonte et seulementn par lui. Ne


l’oublions jamaisn et revenons sur nous, de peur de nous manquer H

à ne nous employer qu’à nos défenses, nous ménageant ir un fonds


pour faire une retraite et fût-ce à la rencontre des périls. En règle
générale, nous sommes forts de ce qui nous divise et dont nous nous
rendons les maîtres. Que la raison s’allie à nos débordements IT et le
calcul aux redondances, que l’on s’emporte n en sachant d’où, que
l’on s’enivre établi dans l’arrangement n le plus ingénieux et perde
pied de science certaine, en vue de mieux n rebondir, innocent de
mauvaise
n foi, mais
II sage selon l’innocence et prévenu dès l’heure
que l’on s’abandonne ! Car la folie est impuissante et les élans des
diallèles, ils ne conduisent nulle part, pas même H hors de nous et la
démence
n est une servitude. Savoir qu’on pense est un achèvement H

en la matière
u et le plus relevé, lui qui nous fait pareils à l’absolu :
nous y gagnons d’être à nous-mêmes n n sans partage, ancrés dans le
débordement
il de nos puissances, nous devant à nos fins, nous dis­
putant à nos principes. Nous n’en voulons pas davantage et ne
pouvons tirer plus loin, c’est la limiten au delà de laquelle il ne nous
reste qu’à nous perdre.

XIX. Le loyer de La fin nous éclaircit touchant le reste et l’on


la consistance fait bien de s’en donner et fût-ce à l’aventure,
la moindre
n l’emportant
lï sur ce qui la diffère.
Il est malavisé
n de traîner en longueur des jugements
u qui nous ren­
versent, plus raisonnable de précipiter le choix et, si l’on a la grâce,
on a des sûretés formelles.
n Le loyer de la consistance d’âmeH est de
ne jamais
n s’abuser entièrement,
n son privilège d’oublier jusques à

165
la prudence et d’être heureuse quelquefois en étant la plus téméraire
Il

ou voire la mieux
H prévenue. Il est des cas où la prévention vaut
certitude et l’excès en l’empressement
n n la palme
H triomphale, mais n

ces victoires se dérivent, à l’accoutumée,n de longs cheminements


n u

obscurs et d’une étude inassouvie, la grâce voulant qu’on la sollicite.


En l’art, seul infaillible est le génie et d’autant plus que le métier
II

lui pèse moins et qu’il se joue incidemmentlllll de la matière


II : d’un
homme tel un rien nous édifie et nous n’avons pas tort de nous en
disputer les miettes.
II

XX. Débat sur le L’artiste peut s’abandonner à l’aise et diva­


désordre et le génie guer au fil de son génie, il se retrouve inal-
térablement au sortir de soi-même II il et se
reprend comme iiiii avec plus de force, il est ce qu’il ne cesse d’être
où le néant ne parvient à l’exclure, il en soutient le personnage à
l’heure qu’il l’a déserté, double et de solitude et même il H triple, en vertu
de la connaissance. Sûr à jamais n de ce qu’il met
II en œuvre, il aura
part à ce dont il s’avoue et sanctifie ce qu’il prêche ; il brave la dé­
mence
n et la démence n ne prévaut sur les tutelles qu’il assume, n il
en revient plus opulent et mieux n armé,
n le ravisseur de toutes ses
ressources. —
— Apparemment la marque H de la précellence est de ne jamais n

plus faillir et d’être, malgré


II soi, dans l’obligation de toujours exceller,
suivant les lois que l’on publie à chacun de ses mouvements ii invo­
lontaires, desquels le monde fera ses délices et les plus sages leur
étude. Voilà de ces perfections qui n’ont pas de modèle et qui n’an­
noncent de rapport à nulle cause, mais participent de la cause même n it

et fondent l’absolu qu’elles illustrent, de ces achèvements n justiciables


de leur immanence et qui reposent en la fin les motivant dès l’origine
et les restituant à leur acquiescence énamourée ! —
— Vous vous moquez, n je pense. La liberté n’est jamaisu préalable
et toujours suspendue en l’évidence, mais n nul ne répond d’elle et
nous la savons infidèle à qui prétend à la servir en dépit de ses dé­
robades. Sitôt qu’elle s’est définie, elle est ailleurs et qui l’enchaîne
a rompu sa mobile attache et s’entrave à son ombre. La liberté se
promet et se joue et ne se gagne pas. —
— Un genre qui n’a point de lois implique à tout le moins n celles
de l’excellence et la plus difficile ii semble encore la plus libre. —
— Impunément
II II si la vertu se plaît à la badinerie, il est de fait
qu’au besoin elle se retrouve et cette bagatelle est la ressource en
la contention ou le désordre ravissant permis n à la bonté du sage.
Lui seul est de loisir quand tout le monde peine ou se déprave, sa

166
véhémence
ii est harmonie
H et sa langueur étude, ses vertus une infusion
habituelle : il semble qu’elles le possèdent et plus que lui ne les exerce,
elles s’attachent à ses mouvements,
n n elles prétendent à ses fins, il
ne s’expose plus à leur désistement, u il ne peut qu’il ne les insinue
à toutes ses faiblesses, il est leur source jaillissante, il porte l’inom- II

mable
II en soi. De même
n n les artistes. L’on ne dépasse, en vérité, que
les limites
II préalables et qui n’a point d’abornements II demeure
n à
jamais
II en deçà. Il nous faut tracer la frontière et nous y confirmer,
n

y menant
II bonne garde et nous étendre en ne laissant d’y revenir,
jusqu’à ce qu’il nous soit permis il de desceller la borne et de gagner
sur l’univers. Qui part du sein de la tourmente II emporte
li ses chaos
à bout de voie et se retrouve tel qu’il n’aura cessé d’être : le privilège
de l’artiste est de partir du sein de l’ordre. Créer se nomme iiiii tirer
de ses fins et projeter dans le principe ! —

XXI. La liberté dans l’absolu Si l’univers n’était qu’à l’absolu,


la liberté n’aurait de place et l’on
ne manquerait
II de tout savoir par le menu, de l’assurance la plus
infaillible, mais
II l’absolu se change en suivant nos repères, de mode
qu’il est à la fois l’unique et l’innombrable et que nous sommes
légitimement
il reçus à valider l’absurde. Où règne l’absolu, l’absurde
est annulé, les marges
n pleines et les bornes à jamais
H inamovibles,
la liberté n’a point d’usage et les possibles sont destitués d’emploi.
La liberté commence donc où l’on ignore le lieu de sa résidence et
délibère de s’imaginer en l’endroit le plus convenable, à mi-chemin II

de notre emplacement H réel et du partage ainsi déterminé,


II mais
ilT on
ne la saurait trouver ailleurs.

XXII. L’illimité
il dans les limites
ti Que l’âme n a le partage de l’illi­
mité,
n mais
n dans le sein des bornes
qui l’enferment.
n Ouverte par le haut, il n’est d’obstacle à sa carrière
et nul empêchement
n ne l’y traverse, elle s’élance au-devant de ses
fins toujours nouvelles, ses fins l’attirent et l’étayent, l’enveloppant
en vue de s’insinuer en elle en se la rendant homogène, elle est essor
de plénitude et nulle cime
n ne l’effraye, mais
II elle ne s’étend ailleurs,
au niveau de ses fondements,
n et quand elle s’abaisse elle y retourne
de nécessité, plus riche, à cause qu’elle a part à la surabondance
inépuisable, et douée d’une clairvoyance extrême, n et nonobs­
tant sujette de ses bornes naturelles, libre et déterminée, n libre
en l’ascension et rigoureusement il enclose en le parage de sa
remanence.
H

167
XXIII. Séquelles de la liberté La liberté ce n’est pas de tout faire,
mais
Il de bien agir. Ceux qui nous
prêchent des réformes violentes nous peuvent quelquefois séduire,
non tant par ce qu’ils nous proposent qu’à raison de ce qu’ils rejettent
de ces vertus anciennes dont ils ne se déprirent guère et qu’ils im- II

prouvent en les observant, sans l’entrevoir et sans le dire. Ce qu’ils


enseignent c’est leur frénésie et leur outrance, lesquelles sont ini­
mitables, mais
II ils négligent tout ce qui les accompagne
n et qui fonda
leur lustre, ils n’auront point d’élèves, mais n des partisans, eux qui
ne furent point des maîtres
II ; ils détruiront ce qui les précéda, ne
laissant qu’une solitude et l’ombre
II de leur vaine science qu’ils furent
incapables de communiquer.
IIIII -

XXIV. Une promesse Qu’une œuvre d’art donne à penser, mer II ­


de bonheur veille ! et c’est pour elle un augment de
validité, mais
II non lorsqu’elle nous l’affiche:
elle est alors au moment de se perdre, l’effet de telle impression nous
empêchant
II d’en convenir et mettant
II le divorce entre le désirable
et le sublime.
II Nous voulons plus de retenue en la matière
II et que,
par un arrangement ingénieux, on se déclare avec un air de négli­
gence ou d’un abord insinuant, flattant la vue et n’imposant
n jamais
ce qu’il démontre. Si l’art nous prêche, il n’a plus les moyens de nous
séduire et l’admonition
n tempère les élans ; la bienséance éloquem n ­

ment
n modeste
n a des pouvoirs que nul usage ne dissipe. Nous de­
mandons
n à l’art ce que le naturel ne nous octroie et ce que l’évidence
nous refuse : une promesse
n de bonheur, non pas l’ostentation sainte
ou le tumultueux
n concours dans une place regardée, pas même n n une
doctrine où chaque allusion nous rabat et nous glace.

XXV. D’abord séduire En l’art, le dessein de l’ouvrage importe


moins
n que la manière
n et celle-ci nous
semble l’argument n par excellence et faute de laquelle le demeurant
faillit. Le Beau nous persuade sans remise,H à la condition de n’être
pas indignes et son partage est de déraciner le doute, il prêche
éloquemment
iiiii et nous engage à l’adhésion la plus amoureuse,
n il
enveloppe et s’insinue. Ils ne l’entendent point, ceux qui se mêlentn

de nous retourner et qui s’attachent à nous éblouir, ils ne séduisent


pas et nous nous défendons en les payant de mots, ils dissimulent
et le font savoir, ils endoctrinent les penchants sans l’avouer, ils
mentent
n au lieu de nous fasciner, lequel est le plus beau mensonge,
n

et l’art, entre leurs mains


u embesognées et cruelles, se change à de

168
vains simulacres.
il Qu’ils seraient plus habiles, s’ils nous ensorce­
laient ! s’ils déposaient l’intention qui les anime u et nous jetaient
insidieusement
n en un bonheur nouveau, bonheur dont nous leur
sommes
il redevables ! Ah ! qu’ils seraient puissants, qu’ils seraient
dangereux ! Mais ils n’y songent même n n pas. Le peuvent-ils d’ailleurs ?
Il faut pour ce de libres inclinations et de la rêverie, il faut de l’in­
considéré, du flottant et du vague, il faut du jeu malgré II les règles,
délice passager, mais n éternellement fécond ; il est abominable de
servir la même
ri n cause à tout moment,
H de fuir les variations et l’ana­
lyse, de ne jamais
IT sortir du camp, vivant au pied de la muraille if :
quel art résisterait à ce régime fi ? et quel régime II se fondant en une
telle intransigeance accorderait à l’art ce qu’il refuse à tout le reste ?
Et c’est pourquoi la beauté Je dédaigne, encore qu’il la somme d’ap­
paraître et légifère pour la rétablir inamissiblement.
H H Il dogmatise
il

sur les voies, armé n de foudres et de feux, il brandit la menace, H il


dicte normes et modèles,
n appuyé sur les fondements11 de la puissance
temporelle, il comble de faveurs les mains n soumises qui s’empressent,
il

il en obtient ce qu’il désire et jamaisn ce dont il aurait rêvé, ce je ne


sais quoi d’adorable que les despotes abominent, II cette harmonie
II

infuse en un désordre ravissant et ces modèles qu’on surmonte en


ne laissant d’en observer la fin inimitable
II et les intimes II convenances.
S

Non, ils n’atteignent pas à l’avantage, leurs procédés échouent et


leurs manœuvres
n les dénoncent, la pureté qu’ils brûlent d’asservir
ils ne l’imitent
tt guère ou la dépriment.
II Tel est le châtiment H de ceux
qui veulent imposer une doctrine à l’ineffable et ne rougissent pas
de l’accorder aux vues de leur politique : la beauté les déserte et
n’ayant guère le moyen d’entrer en sa possession, il ne leur reste
qu’à la subvertir en quelque endroit qu’elle subsiste.

XXVI. Empire du délice Pour qui l’entend, la persuasion du


Beau vaut l’évidence et c’en est une
et la plus achevée, nous y perdons le sentiment II de l’autre, tout
conspirant à nous renouveler en un échange de faveurs dont les
ressouvenirs attentent à l’usage. Le Beau ne prouve que soi-même n it

et les enchantementsII qu’il nous procure ignorent les desseins de


l’homme,
iiiii ils n’ont que faire de leur assistance et lui demandent
ii une
soumission
n éperdue, voulant qu’il persévère en la recherche ; si l’on
en tirait argument
II pour avancer quelque manœuvre,
11 il les dissiperait
en diligence et nul n’a disposé de leur franchise souveraine qui ne
les mine
II sans retour. Que le Beau naisse, en faut-il davantage ?
C’est bien assez que l’on en presse la venue et trop si l’on appuie,
les fins l’incommodant et même n n le souci de travailler à sa fortune :

169
qu’on vise à l’établir et jamaisIl au delà, peur qu’il ne rompe les
marchés en un temps d’affluence. Le Beau sert librement n qui le
ménage
II et qui le sollicite, il n’est pas en service commandé, mais n

vient à ceux qui prennent leurs mesures,


II à ceux ayant le naturel
le mieux
n dispos et le plus ingénu, sans préjudice d’un acquis immense,
mais
n qu’ils négligent savamment et feignent d’oublier, s’il les appe­
santit au lieu de leur donner la main.II Le Beau n’est pas l’esclave
d’une volonté ne consultant que des rapports et les tyrans ne font
pas mal
H d’user de libéralités en la matière
II : on en dénombre sous
lesquels rien n’était libre, hors les moyens de le mettre II en usage
et nous leur pardonnons les abus manifestes,
II à cause d’un palais ou
de l’éclat des lettres illustrant leur règne. Voilà des tyrans avisés
et nous leur avons assez d’obligation pour en défendre la mémoire II ;
le Beau les innocente et légitime les agissementsII qui le secondent,
l’on applaudit au choix et nous chantons victoire, qui ne nous
aime se condamne et qui nous loue a participé de nos grâces, où sur
la foi du Beau le monde incline d’emblée à l’assentiment. ir

XXVII. L’inavouable Le fondement


u de l’art se nomme la con­
cupiscence et, dans les genres les plus
relevés, nous respirons une suavité luxurieuse et manque
u de laquelle
ils nous repoussent. Il n’est pas nécessaire d’alléguer des preuves,
ces choses-là nous parlent en première
n instance et qui n’est pas
indigne de les recevoir en est comme inondé, c’est trop de grâces
à la fois et des faveurs si véhémentes qu’on en éprouve de la gêne,
mais
n cela marque
n une âme n généreuse et le plus fin des naturels.
Pour l’art, nous n’avons pas à rougir de la jouissance, il faut qu’il
nous embrase et quand ces mouvements,
n n en apparence déréglés,
s’ajustent à des fins suréminentes,
n ils participent de leurs voies et
les soulignent d’éloquence.

XXVIII. L’impur légitimé


h Nous jouissons du Beau tout comme
de l’inavouable et par des moyens
analogues, ne pouvant disposer de voies qui mettentn l’innocence à
couvert de l’ignominie et recevant le Beau par des chemins n si dé­
tournés et tellement
n indignes que l’on s’effraye de les battre. Il nous
incombe cependant et de le révérer et de les maintenir,
u vu qu’il
nous paye de nos soins et qu’ils ne laissent de gagner un peu de sa
magnificence,
n il nous importe de souffrir un tel partage ou de nous
ôter le meilleur
n en voulant retrancher le pire et nous donnons les

170
mains
Il a l’accommodement.
n L’art purifie la matière,
n encore qu’il
s y traîne et ne l’abjure pas, mais
u il assiste son infirmité,
n la querellant
s’il ne la violente et l’inclinant s’il ne la brise.

XXIX. Ambivalence En l’œuvre d’art, nous discernons un rap­


port double : l’un, semble-t-il,
n issu des
profondeurs et l’autre allant aux nues qu’il ébranle, l’un consistant
à puiser à l’abîme et l’autre à percer l’absolu, l’un souverainement n

impur et l’autrese voulant sublime, mais n n s en la dépen­


le second mi
dance du premiern et se devant tarir s’il ne l’exerce pas, où le premiern

n’a connu sa richesse à l’heure qu’il est seul à la dilapider. De ce


rapport étrangement n subtil naît une tension qui nous remue n et
parvient à nous fasciner, un charme n donc, un ascendant qui nous
subjugue, une possession dont nous nous rendons les complices H :
nous aimons tout ce qui s’en montre
n et savourons qui ne s’en montre
II

pas, notre âme n est en balance et les puissances débandées s’élèvent


ou s’abaissent, rasant les profondeurs d’un vol insultant aux som­
n
mets. Prestige de l’inavouable ! En l’œuvre la plus haute, on marque n

des bizarreries, on entrevoit l’enigme et des ressources fort coupables,


là même
II II un rien de turpitude a fixé nos regards, un rien, mais n ce
rien-là soutient la masse, il est le répondant de son architecture, il
est le pleige de ses fastes : qui le retranche, pris de syndérèse, a
rompu
n les mesures générales et l’œuvre ne fait plus autorité dans
la matière,
n elle semble irréelle et nous la connaissons pour men n ­
songère, elle est muette
n à l’avenir, au mépris
n de son éloquence.

XXX. Approches du divin Le Beau procure de l’ivresse à qui


mérite
II de le savourer, il enveloppe
mille certitudes véhémentes
n de qui les voix nous touchent au plus
fin, il est son témoignage
n irrévocable, il en soutient l’affirmative,
II

il est le ressort de tout ascendant et tous les charmes II qu’il distille


emportent l’adoration, et c’est pourquoi le Beau nous alimente et
tire du profond de nous ce qu’il nous rend avec surabondance, il
nous épuise aux fins de nous combler et nous restaure à l’heure
qu’il nous sèche, de nous à lui c’est le commerce
II de l’amour et presque
de l’amour divin, ce sont des grâces prévenantes, ce sont des grâces
transformantes, l’on s’aventure au loin et s’ancre en la faveur de
qui le reflux nous entraîne où, par un tour insinuant, on se juge
en pays de connaissance et remémore n des climats
II inattendus. Le
Beau ne lasse que l’indigne, maisn l’amant
u consultant les attributs
de sa divinité, pliant sous les faveurs, ne les dénombre plus.

171
XXXI. Présences du divin Le Beau, promesseH du divin, rend
témoignage de sa cause enveloppant
les seuils dont il procure la venue, il en évente les mystères,
II mais
H

n’en dissipe les profusions et coule intarissable, en lui tout le réel


se change à de hauts lieux où fument II les offrandes, il semble
II anti­
ciper la vie et durer au delà des fins, dont le principe est un achè­
vement
II et dont l’achèvement
II tourne à l’apothéose, et s’il se commu­
nique librement,
il nul n’en dispose et nul ne le profane, il est la grâce
et nous la devons mériter,
n car il se surajoute à nos renoncementsH

énamourés,
ii il tente nos fureurs, qui les apaise et ne saurait les en­
gourdir, il s’insinue où nous n?avons plus à l’attendre et se dérobe
où nous nous prévalons de sa largesse, il est fidèle à qui se donne et
sans déguisement, on le verra porter ses chaînes, on le verra se plier
à la règle et cependant nul ne l’arrête au piège, car il désertera les
canons rigoureux et les modules
n infaillibles pour établir sa résidence
en quelques solitudes imprévues.
n

XXXII. La forme
n La forme
n est le canal que la matière
h emprunte
aux fins de se manifester
n à nous, tombant
n

sous l’évidence et bâtissant ce dont elle relève, appui visible du réel


et fondement de ses mobiles.
n La forme
n est un abouchement
u par le
moyen duquel il se produit une ordonnance où les contraires jouent
de niveau, mais
n l’harmonie
rr en est fragile et l’ombre d’une motion
la déconcerte. La formen est un miracle
n nécessaire.

XXXIII. L’art et la forme


11 La forme est une économie et la
plus convenable à la matière,
il où la
matière
n semble
n s’ajuster à ses départements
il pour se figer en devenant
harmonieuse
n ; la forme il est la présence de l’esprit, dont la matière
annonce les états que l’on peut définir et mesurer
n à l’aide de la forme
H

n ême,
ir et toute forme ii est sacrement,
n mais
n qui l’a revêtue a cessé
d’être malléable
n et qui l’a prise a le devoir d’en soutenir la préva­
lence et l’embarras, car elle fait mourir en donnant sauvegarde et
l’assurance qu’elle nous départ n’est jamais terminale. L’art se
dispose à la mieux
il recevoir, se mêlant
n de conduire sa besogne, il
en pénètre les détours, il en évente le mystère
n et nous le rend sensible
à l’aide des canons et des modules, l’art se prévaut de la similitude il

et renchérit sur l’apparence, il fonde l’univers qu’il tire de ses lois


et supplée au divin, il est comme lllll un nouvel avènement H dans les
parcours de sa dérive, il rêve d’allier une ordonnance de rigueur

172
aux fougues de sa frénésie et de multiplier
Il l’enchantement
II par
l’exercice le plus soutenu, venant à bout de l’indicible et se jouant
de ce qu’il n’a point la ressource d’emporter.
II

XXXIV. Incidences La forme,II le creuset de l’être et sans laquelle


l’être ne se fixe, la forme n tente le mobile
n

et sollicite l’indivis, elle est le piège désirable et la promessen de ses


plénitudes, tout s’y déploie et tout s’y parachève, elle est giron et
sépulture à qui se manifeste
II en elle et truchement
II de la durée, un
seuil où la beauté se montre et le divin se cache. L’art joue sur les
formes,
n il les déduit de leur principe, il les exerce et les varie, il les con­
sulte sagement
n ménagées,filles
ii reprend saintement affermies,II1 il en
exauce la requête et prévient leur attente, il les éveille en chaque
lieu du monde, il les retire de l’incertitude, elles déposent en faveur
de sa constance et dans le temps marqué.
II Le fait de l’art nous semble
un enveloppement II de causes et de ressorts véritables, le vœu de
susciter une création nouvelle et de changer tout le réel en une
dépendance énamourée, de disposer enfin de l’aventure même n n et
de se servir de la déraison. L’art ne retranche rien de ce qui l’alimente.n

XXXV. La forme II La formeII est-elle pas le chant de la matière,


II'

en tant que fin est-elle pas la constellation de l’indivis, est-


elle pas l’économie la plus homogène,
II irréver­
sible arrangement
II en l’accord de sa plénitude et le produit de son
élection ? Est-elle pas une ombre de la loi dictée et sa loi même n n en
le reflet de son principe incontestable ? Est-elle pas le ressort de
son équilibre et la balance de ses voies ? Le maintien II du partage
et le domaine de l’affirmative ? La forme II est tout cela, puis davan­
tage : elle est irremplaçable en sa dernière unicité, bien que sans
nombre en l’étendue, une et multiple,
II mourante en ce qu’elle paraît,
inépuisable en ce qu’elle figure, elle est désir de persistance et
volonté d’être à soi-] II ême, de n’être que soi-même
n n et de le demeurer,
II

le rêve de l’éternité dont elle se veut grosse en prévision de ses


morts.
II

XXXVI. La forme II La forme n’est pas toujours la figure et quel­


en tant qu’essence quefois l’essence même, n avec la même
n n fin et
nombre
II d’elles ne renferment
ii que leur ombre
n

et n’ont point d’au delà. S’il fallait qu’elles se défissent, il ne subsis­


terait plus que des moules
n abolis.

173
XXXVII. La forme
11 et le Logos La forme Ii est sainte, elle est le
vase de l’esprit, elle le sollicite
et l’enveloppe, elle en achève l’éclaircissement n et c’est par elle qu’il
devient tout ce qu’il représente, Dieu même n n condescend à s’engager
dans le sensible et le Logos harmonieux L’accueille, Dieu même ii n est
un enchaînement
n de formesII transcendées, Il les emplit, n les rompt
et les abroge, mais
n II les a connues. Et c’est pourquoi la forme II est
sainte, elle est une promesse du divin, elle est la marque II de sa grâce
et la sereine voie où le Béni chemine,
II et c’est pourquoi l’art participe
de l’élection et garde un trait de la suprême II ressemblance, qu’il
est le havre où l’esprit rêve et l’océan où l’esprit tourbillonne. L’art
sanctifie le profane et s’il profane le sacré, c’est manque il de rigueur
fidèle et de resserrement
il épris, car il ne tient qu’à lui d’aller au bout
de son élan et c’est à lui qu’il appartient de lever l’unisson qui
dément
II son infinité.

XXXVIII. Du corps Des objets susceptibles de nous émouvoir,


de l’homme le corps humain
II n’est pas le moindre et
c’est l’unique à faire impression sur les
spirituels les plus austères, le seul qui nous attache à l’existence et
nous préserve de cet indivis à quoi nos infidélités aspirent. L’art
qui l’illustre est l’art suprême
n et je lui donnerai la palme,II les autres
pécheront toujours contre l’humanité,n soit qu’ils la défigurent,
monstrueux, soit qu’ils la dissimulent, méprisables.
ii Il faut se rendre
le goût bon et l’âme •I la plus défiée, il est requis de retourner et sa­
vamment
IIIII à l’innocence pour goûter de pareilles effigies. La honte
de son corps est peuple et les chétifs ignorent la pudeur intime en
rougissant de l’art, où les honnêtes gens observent l’une et prennent
feu pour l’autre, sensibles au délice, aveugles à l’ignominie et s’ho­
norant du plaisir éprouvé. Le nu dans l’art convient de règle aux
amateurs
il choisis, à ceux de qui les sens et malgré
ti leur vivacité res­
pirent la délicatesse, et davantage encore aux élus mêmes, n car il
unit au naturel un mystère
n ineffable.

XXXIX. Réel humain


n Parlant de la réalité, le« quant à nous »
a de puissants motifs
H pour nous fixer et
d’obligation, lui qui ramasse
n tous les traits de l’évidence familière
et déracine un doute immotivé.
iiiii Si le réel à quoi nous atteignons
n’épuise guère l’absolu, toujours est-il qu’il en embrasse
II les décrets
par le canal de l’homme
Il 1H et le réel n’a point de sens où l’homme n ne
l’annonce plus et n’en fait son étude. Hors nous, l’informulable
n règne

174
en l’indivise majesté
Il qui nous ignore, mais
n nous la payons de retour,
si bien qu’elle subsiste aveugle et le demeurera
n sans faute, à moins
que l’homme II ne s’en mêle
II et ne lui prête ses regards.

XL. Dépassement
II Que le dépassement il annule ce dont il pro­
générateur cède, ayant la vertu singulière de se rappor­
ter à ce qu’il institue et de sembler
II le corollaire
de ses fins bien davantage que l’effet de sa nature préalable. On
dirait même
n n qu’il déplace l’évidence et qu’il désarmeII le réel en se le
rendant homogène, et c’est par lui que l’ordre de nature est renversé
jusqu’au delà des fondements.
II

XLI. Le présent absolu, Que l’avenir est une sphère en quoi


temps de création séjournent les possibles en présence
et qu’ils y semblent
II au superla­
tif, la dominant sans l’ombre d’un partage, eux dont le mou­
vement
II de chute ou l’aboutissement II à l’acte la muent
II en passé,
la dépouillant de sa richesse virtuelle, encore qu’elle se refasse plus
avant et sans désemparer, mais n moyennant d’autres possibles. Or,
son volume n se réduit de proche en proche à partir d’un certain mo­
ment
n de l’existence et chez d’aucuns les virtualités s’annulent, de
mode qu’ils subsistent en regard d’eux-mêmes n n et commeri fascinés
par leur abouchement, n privés de marges,
n n’ayant plus de jeu, sauf
à l’arrière et devenus un enchevêtrement d’inanités qui se déplace
à reculons, les yeux tournés vers l’aboli, se laissant engloutir par
la durée qui l’entame, n ayant perdu l’art de conj oindre le souvenir
et l’espérance. Quand les possibles, au contraire, se multiplient
H en
l’abondance, un homme est investi de liaisons et de prétextes dont
l’avenir aimante
II la mémoire et semble l’aspirer, s’il ne se réfléchit
en elle, le temps prend forme II et consistance et nous volons, plongés
dans un tout cohérent qui nous emporte II au-devant de ses miresII :
alors la moindre motion a la saveur du renouveau dont elle participe
et, quoi qu’on fasse, on peuple son désert d’un foisonnement n ample
n

et continu, l’on se prodigue sans effort et s’évertue sans dépense et


l’œuvre naît, issue inévitablement du plein qui se déverse en elle.
Le sommet des béatitudes me paraît bien cette faveur de vivre les
éternités qui se succèdent.

XLII. L’illumination
II L’illumination procède d’elle-] n ême
n et rentre
en son abîme, issue d’altitude et se
jouant dans le milieu qui la motive, épuisant tout ce qu’elle
réfléchit et transcendant ce qu’elle détermine,
II latence inabordable

175
et néanmoins ouverte, impénétrable et cependant élucidée, ne se
communiquant
iiiii à rien et faisant l’évidence et par-dessus le reste,
ébranlement
n pour qui l’invente et certitude à qui l’a ressentie, réel
de souverain empire et fondement n de la créance, appui des formes
et des lois malgré
Il l’absence des limites,
n suavité de rigueur solennelle
en l’harmonie la plus librement n sujette : telle est l’illumination,
II

matrice
II des concepts et la platée où les formules II s’enchevêtrent,
l’illumination que nulle cause n’établit et dont les causes sourdent,
sphère homogène à tous les lieux, domaine du Logos et nœud de
plénitude, l’antérieure au sein de chaque idée et celle que les mots
mutilent
II sans miséricorde,
II fragiïb en raison de sa pureté qui la dévoue
à la ruine, invulnérable toutefois en ce qu’elle a d’originel et de par­
achevé. L’illumination se plaît à nourrir les symboles
H et les symboles
la retracent en un dédoublement II dont elle excède la visée.

XLIII. Les belles vérités Les belles vérités s’éclairent par dedans
et d’elles-mêmes.
n n Qui ne mérite de les
posséder n’y voit que l’assemblage
n le plus ordinaire ou le plus arti­
ficieux ; l’absurde les protège ou même n n la banalité, tout leur est
assez bon pour qu’elles s’en remparent,
n mais
n la lueur diffuse qu’elles
jettent en leur nuit et par la nuit du monde est propre à nous les
découvrir et se déclare avec une ostentation suprême il où le visible
sombre anéanti. Les belles vérités ne servent que les purs. Aux
autres, le mensonge
If savamment
IIIII accommodé
IIIII et les promesses infi­
dèles. Les belles vérités, si faibles au regard de la malice,
fl ont le pou­
voir de l’éluder inéluctablementII ; l’absence les protège, la folie et
la mort se nomment
riin leurs gardiens, où le symbole est lettre close
et chaque mot le démenti
n de ce qu’il nous révèle en apparence.

XLIV. Conditions Le rêve s’ente mieux


II sur l’évidence amie et dans
le sein de la puissance ou des profusions l’on
voit éclore les systèmes II les plus déliés, mais l’homme IIIII rêve moins
si le réel l’accable et ne lui laisse de loisirs. C’est dans les villes grasses
et fécondes, ces lieux de plénitude et de liesse que l’âme aspire à
déborder l’entrave et qu’elle se retrouve, où l’absolu paraît mis fl à
portée de nos joutes. Ailleurs, les lendemains fl régnent en maîtres.

XLV. Prémices
II Les éléments de la beauté consistent dans le
choix de la matière
II et le maintien des règles,
l’art d’amener
II les variations, la volonté de s’assigner une limite
ff

ouverte et d’avoir cure de nous l’imposer


n sans qu’elle nous offense

176
et, moyennant des notions finies, de nous promettre n davantage en
nous laissant dans le sujet. En l’art, il est une matièren noble et puis
un art d’ennoblir la matière
u en lui donnant du lustre, et l’on ne sait
parfois lequel vaut mieux, le jugement II est comme
iiiii suspendu dans
un ravissement
il égal. Les pierres dures et les métaux n rares n’ont
pas besoin d’intercesseurs, ils nous prescrivent une adhésion que
nul ne leur refuse et qui chatouille les puissances, la soif des gemmes iiiii

et de l’or est un hommage


iiiii à leur beauté : les œuvres les plus accom­
plies ne perdent rien à se targuer de ces profusions qui multiplient n

leur vertu première,


II mais
II le sommet
iiiii de l’art est bien de décerner
une valeur inattendue à qui ne le mérite ii pas et l’acquiert néanmoins,
à transformer
n un peu d’argile en une spéculation métaphysique,n à
faire chanter la matière
ii la?plus dépouillée, l’identifiant et d’emblée it

avec les formes


n ineffables, dont il se peut qu’elle renferme n la promesse.

XLVI. La pureté La pureté n’emporte de collusion et ne tolère


de faiblesse, et c’est pourquoi les hommes la
redoutent. Il est dans l’ordre qu’elle exclue ses rivales, dont sa nature
veut qu’elle ne s’accommode
n ; la vie même
n ri est sous le coup de la
menace
n et toute pureté semblen incliner à notre anéantissement.
n

L’inavouable la préserve et contre ses rigueurs et contre les périls


de notre foi, l’inavouable nous fait subsister et l’alimente,
•I où jamais
II

elle ne se rassasie et ne l’épuise.

XLVII. La qualité La qualité, le signe provisoire à la faveur du­


quel nous rangeons l’évidence aux dispositions
intérieures dans les matières
II décidées, donnant au réel un dessein
manifeste
II et nous dictant les lois qu’il semble II se prescrire — non
qu’il en use de la sorte, mais II l’homme le devant conjecturer, aux
fins de régler ses démarches.
II La qualité ne se remarque
II point et le
réel l’ignore, où nous ne pouvons rien sans elle et la multiplions II à
simple vue, jugeant par cette voie et désireux d’y faire un assidu
retour : nous souffrons mal II que l’on nous persuade et de la vanité
de son prestige et de l’absurde qu’elle enferme, II on mortifie
II la raison
à lui prouver qu’il n’est de mesure II absolue et que les vérités de­
meurent
n provisoires, qu’il faut suspendre tous les jugements n sur la
limite
n et que l’idée a des valeurs plus nominales II que formelles.
n L’on
rêve du « je ne sais quoi », mais n l’on en veut à qui se metn en peine
de le définir, il a tout l’air de rompren un charme H et de nous dépouiller
de quelque vision délicieuse, on dira qu’il outrage la nature et ne
s’incline devant rien, profanateur assermenté, II dont les allures in-

12 177
commodent et l’ennemi n du genre en son entier. Or, le partage de
l’humain est de se démentirn où les aplombs
II sont à jamais
H en cause
et les valeurs dans une espèce de refonte générale. Les qualités nous
semblent
II des figures et des fantômes engageants, puis elles tournent
à la parodie, si nous nous ingénions à les maintenir,
II en dépit des
canons et des modules.
n La dignité de l’homme consiste-t-elle pas
dans le meilleur
n usage des moyens reculant l’ineffable au delà du
sensible et l’absolu jusques à l’aboutissement II des facultés et des
systèmes
II en la dernière des instances ? — Pour être une mesure II à
l’univers, il est besoin que tout soit mesurable
II et se rapporte à nous,
nous devons entreprendre survies qualités et les réduire à des mul II ­
tiples homogènes dans l’amas n des relations prévues, avec l’espoir
de les remettre
il en œuvre et même n de les restaurer en conséquence
des lois naturelles — lois provisoires, nous le redisons et malgré II

l’efficace, l’idée d’une loi n’étant qu’une manière II de symbole et


nominale purement,II au mépris
•I des ressorts qu’elle débande.

XLVIIL La qualité La qualité n’est pas une vertu de l’indicible,


dans l’œuvre d’art un je ne sais quel résidu de la finesse la plus
déliée, une ombre à la limiteII du néant, maisII

qui s’ingère auprès de l’être et qui s’étale souveraine, elle est bien
davantage une harmonie ou de rencontre à l’unisson et l’assemblage
de multiples
H balancés avec une éloquence nonpareille. Le bonheur
absolu d’un tel achèvement II ne doit pas étourdir le philosophe et,
s’il vénère ses beautés, il n’a pas lieu d’en recevoir les charmes à
l’aveugle, lui dont le propre est de dissocier le comble d’une jouissance
en éléments et de tirer les modes de leur pair, aux fins de démêler II

le pourquoi de l’ajustement II et la raison qui le fait infaillible, le vou­


lant ramenern à des ensembles cohérents en état de servir et qu’il
dispose au mieux
n de l’ordre qu’il stipule : il veut, en un mot, chercher
le module
II originel et susciter l’accord, il y veut parvenir sans défail­
lance en prenant des mesuresII idéales, par le discernement d’un choix
inimitable
il et néanmoins déterminé. n Le but du philosophe est de
réduire l’indicible aux formes n du langage et de l’échafauder en par­
tant des lumièresH établies, voire de chiffres et de constellations,
canons, modèles et modules, de bâtir à son escient et même n n' de sur­
seoir à l’œuvre à la plénière volonté, puis de s’y rendre mainte u fois
et commelllll en se jouant pour la mener n à bien. La qualité, sans pré­
judice de l’aloi, semble une convenance habile à la portée de l’hu­
main
ri et dont l’énigme n’a rien d’insoluble, un ordre qu’il faut ob­
server, à charge de l’avoir traduit en un langage méthodique, ri et
le concert où les divers apports s’ajustent si profondément n qu’ils

178
rentrent les uns dans les autres. La qualité suscite l’homogène et
l’homogène la cimente,
il ils se conj oignent d’un balancement en leur
genèse mutuelle
II et se dérobent leurs appuis en une confluence
énamourée.

XLIX. La force de l’horrible La force de l’horrible est tant de


fois accrue où la suprême n beauté
s’y rajoute ! Un monstre nous fait rire en nous épouvantant, il
n’est de monstre dont l’horreur ne passe et ne se mue II en ridicule
ou ne s’achève en le dégoût, mais joindre la séduction à l’épouvante
est la marquer
ii du sceau de l’éternel. Qu’on se figure l’être le plus
ravissant et qu’on lui donne l’apparence la plus ambiguë,
H des cornes
surmontant la face digne du pinceau, le sexe le plus laid et le plus
monstrueux
il s’associant à l’harmonie
II de ses formes ; qu’on le dé­
peigne caressant et tendre, et susceptible néanmoins de crimes II et
de perfidies, qu’il se repaisse d’encens et de fleurs, mais
II ne dédaigne
point la chair ni les entrailles des victimes II abattues, qu’il nage
dans le sang et qu’il s’enivre de nos plaintes, encore qu’il ne laisse
de nous témoigner une tendresse prévenante et qu’on ne sache plus
s’il nous déchire ou nous assiste, où maître
II de nos sens, il est en nous
plus que nous-mêmes,
n ii qui met
II nos volontés en branle, au déçu de
nos volontés, et nous demeure le plus étranger, nous possédant
quand nous n’avons de prise, lui qui se dissimule H au fond de notre
liberté, dont il déprave les ressorts. Voilà-t-il pas le comble de
l’angoisse ?

L. De l’utile et L’utile n’est pas le meilleurn et le meilleur


n est
du nécessaire souvent dommageable
iiiii : en faire le départ im n ­

plique nos engagements n ultimes,


n de là vient
tout le reste et c’est à quoi tout se remonte par d’infaillibles ache­
minements.
ii n Entre l’utile et le meilleur,
n le désirable et le sublime, n

le nécessaire nous marque


n un moyen
n terme et c’est le reposoir de
notre intelligence, où nous ne vivons qu’à l’immédiat n et mis
n en
l’obligation de simplement
n agir, pris entre la défense la plus légitime
et le plus vil des manquements.n Rien n’est beau que l’utile, mais n

entendons celui qui s’avouant ne cherche nullement n à s’imposer


n

et demeure
n à sa place, laquelle est certes la première, ri' à charge qu’il
le dissimule
n en soutenant l’ensemble et marque ri sa nécessité d’une
n anière aimante
n et prévenante, comme iiiii en un feint oubli de ses
mérites.
ni En l’art, l’utile n’est pas forcément n ignoble et s’il n’étend
sa domination
n sur tout le reste, nous pouvons l’accueillir et ne devons

179
nous écarter de ses préceptes. L’utile nous confère une noblesse
inattendue et c’est par lui que l’œuvre se motive, en lui qu’elle se
distribue et s’échafaude et contre lui qu’elle s’ordonne à violenter
les aplombs inséparables, dans un acharnement de heurts et de
reprises.

LL Colloque sur les arts Oui, la plus noble architecture


défère à la nécessité, mieux II' : elle
nous la manifeste
II en la transfigurant, de mode qu’elle énonce élo­
quemment le vrai dont elle se déjoue avec un art inimitable. II —
— Et qu’elle unit les rigueurs de l’inerte aux grâces les plus
dégagées. —
— JamaisII elle ne divertit l’intelligence de l’objet, elle est de
bon aloi, parce qu’elle ne dissimule II rien, elle abomine les postures,
elle méprise
II l’ornement iî quand il ne la souligne pas, elle est un ordre
et, plus qu’un simple n arrangement,
U elle est une harmonie,
II elle est
le tout qu’elle nous représente, le tout le plus sciemment IIIII homogène,
articulé des combles à l’embasement, n H le reflet de sa plénitude en
chacun de ses membres, II coulé d’un jet, nous semble-t-il, d’un jet
et d’une pièce. —
— Où rien ne manque n et nulle chose ne détonne. —
— En l’art du bâtiment, n il faut se conseiller avec les lieux,
l’usage et la matière
II et disposer du tout en la faveur de l’édifice,
appropriant notre langage à l’harmonie II qu’on fait naître et touchant
à son dénoûment II dès le principe. —
— L’on a voulu, tendant au loin, s’épanouir à la lumière, II mais
la lumière
II est sans miséricorde, elle dénonce la supercherie et nous
en développe le mystère. H —
— Que si l’on ment, II il est besoin de passer maître n et de nous
abuser, sans contredit, enchérissant sur l’évidence et mettant ii le
réel en compromis. —
— D’où les manœuvres
II et les procédés flattant la vue et préve­
nant l’intelligence : les trompe-l’œil de symétrie, u les inégalités sa­
vantes, les raccourcis et les allongements, ri puis l’art enfin d’ajouter
à l’ensemble,
II rendant l’espace tributaire, à la commodité de notre
ouvrage. —
— Les lieux d’abord exercent leur empire et qui ne s’établit en
leur faveur a manqué II de discernement. H —
— Nous nous devons prêter aux convenances de la scène en vue
de nous acquérir un droit sur elle, elle répond de nos empressements, II

intercédant pour nous et réglant nos saillies. —


— Le paysage est lieu de sûreté pour l’architecte et nous lui

180
commandons
lllll de cela seul que nous nous plions à l’instance, où la
contrainte nous sied mal H et l’oubli nous dépouille. Le choix
d’une colline ou le refus de bâtir au long de ce fleuve met la der­
nière main H à la perfection requise et l’entourage s’associe à nos
efforts. —
— Tout l’appareil jaillit du sol et semble un complément de la
nature, elle en soutient l’affirmative, n il en exprime l’attribut essen­
tiel, il la couronne, elle le légitime n et les voilà dans un rapport indé­
fectible. —
— Puis c’est l’usage. —
— L’usage articulant les masses il de l’ensemble.
ü —
— L’usage rendant raison de ses fins. —
— L’usage présidant aux entretiens qui règlent nos démarches, ri

justifiant le premier il pas de nos conduites, l’emplacement n ri élu :


l’usage, sans détour, nous marque n les arrangements
ri fonciers. Heureux
s’ils peuvent s’accorder aux lois du Beau ! —
— Mais si les maîtres it ont la grâce, l’utile prend l’essor et ses
rigueurs relèvent ses contentions, il plaît, ses procédés ouverts le
dissimulent
il à l’envi d’un air qui nous démonte. —
— Et s’il ramasse
ü tous les traits qui le dépeignent, nous l’aimons
en vertu de sa franchise, il fournit aux commodités et nous n’en
recevons plus que des soins, il nous libère sans mentir de ce dont
nous lui sommes redevables. —
— Il ennoblit l’usage à le soustraire à la nécessité que l’on endure,
lui qui le fait participant de celle qu’on embrasse ! —
— Nous en venons à la matière ü et nous voulons qu’elle soit
franche et du meilleur
H aloi. —
— Que nul décor de la surface et fût-ce le plus savamment lié
ne nous en cache les ignominies. —
— Nous abhorrons l’informe sous l’éclat et les moellons H sous le
revêtement n des marbres.
n Que tout soit un, des profondeurs à la su­
perficie et des soubassements n à la toiture, un dans la précellence
et la cohésion, un sans manœuvre u ni fissure : alors, dans le débris
de sa constance, quelle ruine pour les âges à venir ! —
— Quelle éloquence souveraine et quel dénudement n !—
— Et quel aveu de puretés intimement n jointives ! Là, rien n’af­
flige le regard et, malgrén l’éboulis, tout le fascine. Ailleurs, le temps n

ravage l’imposture
ri et, dans la chute des faïences et des marbres, n

le monument n retourne aux masses n imparfaites.


n —
— Assez d’architecture, mais n ne quittons pas l’immobile ! —
— En la plastique, l’immobile iiiii règne et c’en est fait de l’art,
s’il ne respire un équilibre sans défaut et ne soustrait au mouvement n n

le mouvement
n n qu’il presse, joignant le changeant et le persistant,

181
mais
II en faveur de l’immuable
IIIII et se désabusant des moindres com­
plaisances. —
— Un rien de solennelle pesanteur met II l’œuvre en un degré
plus éminent
II et fera qu’elle vole, s’il en était besoin. —
— Où, faute de ce poids, l’essor est à l’inconsistance. —
— La force nous répond du demeurant II et même
n n de la grâce. —
— La grâce est belle de la surmonter. —
* — Mais sans la force, point de grâce et nulle force, manque II de
pesanteur essentielle. Nous demandons II que l’œuvre pèse, puis
qu’elle se remue
II où le sujet l’ordonne, qu’elle soit pleine et dense avant
le reste, charnelle d’obligation* et puissamment IIIII liée à sa genèse. —
— Mobile dans le sein de l’immobile et non pas au dehors, prenant
la ressemblance de ses fins sans leur appartenir, fidèle à la matière n

en ne laissant de la porter au plus loin de l’invention permise. n —


— Et la peinture, qu’en dirons-nous ? —
— Art de pipeurs. —
— Je crois un tableau fait pour le plaisir. —
— Qu’il s’en contente et ne nous vienne prêcher des maximes. n u

Le danger de semer II en toute chose un certain nombre de propo­


sitions cachées, de se vouloir fonder sur une mode passagère et sus­
ceptible de nous gagner une foule, c’est de plaider à l’aide des motifs
et non de l’art, c’est d’inciter tous les indignes à se couvrir de
l’idéal du jour, afin de nous donner le change et c’est encore déformer II

le jugement
n public, lui faisant négliger ce qui peut seul prétendre
à son estime.n —
— S’il faut qu’on passe sur les beautés de l’ouvrage en faveur
de la thèse, il n’est plus nécessaire d’y mettreII des beautés. —

LU. Le rocher de Sisyphe Le rocher de Sisyphe est une im n ­

pertinence, un amalgame
n u de véra­
cités, une imposture relevée, un leurre solennel et le plus bel exemple
de mystère
n faux dont les pédants font leurs délices. La grâce n’a
que faire du rocher de Sisyphe, elle est toujours nouvelle et toujours
absolue, et qui la trouve et s’en rempare achève triomphalement
n n

une besogne de fumée


n et parvient à lui donner consistance : la grâce
nous dispense un sacrement d’éternité, par elle nous aboutissons
en chaque lieu du monde
n aux vestibules du divin, par elle nous fou­
lons à tout moment une prairie immarcessible d’où l’ombre s’est
bannie, en elle nous nous assignons le terme, un terme n inébranlable
et sûr au tournant de l’analogie, un sceau qui fermeu l’acheminement
n

et semble ouvrir une issue à jamaish irréversible. En l’univers de


grâce, il n’est d’emplacement
n que pour les certitudes.

182
LUI. La marque
Il du divin Pour doué que l’on soit, il ne suffit
II pas
que le naturel prodigue ses faveurs à
l’homme,
n il ne suffit
ii pas même
n n de l’acquis le plus ingénieux, du temps
ni des modèles,
n de l’émulation
n propice au développement ni des
suffrages de la galerie : il faut la grâce, il faut la marque
II du divin
ou l’œuvre pèche dans la plénitude et faillit contre l’ineffable, les
ailes ne lui viennent point, son allégeance l’incrimine et ses révoltes
la condamnent, elle aura tout, moins n ce dernier achèvement
II par
quoi le tout s’illustre et la surmonte,
n et loin d’être l’issue ouverte,
il semble qu’elle se retourne indéfectiblement II sur elle, anticipant
sur l’origine, abjurant le possible et consommant l’inavoué, mise
en défaut malgré
II son observation des règles, lassant qui la regarde
et gênant qui la loue, irréprochable en apparence et d’autant plus
défectueuse, bien qu’on n’en sache guère la raison. Il n’est moyen
de la tirer de l’indigence ou de remédiern à la disette, son indigence
est invisible et sa disette échappe au jugement n de nos valeurs, mais
n

l’une et l’autre font impression, elles parviennent à nous altérer,


nous y gagnons de l’embarras
n et l’œuvre ne nous persuade plus.
Nous la louangerons au lieu de la louer pour donner un appoint aux
convenances, nous la louangerons, c’est-à-dire qu’elle est morte, que
ses beautés l’auront misen au tombeau, que nul ne plaide sa querelle,
puis qu’elle ne vaut rien ou, si l’on veut, qu’elle fait nombre à
déranger le vide.

LIV. La grâce La grâce est la toujours nouvelle et celle qui se


meut
n d’emplacement
n en liaison, mais
n ne se change
pas en l’altitude et, toujours la plus relevée, a la ressource de ne
point languir, de ne se démentir jamais
n à l’instant qu’elle se dévie
et d’être invariablement
n ce qu’elle sollicite, où dans l’usage et les
motifs de l’ordonnance qu’elle invente, il ne se trouve de sujet qui
doive remonter à la surface, à moins de viser au delà : en elle tout
retombe
n sous l’élection et chaque phase est l’absolu de solitude
nonpareille et d’une égale primauté.

LV. Le Grand Art Plus l’art est grand, plus il est nécessaire et
plus il semble inexorable en ne laissant d’être
léger, il marque l’œuvre de son choix du sceau d’une fatalité nouvelle
et l’affranchit du même
n il coup, il la dispose à recevoir ce qu’elle
annonce en l’élevant par-dessus l’origine, où la consolidant dans le
prétexte il lui fait excéder les fins promises, mais ne l’égare pas.
C’est le discernement
il le plus subtil, joint à la fougue la plus mâle,
H

183
c’est un empressement,
n mais
n sans la volonté de se produire, c’est
une retenue, encore que plénière et s’ouvrant sur l’inépuisable, et
c’est l’accord majestueux
Il de la nécessité la plus impérative et des
largesses les plus déliées. S’il était moins
II essentiel, il aurait moins
II

de force et moins
n de grâce à n’être pas l’imprévisible, il fonde et
légitime
ii les prémices,
n lui qui se surajoute à la dernière instance et,
peuplant l’indivis d’assises, le Grand Art multiplie
n les sommets.
Et c’est pourquoi tel art est à la fois pesant tout comme l’évidence
et léger à l’exemple du divin.

LVI. Dialectique du Grand Art Le Grand Art coule d’une source


au carrefour des absolus, il la
possède, elle est en lui, qui l’enveloppe et s’abreuve à sa redondance,
jamais
n la variation ne le menace
II et jamais
ir la stérilité, les éléments
n

qu’il met
n en jeu défèrent à l’avis qu’il leur prononce et les ensembles
bien liés qui se dérivent de sa cohérence emplissent
II l’univers sans
l’épuiser. De cela seul qu’il n’est pas en défaut et nonobstant ne
lasse, vient le plus clair de sa merveille,
II où l’on attend plus justement
II

l’exhaustion et les dégoûts, où l’on présume H l’ordinaire et se délecte


du prodige, où l’on n’achève d’en jouir et ne finit de s’en rassasier.

LVII. Les incidences Je nomme


iiiii le Grand Art le plus excellemment
du Grand Art humain
n dans la rigueur des termes, n l’art le
plus libre et qui se joue, ordonnateur des
servitudes consenties, l’empreint de grâce et l’exempt n de l’abus ou
de la démesure,
n et le tenant de l’harmonie n instrumentale,
n un renou­
veau d’unicités suprêmes n en l’achèvement,
n mais
n toujours neuves
et nouvelles. —
— Il se dérobe à la convention. —
— Laquelle est un refuge où le facile abonde. —
— Et se dévoue aux disciplines de l’imprévisible,
n qu’il rend
familier,
n et, l’amoureux
n de la traverse, il la cultive moins n pour
étonner qu’en vue de s’y rompre et de se gagner sur l’antérieur. —
— Il est plein de science et ne le montre n pas. —
— En lui l’acquis se mêle n à la nature et le savoir à l’agrément n

le plus délicieux ; il est sévère dans les profondeurs, mais u sinueux


à la surface et bondissant, dès qu’il s’élève immotivé. ni n —
— L’œil en épouse le contour et ne s’entend à définir le mode
ou la genèse, il le reçoit et ne le restitue point, il le savoure et ne le
légitime pas, il en est possédé, lui qui ne le régente plus. —
— Je nomme le Grand Art le plus universel et général, non qu’il
s’adresse à tous les hommes
iiiii pris dans leur ensemble, mais in à l’humain
n

184
qui les mesure
Il en l’éminence
II et qu’ils atteignent à se libérer des
mœurs et des formules. If Le Grand Art passe l’origine et l’abolit dans
les rapports qui l’y ramènent, If il est un infidèle sans retour et met II

quelque superbe à démentir les lieux de son avènement. II Il ne néglige


rien, il improvise en assurance et bâtit avec ordre en soignant les
détails les moins visibles, qu’il range à son économie n et moule sur
l’allure la plus ample, en sorte qu’elle n’en pâtit, mais h qu’elle s’y
délègue, où l’abrégé la plus infime est un miroir II' des fastes les plus
étendus. —
— Il est spirituel et dense, il est plénier et magnanime,
II II il associe
les contraires, il les ordonne en les évaluant et jauge tout ce qu’il
aborde, il noue motivant ce qu’il délie intronisé, par lui le faible se
dilate et la vigueur se bande contenue. —
— Par lui le vague se prononce et les limites s’ombrent II en douceur
où les linéaments n ondulent, par lui la grâce s’établit et tous les
éléments
n mis
If en leur jour travaillent à leur mutuelII empire. —
— Que l’art varie en ne laissant d’être homogène et qu’il soit
un, mais
II ne dénombre ses multiples,
n qu’il enchérisse sur leur foule
et ne redoute plus leur contenance en l’indivis, qu’il les défère à sa
justice et se gouverne en eux, par eux et pour eux tous, qu’il les
inonde et qu’ils ne puissent l’investir, qu’il les accorde ensemble n

et qu’ils ne sachent l’entreprendre et qu’il soit d’eux sans dépen­


dance, comme ni n ils le resteront de lui, servants énamourés de qui
ne les subjugue en ne laissant de les régir ! —
— Le Grand Art est celui, doué de généralité, qui ne s’exempte
pas d’articuler l’infime et de descendre dans ses liaisons, il est présent
à ce dont il s’avoue et, s’il éclate lumineux aux frontons ineffables,
il ne déserte pas une volute et met n sa complaisance en l’intermède n

le plus humble,n on le retrouve en chaque sinuosité, la moindre pierre


est un asile à sa cadence et le détail miroir où les sereines lois se
réfléchissent. —
— Le Grand Art, inventif et libéral, est le plus justement n sévère,
il permetri tout, mais
n il n’accorde rien, il ne transige pas, il ne tolère
que l’unique en toute chose, il veut un monde n à la surface et que les
lignes chantent, il marie n un désordre insinuant aux aplombs u de sa
congruence et les allie à ce qui les renverse, il n’appréhende pas
de se commettre et se dégage de son œuvre même, n n il est de plénitude
et sûr de la trouver en des lieux incroyables, vu qu’il l’emporte n et
l’enveloppe, tout lui semblant venir à gré pour donner suite à l’opu­
lence qu’il amorce n et rien ne le croisant à l’épreuve. —
— Il se déplace en un cortège de merveilles. if —
— L’art tient de Dieu. —
— L’art, à l’égal du Maître, est le mouvant en l’immobile n et

185
l’un en l’innombrable, il est pareil à ce qu’il en possède et ce qu’il
a ne suffit à le définir. —
— Il promet
n ce qu’il parachève et passe ce qu’il scelle, où fermant
u

les abîmes, il ouvre qui les rassasie, il fixe l’univers en un débor­


dement
n et le soumet
n à ce qui le dispense des servitudes et des fins. —

LVIII. Réalité de l’art Le rêve de tout philosophe est l’univers in­


telligible, soumisn aux lois de notre entende­
ment,
u peuplé d’essences immortelles,
iiiii où règne un absolu capable
de se réfléchir en nous, un absplu que l’homme, iiiii à stipuler, a la res­
source de qualifier humainement,
ii n mais
n nous savons qu’un philosophe
est déserteur, sa profession l’impliquant,
u d’où la fragilité de ces
raisons qui parlent à nos sens et les émeuvent. n Et méritons-nous
pas de vivre en un tel monde,
H nous, précipités en un recoin de ce
plérome
n dévorant ? Il est plus de beautés en l’une de nos œuvres
que dans le mouvement
n ri des sphères, plus d’opulence déchirante
et de splendeur fragile, il est plus d’infini dans le désir de l’être qu’au
sein de la matière
n close. Le rêve de tout philosophe est un écart de
jugement,
n un témoignage
u irrecevable, aveu de consolations imagi r«' ­
naires, il investit notre âme n de souhaits frustrés et le réel l’égare
dans les grands chemins,
n mais
ii l’art accueille son désir.

LIX. Puissance de l’art Que l’art est né dans le secret dont il


évente les mystères,
u par lui le trop plein
se déverse en un dégagement n d’inétendues, par lui les fins sont
amorcées et les principes consommés, iiiii le réel mis en compromis,
le réel infirmé,
n le réel aboli, malgré
n les dépositions de l’évidence et
l’évidence retournée. Tel est son privilège incontestable et l’on
reçoit avec empressement u les faveurs abusives qu’il dissipe, il a
dans chaque place un nombre n inattendu d’intelligences, les lois les
plus farouches n’oseront l’exclure et les régimes les plus âpres
l’iront sourdement
n solliciter. Il ne l’ignore pas, il sent qu’il revient
sur les lieux et qu’il remonte à la surface, on a beau l’abjurer qu’il
est le maître, un rien le dissimule
n et c’est un rien qui nous l’annonce,
un peu d’argile le renferme n ou quelque phrase noblement n liée au
sein des lois qui le réprouvent !

LX. L’art et les mots Que l’homme divinise les rapports élu­
cidant le monde,
u leur conférant des
volontés expresses, les jugeant animés
n1 à son égard de sentiments
n

formels
n qu’il est prudent de satisfaire : on le voit supposer derrière

186
les moyens mis Il n u en œuvre une raison mystérieuse
par lui-même II et
des fins ineffables, où rien n’égale son dépit, quand on lui fait toucher
au doigt les spectres engageants dont il emplit cet univers. De là,
le pouvoir singulier des motsII et l’importance
il des formules,
n mais
nombre de législateurs l’oublient ou le feignent et les événements n

se vengent de cet abandon. Les mots, nous l’accordons, ne sont rien


par eux-mêmes,
n ii nommons-les bruits articulés, imaginations
H sonores,
facettes de l’entendement,
II formes
H audibles des concepts lesquels
s’efforcent de traduire l’indicible, moyennes à l’usage le plus général
et résumés
II d’impressions subtiles : c’est peu de chose et nous en
dépendons au point que l’on en meurt II souventes fois, ces petits
riens disposent des empires, chaque syllabe est un engagement. II

LXI. Débat sur Pour définir les mots, l’on fait appel à d’autres,
le langage lesquels méritent
II bien qu’on les éprouve à leur
occasion, mais pour les consulter, il ne suffit d’en
rester là, nous devons recourir à d’autres, nous invitant à de nouvelles
conjectures, puis en dernier ressort nous donnerons en l’ineffable
à quoi les notions s’étendent, nous éloignant du sujet à dessein d’y
revenir, ayant tout vu, tout mesuré,II mis
II tout en œuvre et mouve-
II

n ent, réduit les termes


ii à néant, aboli les images, connu le sens
intime
ü et les lumières
n dont il se dérive. —
— Les mots,
n ces moyens de fortune et dont les faits se vengent,
quand nous n’en rendons pas une raison et décisive, les mots sont
œuvres d’art et des mieux concertées, des plus jalouses et des plus
intransigeantes : quand ils se tiennent à leur place, les règnes sont
à l’harmonie et l’on observe mieux II les lois, sachant les fins à quoi
leur incidence se rapporte. —
— Nous supposons que l’on s’accorde enfin à rendre à chaque mot II

selon ses voies, ne laissant rien dans l’ombre il et délimitant les accep­
tions, tranchant et fixant pour tout dire en réformant l’abus et
consultant l’usage, en imprimant II la teneur décidée en l’esprit de
la génération présente et des enfants que l’on enseigne. Oui, nous
conjecturons cela, qui ne se fait pas une fois par siècle dans le monde
et moins
u de trois en mille
n années, nous admettons qu’un peuple
ait consenti la procédure et que ses maîtres n y défèrent, au dam n des

privilèges et des mœurs anciennes, que le pays supporte la révision


et qu’il s’immole à la clarté, qu’il vive difficilement ii et toujours au
pied de la lettre et que ses adversaires n’en profitent pas à dessein
de le ruiner de fond en comble,
ii oui, nous conjecturons cela qui passe
notre imagination,
ri' nous supposons que l’œuvre vienne à terme n : est-il
permis de se dissimuler
n alors la vanité de nos instances ? Suffit-il

187
pas de quelques générations pour que l’échafaudage se renverse ? —
— Nous l’admettons, mais n il n’importe. —
— Devra-t-on réformer n sans cesse ? Vivre en éveil et dans l’a­
lerte ? Courir au premier n signe de menace II et réparer la moindre
Il

brèche ? Donner dans la censure à tout propos, évaluant et levant


l’apparence et jamais las de corriger l’abus qui s’y reglisse ? Déli­
bérant sur les moyens
II à prendre et choisissant les plus extrêmes ? —
— C’est que les intérêts se fondent et s’allient à couvert de biais
imperceptibles, que chaque glissement II s’étaye d’une constellation
de forces légitimes II ou se voulant telles, que les puissants s’ingèrent
de la politique et que les faibles s’en détournent, l’ambition donnant
les mains
II à l’indolence et l’une ruinant ce que délaisse l’autre :
le temps et les droits assurés s’éventent, l’on ne réclame II' plus et l’on
fait retentir ses plaintes, la consolation des affligés. —
— Alors toute recherche dans les mots H menace
n l’ordre et l’ordre
la prohibe et maintient
II le mensonge
II convenu dont il est solidaire.
Puissance de nos mots ! —
— Il semble qu’indépendamment ni ri de nos pensers les voies qu’ils
suivent pour se rendre au jour s’animent n à la méditation,
II où leur
maîtrise
II nous seconde, à moins II que leurs défauts ne la suspendent.
Ces voies nous mènent n donc et ces moyens •1 raisonnent, nous sommes
trop de fois à leur merci,
il nous devenons l’objet de leur consentement II

et nos réflexions imitent n leurs divers états, nous sommes nous à


travers eux, nous nous identifions avec eux dans l’étendue de nos
lois, lois que nous publions et qu’ils nous soufflent. —
— L’intelligence de la langue est le ressort de nos idées. —
— La langue les affine et les polit, leur donnant un aloi valide et
les accréditant. —
— Il semble qu’elle les appelle et nous y porte, les engageant à
se formerII et s’insinuant même n ri en l’ineffable pour en sortir à notre
honneur. La langue est l’art en mouvement, n n un jeu de moules pré­
venants où l’indicible se déverse et par le truchement II desquels
l’homme II aura prise sur tout l’absolu ; la langue est une succession
de domaines arrachés jour après jour au déclin du mystère et faute
de laquelle l’entendement H n’a point de consistance ; la langue est
la durée réversible et c’est le temps u dans le rapport des lois qui
nous régissent : il est des mots II nous résumant n des siècles de recherches
et de procédures. —
— Il en est d’autres plus profonds que la pensée, où notre juge­
ment
n s’abreuve et que les postulats n’épuisent guère, il en est de
l’emploi
n le plus usuel et qui met II l’univers en branle, un mot II sans
quoi rien ne se fait et nulle chose ne subsiste ! —
— La langue est la réserve de l’esprit, la citadelle et le trésor

188
I JF . # *
où les profusions s’amassent
n à couvert, le temple familier
II où l’on
n’arrête de bâtir et le sublime n reposoir de nos démarches,
II le trône
enfin d’où notre amour h s’élance et participe de l’immotivé, le tru­
chement
II des séraphins et le canal où l’océan vint aboutir et baigner
nos domaines.
II —

LXII. L’art et la fable Eu l’art, le culte de l’imaginaire


H est un
indice de rébellion, mais
II qui s’ignore et
s’involue, spirale aux virulences évasives, tumulte au remous H de
sa nonchalance et patrimoine
II de disettes. On se dérobe à l’évidence
et, n’ayant pas à la juger, essuie les abus en se donnant quelque
pouvoir sur les chimères, plaisant moyen de se munir n d’une fuméeII

et de laisser les maîtres


II en repos. Les hommes
iiiii sujets à de telles vi­
sions, les amoureux de romans et de fables, ont l’admirable de s’ac­
commoder du pire et nous savons des peuples assotés qui, se mêlant n

de faire loi dans le domaine le plus libre, avalent naturellement n des


lots d’insultes incroyables dont ils n’ont pas l’intelligence et ne
désirent point l’avoir, complices de leur servitude et préférant un
esclavage indubitable à l’aventure de former un choix et d’épouser
une querelle à la merci de leur arbitre.

LXIII. L’art et le mythe


il Par le canal de l’art il est des inventions
mieux
n reçues et des erreurs plus ferme- ii'

ment
II accréditées que les lumières
n les plus vives et les plus mar n ­
quantes. Il ne nous sert de rien d’en appeler à la logique et nous y
serons déboutés d’avance : on rit des notions solides, les arguments
nous laissent en défaut, nos remontrances
II tombent d’elles-mêmes,
II II

nous voilà nus et déconfits, ayant la vérité pour nous et la meilleure II

foi du monde, mais


II c’est un vain prestige, il manque
II là certain arran­
gement
II de fatale éloquence et tel que nulle vérité ne le propose,
un ordre sciemment lié qui se déploie avec un art facile et pathé­
tique, un mélodrame
II II convenu, souventes fois le même II n et qui ne
lasse pas la galerie. A qui s’attache à réformer II les mythes,
ii je le dé­
clare d’une vue : il perd son temps, II s’il les aborde et plus, s’il argu­
mente,
H il le consume
II à les défaire, eux qui se rétablissent à mesure, II

il s’épuise à la tâche et la matière


II le renverse, on dirait quelque nain
laborieux fouillant une montagne.

LXIV. Solution impérative on a raison de l’imposture en forgeant


de nouveaux mensonges,
II mensonges
II

tenant à la fourberie qu’on déteste et de si près qu’ils la retournent :


il faut aller plus loin pour revenir, enchérissant sur l’excès même
ii n

189
et révolter ceux que l’on prêche ou semer Il la confusion en ne laissant
alors d’impatroniser
n le remède, et l’on entend d’ici lequel. On nous
demande
ii en somme une œuvre d’art et l’on a tort de négliger
certaines voluptés formelles,
n certaines complaisances
II savoureuses,
de multiplier
II les lumières
n désolantes, de recourir à des chimères ii de
la spéculation ; pour l’homme H du commun
nin tous les raisonnements
n

sont creux, s’ils ne renferment


If — outre l’opposition la plus tranchée
— une promesse
II d’ineffable, un absolu majestueux et théâtral. Le
peuple est à la fois manichéen
II et friand de prestiges, il veut trembler
en jouissant. Qu’on le prévienne ! L’art ment jusqu’en l’aveu, sans
l’art rien ne s’impose à la direction charnelle et quelques phrases
ravissantes procurent à la foule un avant-goût de paradis, quelques
préceptes l’ensorcellent, quelques légendes la captivent, elle est
soumise
ii à qui la violente dans les formes, n mais
n ne supporte rien de
qui la flatte sans la fasciner. L’art charme n et jusques en la pénitence,
sans l’art qui rêverait de mourir à la peine ? Que nous importe la
véracité ? Nous regardons à ce qui nous remue insidieusement n et
nous ébranle dans l’ivresse et tant de raisonneurs n’ont balancé
le moindre des prophètes. Que nous importe n la justice ? L’art fait
illustre ce qu’il touche et nous rend assesseurs de ses merveilles. u

Que si les raisonneurs se mêlent ii de nous gouverner, qu’ils se dé­


pouillent de leurs attributs ou les dérobent sous l’éclat des faux
mystères,
n tous les mystères
n étant faux, faux comme l’art, mais n

quel est l’homme uni que le jugementn ne frappe et que la vérité


n’achève ?

LXV. Prothée art prêche sans retour ce qu’il annonce sans


partage et sollicite sans mentir ce qu’il impose
sans conteste, il est en lui d’avoir sur nous le dessein qu’il affecte,
en lui d’aller s’ensevelir en une forme II péremptoire, en lui de surseoir
à l’alternative ou de chanter victoire pour s’en garantir, en lui de
ressortir à nos éloignements
II ou de précipiter nos fins, il est le com II ­

plaisant et le plus rigoureux, il est le changeant et le ferme, II il est


Prothée et le soubassement Il inamovible, la norme II avec le démenti,
II

la règle avec la démesure,


II il est le dénoûment II dans le principe et
la promesse
II en l’absolu, fidèle à son écart et toutefois l’accompli II

de sagesse, un monde
II à sa manière
II et qui se sent de ce qu’il admi­
nistre il est un rien d’une extrême II étendue, un lieu de sûreté
qui ne se trouve nulle part, un bon usage à quoi les traditions
ne suffisent, la grâce prévenante et non l’habituelle, mais toujours
rr
1? etncace.
II

190
LXVI. Le fini dans les infinis Que disposant du fini seul qui
Il arque ses ressources, l’art a ce

privilège de nous rendre un infini dont il imprime II II les attraits en


l’âmeIt même
II II le désavouant, par un langage propre à conjurer ce
qu’il n’enferme II pas, introduisant ce qu’il ignore et relevant qui le
dépasse. L’art est une ouverture et nous devons nous appliquer à
ce qu’il nous annonce, en ne laissant de regarder à la manière II de
le mettre
II en œuvre, les deux n’ayant pas à s’exclure. Que l’art
s’attache à mettre
II dans un ordre souverain qui se repousse mutuel II ­
lement
II ailleurs et qu’il s’étaye de semblables différends, dont il
fait ses délices à l’accoutumée, H enchérissant sur le prétexte et le
consolidant en l’harmonie inamissible II : il dispense à chacun la pré­
férence que chacun prétend à ses faveurs, il les accorde les ensor­
celant et ne leur donne pas le change, bien qu’ils le prennent et de
bonne grâce, il est en lui de motiver ce qu’il invente et de justifier
ce qu’il obère, il ouvre mille issues et suspend les démarches, puis il
les presse en fermant II toute issue, il joue et légifère, il brisera les freins
pour mourir à la peine, un rien l’excède et l’univers n’y peut suffire. It

LXVII. La ligne de partage L’art est la ligne de partage entre


le Désirable et le Sublime, II il a seul
privilège de les balancer, il donne en l’un sans désavouer l’autre
et s’ingénie à les unir en un commerce II prévenant, il se promet n à
l’un, il se dérobe à l’autre, il tente le Sublime ri et le subjugue fasciné
pour le jeter en proie au Désirable, il ensorcelle le désir et fait qu’il
se surmonte, il va du premier n au second, les sollicitant l’un et l’autre,
plus fermen en son propos, il les accorde en l’assemblage le plus rare
et la séduction la plus savamment ambiguë, avec une justesse où
rien ne manque
n ; il en recueille les bontés en un tempérament unique,
où l’on savoure un je ne sais quoi de l’abîme n au sein de l’empyrée.
II

Délice, tel est l’art, délice et non pas un chapitre concluant, module II

davantage que modèle II et plus que loi proportion, ajustement II plus


que maxime
II II et règle sans adage, plus divin que l’éthique et moins II

sûr que les mandements,


II II confidemment
IIIII pernicieux, saintement
II dom II ­

mageable,
n frein salutaire ou charme II immodéré,
IIIII double en son origine
et double quant aux voies, engourdissant les scélérats ou dépravant
les simples. La liberté dans l’art n’est que délire et ses effets nous
semblent trop réels pour qu’on les doive abandonner à l’aventure,
à la rencontre des périls et de la dissolution, car il y prend des
complaisances singulières, l’inavouable le fascine et plus il tombe n

de son haut, plus il savoure son débris et plus il y met n d’éloquence,


témoin de toutes ses ferveurs sur le penchant de sa ruine.

191
CONCLUSION

Le Désirable nous subjugue et le Sublime II nous détrompe


H ; en
l’un nous décelons l’ivresse, en l’autre le réel se change et les principes
se renversent ; en l’un nous volons à l’aveugle, en l’autre saintement
lucides ; en l’un déférant à l’emprise,
II en l’autre recevant les lois
que nous dictons, dépositaires de la Révélation face aux atteintes
de l’adversité. Le Désirable nous engage en affectant de nous éman II ­
ciper et le SublimeII nous libère en redoublant nos servitudes ; l’un
nous émie
II et l’autre nous assemble II ; en l’un nous nous fuyons,
sujets de notre inconsistance,* en l’autre nous nous rapportons à
nous, plus vulnérables et plus fermes II ; en l’un nous nous précipitons,
mais
II l’autre nous aspire : l’un est le Tourbillon, quand l’autre se
fait Trombe.

192
LIVRE CINQUIÈME

DE L’AME ET DES PUISSANCES

I. Préliminaires
ü Que l’homme est de ce monde et ne se rend jamais ii

en d’autres lieux, qu’il n’est d’ailleurs et qu’il


ne veut en être, qu’il s’y réfère et peuple un univers de ses fantômes lï

caressants, qu’il le retrouve à bout de voie et s’y complaît il sans


lassitude, qu’il rêve de l’éterniser, charnel jusqu’en la fine pointe
de son âme u et malhabile
n à concevoir un Dieu qui ne serait d’abord
une personne. Et toujours le réel nous suit, il nous est toujours fa­
milier
it et toujours l’on s’y meut ii: à l’aise, au mépris
n des vœux so­
lennels et de la foi jurée, car l’homme est de ce monde, n il est poussière
et ne saurait le démentir.
n Les monstres qu’il invente ont leurs modèlesii

ici-bas et jamais
n; peintre n’en imagina
n dont les parties ne dérivent
du réel, ils ne sont monstres
H que par l’assemblage
n et le plus faux,
leur vie même
n n serait impossible en dehors de l’imaginaire
n: et l’évidence
en aurait infailliblement raison. De l’homme mu à la réalité, de la pensée
à la nature universelle il est un accommodement iiiii n et rien de plus,
un absolu bâtard de qui nous nous servons à notre bienséance, un
moyen
n nous facilitant l’intelligence du principe et sans lequel nous
n’avons lieu de sûreté, moyen dissimulant n ce qu’il ne nous affiche
plus et nous vendant une parcelle au prix du demeurant inaccessible,
mais
il l’univers s’ordonne à ce qu’il nous résigne : quand l’homme H ne
verrait qu’une facette, il jugerait au mieux n de ce fragment, il en dis­
cernerait les lois et les rapports, multipliant
n les éclaircissements
H à la
recherche et rendant la réponse, il viendrait à la pleine connaissance,
au moins
H à celle qui le touche et dont il tire une raison de subsister.

II. Choix péremptoire II est deux mondes indivis et qui ne peu­


vent compatir
n ensemble, où l’un se noue
et s’échafaude malléable et menaçant,
n en devenir perpétuel sous la
gouverne du possible, et l’autre s’édifie inébranlé, domaine des

13 193
substances et le terroir de l’absolu, le calmeII et souverain parvis
des règles et des formes,
H le seuil du temple de mémoire
il où l’homme
n

règne sans partage et se délègue sans défaut.

III. Climat
H de l’homme Le monde
H ne mü ’enseigne pas à le con­

naître, il ne veut être que subi. Ma vie


est passion, mais
11 je la vaincs où je le vois et je l’emporte au sein
de ma
II défaite. Hors moi, tout est possible à tout moment 11 II et je ne
puis le surmonter qu’en m II ’avouant ce qui m il ’obère et ne laissant

de mil ’y ranger d’avance : pour nier l’univers, il faut que je l’écrase

au tréfonds de moi-même. 11 Qui n’a raison de l’univers ne le sau­


rait déterminer,
II qui le subit et s’en contente a vainement souf­
fert ; nous sommes toujours dignes de pâtir en en sachant la
cause.

IV. La vie est tremblement


11 Chacun de nous émerge
If sur le chasmeil

et vogue sur les eaux de mort, il imil ­

pénétrable et solitaire, un monde II en mouvement


il II et qui se choisit
tel, embrasse
il l’évidence et la contemple, et puis s’abîme en emportant
l’image
il du réel où le réel n’a plus de raison d’être. L’homme il est le
vivant innombrable et qui se voit mourir, dès le moment qu’il se
confine en une solitude close et qu’il demeuren l’isolé dans les ténèbres,
mais c’est alors qu’il vit avec le plus de force et le plus libre, en
n’étant qu’à soi-même,n il à l’antipode de ses déviations. Quand l’homme
tremble et se dévore, il est à lui dans la rigueur des termes, il ne lui
reste que le sentiment de l’être en devenir et s’acheminant à la mort,
et de ce trouble fascinant dérivent ses lumières, il de cette déso­
lation le fondement n de sa créance et de ce dénûment un sur­
croît de richesses. La vie est tremblement
II il et notre incertitude la
confirme,ri le reste n’est que l’irréel ou de fumée
H et nous n’y sommes
iiiii

qu’ombre.

V. Pathos Que l’évidence est pathétique et se démontre sa réalité


par le canal de l’homme
I ill l et l’homme,n l’objet du pathos,
est au milieu
n de ce qui l’émouvant
II l’assaille, un objet mis en état de
défense et connaissant ce qui le départage, un objet doué de possibles,
ayant pouvoir de se nier ou de s’étendre ou même n de tout rapporter
à soi, pour être cause d’univers et reflet de structures. Le pathos
est l’appareilleur et l’homme
Hlll naît une seconde fois à devenir son
antipode, où son duel le désassemble
II en un forcènement
IT inassouvi :

194
dès lors, il est et s’opposant se pose, il se déchire et se recueille, il
se dilate et se confine, il se propage et se condense, il est pathos
et reflet du réel, mais
Il un reflet intelligible et liminaire, un aveu
qui se répudie, un refus qui s’affirme,
II. un temps d’arrêt et de com­
motion d’où ses velléités émanent, se gagnant sur le monde, enché­
rissant sur le réel, en possession de le plier à sa fantaisie, en ne lais­
sant de le connaître.

VI. Naissance de En l’éminence,


n le pathos est l’objet même n du
l’esprit tragique pathos et nous vivons pour nous sentir immo- iiiii

tivés et motivant,
h universels et personnels.
L’esprit tragique a la vertu/dé ne se rapporter qu’à l’homme et l’uni­
vers, les nouant l’un à l’autre en un duel suprême, où l’homme iiiii

se voit augmenté de tout ce qu’il excède et l’univers intelligible à


raison de l’entendement n qui l’évalue. Si le réel est pathétique où
nous le sentons nôtre et ne pouvons le surmonter,
IT il est formel
n ailleurs,
à la condition qu’on s’en déprenne et l’envisage d’un point de ré­
serve, mais
n l’un tout comme l’autre se relient, s’entremêlent et se
fondent, puis l’homme n est d’ordinaire pathétique à l’heure qu’il
s’estime le plus détaché, de même n n qu’il fait preuve de détachement, IT

lorsqu’il approuve une émotion dangereuse et dont l’utile est de


le mettre en peine de l’humanité. Le tourmentant n qui se géhenne,
il est de trop, s’il n’est à double face et le mensonge
ri.i avant la lettre,
il faut qu’ilse démente
II aux lieux qui l’ont vu s’affermir, prenant ce
qu’il renonce et déprisant ce qu’il atteint, toujours en mouvement II

afin d’incessamment bâtir et jamais II en repos de l’éternel qu’il


perpétue d’heure en heure.

VIL Duplicité L’homme iiiii est contraint de subvertir qui l’écha­


faude, en faisant fonds sur qui l’en destitue et de
ce double empêchement
n n émane
n la raison de nos prétextes. Oui,
les raisonnements conduisent à l’absurde, à moins de l’impliquer ; la
seule ambivalence
n le dominen en l’épuisant, mais
ri elle emporte l’âme U

à s’affermir dans le tragique. Où la tristesse n’est qu’hébétement if

languide et vice de pensée, une âme digne de ce nom ii éprouve les

mutations
n profondes et les luttes inégales, son œil intérieur est doué
de mémoire et tisse un entremêlementri de liens de place en place et
d’heure en heure. Il semble
ri qu’elle soit assise en un théâtre, au milieu
ri

d’une légion d’aveugles, et qu’elle voit ce qu’ils entendent et ne sau­


raient motiver : le rauquement n des fauves, le râle des mourants, le
tintement
n du bronze et le choc des épées.

195
VIII. Ambivalence L’homme
iiiii est multiple
n en sa duplicité, on le
voit un de mille
ii parts et mille
n en chaque mou­
vement
n de l’un ; son âmen porte l’univers qu’il envisage en plus de
ce qu’il est, son branle tant d’errance et de cheminements n qu’il
trace un labyrinthe à chaque pas. Il faut pourtant qu’il s’en démêle, n

trop malheureux
n s’il ne se rompt. Qui ne se brise, ne s’ébranle, qui
ne s’ébranle ne se perpétue. Je ne suis moi, qu’autant que je me n

passe et rien, où je ne veux mourir


n à toute chose ; mon être est l’en­
gloutissement
n de ce qui m n ’en sépare et me n dévore, intarissable,
afin que je men restitue à ma n dérive. Cruel balancement,
n au bout
de quoi mon âme n ne discerne que sa perte infiniment continuée.
Je vis et meurs
n sans débrider, en marge de mon absolu.

IX. Le fait de l’homme L’on est, dès le moment n n qu’on a pris


forme
n et toute vie est un rassemblement n

que ses limitesn élaborent. Mon origine est le reflux et je m ii ’instaure

en l’élémentn de sa démarche,
n issu de ma n périphérie et le miroir
dissimulé
n de ce qui m’environne : les mouvements
n. n de profondeur
ne semblent que l’image u de mes
ii attitudes, l’élancement n le plus
immodéré le reflet d’une allure cauteleuse et le dépassement rompant
l’amarre
n une manière
n de soutien, de sorte qu’on ne vit jamais à
couvert de soi-même. n Dure nécessité ! L’homme est le fleuve re­
montant devers la source et l’anabase cesse, à l’heure qu’il en a
l’intelligence et s’improvise
n le témoin de sa coulée ! Il lui faut tout
envisager sous l’angle de l’impérissable
n et mettre
ii ses trouvailles au
pilon ; il ne peut demeurer n en place, à défaut de se démentir et ne
doit s’ébranler, à moins u de plier sous l’entrave ; il n’est pas suscep­
tible de se définir d’un seul tenant et n’y peut renoncer. Le fait de
l’hommeiiiii est de traduire l’ineffable et de soumettre l’indivis à tout
ce qui le départage ; il trouve en soi les fins et le principe, il se libère
au long de ses limites, h il s’établit en leur dépassement, n il soumetII

l’univers docile aux lois qu’il y décerne, il l’emprisonne et le régente,


il l’associe à nos visées, il lui confère l’appareil de nos dilemmes,
il le pétrit le motivant
II et l’ordonnant le parachève, intronisant les
règnes de l’esprit, mais il ne doit jamais II s’en prévaloir, sous peine
de miner
II son œuvre, il est besoin qu’il échafaude pour l’éternité,
s’il veut que le possible ne le dompte au languir de la tâche et qu’il
dépasse l’heure en l’heure même, II en ne laissant d’y revenir.

X. Le temps de l’homme Or, l’homme


nin est fait pour vivre et plus
qu’en vue de la connaissance, la con­
naissance est dans le cas de l’achever, s’il ne la restitue pas à sa
gratuité première.
n Le premier
n soin de l’hommen est de se préserver

196
de la menace
H ou de l’atteinte, et le second de prévenir et l’une et
l’autre en se rendant plus formidable. Dans quelque éloignement H

que nous soyons les uns des autres, les mêmes ii n ressorts nous agitent
et des mobiles
H analogues nous commandent, mais n le détail varie
et ses figures nous aveuglent. Chacun de nous, sur l’océan du monde, II

est le vaisseau rompant l’amarre et nous avons beau fuir, nul ne


déjoue ce qui nous abîme et nous savons que toute vie est un miracle
permanent.
II La joie que l’âme
II prend à se communiquer
lllll à l’étendue
de son règne et de verser dans tout ce qu’elle en tire est le garant
fallacieux de son ivresse ; elle a beau multiplier
II ses visées, se jouer
du réel et remplir chaque battement de sa liesse, le temps n qu’elle
enfle ou qu’elle annule est là, fidèle à sa voracité, marquant n le pas
de l’ombre.
n Domaine
n du possible et prégnant de sa mort, n le tempsII

semble
n émaner
it de l’indivis et se jouer au sein de l’être, mais n il varie
incessamment de lieux en lieux, à jamais II infidèle et toutefois inexo­
rable, nous dérobant à nous et nous restituant à ce que nous
ne sommes plus. Que d’hommes vivent en sommeil ii par une succession
non interrompue et gardent un semblant de calme ii tutélaire et de
sérénité dans l’harmonie
il où vague leur absence ! Que d’hommes if sont
des carrefours de rumeur incessante en leurs oublis recommencés n !
Que d’hommes naissent au jour la journée et ne se lassent de mourir n
où la nuit tombe, les pèlerins de l’immobile, vomis If l’on ne sait d’où
pour n’être que leur ombre et devenir leur impossible avènement II !

XI. Les signes Que l’homme


lllll a des lumières
II le touchant, si fortes
et si vives que nulle théorie n’en approche. Dès
le moment qu’il s’y réfère, il les éteint comme ni n en leur source : il
a le pouvoir de les ressentir et non le privilège de les rendre, il les
subit et ne les communique point, il les assume et ne les réfléchit
aucunement,
n il les possède et n’en dispose guère, à moins n de les
réduire à n’être que des signes. Les signes sont le moule des lumières.
n

XII. Les variations Que si le monde


n nous est familier,
n c’est qu’il
de l’imago
n mundi
n est devenu le répertoire de nos signes, do­
maine
n où nos agissements
n concourent à leur
vue et qu’ils sillonnent de leurs voies, mais
n cette généralité propice
est un écueil et fait empêchementn à la demande, on y reçoit plus
qu’on n’y cherche et l’on en tire moins
n où l’indolence achève par
nous engourdir, on ne s’étonne pas assez, tout se rend ordinaire et
les lumières
n se confondent. Ce repos charme l’homme, n on ne s’en
lasse guère et la félicité d’un peuple est nonchaloir au fort de l’im- if

197
mobile
u et sous les branles de surface, on voit d’un mauvais H œil
qui bouleverse un tel arrangement et nul ne lui sait gré de ce qu’il
nous annonce : il nous oblige à la révision la plus incommodante,
il nous dérobe les soutiens habituels, il sème tt l’ambiguïté, le monde
n

nous étonne et, dans les lieux les moins


it sujets à donner de l’ombrage,
on est saisi de troubles imprévus.
ü Or, il n’est guère de moyen
n d’ac­
céder à l’intelligence où l’on ne double et ne redouble les empres n ­
sements, où l’on ne renchérit sur les émoisil et ne recule ses frontières,
allant du formulable
il à l’insaisi, de l’éloquent à l’implicite et du réel
à sa réalité. Arrachement
n sans l’accalmie
il en l’émulation
n de certitude
et renouveau d’impasses, telle est la destinée de l’humain n en ce qu’elle
renferme de stellaire.

XIII. Moyen d’approche Le réalisme


ii est une raison péremptoire
et qui fournit des sûretés très éloquentes,
mais nous n’avons pas à le conserver au delà de son étendue et, s’il
est un moyen de passer plus avant, le réalisme tombe et l’illusion
de tout percevoir. De la réalité suprême en tant que telle à notre
intelligence, il est des voies et des retraites, il est des acheminements il

et des enigmes,
n il est des procédés ouverts et des refus inviolables.
Le naturel de l’homme iiiii a filtré l’évidence et le produit de l’opération
tient de l’humain
n et n’en diffère que par des antinomies réductibles,
l’inconcevable même
n n est l’opposé de notre jugement et nous en re­
cevons une lumière à quoi nous le délimitons. L’image H du plérome
est un concert dont l’homme éprouve les relations immédiates, au
moins
il s’il en relève, et dont la généralité prend une valeur absolue
en ce qui le concerne : possible qu’elle changerait ailleurs, mais il
n’importe et nous devons bâtir sur elle en ne laissant de la tenir
pour ce qu’elle est, j’entends une position et non le fondement II de
l’univers entier. Le réalisme n est élément de la recherche, il ne saurait
l’accompagner à bout de voie et l’on peut dire qu’il l’arrête au piège :
en la dernière instance, notre univers est la figure de l’esprit et c’est
le gage de sa dignité.

XIV. Le sens commun Nous maintenons


ri que la nature joue et
que tout est possible à tout moment,

mais
n à l’égard de l’homme
nin il est un ordre dans les temps, un enchaî­
nement
n dans les faits, une mesure
n générale et des lois apparentes,
il est donc une façon d’harmonie où l’on accède à la prévision de
l’ordinaire et délimite
n le probable, un monde
II où l’on peut s’avouer
de raisons et de causes, bien qu’elles semblent trop humaines, un
monde familier et qu’il nous sied de rendre tel, y trouvant mill n e

198
prises, un monde enfin où nous mettons de notre complaisance en
un tempérament de nos lumières et de nos démarches. Il Ailleurs,
l’entendement
H résiste aux dépositions de l’évidence et la figure du
plérome a de quoi l’indigner, il ressent l’inutile de la vie — manière
d’épiphénomèneil — et, s’il distingue en l’univers on ne sait quel
arrangement qui nous annonce des vertus intelligibles, s’il y discerne
une conduite générale enfermant ii l’œcumène
II en un déroulement II

majestueux — à quoi l’infime n participe et dont la masse


II forme un
tout à jamais
•î solidaire —, il n’en devine la raison et ne doit même
pas creuser la somme de l’acquis préliminaire, il est tenu d’enregistrer
à l’aide d’appareils ce qui ne tombe guère sous nos facultés et,
multipliant
II les ressources, de se fier aux truchements II dont il a fait
l’élite, encore que ces procédés annulent d’ordinaire le jugement u

qui les asserte ! Le sens coïnmun II n’a rien à voir en un domaine


n qu’il
engendre et dont les notions l’ignorent de nécessité, configuration
portant l’ensemble le plus homogène et le plus difficile à peindre,
à cause qu’on n’en peut s’abstraire : il est en nous et nous y sommes,
c’est une convenance mutuelle
u' et le rapport nous en éloigne, il faudrait
que l’entendement n fût sujet pur et le plérome n un objet absolu pour
qu’on en décelât l’intelligence relative, et cela même n n nous est refusé.

XV. De l’évidence en tant Que l’évidence est élément de notion


que phénomène humain et forme H du réel, du réel manifeste
n

et perceptible, et qu’elle semble un


fragment de la généralité dont l’homme n se dérive, mais
ir rien de plus.
Nous voyons tout par elle et ce tout-là n’est qu’une espèce de lambeau
taillé dans la figure indiscernable du plérome, n un lien de dépendance
et le recours forcé, nous y venons, ne finissant de la parachever en
diligence et nous y revenons du plus loin de nous-mêmes, u n nous
respirons en elle et les contentements
ii s’annulent si nous ne l’avons
ii énagée, nous rêvons de l’étendre à l’univers, nous la mettons n en
O 7 '
œuvre et nous en disposons à notre bienséance, elle nous gagne les
domaines les plus écartés et nous nous référons aux lois qu’elle
publie, le peu qu’elle nous montre est une certitude, à la faveur
de quoi le reste se découvre et fût-ce négativement. ii Loin qu’elle ait
omis de nous avertir, elle en indique les objets, rendant raison de
ce qu’elle n’embrasse, elle mesure
n: l’étendue et de nos jugements et
de sa redevance. Aucunefois elle précède l’homme et, de nos jours,
les hommesri la devancent, elle s’ajuste à des impératifs qui la ré­
duisent à l’absurde et parvient à les subjuguer, elle réprime n l’inso­
lence des écarts, elle se glisse dans les intervalles, s’insinuant en marge
de l’antinomie, complice
ii de l’humain.
ii

199
XVI. Aphorismes
H sur l’évidence.

A. Que l’évidence est une paroi close et démunieH de fissures, une


manière
rr de fatalité que notre jugement élève aux confins du possible,
en faisant le départ entre le changeant et le persistant, en ramassant
les traits de l’un et l’ordonnant à l’autre, lequel naît à mesure
h et
dont les démentis
n avancent les ouvrages, les conservant dans le
repos nous permettant
n de les évaluer.

B. Que l’évidence est cela mêmen ir dont plusieurs conviennent, qui ne


se ressemblent point et sont dç bonne foi, quitte à se démentir
n par
devant l’un ou l’autre, un mutueln accord de marques
ir invisibles et
si fortes qu’il n’est rien qui les altère, une harmonie où les contraires
se déjouent et les absurdes compatissent, une manière II de fatalité
que l’on essuie à la traverse des empêchements. II

C. Que l’évidence s’enrichit à proportion de la bonté de nos yeux


et qu’elle gagne en étendue et profondeur, tout y coulant de source
et venant s’y ranger à la plus juste place. Merveilles et prodiges ne
nous sauveraient de l’évidence, laquelle est un miracle
n permanent.
ir

D. Que l’évidence est un recoupement II qui fait que nous ne pouvons


rien sur elle, sauf à nous démentir
II de conseil pris et de tenter qui
nous renverse : l’issue est l’évidence que je nommerai niii seconde et
c’est une manière
n d’édifice où fondement et comble se retournent,
un appareil échafaudé dont les appuis reposent sur la tête et dont
l’assise est en épreuve au beau milieu
n des nues, chimère
n de la spé­
culation et manifeste
n de l’humain,
n œuvre admirable et néanmoins
tissue de démences.
n En elle, il y a trop de nous pour qu’elle nous
démontre
n ce qu’elle nous enseigne.

E. La vérité n’est pas dépouillement,


II mais
II somme et la semblance
li

est aussi véritable que le demeurant qu’elle nous dissimule II' ou nous
annonce. Quoi de plus erroné que le moyen de rompre toutes les
mesures dans la vue et de les dépasser et de toucher à la substance,
merveille
n inconnaissable et néanmoins
n déterminée,
n noyau mystique
n

et plus réel que l’évidence ? Quoi de plus simple ? La vérité ne se


situe aucunement
n en un seul lieu qui la résume n et nous devons la
chercher d’un tenant où nous croyons la voir et dans le fort de ce
qui ne l’implique
ri pas, immédiate en même H n temps
H qu’ailleurs et
davantage en dix emplacements
II' II qu’en trois ou quatre : elle réside
enfin dans le recoupementII subtil de toutes les matières,
n point idéal
et qui se change à la bonne venue.

200
F. Réel est ce qui ne se prouve quant a soi^ m II aïs nous demontre
H

tout ce qu’il renfermeII et même II ce qu’il ne renferme II pas ; réel est


qui nous unifie à son égard, dans la mesure où nous l’envisageons,
et ne se dément
II guère pour le reste : je nomme
IIIII le réel un entrecou-
pement
II au sein de l’indivis, un noyau d’absolus aboutissant à l’évi­
dence et le moment
H d’une fatalité qui désagrège le possible. La fin de
l’évidence est l’unité qui la mesure.
II Le nombre seul a raison du chaos.

XVII. Sur le possible Le vrai n’est nommément


II II que l’un des
et sur le vrai reflets du possible et qui nous touche avec
le plus de force, et l’évidence même
II en est
l’ajustement
n simultané, mais
II le possible se situe en un milieu dont
les limites
ni se déplacent, que l’on invente par le truchement II des lois
et détermine aux lieux où les formulesII se recoupent, tout comme si
l’on sondait une mer.
II L’intelligence du possible est le moyen de
définir les modulations du vrai, dont il nous semble la matrice. II

Depuis quarante siècles, l’espèce lutte avec les formes du possible


et les réduit à des linéaments
II invariables ou qui ne changent qu’à
l’intérieur de périmètres
II assignés, dont l’étendue s’accourcit et se
resserre. Le but de l’homme est d’abolir les intervalles en balance
et de contraindre le possible à ne se désunir d’avec le vrai, pour
disposer de l’un en vertu des lumières H que l’on a de l’autre.

XVIII. Le but du philosophe Qu’un philosophe est dans l’usage


invétéré de penser dangereusement
n

et c’est à quoi nous le pouvons connaître ; il est le remueur


H des signes
qu’il rapporte à leur genèse et passe du réel à la figure qui le repré­
sente : en lui, tout se fait réversible et les chaînons éclatent pour
se réformer,
II il ne s’attache à rien qu’il ne l’éprouve et sollicite les
préliminaires,
II ne voulant guère disposer de qui se range à sa tutelle
au lieu de l’avoir combattue, un monde d’ennemis n ne saurait l’as­
souvir et nulle certitude ne l’a consolé, lui qui ne metn d’appui dans
ce qui nous l’avance et détermine H de combler sous chaque pas un
engloutissement
II dont il mesure l’intervalle. Le but du philosophe
est un nivellement II d’assises, puis un échafaudage de structures
balancées, dont il savoure l’appareil, mais l’objet véritable est une
prise et non la jouissance d’une certitude prévenante.

XIX. La consistance de l’erreur Dans les commencements,


IIIII II le tout
n’est pas de tomber
II juste et
l’aberration vaut mieux
H que l’indigence : nous différons pour l’or­
dinaire moins de redresser l’erreur que de peupler un vide et l’on

201
réformeil les abus qu’on a pris soin d’édifier, mais il l’on ne bâtit guère
à faute d’une assise et ne raisonne point où les symboles manquent. n

Dans le principe, on s’aventure à la faveur de tel ou tel événement, ii

au hasard de tout ce qui peut en arriver et se refuse du retour, dès


le moment
n qu’on a pris fonds, quitte à se faire violence. On aménage •i

le terrain, l’on s’y confine et s’y déploie, l’on reste prévenu de sa


bonté, malgré
n les démentis
ü et les vicissitudes, l’on y demeure —
s’il le faut, des siècles —, l’on vit et même ri l’on végète, mais l’on
subsiste néanmoins
ii et nul ne tente un changement n qui romprait
ses mesures.
n L’on forme, de la sorte, un amas cohérent de préjugés
et de lumières
n dont les enseignes nous rassurent à demi, ni fourmille­
ment
n immense où tout n’est pas à rejeter et tout n’est pas à recevoir,
en état de servir une ou deux fois sur douze, en nous donnant le
change sur le reste : une ombre d’efficace a la vertu de mieux n nous
affermir alors que mille ii sûretés que l’on dispute à leur néant. Le
premier soin de l’homme est de nier le monde n en tant que tel et de
se dérober à l’évidence, au mépris n de l’adversité, manière de le
ramener
n à sa gouverne — encore qu’il statue à vide et légifère dans
le vague —, fantôme de tutelle et privilèges en peinture, et toutefois
il ne s’abuse guère et remplit n son engagement, où l’univers est
devenu passible et le réel mis en demeure n d’obéir à qui l’appelle
et l’astreint à se déclarer. Or, le dilemme préalable ne pouvait être
résolu qu’à la dernière extrémité, n le monde défini qu’en la suprême ii

instance et les commencements


n n déterminés qu’à raison de leurs
suites les plus étonnantes. Nous savons désormais où nous nous
situons et touchons au moment n de parvenir à la plénière intelligence
du réel et de nous-mêmes, n le voile se déchire et le mystère se dissipe.

XX. Le procès du réel La fin de l’homme iiiii et son partage ina­


movible est de multiplier l’humain n sans
abjurer le réel qui l’enferme,
n de s’éclaircir de l’un moyennant l’autre
et de les accorder en disposant au mieuxu des libéralités de l’évidence,
d’humaniser
n le monde et de se pénétrer des lois qui semblent le
régir, lois qu’il publie à sa commodité,
n les voulant aussi générales
que possible et par le truchementn desquelles se forment
n des objets
nouveaux. Depuis qu’il est des hommes n et qui pensent, le nombre
de ces éléments n’arrête de grandir et c’est par eux que nous nous
soulageons de nos perplexités, ces mille ii objets tirés de nous nous
dissimulent
n le réel sans le trahir, nous reliant à l’évidence la plus
familière
n et tenant assez de la véritable pour nous en fournir toutes
les enseignes, mais
n par le canal de nos voies. Le réel préexiste à
l’homme, il s’y remue,
n il en gémit
ii quand il ne s’en délecte, puis

202
il se gagne longuement
n sur lui, le consultant pour mieux s’en af­
franchir et le simplifiant,
n il en dénombre
if les ressorts, il les met
n en
usage et l’évidence en compromis, il va plus loin et, légiférant, il
amende
ri : un nouvel univers sort de ses mains
n et c’est en lui que le
réel accède à ses réalités essentielles. Nous engendrons ce qui nous
établit, nous suscitons qui nous étaye et nous chargeons qui nous
supporte, tout nous est dû, maisn nous le redevons, sous peine de
languir en reste.

XXI. Dialectique du
.1 donné Que l’homme
uni se procure le donné,
mais qu’il fait mine de le recevoir
par une convenance imaginaire,
u où son arbitre a mis le siège devant
la raison et lui refuse du retour, lors même qu’il fait brèche. L’in­
telligence ne veut rien, quand elle ne s’emploie à feindre et qui re­
nonce un tel appui demeuren en l’au delà de sa genèse et ne peut de­
venir ce qu’il doit être. Nous sommes libres de vouloir, dès le moment
n

qu’on se le persuade et le possible est le garant de nos franchises,


mais
n. s’il nous doit jusques à l’obligation de se manifester, toujours
est-il qu’il est expédient d’en perdre la mémoire.
n Nos libertés sont
à ce prix.

XXII. La connaissance La connaissance est moyen


n terme
n entre
les deux inconnaissables, elle est position
dont les emplacements
ii varient en raison de nos mesures,
n elle est une
manière d’entrecoupement n à l’incidence réversible et dont l’allure
se dément
HT où nous la réduisons à notre unicité formelle : double
est la connaissance et toute loi profonde implique d’un tenant ce
qu’elle représente et ce qu’elle n’avoue pas. La connaissance est,
touchant l’homme, un accommodement ii ii sujet à sa nature et que
l’esprit modèle et détermine en le vouant à l’absolu. La connaissance
est enfin l’absolu dont les rapports se changent, mais qui demeure
ce qu’il est à l’égard de nous-mêmes
II et la matrice du réel, le répondant
de l’évidence et l’assurance inébranlable où notre entendement II se
fonde, au mépris de l’absurde.

XXIII. Les formes Double est la connaissance et triple sa dé-


de la connaissance marche
il : elle est amour ou désamour
If ou le
dépouillement
If en la requête. L’intelligence
enamourée
ii veut posséder avant de s’enquérir et plus elle aime ii sa
demande
if et mieux elle s’en éclaircit, plus vive et plus ardente et

203
toujours instamment complice ; il lui faut brûler et languir, volant
de flammes
IIIII en lumières,
H et savourer l’objet pour le tirer de l’indicible
en une douce violence, elle s’éprouve à le ployer, elle en usurpe les
assentiments,
n elle le contraint à l’aveu. L’intelligence antagonique
est la toujours armée H et met
n la mort
n au nombre de ses attributs,
elle investit l’objet de sa requête et le bat en ruine après un doulou­
reux acharnement,n elle triomphe en la subversion et détermine II

ce qu’elle dévaste, où rien ne dure devant elle, mais n sa victoire,


loin de la consolider, n’est que l’ultime n embrasement
n n en l’univers
de cendre et le suprême «c éclat. L’intelligence dépouillée est la plus
ferme
u et la plus vigilante : quelque demande n qu’on lui fasse, elle y
met son étude et ne s’emporte aux mouvements n n capables de la di­
vertir, elle s’engage d’une pièce et se démêle n d’aflilée, elle se charge
du refus, elle redouble les empressements, elle ménage n des facilités
et ne se tient jamais
u en assurance, maisii elle vient à bout de ce qu’elle
envisage et c’est là tout l’effet qu’elle prétend. Double est la connais­
sance et triple sa démarche,
n et l’homme n le mieux
n appuyé ne laisse
d’exceller en l’une, l’autre et la troisième ri et les oppose à l’heure
qu’il ne les allie, joignant l’éclat à la solidité, l’amour n à la sentence
et le détachement
n le plus lucide à la communion
iiiii la plus impétueuse.

XXIV. Les instruments


n Qu’une logique simple est déraison,
essentiels : une logique quand on s’efforce de tout ramener ii à
ce qu’elle mutile
n ou nous dérobe et
qu’elle n’ôte l’équivoque suspendue et la partage en se commu­
niquant. Il faut d’un seul tenant voler jusqu’aux limites n opposées,
en porter le ressouvenir dans le milieu
ri que l’on s’assigne et la mémoire
n

du milieu
n dans les extrêmes
n établis, il convient de tout prévenir
et de tout achever, de pousser l’artifice et de s’instruire sur le fonds,
de se contrarier afin de se reprendre et de se démentir pour mieux
s’enraciner, d’être en un motn et de ne l’être pas en l’étant avec
plus de force, de conseil pris et de dessein formé, n l’objet ensemble
n

et le sujet de nos puissances.

XXV. Le peuple et les habiles Le peuple ne discerne que les


opposés, mais
n les habiles les con-
j oignent dans le sein de leur unicité fondamentale
ii et les motivent
l’un par le canal de l’autre ou les observent en regard, au lieu de les
dissocier, de mode
n qu’ils en jugent à merveille, où le vulgaire les
mutile.
n Le peuple a seulement
n l’intelligence des limites
n les plus a-
vancées, dont il se fait une mesure
n qu’il rapporte au demeurant,
n

204
quand, les habiles partent de la source et gagnent le terrain, qui
les sépare des versants contraires, d’un mouvement
n n d’ensemble
n en
tous les points égal. Le peuple a beau les taxer de mauvaise
n foi,
les moralistes
n beau les flétrir en tumulte
Il et les pouvoirs les sommer
iiiir

de se démentir,
n nul ne fera qu’un homme habile se contraigne à ne
se plus entendre et nul ne force le consentement
it de qui ne s’y refuse
pas et dans la vue de s’y retrouver plus ferme
n en ses dénis couverts.

XXVI. Seule unité valable Le monde n’est pas soutenu par ce


qui le supporte seulement,
n lui dont
les fondements
n sont toujours en balance et quelquefois en branle,
il donne dans ce qui paraît le démentir n et semble en retirer une
vigueur nouvelle, il raffermit
rr l’assiette au bombement
n de la platée.
Rien ne se parachève où l’on ne voit qu’ordre et mesure, n où l’on
sépare l’œuvre des linéaments
h dont elle a pris naissance et ne s’avoue
que des lois, au lieu de remonter à leur prétexte. L’unité vaut par
ce qu’elle renfermerr de plus insolite et de plus opposé ; elle est un
choix, non pas une défense et l’aveu même n ii. de profusions jalou­
sement
n celées. Liés indissolublement,
n le principe et la fin sont les
deux pôles que l’entendement n s’assigne en permanence
n et dès
l’abord.

XXVII. Aphorismes sur l’absolu.


ü

A. Qui dit semblance dit position de l’absolu, mais n l’absolu les


passe et les renferme
n toutes sans les démentir
n et sans les confirmer.
n

De la semblance
u à l’absolu point de cheminements
rr n et point d’accès :
l’on change d’univers en quittant l’une et de nature même
n n en accé­
dant à l’autre.

B. Le monde que l’entendementn s’épuise à concevoir est à ce point


fragile qu’une atteinte le secoue et fermeri tellement
n que l’univers
y trouve sa platée. Le fondement
n de l’absolu réside ailleurs qu’en
l’absolu, mais
n l’absolu n’est pas déterminé
n par ce qui le nature ou
le supporte.

C. J’entends par absolu le virtuel que l’homme range à sa réalité,


qu’il dompte
n pleinement
n à charge qu’il le serve et qu’il soutient dès
qu’il s’y fonde. Il n’est de port en l’absolu, tout absolu n’est stable
que par devers soi.

205
D. La fin de l’homme est de réduire toute chose à l’absolu, lequel
est au passé de permanence
II où les symboles
Il régnent et les quantités ;
le but de l’homme est d’éluder l’histoire, rendant une aventure à
jamais
n impossible,
n en prévoyant ce qu’il ne justifie pas ou motivant
ce qu’il ne saurait entrevoir dans la rigueur des termes II ; le but de
l’homme est de se mettren sur le quant à moi,
H d’y résider avec empire
en forçant l’œcumène ii à se ranger dans le parti qu’il lui destine et
de sa pleine autorité, lui signifiant la sentence et lui marquant 11 la
voie ; le but de l’homme II est de régler son train sur l’évidence et de
la maîtriser
n en la prenant en charge : il en embrasse les décrets,
mais
n c’est à lui de les traduire et de les faire intelligibles ; il en épouse
les retournements,
n mais
n c’est à lui de les anticiper ; il en dénombre
les conduites, maisn c’est à lui de les légitimer, leur assignant des
fins et des mobiles.
E. De la mobilité de l’absolu nous déduisons qu’il se retrouve où
nous le jugeons à sa place et qu’il réside en chaque point que notre
entendement
II s’assigne, et quoi de plus docile à nos impulsions
II ?
On dirait qu’il nous accompagne
II et dans les lieux où nous n’en vou­
lons guère, il est présent à nous avec toute la diligence imaginable
II

et nous le suivons infailliblement


II dans les parcours de son univer­
salité, mais s’il revient à nous, ployant sous le butin, c’est qu’il
procède de nous-mêmes,
h n qu’il fait retour à l’origine et remonte à
la source, entraînant la dépouille de tout l’océan. Car l’absolu relève
de l’humain
H et l’homme règle sa démarcheil à la poursuite de nos
vues, en conséquence de nos volontés, sur le rapport d’une logique
épuisant le réel dans la mesure
n de nos facultés sensibles.

F. De la pensée relative à l’absolu il n’est de portes ni de truche­


ments, pas même
n de frontière et qui ne vole d’un tenant aux confins
opposés se voue à solitairement
ii languir ou dans le sein d’imperma ni ­

nence ou dans l’étreinte des formules,


n esclave des réalités qu’il n’a
pouvoir de définir ou le sujet des postulats qu’il n’a moyen
n de relier
à l’évidence. Une âmen pure et dont l’entendement n dépasse ce qu’il
envisage a seule faculté de se mouvoir
n — et comme en se jouant —
de centres en périphéries, d’être elle et de ne l’être pas en ne cessant de
l’être et de se rapporter à ce qu’elle devient, en ne muant de place,
mais
n qui n’est pur eUfaiblement doué s’égare dans les intervalles.

G. Le temps varie au gré de nos emplacements


u n et ne renferme
n j amais
l’absolu qu’il nous retranche, il ne mesure que nous-mêmes
ni n en tout
fieu, nous n’y restons qu’à force de durée impermanente et nous ne
le sauvons qu’en nous par le seul jeu de nos puissances. Pour l’être,
l’absolu n’est qu’au passé.

206
H. L’état dit le plus simple
n est amalgame
II II indissoluble et qui ne
signifie qu’en raison de ses parties, mais ces parties ne se peuvent
isoler, à cause que l’entendement
II est mousse au delà de son étendue
et, percevant l’ensemble des rapports, en évalue mal
II la raison d’être
et moins
II encore l’appareil des liaisons et des balances.

I. L’on n’œuvre qu’en cédant à l’immutable et ne raisonne qu’en


sachant le surmonter. Dans le domaine du réel, il est requis de faire
fonds sur la semblance en postulant ce qui nous avantage, au défaut
d’une loi plénière, et de n’entendre qu’en surface en consentant de
mutiler,
II sous peine de faillir : de telles vérités sont provisoires, mais
II

d’usage et nous soumettent l’univers sans nous le définir. Ailleurs,


l’on ne raisonne pas à fondx>u l’on ramène à je ne sais quel ordre dit
moyen une série de limites opposées, qui perdent à ce jeu l’essence
et la profusion. Ils pensent à demi,II' ceux qui se meuvent de formule
II

en formule
II et, cheminant de place en place, étendent l’intellect au
gré de leurs abornements, au lieu de viser à les rompre et d’em II ­

brasser en même
n ri temps
il ce qui s’élude au fort de nos limites.
n

XXVIII. Symboles L’absurde est le commencement ni de nos


empires
n : nous l’endurons, peur de cesser de
vivre où la condition de l’âme nous enjoint de balancer et nous y
revenons pour dépasser l’effroi de nos limites. n Seul le symbole en
a raison, lui qui renferme ri toute dissidence et la motive
ri sans la mu
n ­
tiler. Puis l’homme éprouve le besoin de se constituer une raison
de craindre, laquelle le retire de ses tremblements
II il immotivés,
n raison
qu’il place loin de sa personne, à dessein de la mieux n combattre
n :
il s’évertue à s’opposer à tout ce qu’il ressent, à tâche de le définir
à l’égard de soi-même,
n' ir lui qui se désemplit invariablement n pour se
délimiter
n et, s’échappant d’une confusion immense, n aboutit, semble-
t-il, au sujet pur — et par le truchement n de l’univers entier, qui lui
démontre tout ce qu’il n’est pas —. L’utile des symboles ri vient de
ce qu’ils représentent l’acheminement
II II de l’homme en passe de se
libérer et marquent
n les arrêts de sa mouvance.

XXIX. L’analogie L’analogie est une parenthèse ouverte où le


semblable entraîne l’opposé d’un mouvement n

qui les allie à leur commune attache, en les dissociant pour tout le
reste, de mode qu’ils s’accordent en un point les rivant l’un à l’autre
et formant
n le passage. L’analogie est donc un procédé valant par ce
qu’il dissimule autant que par ce qu’il nous manifeste
n : il ne le faut

207
jamais
n perdre de vue ou renoncer à l’avantage qu’il emporte. L’ana­
logie implique
il nécessairement
H ce qu’elle a l’intention de lever, sous
peine de se démentir,
II et participe de l’empêchementH couvert, y
puisant une raison d’être : il lui faut tomber
ri avec la traverse ou faire
en sorte qu’elle la surmonte, à charge de la maintenir,
n et demander
H

un aliment à ce qu’elle veut épuiser.

XXX. L’identité Aller au bout de ma pensée, quelle faiblesse !


et quelle vanité, si je ne parviens à conclure à
mon
II dommage ! et quel obstacle où je consens à me H diminuer
H ! et
quelle fin, si je balance à m n ’y réduire à tout l’absurde de mon H être !
et quelle mort sans flamme iiiii où je ne suis que moi ! Aller au bout de
ma
H pensée ? Il la faut rompre à chaque mouvement n n et l’élargir de
place en heure et d’heure en place. L’identité mesure n le cheminement
n n

de l’intellect à la poursuite du réel et marque les limites n de l’avance.


L’identité n’est que le souvenir en branle distribuant les lieux qu’elle
dénombre et les associant pour former II une économie II où tout s’a­
bouche et se compense,
II une moyenne de parages et de voies, un vé­
hicule inassouvi roulant de pleins en intervalles, l’illumination ii de
permanence
n à quoi nos modes
n se relient, le centre que nous démêlons ii

en un cumul n d’emplacements
n dont les rapports varient selon nos
repères. L’identité ne se démontre n point et nous la recevons dans
la rigueur des termes n : elle est l’appui de l’évidence et la genèse du
réel, une manière
n de foi végétante et sourdement II insurmontable,
II

elle est le fondement


n irréductible et le noyau que nous ne parvenons
à rompre,
II la pierre d’angle où tout converge et dont émanent II nos
prétextes.

XXXI. Point de repère Que le mobile


II de l’entendement
II est de
réduire toute chose à dessein de l’évaluer,
en un travail d’approche et de mesure. II Nous sommes dans l’usage
de nous situer en un point de repère à quoi les objets se rapportent
insensiblement
II et d’annuler ce qui nous en sépare, afin d’en acquérir
une plénière intelligence, mais n ce repère il nous le faut toucher en le
plus juste emplacement
n ri et n’en démordre dans les suites ! C’est une
affaire que ce point et l’on consume II des années à le définir, heureux
si l’on y donne au bout d’une existence — il est des nations où nul
ne l’a déterminéII jusqu’à ce jour —. Le point connu, mis II en lumière
in et
les mobiles assignés, le reste se débonde et c’est l’enchaînement n le
plus suivi dont les effets se précipitent, car l’évidence est volubile,
si l’hommeII la rend telle.

208
XXXII. La cause Jamais
Il nous n’avérons la cause pure et le
principe ne se détermineir guère isolément,
n vu
qu’il demeure
n sous le charme n des effets, dont le déroulement
u et la
séquence lui reviennent. Nulle origine ne se pose en tant que telle
et, dès le moment qu’elle existe, il faut qu’elle préside à l’avant
de ses corollaires : je dirai même
ii n que les résultantes lient la raison
de leur prétexte à leur ultime n dépendance et que la source émane u

de l’événement,
n où le recul instaure la prémisse
if ! En vérité, la cause
n’est pas libre et point de cause, au défaut de l’issue. J’appelle cause
un moyen
u dont l’entendement
n s’avise et qu’il isole d’industrie, à
seule fin d’argumenter et dans les formes. n Hors là, je n’en sais point.
La cause meri paraît un chiffre très commode et très fallacieux, mais
la réalité n’est jamais simple et nous n’en traduisons que l’ombre.

XXXIII. La source unique L’unicité de l’origine est l’un des


points dont nous ne parvenons
j amais
n à rendre un compte rigoureux, mais n où nous remontons
n avec
empressement,
n n de préférence à toutes les invites. Nul retour de
raison n’a dissipé de tels fantasmes,
h nous sommes
n prévenus et nous
le demeurons, mis en la dépendance d’un système à quoi nos volontés
aspirent, rêvant de moyens courts et de la voie unique. Nous nous
donnons quelque pouvoir sur l’évidence et n’allons néanmoins n
jusques au bout, tenus à la contrainte et pleins de visions appesanties.
Les vérités sont doubles et double l’origine, le train du monde n un
fluctueux balancement
n et chaque ligne une moyenne.
n Point de
genèse à défaut de concomitance, point de semblance manque n

d’antipode, aucune voie où l’on hésite de choisir et nulle fin lorsqu’on


ne la désigne. L’unicité paraît le mode
n. où l’homme
iiiii se procure une
assurance en fondant un point de repère autour duquel un univers
se distribue, mais
n le réel d’emplacement
n n’enferme qu’une phase
et chaque point appelle un univers d’un absolu non moins inéluctable
et tout semblablement
n n tranché. L’unicité, moyen
n commode,
n étalon
de mesure
n et clef d’une forêt de signes n’a guère de valeur en deux
lieux à la fois : nous n’avons plus à faire usage d’une telle discipline
en un domaine où l’on n’observe rien et les repères changent.

XXXIV. Sur le possible En l’objet, le possible est en sommeil et


l’homme
iiiii lui décerne l’éloquence ; il vient
pour ébranler et détermine
n ce qu’il touche, il met en mouvement, n

il ouvre les chemins et trace la frontière et, suppliant d’abord,


il se couronne et revendique l’évidence en la rendant passible.

14 209
XXXV. Mobilité du vrai Le vrai ne saurait demeurerH en place
et nous ne parvenons aucunement II à
le fixer. Il a beau mettre
II ses prodiges en commun,
iiiii un éternel « je
ne sais quoi » nous laisse dans l’étonnement
H et son empire semble
accru de tout ce qu’il renonce. Le vrai se meutil non tant de place
en place que devers un point de fuite à l’intérieur de soi-même II H et
nous l’environnons, n’ayant pas la ressource de l’enceindre. Que
l’esprit droit discerne des enseignements
II valables dans le mensonge
II

CT ême,
it où tout mensonge
II’ est porteur d’une vérité sans la présence
de laquelle il cesserait d’être mensonge,
II à cause qu’il ne tromperait
personne et que son rôle est*de nous abuser.

XXXVI. De l’explication Fournir une explication touchant une


en général matière
II que l’on envisage est la con­
traindre à l’aveu de ses éléments II et
faire en sorte qu’elle se trahisse : la connaissance est un viol délibéré,
mais où l’objet abonde dans le sens de qui l’outrage dans les formes.
Oui, la matière
II est femme
lllli et trop souvent d’intelligence avec son
offenseur, et l’homme
iiiii se conduit au sein de la nature à la façon
du mâle
II impérieux à qui l’on ne résiste plus. Or, moyennant la con­
naissance, il est loisible d’imprimer II un mouvementII à la réalité, de
la changer à ce que l’on veut d’elle où l’on a prévenu ses voies habi­
tuelles, rendant une raison qui leur suffise et disposant au mieux II' de
la lumière
II qu’on en tire. On forme II ainsi les lois que l’on rapporte
à l’univers, lois s’étayant de la raison devant que de la dominer et
prenant fonds sur ce qu’elles résignent, lois provisoires dans leur
absolu, mais temporellement II définitives, dont le partage est de se
démentir,
ii quand elles facilitent les accès à d’autres normes. ii

XXXVII. Des lois Les lois que l’on distingue en enveloppent de


que l’on discerne plus efficaces, elles nous y conduisent natu­
rellement
II et l’erreur qu’elles avaient énoncée
était dans l’ordre et mèneII à quelques ouvertures imprévues : il
fallait ce retournement
II pour que l’intelligence se démît n d’une
raison valable et, de ce chef, irrémissible
n — solution obligeamment
alerte et dont les convenances nous persuadaient —, il le fallait ou
tous les jugements
n demeuraient
it suspendus et l’avance impossible,
n

il le fallaitaux fins de tendre les ressorts et d’exercer notre génie


en lui donnant l’éveille, et de ce bouleversement naît une généralité
plus véhémente, un augment d’assurance et des lumières plus solides
en leur étendue.

210
XXXVIII. Séquence Aucune borne à l’exégèse et les divers ar­
de nos lois rangements
II se suivent en puissance, l’un
dérivant de l’autre ou revenant sur lui
pour l’annuler : c’est une file de retours plus que l’alignement n de
séries homogènes, un chapelet de nœuds et d’entrelacs plus qu’une
chaîne de séquences, un entremêlement u de bout en bout dont les
effets les plus lointains ne se relient pas de règle à ceux qui les
devancent et semblent procéder d’un pullulement n d’origines. Con­
trairement
n à l’évidence, la loi part d’une multiplicité
n dont les re­
lations l’engendrent, elle est un abrégé de constellations dissimilaires,
if

elle est leur accommodement


hui n et le sursis, un être de raison mis n à
la place d’une légion d’indiscernables qu’il enveloppe et qu’il iden­
tifie, avant que l’un d’entre eux obère le système, n et l’être de raison
concept ou mieux
n : un signe provisoire, jamais l’idole de nos réalistes.
Fournir une explication touchant une matière n implique
n un général
engagement
ii de raisons assignables et de principes immanquablement n

liés, c’est moins un change qu’une révolution et tel détail — que


l’on redresse — entraîne la métamorphose
ii n et des supports et de la
masse !

XXXIX. Aphorismes
n sur les lois dites naturelles

A. Il est une matière


il d’agrément
n que l’on arrache au monde en le
tenant pour ce qu’il est, mais
n l’on ne peut y vivre. Il est besoin d’en
convenir : le monde n’a point de substance et l’on ne gagne aucu­
nement à l’aviser, nous nous devons de le combattre et point de le
souffrir. Seuil à l’épreuve du néant, il mène
n à chef qui l’a mis
n au
pillage, met
n en défaut qui ne l’a mis
n en branle et se déclare à la tra­
verse des empêchements.
n

B. Que la nature est le déroulement dans les limitesn d’un ensemble


ayant un milieu de genèse et tendant vers le même
n ii fin. Nous y taillons
des lois dont l’absolu ne saurait faire doute, à charge qu’on ne le
rapporte ailleurs qu’à l’homme
n et l’on peut dire que ces lois entament
n

le réel, mais
n ne l’enferment
n point, qu’elles démêlent
n ses confusions,
mais
ni ne le forcent pas à nous répondre en son entier ni d’une voix
et qu’il sera besoin d’y parvenir, si l’on veut juger de l’ensemble
tout comme du menu.

C. Les lois nous servent en dépit de l’évidence et la transforment


n

à mesure,
n au moyen d’une constellation de pleins et d’intervalles
par où les phénomènes
n- sont touchés et mis
n dans une aveugle dépen-

211
dance, et l’homme
H1H rendu substitut de la fatalité : que même Il alors
il n’agit pas au regard de l’ensemble et le remplace néanmoins —
touchant le cas envisagé — : preuve à l’appui de ses ambitions
extrêmes
II ! Qui modifie le détail est en possession d’évaluer la masse
II

et de connaître l’univers dans ce qu’il a de plus impénétrable : nos


lois sont l’acheminement
n n de cette intelligence et les garants de sa
validité formelle.

XL. L’abstrait Que dans l’abstrait, il ne faut plus d’histoire,


mais
n des sigùes et chaque signe est l’abrégé d’un
cent d’événements
n dont la mémoire
n s’abolit. L’abstrait dispose d’un
nouveau langage et tient le réel en suspens, fendant la presse des
rencontres, il établit une évidence nominale
ri' où se confondent les
allures et les prises, un ordre mutilant
n et néanmoins
n générateur
de maint
ii possible insoupçonné, un appareil de modulations
n et de
mesure
n qui nous démêlent et nous échafaudent, une armature n de
concepts dont l’univers ressent les touches inflexibles, un formidable
ajustement
n de mailles
n et de nœuds.

XLI. Refuge de l’entendement


n L’abstrait n’est point, mais n il a
faculté de mesurer
ii la forme et
de la jauger en vertu de sa gratuité qui le rapporte à l’immanence
iiiii ;
il est l’organe et non pas le mobile,
n il est prétexte et jamais la figure,
il est formule,
n lettre ou diviseur, mais
n il ne participe aucunement•i

à l’objet de sa quête et règne sur un monde immémorant de l’évi­


dence et par lequel nous l’entamons, un monde d’absolus et de valeurs
que nos puissances édifient, vertigineux amas n de corollaires et de
lemmes,
iiiii refuge de l’entendement.

XLII. Les êtres de raison Soit un cheval, mais


n il n’importe
ii qu’il
soit barbe ou boulonnais ; aubère,
vineux ou moreau
n ; panard ou brassicourt ; quinteux ou vif ; de
selle ou de parade ; qu’il soit même
n morveux et c’est encore l’animal
n

que l’on dénommeiiiii tel, en dépit de l’allure : les plus menus


h et les
plus gros ont toujours en commun
uni la tête osseuse et l’encolure déliée,
l’oreille brève et la crinière longue, la jambe dure et l’ongle unique,
la croupe pleine et la queue en panache. A force de les observer,
nous distinguons en quoi les chevaux qui diffèrent se ressemblent
et nous formons un être qui ne tient apparemment iiiii à rien, mais nous
découvre ceux dont il résume les constantes. Or l’être existe-t-il

212
dans la nature ? Vit-on jamais Il cheval et pesant et léger, de robe
pie encore qu’isabelle, aussi bouleux qu’il est fringant et propre
à la voltige comme n à tirer le fardier ? On n’en dénombreil point et
de mémoire
it d’homme
iiiii ! Il suit que l’être susceptible de nous définir
l’espèce est la chimèren de l’entendement et qui n’existe ailleurs
qu’en la pensée et les puissances qu’elle met n en branle : il est absurde
de lui supposer un moule préalable ou de le situer hors ligne et par­
dessus tout le réel et, nonobstant, ce cheval qui mesure l’évidence
et dont la forme n se rapporte à milleri fois mille
n chevaux, est plus
que leur ensemble
n et moins que l’un d’entre eux — fût-ce le pire — :
une manière
n de néant et davantage que la vie la plus foisonnante,
une réalité seconde et par le truchement n de quoi nous devenons l’as­
socié de l’Oeuvre et l’hoipme ii créateur à l’égal de son Maître. Le
monde
H se transformen en partant des réalités secondes.

XLIII. esprit Les êtres de raison n’ont d’autre usage que


des êtres de raison de fournir à nos commodités,
n mais
n le dom­
mage
ii en est éminemment
n fâcheux si nous les
voulons établir en notre confidence et les jugeons doués d’auto-
nomie : de sens, ils n’en possèdent guère, ni même
n n de réalité, quand
nous ne sommes
iiiii sur les lieux, nous donnons l’un et répondons de
la seconde, mais l’homme vaut-il plus s’il les récuse et gagne-t-il à
s’en déprendre ? et si les êtres de raison n’existent que par lui,
doit-il les rejeter sous l’ombre
n de leur servitude ? Il est plus sage
de s’en étayer en prenant intérêt dans leur défense et je les crois
de bonne compagnie, si l’on les remet à leur place.

XLIV. Aphoris II es sur l’essence.

A. L’essence est l’aboutissement de qui dérive d’elle et le co: n


mence:
n n ent de qui la présuppose.

B. Hormis ri l’entendement,
n tout semble provisoire et dans l’entende­
ment
n tout signifie à la lumière de l’essence, en raison même n n de l’es­
sence, laquelle est une forme n d’absolu manifesté
n par ce qui la motive
et se légitimant
ir au sein de l’être. Position d’abord, l’essence délimite
u

l’indivis, organisée autour de son prétexte, emplacement ri qui ne


se lie à rien et flotte dans le vide ; elle en attire d’autres qu’elle range
quant à soi, puis d’autres qui la modifient obérant l’ensemble, n elle
est en changement ii dans les frontières d’une nébuleuse où sa valeur
incessamment
un i varie et les rapports s’altèrent sans relâche. On dirait

213
un ballet dont les figures se défont et se composent,
H où l’une ou
l’autre attache les regards et donne l’avantage à tel ou tel qu’elles
paraissent mettre
H en jour, mais hors le ballet il n’est rien qui danse !

C. L’essence qualifie et n’enveloppe pas, l’essence définit et ne motive


u

guère, il reste un élément irréductible en ce qu’elle désigne, un élé­


ment
II qui fait l’objet présent et l’impose
H au réel, un élément
n dont
elle n’est que l’attribut intelligible et non la cause, le signe pour
tout dire et duquel nous jugeons par les dehors, un signe n’ayant
trait à nul ensemble, valide pour le temps
h voulu, qu’il est dans l’ordre
de changer quand il nous met
n plus à l’étroit — et qu’on remplace
sans dispute, un signe et non pas une idole, réel par ce qu’il nous
annonce et qu’il imprime II dans l’esprit le consultant, absurde où
notre jugement
n l’affecte de notions qu’il insinue et ne renferme II

point.

D. L’essence nous paraît le dénominateur de l’ineffable nom,


l’organe audible de la voix et le conduit de sa richesse, le moule
de l’infus, le vase de l’élection que sa matière brise sans relâche
en un débordement
n tumultueux.
ri

XLV. Genèse de l’entendement


n L’entendement
n émerge de l’es­
pace-temps intérieur et se con­
dense en un domainen de rencontres et de réversibles. Le propre de
l’entendement
n est qu’il affecte l’univers de l’étendue-en-la durée
de tous les rapports définis en vase clos et que les normes inventées
— au mépris du réel — astreignent l’évidence à borner leurs linéa­
ments.
n Que l’évidence est une irréversible où la pensée a privilège
du retour. L’entendementri se meut
it où bon lui semble, en un milieu
que l’on dénomme espace-temps n intérieur, domaine apparemment
mis
h en réserve et sans lequel un homme iiiii est à l’impermanence ou
l’animalité. L’espace-temps est la rencontre des possibles, parage
d’involutions et d’intervalles dont la limite
n gagne sur la contingence
et, mesurant
fll le monde, est portée à la concevoir, en un balancement
Ci

et de suspens et de reprises.

XLVI. Phénoménologie En le penser de l’homme il est un nombre


à vol d’oiseau fixe d’éléments
n indissolublement
n liés,
qui ne travaillent que d’intelligence et
forment
n un si merveilleux accord que l’édifice choit, à faute d’une
assise ou même
n iî d’une clef. Le fondement
u premier où tout semble

214
aboutir et qui nous porte en se communiquant
IIIII de la manière la
plus déliée est la mémoire
11 II du réel ou de l’imaginaire,
ri en un mot
l’art de disposer de ce qui nous affecte et de ressusciter les sens en
devenant leur cause immotivée.
iiiii — Ensuite l’art de séparer les deux
mémoires,
If lequel est infini, puisqu’elles tendent à s’amalgamer.
il —
Outre cela, les divers moyens de passer de l’une à l’autre, lesquels
sont d’autant plus subtils que les mémoires fi se divisent avec plus
de netteté. — Puis un amas de procédés où notre entendement n se
lance dans les airs pour mieux H considérer sa multiple
n origine et
ramener les cas à des moyennes
II qu’il élude pour atteindre à sa
gratuité foncière. —

XLVII. De l’efficace La vigueur de l’entendement


n est le produit
de l’allégeance la plus roidementn formelle
et de la liberté la moins sujette à ce qui la seconde ou la veut main­
tenir. Nous devenons ce que nous sommes Il par le truchement
n de la
créance et nous cessons de l’être où nous n’avons plus le courage
de nous préférer à la créance même, nous nous mouvons à l’aide de
l’idée fixe et nous enracinons dans le possible. Les faibles se remuent,
ii

les incrédules se travaillent, les prudents se défient ou tiennent le


milieu,
ii' les sots ne changent point et s’en font gloire, mais
ii les habiles
se démentent ou s’affirment, ils viennent, vont, ils prennent, cèdent,
ils sollicitent, répudient et s’ouvrent pleinement,
ii en ne laissant de
monter bonne garde. . .

XLVIII. Dimensions
ii extrêmes
n Que l’infini, tout comme l’éternel,
est une dimension
ii de l’entende­
ment
n et ne se trouve point ailleurs. En l’évidence il n’est que des
limites et hors desquelles l’évidence cesse en l’équilibre général, où
toutes choses se balancent.

XLIX. Aphorismes
n sur l’esprit de géométrie et l’esprit de finesse

A. Nous atteignons au vrai de deux manières


ri qui ne se conviennent
pas, mais
il dont un homme heureusement doué peut faire emploi,
s’il les destine à la recherche en ayant soin d’y mettre
ii de l’écart.
De l’une je dirai qu’elle entreprend de vive force et creuse avec
acharnement,
u ouvrant tranchée sur tranchée et poussant l’œuvre
pas à pas ; de l’autre qu’elle vole et donne dans le but, sitôt qu’elle
le fixe et qu’elle n’est pas moins
ii solide, mais
n persuade mal
H qui ne

215
s’en aide nommément,
•I puis qu’il est nécessaire de la rendre et que
les mots ont peine à lui servir d’escorte. La première
II est de sûreté,
quand on sait voir et ne l’engage pas dans l’erreur manifeste
it et la
seconde de justesse, où l’on a pris souci de la doubler et de la suivre
au sol. Nous devons, en définitive, atteindre au but et revenir à tire-
d’aile, et rebondir à chaque mouvement,
H à dessein de nous élancer,
voler de pas en termeii et mettre
n cent fois plus de temps à gagner
un pied de terrain.

B. Du connaisseur à l’objet de la connaissance il est deux véhicules


dissemblables, dont l’un trace'une voie au ras du sol et l’autre glisse
dans les airs. Qui, se mouvant à l’aide du premier, •i approche de ses
fins, ne manque
H de les définir et dans les formes
n les plus rigoureuses,
il en pénètre les replis et détermine II les détails, il fixe l’angle et la
limite
II et rend le compte
II le plus textuel de sa démarche
II et, toutefois,
il ne nous livre qu’un vain assemblage II de rapports, dont l’harmonie II

est à jamais n dissoute. Le véhicule aérien nous met II en la présence


n êmen de l’objet et l’homme,II sous le charme,
II est le captif de son res­
sentiment
n. : l’objet nous parle alors, nous tenant une façon de langage
et l’âme n1 frémit sous la touche, ouverte d'abondance, encore qu’elle
ait peine à rendre un jugement II de son état, mais
II qu’elle s’en arrache
et la voilà destituée et pleine de ressouvenirs. Le moyen de les faire
entendre ?

C. Il faut que l’âmen s’en retourne sur les lieux en cheminant


n au
ras du sol et qu’elle adopte la façon la plus modeste et la mieux n

ajustée. Nul objet de cet univers n’a l’apanage de se déléguer à


nos puissances, manque
h du truchementH de nos puissances — les­
quelles nous le rendent compatible — : lorsqu’elles jouent pleinementu

à découvert, il semble qu’on s’étende à tout ce qu’elles rangent sous


nos lois. Qu’on se le dise néanmoins : l’objet n’existe que par devers
nous et l’intuition nous livre seulement
ri ce qu’il nous abandonne et
rien de plus, vu qu’il nous suffirait
ii de changer ou de sens ou de nature
pour qu’elle se muât
H avec l’objet soumisri à l’examen.
ii Considérer
l’objet en tant que tel est un effort louable et chimérique,
u et comme
la naissance d’une idole.

L. Le néant méthodique
n on dit avec assez de fondement
ii que
si le monde
n. est redevable à Dieu de
l’existence, il nous a l’obligation d’une trouvaille singulière et dont
les résultats excèdent nos visées, j’ai nommé ce fameux n néant,
lequel est proprement
n le fait de l’homme. On serait mal
n venu de le

216
chercher ailleurs qu’en la représentation du monde, il est le commun n

diviseur de l’évidence, il est la parenthèse ou mieux II : le vide entre


les deux cloisons subtiles de l’espace-temps II mis en réserve et qui
partagent nos domaines. Lorsque je dis : HOMME EST MOR-
TEL », j’établis un rapport de l’homme ni ri à sa condition et par le
truchement
n du verbe, mais
n entre chaque mot je creuse un vide et
n’aurai garde de l’emplir, passant de l’un à l’autre en vertu de ce
qui les délimite
ii et sautant le fossé. L’entendement engendre de la
sorte une manière
n de discontinu, peuplant un univers de ses ruptures,
inassouvi de le départager en un morcellement
n II ductile, avant de
l’ordonner sur une cohérence majestueusement
n II humaine,
II où la
fissure est gage d’infinis et chaque plein le résumé de mille II certitudes.
Les esprits faibles voient Je vide méthodique, immémorants Il III II de sa
genèse, et le proclament maître de leurs fins, ils iraient l’adorer
s’ils n’avaient honte et s’en approchent en une vénération muette, n

ils vont le tirant brusquement n de ses repaires, ils rêvent de l’étendre


à ce qu’il n’avait que borné de ses déserts, ils voudraient que le
monde
n fût à l’intervalle, en l’engloutissementII de toutes les essences :
c’est proprement u la tâche du Démon II qu’ils finiront par invoquer à
la limite
II et l’on en sait qui parlent d’esprits souterrains et de com­
munions
II profondes.

LI. Sur le néant.

A. Le néant délimite le possible au travers du possible et nulle


identité ne s’échafaude impunément à son défaut, il est ce terme n de
rupture où chaque liaison travaille à se gagner sur qui l’entrave
en la rangeant à l’indivis. Ma latitude est mon agencement en l’ap­
pareil recommencé
n de ma
H limite
II et je suis libre aux lieux qui me
n sé­
parent d’avec l’indivis, lequel m H ’assiège et me
n pénètre à la faveur
de ma ruine.

B. L’entendement
n n’accède à la réalité que s’il la nie et s’en dégage,
afin de s’établir en le milieu
n de permanence
n et de l’ouvrir au monde.
Il crée l’absolu, s’il peuple l’infondé de ses limites, mais n l’absolu
n’est tel qu’en face de l’entendement
n et ne peut l’être quant à soi.
Nier le monde est la mesure
n transitoire à l’aide de laquelle il est
loisible de le définir.

C. Il est trop simple d’être ou de ne l’être pas et notre choix ne


représente que nos fins, lui qui démêle
n nos confusions dont il prévient
l’accroissement,
n nous réduisant à l’indigence méthodique,
n puis l’être

217
qu’il affirme
n est le déni de l’être et le néant une présence mal
Il couverte.
Être et néant me n semblent des chimères, mais l’homme sa réalité
par excellence. >

LU. De l’existence en Que l’existence est une forme n du réel, où


tant que préalable le réel en connaît d’innombrables —
passant de l’une à l’autre à la faveur de
l’épisode et les liguant en une dépendance mutuellen —. Que l’exis­
tence est une constellation de modes n et de faits mis en présence
et tenus de servir à l’établissement
n des fins dont l’homme
n se dérive,
mais
h qu’elle n’a puissance de régir un monde qui l’efface ou la res­
taure, un monde qu’elle juge et ne pénètre qu’à demi, n pour en induire
toutes les enseignes. L’infirmité de l’homme n est qu’il lui sied de
vivre et que le reste est en la dépendance : il doit se mettre sur le
« quant à moi », s’il n’y veut laisser la machine ou débiter des riens
sonores, le « quant à moin » lui bouche l’étendue et, dès qu’il s’ingénie,
on le reprend au nom n du genre tout entier et lui reproche de trahir

l’espèce au profit d’une science inhumaineii — alors que la suprême n

dignité nous fait commandement de la trahir parfois à bonne inten­


tion et qu’il n’est ici-bas de félonie plus ancienne et dont on ait moins
à rougir !

LUI, Aphorismes
n touchant l’existence

A. Oui, l’existence est un prodige et le plus éloquent, nous so: iiiii .es
tout par elle et lui devons jusqu’à la latitude de nous en passer,
elle soutient le poids des argu: n ents et l’édifice de nos syllogismes,
nous nous faisons un jeu de la réduire à la chimère la plus creuse
et ce fantôme ne se venge pas, il n’omet rien de ce qui nous appuie
et nous en prenons à notre aise, il est la dupe de nos rêveries et
nous entraîne dans leurs cours.

B. On dirait — à voir l’existence — que jamais elle n’entre dans ses


droits, sauf à les perdre et que sa force convaincante usurpe notre
assenti n ent à l’heure qu’elle n’agit plus et le rend virtuel, mais la
philosophie a des ressources moins
n précaires : on n’argumente
n que
sur l’éternel et ne raisonne pas à l’aide de faux absolus, ni moyen
n ­
nant les sujets clos se voulant incommunicables
n et l’on travaille
à s’éclaircir des généralités les plus enveloppantes. Le demeurant
n

nous fournit le prétexte, domaine de l’illi ii ité.

218
C. Que l’existence est le support, le support absolu, mais H tempo-
rellement
il précaire, un tout inabordable de simplesse et néanmoins
intelligible en la confusion, un homogène
II inconsistant à l’appui de
sa thèse et sans quoi le réel n’est rien, une ouverture sur la nuit
qu’elle dissipe et sur l’abîme qu’elle scelle, un complément d’infi­
nitude enveloppant son être et ses limites,
IT un monde
It à sa manière,
ajustement irréversible et de suprême II singularité — malgré
il ses
variations inépuisables —, fidèle au sens qu’elle se donne et non pas
aux moyens
If il
mis en usage, d’où leur rébellion, quand ces moyens
la pèsent à leur tour et qu’ils la jugent du plus haut d’un refus im tt ­

puissant, mais d’un refus délibéré. Tel est le sort de l’homme et,
s’il en marque
ù de l’humeur, c’est que le sort est manifestement
IT in­
digne au prix de ce dont l’homme est susceptible et beaucoup eussent
mérité
tt de ne jamais
II mourir.
II Bon nombre de spirituels improuvent
l’existence, par où nous sommes et nous cessons d’être.

D. Que l’existence est le sensible rendu manifeste


il en forme et mou­
vement, puis l’homogène cohérent en son autonomie et le possible
revêtu de l’éclat le fixant dans la nécessité. Qu’elle est avènement ii

à l’univers, avènement
H sans préambule et fin sans corollaire ou mieux
surgissement inopiné devant persévérer en ce qu’il nous annonce
et nous glisser des mainsn à l’impourvu. C’est l’équilibre le plus
singulier, que tout menace
ti et rien ne désassemble, un composé de
II ouvements
11 enchevêtrés tendant vers une I même
11 fin présente en
l’origine et qui se surajoute incessamment IIIII à l’acquis préalable,
dont le mobile est le désir, mais11 le désir de persister au travers de
ses variations sans nombre, de les envisager ensemble et sous le
II ême
It jour, les passant en revue et les articulant à dessein de les
déférer à nous, qui sommes les sujets de l’existence et par lesquels
la vie adhère à ses limites.
H

E. L’homme est le seul à penser qu’il existe, étant le seul à disposer


d’une mémoire
II enveloppante allant aux conclusions les plus étendues,
seul à s’identifier au non-être et seul à préluder à son achèvement et
voire à son absence, seul à ne pas vouloir subir la loi commune H et
c’est la marque
II de sa précellence : il se rebelle face à l’implacable
II

et se confirme en la sédition, il ajoute au réel, il prend la liberté de


réfuter ses dépositions et de rabattre ses instances, il édifie un monde
à sa mesure, en bannit l’existence, désespérant de la qualifier et
ne pouvant en rendre une raison valide, mais II elle l’accompagne
inséparablement,
II il dépend d’elle et dans le temps qu’il s’y refuse,
elle est prétexte à lui qui désespère d’elle et ne l’arrête pas sur les
réflexions qu’il formeIT à l’annuler. Or, l’homme lui doit trop pour

219
qu’il ne s’en indigne pas, elle ne peut qu’elle ne soit le plus intolé­
rable des scandales, l’absurde enfin, l’absurde aveuglement H subi
dès l’heure qu’on ne le traverse pas.

LIV. De ce qu’est l’homme Qui men dira quel je puis être ? En


dois-je croire ceux qui me
n rapportent
aux semblances fugitives ? Ne suis-je que l’enlacement n d’images
ri

infidèles, en motion
ri perpétuelle, refus immémorant de ses refus et
corollaire toujours en balance ? On me n remontre que mes n vœux
sont des chimères, que mon entendement n s’abuse à professer l’aplomb
n

de mes
n échelles, que véritablement je ne suis rien, mais
n le faisceau
de mes
n agissements,
n une moyenne
ii provisoire et que la mort va
scellant à défaut, mais
n toujours en définitive ? Est-il prouvé que
l’homme ne s’atteint qu’à charge de ne plus y tendre et qu’il n’est
pleinement
n soi-même
n n qu’en cessant de l’être ?

LV. Le péril de la découverte En l’éblouissement où son émoi n

le jette, un homme n se découvre


à la lumière
n qui le désassemble et le désordre mis
n dans les puissances
les révèle à tout le moins
n d’une manière
n insoupçonnée. Chacun de
nous renferme des pays dont il est difficile qu’on revienne tel qu’on
les aborde et qu’on souhaiterait n’avoir pas à connaître et qui sont,
néanmoins,
n de connaissance : il ne suffit pas qu’on l’ignore et notre
aveuglement
n n’y modifie
n rien, mais
n il vaut mieux
n qu’on n’y languisse
point. Quoi de plus redoutable que ces navigations, où l’on se porte
aux lieux de sa fatalité ?

LVI. Le sommeil des dilemmes A mettre


n les dilemmes
iiiii en sommeil,
iiiii

on ne parvient d’aucune sorte à


pallier leur virulence, ils s’enchevêtrent au dedans de nous et gagnent
sur nos volontés ce qu’ils paraissent perdre en éloquence, ils ali­
mentent
ii nos frayeurs et nous leur devons nos alarmes, ii nous nous
les célons à miracle
n et cependant ils ne reposent guère, nous avons
beau les ignorer qu’ils ne se lassent de nous investir et beau les éluder
qu’ils ne nous manquent
n point et nous atteignent infailliblement
n
au défaut de l’armure.
ri

LVII. Méduse On ne commence


n jamais
n d’être où l’on achève par
le devenir et cet achèvement semble n une faveur
incroyable. Nous tendons vers nous-mêmes
H II et plus que nous n’en
procédons, mais
H il est exigible d’y toucher avant que de s’atteindre,

220
il n’y faut pas rester sous peine d’en mourir,
Il nous n’avons que le
droit de nous surprendre et non la faveur de nous posséder. Un
homme se connaît à force de ne pas se voir, où nos désirs s’éloignent
de la source à n’envisager qu’elle et notre entendement
II s’hébète
fasciné. Puis chacun d’entre nous est sa Méduse.

LVIII. Du moi Le moi


If de l’homme suit d’une séquence de rap­
ports et d’une lutte de linéaments
fl dans l’harmonie
où les puissances jouent et les formules se recoupent, d’une mémoire
it ri

infuse et mitoyenne également distribuée et débordant les lieux


de sa tutelle, enfin d’un mouvement
n n d’ambivalence où l’unité se
double pour s’atteindre —^en connaissant l’objet de sa démarche
— et se réduit à l’effet de s’épanouir. Que l’un des fondementsil s’a­
broge et l’édifice tombe
fl en son entier et sans remède,
n où les puissances
n’auront plus d’usage ni la mémoireII de mobile. Le moi
u semble
n une
traînée en surface, une série de merveilles et de fulgurations au-dessus
de l’abîme aveugle et dont il évalue le prétexte.

LIX. De l’apparence Que l’hommeriTii se délègue à la semblance,


qu’il est en elle, qu’il y réside même en son
u au dedans de ce lieu bien plus que cet em
entier et qu’il renferme rt ­
placement n’a la vertu d’enceindre, de mode u qu’il est juste de les
rapporter et faux de les unir. L’homme iiiii est à l’apparence et la dé­
borde en ses replis couverts, involué pour ainsi dire, et l’apparence
ne le suit que d’aventure ou d’intervalle, elle se moule n sur la conte­
nance et parvient à s’insinuer dans les fissures dont elle explore les
recez, mais
n il est toujours libre de la décevoir et de la taxer de
mensonge. De vrai, nous pouvons être ce que nous semblons et nous
le sommes d’ordinaire, à moins
IT de nous tenir à l’opposé — lequel est
une preuve négative —, mais H la semblance
rr est loin d’épuiser nos
profusions et je l’appelle une moyenne
ri provisoire, une solution tou­
jours remise,
n un change ouvert aux cent possibles qui le modifient,
n
une manière d’édifice où l’on ajoute et démolit, IT qui pousse et prend
figure et qui se doit parachever dès le momentII de notre mort, sauf
à crouler à la dernière instance.

LX. Acte et puissance Si l’homme n’était uniment


h qu’à la sem-
ii

blance et qu’il s’y renfermâtn sans dis­


continuer, il ne serait jamais
n à tout ce qu’il peut être et ne se ferait
jour, il n’aurait plus sujet d’attendre que la mort ou de la prévenir,

221
il se retrancherait jusques à l’ombre du possible, en ne laissant d’en
demeurer
II l’esclave au souverain degré. Or, l’homme, H dans le sein
de l’unité la plus enveloppante et la plus déliée, est la moyenne suc­
cessive de l’ensemble et dont l’amas,
II de remise
n en délais, va prenant
contenance ; il ouvre l’intervalle entre l’ajustementn parachevé —
dans l’instant qu’il discerne l’équivoque — et la promesse d’une
fin nouvelle, il se délègue à sa démarche et flotte suspendu pour se
figer en un domaine
n de rencontre et qu’il lui faut aménager
II sans faire
trêve, mais il n’y devra subsister aux dépens de l’atteinte ni vivre
prémuni,
n le sujet de l’incertitude, l’émule
ii de son lendemain
n et le
héros en permanence.
n

LXI. Aphorismes sur l’homme

A. Que l’homme n est à la fois enchaînement de situations et la


moyenne
n provisoire de leur masse,
n un tout en l’indivis d’ensembles
autonomes,
n tout qui se juge à rouler sur un intervalle à mi-chemin
n n

de la commotion
iiiir et du revirement
n d’alerte.

B. Il subit la séquence, il en est même


n n fait, alignement
n d’états
qui se relayent, que dis-je, multitude et moins
n d’états que de per­
sonnes, mais s’il l’éprouve, il la surmonte à la ranger le long de la
réminiscence
H et la domine enfin, dès le moment
IT qu’il s’y rapporte
— à charge de se situer en un emplacement
II où nous ne manquerons
de le trouver.

C. Ce lieu de résidence, il nous le faut choisir et fût-ce au détri­


ment
n de nos franchises, lieu d’embarras
ii et lieu d’atteinte où nous
ne sommes nous que pour le ressentir avec alarme et les sujets de
rigueurs implacables ; lieu de tourment et lieu d’impasse où l’âme H

se doit confiner en un dénudement


II suprême,
H et qui ne part d’ailleurs
ne saurait aboutir.

D. Or, l’exercice dont il est traité — nous voulons dire ce qui


fait l’âme
n une et la rassemble toute au lieu de son élection —, la
discipline de l’esseulement qui lui prépare les voies générales, l’art
d’être à ce qu’on est présentement
H et dans la suite, oui, cet amas
II de
cohérence impartageable
II relève d’un domaine en marge des philo­
sophies, en marge ou mieux
ÏT : au-dessus d’elles, domaine
il que leurs
spéculations ignorent volontiers, mais
H qui préside occultement, nous
semble-t-il, aux entretiens qui règlent leurs démarches
ri ; d’où la
valeur d’une mystique à quoi nous demandons
H une méthode
n univer-

222
selle et personnelle, non pour nous imposer un adorant silence et moins
ii

encore aux fins de résigner le monde,


il qu’en vue de nous ajuster à nos
dilemmes,
II de revenir à la surface et de nous engager dans le sensible.

LXII. L’homme charnel Que notre chair suscite l’âme II et l’âme


II

la diversifie en ses retournements sur


elle, mais
n notre chair n’a rien d’une prison où l’âme II' languirait à
son dommage
iiiii et que serait-ce d’elle au défaut de l’appui qui l’ali­
mente,
n des bornes endiguant son étendue illimitée II et du balancement H

dont les échanges temporels défendent son éternité renouvelable


d’heure en heure ? Loin de sembler une dépouille, un corps est pan­
théon et le reflet de l’indivis, 1un — monde
II en mouvement II à mi-chemin
du cosme qu’il renferme II tt de tout l’univers l’enveloppant, une
moyenne et la mesure la plus générale à quoi le reste se doit ramener. n

La forme n de ce corps, le module apparent et la profonde économie n

exercent l’âme n et modifient ses puissances, le naturel l’engage et,


lui traçant des voies que nous ne laissons de garder, ne l’ôte point
de son alternative — où nous ne pouvons que le suivre ou nous mou­
voir à contre-sens, mais jamais II au dehors de ce qui nous affecte —.
Si l’homme est fibre, il ne l’est pas absolument n et ne saurait le devenir
à simple
II vue et, quand il se gouverne au mieux,
iii il ne se tire pas d’une
sujétion, à faute de laquelle il cesserait de vivre. Nous nous affran­
chissons de notre dépendance au moyen de la servitude imaginaire, II

mais nous ne sortons point de là, même II à vouloir ce que Dieu veut,
toujours liés à nos ressources de nature et les sujets d’impulsions
que nous ne parvenons à rendre, dilemmes résolus dès avant l’heure
qu’ils s’éprouvent, commencements déduits de mille et mille n fins
qui les annoncent, somme de générations et que l’événement n efface
imprévisible,
IT chef-d’œuvre à la merci
II d’une vapeur ou d’une goutte
et jugement de l’univers entier qu’une parcelle infime a privilège
de dissoudre. Nous sommes tout par l’âme et rien par cette chair,
mais
II ce tout-là n’est rien, quand ce néant ne la supporte et, si le
corps ne rampe, le moyen n que cette âme II vole ? — Pour ce motif, n

point d’immortalité réelle où notre chair ne ressuscite pas et qui


prononcerait, quand nous devons le croire et n’avons guère la res­
source d’en juger 9

LXIII. Du fonds de l’homme


H

A. L’on voudrait qu’en chaque homme II — et depuis l’origine —


il subsistât un fonds sur quoi le reste vient à s’appuyer et roule le
plus librement
II ; on le voudrait et n’oserait se le promettre, on souffre

223
volontiers une dispute, afin que le débat ne se referme
Il plus ; on le
voudrait pour l’honneur de l’espèce et dans l’espoir d’une franchise
universelle, où les entraves tomberaient avec les murs
II ; on le vou­
drait et n’a cessé d’y croire, mais
il l’espérance en est jusqu’à nos
jours la seule preuve ou la promesse.

B. Or, [l’homme
lllll s’échafaude en partant de ses fins, lesquelles
sont une défense et se rattachent à son attitude, de mode II que ses
fondements
n résident à la fois où nous les discernons et dans ce qui
l’oppose à l’univers : ses fondements
n le portent et l’écrasent, il leur
fournit une manière
n de soutien ^passible et douloureux, en ne laissant
de prendre appui sur cela mêmeII II qu’il étaye. Que l’homme est son
recoupement,
ir issu de la membrane et montant
n de ses profondeurs,
le double flux à l’abord déférent et de qui l’incidence est toujours
en épreuve et varie immanquablement
mu n et sans remise.
n

C. C’est un mirage
n et le plus assidu que le fin fonds de l’homme
n

et l’œuvre de nos préjugés plus que la déposition de l’évidence,


étrange fonds que l’on ne trouve nulle part, en dépit de l’acharne­
ment,
n et qu’on ne fixe point si l’on n’y donne, présent à nous si
nous n’y sommesn pas et quelquefois au-dessus de nos têtes, sujet
aux variations les moins habituelles et les plus fréquentes.

D. Le mieux
n nous semble
n de le chercher en l’inattendu, de le
laisser venir à nous ou bien de l’arrêter au piège, enfin de multiplier
les moyens,
iî les voies et les biais, poussant de divers côtés à la fois,
en ménageant
II des vides captieux et des retraites ambiguës, nous
armant
II d’innocence volontaire et d’artifices très coupables, jouant
de toutes les ressources et mêmeII II de leur démenti.

E. Par là, d’aucuns arrivent d’aventure à des impressions in­


consistantes, mais
II dont le branle fugitif fait la lumière
II sur le reste,
impressions dont c’est la marque
II de nous interdire et d’autant plus
réelles qu’elles nous glacent davantage. L’horreur est un bon signe
en l’occurence et vaut, pour l’ordinaire, preuve ou c’en est le commen­
cement
II indubitable. Dès le moment
n n que l’épouvante se dissipe,
l’objet s’évanouit et nous ne sommes plus qu’avec nous-mêmes
dans un monde familier, le fonds ayant changé de situation.

F. Le goût prévient l’entendement


n et fait qu’il donne dans ses
vues. En règle générale, une manière d’être émanen de multiples
n

sources, de mode
n que la plus naïve est concertée et qu’il n’est rien
que la recherche ne fragmente.
n En l’homme, il n’est de pureté pre-

224
mière
H et l’on ne sait au juste où le fixer d’abord, et plus l’on s’ingénie
à le creuser et moins on le pénètre ; au fin de sa retraite, on sonde
et n’aboutit jamais
Ii : des profondeurs nous mènent
H à la fois et devers
d’autres et devers le jour, dont elles semblent le miroir, il de sorte
qu’il faut monter
il et descendre pour s’en éclaircir, où la surface joue
dans les fonds. L’on pensait agir avec certitude et libre inviolable-
ment,
H on s’obligeait à ce qui nous délie et s’employait à se contraindre
on heurtait mêmeH II ses goûts les plus chers et jamais
II l’on ne fut mieux
H

leur esclave. Oeuvrer à contre-fin de nos ressentimentsII implique des


tutelles réversibles.

G. Un homme n’est pas seulement II « en tant que tel », maisII

« à partir de ce qu’il représenté » et l’un agit sur l’autre en une con­


fidence mutuelle.
n Nous sommes l’accommodement de deux mesures
autonomes,
n l’une étant préalable — encore qu’on ne l’évalue qu’en
dérivant de la seconde — : il est donc exigible qu’on s’y rende et
ne s’adresse pas à l’antérieur, les mains
II vides. Nul d’entre nous
n’aborde l’existence et ne revient à l’« à partir de ce qu’il repré­
sente », au défaut de l’« en tant que tel » et nul n’est dans le cas
de mesurer
n ce qu’il dénombre, s’il ne se prémunit
II' d’un répertoire de
symboles
n ou de signes.

LXIV. Liberté
I de l’homme Nous sentons que nous sommes
II libres,
dès le moment que l’épouvante nous
assiège et la menace
II d’un péril douteux, mais
II gagnant sans miséri
II ­
corde, nous restitue à la franchise et nous confine dans le choix ;
nous devenons un milieu II de possibles, nous disposons de nos moda
II ­
lités et l’avenir prend contenance en suivant nos décrets, les lieux
réclament
II un statut d’urgence et la nature s’offre à nos élections,
nous sommes II maîtres,
II malgré
II nous, astreints à la tutelle et mis
II en
l’obligation de dominerII un petit univers qui pend à nous prodi­
gieusement multiple
H et dont les bornes indécises font mine de nous
assaillir ou se reculent jusqu’à l’infini. Nous voilà dans le train de
démêler
II une confusion inépuisable, de tailler, de rogner et d’établir
une assurance à quoi nous servons de platée et qui nous porte néan­
moins, nous voilà devenus l’appui de notre certitude et nous voilà
ses redevables, nous voilà libres non de l’être, mais II pour solliciter
une raison de mieux
II nous bouter dans les chaînes — la liberté n’étant
que l’intervalle entre une servitude qui s’achève et le dessein d’en
épouser une nouvelle ! —. Que la menace II du péril douteux s’affirme
II

en acquérant un plus de consistance et nous instruise d’un seul coup


— et fût-ce au prix de notre perte — nous ne laissons d’en éprouver

15 225
une manière
«I de soulagement,
II nous mourons même II II rassurés, tout
au bonheur de nous sentir inermes II et, s’il est d’autres à périr égale­
ment,
n nous nous jugeons innocentés, voire martyrs.
II Le danger nous
dictant le choix, il nous suffit de nous y confirmer II en suivant les
modèles
n entendus et nous savons des cas à la douzaine, dont le par­
tage est de nous dispenser d’aller jusques au bout du nôtre. Pour
abréger, nous recevons quelque teinture d’une liberté qui se dérobe,
à la faveur du choix et de ses épouvantements, n comme ion à l’aveugle
et de nécessité ; nous y goûtons à peine et n’avons pas loisir d’en
savourer l’étude, où nous ne vivons qu’aux solutions à prendre.
C’est une façon de passage/ un entre-deux d’une amertume n non
pareille où nous nous mouvons
II en substance, un patrimoine imagi n ­
naire, une aventure et la menace
II du naufrage à quoi la condition
nous destine. Alors nos yeux se sont ouverts et les ténèbres se dis­
sipent, mais un vertige nous égare et s’arme, où la lucidité le secon­
dant lui fournit le prétexte et l’entretient de ses ferveurs.

LXV. La volonté de mort Quand même


II II tout serait déterminé,
nous n’aurons pas à recevoir un sen­
timent
n qui nous ravale en nous faisant commandement n de céder
à l’instance. Il ne suffit pas de se référer aux lois d’un monde que
nous annulons en mourant à ce monde et l’on ne m’ôte guère la
suprêmen liberté, laquelle est de m’ôter la vie. Nul n’entreprend sur
une volonté de mort, nul n’a raison de qui s’abdique, afin de périr
en entier et nul n’a moyen de soustraire l’homme à ce dont il s’est
retranché.

LXVL Aphorismes
n sur l’âme
n

A. Que l’homme vit à la condition de mille n fois périr, où l’exis­


tence est un enchaînement
n de diligences provisoires, mais u dont la
moindre a part à sa fortune et se fait absolue, à l’instant qu’il y
doit répondre — enchaînement n qui semble n étranger à ses fins et
qui les remanie
n d’une haleine, à force d’ajouter ou d’en rabattre —,
de mode que l’humain
n est une suite de raccords ou de personnes,
entreprenant les unes sur les autres dans la limite II des réminiscences.
n

La liaison qui les rapproche se nomme fil I f l’âme


II et nous pouvons la
définir comme une instance d’absolus renouvelés et s’imprimant i«

en la mémoire,
Il If que la mémoire
11 II porte ou qu’elle a moyen n d’abolir.

e est une impuissance inégalée, à la merci


n II d’une vétille
et le jouet de la rencontre, et c’est la marque
II des achèvements
n

226
suprêmes,
Il un entre-deux fermé,
If le tout béant et d’ordinaire plus
qu’elle ne semble et moins qu’elle ne vaut, le rudiment
II de l’unanime
II

et l’épisode en l’infini.

C. Ilest une innocence plus terrible que la mort il et c’est de vivre


absous en dépit de soi-même n et l’oublieux de ses engagementsn de
la meilleure
u foi du monde. Point d’excellence, à faute de mémoire n ii

intérieure et du reflux perpétuel des états ressentis ou des puissances


déployées, et nulle certitude, où l’homme
iiiii ne revient inaltérablement
sur ce qu’il n’était plus. Qui me
n répond de l’insaisi se mouvant dans
la fuite et de ce mort
H qui semble refluer à l’apparence d’une vie et
se consumen à naître au jour le jour ? Qui me n répond de l’âmen sus­
pendue où les puissances flbttent, de l’infidèle et tant de fois nais­
sante, jamais
ii renée et jamais seule en n’étant de personne ? dont
le salut réside en l’absolue obéissance et l’abandon total à qui la
mène ?

D. Mon âme n est le surcroît de solitude où je me sens de trop,


si vaste en profondeur que je m n ’y perds et tellement
H sublime
II en la
plus fine pointe que je ne m n ’y saurais atteindre et me déborde au

lieu de m If ’y toucher. Je l’environne, encore qu’elle m’enveloppe,

et la possède aux mêmes ii lieux qu’elle me


II fuit, nous sommes notre
abornement
II et la percée mutuelle,
n un jeu de feintes et de mines,
de nul usage et d’emplois n innombrables.
n

E. Une âme n vile se connaît au besoin qu’elle éprouve qu’on l’as­


treigne, où chaque latitude la déprave ; à la nécessité de ne subir
que l’ordonnance la plus simple, où la finesse l’étourdit ; au pen­
chant à tout voir en dehors d’elle, au heu que de s’y rendre ; à l’i: n
possible et d’être et de se renoncer, n’étant qu’à la semblance et
ne roulant qu’à la périphérie, de l’impuissance
n à la malice
n et le
jouet de ses retournements, quand elle ne se fixe chevillée à l’arbi­
traire et le tenant de ses lubies. C’est une charité que de la prévenir,
c’est une vigilance que de l’obérer, c’est un devoir que de l’enceindre
et c’est une obligation que d’en répondre et devant elle tout comme
devant nous !

LXVII. Aveugle n eut spirituel L’aveugle: n ent spirituel n’est pas


de croire ou de s’y refuser, il en-
veloppe moins et davantage, il me n paraît une inclination formelle
n

et la plus fermement assise, et l’attitude où l’homme se complaît :


il participe du murmure
n de nos sens et de la voix de nos parties ;

227
il donne sûreté, laquelle est une source de plaisirs, et nous confère
les moyens
II de ne nous jamaisH éclaircir de qui nous départage ; il
touche un semblant d’harmonie entre nos volontés profondes et
les fins immédiates
mu ; il établit le succès de nos voies sans demander
ii

notre suffrage et nous laisse en dehors de nous le plus délicieusement.


n

Et, toutefois, nous sommesmu prévenus avec empire où nous ne dis­


posons de nous avec une rigueur extrême, n et moins nous vivons
établis en le milieu de nos abornements n et plus nos douleurs s’en­
veniment
ii et se multiplient
n sans trêve ni portée, où leur malice
h ne
nous tire jamais
n de la nôtre et leur augment ne remédien plus à l’in­
digence.

LXVIII. Evidence Mes vœux ne me n protègent point de l’évidence


et mauvaise
ii foi et mes
u désirs ne me
ii la dissimulent
n qu’en raison
de mon
n aveuglement, et tout l’aveuglement n

du monde
n ne me sauve plus du moindre filet de lumière, si tant est
qu’il procède d’une source pure. Or, la mauvaise
n foi ne s’accommode
n

pas de l’évidence et s’évertue à la nier, mais


n elle ne s’avoue point
et ne se veut jamais
rr connaître pour cela même n qu’elle signifie, d’où
sa fureur impénétrable
ri et sa fragilité.

LXIX. Réalisme
n cornu Nul ne se pique d’être réaliste en ayant
l’évidence contre soi, de mode que les
tenants les plus fermes
n de la théorie ne feront point difficulté
n de
se muer
n en chimériques.
n

LXX. Seuls partisans Seuls les puissants raisonnent juste, ou


de l’évidence l’évidence les seconde et l’univers se plie
à leur assentiment,
n ils peuvent négliger
ce qui les avantage, où nul ne les traverse, et faire état des causes
les plus éloignées : en leur présence, tous les lieux sont sous le charme
u

et tous les âges suspendus, tout les appuie — et malgré n leur déta­
chement
n — et tous les sert — en dépit de leur indolence —, il leur
suffit de prodiguer si peu qu’ils gagnent la plus riche proie à ne
céder qu’une parcelle de leur ombre, un mouvement n les porte en
l’éminence
n et leur regard mesure
n l’étendue en liberté plénière.
Seuls les puissants se meuvent
n au-dessus des voies de l’amour et
de la haine ou des attaches altérant l’intelligence du réel, ils peuvent
s’accorder des opulences la plus rare et la plus absolue — et celle
qui les place en quelque sorte hors du monde, sans qu’il leur soit
besoin de se parer de vertus singulières —, ils sont à même
n ri d’excéder
les sages et les saints, pourvu qu’ils le désirent et, possédant la terre,

228
ils ne l’endurent point. L’ambition
Il des philosophes les élève de
semblable sorte et leur confère les acquêts d’une puissance souve­
raine, à faute d’un pouvoir qu’ils ne sauraient atteindre et, démunis,
on les voit définir lucidement
n l’effroi de la condition qui les abîme,
mais
il cette liberté suprême
n est un outrage aux yeux du nombre,
lequel demande
u qu’on réprouve ou qu’on chérisse, et qui la taxe
d’inhumaine.
n Face à l’adversité, l’on ne pardonne qu’aux ténèbres.

LXXI. Le privilège de prévoir Que la prévision est l’apanage des


heureux. Qui n’entrevoit qu’une
série de disgrâces préfère se duper de bonne foi, prenant le change
qu’ilse donne au lieu d’accroître ses ennuis du simple il fait de les
instruire. Les malheureux
il ^sé perdent dans le vague, à dessein de
jouer l’inéluctable et de se cacher à leur nuit, mais
il ils ne se dérobent
jamais
n à l’histoire et la subissent, l’histoire les atteint au fond des
solitudes les plus écartées et la rumeurII des bataillons en marche,
amortissant leur voix, écrase leur silence. Les malheureux le savent
et se taisent, ils pensent conjurer les fléaux suspendus en évitant
de les nommer et tremblent de hâter l’issue en recourant à la défense
la plus légitime, où tous les moyens
il mis
u en œuvre les déroutent.
Que la prévision est exercice de l’entendement, mais n qu’elle n’est
d’aucun usage à ceux dont elle assure la ruine, lesquels ne peuvent
que mentir
n et se payer de mots, en attendant de succomber aveugles,
bétail que l’on assomme iiiii et qu’on ne saurait plaindre.

LXXII. Du mensonge
n Le châtiment
n de ceux qui, vivant de men
n ­
à l’abaissement
n songe, exercent leur puissance à flotter
de gouvernes en gouvernes, est qu’ils ne
sont jamais
ir ce qu’ils s’efforcent d’être, pas même leur déni, maisu
un néant qui se rassemble n en autant de nuées qu’ils forment
u de
desseins contraires. Quand ils voudraient s’atteindre un jour au
profond de leur âme, n ils ne pourraient saisir que l’ombre de leurs
turbulences, des mouvements n et point d’issue, où tout n’est que
dérive. Quoi de plus misérable
n que d’errer et de s’étendre, exempt
de blâme
n ainsi que de louange, en un retournement
ii inassouvi, jeu de
semblances infidèles et, n’étant rien, d’être à soi-même
n n de rencontre.

LXXIII. Les retours Que l’on ne saurait feindre impunémentn et,


de la feinte qu’à se travestir, il faut que l’on se change.
Quoi de plus dommageable
iiiii qu’une fuite
où l’on démarque
n de plein saut les bornes assignées ? L’on gagne,
certes, ce que l’on voudra, mais
n court le risque de ne plus se retrou-

229
1

ver, perdant le meilleur


H de la mise
II au profit d’un loyer, dont il se
peut qu’on ne jouisse guère. Le provisoire n’est pas tel où l’on se
range à ce qu’il nous propose et l’on a beau le déserter qu’il nous
imprime
II un dévorant partage, où l’être s’engloutit par l’un ou l’autre
bout.

LXXIV. Séquelles Il entre dans les sentiments


u tel ou tel vœu
du dédoublement
n qui n’entre pas en le dessein de l’homme n et
forme
n un je ne sais quel vague, où chaque
motion se délimite
n avant que de passer au jour. C’est pour cela qu’il
est si malaisé
n d’agir honnêtementn en ne laissant d’ourdir une pensée
inavouable, car les puissances les mieuxn concertées révèlent trop
visiblement
n ce qui les départage. Qui se libère outre mesureii par-
devant soi-même
n n et donne le relâche aux pires inclinations, éprouve
les mécomptes
n de son imposture
n et trahit la licence qui l’agite —
à moins
n qu’il ne s’impose
n la plus véhémente
ir des contraintes et la
plus infidèle aussi, rigueur dont le redoublement n jette l’alarme et
fait planer des soupçons toujours renaissants.

LXXV. Limites
n du mensonge
n Je puis tout feindre et sais tout
controuver, et nul ne men résiste,
hors mon
n entendement
n qui ne se veut plier à ce qui le déjoue : il
apparaît comme un noyau mobile et l’univers n’est en moyen de
l’écraser, pas plus que moi ; il nous échappe et nous anime à le
serrer pour nous convaincre de notre impuissance.

LXXVI. Pureté vulnérable Nul ne paraît si vulnérable que


l’humain qui se rassemble en l’être
qu’il assume
n : il offre à tous la même
ii u cible et nous le navrons d’as­
surance et, néanmoins, l’on ne parvient à l’achever, il gagne en
force et nous nous épuisons à le meurtrir et, mort, nous pressentons
qu’il nous échappe, où vivant il ne cesse de braver.

LXXVIL L’homme de bien L’homme de bien est présent à soi-


même,
n' avec soi-même
II II au fond de
soi, lui qui ne laisse de s’acheminer devers ce qu’il ne cesse d’être,
en répondant inamoviblement
II de ce qu’il fut. Il semble un tout
majestueux,
n l’économie
II la mieux
II entendue et la plus savamment
n
distribuée, un circuit de modules et de postulats, un verseau de fa-

230
veurs, un carrefour d’épreuves et de voies, la trinité dans son achè­
vement.
Il Il se connaît, dès le moment
II qu’il s’évalue en la rupture
et, désuni d’avec soi-même,
II est à la fois l’objet de son intelligence
et l’œil se portant sur le moyen mis n en branle et, quand l’ajustement
II

est réversible, il aboutit à former


ii un esprit volant de l’un à l’autre
et l’homogène de leur immanence,
iiiii un nœud de force et de cohésion
profonde ou le discernement n de mutuel
ii amour.
II L’homme est alors
d’emblée au centre et sur les mêmes
ii bords et jusque dans les inter­
valles, il emplit son domaine,
n il en parcourt les étendues ; il pèse
avant d’agir et ne balance pas à s’avouer, il est à tout ce qu’il assume, iî

il en répond, il aime
n à se choisir, il en appuie la visée, il vient à bout
de ses débats, il se fait pièce et brûle ses vaisseaux, peur de se
rendre à l’évidence au heu de se changer à ce que l’évidence ne doit
rompre !

LXXVIII. La quête Tout homme a l’obligation d’être à soi-


de grandeur même u ce qu’il est. De là procèdent les vertus
et les prééminences,
ii mais
ii nous n’aboutissons
à nous que par le truchement n de qui nous en sépare et, de la mise H

en branle au porche triomphal,


n on est tenu de se jouer et de se perdre.
De nous à nous s’étendent l’univers et ses prestiges, les aïeux innom II ­

brables, l’empire des symboles


II et la tutelle de nos peurs, un monde
souverain qu’il nous faut défier, si nous ne voulons qu’il nous en­
gloutisse, élucider ou souffrir qu’il nous déconcerte, évaluer ou mé II ­
riter qu’il nous élude et définir ou n’être qu’à soi-mêmen n de rencontre.
Si l’homme
IIIII est devenu ce qu’il doit être, il s’est gagné sur le possible
et les chemins lui semblent entr’ouverts, il est le maître de l’élection
et ses aplombs sont motivés,
n ses chutes mêmes
n ri légitimes,
n ce qu’il
aborde impérieux
n et ce qu’il abandonne inéluctable : il est un giron
de nécessités, il en possède la rigueur fatale, il n’y a rien de trop
en sa personne, où tout n’est qu’à la plénitude.

LXXIX. L’un et les autres II nous sied d’imposer au monden

une apparence de nous-mêmes


n n faite
à l’image
ri du meilleur
ii et non pas de souffrir qu’il nous affecte, à
moins qu’il ne s’en forge de plus relevée et qu’on le puisse satisfaire
sur l’article. En règle générale, il faut qu’autrui ne nous évince
et que nos sentiments
n dérivent de nos postulats. Le monde me ni

verra tel que je suis et tel que je veux être ; ailleurs, je ne suis
moi qu’autant qu’il men résigne.

231
LXXX. Trop de finesse C’est une erreur de présumer
ir à tous les
coups de la finesse du contraire, allant
d’emblée
n au tortueux et jugeant l’homme
iiiii à l’égal des natures les
plus composées. A raffiner trop ardemment
ni n sur le subtil, à creuser
une intention bien au delà de ce que l’on intente, on passe les buts
assignés et n’aboutit qu’à rouler sur un faux principe, encore qu’on
se flatte de tout déceler, la vanité nous restant pour les gages.

LXXXI. De l’ascétisme
11 en tant que fondement
h de la pensée pure.

A. Que l’ascétisme n est un moyen et vaut par ce qu’il nous procure.


Je le dénomme n discipline et la plus salutaire, et j’y discerne le canal
de mn ’y gagner, mais
n' voyant au delà de mille
n lieues. Je le préfère
à nombre
n de plaisirs faciles, dont la tutelle me dévore et m’ôte
jusqu’au souvenir de ma ii personne, et le délaisse volontiers pour
d’autres, éminents,
n qui la grandissent à mesii yeux et l’enflent de
leur magnanimité.
n n Le but de l’immolation
iiiii n’est pas si relevé que les
puissances qu’il nature et qu’il importe de sauver à temps, si l’on
ne craint de se vouer au pur silence, lequel illustre une félicité nous
rendant infidèles à la terre. L’état de ma n personne exige de ma n part
moins de folie sainte et plus d’habileté, moins d’assurance et plus
de quêtes, moins de bonheur et plus de consistance, afin que mon
entendement
n ne se relâche pas et que ma n dignité demeure
n en son
entier, ce qui ne veut pas dire qu’elle me n possède.

B. Tout homme se dénombre en l’indivis et ne se multiplie


n qu’au
travers de l’unité qui le résume.
ii L’on ne commence jamais
ii à partir
de soi, mais
n l’on y vient au bout du monde et moyennant sa mort, et
ne possède pleinement
n que ce que l’on consent de perdre et n’en
défend pas moins.
ni Pour mn ’assigner une limite,
n on m’a vu suivre les
détours qui me n conduisent devers moi n par le canal de toutes les
traverses.

C. Pour devenir mon


n aboutissement,
n il me
n faut partir de moi-
même
n n et mon principe est cette fin devers laquelle l’homme tend
pour s’y atteindre et sans laquelle l’on n’aborde que semblances.
n

D. Le chaos est le tout-possible et l’on ne vit qu’à charge de


s’y dérober, où ses profusions ne servent qu’à mourir de mille
n modes.
n

La solitude est mon


n commencement
n n ; elle ne vaut qu’en la mesure
n

où nous la surmontons, mais


n il est nécessaire qu’on l’épuise. Je suis
parfois de trop en ne voulant rien être et dois m n ’anéantir en quelque

232
sorte malgré
H moi, peur de la jouissance et d’une servitude doublement
H

honteuse.

E. On détermine H l’univers en partant de soi-même II et l’on y


vient au jour qu’on le renonce. Qui souffre l’univers en tant que
tel, s’en fait l’objet, mais
U qui l’annule se libère et l’établit. Il semble
que ce monde veuille qu’on le violente et nous départe sa richesse
à la mesure
II du mépris.
•I

F. Ce qui mesure
n' est la mesure
II de soi-même
II II au travers de l’objet
qu’il détermine
n et du mouvant
II qu’il évalue. Ce qui s’affirme
II en ses
dénis s’affirme
n doublement
II : nous sommesn composés de nos refus
et de nos violences, et tout ce qu’on adopte nous désole.

G. Il faut mourir à tout, afin que toute chose meure


h en nous et
que de cette fin du monde émane
n l’absolu qui le mesure
H le justifiant,
le monde n’étant rien par devers soi.

H. Il est requis de sentir l’ineffable en chaque lieu du monde


et de le ressentir comme
n venant de nous. Alors tout semble
n nous
parler et la menace
n est morte avec la peur qui la motive.

LXXXII. Profession de foi Mon ouverture est mon assise et


mes
il limites sont mes
if voies. J’entre
en moi-même u où j’ai dessein de me II fléchir et j’y demeure,
n afin de
m’y gagner sur mesn puissances, et triomphantII j’opère une sortie
et range l’univers à ma
n tutelle, avant que de me II replier une seconde
fois, mais
n riche de profusions et de dépouilles. Je veux que tout en
vienne à se loger en l’arsenal de mes n' trophées, que tout me ri serve
où l’un doit m’affranchir de ce qui m n ’en divise, et que tout possédant

je puisse tout donner !

LXXXIII. Mystique et connaissance.

A. La pureté de l’âme II ajoute à la puissance de nos facultés et


nous dépouille d’un ramas II de songeries, dont l’homme
n a le devoir
de se passer et qui l’égarent sur les grands chemins.
ri Que l’âme II pure
est la plus fermement
II II assise et vulnérable en même n temps qu’armée, II

où tout la blesse et tout la doit subir, navrée et menaçante,


n inas­
souvie, inépuisable et vierge, et qu’elle s’alimente
n d’elle-même
II II' en
prenant fonds sur qui l’en destitue, pareille au dragon chevauchant
la nue de l’orage.

233
B. Une âmen pure communique ses vertus à l’objet de sa quête
et de manière
n à le violenter, le forçant à l’hommage,
n en sorte qu’il
est toujours neuf et toujours pâtissant.

C. Qu’une âme n pure se meut aisément


n et qu’elle emporte l’har­
monie auréolée à l’antipode de ses motions.
n Elle est toujours en elle
et roule donc sur le milieu qui l’alimente
n et qu’elle nourrit de sa
foi, la rassembleuse de l’abîme et l’ordonnance du chaos, et qu’est
l’abîme ou le chaos face à la norme sainte ? et l’infrangible opacité,
quand il suffit d’une lumière
n pour que tout l’indivis se départage
en vertu d’elle ?

Le mysticisme
n u est le moyen d’atteindre à la plus fine pointe
ou l’âme
if se connaît pour telle et se différencie en devenant l’objet
de son économie instrumentale,n où l’univers semble annulé, la voie
ouverte et 1’ issue homogène à son commencement.
iiiii n Une âme
n pure
est le soutien de sa démarche et la raison de ses mobiles,
n le nœud
de force immotivée
iiiii et motivante, un centre en mouvement
ii à quoi
tout l’univers s’ordonne et se rapporte, un œil qui vole ruisselant
de la lumière
n qu’il diffuse.

E. Être d’emblée assure l’homme en une plénitude inépuisable,


aux sources mêmes n de ses fins, dans l’origine de ses dignités enra­
cinée en l’altitude et débordant jusques à nos limites.
n Qui ne demeure
n

en tel emplacement
n ne se situe nulle part et tous les lieux s’entendent
à le rejeter.

LXXXIV. Chemins Triple est le chemin de l’idée et triple son


de l’idéation domaine.
n En le commencement,
n l’illumina
n ­
tion et les abîmes d’altitude ; au centre,
l’univers conceptuel et les abîmesir de la profondeur ; au bout, la
somnolence formulaire
n et les abîmes de surface. En le domaine de
la somnolence, un homme vit à l’amalgame
n n des véracités ; en l’uni­
vers conceptuel, il définit l’absurde et se rempare de structures
solennelles, mais irréversibles ; au règne de prééminence, il change
de manière
fl et les dilemmes ne l’arrêtent plus. Triple est le cheminII

de l’idée et triple son domaine.

LXXXV. Illumination L’illumination vient d’ordinaire à qui l’a


suscitée et s’y prépare longuement.
II Il
faut des passes, des retours et des cheminements,
II des procédures
innombrables
If et couvertes, dont nous ne savons pas l’économie et

234
qui pénètrent l’embarras de nos litiges. Qu’on se figure un esprit
très subtil, dont nous n’avons pas toujours la plénière intelligence
et qui travaille à notre bénéfice, un double merveilleusement
n n armé
Il

qui jamais
n ne repose et metri tout en usage pour donner créance à
l’incroyable même
IT IT en se le rendant familier,
n qui sollicite les ténèbres
et les perce, qui violente apparemment iiiii à force ouverte et s’insinue
avec l’intention de faire brèche. Quoi de plus singulier ? Où dans le
temps que nous rêvons et sommeillons,
ri un autre veille et s’évertue,
un autre dont nous sommes la genèse ou le prétexte, mais dont
l’entendement
n ne saurait disposer à notre bienséance, un serviteur
dissimulé
n qui nous seconde où nous l’en dispensons et vient à nous
manquer, dès le moment
n n qu’on lui fait signe.

LXXXVI. Raisons de vivre Qui délibère sur les raisons que la


vie emporte et cherche un fon­
dement
u à qui se passe de mobiles
n et de fins, n’entend que la semblance
et ne démêle
n qu’intervalle s ou parages. La vie est la séquence immo n ­
tivée issue d’elle-même
n n et se multipliant en elle pour s’atteindre.
Le but de toute vie me semble la Hesse, laquelle est le retour de l’âme n
s’inondant et débordée sur elle et l’univers. Ici-bas rien n’approche
de ce merveilleux empire en mouvement et dont les marches gagnent
sur les étendues qu’elles manifestent, rien ne l’égale et nous le pos­
sédons et dans la plénitude de l’éclat sans défaillance. Nous sommesni ni
les sujets et l’objet de la connaissance et notre connaissance même,
passibles et moteurs ; nous sommes plus que nous en n’étant que
nous seul et pouvons tout étreindre, où nulle fin ne se dérobe dé­
sormais.
n

LXXXVII. De l’homme Que le partage des sciences ne touche


et des sciences pas à l’être et qu’elles œuvrent moyen
II ­
nant des signes, dans le mépris
II et du
pathos et de l’histoire ; leur fait n’est que d’évaluer ce qu’elles dé­
finissent et de réduire le produit de leur dénombrement à des
relations de symétrie, coulant le monde en un système de formules
réversibles ; elles travaillent donc sur un ensemble de réalités issues
de la spéculation, humaines
n quant à leur genèse, mais
n étrangères
à l’humain par l’ordre et les modalités,
n économie de moyennes et
constellation de probabilités dont la figure générale est à la certitude.
Dans un pareil ensemble,
ri un homme se réduit à moins
n que les ma­
chines qui le servent et dont les facultés subtiles dominent ses pou­
voirs, mais
n il ne laisse de les régenter en dernière analyse par ce qu’il

235
a d’imaginaire
II ou de fantasque, il en dépasse cent et milleH à raison
d’inégalités et de désinvolture, il improvise
n sur les tourbillons et
renchérit sur le possible, et l’évidence même
ii ii ne le satisfait plus guère
où l’infini seul le contente et qu’il étouffe en l’univers pour avoir
décelé ses bornes.

LXXXVIII. Genèse L’esprit surmonte les chaos et les enchaîne


du réel humain à l’appareil de ses linéaments,
If il édifie l’uni­
vers, partant de sa rupture d’avec ce qui
l’environne et se marie
II à ses limites
fl pour s’y confirmerII ou les dépasse,
mais
II il n’est point, à leur défaut, n’étant qu’à l’aide d’elles. S’il
les épouse étroitement, il est de fait qu’elles l’étouffent et, nonob­
stant, il ne peut s’en déprendre. Il se meut n immobile
n aux lieux où
mouvant
ii il se pose et vire à chaque battement n de permanence
n en
permanence,
n il brûle ses vaisseaux et reprend toutefois la mer, H il
se démet
n et se rengage, il s’évertue et ne doit aboutir, mais n chaque
tentative est un achèvementII dont il est maître,
II s’il ne s’en prévaut.
Chacun de nous est la platée de ce monde et l’ample fl reposoir des
bornes et des fastes. La dignité de l’univers réside en la semblance II

que l’entendement lui décerna. Le monde II s’édifie au jour le jour


et se motive incessamment par le canal de l’homme : hors nous,
tout l’univers ne paraît que langueur ou que mouvance.

LXXXIX. L’Atlante du réel Que le possible se démembre


n au
sein de la nécessité, mais
n qu’il est
inhérent à l’univers et l’homogène de l’absurde, en même if temps
que la promesse d’une liberté formelle. IT Selon l’événement
n ou le
repère, nous jugeons que le monde est une déraison ou la figure
d’un réel qui le dépasse en le légitimant
n — mais à l’égard des fins —,
et l’on peut dire que les deux manières
n se trouvent des appuis irré­
ductibles. Nous recevons l’horreur que la premièreII nous inspire avec
autant d’attachement
II que l’assurance départie à la faveur de la
seconde, et nous voyons en elles les deux termes If opposés entre les­
quels l’esprit n’a cessé de choisir et qu’il épouse tour à tour, les
reculant à la mesure de ses fastes, ouvrant un chasme If au fond de
son abîme et s’élevant d’un magnanime
If essor par delà les suprêmes •I

éminences, creusant l’absurde et trempant l’absolu, volant de l’un


à l’autre, plus fermeII ou plus désespéré, devant tout surmonter s’il
veut que tout ne le surmonte pas, agonisant en l’anabase avec le
monde chargeant ses épaules !

236
XC. Aphorismes sur l’espace et le temps.

A. Je nomme
liait espace-temps un milieu
il dans lequel les motions
n se
changent en mouvances.

B. Ce qu’on dénomme n espace-temps est une généralité que l’on


discerne en vertu seulement
ir de la matière, mais
n hors de là l’on
aurait peine à se le figurer et la matière
ri la suscite, elle est le milieu
de ses attributs où les ensembles
n se déploient, diversifiant le réel
que ses modalités
H entraînent à leur suite et formant
u l’univers qu’elle
diffuse.

C. Auparavant la généralité ïi’était pas même


n concevable et nous
dirons qu’alors le néant dominait,
H mais
n ce néant nous ne pouvons
l’imaginer,
H le vide le plus absolu ne nous le rendant guère et moins
encore la compacité totale : un mot nous le désigne et dans ce mot
nous décelons bien davantage.

D. Nous maintenons
n que l’univers s’épanche en se fuyant, issu
d’un indivis dont il assume
n l’acte et multipliant
H son milieu, changeant
ce qu’il est permis
n de nommer l’inétendue à notre espace-temps H

irréversible, d’un mouvementn qui ne s’arrête plus et dont les fins


épuisent la logique.

E. Un amoureux
n du paradoxe assertera que Dieu fit sortir le
plérome et ses dilatements
n de quelque masse
il fort diminuée
H et cette
masse
II d’un atome n ou mieux
n : d’une parcelle de néant prodigieuse­
ment infime et d’où Sa main se serait retirée. La conjecture est une
voie à bout de nos cheminements H et qui nous rend ce qu’on lui
prête, et l’univers succession de vues ou d’énoncés antinomiques, H

l’homme ayant la ressource de prétendre à ce qu’il ne doit stipuler


et de se tailler un empire où bon lui semble, en allant droit à ce qu’il
légitime
n ; il a le privilège de se conformer
II aux lois qu’il dicte à ses
lumières,
n son évidence imaginaire
II est un reflet validement
ri probable
et son idée du réel une ouverture sur le cosme, n un élément
n de l’absolu,
reflet indéniable de l’empreinte.

F. L’espace-temps n nous semble donc un attribut de la matière n

et qu’elle dissémine en prenant sur l’inétendue où le plérome n se


dilate, il est le siège des relations qu’elle entretient et des modalités
qu’elle suscite, il dépend d’elle et le lui rend avec usure, elle en subit
les lois et plus elle s’étend plus il s’arroge de puissance, il parvient
même
n à la chasser, faisant le vide, mais il n’est rien, à faute d’elle

237
et s’en protège, elle lui taille de nouveaux domaines à l’heure qu’il
la pousse en un déchaînementIl de fuites, puis elle reviendra sur lui
du fond de l’univers, elle déferlera dans une confluence monstrueuse
où les demeures
II seront abolies, les temps scellés et l’œuvre de
création restituée au plus infime et cet infime à Qui l’avait disjoint.

XCI. Providence et nécessité Qu’il est fort imprudent


II de louer
uniment
II la Providence et de se
récrier sur les merveilles de cet univers, et qu’on est peu touché
de ces raisons dont usent les Apologistes, le désaveu se démontrant
par une même
n n voie. Que la nature, étant d’abord majestueuse et
se voulant perpétuer en l’immanence, n’a rien de prévenant ni de
résolument
II hostile et que ses grâces feront équilibre avec ses duretés,
qu’elle s’emploie à maintenir
n qui lui résiste en ruinant qui lâche
pied. En elle tout abonde et jusques à l’absurde, en elle il avient que
l’absurde se confirme n où l’achevé tombe à néant, et que la déraison
l’emporte en un triomphe monstrueux
n au préjudice de l’économie,
en elle il est des marques
n du divin et des sujets édifiants, maisn

que d’horreurs, que d’illogique et que d’exemples n dommageables !


A qui sait voir, est-elle pas l’école de nos vices ? en est-il un dont
elle ne fournisse cent modèles
n éloquents ? Et si nous admirons l’ar­
rangement
n de tel organe, il en est d’autres dignes de mépris
n et même
n n
de dérision, où l’homme iiiii corrigerait la nature. Voilà des jugements
ii

injurieux à la puissance du divin et Dieu mis ii en défaut, mais le


moyen qu’on s’en empêche ? et ne l’avons-nous pas devant les yeux
avec la dernière évidence ? L’effet de telle impression rend la be­
sogne incom:in n odante aux défenseurs de la finalité, qu’il semble qu’elle

arrête à chac ie pas, les obligeant aux cavillations les plus ingénieuses,
dont notre Eglise souffre, alors qu’en faisant abandon de ce principe
ridicule, la religion gagnerait en élévation ce qu’elle perd en com­
plaisance.

XCII. De la nature Que la nature semble


n un tout massé dans
l’homogène et l’enveloppement de ce qu’elle
devance ou parachève, un indivis indiscernable et dont les éléments
ni

se distribuent en suivant l’ordonnance la plus rigoureuse, une manière


n

de circuit dont les parcours s’enchaînent solidairementri et se ré­


pondent à travers les âges — maisn l’homme est avenu pour qu’elle
se divise en le dénombrement où ses parcelles se déclarent, il a mi n s

le divorce entre la norme et l’harmonie et tout dissocié pour que tout


serve à sa démarche,
n il en oublie souvent l’ordre préalable et multi-
n

238
plie les allures ou les fins — quand la plénière intelligence de l’en­
semble
Il est difficile à maintenir et qu’il lui faut se perdre en la re­
cherche du détail, s’il le veut surmonter
H —. L’homme
lllll est le diviseur
commun
II et la raison des phénomènes qu’il invente, et c’est en lui
que l’univers se départage, en lui de même II que par lui, pour qu’il
en soit le maître
II légitime et qu’il retrace les achèvements
II suprêmes
II

dans le canal ouvert à la divine source, liguant l’esprit à son équi­


valence.

XCIII. La connaissance L’enseignement que l’univers nous baille


créatrice où nous l’interrogeons est sis à mi II ­

-chemin entre les vastitudes d’étendue


et le domaine du subtil, qui se relient par le truchement d’un équi­
libre perceptible à l’homme et l’homme est dans la disposition de
l’avérer en lui marquant des lois irréfutables, mais
IT non de motiver
ce qu’il invente. Le monde
II qui nous livre tout de son mystère
il est
néanmoins
II inconcevable et nous devons répondre et nous fournir
les sûretés qu’il nous demande
II pour avoir un sens. La tâche de
l’humain
II n’est-elle pas de révéler au monde
II ce qu’il ne cesse de
paraître et même
h n de signifier, le créant une fois seconde ?

XCIV. La révélation La vérité sommeillelllll au sein de la nature


et l’hommeII a charge de la forcer à l’aveu.
Quand l’humain lï passe, il fait le jour et le plérome se révèle où les
confins, mis
n en lumière,
H ont émergé
II de l’indivis et l’ordre se rend
admirable, où l’univers se complaît en soi-même II il et l’harmonie
agence les rapports. Avant que l’homme IT fût, les lois du cosme
II

n’avaient point d’objet et point d’intelligence, et ne se rapportaient


qu’à leur abouchement, aveugles et fatales, mais il survint et dissipa
le vague, échafaudant l’économie II et lui prêtant l’organe de son verbe,
il heurta le plérome, IT il le violenta, séditieux, et les éons se déclarèrent,
le divin même
_________
II in s’éveilla, se connaissant pour une fois première II en
MH
l’âme, son miroir, et descendit charnel en devenant sa raison d’être.
Car l’homme
lllll est l’égal de son Maître, quand il résigne ce qui l’en
sépare.

XCV. L’homme en ce monde Le monde, le reflet d’entendements


qui s’entrejoignent, se manifeste
II

pur de tout mélange à qui parvient à mourir


ii à soi-même,
ri et le loyer
de la Seconde Nuit semble une image de cet univers en tant que

239
tel, prenant l’allure d’une fantasmagorie, où son étrangeté nouvelle
est le rapport de l’âme, Il en solitude inassouvie, à l’objet qu’elle dé­
termine.
H Pour sonder le réel, il nous importe d’abolir et jusques
aux puissances de l’entendement, 11 quand elles rattachent à l’impur,
II

et viser à ce qui nous départage d’avec nous. Nous n’atteignons


jamais
II au but de nos desseins en y tendant de vive force et, nous
voulant délimiter,II ne parvenons qu’à nous mentir. n Il y a trop de
toute chose en nous et jamais II assez de nous-mêmes
ii n : il nous faut
cesser d’être à nous d’abord et nous unir à notre absence. Qui ne
se fonde quant à soi, ne sait au juste ce qu’il sait et n’aboutit qu’à
d’inlassables recommencements. n Nous sommes faits de projets à
la débandade, à la merci n du premier n vent, et de formules
II de ren­
contre : en quoi je ne vois rien qui nous soit propre et qu’on ne doive
démentir
II à tête reposée. Nul n’est à soi qui ne forcène pour le devenir
et qui ne se mutile
II inaltérablement.
II Je dirai volontiers que l’hommeIIIII

est l’œuvre qu’il importe d’arracher à l’indivis des gangues et des


II asses.

XCVI. Genèse du divin L’homme est une séquence involontaire


où les démarches se dénombrent, n une
armature
n d’intervalles et de touches dont le module est en balance,
ajustement
n inassouvi de l’ordre et débat inlassablement n rouvert,
pivot d’incertitude et giron de l’enigme, n un biais homogène de sa
véhémence et le multiple
n de sa libéralité. Dans ce climat n dont il
propage l’étendue, il est sa raison d’être en devenir, le moteur et
la masse
n et néanmoins une donnée qui s’emporte, jamais n sa cause
et toujours en la dépendance de ses fins, à la réserve qu’il se gagne
sur lui-même
n n et qu’il se fasse d’un tenant l’objet de sa demande. n

Pour être sa visée et hors de l’ordonnance naturelle, il est requis


de se charger d’un refus unanime n et de s’armer
u de fables, de morguer
l’évidence et de se situer en un délire cohérent, de mettre son appui
dans les antécédents de sa velléité, de la muer n à force ouverte en
un retour inéluctable et de s’y retrancher, pris à sa même n n fougue
et le sujet de son emportement.
n u Du coup, nous suscitons un
être à part et qui se tient derrière le rideau, voire en dehors de la
séquence, une figure issue de nos tentatives, une manièreii de per­
sonne dans le cas de modifier l’origine, ombre autonome et pre­
nant corps jusqu’à se rendre plus réelle que l’agent, possible
nanti de rigueur formelle
n et s’imposant à qui l’a mis ii en œuvre,
fatalité seconde et désirable, où l’homme u est en possession de se
mouler sur une économie n au lieu de se régir en partant de la
démesure.
n

240
CONCLUSION

L’homme Hlll est le véhicule du Suprême Maître et c’est par lui que
Dieu se rend universel et personnel, il semble un truchement n des
causes et des fins ou l’intervalle entre le chasme i et l’empyrée,
n à
mi-chemin
H n de l’origine et du dépassement, II il est un carrefour et
c’est à lui que toute chose se rapporte, il est une moyenne II et la
H esure de ce monde, un œil délimitant ii l’espace et le regard lucide
à quoi rien ne résiste, une demande if impérieuse à l’œcumène et
son image
II intelligible et prévenante. Hors l’homme, point de cause
et nulle mire,II et seulement
n un indivis indiscernable, un tout se
répandant et se communiquant à travers l’étendue, une vigueur
aveugle et la nécessité la moins H sujette à la clémence,
n un enche­
vêtrement
ri de modes et de phases, la mécanique
II la plus monstrueuse,
où tout se parachève en un dilatement II et se consomme n en l’immobile,
n

mais
h l’homme est avenu, traînant les causes après lui, les dévouant
à leur antécédence et rangeant le théâtre de ses morts au mouvement n n

de la pensée, et la lumière n fut pour une fois seconde où le plérome


se délègue à l’œil qui l’évaluant le recrée !

16 241
LIVRE SIXIÈME

DU DÉSIRABLE ET DU SUBLIME

I. Retour sur l’homme L’homme


lllll est achèvement dans le prin­
cipe, en ce qu’il doit à sa lignée, et le
tombeau vivant des multitudes
n qu’il résume,
H une surface de pullu­
lement, un épisode à mille n vies, un point de mille confluences, mais n

tout cela le fonde sans le déployer et ne l’assure qu’à demi, n tant de


richesses ne le servent pas d’emblée et baillent mainte H fois des gages
au néant, et les profusions de sa nature ne le sauvent plus de ce qu’il
leur imprime.
h La vie de l’entendement n est de surface ou de pourtour
et nous nous mouvons ii trop visiblement
ri ailleurs pour qu’elle ait
prise en titre ou légitime n les arrêts dont nous la rendons responsable.
Un homme iilii est l’abrégé de tout le genre et des annales de l’espèce,
il les consulte sans le voir et s’y réfère sans l’entendre, et beaucoup
virent dans l’impasse. Qui ne fait brèche à ce qui l’enveloppe, à
forces réunies, n’est jamais dans le cas d’être à soi-même ri et demeure
H

infailliblementH l’objet de son mobile H en l’aire de nos attributs,


lieu de passage et de rencontre au carrefour de l’ombre et de l’im h ­

mersion.
h Quand l’homme, se bornant à végéter, se livre à ses pen­
chants, il ne déplore rien et s’établit en un bonheur solide, à la con­
dition de n’en démordre h pas, mais il naufrage à l’instant qu’il le
pèse ou l’évalue. Cela ne prouve aucunement H la vanité de sa béatitude
et le mépris
h que l’on affiche
fi à l’égard de nos voluptés est nécessaire
au bien du nombre, mais n ne repose que sur des ajustements, n des
convenances et des partis pris : il est plaisant d’y mêler n une loi
divine. Il faut jouir ou dominer, H languir ou se multiplier,
n se trahir
ou se rompre et toujours s’obstiner au dessein que l’on forme, être
au palud quand on ne vole au-devant de la flamme mu et donner notre
assentiment
n plénier à ce que nous voulons et même n n au refus d’entrer
en matière.

243
II. Unus homo nullus homo C’est une fable impertinente que
celle dp garçon vivant en isolé,
loin du commerce
IIIII des humains, parmi Il les plantes et les bêtes, qui
refait notre histoire et qui retrouve les principes d’une foi dont
l’âme
II la plus noble ne rougit pas de s’avouer. Un homme confiné
dans une solitude et n’ayant pas l’usage de la langue est hors d’état
de parvenir à nos lumières,
II fût-il miraculeusement
II doué. Il irait
s’épuisant dans les préliminaires,
II toujours en deçà du commenceII ­
ment,
II mis
II à la gêne et s’obstinant à des projets d’impasse, en
un cumulII d’erreurs, ,un ramas
II d’indigences, en visions ne pou­
vant le tirer de son éclipse.* Il ne serait pas même II II une personne
et je le tiens fort susceptible de s’accommoder II aux bêtes de son
entourage.

III. Parenthèse Tant que l’humain


u a la ressource d’avoir l’esprit
malléable,
ii il convient de le lui charger de mille
ii

rudiments
n et de le ployer à divers langages. Qu’importe s’il n’entend
le fonds ni la manière ! Il en aura l’occasion, selon l’événement,
ii. et
ce jour-là que reste-t-il de sa mémoire
n ? Quoi de plus malheureux
ir

que de languir jusqu’à ce que l’entendement


n se forme et de s’évertuer
après à regagner les mois évanouis ? C’est une déraison que de
toujours en appeler à notre intelligence au lieu de la fournir et
d’éléments
n et de lumières,
n dont nous nous trouvons à merveille
n en
temps utile.

IV. De l’humanisme
n it L’accoutumance invétérée épuise le possible
et l’hommeiiiii se pliant aux voies de sa con­
dition est perdu sans remède, it à l’heure qu’elle éprouve un change
et qu’il n’a moyen de s’y faire. Il ne faut jamais n soutenir un per­
sonnage unique et nous devons nous préférer à nos démarches, ii nos
fins n’étant que des manières
n d’être et des biais qui nous rapprochent
de nous-mêmes.
n n Rien n’est si loin de l’homme n que l’humain et,
pour y tendre, on a visé jusques à Dieu, Dieu qui ne semble nullement ii

de trop en l’intervalle et ne le comble n pas toujours. Que l’homme


est le prélude ouvert que le divin se cherche pour se désemplir et le
ornent
II où l«u’éternel se manifeste
ii
___________________ et s’intronise d’heure en heure,
le néant même
il IIT où tout se joue et l’ineffable s’élucide évalué, le
littoral à son dilemme II et la raison de l’univers. Que l’humanisme n n

est un vain mot, qui ne remonte ir pas aux sources de l’humain,


n les­
quelles ne sont pas dans l’homme n seulement.
n

244
V. Humanité
Il de l’homme On n’échafaude guère l’homme en
partant uniment de la semblance et,
bien qu’elle se communiqueII et se partage à toutes nos allures, un
homme II digne de ce nom mérite H de la rompre
II et de se dénuder,
afin de s’établir au plus intime de la solitude où nos commencements II

s’allient à nos fins. Ailleurs, nulle béatitude et nulle magnanimité


II II

capable de nous satisfaire. Honneur à qui se gagne sur l’aheurtement


de ses dilemmes ! Que signifie l’homme à ses regards, s’il n’est que
l’être qu’il assume II ? s’il ne s’en tient qu’à nos dimensions
II visibles ?
qu’il les érige en l’aboutissement n de nos instances ? qu’il veuille
se dresser entre nous-mêmes n et nos fins, nous rejetant sur nos limites
II ?
Il a beau faire, il ne contente son infinité. Nous sommes difficiles,
si difficiles
n même
n que nous aspirons à ce que l’on ne peut atteindre
et l’impossible est seul à nous tenter, vu que l’on s’y retrouve de
plein saut. Nous portons au plus creux de nous un je ne sais quoi
de terrible et qui dévore loyers ou guerdons, une chimère inassouvie
et malgré
II les profusions, qui nous fera mourir si l’on ne vit pour elle
et nous met en demeure n de nous travailler sans trêve à nous con­
fondre sans miséricorde.
fl

VI. Débat sur le Qui se dépeint le naturel de nombre d’hommes


mépris de l’homme se demande justement II s’il rêve ou s’il ne voit
que des figures à ressorts. —
— Il faut beaucoup d’humanité
II pour se fier à celle de nos proches:
combien
II n’en faut-il point, afin de toucher à la source la plus écartée
et dont eux-mêmes
II n’ont pas sûrement l’intelligence ? Qu’un homme IIIII

se découvre en ses replis impénétrables et c’est une manière de


triomphe : le but de la religion ne vise d’ordinaire qu’à cela. Qu’on
y renonce et la plus noble des doctrines se résout en un brouillard.
La précellence d’une théorie se rapporte à la façon dont elle me n
dévoile à mes n puissances, le reste n’est qu’amas n de pure montre.
it

La tentation la plus redoutable est le mépris de l’homme iiiii et c’est


de là que suivent les égorgements. n —
— Les meurtriers
n en espérance accordent volontiers qu’ils prisent
l’élévation et lui décernent mille honneurs, mais n ils déplorent le
défaut universel de magnanimité,
n n nous parlant de leurs solitudes
étoilées, de leur démarche
n nonpareille et de leur quête inégalable :
ils se réservent toute la noblesse et nous accordent les broutilles
et, cela fait, se mettent
n sur les rangs, puis en devoir de nous bouter
à la dernière place, afin de se payer de leur grandeur. Nous sommes
fortunés d’y vivre et d’essuyer de tels régents, ils nous résument n

chaque jour le bien fondé de leur méprisn en montant


n sur nos têtes,

245
ils se confirmentIf dans l’erreur par le spectacle de nos abandons. —
— Les voilà prêts aux forfaitures les plus surhumaines, II rien ne
leur coûte désormais n et l’homme
II ne leur semble qu’un fantôme ou
quelque vermisseauri rampant dans l’immondice.
lllll —
— De là ces murs bâtis de vivants et de pierres, nos belles tours
de crânes entassés avec un ordre digne de louange et d’autres monu­
ments
II encore où le tyran dépasse les fléaux de la nature et prime If

sur la Providence. —
— De telles désolations dérivent d’un faux jugement 13 et qui voit
l’homme
n d’une balustrade y perd la tête. Que vienne un sage cau­
teleux et lui remontre
H qu’ils sont légion, qu’il en meurt
fi sans ressource
et qu’il en naît sans trêve, et qu’ils pourraient validement if naître
ou mourir au nom n de ses prétentions, que c’est leur faire charité
que de les mettreii en état de servir ou de les employer n au dessein
le plus éminent,
ii les vouant à la mort pour élever la tombe n de leur
maître
ii et les poussant à se multiplier, afin d’en avoir toujours sous
la main.
n —
— Le méprisn est donc nécessaire et rend nos cruautés sereines,
nous prenons l’avantage et parons à l’infirmité qui suivent de l’abus,
en niant l’homme mu ou le rendant ignoble, et ce retranchement annule
les remords.
fi —
— Fuyez ceux qui vous prêchent le dédain de l’homme fl ! Ne
croyez pas qu’ils aiment la vertu, ceux qui s’emportent, tels des
furieux, contre le monde il et sa faiblesse, n’ajoutez foi qu’à ceux
qui vous reprennent en douceur et n’auront garde de vous immoler mu

à quelque vaine image it qu’ils se font de vous et qu’ils préfèrent au


modèle supposé. Le monde se réforme ii pas à pas et qui le violente
le déprave ! J’ai foi dans l’homme, mu il ne saurait meii lasser de lui-
même et renverser mon n jugement
n à son égard. N’est le souci qu’il
donne aux maux de sa condition présente, il est si plein de l’absolu
que l’absolu ne le contente, où rêvant de tout posséder, il est de fait
que rien ne le possède. L’honneur de l’homme fi veut qu’il se dévore
insatiable et se consume n inassouvi, car il lui faut n'être plus rien pour
qu’il se puisse démêler et, devenant sa cause, appréhender ses fins. —

VII. La connaissance Tout l’absolu ne me if vaut rien, quand


je ne suis moi-même.
n H fl Il ne suffit pas de
savoir, il faut encore mériter
n la connaissance en devenant ce que
l’on est. Or, l’homme ne se définit qu’à la lumière
fi de l’inconcevable.
Un homme n est empêché
H de qui l’attire et libre seulement
n de ce
qu’ilse retranche, au point qu’il ne commence
mif d’être qu’en s’éver­
tuant à mourir. Mon existence est agonie ou trahison.

246
VIII. La connaissance Ce que l’on définit se fonde plus vala-
et l’innocence blement, on gagne à s’avouer ce que l’on
veut combattre et qui se détermine n a
l’obligation d’être à soi-même
n ce qu’il est. La connaissance et
l’innocence ne vont nullement de pair et nous devons tout surmonter
pour qu’elles compatissent bien ensemble. Dans le principe, tant
y a que nous nous rendons pires en nous sachant tels et divisés
n
d’avec nous-mêmes, n et la rejette
laquelle séparation déprave l’âme
au sein des profondeurs, les yeux ouverts et connaissant la nuit
dont elle s’enveloppe, mais l’obligeant au témoignage d’une précel­
lence inviolable où nous ne sommes
h plus à nous, quoi que l’on fasse.

IX. De l’innocence et Que l’innocence est préalable, mais n non


de la pureté suprême
» n la pureté suprême, laquelle est un achè­
vement
n et qui vient à la suite, orné de
la profusion de l’innocence et respirant une vigueur sereine à quoi
le monde ne prévaut à l’avenir, achèvement de plénitude instruit
de ce qui le dément
u et frayant, solennel, avec qui le menace,
ir ayant
tout renversé pour s’affermir n en un principe inviolable et tout connu
pour juger souverain. Mes frères en esprit, malheur n à l’innocence
originelle, à l’innocence exempte de l’épreuve, à l’innocence désarmée, n

à celle qui végète à la merci


ri des troubles et des flétrissures, à l’in­
nocence sommeilleuse, à la pénombre ii ii où dorment
de l’informe ii les
puissances confondues !

X. Le fruit des justes causes La vérité se marque-t-elle en cet


épanouissement
ii dont parlent les
spirituels et se mesure-t-elle
n enfin à cette paix de l’âme inébranla­
blement assise en une certitude énamourée
n ? Mais si l’on entre avec
justesse en l’examen,
n s’étant mis
n en état de prononcer, l’on voit que
les solutions abondent, que cette paix de l’âmeii est fruit d’un nombreii

incalculable de démarches, les unes ridicules, les autres éminentes,


qu’elle s’obtient parfois à l’aide de moyens indignes, qu’elle n’est
rien au défaut de la persuasion, laquelle naît de l’habitude, et qu’elle
est tout dans le domaine
ii de l’accoutumance
n : on nous l’enseigne,
cette paix, on nous la fait gagner, on l’alimente
n et la protège, elle
se développe naturellement à raison de la soumission n filiale, elle
ne lâche plus sa proie et l’on ne peut qu’on n’y revienne, elle nous
suit au bout du monde
n et dans le sein des péchés les plus noirs,
elle nous désabuse et nous nous y plongeons. Voilà la paix de l’âme, n

recours facile et désirable, à la commodité des simples, n manière


n

247
d’assoupissementn autorisé, ce qui n’empêche
n nullement
II l’écart des
fanatismes
n : c’est quand le jugement n sommeille que l’âme II est la
plus généreuse, la vertu la plus mâle n et nos mains
n les plus acharnées.
Ainsi la paix de l’âme Il se prouve à soi-même
H' et qu’elle nous lie et
qu’elle nous rend participants de son efficace, mais II nous savons
l’erreur en état de la procurer aux hommes Hlll ingénus, nous savons
qu’elle se dérive de partout ou peu s’en faut, nous disons qu’elle
ne démontre rien, hormis l’acharnement ou la faiblesse et trop de
fois les deux ensemble. Le désirable épanouissement II dont parlent
les spirituels suit d’une cohérence générale et cette généralité —
propice à la fureur de même* n n qu’aux béatitudes — est l’œuvre de
l’esprit s’échafaudant à l’entour du prétexte. Or, ce prétexte que
vaut-il ? Voilà notre dilemme. IIIII Qui nous assure que la vérité nous
emplit
H d’allégresse et que la joie est une preuve sans égale ? Est-il
permis de bâtir sur de tels prestiges ? Que s’ils nous flattent, devons-
nous céder à leur emprise
II ? Y devinons-nous pas un relent dangereux
de complaisance
IT ?

XL Aphorismes
II sur la paix de l’âme.
II

A. La paix de Pâme II est le premier


II des biens, ce dit-on à merveille,
mais il est sage d’en savoir le juste prix, de ne point tout placer sur
elle : le fait de l’homme semble-t-il de se donner à qui le destitue en
lui portant secours et de solliciter un avantage dont il pénètre l’em n ­

barras ? La paix de l’âme II se conquiert et nul n’a pouvoir de la mar


n ­
chander, elle se surajoute à nos dépouillements et nous réconcilie
à nos dilemmes,il elle s’atteint, mais
H dans le temps que l’on n’y vise
pas et nous la jouons sans réserve à nous évertuer, quand l’on ne
vient au premier n de nos biens que par les autres et les moindres.
II

La paix de l’âme n est un achèvement et plus un état qu’une dispo­


sition, et plus un mode qu’une volonté, bien que l’état dérive de
l’antécédence et que le mode II suive de l’arbitre.

B. La paix de l’âme n est loin d’en être un assoupissement ii et ne


ménage guère à l’homme iiiii un augment
II de facilités, elle se meut
n à
l’antipode du sommeil
mu et renchérit sur nos astreintes ; la paix de
l’âme
II est une économie
n à l’égard de nos volontés qu’elle dénombre,
II

les évaluant pour les commettre


mu à leur défense mutuelle
il ; la paix
de l’âme
n est une fin que l’on ne force pas et qui vient à la dérobée
et dans le temps qu’on ne l’espère plus, un tout qui se déclare à
l’impourvu, mais
n nous demandeII l’impossible avant de nous enve­
lopper, un change de ressort et de mobile n où s’engloutissent nos
aplombs, une étendue infuse où nos empires n se déploient.

248
C. Mes frères en esprit, ne vous fuyez pas dans le temps, mais il

n’avancez que pour vous joindre avec un plus de certitude et pré­


tendez de vous ce dont nul autre ne vous sollicite. Que l’heure ne
vous trouble point où vous ne devez être et qu’elle vous atteigne,
dût-elle vous blesser. Ne vous gagnez jamais II sur l’avenir, ne vous
jetez en proie à la réminiscence
II et gardez-vous des sources écartées
comme n des mers
n ouvertes. Disputez-vous à l’œuvre que vous devenez
et soyez à vous-mêmes
if n l’épreuve et le loyer, récusant tout le reste.
Le monde
II ne peut rien sur vous, si vous vous redoutez par-dessus
sa tutelle. Cherchez la guerre et faites-la sans discontinuer, cherchez
la guerre et non pas la victoire, vivez à l’exaltation où nul ne vous
retire de l’abattement,
II prenez ensemble
n. feux et fin, la tête chevillée
aux nues, et déliez-vous de vous-mêmes n n. d’un agrément
n inépuisable :
donnez carrière à la liesse sainte, où l’évidence est à la joie et l’âme n

enracinée en un consentement n inviolable, l’adversité mise


n en échec
et votre mort une présence à jamais n familière
n ; mais
n faites-le de
conseil pris, dispensateurs de ce qui vous anime et les garants du
choix formé,
ii et vous aurez la bonne paix, la paix de l’union et non
pas celle de la nonchalance !

XII. Sermon sur le refus Mes frères en esprit, la vie est la souil­
lure que la mort efface et de la mort
attendez moins que du néant. Pour être vous, ne soyez vous d’abord
et vous le serez au delà de toutes étendues ! Prenez sur vous d’être
en épreuve et rompez les mesures
il qui pallient vos dilemmes.
nui Ne
vous rendez à votre empressement
n n et tirez-vous du pair, mais
n vous
tenant à la contrainte et primant
n sur la domination
n qui vous attache
à vos trophées légitimes.n Il n’est de marque
n plus visible de nos
libertés que le refus immotivé
n de jouir d’elles, de peur de les changer
à ce dont elles nous libèrent. Inassouvis de l’au delà, que votre marche
n

ne s’arrête et, dans le bris d’idoles terrassées, que les modules cèdent
et que les voies s’ouvrent ! Il est un point de fuite insaisissable, un
tourbillon où les pléromes s’engloutissent, un nœud où tout semble
aboutir et d’où rayonne l’harmonie, n un indivis sans fond et sans
partage, un au delà qui ne réside qu’en sa chute en le divin. C’est
là qu’est le Royaume n et qui le cherche ailleurs se condamne n infail­
liblement
ii à servir l’apparence !

XIII. Éloge de la Mes frères en esprit, n’enseignez point les


fuite préalable foules. Que d’autres les abordent, mais
n vous,
soyez près de l’autel et de la flamme,n en
l’ombre
n où nul ne vous viendra quérir. Ne vous jugez pas inutiles,
demeurez
n là sans vous dissimuler
n et ne vous ravisez incontinent

249
qu’on vous regarde ! Qui vous improuverait
il alors est-il de bonne
foi ? Présents à vous, ne l’êtes-vous pas davantage au monde u et les
appuis de sa grandeur ? Ne vous manquezII pas à vous-mêmesn1 : il
vous aura plus d’obligation que si votre rigueur s’empresse à le
servir. Vous n’êtes nullement
H tenus à vous justifier, mais
il à ne pas
vous démentir.
H Mes frères en esprit, ne louez que le Bien, lequel
est toujours le plus faible et le plus menacé
H ; le demeurant
H a-t-il
besoin de défenseurs ? Que le facile ne vous tente point. Mourez
plutôt que de donner la voix aux méchants
H de ce monde et fuyez
ceux qui mettent
n la parole à leur service et tordent les plus saintes
lois pour légitimer
n l’imposture X>u pour confondre l’innocence. Ayez
le privilège du refus, soyez inébranlables et que la mort vous accom­
pagne au lieu de vous surprendre. Allez, ne craignez que vous-
n êmes
ii ici-bas et nul ne vous sera plus formidable !

XIV. Éloge de la bonne loi Soyez et vous ne cesserez de l’être,


mais
II pour le devenir il faut que l’on
se joue et l’on se perde, où nul n’a l’assurance de s’impunément H ga­
gner, où tout n’est pas de trop et trop n’est même il H plus assez ! Mes
frères en esprit, nous naissons libres de vouloir et de ne vouloir pas,
mais
n nous n’avons point la ressource d’avérer la dépendance de
nos éclaircissements
n et ne pouvons que la subir, nous jouant à
nous-mêmes
n n ou nous rebutant. Qui d’entre nous appuie un senti­
ment
n dont il n’excède les visées ? Qui ne fait souche d’amertume n u

à s’éprouver sur les mobiles de son choix ? Et qui se loue ouverte­


ment
u de s’être gouverné, s’il entend vivre à découvert et sous l’œil
même
n n de ses fins profondes ? Nous sommes destinés à l’asservis­
sement
n tout comme à la franchise, élus ou réprouvés dès le principe
et dès avant le choix formé, H lequel nous restitue à nos modèles pré­
alables, et libres parce que nous le devons et malgré n nous, en l’obli­
gation de l’être où nos franchises nous incombent. ir Le fondement
II

de toute liberté, mes II frères en esprit, semble une constellation de


servitudes, les uns bondissent et les autres rampent, mais II le mérite
des premiers
II n’aveugle point les juges équitables et la faiblesse des
seconds ne leur inspire que miséricorde ou charité : ils se prononcent
toutefois, ils récompensent
II ou sévissent, ils prônent les édits sévères,
ils préconisent la sentence la plus rude, à raison de l’humaine II di­
gnité. Aimons la bonne loi, la rigoureuse et l’inclémente, II la tutélaire
inébranlable et qui ne varie en faveur de rien, la loi qui frappe
et qui n’offense plus, qui plane au-dessus de nos échafauds en par­
donnant à ses victimes II et nous rachète au lieu de nous abattre à
l’heure qu’elle nous punit, la bonne loi qui venge la nature et qui

250
nous lave de la faute où nous mourons par elle et dans la résignation,
qui nous retranche des vivants, non pour nous diffamer,
n mais
n pour
nous rendre ce qui se perdit où nous nous scellons dans le fort de
notre obéissance !

XV. La voie royale Mes frères en esprit, déposez d’un tenant qui
vous rapproche de ce monde et qui vous en
éloigne : la bonne voie passe au travers, en tout lieu de ce règne et
libre d’elle, de vous et de lui ; la bonne voie est l’abandon perpétuel
de ses conquêtes immanentes, la bonne voie épuise les chemins «i et
les modules, elle est plus qu’elle n’est et toujours moins qu’elle
n’est devenue ou deviendra*

XVI. Choix de sentences

1. Il vaut mieux consentir à n’être rien que toutes choses à


demi. Puisse tout aboutir à mon H commencement
11 !
2. Je consens à maH lassitude, afin qu’elle m’épargne, où je dois
rompre ma II vigueur, à dessein qu’elle serve.
3. L’on ne doit aborder que ce que l’on épuise, envisager que ce
que l’on peut démentir
II et désirer que ce que l’on résigne.
4. Puissé-je devenir complice des vertus où je me n dois astreindre !
5. Ne rougissez pas d’être heureux en ayant l’âme n noble !
6. Une âmeII noble passe autant de fois tout le bonheur qu’elle
désire que la plus basse celui qu’elle obtient.
7. Le premier jour où l’on consent à devenir ce qu’on n’a pas
été nous fait mourir
II à cela même
n n que nous sommes,
ntn et c’est le moins
qu’on nous haïsse de nous être méprisés
n au point de nous survivre.
Malheur à qui préfère l’existence à tout ce qu’elle signifie !

XVII. Aplombs de
» la vertu Que le suprême n fondement
n de la
vertu, quand tous les appuis vien­
nent à manquer,
n me
n semble
n enfin le naturel de l’homme ou cet
amour qui rend le difficile délectable et se dénomme
n point d’honneur,
lequel procède de l’acquis. La vertu paraît en l’instance une obliga­
tion ou naturelle ou près de l’être et nous n’avons d’autre ressource
que de nous y jeter, sauf à nous démentir
il — mais
il il en est assez
pour n’y rien perdre et qui ne se prévaut d’un fondement II de bon
aloi mérite-t-il
n d’être à soi-même
n n ? — Je tremble aucune fois en
remontant à l’origine de mes
n vœux, n’y décelant que des prétextes ;

251
je sens que toutes mesn pensées s’ordonnent à dessein, que les plus
hautes ne meil sauvent pas de leur bassesse et que les plus profondes
se relient d’ordinaire à l’apparence : je suis en moi ce que je semblais
être et mes
H emplacements
n dans l’absolu dérivent d’un mobile im il ­

médiat,
n mon absolu n’est jamais
n hors de moi, dont les dépassements
ne touchent point à ce qui m n ’environne. Telle est la force de l’ina­

nimé
n que nos vertus liguées ne sont pas de trop pour croiser l’effet
d’un méchant
n habit ou d’une bosse, peut-être s’en est-il fallu de
moins pour fonder un système n et mettre
n l’univers en branle.

XVIII. Panégyrique de l’envie L’envie est le ressort couvert de


force mouvements n de l’âme
n et qui
se mêle
n de prêcher les hommes ne doit l’oublier et faire fonds sur
toute la puissance qu’elle met au jour. L’on ne retranche point ce
dont nous sommes n composés,
ii il est requis de ne jamais n l’abattre et
de laisser en nous l’ébauchement ri des pousses ou des frondaisons,
sans quoi nous tombons en langueur. Si l’homme lllll n’était qu’à l’amour
et que chacun reçût le loyer le plus équitable, nul d’entre nous ne
songerait à se grandir et nul n’enchérirait sur l’éternel quand il lui
faut se conseiller avec le temps, les âmes il les plus bellementn choisies
vivraient en l’ignorance des profusions qu’elles renferment n et
l’homme serait moins
il humain
n à n’être que son ombre ou son modèle. n

Pour nous, le danger ne réside plus en l’infortune et les périls qui


nous menacent
n ne subjuguent pas ceux qui se mourraient, faute de
matière.
rr Quoi de plus abuseur que l’assoupissement H des sages véri­
tables, dont le repos est diligence ou le sommeil un intervalle de
relâche entre des guerres ranimées n à plaisir et qui ne cessent pas
du vivant de leurs maîtres
il ? L’envie tient de ce dont elle participe
et se colore des rayons que son objet déverse, elle outre au souverain
degré l’éclat de nos puissances, elle les établit — si j’ose dire — en
une fin qui se reprend à revenir incessamment sur elle, elle découvre
en une solitude un amas rr de prodiges ignorés et de merveillesn in­
connues.

XIX. Empire de la jouissance En l’immolation la joie est ambiguë


n

et coule d’une double source ; en


l’immolation l’ombre a sa part de préférence à la lumière n ; en l’im-
ni

molation
n l’inavouable porte le sublime II et le sublime
rr tomberait à
rien s’il ne l’alliait à l’inavouable. Par l’immolation nous retournons
à l’indivis et, dépouillés de nos limites,
H nous goûtons un néant qui
nous dispense de choisir et nous annule en ne laissant de nous com-

252
bler, effacement Il d’autant plus savoureux que l’on y touche en ve­
nant de plus loin et dont les grandes âmes II jouissent au superlatif,
à raison du contraste ; par l’immolation le cycle se referme II et
l’homme
iiiii se transvide en éprouvant une Hesse insoutenable, une
manière
n d’agonie de béatitude, un sentiment II qu’il juge à l’égal des
meilleurs
n et qu’il poursuit comme
IIIII étant le plus désirable, où nombre
de systèmes II le lui persuadent à la dérobée et même à découvert,
les religions tirant leur vigueur d’un fonds d’enigmes II1 et de com­
plaisances que dissimulent II des sévérités formelles
II ; par l’immolation
un homme II fatigué de solitude et lassé de choisir se précipite dans
les limbes, que dis-je, rentre dans le sein qui l’avait mis II au jour et,
sous couleur de se parachever, se restitue à la genèse, aveu d’une
défaite irréparable et d’un inceste digne de risée, avec des apparences
de subhme II et des commotions sohdement II voluptueuses. Il est des
héros et des saints, lesquels ne sont ni l’un ni l’autre, mais des men n ­
teurs assermentés,
H qui brûlent de mourir pour être les témoins il de
leur ruine et qui se laissent égorger, à l’intention de se prouver qu’ils
existent, n’étant pas dans le cas de s’endurer eux-mêmes. n n On les
admire, parce qu’ils nous servent, que leur exemple n prêche mieuxn

que des vertus silencieuses, que leur emphase nous emporte et qu’on
y puise des licences singulières, la bonne mort ou ce qu’on juge tel
légitimant
II des voluptés dont on est convenu de faire un rigoureux
silence, sous peine de se vouer à l’horreur avant d’en être la victime n

et de périr abominé de tous, les bons et les méchantsH s’accommodant


iiiii

sur le délice.

XX. Apologie Que l’être est jouissance et que la jouissance aug­


mente
n à raison de l’intégrité, de mode
n que le plus
heureux est le plus vulnérable et le mieux
n affermi
n le plus sujet aux
mouvements
n de l’âme,
n car l’homme
iiiii n’est divin que s’il unit l’émotion
à la constance et la douceur à la dernière fortitude. Il ne suffit n pas
de se vouloir magnanime
n n et la raideur est indigence, nous devons
aller au delà de la nécessité faite ou subie, nous devons savourer
tout ce qui nous partage et même
n n renchérir sur le conflit, aux fins
de disposer de nous en l’exercice le mieuxn soutenu, peur d’être à
soi lorsqu’on n’en est pas digne.

XXI. Défense des sauvages Les prêcheurs qui se rendent chez


des peuples écartés ont plus à re­
douter l’effet d’un zèle intempérant que de la néghgence et : n oins à
réformer,
n à l’aide de nos mœurs,
n qu’à prévenir l’abaissement
n et
la ruine. Ce n’est pas tout que de vouloir le bien, il faut encore qu’il

253
ne nous mutile
H ou ne nous fasse perdre goût à l’existence. Enseigner
la pudeur à ceux dont la nature exige de l’outrance et qui, soit
faute d’aliments,
H soit faute de vigueur charnelle, ont peine à se
livrer à ce qui nous allume
II sans détour est l’abus le plus manifeste
II :
il est des nations chez qui les dépravations et les spectacles éhontés
éveillent moins de flamme que l’idée que nous en prenons, d’où
leur besoin de pallier un manque
II et d’échauffer des sens empreints
d’une langueur perpétuelle. En ôtant les excès, nous ruinons qui
vivent sous leur dépendance.

XXII. Sermon sur l’indulgence Mes frères en esprit, que votre


en matière
II d’amour pureté ne soit à charge à l’univers,
que vos maximes
n n ne l’ébranlent
point, que vos démarches II ne le tuent ! Ne retranchez à l’homme
les moyens de subsister et souffrez même n n la licence et les dérègle­
ments,
n sans quoi la vie est amertume
n n aux misérables.
n Ne leur ôtez
jamais
n ce qu’ils possèdent, vous qui jamais n ne serez en état de le
leur rendre et n’offrez à leur indigence un surcroît de douleurs ou de
dilenimes
III II ! A ceux qui vivent de leur corps et tirent un semblant
de volupté de la nature même, n n est-il loisible de vanter à quoi leur
âmeII ne leur a permis ii d’atteindre et de se jouer de leur foi pour
les laisser en un désert ? Que voulez-vous des pauvres ? Leur di­
gnité n’est que figure. Tremblez U de leur donner le change et de ne
point les assister !

XXIII. Aphorismes
h concernant la femme

A. Que l’on ne dialogue pas avec la femme, n à cause qu’elle est


à la fois une et multiple,
n où l’homme est toujours seul, la femme
toujours à l’espèce. Plus faible qu’elle, il s’arme
u pour lui résister,
où cette esclave règne par les sens, et ne peut rien contre elle —
en dépit de ses lois — s’il n’a d’empire sur eux tous. Il fuit la vie
en la donnant, la force de la femme étant de le convier à l’offrande
et de le disputer à soi pour le gagner à l’univers.

B. La femme
n est Ariane et nous ramène
n à le surface du dédale
où nous nous sommes engagés et dont elle ouvre les issues. L’on
voudrait qu’Ariane nous laissât et nous l’abandonnons si volontiers
sur l’île de Naxos, pour voguer libres désormais
H à pleines voiles,
libres de nous et d’elle. Les penseurs n’y démêlent
n rien et se con­
tentent soit de l’ignorer, soit d’en médire
n ; les saints préviennent
sa puissance en allant au-devant de ce qu’elle a de plus irrésistible,

254
en opposant la femme au féminin, Ève à Marie, en courbant l’en­
nemie
H aux pieds de son idole, en l’obligeant de travailler de tous
les ressorts de son infamie
II à toute la splendeur de sa démarche,
n en
accablant un être fait pour les détruire et qu’ils retournent à jamais
n

contre sa préséance, au nom de cette préséance même. n n La Vierge


Mère est le chef-d’œuvre de l’esprit humain.
II

C. Que dans l’amour n il est un je ne sais quel ordre délié, fait


du meilleur
n de l’âme n et dépassant qui le motive, un merveilleux
II

arrangement
n qui ne dérive d’aucun fonds, mais II s’ouvre d’un tenant
sur une vue illimitée
II et semble le produit de ce qu’il nous révèle.
Ce charme
n insidieux aveugle nos esprits, nous force d’abdiquer nos
n êmes
ii volontés, nous induit à nous desservir et nous contraint à
nier l’évidence au bénéfice d’un délire à quoi l’entendement II se
range de dessein formé. n Apparemment les hommes II ne s’abusent
guère à suivre un tel mirage
ii et nous sentons qu’ils ne se trompent
que sur les mobiles
II mis
n en œuvre.

D. Le rut, c’est une chose singulière où nous perdons de notre


moi,
n qui nous transforme
n en l’objet d’un pouvoir que nul n’exerce
et qui repose en chacun d’entre nous ; c’est une force aveugle et la
revanche du passé qui fait de nous une manière
n de canal vers les
époques à venir ; la voix des morts que nous portons en nous,
lesquels demandent
ii de survivre et tremblent de périr une seconde
fois si nous nous refusons à leur instance.

E. Que de la femme à l’évidence il n’est empêchement, n de sorte


qu’elles compatissent à merveille
n l’une et l’autre, où l’homme
iitti ne
peut l’endurer, ne la voyant qu’au travers de l’idée qu’il s’en formen :
il l’entend assez mal,
n de vrai, mais
n comme il ne s’y plie guère, il
la soumet
ri aux remous
n de l’intelligence, la rangeant sous des lois
auxquelles l’univers s’étonnerait peut-être d’obéir, si l’univers était
une personne. L’histoire de l’espèce me n semble
n une aventure, où
chaque port n’est qu’une échelle promptement n abandonnée et
chaque pays odieux sitôt qu’il est de connaissance, où l’on navigue
dans le noir et fait le jour en traçant les limites.
n

XXIV. Le sermon Mes frères en esprit, la source la plus écartée


pour la chasteté est la plus adorable et la plus difficile voie
est la meilleure
n à suivre. Fuyez, fuyez l’attrait
de l’issue innombrable et ne cherchez que vous au monde, et soyez
présents à vous-mêmes,
n ri ne vous lassez jamais
n de votre solitude et

255
ne la faites partager à nul qui n’aura débordé la sienne ! Craignez
l’absence et non pas la retraite et sachez que le mal ir est en tous lieux
où l’homme
iiiii se renonce, afin de n’avoir à se conquérir. Laissez les
âmes
n enchaînées, abandonnez les morts et désertez qui vous déserte,
la liberté ne résidant qu’en la démarche II qui vous porte d’aube en
aube ! Et secouez l’entrave d’un bonheur facile et tissu d’abandons !
Qui vise au fruit ne saurait l’obtenir et ne corrompt que la semence. n

Nul ne vous fournira des sûretés, si vous ne les prenez sur l’autel
n ême
n et nul ne vous déliera du serment n d’allégeance où vous ne
consumez
h les raisons de l’attachement.
n Vous êtes ce que vous pensez
et répondez de chaque motion n de l’âmen : le moyen de vous affranchir
où vous soupirerez tout bas après la servitude ? C’est par la femme
que le monde vous abaisse et par la chair qu’il s’établit en juge sou­
verain de votre destinée, vous êtes sortis de la femme pour n’y plus
entrer et devenir un giron d’immortalité charnelle, afin que le Dieu
naisse du milieu
n de vous ! Vous êtes le levain du genre, le fondement ii

de qui ne meurtn et le sommet


iiiii des lignes de partage où les symboles
s’ouvrent et les ténèbres se dissipent.

XXV. Le sage et l’existence Je nommeiiiii sage qui discerne par


avance en une motion l’entier dé­
roulement
n de sommeil implicite et de puissance contenue. Que s’il
prend femme et qu’il engendre des enfants, le sage se renonce de
propos délibéré, vu qu’il résigne d’un tenant les privilèges les plus
enviables, savoir : le droit de penser jusqu’au bout, de souffrir pour
soi-même
n n et de mourir quand il lui semble bon. Sa dignité se veut
une île de silence et des limites défendues, de hauts remparts et
des fossés infranchissables, l’isolementu au sein de la mêlée
n et le
désert jaloux, les temples à l’abri des murs ii qu’on ne viole pas. Le
lot du sage est de se prémunir
u contre les multitudes
n serves du chaos
et d’assumer
n le meilleur
n de l’espèce, et de la trahir quelquefois pour
l’amour
n d’elle et de ses fins dernières.

XXVI. Voix de la foule On nous reproche de ne rien entendre


à l’existence et nous remontre l’effroi
de la définir. Quand nous ne disons mot, l’on incrimine H notre vigi­
lance et l’on sourit d’un air persuadé : « La vie n’est pas telle
qu’on se l’imagine
II et vos souffrances vous la feront mieux
II connaître :
il n’est que de s’y rendre aveuglément et d’essuyer un cent d’injures.
Voilà qui se dénomme IIIII être à la bonne école et dans le train qu’il
nous faut prendre. Nous haïssons, à dire vrai, qui se voulant tirer

256

*
du pair a soumis sa conduite à des lumières
n préalables, nous voulons
qu’on se brûle et qu’on se navre, et la prudence ne doit point venir
à qui ne la mérite
II à force d’embarras ou de folies ! Allez vous perdre,
allez souffrir et puis nous en reparlerons ! » Et, quand nous remon­
tons à la surface, ils nous prohibent gravement H de faire le détail
de l’exégèse et veulent qu’on bouffonne : « Vous nous indisposez
et quelle fureur vous anime n ! La vie est une chose aimable
ii et nous
ne supportons qu’on la diffame n ! Est-il loisible de la peindre de la
sorte ? Vos déclamations
u nous lassent et n’arrangent rien : nous
nous accommodons
iiiii de la bassesse et de la vilenie, où nul ne nous
empêche d’en jouir. Laissez-nous un bonheur facile et prévenant
que nous goûtons en notre ignominie et nous abandonnez à la liesse
de nos corps vautrés dans « les ténèbres ! Nous demandons
n à Dieu
qu’il nous condamnen à n’en jamais
ii sortir. »

XXVII. Sermon sur la richesse Mes frères en esprit, ne rougissez


pas de l’aisance et soyez dignes
des profusions. La honte n’est pas d’être riche en ayant des vertus
et l’opulence la mieux employée
n est celle du savant ou de l’artiste.
Chacun de vous semble un fanal et l’honneur de l’espèce, et la misère n

de ce monde a-t-elle lieu de vous troubler ? Que votre cœur ne saigne


pas en vain et pour l’amour des faibles assotés. Qui leur a fait
commandement
u n de pulluler et de se dévorer les uns les autres ?
Qui leur a demandé
n de naître et d’épuiser la graisse de la terre, de
ravager des continents entiers et de multiplier
n encore, esclaves de
leurs lendemains
if ? Avez-vous à pâtir de leur démence,
ii à racheter
leurs manquements,
n à vous prostituer à leur ignominieu ? Laissez
les morts
n s’apparier ou se combattre et fuyez de leurs mains.
ii Vous
ne transformerez jamais
n ce qui résiste au changement
ii et cède aux
seules violences. Qui s’en iront vous joindre en quelque emplacement
n fi

que vous soyez méritent le partage et qui ne vous ressemble ff point


a l’obligation de vous servir.

XXVIII. Sermon Mes frères en esprit, je vous exempte


H d’aller
sur la prudence au-devant des foules, oui, je vous en dispense
et j’appréhende extrêmement
ii ii que l’on ne vienne
vous quérir. A suivre les penchants du nombre, il est besoin de
transiger et vous vous rendez de nécessité le témoignage le plus
abuseur. Vous appartient-il de couvrir l’indignité de tout ce qui vous
en éloigne ? d’armer
II la honte à l’assurer de vos appuis ? et de con­
duire les méchants
II à la rencontre de leurs brigues ? C’est à cela qu’ils

17 257
vous destinent. Mais si vous vous jetez à la traverse, il ne vous reste
qu’à périr et même
n n alors vous tirerez-vous de leurs mains
n ? Ils
violenteront votre dépouille et, morts, vous servirez à leur malice,
H

ô vous que l’on démembre


ir sous l’encens et qu’on insulte sous l’homn ­

mage
H ! ô vous, martyrs
n au delà de la tombe ! ô vous que l’on adore
à seule fin de vous rendre impossibles !

XXIX. Oraison jaculatoire Mon Dieu, préservez-moi des mul­


titudes ! Et faites que u es poursui­
vants s’égarent, ne pouvant n ’atteindre où je cessai de de: n eurer
en moi, et ne déchirent que mon ombre !

XXX. Sermon contre les vilains Mes frères en esprit, nous con­
naissons les faibles à l’intran­
sigeance, les couards à la démesure n et les vaincus à l’amour des
rudesses. Ah ! qu’il importe de se sentir appuyé, de se juger en force
et d’en avoir l’accoutumanceH pour n’abuser de rien, pas même n n du
triomphe ou de la certitude ! Qui rêve d’être le fléau du monde et
de saper les fondements
II de la justice est un esclave intronisé, de
qui la place est la dernière, oui, la dernière où le ressentiment II exerce
son acrimonie
II et les démonsII hennissent dans leur impuissance !
Mes frères, redoutez les faibles : ils vous immolent II au semblant de
la doctrine, ils iront consumer II la moelle et la substance au profit
de la lettre, ils régnent sans partage, impatients de domination, et
doubleraient vos servitudes pour enchérir sur l’éminence II : ils ne
se payeront jamaisII d’avoir tremblé sous d’autres, les couards, et
ne pardonneraient à l’univers la honte du servage ou la dérision
de la bassesse. O malheureuse
II humanité,
II s’il faut que des esclaves
te régissent ! Nul ne se fonde en espérance où nous devons bâtir
sur les vengeurs de l’infortune et qui demandent II réparation à ceux
qu’ils ont la charge de mener II !

XXXI. Aphorismes
ii sur le vilain

A. L’estime n de la force et le mépris


H’ des justes causes sans défense,
la peur du choix et le besoin servile d’absolu, l’inaptitude à se déter­
miner,
n l’horreur de l’expiation, la volonté de chercher un coupable
et mêmen de le susciter à tout événement,
n le fait de croire en la malice
II

générale et d’être prévenu, mais H de céder à qui vous enveloppe et


l’inclination à rire bassement
II des hommes
III II et des choses, voilà les
marques
11 du vilain.

258
B. Que l’homme n vil est un abîme de surface où rien ne plonge et
ne se fixe ; une manière
n d’étendue impermanente
n n où les mobiles
sont en ghssementn ; le vague sourd et les aveugles vastités desquelles
rien n’émane,
n à quoi rien n’aboutit et dont nulle ombre ne relève ;
une aire plane et toujours en dérive, roulant sur l’amas Il morne des
penchants et de l’accoutumance II — les seules profondeurs qu’elle
retrouve en chaque lieu, le point d’attache qui la suit, docilement II

émule
II et dangereusement complice — ; un branle enfin, destitué
de sa franchise,
I. en dépit de ses mouvements
n impondérables
Il dont
il essuie l’inconstance et ne prévient jamais n l’atteinte ou la menace.
II

C. Que l’homme
lllll vil est sujet à la morgue
II' et se connaît à la malice.
n

Les vilains semblent à la fois les plus crédules et les plus dissimulés,
n

d’où vient qu’ils taxent d’imposture et de mensonge II qui s’ouvre


trop innocemment
II et prennent néanmoins
II le change à tous les coups.
Ils savent qu’ils ne sont rien par eux-mêmes, ils courent s’aveugler,
mais
II ils n’admettent point qu’on leur démontre l’un ou l’autre et
brûlent de se payer du ressentimentII qu’on leur inflige. Un homme lllll

vil se perd d’emblée, à cause qu’il présume If tout de son intelligence


et s’abandonne à qui le fortifie en cette déraison.

D. En la grandeur, un homme II vil discerne ce qui l’en sépare et


non le demeurant,
n il voit des fossés et des murs,
II un appareil de tours
et de défenses, mais
n ses regards l’abusent au degré suprême et l’émi­
nence y devient postulat ou s’y revêt de formes n pathétiques. Or,
l’éminence
ii est harmonie et n’a que faire de tels procédés, elle y
peut condescendre et c’est avec l’intention d’en revenir à point
nommé, car elle irait se perdre — et sans remède — enf feignant
d’être à tout ce qui nous en différencie, elle se changerait à son
pathos — au préjudice de son contenu — pour céder à l’orgueil
de se roidir. Dès l’heure que notre éminence
n est l’ostentation des
vertus qui l’imposent,
n le fracas de son attirail semble
n un jeu d’ombres
infidèles que l’homme vil révère éperdument. n

E. En Pâme n haute, l’absolu n’engendre que l’amour avec le trem n ­

blement et c’est par lui qu’elle se trouve, en lui qu’elle se plaît


et pour lui seul qu’elle soupire où ses travaux seuls la contentent,
où l’absolu fait à sa ressemblance, lui donnant la plus sainte jalousie,
la mettant
II à l’étroit, l’oblige à rompre
II tous les faux enchantements
H

pour aller au-devant de la première cause et se restituer à ses der­


nières fins. En l’âme basse, l’absolu n’engendre que la peur ou le
ressentiment
II et le moyen de pervertir les hommes lllll le plus efficace
est de les engager dans une foi profonde au Heu de leur bailler

259
quelques tempéramentsH et de les amuser
H de thèses dilatoires : un
homme trop persuadé n’en est que plus féroce et ne ménage II rien,
il entreprend sur qui le met
H en défiance et ne se manque
II de louer,
la bonne cause l’absolvant du reste. Ah ! qu’on est aise de tout
subvertir et de tout égorger où la justice nous appuie et le Seigneur
est de nos partisans ! La belle compagnie où Dieu s’oblige à des
raisons dont un sicaire éprouverait de l’embarras et qu’il assiste
néanmoins
II du plus haut de Sa précellence ! Que voilà d’armes II

imprévues et de malices
II' composées
II ! Valait-il donc la peine de viser
par-dessus les idoles pour nous en susciter une nouvelle et la plus
implacable ? Craignons d’aller jusques au bout avec tous ceux qu’il
nous importe de laisser à vau de route !

XXXII. Du fanatisme
II Le fanatisme
II est inhérent à l’homme et,
pour se faire jour, il s’ouvre un mille
II de
passages. On croyait dans le temps n qu’il suffisait
ii d’ôter la religion
pour en détruire la semence n et nous savons depuis qu’il n’en est
rien. Tant il y a que, prenant source au profond de nos inclinations
couvertes, nul hommeIIIII n’a puissance de le subjuguer — sauf à le
retourner contre soi-même,II II lui déléguant l’emploi
n de se réduire au
long de son avènementII —. Faute de quoi, le fanatisme a prompte­
ment raison de nos manœuvres
II dilatoires : il n’est donc pas merveille
n

s’il enfle nos pensers, enchérissant sur tout ce qu’on allègue et nous
portant à la fureur, qu’il envenime n' notre jugement et qu’il se fait
honteusement
n valoir à qui lui donnera licence.

XXXIII. Sermon contre Le triste événementn que l’abus des


divers prêcheurs saints noms au bénéfice de l’inavouable !
Pour un seul homme IIIII de mérite,
II il en
est trop qui vivent dans son ombre et s’en protègent, et l’on ne
vante jamais
H mieux
II les patients qu’afin de s’établir par une violence,
où nous savons de longue date que l’on fait davantage de martyrs n

à se remémorer
n ceux que l’on venge. Je tremble volontiers pour la
justice, si l’on s’avoue d’elle, et crains les zélateurs d’une victime h

illustre qui ne se lassent point de tuer en son nom. it Dieu, préservez-


moi
n des séquelles et des souvenirs, et ne souffrez que l’immolation
des justes d’autrefois en légitime n de nouvelles, plus sanglantes !
Quand une secte ferait fonds sur mille H saints du temps n passé, leur
excellence ne la sauverait, s’ils avaient à rougir de leurs fidèles, et
mille
n saints ne nous démontrent pas qu’une doctrine que l’on fausse
soit à jamais
a infaillible et prouvent seulement
ii qu’ils eurent le mérite
n

de la dépasser.

260
XXXIV. Abus dans le spirituel II est des religions prenant tant
à l’homme qu’il semble
H soutenu
par elles, mais
n qu’il se perd, quand elles viennent à fléchir. C’est
là dérèglement
n et, s’il nous met
H à couvert de plus grands désordres,
il ne retranche les abus que pour nous affaiblir en ôtant les racines.
Nous oublions avec assez de complaisance que l’homme naît pour
être le sujet de la doctrine et que les privilèges du spirituel ne nous
exemptent point d’y regarder, puis toutes choses s’affadissent en
une soumission
II générale. En telle secte il ne subsiste même
n n plus
de borne et le spirituel s’épand au souverain degré, mais n loin que
l’ordre y puise des maximes
u u généreuses, la foi se pervertit à ce
mélange
II et nous croyons y demeurer,
H alors que nous l’avons trahie.

XXXV. Du choix Le choix, l’enfer de qui n’est digne d’en former


II

et le puissant motif de la sédition du nombre


H ;
le choix qui rompt
II les lois et les mesures,
n le trouble en permanence
II

et la division de tout ce qui mérite


u de s’unir, la latitude illégitime
II

et la licence inassouvie ; le choix, l’épreuve terminale


H et la dernière
instance, où l’on s’efforce de ne parvenir jamais et dont l’issue est
la toujours remise.
II

XXXVI. Sermon Mes frères en esprit, nous avons choisi l’aven­


contre la lettre ture et ne voulons de sûreté, nous ne voulons
de dogmes
II ni de lois et rejetons maximes
il II et
sentences, pour vivre dépouillés et proches de Dieu seul. Nous brisons
toutes les idoles, subvertissant les temples et l’autel, s’il faut qu’ils
nous dérobent les accès ou nous refusent le passage, et nous nous
briserons nous-mêmes,
n n de peur de nous idolâtrer, car l’âme pure
et pleine de son Maître est la suprême II fleur de la création et l’œuvre
d’art la plus suréminente.
II Heureux qui passe la mesure
II en prenant
la mieux
II ajustée ! Heureux qui fonde l’âme n et la fondant l’exhausse
et l’exhaussant la parachève en l’accomplissement
n n ouvert ! Heureux
le miroir
II de la Sainte Face où tout conspire à nous sceller dans une
ressemblance inimitable
II !

XXXVII. Nouveau Que l’homme est agissant et qu’il est passion,


retour sur l’homme vivant à l’acte et subissant le mode : il est
puissance à l’égard du possible, ébranlement
II

dans le présent et tout ce qu’il éprouve est à jamais


II échu, sa vie
un enchevêtrement
II irréversible, une manière
II de projet au-devant

261
de la sphère la plus homogène, où l’aboli se masse
n en une liaison mul
if ­
tiple échafaudant ce qu’on dénomme fi le destin, amas n modifié sans
trêve à chaque mouvement
n n nouveau. Nous sommes iitii convenus d’ap­
peler temps le tourbillon où l’homme se déplace et qu’il entraîne
invariablement
fi dans le sillage dë l’unicité, moyenne
lî et l’amas
n des
moyennes préalables, balancementH de l’acte à la commotionn et du
ressentiment
II à la réminiscence.

XXXVIII. Défense de la lettre La lettre n’a pas à rougir de la


* défense qu’elle assumefl et l’esprit
n’a pas à la rejeter, les deux ne se perpétuant que l’un par le moyen
de l’autre et s’épaulant quand ils ne se ravagent, indissolublement if

liés dans le triomphe ou la ruine. La lettre se nourrit de ce qui la


cimente
ü et l’esprit même n s’intronise au travers de ses formesfi im
n ­

mobiles ou voraces ; Dieu germe n au profond de l’assise et du rempart,


Lui qui renverse fondements et faîtes pour les rebâtir en Ses pro­
fusions inachevées. f

XXXIX. Objection La lettre, la défense de l’esprit, l’enferme de


courtines et l’isole, le défendant si bien qu’il
la faut subvertir, quitte à lui rendre ses prestiges, l’an d’après.
Entre les deux il n’est de truchement
if et qui ne passe des formules

aux lumières
li demeure
il sur le parvis de l’enceinte.

XL. Sermon en faveur Que l’on ne saurait vivre, à faute d’ab-


de la lettre solus et de raisons tranchées, dont il est
juste que les délicats se plaignent et dont
les philosophes rient, mais la condition le veut et nos puissances y
défèrent. Les astres ne nous tirent d’aucun embarras et nous n’avons
pas à les consulter, et les prodiges de cet univers ne sauvent jamais
l’homme en lutte pour l’immédiat. Mes frères en esprit, nul ne résiste
à la menace
il qui l’entoure et nul ne rompt l’effroi de toutes les mesures
concertées s’il n’a hé partie avec soi-même. Il est un fondement il si
digne de créance qu’il n’est pas sage de le mettre
il en réputation, un
fondement
H solide et qui supporte les raisons contraires, un fondement
ff

que tant de preuves n’affermissent


il plus et que les démonstrations
ne battent en ruine, un fondement enfin qui ne se justifie guère
et légitimen néanmoins tout ce qui le suppose ou même le renie, un
fondement
if que nous devons admettre au préalable, à moins de
renoncer à vivre. Comme if une vague issue d’une mer sans bornes

262
s’élance en un tumulteif dévorant et porte la nacelle au morne de sa
crête, un hommeIIIII fléchissant est plein de l’infinie majesté
Il qui le
ravit et semble
fl l’engloutir.

XLL Nouveau sermon Mes frères en esprit, l’illumination n’est


contre la lettre qu’un enfant abandonné ; laissez qu’il
Ii eure, ne songez pas à le défendre, ne

bâtissez point de maison, ne lui portez de nourriture et qu’il se


traîne à vau de route, à la merci de Dieu. Malheur à qui l’enferme II ­
rait et fût-ce dans un temple, à qui le nourrirait et fût-ce d’encens
et de myrrhe,
II à qui lui baillerait hommage
iiiii emmi
II les chantres et
les sacrificateurs ! Je vous le dis : il lui sied davantage de périr que
de se faire idole et l’objet de vos prostitutions, vous n’êtes bons
qu’à le salir en dépit des solennités et vous le servez mieux n en
l’oubliant, indignes.

XLII. Nouvelle apologie Que dans la sainteté, l’exemple n prêche


de la lettre et non la lettre et qu’il n’est rien de
si fastidieux que la relation et que l’en-
seignement, qui rendent les morales ridicules. Les livres ne nous
édifient guère et nous irritent sourdement,
u et j’en sais d’admirables
qui nous laissent froids, parce qu’ils prônent en humiliant ou qu’ils
illustrent la doctrine à l’aide de niaiseries. Le fait des prêcheurs
qui nous assourdissent est de tomber n du mystère
ii et du plus haut
de l’éminence en une platitude sans remède n — et dans la vue,
assurent-ils, de nous permettre de les recevoir ou de les pleinement n

goûter. De siècle en siècle, on bâtit de la sorte un monumentii n de


boursouflure et de chevilles, un assemblage monstrueux
n qui roule
sur le fonds de la doctrine et qu’il faut supporter pour l’amour ü d’elle,
à cause que la fin de l’imposture
h entraîne assez communément
if n la
mort de toute vérité.

XLIII. Apologie du mensonge


n II n’est de pureté sans la créance
instrumental des limites.
if La foi — pour être
digne de ce nom — vise unimenth

à l’absolu, mais
fi l’absolu ne la couronne point, lorsqu’elle ne se tend
dès le principe : il lui faut trancher sur le monde et se fermer
n à tout
ce qui n’est d’elle, rompre et bâtir d’un mouvement n et s’élever,
inassouvie, en ne perdant l’assiette. La foi demandeii une rigueur
extrême,
u à faute de laquelle elle se passe à commencer et ne doit

263
aboutir, et l’ombre même n n de la tolérance est une cause de ruine
à l’heure qu’elle prend appui : dans ce domaine, Il il est besoin que
l’on s’acharne sur Je reste ou s’étudie aucune fois à l’ignorer, qu’on
ne balance jamais
II dans le choix et craigne moins de s’abuser que
de manquer
n d’agir. La foi s’endigue à force de se déborder et se con­
firme
n en un retranchement
II jaloux, dont il se peut qu’elle s’évade
en apparence, où tous les chemins n la ramènent
n sans faillir aux
lieux de sa retraite. Elle aime n bien qui fera minen de la suivre et
davantage qui l’attend et ne s’ébranle pas, et l’on aurait mauvaise n

grâce à la taxer de fourberie, à cause qu’elle ignore le mensongen ou


s’y meut
II naturellement
II et. même
n n nécessairement.
II

XLIV. Sermon sur Mes frères en esprit, soyez vous-mêmes II II et


le dépassement
ii le reste vous sera donné, mais soyez vous,
non pas ce qu’il en semble et répondez de
ce que vous ne pouvez être en résignant votre suffrage, car le meilleur
appui de l’homme est de se dérober à qui fait mine de le soutenir
au détriment
n de sa franchise. Au bout de toute vie considérez l’im­
passe et, sur le haut du mont, le toit d’orage et de nuées, au loin
de chaque mer
n le rempart des falaises, à la limite
n de l’idée un carre­
four d’issues, et par delà ce qu’on épuise, un mutuel
II essor de combles
en rupture. Mes frères en esprit, ne l’oubliez jamaisII : tout est perdu,
quand les moyens
n se changent aux idoles !

XLV. Le sermon Oui, même


ir n en la vertu nous décelons l’accou­
contre l’assurance tumance
n et la vertu ne serait point, s’il lui
fallait se soutenir avec l’éclat majeur
II au plus
haut de son lustre. On la verra suivre un parti moyen et disposer
de libéralités prudentes et timides,
II on la verra s’accommoder sur
place et réprimer
II ses fougues indigentes ; on la verra, dans telle
conjoncture, éprise d’une permanence n sommeilleuse et garantie
d’un retour de flamme, armée n de la lettre, invulnérable en apparence
et se mourant
II sous l’armature, nouvel Antar devant lequel les ad­
versaires se débandent, mais II seulement
II une première fois. Qui
brigue l’assurance appuie ses dégoûts futurs et le plus sage office
que l’on rende aux saints n’est-il pas de les mettre
II en tremblement
II

et de les tenir en haleine ? Quérir une assurance est le péché dont


nul bon mouvement n ne nous retire plus et dont les meilleurs
II se res­
sentent. Nous sommes n tenus à veiller, nous vivons engagés et dans
les intérêts de nos querelles, loin des parages du désœuvrement, II

nous militons
II à force ouverte et ne laissons d’agir où l’on s’en

264
dissuade, nous nous revendiquons en nos délaissements, h nous nous
clamons à nos biais, nous revenons sur nos apostasies, nous nous
rendons à notre dérobade et qui se promet II à l’incertitude — afin
de n’avoir à choisir — et lui délègue même lï' ses désirs couverts,
cherchant une assurance au beau milieu
II de sa négation, cet homme-
lllll

là n’élude jamais
II ce qu’il déjoue en la plus vaine tentative ! Car la
vertu, jusqu’au dernier moment, retombe 11 sous l’élection et veut
qu’on la reprenne indéfectiblement
II et de plus loin.

XLVI. Sermon contre les tièdes Mes frères en esprit, soyez avec
les purs et votre choix sera le
bon, mais
II désertez les tièdes. Jamais
II les tièdes ne seront à la mesure
II

du rachat, eux qui languissent dans les intervalles, empruntent


II une
voie à l’instant qu’ils la laissent et se déclarent pour se démentir.
II

Point d’âme,
n faute de mémoire
n II et de temps réversible, et qui ne
se rend malléable
n au sein de la durée intérieure est perdu sans res­
source : or, là les tièdes se raidissent, là seulement et pas ailleurs,
pour tout le reste ils sont à l’abandon.

XLVII. Le loyer des vertus Si la béatitude est le loyer de nos


vertus, la vertu n’est que mar II ­
chandage et l’homme vertueux le plus habile et le mieux n appuyé :
nous pouvant alors l’estimer, n: lui refusant notre admiration,
n le féli­
citant sur le choix, un choix enveloppant la certitude, mais s’il est
beau joueur, il n’est rien davantage et l’on y sent comme un défaut,
on voudrait plus, on voudrait plus de risque et même H Il un peu de
démesure, ce loyer-là nous gêne et fait empêchementII de convenir
non pas de la vertu, mais n du mobile.
H Il suffirait, pour devenir un
saint, d’avoir quelques idées claires et distinctes, puis de les bien
mettre
n' en usage et la formule serait infaillible : on donnerait dans
le plus fin de la suréminence et ne se tiendrait plus de joie, on aurait
les honneurs et la béatitude, et que n’aurait-on point ? Or, tout se
change si le loyer des vertus réside en leur usage et qu’on ne l’en
sépare aucunement,
n si les vertus ne nous accordent rien qui n’en
relève et que les faveurs départies leur soient homogènes. H Alors la
récompense est de les observer et de ne suivre qu’elles, alors nous
touchons au sublime n et les manœuvres
u mercenaires
II cessent, alors
nous prêchons immobiles et nous persuadons muets, II alors nous
sommes
lllll un avec la cause, un dans la cause et c’est par nous qu’elle
se rend manifeste,
II nous, investis par elle et par elle inondés ! Et
véritablement, mesII frères, que nous manque-t-il
n alors, oui, que nous
manque-t-il
il où nous nous jouons en la source ?

265
XLVIII. La rétribution finale Mon sort est celui de l’impie et
n’en dissemble
II point, et j’en méil ­
riterais un plus funeste où je pourrais cesser d’y croire. Malheur
à qui marchande
n ses félicités ! Nul ne me
n voit, nul ne mn ’entend et

nul ne fait réponse, et je dois nonobstant agir tout comme •• si j’étais


sous l’œil de Dieu !

XLIX. Sur le royaume


n Notre royaumen est de ce monde
n en pre­
mier
ri lieu, le monde nous soutient, les
règnes y reposent et nul n’a droit à regarder le ciel, s’il n’a de terre
sous les pieds. Fuyez ceux qui vous prêchent la défaite et la plénière
acquiescence à l’injustice temporelle et vivez malgré
n ceux qui
cherchent votre mort
n !

L. Sermon sur la justice Mes frères en esprit, plus douce est la


et sur la charité justice que la charité, mais ii il est difficile
qu’on la rende à ceux que l’on écrase
et d’aucuns aiment mieux n vous plaindre que de réparer la forfaiture
et vous bailler leur assistance que l’estime qu’ils vous ôtent. Que
Dieu vous garde de la charité des hommes iiiii ! Où règne la justice, la
charité n’est plus de mise. n Qui désespère de l’humain prône la cha­
rité, mais
n qui se veut fidèle à la misère
ii de ce règne a loué la justice.
Rien n’est si doux que d’être à tout ce que l’on est, de l’être plei­
nement
n et sans rougir, et la plus haute loi me n semble non pas d’aimer ii

notre prochain comme iiiii nous-mêmes,


n u mais
n de ne l’offenser d’abord
et de souffrir qu’il nous résiste ! Chacun de nous éprouve le désir
de ne manquer
u de pain et de se conserver l’estime, it puis de ne gagner
l’un au détriment de l’autre, où l’homme le plus avili soupire insa­
tiablement
ri après l’honneur qu’on lui refuse. Mes frères en esprit,
n’humiliez
ii personne et haïssez qui veut qu’on l’abomine, à dessein
de lui prouver qu’il existe ! Les hommes veulent être et non pas qu’on
les aime, où l’amour serait une marque II de mépris ! L’enfer est de
ce monde et qui le place ailleurs vous ment et vous abuse ; l’enfer
est de ce mondeII en tous les lieux où l’homme riin vit humilié,
n destitué
de ses raisons de vivre et de périr ; l’enfer est de ce monde n et nous
n’avons à redouter de plus terrible quand nous le délaissons, mais u

de ce monde est mêmement ii n n le paradis et le principe de l’éternité,


le règne de la gloire et la céleste Epiphanie, où l’homme s’arme ii

pour les travaux de l’honneur et mène n la plus juste des batailles :


qu’il vive alors ou qu’il périsse, a-t-il regret à sa démarche u ? Donnez
à chacun le moyen n de hautement
n mourir si vous lui refusez jusques
à l’existence !

266
LI. Mépris de la vengeance Que le ressentiment,
II pour légitime
n

qu’il puisse être, ravale la victime


n

au rang de ses bourreaux, lesquels triomphent


il doublement,
H savoir :
en disposant et d’eHe et de sa préceHence qu’ils flétrissent. Qu’en
haïssant nos tourmenteurs,
il nous leur donnons de l’avantage et
motivons l’offense que nous recevons. Rien n’épouvante plus ces
monstres
II qu’un pardon qui les écrase en voulant ignorer ce qu’ils
ont d’inhumain et les divise pour toujours d’avec eux-mêmes.
n rr

LU. Présence de l’hostie Que la victimen involontaire est l’être


le plus démuni,
h son immolation le sacri­
fice le plus vain, sa cause la moins
n assurée et ses vertus les plus
futiles ; que nul ne rougit de l’abattre et qu’on s’en vante même, II

que le sommeil de ses bourreaux est le plus calme II dans les profon­
deurs et que tout l’univers respire la Hesse. Que la victime II' sache
ce qu’elle est et le proclameII au jour, et la voici plus forte que le
monde
II et ses contraires assemblés : elle s’avance et met II l’empire
en interdit, eHe s’incline et l’épouvante assaille qui la voit, elle se
meurt et sa tutelle a commencé. Dorénavant elle est une présence
inviolable et les bourreaux ne peuvent l’oublier : eHe est en eux,
assise au plus intimeII de leur être et fait mourir au jour le jour,
inaltérablement
n et sans relâche, ceux qui voulurent la tuer en mêmen n

temps que sa mémoire.


n

LUI. Parabole de l’arbre Mes frères en esprit, nous connaissons


et de ses fruits et l’arbre et la racine, mais est-il homme
ni rr

à juger de ses fruits au préalable et de


les estimer
II' d’avance ? Ailleurs, nous éprouvons les fruits, mais II

l’arbre est-il alors invariablement


II pareil à ce qu’il donne ? En vérité,
l’un ne préjuge l’autre et l’autre ne répond de lui. Que l’arbre le
plus généreux soit transplanté, qu’il diminueIf et qu’il languisse en
un méchant
II terrain, en butte à l’ouragan, et direz-vous qu’il est
permis de le mésestimer
n n en vertu de ses fruits ? Et si l’on ente sur
un arbre vilementn sauvage un greffon pris en noble Heu, les fruits
ne sauraient provenir uniquement de la racine et l’arbre ne vaut
pas ce qu’il nous offre.

LIV. Tutelle du consentement


II Une victime est trop souvent cou­
pable de n’avoir su bien mourir,
dont les méchants
II se trouvent à merveille
II et le déhce du bourreau
n’est-il pas d’avilir ce qu’il achève et de se donner la plus ferme
II

267
contenance à mépriser
H ce qu’il abîme
ii ? Que de services à lui rendre !
Le châtiment
II de la victime
n suit d’un manque
u de ferveur et d’un refus
de se passer en tant que telle, où consentir est le moyen suprême n

et pardonner le dernier des refuges, mais


II le seul imprenable.

LV. Sermon sur la victime


II Infortuné celui que l’univers mutile II

et sur lequel l’esprit n’a voulu re­


poser ! Pauvre entre tous les misérables, II suprême H inconsolé ! Le
monde frappe et n’innocente pas l’hostie de sa rage, il la malmène II II

un jour et lui reproche un autre d’en garder les marques n et la flé­


trissure, lui rompt la jambe et lui fait réprimande u de boiter, la
nourrit d’épouvantement et veut qu’elle ne tremble •n • pas, en jouissant
de ses frayeurs, puis l’abusant d’immunités imaginaires, n il se com­
plaît à rassurer l’objet de son aversion pour raffiner sur les atteintes,
il l’anime au plaisir, quitte à la réveiller de l’assoupissement, II les
torches à la main II ! — Tel est le monde et, face à son empire, il ne
nous reste qu’à chercher des sûretés inébranlables, nous fondant
en l’incertitude et bâtissant sur la douleur, allant au-devant du
supplice ou nous jetant dans la mêlée, II changeant le cours de la néces­
sité par l’intention qui nous guide et prévenant le fer qu’on nous
destine — mais II pour donner enfin le meilleur
II des combats suffit-il II

de rigueur, de zèle ou de démence II ? — Non ! Il faut se rendre à


Dieu, sans réclamer II de signes enfantins ni de charnels prodiges,
ouvrir à Dieu les portes de l’enclos, espérer Sa venue et ne jamais
s’en prévaloir, n’aimer II que Dieu, Dieu par-dessus la Loi, Dieu
par-dessus la Révélation et L’aimer en esprit : alors l’Esprit reposera
sur nous. Mes frères, montez à la source et que la source vous inonde,
ne tremblez
II pas devant la liberté de l’absolu, la souveraine incon­
sistante et la plénière inétendue, abreuvez-vous en elle et vous soyez
la Loi, la vraie et l’invisible, la seule impérative, et vous serez la
Révélation, le vase du Logos, la marque tl de l’intarissable, où le
Royaume II s’ancre en votre déréliction charnelle. Sachez, mes II frères
en esprit, sachez que notre exemple est le plus bel adage et cet
exe: n pie donnez-le sans intermission, n portant les faibles sur vos
n ains vivants intercesseurs, dépositaires des paroles ineffables,
Heureux alors celui que l’univers mutile, puissant entre les forts,
suprême n consolé !

LVI. La force du chétif Le faible sera le plus fort, s’il puise une
grandeur nouvelle en la condition à quoi
ses maîtres
II le destinent et leur enseigne à faire moins état de leur
pouvoir que du renoncementII en faveur de sa magnanimité.
If H Nul

268
n’aime
Il qu’on le passe et nul n’essuie les rebuts de qui nous sommesII

le destin, qu’il ne descende dans l’arène : les voilà se bravant, de


puissance à puissance, émulesII ou rivaux. D’où l’avantage des déra­
cinés, humiliés,
n' esclaves et vaincus : ils font les saints du monde et
tous les jugements
ii sont renversés à leur approche ; eux qui ne
tiennent plus au temps et moins encore aux pays de cet univers,
ils s’établissent fermement
n u en un domaine où nul n’a privilège de
les vaincre et rendent leurs bourreaux jaloux des faveurs qu’ils
dispensent. Les mursII de la Cité de Dieu, les parvis solennels, les
marche
II pieds du trône, le voilà bien, le voilà leur empire
II !

LVII. Sermon touchant Ja force Mes frères en esprit, soyez les


n aîtres de la force et les féaux

de la justice, et si le glaive est en nos mains,


n il nous importe
n de
régir le glaive au heu de souffrir qu’il nous puisse régenter. L’éloge
de la force est une vanité dont rien n’approche et d’ailleurs il ne
reste plus à faire, à cause que le monde en est persuadé. Laissez
les parvenus, la tourbe des mal
n affranchis de leur entrave et laissez
les méchants
n lui dresser un autel, mais
ri vous, vous qui la détenez
pour vous en rendre dignes, soyez modestes et silencieux. L’hu­
milité
n du fort ajoute à sa parure et nul péan n’égale un aquilin si­
lence ! Il n’appartient qu’à vous d’être à vous-mêmes n n : le monde
n

ne vous baillera pas davantage et nulle apothéose ne vous met n

au-dessus de votre allégeance !

LVIII. Le culte de la force Le fort sait à merveille


n' qu’on ne
saurait l’être en permanence
n et ne
se dissimule
ii point les dégoûts de sa lassitude. Le faible, lui, demeure
n

fasciné par ce qu’il doit subir en ne pouvant l’atteindre et qui le


frappe tel qu’un fléau de nature. Le fort rougit par devers soi de
ce qu’il semble aux yeux de l’univers — quand il n’en raille pas
à l’écarté — : nous le voyons, à faute de raisons, se soutenir à l’aide
d’apparences, lui qui n’a jamais
n loisir de se rendre et dont les chaînes
se redoublent à mesure
n ! Le faible ne se doit à rien et ne s’oblige
qu’à céder, sa vie est un balancement n de quiétude en servitude
et de contrainte en abandon. Le faible est possédé, mais n à l’égard
du fort, sa force le possède, le fort éprouve la tentation de contre­
faire ce qu’il n’est devant la galerie : les femmes, mignons,
n con­
fidents et directeurs le dédommagent de son éminence et lui pro­
curent une volupté nouvelle, il se décharge, prie, tremble n ou se
permet
n des ridicules. Le faible entend qu’on le respecte et fronce

269
le sourcil ou haussera le ton, s’il est dans son ménage
n ou face à
d’autres, plus débiles. Les forts sont hommes
iiiii en leurs privautés
et même
II n plaisantins, avec un fonds de générosité ; les faibles, durs
et despotiques, se dépouillent de l’humain
il et ne respirent que
vengeance.

LIX. Éloge de la force Mes frères en esprit, que l’absolu nous


sauve de nous-mêmes,
ii n nous qui portons
en nous tout ce qu’il faut pour chanceler et nous abattre. Que
sommes-nous à prendre appui, nous dont les soutiens se dérobent,
dès le moment que nous nous fondons en puissance ? Est-il en nous
de posséder notre suffrage ou de le démentir n ? Avons-nous seule­
ment
n le privilège de nos droits et de ces droits que vous dirai-je ?
en connaissez-vous de plus incertains ? en est-il de plus ambigus ?
Ces droits ne valent que par nous et non pour nous, si nous n’y
mettons
II ordre, et l’obligation première
U est d’être en possession de
les imposer. Malheur à ceux qui n’ont que l’innocence ! Il ne vous
sert de rien d’être des justes, quand vous n’avez moyen de le prouver
et du plus haut de vos tutelles ! Soyez puissants et redoutables, et
vous aurez licence d’être les meilleurs
II et les mieux
II prisés : la charité
jointe à la force a des vertus inégalables et seuls les grands se peuvent
louer de leur précellence. Si Dieu n’était qu’amour, les hommes
Le mépriseraient
11 d’office et si Dieu même
n n échoue en se rendant pareil
aux créatures, il ne vous reste que l’exemple n de Sa mort honteuse
et qui s’achève en la désespérance de l’ultime cri. Soyez donc prêts
à mourir à cette heure et dès l’instant de votre choix, mais H soyez
l’absolu que vous portez en vous, de peur que votre fin ne vous
écrase et, si vous ne devez survivre, mourez en témoins véritables
et les présents de votre mort : qu’elle vous frappe au milieu de vous-
n êmes,
n entiers, incorruptibles et debout sous le tonnerre et la nuée !

LX. La fuite en l’absolu Mes frères en esprit, je vous le dis en


vérité, la force est notre bien suprême
n

et sans lequel les autres tombent à néant. Malheur aux justes dé­
sarmés,
n malheur
n aux saints que les bourreaux flétrissent, malheur
n

aux charitables patients dont nul ne remémore


n les travaux, malheur
à tous ceux qu’on oublie et dont la foule se peut rire impunément
n !
Je vous le dis, malheur
n sur eux ! Mais vous, ne craignez de mourir
et n’espérez de vaincre, et soyez au delà de l’espérance où l’espé­
rance mêmen est un empêchement
ir n ! Mes frères en esprit, que nous
importe la victoire où nous la sommes
iiin et la maintenons et contre

270
l’évidence ? Fuyons en l’absolu, tombons en l’altitude et, de ruptures
en ruptures, passons notre dépassementH et nous l’emporterons, car
le réel est la figure de nos fins, mais
il notre fin ne se situe nulle part
hors l’indivis où tous les lieux vont s’abolir !

LXI. La chute en l’altitude Mes frères, entendez la loi du monde !


Vous n’êtes rien, sitôt qu’on vous
remplace et l’univers ne cherche qu’à vous asservir en vous rendant
pareils aux moindres de nous tous. Pour que le monde it soit votre
obligé, qu’il vous destine un sacrifice de louange où tous les peuples
vous élèvent des autels, sachez leur faire violence et le plus dou­
cement, et les rendez complices de leur servitude, ne leur montrant
jamais
ii qu’ils vous la doivent. Soyez en même
n temps fidèles et par­
jures, mobiles et rigides, sévères et légers, loyaux à l’égard de vous-
mêmes par-dessus le reste et vous sachant abandonner à ce que
vous ne cessez d’être. N’aimez en aucun Heu, vous qui ne haïssez
personne et ne voulez qu’entendre, mais
n que vos sentiments
n s’élèvent
à la pureté subtile et qu’ils répondent tellement
n de vous qu’il vous
soit nécessaire d’en répondre ! Ne vous dissimulezn à votre joie et
consentez à votre peine, armez-vous
n de liesse et que vos maux
s’épuisent à vous remparer : la bonne voie est celle qui résiste et
la meilleure
n issue un mur impénétrable. A vous, mesn frères, de trouver
le joint et de sceller le chasme, à vous de bâtir en la nue, afin que
l’univers s’amasse
n à l’entour de vos solitudes étoilées !

LXII. Débat sur la Qu’un homme n souffre et qu’il soit malheu-


n

puissance du malheur
n reux, est-il objet plus redoutable ? Nous
voilà mis
n en l’embarras
n le plus cruel et par
sa faute. Est-il permis
in de languir de la sorte et de frapper nos yeux,
que dis-je, de les offenser ? Nous demandons
11 qu’on les ménage.
H

Que veut-il, que réclame-t-il, à qui va-t-il s’en prendre ? —


— Il est de fait qu’il nous menace.
II —
— Est-il coupable de souffrir et l’infortune se motive-t-elle ? —
— Qu’il serait doux de le connaître et de se le persuader ! Qu’il
soit fautif et sa misère
11 est tolérable. —
— Et nous ne rougissons plus de l’abandonner. —
— Dieu l’a puni, Dieu le réprouve et son malheur
H est une marque
de Son ire. —
— Nous lui vouons un attendrissement II de fugitifs et n’allons
point le secourir. Il tombe sous les sens qu’il est en faute. Or, s’il
ne l’était pas ? Hé bien, voilà qui nous renverse et nos projets de
mêmeil : il est donc innocent et nous lui devons des secours. —

271
— Une aide ? une assistance ? Voilà nos embarras multipliés. n

Les malheureux
Il abondent. Où nous tourner d’abord ? De mille n

parts les mains s’élèvent. Nous nous sentons humiliés, il dans l’i: n
puissance et ridicules. Que pouvons-nous ? —
— Au reste, nous n’en sommes pas fâchés : cela colore notre
indifférence et l’on se prouve dans les formes il — chiffres en main if —
qu’il n’est remède
n à la condition. —
— Il est des misérables
n à foison. Qui leur a demandé u de naître ? —
— Or, ils sont nés, ils nous le font connaître, il n’est pas rece­
vable qu’on les chasse et quand ils seraient légion, il faudrait néan­
moins
il ouvrir la bourse, maùière
il de se racheter par l’entremise n d’une
obole. Allons-nous être soulagés ? Hélas ! Nous voyons trop l’ab­
surde où l’argument n engage et nous n’en viendrons plus à bout,
nous voilà partagés et divisés contre nous-mêmes, ri n d’humeur farouche
ou de mauvaise
n foi, perdus d’estime ri ou troublés sans ressource.
Pour achever la forfaiture, il ne nous reste qu’à l’abominer, ce
pauvre, qu’à le mépriser
n et qu’à le fuir ou qu’à nous prendre en
détestation, qu’à nous humilier n et qu’à nous abdiquer. —
— Voilà l’alternative où chaque marmiteux ri n réduit notre assu­
rance ! —
— Oui, l’homme ne se joint à l’homme n ailleurs qu’au profond
de l’abîme ou sur le comble le plus éminent, ir mais
n ils s’opposent mu ri ­
tuellement
n quand tout ne les écrase pas ou qu’ils n’écrasent toute
chose ! Point de communion ii valable en l’entre-deux et nulle paix
hors l’enracinement
n dans les extrêmes.
n Pour que les hommes n s’aiment
n

et ne fassent qu’un, liez-les à la même n n chaîne et ne leur donnez de


relâche, afin que nul n’espère davantage au détriment n de ses pareils
ou libérez-les tous ensemble n en les précipitant dans une frénésie
égale ou comme •r en l’oubli de l’humain
ii !—

LXIII. Les ordres de noblesse II est deux ordres de noblesse :


l’un représente l’homme au sein
de la nature, multipliant
ii les veilles et les peines, le maître des mo­
dalités et l’asservi de sa condition, où tout respire l’éminence
il et
nulle chose n’est de trop, où tout se plie aux lois d’airain que l’homme
H

prend de la nécessité pour revenir sur elle et la combattre. Puis nous


avons un ordre plus divin et le plus éloigné de ce qui le suppose, un
ordre nommément
iiiii ri plus gratuit où tout se muen en jeux de puissance
et de grâce, un ordre de lumière et d’harmonie n où l’homme
n est
noble à force d’ignorer les lois fatales qu’il élude, acquiesçant à
celles qu’il se donne en juge souverain marchantn en assurance.
Hors là, je ne discerne que laideur et servitude sans ressource.

272
LXIV. Du fauxrenoncement
ti Quoi de plus digne de mépris que
le renoncement
n de qui n’a rien, ni
pouvoir ni richesse, pas même n de talents ni de vertus en propre
et semble le fantôme d’un vivant et l’apparence d’une chair ? De
quel sommet
n va-t-il descendre, lui qui ne se distingue plus du sol
et que peut-il abandonner, quand l’univers le tient et chaque motte
l’a bravé ? Néant qui prête à la risée, on l’a vu consentir, lui qui
n’a d’autre liberté que celle de plier avant de creuser les motifs
et d’en entendre la raison ; on le voit céder noblement
ni les chaînes
et les dettes, répandre l’allégeance la plus éhontée et la plus vile
servitude à la façon d’un maître plein de grâces ; on le verra, superbe
en la bassesse, imbu de l’obligation qu’il juge départir et saintement
n

confus de nous humilier à force de présents. Voilà pourtant le bois


dont on a façonné mille
ii santons illustres !

LXV. Aphorismes
n touchant la mort.

A. La mort a la vertu de conférer à tout ce qu’elle empreint U

un je ne sais quoi de réel et de vivace ; elle est une ombre,


II à faute
de laquelle il n’est de ligne ou de limite,
n et l’on résigne le meilleur
ii;

de la condition et le seul avantage de nos maux


lï à la vouloir exclure
de nos pensements.

B. Touchant l’article de la mort, il me il’ paraît que l’argument


de nos prêcheurs d’angoisse est digne de risée et la finale repentance


une nigauderie. Il faut mourir
n tel que l’on a vécu, ni mieux
n ni pis,
le reste est viande creuse ou politique temporelle. Le galimatias
H

de l’homme à l’agonie est un modèle vide d’éloquence et mille


H morts
H

selon la règle opèrent moins


ri de changement
n qu’une existence hau­
tement
il soufferte.

C. Que puis-je craindre où je demeure


n en paix avec moi-même n ?
Que puis-je abominer où j’entrevois la mort inévitable de chacun ?
Vaine est ma
n peur et mon aversion J a tentative la plus inutile. Qui
voit en l’hommeH celui qu’il n’est plus et qu’il ne saurait être, est
dans le cas de ne haïr personne et de ne trembler
ii devant rien. Le
reste me
ii paraît un jeu d’enfants qui s’ingénient à se rendre formi ri ­

dables, ne voulant s’avouer leur tremblement


n ni leur faiblesse.

D. La mort
n est la genèse du sublime
n et la mesure
il à quoi tout se
rapporte ou se réfère, le même
it il fondement
n de la véracité, le garant
de la certitude et le mobile de l’agissement.
il Nul ne se passe d’elle

18 273
ou n’a sujet de l’oublier, sous peine de se mettre
ô en faute ou de lan­
guir à découvert, et la noblesse de mesn fins répond sans discontinuer
du privilège de mesu œuvres. La mort nous soit une présence, comme
elle l’est au reste, et nous rompus
n à son abord de chaque mouvement,
n n

afin que l’on subsiste prémuni,


n la vivant à dessein, au lieu de méditer
sur elle !

E. Mes frères en esprit, tous les miracles ff nous offensent, nous


ne voulons jamaisn qu’on nous abuse et que l’on entreprenne sur nos
libertés, et les prodiges nous feraient rebelles, rebelles au Seigneur,
s’il se jouait de nous du haut de la suréminence
n au lieu de souffrir
parmi nous, semblable à nous et non moins H faible. Nous n’admettons
pas qu’on nous émerveille
n et méprisons
ff un combat inégal. Que Dieu
se serve de nos armes,n nous Lui rendrons hommage et qu’il ne tonne
pas au-dessus de nos têtes, car nous saurons mourir et quand le
ciel nous réduirait en poudre ! Nous désirons que l’on nous aime n et
qu’on nous fortifie en l’assurance. Mes frères en esprit, le seul
miracle
ii est d’être au monde
n et de survivre, quand l’heure de la mort
est suspendue, inconnaissable : que ce prodige vous suffise ! Enferme- n

t-il pas toutes les largesses ? Pensez à votre mort


n et vous y trouverez
une raison de vivre, vivants vous accédez à l’éternel où morts la
douleur même
n ri vous échappe ! Ah ! soyez dignes de cette immolation
iiiii

imprévisible et reposez en armes, veilleurs de la sereine attente !


Ne demandez
n pas de miracle
ri et soyez à vous-mêmesh la merveille,
ii

car Dieu n’a la puissance de vous secourir si vous Le perdez avec vous.

F. Mes frères, si le grain mourait, il ne saurait revivre et la plus


belle renaissance s’ente sur la vie et nulle part ailleurs. Ce qui se
meurt
u est tout semblable à ce qui n’a jamais été. Mes frères, de la
mort n’attendez rien et moins de ceux qui vous la prêchent et n’au­
ront garde de mourir à votre place. Vivez d’abord et méritezn le
poids de l’existence et les emblèmes
if de sa gloire, et que le ciel vous
rassasie avant que Dieu rappelle l’âme ti et qu’il l’éteigne en la
suavité de l’immortelle quiétude !

LXVI. Sermon de la conquête Mes frères en esprit, vous n’êtes


point de ces trembleurs dissimulés
ii

qui délibèrent sur l’inanité du monde et se consolent de leur im­


puissance en déprimantri la vie ; mes frères, vous n’en êtes point et
vous baillez hommage
iiiii à ce que vous perdez sans vous mentir
n ou
sans vous plaindre. La vie est le suprême
n don et le Seigneur ne vous
devait pas davantage. Il vous permit de naître et vous commande
iiiii

274
de mourir, Il vous retire un privilège intérimaire
ii et vous n’avez
nul droit sur tout ce que vous n’êtes plus. Vous mourrez n seuls,
frappés à l’aventure, et vous mourrez entiers, n’ayant d’autres
soulagements
fl que ceux que vous vous donnerez vous-mêmes,
n n tenus
de vous les procurer ou de périr inconsolables. Aimez n la vie et
l’aimez
ii sans mollesse et ne vous cachez pas à vos douleurs. Oui,
l’on vous ôte le meilleur en vous la faisant perdre et la rébellion est
légitime
n et légitime
lï le consentement,
il mais vous n’avez pas à vous
mutiner
ii : quoi de plus vain qu’une révolte ? Soyez de bonne com­
position et ne vous exemptezH jamais
il de ce qui vous déjoue. Allez
et bâtissez infatigables, ne vous cherchez qu’en l’enracinement il et
ne vous poursuivez qu’en l’éminence,
n que l’altitude vous appelle
et les abîmes vous répondent ; allez et débordez ce qui vous investit
et dominez qui vous menacen et terrassez qui vous achève !

XXVII. Le don de l’éphémère Que l’éphémère


n est un miracle et
le suprême don, que loin d’être
un reflet de l’éternel, tout l’éternel n’en semble que l’image, où
nous ne voulons d’autre vie qu’une vie qui ne cesse, mais oublions
trop volontiers que la saveur dérive de l’impermanence.
n Nous
réclamons la soif et fuyons le besoin dont elle nous affecte, briguons
la jouissance et maudissons
n les fruits de l’amertume
n u qu’elle emporte,
nous nous mouvons
n inassouvis de désenchantements
n en lassitude
et de révoltes en frayeur.

LXVIII. Sermon de la requête Mes frères en esprit, aimez n qui


passe et révérez qui ne se perpétue
et n’oubliez jamais
n tout ce que Dieu gagne à mourir,
n car l’éternel
offense l’homme et qui ne meurt n ne saurait vivre. Hors vous, il
n’est de vous au monde et rien ne vaut ce que vous êtes, où nul ne
vous remplace désormais.n: Chacun de vous est le momentu unique
et l’absolu de l’absolu, chacun de vous l’engagement n immotivé,
n

chacun de vous une démarchen que les lendemains


n vomissent ! Vous
n’avez nulle chose en propre, moins la mémoire du passé, vous qui
ne cessez de prétendre et vivez chaque jour en voulant tout avoir.
Mes frères en esprit, marchez
n en assurance ou tombez d’une pièce
et craignez seulement
n de trébucher : le monde
n ne peut rien contre
les magnanimes
ii ou les morts et ne terrasse que l’irrésolu ! Vous serez
faibles, si vous n’êtes purs et vous balancerez, si vous ne gagez
votre tête ! Le monde ne vous ôte point ce dont votre âme n a fait

275
son deuil et n’a de prise sur ce que vous n’êtes plus, il appréhende
l’immolation
II dont vous le menacez
H et vos dépouillements
fl le frustrent.
Ah ! mourez chaque jour et nul n’aura puissance de vous obliger,
et soyez à vous-: H es prise et don !

LXIX. Colloque sur le Mal Le Mal n’est pas mystère


n et l’évi­
dence y participe, il ne s’arrête en
aucun lieu du monde et les puissances le révèrent, mais n l’âme noble
en a raison et la malice
n ne prévaut sur elle : il suffit d’une seule et
l’univers est en échec, il Suffit ii d’un seul juste et les triomphes du
malin
n s’avèrent inutiles. —
— On pourrait ajouter que ces trop belles assurances nous con­
solent faiblement
n et que le juste qui se meurt se tâche de persuader
le bien fondé de l’immolation en mourant néanmoins, que son mar n ­
tyre n’est d’aucun usage où la mémoire
n ne s’en perpétue et ne suscite
de vengeurs, que ses vengeurs l’offensent mainte n fois en le vengeant
trop rudement et qu’ils se servent de l’exemple, en ne laissant de
démentir
n ce qu’ils invoquent. —
— Le juste est fort, à cause que nul autre ne le saurait diviser
d’avec la précellence et qu’il s’y fonde enraciné. Nous sentons que
nous recevons le coup à le frapper et notre acharnement n’est que
l’aveu de notre incertitude. Oui, la faiblesse des méchants n dérive
du chaos de leurs puissances mutinées,
n eux qui ne peuvent obvier
à la discorde, laquelle semble l’élément n où leur état se plonge. —
— Mais le prestige du malinn est de se dire ingénieux et de pré­
tendre à tout ce que l’intelligence a de plus enivrant, d’être en un
mot l’esprit par excellence et, véritablement, n l’on trouve assez de
monde pour le juger tel, croyant la bonté faite de simplesse ou
d’hébétude, et professant que l’on est d’autant plus doué que for­
midable
n à ses pareils. Que de méchants
n vont au supplice en un
n urmure
n d’admiration
ii ! —
— Or, leur faiblesse nous échappe et ceux qui la découvrent se
défient de leurs yeux. Si l’on était mieux convaincu de la fragilité
de ces fléaux, ils seraient empêchés de nuire, à cause que l’opinion
qu’ils ont d’eux-mêmes
n n: vient de nous et qu’ils s’affirmentn sur nos
têtes, nous méprisant
n de révérer leur lassitude. Le propre des meil n ­
leurs est qu’ils se passent de vos jugements h et persévèrent contre
vous, quand les malins
n éprouvent le besoin de tout légitimer n sans
intervalle et nous demandent
n de les valider au beau milieu des
tourments
n qu’ils infligent. —
— Il faut que les méchants
n soient malheureux
H ou qu’ils paraissent
l’être. —

276
— Et que le Mal emporte la tristesse avec l’ignominie, à faute
de la peine où nous n’avons plus les moyens
«i de l’infliger. —
— Peut-être les méchants
il habiles affectent-ils le déplaisir qu’ils
ne ressentent guère pour qu’on les plaigne au lieu de les honnir,
et trouvent-ils par ce biais un surcroît de délices. —
— Peut-être sommes-nous leurs dupes et méritons-nous
II leurs
mépris couverts, mais ils nous servent plus qu’ils ne l’infèrent de
l’ajustement
•I et leur malice
u prêche contre eux-mêmes.
n n Nous n’avons
garde de leur clamer d’autres preuves: les simples en seront édifiés. —
— Et les méchants
n habiles savent ce qu’ils gagnent à ne se pas
multiplier
il outre mesure.
u Les voilà nos complices,
la un pas encore et
nous voilà fort engagés et dans le train de devenir les leurs. —
— C’est là qu’il faut, que l’on s’arrête et tourne bride, quitte
à perdre. —
— Et qui veut perdre, s’il peut tout garder ? —

LXX. Du Mal et Le Mal est un enfoncement ii dans une chute


de la réprobation infiniment multipliée
n où l’homme se disperse
en l’étendue et l’étendue ne l’enferme aa pas ; le
Mal est l’indivis sans l’innocence et l’au delà qui ne dépasse rien,
mais dont l’attrait fascine le pervers et tente les épuisements du
sage ; le Mal est la négation du choix et l’abandon des libres servi­
tudes, le glissement
ri de palier en palier, une ouverture sur le chasme
et le rebours de nos effervescences, l’état qui se veut transitoire et
ne peut devenir, en ne laissant de se corrompre
11' en une mort toujours
remise
u et l’agonie la plus générale au sein de l’éparpillement n le
plus vermiculaire.
n La réprobation est le mystèren sans remède
n où
nous nous abîmons de notre pleine volonté, voulant ce qui nous
perd et ne pouvant agir, malgré nous-mêmes, u n victimes
ii endurcies,
hosties lamentables.
aa Nous nous établissons comme iiiii en un faux et
ténébreux arbitre et nous gagnons la liberté du Mal, duquel il n’est
plus de retour, et la franchise des démons, qui sollicitent ce qu’ils
désavouent par une volonté qui se fascine et se dévore.

LXXI. Du Mal et de la crainte L’unique et le plus sûr moyen


de décharger l’effroi qui nous
exerce est de le muer
n en courroux et de le faire ressentir aux autres.
L’on nomme
ni n de ces enragés que l’épouvantement
u talonne et qui
s’acharnent à lutter, peur de se diviser d’avec eux-mêmes
n n : ils ne
sont un que par le truchement
aa de la fureur et ne forcènent que pour
se jeter de servitude en servitude.

277
LXXII. Le Mal et l’ignorance Que l’ignorance porte au Mal et
semble
II le justifier, mais
H que le
Mal est assez fort pour nous induire et persuade en fascinant, vu
que ses charmesn ne sont pas des moindres.
n Le Mal est une liberté
sans Dieu ni maître
u et le retour à l’indivis, mais
n dans le sein de l’ordre
subsistant, et tire de l’antinomie II un regain de puissance. Le Mal
est commen un vin et l’on y goûte d’effroyables joies, d’ailleurs solides.
Les moralistes
ii savent que le Mal ne laisse d’être formidable au genre
humain, au mépris
II de l’horreur qu’il nous inspire et dont il nous
affecte moins à raison du motif II que par le truchement
II de ceux qui
le dénoncent. Tout est perdu, si l’homme ne redoute ce qu’il aime II

et s’il ne tremble devant ce qui le peut enivrer jusqu’à la frénésie ;


tout est perdu, s’il n’abomine
II sa liesse et ne préfère l’amertume
n n à la
démence
II ; tout est perdu, quand il s’efforce d’éprouver ce qu’il
doit recevoir et ne jamais passer en jugement. II

LXXIII. Présence réelle du Mal A démentir


n le Mal nul argument
n

ne persuade et nul moyen n’a


la ressource de contraindre, et si l’on délibère toutefois et se veut
prémunir,
ii on donne dans le faux. L’étrange sentiment que celui
de nier la virulence de l’objet en cause, en ne laissant de le combattre!
Mais la recherche est infamante ii et l’on court l’aventure de diviniser
le Mal à l’avoir simplement
n if admis, de sorte que le Mal a l’avantage
sur les deux côtés et rompt les digues qu’il n’emporte pas, dieu
pour les uns, vacance pour les autres, vacance ou mieux n : abîme
if

fascinant. Le Mal n’est point, mais n il existe et nous le prouve d’abon­


dance ; nous l’avons infailliblement n devant les yeux, quand nous
ne le touchons au doigt et nous ne manquons ii de l’ouir dès le moment
n

qu’il se dérobe à nos regards ou qu’on ne peut l’atteindre, il ira même n

offenser l’odorat, voire le goût, à moins qu’il ne se rende encore plus


subtil, envenimant
h l’inconcevable. Et nous, qui recevons l’empreinte
où nous n’avons sujet d’attendre la menace, u nous sommes quelque­
fois à l’origine de la situation qui nous est faite. Le Mal réside en
nous, comme H il se distribue au dehors de nous-mêmes n ii ; nous vivons
en possession de l’investir où l’on est à portée de s’astreindre et
nous le consumons en nous à nous morigéner. II Le Mal est donc à
la merci
ii de l’homme au sein de l’homme intéressé, jamais II ailleurs,
jamais
n en l’étendue et jamais II dans les autres, d’où la puissance
incoercible des méchants
If par qui le Mal ne cesse d’avenir et ne se
lasse de multiplier.
fl Nous devons croire au Mal aux fins de nous donner
l’éveil, toujours assez pour nous en garantir, toujours assez et non
pas davantage, car s’il a l’étendue, il ne possède qu’elle et non pas

278
l’infini ; s’il a le temps, il ne domine pas sur l’éternel et s’il a l’évi­
dence, il n’entreprend sur la divinité, laquelle est au delà de l’évidence
et la transforme en chacun de nous tous. Le Mal est grand, mais
il est sa limite
Il ; le Mal est l’ordinaire, le facile, il est encore légion
et l’innombrable, et chaque bien l’infirme n en sa massivité
H ; le Mal
est amoncellement
II II de nuits et de nuages, le moindre
H souffle le dis­
perse aux quatre vents et met II en défaut sa prépondérance ; il est
un monde
II entièrement
II réel et qui se fait imaginaire et dès l’instant
que nous mourons à lui.

LXXIV. Sermon sur les Dans la rigueur des termes, II Mal ou


martyrs sans l’espérance J Bien sont éléments n de notion et leurs
domaines réversibles, tout variant pour
l’ordinaire en vertu de l’ajustement,n de mode
n que le Bien change
de place et qu’il se réfugie en des lieux incroyables, où l’on est
sciemment en peine de le voir et néanmoins trop averti de sa pré­
sence. Que décider alors ? Faut-il aller au Bien au mépris n de soi-
même,
n n immolant tout d’office et prendre à tâche de nous ruiner,
donnant les mains à ce qui nous renverse, pour qu’il nous soit
rendu selon nos œuvres ? Quel juge nous approuverait en l’occur­
rence ? Mais devons-nous nous attacher au Mal, s’il réside au milieu n

de nous et l’affermir
n à force de nous employer
ri en la faveur de ceux
qui le ménagent
n ? Nous ne pouvons nous y résoudre et nous voilà
mis au supplice et ne sachant raison garder, trop malheureux n d’agir
et la risée de ce monde où nous nous abstenons, coupables de nous
refuser, injustes dès l’abord et dès l’abord marqués n d’un signe in­
délébile, et ne devant pas mêmen attendre en patience où nous nous
sentons réprouvés, héros d’une querelle infâme II et vengeurs lamenn ­
tables, en pleine possession de leur crime II et le voulant multiplier,
n

mourant ensevelis sous les décombres. H Mes frères en esprit, voilà


de tous les sorts le plus abominable, le sort dont nul ne nous délivre
et le plus digne de miséricorde,
n et le plus difficile de beaucoup :
est-il pas nécessaire qu’on en meure
ri et dans la générale réprobation?
— Nous élèverons nos prières pour ceux qui saignent sur la croix
mauvaise et les désespérés que l’on oublie ou dont on parle avec
horreur, les martyrs de l’injuste cause et qui n’avaient d’autre
ressource : ils auront droit à nos faveurs, ceux qu’on rejette et dont
on maudit
n la mémoire.
n il — Mes frères en esprit, le jour qui vient nous
rend aucune fois pareils à ces damnés.ri Tremblons, si n’ayant d’assu­
rance il ne nous reste que la servitude, et puis que savons-nous de
la justice de nos maîtres
n ? Prions et que la mort nous soit légère
en faisant que le Mal se change au Bien, servons nos maîtres n jus-

279
qu’au bout, en ne laissant de les juger, mourons désabusés à notre
place et souhaitons la gloire de nos ennemis,
il en tenant ferme
If devant
eux !

LXXV. La bonne cause La cause la meilleure


ii est celle qu’on
défend par le silence et qui l’emporte
néanmoins, en étant ce qu’elle est et par le simple fait de l’être.

LXXVL De l’impuissance Tremblez si votre cause est celle des


du sublime honnêtes gens et qu’il vous faille
attendre leur secours ! Ils le mar u ­
chandent à plaisir, s’ils ne s’alarment n d’épouser votre querelle et
la leur propre mainte
n fois. Que si le droit a besoin d’aide, il la retire
d’autres lieux et la reçoit d’autres soutiens, mais nous savons qu’il
y doit perdre et qu’il s’impose n au détrimentn de la justice, encore
qu’il prétende l’assumer. n C’est pour cela que les meilleurs
n redoutent
le triomphe et l’amertume il de scs fruits, qu’on les voit balancer et
même revenir sur des projets en apparence légitimes, n où prendre
l’avantage est se porter à l’accommodement le plus funeste. Tous
les moyens sont mercenaires,
n tous les agents inavouables, tous les
biais immondes
iiiii et, malgré
il les horreurs de l’artifice, il est requis
d’en faire usage et l’on ne peut licencier à temps qui nous l’a mis H

aux mains
II : il veille à nos côtés, il double nos démarches II qu’il fait
aboutir, il est ensemble II l’instrument
II et le reproche, il nous allie à
sa tutelle et s’enracine dans la nôtre et, s’il n’est rien quand nous
n’y sommes plus, que sommes-nous IIIII s’il nous déserte ? Que le sublime
est impuissant, quand il ne s’échafaude sur le désirable !

LXXVII. Sermon touchant La cause la plus sainte n’est mise u

les fins et les moyens en réputation qu’à charge de céder


et d’être mainte fois d’intelligence
avec les ordres établis. L’accord en semble
n lamentable
tr et l’assurance
indignement
il fondée, mais
u' tout — et jusqu’au règne du Seigneur —
n’est qu’à ce prix ; tout n’est qu’impureté, mélangelî et flottement,
malgré les volontés humaines.
IT Le Bien, pour n’être pas une chimère,
II

a l’obligation hideuse de s’enraciner au plus profond de l’injustice


et d’en tirer l’éclat de ses prestiges les plus relevés. Nous sommes
de ce monde
II et serviteurs de qui ne nous mérite
il point. Pour aller
au-devant du Maître, il nous importe de mourir à l’univers, mais II

nous devons le transformer. II O douloureux dilemme II ! Solution tou-

280
jours remise
II ! Combien
H j’admire
II ceux qui tentent l’ordre et qui le
tiennent en balance, ne fût-ce que l’espace d’un seul jour ! Ce jour
nous rend ce que des siècles nous font perdre et mieux II : il les sub­
jugue et les éclaire, il pèse davantage que nos destinées, il justifie
nos espoirs, il légitimeh nos rébellions, il sanctifie nos démarches.
II

Heureux qui se le remémore


n ai et vit pour le restituer à l’évidence !
Mes frères en esprit, ce jour n’est-il pas nôtre ? N’y devenons-nous
pas ce que nous sommes
II ? Que la lumière
II vous précède, qu’elle vous
accompagne et ne s’éteigne plus où vous aurez passé !

LXXVIIL Aphorismes
II sur les fins et les moyens.

A. Quand l’homme appuie un sentiment qu’il ne partage, en vue


d’une fin jugée du meilleur aloi, cet homme
IIIII met la fin dans une
dépendance insoutenable et s’en éloigne sans détour. Il a beau se
jurer de revenir, on ne le fait jamais
II de conseil pris où chaque pas
enfonce d’autres précipices. En ce domaine-là, l’on ne se meut
II point
de niveau : sitôt qu’on branle, il faut s’abattre de son long.

B. Que nulle fin n’a le pouvoir d’innocenter les moyens II mis


H en
œuvre et que c’est un étrange abus de raisonner en partant d’elle,
où nous devons y tendre. Nul n’aime à parvenir à force d’industrie
et les heureux ne manquent
II jamais d’effacer la voie ou de brouiller
la déchaussure : qui se propose de les suivre, a le devoir de ne se
point communiquer
IIIII et l’obligation de toujours vaincre, sous peine
de la tête, et si les jugements
II sont renversés en vertu du triomphe,
il est bien juste que les mépris se redoublent dans le cas de l’opposée,
en sorte qu’on y gagne et le dommage iiiii et l’infamie.
n

C. La bonté semble une figure et cesse d’être bonne à raison de


la force qui s’y joint pour l’imposer. Semblance, à faute de moyens,
n

l’usage des moyens l’assure au jour qu’ils la font disparaître, et tant


y a qu’elle se meurt
n du simple fait de son avènement.

LXXIX. Le sacrifice Si haut qu’on mette enfin l’honneur, il ne


de l’honneur l’emporte
n nullement
n sur le service qu’on
peut rendre en le perdant soi-même n n à
l’avantage de son peuple ou de l’humanité,
n mais
n ce langage en blesse
les adeptes : s’ils l’abjuraient, ils n’auraient plus de raison d’être
et qui les désabuse les anéantit. L’honneur que l’on affiche dans le
monde est une complaisance et sourdement n volupteuse, jamais
n à

281
l’immolation qu’on feint d’y voir. Le bon usage de l’honneur con­
siste à l’observer en donnant ouverture à cela mêmen n qui l’excède,
au lieu de se fermer
H les autres voies sous l’ombre qu’il supplée à
toute chose. Le saint l’a déposé, mieux
II : il le violente et cependant
l’honneur le suit, l’honneur s’attache aux mouvements qui le
résignent et semble
II naître sous les pas qui l’ont foulé.

LXXX. Le dédain du mépris


H Qui n’est point méprisable
II achè­
vera par forcer notre estime II et
fût-ce au bout de variations sans nombre, mais II s’il en doute ou se
relâche de sa précellence méconnue,
II il ne l’aura jamais
II et, méprisé,
n

ne s’ira démentir aux yeux qui le réprouvent. Il est des mésestimes n

justes qu’il est impardonnable d’encourir, il est des dédains prévenus


qui ne raisonnent guère et qu’il est permisII d’ignorer : ils tomberont
II

un jour comme ils sont avenus et c’est par eux d’abord que l’âme H

se surmonte. Ils sont fragiles, ces dédains, ils ne l’ignorent pas et,
forts de leur faiblesse, on leur doit faire violence où la brutalité
les charme
II au souverain degré. Et quoi de plus brutale sous le masque
II

et de plus ferme
II en la douceur, quoi de plus invincible que la charité,
l’impénétrable
H en la démarche
n et qui surprend toujours en une
nouveauté perpétuelle ?

LXXXI. Réserve II nous sert mal


n d’avoir raison contre nos ad­
versaires, s’ils ne regardent pas à ce qu’on leur
démontre et seulement
n à ceux qui le leur prouvent.

LXXXII. Débat sur la conduite Aimer son ennemi II ! Le moyen


envers son ennemi
n d’ajouter à cette marque II de
dédain suprême II ? Va, va, tu
n’es qu’un petit sot, va, garnement,
II tu n’es pas digne de mon fiel !
c’est bien à moi de rendre hommage
lllll à qui s’efforce d’encourir ma
haine ! T’abominant,
n je semblerais te fournir les moyens ti d’en
appeler à mon esti: n estime,
n tu la peux chercher ! Car tu n’es
rien et : n on amour
H passe au travers de la personne ou la déborde
en l’annulant au nom d’une substance à quoi je t’assimile n et dans
laquelle tu n’es plus que ta figure et vent pour tout le reste ! Cela
se nomme charité, mais ne raffine que sur l’art d’anéantir un homme lllll

à l’aide des préceptes les plus relevés. —


— Mais non, mais non ! La charité n’est pas cela. Le poids le
plus insoutenable est celui de la grâce et l’orgueilleux préfère les

282
tourments
H à ce pardon qui le fait poudre et l’oblige à mourir
il à ce
qu’il aime
u par-dessus le reste. —
— C’est bien ce que je dis. Pour écraser celui que l’on renverse,
associant la honte à la confusion, c’est trop qu’il y demeure,n il y
prendrait de l’avantage et l’on ajoute à son abaissement n en lui
tendant la main.
ff Vaincu pour la seconde fois ! —
— Nous n’en voulons qu’à son orgueil et jamais II à lui-même.
il

Qu’il soit donc l’ennemiII de ce qu’il a d’abominable et son bourreau


muet.
II Il nous suffit de l’avoir mis
n en face de sa faute et les yeux
déciliés, de l’établir en un remords
ii inéluctable où nous l’abandon­
nons, peur d’offusquer le jour illuminant son agonie et qu’il soit
libre désormais,
il à la lumière
H de sa forfaiture ! —

LXXXIII. Sermon du choix Mes frères en esprit, il nous sied


et de l’engagement
II toujours d’épouser une querelle, où
nul n’est au-dessus de la mêlée,
il et
d’appuyer la cause dont la foi paraît la moins malicieuse
H ou la moins
entachée. Quand son pays est un objet de honte, le sage a la ressource
de mourir ou de le déserter, il mourra
n même
iï n dans les rangs des
défenseurs, s’il le juge à propos, mais
n seul et douloureusementH lucide
et jamais
il il ne donnera sa voix à qui l’a mis n en cette dépendance,
il mourra
if seul et méprisant,
H faisant merveille
fi contre l’adversaire
dont il souhaite le triomphe ! Mes frères en esprit, tout se déplace,
Dieu même se dévie et nous n’avons moyen de L’obliger en déployant
une bannière ou de Le retenir à force de promesses. il

LXXXIV. Apologie de l’épreuve Ce qui demeure ne se perpétue


guère et l’on n’assume
ii les enga­
gements
H qu’à force de se démentir.
H Pour qu’un système n vive, il est
besoin d’une menace
il suspendue et d’une mort anticipée, il faut des
risques à courir et des périls ouverts, il nous importe
H de jouer qui
nous l’assure en soutenant qui le surmonte et d’essuyer en joie
l’atteinte probatoire. Et quoi de plus fragile qu’une belle morte et
la semblance des traditions que nul n’ébranle plus ?

LXXXV. Nature de l’épreuve L’épreuve se situe en chaque lieu,


en la disette ou l’abondance, en
l’infortune ou le plaisir, en tout emplacement
fi que l’homme gagne
ou qu’il délaisse, en le désir comme
iiiii en la fuite et même
ff le renonce­
ment
II à qui nous tente ou nous oblige. Dieu seul nous met fi à couvert

283
de l’épreuve en la multipliant
II jusqu’à ce qu’elle tombe à rien et
que notre âme II prime
II sur le monde : alors nous sommesIIIII ce que l’on
était, mais
II qu’il nous fallait être pour le devenir et faire usage de
nos postulats. Tout homme H est la figure de son infini, dès le moment
qu’il se ramasse
H à l’entour de soi-mêmeIl II et n’envisage rien qu’il ne
rapporte à sa gouverne, et le dépassement II émane
II du repli.

LXXXVI. Le désabusement
il Que je ne sache d’heure plus sinistre
irréparable ni plus désolée que celle où l’hon­
nête homme il se tient dupe et dé­
sespère de la Providence, où l’homme vertueux se juge méprisable il

et qu’il envie les méchants


ii sans parvenir à se mouler
H sur eux, où
la victime meurt
n de honte en admirant ceux qui la navrent, où
chaque malheureux — garant de sa dérision ! — se fait complice
de la servitude. Oui, l’heure est telle alors et Dieu si vaguement
lointain, l’iniquité si triomphante, le Mal présence irréfutable et
la justice au rebours du réel qu’on a mauvaise
il grâce à ne vouloir
subir et que le refus de la mort
il ajoute au ridicule de nos espérances.
Cette heure-là ne cesse d’avenir depuis qu’il est des peuples et des
temps et, malgré
n toutes les objections, les blâmes ou les prônes,
les victimaires
rt régnent à leur aise et les victimesn meurent
n invengées
puis, quand les méchants
n saignent à leur tour, ils ont la consolation
de l’avoir mérité
n cent fois et tombent impunis,
II parce qu’impunis­
sables, ils trouvent quelques saints pour leur tirer des larmes H et
leurs pareils les louent de leurs dépravations antérieures, les voulant
pour modèles, de mode qu’ils périssent en cérémonie — avec les
pleurants de leur infortune et les apologistes de leur forfaiture —
sous le regard d’émulesH attentifs et d’une légion de malheureux
II

que l’on incite à leur porter estime. II

LXXXVII. Sermon Quel homme iiiii digne de ce nom insulterait à


sur le suicide la mémoire
n de ces gens de bien qui se don-
nèrent autrefois la mort et préféraient à
1 existence tout cela : n ême
n' qu’elle signifie ? Leur désespoir a je ne
sais quelle élévation qui me n transporte et j’y discerne un fonds de
magnanimité
n solidement
n sereine. En vérité, j’y vois des âmes n d’une
trempe inégalable et qui ne cherchent d’autre appui que leur mesure, n

où leur mesure
n est à l’échelle du destin, quand elle ne le passe. Est-il
spectacle en l’univers qui représente mieux n les fastes de l’espèce
qu’un hommeII se mourant, le maîtreH de son heure et la figure de sa
fin, méprisant
II la menace
II ou les apaisements,
II inébranlable et résolu ?
Les clercs ne manquent
n jamais
n de nous assurer qu’il est rebelle et
pétri de superbe, mais
n j’aimerais,
n sans mentir,
Il à le suivre au lieu
de recourir aux consolations d’usage ! Mes frères en esprit, chassez
de vous qui vous domine au travers de l’abattement H et qui s’allie
à vos faiblesses ! Chassez de vous le complaisant insidieux qui vous
sépare de vous-mêmes
ii iî ! Allez à qui n’a soin de vous et vous ressemble,
il

à qui vous porte le respect silencieusement •T et ne profane vos dou­


leurs hautaines, à qui vous rend justice au profond de son cœur
et ne vous souille point de charités infâmes, à qui vous donnera le
coup de grâce à l’heure que vos yeux le lui demandent,il allez à qui
vous aimen de la sorte et ne s’impose jamais
n à vos sentiments, et que
vous aimez
n trop pour le lui faire entendre ! Mes frères en esprit,
ne rougissez pas d’être heureux en ayant l’âme noble et d’avoir le
courage de l’orgueil, de cet orgueil lucide et pénétrant, inséparable
de la mort et vivant d’elle et dans sa vue. Et maintenant, ii vous
reste-t-il à craindre ?

LXXXVIII. Débat sur la déses


'k Les clercs nous blâment n de dé­
pérance et sur le stoïcisme
n sespérer et veulent qu’on ne cède
pas à la fortune, mais n ils n’im-
n

prouvent nullement notre faiblesse où nous nous suspendons à leurs


devis et remettons notre personne entre leurs mains. Je sens qu’ils
nous flétrissent moins
n de manquer de valeur que de nous rebeller
en faisant planer un soupçon sur l’ordre et sur l’ajustement n de
l’univers, qu’ils jugent assez digne, pourvu qu’on se soumette à
leurs lumières.
n —
— Un homme n qui se désespère accuse le pouvoir suprême n et
brave ses bontés, il laisse entendre que le Dieu n’est point ou qu’il
est méprisant,
n ou qu’il est empêché d’agir et même n' traversé par
une force égale et l’ennemie n de l’espèce, ou que le Maître est à la
fois méchant
n et longanimeii et qu’il distille ses fureurs par le canal
des violences qu’il exerce. —
— Le clerc, s’instituant l’unique intercesseur, a l’obligation
d’avoir réponse à nos litiges et de motiver
ri le bonheur des méchants
n

ou la souffrance des plus justes, de répartir les remontrances


ii et les
consolations, de maintenir
n en place qui le favorise — encore qu’il
soit rocher de scandale — et de veiller à ce qu’on ne l’abatte pas,
sauf à l’abandonner à la vindicte générale en prenant les devants
de la rébellion. —
— O clercs infortunés ! Que ne réclameront-ils
n pas de vous,
puissants ou misérables,
n vaincus ou triomphants, niais ou délicats !
A chacun vous baillez sa phrase ! —

285
— Aux humbles Il vous affirmerez qu’ils sont chéris du Maître et
fort avant dans Son intimité n ; aux grands que Dieu les nomme man II ­
dataires, les commettant
n à rendre la justice ; aux peuples accablés
vous enseignez que la défaite est une marque II de faveur ; aux nations
victorieuses que le Maître les assiste et qu’il agit par elles ; aux
âmes
II viles et d’entendement ii borné ne laisserez-vous pas entendre
qu’il n’est rien de tel que la simplesse, n alors que vous joutez déli­
cieusement
II avec les esprits forts, dont la conquête vous enivre et
dont vous vous évertuez à rompre les mesures. II —
— O clercs infortunés ! —
— En tout cela, que devient la grandeur de l’homme et les re­
tournements
II de sa condition ? La perte vaine et les démarches 11

abolies ? Ne nous privez de la suprême ii majesté


n de nos douleurs que
nul ne justifie et qui n’en semblent que plus adorables. Vous qui
savez répondre à tous les coups, laissez-nous face à l’amertume n n et ne
cherchez pas volontairement II à l’adoucir, laissez-nous être plus que
nous ne sommes, ne nous ôtant jamais n à la désespérance et tremblez
de nous amoindrir, quand elle nous demeure n et qu’il ne reste d’autre
gage ! Les âmesII hautes ne redoutent que les consolations indignes. —
— Voilà du stoïcisme ! —
— Il sied parfois que l’homme niii se roidisse et qu’il se guindé dou­
loureusement
n pour se donner le change au lieu de se connaître sans
réserve. Il sied qu’il s’arme de mensongen à l’égard de ses inclinations
et renchérisse sur une imposture
n diligente en se mettant devant les
yeux une apparence de soi-même n n au rebours du réel, à dessein d’y
venir à la dernière extrémité, n qu’il soit tenu de faire honneur à cet
engagement
n et s’y prodigue sans retour, qu’il s’établisse librement
en une servitude et qu’il s’emporte à la fureur de se désavouer —
peur d’être ce qu’il est et qu’il s’acharne à démentir n !—
— Voilà du stoïcisme. n —
— Où donc serait le mal n ?—
— En la doctrine des stoïciens, il n’est que des ressorts bandés
en une dépendance mutuelle et l’édifice monte n en flèche et descend
dans les profondeurs. —
— C’est l’ordre le mieuxn ajusté pour le facile usage des parties
et l’on ne sait ce qu’il faut admirer d’abord. —
— L’on jugerait tout admirable et donnerait sa voix au plan
de la bâtisse, à l’harmonie de ses corps, au bel agencement ri du parvis
et du péristyle, à la façade la plus noble, à l’appareil massif n taillé
de main
n de maître,
n oui, l’on y donnerait sa voix si l’on y décelait
un faible ! —
— Plaît-il ? —
— Un faible, mais n un faible tel que tout le demeurant nous

286
pèse, un composé
n de haines et de peurs, un aveu d’impuissance à
quoi le reste se ramène,
u une profusion de pauvretés sous le couvert
de la simplesse et l’amour du néant dont vos méthodes Il se dérivent.
Le fond du stoïcisme II est un mélange
II impur
II et sa doctrine une manière
11

de circuit scellé, partant l’école de la mort, où l’on a pris le deuil dès


la première
n instance et se confine en la superbe et le détachement, II

avec la mine
n de tout résigner. —
— Avec la mine n seulement
II ?—
— Avec la mine de tout résigner, moins un orgueil inébran­
lable. —
— Courage de l’orgueil ! —
— Ce monstre dévorant paraît vider la terre et c’est bien lui
que l’on adore au plus secret de l’édifice, le temple est son domaine
et l’ordre merveilleux
II le truchement
II de sa fureur, il a tout consuméII

pour n’être qu’à lui-même n ii et tout abandonné, se rendant en retour


l’objet de sa possession ! Tel est le Dieu de ces fidèles du Portique,
démon
n muet
n dont ils sollicitaient l’avis et qui les renvoyait à leur
silence ! —

LXXXIX. Abandonnez Les hommes les plus abîmés 11 languissent


les morts à se laisser vivre et n’osent rompre leurs
attaches. C’est bien le faîte de l’adversité
que de s’y rendre éperdument II et de s’y contempler
II déchu, mais
II

hors de soi, comme


IIIII ayant cessé de s’appartenir. Un mort se donne­
rait-il le trépas s’il y demeure
II en permanence
If ? Que ces déchus
éprouvent un semblant de volupté n’est pas décidément niable et
là gît le mystère
iï de la déchéance temporelle
ri et de l’empire du néant,
en tant que promoteur de joies inavouables. C’est la raison qui
justifie notre éloignement H devant les misérables
II vautrés dans la
fange et se multipliant
n enracinés en la ruine : nous les abominons
à proportion de l’amour n que leur humanité
II suscite au profond de
nos cœurs, mais
n nous savons que le remède porte à faux, s’ils ne
consentent à se faire chastes. Mes frères en esprit, abandonnez ces
morts et fuyez leur approche : ils sont la honte de l’espèce et la
matière
il vile que travaillent les tyrans, les ennemis II de toute liberté,
la foule esclave des luxures, la serve de l’attachement, agonisante
inassouvie à jamaisII en deçà de l’homme !

XC. Contre la fausse tolérance Que tous les sentiments


n que l’on
affiche ne sauraient mériter
n une
créance similaire
n et qu’il ne suffit guère d’en jurer pour se gagner
l’estime des moins
n prévenus ou des plus équitables. La foi peut

287
n’être pas la bonne et nous n’avons jamaisH à faire état de ceux qui
meurent en son nom n : mourir
n afin de ne se déjuger est l’artifice
de ces faux croyants et de ces enragés qui se mutilent,
il peur de se
connaître ou d’aller jusqu’au bout de leur démarche. L’opinion,
du fait qu’elle se met au jour, ne gagne aucunement n sur l’erreur
qu’elle emporte
H : être sincère dans le faux ne nous démontre
n point
qu’il faille lui porter respect, où nous devons l’abattre !

XCI. Faux jugements II est en ma


il puissance de mentir et d’user
d’artifice, où tout prévient en ma faveur.
Qu’on me n chérisse ne démontre
rr aucunement 41 que je sois digne d’être
aimé.
n Si l’on regarde aux motions
n profondes de l’amour ou de la
haine, on s’épouvante de n’y voir qu’un assemblage de ressorts.
Le peuple juge en suivant l’ordre de semblance et l’attitude le con­
vainc des marques
il les moins
If assurées : — l’allure de franchise et
de simplesse péremptoire, avec un fonds de violence qui se cache
et se promet, de bonhomie n menaçante
n et de postures outrancières
quelquefois, maisII fort bien ajustées, voilà qui charme u sans dispute !
— On nous mesure à telle enseigne et ne réclame jamais n d’autre
preuve. C’est pour cela que tel est odieux impunément, ii qu’on souffre
de sa part des rigueurs incroyables, mais II n’ose murmurer,
u que l’on
s’oblige à toutes scs raisons, qu’on l’innocente pour sa bonne mine
et ses regards candides. Avec cela, qu’il nous méprise ii ! Il aurait tort
de se gêner et l’on mendie
II sa faveur la plus minime, n n à cause qu’il
a les mains
n blanches et la contenance solennelle.

XCII. De la vertu Que la vertu se passerait avantageusement


n

des marques
n de l’estime
ii qu’on lui donne, à
l’heure qu’on s’efforce de la ruiner !

XCIII. Être et paraître Rien ne sert d’être aux yeux du monde


un parangon de loyauté, si l’univers pré­
tend que nous dissimulons
n et taxe nos engagements
rr de fables. C’est
privilège et le plus haut que de se confirmer
n valablement
u en ce qu’on
est, où les efforts que l’on déploie ont moins
n de prise que le sentiment
n

des galeries. La vertu nous protège mal, n quand elle ne se fait con­
naître et recevoir en due forme n et nulle église ne se passe de men
n ­
songes ni de simulacres.
n Tous les moyens de nous placer en un jour

288
favorable emportent
Il quelque piperie et notre cause y perd un je
ne sais quoi d’innocence, mais
II que serait-elle au défaut de ses
invites ?

XCIV. Sermon sur l’apparence Paraître est une révérence due à


l’ordre le plus légitimeII et l’obli­
gation dont l’artifice nous enchaîne en profondeur, où l’on n’a pas
à le juger, mais à la prendre. Aucun pays ne saurait vivre et subsister
à défaut de semblance et nous devons respect à ce qui nous retient
sur le penchant de la ruine. En les coutumes n les plus dignes de risée,
il est parfois une ombre de sagesse et fol est qui les subvertit de
première
n venue. Il n’est pas convenable de peser ni le motif u ni les
allures, quand leur ensemble ne nous incommode plus, ni de creuser
un vide à seule fin de nous instruire ou de flatter l’entendement en
passe de se déployer. Ce n’est pas tout que d’être joueur et d’exceller
à nous fournir une raison valable, il faut encore qu’elle ne nous tue
pas. Cela n’empêche les meilleurs de viser au delà pour être ce qu’ils
semblent, à cause qu’ils sont forts de l’assumer et qu’ils supportent
l’ordre à l’heure de sa mise en examen, puis qu’ils reviennent sur
leurs pas au lieu de traîner dans le vague. — Mes frères en esprit,
n’abattez rien de ce qui vous entoure et craignez pour les faibles
et les démunis, pour ceux que les lumièresit blessent et les vérités
achèvent, dont l’existence est suspendue à des formules n creuses :
qu’allez-vous départir à cette légion de misérables qui vous clament
uniment le pain avec la paix de l’âme ? — Mes frères en esprit,
ne leur soyez jamais
ii un objet de scandale ! Que vous sert-il de leur
apprendre qu’ils sont malheureux,
n s’il n’est remède à l’infortune
et que le règne le plus équitable a ses victimes innocentes ? Paraître,
certes, n’est pas la solution rêvée et notre dignité réside ailleurs
qu’en une vaine contenance ou des allures machinées.
n

XCV. Sermon touchant Paraître est donc une nécessité pour qui
la résignation se voue au monde et l’ordre temporel s’y
moule
n sans dispute, mais
n l’ordre de la
grâce est infailliblement
n ailleurs. Mes frères en esprit, laissez parler
qui mourra devant nous et ne vous affligez de donner une voix sou­
mise à qui n’est rien, si vous n’entrez en tous les sentiments
u qu’il
vous affiche. Que vous importe de sembler ou de ne sembler pas ?
Aux yeux de qui vous acharnez-vous à paraître ? Laissez les morts
dont l’univers est plein et résistez à la superbe de les ébahir, en leur
montrant que vous vivez sous leur regard et qu’ils ne sont que l’ombre
de vous-mêmes.
H n

19 289
XCVI. Sermon sur Mes frères en esprit, ne vous fuyez pas dans
la constance les autres, que chacun demeure
n en sa place
et dût-il en mourir ! Chacun de nous a ce
qu’il est et ne possède l’univers qu’au travers de soi-même,n n où nul
n’a pleine autorité s’il est à ce qui le possède. Allez de vous à vous
par tout ce qui vous en sépare et tentez vos abornements, n afin de
reculer vos lignes. Nul ne vous fournira de sûretés, vous êtes vos
garants indéfectibles, et nul ne vous assiste de conseils où vous
délibérez en gageant votre tête. Promettez-vous le pire en allant
au meilleur
n et ne vous exemptez de rien, maisu ne laissez de briguer
toute chose ! Tel un feu dévorant roulant de foyer en foyer, em u ­

portez-vous à rompre
n vos mesures
n et, dans l’ajustement
n inaccessible
à tout secours, tenez-vous lieu d’épreuve en contenance d’ennemis u !
Infortuné qui s’en remet
n au seul événement
n du soin de le conduire
et ne se désabuse avant de se leurrer !

XCVII. Sur la condition tragique de l’humain


ii

A. Chaque homme n est investi de tout ce qui l’évince et se pro­


digue déterminément
n n à tout ce qui le désavoue, et s’il n’achève de
s’y décrier et de s’anéantir, il s’y retrouve plus entier, mais
n l’avan­
tage est pris au détriment
n de l’innocence préalable et l’harmonie
un amas
n de divorces.

B. Je men discerne au fort de mon n emmêlement


n et je mn ’y vio­

lente, afin de l’ordonner, taillant et rognant à loisir, me gagnant de


ii

rencontre et m n ’y perdant à point nommé. Je sais ma ir tentative la


plus vaine et je n’en puis démordre, allant et revenant au sein de
mon repaire, où mes n1 égarements
n me
n' mettent
n sur la voie, en reste
avec ce que je suis et me ii tenant à ce que je deviens, menteur^
n de
bonne foi si je m n ’avoue à la mauvaise
n et poussant à la roue en y
ruant force bâtons. Qui me rf retirera de ce monceau
n que je mif ’épuise

à déserter ?

C. Que l’homme passe toute vie à rompre n des préliminaires,


qu’il ne démêle
ti rien, mais
H alléguant à faux, embrouille
n les rigueurs
et la licence, qu’il se repose mollement
II sur une foi contraire et qu’il
se livre au témoignage
II de l’erreur, se soutenant à force de semblances,
qu’il se reprend s’il n’en peut mais,
II qu’il se retourne à faute de raison,
que sa feintise est innocente où les aveux sont composés, II qu’il fait
retraite, appréhendant de revenir, s’opiniâtre à se lasser et ne dé­
mord
fl de ce qu’il abandonne, qu’il délibère sur le choix avant d’en

290
H'urmurer,
II qu’il s’en exempte
Il pour mieux
II s’obliger et se remet
II à
son devoir, rend le futile essentiel et le solide le plus vain, surcroît
de solitude et renouveau d’impasses. Ce mouvement
ti n porte le monde
II

et l’univers s’agite moins que nos imaginations,


n quand elles ise
débrident. Ne fuyons plus ce qu’on a charge de muer, de disputer
les armes
II à la main
II à ceux qui rêvent de tout asservir et gagnons-nous
sur eux comme II sur l’univers, en méritant
il le poids de toutes les fa­
veurs, en soutenant les charges et les dignités, les conducteurs de
toutes les besognes !

XCVIII. Profession Mes frères en esprit, il nous faut croire en


de foi tragique Dieu, mais
II désespérément,
II à cause qu’il
n’est point si nous ne L’appelons à l’être.
De nous vient le Seigneur, de nous qui L’avons suscité pour qu’il
nous fonde où nul ne nous assure, et c’est à Lui que nous allons,
tendant devers nous-mêmes.II Mon Dieu, Vous êtes la raison de vivre
et de périr, et la fin naturelle où se consomment
lllll nos démarches.
Mes frères en esprit, allez prêcher avant que l’heure passe et que
l’éternité s’abîme, allez ouvrir les routes et les cœurs, torrents issus
de la montagne, et qu’une même n n mer
n accueille tous les fleuves
débandés !

XCIX. Contre l’attente Mes frères en esprit, n’aimez


ii que l’ordi­
des n iracles naire et méprisez
n les nations qui vivent
dans l’attente du miracle,
n où les miracles
II

ne sont point et l’ordinaire le prodige en per: n anence. Aimez les


jours qui passent et se suivent, et n’espérez jusqu’au dimanche
pour vous remuer, car chaque jour est une fête à l’âme et la genèse
de l’espoir, au lendemain
n de l’espérance. Soyez en même n temps
lucides et tenaces, prêts à l’émoi com: n e à la retenue et disponibles
en l’acquiescence, où vous ne dérogez plus à l’éviction !

C. Contre l’abus Le danger de la tempérance est qu’on ne s’y


B e tempérance dépasse aucunement
11 et que le moyen termeII pris,
loin de nous faire instance, assoupit nos élans
et nous retranche les possibles, nous limitant à la mesure
n la plus
timorée. Nous végétons, pour ainsi dire, en deçà de nous-: u têmes, n

exempts
II d’un mille
II de dégoûts et libres d’amertume,
n n en sages froi-
dureux, bornés par ce qui nous étaye, enceints par ce qui nous appuie
et les sujets de nos frontières, incomparables au dedans, mais asservis
pour tout le reste et roides plus que noblement n trempés.
II Que les
natures généreuses s’excitent à des sentimentsn outrés dont elles

291
se feront une vertu, voulant se déborder en ce qu’elles éprouvent,
démesurées,
H non manque
ii de lumières,
ff mais
n en raison de leurs res­
sources. La tempérance vaut à proportion de ce qu’elle départage
et qui s’y donne au lieu de s’y revendiquer devient une moyenne
et se situera en l’abrégé de ses profusion antérieures, quand il devrait
en être le duel.

CI. Éloge de la démesure


ii La démesure
H fait les saints et plus il
contenue est de fougue et plus il faut de conte­
nance pour en abattre les emportements,
ii ii

d’où le surcroît des forces* mises


ff en balance et l’augment général
de véhémences
n disponibles. Nous gagnons sans relâche au contre­
temps,
n nous nous affermissons à nous dissuader et les désordres
sous le joug impriment
il à nos mouvements une vigueur inassouvie
de démarches.
il Nos inclinations inavouables, tenues en échec, se
bandent pour se trouver une issue en l’altération de leur nature et
nos vertus y gagnent sans comparaison,
il enflées de leur rage et
l’obligeant à les servir. Tout l’être se condense de la sorte à la faveur
de ses mobiles, tassé pour faire masse et déborder ses règnes.

CH. Courage de la démesure Mes frères en esprit, aimez qui vous


contente et révérez qui jamais n ne
vous assouvit, cherchez votre mesure n et tentez votre démesure,
n

afin de gagner sur vous-mêmes.


n Fuyez et revenez, peur de vous
être à charge et ne vous désertez que pour vous investir et de plus
haut ; jouez avec les fondements
n et mettez
n les maximes
n ii en balance,
et rendez les mobiles
n immutables ; soyez à l’antipode et jamaisn dans
les lieux où l’on respire une douceur mortelle et bravez l’univers
entier, s’il vous sépare de vos miresn ; n’ayez point d’ennemis et
point d’amis
n : que les premiers
n ne vous alarment
n plus en permanence,
n

que les seconds ne vous aveuglent pas à l’avenir, que nul n’ait
privilège sur vos destinées, pas même
n n vous en tant que vos mobiles,
et faites de la mort un commun n diviseur de vos agissements !

CIII. De la quadruple voie A suivre quatre voies un homme est


en possession d’atteindre à la suré­
minence
II où les moyens
n se fondent et l’altérité s’efface, où les prodiges
mutuellement
If mis
n en commun
n s’étayent pour aller aux nues en
exerçant une puissance égale et l’âme se ravit d’emblée à la faveur
de ses largesses.
Première
n est celle de l’orgueil et nous la longeons dans la soli­
tude, en l’amertume
IT il et le dépouillement,
n lourds d’une flamme inas-

292
souvie et consumés par elle, anéantis et dévorants, abjurant tout,
mais
Il rêvant de tout posséder, destitués de ce qui nous assemble et
n’ayant part à ce qui nous divise.
Une autre est la douleur à quoi nous voulons consentir et nous
abandonner d’un mouvement sans intermission tl pour avancer notre
ruine et nous envelopper en elle, enragés assidus, épris de nos tour­
ments
11 dont nous ne sommes
iiiii jamais quittes, nous désolant afin de
renchérir sur ce qui nous abîme.
Une autre est la sagesse en l’émulation
II de certitude où l’âmeII

se démêle, échafaudée à notre bienséance, et se détrompe de ses


vues, en assurance auprès de qui la veille et sollicitant l’univers
en un circuit de grâces prévenantes, réformant les abus et soutenant
les dignités, lucidement
n élue.
Une autre la plénière amour n se penchant sur les mondes,
II laquelle
enferme
II l’étendue en la miséricorde
n et bâtit sur l’élan dont elle
invoque l’assistance, immolée à l’attachement et prenant la nature
en charge, inaccessible à tout secours et défaisant tous les appuis,
ne voulant rien devoir, mais n voulant assumer ce qu’elle porte, in-
défectiblement
II offerte et mise
n dans les intérêts de ce qui la renie
ou la ravage. Et la dernière voie est la plus haute et c’est le carre­
four de l’éminence où les divers chemins s’unissentr et le Maître se
déclare.

CIV. Principe de ma dignité


l Ma dignité repose où, consentant à
l’ordre de cet univers, je metsH en
œuvre cela même
n n que je fus pour le mouler
if infatigablement sur ce
que je ne cesse d’être. Sage est qui, sondant les contraires dans leur
force irréductible, agit en résignant le loyer qu’il ne laisse de pour­
suivre.

CV. Éloge du refus Où l’évidence même


n n ne prévaut contre l’en­
tendement
il qui la renie, il semble que tout
le réel perde ses droits, ne fût-ce qu’à l’égard d’un seul d’entre les
hommes. L’homme est si faible qu’une pierre en tuerait un nombre
incalculable et cependant le monde
ii et ses puissances ne l’ébranlent
plus, s’il jure de ne pas les voir. La dignité de l’homme
ii veut qu’il
se récuse.

CVI. Frontières de la dignité II n’est pas convenable d’appuyer


outre mesure
H sur la vanité d’un
monde que l’on juge impermanent
II et nous devons nous méfier du
pathétique, en refusant à notre complaisance un aliment dont il

293
faut craindre de mourir. Le monde n’est pas vain et nous n’y sommes
lllll

pas des ombres, et l’évidence plus tangible que nos mêmes


n ii volontés ;
nous n’avons guère à murmurer
II de l’allégeance à quoi la condition
nous destine et ne pouvons que la subir, sauf à nous rendre maîtres
n

de nos fins. La dignité de l’homme implique le consentement n ou


la rébellion, jamais
II la dérobade.

CVII. La dignité Nous consentons à la douleur, pourvu qu’elle


dans la souffrance se justifie et l’homme n endure des maux II in­
croyables, à seule fin de mieux
n se prouver qu’il
existe, mais nul n’en veut, à faute de raison, et les souffrances se
redoublent quand l’âme II n’en discerne plus la cause et qu’elles nous
réduisent à l’absurde. Nous cherchons un mobile à ce qui nous
ébranle et l’un des signes de notre éminence
II est le refus de vainementII

subir, un semblant de métaphysique parle à l’imagination avec une


éloquence nonpareille et jamais n déraison n’a la puissance de nous
affliger, si l’on se prévaut d’une source occulte. En l’être le plus
ravalé, les marques de hautesse abondent, mais n l’on redoute de
s’en éclaircir et l’on appuie l’avilissement ii de ceux dont on abuse.
Quoi de plus chargé de menace n que l’homme injustement ti foulé, s’il
ne consent à devenir l’outil aveugle et le moyen que notre domi iï ­

nation met
n en usage ? — L’absurde est l’allié de ceux que la noblesse
outrage et qui pardonnent mal qu’on serve dans l’honneur, en dépit
de la servitude ; l’absurde est l’allié de ceux qui nous jalousent de
les rendre méprisables,
n nous qui les faisons tels pour refuser de
l’être et maintenir ce qu’ils ne peuvent nous ôter : le bien, l’ultime H

bien dont la largesse les écrase et le reflet de cette plénitude à quoi


n’atteignent les puissants s’ils ne se veulent abdiquer. Oui, notre
abaissement
II élève un trône à la suprême II gloire et notre humilité
nous fait participants de l’absolu, car nous ne sommes II rien, de peur
d’être à nous-mêmes,ri et nous abandonnons la place à qui viendra
l’emplir
n et terrasser le monde. Nous consentons à la douleur, nous
la bravons et la redemandonsri après que le Seigneur, assoupissant
tous nos tumultes,
n nous a changés à la divine théorie où l’Un réside
à la liesse du cortège !

CVIIL Le rejet de Nul n’entrera d’emblée en compromis avec


la complaisance soi-même
ii et nul ne cédera quand il se destitue,
de peur qu’il ne s’en fasse gloire : le moindre
pas nous doit coûter une agonie sans mesure et nous devons payer
le manquement
ü ii le plus minime
n d’un retour si général que l’âme ii se

294
déborde, issue de sa plénitude et reculant les marches
ii de nos fins,
plus véhémente
Il en vertu de la chute, plus ferme
n à raison de la dé­
faillance et plus armée
II en compensation de la menace.
n

CIX. Dignité de Je me
II demande bien souvent de quel usage est
la connaissance la plénière intelligence d’un événement
II qui nous
dépasse et dont nous ne pouvons que subir les
atteintes sans nous remparer. L’utile d’une telle connaissance, où
nous n’en tirons que raisons de nous miner et de nous amoindrir ri ?
Nous en voyons qui, roulant sur un faux principe, se racquittent et
parviennent à se démêler,
ii ignorant tout de la menace
n suspendue et
revenant sur l’eau, pendant qu’elle s’évanouit, et d’autres qui se
meurent
n fascinés par elle et n’osant la braver, du fait qu’ils la me n ­
surent. Que d’hommes vivent, manque H de sentir, ensevelis en leur
accoutumance
ii et toujours à l’épreuve de l’adversité, mais it d’une
adversité qu’ils ne discernent pas ! Que d’hommes se ravalent en
croyant s’affermir où le mérite
ii n’est pas d’être aveugle, mais n de
s’évertuer en dépit de sa clairvoyance !

CX. Parabole Mes frères en esprit, il est des hommes iiiii faits de
paille et dont le vent disperse l’assemblage ; il en
est d’autres formés
n d’une cire mollen où tout s’imprime
A n à l’aventure
et dont chacun est à soi-mêmen n de rencontre ; et d’autres sont pareils
au bois et nous louons leur dureté, mais II que le feu s’y boute et les
voilà réduits en cendres. Or, les meilleurs II ont la nature du seul
bronze : ils sont loyaux et fermes II et sonores, il faut les rompre
n d’une
pièce et dans la flamme II ils coulent embrasés. Le Seigneur n’aime
que ceux-là : s’il les ébranle, Il les écoute et s’il les brise ou les doit
fondre, Il les affine et les épure, avant que de les revêtir d’une splen­
deur nouvelle et de les projeter dans une forme triomphale. Mes
frères en esprit, soyez comme le bronze !

CXI. Contre les faux rieurs Mes frères en esprit, le tempsit de rire
est le dernier venu. Ne riez point,
que vous ne soyez à vous-mêmes n ! Le faible rit, de peur qu’on ne
l’assomme et l’incrédule, à dessein de se prouver qu’il existe ; le
raisonneur, en haine de ce qu’il n’atteint jamais
h ; le sot, parce qu’il
juge tout à sa mesure,
ru mais
Il vous n’avez sujet de faire ce qu’ils font
et le loisir vous manque, où l’âme se doit prendre en charge. Ne riez
point, de grâce, et fuyez la liesse inavouable, soyez moroses
ii et cha­
grins dans les commencements,
ii n pour que la joie se redouble à l’arrivée.

295
CXII. Le désirable
I Avoir le monde à ses côtés, c’est vraiment n

ou le sublime peu de chose quand les plus sages vous mé H ­


prisent ou se contentent de vous ignorer,
mais leur estimeH ne nous sauve guère et l’on se porte mieux en
négligeant d’en faire état, et nul, jusqu’à ce jour, n’est mort
II de leurs
mépris
II où l’on ne cesse de périr pour n’avoir mis le monde dans ses
intérêts. Les justes ne vous tireront de rien, mes
n frères, soyez comme
eux si vous avez choisi l’épreuve et n’ayez garde de leur ressembler,
dès le moment
n que vous voulez bâtir !

CXIIL Touchant le désirable et le subli: II

A. Le désirable nous engage et le sublime n nous contente, mais


l’âme ne se tient pas au milieu
H — quoi que l’on fasse — et penche
devers ce dont elle est naturée en la plus fine pointe. Entre elle et
le sublime,
II la convenance est infaillible et nous menace
II toujours
de se déclarer. Je m’établis en l’univers que je motive,
II en tant que
raison de ce monde et de moi-même il et lui devant ce que je suis,
bien qu’il me
il doive toute chose. La vie est un échange immémorant
il

de son principe et qui s’engage brûle ses vaisseaux.

B. Plus la faveur est signalée et plus le châtiment s’augmente


en compensation. Sitôt que l’homme est digne de béatitude, il n’est
pas recevable qu’il ne tombe
n au gouffre de la désolation. Auparavant
il dormait
H dans les Limbes, mais
n qu’il s’éveille et nul n’est en mesure
II

d’éluder un choix définitif et sans appel, comme il est sans moyenne.


Là gît notre éminence
II et notre peine en rend le témoignage le plus
manifeste,
II la damnation semble un privilège et l’enfer une marque
de nos dignités. Ainsi notre grandeur a mis II le siège devant nos
murailles, notre infamie ne l’écarte et nos perversités ne la rebutent
pas, nous nous mouvons en elle et nous la retrouvons, mais II sans
déguisement,
ii au sortir de la place. Quand il remuerait et ciel et terre,
un homme serait libre et cette liberté jamais
H il n’a moyen de la bouter
en gage où, se perdant, il ne saurait l’aliéner !

C. On parle de rapports, l’on interroge le possible et se refuse


à l’absolu, le monde semble un assemblage de mouvants en fuite,
toute passe sous les yeux tel qu’une fantasmagorie et l’on s’abuse
néanmoins, en dépit de l’adresse, où prévenant l’erreur et l’en-
goûment,
n nous tombons en les deux et ne savons le découvrir :
au-dessus des rapports, il est un air subtil qui s’en dégage, la résul-

296
tante issue de l’agencementh forme
Il une espèce de réalité nouvelle,
irréductible à ses motifs
ri et libre par-dessus les lois de sa genèse.
Le désirable et le sublime ne varient guère, le premier II veut que
l’homme
lllll se travaille et le second demande
II qu’il se passe. De même
II

quant au reste, d’où la mauvaise


II' foi de ceux qui ne rapprochent
les diverses mœurs que pour les subvertir les unes moyennant
il les
autres.

D. Nous devons croire à notre impermanence et vivre tout


comme
lllll s’il était nécessaire de la démentir.
II La dignité de l’homme II

croît au sein de nos dilemmes, il ne saurait se passer d’elle et rien ne


le console de sa perte, mais
il il ne peut les fuir, encore qu’ils le navrent,
il n’entreprend qu’à charge de tout surmonter H et ne s’élève qu’en
s’évertuant, aux prises avec sa douleur et le sujet de ses contente­
ments,
il lassé de l’une et ne vivant qu’à l’autre, et recevant tout
l’avantage à ses dépens inassouvis.

E. Or, l’homme n est en avènement


n perpétuel, mais il ne doit
y consentir, il n’œuvre point quand il n’a l’assurance d’échapper
au temps, il veut qu’on la suscite en lui, donnant le branle avec le
change, il prête les deux flancs à la manœuvre et, tête chevillée
aux nues, il semble
n défier le monde,
n il en triomphe
n chaque jour,
pourvu d’en triompher sans cesse, et l’éternel seul a puissance de
lui faire supporter l’inendurable.

CXIV. Sagesse ou sainteté Nous sommes conduits à nous sup­


porter dès l’heure où nous ne tran­
sigeons avec nos pentes, et nous vivons à nous sitôt que nous n’y
sommes plus, n’étant jamais
n si misérables que lorsque nous n’avons
d’objet et languissons à notre bienséance. Il est donc plus facile
d’être saint en prenant le rebours universel que de se faire sage
et de s’entendre à composer, de donner dans la démesure
ri pathétique
et la folie édifiante que de produire l’harmonie
n et d’y rester l’égal
de sa prééminence. Quoi de plus surhumain n que d’être un homme
digne de ce nom ? La foule goûte davantage un monstre chimériquen

et la grandeur lui semble


n de plus sûr aloi quand le prodige abonde
et la démence
n sourd, mais nous la préférons moins signalée et moins
n

sujette des moyens


n par le secours desquels nous l’avons douloureu­
sement atteinte ! Le saint visible et par trop manifeste est la mesure
n

de l’effort qu’il avait déployé, le sage un aboutissement qui ne se


parachève plus et dont les bontés cèlent la manière.
ri

297
CXV. D’un parallèle entre Le but de la raison n’est que de faire
la raison et la foi vivre « à cause de » et le partage de
la foi de nous aider à subsister « en
dépit de », ce qui la rend plus souhaitable. D’ailleurs la raison tombe H

à rien, dès qu’on ne l’alimente plus et veut qu’on lui professe une
adoration dissimulée,
II encore qu’elle s’en défende et c’est l’idole la
moins
n raisonnable : il lui faut des muets
II serviles qui marchent
H au
premier
ii indice et lui délèguent leur arbitre, des complaisants en­
tichés de systèmes, il des zélateurs et même
n n des séides, elle demande
tout et ne nous restitue que fumée, et d’instrument IT elle se change
à domination,
il mettant
n en couvre qui l’emploie et le tournant contre
soi-même.
II II A la limite
n de la foi nous discernons l’absurde, au bout
de la raison ce qu’on dénomme le néant total : le fait de l’homme iilll est
moins de s’abêtir que de se partager, moins de désespérer que de
se chercher une forme H et d’être moins
il au fond de ses dégoûts qu’à
la plus fine pointe de sa rage, il ne lui convient certes pas de se vouer
à ce qui le dévore et d’y goûter une amertume n n assez voluptueuse
pour s’y réduire à l’objet de l’épuisement et la liesse de sa vacuité !

CXVI. Sermon sur notre charge Mes frères en esprit, vous qui
savez que notre fin n’est pas un
terme, où nous vivons à l’issue immanquablement n ouverte, ne
cherchez point la raison de ce monde à quoi nous avenons pour être
tout ce que nous sommes. Le but de l’âme est d’enfanter la cause
et de nous destiner à son principe, et hors de nous ou d’elle il ne sub­
siste rien qui doive nous toucher, si l’univers est le théâtre mons n ­
trueux et l’hommeiiiii le suprême n soliloque en l’indivis, le motivant
immotivé,
ii le dieu qui meurt
H et traîne la raison du monde au néant
de sa fin totale ! Mes frères en esprit, chacun de vous est une senti­
nelle destinée à choir du plus haut des courtines et des tours, chacun
de vous est la victime II expiatoire armée n et consentante, et chacun
de vous tous l’autel où fument 111 les offrandes. Vous êtes pour qu’ils
vivent et qu’ils ne désespèrent jamais n de la loi du monde, élus
muets
n que l’on immole et sur lesquels se fondent les empires ; vous
êtes et vous demeurez
n entre les hommes n et l’horreur, les vivants
et la nuit, l’espèce et le chaos générateur et dévorant ; vous êtes la
présence et la platée, la source et l’estuaire ; vous êtes l’absolu que
vous manifestez
n et rendez infrangible et qu’on ne rompt qu’en
passant au travers de l’ombre n ! La vérité, mes frères en esprit, la
vérité ne se situe en aucun lieu du monde et vous l’y chercherez en
vain. Que ferait-elle sur les routes, les marchés n et dans l’enceinte des
maisons
n ? Allez la quérir où vos pas s’arrêtent et vos yeux se ferment !

298
CXVIL Sur l’homme dans le monde

A. La raison de ce monde est celle qu’on y voit autant que celle


qu’on y cherche et semble balancer entre les deux, encore qu’elle
les dépasse en même
H II temps et l’univers se définit par ce qui ne s’ex­
plique pas. Le monde est vain dans la mesure où nous le désertons,
mais il ne faut le délaisser qu’afin de nous l’assujétir en partant
de nous-mêmes.
o Qui se rebelle prouve assez qu’il en attend plus que
de soi, mais il importe de n’en rien attendre où nous devons tout
prodiguer.

B. Nul ne soutient mon œuvre et je dois, nonobstant, la soutenir


en oubliant qu’elle a pris fonds sur moi. n Ce que j’assemble est fait
de mesH ruptures ; ce que je romps, de mes
n assemblementsn ; ce que
je veux, de mes refus et ce que je deviens, de mille lï morts
n qui ne
mII ’achèvent. L’empire clame qu’on le prouve sans relâche et les

plus belles vérités demandent qu’on les joue et les regagne d’affilée :
ne dure que l’impermanent n et qui se fonde :meurt.
II L’éternité réside
en qui paraît la démentir.
ii L’homme est le nœud de qui le détermine II

et ne suffit à l’épuiser, le centre où tout se ligue et se débande, et


la raison qui définit sa cause en ne laissant de la croiser. Le monde II

ne m II ’enseigne qu’à le voir à la lumière


il qui m il ’aveugle et tout me n

donne accès à la dérive.

C. L’homme est à soi le mouvement n de cause en cause et le


multiple gravitant à la recherche des raisons qui l’unifient : il ne
les trouve point, quand il ne les invente et les reperd, s’il n’en oublie
la genèse. Point d’immanence
iiiii de qui l’entendement n’est la platée
souveraine et le seul reposoir. Le monde est toujours à refaire et
nul ne le conserve impunément.
n Infortuné qui cherche le principe
au lieu des seules fins qui le gouvernent !

D. Je m’établis en un pullulement dont je ne suis que le prétexte


et, dans l’ensemble des états qui se divisent ma H personne, je suis
présent à ce que je deviens, au déçu de moi-même, ir ri où je me
n définis
l’errant de mon
n instance et l’aboli de ses linéaments. ri Pour être,
je m’astreins à m’ignorer en tant que le multiple n de mes
n voies,
me disposant au long de ma il tutelle. Il sied que l’immobile en moi
se fasse jour et qu’il amorce
ii l’éternel, au mépris des instants qui se
succèdent. Ma vie est l’inutile avènement n de son prétexte en l’im n ­

possible fin de sa limite


n et l’immanent refus de ses partages.

E. Le monde, le jouet de son mystère,


ii ignore tout de son mystère
n

et le mystère
n est néanmoins et dans le monde
n et hors de lui, mais
n

299
il était indispensable que vînt l’homme,
11 pour que le monde signifie
à la lumière
H de l’arcane. La vie est un consentement perpétuel à ce
que je ne dois entendre. Malheur à qui n’a voulu s’en tenir à l’im­
probable ! Malheur à qui, s’y rangeant, ne l’a surmonté !

CXVIII. Enseignes de la liberté L’homme


iiiii est déterminé, mais
n il
n’en faut pas convenir. Qui doute
de la liberté s’inflige un augment de maux il. infinis et doublera la
dépendance naturelle en y joignant un manque, il arme u sa confusion,
se fortifie en son abattement et semble il seconder la chute où son
erreur l’incline : renoncementn à bon marché, vil simulacre
n d’immo­
lation où l’on ne se découvre point en se croyant abandonner,
offrande d’un soi-même n dont nous nous sommes préalablement n

bannis ! Mais d’autre part qui ferme n l’œil sur l’évidence et se console
à Paide de mots
n improbables,
n qui s’avouant d’une imposture signalée
met
ai son étude à prêcher l’ignorance, ne sauve pas la dignité du genre
humain et ne le rend pas libre à force de mensongesn ! Double est la
solution du dilemme
iiiii et provisoire en son ajustement continué : qui
s’y refuse se condamne n à ne jamais se définir et d’autres choisiront
pour lui, malgré soi-même.n

CXIX. La liberté mystique


h La liberté de l’homme
(lin est la suprême
n

découverte de l’espèce et l’aboutis­


sement
h ouvert dont le divin procède, à la manière
n d’un miroir où
l’œil inventerait ce qu’il ne peut atteindre et dont il fouille les abîmes
réfléchis.

CXX. La fin de la création Tout ce qui fut paraît semblable à


tout ce qui n’avait jamais été, si
l’homme
iiiii ne s’y fonde. En l’homme l’univers se rompt et se divise,
en l’homme iiiii seul le temps émane et s’involue, et par lui seul le mou­
vant se condense. Vanneur de l’indivis, il sème n l’ample
II fondement
n

qu’il perpétue d’âge en âge et dont ses postulats assument II la platée.


Périple dans l’issue et le dédale à sa limite,n il éternise où l’univers
se range aux lois de l’harmonie et signifie ce qu’il est en raison de ce
qu’il demeure. Par le canal de son entendement, le réel s’établit
et les dilemmes se naturent, le monde signifie et se déploie en au­
réole et Dieu se manifeste
iï au bris de l’infondé. La fin de l’œuvre
de création est le visage de l’humain à la mesure n de l’éternité.

300
CXXI. L’homme œil de Dieu La vie est océan et nous la semons
H

d’îles et de promontoires. Chacun


de nous se meut
u et l’univers s’ébranle à suivre nos remous de ligne
en latitude ; chacun de nous emporte l’évidence au long de ses dé­
placements ; chacun de nous est le possible en le théâtre de sa
liberté, l’acquiescence ou le refus, la rupture ou l’impasse
n et chacun
l’œil de Dieu s’ouvrant sur le plérome et réfléchi dans l’œuvre et
se déterminant en elle. De l’hommeiiiii à la réalité se tisse un entrelacs
de songes et de quêtes, mais il demeuren aux lieux de son élection et
se choisit irréfutablement
ri et sans remède
n : tout l’univers ne parvient
à nous dérober à ce que nous ne sommes plus.

CXXII. Le bon combat Mes frères en esprit, Dieu ne vous aime


n

point où vous ne résistez d’abord et


l’Éternel demande
n que l’on lutte et qu’il vous puisse terrasser.
Malheur à qui se rend, fût-ce à Dieu même,
u et Le dégoûte de la prise.

CXXIII. De l’espérance Que l’espérance est un engagement au


en face du réel mépris du réel et qui s’en passe, autant
qu’il est en son pouvoir, ne prenant
qu’elle à son garant et primant
n sur le reste, dont les motifs demeurent
n

où les projets se renversent, de quoi l’essence est invisible et joint


l’éclat à la solidité, que l’on ne blesse nulle part et ne retire d’aucun
lieu, qui ne s’attache guère et tient les mondes
n attachés, qui ne se
meurt où tout conspire à son abaissement n et qui renaît plus véhé-
n ente en venant succomber.
n

CXXIV. Le sermon sur la force Mes frères en esprit, nous sur­


montons ce que nous recevons
dans le plénier consentement et devenons les maîtresn de nos fins,
à désirer ce qu’elles nous départent. Loin de nous, frères, la rébellion
quand nous ne sommes sûrs de vaincre et loin de nous la fuite où
nul ne doit mourir
ii que l’on ait frappé dans le dos ! Je vous le dis
à tous : nous sommes faibles, mais
n inébranlés, nous sommesu justes,
mais
R inébranlables, de la plus difficile garde et malgré
n la soumission
n

totale, nos juges et les leurs, leurs vengeurs et les nôtres, mais
n qui
dédaignent la vengeance et la redoublent immanquablement n ! Ainsi
nous devenons les forts, nous qui n’avons rien demandén ; nous ga­
gnons l’assurance et n’avons pris de sûreté ; nous nous fondons en
un empire
H stable et n’avons point bâti ; nous ne sollicitâmes il pas

301
et sommes investis de privilèges ; nous ne voulûmes rien et nulle
chose ne nous manque.
Il Heureux qui voit avant que les yeux s’ouvrent
et misérable
II qui les ferme,
H de peur de se désabuser !

CXXV. Pays de l’homme La source de la joie est un achèvementii

au sein de la concomitance
II où la mén

moire
II est abolie et le désir involué, l’on y bâtit sur le présent et l’on
s’y fonde en l’immutable
IIIII ; la source de la joie est un débordement
de plénitude issu de l’homme, II environnant tout l’hommeIIIII et le ren­
dant à son milieu
II pour le restituer à son modèle
II en le plus libre
des échanges ; la source de la joie est l’unisson de toutes les données
en l’harmonie des litiges, le privilège d’être et cela mêmen n que l’on
est, enfin la paix en la conquête mutuelle
II et la victoire solidaire.

CXXVI. Le Maître de la norme


II Mes frères en esprit, lorsqu’un
dilemme se présente et que vous
balancez, ne sachant le parti qu’il vous importe de tenir, songez
au Maître que vous adorez et demandez-vous
ii simplement
II ce qu’il
ferait en votre place, et puis jugez vous-mêmes
n n sans détour si vous
pouvez Le suivre, non pas afin de L’égaler quand il y va de votre
vie ou de la perte des biens invisibles, mais pour sentir qu’il n’est
moyen de vous glorifier et de vous poser en exemple au demeurant II

des hommes. Le fait de marquer


II fortement
II ce qui nous en sépare
est une voie d’accéder aux plénitudes du Seigneur, car nous Lui
sommes
II' homogènes en nous renonçant en propre et Lui quittons
la place où nous nous débordons. Lui dont l’éclat nous perd, Il
nous assure en je ne sais quelle lueur diffuse et Lui qui vole dans
Ses profondeurs multipliées et se dérobe à qui menace
II de L’atteindre,
Il nous vient secourir où l’indivis s’ébranle pour nous épauler.

CXXVII. Les temps sont proches De l’abnégation à la manœuvre


II

la mieux
II exercée et de la su­
prême
II innocence aux détours de la politique il suffit seulement
n d’at­
tendre, où peu d’années feront beaucoup à l’affaire, il suffit seulement
n

d’attendre et ce qui passe pour folie est devenu sagesse et la témé ii ­


rité l’ajustement que tout le monde
II appuie, le saut dans les ténèbres
la marche triomphale et la divine démesure un argument de plus
dont l’ordinaire se pourvoit. Telle est la fin et tel l’achèvementII des
aventures de l’esprit : les vaisseaux rentrent dans le port et le som-

302
meil
il a raison de la ville. C’est l’heure qu’il faut tenter l’océan et
regagner sur notre mortH l’enjeu dont nous nous sommes il dénantis.
Mes frères en esprit, voici l’heure et nous n’avons plus à tarder.
Les vérités conquises où reposent-elles ? Jamais H aux lieux où nous
voulons qu’elles demeurent,
n car le repos des vérités est — touchant
l’homme ii — un mouvement n en permanence
u et l’homme n’en est
nullement
«i dépositaire : elles démentent
n son orgueil, elles désertent
ses prestiges. Mes frères, sachez bien qu’il n’est de libre accès auprès
des vérités ineffaçables, il n’en fut point, il n’en sera jamais.
n Est-il
admis
IJ de revendiquer un apostolat où nul n’est investi, s’il ne s’im IT ­

mole et qu’il ne saigne bénissant ? Et c’est à quoi vous les pouvez


connaître.

CXXVIII. L’appel aux inspirés Mes frères en esprit, dont le


royaume n’est pas de ce monde II

où nul ne vous a demandéII de naître, vous n’espérez de loyer ici-bas


et vous n’y prétendez aucunement ailleurs, Dieu ne vous doit que
ce qu’il vous dispense et la suprême il amour
n. ne sollicite rien. N. S.
est faible et la malice
n forte, N. S. agonisant et les méchants
ri dans
l’abondance : heureux s’ils ne vous tuent pas et trop heureux s’ils
vous méprisent
H ! Car votre humilité même est offense et votre néant
les dépite, ils vous soupçonnent de ruser et de porter en vous les
fondements de leur franchise, ils vous dépouilleraient de votre ac-
quiescence et vous jalousent de servir dans le consentement qui les
ignore !
Mes frères en esprit, vous êtes les témoins de l’ordre véritable
et le seul légitime,
11 vous relevez des lois que le plus faible est en pos­
session d’enfreindre et que redoutent les puissances de la terre, de
lois imaginaires,
II mais formelles, de lois vacantes, mais inamissibles :
vous les savez, vous qu’elles jugent et vous en êtes les garants parmi il

les hommes. Et c’est pourquoi les hommes vous menacent II abattus


et vous surveillent enchaînés, vous leur semblez encore formidables il

et vos langueurs les tiennent en alarme. it Vous êtes les plus forts,
ô vous que le Seigneur habite. Vous avez beau vous en défendre,
vous êtes les plus forts, les mieuxH armés et les plus redoutables :
votre fragilité menace leur tutelle et votre abaissement n annule leur
pouvoir, vous les incommodez il vivants et, morts,
n votre mémoire
ri il

les défie. Ils brûlent de vous effacer, de vous tuer une seconde fois
et de meurtrir le Dieu qu’ils sentent après vous, mais n il faudrait
qu’ils vous suivissent dans la tombe il et là leur domination
ir s’arrête,
eux qui ne régnent que sur des objets, des ombres et des effigies,
que les vivants dédaignent et que les morts désertent.

303
CXXIX. Le témoignage Mes frères en esprit, chacun de vous est
inamissible
11 la colonne terminale
Il et l’ample reposoir
de l’indivise majesté; chacun de vous le
seuil de permanence
il et la raison de toute vie. Vous êtes et par vous
l’immotivé débouche sur le monde, et c’est par vous que Dieu se
fait, par vous, le truchement
H et le canal des fins originelles ! Mais
qu’êtes-vous emmi le nombre et dans le sein des solitudes qui se
pressent en tumulte
n et qui se multiplient incommensurables
iiiii ? Mais
qu’êtes-vous alors ? — Ce que nous sommes iiiii devant Dieu, ni plus ni
moins et malgré
ii l’apparence, où tant de mers n ne peuvent engloutir
qui portent l’au delà des fins et des mesures
n dans le consentement
n

à ce qui les mutile ou les anéantit !

CXXX. Le charnel Tabernacle Mes frères en esprit, nous sommes


la Maison de Dieu, du Dieu qui
marche
n et c’est pourquoi nous marchons
n avec Lui de multitude
n en
solitude, veilleurs de l’Arche en mouvement,
n portants de l’Arche
et ses tenants fidèles. Nous vivons, les assujettis de qui n’a point
de mercenaires,
u nous vivons sans retour, sans lendemain n et dans
le mépris
n du loyer, comblés au delà de l’imaginable et nous devant
le ciel qui nous emplit. Nous sommes la Maison de Dieu, le charnel
Tabernacle, les pierres vives et le parement, nous sommes iiiii tout cela
sous le regard de l’Eternel, mais est-il souhaitable qu’on le sache ?
— Non ! Car la lumière serait offusquée, l’acquiescence imparta­
geable et la dilection mise
n en oubli. Que les ténèbres nous dérobent,
frères, mais
n quand un juste se présente, nous nous autorisons de
l’accueillir et, pour les autres, nous serons l’Eglise vraie et l’invisible,
laquelle est dans le monde,
n afin que dans le monde il soit un lieu
sur qui le réel ne prévaut, un lieu sis emmiiiiii l’évidence et pur de ses
prestiges !

CXXXI. Les élus invisibles Mes frères en esprit, vous êtes à


jamais
n les élus de ce monde et l’uni­
vers ne vous a point connus, les hommes passent et vous demeurez
en l’ombre, les peuples meurent
n et vous survivez, la foi se change
et vos lumières ne varient, car vous avez choisi de n’être rien pour
vous donner à l’absolu que vous portez en vous. Soyez fidèles à la
solitude, ô confinés dans ]e silence, et que la nuit vous enveloppe :
malheur
ni à ceux qui la désertent, à ceux qui vendent leur franchise
et qui profanent l’absolu pour l’audience la plus vaine ou le délas­
sement
H le plus aride ! Vous n’êtes purs qu’à charge de vous effacer,

304
à moins que l’on ne vous appelle, et de vous taire, si ce n’est que
le Mal triomphe
III et qu’il vous soit loisible de périr, ô témoins de la
cause ! Le fait des justes n’est-il pas de se tenir à mi-chemin II de leur
néant et de leur sacrifice ? Veillez et que la mort n vous soit une pré­
sence et qu’elle soit la vôtre, puis mourez
II pleinement
n dans le con­
sentement
II de majesté,
II, mourez
II en rois, mais en rois invisibles, de
peur que vous ne soyez honorés et dès votre agonie. Je vous le dis
à tous : vous êtes la raison du monde II et les appuis de la divinité,
le fondement
II de l’absolu, le linteau de l’espèce et les réels par-dessus
l’évidence et tellement emplis de ce que vous vous prodiguez qu’en
vous l’orgueil n’a plus de siège. Et n’est-ce pas le privilège de sur­
éminence
II que de garder une mesureH où la mesure
II est abolie ?

CONCLUSION

Chaque assurance dont l’humain II se targue est une fin scellée


et chaque certitude abîme d’agonies préalables, et l’ordre de cet
univers, apparemment IIIII merveille, un monceau
H d’immolations
IIIII trop
souvent inutiles. Que la nature est à la prodigalité, qu’elle dissipe
une richesse inépuisable où la raison lui dicterait moins II d’aventure
et plus d’épargne, mais la cruelle, l’inhumaine, II éprouve mille voies
plutôt que de choisir la bonne à simple vue et sa profusion confine
à la démence. Trop malhabile II l’horloger, s’il en est un, qui rompt
durant un million
II d’années ce qu’il ajuste pour vingt siècles ! On
ne discerne là que mouvement II et que machine,
II un assemblage
II mons­
trueux de force aveugle, un seuil d’échanges dévorants, la mécanique
de la frénésie et, dans ce tout de branles et de masses, n le monde
infime
II qui nous porte, un monde n solitaire et néanmoinsn le phare
de l’esprit, un monde, semble-t-il, n unique en ce plérome n et qui
résume
n l’univers, ce menaçant démesuré. La terre où nous vivons
est l’âme
n du système II et le noyau pensant de la nuée ardente des
étoiles, le point où l’infondé se connut la première II fois et l’indivis
se brise, où le Divin se change au Dieu qui nous habite et par le
truchement
II de l’homme, enfant et père de son Maître.

20 305

. -

V
LIVRE SEPTIÈME

DE LA DIVINITÉ

I. Préli II inaires sur les rites

A. Les rites semblent des voies naturelles par où s’épanchent de


nécessité les tourbillons agitant l’âme n et l’âme
n s’émeut
n d’être et de
se sentir menacée à tout moment de l’existence, elle ne vit de règle
qu’en ce tremblement
n dont nulle foi n’arrête la carrière et c’est
de là qu’elle dérive et face à lui qu’elle se bande. Le rite est l’affran­
chissement
u qu’elle se donne et c’est une conduite bien liée, une res­
source des plus admirables,
ii une succession de prises, de détours
et de saillies, un marché
n qui balance le réel et le refuge où l’évidence
perd ses droits et l’incommodité
n respire, un essai de gouvernement
n

du monde, un premier n pas sur l’océan et qui décide de tout l’avenir.

B. En chaque rite il est permis de déceler une révolte et l’art d’éluder


la menace
h indiscernable, à la muer
n en un sujet de notion que l’on
n’achève point de définir et qui se détermine un jour à l’aide de ce
rituel préliminaire, matrice
n même
n n du divin. Au moyen
n de la liturgie,
un homme ni a la puissance d’endiguer le tout-possible et de lui cher­
cher des motifs, desquels l’arrangement n lui donne accès auprès
d’une croyance et d’une solution de l’enigme à travers les symboles
invoqués : il entre enfin dans le mystère,
n il en découvre le détail,
il en pénètre les détours, il associe l’univers à la figure instituée
et fait qu’il soit d’intelligence, humanisant
n le cosme et dilatant
l’humain,
n jusqu’à ce que le Dieu jaillisse en armes
n de sa tête.

C. Le rite men suspend au lieu de m n ’abolir et n’asservit que les do­

maines
n que ma n liberté résigne ; mon
n âme
n ne s’y cache qu’en puis­
sance et je l’y trouve élucidée. Ma foi marque
n les stations de la mou-

307
vance et les repères de l’entendement,
n ma
ii foi nature les positions
de l’absolu, ma foi ne se démontre point, alors que tout se prouve
en partant d’elle et notre connaissance même n n est un engagement
— qu’il meu faut démentir,
n pour peu qu’il la trahisse —, puis nulle
connaissance ne prévaut, si je n’ai foi dans l’instrument n qui la me
II
I.
­
sure. Je ne suis point du seul fait que je pense et la pensée ne me
servirait de rien, si je ne la pliais à la créance.

IL Préliminaires
n sur la faute.

A. Que dès l’abord l’homme n a le sentiment


n de je ne sais quelle
souillure ou mieux : d’un mal n irréparable et qui se change à la
u enace, ou mieux
n : d’une ambiguïté se dérobant à la lumière n et
défiant qui l’interroge, un monde clos à couvert du réel et tordant
l’évidence, puits d’ombre et d’épouvantement n qui le fascine et le
semble attirer — quand il ne le submerge fi pas —, lieu redoutable
et qu’on ne saurait fuir, à moins
H de se donner la mort ou de chercher
l’ivresse, pays de connaissance enfin où l’on demeure II en dépit de
soi-même
n n et qui n’est jamais
ii familier.
ii

B. Ce vague dévorant est le séjour de l’agonie immotivée II et de la


solitude originelle, où règne le chaos et s’enchevêtrent les possibles,
la longue nuit muette
u et la présence de l’opacité, le fond de l’immoIIIII ­
bile où se détache la mouvance
n et l’indivis béant sur l’horreur in­
sondable, mais
n l’homme se remuen au mépris
n de ce vague et l’œuvre
de sa main
ii balance un infini de cauchemars, ii' l’absurde même
n n: ne
prévaut à l’absolu dont il cimente
II le prodige, il violente le divin
et Dieu se réfléchit en l’œil qui Le démêle II et répond à la voix qui
Le dénoue.

III. Du sacrifice Par l’immolation, nous voulons conjurer une


menace
If et nous laver d’une souillure, où l’imH ­

molation couronne tous les rites qu’elle parachève. La religion est


économie
II et le système
II en état de nous garantir de pleine diligence,
le rituel l’ensemble des recours mis
n en commun par où l’alarme II se
mitige et l’immolation
IIIII le procédé majeur
n qui nous accorde à l’har­
monie de ce monde et sembleII nous fonder en un suprême
if apaisement.
n

Le rituel nous assourdit plus qu’il ne nous libère et l’immolation


mu

seule a le privilège de nous transvider, conciliant par nous l’abîme


en quoi nous nous savons plongés et l’horreur ténébreuse au profond
de nos reins, nous ordonnant à l’œuvre et suspendant l’immotivé

308
dans l’assurance indéfectible, où l’univers s’est rendu témoignage.
En l’immolation,
lllll tout se consomme
H et tout est libéré, le monde
pur, le Dieu clément
II et l’homme absous, le règne manifeste et l’évi­
dence à jamais
II subvertie ; en l’immolation
H de chacun d’entre nous,
l’espèce se rédime
II et l’Éternel a chu dans Son avènement.
II

IV. Vicaire de ses dieux La raison d’être de l’humain H n’est-elle


pas de consentir à l’univers qu’elle
édifie ? L’homme
lllll vicaire de ses dieux, est l’impétrant dont ils
s’avouent : il les nourrit pour qu’ils dominent l’infondé, le laissant
vivre en chargeant tout le poids des mondes <1 ineffables, lui dissi­
mulant
II son mystère et rangeant le chaos au sein de nos limites.
Avec les dieux paraît la cause et tout émane H de ses fins pour aboutir
à ses commencements, II et l’homme II se tient là — lui qui s’érige
d’un tenant aux antipodes —, il part de ce qu’il est pour devenir
ce qu’il ne cesse d’être et, s’éludant, se touche aux lieux qui le
séparent de lui-même, n tissant un appareil de nœuds et d’entrelacs
de monde
II en monde
n et peuplant l’indivis de formes et de fastes.
Il règne désormais jusques aux constellations, il leur délègue l’at­
tribut de ses faveurs, les dénommant, lllll les motivant, les animant
II et
veut que toute chose lui réponde au sein de l’harmonie échafaudée
et que tout l’univers lui soit un chant de gloire.

V. Le divin truchement
II Ce que l’homme
il institue est le support
de l’homme et, toutefois, il semble vrai
qu’il n’a puissance de le recevoir en tant que tel et metII son œuvre
en interdit, lorsqu’il l’avoue au lieu de l’imputer
II à Dieu. Quel sur­
prenant mystère
il et comme il frappe la raison et nous indigne !
Nous différons à l’avérer et ne laissons de le subir. Sans Dieu, rien
ne se légitime
II et tout demeure
II suspendu, tout n’est que rigueur
odieuse et licence inutile, où chaque force tend à la suprême démesure
et chaque volupté nous restitue à l’épouvantement II que nous fuyons
en elle.

VI. La quête du divin II tombe


II sous les sens que Dieu nous est
indispensable et l’hommen le plus démuni
des êtres, quand il se livre aux fins de sa gratuité, mais
n l’homme est
fort et tellement
II que l’univers ne lui résiste pas, si notre entendement
s’allie à la créance. Toujours est-il besoin qu’il en avance la ruine
pour la retrouver et ne s’épargne jamais
II les longueurs de la recherche,

309
qu’il mette
n sa fureur à subvertir usages et coutumes,
n qu’il se détourne
de la voie et se refuse au Maître et qu’il se perde, avant que de se
disposer à mieux
n Le recevoir où ses dénis l’exhortent. Nous connais­
sons que Dieu nous manque,
ti où nous L’avons abandonné.

VII. Lutte avec l’ange La fin de l’hommen est l’homme et rien


de plus, et c’est à quoi le reste vise, mais
n

comme
iiiii les empêchements
u abondent, il a fallu multiplier
n les voies
et les moyens,
n quitte à se fourvoyer où les biais se muent en obsta­
cles. L’on essaya de modes
ii et de lois, de la contrainte ou de la per­
suasion, de la morosité, de la folie et des supplices, l’on mit n en
œuvre jusques aux plaisirs, mais u n’alla jamais
n plus avant que les
idoles. L’on eut enfin recours à Dieu, promesse de nos libertés et le
garant de l’anabase, et l’homme en fut d’abord plus misérable n et
comme terrassé, mais
n il se gagna sur le monde et releva la tête, il
éprouva sa force et lutta bravementn avec le Maître qu’il s’était donné.
Dieu ne l’en aimera
n que davantage et bénit ceux qui Lui résistent.

VIII. Contre le déisme


n Quiconque veut choisir a choisi d’être
responsable et d’essuyer les conséquences
de l’erreur. L’homme iiiii est un assemblage de caprice et d’appétit,
l’entendement
n l’oreille de son corps, le corps la source de maux n

innombrables. Il sent parfois ce qu’il désire, mais jamais n ce qu’il


fait au juste et je crois même n n qu’il redoute de l’apprendre. L’ap­
prendre n’est-ce pas choisir ? Mieux vaut l’en dégager. Le laisser
dépourvu, lui couper les chemins, n l’abandonner devant ce qui
l’écrase me
n paraît injuste souverainement. n Seul, face à Dieu, que
sera-t-il ? S’il ne se désespère et ne Le quitte, il Le ravalera, Que le
déisme est le miroir
n fidèle de nos volontés : malheur
u à nous, lorsqu’il
nous flatte et qu’il embrasse nos penchants ! Dieu n’est alors qu’une
ombre et nous prenons Sa place.

IX. Défense des systèmes


n clos II est requis de statuer sur la
béatitude même,
41 II de faire le détail
des voies qui nous conduisent aux abords et d’en articuler les phases,
d’en marquer
ii les avancements
II et les retraites, de se donner le ridicule
d’en juger — lequel vaut mieux
II que l’indolence — et de prêter à
rire à ceux qui ne l’entendent pas, pour sauver l’âme II que le doute
assiège. La grande affaire et la plus hautementn conforme
II au genre
hunlain
n est de réduire l’univers au perceptible et de le motiver en

310
nous, puis de le surmonter, nous associant au divin et renouvelant
l’alliance, voulant ce que Dieu veut pour nous soustraire à notre
dépendance. En quoi je ne discerne rien dont il soit nécessaire de
rougir et la béatitude, loin d’être un lénitif indigne d’hommes cou­
ü

rageux, est une marque


H de valeur et moins un abandon qu’une
aventure téméraire,
II où nous laissons du nôtre et nul serment
H in­
violable ne nous a couverts.

X. Aphorismes
Ii sur la sainteté

A. Qui sollicite Dieu pour chercher la béatitude a fui ce monde,


mais
fi il se peut qu’il y revienne, arméII de foudres et de flammes,
irrésistible et défiant les pouvoirs établis : le monde ne l’ignore pas
et craint les solitaires, il appréhende les rêveurs suaves non moins
que les prophètes inspirés, les uns le troublent et les autres le ren­
versent, mais
II ils abondent dans le même
n ti sens, aimant en même
n n lieu.

B. C’est un mystère
II et des plus redoutables que la sainteté : en elle,
il semble
n qu’on se joue et de soi-même II et de tout l’univers, qu’on
mette
n l’immobile en tremblement
H II et qu’on suspende les arrêts ;
en elle, l’œuvre de création renaît avec ses fastes ; en elle, je ne vois
que trouble et la confusion totale au sein d’un tourbillon où virent
les valeurs sur quoi l’humainII se fonde, et la menace
n de tout entraîner
des chasmes à la nue ; en elle, je ne sens que mort n multipliée
n inas­
souvie à travers mille n incertitudes. Les hommesn entrent en effroi,
quand il leur semble n qu’elle est proche et leur misère
n éclate avec
emportement
II et véhémence.
n

C. Seul d’entre les mortels qui servent à raison de ce qu’ils appré­


hendent, le saint a privilège d’une liberté que nul ne borne et qu’il
répand indivisible et manifeste,
II de mode
II que sa vie est un allègement
et sa douleur la source de ses voluptés, mais il redouble les tourments
II

de qui le voit et ne l’imite point. Et quoi de plus terrifiant qu’un


être démuni de tout secours, qui ne possède rien, que l’univers appa­
remment
IIIII écrase, semblable à l’un de nous qui le touchons au doigt
et, nonobstant, si loin qu’on ne l’embrasse
II plus et tellement
II altier
que rien ne le mesure ?

D. Les religions ont accoutumé ir de mettre


n les martyrs
II en ligne et de
se prévaloir de leur modèle,
II les plus cruelles comme
IIIII les plus indul­
gentes, leur ayant assez d’obligation pour vivre longuement II à l’aise
et pour s’en réclamer
II à l’avenir. C’est une provision de mérites,
II

311
capable de suffire à plus d’un siècle sommeilleux et de se déléguer
à maint
n collège de sophistes, à maint
n chapitre de cafards, à mainte
n

ligue de sicaires ou de forcénés : les saints les couvrent et les martyrs


n

les remparent,
il l’homme
n de bonne volonté n’ayant langui que pour
innocenter des hommes de ressource.

E. Les luminaires
if d’un parti, les flambeaux d’un système n et tous
les répondants que l’on invoque, à l’intention de nous aveugler ou
de nous assourdir, ne doivent pas donner le change et le respect que
nous leur porterons s’étendre aux machinations
ri dont usent les
énergumènes.
n Le fait des saints, le propre des martyrs
n et le partage
des héros est de surgir l’on ne sait d’où, pour être les appuis de leur
hautesse et n’avoir point d’émules ni d’imitateurs,
II fils de leurs
œuvres, non de leur lignée et n’ayant pas de descendance. Qu’ils
meurent,
il les voilà trahis et de nécessité, les voilà devenus autant
de piliers d’antichambre,
ii les voilà mis
n dans les emplois,
n jetés dans
les abus, précipités dans les abouchements et mutilés, H navrés et
trucidés au long d’une faveur qu’ils payent et repayent et qu’ils
ne résilient plus, sauf à la perdre.

F. La trahison commence à l’heure que le saint expire et qu’il est


empêché de décevoir la foule des solliciteurs et des parjures, que l’on
se fait de lui le portrait le plus rassurant et le plus convenable aux
fins qu’on se propose et qu’on le livre à sa légende. Le reste suit et
nous y travaillons, poussant l’étude au dernier point de notre con­
venance imaginaire et taxant le modèle d’imposture, ayant perdu
l’original sous les retouches, l’ombre
ri et le vernis, et recevant la fraude,
armés
n de tous les moyens susceptibles et d’en imposer au jugement n

du nombre et de réduire les contraires au silence.

XI. Anatomie de l’absolutisme La pente à l’absolu, loin d’être


naturelle, est un acquis dont on
se persuade en diligence et qui supplée au défaut de raison critique,
où l’embarras nous dispose à le recevoir. Nous y donnons la voix
et les deux mains et quelque fort qu’on s’en défende, il est l’école
des facilités : suffit-il pas de déférer à son injonction pour se laver
de tout reproche et de se prévaloir de sa maîtrise aux fins de sub-
vertir et niveler ? Et quelle amorce à la malice
n et quel moyen de la
mieux chatouiller ou d’en autoriser les manquements
if ouverts ?
Depuis que l’absolu domine l’inclination de la moitié n du genre
humain, nous y gagnons bon an mal n an dix saints pour mille
II fana­
tiques, et souvent moinsrr encore et davantage de séides.

312
XII. Absolutisme
ii et cafardise erreur fatale est d’appuyer une
doctrine sur un embasement n ima
n ­
ginaire ou manifestement
ii n irrecevable, avec l’alternative ou de tout
refuser ou de passer carrière en avalant plusieurs énormités. Mis
en demeure de céder sur le chapitre ou de nous savoir dénantis,
nous languissons dans le mensonge
n et la formelle disposition de n’y
jamais
n répondre, mais
n avertis de ce qui nous abuse et de mauvaise
foi,malgré notre penchant à la meilleure, monstres enfin sous les
dehors de la civilité, doués de jugement
ri pour les affaires de ce monde
n

et sciemment
uni absurdes touchant l’autre. Le moyen d’être ce qu’on
est où l’on ne se prononce plus, où l’on en craint les développements,
où l’on diffère les débats et n’ose consommer l’ouvrage, en sorte
que le fonds de nos vertus est à l’impur mélange n ? Impur, s’il
faut que l’on ne s’y retrouve pas et bâtit néanmoins sur une absence
volontaire, impur
u et doublement
n impur
n si l’on s’étaye de son dé­
mérite
n et se fait gloire d’un renoncement légitimant n la dérobade.
Un tel croyant vous édifie à simple vue, il semble coulé d’une pièce,
il est plein d’assurance et du spirituel au temporel rien ne le dépar­
tage, aucune division ne l’arrête, il justifie en l’un ce qu’il réprouve
en l’autre et vole aux confins opposés, si merveilleusement n à l’aise
qu’il nous laisse interdits.

XIII. Contre les prophéties La preuve en est démonstrative : les


révélations et prophéties, quand elles
se réfèrent à des connaissances naturelles, partagent les erreurs
du temps qui les vit naître. Or, Dieu ne saurait s’abuser où les
savants du nôtre ne se trompent guère, Il ne saurait pas davantage
induire l’homme en une erreur que l’on redresse de nos jours : c’est
à la fois manque
n de charité, de prévoyance et mêmen n de sagesse.
De charité, puisqu’on nous parle de véracité divine et qu’elle est
l’un des attributs du Maître ; de prévoyance, à raison de l’enchaî­
nement
n de nos lumières
n successives sur le rapport desquelles nous
jugeons d’autorité ; et même
it de sagesse ou mieux
n encore de prudence,
où tous nos libertins ne se feront pas faute d’en railler. De telles
momeries que l’on affiche avec empire et soutient au mépris de la
raison élémentaire
n n’ont plus d’usage désormais et ne répriment
nullement
n les insolences de la foule.

XIV. Limites
n de la Révélation II est plaisant de pressentir quelques
sauvages démunis,
n aux fins de con­
sultations touchant Dieu même,
ri les uns pour infirmer l’Eglise et
tous les postulats de Révélation, les autres à dessein d’y trouver

313
un appui de nature apologétique. Ces malheureux,
H les voilà nos
arbitres : c’est une dignité dont ils se passent bien et qui ne les
exempte nullement
II de nos rudesses. L’on tire ce qu’on veut de leurs
ramages
H inconsidérés, vu qu’ils sont nés menteurs
II et ne s’en tiennent
pas à l’évidence, leur âmeII est à la brouillerie et leur esprit se joue
en l’ambiguïté, leur bonne foi n’est que trop malléable et nous avons
sujet de redouter leur complaisance
II ou les dehors de leur soumission,
H

joint que la langue nous rebute et que ses mots éveillent des ressen­
timents
II dont il est difficile de se faire une idée approchante, où
nous les relions à des figures de nous seuls imaginées.
II

XV. Aphorismes
ü sur la nature du divin

A. Tout n’est que centre en l’univers, tout n’est que borne de l’é­
branlement,
n tout n’est que sa limite
n en la semblance des rapports,
tout n’est qu’attache au sein de la dérive et flottement en l’indivis,
tout n’est qu’abîme issu du chasme
n et prégnant de ses profondeurs.

B. L’Un n’est pas l’indivis, il en embrasse mille


n et mille
n et sourd
de chacun d’eux, parachevant ses plénitudes manifestes,
n il enveloppe
l’infini des infinis en tout point de son étendue et ne déborde que
soi-même
h dans le sein qui l’a délimité.
n

C. Que l’absolu se définit par ce qu’il ne renfermen pas et légitime


néanmoins. Nul ne le prouve et nul n’enseigne à le connaître, où


nous devons l’atteindre pour le découvrir et l’endiguer avant qu’on
le possède. De l’absolu nous sommes
n à la fois l’ajournement
n et le
soutien.

D. Que le divin se manifeste


n où l’évidence s’abolit et le réel se
transfigure. J’appelle Dieu Celui que l’on n’atteint jamais n en ne
laissant de Le porter et qui réside ensemble aux profondeurs les
plus charnelles de mon être et loin de toute créature, en même
II II temps
le plus intime
n et le plus écarté. Dieu n’a point d’évidence ; il semble
II

qu’on Le doive inaltérablement gagner sur elle et qui Le cherche


en elle ne saurait L’y voir, où l’évidence est l’accommodement
n n et
le divin l’enchaînement
n de Sa rupture inassouvie.

E. J’appelle Dieu qui n’a point d’au delà, mais rr les renferme
H et les
achève en un commencement
iiiii n illimité.
n J’appelle Dieu le mouvement
II

de Sa frontière et le naufrage en l’absolu d’un seuil béant sur l’indivis.


J’appelle Dieu ce qui me n légitime
n en la dérive des puissances.

314
F. Dieuse dénomme iiiii le divin qui signifie, mais
n le divin que signifie-
t-il en tant que soi ? Dieu semble une manière
n de prétexte au tré­
fonds de l’immotivé. D’abord était le Verbe et l’un se lie à l’autre
à raison de leur avenue, où le divin ne saurait commencer — et
fût-ce en partant de sa propre essence — : il fallait donc, en opposi­
tion avec le milieu
if sans limites,
II que le divin se traduisît à force de se
limiter. Le Verbe est l’involution et le consentement H de la rupture.

XVI. De la création Création se nomme la dérive où Dieu se


voulut engagé pour aboutir à Soi, venaut
de Soi et par le canal de Soi-même.
ii Mon âme enfante le Seigneur
à l’univers et rentre dans le sein de qui lui devant la naissance était
son père, avant que toute chose fût. Or, la sagesse est un balancement
n

qui porte le mobile


H au sein de l’immobile
if et veut emplir le mouvant
de pérennités, et d’absolus tout l’ineffablement subtil, le sage l’œil
que la divinité promène
il sur le monde
ri et qui le voit comme elle l’en­
visage, associé de la création perpétuelle.

XVII. Annales du divin Que pour se réfléchir il faut que l’absolu


se rompe et, qu’en l’absence de rupture,
il n’est loisible qu’il se pose, étant indivisiblement if à ce qu’il est,
une manière
il de Tout clos et malgré
il son infinitude, une manière d’im if ­

puissance en dépit de sa majesté, le sujet de cohésion parfaite en


l’homogène
ii irréfragable ou mieux
ii : le sujet impossible, du moment if

qu’il n’est rien qui doive subsister devant sa face. Dieu s’est connu,
prenant appui sur la divine intelligence et Dieu s’est retiré de Lui,
créant l’espace-temps, abîme qu’il appelle au devenir et qu’il sou­
tient en conséquence d’une loi dont nos lois naturelles se dérivent,
Dieu s’est connu par l’univers, l’objet qui Lui résiste et qu’il pénètre
incessamment, l’objet qui Le défie et qui Le blesse même, n n un objet
transitoire et toutefois doué de qualités suréminentes,
ii dont l’homme if

est le sommet
iiiii visible et l’homme,
iiiii ayant la liberté du mal,
n a bravé
le Seigneur et lutté, magnanime,
n avec Son Ange : en l’homme, n. Dieu
suscite un autre Dieu, quand l’humain n Le découvre, et le Seigneur,
absent du monde, a pris ce monde if pourjasile et l’âme
fi pour Sa fin
dernière.

XVIII. De la cause à l’objet Pour être personnel fallait-il pas que


Dieu mourût ? Et faut-il pas qu’il
meure
ii et qu’il remeure en permanence
ii ? Car l’absolu ne saurait
être et l’être implique en même temps
ii naissance et fin. Or, Dieu

315
se rendit personnel en l’homme, en l’homme IIIII II devient ce qu’il
est et c’est par lui qu’il en reçoit l’intelligence, l’hommen est le vase
du Logos et le Logos est Dieu réfléchissant l’abîme, n Dieu rentre en
le Logos et le Logos habite l’homme,II agonisant en lui, mais
n l’homme
énamouré de Dieu Le fait objet de son instance et Lui retourne les
faveurs reçues. Ainsi l’infime participe du suprême II et Le connaît,
de même
n n qu’il en est indiscernablement
II connu.

n tremendu
XIX. Mysterium n n L’horreur men semble
ir l’un des attri­
buts de la divinité, le fonds sur
quoi les bontés se détachent et les grandeurs s’établissent ; le moyen
qui nous rend plus désirable la suavité, plus tutélaire le pardon et
plus majestueux
ii le règne. Que serait Dieu pour tous les misérables,
s’ils n’avaient à trembler
II devant la face ? En aimantn Dieu, nous
parvenons à Le connaître — dans la mesure
n des moyens qui nous
sont propres —, mais nous Le redoutons aussi, non pas à cause de
Lui-même
n ou moins à cause de Lui-même n que de nous. En ne
L’aimant
n plus ou ne Le sachant aimer,
n les rapports cessent et l’hor-
reur est seule à nous n arquer une présence inavouable.

XX. Gratuité de Dieu Dieu n’est pas nécessaire et nul ne prouve


qu’il existe, où l’univers témoigne contre
Lui par le canal de l’évidence ; Dieu n’est pas nécessaire et, s’il
n’est que probable, un homme n’en relève plus, mais qui L’impose
à l’adoration des foules Le trahit et qui L’oublie se condamne n ;
Dieu n’est pas nécessaire et nous devons Le conquérir sur le néant
du monde,
if Le disputer — et chaque jour — à notre acquiescence
et rendre absurde le réel qui Le rend impossible ; Dieu n’est pas
nécessaire et, s’il l’était, la foi n’aurait plus de mérite
n et la vertu se
ferait raisonnable, maisn Dieu demeure l’aventure et l’océan ouvert
que dissimulent
ii les ténèbres, et jamais
n II ne se déclare où nous nous
ingénions à L’entendre ; Dieu n’est pas nécessaire et nous ne pouvons
que L’aimer,
u Le redouter et Le servir : le demeurant
n est une illusion
ou la jactance la plus téméraire et Dieu ne se partage aucunement rr

à l’hommeri si l’homme se le persuade et parvient à se fasciner, car


l’homme est seul et la présence du Seigneur emplit la solitude, mais
d’un esseulement qui passe toute imagination.
n C?est pour cela que
Dieu se manifeste
n dans l’horreur et dans le tremblement,
n et c’est
à quoi nous Le pouvons connaître, Dieu se surajoutant à l’effroi
de ce monde — moins, semble-t-il, pour en poser les fondements ii

que pour étendre à l’infini les éléments de sa gratuité, dans la con-

316
fusion des buts et des mobiles
n —. Il n’est pas naturel de croire en
Dieu, pas même
n raisonnable et qui s’engage en cette voie y laissera
la vie, à moins que Dieu ne le possède et change pour lui seul les
apparences du visible, en une révolution totale où l’univers s’achève
et la nature enfante qui l’a foudroyée. !

XXI. Réalité de Dieu Dieu seulest ce qu’il est. Nous sommes ce


que nous croyons avoir été, ce que nous
devenons et ce qui nous implique en nous légitimant,
n une manière
n

de présence végétante, un entrecoupement de vagues et de rais,


un intervalle de mesure,
n une commotion
lllll appesantie et toujours
veuve de ses plénitudes. Dieu seul renfermeII tout ce qu’il dépasse
en débordant Son au-delà, quand nous cessons de nous appartenir
à forcer nos limites
n ; Il s’accompagne où nous nous délaissons,
mais
II ne s’étend, Lui qui se touche en Son entier dans chaque
emplacement,
H II que chaque point embrasse et que l’espace ne sau­
rait enceindre.

XXII. Antinomies La bonté du Seigneur émeut rr délicieusement


il

au prix de Sa puissance et le courroux divin


est d’autant plus terrible qu’il nous aime.
II Il faut que Dieu nous
semble infiniment
n lointain et dans le fort de l’immanence,
lllll de même
n n

qu’il nous sied de Le tenir proche incroyablementII quand II s’est


dérobé. Nous demeurons
n ainsi plus dignes de L’avoir et plus fidèles
à ne L’avoir pas, fuyant devant qui nous habite et sollicitant qui
nous fuit.

XXIII. Les seules Tel est le train de l’univers que pour un


preuves à l’appui homme qui se sauve, il en est mille n qui se
perdent et sans plus tarder, et la relation
nous est de conséquence : un monde où règne soit la liberté du mal, H
soit la nécessité la plus aveuglément
n cruelle est un abîme n d’abandon
et l’œuvre de l’absurde, il n’a point de raison valable, il est un rocher
de scandale et son auteur le père des démons — s’il en existe — ou
quelque monstrueux enchaînement H de forces. Dans tout cela, dans
tout cet univers de branles et de masses,
II parmi
II ces foules d’hommes
n

frénétiques ou lugubres, dont le néant fait nombre II et tache d’huile,


on ne sait d’autre consolation que l’âme II de nos saints, leur vie et
leur modèle,
n et ne voit d’autre preuve à l’appui même II If du divin que
l’immolation et l’espérance.

317
XXIV. Séquelles de Déifier le monde même II II ou la nécessité qui
la transcendance le régit, en la diversité de sa dénomination,
est la croyance la plus dommageable et Fart
de ruiner l’éthique en fondant du plus haut sur elle, mais II on ne la
menace
Il guère moins en remontant à l’indivis d’où le plérome II émane
II

et, si Dieu cesse d’être une personne et qu’il demeure il infiniment II

impartageable, il est de fait que l’homme II n’a pas à Le recevoir.


Dieu nous secourt, mais il le divin ne sauve pas et nous ne devons rien
à qui ne nous assiste. Imaginer II un Dieu que l’on recule en l’au delà
de tous les éléments II qui servent à Le définir semble un moyen de
se passer de Lui. Tout rassemblé, qu’avons-nous l’obligation d’at­
tendre de qui n’est rien au-regard de nous-mêmes, II II rien face à l’uni­
vers et rien dans l’absolu qu’il enveloppe et dont II ne veut émerger II ?
L’aimerII alors nous mettrait II au-dessus de l’objet de dilection. Il
se peut bien que telle soit la vérité fondamentale 14 et que le reste
suive de nos arguments II ; il se peut bien que l’homme — à solliciter
un appui hors de son être — s’abuse favorablement II et se dédouble
sans l’entendre, en devenant ce qu’il n’est pas — à dessein de s’y
mieux
II ancrer — ; il se peut bien que la divinité ne soit que l’inter­
valle entre le naturel et l’âme II différenciée, où nos penchants n’y
peuvent raisonnablement II atteindre ; il se peut bien que l’homme ait
lieu d’embrasser l’œcumène avant d’entrer dans les réduits de son
mystère
II propre et qu’il lui faille divaguer pour se gagner sur l’uni­
vers, maisII il n’empêche
II qu’un Dieu personnel le rende à son huma It ­
nité ! L’y rende et l’établisse en la plus ferme des assiettes, le fasse
consentir à l’infortune et lui délègue les moyens de s’en défendre,
l’emplisse d’une résignation mêlée II à la vaillance et d’une fortitude
sans immodestie. — A quels travers l’humain II ne se dévoue-t-il pas
avec un Dieu ni manifeste II ni communicable ! A quels désordres
n’est-il pas sujet, à se Le retrancher sous l’ombre de Le mieux servir,
à L’éloigner et toujours davantage et sous couleur de Lui porter un
augment d’adoration, jusqu’à ce qu’il L’anéantisse ? — La majesté
divine ne souffre pas que l’on se joue à la suréminence de l’arcane:
or, s’il est téméraire
II de braver son Maître en un commerce II familier
II où
la divinité se prostitue et l’homme se ravale, il l’est aussi d’exclure les
empressements
II de l’un et les faveurs de l’autre et de les confiner
dans une désolation où la divinité s’ignore et l’homme se tourmente. II

XXV. Nécessité de l’homme Ce n’est pas nous qui voyons toute


chose en Dieu, mais
n II a pris l’oc­
casion d’envisager le monde et commisiiiii nos puissances à le rendre
intelligible. L’homnle
mu est le truchement
il de connaissance, le véhicule

318
d’analyse, le moyen terme Il de l’événement
II et le symbole de la cause ;
en l’homme
rn n Dieu promène Ses regards sur l’œuvre, Il la savoure et
la subit, Il se rend juge et vient à se communiquer
u à Son acquiescence,
Il met
H le siège devant le réel et tente l’évidence en un duel suprêmeII

où le visible se déborde et la création vacille involuée.

XXVI. Merveille de l’humain


II L’impersonnel est-il doué d’intel­
ligence et se peut-il qu’il réflé­
chisse ? Et s’il en est capable, à quoi rapporte-t-il le fruit de ses
idées ? Saura-t-il seulementII qu’il pense et même
n n s’il le fait de manière
n

admirable ? Les automates valent mieux n que nous et les machines


n

ne s’abusent point, mais


II ils ne sont pas libres, nous les déterminons,
n

ils servent en silence jet n’auront jamais le loisir de spéculer, où


l’homme a le pouvoir de méditerII au delà de ses bornes. Si la machine
II

de cet univers n’est qu’un enchaînement II aveugle, l’un d’entre nous


balance tout le poids de son empire et, s’il existe un Dieu, que Lui
sert-il de régner sur des mondes u implacables ? Le moindre sage en
la retraite est plus majestueux
n que l’esprit remuant
II les sphères,
parce qu’il aime
n sans loyer qui, l’appelant à vivre, ignore tout de
sa dilection, et meurt
ir entier sans une clameur II de reproche.

XXVII. Débat sur l’éminence


II A dire que Dieu s’obéit et fût-ce
et sur l’obéissance librement,
II où s’honorant par la
sagesse de Ses voies, Il fait les
monstres
II et permet
111 le crime,II où l’univers — en conséquence des lois
naturelles — est à la démesure et les désordres impunis, à dire tout
cela, plus qu’il ne peut se démentirII Lui-même
II et ne saurait manquer
à l’ordre nécessaire des perfections divines, à dire tout cela, on laisse
entendre d’une part qu’il est des gouvernants mortels plus justes
et plus magnanimes
II que leur Maître et, puis, que le Seigneur est
en la dépendance d’une Loi Suprême, n établie au-dessus de Dieu ! —
— Les défenseurs de l’argument n que nous plaçons en tête af­
firment
II que le monde
II est le meilleur possible et nonobstant ce qui
le défigure, ils parlent d’ombres au tableau — qui donnent de la
force et du relief pour mettre II l’éminence
II dans son jour —, ils se
retranchent volontiers derrière la simplicité des voies qu’ils jugent
admirablement II liées, ils en déplorent les effets pernicieux ou domma­
geables, mais nous assertent qu’à les enrayer Dieu changerait le
caractère de Ses attributs : il faut — prétendent-ils — que l’univers
L’exalte par son excellence et que ses voies L’honorent par leur
majesté,
II pour ainsi dire, œcuménique II : le Mal est une suite néces­
saire et qui dérive, à simple vue, de l’étonnant enchaînement II de ces

319
principes, car Dieu serait moins n éminent
ri s’il fallait qu’il se déjugeât
— sauf à produire les miracles, ri par où l’ensemble est surmonté. ii —
— Belle aberration et comme ri ce Dieu-là rappelle les monarques n

d’Assyrie ! Dieu ne serait alors qu’un souverain pareil à celui de


la grande pyramide Il ou des murailles de la Chine. Nous eûmes ii mieux
n

depuis et de si justes rois qu’il gagnerait à suivre leur modèle. Voilà


N. S. bien abaissé ! Le plus étrange est que vos défenseurs répugnent
à tenir la Providence impersonnelle
II ou n’osent y donner les deux
mains
II à la fois, que l’on en voit — si fort avant dans l’intérêt du
Maître, qu’ils s’ingénient à nous contenir et nous improuvent aigre­
ment
II de réformerri ce monde^ou
rr d’enchérir sur l’œuvre de création !
— Il semble qu’on renverse leurs appuis, à découvrir le détail des
lois naturelles. —
— Or, maintenant venons à l’autre sujet de la controverse, en
foi duquel Dieu n’a jamais H puissance de se démentir et se conforme II

aux mandements
rr ri qu’il établit sur nous, n’étant pas au-dessus de
la raison qu’il aime n de nécessité. —
— Cela démontre une manière n de sujétion : il en résulte, dès
l’abord, qu’il serait démiurge, n soumisII à des lois éternelles. —
— Ces lois découlent-elles de Ses volontés ? —
— En l’admettant, Il ne serait plus démiurge, II Il nous figurerait
la Loi par excellence, unique et transcendant, à jamais II séparé de
l’être, impersonnel,
II inaccessible et non pas Celui dont l’essence est
d’exister, éclairant mêmement
n n ri les méchants
II et les bons et ne se
produisant à nous, qui ne décèlerons ni le motif de Ses commande H ­
ments
II ni les raisons de Sa conduite, à nous, admis à L’adorer en
pure perte — à moins II qu’on ne L’ignore d’industrie —, à nous qu’il
tolère en ces mondes avortés, devant qu’il les annule ! —
— A dire que Dieu s’obéit et librement, II si nous tenons à la réalité
de la Présence, nous devons recourir à l’hypostase ou tomber dans
les inconvénients majeurs.
n —
— Mais affirmer n qu’il se dispense de tout ordre et qu’il réside
en l’au delà mêmen u des règles revient à L’abolir en tant qu’ordon­
nateur et c’est aller plus loin, s’il est possible, que les partisans de
l’absolue transcendance. —
— C’est donc aller à l’infondé, façon d’abîme où le divin n’est
qu’en puissance et l’horreur seule manifeste. II —
— L’on entrevoit le péril qui s’attache à de semblables spécu­
lations ! Si Dieu n’était meilleur rr que l’homme ni ii et qu’il ne fût plus
équitable, ou l’homme mu aurait plus de mérite n à persévérer dans le
Bien ou l’on aurait de très puissants motifs rr à donner cours à nos
penchants funestes. Il est expédient que Dieu soit bon, de même u n

qu’il est juste. —

320
— Il faut en outre qu’il soit personnel et cependant inaccesssible,
de peur qu’on ne s’en joue pas, qu’il enveloppe ce bas monde et lui
soit homogène, qu’il le pénètre et le dépasse. —
— Et, résidant en chaque lieu, que nul emplacement n ne Le ren­
ferme
u !—
— Qu’Il soit l’inétendue au sein de quoi notre plérome n se dilate
et qu’il devienne objet de souveraine amour, l’un portant l’autre
et l’un se connaissant par l’autre. —
— Où l’autre, s’élevant à son intelligence, le considère dans ses
voies et, faisant taire notre imagination,
n l’oblige à se produire et ne
consulte que lui-même
II II !—

XXVIII. Profession Je crois en Dieu, maisn non pas en un Dieu


de l’apprenti qui serait personnel à l’égal de moi-même II

et celui-là je le mépriserais, à moins d’en


être digne et comme pétri de lumière. II

Or, à cette heure, il m II ’est plus nécessaire de trembler


II et de me II

conseiller avec mes II épouvantements que d’aimer sans la crainte et


je ne puis Le révérer en moi, II ne Le devant chercher en moi, II peur
de ne L’y trouver ou de solliciter une idole à Sa place.
L’amour
II de Dieu me paraît un achèvement II qui ne se fonde nulle
part et n’aboutit à rien, qu’il est requis de ressentir, afin qu’il nous
transforme II et sur lequel on ne devise guère, l’amour de Dieu nous
enveloppe en l’homogène II et nous identifie avec l’impartageable,
II

état qui ne relève plus du soliloque et ne tient nullement du dialogue,


et situation que l’on ne qualifie pas en dernière analyse, mais II ordre
de réalité plus manifeste
n que le réel même
H II et, de ce chef, insinuant
lointain ou familier
u inconcevable.
L’amour de Dieu me II semble une ouverture où l’évidence s’en­
gloutit et par quoi l’univers se revêt d’insondable et se constelle
de symboles.
Je crois en Dieu sans être persuadé qu’il existe et je professe
qu’il n’est point, sauf à le devenir par l’entremise II de mon âme 11 et
c’est alors qu’il sera véritablement, II né de mesII œuvres et l’enfant
de ma
II béatitude, où je Le rends à l’incarnation, me II dérobant à
l’appel de ma II chair, car Il se fera chair où je me II veux esprit !

XXIX. Méditations sur les personnes divines

A. La mutabilité
II de ce qui nous allie excite en nous la jalousie ai­
mante
II et nous aimons en conséquence du possible, jamais
II à raison

21 321
de l’inébranlable et Dieu, pour être objet de nos dilections, doit
naître et devenir à l’égal de nous-mêmes,
fi h naître et mourir tout commeIl

l’un de nous, Il doit agoniser en permanence,


n à seule fin de nous mon­
trer la voie et nous unir à Ses divines plaies. Il faut que le Dieu
souffre et saigne, nous Le voulons pareil à notre déreliction charnelle.
Serait-il recevable de chérir un Maître inamissiblement
n n heureux et,
de ce fait, mis
II à couvert de la souffrance humaine
ir ? Et qu’en sau-
rait-Il, tout divin qu’il est, s’il ne l’éprouve en chacun de Ses fils
mortels ?

B. Si nous tenons à ce que^Dieu soit plus qu’un fantôme engageant,


il est requis d’aller au bout de Sa divinité, de l’enrichir de cela même
n n

qui Lui ferait nécessairement


n défaut s’il résidait en l’au delà de
l’existence et de l’essence, de Le multiplier
n en l’ineffable unicité,
de Le lier à nous comme à ce monde en de sanglantes épousailles.
A quoi pensons-nous de Le reculer à l’infini, de L’estimer
Tïi à jamais
ri im
n ­

muable,
n enraciné dans un bonheur surabondant, et que nous vaut
cet absolu qui nous ignore ? Autant Le méconnaître
ii !

C. Nous demandons
n que le Seigneur se communique
n à nous et, loin
de déroger à Ses splendeurs, qu’il nous en investisse et qu’il nous
déifie, nous partageant la grâce et les lumières,
n non pas à cause
de l’instance humaine,
n mais
n en vertu de Sa miséricorde.
n Que nos
mérites
n ne sont rien, avant qu’il les agrée, et nos vertus ne peuvent
Le contraindre, à moins de soumission
il filiale et de néant énamouré,
lesquels vont creusant un abysse à la mesure
H de cet océan qui nous
submerge
n inattendu.

D. Nous proposer un Dieu que nul n’atteint et qui demeure n impé­


nétrable, c’est inviter l’espèce aux latitudes criminelles,
n1 c’est vouer
l’âmen généreuse au désespoir, c’est rendre le divin inconsistant et
chimérique,
n c’est prôner un litige clos à force d’ouverture et c’est
mêler
n un aboutissement de la mystique
ri la plus relevée aux soutiens
de la vie la plus ordinaire, mélange
n criminel
n et que réprouvent les
amants
H de Dieu, la tâche de l’humain
n étant d’acquiescer à des pro­
légomènes, non d’abriter son indolence sous la loi — fût-elle la
suprême H — où l’homme
iiiii incline à différer un combat inégal : le moyen
qu’il y vienne à l’avenir, s’il s’en adjuge la victoire imaginaire
u ?

E. Le personnel et l’absolu ne semblent pas conciliables, à moins


de donner dans les hypostases, la majesté de Dieu ne souffrant
guère qu’il pâtisse et Le voulant inamissiblement
H heureux en la
sereine infinitude, au-dessus de nos passions, étranger à nos fins

322
qu’il enveloppe inabordable, en nous sans qu’il soit permis n de
L’atteindre et hors de nous sans qu’on Le doive situer, mais n in­
humain
n divinement,
n un Tout dont l’univers n’est que l’absence et
la plus solennelle généralité de l’indivis qui Le proclame. If Et tel
est Dieu, source de l’être et qui le passe, Dieu qui n’est point, dans
la rigueur des termes,
II dont l’existence se dérive et qu’elle ne ren­
ferme
II pas, car s’il vivait à l’égal de nous-mêmes,
H II l’éternité serait
au devenir, l’éternité s’abolirait, Dieu s’en irait choir dans le temps
et s’engager dans le sensible, Il se ferait personne, Il se rendrait
hunlain
II au préjudice de Sa déité, Son pouvoir infini n’étant d’aucun
usage s’il ne l’abdique pas entre des mains
II charnelles.

XXX. Débat sur les impies impie argumentant


II n’aura pas
honte de nous avancer que Dieu
lui semble
II indigne, s’il est personnel et, s’il ne l’est pas, lettre morte
II

ou prestige inutile. —
— Que s’il est personnel, Il nous annonce le sujet par excellence
et, s’il l’avoue, il faut bien qu’il se détermine. —
— Mais, à se définir, des rapports s’établissent et ces relations
Lui marquent
II des limites
n ! S’il est borné, Dieu n’est pas infini ;
s’il n’est pas infini, Son être est contenu dans un domaine n et ce
domaine L’enfermant ir Le passe, et ce domaine est la raison qui
Le fait manifeste. —
— Dieu ne serait alors qu’un phénomène à la surface du divin,
mais
n le divin n’a pas à nous connaître, de mode rr que l’humain, seul
ici bas, ne Lui doit rien et n’a plus à Le consulter ! —
— A d’autres affirmant n que Dieu se délimiten au moyen d’un
retrait et que Son infini vient battre l’univers enveloppé de toute
part, de sorte qu’il aurait deux faces — l’une au dehors, imper n ­
sonnelle et sans frontière, puis la seconde, assujettie à l’œuvre
librement et s’engageant dans le sensible, en état même il II de souffrir
— l’impie
n dira qu’il est impuissant
n et qu’il se raille d’un tel maître,
dont l’éminence ne le touche pas et l’évidence ne peut rien, que
l’homme
iiiii Le vaut sans conteste et Le balance avantageusement, n
quand ils s’opposent face à face et, que si Dieu l’emporte ailleurs,
cela ne nous regarde plus, n’ayant pas la ressource de nous affecter. —
— Et que répondre ? A quoi nous attacher ? Nos explications
sont-elles pas forcées, nos adjurations risibles et les plus saints
empressements
n n des armes infidèles ? —
— Il ne nous reste qu’à prêcher d’exemple, n afin que s’il dédaigne
nos raisons, l’impie ait à se louer des vertus qu’elles engendrent. —
— Là nous prenons de l’avantage et pouvons l’étonner. —

323
— Le piquer même
n ri et l’engager à ne nous refuser pas son estime. Il

Alors l’impie
il fera place à Dieu, qu’il y consente ou non. S’il est le
maître,
II il nous devra la domination paisible et, dans les conjonctures
décisives, des appuis singuliers et qui ne se démentent H pas. S’il
est le serviteur et qu’il nous doive obéissance, une assistance pré­
venante et le discernement II dans la justice. Il nous plaisantera,
l’impie,
n mais
n s’il est vrai qu’il s’aime,
II il n’aura garde de nous inciter
au changementn qui le menace.
II —
— Et, malgré
n lui, le voilà dans les intérêts de la meilleure
H cause ! —

XXXI. Prière du Père emmuré


lilli dans les ténèbres, giron de mes
désespéré fidèle oublis futurs, somme
II des temps
II et néant de
l’issue, Vous dont la volonté n’enferme II que
l’absence et dont le règne est un avènementII qui jamais
II ne s’achève
et n’aboutit qu’à sa promesse,
Ne meil rendez à Vous, devant que je me il perde et me II donnez tout
ce que je ne puis avoir,
Punissez-moi
il de Vous rester fidèle et comblez de faveurs ceux qui
Vous nient,
Tentez les faibles et ne libérez que ceux qui savent s’affranchir
d’eux-mêmes
H et de Vous. Amen. il

XXXII. Conduites à tenir II n’est pas bon que l’homme se voit


agissant, qu’il se mesure à l’effort
n ême
n qu’il déploie, qu’il envisage l’accomplissement
ri u au regard de
l’éternité, qu’il en raisonne plus avant, mais
ii il est bon qu’il tremble
il

en espérant et qu’il espère en ne laissant d’agir, vu que l’éternité


s’affirme
II au jour le jour et s’abolit sans trêve, et qu’il est ici-bas
le fondement de l’éternel.

XXXIII. Du mysticisme
n II II est requis de tout envisager en par-
et des méthodes
n tant de Dieu même
n ii et voir ce qu’il
eût vu d’une manière
n indubitable, mais
il nous faut Le joindre et Lui quitter la place. Il n’est pas philosophe
qui porte ses regards sur l’univers entier, en négligeant la source,
à la lumière
n de laquelle il est admis à le connaître, et n’y veut aboutir
avant de s’employer
n à la recherche. Il s’agit moins
II de contempler
II

notre évidence en Dieu que de l’édifier une seconde fois et remonter


le cours des divins acheminements,
II où tout est issue est l’homogène
n
du principe et l’univers émane de l’idée en ce qu’elle a de terminalii

et d’absolu.

324
XXXIV. La connaissance de l’humain
ti

A. Est-il en ma puissance de me tt recevoir tel que je suis, quand je ne


sais quel je dois être ? M’est-il loisible de parler de moi,
n quand l’ap­
parence que j’assume il est le rempart de ma caducité ? Faut-il que
II ’égare en des biais et des postures, que je travaille à m
je m n ’éclaircir

de mon déguisement II et prête aucune fois mon


ü entremise
ri à me dés­
avouer comme à plaisir ? Qui me fera sortir de la confusion où les
penchants m il ’entraînent ? On voit d’ici que Dieu m il ’est nécessaire

et qu’on Le pose afin de s’ordonner à l’entour du principe et d’un


achèvement
il ensemble confondus au plus profond de nous, en même n n

temps que hors de nos atteintes.

B. Le propre des figures est qu’elles s’enfoncent dans les limbes n

d’où l’entendement
u surgit et qu’il en sort tout pénétré. Le fondement
n

de l’homme
iiiii est piperie et l’on ne sait au juste où reposer la tête et
passe le plus clair à mettre
il le chaos en abrégé. Je ne suis rien, si
je ne tends vers moi ; je ne suis moi,
H quand je ne le dépasse et l’on
ne passe rien le jour qu’on ne se perd de vue. Dieu me H paraît l’ai­
mant
il qui nous retire de la gangue, afin de nous restituer à l’œuvre
que nous sommes.

C. Dieu ne me n tire jamais


il de supplice et le pouvoir du Maître ne
saurait mn ’avantager : Il fait bien plus, Il me
il retire de moi-même et
prend ma
n place, afin de rompre les étaux de l’univers, Il violente le
sensible au travers de mon œil et transfigure tout ce que je vois au
lieu de muer la semblance, Il laisse le monde inchangé, mais I] me H

change en même
n u1 temps que ma
il réalité possible.

D. En l’homme,
iiiii le semblance
H joue au détriment
il de ce qu’il est et
modifie ce qu’il représente ; en l’homme, l’apparence descend dans
les profondeurs et l’être, mainte fois, se moule
H sur l’image
II et la plus
fausse. Le propre de l’humain
H est qu’il ne se possède guère, à moins
qu’il ne se désavoue et qu’on ne se renonce impunément qu’en Dieu.

E. Tout me destine au devenir, Dieu seul me


H range à l’aboutissement
de nos identités, mais
n l’assurance ne me vaut que si j’en tremble.
Dieu mn ’établit en charge au seuil où je me
n destitue et se prodigue
où véhément je me n refuse.

F. L’essence est le refuge de l’entendement et sans lequel il flotte


de puissances en puissances. Par elle, il pose l’absolu dont il ne se

325
divise point et qu’il étend à l’univers ; par elle, il se mesure
ii et fonde
inébranlablement
H tout ce qu’il évalue. L’essence est l’hymnen souve­
rain, le nœud de l’indivis et son attache dans le monde.

XXXV. La volonté de
I croire Si Dieu tombait sous l’évidence, il
est bien assuré que notre foi ne
serait plus de nul usage, où la créance est fondement
II de la créance
et l’univers n’a de support qu’en une volonté se voulant éternelle
et devenant tout ce qu’elle est. La foi ne se soutient jamais
il par
ce qui l’avantage ou la déjnontre, et l’évidence du Seigneur n’est
à ses yeux que l’objet de ses fins et non pas leur mobile.

XXXVI. Débat i. sur Vouloir ce que Dieu veut ! Vit-on jamais H

le consentement
n semblable piperie ? Et quelle impertinence !
On dirait qu’il n’exerce qu’un domaine sou­
verain, à la manière
n de nos princes. Dieu veut que tel naisse bossu,
tel nègre et tel destitué de tout secours, parce qu’il aime ü tout le
monde
il d’un amour
n égal. Mensonge que cela ! Ou Dieu ne veut ou
Dieu ne peut, mais
n l’ordre de cet univers n’est qu’abomination ma il ­
nifeste et, s’il n’est pas entièrement il affreux, nous le devons à
l’homme. —
— Dieu ne nous force nullement n à consentir, mais
il II nous rend
l’aveu plus doux ou l’agrément n plus malaisé,
u de mode que les avan­
tages ou traverses nous préviennent ou nous déconcertent. L’amour
de l’ordre, en la substance la plus relevée, est à la fois ce qu’il nous
semble et ce qu’il ne démontre
H pas ; il est une inclination valable
et sa limite,
n nonobstant, parce que Dieu le passe de fort loin et qu’en
n’aimant
n que l’ordre, on fait de l’éminence
ii une manière
u de traverse
et se divise d’avec Dieu. Il est requis de chérir l’ordre, à raison des
vertus qu’il enveloppe, jamais il en tant qu’idole et le péril suprême il

est de se cacher Dieu sous l’attribut Le rendant perceptible. Dieu


ne réside pas en ce qui légitime ü' notre sentiment
H à Son égard, Il
n’est jamais
n où nous Le situons et nous ne parvenons à Le fixer, le
nom n qui Le désigne est celui qui Le dénature ou nous Le dissimule, n

et ce qui nous rapproche de Ses fins nous ôte nécessairement u l’intel­


ligence du principe. —
— Dieu ne saurait vouloir que ce qu’il est et, ce qu’il peut,
Il ne le peut qu’à travers nous. —
— Dieu ne s’allie à rien qu’il ne foudroie. Pour que Dieu vive, il
est expédient que l’homme lllll meure. On ne s’abouche pas avec son
Maître en prévision de faveurs, le Maître ne se communique à rien,

326
ti ais II déborde tout ce qui L’enferme II et chaque vide L’ a sollicité,
chaque désert L’appelle et chaque abîme Le reflète. —
— Les saints ne nous conviennent pas et leurs vertus ne valent
que pour eux. Toujours soumis n en apparence, ils semblent
II bien les
plus séditieux d’entre les hommes, ni n et leur respect est un défi
par quoi nous jugeons raisonnablement n qu’ils se surmontent
II ! De
ce qui paraît une fin, ils constituent une épreuve et nos plus solen­
nelles lois ne sont pour eux que des prétextes à dépassement II ou
simples
II jeux dont le gagnant se désavoue. —
— Dieu m II ’innocente où je me II perds. —
— Mais vous ne l’êtes pas en droit de l’exiger des autres. Vous
II enacez l’état, vous minezII la patrie et ce consentement II déplace
l’appareil de l’ordre. Dieu vous commande d’obéir. —
— Je cède. —
— Mais avec quel dédain ! Vous indisposez tout le monde II et vous
vous dérobez sous l’ombre de nous mieux II servir : un je ne sais quoi
nous échappe. —
— L’état conserve la patrie et n’a point d’autre usage, et la
patrie est le cloisonnement II formel dont les limites H nous engendrent,
mais
II notre fin réside en notre liberté que la patrie a charge de nous
garantir en payement II de nos offices. Que si l’état nous foule outre
mesure et nous fait préférer la mort II à l’épouvante d’y languir, il
perd ses droits touchant notre personne et nous rend libres de le
subvertir, au nom de la patrie même. n n —
— Horreur ! Qu’entends-je ? —
— Et si Dieu revenait au monde II et nous faisait commandement
d’aller à tous les peuples, notre cité charnelle ne serait plus rien et
tomberait
II de nous comme II une pierre, et l’homme II resterait avec le
Maître seul et face à face en le désert du règne. —

XXXVII. Préliminaires
il sur le mysticisme
II H

A. L’éternité ne se peut concevoir en partant de la vie ou de la


mort,
11.1 à cause qu’elle les renferme
IT et les dépasse. Vie éternelle est
ce qu’on nomme une figure et dissimule
n ce qu’elle promet. Au rebours
de la vie, l’éternité ne participe pas au devenir et chaque devenir
en délimite un nombre incalculable. Qui ne possède l’éternel de son
vivant ne saurait aller à l’éternité.

B. Dieu ne se manifeste
II pas à découvert et le petit que l’on en voit
n’est qu’ombre de semblance et moins que rien au prix de Sa divinité,
mais
II dans ce rien le Maître est ce qu’il est en toute Sa puissance.

327
C. Dieu ne vous doit que ce qu’on Lui décerne, Il ne s’abaisse point
à rendre la justice et c’est par nous qu’il s’intronise en nous et pour
chacun de nous : il ne convient pas de Lui demander
Il loyer, franchise
ou rétablissement, mais
II qu’il nous change à ce qu’il est, afin que
les dénis ne nous atteignent pas. S’il n’est loisible d’éviter l’injuste,
il faut que l’âme tende à l’éminence
n où l’on reçoit également
II le
meilleur
II et le pire, et loin des malheureux
n perdus en l’ombre et qui
se heurtent à nos pieds. La joie est l’union dans l’absolu de l’absolu
par l’absolu, et plénitude en l’indivis.

D. En allant devers Dieu, nous cessons d’être en ne cessant de l’être


et devenons ce que nous sommes dans le devenir, en demeurant
II ce
que nous devenons. Nous sommes
IIIII nous et hors de toute chose, et
n ême
n hors de nous en tant que nous, et ne touchons Celui vers qui
nous nous mouvons et dont l’essence veut qu’on ne L’atteigne
pas.

XXXVIII. Les nuits de l’âme


n Mieux vaut désespérer que s’abêtir.
En l’âme,n le dégoût semble ouvrir
les abîmes, il creuse et ne s’arrête pas, il nous travaille et nous emplit
de solitudes, nous nous élargissons, nous devenons un monde, un
monde qui n’a point de maître
n et nous rejette de ses fins. Les désen­
chantements,
n assidus enragés, la meute
n des morosités et la mélan
•i' ­
colie sans mobile ont le pouvoir de rendre l’homme n à ce qui le dénoue
et de le lancer au milieu
n de toutes les périphéries qui semblent
reculer à son approche. Mieux vaut désespérer que s’abêtir, afin
que le Seigneur en nous se meuven au large et dans Sa majesté. Il
est louable de chérir son Dieu d’une amour ri de désespérance et qui
nous la refuse ou l’interdit n’a point connu le Maître et n’est pas
digne de Le recevoir.

XXXIX. De l’horreur tutélaire Quand il va toucher Dieu,


l’homme a — d’un mouvement
n n

— sondé l’abîme et marqué la brisure, il est saisi d’une épouvante


sans égale et ne se tient pas même il en assurance de survivre auprès
de qui l’a motivé. Pour une fois première, il connaît l’attribut d’hor­
reur où le divin se plaît et dont il ressent la tutelle et, désormais,u

il ne l’oublie pas, mais


n sa blessure a fourni caution malgrén lui-
n ême
n et, s’il est mutilé,
u c’est qu’il était de trop où Dieu le foule et le
possède.

328
XL. Phénoménologie de l’amour divin

A. Qui nous éloigne du Seigneur nous dévoue à la solitude et pré­


cipite notre abaissement,
n qui nous Le communique d’affilée et nous
Le range trop ouvertementn en atténue l’éminence
h et nous fait mé
ii ­
priser tout bas ce qu’on ne se flattait d’atteindre. L’éloignement n

suprême
u et le commerce le plus familier se doivent joindre et Dieu
ne cesser d’être à nos côtés où nous ne Le sentons plus guère au monde,
n

à nos côtés et voire au fin de la plus fine pointe et, nonobstant,


couvert, impénétrable et souverain.

B. Le naturel nous pousse à dédaigner le consentant et l’accessible,


à rejeter qui se dérobe et fuir éperdument
n qui ne se laisse surmonter.
A nous dépeindre le Seigneur sous la figure de la seule majesté, nous
en venons à nous passer de Lui, vu qu’il s’élève tant de fois par­
dessus l’appareil des lois et des formules
n qu’il semble les anéantir.
A nous montrer
ii un Dieu facile et trop soumis à la raison du jour,
on roule sur un faux principe et s’autorise d’une étrange liberté.
N. S. a l’admirable de nous enfermer n et de se renfermern en nous,
barrant l’issue et nous frayant passage.

C. Que si l’humain
ii n’oscille des rébellions qu’à l’assoupissement,
n

voulant trembler au sein de la bonace et s’affermir n au fort de la


tempête, aimant
n ce qu’il redoute de chérir et se prenant de goût
pour ce qui le délaisse en ne l’abandonnant jamais
n : à quel dessein
nous rendez-vous un Dieu plus simple que nous-mêmes n ii ?

D. En voulant Dieu, nous ne pouvons L’atteindre et nous ne Le


touchons pas davantage en ne Le voulant point, à moins qu’il ne
nous violente. L’on aime
if Dieu, parce qu’on doit L’aimer et Dieu nous
chérit de la même
if ii sorte et sans motif apparemment
iiiii valable — qui
ne serait qu’indigne de Sa majesté —. La déité ne saurait être juste
au sens entièrement humain,
n. vu qu’elle le dépasse et n’envisage que
le tout de l’absolue ampleur, où l’homme mu n’a jamais capacité de
suivre. De Dieu nous recevons ce dont nous sommes susceptibles,
mais
ii II échappe, quant au reste, à l’âme la plus avancée.

E. De chérir le bonheur en l’éminence à révérer le Maître, il est


commen un abîme
n infranchissable, si tant est que le Maître ne l’em­
plisse, et des vertus au souverain principe les légitimant,
n une abon­
dance de traverses incroyables. De la divine cause à l’effet immanent,
iiiii

nous décelons un ordre double où se conj oignent le plus proche et


le plus éloigné, mais
n jamais en dehors de leur principe. Il en est

329
autrement
n touchant l’effet dit transitoire, lequel est une chute et
dont l’issue est à l’abysse. Or l’homme
iiiii paraît transitoire et l’imma­
nence, échantillon de la faveur divine, une promesse n de réalité.
Donc l’homme participe du réel en la mesuren que Dieu l’investit
et l’en affecte.

XLI. De l’union Le don parfait se perpétue sur les cimes. n Il n’y


a jamais
n apparence qu’il le faille situer en deçà
de l’achèvement
n et qui le place ailleurs le corrompt dans la source.
Pour que le Maître daigne se changer à nous, il est requis de n’être
pas, si l’on ne tremble d’opposer une traverse à qui ne hante que
les solitudes pures. Une âmen se tenant en le milieu
n n’est pas de celles
que le Seigneur prise et qui se gagne de la sorte est l’opposé même n

de Dieu. Dieu goûte mal ri nos enracinements,


n fût-ce au plus haut de
la sagesse, et tout nous désunit d’avec Sa déité, quand nous ne
l’immolons de conseil pris. Il convient de se disputer au monde et
de se gouverner en dépit de nos inclinations, et c’est une nécessité
que de s’astreindre, mais
n il ne suffit guère d’aimer
ii n sa perfection en
tant que telle et de ne viser qu’à l’accroître, il faut en consommer H et
le motif et la substance : on ne raffine jamaisn trop sur la matière.
II

Le don parfait se surajoute à ce dépouillement n et semble le sceller


par une issue ouverte.

XLII. La Trinité Que Dieu n’est point le sujet de Ses lois et


qu’elles ne L’obligent guère, où L’opposer aux
lois me
II semble
II une insolence et n’ôte jamais
n l’équivoque : il paraît
bien alors que l’on ne souffre un Dieu que pour Le faire dépendant.
Dieu ne nous sert de rien, si tant est que Ses lois nous règlent et
forcent le consentement II de Sa divinité, mais n supposer un Dieu
décidément
n exempt
II de Ses rescrits nous prouve qu’il les tient
fragiles. Dans l’un ou l’autre cas, nous n’y devons que perdre.
Aussi les rationnels cultivent-ils le respect de la Loi qu’ils mettent
par-dessus l’Auteur et les mystiques
II tendent-ils à se défaire de tout
l’ordre, à seule fin d’en aimer II davantage qui l’a suscité. Le moyen
de tourner l’obstacle est de se dire que le Maître est susceptible
d’une libre obéissance et qu’il demeure
II soumis
II à Soi-même
II II en voulant
ce qu’il veut, d’où le besoin de Le multiplier,
II qui rend la Trinité
si nécessaire. Le Fils me n paraît de la sorte une personne destinée
à ramener
n les fins à l’origine, en restituant l’œuvre à la suprême n

cause, et l’Esprit véhicule entre le Fils et l’infondé ; la Création,

330
l’aventure où Dieu s’éprouve en se manifestant
n et se regagne à
travers Ses partages ; la vie, un branle de bataille en quoi l’homme
iiiii

se pousse et le divin se joue ; la mort, la rançon de l’ajustement.


n

La condition de l’humain
h se définit par cela même
n n qui devait l’ex­
clure et se motive plus valablement
n par ce qui l’abolit.

XLIII. L’inconcevable Qu’ilsemble


H téméraire
II d’affecter son Dieu
et le sensible de passions humaines,
11 d’amour ou d’ire
ou de miséricorde et même ti n de bonté ;
qu’il n’est pas moins plaisant de Le tenir barbu, vêtu de pourpre et
la couronne en tête : ce sont là les écarts de notre fantaisie, mais n

nous ne pouvons rien sans elle et revenons la consulter, il est bien


assuré qu’elle voit loin'et nous encore davantage à lui monter
n

sur les épaules —, mais c’est à charge de nous renfermer ri dans les
limites
n de l’humain
n — que l’on ne passe jamais
n sans y perdre —
et d’obliger le monde à résider en elles. Il était nécessaire que le
Maître eût à fléchir sous notre loi, pour nous sauver dans notre
même
n humanité charnelle, déifiant tout l’homme iiiii et faisant Dieu
passible où son abîme se rend plénitude en nous. Avant N. S. les
philosophes libertins se plaisaient à nous mettre en l’embarras n le
plus insoutenable et nul ne se tirait du différend qui n’y prenait
un ridicule aux yeux de l’adversaire : et, véritablement, u quoi de
plus indécent qu’une divinité sujette à la fureur ou se vengeant
de l’homme
iiiii ? distribuant les récompenses et les peines ? adminis­
trant la terre et conduisant les peuples ? Cela s’accorde-t-il à l’har­
monie inébranlable et voit-on pas des souverains mortels H qui nous
la rendent mieux
n et font un personnage plus édifiant ? Quel est
ce Dieu maln endurant, mal engagé dans le sensible, fléau des justes
impuissants et la ressource des habiles ? Qu’on L’abandonne (disent-
ils) à la béatitude où Son débordement conspire à Le fixer. Et
qu’ajouter à l’absolu ? — Or, N. S. tranche le débat et réunit ce
qui ne souffre de commerce, Il l’amalgame n et le cimente
n où l’homme,
ni it

entrant dans le mystère, éprouve humainement


n n l’inconcevable et
ressent plus divinementii l’humain !

XLIV. Aphorismes sur J. C.

A. Qui prônent un attachement H au seul impérissable


n ignorent tout
du naturel et jamais
n l’homme
IIIII n’agira d’après leurs vues imaginaires.
n

On ne se prend d’amour que pour l’objet que l’univers menace n et


l’on se dédommage
uni de l’alarme n en un surcroît de voluptés que l’as-

331
surance ferait impossibles. Ailleurs, l’on aime froidement
H et l’amant
Il

de l’idée est d’un sublime puéril. C’est la raison impérative en faveur


de Jésus et de l’humanité
n du Maître, laquelle a rendu le Suprême H

aimable
n en l’affectant de nos fragilités charnelles et, par Jésus,
nous tremblons
n pour le Dieu, le Dieu qui nous méprise
n et que nous
rebutons, sauf à Le craindre, maisn qui, dans Jésus même,
n n a fixé
nos penchants à mériter
n nos larmes.
n Merveille de Jésus !

B. Le moyen
n de chérir la déité des philosophes ? Le moyen de
trembler
H pour elle ? On la révère par état, on l’adore en silence, on
la contemple
n du plus loin^ dans le déroulement
n de ses prestiges,
elle est la Loi qui semble présider aux constellations de la matière
n

et le Bien Souverain, un Tout enveloppant ce monde, mais ii il faut


davantage à l’homme ! Il clame n une présence et la voudra perpé­
tuelle et sujette à mourir,
ni une réalité si proche qu’elle en est tan­
gible, un paradoxe enfin qui le ravit et le subjugue, inamissible et
vulnérable, couvert de sang et nimbé de lumière, u un Dieu source
de l’être et fin de l’âme, un Dieu passible et volontairement
u soumis
ir

au devenir, insinué mortel


n en tout ce qui languit et Le reflète.

C. Nous désirons ce Dieu, nous n’en cherchons pas d’autre et nous


L’aimons
n de cette amour que nous vouons à la faiblesse, nous ché­
rissons la divine impuissance
n et professons qu’elle peut davantage
que tout ce que les lois auront de plus illustre. Et quoi d’égal à ce
délicieux attachement
n que la faiblesse appuie et que la force solli­
cite ? Nous aimons
n l’Eternel d’une amour transitoire et c’est par
elle que l’humain
ii s’accorde aux nœuds qui l’excédant le fondent,
par elle il devient l’homogène de son Maître et c’est en elle qu’il a
part à ce dont il éprouve le ressentiment, n: élargissant l’infirmité
ii'

jusques à déborder le temps, peuplant d’abîmes les minutes,


ii l’asses­
seur de la Providence et le charnel support de qui se manifeste à
sa dilection indéfectible.

D. Chaque homme en l’univers est la raison de l’univers, mais n non


la sienne et rarement celle des autres. C’est pour cela que nulle chose
ne nous satisfait, hormis
u le Dieu qui nous égale et par qui nous nous
surmontons.
n Dieu ne se rend qu’à ceux qui n’en dissemblent
ri plus :
ne pouvant être Ses pareils en la magnificence,
n il nous est toutefois
loisible de nous joindre à Ses douleurs. Indignes de Sa majesté, nous
ne le sommes
lllll: pas autant de Sa bassesse.

E. On ne chérit qu’impermanence
n n et l’éternel nous fait sentir ce
qui nous en sépare, on ne saurait éprouver de l’attachement
n pour ce

332
que Ton est assuré d’avoir au delà même il de sa fin et prise mal
n ce
qu’il est difficile de pleurer. Les dieux nous laissent froids — si tant
est qu’ils ne meurent
il —, mais
II leur trépas nous bouleverse, la mort
sublime
II à quoi nous sommes IIIII conviés et dont la démesure
II nous
console de la nôtre en y associant tout l’univers. Nous nous vengeons
de l’ineffable et le voulons meurtri.
H Si Dieu n’était que ce qu’il est,
Il y perdrait de Sa puissance, il nous Le faut à l’agonie et c’est à
force de périr qu’il nous domine, en ébranlant nos fibres les plus
déliées. Le Dieu mourant épuise le destin de l’homme iiiii en assumant
n

l’horreur de sa condition, Il sauve l’être en ce qu’il est de ce qu’il


représente. Le véhicule et l’aboutissement,H le Dieu mourant est l’un
par l’autre et tous les deux, au défaut de chacun.

F. Pour éluder sa mort,


H' il ne fallait point naître et qui demeure
n

enseveli dans le tréfonds de sa latence est assuré de ne jamais


u périr,
à cause qu’il ne s’est jamais
n manifesté.
n La vie n’est qu’au prix de
sa défaite et l’être paye toute motion de son impermanence. Le Dieu
naît pour mourir et vit à raison de Sa perte, où rendant le divin
sensible, Il se traduit au monde
II qui L’immole.

G. L’éternité que l’homme se dépeint, l’éternité de l’immobile iiiii au


sein de la durée, est davantage une figure de l’entendement n que le
possible en l’évidence et plus un vœu dissimulé tl que le produit d’une
logique adamantine
n de rigueur : elle n’a point d’histoire et ne saurait
aucunement
n en posséder, elle est l’instant inamovible à la mesure il

de son infini, mais


H l’existence enfermeil un nombre incalculable de
ces battements,
II elle est histoire au long de ses lisières, elle n’est
même que cela — sauf à se dérober à son prétexte —, elle commence
pour finir et ne se développe qu’en vertu de son impermanence. H

L’éternité que l’homme se dépeint n’est qu’indivis en l’infondé,


mais
li non celle d’un Dieu qui se fait personnel ou se rend acces­
sible.

H. N. S. a voulu commencer
lilli et dans la vue d’être et de finir, se
mourant inlassable, avant que de ressusciter pour agoniser derechef.
N. S. issu de l’immobile au premierII jour de la Création, est l’époux
de ce monde
II et se partage à lui jusqu’à la fin des temps, où toute
chose sera Dieu. N. S. a légitimé n l’œuvre en dépit de l’absurde,
lequel est la rançon de notre liberté. N. S. a rédimé il l’abysse en
l’emplissant
n de Sa chair souveraine et sainte, et l’univers entier
ne comble
n jamais
n l’infini de plénitude infuse en l’oblation mutuelle,
H

où l’Un n’achève de se déléguer.

333
XLV. Franchise de Jésus Le Christ est en avènement
Il perpétuel
et qui Le juge mort Le tuerait de bonne
grâce. L’Église Le tient avenu, maisH se renoncerait à Le vouloir
attendre et blâmeII fortement
II les Juifs de s’être enracinés dans
l’espérance et, néanmoins, leur soif ne les éloigne pas du Maître et
vaut une assurance ferme.
II Nul ne possède J. C., nul ne Le fixe aux
lieux de notre convenance et nul ne Le situe en je ne sais quel temps
à jamais
II révolu, dont on redoute seulementil qu’il ne revienne.

XLVI. Menace de Jésus JN. S. est plus terrible en se rendant


pareil à nous et plus démesuré,
II quand
Il se range à la mesure
II de l’humain
il que virant solitaire en l’inson­
dable. Le Père nous ignore ou nous dépasse, il nous faut L’adorer
et dans le tremblement,
if n mais
ff J. C. nous enveloppe et vient à nous
tel qu’un voleur, Il vient et s’insinue, Il s’insinue et nous déchire,
Il nous déchire en nous faisant commandement
H ir de L’imiter
II et de
Le suivre : ce n’est pas tout que de Le révérer, il faut encore qu’on
L’égale. Il nous arrache à notre acquiescence, Il nous sépare de nos
voies, Il nous divise de nos fins, Il nous obère et nous assiste, Il
nous accable et nous soutient, Il nous ruine et nous relève, Il nous
anéantit, mais
il II nous ressuscite et nous demandeII de mourir
il au
monde,
II afin de ne jamais
II Le perdre.

XLVII. Scandale de Jésus N. S. est objet de scandale permanent


II'

et Son Église tremble devant Lui, de


peur qu’il ne la désavoue tout soudain, et Ses fidèles se Le cachent
à l’envi, parce qu’il est la guerre et les divise d’avec eux et l’univers.
On ne L’approche qu’en tremblant et plus en raison de soi-même il

que de Lui, que nul n’est digne de servir et qui se prête également ü

à tous. Tout dissimule il l’Homme-Dieu


lllli : les saints, la pécheresse et
les disciples, la Vierge et puis l’Enfant, les paraboles et les guérisons,
le jugement
ü et l’agonie, la mort,
il la Résurrection, la Gloire et tout,
jusqu’à la Croix, est en mesure de fixer l’entendement II au préjudice
du Seul Ineffable et du Terrible, oui, du Terrible, à cause que Dieu
l’est. Comment
lllli ne le serait-Il pas ? Et cette horreur n’est-elle donc
en rien le reflet de l’état du monde il ? Or, nous savons qu’il fera
chanceler N. S. où toute Sa gouverne est en épreuve et, mise n en jeu,
pour qu’il l’assume, Sa divinité toute ! Il ne fallait pas moins que
Dieu pour restituer l’homme iiiii à sa devise, il ne fallait pas moins
pour rendre l’homme il à ce qu’il a perdu, rompant l’attache de son
immanence
iiiii et devenu l’esclave de sa liberté.

334
XLVIII. Puissance de l’enfer II est un rien par où l’enseignement
n

du Maître pèche et ce rien-là menace


n

toute la doctrine. On dirait, à le voir, un orifice imperceptible


ri où
l’univers doit s’engloutir en son entier et notre Église ne l’ignore
point, lorsqu’elle annonce que l’Enfer ne cesse ; un rien que Dieu
n’aura jamais
ti le privilège de fléchir ni la puissance de lier, qu’il
ne saurait pas même u atteindre et qui Le défie à jamais u dans le
débris de sa constance, néant que l’être ne peut abolir — à moins
d’immoler
iiiii l’œcumène
n — et liberté qui semble le revers de nos fran­
chises, et ce rien-là se nomme désamour et volonté dans la malice. n

Par ce rien-là nous balançons le comble de suréminence u et rendons


vaine l’immolation
n de N. S. J. C., nous Le menons vers une croix
nouvelle et nous L’y faisons misérablement
il n périr en l’abandon et les
ténèbres, plus forts que Son amour inamissiblen et, par ce rien, nous
suscitons l’abîme sous les pas de l’Ange, lutteurs perfides et désespérés!

XLIX. Le dernier cri du Maître Nous ne saurons jamais


H ce qu’a
dit le Seigneur se mourant de
l’humaine
ii mort
n et le dilemme est en dispute parmi n nous, vu que le
moindre
H change opère le renversement de la moraleii et que l’Eglise
adopte la leçon la plus conforme à son allure, où les penseurs donnent
de préférence dans la tragédie. Que si les philosophes ne s’abusent
point, l’Église n’avait liberté d’y consentir et de laisser la parenthèse
ouverte ; il lui fallait un aboutissement capable de nous rassurer
et tout nous montre
H qu’elle a bien jugé de la misère du troupeau.
Mais nous qui ne formons de jugementsri de convenance et chérissons
le Maître en Son abaissementil et, plus encore, en Sa désespérance,
nous n’avons guère lieu de louvoyer et n’entendons que Le défendre
en ce qu’il a de plus éperdument
n humain, car l’abandon nous frappe
tous à travers Son délaissement.n

L. La dilection véritable N. S. n’a point voulu que l’homme


L’aimât
if davantage que soi-même
H ou son
prochain, mais en soi-même
n il et dans chacun de nous et jamais contre :
or, nul — ou peu s’en faut — ne L’aime de la sorte et la plupart
Le servent à rebours, ne pouvant L’imiter
n ou ne sachant L’entendre.

LI. Le Dieu de mouvement Ce qui nous fonde nous abîme et ce


et de mystère qui nous menace nous rempare. L’en­
seignement
n du Christ ne nous assure
en aucun lieu du monde
n et nous dérobe les soutiens de la créance,
il nous élève en un remous engloutisseur d’assises, il nous emporte

335
et nous secoue, il amplifie et creuse, éclat dans la solidité, et nul
n’a tempéré ses rigueurs adorables. Ce Dieu mobile est à la fois
ce qui s’affronte et s’amalgame,
n n le sujet, l’objet et l’accord, puis la
raison le motivant,
ii tout l’absolu que tout reflète en chaque motion
de toutes les semblances.
if En quel emplacement n vous puis-je déceler
Seigneur, que Votre essor n’ait aboli ? En quelle motion if de la durée,
que Votre majesté ne rompe u ? En quelle idée souveraine ensevelie
en quel dépassement Il inamovible,
n à quoi Vous ne soyez l’issue et
l’origine et l’une en l’autre, et plus que je ne saurais concevoir, à
l’heure même
n if où monn entendement
n embrasse tout ce qu’il trans­
cende ? Malheur à moi, fi s’il me
n restait de quoi m’appartenir où je
Vous naquis redevable ! Malheur à moi, si je Vous prétendais con­
naître ! Malheur à moi, si je Vous ignorais !

LU. Discours sur la Nouvelle Que la Nouvelle est toujours neuve


et que l’Église est l’imitation
II tou­
jours aventurée et d’âge en âge. Qui parle de tradition et qui se
fonde en assurance est le félon du Maître et désavoue Sa démarche. 11

Le Christ est en avènement perpétuel, Son règne est à l’incertitude


et Ses triomphes d’agonie, et tout le reste forfaiture et tous les em II ­

bellissements
II dérision. De la Nouvelle ou de la trahison, il faut que
l’une ou l’autre règne et qui ne choisit la Nouvelle s’en exempte
et qui bâtit sur elle au lieu de la revivre.
Le dogme n fait mourir ceux qui n’ont mis de l’esprit en réserve
et lui demandent
n l’éternel qu’il nous impètre, où nous nous dénudons
de toute chose comme de lui. Le dogme if est assurance et l’assurance
est un péché mortel,
II si Dieu nous fit commandement
ut n n exprès de nous
aventurer à Sa recherche : or, qui n’est digne aucunement u de Le
trouver en telle conjoncture adorera ce Dieu par mandataire u et
jamais
II ne Le verra face à face.
Sans les rigueurs et les traverses que le dogme multiplie, il est
certain que notre foi n’aurait pu se fonder valablement, ii ni prendre
consistance : il lui fallait s’appesantir et même u: n se pétrifier ou
demeurer
II à la merci
II d’une secousse, il lui fallait se protéger et contre
sa folie et contre ses richesses, lutter avec ses propres fins pour n’en
mourir jamais,
II les sauvant d’elles-mêmes,
if ii se retenir et se violenter à
dessein d’arracher au monde II un immortel consentement à l’impos­
sible et le perpétuer inaltérable.
Le dogme, vivier de symboles, le dogme est assemblage II cohé­
rent où la raison triomphe dans les liaisons, mais II ne préside plus à
leur prétexte et les prétextes tombent II à néant, quand ils ne la
résignent pas.

336
Le fondement le plus valide et le plus vénéré, la raison même
de l’Église et l’assurance la mieux
n établie est en les Écritures, et
non pas ailleurs. Le demeurant
n n’est qu’une marque
Il de prudence
humaine
II et de louable habileté, mais
n de nos jours ce demeurant n’est
pas en cause et nous perdons sans doute moins à l’ignorer qu’à
n’être pas fidèles au Message.
Quand une secte se fait vieille, il lui convient de restaurer les
portements
ii et les prémisses,
II de renoncer les faux appuis qui la sou­
tiennent moins
n qu’ils ne lui pèsent et de se délier de tout ce qui
l’entrave, sous couleur de lui servir de truchement, II de se donner
pour ce qu’elle est et qu’elle représente, et d’acquérir une 4 vigueur
nouvelle en se lançant à la mêlée,
II au lieu d’attendre qu’on l’égorge
assise dans la pourpre et la tiare en tête. Les outres de l’Église
éclateront, à moins qu’elle ne veuille s’ébranler.

LUI. Contre divers intercesseurs Le dogmeII est le triomphe


n de la
lettre et, s’il nous affermit,
n il
nous enchaîne. Or, J. C. n’est point venu pour bailler assurance et
c’est Le mal
II entendre et même Le trahir que de nous reposer sur
l’édifice de l’aveuglement
n et de la servitude volontaires. Qui ne
retrouve J. C. et s’en remet
ii à des intercesseurs du soin de le mener
n

au Maître est moins qu’un homme II et réduit à néant la divine i: n


molation
n dont il ignore l’efficace. Si J. C. se voulut homme, il n’est
humain
u qui le soit davantage !

LIV. Présence de Mani L’Église a beau nous dire que le Mal


n’est point, le peuple n’a laissé d’y
croire avec autant de fermeté que de raison profonde et, si l’Église
n’entre là dessus dans les ressentiments
n des pauvres hommes,
iiiii nous
voyons qu’elle les tolère et leur ajuste maint
u précepte, de mode
n

qu’elle roule sur un faux arrangement


n qui l’affaiblit aux yeux des
raisonneurs. Elle préfère néanmoins mécontenter
n un sage que de
perdre mille
n sots, qui prouve qu’elle sait le monde,
ri où l’on ne meurt
II

jamais
•i d’avoir les philosophes contre soi non plus que tous les
saints.

LV. Le mal
II et l’absolu La foi rédime ceux qu’elle possède et
perd ceux qui la mettent
II en usage, et
la plus haute est la plus dommageable quand elle n’aboutit en pri­
mauté.
II Celle du Christ demande
II tout à l’homme
II et le lui rend avec

22 337
usure, à la condition du change le plus général et d’une mort suivie
d’un retour inamissible,
n mais
n elle ne peut rien sur qui feint de la
recevoir et se rempare
n du mensonge,
u et Dieu n’est jamais
il plus ago­
nisant qu’entre les mains
n de Ses bigots. Pour nous avoir tout de­
mandé,
il N. S. ne veut rien à demi,n qui fait de l’existence une aventure
intolérable et nous oblige à des manœuvres,
ri raison de la malice
il

des chrétiens, plus méchants


n que les idolâtres, quand ils n’imitent
pas le seul modèle
lï et ne deviennent l’un dans l’autre un reflet de
leur Dieu. Le propre des fidèles est de trahir leur Maître en Le ven­
geant d’abord, de mode que le règne engendre les plus sales tueries
et que l’Agneau préside l’effroi des égorgements. ii Les payens vi­
vaient selon la nature et même n n quelquefois en état d’innocence,
où le chrétien végète dépouillé, précipité dans le dilemme iilii' et comme
ri

tenu de choisir : il ne lui reste qu’à tout surmonter, s’il ne veut choir
du plus haut de sa clairvoyance en une nuit continuée, impénétrable
et néanmoins ouverte.

LVI. La sagesse ennemie


H

A. Que dans l’Eglise, un homme n est en possession de s’égaler à


Dieu, malgré
11 la chair et par la mêmeu chair qui les accorde à l’unisson
et les rend homogènes
II : elle est le véhicule transitoire où l’imma­
nence se situe et la raison du sacrifice, elle est le carrefour où Dieu
se fait intelligible et l’homme II se motive à la faveur de ce qui le fou­
droie, et c’est par elle que le divin s’intronise avant que de s’enraciner,
mais
II cette chair, l’objet de la suprême 11 quête, le miroir
n de la Sainte
Face et l’océan de toutes Ses douleurs, est l’ennemie n de son maître
n

et la Méduse de l’entendement, II un seuil ouvert et qui se muen en


précipice, un branle inassouvi de formes et de floraisons, un entre-
mêlement de nuits et de frontières, un renouveau de morts et de
genèses. C’est elle qui nous restitue au préalable, à l’univers et vé­
gétant et foisonnant, au cosme 11 originel où tout se perpétue et rien
ne se contemple ! La chair est une fin qui se dépasse ou s’involue,
elle est l’image
rr du principe ou la figure de nos destinées, à l’englou­
tissement
ri dès le moment
rr qu’elle n’est plus à l’anabase.

B. L’Eglise remédie
n à l’ambiguïté par un balancement subtil et force
toute chair à tomber
n sous l’élection, la ravalant et la divinisant en­
semble
II et la tenant à la contrainte, en ne laissant de l’adorer, enché­
rissant sur la nature à l’intention de la mieux
u flétrir et la rivant au
circuit des faveurs pour l’épuiser en l’éminence.
n De là l’inquiétude
de l’Eglise,quand notre chair goûte le calme n loin du port, où nous

338
vivons à l’assurance et consolés de vivre en raison même
n ii de la vie :
alors l’Eglise perd ses droits, elle se sent de trop quand nous nous
accordons à notre allure et c’est par là que tous les sages n’en sont
point et ne sauraient en être.

C. Aussi prend-elle à cœur de blâmer ii la sagesse humaine


ü et d’im-
II

prouver l’ataraxie et, sous couleur de nous mener


H à Dieu, ne nous
met jamais sur le pied de nous affranchir d’elle, en quoi nous ne
devons lui refuser quelque retour, la servant moitié guerre et moitié
marchandise,
II ayant les yeux sur elle et souffrant qu’elle nous regarde,
nous disputant pour mieux
n nous rendre et nous abandonnant pour
mieux nous refuser, à la manière
n des grands saints qui sont d’Église,
morts,
ii et vivants ne s’y trouvent que par intervalle.

LVII. La rançon de l’autorité L’Église prône la soumission


il en
ménageant
il le reste, elle console
plus qu’elle n’élève et, pour un saint, engendre mille esclaves et
dix monstres.
H Chez elle abonde d’une part la race des niais serviles,
enfants jusqu’à la tombe et vieux dès leur enfance, ignobles au delà
de ce qu’on imagine, bétail nourri de fables, de promesses
ii et de gron-
deries, luxurieux et nécessairement
If en faute, à mi-chemin
n des peurs
et de la jouissance ; et, d’autre part, les hommes de ressource, ma il ­
licieux au delà de toute étendue et souverainement II pervers, les
monstres tièdes qui la servent et dont elle s’étaye, qu’elle est heu­
reuse d’employer et qu’elle garde avec un soin jaloux, réserve iné­
puisable et l’arsenal par excellence. Or, il lui faut des saints et des
martyrs,
H non qu’elle les préfère — et nous savons qu’elle entre en
défiance à leur sujet, quitte à les adorer une fois morts ü — mais ils
lui sont indispensables, couvrant ses menées : elle en appelle à leur
exemple où l’univers la met
II en jugement,
n elle en dispose et déconcerte
l’esprit de ses juges, les juges n’y démêlent
n rien et leur sentence est
différée, tant de confusion leur faisant oublier la source du litige.

LVIIL Saints de l9Ancienne Loi Dialoguer avec son Dieu n’est


saintement
H sublime
II qu’en une foi
désespérée et qui se cherche des appuis qu’elle ne trouve qu’en Lui
seul et non pas dans l’Église. Sur le chemin
n qui mène
n aux sources,
l’Église est une idole formidable
n et c’est pourquoi les saints qui
firent sa parure ont moins de liberté que les prophètes de l’Ancienne
Loi, moins de grandeur aussi : l’Église a dû le reconnaître et les tenir
pour inspirés, mais
u ils l’étaient à cause qu’ils n’étaient pas d’elle,
elle en eût eu raison de la manière
if la plus infaillible.

339
LIX. Le plaidoyer du catholique En notre foi, l’on est ensemble
le plus libre et le mieux
Il asservi.
Quoi de plus empêché qu’un homme iiiii sujet à la syndérèse et prenant
Dieu même
n à garant, s’il tombe
ri en quelque faute ? Quoi de plus
misérable
if qu’un mortel aux mains
n d’un autre qui s’en institue di­
recteur et l’affranchit d’être à soi-même ri H ce qu’il est ? Et quoi de
plus honteux que ce commerce où tout nous fait résoudre à n’opiner
jamais
II ? — Mais quoi d’éperdument plus affranchi que l’homme II

délié de sa nature et qui la brave de son propre mouvement it n ? Qui


se remue en l’être dont sa volonté l’arrache et tente sa fidélité pour
se remettre à son devoir ? Qui délibère sur le choix, enseveli dans la
matière,
u: et se contient en l’innocence, en ne laissant de tout envisager
et mêmeri de tout ressentir ? Par quel enchantement II ce libre servi­
teur se fera-t-il raison de ses entraves ? Et par quel artifice
bien caché se peut-il qu’il se fonde où ses principes ne l’assurent
guère ? Sous l’appareil terrible de la foi et de ses disciplines
feintes, ce sont abîmesII entr’ouverts que la parole du seul Maître a
mesurés
n !

LX. Débat sur divers Le péché de l’Église est de nous rendre


péchés de l’Eglise familier
H ce qui n’a laissé d’être et demeure
à jamais scandale, le péché de l’Église
est de nous faire tombern dans la bagatelle en suspendant les
jugements sur la limite
n et de nous abêtir, au lieu de nous déses­
pérer. —
— En notre foi, tout nous émeut et nous imprime n ii un général
étonnement
n dont nous ne parvenons à rendre le prétexte, et nul
usage ne l’a dissipée. —
— A la condition de ne jamais dormir sur elle et de la sciemment
iiiii

creuser ! —
— Elle est de celles qui n’y perdent rien et gagnent à la contro­
verse où, malgré les achèvements, nul n’y mettra
ii le sceau final. —
— Si l’univers était chrétien de bout en bout et que les enfants
de la terre y fussent nourris des préceptes et des paraboles de N. S.
J. C. dès avant l’âge de raison, l’intelligence de la foi s’éventerait
peut-être au milieu
n d’âmes
n dangereusement habituées qui ne feraient
réflexion sur ce qu’elles reçoivent, manière
n de s’en rendre indignes.
Les prêtres seuls n’en seraient pas fâchés et leur empire
n sans conteste.
Il faut que la religion s’impose
n des fatigues, loin de se conserver
dans une paix mortelle et vive à la substance de l’alerte, au sein
des peuples comme n en chacun de nous tous, oui, chacun de nous
tous. —

340
— Pourvu qu’il soit doué de jugement H et de raison distincte
et seulement
H alors. —
— On nous objectera que le principe de F Autorité n’exauce guère
la requête et met 14 les hommes il de niveau, qu’il est indispensable,
que les abus n’y changent rien et qu’il vaut mieux que son absence. —
— On vous l’objectera, n’en doutez point ! Si ceux qui les re­
çoivent en aveugles se mêlaientif de former les jugements, que chacun
défendît le sien, que les avis, loin d’être généraux, fussent multiples, II

que tout le monde


ü pour finir se montrât raisonnable et de plus rai­
sonneur, les grands noms ii s’y perdraient et nulle tradition n’irait
monter du chaos. Il faut que l’on accepte et juge par les autres, que
les accords se fassent quelque temps pour se défaire ensuite et qu’un
amas
ü d’opinions demeure.inü violé, le garant des principes éternels
qu’il convient de soustraire à nos atteintes. Et qu’y répondre ? —
— Certes, nous vous l’accorderons, l’Autorité n’est pas mauvaise ü

en soi, quand elle est généreuse et prévenante, quand elle se réforme


ou se déjuge en temps et lieu, quand elle cède à l’examen sans re­
lâcher de son impératif et sauve la doctrine au préjudice de la ba­
gatelle. Nous révérons l’autorité qui ne se paye aucunement de mots,
sachant qu’elle est défense et rien de plus, défense et non pas une
fin dernière, qui se prévaut de tout ce qu’elle assume ü et n’aura
garde d’usurper ce qu’elle a charge de couvrir. Oui, nous la révérons
et nous nous complaisons en elle, elle mérite nos ménagements ü pour
l’amour
il du sacré dépôt, elle consolera les affligés, elle ira dissipant
le doute et, démêlantlï nos inclinations profondes, nous révéler à
nous, elle redouble l’alliance qui nous relie à son principe inviolable
et jamais elle ne nous abêtit, soit à dessein de nous humilier, il soit
parce qu’elle se tient infaillible. Nous chérissons l’Autorité, pourvu
qu’elle nous aime II et ne se joue pas des hommes, car elle est leur
servante et plus que leur maîtresse, elle est à leur usage et travaille
à leur bien, ils n’ont pas à souffrir à cause d’elle et nous la réprouvons,
dès l’instant qu’elle les égare et les salit, précipitant les bons dans
le dernier étonnement rr et multipliant les forfaits et la malice,
n oui,
nous la réprouvons alors, nous rejetons son inclémence n et levons
l’étendard de la rébellion, non pour la renverser, mais pour la rétablir
en sa réelle intégrité ! Quel audacieux blâmerait notre révolte et
nous imputerait le schisme ii ? Où le scandale passe la mesure,
n il nous
faut enchérir sur le scandale même n n ou tomber avec ce qu’on ne ren­
verse pas ! — Nous aimons fortement ri l’Eglise et l’aimerons,
ri s’il
est besoin, contre elle ! Nous sommes respectueux de l’Autorité,
c’est pour cela que nous serons impitoyables, nous brûlerons ce
qui se meurt
n et nous retrancherons ce qui, vivant, menace de
pourrir ! —

341
LXI. La permanence
Il Que la doctrine la plus haute est généra-
du scandale lement la plus abandonnée et qu’il importe
qu’elle le demeure,
II sous peine de forfaire
à l’éminence, car les triomphes s’établissent sur les accommodements 11

de la prudence et les biais de la scélératesse, et nous n’avons pas


à les convoiter au prix que l’on nous en demande. L’enseignement II

de J. C. n’est point de ceux que l’on adjuge aux peuples de la terre


à raison de leur déférence ou parce qu’il figure en leurs traditions
— au même
II titre que les fables, jeux, proverbes et coutumes II — :
il est toujours nouveau, toujours réel et toujours menacé, toujours
rebelle aux soins de notre açcoutumance
n et l’ennemi
II de qui l’impose
au nom des mêmes
il lois et ne l’a point vécu. Les serviteurs de J. C.
ignorent tout de leur élection et l’univers ne les doit pas connaître,
mais J. C. est présent avec eux et ne les abandonne plus, vivant par
eux qui nous Le rendent derechef en un perpétuel Avent. Ses ennemis n

Le jugent mort et Ses fidèles le souhaitent, car II est redoutable


et nul ne Le possède en assurance, nul ne désarme n Ses bontés jalouses,
nul ne parvient à Le fléchir et, pour un mille qui Le vengent, on
trouve un homme n■ n qui L’imite. Que le Seigneur puisse avenir une
seconde fois est un sujet de trouble et d’épouvantement, mais n II
est parmin nous, naissant et mourant à la fois, seul innombrable
ri et
méconnu
n de ceux qui Le reçoivent, Le portent ou L’ont rebuté.

LXII. Contre les dévotions II nous importe, à l’avenir, d’aller au


familières
n plus mystérieux
n commen au plus
difficile,
u d’entrer en défiance à l’heure
que la dévotion semble
n aisée et se rend familière, nous rappelant
que J. C. ne se situe pas en notre complaisance et que nul ordre
humain
n n’a le pouvoir de Le fixer, qu’il n’est pas mort
n à l’intention
qu’on L’entrave — et fût-ce en Le divinisant ! — , qu’il reste libre
et sans attache, que nulle église n’en dispose à l’exclusion des rivales,
que la Suprême n Eglise Universelle enferme n tous les hommes cher­
chant Dieu sur terre et L’aimant
ri dans les autres, que cette Eglise-là
n’est point visible et ne le sera qu’en dernier.

LXIII. La bonne cause Dieu ne saurait avoir de cause et nous


Le tentons chaque jour en assumant n

une querelle sacrilège. Le moyen de ne s’éclater de rire en Lui


voyant des défenseurs ! Les plaisants défenseurs et qui ne craignent
pas de L’offenser, pourvu qu’on n’y regarde pas ! En refusant à se
laisser tomber,
n N. S. a démenti
n les marauds
n qui militent
n sous l’en-

342
seigne et couvrent de Son nom un cent d’agissements perfides. En
proclamant
H le Sabbat fait pour l’homme, Il mit l’humain par-dessus
la doctrine et la rend serve. De tels enseignements
n mn ’ébranlent plus

que les menaces


ri : l’Eglise peut bien les trahir, mais
ii il n’en reste pas
moins
fi assuré qu’on ne les ôte guère et qu’elle emporte
ri au fond de
son erreur un élément qui la dépasse, folie véritablement qui la
soutient où les raisons ne la feraient agir ; c’est à cela que la religion
doit ses prestiges et sa gloire et, par le démenti
II qu’elle se donne,
elle s’excède en permanence et ne s’achève en aucun lieu ; la flamme lllli

qu’elle dissimule
II en ses replis inavoués, cette fureur ardente et ma­
gnanime qu’elle cèle au mépris des formules, ce vague sourd et me­
naçant qui se débande ou se ramasse en l’éclat des préceptes et les
rompt, cette démence
II enfin qui nous consume d’un tenant, la font
plus assurée que l’usage et plus inébranlable que l’Autorité !

LXIV. La seule force de l’Église Le christianisme a le mérite


II in­
génument
H mortel de se navrer
au nom de ce qu’il représente et de s’en faire gloire, au mépris11 de
ses desservants, lui qui nous ouvre, au plus celé du dogme, un au-
delà perpétuel qui l’élargit et l’alimente, un mouvement
II de fuite en
profondeur, un amoncellement de chutes et de bonds. L’Église
enferme au plus creux de ses fastes une étincelle du divin, présente
à qui mérite
II de la voir, puis elle roule toute entière — en dépit
de sa déchéance et des collusions inévitables
ï — sur un pivot de saints
et de martyrs,
il les uns connus et déclarés, les autres à jamais
il incon­
naissables, si ce n’est de Dieu. L’Eglise semble grosse de sa mort
et porte en elle de quoi mille fois mourir, et le miracle est que sa
délivrance tarde où l’agonie se prolonge et la fait vivre en sa langueur
perpétuée.

LXV. Le faible de l’Église Le faible de l’Église est d’être de­


meurée
n en l’en deçà de la Nouvelle,
au milieu de retranchements inamovibles,
n d’avoir désespéré de Dieu
pour se fonder en assurance et de n’abattre jamais H ses longs murs
n

pour que l’Esprit lui vienne ; le faible de l’Église est d’avoir milité,
n
quand il fallait souffrir, et d’avoir prévenu ses ennemis au lieu de
saigner sous leurs coups, de s’être emportée à la violence et non de
gémir en la servitude ; le faible de l’Église est de bâtir sur les trois
premiers
ii siècles pour se justifier de quinze et qui la virent despo­
tique ou tourmentante,
n s’armant
il de foudres et de flammes, pouvoir
humain
II qui mit
n tout en usage en usurpant l’assentiment
n de l’absolu,
pouvoir d’autant plus redoutable qu’il se jugeait au-dessus des lois

343
et refusait l’appel, pouvoir assis entre Dieu même n n et l’homme,
faisant empêchement à leur commerce H et proclamant
n avec superbe
une alliance indissolublement renouvelée, épouse triomphante n et
toujours adultère. Comme iiiii autrefois le peuple d’Israël, elle s’estime
n

à couvert de la déplaisance et marche


n sans trembler dans une mêmen n
voie au long de ses remparts, mais n des pays s’étendent à ses pieds
qu’elle n’a plus foulés et qui l’ignorent, des régions immenses et dont
elle est issue, où tout l’appelle d’âge en âge et rien ne la réclame
II plus,
pays d’incertitude et qu’elle déserta pour n’y plus revenir et qui la
vomiraient, quand elle ferait II ine de s’y rendre !

LXVI. Annales de F Église Dans les commencements,n l’Église


s’affermit
n sous la menace
u et rejeta
les moyens
n ordinaires, se voulant faible au mépris
n de la force et
durant devant elle, où sujette à ses lois, elle imposa les siennes,
FEmpire sous le joug et les pouvoirs déconcertés, mais ir aussitôt
le glaive à sa portée, elle en usa, se rendit temporelle et l’alliée de
ceux qui la vomirent,
u les rassurant et leur ouvrant ses portes, puis­
sance humaine désormais,ii sacrifiant à l’usage établi, feignant de
s’avouer de ce qu’elle réprime et roulant toutefois sur ce qu’elle
dément,
n forte en dépit de ses menées et s’imposant malgré
u ses man ­
chinations inavouables, environnée de séductions et dévorée de
malice,
n donnant dans les attraits et ne se disputant guère à sa for­
faiture, où le miracle
n est de savoir qu’elle subsiste — non pas en
vertu de sa consistance et moinsn encore du trirègne, mais
n à raison
de cette précellence occulte et dont ses défenseurs se rient, amour
de choix qu’elle dédaigne et par lequel se continuent des faveurs
inaltérables ! — Telle est l’Eglise, échafaudage d’imposture et noyau
précieux étançonnant la masse, inépuisable fonds de grâce où les
ténèbres s’alimentent,
n dépôt de privilèges et de délectations que
mille
n abus n’ont dissipés jusqu’à ce jour ni les empressements n de
la sollicitude la plus infamante,
il ni même
ii ii l’émulation des monstres
qui la servent. Jusqu’à ce jour, ce jour et pas un autre, car la mesure
est proche d’être pleine et déjà du fléau l’aiguille mise n en branle,
car il avient une heure où le noyau se rompt, le fonds s’épuise et
le dépôt s’évente et qu’il faut tomber de son haut, dans le mépris if

du monde et la colère de son Maître !

LXVII. Bras séculier On commença


n par mourir à ce monde
n et
vivre dans l’attente de Son règne et, J. C.
ne revenant, on mourut
n pour l’Eglise, afin de Le rejoindre, puis
l’Eglise affermie,
n on vengea le Seigneur et, si l’on mourut quelque-

344
fois, on tua davantage où les autels fumèrent de nouveau, l’on
fit la guerre sainte — à l’imitation des Musulmans —, l’on égorgea
les Slaves et les Baltes à dessein de les rendre charitables, mais
H le
plus beau ce fut le Bras, Bras séculier, ce Bras terrible et saintement
commis aux forfaitures diligentes, qui bouta Jeanne dans le feu,
Jeanne et mille
il autres devant elle et mille
n fois mille autres après
Jeanne, ce Bras que nous revîmes n en ces temps
n de réprobation et
et de colère, oui, ce Bras même,
n u orné de quelle croix, à l’éternelle
honte de l’Eglise ! Qui lavera cette souillure ? Qui parlera face aux
félons ? Qui leur dira que Dieu réforme un jour les privilèges qu’il
accorde et rompt les marchés
n les plus fermes
u ? Mais n’en voilà que
trop ! Cet homme-là est parmi iï nous et sa voix proche d’éclater.
A nous d’attendre, à lui d’ébranler l’univers, à Dieu de prononcer
en la suprême n instance !

LXVIII. Le rejet de la grâce Le corps charnel du Maître n’est


plus en l’Eglise, l’Eglise ne sait plus
mourir et toute grâce l’abandonne. Si Dieu l’épargne, c’est qu’il
la méprise
n et l’immolation
iiiii lui semble refusée. Le corps charnel est
ailleurs désormais,
n il est ailleurs, mais
n nous ne savons où, parmi n

les justes méconnus


n et les martyrs
n immotivés. Qui le détient et qui
le veille aux lieux qui nous le dissimulent ? En quelle solitude, au
milieu
u de nous tous, en quelle solitude ? L’Eglise a tant de fois cédé
l’aînesse qu’il n’est plus guère en son pouvoir de la céder encore,
et l’on y voit le plus clair de sa précellence, car elle est pauvre dé­
sormais
n et veuve : il ne lui reste que l’espoir d’attendre ce qu’elle
a follement joué, et tel espoir la fonde et l’établit mieux que ses
foudres chancelants.

LXIX. Le peuple de Les Juifs, le corps charnel du Christ en


la chair du Christ l’oubli de soi-même
n n et comme
mu anéantis par
l’espoir de l’attente, mais
n leur attente n’est
pas criminelle et les rapproche de ce Maître, et plus que ceux qui
Le défendent. Le Christ, toujours en mouvement, n n’est jamais où
l’on veut qu’il soit et qui L’espère a l’assurance de Le mériter. n

Pour être parmi nous en permanence,


n il faut que le Seigneur avienne
inaltérablement
n et qu’il demeure suspendu comme au-dessus du
corps mystique
n de l’Église. Que si l’Église se préfère au Christ, Il
la rejettera ; que si l’Église s’enracine dans le monde,
n Il la dépassera ;
que si l’Église se dérobe, Il sortira de l’ostensoir et de la forme et
l’emplira
n de solitude !

345
LXX. La réprobation impérative
Il Un Père de l’Église a dit que
sans l’Église il ne croirait pas
n ême
n à l’Évangile. On se demande
fi ce que J, C. en eût pensé, Lui qui
rejette le pharisaïsme n et, déprimantif la certitude imaginaire,
fi invite
Ses fidèles à la liberté, mais
ii quelle liberté ! Or, il est manifeste ff que
l’enseignement du Maître est du ressort de peu de gens, qu’il n’est
pas venu convertir le monde
11 et n’a rendu participants de Sa divinité
que les élus, les dignes miroirs de la Face et par lesquels II n’aura
cessé d’avenir. Et le moyen qu’il sauvât les charnels, qu’il rédimât
ceux qui ne tirent nulle chose de leur fonds, qu’il assistât la foule
de tous ceux qui naissent au matin, II immémorants
ff ii de la vêprée et
dont la nuit suivante a raison derechef de la mémoire d’un jour
aboli ? Dieu n’a jamaisII puissance d’affranchir qui ne fait rien pour
soi, mais
ff s’en remet à Lui du soin de le défendre ; Dieu nous demande
— et le plus instamment — de Le servir, non pas de nous aban­
donner, où voulant ce qu’il veut, il est besoin que nos efforts se
doublent ! Il nous prescrit même n d’agir commeni ni si tout gisait en notre
dépendance et c’est par nous, en premier ri chef, que Dieu s’honore
de Ses voies intelligibles. Oui, le Seigneur a béni qui Le cherche et
ne réprouve pas qui Lui résiste, Il aime ceux qui Le désirent et
fût-ce Le bravant, Il les chérit alors qu’il les renverse et s’il les
foule, Il n’aura garde de les écraser, bien mieux ri : Il les relève et les
accueille. En ce duel suréminent, l’Église n’a que faire, elle est de
trop, elle l’entend et vise à le freiner, elle nous embarasse, elle inter­
pose le crédit de son autorité — la vingt fois séculaire ! —, elle
s’applique à nous anéantir, elle préfère ceux qui plient devant elle
et méconnaissent
if le divin à ceux qui rempliraient les volontés du
Maître, en négligeant de la servir. L’Église est l’ombre u d’Esaü
couvrant la Terre Sainte et non l’Épouse du Cantique, elle nous
cèle Dieu plus qu’elle ne Le manifeste il et Dieu, visiblement, ii lui
retira Ses grâces prévenantes, Il ne permet qu’elle se targue de
martyrs
ff où nul ne consent à mouriril pour elle, elle est invulnérable
et c’est la marque
if de sa Réprobation : nul sang ne jaillira plus d’elle
où, cuirassée, elle pourrit vivante en son armure !

LXXI. Le martyre
n impossible Le Seigneur veut que l’on soit nu
devant la Face, à l’égal du Pontife
d’Israël lorsqu’il entrait au Saint des Saints. L’Église a choisi l’as­
surance et Dieu la punira, lui refusant les palmes de douleur et la
couronne de la gloire, Il la punit déjà sous nos regards stupides.
Les temps
if sont proches que, sans elle, il nous sera permisn de croire
à l’Évangile et, ce jour-là, l’Église passera commiiiii e un fantôme de

346
la nuit quand le soleil se lève. Elle mourra,
Il sans que l’on ôte un cheveu
de sa tête, sans perdre une once de sa chair, sans une plaie au corps,
de son venin et de sa faute ! O martyrs II d’Israël, que votre sort
est désirable ! La palme lï de douleur, elle est à vous avec l’empire.
L’Eglise qu’a-t-elle à vous opposer ? Ah ! qu’elle montre ses bles­
sures ! Ne saigne pas qui veut en ce bas monde : l’Église le pouvait,
elle pouvait se joindre à vous en l’Alliance indéfectible, elle pouvait
s’offrir... elle s’est dérobée, elle a béni vos meurtriers
il en armes.
Que tout le poids de votre sang retombe sur sa tête !

LXXII. Premier
Ii colloque sur les Juifs entre un Hébreu
I chrétien et
divers payens baptisés

Premier payen : — Nous, meurtriers il ? Propos abominable


n !
Nous qui sauvâmes n tant de Juifs ! Les monastères en étaient rem li ­

plis. —
L’hébreu : — Il est plaisant de recueillir les survivants des
meurtres
n que l’on prêche et d’humilier charitablement ii le débris
d’une nation commise
ii à fournir les autels, mais n votre Eglise en a
donné l’exemple
n et tracé le modèle avec une maîtrise nonpareille.
Les moutiers
n s’ouvrent au passage et, pour un cent de Juifs qui
meurent dans les flammes, ri l’on ne préserve qu’une tête et s’édifie
à son propos. —
Second payen : — Merveille de la Providence et comme Dieu
se venge illustrement
n ! Mes frères, admirez l’occasion offerte et ne
sondez l’abîmeii des divins mystères.
rr Ahi ! le moyen de n’être pas
dans les plus saintes dispositions et de ne révérer tous les prodiges
qu’il fait éclater sur nous ? Mes frères, marchons dans Ses voies,
nous qu’il honore de Sa confidence et tremblons de juger une
conduite impénétrable en gardant les très hauts commandements n

de Sa lumière
n inaccessible ! —
Premier payen : — Paroles admirables. il Ainsi parlent les ser­
viteurs de Dieu. —
L’hébreu : — De qui la charité veut l’agonie de Son peuple,
aux fins d’instruire les Gentils, ce peuple qu’ils poursuivent en tout
lieu du monde, que leur enseignement H a marqué
ii du sceau d’infamie
II

pour le livrer aux nations, hormis les restes qu’on épargne et dont
les descendants, multipliés,
il mourront
n une nouvelle fois, puis une
fois nouvelle encore et d’autres, inlassablement, ri selon qu’il plaît
aux juges. Tel est le grand mystère H de l’Eglise, mystère
ii qu’elle
ignore dans l’ensembleil et que les Juifs soupçonnent à demi, mystère n

abominable
n et que l’Eglise de demain il ira vomir purifiée ! —

347
Premier payen : — L’Église a ménagé les peuples de la terre
et leur consent des privautés égales, elle dispose de trésors de charités
et d’indulgences pour des nations qui la trahissent, elle pardonne
à ses railleurs et couvre les menées
H de ses ennemis,
II fait une résolution
de les chérir et se rengage à n’oublier que leur malice, II elle permetn

à chacun d’être ce qu’il est en ne cessant d’appartenir à l’œcumène, n

et nul n’a l’obligation de rougir de sa race en lui prêtant l’hom­


mage.
II —
L’hébreu : — Il est un peuple, toutefois, qu’elle s’acharne à
convertir en l’anéantissant et dont les fils ne peuvent l’approcher
qu’au travers de monceau^ de morts, tant elle craint qu’ils n’usent
de leur droit et qu’ils n’en prennent véritablement II la tête. L’Eglise
ne l’ignore point, mais tremble de changer de contenance et préfère
accabler les Juifs que de les voir à ses côtés en y jouant l’amour
de ceux qui les haïssent ! —
Second payen : — Fait digne de remarque II et sujet à l’oubli :
pour les fidèles, J. C. n’était pas Juif et ce fut l’apanage des impies
et des libertins que de se le remémorer n H ou de le publier à son de
trompe. —
L’hébreu: — En quoi ces hommes II voyaient juste et, depuis lors,
il fallut bien les suivre et convenir de l’argument, II mais
II le destin
de N. S. J. C. n’est-il pas d’être un rocher de scandale permanent II

à Ses fidèles, semble-t-il, de préférence et Son humaine qualité de


Juif une manière
II de les éprouver en ce qu’ils abominent d’ordinaire ?
Second payen : — L’épreuve en est cruelle. —
Premier payen : — Le Seigneur est parfois impitoyable. —
Second payen : — Que si les Juifs étaient malicieux, II loin de
nier Jésus, loin mêmeII II de Lui rendre les honneurs divins, ils en fe­
raient une manière
II de héros et marqueraient ce qui L’attache à
leur pays de préférence à l’univers. Il n’en faudrait pas davantage
pour en dégoûter la masse des Gentils ! —
Premier payen : — L’Eglise, prenant des moyens qu’elle avait
ajustés à la manière
II des Gentils, leur rendit l’Evangile familier. II —
L’hébreu : — Et tellement II qu’il leur parut que le Sauveur,
Marie et les Apôtres étaient leurs semblables II et qu’il n’y avait
d’autres Juifs que Barrabas, Judas, Caïphe, Anne et les méchants II

de la foule. L’on feint de voir le Christ en chaque pauvre de rencontre


et Notre Dame II en la dernière des drôlesses tenant un poupon dans
les bras, mais il ne sied pas qu’ils soient Juifs : la ressemblance
aurait de quoi gêner les âmes bien pensantes. —
Premier payen : — Et de scandaliser les faibles. —
L’hébreu : — Il paraît monstrueuxII que ce déni soit l’un des
arguments
II' de notre foi, mais l’on a vu des hommes IIIII intrépides et

348
qui rêvaient de rompre Il les attaches, quand il est assuré que l’Évan-
gile est homogène à l’Alliance et moins brisure que dépassement. 11

N. S. est à la fois le produit d’une spéculation antérieure et l’homme


venu dans les justes temps et qui l’appuie en la prenant en charge,
mobile
H de Ses fins et le dernier ressort d’où les effets remontent H

ébranlant la cause. —
Second payen : — Si tous les Juifs avaient péri, les tenants
de l’Eglise se nommeraientlllli Israélites pour s’en faire gloire, mais II

l’Israël de chair y met empêchement. II —


L’hébreu : — Et les rappelle à plus de modestie, II et j’y vois
l’une des raisons qui font les procédés inavouables de l’Église. —
Second payen : — Entre elle et sa réalité, les Juifs demeurent II

la menace
II et, si l’Eglise a besoin de leur témoignage, il est constant
qu’ils peuvent se passer et d’elle et s’exempter de lui. —
L’hébreu : — Que pour les Juifs, l’Église est une secte et rien
de plus, malgré
II' sa domination, eux qui la virent naître et savent
bien ce dont elle relève, une hérésie triomphante et tourmentante, II

de l’origine la plus humble et débordant d’ingratitude, une enfant


dévoyée et même n ii parricide. —
Premier payen : — Voilà bien de l’orgueil ! —
L’hébreu : — Telle est l’Église pour les Juifs et, quand l’Église
les regarde, il lui paraît voir quelque monstre II imaginaire
II. et menaçant,
n

qui s’arme Il pour la dévorer et met en péril tous les fondements n qui
la supportent, mais ce qu’elle distingue est le péché dont elle se
rendit coupable. Devant le monde, II l’Église a renié les Juifs tout
comme
lllli Pierre abandonna le Maître, elle a rougi de sa lignée, elle
en a détourné la tête, elle a désavoué sa chair sacramentelle II et cette
chair n’a plus à la connaître à l’avenir ! —
Premier payen : — Ils veulent posséder le monde et ruiner
l’Église ! —
L’hébreu : — C’est à cela qu’on les oblige, avant de souffrir
qu’ils prétendent à ce que la plus faible nation peut détenir ! Ce
peuple qui n’a rien, s’il ne préside à toute chose et moins II que le
dernier de ses rivaux, quand il vous semble tout avoir ! —
Premier payen : — Pourquoi se mêlent-ils II de tout régir ? —
L’hébreu : — C’est l’effet de leur crainte. Ils vivent au milieu
de nations qui les ignorent, les redoutent ou les abominent — et
quelquefois les trois ensemble — et leur assiette n’est jamais II si
ferme
n qu’il paraît. Beaucoup de Juifs consentiraient à vivre obscurs,
mais
n savent qu’ils n’échapperaient à l’adversaire, lequel les irait
poursuivant au fond de leur retraite et, s’ils venaient à lui manquer, II

s’acharnerait pendant des siècles sur leurs descendants les plus


lointains. —

349
Premier payen : — Voilà du mélodrame H ou je meH trompe
fort. —
L’hébreu : — Les Juifs éprouvent de la gêne et les Gentils
plaisantent de leurs maux, de sorte que les uns dévorent leur souf­
france et que les autres la dépriment Cl ; les uns n’en tirent nul loyer
— mais
II se la dissimulent
If à l’envi —, les autres les observent, les
saignant à l’occasion, puis leur donnant quelque répit d’usage ;
les uns dans le silence et les ténèbres, couvrant le premier II' de leur
bavardage et les secondes de leur frénésie, les autres au spectacle
et les seuls maîtres de sa fin dont ils savourent les annonces. —
Premier payen : — Nous sommes au théâtre ! —
L’hébreu : — Théâtre monstrueux II où les Juifs se démènent,
où les Gentils demeurent à leur place, où l’on se lève toutefois pour
envahir la scène, égorger les acteurs, et le jeu recommence, à peine
le rideau baissé. —
Second payen : — Dieu l’a voulu. —
L’hébreu : — Vous êtes fort de Ses intimes. II —
Second payen : — Le signe de la réprobation des Juifs est le
resserrement de leur doctrine après l’Avent du Christ et les prémices ii

de l’Eglise, le retour obstiné — non pas aux sources de la foi, mais n

aux rigueurs formelles,II ce fardeau lamentable


II et ce joug dévorant !
— ces milleII superstitions communes, lîliî cet abandon du mysticisme
II II

pur et cette trahison spirituelle qui marque les écrits de leurs rabbins,
la fuite devant le sublime II — seule ressource inamovible II — et le
mortel attachement n à tout ce qu’on leur ôte. Ils balbutient et
divaguent, eux qui savaient chanter ; on les voit grimaçant ou gé­
missant,
II eux qui riaient ou pleuraient dans le temps II marqué,
fl et
même
H II leur silence est frauduleux et ne les enveloppe guère. —
Premier payen : — Ils peuvent se vanter de leurs complices, ri
lesquels sont légion : ils en ont dix fois plus que d’amis éprouvés,
et le moyen
n de l’être ? Car nos mépris, ils nous les rendent bien et
nous dédaignent mainte n fois d’avance, persuadés de leur élection
tout comme de leur innocence et se jugeant nantis jusqu’à la fin
des siècles, de même II II qu’ils nous tiennent ridicules et pervers. —
Second payen : — Oui, malheureux les Juifs le sont, nous les
plaignons à la rigueur, ne parvenant jamais n à les chérir, en dépit de
leur infortune. —
L’hébreu : — Un peuple s’avilit, quand l’ordinaire a tari ses
puissances. De saintes dispositions ne peuvent l’emporter sur un
défaut de droits élémentaires, n la grandeur se fatigue à parer mille n

traits ignobles et tout le naturel se change, mis ii' en la dépendance


d’une adversité dont nous savons qu’elle ne cesse de produire un
mal unique et des maux u infinis. Pour lors, les entreprises sont di-

350
minuées
H par l’exclusion la plus flétrissante, il en consomme IIIII la sub­
stance à force de tempéraments,
H tenu de se ravir de jour en jour à
ses instances, ne parvenant jamais à rompre les mesures générales
et voyant l’univers en contenance d’ennemi, ii s’abandonnant à la
sentence et faisant souche d’amertume.
n if —
Premier payen : — Ou sciemment rebelle et minant H les cou­
tumes
II établies. —
Second payen : — Fléau s’il n’est la proie. —
L’hébreu : — Et la victime expiatoire, où l’on se fait honneur
de le vilipender. Tel est le peuple d’Israël, que la voix unanime II

identifie avec son ombre et qu’on sépare de ses fins, de peur qu’il
ne s’y rende et qu’il ne légitime II sa présence, accréditant son agonie,
ce peuple fort de ce qu’il ne discerne pas et faible quant au reste. —
Second payen : — Auquel il suffirait de se mouvoir II pour n’avoir
plus à se traîner, à revenir pour avancer, à devenir pour être et qui
n’est point, se fuyant dans l’attente, en soi hors de propos. —
Premier payen : — Et hors de soi, quand on l’y cherche. Il est
indubitable que, cela posé, ses défenseurs auront toujours l’excuse
de l’oppression, qu’il leur sera loisible de l’incriminer et d’en montrer
les suites déplorables. —
L’hébreu : — Fardeau peut-être à la mesure ii d’âmes II saintes
et choisies, non d’une généralité d’humains ii qu’il navre et qu’il
terrasse, outrant leur jugementII et mutilant
n leurs membres
II !—
Second payen : — Le jour que l’Israël de chair cesserait d’être
en agonie, l’Église aurait cessé de vivre. —
L’hébreu : — Et c’est pourquoi nous la voyons inique et meur II ­
trière au souverain degré, bien qu’elle rende une justice égale aux
divers peuples qu’elle accueille, à tous les peuples moins If aux Juifs. —
Premier payen : — A sa décharge nous avancerons qu’on ne
saurait leur faire droit. —
L’hébreu : — Où leur sang crie depuis deux mille n ans ! Et qu’il
est plus habile de persévérer en l’injustice que de remédier ii au mal,n

un mal de qui l’énormité révolterait l’imagination


n d’un homme iiiii en
état de le discerner pour la première n fois et d’un seul coup, d’un
homme en l’ignorance du litige et conduisant naïvement II ses vues. —
Premier payen : — D’un habitant de la planète Mars. Car le
moyen
II de le trouver ailleurs ? —
L’hébreu : — Or, répugnant à leur quitter la place, l’Église
a misIf les Juifs au ban des peuples, les humiliant et les offensant
devant que de les recevoir, leur faisant obligation de s’introduire
dans la honte et de ramper devers la Table, sous l’œil moqueur des
payens baptisés. —
Premier payen : — Il a le dos endolori ! —

351
L’hébreu : — Les petits chiens sont devenus autant de dogues. —
Premier payen : — C’est bien de nous qu’il parle. —
L
_ ’ hébreu : —\ Souvenez-vous de la Samaritaine
II ! —
Premier payen : — Nous ne lisons pas l’Ecriture. Bon pour
les Protestants. Il s’agit d’obéir et non de commenter. II —
Second payen : — Voilà le fonds de la doctrine véritable. —
L’hébreu : — Les petits chiens sont devenus autant de dogues.
Les sacrifices de l’Ancienne Loi se continuent à travers le monde II

et nous savons quels hommes II les nourrissent de leur chair et de


leur sang, lesquels ne sont pas vainement II semblables à l’Hostie en
la Nouvelle. —
Premier payen : — On ne m II ’apprit jamais II cela pendant le
catéchisme II !—
Second payen : — On n’aurait garde. —
Premier payen : — L’Hostie, de la chair de Juif consacrée ?
Second payen : — L’Église a des docteurs qui savent vous
répondre. Cela n’est plus de mon ressort. —
L’hébreu : — Ces docteurs, où sont-ils, où se cachent-ils enfin ?
L’Église, n’étant parvenue à rendre aimable II aux nations Celui dont
elle se réclame,
n a suscité des vengeurs à l’Agneau lesquels, ne vou­
lant mourir en Son nom, s’entendent merveilleusement
n à géhenner
les autres. —
Second payen : — L’on n’aime n jamaisn tant l’Agneau qu’on
n’abomine l’instrumentn indispensable de la mort qui L’associe au
monde. —
L’hébreu : — Et l’on se passe mainte fois de Le chérir, s’il
est facile de venger un Maître qu’on n’imite n point. Le moyen qu’on
ne forcénât pour abaisser les Juifs auxquels on devait trop pour en­
durer ne fût-ce que leur ombre ? On désirait qu’ils disparussent,
crainte de les révérer, et l’on en tolérait des restes misérables, à
dessein de leur imputer les maux ri dont souffre l’univers. Que de
chrétiens se sentent offensés lorsqu’on leur montre l’origine de leur
foi, qu’on la replace dans le sein du peuple dont elle est pleinement n

issue et leur détaille tous les liens qui les unissent l’une à l’autre :
ils se figurent volontiers que J. C. rompt avec Ses pareils, qu’il les
rejette et qu’il n’enferme ri l’univers en la miséricordeii qu’à seule
fin de les exclure. On les insulte en leur remémorant n n qu’ils sont à
jamais
n débiteurs des Juifs et quelquefois les parricides, qu’ils ne
les jugent point qu’ils ne se mettentn hors la loi. La vérité, c’est
qu’ils déplorent trop souvent les incommodités que la doctrine
emporte et qu’ils se payent des effets qu’ils n’oseraient flétrir, en
improuvant la descendance de la Race aînée. C’est par de tels biais
que leur nature que l’on violente se décharge : ils montrent n de quel

352
maître
II ils se réclament
II et quel néant ils servent sous couleur de
s’employer à la défense de Celui qui vint pour sauver l’homme —
en occupant Sa place en chacun de nous tous — et qu’on ne trahit
jamais
II plus qu’en assumant
II une vengeance dont Sa parole est le
plus ferme
il démenti
II !—

LXXIII. Le péché mortel de F Église

A. On prend les Juifs soit pour des lieux communs, soit des figures
de la rhétorique et nous savons assez d’apologistes qui leur dénient
l’existence. Ils gênent tout le monde
H et ceux qu’ils servent, on les
ÎT
improuve de bâtir, on leur en veut d’être vivants, ils feraient sage­
ment
II de se muer
II en ombres éloquentes et démonstratives — que
l’on invoquerait le temps
II venu pour mieux
ri asseoir les vérités que
l’on professe —, on les accuse de se rebeller et de saper des fon­
dements
II dont il est évident qu’ils forment
II la première assise, mais
II

l’on oublie volontiers que leur révolte est légitimeII et qu’ils n’ont
pas à déférer à l’ordre qui les désavoue, avant de les assassiner.

B. L’Eglise voit d’un mauvais œil leur tentative de se rétablir et


donnera les mains
II à qui les chassera de Terre Sainte, mais que leur
offre-t-elle en compensation, à la réserve de l’ignominie
II et du car­
nage ? Et que leur vaut une assurance déloyale et des promesses
tortueuses quand elle enseigne les Gentils, les nourrissant de haine
à l’égard des vivants — durant que, d’obligation, elle s’étend sur
la louange des ancêtres, sanctifiant les uns pour diffamer les autres,
pour les livrer à la vindicte la plus basse en feignant de se lamenter ?

C. Le mouvementII part d’elle et son apostolat l’imprime,II et quand


le maître
n n’est un saint, quand les disciples ne sont justes, charitables,
éclairés et magnanimes,
n quel est l’effet de cette propagande ? Qui
nous la certifie, la précellence des théologaux et l’inspiration des
écolâtres ? Qui nous atteste la faveur de l’auditoire et ses dilections
évangéliques ? Car, en l’absence de tels maîtres,
n l’enseignement
ri est
dérisoire et, manque
n de tels postulants, la leçon la plus relevée une
incitation à la vengeance et quelquefois l’appel au meurtre
n !

LXXIV. L’assassinat L’Église, en se voulant substituer aux Juifs


métaphysique
n qu’elle prétend exclure, a nommémentII II

commis un meurtre
n — en premier II lieu
métaphysique
il — et d’où les pires avanies suivent de justesse. Quand
II ême
il elle aurait pris le soin de s’en laver, se pourrait-il qu’on l’in-

23 353
nocente et ne la voyons-nous prêcher de quoi légitimer n la forfaiture
qu’elle improuve et disposer les âmes n à la violence qu’elle désavoue ?
Que change-t-elle à son enseignement II qui les détrompe de ces vues ?
— C’est là que nous devons l’attendre et, certes, pas ailleurs, car
les promesses et les charités nous avilissent en nous immolant n et
nous clamons justice et non miséricorde
ii ! La vie à quoi l’Église
nous destine est une mortH perpétuelle et l’enfer même
II II n’a d’horreur
qui la dépasse : nous sommes l’agonie dont elle tire subsistance et
pour alimenter
If les fauves qu’elle flatte et qui se rient d’elle et de
son Dieu ! Jamais
II l’Église ne défend le peuple d’Israël contre les
nations qui lui reprochent d’être tout cela même
II II qu’elle veut qu’il soit.

LXXV. Colonne occulte II est plaisant de gourmander II les Juifs


de l’Eglise d’avoir dit en leur temps qu’un homme
devait mourir pour le peuple, où l’on
s’avise de charger un peuple entier, le vouant à la mort et lui signi­
fiant de proche en proche la sentence — avec un délai de faveur
entre les deux égorgements
H —. N. S. est la figure de ce peuple et non
pas celle de l’Église, Il n’a jamais II cessé de l’être — encore que
l’Église ait tout fait pour L’avoir, oui, tout, moins ce qu’il était
convenable : Le promouvant et L’imposant à force ouverte, prê­
chant la guerre sainte et multipliant
II les bûchers, assassinant par
mandataires,
II liguée à des puissances diaboliques et suscitant la
tuerie, à défaut de moyens, mise II en état de péché mortel par son
œuvre ou par ses volontés inavouables. Nous le savons, nous qui
venons de voir un homme, né dans le sein de cette Église et parti­
cipant de ses dons, invectiver contre les Juifs, puis déchaîner un
meurtre
II nonpareil, sans que l’Église l’ait vomi ; nous le savons et
nous disons qu’en vérité l’Église n’avait pas à le vomir, parce qu’il
était fait à son image
II et le symbole manifeste
II de sa perfidie, un songe
monstrueux qu’elle avait caressé, le songe ou mieux II : une manière
II

d’incarnation de ses penchants dissimulés II — de même


II II que N. S.
fut aussi l’incarnation du plus haut de Sa race — ; cet homme donc
a réuni dans sa fureur vingt siècles de mensonge,II tout comme J. C.
dans l’immolation
U vingt siècles de noblesse. Voici que nous les ju­
gerons, mais
II la sentence est déjà prête, irrévocable et suspendue,
et l’heure proche où nous serons admis n à la connaître !

LXXVI. Genèse d’une trahison Qu’un acheminement


II II de suites
insensibles ait conduit l’Église à
rompre l’alliance originelle au détriment du peuple le mieux n fait
pour la régir et qu’elle ait lié fort sagacement
n partie avec les nations,

354
n’empêche qu’elle ne se sente d’une cause inamovible et dont les
aboutissements l’ignorent ou la jouent. Elle a brisé l’attache et
c’est pour revenir aux lieux de sa révolte triomphante il : ailleurs,
elle décline et se tarit et, quand elle s’emploie à militer, il est besoin
qu’elle remonte vers sa cause et par delà tout l’édifice chancelant
des Docteurs et des Pères, qu’elle demande II une vigueur nouvelle
à la substance même n n de la foi — j’entends les Écritures — mais II

ce retour implique une allégeance. Dès le principe, elle en a, semble-


t-il, rougi ; dès le principe, d’aucuns l’incitèrent à poursuivre son
avance : ils furent légion, dès le principe, et rêvant d’âge en âge à
secouer le joug d’un passé qui ne les oblige guère, à cause qu’ils
demeurent
n. des payens. Ils vivent dans une Cité dont ils ont expulsé
les maîtres
n' légitimes,
II ils en garnissent les remparts,
II ils en défendent
les accès, ils en emplissent les maisons, ils édifient sans relâche, mais
n

ils ne laissent de se sentir étrangers où tout, jusqu’à la moindre n

pierre, insulte à leur présence.

LXXVII. Les méfaits


il Parler de la vertu suréminente
II illuminant
II

J e la rhétorique le peuple le plus vil et diviser Jésus d’avec


Sa nation est de mauvaise
II rhétorique et
de la pire foi du monde, si tout nous montre en J. C. le résumé II le
plus fidèle et l’aboutissement
n le mieux
n venu de ce que l’Israël de
chair avait de proprement
n divin, mais
n c’est la tentation générale
des payens mal
II baptisés que d’insulter au giron de leur Maître et
que de L’adorer en Le faisant idole. Ils ne reçoivent J. C. qu’à charge
de vomir sur la lignée et ne consentent à déifier un Juif, qu’à la
condition de désoler le reste ou de le séparer du nombre, rendant
saint Jacques Espagnol, promouvant Pierre et Paul à la romanité,
et changeant Notre Dame II à tout ce que l’on veut, moins ce qu’elle
n’a cessé d’être.

LXXVIII. Simple demande


II L’on serait bien en peine de savoir
en quel Heu se tenait le Maître, ce
n ême
n Vendredi que l’on avait accoutumé II de souffleter un Juif dans
les éghses. Belle demande
n ! Il fallait que le clergé fût aveugle,
aveugles les fidèles, mais
n tout cela n’a point changé, hors la semblance
tant la Nouvelle est singuhère et l’imitation
il à l’opposé de la nature.

LXXIX. Les guerres juives II est plaisant de reprocher aux


Juifs de s’être défendus après la fin
de N. S. J. C. et de traiter leurs capitaines de brigands, les ayant
grandement
il loués de donner la bataille aux Philistins, à Moab,

355
Edom, aux soldats d’Antiochus. Il l’est encore davantage de leur
imputer à crimeII un combat
H toujours inégal et qu’il leur faut mener
fl

sous peine de mourir et d’être méprisables,


II mais
II l’on ne veut pas
qu’ils obtiennent des suffrages, car s’il était loisible de les admirer,
l’on crierait à l’imposture
n et ceux qui jouent sur leur honte y
laisseraient leurs magistères
n et la vie.

LXXX. La cité de Dieu Que l’Israël de chair est une ville sou­
tenant un siège et que les peuples ne
l’ont point levé, mais
n qu’ils reviennent sous les mursII et depuis
quatre fois mille
n ans, en muant
II de semblance ou de prétextes.
Jamais la ville n’a cédé. Les nations se changent, les langues meurent
II

et tout s’abolit, la ville tient et n’ouvrira ses portes qu’à Dieu seul
et Dieu seul a pouvoir d’en faire tomber II les murailles. En vérité,
lorsque les peuples réléguaient les Juifs dans un emplacement II clos
de remparts, ils ne savaient que la Jérusalem II céleste avait élu sa
résidence en ces charniers abominables
II et, plus aveugles que les
Juifs astreints à l’endurcissement, ils voyaient sans trembler la
chair de N. S. J. C. agonisant dans les ténèbres !

LXXXI. Délices du fidèle Aucune volupté n’approche évidem II ­

ment
il de celle que peut ressentir un
homme pénétré — malgré soi-même ir n — des dogmes de la foi, lorsqu’il
insulte au nom des Juifs et se délecte à les flétrir. Et quoi de plus
émoustillant que de s’en prendre à ceux dont on lui farcit la mémoireii

et que sa chair profonde a sujet de haïr ? La mort ou l’avilissement u

sont les articles de ce choix qu’il leur impose et, s’il a l’obligation
de révérer leur trace, il tire de l’ignominie une vengeance apparem II ­

ment
II solide et qui le paye de son vasselage. Il n’admet point d’éga­
lité, car il les sait nos maîtres,
II mais
II leur abjection restaure la balance.
Entre le legs des Juifs et leur personne, il a voulu se frayer un passage
et dépouiller l’enfant de sa noblesse en la rendant inavouable,
quitte à l’assassiner après : « Les voilà bien, ceux qui se flattent
de changer le monde et l’ont déraciné ! Les voilà bien, ceux dont
nous recevons les fables convenues, ceux pour lesquels les peuples
se sont déchirés, les continents levés en armes II et les empires abattus,
les voilà bien, qui nous possèdent ! Levain des nations, tourment II

de l’âme
n et diviseurs du genre humain, qu’ils souffrent, qu’ils expient
et meurent
n sans relâche ! Le monde
II serait trop heureux de ne les
pas avoir connus, fléaux et plaies de l’espèce ! »

356
LXXXII. L’énigme du jardin Un hommemil cultivait sa terre et,
bien qu’elle fût pauvre, à force de
soins assidus il la rendit riche et plaisante. Or, l’homme II dont je
parle était de petit lieu, faible et chétif, il n’avait qu’elle et le désir
de l’orner davantage, il vivait pour cela quand d’autres n’en avaient
souci, sa terre fut plus belle encore et d’autres y jetaient les yeux,
de qui les champs étaient stériles et mal amendés. On le jugea
favorisé de la nature, on prit conseil de l’homme,
mu il devint à la mode,
on le fit même
n n arbitre et se vanta de l’imiter.
n Or, il se savait faible
et craignait pour son champ, II il veillait aux abords, maisII l’on se
disputait ses bonnes grâces, on vous le cajolait, il en perdit la tête,
il abattit l’enclos, le monde l’envahit, en moins
II de rien ce fut une
mêlée de langues et de peuples. Il était là comme égaré, les nations
à l’aise et lui de trop/on murmura
II de sa présence, on passa du
murmure
II à l’indignation ouverte, on le marqua d’un signe d’infamie II

et lui fit gravement


II reproche d’exister, on le bannit, on le vomit,
on l’égorgea, le nommant parasite et le fléau du monde, il fut l’objet
des haines et des craintes, on l’avilit en sa lignée, il s’ignora lui-mêmeII

à travers elle et ses lointains enfants mendient


II les restes de la table
où tous les fruits venaient de son jardin. Je le demande H à tous :
quel est cet homme ?

LXXXIII. Sur la condition des Juifs

A. L’on vit durant près de vingt siècles une nation qui n’avait d’exis­
tence qu’en peinture et vivait néanmoins, éparse et vilement n foulée.
Et qu’eussent dit les Espagnols, les Français et les Allemands s’il
leur avait fallu se renier en tant que tels, oyant des peuples étrangers
enracinés en leur domaine les assourdir de la louange d’un passé
dont ils réclament
n l’héritage ? Qu’il leur fallût rougir à l’instant que
l’on vante les chantres et les rois, leur faisant honte d’en descendre
et les servant à l’exclusion des neveux charnels ? Telle est pourtant
la condition de ces Juifs que l’on sépare de leur excellence et dans
la crainte qu’ils n’en redeviennent dignes.

B. Le monde
n a mis
n le Juif en l’obligation de lui fournir un cent de
preuves pour se justifier et l’incrimine généralement
ri sans se donner
la peine ou l’embarras
n d’en établir la moindre : il le condamne
n sans
appel sur une rumeur
n vague et pour l’amour d’un bruit qui flatte
ses oreilles, mais il s’emporte contre ceux qui, pesant les raisons,
ne veulent souscrire à l’arrêt et parlent d’argumenter dans les formes,
le simple fait de discuter lui paraît un aveu de forfaiture et même
n n

de collusion.

357
C. Il est du meilleur
H ton de ne pas convenir de la vertu des Juifs,
de leur morale et de leur loyauté, pas même
n n de leur précellence lit­
téraire et les dévots affectent de se récrier devant la splendeur de
leurs hymnes, en ayant soin de les attribuer à Dieu, peur de s’hu­
milier
II face à des hommes
iilH admirables. Il est donc entendu que nul
Juif n’est poète et que ceux d’autrefois servirent d’instruments
H à
la Suprême Voix, et qu’au rebours des Gentils ornés de talents,
ils apparurent indigents, barbares et niais. C’est ainsi que l’on
représente volontiers les douze Apôtres, que l’on rend assez ridicules,
du moins avant la Pentecôte, où l’on présume H que leur judaïsmeH

cesse et que les Langues les^blanchissent, car il n’en faut pas moins
pour laver un Israélite. Tout rassemblé, chacun se loue d’être ce
qu’il est, immémorant
lllli de ce dont il est redevable et nul n’a d’yeux
pour qui lui fournit l’Habitacle et la Provende.

D. On aura vu les Juifs incriminés H d’avoir été loyaux envers eux-


mêmes,
n n quand il n’est peuple qui n’en tirerait un augment de prestige,
et déloyaux où tout le monde conspirait à le vouloir, perfides à
raison de leur fidélité, coupables en vertu de leur vaillance, immondes
dès le moment
n n qu’ils fléchissent et toujours dignes de mourir, sans
laisser d’irriter qui les achève et leur pardonne mal de n’être plus
au monde,
H afin d’être en mesure de les tuer à nouveau. Les uns
ne manquent de les vouer au supplice, à l’intention de venger un
Dieu qu’ils désespèrent de servir en L’imitant H et dont ils souillent
la mémoire,
II les autres parce qu’ils L’ont suscité pour l’effroi de ce
monde et que le monde en est définitivement H changé, mais
II ils s’ac­
cordent à merveille
II à l’heure de la tuerie !
E. L’Église tremble
n que les Juifs ne redeviennent ce qu’ils sont,
superbes, magnanimes
n n et virils de toute la virilité du peuple de la
Bible, lutteurs de l’Éternel et non bétail sous la houlette, vrais
hommes
iiiii et non pas enfants, sévères et non pas niais et conscients
d’eux-mêmes
n u et de la sottise de leurs détracteurs. L’Église les pré­
fère vils, mous, lâches, besogneux et lamentables,
H exemples de
pédagogie, victimes en réserve et témoignage édifiant, matière If

qu’elle moule et déchéance qu’elle exerce.


F. L’Église bénit l’étendard des nations payennes, l’Église loue les
cités charnelles, l’Église est l’alliée des possédants et de l’habile,
l’Église vend l’aînesse et la revend à qui l’épaule en la couvrant de
honte, l’Église verse dans l’idolâtrie et se prosterne devant les idoles,
l’Église prévarique, trompe,
II ruse et joue, mais
II elle tance gravement
II

les Juifs de se montrer fidèles, d’avoir une bannière et d’aimer leur


cité charnelle, où chaque peuple fier eût agi de la même n n sorte.

358
G. Que les vertus des Juifs sont en abomination devant qui leur
reproche d’exister et qu’ils ont beau se rendre officieux et charitables,
qu’ils semblent néanmoins
Il en faute, où des mérites abondants, des
mœurs réglées et de la prévenance ne forcent point l’estime II de leurs
juges. Ces juges-là se plaisent à les quereller d’emblée et, dès avant
qu’ils se prononcent, ils leur font réprimande II et délibèrent noble­
ment, mais à la suite de l’arrêt, lequel est toujours préalable. Le
moyen
II de les satisfaire ? Il est à désirer que l’on ressemble
ri à ce qu’ils
veulent que l’on soit, au lieu de susciter à leur désœuvrement ri des
embarras continuels. Victimes, II ayez pitié de vos juges ! Allez-vous
devenir le rocher de scandale et l’instrumentII de la sédition ? N’avez-
vous point imaginé
II que même
h n les vertus ajoutent à l’offense et qu’il
n’est plus séant de vous -en prévaloir, que les vertus en souffrent
et, qu’à les voir en telle compagnie, on les diffame II d’importance ?
Que vous sert-il et d’égarer les magistrats
II et d’ahurir la populace
et de troubler enfin les bonnes gens dont la morale, pour se maintenir,
II

exige votre malfaisance


n ? On vous demande
ri en grâce d’être indignes !

LXXXIV. Paroles des croyants Nous sommes tous élus — vous


diront les fidèles —, nos prêtres
nous absolvent et qui ferait planer un doute sur l’Eglise mériterait
d’avoir la meule
n au cou, mais
n il est nécessaire que les Juifs demeurent
abaissés, notre salut l’exige et notre emploi nous en intime l’ordre
irrévocable, nous sommesn des vengeurs assermentés
ii et Dieu nous
bénira, puisque nos maîtres trônent infaillibles. Que si les Juifs
sont misérables,
n cela démontre l’excellence de nos théories : nous
feignons de les plaindre — en y tenant la main — et ne laissons
de travailler à leur ruine, dès le moment
n n qu’ils se relèvent. Nous
les rendons abominables
n pour qu’on les assassine sans miséricorde
n

et l’on serait au désespoir s’ils devenaient pareils à leurs aïeux,


qu’ils retrouvassent des vertus dont nous ne pouvons tolérer l’usage,
qu’ils se rendissent admirables
n malgré
n nos mandements,
n n nos moni-
n

toires et nos foudres ! En méritant l’estime des humains,ii ils manque


n ­
raient aux lois de la divine charité. Scandale affreux ! Insulte non-
pareille ! Ils oseraient mourir
n et n’auraient plus rougi de vivre ?
Il ne convient pas que cela se fasse et qu’en diraient les faibles ?

LXXXV. Antinomies juives


A. Les Juifs, un peuple sur la foi duquel un univers a nié l’évidence,
au nom de qui s’abaissent les superbes et se mutinent
n les calamiteux,
n

les justes se ravisent, les prudents se déjugent et les plus sages se


démentent,
n pour qui l’on meurt
n et qu’on assomme, qu’on humilien

359
et que l’on divinise, un peuple dont la chair est celle de Dieu même, fl

devant laquelle mille


n rois ont fléchi le genou, mais
n que le dernier
des sujets impunément
n n insulte, un peuple abominé
n s’il est loyal et
méprisé
fi s’il ne l’est pas, auquel on fait reproche d’être et que les
nations s’envoient et se renvoient, ne pouvant l’achever, qui les
assiste néanmoins
il et survit à leur déchéance, allant de pays en pays,
agonisant de siècle en siècle où les royaumes tombent et les âges
passent, effroi des pays qu’il traverse et leur scandale en permanence.

B. Les Juifs redoutent moins


II le jour de tuerie que l’annonce, et
moins
If l’annonce que la vision, et moins la vision que cette peur im­
motivée — et que le monde
ii justifie —, mais
II que la vision motive
et que l’annonce légitime
h et que la tuerie achève en l’anéantissant,
de mode qu’ils en meurent
n libérés et méprisants,
n où d’autres crai­
gnent de mourir et tremblent seulement n de craindre.

C. Tout homme qui n’est Juif se passe merveilleusement


If II de Dieu.
Les Juifs, eux, ne le peuvent en aucune circonstance et se renon­
ceraient eux-mêmes
n if : il ne leur resterait qu’à disparaître et jusques
au dernier. Sans Dieu, leur existence est digne de risée et toute leur
histoire impertinence ou fable, et leur enseignement n une imposture
II

signalée et leur exemple le plus ridicule démenti,


ii leur œuvre balbu­
tiement
II lamentable et leur bonté démence.
n C’est par les Juifs et par
eux seuls que Dieu s’affirme et ceux qui planent leur massacrefl ont
nourri le dessein inavoué de bouter le Seigneur hors de ce monde.
Et c’est pourquoi le peuple juif reste l’élu jusqu’à la fin des temps.

D. Le monde, autant qu’il est en son pouvoir, met de la complai­


sance à détailler les fautes et les chutes de la Race aînée, et ne lui
passe rien, pas même
II d’en sembler
n exempte. Les nations, se parant
de dépouilles juives, accusent néanmoins
u les Juifs de les déposséder
et, vivant dans leur ombre, leur en veulent de ne point mourir.
fl

LXXXVI. Sur le scandale juif Où la grandeur se situe au delà de


toute borne, il est si malaisé d’en
faire l’estimation
II que l’on met II de la complaisance à l’oublier et
marque
II du ressentiment
II à qui nous la rappelle. Qu’un peuple obscur
ait impriméii des lois à l’univers, que la moitié
n du monde acquiesce
à sa divinité, mieuxn : qu’elle s’en réclame
ii et s’institue défenseur
de ses traditions et même u de ses menteries, que les annales roulent
sur l’avènement du meilleur de ses fils que la grandeur avoue, la
sainteté révère et pour lequel la force consent à ployer ; que l’art,
les lettres, les travaux, les fastes et les dignités y prennent généra-

360
lement appui, que faut-il davantage pour nous laisser dans le trouble ?
D’où le besoin, le besoin forcéné de l’avilir, ce peuple, et de le rendre
indigne, peur qu’il ne s’improvise
Il le témoin de sa prééminence
H et
qu’il ne songe à la perpétuer. Qu’on l’aimerait, s’il n’était plus !
Mais il est là, toujours vivace et toujours irritant, et prouve ce qu’il
fut par cela même
n n qu’il ne cesse d’être : il est, dis-je, et les autres
s’en ressentent, parce qu’il modifie ce qu’il touche et rompt II qui se
rassemblent en dehors de sa portée, qu’il est le diviseur inassouvi
qui met
n en mouvement
n les pays et les siècles. Le mondeII se pourra
lasser d’en faire sa victime,
II qu’il ne se lassera de perdurer et ses bour­
reaux n’ignorent point qu’ils mourront avant lui, qui les enterre
avec leur descendance et s’établit leur juge : ils passent, il demeure II ;
ils exterminent, il enfante ; ils le diffament, ii il les ignore et, bien
qu’ils semblent sa fatalité, lui-même n n est plus réellement la leur,
de mode que leurs hurlements n’étouffent guère son silence où leur
fureur s’anéantit au pied de sa ruine.

LXXXVII. Les ennemis


n des Juifs

A. On est trop malheureux


n d’avoir raison, si les contraires savent
mieux mentir
il' et le mensonge
n a la faveur de tous ceux que la vérité
n’oblige plus ou qu’elle a réduits à l’absurde. Il ne suffit pas d’être
dans le vrai pour s’estimer à couvert des menaces,
n le vrai demande
un surcroît de défenses. Malheur au peuple armé n de sa lumière
n et
n’ayant qu’elle au monde,
il au peuple riche de ses dons et que les
nations dépouillent à l’envi !

B. Le privilège d’Israël est d’égarer l’entendement H le plus subtil


et, dès le moment
H qu’ils en parlent, les hommes déraisonnent à l’envi,
mais
il il n’empêche que l’inanité des preuves et des arguments ne
fasse des victimes
i< à milliers
n : cela s’appelle être payé d’usure et pour
des visions cornues. Les Juifs se meuvent littéralement dans une
nuée impensable de mensonges et de calomnies, qui les isole mieux H

du reste des humains que les murailles et les lois, mais trop y cher­
chent des raisons de vivre pour que l’abus se puisse réformer :
le seul moyen de tourner le système n est de se placer hardiment
n au
nœud de l’engrenage.

C. Ceux qui pourfendent Israël déchargent un désir et proditoire


et sacrilège : ils tentent le Seigneur en ce qu’il a de nécessairement
ii

charnel et, sous couleur de Le servir, insultent la Maison et vili­


pendent Sa lignée. En bafouant un Juif, le moindre des Gentils
s’en prend à l’héritage de quarante siècles, dont le triomphe est

361
l’éviction pertinente de sa race en tant que telle et l’ordre de mueril

et d’âme
n et de changer
•u de dieux. Le monde
ir s’est déraciné pour avoir
épousé la Cause et par le truchement
n du Maître, où l’Israël de chair
demeure
h seul en place, en dépit de l’errance, et porte la Gentilité.
Les adversaires d’Israël sont toujours de mauvaise foi, lorsqu’ils
n’écument
ii de démence
n ou ne bégayent de sottise : la gloire d’Israël
est d’égarer qui l’humilie,
n de perdre qui le violente et d’abêtir qui
le pourchasse, de rendre tous les hommes
lllll et pervers et fous et dignes
de risée, et là réside sa vengeance indubitable.
D. En haine d’Israël, des gens^de bien et même n n du meilleur parage
se firent prévaricateurs, bourreaux et meurtriers, n traîtres à leur
pays tout comme au genre humain n en son entier, abominables aux
regards des justes et dignes d’un mépris n sans bornes ni mélange.
Ils l’accomplirent à l’aveugle ou pesant leur ignominie, ils se ren­
dirent plus stupides que des animaux, afin de n’avoir à se déjuger,
ou s’ils gardaient l’intelligence de leur crime, n il leur fallait grincer
des dents et se vouer à l’amertume,
n n il leur était besoin ou de se
condamner à la ténèbre, marqués
n du signe de la bête, ou de se faire
les émules des démons. Ils savaient l’un tout comme tiiii l’autre, ils
le savaient et voulaient néanmoins et diffamer, n persécuter, meurtrir,
H

navrer en vomissant l’insulte, ils le voulaient et s’emportaient de


conseil pris à la démence,
n ils louaient leur délire, ils savouraient
leur frénésie, ils clamaient
n pour ne plus s’entendre et choisissaient
la servitude avec le crime, ils firent tout cela, glorifiant leur déme n ­

sure et secondant leur couardise, mais n: ils ne laissent de haïr ceux


qui les obligèrent à ce parricide, ils osent murmurer n de la victime n

et la charger de ce dont ils se sentent immanquablement n flétris :


ils abominent
n Israël d’avance, à raison de ce qu’ils souhaitent, ils
vont produisant mille
n griefs pour aller au-devant des éclaircissements n

qu’ilsse procurent, ils justifient les arrêts à prendre, ils légitiment u

leur scélératesse, ils volent, tuent, profanent et s’indignent, déses­


pérés que l’on ne puisse assassiner un peuple qu’une fois et le mau il ­
dissent, mort, de les avoir contraints à l’égorger en se désavouant.
Le plus terrible châtimentir est que les meurtriers
n des Juifs ne se
repentent guère et qu’ils le savent à merveille,
u et je le nomme la
vengeance des victimesn et la plus efficace. De telles nations méritent u

l’esclavage et s’y destinent sans remède.n

LXXXVIIL Le faux départ Tout refuser aux Juifs en tant que


nation et leur céder apparemment
sur tout le reste est une fourberie insigne, car l’homme
•r est d’abord
ce qu’il représente et ce dont il relève, et nul n’accède à notre

362
estime
n où nous le savons né d’un peuple illégitime H ou réprouvé.
L’état d’un Juif en l’univers dépend de celui de la nation dans son
entier. Aux Gentils les incriminant,
n les Juifs seront-ils pas reçus
à dire qu’ils vivent en tout lieu dans leur domaine h propre, en tout
lieu participant de leurs divers cultes, où l’Esprit souffle issu de
leur manière
n et subjugue amoureusement
n n' les volontés rebelles ?
Car leur royaume h est de ce monde et hors du monde, ils sèment II de­
puis trente siècles et l’univers en porte les empreintes
il à jamais
II

indélébiles, il est marqué


n pour tous les âges à venir et, s’ils mouraient
II

jusqu’au dernier, leur œuvre ne saurait périr et leur puissance res­


terait en place, elle n’en serait même H il que plus absolue et, morts,
n

ils pèseraient d’un poids inéluctable et triomphant sur les empires


de la terre. Les Juifs, témoins de Dieu, sont présents à l’espèce,
levain des peuples et ciment,n raison de vivre et de périr, matière
de l’Hostie et sceau de la divine Face. Leur tâche n’est point d’imiter n

servilement ceux qui subsistent par leur grâce, de chercher à se


rendre illustres ou de parvenir : ils ne sauraient monter plus haut,
qu’ils veillent à ne point déchoir, servants du Temple et nation de
prêtres investis de la lumière
n inaccessible, plus forts que la fureur
des ligues temporelles, invulnérables en leur agonie et que le monde n
s’ingénie à piétiner, de peur qu’ils ne l’embrasent. Les Juifs, étrangers
à la terre et par lesquels la terre se surmonte.

LXXXIX. Penthée Que je ne sache de martyre


n plus illustre que
celui de Penthée, lequel est dieu sans le
connaître et meurt
ir divinement.
n C’est une mort étrange d’assumer n

n
ce dont on n’aura point l’intelligence et d’être pleinement ce qu’on
ne doit jamais entendre. Et quoi de plus terrible ? Que d’hommes iiiii

sont Penthée à leur manière et ne sauraient le concevoir. Il nous


faut rendre à tous l’opinion de leur divinité, non pour qu’ils s’enflent,
mais qu’ils s’en aiment davantage. De quelle mort n ne meurt-on
ri

pas au nom de la plus belle cause, à seule fin de se prouver qu’on


en est digne ! II sied que l’on présume
n le meilleur de soi, mais
n qu’on
y persévère en payant de sa tête, et l’on n’a jamais trop d’orgueil
pour noblement
n périr.

XC. Seul péché d’Israël Il ne manquait


n aux Juifs que d’être ar­
tistes, pour donner et d’eux-mêmes II II et
de leur condition l’image
ii la plus émouvante
H et la plus véritablementII

sublime. Vit-on jamais


u acteurs moins
II pénétrés des rôles qu’ils
assument,
n les jouant avec plus de maladresse
II et tout comme lllll à
regret, prompts à se démentir
ii le jour qu’ils ne s’affirment
II avec in-

363
sistance et s’ingénient à persuader ? Il ne manquait
n aux Juifs que de
se projeter en une formen harmonieusementn scellée à l’univers, mais
n

dont l’issue dévorante entame n le principe et s’ouvre éperdumentn sur


l’indivis. Il leur manquait
Il de s’ordonner en une tragédie où l’homme n

se résume et se dépasse, où Dieu se joue et se déjoue, levain subtil


en l’artifice le plus délié, nœud de l’intrigue et son dénouement II

inachevé de siècle en siècle, éternité qui descend d’aube en aube


et qui fait éclater le temps.
II Le monde ne l’a guère pardonné : il
leur faudrait mourir ou devenir sublimes II infailliblement,
n eux qui
ne peuvent ressembler au demeurant II des hommes.n

XCI. L’aveugle intronisé Le peuple d’Israël n’avait pas à bâtir,


à peindre, à donner une forme à la
matière
n inerte : il fut la nation du Verbe, des psaumes n et des lois,
qui fournit tous les peuples de modèles. Pendant vingt siècles,
l’homme d’Occident n’a fait que chanter sa louange : il lui dressa
les temples et l’autel, il anima n des légions d’images,
u il peignit mille
n

et mille
n fois les épisodes de l’Histoire Sainte, il lui forgea le diadème n

le plus éclatant dont jamaisn .race se soit couronnée et son humaine


chair — dont l’Éternel se revêtit — s’offre à notre adoration dans
les custodes et dans l’ostensoir. Le peuple d’Israël est comme iiiii un
roi, trônant le sceptre en mainn et le trirègne en tête, et les Gentils
s’assemblent à ses pieds, multipliant
n sa portraiture à l’infini, maisu

c’est un roi qui ne voit point le jour, aveugle au beau milieu i» de ses
profusions,
i immémorant
iiiii n de sa tutelle et de sa légitimité, le mort
vivant assis dans un nuage et ceux qui le révèrent ne savent jamais
que c’est lui, lui seul et pas un autre, et pas un autre au monde, u

à la réserve de lui-mêmen n : ils ne le savent point, mais c’est à cause


qu’il l’ignore.

XCII. De la pensée juive

A. Que la pensée d’Israël est la plus solennelle et la plus virulente :


c’est un bouillonnement
n d’assises. Elle paraît à la mesure
n de tout
l’univers, elle s’adresse à tous les siècles et, née d’une règle étroite
et d’une normen liminaire, elle se change à tout ce qu’elle a desservi,
revendiquant tout ce qu’elle évalue et pontifiant dans les chaînes.
Le monde ne la fera point céder, lui qui ne s’en défend qu’en l’appe­
lant à l’aide : elle est insinuante et semble se jouer de ce qu’elle
démontre, elle s’affirme,
n elle se répudie et se déchaîne — et c’est
afin de se reprendre, indéfectiblement trempée — et depuis quatre
ri illeannées ne cesse de lutter avec son Ange.

364
B. Elle a grandi dans le mépris
Il de ses béatitudes, elle se veut bandée
comme l’arc de guerre et ne fléchit devant aucune idole. Mise en
réserve pour les âges à venir, elle se garde à force ouverte ou se
retranche dans les intermèdes
II et les procédés, mais
H nul n’a raison
de sa vigilance et nul ne cerne les demeuresil qu’elle habite et, s’il
y parvenait, qu’il en poussât le siège et donnât même u un général
assaut, qu’y trouverait-il davantage que Pompée il ? Il y discernerait
un vide étrange et fait pour recevoir un Dieu jaloux, il y démêlerait
comme
in ii une empreinte de l’irrecevable ou le débris de ce qui n’eut
pas même
il n de substance ; il serait débouté, plus faible qu’un enfant,
ne retirant nul fruit de sa victoire et marcherait comme lllll Titus,
paré de ses dépouilles solennelles, objets de pompe u et de métal,
H

mais
il il ne tuerait ce qui joe'doit mourir !

C. Que la pensée d’Israël est un flambeau qui brûle sur nos têtes,
le luminaire
n intronisé, le sacrement
u inimitable
il et la présence ma
H ­
nifeste de l’Esprit dans ce qu’il a de plus subtilement improfé-
rable. Il a suffi de quelques Juifs pour que le monde chancelât et,
quand le peuple entier devrait périr, ses victimaires
H ne seraient
pas assurés de vivre indemnes : il ne leur resterait plus qu’à le
faire Dieu.

D. Les nations s’accusent rarement


H et l’on en voit qui prennent
soin de réduire au silence un détracteur éventuel. Serait-ce à tort
où nous les regardons puiser en l’arsenal des Juifs et demander
n à
leurs prophètes de quoi mieux
n accabler leur descendance ? La soif
de vérité n’a guère avantagé ce peuple et son amour de la justice
ne l’a point servi, mais on l’a condamné
n valablement
n au nom de
ces principes qu’il révère.

E. Pour accuser les Juifs, on les dépouille et fait usage des leçons
de leurs prophètes. Si jamais nation mit ii de l’orgueil à se charger,
qu’on me la nomme et la place en regard, où nulle n’aura primé n sur
la juive en ce domaine singulier, mais n lourd d’embûches et semé
d’écueils, Il n’est donc pas merveille
n si les peuples viennent se fournir
et d’arguments
n et de prétextes, qu’ils puisent à mains
n pleines dans
le trésor de ces quarante siècles, renchérissant à l’aise sur la clameur
inspirée et flétrissant du haut de leur fumier qui leur donna l’exemple
et la raison de vivre. Morgué par l’insolence des aveugles, honni
par la sottise des prudents et foulé par l’écume n de la terre, le peuple
saint essuie les rebuts de la gentilité, mais n l’univers se mue
n et
tout se bouleverse à l’instant qu’il s’éveille aux destins infaillibles
qui le mènent
n vers sa cause.

365
F. Le monde
n ne combat les Juifs qu’à force de les opposer et mu«I ­
tuellement,
n mais
n il n’a garde d’avouer une manœuvre
tl dolosive et
se présente en vengeur et justicier ; il fouille leur histoire et la re­
tourne invariablementIt contre leur descendance et n’a de cesse qu’il
ne rende abominable un nom dont il se parerait avec superbe, à
charge qu’ils mourussent. Le monde éprouve le besoin de croire en
la noirceur des Juifs, les divisant d’avec le meilleur
II de leur peuple
et faisant minH e d’oublier qu’en chaque nation les saintes gens
s’exposent à souffrir. En aucun Heu du monde le sort du Maître ne
se fût scellé par un triomphe et chacun de nous tous L’aurait cru­
cifié, s’il ne L’aimait
II plus que sa vie propre.

G. Que si la moitié de ce monde judaïse, il est trop tard pour que


les Juifs s’en veuillent libérer ; il leur importe de savoir qu’ils sont
les légitimes
II détenteurs de l’excellence, raison qui pousse l’univers
à les noyer en l’avilissement,
II que leurs bourreaux se peuvent re­
tourner — s’ils Jeur en donnent le prétexte — et marqueraient
II autant
d’empressement
Ii à les servir qu’ils mettent
If de fureur à les poursuivre.

XCIII. Réflexions sur les diverses sectes judéennes


A. L’enseignement de ces religions issues de la juive est toujours
matricide, à cause qu’il se justifie mal
n en sa présence et, qu’avec
plus de hardiesse, elle en aurait raison, étant seule à la même
II source
et n’osant en descendre, alors qu’il lui serait aisé de les amalgamer
II IU

en elle et de les réunir sous la gouverne la plus généreuse et la tutelle


la plus légitime.
n C’est la raison pourquoi les autres ne lui donnent
de relâche, afin qu’elle s’oublie en la défense et ne s’étende par deçà

B. Je tiens fort déplaisant que les systèmes II judéens prononcent


l’interdit en mille
II occasions où l’interdit n’est pas de mise.
II Aux
yeux des Juifs, la sainteté chrétienne est souvent un délire et les
chrétiens négligent volontiers les Juifs des siècles suivant le procès
du Maître, alors qu’ils les adulent jusque là. Les musulmans
u u se
montrent aussi rigoureux touchant les uns comme les autres, de
mode qu’on se damne merveilleusement
n h de tous les côtés à la fois
et qu’on en vient au pire. Il est patent qu’il nous faut élargir les
bornes assignées, qu’on ne se fonde pas en l’ignorance mutuelle,
n

à moins
n d’assujettir le monde en son entier et de tout subvertir
dans la ruine de ses luminaires, dessein que chaque religion n’a
manqué
n d’ourdir et dont elle a peut-être fait son deuil. Quoi qu’il
en soit, les trois systèmes
ii semblent lourds d’une menace
n et d’un
mauvais
if désir que l’on se garde d’avouer ou de combattre.
n

366
C. Le propre des systèmes ii judéens sous leur diverse forme H est de
viser à l’absolu : chacun se ferme ir et se rempare,
n et chacun se tient
digne de régir le monde en son entier, mais ii lance l’interdit sur les
rivaux, leurs ressemblances mutuelles
II ne servant qu’à les opposer
avec une rigueur accrue. Point de remède II à la division, à moins
d’en inventer un autre et susceptible de les contenir, sans les heurter
de front, qui prenne appui — d’un mouvement n n sans violence —
et sur le passé le plus vénérable et sur la foi du commun IIIII avenir :
un tel systèmeII laisserait l’ensemble tout pareil à ce qu’il fut et
donnerait licence aux meilleurs de se rapprocher. Il est des mu II ­
tations souhaitables que nul ne croiserait, si nous veillons à n’en
jamais
ii' précipiter l’issue ; il est des changements n lesquels préludent
en douceur et qu’il fautbien des siècles pour mener if à terme
u ; il
en est d’autres, plus soudains, et que l’on doit saisir au vol. Le té­
moignage de l’erreur exerce les subtilités et ne se fonde jamais n

à la longue en des raisons valables — qui nous dispense de le consulter


peur d’éveiller un soupçon légitime n ! — et mieuxn vaut d’industrie
conduire le plus long dessein que d’avancer une ruine prompte,
à force de tout démarquer
n ou de ne rien débattre.

D. Le travail d’exégèse — encore qu’il nous faille tendre au même n

but — diffère grandement n selon le propre et l’inclination de chaque


secte et l’on peut moins ici qu’en d’autres fieux et réciproquement. n

L’on imagine
u : u al, au sein de l’islamisme,
n un culte de la vérité,
fût-elle dommageable, à quoi les âmes n libérales nous invitent, et
les Orientaux ne semblent
n guère en état de se soutenir en la morale,
au défaut de leur fanatisme, n et qui l’ébranle les abaisse. Nous sommes
loin de l’union que l’on souhaite et nous devons auparavant unifier
les genres d’existence, pour qu’une même ni n vie appelle un semblant
de solution en quelque sorte similaire.n Nous gardons bon espoir,
vu l’impuissance générale des systèmes n en l’état présent et le besoin
marqué
n d’un élargissement
n en profondeur. Le renouveau — s’il est
possible — aura premièrement
n n à tâche de miner
n une série de dilemmes
apparents, idoles affermies
n en l’orgueil et qu’on révère à cause qu’elles
sont en place.

XCIV. Second colloque sur les Juifs entre un Hébreu chrétien et


deux Juifs obstinés

Premier juif : — Le peuple d’Israël est d’entre les anciens le


plus fidèle et d’entre les nouveaux le dernier avenu. Sa langue ne
s’est point changée et les principes de sa foi demeurent
n solennel-

367
lement
fl inviolables, sa volonté n’a pas mué d’assise et jamais II il ne
se dévie, à l’épouvante des témoins aveugles. On l’a tenté, mais II

d’âge en âge il est en peine de sa feinte et, quelque soit l’éloignement


où ses contraires l’ont réduit, il n’a manqué II de se reprendre, et
fût-ce de son antipode. Son ombre est sur les nations qui s’ingénient
vainement II à mutiler
II le corps, il marche et ne réprime II l’insolence
des railleurs, il passe et traîne l’univers dans les sillages de sa quête,
épris de l’absolu dont il ne semble que l’antécédence et dont il
fonde les empires. Les nations n’ont point l’intelligence de leur
être et c’est par lui qu’elles deviennent, il les révèle à leur entende­
ment,
II il en essuie les murmures,II fl il en supporte les fureurs et celles
qui lui doivent le meilleur II de leurs vertus le jugent inutile, l’ayant
dépouillé. Jamais fl il ne repose et jamais il ne dort, quand l’univers
est plein de races sommeilleuses, il porte en mille lieux le mouvement 11

et la lumière,II il sème
II les ferments, il ente les prodiges, la terre se
remue
fl et les ténèbres se dissipent, les lois sont en balance et les
coutumes II en épreuve. Il est le diviseur du monde et le retire de
l’inerte, il renouvelle l’œuvre de création et l’associe aux véhicules
de sa virulence, il est commotion II et la matrice
II de l’événement, H

l’ébranlement il générateur et l’aventure sans parages, la trombe fl au


sein de vos paluds et la colonne véhémente, H l’esprit de l’inflexible
et le miroir
If de la suprême incertitude, toujours en lutte avec son
Ange et toujours disputant avec son Dieu sur le fumier fl où les Gentils
l’entravent, de peur qu’il ne les affranchisse à l’heure que lui-même fl II

se débande. Oui, l’univers entier a connu son empreinte : il l’a marqué II

pour tous les siècles à venir au sceau d’un Maître irréfutable, du


Maître auquel il se donna dès l’origine et qui préside aux fins su­
prêmes fl de l’espèce. Tel est le peuple d’Israël, couronne de la Face. —
* Second juif : — Qu’il parle bien ! Mon éloquence ne va pas si
haut. Qu’en dis-tu, toi, le baptisé ? —
L’hébreu : — Il parle bien, mais il ne s’entend guère. —
Second juif : — Vil renégat ! Tu louches vers nos ennemis. II

Apprends qu’ils te méprisent. fl —


L’hébreu : — Je ne l’ignore pas : ils me haïssent plus que vous.
Je n’en suis que plus solitaire et, toutefois, je mourrais pour ma
race, encore qu’elle me dédaigne. —
Second juif : — Voilà saint Paul ! Tu la sersbien, F Église ! —
L’hébreu : — Et vous la servez mieux encore. En niant J. C.
les Juifs affirment u la puissance de l’Église. —
Premier juif : — En allant à l’Église des Payens, ils désavouent
les tourments fl qu’ont endurés leurs pères. —
L’hébreu : — En se rendant au Christ d’eux-mêmes II II et d’emblée,
u

ils seront à nouveau l’Église véritable, autour de quoi les nations

368
s assembleront un jour. Lorsque les Juifs iront au Christ, l’Église
devra s ébranler, non pour les recevoir, mais H pour leur faire escorte
et, ce jour-là, qui restera sur place, en vérité, ne sera plus ni d’elle
ni de Lui. —
Second juif : — Aller à J. C. ? Au fils de cette parfumeuse n ?—
Premier juif : — Ce fut un homme II noblement doué, mais n il
a trahi notre Loi. Je pense qu’il eût rougi de l’Église, avec raison
d’ailleurs. Il serait bien puni, s’il revenait au monde n : en nombre H

de pays, on lui refuserait le droit d’entrer, en vertu de son origine. —


Second juif : — En nombre 11 de pays et justement IT les plus
fidèles à l’Église, où votre Église fait la loi ! —
Premier juif : — Ailleurs il languirait en butte à des vexations
dissimulées,
II ailleurs on le .dépouillerait avant que de le mettre à
mort, le tout pour le mieux II honorer et mainteII fois en se clamant II

de lui. —
Second juif : — On lui démontrerait qu’il est abominable d’être
Juif, qu’il tient du nègre et qu’il pollue ce qu’il touche, qu’on est
fort bon de le souffrir et qu’il est un scandale permanent. II —
Premier juif : — Il verrait mille II et milleII sanctuaires où l’on
enseigne la Parole avec la haine des agents et contrefait ceux que
l’on foule, où de petits enfants sont nourris dans les préjugés les
plus affreux et dont ils armeront un jour leur innocence meurtrière, II

où ceux qui les enseignent les absolvent, déplorant la boucherie en


ne laissant d’instruire de nouveaux tueurs. Il verrait qu’on n’égorge
plus de bêtes en l’honneur de l’Eternel, mais que le sang des Juifs
n’a cessé de fumer II depuis vingt siècles ! —
L’hébreu : — Tout l’édifice d’Israël, avec ses martyrs h innom­
brables, la foule des saints ignorés, la légion des héros méconnus n

et plus de justes inutiles qu’il n’est d’étoiles dans le ciel, tout l’édifice
d’infortune et de gémissement
II s’élève, tour murée n en le silence et
les ténèbres. Or, nul n’a d’yeux pour cet amas n de torturés, mais l’on
ajoute à leur monceau,
II l’on se prépare à de nouveaux égorgements II

durant que les entrailles fument et que le sang arrose les autels,
des milliers
n d’esclaves abusés attendent leur salut et leur raison de
vivre de l’immolation
n perpétuelle de la race, depuis vingt siècles
les dépouilles juives se mêlent
II à la terre de leurs ennemis H et la four­
nissent de leur abondance. —
Premier juif : — Tel est le sort des Juifs et, sans mentir, II

quel peuple n’abusa de leur détresse ? Est-il beaucoup de lieux


qui ne leur soient des charniers et des tombes II ?—
Second juif : — Victimes II dévouées, que l’on engraisse avant
de les abattre et qu’on aveugle d’industrie, pour qu’elles fassent
un plus long usage. —

24 369
L’hébreu : — Et, néanmoins, tout l’édifice d’Israël ne l’a rendu
participant de la divine grâce et tout l’enchaînement des maux H

qui fondent sur un peuple ne l’a guère racheté, vu qu’il est un défaut
au plus intime11 de l’assise et qui balance les vindictes encourues :
il manquait une seule pierre et cette pierre a soutenu l’Église,9 en
dépit de son infidélité, de ses proditions et de ses meurtres.
n mi-­
L’ini
quité l’emporte sur le droit, lorsqu’elle bâtit sur la juste cause ! —
Premier juif : — Le privilège d’Israël est d’être à couvert de
la démesure
tt et l’admirable des leçons qu’il nous avance est qu’en
tout lieu de son histoire il n’atteignit pas mêmen n à la limite.
ii —
L’hébreu : — Hors une fois, lorsqu’il alla si loin qu’il n’a pu
revenir. —
Second juif : — Or, nous ne reviendrons jamais. H Jamais ! La
cause est entendue. —
Premier juif : — Le peuple d’Israël, l’unique à voir le Maître
face à face en la rigueur suave et la mansuétude
H inexorable, le
peuple d’Israël, l’unique à subir le poids chevauchant de la divinité,
le seul à lutter avec l’Ange en tous les temps,
ri le seul mis à jamais 11

en l’obligation de professer des lois qui le diffament,


n le seul devant
choisir et ne pouvant s’y dérober — où les Gentils s’exemptent n de
l’élection —, le seul n’ayant de sûretés, moins celles qu’il résigne,
et n’ayant d’assurances, hors celles qu’il espère, enfin l’unique
nation que le divin força dans les retranchements
H suprêmes,
11 le peuple
violé que les bâtards outragent et que la lie de la terre osa juger
avant de le flétrir, le peuple toujours en épreuve... —
L’hébreu : — A-t-il moyen de se soustraire à FAdorable, de
L’ignorer de conseil pris et de se refuser à Sa tutelle, de s’affranchir
du Maître en lequel tout subsiste et de bannir de sa présence l’Orant
médiateur
II qui le réconcilie au monde et l’univers à Dieu ? Qu’a-t-il
en vue à l’heure qu’il détourne ses regards, vers quoi les porte-t-il
de préférence et que souhaite-t-il ? A-t-il formé l’espoir de se jouer
de l’implacable, de mitiger l’assertion dernière, de rompre II les
mesures
11 de sa foi, de changer l’univers et tout cela peur de passer
de la puissance à l’acte ? Car J. C. n’a nullement II trahi la Loi, le
Maître nous l’a découverte, Il l’a reprise et de plus loin, Il l’a para­
chevée et la scellant II la transcende. Car Dieu réside au-dessus
de la Loi, la Loi réprimen le désordre et le Seigneur nous en libère,
Il nous libère même u de la Loi quand elle se rend inutile, Il nous en­
seigne à devenir les affranchis de notre servitude et, comme II est
au-dessus de la Loi, sachez qu’il plane au-dessus de l’Église et,
quand elle s’en dit l’épouse inamovible,
11' elle défie la sentence ! Alors
N. S. retourne devers qui L’attend en s’éloignant de ceux qui Le
possèdent, alors N. S. se met11 en marche
II et se dérobe aux lieux de

370
sa prodition, Il abandonne Ses brebis en faveur d’une seule et, pour
l’amour de la plus menacée,
Il Il en déserte le troupeau, mais II ne
revient guere sur Ses pas et qui ne Le recherche alors L’a désavoué
pour Son Maître. —
Premier juif : — A croire les Apologistes, la Synagogue serait
trop charnelle et trop énamourée du visible, au soin des choses de
ce monde et ne devant le posséder — vu que le monde la possède —,
nourrie, à ce que l’on prétend, de la rosée du ciel et de la graisse de
la terre, où votre Église serait vierge et néanmoins féconde, éprise
seulement de l’invisible et dans les intérêts mêmes n IT de Dieu, dont
elle est à la fois l’épouse et la servante. —
L’hébreu : — Le parallèle est, semble-t-il, II expédient, mais
alléguons à la décharge de la Synagogue une misère II nonpareille
où le plus nécessaire a fait si généralement défaut qu’il était malaisé II

de s’en déprendre et qu’il aurait fallu l’avoir en assurance, avant


que de viser à l’abnégation totale. —
Premier juif : — Or, elle n’a cessé de gémir iT et de plaindre,
destituée de ses fondements et toujours sous le coup de la menace.
Nous ne pouvons donner à Dieu ce qui ne fut notre partage et ne
devons aucunement ri choisir, où d’autres ont choisi pour nous, nous
assignant un arbitraire à quoi nous n’échappons que moyennant
la perfidie ou le dernier supplice. Et quand la Synagogue renfer­
merait
n autant de saints que de fidèles, aurait-elle sujet de s’ancrer
plus valablement n en la faveur des peuples ? Car les martyrs n des
Juifs demeurent méconnus et leurs saints inutiles, le monde les
ignore, la Synagogue n’oserait les accueillir, en vertu de sa pau­
vreté : ils auraient trop d’éclat, trop d’illustration pour elle à qui
les nations ont rompu bras et jambes. Dieu seul les voit, si tant est
qu’il existe. —
L’hébreu : — L’Église, à l’opposé, malgré H l’abaissement des
derniers siècles, est riche au souverain degré, tout l’univers a fléchi
sous les lois du pasteur angélique et la mémoire II de sa domination
n

dure emmi
ni n nous et se devra perpétuer, ses moindres II mouvements n

respirent l’opulence, un rien la hausse et mille II conjurations ne


la feront pas chanceler et, quand elle s’avise de tomber, II la chute
en est majestueuse.
n Et, toutefois, ce corps géant, ce formidable II

entassement de membres et de siècles repose, oui, repose en dépit


de soi-même,
II II repose uniquement
ri sur les épaules de la Synagogue
errante et terrassée, et, rien sans elle, il ne peut empêcher n qu’elle
soit tout sans lui. Faible est la Synagogue et la risée de ce monde, II

on la dépeint les yeux bandés et veuve de son diadème II : faiblesse


étrange et redoutable, mystèreII auguste et menaçant
H — et moins
pour elle que pour tout ce qu’elle porte ! —

371
Premier juif : — Et pourtant tu la désertas ! —
L’hébreu : — En J. C. le Verbe se fit chair et l’espérance la
plus longuement n mûrie
n se voulut engager dans le sensible, pour la
première fois les dispositions intérieures vinrent à bout de la réalité,
le rêve d’une nation subjugua l’évidence et l’Homme-Dieu, l’ac­
compli de sagesse et les délices de l’amour, Il cet Homme-là n parut,
dépositaire de Sa légitimité, il garant de toute vie et pleige de Sa mort, n

cet Hommeillil nonpareil, le fruit de la promesse,


H le diadème II de l’élection
jusqu’à la dissolution des temps ! Il puise librement dans le trésor
spirituel des Juifs, ce qu’il effleure se déploie et ce qu’il touche se
dilate, l’ensemble gagne une* dimension nouvelle où les enigmes,
se creusant, s’exhaussent à mesure n et tout respire, antinomie au
fort de la suprême H certitude et véhémente
n paix au sein de la bataille.
Qu’importe que les Juifs Le méconnaissent, le monde il Le leur ôte
sans retard. —
Second juif : — Que nous importe ! —
L’hébreu : — Et cependant qu’ils font silence, les peuples Le
révèrent et Le déifient. —
Second juif : — Il nous a fait assez de mal —
L’hébreu : — Ils vont jusqu’à Le réclamer, II ne pouvant con­
sentir de Le devoir à d’autres, à Le devoir enfin à ceux qui L’ont
rendu possible, à Le devoir aux Juifs. —
Second juif : — Nous n’en sommes pas plus fiers. —
L’hébreu : — Par là les nations s’éloignent de leur Rédempteur
et, plus elles Le veulent, plus elles L’injurient dans Sa chair vivante,
elles prétendent Le servir et L’ensanglantent une fois nouvelle et,
de ce chef, le peuple d’Israël est le tableau de leurs vengeances, oui,
le tableau, car il expie les impératifs des lois morales assujettissant
le monde,
U lois fixant le réel et violentant la nature, à qui nul peuple
ne déroge plus, lois fortes à l’épreuve, plus dures que les mandements n n

de la nécessité, plus fermes et plus conséquentes, lois de rigueur et


lois d’amour et celles-là terribles dans leur absolu sans tache ! —
Premier juif : — Les Juifs ont ébranlé l’espèce, la terre fume II

sous leurs pas, les nations se bandent et s’insurgent, leur Dieu


domine l’étendue, leur espérance est le soutien de l’impossible, II leur
foi renverse les murailles,
11 leur charité menace
II et pacifie. —
L’hébreu : — En tout lieu l’Esprit souffle et leur chair invin­
cible appelle J. C. redescendant sur la Suprême II Table. —
Second juif : — Horreur et profanation ! —
L’hébreu : — Mais la merveille II est-elle pas que nul ne le dé­
couvre, nul d’entre les Gentils et nul parmi II les Juifs, les uns ne le
voulant connaître, les autres ne le pouvant démêler, de mode II que
les nations méprisent ceux qui les gouvernent et que les Juifs ne

372
savent la raison de leur puissance véritable. Que les yeux s’ouvrent
et les voiles tombent ! Alors les Juifs épouseront le meilleur Ii de leur
cause, ils seront un avec le Seigneur J. C. et plieront la terre sous
le joug ; qui s’y refusera, ne subsistera plus devant la Sainte Face
et leur empire deviendra le Sien. En vérité, le Christ a tenu la pro­
messe
ü et l’espérance la plus orgueilleuse est-elle pas comblée au
delà de l’affirmative
II ?—
Premier juif : — Donc votre Église vient des Juifs. —
L’hébreu : — Elle aurait tort de le nier. —
Premier juif : — Il n’est de pierre qui ne soit du Temple. —
L’hébreu : — Il n’est de rudiment qu’elle n’en ait tiré, malgré II

ce qu’on allègue, et ses préceptes s’en avouent de même II II que ses


règles s’y confirment,
IV mais c’est la dépendance la plus libre et, si
l’Église a tout reçu, n’a-t-elle pas tout dépassé ? A la lumière de
ses révélations, quel change et quelles altitudes ! Ce qui fut sim­
plement borné pouvait-il enfermer il tant de richesses ? Et quand son
œuvre ne serait qu’une leçon nouvelle sur la matière
H la plus vénérable,
elle en aura tout le mériten et n’est-ce pas créer une seconde fois
que de multiplier
II infiniment
n une opulence antérieure, épurant ses
mondanités et la fondant en une généralité sublime n enveloppant
les étendues, de ramenern les nations à l’unité qui les embrasse n' et
de tout achever en l’établissement de son principe ? Que si les
Juifs demeurent confondus et crient à la trahison, à l’imposture
même, ils ne s’abusent qu’à demi. —
Second juif : — Ils ne s’abusent pas : l’Église les rend inu­
tiles. —
L’hébreu : — Depuis qu’elle est au monde, n ils semblent
n déroger
aux traditions qu’ils invoquent, ils prouvent qu’ils ne les entendent
plus ou ne leur attribuent que le sens le moins spirituel, ils ne s’en
montrent guère dignes et d’autant moins n qu’ils les observent avec
plus d’emphase
n et, s’il en est qui les retrouvent en leur pureté der­
nière, il est patent qu’ils cessent d’être Juifs, bien qu’ils ne puissent
le savoir et que les payens baptisés l’ignorent. —
Premier juif : — Le rituel des Juifs et ce qui s’y rapporte
avait pour fin de conserver la nation et de la diviser d’avec le reste
des Gentils. —
L’hébreu : — Mais il n’a plus d’usage à l’avenir, puisque la
nation s’est rétablie ! Il est loisible qu’elle se transforme ii en secouant
une tutelle provisoire et qu’elle participe au fruit des gloires oubliées,
qui lui reviennent sans conteste ; il est permis n qu’elle se donne à
la Nouvelle Église et soit la première n à la réformer en la rendant
universelle selon la promesse. Il est expédient qu’elle le fasse et ne
recule pas, qu’elle se charge du dépôt, qu’elle le sanctifie à la di-

373
mension de Pœcumène, Il à la mesure du divin dans l’homme et de
l’humain
il dans l’ineffable. —
Premier juif : — Si Dieu lui rendit son domaine ii temporel,
ü c’est
pour la retirer du joug. —
L’hébreu : Et lui permettreri de songer à Lui de préférence
à l’aire et, s’il a mitigé fai: n ce n’est qu’en vue de lui susciter
ü litige la faim,

ri nouvelles, des faims


des faims IT que rien n’apaise, à moins
ii que Dieu
ne les contente. Alors les Juifs dépouilleront l’Eglise, à l’instar de
l’Église d’autrefois, il ne sera de pierre de leur Temple qui ne leur
vienne d’elle, et leurs préceptes s’avoueront de notre Église, leurs
règles s’y confirmeront
il et sans détour, mais il ce sera la dépendance
la plus libre : ils auront tout reçu, tout dépassé, tout retrouvé, se
rejoignant par-dessus elle, élus pour la seconde fois en un augment
de légitimité.
n Car les leçons nouvelles de l’Église enserrent plus de
nouveautés encore et plus de hardiesse, l’Église n’osa les pousser
trop loin, elle agit en se conformant IT à la prudence, en ayant peur
de sa folie, en revenant sur elle au Heu de s’engager à bout de voie,
en rapportant à ses devoirs ce qu’elle devait à son Maître, en s’aimant
plus que sa démarche,
ii en se fixant peur de s’aventurer, acquiesçant
à l’immobile et rêvant de stabüité, s’abandonnant au dogme sur
les arrangements à prendre et déléguant ses fins à la rencontre de
l’événement. —
Premier juif : — De même ri que la masse des Gentils a dépouillé
les Juifs de l’héritage de leurs pères, de même, ii n quand les tempsil

seront venus, les Juifs recueilleront le double patrimoine et sauront


accorder ce qui s’oppose, au défaut de leur entremise. —
L’hébreu : — Et fait qu’ils manquent ii à l’Église des Payens
plus que l’Église ne les désempare. —
Premier juif : — Quand bien l’Eglise pourrait amener ii les
peuples à lui rendre hommage, iiin le concert unanime ne la payerait
du refus de la nation première. ii —
L’hébreu : — Chacun d’entre les Juifs a l’apanage du scandale
et représente, néanmoins, l’Agneau, bien qu’il l’ignore ou que son
rôle le dépasse et chacun d’entre tous les Juifs peut devenir, en moins ii

de rien, le juste qu’on pourchasse et l’innocent qu’on tue. —


Premier juif : — C’est notre privilège. En ce bas monde, il
n’est de Juif que l’on exempte du martyre et qu’on n’assomme s’il
trébuche, et, s’il ne donne prise, on le fera tomber, ii à seule fin de
justifier la sentence. —
L’hébreu : — C’est notre privilège et tout Juif est coupable,
à n’être pas un saint. Voilà le signe de l’élection ! —
Second juif : — Je suis donc infaillible et quoi que j’entre­
prenne. —

374
L’hébreu : — Malheureux ! — '
Premier juif : — C’est là ce qu’ils prétendent et c’est ce qui
les perd. —
L’hébreu : — Tout bien considéré, le drame Il d’Israël est moinsII

d’être l’agonisant en permanence II que de n’avoir langui plus belle­


ment
II dans la plénière intelligence de ses fins, mais n Israël n’y saurait
accéder que par le truchement II du Christ, image
H de ce peuple et son
modèle
u véritable, car il a tout ce qui l’égale au Maître : la honte
et la menace,
n le tremblement
H et l’agonie et plus de fermeté II que
ses bourreaux déments II et plus de charité que ses consolateurs per­
fides, mais
II ses vertus ne l’avantagent point, il les ignore même n n et
l’offenseur les nie, le dépouillant de tout ce qui le mettrait n en estime, n

afin que, méprisé,


n l’Israël de ce monde
n en vienne à rougir de sa
gloire, à se prostituer aux nations dont il invoque l’assistance, à
se justifier devant ses parasites, puis à mourir n ignoblement
H en vou­
lant qu’on le plaigne. Sans N. S. J. C. les Juifs sont pauvres au degré
suprême, un peuple moribond de martyrs inutiles et la risée des
méchants,
n l’effroi des tièdes et le trouble des meilleurs,
n mais,
ri forts
de Lui, les voilà riches de surabondance, un peuple saintement n

élu de prêtres et de rois, dignes de commander au reste de ce monde


et de le paître en l’altitude. —
Premier juif : — Les nations le savent et le craignent : entre
les Juifs et leur destin les Gentils se massèrentn et c’est pourquoi,
venus et du plus loin, les Juifs se rendront les plus proches, ayant
levé l’obstacle et brisé la muraille, n scellant l’abîme à fermer n une
parenthèse de vingt siècles. —
L’hébreu : — Dieu n’a pas suscité les Juifs pour les soumettre n

aux lois du monde n et pour les faire entrer en lice avec les autres
peuples, mais n à dessein de braver toute loi qui ne fût Sienne et
de montrer aux forts qu’il a moyen de les abattre à l’aide des
plus démunis. Tel est le sort des Juifs et leur condition parmi n les
hommes.
iiiii —

XCV. Les faux mystères


H De son autorité, l’Eglise a permisn que
le peuple auquel elle doit tout et l’exis­
tence, végète en un abaissement
II sans parallèle dans l’histoire et que
les nations se vengent d’elle et de ses lois en punissant leur cause
temporelle et la frappant au ventre. On la vit réprimer II tous les
desseins d’approfondir les textes, de remonter
II à l’origine de l’apos­
tolat ou de prêter un sens intelligible à ce qu’elle voulut enigme, il
fallut recevoir en l’adoration les faits et gestes de ce peuple, dont
elle oblige ses fidèles à louanger les pompes
n et les œuvres — voire

375
les forfaitures —, en leur abandonnant les survivants charnels pour
qu’ils expient tant de gloire ; on la vit s’allier aux ennemis
n les plus
cruels de son enseignement et s’en remettren quelquefois aux loups
du soin de la défendre, usant des moyens les plus ténébreux au lieu
de choisir le consentement
if et de s’offrir en holocauste. Ses défen­
seurs l’ont avilie et désormaisfl l’Église a tout à craindre de ses
partisans. La voie royale est une voie dissimulée et pleine de tra­
verses : qui, depuis tant de siècles, y chemine à la réserve de ce
peuple dont le triomphe de l’Église a scellé la fortune, multiplié
ii

les tribulations, précipité les morts par légions entières ? Dorénavant


l’Église, en état de péché mortel, est la figure de ce peuple au temps
de N. S. même et voici que ce peuple est à l’Église de demain et
qu’il sera la seule légitime,
n intemporelle, la plus ancienne et la plus
neuve.

XCVI. Les conditions De même


ri que les Juifs sommaient leurs
du triomphe prosélytes de se dépouiller de tout ce qu’ils
avaient en propre et de se faire Juifs pour
l’être, l’Église admet qu’un peuple ne se change pas en devenant
chrétien, mais
n astreint les seuls Juifs à rompre d’avec eux et leurs
pareils, les recevant à charge qu’ils s’anéantissent. De moden que les
nations subsistent telles quelles dans le sein de notre Église et que
les Juifs n’en peuvent être s’ils ne se renient. Ce désaveu me il semble
II

une erreur de conduite et forcera les Juifs à se constituer l’Église


qu’ils méritent
u pleinement
n d’avoir. C’est par le Christ et par Lui
seul que l’Israël de chair triomphera du monde n et que le monde
lui sera le plus entièrement
tt soumis.
n' Les Juifs possèdent l’armeit sainte
et la plus efficace, mais
il elle demeure au fourreau. Qui l’en retirera
dans l’éblouissement
n de foudres et d’éclairs ? Qui brandira l’épée
de l’archange, oisive depuis tant de générations, le glaive de justice
et de miséricorde
ri­ ?

XCVII. L’Église est la servante de la race élue

A. L’Église enfermere et l’aliment de ses lumières


ri' solennelles et les
statuts de sa ruine, vivant des unes et nous dérobant les autres,
elle possède ce qu’il faut pour dominer les nations et pour tomber
au néant même,
n il elle est un amalgame
II de splendeur et de faiblesse,
invulnérable en ce qu’elle a de proprement
II divin et néanmoins
ri infirme
n

en ce qu’elle a de temporel, de sciemment


ni n impie
u et trop de fois de
sacrilège. L’Église a J. C., d’où sa prééminence
n et J. C. la soutient

376
pour faire éclater non Sa dilection, mais
Il le prodige de Sa force et
montrer qu’il appuie l’adultère et se détourne de l’épouse véritable,
où l’adultère ne l’oublie pas et Son épouse ne L’invoque point,
oui, J. C. nous montre
II au sein de la prodition la main
II de la justice
qu’ilexerce, Il nous l’étale bénissant l’erreur et la scélératesse —
à charge qu’elles se réclament de Lui seul — et voulant ignorer,
dans Sa conduite impénétrable,
II une querelle mille
II fois plus sainte,
mais
II dont les partisans Le méconnaissent à l’envi.

B. L’Église tremble devant Israël et rêve de l’abattre, l’Église —


au plus haut de ses pompes — n’a laissé de le redouter au plus creux
de l’abîme et, quand il ne subsisterait qu’une poignée de vrais Juifs
en l’univers et qu’un enfant les dénombrât sans peine, ils seraient
aussi forts et plus forts qu’elle, étant de cette mêmen n chair dont
Dieu se revêtit et qu’elle adore dans le Sacrement.
n L’Église double
la puissance d’Israël et, quelque soit l’opinion des Juifs à l’égard
de leur dignité sacerdotale, aucun d’entre eux ne se serait imaginé II

qu’il pût se voir l’objet de cette gloire nonpareille et d’être élu par
la moitié de l’univers, qui ne l’était alors que par-devant soi-même
et le Seigneur de l’Alliance. L’Église a tant fait pour la domination
II

des Juifs et leur gouvernement


II du monde,
II qu’il est loisible de passer
sur les horreurs qui se dérivent d’elle : elle est une servante de
la race élue et nous n’avons pas à la récuser, elle n’est rien sans
nous et nous lui devons de survivre, car nous nous serions abandonnés
aux peuples de la terre et l’Église a pris soin de nous en écarter
jalousement.

C. Puis, quand les temps seront venus, nous nous irons placer en
tête de l’Église, Dieu nous imprimera
II le mouvement dernier et nous
le communiquerons aux nations charnelles. L’Église, sans les voir,
nous a gardé le sceptre et veilla sur le glaive, elle est le reliquaire
où nos insignes nous attendent, elle est la châsse où dorment les
symboles adorables, le patrimoine de nos fins et le dépôt de nos
mérites. Nous parachèverons une œuvre qui nous doit le jour et
nous serons les héritiers de ce que nous plantâmes, le fleuve remon­
tera vers la source et l’océan s’y jettera dans un débordement de
plénitude énamourée, en la divine source et qui saura tout accueillir.

XCVIII. Sermon aux Juifs II n’est plus désormais


ii à vous d’être
des Juifs ou de ne l’être pas : le
monde
n vous proclame tels et vous assigne rôle et place, il vous est
nécessaire de vous affermir
•i en l’une en jouant l’autre. Ne fuyez

377
jamais devers l’impossible et demeurez Il en tous lieux où vous êtes,
soyez comme IIIII une ville forte et la plus noble des cités multipliée
à l’infini. Vos dignités ne vous soutiennent point si vous ne songez
à les soutenir : chacun de vous peut être un nouveau Christ et tout
semblable
II au juste dont il est parlé dans Isaïe, mais ü il faut consentir
à votre destinée, afin d’en avoir pleinement il raison. Que tant de
sang et de supplices ne vous servent qu’à mieux ü illustrer tous les
mensonges
II qu’on débite contre vous ! Ailleurs, avec trois morts,
l’on fait merveille
ii et l’on se vante où vous en cachez mille II et mille
H

de vos tourmentés n ne pèsent guère en la balance.


Que si les Juifs prenaient dessein d’aller à J. C. il ne serait pas bon
qu’ils L’adoptassent à des fins uniment ü mercenaires
il : c’est là le
propre des Gentils dans leur ensemble, n lesquels L’adorent sans
L’entendre et ne L’imitent point, renouvelant l’impiété de généra­
tions en générations, Pharisiens dès le principe et recevant N. S.
de même
ü ü que les traditions en usage, avec leurs chants, leurs danses,
leur habillement et leur façon d’accommoder ri les viandes, fort à
leur aise en une religion de scandale et familiers fl jusques à l’insolence,
en fils nantis de la maison n et rassurés par des ministres H prévenants.
A Dieu ne plaise que les Juifs allassent grossir le troupeau ! Non,
J. C. n’a certes pas besoin de nouveaux défenseurs ni d’avocats
salaces, ni de croisés marrons, ü ni de docteurs à la douzaine : il ne
Lui faut que des martyrs n et des martyrs
il assermentés qui ne résistent
pas au Mal et devant qui le Mal perd contenance, et puis des saints,
mais des saints authentiques, à la manière des prophètes d’Israël
et non des pleutres morfondusn ou des béats stupides, qui tremblent
devant leur évêque et s’en font gloire.
Le drame n du Calvaire nous suffit et nous retrancherons les mélo­
drames n et les momeries, amusement ri d’un peuple vil et nourriture
indigne de nos Juifs, chrétiens de droit et de plein exercice et dès
l’instant qu’ils se sont mis II en marche. Nous le disons et nous le re­
disons : la foi que nous avons à J. C. ne doit pas être seulement H une
visée et le moyen II de rompre les mesures il de l’Église, où l’Israël de
chair couronnera ses dons prenant la ressemblance de son Maître :
la foi nouvelle exprime H l’attribut essentiel du Seigneur de la Face
et Le précède dans Ses voies.
Non, nous ne joindrons plus l’Église des Payens, nous l’ignorons
tout comme iilü Dieu l’ignore et nous ferons un éternel silence au sujet
d’elleet de ses crimes. H La légitimitéii dérive de nous seuls et nous
la conférons avec empire, nul ne nous ôtera le sceau de l’Alliance
indéfectible et, quand le monde nous égorgerait, à la réserve du plus
misérable reste, ce reste-là demeurerait ü à jamaisü investi de la conduite
de l’ouvrage ! Nous éprouvons l’absurde et savons la malice, H nous

378
pesons la faiblesse de nos ennemis
n et nous les chasserons de notre
Eglise, les portes leur seront fermées
n et l’abîme
n ouvert sous leurs
pas, leur mémoire
II abolie et notre oubli sera notre vengeance.

XCIX. Réflexions sur l’attitude à prendre

A. Qui peut répondre de ses mouvements, s’il n’en dispose guère


et qui se déclarer, s’il n’est pas en estime,
H que tout le charge dès
l’abord et qu’il se doit innocenter avant d’agir ? Le moyen
n d’être
simple et d’aller rondement, si l’on nous veut coupables, nous sachant
gré de ce qui nous abîme et nous abominant de nous y refuser ? L’on
a sur nous les desseins les plus offensants, nous sommes établis vic­
times
II pour le bon usage eVl’ôn étouffe nos raisons, donnant créance
à l’imposture au lieu de revenir de son aversion, au lieu de s’éclaircir
des charges prétendues, au lieu de rentrer en soi-même II et de sur­
seoir au jugement.
II

B. Au jugement ? Mais nous ne demandons


II pas mieux : qu’on nous
y mette
II et sans retard, nous l’appelons dans toutes les rencontres,
qu’on nous le rende enfin et nous avons cause gagnée ! Cela, nos
ennemis le savent et c’est pourquoi nous les voyons argumenter
au nom de l’ineffable et brouiller la matière,
II donner dans les pres­
tiges les plus vains d’une emphase assidue, à court de preuves le
plus généralement,
u mais
n non pas en défaut, invoquant l’assistance
du mystère et pris de visions indubitables. Nous avons tort de les
combattre,
n il faut les retourner et l’effet que nous prétendons, loin
de les investir, appuie un sentiment
n dont il excède les visées, sacri­
fiant à leurs lubies et tranchant le débat, à force d’adopter l’imagi
n ­
naire, de le solliciter et d’enchérir sur ce qu’il nous asserte. Quelle
déconfiture !

C. Quelle déconfiture ! C’est là que nous les attendons et qu’ils ne


nous devinent pas, c’est là que nous les arrêtons au piège et que leurs
œuvres les égarent, les voilà pris et d’obligation, les voilà tenus de
servir les hommes dont ils se jouèrent, au nom n des principes communs
iiiii

et des matières
n décidées, de leurs traditions inviolables, tenus de
les servir ou de se dépouiller, oui, de se dépouiller sans intermission
n

du fondement
n qui les étaye, des murs
n qui les remparent et des pro­
messes qui les fortifient, de rebrousser cheminn et de se perdre dans
le vague, avant que de languir sur le fumier en les ténèbres de
leur désolation charnelle. Mis en demeure
n de choisir, les obstinés
délaisseront la foule et les autels, les autres, ils nous reviendront,

379
car le salut émane
h de nous seuls et la prêtrise nous est accordée à
ia II ais sur la terre.
D. Où passe Dieu, le peuple suit et nul n’y fait empêchement. n

N. S. entame
h l’univers, il semble
u un coin fiché le plus avant dans les
entrailles du plérome
n et qui menace
n de le rompre, un éternel forcè-
nement,
n une manière
n de viol métaphysique
n et c’est par Lui que
l’Israël de chair assied une puissance légitime ii sur le ramas
n des
règnes secoués.

C. De Jésus et des Juifs Nous leur redemandons N. S., mais n non


pas à dessein de les priver de la divine
confidence ou de nous payer de ces maux n' que nous devons à leur
malice et qui demeurent
ir à jamais irréparables ; nous Le leur deman
n ­
dons aux fins de Le restituer à l’univers et tel qu’il fut — non pas
tel qu’ils se L’imaginent
n —, car II fut autre, bien qu’ils l’oublièrent
et nous Le ressusciterons une seconde fois. Il vint de nous et ne l’a
pas dissimulé,
n mais
u Ses fidèles en rougissent, ils Le voudraient pour
eux, pleins d’amoureuse jalousie et tombent
n en l’erreur où cet aveu­
glement
n les jette. Non, J. C. n’a rien institué qui Le dût éloigner
de nous, Il n’a fourni de sûretés à ceux qui s’en réclament if ou Le
vengent, on Le retrouve de nécessité dès le moment
u qu’on Le désire,
il suffit de se mettre
n en marche
u et tous les lieux sont temples.

CL Sur le litige entre Jésus et l’Israël de chair

A. Que le litige entre le peuple d’Israël et le Messie des payens


est de famille
u et que les nations n’y sont pas invitées, bien qu’elles
y prétendent. C’est là le chef que l’on oublie. L’enseignement du
Maître est d’ailleurs rejeté par tout le monde
n et, dès le moment
n que
l’Eglise s’est formée,
n elle a suivi les lois pharisaïques, plus celles
des Gentils, auxquels elle avait assez d’obligation pour conniver
à leur tutelle. Les payens emplissant
ri l’Eglise ont imposé l’idolâtrie
et mille
n superstitions que l’on n’a su combattre,
n et leur triomphe
éclate par le truchement
ii de la Déesse-Mère et ce qui touche à
l’Agonie : pour eux, la mort de N. S. J. C. domine n de très haut
l’exemple
if de Sa vie et les préceptes qu’il nous baille, et certes il
est plus commode de pleurer le Dieu que d’imiter II un Homme II ini­
mitable.
fl

B. Imaginez-vous donc un hommeiiiii sans égal, doué de sublime


manière
n et parangon de toutes les vertus, un mortel
u digne qu’on

380
le déifie,imaginez-le dans une île et parmi n des sauvages vagabonds :
pourra-t-il convenir de ce qu’il représente, en avoir seulement n l’in­
telligence et persévérer dans son être, le pourra-t-il et, s’il n’échoue
au premier mouvement,
ii H avisera-t-il aux mesures
ii de la publier et
d’en convaincre ses pareils, les gagnera-t-il à sa cause et, s’il les
persuade un jour, qu’ils l’aiment
il et le suivent et qu’ils lui dressent
des autels, qu’il monte
ii au rang des dieux, que saurons-nous de ses
bontés moins
n des relations imaginaires
il — et ces légendes nous
remuent-elles
ü ? Voilà bien des obstacles entre nous et lui, qui feront
que l’on s’en détourne.

C. Le même,
n ii naissant dans un peuple qui l’attend, un peuple au
carrefour des nations et répandu chez elles, ayant des prosélytes
à foison et dont les lois étonnent l’univers, le mê:
ii n e, dis-je, a pour

conduire son ouvrage une ressource illimitéen et, quand ses leçons
démentiraient leur principe, elles lui devront néanmoins le fondement ü

qui les supporte et les multiples


il voies les mettant
ii en usage. Que la
grandeur ne suffit point, qu’elle n’est rien absolument
u parlant, qu’il
la faut à son heure et dans les justes lieux, que le miracle
ir ne réside
pas en elle ou moins en elle que dans une généralité d’événements
et de rencontres, que le mérite est plus de ceux qui la rendirent
efficace et qu’il revient plus aux racines qu’à la fleur, que cette
fleur ne pousse nulle part, moins
H en l’emplacement
ii dont elle est
l’homogène. Qu’on ne l’oublie plus et qu’on révère les prémisses ü !

D. L’on se rappelle trop les Juifs qui se riaient du Maître et l’on


oublie volontiers ceux qui se conjurèrent pour Le placer à leur tête
ou mieux
n : la foule L’acclamant,
ü les palmes
ii à la main, et l’on néglige
les premiers
n fidèles sans qui la foi se fût anéantie, mais il tous ces
hommes étaient Juifs, de même n ii que les autres. Je vous l’assure
sans témérité : N. S. n’eût pas reçu de telles marques de dilection
ailleurs qu’en Son pays natal et quelle ville L’aurait salué d’un
mouve: il ent et se serait portée à la rencontre de l’Élu, de l’Élu
singulier, de l’Elu pauvre et montant l’âne, n’ayant que douze
gueux pour suite ? Vous plairait-il de vous L’imaginer il en l’une de
vos bonnes villes, où l’on promène le Saint-Sacrement de rues en
rues ? Il ne saurait qu’y faire et, malgré
il Lui, fomenterait
ii un trouble
général : est-il un ordre inamovible où la justice même n n se déclare ?
est-il réginae
il à se démettre
il par un empressement n de charité ? et
quels nantis résigneraient leurs charges et leurs biens, quels pauvres
s’iraient contenir ? — Vous L’adorez pourtant, mais n c’est l’effet
de la coutume il et non pas de la vigilance et moinsn encore de l’élec­
tion.

381
E. Vous L’adorez, Le jugeant mort et mis if dans l’impuissance de
vous réprimer
if : le beau mérite
ü et comme il vous sied noblement
de malmener
ii les Juifs, vous qui jamais ne L’avez vu charnel ni
face à face, vous qui n’avez pas à choisir et qui Le recevez dès le
H ornent
ff de naître, avec l’amas de vos traditions et le langage de
vos pères. Oui, pour vous tous II est une figure et non pas Sa réalité,
le Dieu que L’on révère en assurance et sur Lequel on prétend
s’acquérir un droit d’usage et de famille, un droit que vous tenez
régalien, un droit vous dispensant de tout ce qui vous incommode.
Rentrez en vous, oui, descendez en vous et cherchez-Le, ce Dieu,
votre sujet fidèle et votre complaisant,
ü que vous avez perdu de trop
bien posséder !

CIL Sur Judas Savait-on point en quel emplacement se tenait


le Seigneur, qu’il suffisait de faire suivre ? Les
Douze attachés à Ses pas Le signalaient de loin à tout venant et
puis la Ville L’avait acclamé,ft de sorte qu’il n’était besoin qu’on
Le baisât pour Le connaître ! Nous sommes là dans le mystère » le
plus ténébreux, à mille
tf pas de l’évidence, et néanmoins l’histoire
est assez généralement
ff reçue et nombretf d’infidèles la savourent,
et davantage que le reste ! J’y sens, là comme II ailleurs, une manœuvre
»
destinée à diviser N. S. d’avec Son entourage : il fallait se gagner
le monde
ü et laver les Gentils de la sentence, afin que nul Romain
n’eût à rougir et que les faibles abattus par la ruine de Jérusalem H

et dispersés aux quatre coins de l’univers — et bien avant Jésus


— chargeassent tout le poids d’un crime fi dont la plupart n’avaient
pas même
tf tf connaissance !

CIII. Apologie solennelle

Premier point. — Refus de consentir inébranlable et magna tf ­


nime,
II telle est la force de ces Juifs, peuple à la nuque roide, et ce
refus est une marque
tt de hautesse : il nous importe de n’en point
rougir et, dans ces mêmesft tf lieux où nous avons dit : « non » à
l’univers, de ne fléchir qu’en face de Dieu seul, du Dieu que l’univers
nous tente de ravir et dont il brûle de nous séparer, mais dont nous
sommes à jamaisII les serviteurs suprêmes. Quand nous irons devers
le Christ, nous nous y rendrons sous l’enseigne de nos pères, car
c’est par nous qu’il est aux nations et c’est de nous qu’émane tt le
salut du monde.
tf Nous n’avons pas à ramper vers l’Église, honteu­
sement,
ft sous l’œil moqueur des payens baptisés, pour leur servir

382
d’exemple ou de leçon, nous qui représentons la même Il chair
divine et n’implorons
il les grâces que nous seuls avons pouvoir de
concéder.

Deuxième point. — Peuple outragé par ses bourreaux indignes,


violenté depuis vingt siècles au nom n du meilleur
n de soi-même,
II

peuple foulé par ceux qui se disputent l’héritage de ta race et les


honneurs de ta lignée, reprends ton bien aux nations qui le polluent,
enseigne-leur à L’adorer vivant et sache mériter11 leur vénération
en devenant le pivot de cet univers né pour servir aux desseins de
ton Maître. Le monde est plein de débiteurs qui te rançonnent et
ta Maison partage des Gentils campés sur les ruines. C’est par le
Christ que tu t’affirmeras et par-dessus le demeurant,
n tête charnelle
de l’Eglise et vase de l’élection, car véritablement
n qui fut si proche
du Seigneur et davantage entre les mains de ceux qui Le flétrissent ?
— Va, connais-toi toi-même
ir ri et tu sauras quel tu ne cesses d’être,
seul homogène à l’Hypostase et Sa figure en l’enfer de ce monde II !
Reprends ton bien et tu seras seul légitime IT et qui n’épousera ta
cause sera rejeté !

Troisième point. — Que J. C. est le marteau n par le moyen


duquel les Juifs fulmineront
II contre leurs ennemis ii et qu’au défaut
de l’arme ii irremplaçable, il ne leur reste que des pauvretés les dé­
fendant si mal n qu’ils meurent
II à foison, mais J. C. leur fournit l’ar­
gument
II par excellence et moyennant lequel leur agonie est une
tragédie à la dimension de l’univers, le jeu de grandeur souveraine
et de hautesse nonpareille et face auquel la destinée des Gentils
est mélodrame II ravalé, par J. C. leur douleur se fait œuvre d’art et
c’est à quoi les nations demeurent II le plus généralement H sensibles.
Il manque aux Juifs une attitude, à cause qu’il leur manque une
assurance et l’assurance est le remède II à leurs déchirementsII sans
gloire, à leurs aplombs sans forme, à leurs vertiges sans beauté,
mais
II il n’est d’assurance ailleurs qu’en J. C., par Lui tout se trans­
forme et les voies s’ouvrent à jamais, n le monde
II se motive
II et chaque
mort se revêt de Son lustre. Que sert-il d’adorer Barcochebas ?
Les peuples en ont mille
II et nul n’a J. C. Et quoi de plus facile qu’une
mort illustre ? La mort de N. S. les éclipse et les meilleurs n qui vinrent
après Lui ne surent hautement n périr qu’à raison de l’exemple ri qu’il
leur baille : sans Jésus, point de Jeanne ; sans Jésus, des Gâtons
et des Brutus, des martyrs orgueilleux et de néant superbes, de
ceux qui meurent
n insultant leurs ennemis ri ou déclamantn jusques
au râle, de beaux acteurs et de mauvais u apôtres, roidis au delà de
l’outrance et d’un sublime n de contorsion ou de parade.

383
CIV. Jésus parle aux Juifs

A. Quels détours imprévus vous éloignent de Moi ? Et quand le


monde entier se serait mis
H entre Mon peuple et celui que Je suis,
vous me serez — Je vous l’affirme
II — les plus proches. Ce fut d’abord
pour vous que Je suis avenu, pour vous et pour les autres par vou­
u âmes.
n Ah ! vous M’avez bien secondé, mais it sans l’entendre et,
quand vous Me menâtes
it au supplice, Je vous marquai la voie et
vous l’avez suivie aux yeux d’un monden plus aveugle que vous-
n êmes.
n Vous Me crucifiâtes une fois, mais Mon Église n’a cessé
de Me trahir et de Me clouer sur le bois en l’immolation
inn toujours
nouvelle, elle a défait Mon œuvre au lendemain de son triomphe
et se servit du Dieu pour Le désavouer. Plus seul qu’au moment de
mourir
n et plus abandonné, l’on Me torture sous la pourpre et l’on
M’égorge sous le dais, les nations adorent Ma dépouille et M’offrent
votre sang, les parvis fument
n et l’autel où l’on M’invoque est cimenté
n

de votre chair et de vos ossements.


n Ils disent que Je suis en agonie
et tremblent que Je ne leur vienne, mais vous, vous M’attendez
et vous avez raison, vous espérez en Moi sans Me connaître, où
Mes fidèles ne possèdent que Mon ombre et ne méritent que Mon
désaveu. Attendez-Moi, puisque Je vous attends et nous saurons
nous découvrir, avant qu’ils le décèlent !

B. Tout nous rapproche, en vérité : leur haine, leur mépris et leur


méconnaissance.
n S’ils ne M’abominaient
ir rebelles, se vengeraient-ils
de M’avoir servi, de Me trouver sur leur chemin et de Me déceler
au plus intime de leur être ? Suis-Je pas L’Homme au souverain
degré, oui, l’Homme à qui vous devez ressembler, n sous peine de
vous démentir
n ? — S’ils ne Me dédaignaient, suivraient-ils pas
l’exemple de Ma vie, Moi qui ne juge point et ne résiste pas au
Mal, craignant de l’honorer où Je consens à me n défendre? Etait-ce
donc à Moi de faire appel au glaive tout comme le premier ir venu
d’entre les pires ? — Ah ! s’ils ne M’ignoraient au profond de leurs
reins et qu’ils ne s’abusassent sur leur Maître, oseraient-ils prendre
vengeance et l’exercer au nom n de celui qu’on imite
n et qu’on ne venge
pas sans renouveler le supplice ? Ah ! qu’ils M’honorent chichement, u

que Mon enseignement II leur pèse, que Mon modèle


ri les irrite et qu’ils
se sentent malheureux
II à cause de Ma bonté même,h ii qu’ils rêveraient
que Je leur ressemblasse et qu’ils M’en veulent de leur pardonner,
à moins qu’ils n’en abusent ! — Pour vous, ils vous haïssent de
M’avoir fait naître, ils vous méprisent
u parce qu’ils Me doivent adorer
et, s’ils vous méconnaissent
n d’industrie, c’est qu’ils entendent que
le salut vient des Juifs : ils sont vos débiteurs devant l’éternité,

384
mais
h ils se savent insolvables s’il leur fallait restituer, ils porteraient
envie à Job et seraient mille
n fois plus misérables.
n Venez à Moi,
malgré
n n
leurs machinations : Je vous réconcilie avec le monde et
ceux qui ne voudraient de vous ne seraient plus de Mes fidèles !

CV. Dans le mystère


h On est plus loin de Dieu, lorsqu’il nous
et le silence semble vivre à Sa louange et que Ses noms n

sont invoqués, où nous nous reposons sur


une foi qui cesse d’être une merveille
n et se fait assurance, où nous
nous dérobons à Lui sous l’ombre de Le mieux servir et L’étouffons
en pensant L’adorer. Que l’art suprême des faux serviteurs et d’un
clergé félon est d’opposer à Dieu l’idée qu’on s’en forme et de réduire
le divin à n’être qu’un support d’iniquités et l’appareil de leurs
manœuvres on n’est jamais si proche de son Dieu que dans le
tremblement ou l’agonie et n’étant rien, de peur de susciter l’obstacle
n
où le néant semble de trop. Le Dieu que L’on adore en face est
toujours une idole et celui que L’on ose dénommer ii une chimère
de l’entendement
n : le Véritable est de mystère
n et Sa latrie de silence.

CVI. Préliminaires
h touchant F Église invisible

A. Dieu ne saurait avoir de prêtres ni de culte, et ce que l’on vénère


est toujours la semblance qui Le dissimule. Entre l’orant et Sa
divinité, le voile est à jamais inamovible et Dieu seul a pouvoir
de rompre ce que l’humain n’est en mesure
it de passer.

B. Nul prêtre n’a puissance de lier et nul n’a le pouvoir de rompre


ce que Dieu même n joint ou qu’il veut dénouer, et la remise
ri ou la
damnation des seules mains
n de l’homme
n ont une valeur de symbole
et ne sauraient gauchir les mandements
n de l’Eternel que nul n’a
l’assurance d’avérer et nul la certitude de connaître, à moins que
Dieu ne le renverse et ne l’emplisse de Sa voix, lui baillant la prê­
trise légitime
n et la seule efficace.

C. N. S. nous fit commandement


nui n de L’imiter
H et ne veut d’autre
sacrifice de louanges, tel est le fonds de Sa doctrine et la vertu de
Sa démarche,
n Il entreprit de changer l’homme à ce que l’homme h ne
peut être, Il le dévoue à l’impossible
H et le lui gagne par Son tru­
chement.
ii La foi du Christ est le domaine
n des élus et les élus n’ont
d’autre pays que le Sien, lequel réside en un espace imaginaire et
se dénomme la Cité de Permanence
n : qui la désire l’entrevoit et qui
la discerna l’habite et qui s’y rendit une fois embrasse l’éternel

25 385
au moment
ri où les portes s’ouvrent, mais
II véritablement
ii qu’a-t-il
de plus à souhaiter, de plus à recevoir et davantage à posséder ?

D. Car la Vie Éternelle est cette intelligence et non le fait de vivre


inamoviblement, lequel est un souhait de l’esprit engagé dans le
sensible et désireux de jouissance inépuisable. Dieu ne nous doit
aucun loyer et notre sainteté n’est pas un marchandage : à nous
tirer de l’indivis II nous concède une merveille,
ri à mettre
n empê­
chement
n à notre fin II nous dispense un augment
ii de faveurs, à nous
désabuser II nous confirme n en grâce et nul empire ne prévaut à
l’assistance qu’il nous baille.

E. Le privilège des meilleurs


n consiste à L’imiter
rt en se persuadant
qu’il les seconde, le châtiment
n des pires en ce qu’ils ne soupçonnent
qu’il existe et jamais
n ne Le verront face à face : il n’est de ciel ni
pour les uns, d’enfer ni pour les autres, le même
n n soleil les éclaire,
les justes comme les impies et tous ils vivent en présence du Seigneur,
les uns punis sans qu’ils le sachent, les autres saintement
n comblés
et goûtant leur délice où les méchants
n ne le devinent pas.

F. Un homme est de la foi du Maître, à charge qu’il L’attende et


sans réserve en tout lieu de ce monde n et qu’il soit prêt à s’ébranler
au moindre appel. Un homme iiiii est de la foi du Maître, s’il se rapporte
uniquement
n à Lui, ne voulant d’autre défenseur et rebutant qui
Le lui dissimule.
n Un homme est de la foi du Maître, s’il L’aime n en
espérance et désespérément
n ensemble, qu’il se retranche les moyens
d’œuvrer à sa béatitude seule et qu’il se perde même n n à dessein de
tout surmonter, et consente à mourir sans l’avantage d’une gloire
temporelle. Un homme n est de la foi du Maître, s’il regarde à Sa vie
et s’il adhère à la Parole, et qu’il n’invoque de motifs pour Le venger
au détriment
n de ses pareils, car on ne venge le Seigneur qu’en de­
venant un autre Christ. Un homme est de la foi du Maître, qui jamais n

ne repose et veille en permanence,


n à la confusion de sa tutelle ou de
son allégeance, et qui se meut n inamovible en portant son amour
où son amour ne l’abandonne, refus de son refus et l’agrément n de
son acquiescence : tel homme est de la foi du Maître et c’est par lui
que le Seigneur se manifeste
n à découvert.

CVIL Sermon contre le fanatisme»


n

Premier point. — Les défenseurs de Dieu les chercherons-nous


parmi
n ceux qui L’aiment
u et Le craignent ? Mais ceux qui L’aiment
n

et Le craignent ne savent que mourir


n et non pas Le défendre, ils

386
ne résistent pas au Mal — de peur de se changer à sa malice
H en durant
devant elle —, ils veulent imiter le Dieu qui flétrit Ses vengeurs et
blâme qui L’assiste, ils meurent
n — s’il le faut — honteusement,
H de
peur de se donner du lustre, ils agonisent en silence et tremblent
qu on ne les admire, ils savent que les moyens mis II en œuvre altèrent
une fin dont ils ne sont pas dignes, maisn ils n’ignorent point qu’il
est loisible de s offrir des le moment
n if qu’il est ignoble de combattre.

Deuxième point. — Les défenseurs de Dieu nous les rechercherons


parmi
II tous ceux qui vivent de leur Maître et se dispensent de L’aimer,
II

qui tirent de Son deuil un semblant de prestige et qui Lui doivent


leurs commodités,
II leur établissement
II et leur tutelle : ceux-là, qu’ils
brûlent d’épouser la Cause et de se dévouer jusqu’au dernier soupir !
Vit-on jamais
n de véhémence
n plus insigne ? de zèle plus impétueux
et de fureur plus aboyante ? Car ils défendent non pas Dieu, mais n
Son Église et moins l’Église que l’autel, et moins l’autel que leur
domaine et Dieu n’est généralement servi que s’ils Le mettent n

dans leurs intérêts pour doubler l’assurance.

Troisième point. — L’Église n’a pas à rougir de sa faiblesse et


qui la veut armer
if n’a pas à la défendre. L’idée de Croisade est bonne
pour des musulmans,
n ii de qui le paradis s’étend à l’ombre
n des épées,
mais
n il nous faut des palmesn et des morts honteuses, car nous aimons
le Maître plus que l’orgueil de trop noblement mourir et c’est par
quoi nous sommes les plus forts. Nous brisons toutes les idoles qui
nous dissimulent
n l’Adorable et nous foulons aux pieds ce que les
hommes prisent et chérissent, nous qui tendons à l’Absolu, malgré n

le monde
n et malgré
n nous !

Quatrième point. — Fuyez ceux qui vous prêchent haineusement n

l’amour et dont les lèvres tremblent d’une fureur mal if contenue !


Éloignez-vous des gémissants
n qui pleurent sur le monde
n et se refusent
à le transformer
n et dédaignez, mes n frères en esprit, la tourbe des
félons et des ministres
n ! Allez, ô libres desservants des temples ignorés
et du Seigneur inconnaissable, allez de solitude en solitude pour
être les témoins
n du Règne, du Règne qui n’a point de lois, mais n sous
les lois duquel tout l’univers fléchit en la miséricorde, et ne vous
assemblez jamais,
n de peur de vous trahir ! N. S. habite loin des foules,
dans notre esseulement,
n et le désert Lui plaît. La race élue est-elle
pas la vôtre ? Ah ! soyez dignes de ce choix et gourmandez n l’ima
n ­
gination qui vous impètre des faveurs simoniaques.
n Tremblez
n à
soutenir les dons avec la charge et qu’elle vous meurtrisse
n pour
qu’ils ne vous soient retirés ! Aimez n N. S. en la demeure
n la plus

387
écartée et loin des lieux de prostitution et de scandale, où nul vivant
ne vous épie, et lui rendez un culte de silence. Nous marchons
•T théo-
phores, mais
n nul ne voit ce Dieu qui se repose sur nos têtes, nous-
mêmes
li devons l’ignorer pour qu’il ne nous déserte pas, nous-mêmes
n n

l’ignorer sans laisser de le croire et ne laisser d’attendre, afin qu’il


rende la réponse en l’absolu de l’altitude, en l’oraison d’acquiescence,
et nous saurons bien qu’il est nôtre où tout paraît Le démentir.
ii

CVIII. Les faux spirituels Que les spirituels ne laissent pas de


compatir avec les tenants des puis­
sances absolues, dans la mesure
ii où leur enseignementn enferme
n

l’homme en soi, le dissuadant de se rebeller et lui prêchant que notre


vie est amertume.
n Quand les spirituels le savent et l’approuvent,
ils perdent la raison de vivre et se condamnent sans détour, et le
prestige de la foi tombe
n à néant par la malice
ii de leurs œuvres. Dieu
n’est pas mort à dessein de prêter main-forte à ceux qui s’en récla­
ment,
n impatients de domination, et Lui prodiguent un attachement
vénal et des louanges mercenaires.

CIX. De la Parole L’enseignement


n du Maître a mis
n' les mondes
en rumeur, ébranlé la moitié
n du genre humain
n

et jeté bas qui lui résiste, ayant raison de tout, moins de la lettre,
et ne pouvant gagner sur elle. Nul ne conserve la Parole et nul ne
la transmet,
n et la Parole vit où chacun la retrouve en la perpétuant
dans le mystère,
n et le message
n dure en dépit de ses véhicules misé
n ­
rables et de la lettre qu’il fait éclater aux yeux de qui sait voir.

CX. Du Dieu vivant Mes frères en esprit, infortuné qui rougit


de son Maître, à l’heure qu’il Le voit ! et
malheureux qui se refuse à Le tenir présent, quand il en parle !
Ceux qui L’adorent au passé n’annoncent-ils pas clairement n leur
forfaiture ? Qu’il est aisé de louanger un mort,
n mais
n difficile d’épar­
gner un vivant qui nous embarasse et qu’on Le meurtrirait
IT de bonne
grâce, afin de Le réduire à n’être que Son ombre ! Si J. C. n’était
le Dieu Vivant, en quoi l’emporterait-Il sur le reste ? Les uns
L’ignorent et les autres Le grandissent, Il est l’enfant, lorsqu’il
n’est l’absolu, le prêcheur ou l’idole et nullement u l’antinomie,
l’Hommen au superlatif en dépit de l’humanité,
n présent en perma n ­
nence et toujours l’Actuel, et moins que rien s’il n’est que le
Suprêmen !

388
CXI. Le pécheur parle Tout ne respire que défense et tout se
ligue impérieusement
Il à travers l’ordre de
l’Église, afin de mettre
II empêchement
rr aux lois réelles du Seigneur,
ces lois que nulle secte ne fait siennes, lois fermes
If et terribles, divines
et mortelles, ces lois pareilles à du vin, d’un vin qui jamais
ri ne repose
et qu’il faut changer d’outres et de cuves, si l’on ne veut qu’il
rompe ses vaisseaux. Aussi ne nous le verse-t-on que sagement muté, n

pour qu’il ne nous égare pas et l’on sait bien qu’il est à même n H de
tuer ceux qu’il ne ressuscite. Les serviteurs commis uni sont dans le
n
tremblement, à moins
n qu’ils ne sommeillent et, quoi qu’ils entre­
prennent, ils ne font rien de véritable et se défendent nommément n H
d’agir. Telle est, Seigneur, l’Église de ces temps, mais ri Votre loi
nous passe et Vos raisons nous ouvrent des lointains qui nous ar­
rachent à la terre et qui nous enracinent en des lieux de mouvement
II II
et de merveille.
n Qui Vous résisterait et que serait-ce de nous autres ?
Il nous faudrait mourir
H et voyez comme n ils brûlent et de vivre et
de se follement
u multiplier
n en l’univers épuisé d’hommes
iiiii ! Qui leur
enseignera que cette vie est le moyen de Vous atteindre et que sa
fin n’est pas ailleurs ?

CXIL Paroles d’un désespéré Le Maître vise à muer n l’univers en


L
de bonne foi partant de nous-mêmes, II Il juge
l’homme n dans le cas de passer la
condition et de se ménager
u une ouverture sur le Règne, Il le fournit
de modes
ri et de voies, le console et l’assiste et lui prodigue Son
exemple, mais tout cela ne parle qu’aux élus, mais n tout cela ne fait
impression que sur des âmesn hautement douées, laissant le demeurant n

dans l’ombre et le vouant au supplice éternel après une existence


lamentable.
n Le monde
rr n’est pas fait pour recevoir un tel message,
il n’a point la ressource de choisir, le monde ri est le séditieux de la
plus difficile garde et l’insolvable le plus démuni, le monde ri ne veut
point qu’on le libère et nous réclame ri des appuis et des tutelles, une
morale négative et des préceptes roidement H tranchés. O Maître,
Vous l’avez connu, mais n Vous ne l’avez pas changé, l’ayant mis à
la gêne, et c’est encore lui qui Vous met n dans son intérêt et Vous
oppose à ce que Vous nous êtes : il Vous trahit dès le moment rr de
Votre mort et telle est sa victoire que Votre précellence ajoute à
sa malice ! N’incriminez
ri pourtant ceux qui Vous servent à rebours :
Votre leçon les épouvante et Votre exemple les abîme, ri et Votre
enseignement
ii est à la mort. Que voulez-Vous du monde, s’il n’a
point d’existence après celle qu’il voit et n’a point d’assurance,
moins
n la promesse ou l’épouvantement ri ? Les hommesiiiii tremblent

389
qu’on ne les abuse et ne les frustre de leurs misérables
H joies, et Vous
savez que l’existence de la multitude
11 est l’enfer tempéré par le
suicide ! S’ils tiennent à la vie, eux qui n’ont d’autre bien, c’est en
raison de la luxure et de la gourmandise
II et, faute de l’inavouable,
il ne leur resterait qu’à se laisser mourir. Qu’on les méprise,
11 j’y
consens, à charge qu’on les plaigne, et que pouvait l’Eglise en l’em 11 ­

barras le plus cruel et le dérangement


11 le plus funeste ? Devait-elle
Vous suivre jusqu’au bout ou condescendre à l’accommodement 11 dit
proditoire ? Il n’est que Vous qui sache nous répondre et nous Vous
attendons.

CXIII. La désirable attente Que votre Règne arrive, mais il est


de la foi de le tenir pour tel où nous
y consentons. Or, le travail n’est-il pas justement
II d’y consentir ?
Le Règne n’est jamais
II ce qu’on en pense et tout l’inverse de nos
établissements,
n il prend l’aspect et revêt la figure moins d’un régime
n

temporel
n que d’une révolution qui ne s’achève et ne peut aboutir,
d’un branle enté sur une issue ouverte et d’un bouillonnement n de
plénitude, une promesse
n toujours commencée en une fin toujours
continuée.

CXIV. La divine impuissance Par de continuels délais les


hommes gagnent sur l’urgence et
les dilemmes
iiiii rétrocèdent, la mort emporte les fuyards — de même n

que les raisonneurs, qui se retrouvent devant elle ou démentis ou


consentants —, la mort nivelle et quand sa peur ne nous amende
pas, elle a de quoi nous pervertir. L’impénitence
n des méchants
exhorte puissamment
iiiii qui leur ressemble
n et forme
n un univers scellé,
dont nous n’avons moyen de rompre les abords. Que faire où l’âme II

épouse le refus de sa félicité profonde et traîne dans l’éloignement, II

hors d’elle et végétant en les impasses ? Est-il un Dieu pour nous


restituer à ce que nous ne voulons être et désarmer n qui se situe à
couvert de l’atteinte ? — Que le Seigneur est faible où les mortels
diffèrent de choisir et qu’il est démuni,
ri lorsqu’ils résignent toute
joie et donnent l’agrément à leur damnation perpétuelle ! Dieu
n ême
H ne parvient à sauver l’homme
lllli et Sa tutelle expire aux bouches
de l’enfer. Libre en Dieu seul, un homme mu est asservi, dès le moment
qu’il s’en détourne et, perdant sa franchise, il ne lui reste qu’à
payer, jusqu’au delà de sa ruine, un maîtren qu’il se donne à refuser
une allégeance consentie.

390
CXV. Que Dieu n’est Dieu même u a besoin de secours, Dieu
rien sans l’homme même
n n ne triomphe que par l’homme et
l’Éternel est conduit à choisir les vases
qui Le rendent manifeste,
ii où pouvant tout par eux II ne peut rien,
s’ils Le trahissent. Mystère de la divine impuissanceh au regard de
nos libertés ! Aussi faisons-nous mal de nous attendre à des prodiges
inutiles, Dieu n’ayant d’autres obligations à l’univers que de l’avoir
mis
ri dans Sa confidence, mais
n le surplus est du ressort de nos empires :
le monde,
n le partage de l’humain,
n relève de la majesté
II des lois et
l’appareil des lois de la justice incorruptible, et nous ne devons
jamais
II tolérer que les événements II enfreignent sciemment les lois
ni que les lois ruinent la justice, et la justice enfin ne doit pas aspirer
à la subversion de l’œcumène. II La vie est au-dessus de tout le reste
et le salut du monde en sa dernière dépendance, la vie est le reflet
de l’Etre et nous nous rebellons à Son endroit, dès le moment que
nous lui portons une atteinte. En conséquence, il est loisible d’affirmer H

que le Seigneur agit par l’entremise II de nos justes et que les justes
sont les mains
11 de Dieu. Or, Dieu voulut qu’ils fussent ignorés, de
crainte qu’ils ne s’enhardissent à se prononcer, au lieu de demeurer II

en l’ombre et dans l’attente. Il nous importe de savoir qu’il est des


justes, mais
II il nous sied de ne les pas connaître, avant qu’il soit
expédient de leur attribuer des charges : ils se révéleront le temps tf

venu si Dieu, qui les met en réserve, amène il leur accession et nous
en développe le mystère. II

CXVI. Dialectique de la foi Le double fondement II du christia­


nismeH est le précepte le plus rigoureux
et la démarche la plus absolue, ou mieux : un glissement de l’un
à l’autre et qui renferme
n ses contraires. La foi déborde la doctrine
issue de ses profondeurs multiples,
n le dogme la conserve et ne l’épuise
pas, ils se travaillent ou s’épaulent, ils se trahissent pour survivre
et se réconcilient en un mutuel
II martyre.
il Quand la démence
II prend
les dogmes à garant, qu’ils s’en disputent le suffrage et que l’on
argumente
il dans les formes
n où les formesn s’ouvrent, la religion se
déploie, l’égale de soi-même
n n en démarquant
n ses bornes apparentes.
Ces heures-là nous payent de nos soins, ces vols tumultueux de nos
cheminements,
H cette harmonie aux convenances infaillibles de nos
joutes proditoires : quand une histoire de mille n ans n’aboutirait
qu’à de pareils éclairs sur une nuit recommencée, n l’attente qui les
envisage et le ressouvenir qui nous les perpétue auraient des armes il

contre l’évidence.

391
CXVIL La bonne peur Mes frères en esprit, Dieu nous préserve
de la foi qui ne se justifie que par devers
elle et ne nous change à la bonté des mêmes
II lois que son enseignement
ti

a mise en œuvre ! La foi n’est pas la seule fin de l’homme et davan­


tage le biais par le moyen
ri duquel son être se domine et ses penchants
s’amendent,
II et Dieu n’est pas servi quand on L’adore en ne laissant
de se corrompre. Que dire de ces clercs trop indulgents aux mœurs
de leurs ouailles, dont les fidèles robent et forniquent et se tuent,
quitte à se repentir ? Est-ce aimer
n Dieu que de se traîner de souillures
en pardons et de se juger humblement
n absous pour quelque mou­
vement
rr de repentance ? Mes* frères en esprit, malheur
n à qui ne
tremble point et malheureux
n qui ne redoute l’Eternel, avant que
de L’aimer
ir ! Si vous ne joignez pas les craintes à l’amour,n Dieu
ne sera que l’objet de vos flétrissures.

CXVIII. Les deux Églises Le propre de l’Église est de ne


triompher jamais ou de mourir
ii de
sa victoire. Dès le moment
u qu’elle a cessé de vivre au comble de
l’abjection, elle a pris fin et l’on couronne sa dépouille. L’Eglise
est reste — et le plus misérable
n — ou trahison — et la plus achevée
—, et quand elle ne saigne pas, on la voit mise dans les intérêts
du monde et pourrissant qui l’envenime, en un commerce à jamais
adultère. L’Église véritable est l’agonie enracinée en la démarche
n

initiale et pour laquelle le Seigneur est en avènement perpétuel, Lui


dont le Règne enferme tous les temps et les déborde incessamment.

CXIX. Colloque sur les deux Églises entre divers fidèles véritables

Pierre : — Dieu ne serait donc avenu qu’afin de nous précipiter


au joug de Son Eglise ? L’on parle abondamment des servitudes
de l’Ancienne Loi, mais qu’est-ce au prix de la Nouvelle ? —
Paul : — Tout le scandale de Jésus pour aboutir à fonder ces
tutelles millénaires ? ces dominations impies ? cet appareil de
chaînes et de fastes ? Cruel délire, en vérité, délire lamentable,
ii

aveuglement et félonie ! —
Etienne : — Et quoi ? Leur fallait-il Jésus ? Jésus ne les con-
damne-t-Il vingt siècles à l’avance et ne les a-t-Il pas vomis
ii devant
qu’ils fussent ? Que leur importe Son modèle
ri et qu’ont-ils à se pré­
valoir de ces paroles ineffables, de ces paroles prophétiques, de ces
paroles qui dénoncent leur aberration et leur supercherie ? —
Paul : — O perfidie sans égale ! Ils prônent ce qui les flétrit,
ils prêchent ce qui les abîme et marchent les Nouvelles à la main

392
et ne redoutent pas que leur main Il sèche, ils se proclament II infail­
libles, ils tiennent un bureau de consolations, ils légifèrent et sta­
tuent, ils lient et délient, s’érigeant formidables entre les âmes n et
leur Maître. Et c’est pour eux que le Seigneur aurait tout mis n en
mouvement II !—
Étienne : — Ah ! qu’ils étaient habiles et sagaces, lorsqu’ils
faisaient empêchement IJ à l’exégèse, qu’ils réprimaient II l’étude ou
s’en attribuaient l’usage, non pas en vue d’éclaircir, mais pour s’en
garantir et, par la bouche d’un docteur fameux, n disaient-ils pas
qu’il fallait s’exercer aux langues saintes bien moins ri pour acquérir
l’intelligence de la Bible qu’aux fins de mieux ii défendre les versions
autorisées ? —
Pierre : — Autorisées ? Par qui, mon Dieu ? Au nom n de quel

principe ? A quel dessein ? Le savent-ils eux-mêmes n n ? Fumée n

ténébreuse et sacrement II d’impénitence ! Depuis vingt siècles qu’ont-


ils fait ? —
Paul : — Ils ont vécu. —
Étienne : — Ni mieux II ni pis que tout le monde,
II parfois loua­
blement
II' et mainte
II fois indignes, prudents et politiques, jamais
trop sages et jamais trop fous, à mi-chemin n n de la suréminence n et
de la turpitude, humains, éperdument u humains et monstrueuxn

selon l’événement, parce que faibles, niais quand ils avaient la foi,
pervers s’ils en étaient destitués, niais et pervers tout ensemble. —
Paul : — Ils ont vécu. —
Pierre : — Point davantage. —
Étienne : — Et, vivant à l’abri des dogmes, II fondés sur eux
et remparés
II avec tout ce qui les étouffe, ils ont choisi la plus ferme II

assurance et leur demeure les assiège. —


Pierre : — Ils se voulurent pierre, ils seront pierres désor­
mais.
II —
Paul : — Ils ne sont qu’édifice et lettre, un nouveau Temple n

et le plus rigoureusement n scellé, Temple inondé d’idoles multi n ­


formes
II où l’holocauste fume il sans relâche et c’est un peuple entier
qui nourrit la fournaise ! —
Étienne : — Le nôtre ! —
Paul : — Oui, les martyrs II les plus illustres, les confesseurs, les
vierges et les saints, le reposoir charnel où semble se fonder l’Eglise
est une voûte suspendue, une manière II de prodige et que soutient
un assemblage instrumental II de mille appuis dissimulés II et de co­
lonnes éloquentes. Mes frères en esprit, à quoi bon l’appareil et le
soutènement, II lorsqu’ils ne viennent aboutir et ne supportent que
le vide ? Mais à quoi bon la voûte, à défaut de platée et manque
de nervures ? —

393
Étienne : — Tout l’édifice est une illusion mortelle et sa mer Il ­
veille abominable, à l’heure qu’il ne tend à se parachever et que
ses masses
II ne convergent en un mutuel accord. —
Paul : — Mais cette voûte n’est qu’au prix de l’appareil et des
structures temporelles, dont elle tire son allégement n et qu’elle
vivifie. Mes frères, admirez l’indissoluble épaulement •n et dites-vous
que la puissance de l’Église est la couronne immotivée
iiiii en l’altitude
et par-dessus la région de l’air et de la flamme, où les piliers se perdent
en la nue et l’harmonie éclate sur nos têtes. Or, que serait-ce des
martyrs,
n des confesseurs, des vierges et des saints, à faute de la
masse
n appareillée et du concert pétré de l’ordonnance inamovible ? —
Étienne : — Heureux les justes de qui l’immolation
II étaye leur
soutènement
n et dont le sang ne coule pas en vain et consolide
l’œuvre, en cimentant
n tutelles et prestiges ! Les autres, qui les voit
et se les remémore
u ? Ils vivent pour qu’on les oublie et meurent
afin qu’on les raille, et leur souffrance est inutile, mais
II s’ils le savent
et qu’ils s’évertuent, croyez, mesII frères, qu’il n’est d’hommes plus

Pierre : — Adorez-les, mes n frères, les saints innommables u et


les martyrs
n inconnus, la légion des confesseurs, des vierges et des
justes engloutis, de qui le Maître pèse l’immolation. —
Paul : — Et vous serez autant de dieux par votre charité sur­
éminente
n et vous serez pareils à Dieu. —
Pierre : — L’Église vraie et l’invisible entend que sa religion
a part aux leçons ineffables, elle n’en ôte rien qui puisse l’affliger
et même
n ri la confondre, elle ne met
n de droits sur aucun privilège et
tremble
n sans relâche, afin de maintenir.
n Elle n’ignore pas qu’il est
en la doctrine séraphique un élément inamovible n de scandale, elle
professe que le Bien se change et que le Seigneur se déplace, qu’il
ne réside pas aux lieux où nous rêvons de Le fixer, elle demeure ii dans
l’attente et ne bâtit que sur l’effroi, mais H c’est l’effroi le plus éna­
mouré,
II l’amour étant plus redoutable que la mort. II —
Étienne : — Oui, notre Église veille et veillera jusqu’à la con­
sommation
ni n des siècles, pauvre au milieu
n des pauvres, errante et
délaissée, prête à se déjuger, lorsqu’il en est besoin, et se donnant
la force d’écarter ce qui l’assure au jugement n des hommes. —
Pierre : — Faillible et se mortifiant
H aux yeux de l’univers ! —
Paul : — Scandale aux nations, peur d’offenser le Maître ! —
Étienne : — Et se livrant en gage, à l’effet de Le retenir, Jésus
venant à ceux qui s’abandonnent, écrasés. —
Pierre : — L’Église vraie et l’invisible ne dicte que les lois que
ses gémissements
n n illustrent, elle est soumise
n et menacée, humiliée
et consentante, où l’univers bandé ne prévaut contre sa faiblesse,

394
elle retranche les moyens i et les menées il dont les corps politiques
font ressource, elle détourne ses regards de ceux qui lui promettent n

leurs appuis, elle se sait dépositaire de ce Dieu de mouvement n et


de litige que nul n’a possédé, s’il ne devient un Christ. —
Paul : — L’Église vraie et l’invisible n’ignore pas qu’il est
en la doctrine séraphique un élément li inamissible
ü de terreur et ne
se joue pas des majestés
H du Maître, elle entend qu’il vomit 11 les
tièdes, qu’il est jaloux absolument n et jalousement II absolu, que
Son amour est prévenant, mais ii qu’il est solitaire et nous oblige
malgré
II nous à Le chérir contre nous-mêmes, n u que cet amour si
charitable est un feu dévorant qui ne se rassasie et qu’il ne souffre
de rival, à cause qu’il enferme n l’univers en Sa miséricorde. II On ne
se raille pas de ce qui n’a/dë fondement ii ni de principe, de sommet
ni de fin et dont l’inétendue embrasse le plérome, on ne transige
pas avec son Dieu : Ses volontés sont-elles pas irréversibles ? Ses
privautés comminatoires ? Ses bontés plus mortelles que Ses
foudres ? —
Pierre : — Et c’est pourquoi l’Église tremble. —
Etienne : — On ne possède l’Éternel qu’à charge de ne rien
prétendre et de ne rien avoir, moins ir le désir d’être à son Dieu dans
l’amertume,
11 le renoncementn et le scandale. —
Pierre : — Qui légifère au nom du Maître et se tient infaillible
a voulu se diviniser aux yeux du monde, il nous dérobe Dieu, mais ri

Dieu n’a plus à le connaître et le rejette, et Dieu lui venant à manquer n

il faut à l’imposteur des armes II périssables, il lui faudra des sûretés


humaines,
II des défenseurs et des garants, puis des séides et la tourbe
des sicaires, des bras exerçant la vengeance et semant II le carnage,
un mille
II de ressorts, le digne complément II de l’œuvre ! —
Étienne : — Il lui faut tout, tout n’étant pas assez quand le
Seigneur nous manque. —
Pierre : — Or, Dieu se venge en désertant qui Le déserte et
c’est alors que nous nous sentons dénantis. —
Étienne : — Le moyen
II de mourir honteusement où le Seigneur
ne nous assiste pas ? —
Paul : — Et c’est alors que nous voulons des fins et théâtrales
et sublimes. Le moyen
n de prier et d’appeler les bénédictions du ciel
sur ceux qui nous immolent,
iiiii si nous ne sommes II de la chair du
Christ, que nous ne soyons dans le Christ et qu’il ne surabonde
en nous ? —
Étienne : — Et c’est alors que nous prêchons une Croisade et
désirons que l’on nous venge, nous rendant martyrs II à dessein, pour
que le monde saigne en souvenir de notre mort. —
Paul : — Enfin et dans le temps II que Dieu nous abandonne

395
entiers, la mort
n même
n n nous fuit et nul ne nous égorge plus à l’ave­
nir. —
Étienne : — Car nous ne méritons pas de saigner, il ne nous
reste qu’à pourrir, invulnérables et vivants. —
Pierre : — Tel est le châtiment
H de l’Autre Église. —

CONCLUSION GÉNÉRALE

Si le Royaume il n’est pas de ce monde, où le trouver ? Et s’il réside


en nous, le moyen de le rendre manifeste II ? Et s’il paraît enfin,
sera-t-il jamais
n affermi n ? Car le Royaume II n’est pas de ce monde, n

mais il n’est rien dès qu’il ne s’en étaye et l’œcumène n est l’agent
de sa consistance, où Dieu n’agit qu’au travers de l’humain, n où
la cité charnelle élève les appuis de l’autre. Il faut premièrement H II

que l’univers subsiste, afin que le Royaume u avienne et l’on n’en


doit pas souhaiter l’embrasementn ou la subversion — qui sont des
rêves criminels
ri plus dignes de déments n que de mystiques
ru —. De
saintes dispositions ne nous obligent pas à vouer le plérome II aux
feux du ciel et d’ajouter à l’amertume n n de la vie une menace II immo­
dérée, et tous les enragés qui nous vomissent pour l’amour de Dieu
trahissent merveilleusement
n n leur Maître. Le beau mérite, n n’est-ce
pas, que de tenir en l’épouvantement de pauvres hommes angoissés
et de jouer de foudres ou de trombes ! ou de crier vengeance en
régnant sur les peuples de la terre, navrant et consumant, II le sceptre
en main
ru et l’épée à la bouche ! Divinité bien faite à la mesure II des
pendards qui l’imaginent telle et lui délèguent leur malice II inassouvie.
En nous est le Royaume n et c’est par nous qu’il se découvre, et son
théâtre est l’univers qu’il est expédient d’aménager, II tenant les mains ir

à son avènement, car pour le rendre manifeste II il appartient à l’homme


et de se réformer et de changer l’ordre du monde, II l’un ne le dispensant
jamais de l’autre — où le premier, ri isolément,
II ne serait qu’une déro­
bade et le second une rébellion douteuse —. Enfin, quand le Royaume n

est emmi nous, ne songeons pas à l’affermir n et fût-ce le plus sainte­


ment, car les moyens mis en usage ont la vertu de le trop bien dé­
fendre, en sorte que la Ville, à l’ombre II de ses hauts remparts, devient
un lieu de sûreté que les méchants II habitent : nul ne doit s’acquérir
de droit sur elle et nul n’en disposer à son consentement, II il n’en faut
rien prétendre et mieux II vaut, certes, qu’on la désempare. Si le
Royaume II est emmi nous, nous avons à le mériter II pour qu’il subsiste,
à le gagner sans intermission II afin qu’il ne se perde plus, à vivre
dans le tremblement, ne présumant II jamais d’une faveur aléatoire
et que le ciel retire dans le temps qu’il nous l’a partagée.
TABLE DES MATIÈRES

Colloque préalable ... ........................................................ 7


Livre premier. — Du siècle d’à présent......................... 19
Livre deuxième. — De l’histoire........................................... 57
Livre troisième. — Des mœurs et des lois
Livre quatrième. — De l’art..........................................................155
Livre cinquième. — De l’âme et des puissances....................... 193
Livre sixième. — Du désirable et dusublime .... 243
Livre septième. — De la divinité............................................ 307
ACHEVÉ D’IMPRIMER
LE VINGT-NEUF MAI MCMLIII
PAR L’IMPRIMERIE
Ü PAUL ATTINGER S. A
A NEUCHATEL (SUISSE)
«PB-3957-1
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