Vous êtes sur la page 1sur 8

SCENE 6

Entrent la grande prêtresse de Diane et ses prêtresses. Elles sont suivies par un groupe de
jeunes filles qui portent sur leurs têtes des paniers remplis de roses Des prisonniers grecs
escortés par quelques Amazones en armes.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Eh bien, jeunes vierges en fleurs, bien-aimées,
Montrez-moi le fruit de votre promenade.
Ici, où jaillit solitaire la source écumante,
A l'ombre de ce pin nous sommes en sûreté :
Ici, déversez votre cueillette.

UNE JEUNE FILLE (renversant son panier).


Regarde, j'ai cueilli toutes ces roses, sainte mère !

UNE AUTRE (de même).


Et moi cette brassée !

UNE TROISIÈME.
Et moi celle-ci !

UNE QUATRIÈME.
Et moi tout ce printemps abondant !

Les autres jeunes filles font de même.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Cela fleurit comme à la cime de l'Hymette !
Quel jour béni, ô Diane !
Ton peuple n'a jamais connu pareille profusion.
Les mères et les filles me comblent de présents ;
Eblouie par ce double éclat,
Je ne sais qui je dois remercier le plus. -
Mais est-ce là tout votre butin, mes enfants ?

LA PREMIÈRE JEUNE FILLE,


Impossible d'en trouver davantage.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Alors vos mères se sont montrées plus acharnées.

LA SECONDE JEUNE FILLE.


Sur ces champs, sainte prêtresse, on cueille
Des captifs plus facilement que des roses.
Si abondante et si drue sur ces collines
Est la moisson de jeunes Grecs qui n'attendent
Que la faux d'une joyeuse faucheuse,
Alors que si rare dans ces vallées,
Et si retranchée je te l'assure, fleurit la rose,
Mieux vaut se battre contre des flèches et des lances
Qu'au travers d'un enchevêtrement de ronces.
- Regarde seulement nos doigts, je t'en prie.

LA TROISIÈME JEUNE FILLE.


Pour te cueillir une rose unique,
J'ai osé m'avancer au bord d'un gouffre.
Pâle dans le vert sombre du calice
Elle resplendissait, simple bouture
A peine éclose à la plénitude de l'amour.
Mais je la saisis et trébuche et tombe soudain
Dans l'abime, j'ai cru, perdue que j'étais,
Tomber dans le giron nocturne de la mort.
Ce fut ma chance pourtant car il y avait là
Une telle abondance de roses en fleurs :
De quoi fêter encore dix fois la victoire des Amazones.

LA QUATRIEME JEUNE FILLE.


J’ai cueilli pour toi, ô sainte prêtresse,
Pour toi j'ai cueilli une rose, rien qu'une :
Mais quelle rose ! La voici, regarde !
Digne de couronner le front d'un roi :
Penthésilée n'en peut désirer de plus belle
Quand elle fera tomber Achille, le fils des dieux

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Allons, quand Penthésilée le fera tomber,
Tu lui donneras la rose royale.
Prends soin d'elle jusqu'à ce qu'elle revienne.

LA PREMIÈRE JEUNE FILLE


A l'avenir, lorsqu'au son des cymbales notre armée
S'avancera de nouveau sur le champ de bataille,
Nous la suivrons, mais plus, tu le promets,
Pour cueillir des roses et tresser des couronnes
A la gloire de nos mères victorieuses.
Regarde ce bras, il brandit déjà la lance,
Et ma fronde en sifflant atteint déjà sa cible :
Je parie que déjà fleurit la rose de mon couronnement
- et déjà dans la mêlée combat avec courage
Le jeune homme pour qui mon arc se tend.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
En es-tu sure ? – certes, si tu le crois,
-As-tu déjà regardé les roses dans cette idée ?
-Au printemps prochain, quand elles refleuriront,
Tu pourras te chercher le jeune homme dans la mêlée.
- En attendant, les cœurs joyeux des mères s'impatientent :
Tressez vite les couronnes de roses !

LES JEUNES FILLES (parlant toutes en même temps).


Vite, au travail ! Comment s'y prendre ?

LA PREMIERE JEUNE FILLE (à la seconde).


Viens ici, Glaucothoe!

LA TROISTEME (à la quatrième).
Viens, Charmion!

Elles s'assoient deux par deux.

LA PREMIÈRE JEUNE FILLE.


Nous - nous tresserons la couronne d'Ornythia,
Celle qui a fait tomber Alceste au grand panache.

LA TROISIÈME.
Et nous, ma soeur - celle de Parthénion : c'est Athénaïs
Et son bouclier frappé de la méduse qu'elle va s'attacher.

LA GRANDE PRETRESSE (aux Amazones en armes).


Eh bien ? Ne voulez-vous pas distraire vos hôtes ?
-Vous voilà donc si maladroites, ô vierges,
Dois-je vous apprendre la grande affaire de l'amour !
N'oserez-vous pas dire un mot aimable à leur égard ?
Ni entendre de ces hommes épuisés par la bataille
Quels sont leurs désirs ? Leurs souhaits ? Leurs besoins ?

LA PREMIÈRE AMAZONE.
Ils disent qu'ils n'ont besoin de rien, vénérable.

LA SECONDE.
Ils sont mécontents de nous.

LA TROISIÈME.
Quand on s'approche d'eux
Ces brutes obtuses se détournent avec dédain.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Eh, s'ils sont mécontents, par notre déesse,
Contentez-les ! Mais aussi pourquoi les avoir
Frappés si violemment dans le combat ?
Dites-leur ce qui les attend pour les consoler
Ils ne seront pas inflexibles.

LA PREMIÈRE AMAZONE (à un captif).


Veux-tu, sur des tapis moelleux, O jeune homme,
Reposer tes membres ? Avec ces fleurs printanières
Veux-tu que je prépare, car tu sembles épuisé,
Une couche à l'ombre de ce laurier ?

LA SECONDE (de même).


Veux-tu que je mêle la plus parfumée des huiles persanes
A de l'eau fraîchement puisée à la source
Et que je rafraîchisse ton pied couvert de poussière ?

LA TROISIÈME.
Tu ne refuseras pas le jus d'une orange
Que je t'apporterai d'une main aimante ?

LES TROIS AMAZONES


Dites ! Parlez ! En quoi peut-on vous servir ?

UN GREC.
En rien !

LA PREMIÈRE AMAZONE.
Etranges étrangers ! Qu'est-ce qui vous attriste ?
Qu'y a-t-il dans notre aspect qui vous épouvante,
Alors que nos flèches reposent dans nos carquois ?
Est-ce la peau de lion qui vous effraie ? -
Toi, l'homme à la ceinture, parle ! Que crains-tu?

LE GREC (après l'avoir regardée fixement).


Pour qui tresse-t-on ces couronnes ? Dites !

LA PREMIÈRE AMAZONE.
Pour qui ? Pour vous ! Pour qui d'autre ?

LE GREC.
Pour nous ! Et vous l'avouez,
Inhumaines ! Voulez-vous nous conduire ornés de fleurs
Comme des bêtes qu'on immole à l'étal du boucher ?

LA PREMIÈRE AMAZONE.
Au temple d'Artémis ! Qu'allez-vous imaginer ?
Dans le sombre petit bois où vous attendent
Des délices sans mesure et sans borne !

LE GREC (étonné, à mi-voix, aux autres captifs).


Un rêve fut-il jamais plus coloré que ce réel ?

SCENE 7

Entre une Amazone du rang de capitaine.


Les mêmes.

LA DIGNITAIRE.
C'est ici, vénérable, que je te trouve !
-Alors qu'à portée d'un jet de pierre
L'armée se prépare au sanglant combat !

LA GRANDE PRÊTRESSE.
L'armée ! Impossible ! Où ?

LA DIGNITAIRE.
Dans le lit
Que le Scamandre a creusé. Si tu veux bien
Ecouter le vent qui souffle des montagnes,
Tu entendras l'appel fulminant de la reine,
Le cliquetis des armes, le hennissement des chevaux,
Trompettes, tubas, cymbales et trombones,
L'énorme voix d'airain de la guerre.

UNE PRÊTRESSE.
Qui va vite me gravir cette colline ?

LES JEUNES FILLES.


Moi ! Moi !

Elles montent sur la colline.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
La reine ! - Non, parle ! Je ne peux pas le croire -
- Pourquoi, si la bataille fait rage encore,
A-t-elle ordonné la fête des roses ?

LA DIGNITAIRE.
La fête des roses - A qui en a-t-elle donné l'ordre ?

LA GRANDE PRÊTRESSE.
A moi ! A moi !

LA DIGNITAIRE.
Où ? Quand ?

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Il y a quelques minutes à peine
Je me tenais à l'ombre de cet obélisque
Quand passèrent en coup de vent
Le Péléide et la reine sur ses talons.
Où vas-tu ? demandai-je à cette empressée.
A la fête des roses, cria-t-elle, tu le vois bien !
Et elle passe en flèche et d'une voix joyeuse :
Que pas une fleur ne manque, sainte prêtresse !

LA PREMIÈRE PRÊTRESSE (aux jeunes filles).


La voyez-vous ? Parlez !

LA PREMIÈRE JEUNE FILLE (sur la colline)


Rien, nous ne voyons rien encore !
On ne distingue pas le moindre panache.
L'ombre d'un nuage orageux s'étend
sur la vaste plaine, seule est visible
La poussée des troupes enchevêtrées
qui se cherchent sur le champ de la mort.

LA SECONDE PRÊTRESSE.
Elle aura voulu couvrir le retour de l'armée.

LA PREMIÈRE.
C'est aussi mon avis.

LA DIGNITAIRE.
Elle s'apprête au combat,
Je vous dis, elle est face au Péléide,
La reine, plus fougueuse que le persan
Qui la porte et se cabre dans les airs,
Jette des regards plus brûlants que jamais,
Respirant à grands traits, libre et joyeuse,
Comme si son jeune sein guerrier respirait
Pour la première fois l'air des batailles.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Par les dieux de l'Olympe que cherche-t-elle encore ?
Que peut-elle, alors que par milliers
Les captifs grouillent dans les forêts,
Vouloir de plus encore ?

LA DIGNITAIRE.
Ce qu'elle peut vouloir de plus ?
LES JEUNES FILLES (sur la colline).
Dieux !

LA PREMIÈRE PRÉTRESSE.
Eh bien ? Qu'y a-t-il ? L'ombre s'est enfuie ?

LA PREMIÈRE JEUNE FILLE.


O très saintes, venez donc !

LA SECONDE PRÊTRESSE.
Parlez!

LA DIGNITAIRE.
Ce qu'elle peut vouloir de plus ?

LA PREMIÈRE JEUNE FILLE.


Voyez, voyez, les nuages orageux se déchirent,
Comme une masse de lumière, le soleil d'un coup
Tombe sur le front du Péléide !

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Tombe sur qui ?

LA PREMIÈRE JEUNE FILLE.


Sur lui, te dis-je ! Qui d'autre ?
Il se tient sur la colline, rayonnant,
Son cheval et lui, bardés de fer, un saphir,
Une chrysolithe n'ont pas le même éclat !
La terre tout autour pourtant si colorée,
Enveloppée dans la nuit noire de l'orage,
N'est plus qu'un fond ténébreux, destiné
A rehausser la splendeur étincelante de l'unique !

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Qu'importe le Péléide à notre peuple ?
- Sied-il à une fille d'Arès, une reine,
De s'attacher à un nom dans le combat ?
(A une Amazone.)
Cours, Arsinoé, rejoins-la vite
Et dis-lui, au nom de Diane ma déesse,
Que Mars s'est soumis à ses fiancées :
Je lui ordonne, au risque de provoquer sa colère,
De conduire maintenant le dieu couronné à Thémiscyre
Et de célébrer sans tarder dans son temple
La fête sacrée des roses !
(L'Amazone sort.)
A-t-on jamais entendu pareille folie !

LA PREMIÈRE PRÊTRESSE.
Enfants ! Voyez-vous enfin la reine ?

LA PREMIERE JEUNE FILLE (sur la colline).


Oui, oui ! La plaine s'illumine - la voilà !

LA PREMIÈRE PRÉTRESSE.
Où se montre-t-elle ?

LA JEUNE FILLE.
A la tête de nos vierges !
Regardez-la, étincelante dans son armure dorée,
Le désir de combattre la fait danser à sa rencontre !
Comme si, aiguillonnée par une jalousie brûlante,
Elle voulait dans son essor devancer le soleil
Qui baise ce jeune front ! O regardez !
Si elle voulait s'élancer vers le ciel
Pour s'égaler à ce soleil rival,
Son cheval, si docile à son désir, ne pourrait
S'élancer dans les airs d'un plus bel envol !

LA GRANDE PRÊTRESSE (à la dignitaire).


Ne s'est-il donc trouvé personne parmi les vierges
Pour la prévenir, pour la retenir ?

LA DIGNITAIRE.
Toutes les princesses se sont jetées
En travers de son chemin : ici même en ce lieu,
Prothoé a tenté l'impossible.
Toutes les ressources de l'éloquence
Pour la ramener à Thémiscyre furent épuisées.
Elle était comme sourde à la voix de la raison :
La plus venimeuse des flèches d'Amour,
Dit-on, a frappé son cœur juvénile.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Que dis-tu ?

LA PREMIÈRE JEUNE FILLE (sur la colline).


Ah, c'est maintenant qu'ils s'affrontent !
Dieux ! Retenez la terre -
A l'instant, à l'instant même où je parle,
Comme deux astres l'un contre l'autre se fracassent !

LA GRANDE PRÊTRESSE (à l'Amazone).


La reine, dis-tu ? Amie, c'est impossible !
Frappée par la flèche d'Amour - Quand ? Et où ?
La souveraine à la ceinture de diamant ?
La fille de Mars au sein coupé,
Cible de ces flèches empoisonnées ?

LA DIGNITAIRE.
C'est ce que dit du moins la voix du peuple
Et Méroé me l'a confié à l'instant.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
C'est effroyable !

L'Amazone revient.

LA PREMIÈRE PRÊTRESSE.
Eh bien ? Quelle nouvelle ? Parle !
LA GRANDE PRÊTRESSE.
As-tu transmis mon ordre ? As-tu parlé à la reine ?

L'AMAZONE.
Il était trop tard, très sainte, pardonne.
La foule des femmes qui l'environnait
Me la cachait et je n'ai pu l'atteindre.
Mais j'ai pu, un instant, rencontrer
Prothoé et lui dire ta volonté ;
Mais elle a répondu - un mot, je ne sais
Si dans la confusion j'ai bien entendu.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
Eh bien, quel mot ?

L'AMAZONE.
Elle avait arrêté son cheval
Et regardait, les yeux en larmes, me semblait-il,
La reine. Et quand je lui ai dit combien
Tu étais scandalisée que cette insensée
Prolonge encore le combat pour une seule tête,
Elle m'a répondu : retourne à ta prêtresse
Et dis-lui de se mettre à genoux et prier
Pour que cette seule tête tombe dans le combat ;
sans quoi, il n'y aurait pas de salut pour elle et nous.

LA GRANDE PRÊTRESSE.
O elle descend le chemin vertigineux de l'Orcus!
Et ce n'est pas l'adversaire, si même elle le rencontre,
Mais l'ennemi en son sein qui la fera sombrer.
Elle nous entraîne toutes vers l'abîme ;
La quille qui nous porte en Hellade enchaînées,
Parées de rubans dérisoires,
Déjà je la vois fendre l'Hellespont.

LA PREMIÈRE PRÊTRESSE.
Vous voyez ? Déjà s'avance la funeste nouvelle.

Vous aimerez peut-être aussi