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Les Autres

Pierre Emmanuel

© Pierre Emmanuel. 2023.


Préface
J’étais dans une impasse mentale insupportable. Je n’étais pas sans
l’ignorer, bien sûr : une préface est généralement écrite pour vanter
les mérites du livre ou de l’écrivain, afin de donner envie au chaland
de poursuivre sa lecture. Elle est bien souvent écrite par une
personne extérieure à l’auteur dudit ouvrage, si possible jouissant
d’une plus grande notoriété afin de bénéficier de son aura ; garante
de ventes, ou, à défaut, de crédibilité. Pour autant, peu m’en chalait.
Je demeurais perplexe et circonspect : l’argument d’autorité m’est
souvent désagréable, et il m’aurait paru inopportun d’avoir trop de
succès. Que faire de plusieurs milliards d’euros inexorablement
gagnés à la suite d’un ouvrage extraordinairement qualitatif et si
grand public ? Je l’ignorais, et, de vous à moi, j’en avais peur. Du
haut de mon orgueil fort développé, j’estimais par ailleurs qu’un
autre nom sur la couverture ne m’aurait en rien bénéficié. Pire,
j’aurais au contraire apposé le précieux sceau de ma propre
crédibilité sur l’auteur de la dite préface par rebond. Une bien
fâcheuse conséquence. Mes traits qui accusaient déjà de lourd
combats de vie prirent une tournure violacée passablement
inquiétante. Il me fallait trouver une solution pour garantir à la fois
mon intégrité intellectuelle tout en m’assurant d’être un échec
commercial. Un équilibre, on le sait, délicat. Utilisant une proportion
tout à fait significative de mon temps de cerveau disponible, je
terminai, dans une apothéose corticale quasi-mystique, par en
déduire que la seule personne qui ne jouissait ni plus ni moins de
crédibilité que moi-même ne pouvait être que moi-même - la boucle
parfaite de l’argument d’autorité. Il m’apparut donc naturel d’écrire
moi-même cette préface. Cependant… je me retrouvais alors dans
une posture inconfortable. Je ne pouvais décemment écrire une
préface élogieuse, et, même si l’idée d’une couverture de livre de
Pierre Emmanuel mentionnant « Préface de Pierre Emmanuel »
n’était pas sans m’arracher un sourire niais, je ne pouvais décemment
me résoudre à me couvrir de fleurs pour asseoir ma crédibilité. Il me
fallait surtout être le plus honnête possible : j’avais en réalité dans
l’idée de critiquer mon propre travail passé dans l’espoir de réduire
votre envie de lire ce livre. Mais avant que vous ne demandiez un
remboursement ou que je reçoive un mail paniqué de mon éditeur

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m’enjoignant de cesser sous peu mes couteuses nigauderies, laissez-
moi clarifier ma pensée un instant.

Le fait est que dix années séparent votre humble serviteur présent
écrivant ce livre de son avatar passé lorsqu’il créa son blog. Pour
faire simple, vous ne lisez pas le même homme. Vous ne lisez même
pas tout à fait celui qui a écrit « Conscience », publié pour la toute
première fois au tout début de l’an de grâce deux mille dix neuf -
autant dire tout de suite six millions d’années. L’encre a coulé et le
joyeux luron a beaucoup changé. Une chose, toutefois n’a pas changé
: l’estime et l’importance que je place dans l’étude de la conscience,
et notamment des expériences habituellement décrites comme
inhabituelles, extraordinaires ou paranormales. Expérience hors-du-
corps, médiumnité, psychokinèse, télépathie… ces sujets continuent
de me fasciner. Je les crois particulièrement importants. Je crois par
ailleurs que c’est justement parce que je les porte en haute estime - et
qu’ils me concernent directement pour certains - que je ne peux me
contenter de les regarder de loin. C’est précisément parce que ces
sujets sont cruciaux pour moi que je m’attache à constamment affiner
mes mots, affuter mon regard, améliorer ma précision, et plus
généralement à faire évoluer ma connaissance de ces phénomènes.
Quitte à changer d’interprétation régulièrement. C’est précisément
pour cette raison que mon scepticisme s’est renforcé ces dernières
années et que je ressens systématiquement le besoin de clarifier ma
pensée et de la mettre à jour, ou de prendre du recul quand cela me
dépasse. Si je me contentais d’inventer de la fiction, je pense que je
n’aurais pas ce souci du détail. Mais le sujet de mes écrits est aussi
ma propre vie : je me sens d’autant plus responsable des
informations que je partage. Mes interprétations évoluent, mais mes
expériences restent. Je ne peux les enlever de ma vie. Je suis donc
obligé de composer avec.

Dans la plus pure tradition de notre siècle, permettez-moi d’adresser


d’entrée de jeu les critiques que j’ai reçu lors de ces dix années. Je
vous le confesse : j’en trouve de nombreuses justifiées. Prenons un
exemple : le Pierre qui a écrit entre 2014 et 2016, était bel et bien
arrogant, affirmatif, grandement influencé par Waldo Vieira, par
l’I.A.C, par Marc Auburn et par Sylvan Muldoon pour ne citer
qu’eux. Comprenez qu’alors au début de sa vingtaine, il vivait des
expériences fortes qu’il ne comprenait pas et cherchait, dans un
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climat qu’il percevait comme assez hostile à l’égard de ces
expériences, à marteler que les expériences comme les expériences
de sortie hors-du-corps (E.S.H.C) étaient bel et bien réelles. Il
utilisait alors, entre autre, expériences, arguments d’autorité et
facilités de raisonnement. Il voulait, par exemple, absolument séparer
les E.S.H.C des rêves pour affirmer le caractère unique de ces
dernières. Pour autant, ses connaissances, à la fois en E.S.H.C, et en
rêve, ne permettaient pas d’aller bien au-delà des réflexions déjà
amenées par ces auteurs, et les autres. Il s’y retrouvait
expérimentalement : il s’en faisait donc naturellement l’écho.

Cela étant posé, n’en venez pas à croire que j’en suis arrivé à une
position matérialiste, ou encore une posture relativiste absolue. Pour
rester sur ce sujet, je persiste à évaluer comme particulièrement
crédible l’hypothèse selon laquelle les E.S.H.C possèdent des
caractéristiques très particulières et très spécifiques que ce qu’on
appelle le rêve « commun » semble ne pas posséder. Lorsque je vis
ces expériences, bien souvent au décours d’une paralysie du
sommeil, il me parait limpide que je ne vis pas un « simple rêve ».
Cela étant posé, l’analyse me parait nécessiter un peu plus de
matériel qu’un simple « j’en suis sûr, trust me bro ». Pour explorer
du réel complexe, il me parait nécessaire de s’équiper d’outils
mentaux complexes : tôt ou tard, il va falloir se séparer des bonnes
vieilles affirmations sans raisonnement. Je vais y revenir.

N’en venez pas non plus à croire que je rejette en bloc les auteurs
que je viens de citer. Pour certains, je me suis considérablement
éloigné de leurs vues ou de leurs postures, pour d’autres, je reste
assez proche intellectuellement de certains de leurs concepts. Une
constante s’est dessinée avec le temps : plus je chemine, plus je
m’éloigne du péremptoire, de l’affirmatif, du gratuit, qui me
semblent être, sur ces domaines, des bulles fermées qui finissent par
ne plus toucher le réel dans le meilleur de cas, par devenir de francs
exemples de gatekeeping dans les pires.

Et à vrai dire, à l’heure actuelle, je ne me reconnais dans aucune


démarche, aucune posture intellectuelle ni spirituelle sur ces sujets.
J’ai mis beaucoup de temps à l’admettre franchement, même si cela
me sautait aux yeux depuis des années. La fameuse tâche aveugle,
j’imagine.
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Qu’en pensez-vous ? Ne sommes-nous pas inondés avec des
incitations à expérimenter par nous-même ? Dans les faits, nous ne
faisons rien qui ne soit pas validé par les têtes d’affiche. Ne sommes-
nous pas inondés d’incitations à penser par nous-mêmes ? Dans les
faits, nous nous rangeons derrière celui qui parle le plus fort ou celle
qui présente le plus joliment. Nous sommes inondés de citations
spirituelles qui nous incitent à l’éveil mais nous préférons le sommeil
confortable de l’approbation communautaire. Nous sommes inondés
d’incitations à l’honnêteté par des menteurs, inondés d’incitations à
la dépossession par des cupides.

Qu’en pensez-vous ? Ne nous présente-t-on pas des mondes sans


hiérarchie par des gens qui se placent au dessus des autres, des
« non-évolués » qui passent leur temps à nous rappeler que tout ce
qu’ils font est spirituellement au-dessus des autres ? Ne nous dit-on
pas tous les quatre matins que la spiritualité, c'est le renouveau,
l'aventure de l'esprit, l'évolution, la remise en question de nos briques
les plus solides, tout en nous enjoignant de rester absolument les
mêmes, et de ne pas faire de vagues ? Qu'attendons-nous
réellement ? Qui attendons-nous ?

Ici, ne sépare-t-on pas les consciences entre « vrais » et « faux »


expérienceurs, « vrais » et « faux » voyageurs, « vrais » et « faux »
spirituels, sans que nous ne remettions jamais en question la
personne même qui tamponne les cartes de membres, sans que nous
ne remettions en question la grille de lecture utilisée pour ce tri, sans
que nous nous posions la question de la pertinence même de ces
schismes intellectuels ?

Qu’en pensez-vous ? Ne veut-on pas être du bon côté ? Ne pas être


exclu ? N’aime-t-on pas le groupe, la meute, l’odeur familière de la
tribu, la force de ses chefs, l’anxiolyse de ses rites ? Les récits
rassurants des braves pionniers alphas qui pré-mâchent l’infinie
complexité de l’existence avec leur machette phallique et
dominatrice, pour nous autres qui ne sommes pas élus, qui ne
sommes soi-disant pas doués pour écrire, pour expliquer, pour
convaincre, pour vivre ? Pour nous les timides, ceux qui n’ont soi-
disant pas autant d’expériences si extraordinaires, celles qui
rougissent de n’être que des petites gens soi-disant clouées au sol ?
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Quitte à tordre nos expériences, à les magnifier, à transformer des
rêves flous en sorties hors-du-corps exceptionnelles, des ressentis
fragiles en perceptions universelles, des croyances de singes abimés
par la vie - ce que nous sommes tous, il me semble - en préceptes
spirituels solides pour rentrer dans les bonnes cases, être adoubé par
les bonnes personnes ?

Ne devrions-nous pas systématiquement nous méfier des gens qui


arrivent à nous convaincre qu’on a pas de bras pour nous vendre des
prothèses ?

Revenons à mon propre parcours. Je vais prendre un exemple concret


de rapidité de raisonnement qui, je pense, illustrera une partie du
problème auquel j’ai fait face. Concernant les bénéfices de ce que
j’appelais alors la « projection lucide », j’écrivais le 1er octobre 2015
dans l’article [Réflexions] Bénéfices : « Nous pouvons revoir des
personnes (et des animaux!) qui ont quitté le plan physique. ».

Premier problème : l’ambiguïté. A quoi faisais-je référence


précisément ? Revoir les véritables personnes en question dans ce
qu’on imagine être « un autre plan » de réalité auquel ils auraient
accès après leur mort et dans lequel il serait possible d’aller ? Auquel
cas, l’affirmation est lourde de sens, de conséquences, mais elle est
surtout multiple. Car c’est affirmer que l’E.S.H.C et la mort sont
manifestement liées, c’est affirmer, par exemple, que l’hypothèse
d’un corps qui survit à la mort est avérée, que le corps qui survit à la
mort peut communiquer avec possiblement un autre corps d’une
personne encore vivante, et ainsi de suite. L’affirmation est encastrée
dans une grappe non-démontrée. Mais si vous voulez mon avis, ce
n’est même pas le problème principal, tant il me parait évident qu’il
peut y avoir des idées non démontrées qui demeurent néanmoins
particulièrement fécondes1. Le hic, pourrait-on dire, c’est que cette
grappe est encastrée de manière ambiguë : on ne sait même pas
vraiment quelles briques ont été utilisées pour arriver à la conclusion.
Et, au fait, c’est qui le « nous » ?

1Oui, je sais, je sais, mon blog n’est qu’une succession d’idées non-
démontrées, je sais, je sais.
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Deuxième problème, la source. Sur quoi me basais-je pour affirmer
cela ? En l’occurence, l’un des socles principaux de l’article à ce
moment est une expérience que j’assimilais alors à une E.S.H.C dans
laquelle j’ai croisé ce que je croyais profondément être mon chat, qui
venait de décéder peu avant, ainsi que des témoignages et des
lectures au sujet de la survie de l’âme. Est-ce, à mes yeux actuels,
suffisant pour affirmer que les E.S.H.C ont pour bénéfice le fait de
pouvoir revoir des personnes et des animaux qui ont quitté le plan
physique ? Non. Cela ne veut pas dire que je n’y crois pas - j’ai
vraiment tendance à y croire. Mais mes croyances n’enlèvent rien au
fait que je considère bel et bien que ce n’est pas suffisant pour
soutenir une affirmation pareille. Pour autant, je l’ai bel et bien écrit -
je dois donc composer avec. Alors, dois-je supprimer mes anciens
articles, au risque qu’on ne comprenne plus le chemin mental que j’ai
suivi ? Dois-je écrire un article sur deux que mon interprétation va
changer ? Une question plus pertinente serait peut-être plutôt :
qu’aurais-je écris maintenant ? Probablement que j’ai vécu une
expérience qui possède les caractéristiques x, y et z. Que j’y ai vu a,
b et c. Que je peux en tirer un ensemble d’hypothèses, à la fois sur
les caractéristiques x, y et z, mais aussi sur les origines probables de
a, b et c. Que je peux trier ces hypothèses selon leur probabilité, que
j’aurais estimée en fonction de telle et telle source d’information, et
pas seulement mon expérience personnelle. Que cette hiérarchisation
des hypothèses est évolutive et fondamentalement biaisée. Qu’il faut
rester prudent, et accumuler plus de données.

Je sais que pour beaucoup, ce n’est pas ce qu’on a envie de lire. Pour
autant, je maintiens qu’en sortant des affirmations simples, on ouvre
du réel. On s’autorise à entrer peu à peu dans la complexité de
l’existence. Et quelle aventure ! Lorsque je regarde l’histoire des
sciences, des connaissances, et même de l’art, mon avis est que
l’humanité a évolué avec des « je pense que x est vrai car y et z selon
le raisonnement a » et non « C’est x. C’est comme ça. Je le sais,
c’est tout. ». Parce que même si x s’avérait vrai dans cet exemple, la
seconde posture ferme du réel. Elle me parait créer une structure
mentale ad-hoc, imperméable, figée, bref, statique. La seconde
personne devient un gardien du temple. Elle sait, vous non. La tuile.
Vous vivez de la daube, mais elle, non. Pour un certain montant,
d’argent, de temps ou d’énergie, elle peut vous faire rentrer dans la
bulle. La première posture est imparfaite, à l’évidence. Mais elle a le
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mérite de retracer la filiation des idées, de favoriser la réflexion, et
d’ouvrir du réel. Bien sûr, ça n’est pas évident. Et surtout, ça coûte
beaucoup plus d’énergie. Pour autant, s’en rapprocher, peu à peu, me
parait fécond et pertinent.

Vous n’êtes pas convaincus, ou vous ne voyez pas où je veux en


venir ? Prenons un petit exemple.

« La lune tourne autour de la Terre. C’est comme ça. Je le sais, c’est


tout. »

Terminus, tout le monde descend. Ça n’est pas faux, mais la bulle est
fermée, et on n’avance plus.

« Il existe x, y z arguments pour dire que la lune tourne autour de la


Terre dans tel référentiel. On peut dire qu’elle tourne car a, b, c,
selon une conception de la physique d. Nous en sommes arrivés à ces
arguments après tel cheminement d’idée et telle filiation
intellectuelle. »

C’est certes beaucoup plus couteux intellectuellement, mais


tellement plus fécond. Le réel s’ouvre sur la physique des corps
stellaires, la logique, l’histoire des sciences. Le mental s’agite, la
curiosité s’emballe, l’arbres des idées s’étend dans tous les sens : on
veut en savoir plus. Il me semble qu’il en va de même avec
l’exploration de la conscience.

Ah, vous êtes encore là ! J’en suis surpris - mais très heureux.
Parlons maçonnerie pour terminer cette délicieuse introduction, vous
voulez-bien ? Ne vous ai-je pas encore dit que j’aimais comparer les
édifices intellectuels aux constructions matérielles ? J’aime en
particulier l’analogie de la brique. J’utiliserai parfois cette dernière,
je vais donc également profiter de ce préambule pour lier
définitivement maçonnerie et spiritualité dans un élan alchimique
inopiné mais heureux, dans l’idée de clarifier ma pensée sur le sujet
et d’insister sur l’importance des fondations. Vous verrez
probablement comme moi que l’analogie, bien que limitée, n’est pas
sans pertinence, en particulier concernant ces domaines. Il existe des
édifices plus ou moins solides sur notre planète. Si vous voulez mon
avis, c’est exactement la même chose concernant les idées : il existe
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des édifices d’idées très solides, et des tentes temporaires qui
s’envolent au premier coup de vent.

J’aime voir une assertion, une théorie ou une conclusion comme une
maison faite de briques liées par du ciment. Imaginez que les briques
soit les éléments fondamentaux du raisonnement, et le ciment, des
connections logiques qui les lient. C’est pour l’instant assez abstrait,
mais vous allez rapidement voir où je veux en venir.

« J’étais lucide cette nuit, j’ai donc vécu un voyage astral. ». C’est
notre assertion de départ.

Ici, il y a deux briques, la première brique est l’élément de départ, à


gauche du « donc »2 - ici la lucidité durant la nuit - et le « voyage
astral » comme seconde brique, connectée par un ciment, qui est ici
le « donc ». Ici, chaque brique est intéressante prise isolément, mais
le ciment - dans ce cas précis, il s’agit du « donc » - fragilise
tellement l’édifice qu’il risque de s’écrouler à l’examen poussé.

La brique, elle-même composée de sous-éléments, voire d’autres


briques, est elle-même un édifice plus ou moins solide. Elle est faite
d’un ensemble de matériaux, dont un particulièrement important : la
source. Reprenons l’exemple.

« J’étais lucide cette nuit. » est la première brique. Sa source, ici, est
l’interprétation personnelle de l’expérience de l’individu. Sa solidité
est donc principalement établie par la crédibilité de la personne elle-
même. La deuxième brique est de source plus complexe : il se sert ici
d’un terme spécifique « voyage astral », associé à un ensemble
d’autres briques.

On peut penser que cette manière de voir les choses complexifie


inutilement le propos. Il me semble au contraire que c’est une
manière pratique de naviguer dans ces sujets encore largement
inconnus. A nouveau, pourquoi ? Parce-ce que dans de nombreux cas
j’ai l’impression que la question pertinente n’est pas de savoir si la
phrase est vraie - qui pourrait le dire ? - mais si les briques utilisées

2La brique de départ est traditionnellement appelée prémisse ou proposition


dans un raisonnement.
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sont pertinentes, crédibles et logiques selon un système de pensée
donné et si le ciment est solide, toujours selon le même système. A ce
jour, une affirmation telle que « j’ai vu cinq aliens dans un vaisseau
en sortie hors-du-corps et ils m’ont dit que j’étais méga évolué pour
un singe » me laisse de marbre. Par contre, je suis particulièrement
intéressé par ce qui amène cette personne à conclure ça, et à analyser
l’ensemble des briques qu’elle utilise. Qu’est-ce qui lui fait penser
qu’il s’agit d’une E.S.H.C, précisément ? Particulièrement
intéressant. Que s’est-il passé exactement dans l’expérience qu’elle
décrit pour qu’elle en conclut qu’elle a rencontré des aliens ?
Qu’entends-t-elle par alien ? Et ainsi de suite.

Revenons au premier exemple : « J’étais lucide cette nuit, j’ai donc


vécu un voyage astral. ». A nouveau, la phrase seule me parait légère.
Par contre, la première brique est précieuse. Le mot « lucide », en
particulier. Quel est le raisonnement qui permet de parler de
lucidité ? Dans quel contexte exactement ? La seconde brique, tout
autant. Pourquoi le terme « voyage astral » ? Et ainsi de suite. Les
questions se déroulent, et quand elles se déploient, la pensée respire
et il me semble que l’on peut réellement avancer.

Ces fondations étant posées, attachons-nous à l’édifice lui-même, et


aujourd’hui, il sera de taille : j’aimerais vous parler des Autres. A ce
stade, vous ne voyez pas forcément de quoi il est question. Rassurez-
vous : à force de tourner autour du concept au fil du récit, en mêlant
expériences, analyses, et même morceaux de fiction, nous aurons
largement l’occasion de nous approcher de la définition. Vous aurez
la votre, j’aurais la mienne - mais si vous êtes bien réveillés, vous
remarquerez que si j’ai bien fait mon travail, je vais
systématiquement éviter de les définir tout à fait.

Commençons par tourner autour de la structure. Si vous essayez de


réfléchir à la question « qu’est-ce qui changerait réellement le
monde, à l’heure actuelle ? », vous devriez trouver tout un tas de
réponses très différentes. Bien, comme il ne s’agit pas de votre livre
et que vous n’avez pas la parole présentement, je vais plus ou moins
être obligé de vous répondre. Ma réponse actuelle est donc la
suivante :

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« La mise au grand jour, et au plus grand nombre, des Autres. »
J’aurais pu aussi dire plus simplement : « la preuve, au delà de tout
doute raisonnable, que les Autres existent », ou bien « un moyen non-
ambigu, accessible au plus grand nombre et absolument fiable de
communiquer avec les Autres ». Tournons encore : « Que les Autres
fassent partie intégrante de nos sociétés, à tous les niveaux et ce de
manière ostensible et commune. »

Ce qui peut sembler paradoxal à ce stade, c’est que je sois


absolument convaincu que cela changerait réellement le monde, car
j’ai la conviction que cela changerait le comportement des humains
dans leur ensemble et qu’ils sont une partie non-négligeable du
monde, tout en étant bien malgré moi dans l’incapacité de définir
totalement ce qu’ils sont réellement. Si vous êtes normalement
constitué, la question qui vous vient immédiatement à l’esprit est tout
naturellement : mais quelles briques utilises-tu pour dire ça ?3

C’est précisément le sujet de ce livre.

3Comment ça, c’était « Mais c’est qui les Autres, ça devient lourd ? » ?
Comment ça, c’était « Mais t’avais pas dit l’inverse dans l’introduction de
Conscience ? Que l’humanité s’éteindrait blabla dans le chaos ? » Avez-
vous bien lu ma préface actuelle ? J’ai dit que j’avais changé. J’aime les
voitures de sport, la pétanque et la zététique désormais. Deal with it.
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Une Autre incision
« Quand la vie ne tient qu’à un fil, mieux vaut en mettre deux. »
Un chirurgien cardiaque.

Alter, c’est un mot latin qui veut dire « autre ». Ça nous a donné
altérer, altercation, altruisme, altérité, et peut-être aussi de manière
moins académique Thomas Bangalter4. Ma première rencontre avec
ce que j’appelle les Autres, c’est la paralysie du sommeil qui me l’a
offerte sur un plateau. Certains chanceux la vivent bien. Ce n’était
clairement pas mon cas. On me parlait à l’oreille dans des langues
inconnues, on se mettait derrière mon dos quand j’étais paralysé sur
le côté. On riait, parfois. J’étais paniqué dans l’immense majorité des
cas. J’ignorais tout des Autres.

Ils se sont invités dans mon sommeil, mais aussi dans ma vie de tous
les jours. Il m’arrivait de percevoir parfois certaines phrases dans
mon esprit qui semblaient apparaitre de nulle part, comme énoncées
par une présence extérieure. Il ne s’agissait pas de simples pensées
aléatoires comme on en a des centaines par jour, mais des étranges
messages qui tranchaient dans le bruit mental, accompagné d’une
sensation très singulière de réalité, de présence intelligente. « N’aie
pas peur », « A l’oeil attentif, la vie se révèle », et autres maximes.
Déjà à l’époque, le message en lui-même m’importait assez peu - il
s’avérait par ailleurs souvent assez banal - mais le fait qu’on puisse
m’en envoyer m’intéressait nettement plus. Et surtout, je
commençais à questionner ma santé mentale, car j’avais dans ces
moments-là le sentiment que mon intimité psychique était perturbé
par une présence extérieure.

L’intimité psychique, il me semble qu’on peut la définir de


différentes manières. Je vais la définir ici de manière très large
comme étant, entre autre, la sensation d’être « seul » dans sa tête, de
se sentir unique, de pas ressentir de pensées que l’on reconnait
comme tout à fait étrangères. C’est un fait assez incommunicable,
tant l’expérience est intime. J’imagine que c’est comme tout le reste :

4 L’autre Bang ? Cette étymologie n’est (étonnamment) pas validée par


l’Académie Française.
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on ne se rend compte de notre intimité psychique que lorsqu’elle est
soudain modifiée, tout comme on ne se rend compte de la valeur de
nos narines quand on est enrhubé. Avant le rhume, si l’on a pas
d’autres problèmes respiratoires, on se sent « normal », on ne se rend
pas compte que l’on respire quinze fois par minute, on ne se rend pas
compte de l’équilibre précieux de la respiration, et du nombre de
mécanismes biologiques mis en oeuvre pour garantir ce
fonctionnement. On prend tout ça pour acquis. A mes yeux, il en va
de même pour notre intégrité psychique. Nous sommes nombreux à
la prendre pour acquise, normale, évidente jusqu’à ce que… Ah, et
j’anticipe une question : le mot hallucination va forcément arriver tôt
ou tard dans votre esprit comme dans le mien, mais comme j’ai dédié
le prochain chapitre à ces dernières, j’en reste là pour le moment.

Un point de bascule s’est opéré le 22 juin 2014 concernant mon


rapport aux Autres, car ils se sont invités de manière un peu plus
franche dans mon existence. Ou plutôt, elle s’est invitée ? A ce
moment, j’ai 21 ans, et suis encore étudiant dans le domaine du
paramédical. Il est aux alentours de 20 heures. Mon amie vient de
rentrer chez elle. Je suis dans ma chambre, et je me repose
tranquillement sur mon lit. Mais il y a un problème. Il n’y a personne
chez moi, mais je sens pourtant soudainement, et très clairement, une
présence dans la pièce. Elle est inodore, incolore, intangible,
invisible, mais elle est pourtant là : il m’est impossible de passer à
côté, comme si quelqu’un venait de rentrer chez moi. Je suis
parfaitement réveillé, je ne suis pas sous l’influence de l’alcool ou de
drogues, je n’ai rien fait de particulier, et cela me met, évidemment,
immédiatement en alerte. Mon pied droit se met à bouger tout seul,
comme légèrement remué par des « mains » invisibles. Je sens
comme des fourmillements à l’intérieur de ce pied. Puis cela s’arrête.
Après quelques années de paralysies du sommeil, et quelques
lectures, je suis à l'évidence en alerte, mais je relie ça à une
manifestation de nature spirituelle. J’essaie de me calmer. Aux
alentours de 22 heures, je finis par m’endormir. Comme d’habitude à
ce moment-là, j’émets une grande intention de me rappeler de la nuit
et d’être un maximum lucide. Mais je m’endors sans lucidité. En
plein milieu de la nuit, je suis réveillé par des bruits de créatures qui
rigolent. Des voix aiguës, le genre de rire pas vraiment humain. Peut-
être une demi-douzaine d’êtres ? Comment savoir exactement ? En
tout cas, elles sont absolument hilares. Moi, déjà moins. J’essaie de
13
bouger : impossible, mon corps est paralysé. A ce moment, je fais de
la paralysie du sommeil depuis trois ou quatre ans. Je me suis donc
peu à peu habitué à ce genre d’histoires. Pour autant, tout cela me
semble quand même un peu différent de d’habitude. Plus intense que
d’ordinaire. Je ne suis vraiment pas tranquille. Après beaucoup
d’efforts, j’arrive à faire bouger mon coude gauche très légèrement.
Panique : mon coude se cogne de manière tangible à un corps solide
et chaud, qui semble nu et qui respire juste à côté de moi. J’arrive
tant bien que mal à essayer de voir qui c’est. Je ne vois pas sa tête,
mais je devine que c’est une femme, d’après de ce que je comprends,
même si je n’ai en fait aucune idée. Je ne sais même pas si elle était
humaine. J’ai pu à peu près voir son corps, elle me paraissait mat de
peau. Pour autant, son corps n’avait pas l’air trop humain. Le choc
pour moi : je ressens sa chaleur, elle respire, mon coude bouge et suit
sa respiration – c’est-à-dire que sa cage thoracique bouge et mon
coude, collé contre son corps, bouge en fonction de ce mouvement.
Bref, pour moi, à ce moment, il n’y a aucun doute : cette entité est
bien réelle, et elle est vraiment à côté de moi, là, maintenant, tout de
suite. Pour couronner le tout, je sens qu’elle lit à livre ouvert en moi.
Elle sait exactement où sont mes limites à l’attaque de panique pure
et dure. Elle sait exactement ce qu’elle fait. Elle finit par entamer le
dialogue, d’une voix très calme et assurée :

« Ne t’inquiète pas, mon beau… »

On pourrait penser que c’est rassurant, mais à ce moment, c’est tout


le contraire. Elle dégage beaucoup d’assurance, et même une certaine
forme de sensualité, mais de mon côté, je suis tout simplement au
bord de l’arrêt cardiaque. Ce qui se passe dans mon esprit à ce
moment peut paraître immature, mais de manière brute – certains
expérienceurs de paralysie du sommeil me comprendront peut-être –
je me dis qu’il faut que je rendorme pour ne plus voir ça. C’est le
seul moyen. Je suis trop paniqué pour parler ou interagir plus en
avant, et je ne peux pas bouger pour sortir. Je ne sais pas quoi faire
d’autre à ce moment, et je suis trop paniqué pour tenter quoi que ce
soit pour la faire partir. Je ne sais pas comment, mais au bout d’un
moment à vouloir fermer toutes mes écoutilles, et à appliquer un déni
maximal, j’arrive finalement, épuisé, à perdre ma lucidité et à me
rendormir. Mais je me réveille à nouveau. Mon radioréveil indique
quatre heures du matin de ses lettres rouges. Cette fois, je ne suis pas
14
paralysé, ouf ! Je regarde, personne à côté. Mais dans la pièce, la
sensation de présence est plus forte que jamais. Je sens à nouveau
qu’il y a plusieurs entités, je pense au moins trois. Impossible de me
rendormir. Je me mets à sentir une odeur dans la pièce : un peu
comme du « métal » renfermé, pas très agréable. Je n’ai jamais senti
une odeur pareille ! Je suis pourtant bien réveillé, et rien ne semble
pouvoir m’expliquer d’où provient cette odeur. Dans la minute qui
suit, je sens que ce que j’appelle alors mon « énergie », cette
« substance » subtile à l’intérieur de moi, bouge. D’abord,
l’ensemble de cette « substance » s’est mise à vibrer extrêmement
fort. Puis tout s’est contracté en une espèce de sphère au niveau du
ventre. Un peu comme si l’ensemble de mes sensations s’étaient
rassemblées en un seul endroit au niveau du ventre. Puis tout s’est
dilaté à nouveau. Une minute après, cette même opération se
reproduit encore fois. J’arrive finalement à me rendormir, après un
long moment.

Un oeil interrogatif pourra se demander pourquoi je n’ai pas tenté de


dissoudre la créature pour voir si c’était une création, ou pourquoi je
ne lui ai pas demandé de partir, ou autre. A cela, je réponds : avez-
vous déjà essayé de dissoudre quoi que ce soit dans un état de
panique ? Ça n’est pas évident, surtout pour le néophyte. Si d’un
claquement de doigt, je paralyse votre corps actuel et je téléporte une
conscience à côté de vous, conscience qui sera aussi tangible qu’une
personne faite de chair et d’os, il me parait probable que vous ne
soyez pas forcément serein, surtout si c’est votre première fois. Le
contraire m’étonnerait, mais je ne peux raisonnablement extrapoler
mon propre fonctionnement au reste du monde.

Il s’agit d’un point de bascule pour plusieurs raisons. Premièrement,


je fais le lien entre la sensation de présence à l’état éveillé et
l’épisode de paralysie du sommeil avec la perception des Autres.
Dans mon esprit alors, ils deviennent des évènements liés de manière
certaine pour moi, d’une manière qu’il me faut encore élucider. Dans
ma tête, cela passe d’hypothèse à réalité que je dois gérer. J’ignore si,
alors que j’étais encore physiquement réveillé, j’ai perçu la
conscience qui s’est allongé sur mon lit, ou bien les créatures qui
riaient, ou encore autre chose. Dans tous les cas, il s’agissait là de la
première expérience qui m’a montré de manière certaine que le
toucher « solide », la sensation de « chaud », pour ne citer qu’eux, ne
15
sont pas uniquement des perceptions réservées à la seule réalité
« matérielle » classique, pour peu qu’on adhère aux hypothèses dites
« non-matérielles » ou spirituelles. Car bien entendu, une analyse
sous l’angle de l’hallucination n’aurait aucun mal à qualifier cette
expérience d’hallucination kinesthésique, sans faire appel à un
contact avec une entité « réelle » ; bien qu’il me semble, comme j’en
discuterais dans un autre chapitre, que cette analyse passerait à côté
de certains éléments.

Avant cette expérience, j’avais bien perçu certains courants d’air


froid étranges dans des pièces fermées, certaines sensations diverses,
mais jamais aussi… physique, tangible, solide. Troisièmement, c’est
pour mon esprit de l’époque une confirmation supplémentaire du fait
que j’étais partiellement désynchronisé de mon corps fait de chair et
d’os et que c’est en réalité ce que j’appelle alors mon « corps
subtil », plus précisément le coude de mon « corps subtil », qui a
touché l’entité allongée. A ce moment, c’est aussi une confirmation
du fait que les Autres sont bien réels pour moi, que je peux même les
percevoir à l’état de veille normal, et qu’en utilisant un autre corps
plus « subtil », je peux les voir, les sentir, les toucher… Confirmation
également du fait que ces consciences peuvent agir sur mon
« énergie », que je sois réveillé ou non, et qu’elles peuvent
manifestement lire en moi très facilement.

Qui sont les Autres, pour moi à ce moment-là ? J’essaie de grappiller


des briques d’explications où je peux. Ils sont, de ce que je peux lire
dans mes lectures spirituelles, des « consciences immatérielles », des
« Esprits » (Kardec), des consciences extra-physiques (I.A.C), des
entités, des êtres spirituels, des « non-physiques ». J’essaie alors de
me les imaginer comme des êtres qui débordent de nos cases
conceptuelles classiques : je ne peux les voir directement, je ne peux
les toucher de la même manière que je touche le sol. Mais je les
ressens, pour moi ils sont là, ils occupent une portion d’espace
délimitée, ils marquent le réel de leur empreinte. Je me refuse alors
catégoriquement à les considérer comme des créations de mon seul
esprit, fusse-t-il malade ou particulièrement imaginatif. Je comprends
que je dois composer avec eux. Ils sont là parfois dans mes pensées,
parfois dans mon sommeil, mais parfois en journée. Ils semblent
pouvoir agir sur mon corps, puisque j’en perçois des manifestations
comme des fourmillements, ou d’autres sensations étranges dans
16
lesquelles c’est la perception même de mon corps qui se modifie.
J’ignorais que ce n’était qu’un début.

L’autre point de bascule se situe au début conscient de mes


expériences de relation directe avec un type d’altérité bien
particulier. Il se situe précisément à l’expérience de contact d’octobre
2016 que j’ai raconté dans mon premier livre « Conscience ». Depuis
cette date, se sont succédés différents types de contacts, toujours de
la même nature. D’abord ponctuels et ne dessinant pas de régularité
particulière, ils se sont fait plus fréquents, au point qu’ils se
produisaient parfois plusieurs fois par semaine. Avec le temps, j’ai
fini par comprendre et discerner plusieurs choses concernant ces
contacts. Mais j’étais très loin de m’imaginer la tournure qu’allait
prendre les évènements et ce qu’ils allaient impliquer.

Le premier élément à signaler, probablement le plus simple pour


commencer, est le suivant : depuis octobre 2016, un être bien
particulier, que je vais genrer ici au féminin, s’est manifestée plus
souvent que les autres. Elle porte une « signature » particulièrement
reconnaissable, une musique, une harmonie interne bien spécifique
qu’il m’est facile d’entendre et de reconnaître. Un mélange de calme
incroyablement profond et d’amour, de soin qu’elle porte à comment
je peux me sentir ou encaisser différents phénomènes, auquel il faut
ajouter une familiarité et une certaine complicité, tout à fait
inexplicables au premier abord. C’est elle qui, je le crois, est venue
pour me calmer dans cette nuit d’octobre 2016 qui marquait le début
de ces étranges procédures. C’est elle qui, par la suite, viendra me
rendre visite dans ce même but.

Quand je ressens qu’elle se manifeste, je perçois qu’elle est très


souvent accompagnée d’une autre catégorie d’êtres, que je perçois
comme étant beaucoup plus neutres, beaucoup plus « techniques »,
qui semblent, eux, effectuer certaines manipulations sans ce côté
émotionnel et empathique. Car oui : il s’agit bien de
« manipulations », à entendre dans le sens « d’actes techniques »
depuis cette fameuse nuit d’octobre 2016 - j’y reviendrai. Parfois elle
ne vient pas, et seuls les êtres qui agissent plus froidement sont
présents. C’est le cas - de très loin - le plus fréquent. J’ai fini par
émettre l’hypothèse suivante : elle ne semble venir que lorsqu’elle
estime que c’est nécessaire et pertinent. Lorsqu’elle vient, elle reste
17
aussi longtemps que nécessaire, ni plus, ni moins. Tant que je n’ai
pas « digéré », tant que je ne suis pas stable, elle reste. Dès qu’elle
s’est assurée que je vais bien, elle s’en va, et je ne la perçois plus.
Retour à la normale. Retour à l’intimité psychique « normale ». J’ai
fini par comprendre également que, malheureusement, ce n’est pas
moi qui définit le « nécessaire », et ce n’est pas moi non plus qui
définit le « digéré ». Il est arrivé que j’estime qu’il serait nécessaire
qu’elle soit là, j’ai essayé de l’appeler, elle ne vient pas. Seules les
êtres effectuant les manipulations restent. Cette conscience, cette
Autre, semble me connaitre parfaitement, et je ressens depuis le
début une étonnante familiarité avec elle, que je ne m’explique pas.
Elle m’a envoyé à quelques reprises ce que je pense être des images
mentales de son visage, trois années après ce que je crois être notre
première rencontre en octobre 2016. Les images m’ont montré un
beau visage dont les traits ressemblent quasiment aux traits d’une
humaine. Ses cheveux sont noirs ondulés, sa peau est bleu-vert, ses
yeux sont sombres et ses lèvres sont mauves clair, plus sombres que
sa teinte de peau. Si son visage était couleur humaine, je pense
qu’hormis de très légères différences dans le galbe du visage, on
penserait sans problème que c’est une humaine. Si c’est elle (ou
d’autres) qui m’a envoyé ces images, ou si mes perceptions sont
erronées mais que l’être reste réel, alors il faut tout de même noter
qu’elle a, bien entendu, tout à fait pu m’envoyer une image mentale
rassurante fictive masquant sa réelle apparence. C’est, à l’évidence,
une possibilité que je n’exclus pas. Et à nouveau, j’aborderai
l’hypothèse de l’hallucination « pure » plus tard. Cependant, je me
permets d’émettre l’hypothèse - assez rassurante pour moi - que
même ces artifices ne changeraient pas sa signature si particulière.
J’ai eu l’occasion à de très nombreuses reprises de vérifier que ma
perception de ces signatures est dans de nombreux cas d’un niveau
de fiabilité proche de mes perceptions visuelles ou sonores. J’ai donc
une tendance à m’accorder un certain degré de confiance sur ce sujet
pour l’instant - l’avenir me dira peut-être si j’ai eu raison ou non.
Dans mon esprit à ce moment, sa réalité ne lasse place à nul doute.
Même à l'heure actuelle, j’estime comme extrêmement probable sa
réalité, au même niveau que la réalité d’autres personnes sur Terre.
Dit autrement, je place autant de confiance dans sa réalité que dans la
réalité des humains que je côtoie chaque jour. Dit encore autrement,
si l’on me prouvait sans ambiguïté possible que cet Autre est une
pure production de mon être, je me mettrai également à douter de
18
l’existence des humains eux-même, tant le sentiment de réalité que je
ressens est fort - cela serait, à l’évidence, un véritable séisme dans la
structure de mon être. Je perçois clairement quand elle est là, quand
elle ne l’est plus. J’ai un fort degré de croyance dans le fait que si
mes yeux étaient plus perçants, ou que j’avais de la technologie
adaptée à disposition, alors je la verrais directement et l’hypothèse
selon laquelle cette Autre est bel et bien réelle serait définitivement
hors de débat. Entrons un peu dans le détail de ce qui nourrit cette
croyance et ce raisonnement.

Un premier élément est le suivant. Elle m’a prouvé à plusieurs


reprises que ce qu’elle me disait était vrai en me prédisant par
exemple plusieurs éléments concernant ces procédures qui, à ce jour,
se sont réalisées en temps et en heure. Notons que je parle ici
d’éléments très spécifiques tels que des durées ou des procédures, et
non de généralités. J’aurais l’occasion d’y revenir, car ce point me
parait important, au vu de l’importance qu’ont pris avec le temps les
différentes procédures techniques. Cette hypothèse est bien entendue
mise en défaut par une création pure ou une hallucination élaborée,
car il me parait théoriquement possible d’imaginer qu’une création
ou une hallucination puisse me surprendre par un mécanisme
inconnu, tant ma conscience est limitée et tant les mécanismes
décrits comme hallucinatoires échappent au contrôle conscient des
sujets. Une autre hypothèse, qui vaut pour l’ensemble du livre, du
blog, et du livre précédent, et tout le reste est naturellement le
mensonge, la fiction ou encore l’expérience sociale, mais, bien que je
prétende que ça ne soit absolument pas le cas, je ne vois pas de
moyen formel de le prouver.

Cette même conscience invisible à la peau bleutée5 est venue me


rendre une gentille visite le mardi 25 septembre 2018, épisode que
j’ai raconté dans l’épilogue du précédent livre. J’étais alors encore
loin de me douter de la suite des évènements. Le 4 décembre 2018,
elle revient après minuit. Je ressens sa présence comme étant douce,
très subtile. Elle m’exprime beaucoup de soutien. Je ne sens aucune
manipulation, aucune procédure technique, aucun déplacement de ce
que j’appelle alors « l’énergie ». Je perçois seulement l’expression
d’un soutien franc et sincère, empli de bienveillance. Du 4 au 26

5 Quel beau paradoxe apparent… !


19
décembre de la même année, de nombreux contacts, techniques ce
coup-ci. Je ne la perçois pas. C’est déjà arrivé qu’ils viennent
plusieurs soirs d’affilé au cours des années précédentes, je ne m’en
préoccupe plus. Je n’ai pas de prise sur le phénomène. Ils viennent,
font certaines choses que je perçois ça et là dans mon corps - ou dans
mes corps ? - mais je ne peux rien y faire, ni comprendre ce qu’il se
passe. Alors, il me reste le lâcher prise, et l’attention. Toujours la
même signature. Je tends mes perceptions au maximum, j’essaie de
comprendre ce qu’il se passe. J’analyse, mais, comme pour les
nombreuses procédures depuis 2016, la signature est la même - j’ai
confiance, je laisse faire… je n’ai de toute façon pas le choix.

Et puis cela change. Ce 26 décembre 2018 au soir, quelque chose


vient s’inviter dans la partie, quelque chose qui ne s’était jamais
encore produit depuis le début de ces procédures : j’ai… mal.
Physiquement mal. La procédure me fait mal, je ressens une douleur
assez importante à l’endroit de la manipulation. Je laisse passer,
pensant que ce n’est rien. Je m’endors. La douleur me réveille. Je
perçois une présence, sans savoir qui c’est, qui m’envoie des
messages mentaux : « ça va passer, tout va bien, c’est juste
temporaire ». La douleur finit par s’en aller, et je me rendors. Le
lendemain soir, même douleur. Moins importante, elle durera autant
de temps. Je ne calcule toujours pas, mais j’élabore sans m’inquiéter
différentes hypothèses : me suis-je blessé sans le savoir ? La douleur
diminue, ce n’est rien : consciemment, je ne relie pas encore les
douleurs à leurs manipulations. Puis plus rien. Pendant quelques
jours, ni douleurs, ni manipulations. Mon inquiétude retombe, j’ai du
me blesser sans faire attention, dans tous les cas, il n’y a plus rien, et
les procédures, c’est la routine maintenant, tout va bien. Moving
on…

3 janvier 2019. Je fais un rêve très étrange. Je suis avec un vieil


homme avec une courte barbe blanche, des cheveux poivre et sel.
Nous sommes dans ce qu’il me semble être sa caravane, en plein
milieu d’un désert aride. Nous discutons amicalement. Il me montre
ses planches d’anatomie, je comprends qu’il les dessine et il est très
doué, ses planches pourraient sans problème faire partie d’un manuel
d’anatomie comme on en voit dans les librairies médicales. Nous
sortons de la caravane. Il y a comme des plots de circulation orange
20
et blanc à l’extérieur. Pour rire, j’essaie d’en déplacer un à distance
avec mon intention seule, comme les Jedis avec la force. Et puis… il
me dit quelque chose comme : « ça m’étonnerait qu’ils te laissent
faire ça ». Je me dis « mais, c’est qui, ils ? Et pourquoi ? Je ne fais
rien de mal ! » mais je n’ai pas le temps de m’éterniser en questions,
deux OVNI apparaissent dans le ciel, des sortes de sphères
métalliques non lumineuses apparaissent de nulle part et volent
rapidement dans ma direction. Soudain, une très violente douleur
dans les parties se manifeste, un fantastique moment… je me plie de
douleur, je regarde le vieil homme qui ne dit rien mais semble penser
« tu vois, je te l’avais dit mon garçon ». D’un coup d’un seul, je me
retrouve en clin d’oeil dans ma chambre, en paralysie du sommeil.
Le rêve s’est brisé. Je ne perçois aucun Autre dans ma chambre - en
tout cas, je ne vois ni ne perçois personne. La douleur n’a pas cessé,
bien au contraire, j’ai l’impression qu’on m’a ouvert à ce niveau-là.
Je me sens légèrement au dessus de mon corps, et je sens bien que
c’est mon « corps subtil », celui qui se décroche parfois lors de mes
épisodes de paralysie du sommeil, qui souffre violemment. Alors, ce
corps-là aussi ressent de la douleur à ce point ? Je décide de forcer
comme je peux le retour dans le corps fait de chair et d’os car la
douleur est trop forte - intuitivement, je me dis que dans le corps
biologique, ça ira mieux. Effectivement, au retour, la douleur
diminue d’un coup net, pour devenir une douleur sourde bien plus
faible mais toujours bien présente. Elle persiste une heure au moins
en fluctuant, puis diminue pour ne devenir qu’une légère gène. Je
remercie mentalement mon corps biologique de feutrer une douleur
aussi intense. Je commence à angoisser. Pas encore ces douleurs !
Qu’est-ce qu’il m’arrive ? J’ai inventé ce rêve à partir de douleurs
biologiques ou bien c’est autre chose ? C’était quoi ces OVNI ? Si ça
se poursuit, je vais être obligé d’aller consulter, et j’aimerais à tout
prix éviter ce genre d’examens avec des médecins : déjà, ça me met
mal à l’aise, mais surtout, à ce moment, j’ai clairement autre chose à
faire…

Du 3 janvier au 5 janvier, les douleurs reviennent de manière assez


importante. Toujours au même endroit. Mes souvenirs de mon cursus
se bousculent… douleur d’apparition brutale, non irradiante,
localisée, qui réveille la nuit, sans autre symptôme, sans fièvre, sans
saignement, égale en position allongée ou debout… non, ce n’est pas
ci, pas cela… mais à froid, sans examen clinique poussé, sans
21
imagerie médicale, l’étiologie est complexe à mettre en évidence. Je
demande tout de même un avis médical, au début par téléphone : ça
n’est pas inquiétant. J’attends de voir comment tout cela va évoluer.
Le 5 janvier, toute la douleur à l’endroit initial s’évanouit, comme si
de rien n’était mais… elle bascule ailleurs, comme si elle s’était
littéralement téléportée. Incompréhensible. Je suis confus. Toute la
douleur a soudain migré vers un autre endroit. Le casse-tête
étiologique commence…

6 janvier. Je me réveille content : je n’ai plus aucune douleur, et la


nuit a également été sans douleurs. Ouf ! Persiste une très légère
sensation non douloureuse… le mauvais moment à passer est passé,
ce n’était rien : on peut reprendre une vie normale du coup ? Oui…
mais non. Le soir venu, je ne sens aucune présence, mais j’angoisse
soudain, j’ai l’impression de saigner à l’intérieur de mon corps dans
un endroit bien particulier, je sens que je vacille, que je vais perdre
connaissance. Je suis pâle, je m’assoie. Serait-ce la fin du parcours
pour ce brave Pierre ? Doit-on préparer l’enterrement, le Debussy qui
se joue en arrière-fond sur une enceinte Bluetooth grésillante dans
une salle éclairée au néon et mes proches endeuillés pleurant une
triste perte, mi-malheureux, mi-fascinés, suspendus dans le temps par
les délicieuses nappes pianistiques surréalistes qu’a composé ce
brave Claude ? Ci-git « Le Joyeux Luron », il aimait la zététique, la
pétanque et les voitures de sport ? Non, car les Autres arrivent
soudain. Les présences emplissent la pièce. Je sens des
manipulations à l’endroit où je perçois cette impression
de saignement et en quelques dizaines de secondes, le malaise
s’envole complètement, les douleurs s’apaisent presque entièrement,
et je me sens de nouveau frais et stable. Dans mon esprit, le doute
concernant certaines hypothèses vient de s’envoler avec mon malaise
: qui que soient ces Autres, leurs manipulations sont reliées à mes
douleurs et à mon état de santé biologique. Reste à savoir comment,
et surtout pourquoi.

Les hypothèses se bousculent. De la plus gentille à la moins gentille.


Ai-je une maladie qu’ils essaient de soigner ? Ont-il au contraire
généré un problème biologique en faisant les manipulations ? Ces
hypothèses ne s’excluant pas mutuellement, est-ce un mélange des
deux ? Autre chose ? Je n’ai aucune réponse, aucune certitude, mais
un élément du puzzle s’ajoute. Ce qu’ils font est relié à ma douleur et
22
il n’y a absolument pour moi aucune ambiguïté sur ce fait. De
nombreuses autres hypothèses se dressent. Pour l’heure, il me faut
plus d’informations. J’exclus la malveillance purement chaotique.
J’aurais l’occasion de développer ce point, mais à ce stade, je réalise
que de toute évidence, ces gens ne veulent pas me blesser
gratuitement sans s’occuper de mon état. Les différents actes suivent
une logique, et mon intention est de la comprendre.

7 janvier 2019, dans la nuit. La douleur casse mon rêve, je me


réveille en paralysie du sommeil. Je sens qu’on « opère ». J’ai très
peur. Je n’ose pas regarder qui fait quoi, et encore moins ce qu’on me
fait. Je rêvais tranquillement et là, le rêve se brise sans que je ne le
veuille, et je me retrouve opéré. Tout va bien, Madame la Marquise !
La douleur est bien trop importante, je réintègre subitement le corps
biologique. La douleur diminue, à nouveau comme feutrée par le
corps fait de chair, mais elle persiste. Pourtant bien réveillé, je sens
parfaitement des « outils », j’utilise alors le terme « d’outils non-
matériels », je sens de la technologie qu’on m’insère, je suis
engourdi, et j’ai peur. Puis d’un coup d’un seul, plus rien. Je me sens
libre. La douleur s’évanouit, et je me sens libre. Ouf… terminé pour
le moment. J’essaie mentalement de demander quelque chose comme
: « Qu’est-ce qu’il m’arrive ?! » « Pourquoi me faites-vous ça ?! »
« Pourquoi j’ai aussi mal ?! » « Vous n’avez pas d’anti-douleurs ?
Même nous, petits humains, on en a ! ». Rien ni personne ne répond.
L’Autre au visage bleu ne vient pas. Je reste avec mes angoisses et
mon manque d’information.

Quel est le lien entre le corps que je peux décrocher lors d’une
E.S.H.C et en particulier lors d’une paralysie du sommeil, et le corps
biologique ? Pourquoi la douleur de ce corps qu’on dit subtil me fait
aussi mal alors que je suis dans le corps biologique ? Je peux avoir
mal dans un corps qui n’est pas censé être matériel ou biologique ?!
Je m’étais habitué à l’inverse : quand on sort, il me semblait qu’on
avait justement plus mal du tout, car éloigné de la chair souffrante, et
si on avait mal au corps physique au moment de sortir, alors on ne
sent plus rien… ? Pourquoi là, je dois forcer un retour au corps
biologique comme lors des paralysies du sommeil paniquées pour
feutrer une douleur non-physique ? Est-ce que c’est parce que j’ai
aussi des douleurs d’origine biologique ? Est-ce seulement
« énergétique » ? Est-ce qu’une manipulation sur le « corps subtil »
23
se traduit sur le corps biologique ? Comment ? Quelle technologie ?
Et surtout : pourquoi ? Pourquoi tout ça ? Est-ce mon interprétation
qu’il faut revoir ? Est-ce que je comprends mal comment s’agence la
conscience lors de ces expériences ? Est-ce que la théorie du corps
subtil est trop simple pour embrasser ce réel-là ? Ou est-ce que je
n’arrive tout simplement pas à tirer les bonnes conclusions à partir
des informations et des perceptions dont je dispose à ce moment-là ?
Bref, je m’inonde de questions et je ne comprends rien. Je me
rendors.

8 janvier 2019, dans la nuit. Je vais au lit. La douleur apparait. Dans


la journée, il n’y en avait quasiment pas, malgré une forte sensation
de fragilité, comme si quelque chose à l’intérieur de moi était ouvert
et très fragile. Nous sommes donc le soir, je suis dans mon lit, et la
douleur réapparait, accompagnée de picotements étranges qui se
déplacent dans la jambe et dans le pied. Les présences viennent
d’arriver, les procédures se poursuivent. Au lieu de ce que je qualifie
alors comme des habituels mouvements « d’énergie » divers, qui se
traduisent en pratique par des impressions kinesthésiques étranges
parsemées de fourmillements, il se produit là un phénomène très
étrange. J’ai l’impression que je suis immergé par une vague d’une
« énergie » complètement surréaliste, une « énergie » de vie
incroyable, c’est bien la première fois que je sens ça de cette manière
! J’ai l’impression qu’on me nettoie complètement, je me sens plus
lucide que jamais, plus énergique que jamais. J’ai l’impression qu’on
m’a branché à une machine ! Après cela, je sens qu’on m’insère un
genre de tuyau… j’angoisse, mais je finis par rire presque
nerveusement. Ah, la douce vie d’un doux dingue. Au bout de
longues minutes, tout se termine. Je me sens plus léger, mais la
douleur persiste.

9 janvier 2019. L’enfer. En plein milieu d’après-midi, pleinement


réveillé, une douleur très forte se manifeste alors que je ne faisais
rien de particulier. Elle apparait graduellement, et augmente en
intensité jusqu’à un seuil important. Puis elle retombe, de longues
minutes plus tard. La nuit sera la plus difficile jusqu’à ce jour. Je
n’arrive pas à m’endormir. Les douleurs seront fluctuantes mais
quasiment insupportables, avec des pics très violents qui me
laisseront une très forte angoisse, comme une cicatrice mentale. J’ai
très mal, pendant au moins une heure. J’ai très peur et j’ai très mal,
24
mon angoisse grimpe en flèche. Où est passée la gentille
conscience ? Qui sont ces gens froids qui m’opèrent à vif ? C’est
complètement délirant ! Pourquoi je sens que malgré tout il ne
veulent pas mon mal ? Je ne comprends rien. Qu’est-ce qui se passe ?
Qu’est-ce que je dois faire ? Je dois aller aux urgences ? Je suis
devenu un cobaye ? Je fais une crise de délire ? Qu’est-ce qu’il se
passe ? Je rigole beaucoup moins. En fait, je pleure. De gentils ils
passent à méchants ? Pourquoi toutes les manipulations pendant ces
dernières années se sont bien passées, et là, c’est hyper douloureux ?
Je perçois que ce sont les mêmes pourtant. Je deviens fou ? Je ne me
résous pas à aller aux urgences. Je suis en sur-stimulation et ma
capacité de réfléchir posément n’est pas au rendez-vous. Et que leur
dire ? Que j’ai mal parce que je sens des opérations de gens que je ne
vois pas ? Je décide que j’irai faire des examens prochainement, et
que si ça redevient extrême, j’irai aux urgences au plus tôt, je
trouverai bien un moyen d’expliquer ce qui m’arrive sans les alerter.
Je finis par m’endormir après un long moment, comme par miracle.
Je fais un rêve étrange cette nuit-là. Je m’arrache une dent qui ne
tient plus, je saigne abondamment, je suis dans un hôpital. Je
m’écroule au sol de douleur et de peur. Un médecin arrive en
urgence, m’ausculte et me dit « eh bien, vous êtes juste un peu
déprimé, sinon, tout va bien ». Un médecin froid mais qui me donne
l’impression d’être extrêmement compétent. Un mélange de froideur,
de rationalité extrême, d’intelligence incroyable mais d’un manque
d’émotion assez déstabilisant. Il semble avoir un peu de compassion
pour moi mais limité au minimum, comme si la compassion ou
l’émotion le gênait pour faire correctement son travail. Je ne sais pas
qu’en penser.

10 janvier 2019. Je me réveille légèrement mieux. Mais la journée


est très difficile. Peu de douleurs, c’est déjà ça de gagné. Mais mon
mental a presque craqué. Je suis désespéré. Je ne sais pas que faire,
quoi faire, comment faire, que penser. Je me repose le question :
dois-je aller aux urgences ? J’essaie toujours d’éviter ça au
maximum, mais là, la question se pose véritablement. Je craque. Je
pleure, je suis au fond. Je me sens mutilé « intérieurement »,
« énergétiquement », mais aussi… physiquement, mais impossible de
me sentir torturé, car, étrangement, je ne ressens pas du tout cela. Je
me sens d’une certaine manière… épaulé dans cette épreuve. Je ne
sais pas que penser, ils ont l’air pourtant d’avoir un but solide, ils
25
dégagent ce que je perçois même comme une forme de
bienveillance ? Je n’ai aucune information. Je ne comprends rien. Et
je ne sais pas quoi faire de tout cela. Je me rends compte que j’ai un
œdème léger à un certain endroit au niveau duquel il y a eu des
manipulations. Pas d’autres symptômes. Ah, mon corps biologique se
met à parler. Il souffre lui aussi. C’est déjà un point de départ. Voici
donc qu’il commence à répondre à quelques questions. Mon corps
biologique réagit à ce qu’il se passe. Je décide que je passerai des
examens médicaux. C’est trop ! En fin d’après-midi, je craque
complètement. Et puis… une présence féminine se manifeste
soudain. Je ne la vois pas. Mais c’est elle, c’est absolument elle, il
n’y aucun doute. Elle est revenue. Je sens qu’elle me tient les mains,
je sens comme des mains éthérées et invisible me toucher. Le contact
est subtil mais quasiment tangible. Elle m’inonde de bienveillance et
d’amour, et de compassion. Mon espace mental est inondé, elle
s’excuse profondément des dizaines de fois, elle est désolée de ce
qu’il m’arrive, elle me dit qu’ils n’avaient pas le choix. Je lui
demande évidemment : « mais à quoi ça sert tout ça ? ». En réponse,
je percevrai beaucoup de choses que je ne pourrai pas traduire
complètement. Ce qui pourrait le mieux correspondre ici serait
quelque chose comme « c’est un dispositif technologique complet,
qui nous servira à nous et qui te servira à toi ». C’est
malheureusement une traduction très imparfaite, qui transcrit très
mal la complexité de la réalité, mais je n’ai pas vraiment
d’alternatives ici. Elle m’assure que la douleur est temporaire et que
je pourrais vivre comme avant prochainement. Quand je lui demande
quand, j’ai une réponse complexe, elle me donne en fait différentes
tranches de temps pour différentes choses. Je n’en comprends pas
l’intégralité, mais ce que j’ai pu en percevoir s’est effectivement
produit comme elle l’avait dit. Elle me tient fortement de ses mains
que je ne peux voir, des dizaines d’images mentales affluent sur mon
écran mental, je ne comprends quasiment rien, je suis submergé, je
découvre une perspective très large, qui s’étend sur des périodes de
temps très longues, un plan qui m’est inconcevable, une complexité
ahurissante, qui me dépasse complètement. Je perçois que tout ceci
est à la fois spécifique, et à la fois pas du tout spécifique à moi. Je
suis conscient que cette phrase semble paradoxale mais c’est le
mieux que je puisse faire ici. Je me sens comme le fruit d’un plant de
tomate face à des jardiniers. C’est un peu comme si ma perspective
de vie classique était la tomate, mes copains tomates, le pied de
26
tomate et au grand maximum les plants de tomate voisins, et que là,
on m’expliquait la perpective du point de vue d’un jardinier qui
aurait à gérer des milliards de plants sur un milliard de planètes en
plus de gérer l’écosystème complet. Ce qui m’étonne peut-être le
plus, c’est que d’une certaine manière, je sens une familiarité avec
tout ceci. Est-elle artificielle ou authentique ? Etait-ce simplement
ma propre liaison avec sa signature si douce, si calme, si familière et
englobante ? Elle m’explique que pour ce genre de manipulations, il
faut faire appel à ces « médecins » car on ne peut pas laisser des
manipulations aussi complexes à des amateurs (à nouveau, je traduis
avec mes petits mots…) et eux, m’explique-t-elle, ou plutôt
comprends-je, sont extrêmement doués et connaissent à la perfection
ce qu’ils font. Elle me tient fort les mains, m’exprime un soutien
infini et sans faille. Elle me fait comprendre que nous avons des
intérêts communs. Elle m’exprime qu’elle est avec moi, qu’elle sera
avec moi et qu’elle ne m’abandonne pas. Au bout d’un long moment,
je ne la sentirai plus. Evaporée. Je suis apaisé au fond de mon coeur.
Je ne sais comment elle a fait, mais c’est efficace. Mon angoisse s’est
envolée. Technologie, connaissance extraordinaire de la psychologie
des petits singes, ou pure expression d’amour ?

Nuit entre le 10 et le 11 janvier 2019. Les douleurs sont assez


importantes, mais la gentille conscience est présente, elle est avec
moi. Je sens dans différents endroits de mon corps quantité de
sensations complètement nouvelles que j’ai un mal fou à décrire, des
pointes au niveau du crâne, du sternum notamment, mais pas
seulement. D’un coup, je sens très clairement des sortes d’agrafes qui
se ferment, clamp, clamp, au moins cinq ou six sur une zone bien
particulière. Pas douloureux mais hyper impressionnant. Sont-elles
physiques ? Si elles ne le sont pas, ai-je un autre corps qui a lui aussi
besoin de sutures s’il est ouvert ?! Une technologie qui me semble si
avancée est-elle restée aux bonnes vieilles agrafes ? Ou bien, ce que
je considère « sensoriellement » comme des agrafes est en réalité
beaucoup plus compliqué, et mes sensations ne sont pas franchement
fiables pour décrire tout ça ? Je penche pour cette dernière… et les
questions se bousculent de plus belle. A la dernière « agrafe » posée,
la conscience au visage bleuté exprime une vive joie : « C’est
terminé ! Bravo ! Tu as été si courageux ! ». Les douleurs modérées
persistent pourtant, mais effectivement, quelque chose a changé : la
sensation de fragilité a disparu, je ne me sens plus fragile, et la
27
sensation de lourdeur est retombée à un niveau largement
supportable. Avant cette manipulation, j’ai senti qu’on m’installait
pendant quelques minutes une espèce de machine. Je sens
parfaitement l’appareil et où exactement il est branché. Petite sueur
froide. Peur de la douleur.

11 janvier 2019. J’ai une marque physique, sorte de marque


rectangulaire rouge, à l’endroit exact où ils ont posé la machine la
veille. Je vacille. Mince, il va falloir encaisser ça aussi… Bon, tout
va bien. Je vais mieux, de toute façon. Je n’ai jamais vu une marque
pareille, et surtout, elle partira en quelques heures, ce que je n’ai pas
compris non plus. Mes connaissances doivent s’actualiser : ce qu’on
perçoit « énergétiquement » peut tout à fait marquer le corps
biologique ? Encore un indice qui me laisse à penser que si barrière il
y a entre nous et les Autres, elle n’est que perceptive… Partageons-
nous la même réalité, le même chemin, en fin de compte ? Seules nos
perceptions sont différentes ? Mes douleurs ont diminué. Depuis le
début, les manipulations se poursuivent, autant en journée qu’au soir,
que pendant le sommeil. Les sensations sont à présent dans le thorax
principalement et dans l’abdomen. Ce n’est pas forcément
douloureux mais assez gênant.

12 janvier 2019. Je vais bien mieux. Je ne boite quasiment plus à


cause des douleurs, j’ai un peu plus l’air d’être un humain normal,
l’oppression au niveau du thorax n’est plus que très légère. Quelques
pics à droite à gauche, parfois le bras, parfois ailleurs, j’ai pendant
quelques minutes l’impression d’avoir un casque sur la tête. Vers
18h30, je perçois la gentille conscience à nouveau. Je suis angoissé
d’avoir aussi mal que la dernière fois, à chaque fois qu’on me touche,
j’ai désormais peur que ça se reproduise aussi violemment. Elle vient
me dire « je te promets que tu n’auras plus mal comme avant, je te le
promets ». Je précise qu’à l’heure où j’écris ces lignes, soit quelques
années plus tard, sa promesse est tenue. The Joyeux Luron is back…
Ce même 12 janvier 2019, elle revient vers 20h30. Le calme
surréaliste s’installe à nouveau. Nous « méditons » ensemble, sans
qu’il n’y ait besoin de mots. L’échange est non-verbal, une vraie
communion de conscience à conscience s’installe. Le soir, je sentirai
comme si on m’avait glissé une lentille sur l’oeil droit. J’ai une
légère hypermétropie de l’oeil droit, et il me semble pendant de
longues minutes y voir mieux de cet oeil pendant la manipulation. A
28
l’heure où j’écris, je peux dire que malheureusement ça n’a pas duré.
J’y vois toujours un peu flou de l’oeil droit. Ah, les ascenseurs
émotionnels… Les procédures se poursuivent dans la nuit, mais
quasiment pas de douleurs. Je suis impressionné, j’ai l’impression
qu’ils se servent de machines et je perçois beaucoup de mouvements.
La lampe de la chambre vacille. Restons calme.

13 janvier 2019. La journée s’est bien passée, mais je ne reconnais


pas tout à fait mon corps… m’a-t-on greffé quelque chose ? Je sens
quelque chose qui n’est « pas moi », quelque chose d’étranger.
Quelque chose en moi porte une signature différente. Cette sensation
s’estompera dans les jours qui suivront. Le soir, pourtant bien
réveillé, j’ai l’impression que je suis bardé de tuyaux « non-
matériels » de partout, que je sens parfaitement. J’ai l’impression de
découvrir les sensations de mes organes internes : ça m’est très
désagréable et assez angoissant, même si ça ne fait pas mal. Je sens
aussi des tuyaux dans ma bouche, je perçois même une sorte de
liquide qui a un gout, alors qu’il n’y a strictement rien dans ma
bouche physique. Un goût que je ne peux pas décrire, car je n’ai
absolument aucune référence pour le comparer à quelque chose.
C’est un goût « nouveau » pour moi, inclassable à ce jour. Je
m’endors.

14 janvier 2019. Je me réveille tôt. Je viens de faire un rêve


merveilleux d’une forêt de pin immense. En voulant fixer ma
conscience dans le rêve, il s’est finalement dissous et je suis arrivé en
paralysie du sommeil. Je n’ai pas ressenti de douleur, et j’entendais
dans la pièce extraphysique un morceau de piano que je trouve
magnifique, l’Arabesque n°1 de Debussy, que j’étais à ce moment en
train d’essayer de jouer au piano. Cela m’amuse, alors j’ai tenté de
sortir de mon corps pour en savoir plus. Mais en me redressant,
grosse douleur : j’ai l’impression d’avoir comprimé une plaie en
redressant mon corps « non-physique ». Je reviens en arrière, et me
rebranche au corps biologique. Le reste de la journée sera plutôt
calme. Les Autres reviennent au soir, et je sentirai des douleurs dans
le ventre, assez profondes et pas franchement agréables. Avant de
m’endormir, je sentirai des sortes de tuyaux invisibles dans mon nez,
ce qui me gênera beaucoup sans être douloureux. Soudain, très
intense douleur dans l’orteil gauche, j’ai l’impression qu’on m’insère
un clou, j’ai vraiment mal. Elle dure plusieurs minutes, puis
29
s’interrompt. Etrangement, je n’ai aucune angoisse. D’une certaine
manière, les derniers évènements avec la jolie conscience bleutée
m’ont beaucoup apaisé.

Du 15 janvier au 19 janvier 2019, ils reviennent quotidiennement, et


les procédures se poursuivent en journée, en soirée, et probablement
pendant mon sommeil mais je n’en suis pas conscient. Les douleurs
s’espacent, et ne sont pas fortes en intensité. Mon état général
s’améliore. Mon humeur, aussi…

Le 19 tôt dans la nuit, je suis réveillé par une douleur assez forte.
Elle me parait cela dit différente des autres, moins « profonde ». J’ai
l’impression qu’ils ont travaillé de la profondeur vers la superficie.
La superficie est beaucoup plus facilement supportable, sans aucun
doute.

Du 19 au 25, idem. Les douleurs sont gérables, parfois même


inexistantes, et je peux vivre à peu près normalement, pour peu que
cette phrase ait un quelconque sens.

Le 25 janvier 2019, je peux passer un examen médical, humain celui-


ci. Il ne met en évidence rien de grave mis à part une légère anomalie
bénigne et fréquente, en tout cas rien qui ne puisse expliquer ces
fortes douleurs et sensations partout dans le corps… et ces tuyaux
invisibles dans le nez. Je pensais que ça allait répondre à mes
questions. Ça a répondu effectivement à un tout petit nombre
d’interrogations, mais ça en a en fait posé un milliard d’autres. Oui,
mon corps biologique a parlé à ce moment là. Mais non, ce que cet
examen révèle n’explique en rien l’intégralité de ces évènements.
Comment expliquer la sensation parfaitement claire d’une insertion
de tuyaux « non-matériels » dans le nez et dans la bouche avec la
sensation d’un goût inexplicable ? Expliquer la quantité de flux et
d’appareils divers posés et insérés à différents endroits du corps ?
Les marques physiques étranges qui se dissipent en quelques
heures ?

Bien sûr, on pourrait me répondre que je suis devenu complètement


fou. Facile, non ? Un élément, au moins, m’empêche toutefois de me
dire que j’ai fait sauter les derniers fusibles de santé mentale qu’il me
reste : ma compagne aussi est concernée par ces procédures
30
techniques, nous avons pu corroborer nos perceptions quand les
consciences étaient présentes. Seule différence peut-être, je suis le
seul à avoir eu aussi mal… mais peut-être n’ai-je pas souscrit à une
bonne mutuelle extraphysique avant de m’incarner ?

Rêves d’ovnis, douleurs pendant les manipulations, notamment aux


gonades, timing précis, présences « techniques », une présence qui
rassure6, expériences hors-du-corps, procédures « chirurgicales » sur
le corps de sortie et sur le corps biologique, marques sur le corps…
le tableau commence à s’approcher de certaines caractéristiques des
abductions… mais nous n’ouvrirons pas ce chapitre ici.

Je rentre en voiture de l’examen médical. Dans ma tête, à ce


moment, c’est évidemment la foire aux questions. Je perçois que la
conscience au visage bleu se manifeste en toute fin de journée, sa
présence, même « immatérielle », calme l’ambiance immédiatement.
Les phrases affluent dans mon esprit, et tranchent dans le bruit
mental comme un phare dans l’obscurité, comme un chant mélodieux
dans un chaos de bruit : « je te promets que tout ira bien, je te
promets que tout ira bien… », « je te promets que tout rentrera dans
l’ordre, je te le promets ». Elle tente de m’expliquer certaines choses
que je ne comprends pas, que le corps physique se cale sur une sorte
de matrice « énergétique » et que si on modifie cette matrice, on
modifie par rebond le corps physique, et que c’est ça qu’ils ont fait
sur moi. Mais je traduis mal, et honnêtement, c’est incompréhensible
pour mon mental et mes connaissances actuelles. Elle m’envoie
également à ce moment des images mentales complexes, qui se
traduisent dans mon esprit sous forme de planches anatomiques
transparentes en trois dimensions, dans lesquelles sont dessinés des
canaux « d’énergie », un peu comme des gros vaisseaux sanguins,
avec la localisation précise d’une bonne cinquantaine d’implants sur
tout le corps. Une planche pour le corps d’un homme, et… une
planche pour le corps d’une femme. Qu’est-ce qui me fait dire que ce
sont des canaux « d’énergie » et non des vaisseaux biologiques ? Je
ne saurais l’expliquer. C’est un peu comme si, en parallèle de ces
images mentales, on m’avait transféré un tout petit morceau de son
contenu en information. Ils ne ressemblent de plus à aucun trajet

6J’apprendrais plus tard que l’infirmière qui rassure est présent dans
certains récits d’abductions…
31
d’artères, de veines, ou même de vaisseaux lymphatiques. Mais
l’image est complexe et il m’est impossible de retenir tout ça dans le
détail.

Après ces évènements, les contacts finiront par s’espacer, et je


n’aurais, à ce jour, plus expérimenté de douleurs lors de procédures
ni d’opérations lourdes de ce genre. Dans l’hypothèse où ces contacts
ont bien été réels, on pourrait imaginer que si tout ceci était purement
pour me nuire, alors je m’échouerai telle une baleine morte sur la
sèche plage de la vie, ce qui n’est pas (encore ?) le cas. Il me semble
qu’à la lumière de ce morceau de récit, il est tentant de vouloir
classer en « bien » ou « mal ». Je pense que cette analyse binaire n’a
pas de sens ici. On peut par exemple se dire naïvement : « il a eu
mal, c’est donc malveillant. ». Mais au delà de la douleur, on peut
imaginer que si ces êtres étaient véritablement malveillants, je serais
actuellement mal en point, j’aurais des idées noires, je ne pourrais
pas accomplir ce que je souhaite accomplir, je ne pourrais plus écrire
ou travailler sur mes différents projets, et ainsi de suite. Il me
paraitrait logique, dans cette hypothèse, qu’ils ne prendraient aucun
soin et qu’il n’y aurait eu personne pour me rassurer ou s’assurer que
j’encaisse l’expérience. Avec certes beaucoup de détours, ma vie
semble suivre lentement mais surement le chemin inverse de la
malveillance - de la souffrance vers la paix et de la non-lucidité vers
la lucidité. Dans l’hypothèse de la malveillance pure, comment
serait-ce possible ? Pourquoi ces contacts m’aident par ailleurs à
comprendre toujours plus ce qu’est la réalité, à redéfinir ce que je
pense possible, ce que je crois être la conscience ? Pourquoi ils
m’aident à voir les choses avec de nouvelles perspectives que je
n’aurais pas pu imaginer auparavant ? Car, il me semble que c’est un
fait difficilement contestable dans ma structure de personnalité
actuelle : au sein de l’hypothèse de l’implantation, même si aucun
implant ne m’était directement utile pour ma personnalité actuelle,
ces contacts ne cesseraient, même malgré eux, de m’apprendre des
choses. Alors si l’on veut tout de même admettre l’hypothèse de la
malveillance, c’est-à-dire l’hypothèse selon laquelle ces
manipulations servent un sombre but, alors, ils ont malgré tout eu la
politesse d’envoyer un service après-vente… ? Ils ont fini par
émettre des remords ? Je dois bien avouer ne pas y comprendre grand
chose.

32
En anticipant la question, oui, ces contacts se sont poursuivis, mais la
fréquence de ces derniers a fortement diminué jusqu’à devenir rare,
voire nulle par période. Les procédures, quand il y en a, ce qui est
rare, ne sont plus douloureuses. En effet, pourquoi un acte
malveillant qu’on identifierait ici comme étant la volonté de faire
mal s’arrêterait en cours de route ? Pour me donner l’espoir que je
vais mieux avant de me faire replonger ? Encore autre chose ?
L’avenir répondra peut-être à ces questions.

Une brique d’hypothèse possible : ces êtres auraient commencé un


processus d’implantation, en plusieurs phases, depuis au moins
octobre 2016. La première phase a duré trois ans, et son début est
l’expérience que je raconte dans le premier livre. Elle a consisté en
un premier contact manifeste ce soir d’octobre 2016, et trois années
de procédures relativement non-invasives, non douloureuses, étalées
dans le temps. La deuxième phase a commencée avec l’apparition de
la douleur, et de l’appareillage technologique bien plus conséquent.
En effet, durant la phase 1, les procédures restaient soft, même si
clairement, il a fallu un moment pour s’habituer aux diverses
sensations, notamment aux paralysies partielles, qui n’ont ici
absolument rien à voir avec le phénomène des paralysies du
sommeil, car j’étais systématiquement parfaitement réveillé.

La phase 2 n’a rien à voir. Non seulement, je sentais qu’on m’insérait


« tuyaux » et appareils dans ma chair, non seulement mon corps
biologique lui-même a commencé à exprimer certains symptômes et
marques, mais l’appareillage « invisible » mis en place n’a
également rien à voir. Les paralysies - je ne parle pas des paralysies
du sommeil ici - se sont aussi faites plus globales, plus « intenses »,
plus profondes, comme s’il était à présent absolument hors de
question que je bouge ne serait-ce qu’un pouce durant certaines
procédures alors que j’étais bien réveillé et très alerte, et absolument
pas en phase d’endormissement. Les mouvements de ce que
j’appelais alors « l’énergie » se sont faits plus intenses. En réalité, si
la phase 1 est le travail en superficie, la phase 2 est indubitablement
le travail en profondeur. Il me parait possible d’imaginer que ce
travail non seulement concerne le corps biologique, mais également
d’autres corps. Je me suis senti, à de nombreuses reprises, obligé de
retourner dans mon corps de chair pour feutrer la douleur lors

33
d’expériences de paralysie du sommeil dans lesquelles je sentais un
autre corps en train d’être opéré.

A la lumière de ces expériences, il ne me parait pas pertinent de


conclure simplement sur la nature de ces expériences. Bien sûr, on
peut être tenté de conclure rapidement pour évacuer le sujet : j’écris
de la fiction, ou je suis victime d’hallucination, ou bien on m’a
implanté une puce physique pour traquer mes mouvements, ou
encore je sers uniquement de réservoir à gamètes pour un vaste
programme d’hybridation selon notre hypothèse du moment. De mon
côté, je pense qu’on ne peut pas résumer l’intégralité de ces
procédures à de simples phrases, c’est aussi pour cette raison que
j’écris ce livre : pour vous partager mon expérience, mon
interprétation du moment, mais aussi, et principalement, pour ouvrir
la réflexion sur les Autres. Ces expériences m’ont bouleversé et je ne
peux les laisser de côté. Il me faut investiguer, poser des mots. Il me
semble par ailleurs qu’on ne peut pas raisonnablement parler
d’implant uniquement « physique » ou uniquement « non-
physiques ». Pour peu qu’on admette ces réalités, leur technologie
semble dépasser nos concepts actuels - tout au moins les miens !
Opérer plusieurs corps à la fois ? Le turfu, diraient certains
goguenards !

34
Hallucination : d’Autres angles
« Pourquoi les hallucinations ne paient-elles jamais le loyer ?
Parce qu'elles sont toujours dans la lune ! »
ChatGPT

Hallucination. C’est peut-être le mot qui vous est venu à l’esprit en


lisant ce récit. Si vous rejetez l’hypothèse de la fiction et que vous
rejetiez les hypothèses admettant la réalité objective des Autres, alors
il restait l’hypothèse de l’hallucination. Vous allez peut-être vous en
étonner, mais c’est une hypothèse que je n’exclus pas non plus me
concernant. Si j’avais lu ce récit chez quelqu’un d’autre, je l’aurais
également mise sur la table d’examen. Depuis mon regard actuel,
j’estime comme très improbable cette hypothèse, pour des raisons
que je vais naturellement élaborer. D’aucuns estimeraient que ce
n’est pas à moi d’estimer les probabilités d’une telle hypothèse, et
que seul un examen psychiatrique permettrait d’en juger. Un fou
estimant ses probabilités de ne pas être fou risquant d’être biaisé.
Peut-être ! Pour autant, vu d’un certain angle, le sujet qui nous
concerne ici me parait plus philosophique que psychiatrique. Je
m’explique.

Hallucination. Quelle était la brique de fondation ? Quelle était la


source ? Il me semblait que c’était le sens que l’on attribuait à ce
mot. Si on demandait aux personnes qui convoquent cet argument ce
qu’est une hallucination, que répondraient-ils ? Et que répondriez-
vous, vous-même, si je vous demandais votre définition à vous ?
Selon un théorème bien connu, « Coincé sur une question tu es,
demander à Google tu vas ». C’est probablement ce que vous auriez
fait, si vous hésitiez sur la définition. C’est ce que j’ai fait.
Hallucination, il me semblait bien que tout le monde utilisait ce mot.
Sa définition devait être limpide - c’est en tout cas ce que je pensais.
Alors, j’ai commencé par les classiques.

Larousse. Trouble psychique dans lequel le sujet a la conviction de


percevoir, par la vue, l’ouïe ou l’odorat, un objet qui n’existe pas.7

7 https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/hallucination/38918
35
Le Robert. Perception pathologique de faits, d’objets qui n’existent
pas, de sensations en l’absence de stimulus extérieur.8

Au premier abord, ces deux premières définitions m’ont eu l’air


assez claires. Mais… un je-ne-sais-quoi me fit m’attarder quelques
instants supplémentaires. Le Larousse parle d’un trouble psychique,
soit, puis d’une conviction, on pourrait creuser cette brique mais soit,
mais… d’un objet qui n’existe pas ? Hmm. Objet. Intéressant
comme choix de mot. Mais « Qui n’existe pas » ? D’accord…
mais… selon qui ? Je me demandais : mais qui décide ce qui n’existe
pas ? Je comprenais l’idée générale, mais l’engrenage était bel et
bien coincé dans mes synapses. N’était-ce pas péremptoire ? N’étais-
je pas devant un magnifique raccourci logique, de ceux qui font
frémir les philosophes ? Je me demandais alors : qui peut décider ce
qui n’existe pas dans l’absolu ? Ne faudrait-il pas une connaissance
de tout ce qui existe, pour pouvoir décréter ce qui n’existe pas ? Et si
l’on admettait n’avoir qu’une connaissance partielle du réel,
comment en exclure une partie que l’on ne connait, par définition,
pas ? Sur quelles bases ? Une telle affirmation sur l’inexistence ne
nécessitait donc aucune preuve, aucune explication, rien ? Qui
n’existe pas, point ? A bien y regarder, le raccourci me paraissait être
le suivant : « qui n’existe pas » me semblait être la formulation
simple pour « qui n’est pas perçu par d’autres personnes humaines
incarnées à ce moment précis ». Mais même là, je n’étais pas
satisfait… car le dénominateur commun revenait toujours à la
perception, et je me disais alors : si une personne est décrété comme
hallucinante… mais qu’il existe dans ce monde une autre personne
qui percevrait la même chose s’ils étaient dans la même pièce ?
Quelque chose qui serait passé inaperçu pour tous les autres ? Si
c’est le cas, je n’aurais ni le droit de dire que cet objet n’existe pas,
ni qu’il n’est pas perçu par d’autres. Alors le sac de nœud mental
commençait à s’enrouler d’un tour supplémentaire… et ce qui me
paraissait clair prenait soudain des airs prétentieux ! Qui étions-nous
pour frapper d’un coup de marteau universel et décréter ce qui
n’existait pas, à fortiori sans justifications ? Il me semblait pourtant
que nous avions déjà du mal avec les définitions de l’existant.

8 https://dictionnaire.lerobert.com/definition/hallucination
36
Mes synapses s’inondèrent de questions avec la définition du Robert
: « en l’absence de stimulus extérieur ». Qui avait mesuré cette
« absence de stimulus extérieur » ? Comment précisément ? Je me
questionnais sur les failles possibles dans la constitution de cette
brique : et si, chez certaines personnes décrites comme hallucinantes,
on passait parfois à côté de cette stimulation ? Et si cette dernière
était logé dans un élément de réel très complexe à investiguer, à
observer, à mettre en évidence ? Et si nous regardions au mauvais
endroit ? Et toujours cette prétention de connaissance : « absence
de… » qui me mettait mal à l'aise, même pas un petit : « absence de
stimulation mesurée dans telle condition » moins commode mais
tellement plus éclairant ! Wikipedia me donnant à peu près la même
affaire, je tentais une autre approche.

Futura-Science me donna une définition similaire : « Une


hallucination consiste à percevoir des faits, des objets qui n’existent
pas, ou d’avoir des sensations en l’absence de stimulus. »9. Consiste
à percevoir… intéressant. Des faits, des objets, ok… qui n’existent
pas… nous y revoilà ! Sensation en absence de stimulus. Retour à la
case départ. Peut-être du côté anglophone ?

Le Merriam Webster me donna : « a sensory perception (such as a


visual image or a sound) that occurs in the absence of an actual
external stimulus and usually arises from neurological disturbance
(such as that associated with delirium tremens, schizophrenia,
Parkinson’s disease, or narcolepsy) or in response to drugs (such as
LSD or phencyclidine) »10.

Pour les francophones : « une perception sensorielle (telle qu’une


image visuelle ou un son) qui se produit en l’absence d’un stimulus
externe réel et qui résulte généralement d’une perturbation
neurologique (telle que celle associée au delirium tremens, à la
schizophrénie, à la maladie de Parkinson ou à la narcolepsie) ou en
réponse à des drogues (telles que le LSD ou la phencyclidine) ». Plus
d’objet qui n’existe pas. Mais je n’étais pas bien plus avancé, et je

9https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/medecine-
hallucination-15234/
10 https://www.merriam-webster.com/dictionary/hallucination
37
revenais à cette affaire d’absence de stimulation qui me paraissait
particulièrement ambigüe. Alors, je décidais finalement d’aller vers
la science. Les dictionnaires sont utiles, mais après tout, quand on
cherche des réponses détaillées à un problème précis, ne demande-t-
on pas l’avis de la science, plutôt que du dictionnaire ?

Dennis Velakoulis et Mark Walterfang, du Royal Melbourne


Hospital, parlait dans le livre Neurology and Clinical
Neuroscience11, du fait que :

« L’expérience perceptive se situe sur un continuum, avec la


perception « réelle » des stimuli à une extrémité et les hallucinations
franches à l’autre. Les hallucinations sont définies comme des
expériences de perception (« percept-like experiences » dans le texte)
en l’absence d’un stimulus externe, qui sont spontanées et
involontaires et qui ne peuvent pas être directement contrôlées. »

J’étais perdu. La perception, un spectre entre la perception du


« réel » qu’on imagine du coup « vrai », « objectif », et des
hallucinations de l’autre côté ? Et de nouveau cette affaire d’absence
de stimulus ? Je notais des détails importants : spontanées,
involontaires, et ne pouvant pas être directement contrôlées. Une
étape intéressante.

Le coup de grâce vint un peu plus tard, quand, las de ne pas trouver
de définition claire, consensuelle et surtout, la moins ambigüe
possible, je découvrais qu’en réalité, la question était
particulièrement coriace, même pour les professionnels, et ce, depuis
au moins le dix neuvième siècle. Dans un papier de Frontiers in
Psychology écrit en 2015 par Telles-Correia, Moreira et Gonçalves12,
je pouvais lire que :

« L’hallucination est l’un des symptômes les plus pertinents en


psychiatrie. C’est aussi l’un des plus difficiles à définir et à délimiter
des autres concepts psychopathologiques. (…) L’étymologie du mot
hallucination est controversée. Il pourrait avoir pour origine le mot

11 Clinical Assessment of Mental Status. Velakoulis, Dennis (2007)


12 https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2015.00991/full
38
latin allucinor, allucinaris, utilisé par Cicéron, signifiant l’intention
de tromper ou d’équivoquer (Corominas, 1973). Il pourrait
également provenir du composé latin ad lucem (ad-next to ; lucem-
light ; Barcia, 1903). »

« C’est aussi l’un des plus difficiles à définir ». Soulagement. Nous


étions semble-t-il nombreux à faire face à ce problème de définition.

Au passage, je compris enfin d’où venait la brique de « perception


sans objet » que j’avais pu lire à de très nombreuses reprises.

« (…) À cette époque, les hallucinations étaient souvent qualifiées de


« perceptions dépourvues d’objet », une définition souvent associée à
tort à Esquirol. Au contraire, Esquirol a toujours soutenu que
l’hallucination n’était pas une perception mais une « forme de délire
qui fait croire aux malades qu’ils ont une perception », c’est-à-dire
la conviction d’avoir une perception sans en avoir une. En effet,
Falret (1864) affirme que « l’hallucination est une perception sans
objet, comme on l’a souvent répété » (p. 264). »

Et de conclure :

« Nous concluons qu’il y a eu une difficulté majeure à définir et à


limiter le concept d’hallucination, depuis sa première apparition ; et
ceci est probablement dû au fait qu’elle appartient à un groupe
hétérogène de symptômes qui peuvent être trouvés dans une variété
de troubles psychiatriques et d’états physiologiques normaux
(comme dans les hallucinations hypnagogiques). D’autre part, il
n’existe pas de cause qui produise nécessairement une hallucination.
Cela justifie la déclaration d’Alonso Fernandez (1968) selon
laquelle « le fait que les phénomènes psychiques comme les
hallucinations ne possèdent pas d’unité intrinsèque entraîne
l’impossibilité de leur attribuer une définition globalement valable »
(p. 501). »

Manifestement, des spécialistes établissaient également la difficulté à


définir le concept. Je n’étais donc pas seul, et, de vous à moi, je
trouvais cela plutôt rassurant, et même plutôt logique.
L’hallucination touche directement à la perception, et il me semblait
bien qu’il s’agissait d’une affaire particulièrement coriace. Cela
39
étant, je restais malgré tout sur ma faim. Alors, je poussais mes
recherches encore plus en avant, et cherchais autant de définitions
que possible.

Traduit en français, je trouvais donc également les suivantes13 :

« Sensations ressenties subjectivement en l’absence d’un stimulus


approprié, mais qui sont considérées par l’individu comme réelles ;
elles peuvent être d’origine organique, induites par des drogues ou
associées à un trouble mental. » CRISP Thesaurus, 2022_06_11;

« Perceptions dans un état conscient et éveillé en l’absence de


stimuli externes qui ont les qualités d’une perception réelle, en ce
sens qu’elles sont vivantes, substantielles et situées dans un espace
objectif externe. » Human Phenotype Ontology, 2022

« Sensations ressenties subjectivement en l’absence d’un stimulus


approprié, mais qui sont considérées par l’individu comme réelles.
Elles peuvent être d’origine organique ou associées à des
TROUBLES MENTAUX. » Medical Subject Headings, 2023_2022_07_27

« Une fausse perception sensorielle en l’absence d’un stimulus


externe, par opposition à une illusion qui est une perception erronée
d’un stimulus externe. » NCI Thesaurus, 2022_04D

« Un trouble caractérisé par une fausse perception sensorielle en


l’absence de stimulus externe. » NCI Thesaurus, 2022_04D

Je commençais tout doucement à mettre le doigt sur mes


incompréhensions. Le tri semblait nécessaire, mais comment trier
sans céder à la tentative de l’extrême simplification ? La définition
me semblait tout autant nécessaire, mais comment définir sans
s’enfermer dans des impasses conceptuelles ?

Dans mon esprit, émergea alors une idée miroir, une brique dans un
cadre conceptuel plus malléable, à en faire frémir les plus
matérialistes d’entre nous. Je n’y adhérais pas nécessairement de
prime abord, je me contentais d’être face à son potentiel de me faire

13 www.diseasesdatabase.com/umlsdef.asp?glngUserChoice=19769
40
avancer d’une case supplémentaire dans ma réflexion. Et si…
l’hallucination était si difficile à définir de manière non-ambigüe
car… elle n’existait tout simplement pas en tant que telle, et qu’elle
ne pouvait du coup pas être définie clairement dans le cadre que nous
utilisions ? Et si le moindre objet perçu, dans n’importe quelle
situation était bel et bien réel ? Et si, en renversement total de
l’hypothèse de l’absence de stimulus extérieur, nous postulions que
les personnes décrivant ces perceptions « vivantes, substantielles et
situées dans un espace objectif externe » étaient en réalité amenées à
percevoir – justement – la présence d’un stimulus externe, d’un objet
de la réalité ?

Cette idée me rebutait autant qu’elle me fascinait. Sa principale


force, à mes yeux, était de remettre la perception au centre de
l’équation, celle de la personne, oui, mais celle du reste du monde
aussi. Elle remplaçait le gratuit « perception d’un objet inexistant »
en un plus humble « perception d’un objet x imperceptible par y dans
un contexte z » . Et le concept me séduisait. Pour autant, présenté tel
quel, il ne répondait pas à toutes les questions… il se contentait
d’inverser le point de vue, comme une caméra que l’on bouge. Il
restait (entre autre !) toujours à définir les personnages que l’on
filmait… et à expliquer (entre autre !) pourquoi dans ce cas, tout le
monde ne filmait pas les mêmes objets ?

Je décidais de m’éloigner des hypothèses pour un temps afin de me


plonger dans les témoignages. J’en ressorti attristé. Dans ma quête
d’en apprendre toujours plus sur l’hallucination, je venais de lire des
dizaines de témoignages. De la schizophrénie aux délires, de la
paralysie du sommeil aux drogues en passant par les médicaments…
tout y était passé, ou presque. Le tri fut loin d’être évident. Une
constante, toutefois, dans les témoignages que j’avais analysé :
vidéos et récits faisaient écho à de grandes souffrances psychiques, et
parfois, à des bouleversements métaphysiques massifs. Comment
réagir quand notre mari, notre amie, notre frère, notre mère, se met à
percevoir des choses que personne d’autres qu’eux ne peut
percevoir ? Comment comprendre, mais surtout, comment les aider ?
Et que faire si, moi-même, je perçois des choses que d’autres ne
perçoivent pas et que j’en souffre ?

41
Et d’un autre côté, je voyais l’autre côté de l’hallucination, des
phénomènes qui rentraient parfois dans ses définitions, expériences
dites mystiques, spirituelles, artistiques… beaucoup disaient
percevoir ce que d’autres ne voyaient ni n’entendaient et ne
paraissaient pas en souffrir : parfois même, ils les recherchaient
activement pour en découvrir toujours plus sur eux-même et sur le
monde. Je voyais bien la différence entre une hallucination lors
d’une paralysie du sommeil par exemple, et une hallucination d’une
voix qui chuchoterait à l’oreille des phrases sans aucun sens en
pleine journée. Énième tour de vis.

Il fallait non seulement décortiquer la définition, mais aussi les


expériences en elles-mêmes, mais également leur interprétations
présentes et passées… et naturellement, j’en venais, comme de
nombreux avant moi, à me demander : sur quels critères précisément
a-t-on cru sur parole certaines personnes qui racontaient par le passé
des visions qualifiées de mystiques, voire prophétiques, quand on
qualifiait d’autres racontant semble-t-il la même chose
d’hallucinants vivant un délire mystique des siècles plus tard ?

Une chose était certaine : j’étais devant un phénomène


incroyablement ramifié et polymorphe, car il tapait directement sur
ce qui me paraissait être une brique de fondation du vivant : la
perception. Je ne pouvais que me contenter de constater l’évidence :
quelque soit l’hypothèse sur la source des objets perçus, toucher les
réglages de la perception chez un humain changeait absolument tout
dans sa vie.

Dans mon esprit, les différentes hypothèses se bousculaient, chacune


voulant prendre le devant de la scène, sans véritable succès. Je
décidais donc de faire un nouvel état des lieux et d’organiser un peu
mieux mes idées.
Problème cérébral. Pourquoi pas. Mais si on restait là, n’était-ce pas
surimposer un autre mot pour vite refermer le dossier sans aller plus
loin ? Ce mot, cérébral, clôturait-il vraiment l’affaire ? Comment,
dans le détail précis, un problème d’équilibre chimique au niveau
du cerveau pouvait créer une perception comme une araignée par
exemple, qui semblait tout à fait réelle ? A nouveau devant une
question spécifique à un problème donné, je demandais l’avis aux
articles de science.
42
Je commençais par lire un papier intitulé On the neurobiology of
hallucinations par Patricia Boksa publié en 2009 dans le Journal of
Psychiatry and Neuroscience14.

« (…) des individus psychologiquement normaux présentant des


hallucinations dues à des lésions ont été étudiés, et il a été constaté
que la lésion se situait généralement dans la voie cérébrale de la
modalité sensorielle (par exemple, auditive, visuelle, somatique) de
l’hallucination. »

Boska commençait par évoquer l’hypothèse de l’origine lésionnelle


des hallucinations chez des individus par ailleurs décrits comme
étant « psychologiquement normaux », en citant un autre papier
Brain modules of hallucination: an analysis of multiple patients with
brain lesions publié en 2003 par Claude M. J. Braun, Mathieu
Dumont, Julie Duval, Isabelle Hamel-Hébert et Lucie Godbout dans
le Journal of Psychiatry and Neuroscience15 :

« Nous avons effectué une revue systématique de la localisation des


lésions cérébrales focales qui provoquent une hallucination isolée
dans une seule modalité sensorielle. Les rapports de cas
d’hallucination non paroxystique post-lésionnelle dans 1 (et
seulement 1) des 3 modalités sensorielles (c’est-à-dire visuelle,
auditive, somatique) ont été examinés, et le contenu des descriptions
qualitatives a été analysé pour chaque modalité. La lésion est
pratiquement toujours située dans la voie cérébrale de la modalité
sensorielle de l’hallucination. Il semble exister des circuits
cérébraux sensoriels localisés qui, chez les personnes saines,
diminuent l’intensité de la représentation sensorielle interne. Après
une lésion, l’hallucinose semble également être causée par une
suractivation compensatoire des tissus dans la voie sensorielle
cérébrale proche. Ce type d’hallucination peut effectivement être
qualifié de forme de « libération », les patients étant conscients de la
nature hallucinatoire de leur expérience, mais pas habituellement
des « centres du rêve » comme le propose Lhermitte. Nous proposons

14 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2702442/
15 https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14631455/
43
plutôt que ce soit le rêve qui soit considéré comme un cas particulier
de ‘libération neuronale’. »

La lésion était donc « pratiquement toujours située dans la voie


cérébrale de la modalité sensorielle de l’hallucination ». Intéressant.
Etait-ce une corrélation, ou un rapport de causalité était impliqué ? Il
me fallait investiguer davantage.

Je découvrais au passage un mot nouveau, l’hallucinose, souvent


définie comme à nouveau une perception sans objet (encore !) mais
cette fois-ci reconnue comme telle par le sujet qui n’y adhère pas.
L’hallucinose différait donc de l’hallucination par cette fameuse
adhésion : si je critique la réalité de ce que je perçois de cet objet x
imperceptible par d’autres y dans un contexte z, que je reconnais son
irréalité, que je n’y adhère pas, ce n’était donc pas une hallucination,
mais une hallucinose.

Ou, décrit d’une manière plus psychologique…

« L’hallucinose se distingue de l’hallucination visuelle par l’absence


de participation affective de la part de l’individu, qui reconnaît la
manifestation pathologique comme inexacte et ne l’intègre pas dans
un système délirant. »16

Nouveau tour de vis…


Délirant, délire… à nouveau, des mots qu’on a l’impression de
connaître, mais qui ont pourtant des sens précis en psychiatrie. Sans
trop vouloir m’éloigner de l’hallucination, je trouvais ce dossier du
C.H.U de Nantes pour éclairer mes neurones17 :

« De façon générale, le “délire” désigne une croyance irréductible


et inébranlable correspondant à une conception fausse de la réalité.
Le délire n’est pas une simple erreur, car cette dernière peut être
reconnue par celui qui la commet lorsqu’il s’affronte à la
contradiction, à d’autres expériences vécues ou en présence

16 https://carnets2psycho.net/dico/sens-de-hallucinose.html
17https://www.chu-nantes.fr/medias/fichier/delires-et-
hallucinations_1490086343038-pdf
44
d’éléments qui viennent contredire sa certitude antérieure. En
revanche, le délire est une conviction qui reste inattaquable.
L’“hallucination” est une perception fausse qui ne correspond pas à
un objet extérieur réel. L’hallucination n’est pas à confondre avec
l’illusion qui consiste en une mauvaise perception d’un objet bien
réel. »

Un peu plus clair, mais de nombreux mots-clefs me firent sursauter


mentalement. Je me plongeais dans une autre source18, avant de
laisser flamber mes questions…

« Les idées délirantes correspondent à des altérations du contenu de


la pensée entraînant une perte du contact avec la réalité. Elles font
l’objet d’une conviction inébranlable, inaccessible au raisonnement
ou à la contestation par les faits. Il s’agit d’une « évidence interne »,
pouvant être plausible ou invraisemblable, mais qui n’est
généralement pas partagée par le groupe socio-culturel du sujet. On
définit son caractère aigu par l’apparition récente depuis moins d’un
mois. »

Le caractère inébranlable de cette conviction faisait sens. Mais les


questions reprirent dans mon esprit comme une volée de flèches.
‘Conception fausse’ de la réalité. N’est-ce pas le trigger ultime du
philosophe ? Conception, c’est une brique intéressante, mais fausse ?
De la réalité ? Fausse selon qui ? Y-a-t-il une conception vraie de la
réalité ? Et réalité ? Pourquoi ne pas définir un peu plus ? Un manuel
de psychiatrie n’est pas un manuel de philosophie, à l’évidence. Les
psychiatres font face à d’importantes souffrances psychiques. Il faut
agir, parfois même très rapidement : pas le temps de parler de
philosophie devant une bouffée délirante aiguë, si ? Mais je
m’interroge : pourquoi tant d’ambiguïté sur des concepts qui me
paraissent aussi cruciaux, même en dehors de la chaleur de
l’urgence ? Pourquoi garder de l’implicite ? Et surtout… est-ce que
ces questions d’apparence purement intellectuelles ne pourraient pas
ouvrir d’autres champs de compréhension, et d’assistance,
justement ?

183ème édition du référentiel E.C.N Psychiatrie et Addictologie. www.asso-


aesp.fr/enseignement/1er-et-2e-cycle/referentiel-ecn/
45
J’étais un peu plus rassuré par le référentiel E.C.N, même si,
évidemment, mon côté philosophe de canapé loin des services de
psychiatrie reprit le dessus : ‘(…) une perte du contact avec la
réalité‘. D’accord, mais quelle réalité ? Pour autant, le mot-clef
suivant me fit retomber sur mes pattes. ‘(…) mais qui n’est
généralement pas partagée par le groupe socio-culturel du sujet’.

J’y étais ! Je tenais enfin un morceau de mon explication. Je me


disais : voilà donc pourquoi on classe dans un contexte x un délirant,
et dans un contexte y un chaman inondé de visions mystiques. Il n’y
avait pas que ça, à l’évidence… mais le groupe socio-culturel jouait
un grand rôle. Je l’avais sous le nez depuis le début, sans mettre le
doigt dessus. En voilà une belle, de variable d’ajustement : celle qui
était en mesure de définir le curseur de la réalité, de ce qui entre
dedans, et ce qui en sort.

J’avais avancé d’une case avec moult efforts… tout en ayant


l’impression d’être resté sur place. Il me fallait analyser plus en
profondeur cette affaire d’hallucination d’origine cérébrale, ce que je
me décidais à faire. Soudain, l’idée sauvage revint toquer à la porte
de mon esprit. Et elle me disait à l’oreille :

« Même si j’étais créée par le cerveau, ne pourrais-je quand même


pas être réelle ? Ne pourrais-je quand même pas être perceptible par
d’autres ? Ne pourrais-je pas imprimer le réel de la même manière
qu’une pensée imprègne le monde de sa signature, comme certains le
pensaient ? »

En 1995, un article intitulé A functional neuroanatomy of


hallucinations in schizophrenia (Une neuroanatomie fonctionnelle
des hallucinations dans la schizophrénie) publié par D. A.
Silbersweig, E. Stern, C. Frith, C. Cahill, A. Holmes, Sylke
Grootoonk, J. Seaward, P. McKenna, S. E. Chua, L. Schnorr, T. Jones
& R. S. J. Frackowiak19 fut publié dans la célèbre revue Nature. Sa
première lecture m’avait laissé entrevoir la complexité du cerveau et
l’étendue de mon ignorance. Une neuroanatomie fonctionnelle des
hallucinations dans la schizophrénie. Le ton était donné. Les
processus cérébraux étaient complexes, intriqués et impliquaient de

19 https://www.nature.com/articles/378176a0
46
nombreuses régions du cerveau. Une phrase retint toutefois mon
attention :

« L’étude de cas a permis d’identifier des activations hautement


spécifiques au contenu perceptif des hallucinations chez un patient.
Les hallucinations visuelles et auditives verbales étaient associées à
l’activité du cortex d’association visuelle (spécialisé dans la
perception visuelle d’ordre supérieur) et du cortex d’association
auditive-linguistique (spécialisé dans la perception de la parole). »

Dans ce cas précis, il y avait correspondance. Et je cogitais, à mon


habitude. Les hallucinations visuelles étaient corrélées à l’activité de
la zone spécialisée dans la perception visuelle. L’activité générait-
elle la perception de l’objet ? Ou l’inverse, la perception de l’objet
activait-elle cette zone du cerveau, dans une hypothèse relativement
radioactive ? Je laissai le compteur Geiger de ma pensée s’apaiser
pour l’instant et je m’attardais sur une question de fond : 1995,
n’était-ce pas cent dix millions d’années du point de vue de la
science ? Nous avions forcément fait d’immenses progrès en plus de
25 ans. Instagram n’existait même pas et les spirituals memes
n’étaient que chimères. Autant dire le moyen-âge !

Je me penchais alors sur une publication plus récente, non un article


de science à proprement parlé, mais une discussion sur « Ce que les
hallucinations disent du cerveau » publié sur le site Nature20. Il me
semblait que c’était précisément l’autre face de ma question : qu’est-
ce que les « hallucinations » disent du cerveau ? Le côté pile étant
bien sûr, que dit le cerveau quand il « hallucine » ?

« Que sont les hallucinations ? [ndlr: Oliver] Sacks les définit


comme « des perceptions survenant en l’absence de toute réalité
extérieure – voir des choses ou entendre des choses qui n’existent
pas ». Il y a quelques centaines d’années, les hallucinations
pouvaient être attribuées à l’influence de dieux ou de fantômes.
Aujourd’hui, les neuroscientifiques et les psychologues considèrent
les hallucinations comme le résultat d’une activité anormale du
cerveau. Les neuroscientifiques considèrent que toutes les choses

https://www.nature.com/scitable/blog/brain-metrics/
20
what_do_hallucinations_tell_us/
47
dont nous faisons l’expérience sont le résultat de modèles construits
par le cerveau. Lorsque vous regardez quelque chose dans le monde
extérieur, votre cerveau n’atteint pas magiquement l’objet et le
touche pour que vous puissiez le percevoir (bien que certains
philosophes puissent être en désaccord avec les neuroscientifiques
sur ce point !) Au lieu de cela, le cerveau construit un modèle de ce
qui existe probablement dans le monde, en faisant de son mieux pour
faire correspondre ce modèle à l’entrée sensorielle que nous
recevons au niveau de nos organes des sens (par exemple, dans la
rétine de l’œil). Les choses que vous percevez reflètent le modèle que
le cerveau construit – un modèle construit à partir de l’activité
bourdonnante des milliards de neurones de votre cerveau. Il s’agit
essentiellement de conjectures intelligentes, mais la plupart du
temps, nos cerveaux s’en sortent plutôt bien, et nous avons
l’impression d’un monde stable. Il est important de noter que nous
avons tendance à être d’accord avec d’autres personnes sur ce qui
existe, ce qui indique que notre cerveau fait bien les choses !
Toutefois, si l’activité du cerveau est altérée d’une manière ou d’une
autre par une perturbation neurologique (maladie, drogues,
dommages causés par un accident vasculaire cérébral ou une
blessure), le modèle peut s’écarter de sa représentation fidèle
normale du monde extérieur, et nous pouvons avoir des perceptions
hallucinatoires. »

Intéressant. Je reprenais mot à mot. Une définition. Les


hallucinations sont « des perceptions (ah ! Plutôt d’accord…)
survenant (oui, survenir, plutôt d’accord…) en l’absence de toute
réalité extérieure (grrmmbll…) – voir des choses ou entendre des
choses qui n’existent pas (retour à la case départ !) » . Je ne pus
retenir quelques grognements caverneux à nouveau, dès la phrase
suivante, qui symbolisait à elle seule cette délicieuse condescendance
de certains de nos contemporains. Alors je laissai parler mon
sarcasme, juste pour évacuer la pression et rire un peu…

« Il y a quelques centaines d’années (dans le monde des pouilleux


sans cervelle), les hallucinations pouvaient être attribuées à
l’influence de dieux ou de fantômes (hihi, les manches à balai
irrationnels !). Aujourd’hui, les neuroscientifiques et les
psychologues (les kings in the north) considèrent les hallucinations

48
comme le résultat d’une activité anormale du cerveau (il n’existe ni
dieux ni fantômes depuis ce jour). »

Plus sérieusement, j’étais un peu déçu par l’introduction. J’y voyais


encore ces coups de marteaux ontologiques à coup de « n’existe
pas », « en dehors de la réalité » sans définition ni justifications
appropriées. Appartiennent-elles seulement aux philosophes ? Je ne
peux m’y résoudre. Mais ce coup-ci, il y avait du développement, et
pas des moindres.

L’hypothèse présentée était la suivante : nous ne percevons pas le


réel tel qu’il est, nous le construisons activement : nous construisons
un réel basé sur une interprétation d’évènements extérieurs
préalablement filtrés et triés. Une hallucination apparait quand cette
construction est abimée : le modèle du réel créé par le cerveau n’est
plus en accord avec les données reçues du « monde extérieur ».

J’étais agréablement surpris par cette hypothèse. On ne perçoit pas


vraiment la réalité, on en créé un modèle. Si ce dernier est abimé, le
modèle ne colle plus tout à fait à la réalité… à priori, là, comme ça,
pourquoi pas ? Je gardais l’hypothèse dans la machine à mouliner les
idées. Mais présentée telle quelle, je ne pouvais m’empêcher d’y
entrevoir toutefois quelques zones d’ombres. Songez-donc : qui
décide fondamentalement que le modèle créé ne représente pas le
monde extérieur ? Songez-donc une coudée plus loin : et si
quelqu’un avait un modèle au contraire plus affuté, qui interpréterait
des données du monde extérieur que peu percevaient ? Ne serait-il
pas en train de créer précisément un modèle plus correct et plus
inclusif du réel, alors qu’il pourrait être taxé d’hallucinant ?

Cela étant, une belle épine mentale me restait fiché entre deux
synapses. Je ne savais qu’en faire. Une épine sous la forme d’une
énième question, tenace, que je vous soumets céans : si certains
médicaments réduisent voire suppriment les hallucinations21 et si

21Les fameux « anti-psychotiques » – chlorpromazine, rispéridone,


clozapine, halopéridol et consort…
49
d’autres semblent les générer22, n’est-on donc pas certain que les
hallucinations sont d’origine cérébrale ?

Je ne parvenais toutefois pas à adhérer avec toute mon âme à cette


hypothèse. Ne serait-ce que parce qu’il semblait y avoir autant de
contextes d’hallucinations que d’hallucinations elles-mêmes :
pouvait-on réellement classer tout dans le même panier confortable
pour la pensée ?

Mais surtout, et peut-être sous un angle plus ontologique, il me


paraissait clair que modifier les réglages de la perception du corps ne
disait, au final, pas grand chose sur les objets perçus eux-mêmes. De
mon regard, il y avait en réalité deux sujets que l’on mélangeait dans
une grande confusion mentale : l’existence de ces objets, et la
perception de ces derniers23. Toujours ces existentielles questions
d’ontologie qui revenaient sans cesse. Et bien naïvement, je me
disais : si un médicament m’enlevait la perception visuelle par
exemple, les objets de la réalité disparaitraient pour autant ? Pour
moi, visuellement, peut-être… mais pour les autres ?

Je me suis posé beaucoup de questions, mais j’imagine qu’à présent,


c’est peut-être vous qui vous en posez au moins une : alors, au final,
qui sont les Autres ? Des êtres réels ? Des hallucinations ? Des
désincarnés ? Des aliens ? Des êtres « non-matériels » ? Des
projections cérébrales ? Des projections de notre esprit ? Il me
paraitrait naturel qu’à ce stade vous ayez votre propre idée sur la
question, qui se base probablement sur votre propre expérience de
vie, sur vos perceptions, sur vos lectures, sur vos recherches, sur
votre cercle social. Après avoir introduit ce livre par mon expérience,
et bifurqué du côté des hypothèses d’hallucination, il est temps de
vous partager la mienne, d’idée. C’est-à-dire l’état actuel de mes
croyances, à l’évidence temporaires, sur ce qu’ils sont.

22 La morphine à haute dose, ou même certains anti-inflammatoires non-


stéroïdiens à haute dose également…

Et le lien entre la perception et l’existence, pour vos longues soirées


23
méditatives…
50
J’estime comme extrêmement improbable l’hypothèse selon laquelle
j’aurais été, et serais encore victime d’hallucinations. Quelles sont
les briques dont je me sers pour évaluer les probabilités
d’hallucination à la baisse ? Elles sont multiples.

Croisement. J’ai eu l’occasion de croiser mes perceptions avec


notamment ma compagne, dont j’estime énormément les capacités
perceptives. Cette brique est très personnelle, et soumise à un
ensemble de biais, à l’évidence. Je ne pourrais la démontrer. Pour
autant, je lui octroie une très grande confiance.

Consistance. Certains êtres que je perçois, comme la conscience au


visage bleuté sont constants dans le temps et dans l’espace. Pour
rester sur cet exemple, je la perçois comme ayant la même signature,
les mêmes caractéristiques à chaque fois qu’elle se présente. Elle me
parait par ailleurs occuper le même « espace » - elle ne me semble
pas occuper toute la pièce, mais bien occuper l’espace qu’occuperait
un être humain.

Pharmacologie. Je ne prends pas de drogues, ni de psychédéliques,


ni de médicaments ou substances connues pour générer des
hallucinations.

Physique. Certains contacts m’ont laissé pendant quelques heures


certaines marques physiques, comme des plaques rouges
rectangulaires très délimitées aux endroits précis où je sentais des
manipulations. Cet argument seul n’est bien sûr pas suffisant - même
en dehors de l’hypothèse de la fiction, car on pourrait imaginer
certaines hypothèses alternatives, par exemple que je me sois auto-
infligé ces marques dans des périodes d’amnésie ou d’absence de
conscience. J’évalue comme extrêmement improbable cette dernière,
au vu de la nature des marques. Lors de certains contacts, certaines
manifestations bien physiques ont parfois eu lieu, comme la lumière
de la chambre qui soudain se met à vaciller. Seule, cela pourrait être
bien sûr une coïncidence, mais à nouveau, il me semble que l’indice
reste valide dans ce contexte.

Similarité. D’autres que moi décrivent des expériences parfois très


proches. On pourrait imaginer être pris d’une forme de pathologie
commune entre personnes qui ne se connaissent pas, bien que cela ne
51
me paraisse, au premier abord, pas forcément raisonnable ni
pertinent au vu de la quantité de détails présente et du profil de
certains témoignages.

Intégrité sensorielle. Mes autres sens fonctionnent bien, je n’ai pas


d’altérations de la vision, du son, du toucher ou de l’odorat. Je pense
percevoir à peu près le même monde que mes comparses humains,
sensoriellement parlant.

Absence de pathologie. Je n’ai pas de pathologie connue qui


pourrait expliquer ces expériences. Selon mes différents examens
médicaux, je suis en parfaite santé à ce jour.

Sentiment d’altérité. Les êtres perçus m’ont tout semblé tout à fait
différents de moi - ils pensent différemment, communiquent
différemment, utilisent des objets et appareils que je n’ai jamais
connu ou ressenti auparavant.

Surprise. Ils me surprennent dans ma vie quand ils arrivent. Je ne les


invoque pas. Ils m’apportent un nouveau regard sur l’existence, que
je n’avais pas avant, et que je n’aurais pas pu anticipé.

Clarté de pensée. Je pense clairement, mes réactions me semblent


logiques et attendues.

Ça, ce sont les principales briques que j’utilise pour raisonner. Mais
j’utilise aussi des briques de croyance, qui elles-mêmes sont nourries
de mes expériences, de mes émotions, de mon intuition, de mes
partages, et aussi de mes raisonnements à un instant t. Ma croyance
intime, qui n’était d'ailleurs pas du tout celle que je nourrissais
pendant mon enfance et mon adolescence, est que ces êtres sont aussi
réels que vous et moi. Cette croyance est apparue au début de ma
vingtaine, si mes souvenirs sont bons. Présentement, je crois que la
barrière qui nous sépare n’est que perceptive. Je crois que j’ai bel été
bien été en contact avec une forme d’altérité, c’est-à-dire une forme
d’existence qui n’est pas celle à laquelle nous sommes habitués ici.

Tout ceci m’amène à estimer comme extrêmement probable


l’existence d’une catégorie d’êtres qui sont au-delà des cases

52
conceptuelles de la société occidentale dans laquelle je baigne
actuellement.

Si l’on accepte l’hypothèse d’êtres qui existent en dehors de moi, il


est alors possible d’émettre l’hypothèse que ces Autres soient des
pures créations d’une partie inconsciente de mon esprit. Ces
créations, par un mécanisme inconnu, auraient émergé dans une
portion de réel accessible à la perception. Cette hypothèse me parait
assez communément partagée. Elle soutient que l’expérienceur serait
la seule source de la création. Ce dernier serait également, dans
certaines conditions, en mesure de percevoir ce qu’on pourrait
appelée une « forme-pensée » créée par une autre conscience, ou un
autre groupe de conscience. Pour autant, la source de la « forme-
pensée » resterait systématiquement un être incarné ou un groupe
d’êtres incarnés. Cette hypothèse exclut donc l’existence de ces
Autres comme étant de « réelles » - dont l’existence est à priori
autonome - personnes, comme vous et moi. Par voie de conséquence,
l’hypothèse se place dans un vase clos : seuls des humains incarnés -
ou des extraterrestres incarnés ? - peuvent créer d’autres êtres dans
une sorte d’espace perméable à la pensée et à la perception.

Il me semble que cette hypothèse ne tient pas compte de certains


éléments. A moins de considérer que nos voisins, nos amis, notre
famille sont autant de créations de notre propre esprit, j’ai tendance à
penser que cette brique parait assez friable, pour des raisons que je
vais expliquer. Pris isolément, ces éléments ne font pas céder cette
dernière. C’est l’ensemble de ces derniers qui me laisse à penser que
l’hypothèse de la création pure n’est pas totalement convaincante.

Premier point de fragilité selon moi, l’extrapolation. Si je reconnais


que mon voisin est une entité extérieure à moi, qu’il existe sans moi,
qu’il n’a pas besoin de moi pour exister, alors que je reconnais qu’il
existe des éléments de réel qui existent sans moi, dont je ne suis pas
le créateur. Considérons-nous réellement que la personne qui nous
vend du pain est une création de notre esprit ? Le léopard a-t-il
besoin de moi pour exister ? La lune a-t-elle besoin de moi pour
exister ? Si je reconnais que d’autres humains ont des existences
autonomes, pourquoi penser que tout Autre serait nécessairement une
création ? Pour la seule raison qu’il n’est pas perceptible par
l’ensemble du monde ? Si je postule que mon voisin est une création
53
de mon esprit, dans ce cas, l’hypothèse me parait plus solide. Mais à
ce jour, je ne vois pas vraiment comment soutenir cette dernière.

Deuxième point, l’intelligence. Les Autres avec lesquels j’ai pu


interagir peuvent être particulièrement intelligents, bien plus que
moi. Est-il vraisemblable que je puisse créer des êtres plus
intelligents que mon propre intellect ? Qui vont répondre et me
surprendre ? M’apprendre des choses ? Communiquer avec moi ?
Interagir avec moi ? Utiliser de la technologie avancée sur moi ?
Même agir sur mon corps physique ? Ça ne me parait pas
inimaginable au sens strict, mais cela me parait extrêmement
improbable.

Troisième point, l’anthropocentrisme. Un des véritables problèmes


que me pose l’hypothèse de la création pure est le suivant :
l’hypothèse me parait par essence anthropocentrique. Dans sa forme
radicale, c’est-à-dire qui postule même qu’il n’y a d’humains que sur
Terre, elle considère qu’il ne peut exister que des humains qui créent
des choses. L’histoire semble montrer que la posture
anthropocentrique n’est pas une posture féconde. Comment justifier
une telle fermeture sans argument particulièrement solide ? A ma
connaissance, je n’ai pas trouvé d’argument vraiment convainquant
pour fermer la possibilité d’êtres autonomes.

Quatrième point, la résistance. Aussi loin que je sache, il n’est pas


possible de détruire un Autre par un simple souhait ou une intention
focalisée - certaines explorations et lectures m’amènent à penser que
l’être semble résister à l’intention de dissolution. On pourrait
m’objecter que ce phénomène est normal, car une « forme-pensée »
créée par de nombreuses consciences résisterait aussi à mon intention
de dissolution. Cela me parait cohérent. Mais cela veut donc dire
qu’il s’agirait d’un Autre créé par un groupe d’êtres, et pour les trois
raisons ci-dessus, j’évalue cette assertion comme très improbable.

54
Le Chant des Autres
« L'algèbre est dans l'astronomie, et l'astronomie touche à la poésie ;
l'algèbre est dans la musique, et la musique louche à la poésie.
L'esprit de l'homme a trois clefs qui ouvrent tout : le chiffre, la lettre,
la note.
Savoir, penser, rêver. Tout est là. »
Victor Hugo

De manière faussement paradoxale, j’ai choisi le terme vague et


imprécis des Autres pour des raisons bien délimitées et précises. Il
représente pour moi l’état de mes connaissances actuelles sur le sujet
et de mon expérience personnelle. Utilisant le vocabulaire de l’I.A.C,
je pourrais par exemple vous dire que je sais que ce sont des
consciences extraphysiques - des E.P comme on dit quand on est
dans le coup, ou utilisant le vocable spirite, que je sais que ce sont
des Esprits. Cela fait maintenant dix ans que j’étudie et expérimente
directement ce sujet. Je pourrais utiliser des tournures affirmatives,
être sûr de moi, ne montrer aucune forme de doute. Mais la réalité
froide, c’est que j’ignore tout d’eux. Quand je croyais savoir qu’ils
n’étaient que des êtres immatériels, ils m’ont montré qu’ils pouvaient
me toucher. Est-ce qu’immatériel est un terme correct ?
Probablement pas. Quand je croyais savoir qu’ils n’impactaient pas
tant que ça nos vies, ils m’ont opéré à vif, paralysant mon corps
comme s’ils avaient accès à tous les boutons de réglage de mon
véhicule terrestre. Sont-ce les mêmes ? Peu importe : les Autres font
partie de ma vie - et en même temps, ils existent sans être là, en chair
et en os. Dit autrement, le sentiment d’existence que je perçois d’eux
n’est pas relié à de la forme biologique. Alors, je pourrais prétendre
les catégoriser, expliquer leur différentes manifestations. Mais ce
serait mentir. J’ignore tout d’eux. C’est la première raison du choix
de ce terme.

La deuxième raison, c’est leur lien avec l’altérité, au sens premier.


Dans mon expérience, leur contact est systématiquement autre,
étrange, inattrapable, trop profond, trop complexe pour moi, basé sur
d’autres règles. Ce que je pense percevoir de leur pensée ne
ressemble à rien de ce que je connais. Ce que je pense percevoir de
leur technologie ne ressemble à rien de familier. Pour moi, à ce stade
55
de ma vie, ils sont Autres. Ils font partie de la vie, c’est pour moi une
évidence, mais d’une autre forme de vie que celle à laquelle je suis
pour l’instant habitué sur Terre.

Je ne saurais pas vous expliquer comment ni pourquoi la paralysie du


sommeil s’est invitée dans ma vie. Un spécialiste du sommeil
m’expliquerait peut-être qu’à force d’avoir un sommeil cassé et de
consommer de l’alcool en soirée, j’augmentais ma probabilité de
vivre de telles expériences. Un spiritualiste m’expliquerait peut-être
que j’avais choisi cela de longue date, avant cette vie. On peut tout
imaginer. Toujours est-il qu’elle s’est invitée, et qu’avec elle, mon
ouverture sur la spiritualité, et sur les Autres. Pour autant, je crois
que la perception des Autres n’est absolument pas réservée à ceux
qui vivent cette expérience. Il me semble qu’elle peut être une voie
d’entrée, comme il peut y en avoir d’autres. J’aime à penser que nous
sommes très nombreux à pouvoir les percevoir, même communiquer
avec certains d’entre eux, si c’est notre intention et si nous nous en
sentons capables. J’ignore si c’est une bonne idée dans votre cas
personnel. Je me garderai bien de vous recommander quoi que ce
soit, dans un sens ou dans l’autre. Je vous rappelle que vous lisez un
livre d’un inconnu qui vous dit avoir été opéré par des êtres
invisibles : posez-vous les bonnes questions. Même si je le voulais,
je ne pourrais pas écrire un mode d’emploi pour les percevoir. Il me
semble que je ne peux que détailler au maximum mon expérience et
mes différentes explorations. Et pour ce faire, il va me falloir
emprunter quelques briques à la musique, en particulier le concept de
fondamentale et d’harmonique. Rassurez-vous, rien de compliqué,
même si vous n’y connaissez rien. Nous allons simplement jouer du
piano ensemble.

Mettons-nous devant un piano et jouons une note, au hasard un do.


On entend donc cette note. Elle est ce que l'on appelle la
fondamentale. C'est la fréquence de base du son que nous entendons.
On aurait pu choisir un ré, un mi, un la, ou n’importe quelle autre
note - cette dernière, jouée seule, serait également devenu la
fondamentale de notre son. Jusqu’ici, tout va bien.

Seulement voilà, il y a une subtilité. Et croyez-le ou non, celle-ci sert


de socle à toute la musique moderne ! Elle servira de socle également
pour notre analogie concernant la perception des Autres. Ouvrez
56
grand vos mirettes, car la voici donc : en plus de cette note
fondamentale, sans que vous n’ayez joué aucune autre note, il y a
aussi d'autres sons plus subtils qui se jouent en même temps24. Vous
n’avez appuyé que sur le do, mais vous avez en réalité généré un do,
et beaucoup d’autres notes. Quand j’ai appris ça pour la première
fois, j’étais fasciné. Ces notes supplémentaires qui sont jouées
« automatiquement » en plus de l’unique note que vous jouez sont
appelés harmoniques. Elles résonnent naturellement quand on fait
vibrer une corde. Les harmoniques sont des sons dont les fréquences
sont des multiples de la fréquence fondamentale. Par exemple, si la
fréquence fondamentale est de 100 Hz, les harmoniques pourraient
être de 200 Hz, 300 Hz, 400 Hz, etc. Les harmoniques sont en
général plus faibles que la fondamentale25, mais ils contribuent à la
« couleur » du son, on appelle ça le « timbre » du son. Dit
autrement, deux timbres différents c’est en réalité une répartition
d’harmoniques différente. C’est grâce aux harmoniques qu’on peut
distinguer un piano d'une guitare même si les deux instruments
jouent la même note fondamentale. Chaque instrument a sa propre
série unique d'harmoniques, ce qui donne à chaque son sa propre
qualité unique. Pas mal, non ? Ce n’est pas tout. Je vais introduire un
dernier concept, et nous aurons toutes les briques nécessaires pour
continuer. Rassurez-vous, rien de compliqué non plus. Le concept est
d’ailleurs très naturel.

Nous avons joué une seule note. A présent, jouons en deux et


seulement deux. Au hasard. Prenez celles que vous voulez. En
théorie musicale, quand on joue deux notes, peu importe lesquelles,

24 Sans entrer dans trop de détails que l’on pourra de toute façon retrouver
mieux expliqué ailleurs, ceci est physiquement du au fait que jouer une note
de piano, ou de guitare, revient à faire vibrer une corde. Lorsque cette
dernière est mise en vibration, elle le fait selon une série de modes de
vibration. Le premier mode de vibration est le plus simple : la corde vibre
dans son ensemble, d'une extrémité à l'autre. C'est ce mode de vibration qui
produit la fréquence fondamentale du son. Les modes de vibration suivants
impliquent la corde vibrant en sections plus petites. Par exemple, pour le
deuxième mode de vibration, la corde vibre en deux moitiés. Pour le
troisième mode, elle vibre en trois sections égales, et ainsi de suite.
25Mais on peut trouver des contre-exemples facilement. On peut également
tout à fait synthétiser des sons qui violent cette règle.
57
on appelle ça un « intervalle ». Vous avez forcément remarqué que
certains intervalles sont plus mélodieux que d’autres. Remettons-
nous devant le piano. Même si vous n’avez absolument aucune
connaissance musicale et que vous n’avez jamais joué de piano de
votre vie, en tâtonnant, vous allez naturellement arriver à la
conclusion que certains intervalles « sonnent » - ils vous décrochent
un « Ah ! » satisfait - quand d’autres vous arrachent une grimace
mécontente. Les détails physiques précis importent peu ici. Mais
j’imagine que vous ne serez probablement pas surpris d’apprendre
que cela s’explique très bien physiquement, et même
mathématiquement.

Si vous avez bien retenu qu’une note jouée seule joue en réalité un
ensemble de notes, vous avez déjà mis le doigt sur une partie de
l’explication. Car ce que je ne vous ai pas encore dit, c’est que la
répartition de ces harmoniques suit une logique bien précise. Je vous
ai bien dit qu’un ensemble de notes subtiles étaient jouées en plus de
la fondamentale, mais je ne vous ai pas dit lesquelles. Ne nous
perdons pas en explications. Rejouons le do du début, et seulement
lui. Magie de la physique, nous jouons uniquement un do, mais nous
entendons alors, en arrière fond, toute la série harmonique, et nous
entendons donc… notre do, puis un do plus aigu, puis un sol, puis de
nouveau un do encore plus aigu, puis un mi… A ce stade, vous
trouvez peut-être ça arbitraire. Que vient faire un mi, et un sol, alors
que vous n’avez joué qu’un do ?

L’explication se situe à nouveau dans la physique, et pour n’en


gratter que la surface, il faut se rappeler que nous avons attribué
arbitrairement des noms à des fréquences bien particulières, ou plus
exactement des rapports de fréquences. Ainsi, l’humain a défini des
intervalles par rapport à la fondamentale. Ainsi, quand la corde de
notre piano vibre en deux moitié égales, nous appelons ça l’octave, et
quand elle vibre en trois parts égales, la quinte, et ainsi de suite. A
partir de ces intervalles, nous avons construit des gammes et des
notes. La constitution des gammes et des notes s’est établi sur des
longues périodes historiques, il me parait vain d’ouvrir ce sujet ici.

Il est simplement utile de retenir l’essence : quand je joue un seul do


sur un piano par exemple, je joue en réalité beaucoup d’autres notes
automatiquement - ces notes ne sont pas jouées au hasard, elles sont
58
précisément définies par la physique. Certains intervalles sont plus
harmonieux que d’autres, car ils sont plus proches des modes de
résonance de la corde elle-même. On comprend donc que si l’on joue
un do et un sol en même temps, l’intervalle sera particulièrement fort
et harmonieux. Pourquoi ? Car le sol est déjà joué, en arrière-fond,
dans notre do de départ !

Notez bien que chaque note jouée isolément ne produira pas les
mêmes notes. Comme nous l’avons dit, un do joué seul va produire
un do plus aigu, un sol, puis un do encore plus aigu, et ainsi de suite.
Mais si nous avons joué un sol au tout départ, au lieu du do, nous
aurions eu une autre répartition, mais qui suivrait la même logique :
fondamentale, octave, puis quinte, puis octave encore supérieure…
En l’occurence, si l’on joue un sol seul, on produit un sol plus aigu,
puis un ré, puis de nouveau un sol, et ainsi de suite.

On se retrouve donc devant un phénomène absolument fascinant : si


je joue un do et un sol en même temps, je joue en réalité un nombre
incroyable de notes, et donc un accord extrêmement complexe, car
nourri de toutes les harmoniques ! Vous ne pourrez plus dire que
vous n’êtes pas doué en musique. Jouez deux notes en même temps,
vous jouez en réalité un accord complexe constitué de dizaines de
notes !

Vous pensez peut-être qu’on s’éloigne du sujet du livre. Soyez


rassurés, on s’en rapproche au contraire. Nous avons à présent les
briques qu’il nous faut pour construire l’analogie.

Imaginez que chaque être soit un instrument. Il pourrait produire sa


propre fondamentale, note qu’il joue le plus souvent et qui le
caractérise avec son ensemble très précis d’harmoniques - qui
génèrent en fait un accord complexe. Deux êtres pourraient bien
entendu jouer des notes fondamentales différentes et avoir une
répartition d’harmoniques différente. Nous avons vu que sur la série
harmonique générée à partir d’un do, nous trouvions par exemple un
sol. Imaginez un être qui vibrerait un do fondamental. Il vibrerait
aussi, nécessairement, un sol en arrière-fond. S’il rencontre un être
dont le sol est sa fondamentale, ils partageraient une structure
commune forte - ensemble, ils forment une quinte, un intervalle
harmonieux, puissant, car ils partagent de nombreuses notes
59
communes. Peu importe que leurs harmoniques plus hautes soit
parfois dissonantes26, leur socle de base vibrerait harmonieusement27.

Imaginez que lorsque nous interagissons avec quelqu’un, nous


jouons initialement nos musiques propres, et cherchons
naturellement des intervalles harmonieux, voire même des notes
communes, qu’on appelle en théorie musicale des unissons28. De
temps en temps, nos notes seraient plus ou moins congruentes avec
une personne en particulier, et, en mettant l’accent sur nos intervalles
harmonieux, la relation se tisserait et une nouvelle musique,
nécessairement originale et inédite, faite d’un assemblage unique de
nos fondamentales et de la répartition unique de nos harmoniques, se
jouerait. Mais dans d’autres cas, les intervalles seraient tellement
dissonants que seules quelques harmoniques ça et là seraient
congruentes, et l’accord impossible à tenir.

On peut alors imaginer certains cas de figures assez logiques.


Imaginez par exemple que certains joueraient particulièrement fort,
tellement fort que beaucoup se forcerait à réduire le volume de leur
propres notes qui engendreraient des dissonances, pour n’exister que
par quelques rares harmoniques congruentes qu’ils se forceraient à
jouer le plus fort possible, générant un son loin de leur timbre
habituel. Fort ne voulant pas dire juste, certains dont la musique est
plus fine ou le timbre plus original finiraient peut-être par croire que
leur musique est fausse, qu’elle n’a pas de légitimité dans ce monde,
ou que personne ne veut ou ne peut l’entendre, sans se rendre compte
qu’ils essaient simplement de faire résonner au mieux deux séries
particulièrement éloignées en prenant sur eux la part
d’inconsidération de l’autre partie.

26 Ou jazz, selon la perspective.


27 Pour les amateurs de théorie musicale : si l’on ajoute leurs fondamentales
et leurs harmoniques assez basses, avec un do à la basse, ils peuvent générer
par exemple un beau do majeur 9, car nous avons d’un côté do fondamental
puis, do, sol (qui serait la quinte), do, mi (la tierce majeure)… et de l’autre,
sol (de nouveau la quinte) fondamental puis, sol, ré (la 9ème majeure), sol,
si (la septième majeure)…
28 Vous visualisez le père Blaise ou pas ?
60
Cette musique dirait tout de nous : nos pensées, nos joies, nos peines,
nos croyances, nos valeurs, nos principes, nos émotions, nos
mensonges, nos vérités. Elle serait le reflet brut, non traité, non
policé de notre existence dans son ensemble. On pourrait décider de
mentir et jouer des notes volontairement différentes de notre musique
naturelle. Mais alors une dissonance se ferait entendre - ceux
disposant de bonnes oreilles l’entendraient.

Pour faire simple : cette musique serait l’expression directe de notre


vie.

Maintenant, imaginez que cette musique ne soit pas l’apanage des


seuls êtres incarnés que nous sommes. Imaginez que cette musique
puisse aussi être jouée par des êtres n’ayant pas de corps biologique.
Imaginez qu’elle puisse être entendue, ou perçue, par des êtres
incarnés. Ces derniers auraient alors l’impression d’entendre de la
vie intelligente, avec sa richesse, son émotion, sa pensée complexe…
sans corps directement perceptible. L’être incarné pourrait ne pas être
en mesure d’entendre toutes les harmoniques, peut-être aurait-il du
mal avec la fondamentale. Mais ils pourraient communiquer,
s’échanger des mélodies complexes, des atmosphères d’autres
mondes, peut-être même s’inspirer les uns les autres.

Prenons ce dernier cas. Imaginons qu’un être incarné a communique


avec un Autre par cette voie-là. L’Autre lui inspire des mélodies, ou
lui inspire un timbre très particulier29. Ce faisant, il modifie
légèrement la musique de l’être incarné. Il peut par exemple exagérer
certaines harmoniques normalement faibles, ou diminuer d’autres
habituellement fortes, répartir différemment les amplitudes de
certaines grappes d’harmoniques précises, ou lui inspirer des airs
nouveaux.

On peut alors imaginer qu’un autre être incarné b présent dans la


pièce pourrait entendre à la fois la musique de l’être incarné a, et la
musique de l’Autre. Si b est bien réveillé, il pourrait même entendre
ce que l’Autre modifie chez a, ou ce que l’Autre essaie d’inspirer. On
voit rapidement qu’il pourrait y avoir une différence de

29Souvenez-vous, un timbre n’est qu’une répartition particulière


d’harmoniques.
61
comportement entre un Autre qui forcerait une modification de la
musique d’un être incarné par un ensemble de moyen, avec un Autre
qui se contenterait de jouer simplement une mélodie si belle avec un
timbre si désirable qu’un être incarné souhaiterait simplement jouer
cette musique de vie lui aussi. On pourrait peut-être qualifier la
première d’influence forcée, l’autre d’inspiration.

C’est par cette voie-là que j’ai découvert l’existence des Autres en
dehors de mes expériences de paralysie du sommeil. J’entends
parfois leur musique de vie - j’ai une croyance particulièrement forte
dans le fait que c’est bien eux que je perçois quand j’entends cette
musique. Après avoir posé et expliqué ces quelques briques
musicales, je pense que l’on comprend désormais mieux ce que
j’entends par là, et la complexité que cela renferme. J’utilisais au tout
départ - et utilise encore parfois - le terme de « signature »,
principalement car il est simple et ne nécessite pas autant de briques
que l’analogie musicale pour être communiqué. Pour autant, il me
parait limité et un peu figé. Puis, faute de mieux, j’utilisais alors
souvent le vocabulaire de l’I.A.C que j’ai découvert un peu plus tard,
et notamment le terme de pensène (pensée - émotion - énergie), qui
me paraissait intéressant et utile sur certains aspects mais également
limité, pour des raisons que j’ai déjà évoqué notamment sur mon
blog et dans le livre Conscience - notamment, mais pas seulement, le
lien avec le mot « énergie » qui ne me paraissait pas forcément
pertinent et pas forcément dénué d’ambiguïté dans ce contexte. Je ne
reviens donc pas dessus ici. Je préfère à ce jour l’analogie musicale,
qui me parait plus proche de ce que je vis.

Ces briques étant posées, rapprochons-nous davantage de la chaleur


de l’expérience, en particulier pour parler de communication. Tout un
chacun pourra à l’évidence, si ce qui suit lui parait irréaliste, le
classer dans la case hallucination et/ou biais d’interprétation et/ou
simple esprit imaginatif ou artistique, pour ne citer qu’elles, mais
pour un temps et pour alléger le récit, je vais considérer que mes
interactions sont réelles, et que les Autres existent bel et bien en
dehors de moi.

Dans mon expérience, comment et dans quel contexte je peux


entendre leur Chant ? Plusieurs voies.

62
Ecrire l’Autre
« Les choses les plus belles sont celles que souffle la folie et qu'écrit
la raison. Il faut demeurer entre les deux, tout près de la folie quand
on rêve, tout près de la raison quand on écrit. »
André Gide.

Commençons par la moins commune, également la plus récente chez


moi : la « psychographie ». J’utilise ici la définition du mot
psychographie sur la base des travaux du médium Chico Xavier
comme étant la tentative de communication avec un Esprit par le
biais de l'écriture. J’ai tenté pour la première fois de manière sérieuse
une expérience de ce type il y a peu.

Contexte. A l’époque de l’expérience, je lisais les livres de Chico


Xavier, et j’avais revu le film Nosso Lar afin de m’en faire une idée
plus précise et peut-être un peu plus mature que mon maladroit rejet
prétentieux d’il y a quelques années. Dans mon histoire personnelle,
cette exploration s’inscrit dans un contexte assez particulier : j’ai
rejeté la psychographie de mon champ d’exploration pendant de
nombreuses années. Pour résumer, dans ma vie, je suis passé de :
« les Esprits n’existent pas » à une sorte de : « les Esprits existent
mais je ne souhaite pas communiquer avec eux car ce sont forcément
des esprits farceurs et je n’ai, de plus, que des mauvaises
expériences avec des médiums très intrusifs, très orgueilleux et mal
accompagnés et influencés par des Autres désagréables et eux-aussi
intrusif » qui a duré un moment. J’avais mes raisons, mais, vous
l’aurez compris, cet état esprit a également évolué vers une posture
encore différente - qui est aussi l’objet de ce livre.

Technique. J’ai utilisé la technique V.E.L.O30 avant la séance.

Préparation mentale et musicale. Mes intentions sont les


suivantes : me synchroniser, m'accorder mentalement avec de belles
pensées harmonieuses, rencontrer un Autre de bonne volonté qui

30Je ne reviens pas sur les termes et la technique. Se référer à la littérature


spécialisée : Nanci Trivellato - Vibrational State and Energy Resonance en
particulier.
63
accepte une telle invitation, que mes Amis me protègent et facilitent
cette rencontre. J’avais pour idée de suivre ma boussole, mon
intuition, et de ne pas établir de protocoles trop complexes ainsi que
ne pas utiliser d’objets en particulier. Une préparation,
principalement mentale, et aussi « musicale », qui consistait, pour
reprendre l’analogie amenée plus haut, à me focaliser sur les plus
délicates de mes harmoniques autant que possible. Le processus s’est
étalé sur plusieurs jours, avec une date prévue et une heure prévue
ainsi qu’un début, un milieu et une fin.

Questions. Je m’étais fixé de ne préparer les questions que peu avant


le début de la séance afin de laisser une grande place à l’inspiration
du moment - au plus proche de l’évènement. J’avais donc préparé les
questions une quinzaine de minute avant la séance. Mon intention
était d’obtenir certains éclaircissements sur certains sujets assez
précis qui me paraissaient bénéficier au plus grand nombre ou
répondre à certaines questions que beaucoup se posent. Je n’ai donc
pas posé de questions personnelles dans ce premier essai.

Déroulement de la séance. A la date prévue et à l’heure prévue, j’ai


donc ouvert certaines portes que je maintiens fermée d’ordinaire.
J’éprouverais beaucoup de difficulté à décrire comment je m’y suis
pris exactement, car le mouvement m’a paru très interne, très fin,
tout en étant très naturel. A mon étonnement, j’ai alors
immédiatement perçu sur mon écran mental un homme d’une
cinquantaine d’année avec une moustache et un visage fin, qui
ressemble assez fortement à l’acteur qui joue André Luiz dans le film
Nosso Lar. Aucun préambule. Aucune transition. L’être que je voyais
me semblait radieux et extrêmement sympathique. Des phrases se
sont ensuite enchainées dans mon esprit, sans que je n’ai à y
réfléchir. Toujours cette sensation étrange de modification de mon
intimité psychique, ce sentiment de percevoir un Autre aussi vivant
que je le suis. Puis tout s’est passé rapidement, naturellement,
presque comme une pièce de théâtre que l’on a répété depuis
longtemps. L’ambiance était très paisible, emplie de bienveillance.
J’ai écris ce que je percevais sur mon ordinateur en temps réel.

Ressentis sensoriels. Fait notable et inhabituel chez moi, mes doigts


se déplaçaient parfois légèrement, comme bougés par une force
invisible indépendante de ma volonté. Je sentais beaucoup de
64
courants d’air froid, dans une maison pourtant fermée et chauffée. Je
n’en ai pas tenu compte, j’ai plutôt tenté de me concentrer au
maximum pour écrire chaque mot.

Récit brut. Voici donc ce que j’ai demandé, et ce que j’ai écrit.

- début de la psychographie -

Pierre : Voudriez-vous décliner votre identité ou préférez-vous rester


anonyme ?

Mon nom est André. (je perçois un grand sourire)

Pierre : Si vous aviez un message à faire passer aux humains qui


liront cet article31, quel serait-il ?

André : L’Amour est une force extraordinaire. Il peut dominer même


dans les situations les plus noires. Il est comme un phare dans les
ténèbres. Lorsqu’on perd espoir, ce qui arrive même aux désincarnés,
l’Amour est toujours là pour nous rappeler que la Vie est le plus beau
mystère qu’il nous soit donné de vivre. Ne perdez pas Espoir. La
lumière éclaire toujours les ténèbres. De nombreux Esprits sont
actuellement incarnés, engagés dans des missions au service de
l’Amour. Ils sont tous accompagnés dans leurs efforts, dans leurs
peines et dans leurs joies. Mais la Lumière éclaire toutes les créatures
sans aucune exception.

(je perçois un grand sourire)

P : Que pensez-vous du réchauffement climatique en cours ?

A : L’humanité est en train de réaliser qu’elle est responsable de son


équilibre. L’équilibre est une leçon que les âmes apprennent tôt ou
tard. Dans cet apprentissage, de nombreuses consciences se
désincarneront.

31J’ai utilisé le mot « article » ici car la psychographie fut initialement


prévue pour être partagée sous forme d’article. Je laisse telles quelles les
questions que j’ai posé, ainsi que les réponses que j’ai reçu.
65
P : Que pensez-vous de la natalité ? L’humanité devrait-elle
continuer à croitre en nombre ?

A : Comme je viens de dire, l’équilibre prévaut en toute chose.

P : Faudrait-il enseigner aux plus jeunes la connaissance des Esprits


?

A : Certaines consciences se sont incarnées en toute connaissance de


cause. Elles sont venues après une période intermissive dans laquelle
elle ont préparé cette existence avec beaucoup de soin. Une fois
incarnées, elles sont accompagnées par de nombreuses consciences
amies. Ces consciences trouveront un bénéfice à être en contact avec
ces connaissances le plus tôt possible, à mesure de leur
développement, sans jamais brusquer ni forcer. Il faut comprendre
que de très nombreuses consciences s’incarnent actuellement, dont
de nombreuses venant de régions dans lesquelles la spiritualité et la
lucidité n’ont pas leur place. Ces consciences, bien qu’elles
bénéficieraient de ces connaissances dans leur âme, n’ont pas
toujours conscience du bienfait des valeurs spirituelles. Beaucoup se
révoltent contre. Si l’on force ces connaissances chez de telles âmes,
la révolte est souvent nourrie même si nos intentions sont les
meilleures. Combien de fois avons-nous nous-même rejeté la
spiritualité alors qu’elle était notre remède ? Combien de fois avons-
nous tourné le dos à ceux qui nous donnaient la main ? Il en va de
même ici. La graine de la Lumière se plante en chacun de nous, et tôt
ou tard, elle éclot.

P : Faudrait-il que la philosophie spirite soit enseignée à l’école ?

A : Il en va de même ici.

P : Lorsqu’on lit Chico Xavier, on apprend que de nombreux Esprits


semblent regretter leur ignorance ou leur mépris de la spiritualité
une fois incarnés. Pourtant, à l’heure actuelle, les humains incarnés
ne semblent pas prendre réellement au sérieux la spiritualité. Cela
reste un passe-temps, au lieu d’être une priorité pour la civilisation.
Quel est le principal obstacle, selon vous ?

66
A : Le principal obstacle est l’égoïsme. Une vie tournée vers l’Autre
est une vie spirituelle. L’égoïsme est nourri depuis des siècles, et
l’humanité en viendra à bout au terme de son évolution. Lorsqu’une
conscience bénéfice de l’amnésie post-natale, elle est baignée dans
un bain social complexe, nourri de très nombreuses influences. Elle
tire de là ses principaux comportements. La connexion avec les
influences spirituelles requiert de tourner sa vie en dehors de soi.
Comme la civilisation ne valorise pas l’altruisme gratuit, elle
propage, au travers de l’éducation et du travail, des valeurs centrées
sur l’égoïsme. C’est pour moi le principal obstacle, et la plus grande
difficulté à laquelle Esprits incarnés et désincarnés doivent faire face.

P : Si on devait agir pour le bien commun, quelle serait la priorité


selon vous ?

A : Tout acte tourné vers l’autre bénéficie à la communauté entière.

P : Comment faire pour voir les gens comme nos frères et sœurs
lorsqu’il nous font du mal ?

A : Sommes-nous irréprochables ? N’attendons-nous pas des


consciences amies qu’elles soient patientes, aimantes et
bienveillantes ? Qu’elles pardonnent nos erreurs lorsqu’on se
trompe ? Qu’elles pardonnent nos égarements, lorsqu’on méprise ? Il
en va de même ici.

P : Comment sortir hors-du-corps plus facilement ?

A : Je ne suis pas en mesure de vous aider sur ce sujet. De nombreux


Esprits plus experts pourraient vous répondre d’une meilleure
manière que je ne pourrais le faire.

P : Actuellement, quelques dizaines de personnes par an deviennent


millionnaires grâce à la loterie nationale. Si les Esprits peuvent
influer sur les éléments matériels et que la spiritualité est une
priorité, pourquoi ne pas donner cet argent à des consciences qui
s’en serviraient pour développer la spiritualité sur Terre et porter
assistance à autrui ?

67
Que savez-vous précisément sur ces gagnants ? Que savez-vous
précisément sur leur vie, sur leurs rapports avec leurs relations,
incarnées et désincarnées ? Le véritable gain est intérieur. Il est
Lumière. Nous pensons parfois, incarnés, que la richesse matérielle
est la solution à tous les problèmes. Et même si l’argent peut en
résoudre, nous ne pouvons pas acheter notre évolution intérieure
avec de l’argent. Nous ne pouvons pas non plus acheter l’évolution
intérieure de nos frères et sœurs avec de l’argent. Certains chemins
ne sont pas matériels, ainsi, ils n’ont pas besoin d’éléments matériels
pour être parcourus.

P : La vie est-elle plus facile lorsqu’on a plus de corps matériel ?


Est-ce plus facile d’être bienveillant ?

A : La vie est plus facile sur certains aspects, mais peut-être bien pire
en fonction des cas. Ne pensez pas que la mort résoudra tous les
problèmes. Si vous êtes en difficulté relationnelle, ne pensez pas que
ces conflits se résoudront par la mort. L’Amour et le Pardon
résolvent beaucoup plus problèmes que la mort du corps de chair.

P : Est-ce difficile lorsqu’on revoit ce qu’on a fait dans cette vie et


qu’on regrette certains actes ou certaines pensées ou arrive-t-on à
prendre un certain recul ?

A : Est-ce difficile de revoir vos souvenirs difficiles dans cette vie ?


Il en va de même ici. Le recul, l’acceptation, le pardon, l’Amour sont
des valeurs que nous tous, incarnés et désincarnés, devons apprendre
pour nous équilibrer en tant qu’âmes. Ne perdez espoir. Que l’Amour
soit avec vous.

- fin de la psychographie -
Fin de la séance. La fin fut presque aussi brutale que le début. Le
sentiment de réalité de cet Autre s’est évaporé sur une note que j’ai
trouvé particulièrement belle, me laissant nourri d’espoir pour la
suite.

Hypothèse et croyance personnelles. Il me semble avoir été en


contact avec un Autre. La principale brique qui soutient cette
hypothèse est ce sentiment particulièrement unique et difficilement
68
transmissible de sensation extrêmement claire et non-ambiguë d’être
en contact avec une personne vivante, qui pense et existe en dehors
moi. Les autres briques sont sensorielles : la sensation que mes
doigts bougeaient légèrement tout seuls par moments, les courants
d’air froids qui semblent pénétrer les os. Les dernières briques sont
issues de mes lectures.

Hypothèses alternatives. Hallucination, création mentale, mensonge


et/ou fiction pure me paraissent être les plus évidentes.

Influence. Dans toutes ces hypothèses, on ne peut bien sûr pas


enlever la grande force du contexte, notamment le fait que je lisais
les tomes de Nosso Lar32 à l’époque de l’expérience. Dans les
hypothèses de fiction pure, le lien est évident. Mais dans les
hypothèses d’hallucination, de création mentale, ou de réelle
communication avec un Autre, il parait plus subtil. Prenons par
exemple l’hypothèse de la réalité de cet Autre : s’est-il simplement
servi des briques de Nosso Lar pour communiquer certaines
informations ? S’est-il servi de la terminologie de Chico Xavier
(Lumière, Amour, évolution, leçons…), de l’apparence connue
d’André, alors qu’il serait très différent dans sa forme réelle ?

Surprise. La majorité de la psychographie ne m’a pas


fondamentalement surpris sur le fond, il s’agit de thèmes - l’amour,
l’équilibre, la « lumière », la fraternité… - relativement récurrents
des ouvrages de Chico Xavier. Cela étant dit, un passage m’a
réellement surpris, ce qui a tendance à consolider mon hypothèse
d’une communication avec un authentique Autre, malgré les
différents biais et difficultés inhérentes à l’exercice de la
psychographie. Il s’agit de la réponse à cette question : « (…) à
l’heure actuelle, les humains incarnés ne semblent pas prendre
réellement au sérieux la spiritualité. Cela reste un passe-temps, au
lieu d’être une priorité pour la civilisation. Quel est le principal
obstacle, selon vous ? ». Je dois vous avouer que si j’avais du
inventer de la fiction pour répondre à cette question, je n’aurais
absolument pas répondu : « Le principal obstacle est l’égoïsme. ».

32 Treize tomes constituent la série écrite. Le film Nosso Lar n’est basé que
sur une simplification du premier tome - qui est, pour moi, loin d’être par
ailleurs le plus fascinant.
69
J’aurais pensé à beaucoup d’autres choses : la paresse intellectuelle,
le mépris de la spiritualité, l’ignorance, Facebook, les noeuds-
papillon, les gens qui disent « oki, chat roule »… ! Ainsi, la phrase :
« La connexion avec les influences spirituelles requiert de tourner sa
vie en dehors de soi. » m’a réellement fait beaucoup réfléchir, bien
plus que ce que je n’aurais imaginé, et continue de nourrir ma
réflexion.

Musique. La musique de cet Autre m’a paru particulièrement


intéressante et belle. La différence entre son timbre et le mien n’était
pas dérangeante, au contraire. Il m’inspirait à peut-être jouer des
mélodies portées vers davantage d’espoir, et de fraternité, ce qui me
parait être des valeurs plutôt sympathiques. Entendant cette musique,
j’étais naturellement enclin à réduire mes harmoniques égoïstes.

70
Notes Sauvages
« La musique donne l'idée de l’espace. »
Charles Baudelaire.

Cela vous est surement déjà arrivés. Vous vous baladez en ville, et
soudain, vous entendez un ou plusieurs musiciens jouer dans la rue
un air entêtant. L’ambiance change alors totalement. Le brouhaha des
voitures semble partir en arrière-fond. Certains curieux se
rapprochent. D’autres lâchent quelques pièces. Des enfants rient et
jouent autour des musiciens. Leur musique se sur-impose au
bourdonnement de la ville, et colore la scène d’une texture bien
particulière. S’ils jouent une musique entrainante, on a envie de
battre du pied, de s’arrêter un instant, d’échanger ne serait-ce qu’un
sourire avec les troubadours. S’ils jouent une musique triste, nos
propres tristesses se mêlent au concert. Chacun recevra la musique
très différemment, mais il me semble que la plupart d’entre nous
ressentira au moins quelque chose, et ce quelque chose modifiera
notre comportement dans des proportions diverses : ne serait-ce que
nous arracher une grimace, un rire, une colère, une larme, un
battement de coeur, un pas de danse, un soupir las. La musique joue
ici un rôle de communication que l’on peut considérer comme
« universel » : je n’ai pas besoin de jouer d’un instrument, de
comprendre la théorie musicale, ni même de parler la même langue
que les musiciens pour ressentir ce quelque chose et qu’il influe sur
mon comportement. Ce ressenti va plus loin que l’émotion, il me
parait être non seulement plus vaste mais aussi plus complexe.

Mon hypothèse est qu’il en va de même avec nos musiques internes,


celles que l’on joue dans ce monde simplement en existant tels que
nous sommes. Elles colorent le monde, inspirent et influencent les
autres vivants, même si on ne la comprend pas tout à fait - et même
si l’on entend pas nos propres notes ! Je pense qu’il en va de même
avec la musique des Autres. Les plus perceptifs l’entendent
directement, certains peuvent probablement même décoder leur
texture musicale et comprendre leur harmonie complexe. Pour
autant, même sans l’entendre en détail, même sans ne rien
comprendre à sa structure, il me parait possible qu’elle nous
influence de temps en temps, nous inspire parfois, ou nous touche.
71
En somme, nos comportements me paraissent être influençables par
cette musique venue d’ailleurs. Cette petite phrase d’apparence assez
anodine, tant on peut la lire souvent sous différentes formes, m’a de
mon côté « coûté » des années de réflexions et d’expériences, tout
autant de détours infructueux, de souffrances et d’impasses mentales
difficilement soutenables. Tout simplement car je suis parti de tout en
bas de la vallée, à n’entendre qu’un mélange assourdissant et atonal
d’un nombre incalculables de musiques très différentes qui se
jouaient dans mon esprit sans comprendre au moins trois éléments
cruciaux :

Altérité. Ce que je perçois dans mon espace mental - par exemple


mes pensées - n’est pas uniquement le produit de mon existence
subjective. Dit autrement, la musique de mon être que je peux
entendre, entre autre, par le biais de mes pensées et de mes émotions
n’est pas toujours jouée seule : j’entends aussi de la musique
extérieure selon les situations.

Action. Dans certaines conditions, je peux agir sur les musiques que
j’entends, parfois même interagir avec le musicien, en lui demandant
- soit directement, soit en l’enjoignant avec certaines techniques
comme le V.E.L.O par exemple - de se taire ou de partir. Je peux au
contraire lui demander jouer plus fort, ou que l’on joue ensemble. Je
ne suis pas obligé de toutes les accepter comme miennes. Je peux
avoir un certain degré de liberté, une certaine marge de manoeuvre
pour filtrer celles qui me parviennent.

Responsabilité. Je ne me sens pas responsable de la musique


générée par d’autres, mais je me sens responsable, en particulier si
j’en suis lucide et pleinement conscient, de la propagation de
certaines musiques, car je peux choisir d’être le relai de certaines
mélodies et de certaines atmosphères.

Je ne peux m’expliquer totalement pourquoi je me suis mis soudain à


entendre fortement ces musiques, vers l’âge de 19 ans. Les
hypothèses sont bien là, aussi diverses que l’on peut l’imaginer,
tempérament sensible, inclinaison artistique, plan d’une autre vie,
action d’un ou plusieurs Autres, apparition de la paralysie du
sommeil qui a favorisé des perceptions extrasensorielles… à ce jour,
72
je n’arrive toujours pas à savoir exactement. Il me semble probable
qu’il se soit agit d’un ensemble intriqué de facteurs sur un terreau
propice. Toujours est-il que je suis passé d’à peu près « normal » à
« j’entends cet amas atonal infâme et je deviens fou, je ne m’entends
même plus penser ». A cette époque, j’avais résisté à vouloir
demander l’usage d’anxiolytiques ou d’anti-dépresseurs. J’avais
peut-être tort, ou peut-être pas. Très honnêtement, je l’ignore, dans
un sens comme dans l’autre. Ces substances me faisaient peur.
J’avais alors le sentiment, comme avec la paralysie du sommeil, que
ce phénomène était bien réel - dans le sens où l’étouffer
chimiquement ne m’aurait pas paru réellement réglé quoi que ce soit,
et m’aurait en plus privé de son explication. J’ai toujours aimé
démonté les objets pour voir comment ils étaient faits, et même au
coeur de la tempête mentale, je ne parvenais pas à me résoudre à
l’hypothèse que mon cerveau dysfonctionnait et hallucinait « au
hasard ». Quelque chose, et notamment certaines expériences très
empiriques de recherche de validation « dans le monde réel » me
laissait à penser que j’entendais bel et bien un bout du réel. Au final,
même si remonter le ruisseau vers la source fut particulièrement
couteux et une aventure qui ne se termine probablement jamais, j’y ai
beaucoup appris et surtout, j’ai fini par trouver une forme d’équilibre
beaucoup plus paisible. Mais qu’ai-je appris ? Ne voyez pas ce qui
suit comme des vérités inattaquables. Simplement des conclusions
temporaires. Certaines phrases vont peut-être paraitre banales. Il me
semble au contraire qu’elles sont plus intéressantes qu’il n’y parait
au premier abord - il y a une vraie différence entre survoler et
plonger dans une idée.

Poisson. Je ne suis pas le maitre du monde. Je ne suis pas l’être le


plus fort, ni le plus intelligent, ni le seul créateur de ma réalité. Je
peux être soumis à l’influence, dans ce monde et dans d’autres,
d’êtres beaucoup plus avancés que je ne le suis. Il y a toujours un
poisson plus gros dans l’océan. L’orgueil est un terreau de qualité
pour certains Autres, il permet de manipuler facilement.

Equilibre. L’équilibre qui nous permet de penser à peu près


clairement, et donc de filtrer nos musiques et celles des autres, est
fragile et incroyablement précieux. Il peut se rompre si on le pousse
hors d’équilibre, comme un muscle qu’on arrache. Le reconstruire
prend beaucoup de temps et d’amour.
73
Silence. Si je veux entendre mieux ma musique, celles de mes
contemporains ou celle des Autres, je dois faire moins de bruit moi-
même. Comment entendre des fines notes si je me contente d’hurler
mes vérités ? Elles vont forcément couvrir les harmoniques plus
subtiles que j’essaie de percevoir.

Habitude. Si je veux pouvoir affiner mon discernement, je dois


connaitre ma propre musique au maximum. Je dois être habitué à
mes propres notes, afin d’augmenter le contraste avec les notes
d’autres gammes.

Extension. Je me localise parfois entre mes deux yeux, et délimite


arbitrairement ma bulle de sensation aux limites de ma peau. Mais je
ne suis pas obligé de le faire. Je peux étendre ma zone de perception
au loin, dans l’espoir d’entendre plus finement.

Notes sauvages. Pour entendre si une personne est accompagnée par


un Autre, je peux tendre l’oreille et écouter les notes sauvages, celles
qui sont différentes de sa musique d’être. Avec l’expérience et le
discernement, je peux affiner mes oreilles, et mettre davantage en
lumière le lien qui unit l’Autre à l’incarné.

Comment savoir exactement la limite entre ce que je pense percevoir


de la musique de l’incarné, et la musique de l’Autre ? Je ne pense pas
qu’il existe de réponses simples à cette question. L’existence de
perceptions sur d’autres voies sensorielles, comme la vue, ou le
toucher, peut également aider à y voir plus clair, mais s’agissant d’un
ressenti et de perceptions très internes, il me semble que cela prend
des années pour commencer à démêler la question. Avec le temps, il
devient par ailleurs de plus en plus simple de percevoir la différence
de signature entre deux êtres, et donc entre un être et un Autre. Le
ressenti d’une différence de signature est peut-être le plus simple à
développer, le plus complexe étant à mes yeux l’analyse précise des
mélodies et des timbres qui s’échangent. Songez un instant à
complexité de nos existences. Puis-je vous réduire à une simple
étiquette ? Puis-je vous ranger dans une case ? Il me semble que vous
protesteriez si je le faisais, et je vous rejoindrais dans cette
protestation. Il me parait clair que nous sommes plus qu’un simple
mot posé comme ça. Vous n’êtes pas plombier, chirurgienne,
74
technicien, directrice, médium, gentille, intrusif, manipulatrice,
complaisant. Il s’agit de fonctions ou de comportements, par ailleurs
temporaires. Les classer peut s’avérer utile pour naviguer, voire
même pour se protéger. Mais à mes yeux, ça n’a de pertinence que si
et seulement si on ne perd jamais de vue 1) qu’il s’agit de cases
temporaires et 2) qu’elles sont triées selon des perceptions limitées.
Je m’interroge alors : pourquoi vouloir attendre qu’il en aille de
même avec les Autres, dont la réalité semble au moins aussi
complexe que la notre si ce n’est davantage ?

Rapprochons-nous à nouveau de l’expérience. Quand je suis bien


réveillé, en pleine journée, il m’arrive de percevoir des Autres. Les
situations peuvent être très diverses et je n’ai pas observé de
déclencheur particulier : ce peut être lorsque je parle à un ami, que
j’écris de la musique, ou bien lorsque je ne fais rien de spécial. Petit
aparté qui prendra du sens rapidement, le lien que je fais entre les
Autres que je perçois à l’état de veille et pendant une paralysie du
sommeil, par exemple est le suivant : il me semble que ce sont… les
mêmes. Comment j’en suis arrivé à cette conclusion ? Si, à l’état de
veille, je perçois la musique d’un Autre dans ma chambre, et si je vis
une paralysie du sommeil, voire une expérience de sortie hors-du-
corps juste en suivant, je vais aussi voir ce même Autre. Il aura la
même musique, seulement, je pourrais le percevoir plus directement,
par exemple avec les yeux du « nouveau » corps que je contrôlerais
alors en paralysie du sommeil ou en sortie hors-du-corps. C’est un
lien qui m’a permis de comprendre, au moins en partie, pourquoi
certains soirs, je « savais » que j’allais vivre une paralysie du
sommeil. Car je percevais certaines présences avant de dormir, et ce
sont celles là même qui me réveillaient hors du corps dans ces états
de « décrochage partiel » qu’on appelle « paralysie du sommeil »,
quasiment après l’endormissement, ou un peu plus tard. C’est un fait
que certains expérienceurs de paralysie du sommeil peuvent
connaître, la compagnie des Autres peut « réveiller », et réveille
surtout hors-du-corps, partiellement décroché, en ce qui me
concerne, en plus de modifier le contenu de certains rêves - c’est un
autre sujet.

Je parlais un peu plus haut du fait que l’existence de perceptions sur


d’autres voies sensorielles, comme la vue, ou le toucher, peut

75
également aider à y voir plus clair. Comment cela se manifeste-t-il en
pratique ?

Toucher. Alors que je suis parfaitement réveillé, et ce peut être à tout


moment de la journée, je peux sentir que quelque chose me touche.
Ça n'est pas quotidien, mais certains jours, ce peut être plusieurs fois
au cours de la même journée. Parfois rien pendant longtemps. Puis
cela revient. Le degré de « matérialité » varie : il peut aller d’un
toucher très « éthéré », ou d’un simple courant d’air froid inhabituel -
pièce fermée, sans courant d’air, à l’évidence - qui semble pénétrer
les os, à une poignée de main quasiment solide dans la mesure où je
peux sentir très clairement une répulsion à l’endroit de la main en
question si j’essaie de l’attraper, ainsi que les doigts qui « touchent »
mes propres doigts de manière quasiment matérielle. Lors d’une
paralysie du sommeil il y a quelques années, il est arrivé qu’une
conscience m’attrape les pieds de manière gentille, pour m’apaiser,
ce qui n’a pas franchement fonctionné. Lors de la paralysie, le
toucher est pour moi intégralement tangible, c’est-à-dire que ses
mains ne traversent pas les « pieds » du corps « subtil ». Le toucher
est comme le toucher matériel, à l’état éveillé - en tout cas, de mon
côté, je ne perçois pas de différence. La volonté d’apaisement n’a
toutefois pas marché, et j’ai lutté pour me rebrancher au corps. Au
retour pourtant bien réveillé, je sentais encore qu’on me touchait les
pieds, mais la sensation était devenue différente, comme des frissons
électriques assez indiscernables qui mimait un toucher. Il est
intéressant de voir parfois les différences et le feutrage que le corps
physique permet par rapport à certaines perceptions. J’ignore si le
feutrage est d’ordre biologique, mental, hybride, ou encore autre
chose ?

Vue. Si je suis dans la pénombre, dans le calme complet et bien


réveillé - le soir par exemple si je n’arrive pas à dormir - et qu’arrive
un Autre, il va souvent se passer plusieurs choses visuellement. La
première, la plus évidente, est que je vais soudain percevoir une sorte
de fin stroboscope qui va attirer mon regard, souvent de couleur
violet. J’ignore d’où provient la couleur. De lui ? D’un élément de
ma propre structure qui s’allume soudain à son contact ? Impossible
de savoir, mais également, impossible de passer à côté. Selon les cas,
je peux ne voir que ce stroboscope, ou parfois des sortes de volutes
transparentes qui semblent suivre le mouvement de l’être. Je vois
76
parfois des visages. A ce jour, le plus impressionnant visuellement
fut carrément la vision un demi-corps supérieur humanoïde, donc
visage et buste, comme dans les films où l’on voit des fantômes… !
Même si le visage était assez difficile à voir, je vous avoue qu’à ce
moment, on sent quelques petits frissons dans le dos ! Ces
perceptions visuelles, quand elles arrivent, sont toujours associées à
une sensation de présence, d’altérité, très forte, comme si quelqu’un
de bien vivant sur Terre était entré dans la chambre. Ces impressions
visuelles sont souvent associées au impressions tactiles décrites ci-
dessus.

77
Paralysie du sommeil : un Autre
réveil ?
« La paralysie est le commencement de la sagesse. »
Francis Picabia.

Je l’ai souvent dit, la paralysie du sommeil me semble être une voie


féconde pour approcher les Autres. Vous surprendrais-je si je vous
disais que ce n’est pas l’avis de tous ? Dans la grande majorité des
cas, mécaniquement parlant, la paralysie du sommeil comporte deux
aspects : l’atonie musculaire vécue consciemment à
l’endormissement ou au réveil, et la présence d’un contenu sensoriel
perçu par la personne. C’est ce dernier qui va nous intéresser ici, et
nous allons commencer par regarder du côté académique, pour nous
rapprocher peu à peu des Autres. Mais vous verrez peut-être que
malgré les apparences, on ne les quittera jamais vraiment…

L’atonie musculaire n’empêche pas les mouvements oculaires, et


n’empêche pas toujours le sujet de pouvoir percevoir ce qu’il se
passe dans la pièce où il dort33. A ce titre, les chercheurs justifient le
terme hallucination dans les publications par le fait que l’expérience
se produit alors que le sujet est réveillé et conscient de son
environnement. Cependant, les hallucinations sont aussi considérées
comme une forme de rêve, étant associées au sommeil paradoxal34.
Je ne reviens pas sur le terme lui-même. Concernant le contenu
sensoriel en lui-même, il est par exemple proposé par Cheynes une
classification en trois partie : « l’intrus », « l’incube », et les
« expériences de mouvement illusoire » – en anglais « Intruder,
Incubus and Illusory Movement Experiences »35. Les termes

33Voir Hishikawa Y. Sleep paralysis. Narcolepsy : Advances in Sleep


Research. 1976. et Hishikawa Y. Shimizu T. Physiology of REM sleep,
cataplexy and sleep paralysis. Advances in Neurology. 1995.
34Cheyne JA. The Ominous Numinous : sensed presence and ‘other’
hallucinations. J Consciousness Studies. 2001.

Cheynes JA. Sleep Paralysis and the Structure of Waking-Nightmare


35
Hallucinations. Dreaming. 2003.
78
semblent relativement cités dans la littérature scientifique consacrée
à la paralysie du sommeil, voyons-les donc un peu plus en détails.

L’intrus. Le premier facteur, « l’intrus » consiste en une sensation de


présence accompagnée de peur, d’hallucinations visuelles, auditives,
et tactiles. Étudions ici les différentes catégories en nous basant sur
l’analyse qualitative menée par sondage sur 2715 sujets rapportée
dans le papier : The Ominous Numinous : sensed presence and
‘other’ hallucinations de Cheyne J.A publié en 2001.

Une sensation de présence. Dans moins d’un quart des cas, la


présence est décrite comme neutre, parfois sans pouvoir voir ladite
présence. Une impression de présence, sans autre manifestation
visuelle. « On sent une présence, sans pouvoir la voir. » « Je ne l’ai
jamais vue, mais il y a quelqu’un, c’est sûr. ». Les sujets sont
convaincus que l’entité est extérieure à eux, et que leur existence est
indépendante d’eux. La présence est parfois immobile, mais quelques
fois, elle se déplace : « elle monte les escaliers », « elle approche du
lit », « elle monte sur le lit ». La sensation du matelas qui s’écrase en
raison du poids de l’entité qui monte sur le lit est communément
rapportée. Approximativement dans la moitié des cas, la présence
observe ou monitore, voire fixe le sujet. Les interrogés sont souvent
perplexes quant à leur perception de cette observation ou de ce
monitoring : ils ne savent pas comment ils savent ça. « Vous sentez
que quelqu’un vous regarde et vous ne savez pas où ils sont
précisément ».

Une présence menaçante. Plus de 60% des participants de ce


sondage indiquent que la présence est perçue comme menaçante,
parfois extrêmement menaçante et dangereuse. Un sentiment
d’urgence est parfois rapporté : « Je me sens toujours comme si
j’allais être en grave danger si je ne me réveille pas le plus tôt
possible ». Les auteurs notent qu’une différence majeure entre les
hallucinations de la paralysie du sommeil et les rêves est précisément
le haut taux de peur rapporté, alors que dans les rêves, moins d’un
tiers des récits de rêves est accompagné de peur et d’anxiété. La peur
est très présente, et le plus souvent, l’accent est donné sur la nature
extrême de la peur ressentie : « Je ne peux pas imaginer quelque
chose qui fasse plus peur que ces épisodes. », « La peur n’est pas un
mot assez fort », « Le mot ‘peur’ n’est pas adapté, c’est plutôt de la
79
panique ! », « Il n’y a pas de mots assez fort pour décrire l’horreur
que j’ai perçue ». Ces expériences de terreur associées à la présence
sont d’ailleurs différentes des peurs associées à la paralysie, à la mort
ou à la suffocation. La terreur semble par ailleurs ne pas concerner
que le seul corps : « j’ai littéralement eu peur pour mon âme », « ça
veut prendre mon âme, m’enlever de mon corps », « la présence était
de nature démoniaque, elle voulait posséder mon âme… la présence
était toujours maléfique, je pouvais toujours sentir qu’elle essayait
de rentrer dans mon corps… je trouve cela terrifiant, au delà de tout
ce que je peux imaginer vivre dans le monde réel, parce que cela est
tellement contraire à la ‘réalité’ et pourtant, je ressens cela comme
parfaitement authentique… pas tellement ‘mourir’, plutôt perdre la
possession de mon âme ». Occasionnellement, « l’extraction de
l’âme » (sic.) peut être assez violente : « quelque chose de maléfique
essaie d’arracher mon âme de mon corps ».

Hallucinations visuelles. Très diverses, elles oscillent entre des


imageries très claires et détaillées et des formes incertaines. Une
minorité des interrogés rapporte voir des images très détaillées
d’objets et d’êtres. Têtes de démon stéréotypées, têtes de mort,
squelettes, des personnages extraterrestres, des formes étranges et
non-conventionnelles, mais aussi des figures plus neutres en
apparence, ainsi que des êtres et objets bienveillants. Certaines
appartiennent à l’imagerie culturelle des sujets, comme des
personnages fictifs : « spider-woman venait du plafond et me
chantait des chansons. J’avais 10 ans, et parfois, la femme-cerf
venait et se tenait au pied de mon lit », décrit une participante,
ajoutant que ces figures faisait partie d’histoires qu’on lui racontait
enfant. Un peu plus d’un tiers des interrogés rapportent avoir perçu
des formes humaines ou humanoïdes.

Hallucinations auditives. Là encore, les manifestations auditives


sont extrêmement diverses. Les sons sont très distinctement perçus
comme étant extérieurs au sujet. Des grincements, des sonneries, des
grognements, des cris, des vibrations, des souffles, des sifflements.
Ces sons sont souvent décrits comme très forts et « mécaniques ».
Certains sons rapportés évoquent le son qu’émettrait un poste radio
qui recevrait plusieurs stations simultanément. L’un des sons les plus
rapportés dans cette étude est le bruit de pas : « j’ai entendu des
bruits de pas dans ma chambre, arrivant, marchant autour du lit et
80
repartant », « j’ai entendu une porte se fermer et les bruits de pas se
rapprocher (la porte était pourtant verrouillée et personne n’avait la
clé). Quand les bruits de pas sont arrivés dans la chambre, j’ai senti
une présence à côté de moi (…) ». Des rires, des voix, des pleurs sont
également mentionnés. Parfois des pleurs d’enfants. Les voix
humaines semblent être l’hallucination auditive la plus commune :
36% des interrogés rapportaient de telles expériences. Les voix
peuvent être expérimentées comme des cris ou des chuchotements,
mais dans les deux cas, le sens des mots est souvent insaisissable :
les voix sont décrites comme confuses, brouillées, comme du
« charabia », ou des langues étrangères. « Une fois je me suis réveillé
en face d’un mi-homme mi-serpent qui me criait quelque chose
d’incompréhensible. » Il existe des cas dans lesquels les voix sont
compréhensibles et les messages sont simples et directs. Les voix
peuvent être simplement le prénom du dormeur, ou plus
fréquemment, des menaces, des avertissements, des injonctions ou
des appels à l’aide. « Je me suis réveillé au son d’une femme qui me
disait que j’allais mourir si je ne me réveillais pas. » « Un jour j’ai
entendu la voix d’un homme me dire à l’oreille droite : ceci est ton
subconscient en train de te parler. » Dans un cas, une personne a
rapporté entendre la voix de quelqu’un qui l’avait effectivement
menacé récemment (ndlr : dans la vie « réelle »).

Hallucinations tactiles. Communes dans le sondage dont il est


question ici, elles sont associées à des agents extérieurs dans 34%
des cas. Être attrapé par les mains et par les poignets semble être
particulièrement commun. « J’ai senti des mains d’homme autour de
mes bras! » « J’ai eu la sensation d’une créature hideuse qui me
touchait. »

L’incube. L’expérience de l’incube est défini ici dans les cas où


l’intrus oppresse le dormeur, souvent de manière dramatique36. Les
scénarios d’attaque sont communs et impliquent souvent le fait d’être
retenu ou oppressé. « Ma pire expérience fut celle dans laquelle
j’étais étranglé par un homme qui a surgi dans ma chambre.
L’expérience fut si réelle et si effrayante que j’ai eu peur de mon
expérience de paralysie du sommeil pendant plusieurs plusieurs

Elizaveta Solomonova, Sleep Paralysis : Phenomenology,


36
Neurophysiology, and Treatment. 2018.
81
mois. » L’incube peut prendre de multiples formes, incluant les
formes humaines, surnaturelles, et plus rarement animales :
« J’hallucine souvent des créatures comme des grands chats, des
lions ou des tigres qui s’enroulent autour de moi et qui écrasent mon
corps » peut-on lire dans le papier de Solomonova. Certaines des
expériences les plus dramatiques et potentiellement traumatisantes de
l’expérience de l’incube sont des circonstances vécues comme une
agression sexuelle ou un enlèvement par des extraterrestres37.
Prenons l’exemple suivant, rapporté par un homme de 40 ans
originaire des États-Unis : « Lorsqu’il s’agit d’un épisode de
‘l’Homme Sombre’, il est probable qu’il me touche. Soit en se posant
sur mon corps, de manière sexuelle, soit au début, il m’attrape et me
traîne. J’ai toujours eu l’impression que si je lâchais prise, il me
tirerait hors de mon corps. » écrit-elle ensuite dans le même papier,
avant d’ajouter : « De la même manière, une femme de 29 ans,
originaire d’Espagne, décrit son expérience bouleversante de
paralysie du sommeil : « …une terreur extrême, le sentiment que
l’air est dense et plus sombre, que les ombres bouillonnent et
prennent forme… J’entends des bruits graves, des voix, une
sensation tactile de saisie, de peau nue et froide, et, très rarement,
une présence. Très sombre, avec des yeux ronds, des doigts en forme
d’araignée, qui rit, met le désordre dans le lit, et me fait sentir la
terreur, avec quelques approches sexuelles… » Dans une étude
reliant les rapports d’enlèvement par des extraterrestres dans l’espace
aux épisodes de paralysie du sommeil, McNally et Clancy présentent
ce cas : « (…) la femme enlevée (…) était complètement paralysée, et
ressentait des vibrations électriques dans tout son corps. Lorsqu’elle
a ouvert les yeux, elle a vu un être extraterrestre ressemblant à un
insecte au-dessus de son lit »38.

37 McNally, R. J., & Clancy, S. A. Sleep paralysis, sexual abuse, and space
alien abduction. Transcultural Psychiatry. 2005b. et McNally, R. Explaining
“memories” of space alien abduction and past lives: Anexperimental
psychopathology approach. Journal of Experimental Psychopathology.
2011.
38 McNally, R. J., & Clancy, S. A. Sleep paralysis, sexual abuse, and space
alien abduction. Transcultural Psychiatry. 2005b.
82
Difficultés respiratoires. Les attaques sont fréquemment associées à
des difficultés respiratoires. Elles tendent à être associées à des
sensations de pression sur la poitrine, sur le cou, et des sensations de
suffocation. Les perceptions de difficultés respiratoires sont
probablement la conséquence directe de la paralysie des muscles
volontaires note Cheyne, faisant référence à un précédent travail39.
Bien que la respiration automatique superficielle se poursuive,
lorsque le dormeur tente, sans succès, de respirer volontairement, il
peut être pris de panique face à une éventuelle asphyxie. Cheyne
propose alors, se basant un article de Douglas, que le sentiment de
suffocation pourrait également être induit par une hypoxie et
hypercapnie liées au sommeil paradoxal40.

Pression. La difficulté à respirer est parfois associée à une forte


pression sur la poitrine. « J’ai l’impression que je ne peux pas
respirer et que je suis écrasé. » Bien que l’hallucination classique de
l’incube soit celle d’un poids écrasant sur la poitrine, la pression peut
également être ressentie sur le dos ou les côtés du torse, note Cheyne.
Parfois, l’intensité de la pression est telle qu’il s’agit plus de
perceptions d’écrasement. La douleur est aussi typiquement localisée
dans la poitrine. La pression ou la poussée sur le corps peut être si
intense que la personne a l’impression d’être poussée ou tirée dans le
lit. « J’ai vu quelque chose de noir. Je ne peux pas expliquer ce que
c’était. Il est entré dans ma chambre et s’est allongé sur le lit à côté
de moi. Je sentais le lit bouger et j’ai senti une forte pression sur ma
poitrine. J’avais l’impression qu’on me poussait dans le lit. »
Cheyne propose alors, se basant sur un travail d’Hobson, Goldfrank
et Snyder de 1965 (!) 41 qui avait montré une corrélation entre
l’apnée respiratoire et le fait de rêver d’être étouffé, que les
hallucinations puisent prendre leur source dans une apnée
respiratoire.

39Cheyne J. A, Newby-Clark I. R, Rueffer S. D. Relations among


hypnagogic and hypnopompic experiences associated with sleep paralysis. J
Sleep Res. 1999.
40 Douglas, N.J. Breathing during sleep in normal subjects. 1994.
41Hobson, J.A., Goldfrank, F. and Snyder, F. Respiration and mental
activity in sleep. J Psychiatric Research. 1965.
83
Présences positives. Bien que les cas les plus documentés rapportent
des présences négatives, il est également rapporté des interactions
neutres ou positives. De telles expériences incluent, note
Solomonova dans son papier de 2018, la perception d’amis, de
famille, des visites de proches décédés ou d’esprits bienveillants, ou
de rencontres érotiques dans lesquelles le sentiment de présence est
réconfortant. De même, ajoute-t-elle, « la rencontre de membres de
la famille décédés dans des visions ou des rêves peut être vécue
comme un événement spirituel positif et jouer un rôle de guérison
dans les processus de deuil »42,43

Quid des hypothèses explicatives au sein du monde académique ?


Logiquement, les hypothèses s’élaborent en fonction de ce qu’on
cherche : d’un côté, nous trouverons donc les hypothèses qui tentent
d’expliquer pourquoi la paralysie du sommeil elle-même se produit
et ce à quoi elle correspond au niveau cérébral, de l’autre, celles qui
tentent de comprendre l’origine du contenu sensoriel perçu, et des
hypothèses croisées.

La complexité du phénomène prend – entre autre – ses racines dans


le fait qu’il combine des caractéristiques de l’état de veille (la
conscience de soi, l’accès à la mémoire auto-biographique, la
possibilité d’ouvrir les yeux et de percevoir son environnement) avec
des caractéristiques du sommeil paradoxal, en particulier l’atonie
musculaire et les rêves (Solomonova, 2018).

La paralysie. Des différents papiers, il émerge que l’hypothèse


semble-t-il consensuelle, tout au moins largement citée, concernant
la paralysie elle-même serait une intrusion de sommeil paradoxal
dans l’état de veille, ce qu’on appelle en anglais un « state overlap »,
un chevauchement d’état. Les mécanismes biologiques et neuronaux
de ce chevauchement sont complexes et sont encore un sujet de

42Belicki, K., Gulko, N., Ruzycki, K., & Aristotle, J. Sixteen years of
dreams following spousal bereavement. OMEGA-Journal of Death and
Dying. 2003.
43Garfield, P. Dreams and bereavement. In D. Barrett (Eds.), Trauma and
dreams(pp. 186–211).Cambridge: Harvard University Press. 1996.
84
recherche. L’atonie musculaire est normale lors du sommeil
paradoxal, et la persistance de cette atonie, caractéristique de l’état
« sommeil paradoxal », est alors « mélangée » avec les
caractéristiques de l’état de veille.

La présence. Concernant le contenu hallucinatoire, et notamment en


ce qui concerne la présence – l’intrus – il a été proposé que la
présence perçue serait la composante expérientielle d’un mécanisme
de détection des menaces qui donne lieu à des efforts d’interprétation
pour trouver, identifier et élaborer des sources de menaces (Cheyne,
Rueffer, Newby-Clark, 1999 & Cheyne, 2001). Le « matériau »
utilisé dans ces efforts d’interprétation serait fourni par l’imagerie
sensorielle liée au sommeil paradoxal. La nature des interprétations
qui en résultent indique un lien potentiel avec les mécanismes qui
sous-tendent les réponses initiales à la menace de prédation. La
présence ressentie est généralement décrite comme une présence qui
surveille, semblable à celle d’un prédateur traquant sa proie. Une
intention menaçante, maligne ou diabolique est fréquemment
attribuée à cette présence. Les personnes interrogées ont souvent du
mal à exprimer l’intensité et la profondeur de la terreur qui les
accompagne. En outre, les sensations corporelles d’écrasement et de
pression douloureuse sur la poitrine, le dos, le côté et le cou peuvent
être interprétées comme une attaque à part entière et potentiellement
mortelle de la part de la présence. Ces expériences imitent les
réponses à la prédation, en particulier celles associées à l’immobilité
tonique (Ratner, 1975). L’immobilité tonique désigne un état de
paralysie des principaux muscles moteurs, accompagné de réponses
physiologiques compatibles avec la peur et l’hypervigilance, et qui
semble faire appel à la même neurophysiologie fondamentale que la
paralysie du sommeil (Gallup et Maser, 1977).

L’hypothèse de travail ici est que la présence ressentie et les


hallucinations qui y sont liées résultent d’états défensifs
d’hypervigilance extrême occasionnés par l’activation paroxystique
de divers centres du système limbique : notamment l’amygdale, la
substance grise périaqueducale, le gyrus cingulaire antérieur et le
noyau basal de Meynert dans la substantia innominata. Dans ces
états, note Cheyne, les organismes sont extraordinairement attentifs
aux événements environnementaux potentiellement associés à un
danger. Ces états déclenchent normalement des réactions corporelles,
85
y compris une activité motrice et sympathique, ainsi que de
nombreuses régions sensorielles et motrices du cortex. Dans le cas de
l’activation endogène, comme le sentiment de menace n’est pas
immédiatement corroboré, la peur elle-même a une qualité
numineuse. De nombreuses personnes interrogées affirment
explicitement que la peur est tout à fait différente de toute autre peur
du monde réel qu’elles n’aient jamais connu. Il est probable que de
telles expériences peuvent également être évoquées par des
conditions environnementales inhabituelles ou extrêmes impliquant
une menace ou un danger, ou par des conditions qui imitent de telles
conditions : privation sensorielle, isolement du type de celui que
connaissent parfois les explorateurs, et conditions de vie en danger, y
compris les expériences de mort imminente (Saver et Rabin, 1997 ;
Suedfeld, 1987 ; Zusne et Jones, 1982).

L’une des caractéristiques les plus frappantes de bon nombre de ces


perceptions visuelles est qu’elles vont d’impressions vagues et
indistinctes à des images tout à fait spécifiques. Les hallucinations
visuelles, indique Cheyne, semblent donc représenter des tentatives
des mécanismes de détection des menaces pour étoffer la présence
ressentie dans la conscience. Les images les plus concrètes sont
souvent des figures bestiales et démoniaques tout à fait
conventionnelles : diables, démons, sorcières, extraterrestres et
même des méchants de cinéma comme Dark Vador et Freddy Kruger.

Dans un autre papier, Jalal et al.44 proposent une autre hypothèse.


« L’intrus », notent-t-il, « est souvent perçu comme une silhouette
humanoïde et les récits surnaturels de cet intrus halluciné sont
courants dans toutes les cultures ». Les auteurs postulent dans
l’article qu’une perturbation fonctionnelle du cortex pariétal droit
explique l’hallucination de l’intrus nocturne pendant la P.D.S. Cette
hallucination peut être due à une perturbation dans le traitement
multisensoriel du corps et du soi au niveau de la jonction temporo-
pariétale.

44Jalal, Ramachandran. Sleep paralysis and ‘‘the bedroom intruder’’: The


role of the rightsuperior parietal, phantom pain and body image projection.
2014.
86
L’auteur et son équipe proposent plus spécifiquement que cette
perception d’intrus serait le résultat d’une projection hallucinée de
l’image corporelle génétiquement « câblée » (homunculus) dans la
région pariétale droite. Une façon de vérifier cette hypothèse, avance
Jalal, serait d’étudier des populations cliniques qui ont peut-être
acquis génétiquement des « irrégularités » dans leur image corporelle
interne dans le lobule pariétal supérieur droit (SPL) ; par exemple,
des personnes atteintes d’apotemnophilie45 ou d’anorexie mentale.
« Si ces personnes font l’expérience d’une P.D.S (par exemple
induite dans un laboratoire de sommeil), et qu’elles hallucinent cette
figure ombragée, on pourrait prédire qu’elles verront des ombres et
des formes humanoïdes avec des irrégularités corporelles, reflétant
la morphologie de leur propre image corporelle interne. Si elle est
correcte, notre hypothèse offrira une explication neurologique pour
cet intrus nocturne qui a été une source de controverse et
d’interprétations culturelles frappantes et invraisemblables à travers
l’histoire. En effet, si l’hypothèse que nous proposons est testée et
corroborée, la diffusion de ces résultats apporterait un grand
soulagement aux personnes ayant vécu une expérience de P.D.S dans
le monde entier et pourrait potentiellement être utilisée dans un
contexte thérapeutique », concluent-ils.

L’incube. L’expérience de l’incube est pour rappel défini dans ces


articles dans les cas où l’intrus oppresse le dormeur, souvent de
manière dramatique (Solomonova, 2018). Les scénarios d’attaque
sont communs et impliquent souvent le fait d’être retenu ou
oppressé. Les caractéristiques du cauchemar de l’incube, écrivent
Cheyne, Rueffer et Newby-Clark, correspondent à plusieurs
caractéristiques de la respiration en sommeil paradoxal, notamment
une respiration rapide et peu profonde, l’hypoxie, l’hypercapnie et
l’occlusion des voies respiratoires (Douglas, 1994). Le volume
courant et la fréquence respiratoire sont parfois très variables
pendant le sommeil paradoxal et, en raison de la paralysie des
principaux muscles anti-gravité, la contribution thoracique à la
respiration est plus faible pendant le sommeil paradoxal que pendant
le sommeil non paradoxal (Douglas, 1994). De plus, même en

45L’apotemnophilie est décrite comme un trouble neurologique dans lequel


un individu souhaite subir l’amputation d’un ou plusieurs membres du corps
en bon état)
87
l’absence d’apnée ou de modifications de la chimie du sang, les gens
tentent parfois de respirer profondément, tout comme ils tentent
d’autres mouvements involontaires pendant la P.D.S (Hishikawa &
Shimizu, 1995). Lorsque les tentatives de contrôle de la respiration
sont infructueuses, la sensation de résistance sera facilement
interprétée comme une pression. De plus, l’augmentation de la
résistance à l’écoulement de l’air due à l’hypotonie des muscles des
voies respiratoires supérieures et à la constriction des voies
respiratoires peut entraîner une sensation d’étouffement et de
suffocation qui conduit à la panique et à des efforts acharnés pour
surmonter la paralysie. Cette séquence d’événements est cohérente
avec le rapport de Hobson, Goldfrank et Snyder (1965) d’un rêve
suivant immédiatement une respiration apnéique pendant le sommeil
paradoxal, dans lequel le rêveur a rapporté avoir été étouffé dans un
jeu de rêve. Enfin, en raison de la paralysie, l’absence de rétroaction
proprioceptive atténuante à la suite de l’exécution de programmes
moteurs associés à la lutte peut entraîner des spasmes douloureux
(Ramachandran, Rogers-Ramachandran et Cobb, 1995), ce qui
correspond également au scénario de l’agression nocturne.

Expériences de mouvement illusoire. Communes lors d’épisodes de


paralysie du sommeil, elles sont vues à des hallucinations liées aux
fonctionnements des centres cérébraux qui gèrent l’équilibre et/ou
l’arrivée des voies sensitives et sensorielles du corps.

Les personnes interrogées dans l’étude de Cheyne, Rueffer et


Newby-Clark ont spontanément fait état d’une variété de forces
d’inertie agissant sur elles, qu’elles ont décrites comme des
sensations d’élévation, de soulèvement, de chute, de vol, de rotation
et de tourbillon, ou comme la montée ou la descente d’un ascenseur
ou d’un escalator, comme le fait d’être projeté dans un tunnel, ou
simplement comme une accélération et une décélération rapides. Des
sensations associées d’étourdissement et de vertige ont également été
décrites à l’occasion. Les impressions de fortes forces d’inertie
peuvent également expliquer pourquoi certaines personnes ont vécu
l’expérience de sortie de corps comme une violente extraction du soi
du corps. Plusieurs personnes ont rapporté avoir eu l’impression
d’être tirées ou aspirées de force hors de leur corps, parfois par le
front, parfois par les pieds, et une personne a décrit une sensation de
« chute hors » de son corps (Cheyne, Rueffer et Newby-Clark, 1999).
88
Voici leur hypothèse : à l’état de veille, les noyaux vestibulaires
médians et supérieurs contribuent, avec les centres corticaux,
thalamiques et cérébelleux, à la coordination des mouvements de la
tête et des yeux. Les noyaux vestibulaires situés dans le pont du tronc
cérébral sont étroitement associés aux centres pontins qui contrôlent
le cycle veille-sommeil (Hobson, Stickgold, Pace-Schott et Leslie,
1998). Pendant le sommeil paradoxal, il n’y a ni mouvements de tête
ni images rétiniennes lorsque les cellules du tegmentum pontin
activent les neurones vestibulaires (Peterson, Franck, Pitts, &
Daunton, 1976 ; Pompeiano, 1970, 1980). Ainsi, en l’absence de
génération d’un schéma moteur corrélatif avec une décharge
corollaire ou un retour proprioceptif approprié, l’activation
vestibulaire est interprétée comme un flottement ou un vol. De telles
expériences sont cohérentes avec les sensations d’accélération
angulaire associées aux organes vestibulaires (Howard, 1986). Les
auteurs supposent que ce conflit impossible entre le mouvement et le
non-mouvement, entre le fait de flotter au-dessus de son lit et de s’y
allonger simultanément, est résolu par une séparation du moi
phénoménal et du corps physique, parfois appelée expérience hors du
corps. Il a été rapporté que les expériences extracorporelles dans
d’autres contextes sont parfois précédées ou associées à des
sensations de flottement (Devinsky, Feldman, Burrowes, &
Bromfield, 1989) et de vol (Blackmore, 1988). Les expériences de
sortie de corps ont également été indirectement associées aux états
REM dans le contexte du rêve lucide (Irwin, 1988). Bien que les
expériences extracorporelles, lorsqu’elles accompagnent un
traumatisme et/ou des crises, puissent être associées à la peur
(Devinsky, Feldman, Burrowes, & Bromfield, 1989), des enquêtes
plus larges ont rapporté de fortes associations avec des sentiments de
calme, de paix et de joie (Twemlow, Gab-bard, & Jones, 1982), ce
qui correspond à l’association avec la félicité trouvée dans la
présente étude.

17 personnes ayant répondu au sondage de cette étude ont décrit des


expériences autoscopiques, dans lesquelles ils se voyaient allongés
sur le lit, généralement depuis un endroit situé au-dessus du lit. Dans
un cas, un répondant a ressenti des sensations de chute et a ensuite
rapporté une expérience autoscopique vue du sol. Personne n’a
jamais indiqué avoir vu une image flottant au-dessus du lit à partir
89
d’une position sur le lit, mais ce qui a été vu était invariablement son
propre corps allongé dans le lit. Il semble que, dans ces cas, le soi
accompagne l’action, qu’elle résulte de la décharge corollaire des
programmes moteurs ou de l’activation vestibulaire, même si, en fin
de compte, cela signifie (apparemment) quitter le corps. En accord
avec l’association avec la félicité, et en contraste marqué avec les
expériences d’intrusion et d’incube, certaines personnes ayant
répondu au sondage de cette étude ont rapporté qu’ils désiraient
répéter ces expériences, une observation concernant les expériences
hors du corps qui a par ailleurs été faite dans d’autres contextes
(Blackmore, 1988).
De mon côté, à ce jour, je n’ai pas trouvé beaucoup d’autres sources
qui tentent d’expliquer la sortie de corps expérimentée lors de
paralysie du sommeil. Cela dit, en dehors du contexte des paralysie
du sommeil, l’expérience de sortie de corps fait bien sûr l’objet
d’études. Est-ce les mêmes types de sortie de corps ? Est-il pertinent
de les rassembler ? Ces questions sont ouvertes, bien sûr. Un des
problèmes auquel je me confronte souvent dans l’analyse des papiers
est la grande variété de phénomènes qui sont rassemblés sous le
terme générique « d’O.B.E » et il m’est difficile d’y voir clair. Une
sensation de sortie de corps, dans laquelle la personne peut
verbalement décrire le contenu de son expérience pendant qu’elle se
produit se verra appelée génériquement « O.B.E » alors qu’elle est
différente dans ses caractéristiques - mode d’entrée dans
l’expérience, expérience en elle-même, sortie de l’expérience, signes
associés… - d’un autre type d’O.B.E, comme celle dans laquelle il
expérimente un véritable décrochage d’un autre corps, pendant que le
corps biologique est en état de sommeil. Comment y voir clair ? Pas
toujours évident. Les caractéristiques des différents phénomènes
semblent pourtant bien distinctes, et j’ignore si d’une certaine
manière ils sont reliés – tout au moins si leurs corrélats
neurologiques partagent des bases communes, ou si au contraire ils
représentent des phénomènes très distincts même biologiquement.

Dans tous les cas de figure, même si le réductionnisme semble


montrer son utilité selon les contextes, j’ignore si, comme un JPEG
qu’on compresserait à outrance, on ne s’empêche pas d’y voir clair
en simplifiant trop l’équation. Je me permets une courte parenthèse,
afin d’illustrer mon propos. Un exemple de réductionnisme, à mes
yeux pas franchement pertinent, peut se trouver dans le livre par
90
ailleurs riche en information du neuroscientifique et professeur au
Collège de France Stanislas Dehaene, le Code de la conscience. Page
71-7346 :

« Il n’y a pas de meilleur exemple que les expériences du neurologue


suisse Olaf Blanke sur la « sortie hors du corps ». Au réveil d’une
anesthésie, il arrive qu’un patient déclare avoir quitté son propre
corps. Il dit avoir éprouvé l’impression irrépressible de flotter vers le
plafond et de voir, de là-haut, son corps inerte se faire opérer. Faut-il
prendre ce récit au sérieux ? La sortie du corps existe-t-elle « pour
de vrai » ?

Afin d’évaluer les dires de leurs patients, certains pseudo-


scientifiques cachent des dessins en haut des armoires des salles
d’opération, en sortie que seul un patient en plein vol puisse les
voir ! Cette idée est ridicule. La bonne approche consiste à se
demander comment un dysfonctionnement des circuits normaux du
cerveau peut engendrer le curieux sentiment de sortir de son propre
corps. »

Je dois bien vous avouer avoir du mal à comprendre pourquoi, sans


arguments, la démarche de cacher des dessins font des chercheurs
(qui ?) des « pseudo-scientifiques », et pourquoi cette idée est
qualifiée de « ridicule » d’entrée de jeu, à fortiori sans aucune
justification. Dehaene nous indique donc ensuite la bonne approche à
suivre : « La bonne approche consiste à se demander comment un
dysfonctionnement des circuits normaux du cerveau peut engendrer
le curieux sentiment de sortir de son propre corps. ». Même en
dehors des critiques que l’on peut naturellement faire de telles
expériences au bloc opératoire, n’est-ce pas un premier pré-supposé
que ces expériences sont forcément uniquement cérébrales ?
Pourquoi bannir cette expérience d’entrée de jeu, alors qu’on pourrait
se dire que, précisément, elle pourrait théoriquement être en mesure
de trancher sur le caractère uniquement cérébral ou non ? C’est un
positionnement qui me parait péremptoire. Il poursuit :

46Extrait tiré du livre de Stanislas Dehaene. Le Code de la conscience.


Éditions Odile Jacob. Page 71-73. 2014.
91
« Comment notre cerveau adopte-t-il un point de vue sur le monde
extérieur ? Comment sait il ou s’arrête le corps e ou commence le
reste du monde ? En étudiant de nombreux patients atteints de
lésions cérébrales, Olaf Blanke a découvert que ce calcul de l’image
du corps est l’apanage d’une région corticale située au carrefour des
lobes temporaux et pariétaux de l’hémisphère droit, si bien que sa
perturbation par une lésion ou par une stimulation électrique donne
le sentiment d’échapper à son corps (42) »

Première référence ici (42) aux travaux de Blanke et al., en


l’occurrence les deux articles très largement cités depuis leur
publication, paru respectivement dans la revue « Brain » et
« Nature » :
Olaf Blanke, Theodor Landis, Laurent Spinelli, & Margitta Seeck.
Out-of-body experience and autoscopy of neurological origin. Brain.
2004. et Olaf Blanke, Stéphanie Ortigue, Theodor Landis, &
Margitta Seeck. Stimulating illusory own-body perceptions. Nature.
2002.

« Cette région fait partie des secteurs de haut niveau du cortex, ou


convergent de nombreux signaux issus de la vision, des systèmes
kinesthésiques et somato-sensoriels (qui cartographient les signaux
du toucher, des muscles et de la motricité), et du système vestibulaire
(la plate-forme inertielle située dans l’oreille interne qui évalue les
mouvements de la tête). En assemblent tous ces indices, le cerveau
de construit une image de la position du corps dans l’espace.
Cependant, ce processus échoue parfois si les signaux sont en
désaccord ou deviennent ambigus à la suite d’une lésion cérébrale.
L’expérience de sortie de corps survient donc « vraiment » – c’est un
authentique événement biologique, mais seulement au sein du
cerveau du patient, et par voie de conséquence, de son expérience
subjective. Grosso modo, la sortie du corps n’est qu’une forme
exacerbée du malaise que nous ressentons tous lorsque notre vision
ne concorde plus avec notre système vestibulaire, par exemple dans
la cabine d’un bateau qui tangue. »

Un résumé de siècles de littératures sur l’expérience de sortie hors-


du-corps que d’aucuns pourraient qualifier de cavalier : « Grosso
modo, la sortie du corps n’est qu’une forme exacerbée du malaise
que nous ressentons tous lorsque notre vision ne concorde plus avec
92
notre système vestibulaire, par exemple dans la cabine d’un bateau
qui tangue. ». Voilà une manière bien pratique de refermer le sujet
proprement, à mon sens l’exemple criant des limites du
réductionnisme. Grosso modo, je demeure sceptique. Peut-on
vraiment réduire l’ensemble des expériences de sortie de corps à ce
grosso modo de derrière les fagots ? Les expériences de Blanke sont
fascinantes, et nous apprennent énormément sur le fonctionnement
du cerveau et de la conscience. Mais peut-on vraiment s’en servir
pour leur faire dire ce qu’elles ne disent pas ?

« Olaf Blanke a poursuivi ses travaux en montrant que tout être


humain peut s’envoler hors de son corps. Il a créé une combinaison
de signaux visuels et tactiles, synchronisés mais délocalisés, qui
engendre systématiquement l’illusion de sortie du corps dans le
cerveau d’un observateur sain de corps et d’esprit (43). Par la
robotique, il est même parvenu à recréer cette illusion dans une
machine d’IRM. Dès que la personne scannée déclare éprouver cette
illusion, sa région temporo-pariétale s’active – précisément là où se
situaient les lésions des patients. »

Je relis : « en montrant que tout être humain peut s’envoler hors de


son corps ». Quelle phrase étonnante. Est-elle présente dans le papier
original qu’il cite, à savoir Bigna Lenggenhager; Michael Mouthon;
Olaf Blanke (2009). Spatial aspects of bodily self-consciousness. ? Je
relis plus loin : « dès qu’elle déclare éprouver cette illusion ». Le
verbe déclarer. La personne serait donc réveillée ? Cela nous
séparerait déjà d’une large part de certaines expériences de sortie
hors-du-corps dans lesquelles il est impossible de communiquer
verbalement pendant qu’on la vit. Selon lui, Olaf Blanke aurait donc
montré que tout être humain peut s’envoler hors de son corps.
Stanislas Dehaene est professeur au Collège de France, membre de
l’Académie des Sciences, c’est un neuroscientifique de grande
renommée. Il n’aurait pas écrit cette phrase si ce n’était pas vrai et
particulièrement rigoureux, si ? Un seul moyen de le savoir, il faut
plonger dans l’étude originale. Le processus parait fastidieux ? Bien
au contraire ! C’est un exemple on ne peut plus représentatif de
certains biais, une brique particulièrement importante à analyser, et
c’est l’occasion rêvée d’en apprendre plus sur le fonctionnement du
corps. Rassurez-vous, nous retomberons assez rapidement sur nos
pattes, concernant les Autres et la paralysie du sommeil.
93
L’étude en question s’attache à analyser la difficile question de la
localisation de soi. Lisons son résumé, pour commencer :

« Les indices visuels, somatosensoriels et perspectifs fournissent


normalement des informations congruentes sur l'endroit où l'on se
trouve. En séparant ces indices par des techniques de réalité
virtuelle, des études récentes ont montré que la localisation de soi
était systématiquement biaisée par rapport à l'endroit où un
événement visuel-tactile était perçu. Nous avons mis au point une
mesure nouvelle, reproductible et implicite de l'auto-localisation afin
de comparer et d'étendre les protocoles précédents. Nous avons
étudié l'auto-localisation illusoire et les aspects phénoménologiques
associés dans une position allongée du corps qui facilite l'auto-
localisation anormale observée cliniquement (comme dans les
expériences hors du corps). Les résultats confirment que le soi se
situe à l'endroit où le toucher est perçu. Cela conduit à un
abaissement ou à une élévation prévisible de la localisation du soi, et
cette dernière s'accompagne de sensations de flottement, comme lors
d'expériences de sortie du corps. En utilisant une nouvelle mesure,
nous montrons que le caractère unitaire et localisé du soi peut être
expérimentalement séparé à la fois de l'origine de la perspective
visuelle et de la localisation du corps vu, ce qui est compatible avec
les données cliniques. »

Le résumé semble déjà moins téméraire. Un protocole permet


semble-t-il chez les participants de modifier leur sensation de
localisation, et cette dernière s’accompagnerait de sensations de
flottement, comme lors d’expériences de sortie du corps. Une
première question, évidemment, émerge : de quelles expériences
parle-t-on ? Et une première remarque également, l’utilisation du mot
« comme », sensations de flottement, comme lors d’expériences de
sortie du corps. Stricto sensu, Blanke ne parle donc pas ici de sortie
hors-du-corps directement, mais de sensations de flottement que l’on
trouve également dans les sorties hors-du-corps. La nuance parait
fine ? Poursuivons.

Dans l’introduction, Blanke parle de la difficulté d’analyser la


sensation de soi, et parle de l’utilité de l'analyse de certaines

94
pathologies neurologiques pour l’étudier. Une phrase retient tout de
suite l’attention :

« Dans certaines conditions pathologiques, comme lors d'une


expérience hors-du-corps, le soi peut être localisé à l'origine de la
perspective visuelle, même si cet emplacement est différent de
l'emplacement visible du corps (Blanke, Landis, Spinelli, & Seeck,
2004). »

Condition pathologique ? Intéressant. Je poursuis.

Regardons l’échantillon, c’est-à-dire les participants de l’étude en


question.

« Vingt-et-un droitiers masculins, naïfs47 et en bonne santé (âgés de


24,2 ans ± 6,3 DS) ont participé à l'étude. Ils ont tous donné leur
consentement éclairé par écrit. Le protocole a été réalisé
conformément aux normes éthiques de la Déclaration d’Helsinki. »

Il me parait raisonnable de penser qu’en terme de nombre, nous nous


éloignons du « tout être humain peut s'envoler hors de son corps »
initialement prétendu par Dehaene. « Tout être humain » inclut
logiquement absolument tous les humains, c’est-à-dire tout humain
actuellement vivant entre 0 et plus de 100 ans dans tous les pays du
monde sur Terre, y compris ceux sur la station spatiale internationale,
soit environ huit milliards de personnes. L’étude compte vingt-et-un
droitiers masculins.

Le matériel utilisé est le suivant : chaque participant est allongé sur


une table sur le ventre, et porte des lunettes de réalité virtuelle. Il est
filmé par une caméra placée deux mètres au-dessus de lui et peut
donc voir son corps d’au-dessus. Quid de la procédure ?

« L'expérience comprenait quatre conditions expérimentales


présentées de manière aléatoire. Les participants ont été caressés
avec un bâton en bois, soit dans le dos (Lenggenhager et al., 2007),

47 « Naive » en anglais dans le texte, signifie ici un participant ou un sujet


qui n'a pas d'expérience préalable de la procédure, ou qui ignore l'objectif de
la recherche ou l'hypothèse testée.
95
soit sur la poitrine (Ehrsson, 2007). Dans les deux conditions, les
participants ont vu la vidéo d'eux-mêmes soit en ligne (permettant
une synchronisation entre la caresse vue et la caresse ressentie), soit
en différé (créant une asynchronie entre la caresse vue et la caresse
ressentie). Chaque condition a duré 3 minutes. Pendant les 2
premières minutes, les participants observaient passivement les
caresses, puis il leur était demandé d'effectuer plusieurs fois la tâche
de chute de balle mentale (voir ci-dessous). Une séance
d'entraînement a permis aux participants de se familiariser avec la
tâche. Deux conditions de base dans lesquelles aucune caresse
n'était appliquée ont été testées avant et après l'expérience. Les
participants avaient les yeux bandés (HMD48 éteint, condition de
base 1) ou voyaient leur corps à travers le HMD (HMD allumé,
condition de base 2) »

Qu’a-t-on alors demandé à ces participants pour évaluer leur


localisation dans l’espace ?

« Afin d'évaluer la localisation implicite des participants dans


l'espace, il leur a été demandé d'imaginer qu'ils lâchaient la balle
qu'ils tenaient dans leur main (tâche de lâcher de balle mental,
MBD). Il leur a été demandé d'indiquer par une première pression
sur un bouton le moment où ils imaginaient lâcher la balle de leur
main, et par une seconde pression sur un bouton le moment où la
balle toucherait le sol (cf. paradigme utilisé pour étudier les modèles
internes de trajectoires d'objets, (par exemple Indovina et al., 2005).
La différence entre les deux pressions sur le bouton a été mesurée (en
millisecondes). Au cours de la troisième minute de caresses, dix
signaux auditifs indiquaient aux sujets qu'ils devaient à chaque fois
effectuer une tâche MBD. »

Les équipes ont alors soumis un questionnaire aux participants, dont


voici les questions :

« Q1. A quel point la sensation que le bâton que vous avez vu vous
touchait directement était forte ?

48 Le HMD est l’appareil de réalité virtuelle utilisé.


96
Q2. A quel point la sensation que vous étiez situé à une certaine
distance derrière l'image visuelle du corps que vous avez vu était
forte ?
Q3. A quel point la sensation que vous regardiez quelqu'un d'autre
était forte ?
Q4. A quel point la sensation que vous aviez plus d'un corps était
forte ?
Q5. A quel point la sensation que vous dériviez vers le bas ou vers le
haut était forte ?
Q6. À quel point avez-vous ressenti le toucher simultanément à deux
endroits dans l'espace ?
Q7. A quel point la sensation que l'image visuelle du corps que vous
avez vu était réellement vous était forte ?
Q8. A quel point la sensation que le toucher que vous avez ressenti
était là où vous avez vu les caresses était forte ?
Q9. A quel point la sensation de flotter dans l'air était forte ?
Q10. A quel point la sensation que vous étiez dissocié de votre corps
(comme si votre moi et votre corps étaient dans des endroits
différents) était forte ? »

A présent, qu’en concluent les auteurs ?

« Les données issues de la mesure implicite et répétée de l'auto-


localisation (MBD) et du questionnaire corroborent et étendent les
résultats précédents montrant que la conscience globale du corps
peut être systématiquement manipulée par des entrées
multisensorielles conflictuelles chez des sujets sains. Trois
conclusions principales peuvent être tirées de nos données.
Premièrement, confirmant les données précédentes, les caresses
synchrones dans le dos (par rapport aux caresses asynchrones) ont
entraîné une augmentation de l'auto-identification et du toucher
illusoire sur le corps vu. Les caresses synchrones de la poitrine ont
eu des effets opposés : diminution de l'auto-identification et de la
sensation de toucher illusoire sur le corps vu. Deuxièmement, les
présentes données montrent que la synchronisation entre les
informations visuelles et tactiles concernant les caresses peut
modifier systématiquement la conscience corporelle de soi, ce qui
entraîne, en position couchée, des dérives prévisibles et
implicitement mesurables vers le haut et vers le bas de la
localisation de soi. Troisièmement, la configuration actuelle a rendu
97
les perceptions illusoires induites plus comparables à des conditions
cliniques connexes telles que les expériences de sortie du corps
(Blanke et al., 2004), dont les deux études originales se sont
inspirées. Cela semble d'autant plus pertinent que l'élévation
subjective de la localisation de soi dans la présente étude était
associée à une sensation de flottement, ce qui suggère une
modulation des sensations vestibulaires. »

Pour conclure finalement :

« Les théories philosophiques et neurologiques récentes convergent


sur l'importance des processus corporels dans la conscience de soi
(par exemple, Gallagher, 2005). L'étude du rôle des différents indices
corporels dans la représentation de soi dans un cadre scientifique
rigoureux est importante pour faire évoluer ces théories. Ici, nous
avons étudié où les participants expérimentent et localisent leur soi,
compte tenu des informations contradictoires sur le corps vu et le
corps ressenti, ainsi que de la perspective visuelle. Les données
suggèrent que les participants localisent leur moi à l'endroit où ils
ont l'impression d'être touchés, même si cette perception tactile est
mal localisée par la capture visuelle, ce qui conduit, dans le cadre de
la configuration actuelle, à des déplacements prévisibles vers le haut
ou vers le bas de la localisation du moi. Le premier était associé à
une sensation de flottement, comme on en trouve généralement dans
les cas de perturbation de l'auto-localisation d'origine neurologique.
Démêler la contribution des différents indices corporels à la
localisation de soi peut aider à mieux comprendre l'incarnation et la
conscience de soi normales et anormales. »

Nous y sommes donc, et je pense que vous commencez à sentir


comme moi à quel point la fameuse Loi de Brandolini49 s’avère ici
confirmée, mais surtout, qu’on est donc devant une interprétation
libre, et à mon sens grosso modo hors-sol, de cette étude de Blanke
par Dehaene. L’expérience est intéressante et décrite comme
reproductible. Pour autant, à aucun moment, Blanke n’a pas conclu
ni montré que « tout être humain peut s’envoler hors de son corps »

49La Loi de Brandolini postule que la quantité d'énergie nécessaire pour


réfuter des sottises est supérieure d'un ordre de grandeur à celle nécessaire
pour les produire.
98
comme l’affirme Dehaene dans son livre. Blanke a étudié 21
droitiers masculins réveillés, et par un astucieux mécanisme
technologique, a étudié la sensation de localisation des participants
en les soumettant par la suite à un questionnaire d’une dizaine de
question sur leurs sensations.

Dans le livre de Dehaene, sur les passages cités, il me semble donc


me trouver en face d’un exemple assez clair de mille-feuille
réductionniste sur fond d’argument d’autorité. On regroupe toutes les
O.B.E, celles sous anesthésie, celles lors des expériences de Blanke
et toutes les autres, on ne trie rien, on ne définit rien, on ne rentre pas
dans le détail, pire, on fait dire à des études ce qu’elles n’ont pas
réellement dit - on réduit toute la complexité du phénomène dans ces
expériences d’illusion du schéma corporel, et on passe la suite. En
prime, on accuse de pseudo-science par défaut des tentatives
d’expériences qui pourraient justement être théoriquement en mesure
de réfuter la thèse de l’origine purement cérébrale des O.B.E. Ai-je
manqué quelque chose ou n’est-ce pas un circuit fermé ? On accuse
souvent certains spiritualistes de ne regarder que de leur côté de la
couette et d’ignorer les données contradictoires, mais n’est-ce pas un
travers qu’on retrouve aussi chez certains scientifiques ? De
n’interpréter le réel qu’à travers nos aprioris sur l’existence, fussent-
ils matérialistes ?

A ce stade, vous pensez peut-être que l'on s’est éloigné du sujet de ce


chapitre. Soyez rassurés, il n’en est rien. Car à mon avis, nous
sommes devant le même cas de figure avec la perception des Autres
lors des épisodes de paralysie du sommeil et les différentes
hypothèses réductionnistes me semblent rater leur cible. De la même
manière qu’on ne peut réduire toutes les expériences de sortie hors-
du-corps aux expériences de Blanke, il me semble qu’on ne peut
réduire tout le contenu perceptif des paralysies du sommeil en
simples hallucinations50 ou de simples dysfonctionnements
cérébraux.

Plongeons à présent dans les hypothèses dites non-matérialistes,


c’est-à-dire celles qui considèrent que la perception lors des épisodes
de paralysie du sommeil touche des éléments de réel : ce qui est

50 Par ailleurs souvent mal définies.


99
perçu est, au moins en partie, bien réel. Dans le sens où dans ces
hypothèses, ce qui est perçu existe en dehors du cerveau de
l’expérienceur, il n’a pas besoin de lui pour exister, il peut même être
perçu par d’autres expérienceurs. Plus spécifiquement, nous allons
voir ici les hypothèses qui proposent que ce qui est perçu dans ces
moments n’est pas perçu avec le corps biologique uniquement, mais
également avec un autre corps, qu’il est possible de contrôler.

Remontons quelques décades en arrière. Cette théorie n’est pas


nouvelle, mais à ma connaissance, l’un des premiers à l’avoir
vraiment formalisé clairement, avec une grande quantité de détails
pratiques et techniques, est Sylvan Muldoon dans son livre « La
Projection du Corps Astral », écrit en 1929. Le lien était posé : la
paralysie du sommeil est liée à l’expérience de sortie hors-du-corps.
Mieux, selon lui, la paralysie du sommeil est en fait une phase
préliminaire de la sortie hors-du-corps. Encore mieux, on peut
générer une paralysie du sommeil pour sortir de son corps. Elle
représente donc un état intermédiaire, de décrochage partiel d’un
autre corps, que Muldoon appelle en référence au vocabulaire de
l’époque le corps astral. Notez donc que, bien évidemment, pour
Muldoon, ce corps « astral » n’est pas halluciné, il est aussi réel que
le corps fait de chair. Il peut se décrocher du corps physique, dans
certaines conditions spontanément, ou utilisant certaines techniques.

« Nous savons que durant le sommeil naturel, le corps physique est


plus ou moins « paralysé » ; pour accentuer cette paralysie, le
rythme cardiaque doit être ralenti. J’ai déjà expliqué comment je
suis d’abord tombé par hasard sur ce fait et comment j’ai pu ensuite
développer une méthode pour ralentir volontairement le rythme du
pouls. Incidemment, le fait de ralentir son pouls provoque une
meilleure relaxation et concentration et élimine la nécessité
d’exercices spéciaux pour chacun de ces facteurs.

(…)

La « zone de quiétude », dans le sommeil naturel, est de beaucoup


conditionnée par l’état du corps physique – plus le corps physique
sera « vivant », plus le fantôme (ndlr : le corps astral) restera près
de concordance – tout comme elle conditionnée par le volume
d’énergie stockée dans le condensateur, le corps astral. Une
100
profonde paralysie plus un manque d’énergie nerveuse, et le fantôme
serait capable de sortir de concordance de deux pieds, alors que
vous entrez dans le sommeil.

D’un autre côté, si vous allez vous allonger sans être fatigué,
disposant encore d’une énergie abondante et d’une certaine
« animation » physique, vous pouvez ne pas être capable de vous
endormir et lorsque enfin vous y parviendrez, le fantôme pourrait ne
sortir que très légèrement du physique. Allez vous coucher déprimé
ou énervé mais sans passivité physique, et le fantôme pourra sortir
davantage ; ainsi de suite, selon les facteurs en jeu… »51

En 1986, l’auteur Waldo Vieira consacre un chapitre de son ouvrage


« Projectiology », édité pour la première fois en 1986, sur ce qu’il
nomme la catalepsie projective. Y-a-t-il une différence entre une
paralysie du sommeil et une catalepsie projective ? La réserve nous
invite à ne pas conclure trop tôt. Mais à mes yeux de profane, je n’en
vois pas de franche dans ses descriptions. Un autre indice qui me
laisse à penser que Waldo a rapproché les deux concepts est cette
phrase, que l'on peut lire sur le site de l’Institut International de
Projectiologie et de Conscientiologie52 fondé justement, entre autre,
par Waldo Vieira :

« Un autre phénomène courant lié à la projection astrale est la dite


paralysie du sommeil, dont le nom technique est catalepsie
projective. Ce phénomène se produit lorsque nous nous sentons
paralysés peu après le réveil, sans pouvoir bouger ni même parler. »

Néologismes mis à part, dans le livre Projectiologie, nous retrouvons


une phénoménologie très proche de la symptomatologie classique de
la paralysie du sommeil :

« Dans l’expérience de la catalepsie projective, les consciences


intraphysiques, dès le début de la manifestation, sentent qu’elles sont
en quelque sorte à l’intérieur de la masse matérielle du corps

51Sylvan Muldoon, La Projection du Corps Astral, Ed. du Rocher, page


231.
52 https://iipc.org/nao-categorizado/astral-projection-theory-and-practice/
101
humain. Cependant, elles ne sont pas capables de déplacer le corps
humain, comme s’il était écrasé par un poids physique qui leur
donne l’étrange impression que le corps humain – ou l’ensemble des
véhicules des manifestations de la conscience, l’holosoma – pèse des
centaines de livres/kilos. Cela donne la sensation d’être pressé
contre le lit, ce qui empêche la conscience d’effectuer tout
mouvement musculaire, même léger. »53

Vieira distingue deux types de catalepsie projective, en fonction des


circonstances : la catalepsie pré-projective : catalepsie liée au
décollage du corps « astral » et la catalepsie post-projective :
catalepsie liée au retour du corps « astral ». Il soumet plus loin
l’hypothèse suivante, concernant son apparition : « On pense que la
véritable cause de la catalepsie projective est l’impossibilité
temporaire de communication consciente entre l’esprit du
psychosoma54, en l’occurrence le mentalsoma, qui a son siège dans
le paracerveau du psychosoma, et les zones motrices corticales du
cerveau dense et physique du corps humain. »

Il propose ensuite deux voies de sortie :

« Techniques. En suivant les techniques physiologiques – sans


commettre aucun excès physique ou mental – il n’y a aucune
difficulté à rompre un état cataleptique projectif modéré ou intense.
Il existe deux procédés simples pour y parvenir : soit provoquer
l’éveil physique, soit induire la reprojection de la conscience dans le
psychosoma.

1 ) L’éveil. Dans ce procédé, qui convient mieux à la catalepsie pré-


projective, la conscience doit s’efforcer, avec un désir ardent, de
bouger la plus petite partie du corps humain, que ce soit une
paupière, une lèvre, la langue, un doigt, ou même de respirer plus
profondément et de s’éveiller normalement dans l’état de veille
physique ordinaire.

53 Waldo Vieira, Projectiology, 2e édition en anglais, page 130.


54Le psychosoma est un synonyme du corps astral. Selon Waldo Vieira, le
psychosoma est contrôlé par le mentalsoma, le corps mental.
102
2) Reprojection. Dans ce processus, qui convient mieux à la
catalepsie post-projective, la conscience doit souhaiter quitter le
corps humain et se projeter, ou plus exactement se reprojeter dans le
psychosoma, ce qui est moins difficile. »

(…)

Dans la plupart des cas, l’état cataleptique ne se produit pas après


la deuxième projection lucide. » 55

Il me semble que Waldo met ici l’emphase sur le lien entre cette
condition et l’expérience de sortie hors-du-corps. Pour sortir d’une
cataplexie post-projective56, Vieira propose de sortir de son corps au
lieu de lutter, car au deuxième retour, les deux corps se
synchroniseront correctement.

Si on résume, et qu’on agrège les différentes briques et les


différentes sources concernant cette hypothèse, on peut dire que dans
cette vision des choses, la paralysie du sommeil, que l'on va assimiler
ici à la cataplexie projective, est en fait un décrochage partiel, une
désynchronisation partielle entre le corps physique et un autre corps.
La paralysie du sommeil hypnopompique - celle qui survient donc au
réveil - est à ce titre vécue comme un état de cataplexie ressentie par
la personne à la suite d’un réveil avec un autre corps, qui est
partiellement ou complètement déconnecté du corps biologique.
Dans cette vision, cela explique donc pourquoi il est possible de
sortir de son corps à partir d’une paralysie du sommeil : l’autre corps
est déjà partiellement décroché, et ce degré de décrochage est
variable et explique lui aussi la différence de vécus que l'on peut
retrouver dans ces états. Cette hypothèse explique également la
raison pour laquelle il est très difficile pour beaucoup de déplacer
son corps dans ces moments-là : l’intention, la volonté n’est pas ou
peu branchée à la machine du corps biologique, elle est comme
connectée à l’autre corps, celui qui peut se décrocher et voler. Quand
on essaie de déplacer son corps de chair, la difficulté viendrait du fait

55 Waldo Vieira, Projectiology, 2e édition en anglais, page 132.


56 On parlerait vraisemblablement de paralysie du sommeil hypnopompique
à l’heure actuelle.
103
qu’on déplacerait en fait l’autre corps, qui n’est pas complètement
synchronisé avec le corps biologique. Il est donc plus facile de sortir
de son corps complètement, étant donné que l’on contrôle déjà
l’autre corps, que de se rebrancher de force. Assertion à nuancer,
bien entendu, en particulier devant le très grand nombre de cas et de
degrés de décrochages possibles : très proche du corps, quasiment
resynchronisé, il sera, par exemple, peut-être plus simple de bouger
les extrémités du corps de chair plutôt que de tenter de sortir.

L’autre corps étant, dans ce cas, en position horizontale à proximité


immédiate et variable du corps biologique – ce dernier étant dans un
état de paralysie physiologique – la personne ressent souvent une
confusion importante et de la peur, dans la mesure où de nombreuses
collusions sensorielles et motrices sont présentes entre les deux
véhicules et le sujet n’est peu ou pas capable de bouger son corps
physique, de répondre aux différents stimuli mais surtout de
comprendre son état.

Concernant la paralysie du sommeil hypnopompique, on peut ainsi la


voir comme un réveil avec un autre corps. Ce réveil hors du corps
oscille entre un degré de coïncidence quasi parfait avec le corps
physique et un degré de coïncidence quasi nul, où l’autre corps
« flotte » au-dessus du corps biologique et il est possible de se servir
de ce dernier. Il semble que ce réveil puisse être déclenché par
plusieurs stimulus dont… la présence d’un ou plusieurs Autres. Nous
y revoilà donc. Ces derniers peuvent dans certains cas agir sur cet
autre corps, par exemple le tirer plus loin hors de sa coïncidence et
déclencher la sortie hors-du-corps. Etant partisan de cette hypothèse,
il me parait clair qu’elle explique plutôt bien non seulement pourquoi
la paralysie du sommeil est reliée aux expériences hors-du-corps,
mais aussi pourquoi de nombreux expérienceurs vivent cette
expérience de manière particulièrement intense voire traumatique :
une personne qui vit le tableau complet d’une paralysie
hypnopompique doit faire face, entre autre, 1) au fait qu’elle se
réveille paralysée mais parfaitement consciente 2) au fait que sa
sensation d’être est dans un autre corps qui est en mesure de voler 3)
au fait qu’elle est en contact avec une forme d’Altérité intelligente
qui est aussi en mesure d’agir sur cet autre corps. Ouf ! Mais ces
seuls points ne suffisent pas à rendre cette hypothèse tout à fait
convaincante. Pour moi, la véritable force de cette hypothèse est non
104
seulement qu’elle possède un potentiel explicatif particulièrement
séduisant, mais qu’elle donne à la personne le moyen d’agir
concrètement sur ce qu’elle vit et de l’intégrer dans un cadre
conceptuel inclusif et opératif. J’ai beaucoup bénéficié, et continue
de bénéficier énormément des techniques basées sur ce cadre
conceptuel, comme le V.E.L.O, comme l’extériorisation, comme le
fait de sortir de son corps pour de bon en paralysie du sommeil, et
ainsi de suite. Lire par exemple que les équipes de Jalal proposent
que cette perception d’intrus serait le résultat d’une projection
hallucinée de l’image corporelle génétiquement « câblée »
(homunculus) dans la région pariétale droite alors que je viens de me
faire charcuter à vif par une demie-douzaine d’Autres avec des
technologies que je ne comprends pas n’est pas suffisant.

De l’autre côté de la pièce, si l’on reprend l’hypothèse et la


terminologie de Vieira, la paralysie du sommeil hypnagogique est
vue quant à elle comme une cataplexie pré-projective : elle se produit
avant, et même pendant le décrochage de l’autre corps pendant
l’endormissement du corps de chair.

Comme les deux faces d’une même pièce, la paralysie du sommeil,


qu’elle soit hypnagogique ou hypnopompique, semble être une voie
particulièrement féconde concernant le contact avec les Autres. A
nous d’explorer en dehors des chemins pré-établis.

105
L’Art des Uns et des Autres
« Etre artiste ne veut pas dire être un imbécile. »
Michel Sardou.

Je n’ai pas encore dix ans, et je suis devant un piano dans le salon
chez mes parents. J’ai le privilège d’avoir accès à ce petit piano droit
et d’y jouer quand bon me semble, ce dont je ne me prive pas. Mes
parents ne sont pas musiciens, mais ils ont très tôt le sentiment
qu’avoir un piano à la maison éveillera notre créativité et notre
curiosité en tant qu’enfants. Très tôt, je m’aperçois que j’ai un
contact particulier avec cet instrument. Je comprends qu’entre un
toucher léger et un toucher lourd, il y a beaucoup de nuances et toute
une palette de sons différents, et je m’amuse à trouver des intervalles
harmonieux, par tâtonnement. Assez rapidement, je souhaite écrire
mes propres petits morceaux, à base d’arpèges très simples, en ne
jouant que les touches blanches. J’écris maladroitement mes petites
notes sur des portées simples au crayon, c’est le début du chemin. Ce
que je ne savais pas alors, c’est qu’intuitivement je découvrais les
triades harmonieuses sur la gamme de do majeur, en jouant un do,
puis un mi, puis un sol, je joue en fait un accord de do majeur. En
jouant le même espacement, mais quelques notes en dessous, je joue
un la, puis un do, puis un mi, donc un la mineur. La théorie, à
l’évidence, m’importe peu. Je tâtonne et comprends que certaines
suites de notes évoquent une certaine émotion, un certain feeling, une
certaine atmosphère dans la pièce.

Oh, ne croyez pas que je vous vends le récit d’un prodige qui a écrit
des symphonies à 8 ans. C’est même plutôt le contraire. J’ignorais
tout de la théorie musicale. Mes morceaux étaient simplissimes et il
me semble bien qu’ils n’auraient levé aucun sourcil d’intérêt chez un
professionnel. Je n’avais rien de particulier, hormis une attirance
certaine pour le son lui-même et la sensibilité que l’on pouvait
exprimer en jouant plus ou moins fort certaines notes. Je m’amusais
non pas à écrire un accord le plus complexe possible, mais à jouer un
seul accord note par note, en explorant la différence de timbre selon
la note accentuée. Je découvrais qu’un do majeur - do, mi, sol -
chante différemment selon qu’on accentue le do, le mi, ou le sol. Ce
qui est par ailleurs logique, physiquement parlant, si vous vous
106
souvenez des bribes de physique acoustique que nous avons
discutées au début de ce livre. Accentuer un sol, sur un accord de do
majeur, accentue en réalité toute une série harmonique propre au sol,
et fait donc jouer tout un ensemble de notes, propres à la vibration de
la corde de sol. Vous vous souvenez ? Un sol, joué seul, va résonner
seul, puis à l’octave supérieure, puis la quinte, puis de nouveau
l’octave encore supérieure, puis la tierce majeure, et ainsi de suite.
Ainsi, on peut faire chanter un « basique » do majeur de bien des
manières… et le comprendre ne nécessite aucune théorie, ni aucune
connaissance. Il suffit juste d’un peu de patience, et d’être un peu
curieux et attentif.

Je crois que depuis ce jour, la musique ne m’a pas quitté. J’ai


découvert la composition par ordinateur quelques années plus tard, et
ai passé de nombreuses heures de mon adolescence à composer avec
plus ou moins de brio… J’ignorais que, par simple jeu, je posais en
réalité des briques particulièrement importantes qui me serviront plus
tard, mais nous y viendrons. Je ne voulais pas seulement écouter de
la musique, mais comprendre comment elle avait été faite, quels
instruments, quels micros, quels synthétiseurs, quelle technique pour
produire tel ou tel son, quelle procédé pour traiter le son lui-même.
Je voulais cliquer partout, explorer tous les genres, poncer internet
pour trouver des tutoriels, à l’époque rares et précieux. Je crois
même me souvenir que YouTube n’existait pas quand j’ai découvert
le logiciel de production musicale pour la première fois. Moyen-âge,
I know… J’ai mis beaucoup de temps à comprendre que j’avais un
rapport particulier à la musique, et que nous n’étions pas si
nombreux que ça à écouter de la musique plusieurs heures par jour à
la recherche du moindre détail, harmonique ou technique. Mon père,
me voyant vissé à mes écouteurs le plus clair de mon temps, proposa
un jour en plaisantant de me les faire greffer directement aux oreilles,
histoire de gagner du temps.

La suite, si vous avez lu Conscience, vous la connaissez, je vous


l’épargne donc. Ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que la
musique fait toujours partie intégrante de ma vie - c’est même mon
métier depuis un petit nombre d’années. Mais c’est surtout, avec la
paralysie du sommeil, ma voie d’accès privilégiée vers les Autres et
leur monde.

107
Il me semble qu’un rapide coup d’oeil dans l’histoire nous montre
facilement que l’humain utilise l’art et la musique pour communiquer
avec des esprits depuis des temps lointains, comme on peut souvent
le lire. La musique permet par ailleurs d’entrer dans des états de
transe - on pense souvent aux tambours des chamans. Je n’ai aucune
prétention de vous instruire quant aux rituels anciens - j’avoue mon
ignorance totale en la matière. Etant à la fois compositeur dans ma
vie de tous les jours et à la fois versé dans les recherches spirituelles,
je peux par contre vous raconter mon propre rapport à l’art, et
comme je trouve de l’inspiration en cherchant la musique d’Autres
mondes.

Dans les milieux artistiques, il me semble voir souvent passer au


moins deux postures différentes que je vais ici caricaturer
grossièrement. La première postule que l’art émergerait de l’humain
seul. Il peut s’inspirer de manière très diverse, mais,
fondamentalement, il émergerait de l’artiste. La seconde voudrait que
l’art existe tel quel, dans un monde des idées, et que les artistes ne
sont que des messagers, des traducteurs de ces oeuvres déjà
existantes. Nous trouvons un exemple parlant de cette seconde
posture dans Les Messagers, tome 2 de Nosso Lar, écrit ou plutôt
psychographié par Chico Xavier, à la page 112. André Luiz, alors
désincarné, visite un lieu bien particulier…

« De la vaste et paisible véranda où des colonnades parées de lierre


en fleur, bien différente de celles que nous connaissons sur Terre,
nous entrâmes dans un immense salon décoré à l'ancienne. Des
meubles délicatement sculptés formaient un ensemble magnifique.
Admiratif, je regardai les murs sur lesquels étaient accrochés de
merveilleux tableaux. L'un d'entre eux attira spécialement mon
attention. Il s'agissait d'une toile énorme représentant le martyre de
St. Denis l'apôtre des Gaules, cruellement supplicié aux premiers
temps du Christianisme, selon mes humbles connaissances de
l'Histoire. Curieux, je me suis rappelé avoir vu, sur le plan terrestre,
un tableau identique en tous points à celui-ci. Ne s'agissait-il pas du
fameux travail de Bonnat, célèbre peintre français du siècle passé ?
Cette copie du Poste de Secours semblait plus belle. La légende
populaire était finement retranscrite dans les plus infimes détails. Le
glorieux Apôtre à demi nu, avec la tête tranchée, le tronc auréolé
d'une lumière intense, faisait un grand effort pour soulever son
108
propre crâne qui avait roulé à ses pieds pendant que ses assassins le
regardaient pris d'une intense horreur ; du haut du tableau
descendait un émissaire divin afin d'apporter au Serviteur du
Seigneur la couronne et la palme de la victoire. Par contre, il y avait
dans cette copie une profonde lumière, comme si chaque coup de
pinceau contenait mouvement et vie. Remarquant mon admiration,
Alfredo me fit cette observation en souriant :

– Tous ceux qui nous rendent visite pour la première fois tombent en
admiration devant cette superbe copie.

– Ah ! Oui. L'original, suivant mes renseignements, peut-être observé


au Panthéon, à Paris.

– Vous vous trompez, m'informa mon interlocuteur, ni tous les


tableaux, ni toutes les grandes compositions artistiques ne sont
originaires de la Terre. Il est certain que nous devons beaucoup de
créations sublimes à l'intelligence humaine ; mais dans le cas
présent, le sujet est plus transcendant. Nous avons ici l'histoire réelle
de cette magnifique toile qui fut peinte par un noble artiste chrétien
dans une colonie spirituelle très attachée à la France. A la fin du
XIX siècle, bien qu'incarné, le grand peintre de Bayonne vint visiter
cette colonie par une nuit de sublime inspiration, visite qu'il aurait
pu classer dans le domaine des rêves merveilleux. Depuis l'instant où
il a vu cette toile, Bonnat ne se reposa plus jusqu'à en avoir fait une
reproduction bien pâle, à travers une peinture qui est devenue
célèbre dans le monde entier. Cependant, les copies terrestres n'ont
pas la pureté des lignes et des lumières, et même cette reproduction
n'a pas la beauté imposante de l'original que j'ai eu la joie de
contempler de près. »

L’artiste terrestre aurait trouvé son inspiration dans un monde


spirituel. Bon, jusqu’ici, l’hypothèse est commune. Mais André Luiz
- lui-même désincarné ! - contemplerait lui aussi une copie de
l’original, quant à lui présent dans un autre monde spirituel…
vertigineux, non ? L’art est probablement l’une des choses les plus
complexes que je connaisse, le définir, et à fortiori définir sa source,
me parait impossible. La pensée que même des désincarnés puisse
contempler des copies d’originaux présents dans d’autres mondes
encore ne peut que m’arracher un sourire émerveillé, et m’amène à
109
penser que l’art est plus fondamental, et plus complexe, que l’on peut
l’imaginer au premier abord.

De mon côté, j’ai le sentiment que ces postures, et les autres, portent
chacune leur part de vérité. L’art invite naturellement à la disparité
des points de vue, puisqu’il se base sur deux briques fondamentales :
la perception et l’expression. En écrivant certaines musiques, je ne
me sens connecté qu’à moi-même, alors qu’en écrivant d’autres, plus
rarement, je sens que je ne fais que transcrire une atmosphère déjà
existante. Allons un peu plus loin.

Je vois la musique comme un intermédiaire de portée extrêmement


large. Elle me parait transcender et connecter les langues et les êtres.
On peut s’en servir pour communiquer avec des Autres, ou pour s’en
inspirer. Par la recherche de certains timbres, de certaines
atmosphères ou de certaines mélodies et harmonies, on peut créer de
véritables « bulles », de véritables ponts connectés à des éléments de
réel qui, pour moi, ne sont pas d’ici.

Je pense pouvoir différencier chez moi trois voies par lesquelles je


me sens connectée à cette musique d’ailleurs. La première, et la plus
rare, est d’entendre carrément une mélodie dans ma tête. J’entends
par exemple un choeur, ou une sorte d’abstraction de mélodie, qui se
joue sans que j’entende d’instruments que je connaisse. Si c’est le
cas, je n’ai qu’à essayer de la retranscrire ou de m’en inspirer. La
seconde, beaucoup plus commune, est la perception d’une
atmosphère, d’une ambiance particulière portant une signature
spécifique. Dans ce cas, le travail est assez complexe, car je dois non
pas transcrire une mélodie que j’entendrais, mais note après note,
texture après texture, me rapprocher de cette ambiance. C’est comme
si quelqu’un jouait une musique au loin dans une ville, avec un
instrument que je ne connais pas, et que je devais m’inspirer non pas
de la mélodie elle-même, mais de l’ambiance générale de la ville et
du ressenti de cette musique. La troisième est indirecte, il s’agit pour
moi de m’inspirer directement de mes expériences avec les Autres
pour composer à partir d’elles. Dans ce cas, je n’essaie pas de
reproduire ce que j’aurais entendu, mais de partager ce que j’ai
ressenti à leur contact.

110
D’aussi loin que je me souvienne, je crois avoir toujours senti que la
musique avait un étrange pouvoir, celui de faire réagir. C’est je crois
d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles j’en suis
rapidement devenu addict - l’écouter ou la composer vient chercher
en moi des réactions profondes. A l’évidence, pas toutes les
musiques, pas dans tous les contextes. Pour autant, difficile
d’argumenter le contraire : la musique a une capacité remarquable
d'éveiller nos émotions, dans un sens comme dans l’autre, de
stimuler l'imaginaire et de créer des liens entre les individus, bien
souvent au-delà de la langue et de la culture. Les compositeurs
peuvent tout autant créer des bulles de bonheur et toucher l’espoir
que réveiller la tristesse, instaurer du malaise, de l’inconfort, voir de
la peur. Elle colore le monde et tord nos perceptions. Vous en
doutez ? Remplacez n’importe quelle musique d’une scène
dramatique dans un film à gros budget par une musique légère.
Remplacez une musique d’horreur par une deep ambient profonde et
apaisante. Ajoutez une musique d’action particulièrement brûlante
sur une scène très calme. Internet est rempli de ces memes dans
lesquels des scènes particulièrement intenses sont détournées en ne
changeant que la musique. Pensez au naufrage du Titanic (mal) joué
à la flute…

De simple ressenti, j’en suis arrivé à une certitude, à fortiori dans


mon propre travail. La musique colore nos perceptions et influence
nos émotions. Si on accepte que c’est le cas, alors il me parait naturel
d’arriver également au fait que le compositeur - ou l’artiste en
général, peu importe le médium - porterait donc une forme de
responsabilité concernant ce qu’il propage. Je faisais référence plus
haut à cette scène dans un livre de Chico Xavier57, concernant la
copie d’une oeuvre originale présente dans un Autre monde. Dans
cette même série de livre, on trouve à ce propos une scène
particulièrement illustrative…

57 Chico Xavier. Nosso Lar, Tome 6 : Libération. Page 277.

Je cite à nouveau Xavier. Précision qui me parait importante, tant il me


parait évident que l’on me le reprochera tôt ou tard : n’y voyez pas une
intention de ma part de m’aligner sur l’intégralité de ce que l’homme a écrit.
Ces citations sont choisies pour leur pertinence dans le contexte de la
discussion.
111
Contexte. André Luiz suivait Goubio, un assistant spirituel qui
s’était donné pour mission de porter assistance à plusieurs
consciences perdues dans un monde dans lequel la violence,
l’intrusion et la haine étaient de mise. De nombreux habitants de ce
monde étaient habités par la vengeance et la haine et y restaient
sciemment, mais d’autres étaient arrivés là, sans le vouloir, en raison
de leurs comportements lorsqu’ils étaient incarnés. Nous assistons ici
à une discussion entre André et une personne présentée comme un
ancien artiste terrien, semble-t-il en proie à de nombreuses
souffrances…

— Vous permettez que je pose une question ?

— Bien entendu, répondis-je, surpris.

— Qu’est-ce que la pensée ?

Je ne m’attendais pas à la question qui m’était faite, mais


concentrant ma capacité réceptive dans le but de répondre avec
succès, j’expliquai comme je le pus :

— La pensée est sans le moindre doute une force créatrice issue de


notre propre âme, et de ce fait, c’est la continuation de notre
personne. À travers elle, nous influons sur le milieu dans lequel nous
vivons et agissons, établissant le niveau de notre influence dans le
bien ou dans le mal.

— Ah ! fit l’homme étrange, un tant soit peu tourmenté, l’explication


signifie que nos idées extériorisées créent des images aussi vivantes
que nous le désirons ?

— Indiscutablement.

— Alors que faire pour détruire nos propres ouvrages quand nous
intervenons à tort dans la vie mentale des autres ?

112
— Aidez-nous à comprendre votre cas en nous racontant quelque
chose de votre expérience, demandai-je avec un intérêt fraternel.

Probablement touché par le ton de ma sollicitation affectueuse,


l’interlocuteur exposa la perturbation qui le hantait intérieurement,
avec des phrases incisives, remplies de sincérité et de douleur :

— Je fus un homme de lettres, mais je ne me suis jamais intéressé au


côté sérieux de la vie. Je cultivais la plaisanterie malicieuse et avec
elle, le goût de la volupté, étendant mes créations à la jeunesse de
mon époque. Je n’atteignis pas une position élevée dans les hauteurs
de la célébrité, mais plus que je ne l’aurais imaginé, j’influençai de
manière destructrice de nombreuses mentalités juvéniles que
j’entraînais dans de dangereuses pensées. Depuis mon décès, je suis
incessamment recherché par les victimes de mes insinuations subtiles
qui ne me laissent pas en paix. Et pendant que cela se produit,
d’autres entités me cherchent pour formuler des ordres et des
propositions concernant des actions indignes que je ne peux
accepter. Je compris que je me trouvais en liaison, depuis mon
existence terrestre, avec un énorme gang d’Esprits pervers et
moqueurs qui m’utilisaient comme un appareil pour leurs
manifestations indésirables, laissé sans surveillance. Au fond, je
gardais pour moi, dans mon propre esprit, une quantité suffisante
d’insouciance et de malice qu’ils explorèrent largement, en ajoutant
à mes erreurs les erreurs plus importantes qu’ils essayèrent sans
succès de commettre, sans mon concours actif. Mais voilà, il
m’arrive qu’après avoir ouvert les yeux devant la vérité, dans la
sphère où nous respirons aujourd’hui, je cherche en vain à
m’adapter aux processus plus nobles de la vie. Quand je ne suis pas
tourmenté par des femmes et des hommes qui se disent victimes de
préjudices en raison des idées que je leur ai inspirées, lors du
pèlerinage physique, certaines formes étranges viennent affliger mon
monde intérieur, comme si elles vivaient incrustées dans ma propre
imagination. Elles s’apparentent à des personnes autonomes, si ce
n’est qu’elles ne sont visibles qu’à mes yeux. Elles parlent,
gesticulent, m’accusent et se rient de moi. Je les reconnais sans
difficulté. Ce sont les images vivantes de tout ce que ma pensée et ma
main d’écrivain créèrent afin d’anesthésier la dignité de mes
semblables. Elles m’attaquent, me conspuent et s’en prennent à mon
honneur, comme si elles étaient des enfants rebellés contre leur père
113
criminel. J’ai vécu n’importe comment, tel un aliéné mental que
personne ne comprend ! Mais comment interpréter les cauchemars
qui me possèdent ? Sommes-nous le domicile vivant des pensées que
nous créons ou nos idées sont-elles des points d’appui et la
manifestation d’Esprits bons ou mauvais qui se syntonisent avec
nous ?

Il y avait parmi les auditeurs une attente significative malgré le


calme qui régnait. Hésitant, le malheureux cessa de parler. Il
paraissait tourmenté par des énergies étrangères à son domaine
intérieur, hébété et tremblant sous nos yeux. Il fixa sur moi des yeux
hagards à l’étrange terreur et, se jetant dans mes bras, il se mit à
crier :

— Le voilà ! Le voilà qui arrive à l’intérieur de moi… C’est un des


personnages de ma littérature licencieuse ! Pauvre de moi ! Il
m’accuse, rit ironiquement aux éclats et il a les mains crispées ! Il va
me pendre !…

Portant sa main droite à sa gorge, il dit, affligé :

— Je vais être assassiné ! Au secours ! Au secours !…

Les autres compagnons perturbés et souffrants qui se tenaient là,


s’alarmèrent tristement. Certains tentèrent de s’enfuir, mais, par une
seule phrase, je pus interrompre le tumulte naissant. Le pauvre
amant des belles lettres désincarné se contorsionnait dans mes bras
sans que je puisse venir en aide à son esprit dévoyé et blessé.

Délicatement, j’envoyai un émissaire à Goubio qui comparut en


quelques secondes.

L’artiste décrit ici semblait en proie à de violentes hallucinations, et


surtout, il semblait à présent confronté aux conséquences spirituelles
de ses écrits : « j’influençai de manière destructrice de nombreuses
mentalités juvéniles que j’entraînais dans de dangereuses pensées. ».
Mais surtout, il semblait avoir pris conscience que ses écrits étaient
en réalité inspirés par un « gang d’Esprits » aux desseins
114
discutables… qui le poursuivaient après la mort : « Depuis mon
décès, je suis incessamment recherché par les victimes de mes
insinuations subtiles qui ne me laissent pas en paix. Et pendant que
cela se produit, d’autres entités me cherchent pour formuler des
ordres et des propositions concernant des actions indignes que je ne
peux accepter. Je compris que je me trouvais en liaison, depuis mon
existence terrestre, avec un énorme gang d’Esprits pervers et
moqueurs qui m’utilisaient comme un appareil pour leurs
manifestations indésirables, laissé sans surveillance. »

L’artiste ne décrit pas la nature de ses écrits, se contentant de


« dangereuses pensées ». On peut donc tout imaginer. Cela dit, il me
semblait assez clair que nous n’avons pas affaire à un auteur de
contes pour enfant. Et c’est précisément cette pensée, qui me lança
dans d’innombrables chemins de pensées… combien d’auteurs
étaient actuellement adulés pour leurs récits peuplés de violence ? Je
pensais, assez caricaturalement, à l’auteur de la série Game Of
Throne. N’était-il pas adulé ? Au sommet de sa gloire humaine ?
Millionnaire ? Les fans pendus à ses prochains mots ? A la lumière
de ce récit, l’interrogation émerge : devra-t-il se confronter à ses
créations une fois dans l’autre monde ? Se rendra-t-il compte,
comme cet artiste, qu’il fut en réalité inspiré par des Autres avides de
ces sensations, de ces récits ? Devra-t-il rendre des comptes sur
toutes les personnes chez lesquelles il a instillé certaines pensées et
certains actes, permettant parfois certaines situations d’intrusion, ou
de manipulation, ou pire ?

Précision : à l’évidence, dans l’histoire, qu’on se rassure, je ne me


place pas en saint culpabilisateur et moralisateur… je m’interroge
plutôt sur les profondeurs et les conséquences spirituelles de nos
actes. Après tout, au sain de l’hypothèse de la survie de l’âme, si mon
corps cesse d’exister mais que mon âme reste en vie, ne serais-je pas
tôt ou tard en face de mes actes comme tant d’auteurs le décrivent ?
Ne serais-je pas tôt ou tard en face de mes créations et de ce qu’elles
ont induit chez l’autre ?

Il me parait logique d’arriver au fait que si je suis bel et bien


responsable de mes pensées et que j’accepte l’idée que mes pensées
puissent être créatrices, il en va de même pour mes créations

115
artistiques, qui n’étaient qu’une extension de ma pensée et de mon
être ?
Les personnages que je créé dans mes textes existent-ils quelque part
? Les musiques que j’écris sont-elles jouées dans un Autre monde ?
Pour cet artiste décrit par Chico Xavier, il semblait que ça soit le cas.
Ses propres créations, ses propres personnages venaient le hanter
dans d’étonnantes hallucinations post-mortem.

Oh, bien sûr, si j’écris un poème sur la beauté du printemps, il ne me


semble pas risquer d’être victime d’Autres déséquilibrés. Mais si
j’étais l’auteur à succès d’un film particulièrement violent ? Et si
j’étais l’auteur d’une musique emplie de haine ? Et les acteurs,
étaient-ils parfois soumis à l’influence de certains Autres ? Au cours
de mes recherches (si, si, YouTube, c’est pour le travail…), je suis
tombé sur cette interview de Gerard Butler58 qui incarne Léonidas
dans le film « 300 », et une phrase en particulier, qui passe
probablement inaperçue pour beaucoup, m’avait vraiment surpris et
m’avait au final fait plus réfléchir que ce que j’aurais pu imaginer :

« Sounds weird, but I would literally channel Leonidas… I would


almost do these meditations where I would feel him coming into me
through time, through some kind of weird portal, like just coming
into my body, and I kinda felt, if he’s in me, then I’m just trusting this
is transmitting »

« Ça peut paraître bizarre, mais je canalisais littéralement


Leonidas… Je faisais presque ces méditations où je le sentais entrer
en moi à travers le temps, à travers une sorte de portail bizarre,
comme s’il entrait dans mon corps, et j’avais l’impression que s’il
était en moi, alors je faisais confiance au fait que cela se
transmettrait (ndlr: à l’image ?) ».

Coquetterie d’acteur pour « se la raconter » ? Invention pure ?


Possible. Pour autant, l’hypothèse, en elle-même, c’est-à-dire la
possibilité qu’un acteur ou une actrice canalise un Autre, n’en restait
pas moins valide à mes yeux.

Gerard Butler Breaks Down His Most Iconic Characters | GQ. https://
58
www.youtube.com/watch?t=162&v=-3rtedLsJFw
116
Certains de mes contemporains semblent assez clairs : ce n’est
« que » de l’art. Laissez vos considérations puritaines en dehors de
l’art ! Laissez l’expression totalement libre ! Exprimons nos
fantasmes les plus inavouables, ce n’est que de l’art, c’est de la
catharsis, c’est bon pour nous ! Il vaut mieux ça dehors que dedans !
Et autres justifications que je connais par cœur. Par ailleurs, dans un
contexte matérialiste en rejet de la religion et de la spiritualité, rien
d’anormal, la position est parfaitement logique.

De mon côté, au fil du temps et des expériences, j’étais plus mesuré.

Et si… ?

117
Un Autre monde
« Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent
l’avenir. »
Pierre Dac.

J’ouvrais ce livre en m’interrogeant sur ce qui me paraitrait changer


réellement le monde à l’heure actuelle. Je répondais, entre autre :
« Que les Autres fassent partie intégrante de nos sociétés, à tous les
niveaux et ce de manière ostensible et commune. ». Il est à présent
temps de fermer la boucle, et de tenter d’y répondre, non plus avec
des expériences, mais avec une réflexion prospective et spéculative.
J’en vois certains bénéfices évidents pour nourrir la pensée, même si
il faut bien entendu se rappeler que, comme tout exercice
d’anticipation et d’extrapolation, il est forcément limité,
particulièrement subjectif et ne peut être exhaustif. Il ne sera pas non
plus question d’aborder comment la société est arrivée à ce point. On
s’imaginera peu après un Jour 0, au cours duquel un ensemble de
preuves non-ambiguës ont amené la prise de conscience globale de
l’existence des Autres, sans en savoir davantage sur ces derniers.

Définitions. L’évident en premier. La découverte remet en question


notre compréhension de ce que signifie être conscient, être
intelligent, être perceptif, être vivant, être mort, et repousse les
limites de notre compréhension de la réalité. L’humain ayant déjà
plus ou moins perdu son statut d’unique créature intelligente du
cosmos avant l’évènement, on imagine facilement que le concept
d’Humain Roi vient d’être définitivement enterré. Les concepts
d’identité, d’influence, de perception et d’expression accusent de
sérieux coups. L’humain doit redéfinir le concept de subjectivité et
d’objectivité.

Science. Les paradigmes existant sont remis en question. La


physique est peut-être à mettre-à-jour avec la découverte de la
technologie des Autres. Pour beaucoup, il devient nécessaire de
développer de nouvelles méthodologies et technologies pour étudier
et interagir avec ces consciences. On imagine la création de
nouvelles technologies, peut-être basées sur les appareils de réalité
augmentée, pour interagir avec les Autres. On imagine un pan de
118
l’humanité réfractaire à l’usage de technologie pour communiquer
avec eux, un autre pan technophile à l’opinion opposée. On imagine
une disparité économique et sociale chez ceux qui ont accès à ces
technologies, et ceux qui n’y ont pas accès.

Société. La majorité, devant les preuves accablantes, accepte cette


nouvelle réalité. Une minorité la rejette. Des tensions sociales se
créent. Les normes et valeurs pourraient évoluer en fonction des
enseignements de certains Autres. Cela conduit à des changements
dans le comportement social. L'art, la musique, la littérature et la
culture en général seraient fortement influencés par cette découverte,
créant de nouveaux mouvements et courants d'expression.

Droit et éthique. Les juristes ouvrent de nouveaux chapitres dans


leurs ouvrages. Des questions se posent quant au statut juridique et
éthique des Autres. Doit-on étendre le droit ? Quels droits devraient-
ils avoir ? Dans nos systèmes juridiques actuels, les droits sont
généralement accordés aux êtres humains et, dans une certaine
mesure, aux animaux. La reconnaissance des Autres exigerait une
refonte majeure de notre système juridique pour inclure des entités
qui ne sont pas terriennes au sens où nous le comprenons
traditionnellement. Comment devrions-nous interagir avec eux de
manière éthique ? Les liens d’influence et d’inspiration sont mis-à-
jour. Des comités éthiques se forment. Certains Autres y participent.
Beaucoup de voix se lèvent. Certains estiment que l’humain ne
devrait pas se laisser influencer par eux. D’autres estiment que nous
aurions tout à apprendre d’eux. D’autres encore postulent que nous
sommes influencés par eux depuis des éons, et que cela ne changera
rien fondamentalement. Les gouvernements doivent repenser leur
structure de fonctionnement en intégrant les Autres. Certains crimes
voient leur résolution modifiée du fait que l’on donne à présent à la
voix aux Autres, et donc potentiellement à d’anciennes victimes à
présent désincarnées. La justice se repense.

Entreprises. Beaucoup d’entreprises ont l’intention de tirer profit de


la situation. Certaines vendent des remèdes décrits comme inspirés
par des Autres médecins d’autres galaxies, d’autres vendent des
interfaces révolutionnaires pour communiquer avec eux : les
Interfaces de Communication avec les Autres (I.C.A). Ici, elles
chercheront à développer du divertissement inspiré. Un Autroscope,
119
parc d’attraction populaire voit le jour, subventionné par l’Etat. Là,
elles chercheront le moyen de décrédibiliser la voix de certains
Autres par des moyens divers, pour des intérêts financiers, voire
même de décrédibiliser toute forme de communication avec Eux qui
ne soit pas faite avec les outils développés par la société en question.

« Comment ? Vous essayez encore de communiquer avec Eux sans


notre Communicator 3000TM recommandé par le gouvernement lui-
même ? Mais enfin Monsieur, il faut vivre avec son temps ! Vous
savez qu’il existe 81% de biais dans les communications sans I.C.A
selon les dernières études ? Vous savez que pas plus tard que la
semaine dernière, une personne est MORTE à cause d’une mauvaise
communication ? Ecoutez, soyez raisonnable. Vous ne voulez pas
mourir, si ? Votre grand-mère s’en sert. Vous aimez votre grand-
mère, non ? Je vous le demande les yeux dans les yeux Monsieur
Jonpi : tout le monde l’a, pourquoi pas vous ? Avec le code promo
AUTREMONDE, vous avez 10% sur votre premier Communicator
3000TM ! Communiquez avec l’Autre monde* ! *voir conditions en
magasin, sous réserve de stocks disponible, visuels non-contractuels. »

Vous pensez ça irréaliste ou dystopique ? Poursuivez donc. Je n’ai


aucune compétence en marketing, j’ai donc demandé à ChatGPT4 de
m’écrire un petit communiqué d’une entreprise vendant un
SpiritLink, un appareil concurrent…

« Mesdames et Messieurs,

Je suis ravi d'être ici aujourd'hui pour vous présenter quelque chose
de révolutionnaire. Nous sommes à l'aube d'une nouvelle ère et j'ai
l'honneur de vous présenter SpiritLink, votre clé pour déverrouiller
le monde spirituel.

Dans une ère où l'humanité a découvert l'existence d'entités


spirituelles, l'importance de la communication avec elles n'a jamais
été aussi vitale. Que vous soyez un chercheur désireux de
comprendre ces entités, ou simplement une personne cherchant un
contact avec le monde spirituel, SpiritLink est votre porte d’entrée.

Permettez-moi de vous donner quelques raisons convaincantes pour


lesquelles vous devriez choisir SpiritLink:
120
Sécurité. SpiritLink utilise une technologie de pointe pour assurer
que toutes les interactions avec les entités spirituelles sont sûres et
respectueuses. Nous avons des protocoles de sécurité en place pour
protéger les utilisateurs des communications indésirables ou
potentiellement nuisibles.

Facilité d’utilisation. Nos ingénieurs ont travaillé sans relâche pour


rendre l'interface SpiritLink aussi intuitive que possible. Vous n'avez
pas besoin d'être un expert en technologie ou en spiritualité pour
l'utiliser.

Fiabilité. SpiritLink est conçu pour fournir une communication


claire et fiable avec les entités spirituelles. Vous ne manquerez
jamais un message ou une connexion importante.

Personnalisation. Avec SpiritLink, vous pouvez personnaliser votre


expérience en fonction de vos besoins spécifiques. Que vous
cherchiez des réponses à des questions profondes, ou simplement à
établir un lien avec le monde spirituel, SpiritLink peut être adapté à
vos objectifs personnels.

Enfin, je veux souligner que SpiritLink n'est pas seulement une


technologie, mais un pas en avant dans la compréhension de notre
place dans l'univers. En ouvrant la voie à une communication claire
avec les entités spirituelles, SpiritLink vous offre la possibilité de
participer à la plus grande conversation de l'histoire de l'humanité.

Etes-vous prêt à déverrouiller le potentiel du monde spirituel avec


SpiritLink? »

Soyez honnête, vous n’avez pas envie d’en acheter un ? En leasing,


c’est trois fois rien… pas plus que votre abonnement Netflix !
Plaisanterie à part, songez que si un random joyeux luron avec un
modèle de langage du début du 21ème siècle peut sortir ça, imaginez
une multinationale avec un département marketing budgété à des
milliards…

Il me parait raisonnable d’estimer que d’autres essaieront de soutirer


un maximum d’informations à certains Autres, voir de faire affaire
121
avec certains, pour développer des technologies ou des services,
voire bloquer certaines connaissances pour des raisons financières.
Des chartes éthiques, en particulier de non-espionnage industriel, se
mettent en place, avec plus ou moins de succès dans les différentes
sociétés commerciales.

Spiritualité et religion. La reconnaissance des Autres a un impact


significatif sur les croyances religieuses. Beaucoup renforcent leurs
croyances (toutes ces années, j’avais raison !), certains y renoncent
(j’avais raison, mais pas comme je l’imaginais et surtout pas comme
on me l’a enseigné). Beaucoup de spiritualités se remettent à jour.
Certains vouent des cultes à certains Autres. D’autres créent des
temples. Des sculptures. Des statues. La spiritualité gagne en
popularité. Des charismatiques s’érigent en intermédiaire Premium.
Beaucoup prennent du pouvoir en surfant sur la vague de temporaire
ignorance de la majorité des humains.

Intérêts. On imagine parfois les Autres comme n’ayant plus aucune


forme d’intérêt par rapport à ce qu’il se passe sur Terre. Mais songez
que si l’humanité apprend que chaque être ne meurt pas en réalité, et
devient un Autre après cette vie, alors il existera certainement des
Autres qui ont encore des liens d’attachement avec certaines
personnes encore en vie. Voire des groupes. Qui dit lien
d’attachement, peut dire lien d’influence, ou lien d’intérêt.

Éducation. Les programmes éducatifs se modifient pour inclure des


informations sur les Autres : ce que nous savons d’eux, comment
communiquer avec eux, l’histoire de leur découverte, leur propre
histoire. Les enfants naissent avec cette réalité, ils ne comprennent
pas les anciens qui ont connu le monde d’avant, quand tout ça
n’existait pas.

Santé. De nouvelles manières de soigner émergent. On redéfinit


certaines pathologies psychiatriques, que l’on comprend désormais
mieux. Certains classés comme étant victime d’hallucinations sont
reclassés en simple perceptifs. Le joyeux luron comprend enfin les
opérations qu’il lui ont été faites. Il déchante d’apprendre qu’on lui a
attribué le nom de code 987QS suivi d’une mention « patient
particulièrement relou, éviter le dialogue » dans une étude en
quintuple aveugle sur un ensemble d’implants permettant de ralentir
122
la chute des cheveux pour un release prochain sur Proxima du
Centaure. C’est dur, mais il s’en remettra.

Démographie et phénomènes migratoires. On peut imaginer que


certains Autres soient préférentiellement associés à certaines zones
géographiques terrestres. Certains endroits deviennent des sites de
pèlerinage, modifiant les flux de personnes. De l’autre côté du
spectre, certaines régions perçues comme étant des repaires d’Autres
nuisibles sont désertées.

Alimentation. L’humain s’aperçoit que certains Autres sont très liés


aux animaux. Leur consommation, leur prédation de masse et leur
abattage par milliards devient d’autant plus problématique.

Evolution de la pensée. Imaginons un Autre, en tout point


semblable à un humain : il a deux bras, deux jambes, deux yeux,
deux oreilles, et dans son apparence physique, rien ne le distingue
vraiment d’un humain terrien. Il vient d’une civilisation dans une
galaxie lointaine et peut se déplacer sur Terre dans un corps spirituel.
Quand il vient, il n’est pas visible directement, mais la technologie
actuellement en place permet de le percevoir directement. Certains
perceptifs n’ont pas besoin de technologie, ils le perçoivent de
manière innée. Imaginons que cet être possède une caractéristique
spécifique, qu’il partage avec l’ensemble de son peuple : il perçoit de
manière automatique, sans assistance technologique, le réseau
d’information que génère l’ensemble de ses membres. Plus
précisément, il a conscience de ce que j’appellerai grossièrement ici
la « conscience collective » de sa civilisation, de sa planète. Comme
on plonge sa main dans l’eau, il peut plonger son esprit sans effort
dans les mailles du réseau et l’explorer, comme si, en parallèle de sa
propre conscience, il avait accès au « cerveau » de son peuple. Ce
maillage de conscience collective inclut l’état mental, l’état
émotionnel, les intentions, les perceptions, les réflexions, les
pensées, les dits, les non-dits, les pratiques, les traditions… bref, la
musique de chaque membre et la musique de sa civilisation.

L’ermite perdu dans le fin fond de la forêt est, dans cette civilisation,
en mesure de percevoir ce qu’il se passe partout dans son monde, de
communiquer avec quiconque, de la même manière que quiconque
peut percevoir et communiquer avec l’ermite ; mais aussi
123
comprendre ce qu’il a compris et percevoir ce qu’il perçoit. Un
fonctionnement qui a impliqué une sérieuse redéfinition des concepts
de vie privée et de vie publique, on l’imagine.

Imaginez que cette civilisation aurait compris depuis longtemps que


chaque élément du réseau perçoit cette musique gorgée
d’informations collectives, qu’il le veuille ou non, et qu’il est
influencé par elle, qu’il le veuille ou non. Cette conscience de ce soi
collectif a peu à peu inspiré une sorte de responsabilité collective.
Chacun ayant compris qu’il participe au réseau par ce qu’il vit,
génère, expérimente, pense, perçoit et chacun ayant compris qu’il est
influencé par la qualité de ce même cerveau collectif, chacun fait
logiquement de son mieux pour créer un réseau de qualité, dans une
logique de ruche. Tout le monde, sans aucune exception, est en
mesure de communiquer, de s’informer, en se baladant mentalement
dans ce réseau, en se liant à ce dernier, en se couplant à ce dernier.
Chacun peut voir, comprendre, agir en profondeur sur l’architecture
globale du réseau, ainsi que comprendre profondément et percevoir
chaque individualité, dans un réseau que l’on imagine
particulièrement complexe et intriqué.

Imaginons que cela soit son fonctionnement classique, habituel,


banal, quotidien. L’être est à la fois inclus dans une conscience
collective, il inspire cette dernière, il y a accès, il en comprend tous
les rouages, il peut se balader dans n’importe quel élément du réseau,
il est dans la ruche en tant qu’élément constituant, et à la fois, il est
un être entier, doté d’une forme de libre arbitre. L’être fonctionne
comme ça depuis des éons, il ne lui viendrait même pas à l’idée de
fonctionner différemment. Toute sa structure mentale, émotionnelle,
physique, tout son être est calibré pour ce fonctionnement. Ses
perceptions, qui incluent donc l’état de ce réseau, ont participé à
créer un fonctionnement mental unique, adapté à la conscience
collective de cette civilisation.

Imaginons à présent que nous arrivions, nous, devant l’un de ces


êtres avec l’actuel bagage mental occidental dominant : ma pensée
est issue de mon seul cerveau, je ne peux pas avoir accès aux pensées
des autres, ma conscience est purement subjective, il n’existe pas de
conscience collective, je suis un individu isolé. Arrivons-nous à
imaginer à quel point notre pensée serait différente de la sienne ?
124
Arrivons-nous à imaginer l’évolution que pourrait prendre la pensée
humaine si elle était en contact avec ces Autres là ?

Paul et Maxime. Tout ça reste un peu abstrait ? Plongeons plus en


profondeur dans une histoire dont toute ressemblance avec la réalité
ne pourrait être que fortuite.

***

Dans le hall animé du Palais de l'Élysée, le murmure des couloirs


s’élève plus qu’à l’accoutumée. L’atmosphère est électrique. Paul
Littique, un politicien influent et respecté, se prépare pour une
conférence importante. Mais le bruit dont il est pourtant familier
l’agace. Il peste, se renverse quelques gouttes de café sur sa chemise
neuve. Il n’arrive pas à se concentrer. Il va aborder la nouvelle réalité
de l'humanité, l'existence des Autres et l'impact de cette découverte
sur la politique française. L’enjeu est énorme. Il s’essuie le front
fébrilement, et décide de s’isoler quelques minutes dans son bureau.
Tandis qu’il arrive finalement à trouver quelques secondes
d’apaisement en contemplant son I.C.A marbré, son téléphone sonne
bruyamment.

Il décroche et reconnait immédiatement la voix au bout du fil.


Maxime Bilot, haut placé chez SpiritLink. Les dents qui frottent le
sol. Paul se crispe.

- Paul, un plaisir de vous avoir ! Comment vont les enfants ? attaque


Bilot d’une voix enjouée.

- Je dois assister à une conférence importante Monsieur Bilot, ce


n’est pas le bon moment.

- Toutes mes excuses pour le dérangement Monsieur Littique, mais je


crois que le moment est au contraire particulièrement opportun !
Nous avons bien sûr entendu parler de votre prochaine conférence et
nous pensons que ce serait une excellente opportunité pour vous de
recommander notre SpiritLink. Dois-je rappeler qu’il est le plus
avancé sur le marché, garantissant une connexion claire et fiable
avec les Autres ? Monsieur Littique, vous êtes un politicien
expérimenté, je vous passe le jargon commercial. D’homme à
125
homme, je vous le dis : tout le monde en a besoin, il est absolument
crucial que vous en parliez. Je crois savoir que vos enfants les
apprécient énormément…

Paul l’interrompt. Il s’essuie de nouveau le front. Comment sait-il ?


Emilie et Léo. La prunelle de ses yeux. C’est vrai qu’ils jouaient
beaucoup avec le SpiritLink. La machine était-elle si sécurisée qu’ils
le prétendaient ? Enregistraient-ils les conversations ? Déstabilisé, il
tente de chasser ses pensées de son esprit.

- Monsieur Bilot, nous n’avons pas tous besoin de ces interfaces.


Avez-vous entendu parler des perceptifs-natifs ? C’est à la une du
Monde depuis une bonne semaine. Ils sont capables de communiquer
sans aucune aide technologique. Je suis politicien, pas commercial.
Je ne m’intéresse qu’au bien de tous…

Il y a un moment de silence au bout du fil. Maxime tranche alors :

- Oui, j’en ai bien sûr entendu parlé. Les per-nats’… ils semblent
exister et font certainement beaucoup d’effets auprès des ados…
mais j’aimerais attirer votre attention sur le fait que notre technologie
rend cette communication fiable et accessible à toutes et tous, pas
seulement à quelques élus ! Et franchement, Maxime, vous n’êtes pas
sans savoir qu’il y a beaucoup de faux perceptifs là-bas, notre
technologie élimine totalement ce risque… Nous sommes entres
adultes sérieux… je crois vous savoir attaché à la démocratie,
Monsieur Littique ? Soyez assuré que c’est précisément parce que
j’ai le même attachement que vous au bien commun que je suis
permis de vous appeler…

Pierre soupire le plus discrètement possible. Quel rapace ! Oh,


n’étant pas perceptif-natif et particulièrement frustré de ne pas
pouvoir communiquer avec Eux, il comprenait le point de vue…
Maxime avait frappé là où ça faisait mal. Pour autant, il savait aussi
que les natifs avaient beaucoup à offrir. Ils avaient une connexion
naturelle avec les Autres et leur présence renforçait l'idée que chaque
personne avait le potentiel de se connecter à ces êtres, avec ou sans
technologie.

126
- J’entends votre argument, répond finalement Paul. Mais je pense
que nous devons valoriser toutes les formes de communication avec
les Autres, qu'elles soient technologiques ou non. Notre objectif doit
être l'harmonie et la compréhension, pas la domination
commerciale ! Par soucis d’inclusivité, je mentionnerai peut-être
votre technologie dans mon discours, mais sachez que je mettrai en
avant le rôle des perceptifs-natifs…

- A votre bon sens, Monsieur Littique. C’est toujours un plaisir de


vous avoir. Je vous souhaite une excellente conférence, je sais déjà
vous allez conquérir vos auditeurs comme vous savez si bien le
faire…

Paul raccroche, mécontent. L’impression de s’être fait avoir. Tenace.


Amère. Il se tourne vers l’I.C.A. Soupirant une dernière fois, il se
décide à allumer le SpiritLink pour chercher une connexion avec
celui qu’il considère comme son guide spirituel, un être de sagesse et
de justice connu sous le nom de Justinien. Une série de diodes
s’allument. En contact avec Justinien, Pierre cherche des conseils
pour son discours à venir. La communication est subtile, faite de
sensations, de sentiments et d'images plutôt que de mots précis.
Justinien lui transmet une sensation de paix et d'unité, ainsi que
l'image d'un monde où les humains et les entités spirituelles
coexistent en harmonie. Pierre comprend le message : son discours
devrait promouvoir la paix, l'unité et la coopération entre les humains
et les entités spirituelles. Il remercie Justinien pour ses conseils et se
déconnecte de l’interface. Paul sort de son bureau.

- C’est à nous…

***

Amour. Certaines personnes développent des relations amicales,


amoureuses et sexuelles avec des Autres. Tinder, Happn et Fruitz se
frottent les mains. Des sociétés investissent dans des I.C.A
spécialisées dans les relations sentimentales, et développent les
gadgets additionnels adéquats en supplément. Des célibataires
endurcis tentent leur chance dans d’autres mondes, avec d’Autres
vivants. Imaginez.

127
*

[Scène d'ouverture : Un écran blanc pur. Le logo de SpiritLink se


dévoile lentement avec les couleurs de l’arc-en-ciel. Une note de
piano seule se joue.]

Narrateur : « Chez SpiritLink, nous repoussons sans cesse les limites


de ce qui est possible. »

[Des images de personnes, seules, regardant au loin, une pointe de


tristesse dans leur regard. Nouvelle note de piano.]

Narrateur : « Nous avons tous ressenti ce sentiment... Ce désir d'une


connexion plus profonde, plus significative. »

[Transition rapide vers l'image d'un objet élégant et épuré, un


SpiritLink d'une lumière douce.]

Narrateur : « C'est pourquoi nous avons créé le I.C.Love »

[Les images montrent des personnes tenant l'appareil, leurs visages


s'illuminent de joie, d’émotion. Les arpèges pianistiques se font
entendre, ils montent en crescendo, accompagnés d’une musique
électronique moderne et subtile. ]

Narrateur : « La première interface conçue spécifiquement pour vous


aider à trouver l'amour parmi les Autres. »

[L'écran s'assombrit légèrement, le I.C.Love brille plus fort.]

Narrateur : « Des millions d'âmes à découvrir, des relations


inimaginables vous attendent. »

[Des images de personnes utilisant l'interface, des sourires radieux,


des larmes de joie, des regards pleins d’émerveillement.]

Narrateur : « Des célibataires du monde entier ont déjà commencé ce


voyage incroyable. Ils ont trouvé plus que l'amour, ils ont trouvé le
sens de leur existence dans le partage et dans la joie. »

128
[Des animations élégantes montrent l'interface utilisateur facile à
utiliser du I.C.Love, la technologie à l'œuvre derrière. Des coupes
type scanner montrent un objet d’une remarquable complexité.]

Narrateur : « Notre technologie innovante, belle et intuitive, rend ces


rencontres possibles. I.C.Love est plus qu'un produit, c'est une
révolution dans la manière dont nous vivons l’amour. »

[Retour à l'écran blanc pur, le logo de l'entreprise apparaît


lentement.]

Narrateur : « I.C.Love. Votre âme soeur n'est peut-être pas humaine,


mais elle vous attend. »

[Scène finale : L'écran devient noir, le logo de l'entreprise reste.]

Narrateur : "I.C.Love. Réinventez l'amour. Touchez l’infini. »

D’autres séparés par la mort retrouvent une forme de


communication, pour le meilleur et pour le pire. Certaines âmes,
certains liens s’apaisent pour de bon.

***

- Non, mais non, ça a rien changé ! lâche Ethan en soupirant. Ouais,


je sais, je sais, ils en parlent partout. Mais j’en sais rien. Vingt ans
que je rêve de ce jour. C’est pas comme j’imaginais…

- Au moins, plus personne te prend pour un dingue ? rétorque son


frère Yohan. Sauf moi, bien sûr…

- Tu crois vraiment que maman a changé d’avis ? Même après 30


séances avec ce fichu SpiritLink elle n’a toujours pas avalé…
pourtant Lilia était là, à lui parler ! Et tu sais comme je fuis ces
technologies… puits à pognon… y’a que les cons qui l’utilisent,
franchement, c’est pas si compliqué de les percevoir, non ? Des
siècles qu’on essaie de vous le dire…

129
- Parle mieux de ta mère ! Y’a 8 milliards de gens qui pensent
différemment maintenant. Qu’est-ce qu’on en s’en fout que maman
prenne le temps d’encaisser ? Tu la connais… accepter que son fils
qu’elle croit fou depuis 40 ans communique réellement avec une
ancienne guérisseuse du moyen-âge… même pour moi c’est chaud !
Eh, tu sais, quoi, je vais nous commander deux rhums, ça te changera
les idées… Alice va pas tarder, toute façon…

- Pfff, je sais pas pourquoi j’ai accepté de venir ! Je vais finir bourré
à tenir la chandelle, comme d’hab…

- Toujours mieux que dans ton canap’ à finir bourré tout seul, non ?
Un an que je suis avec elle, t’as toujours pas sorti ton museau pour la
rencontrer…

- Faut voir comment tu me l’as vendu aussi… J’aime pas les


« rationalistes »… ils m’ont rendu la vie dure avec leur prétendue
logique parfaite alors qu’elle est claquée au sol et bourrée de biais
que même des gosses comprendraient, pourquoi je bois avec eux
maintenant que soudain, tout le monde a compris qu’on était pas
dingues ? J’ai pas même l’énergie de lui filer un bon gros verre de « I
told you sooo ». Quelle belle bande de faux-c…

- Heeey Alice ! Enfin ! s’exclame Yohan, voyant Alice arriver. Alice,


je te présente Ethan, le sale type qui me sert de frère ! Oh, ça va, on
plaisante ! Ethan, voici Alice. Elle travaille chez TemaTech en tant
que…

- Senior Executive Manager. Pleasure to meet you Ethan. Yohan m’a


beaucoup parlé de toi…

- Il m’a aussi beaucoup parlé de toi…

Malgré les gentils mots, l’atmosphère se refroidit subitement et


s’électrise, comme deux chats qui se jaugent en feulant avant de
bondir d’un coup de griffe dévastateur.

- Je suis désolée pour le retard. Je suis en plein rush au boulot.

130
- No worries sweetheart, apprécie mon anglais pendant que je nous
commande à boire…

Soudain, Ethan se redresse. Lilia est là. Il la perçoit.

- C’est incroyable, Alice, interrompt soudain Ethan. Lilia me dit


qu’elle croit en toi. Elle voit en toi la force d’une guerrière.

Alice se braque. Ces discours prétendument canalisés l’ont toujours


agacé. Mais avec les derniers évènements, on ne pouvait plus les
ignorer comme avant…

- Elle me dit que tu as la réponse en toi. Qu’il faut se fier à ce que dit
ton coeur, à ce que tu ressens au fond de toi par rapport à… Jeanne ?

Alice se retient d’exploser. Elle ne connait aucune Jeanne. Certes, il


y avait bien Jade, au coeur de ses problèmes… et effectivement,
entre agir selon sa logique ou son instinct, la décision était
particulièrement lourde de conséquences. Elle lâche un froid :

- Je connais aucune Jeanne. Ecouter son coeur, pff ! On est sur


Facebook ? Une décision, ça doit être rationnel, surtout dans la
tech… C’est sûr que quand on a aucune responsabilité…

Ethan laisse glisser la pique. En contact direct avec Lilia, il se sent


fort. Il poursuit calmement.

- Elle t’admire. Elle a du se battre contre des hommes aussi, en son


temps. Elle sait ce que c’est.

Alice avale sa salive nerveusement. En son sein, elle est touchée.


Elle se sent comprise intérieurement pour la première fois de sa vie,
portée d’une énergie nouvelle, accompagnée d’une présence
bienveillante. Comme une vieille amie qu’elle n’a pas vu depuis très
longtemps. Elle ne laisse rien paraitre.

- Et voilà, Ethan rejoue le médium de comptoir, comme d’hab !


explose de rire Yohan. Allez, c’est ma tournée aujourd’hui… qu’est-
ce qui vous ferait plaisir ce soir ?

131
Trois semaines plus tard, Ethan est réveillé par son téléphone.
Numéro inconnu. Une intuition. Il décroche. Il reconnait
immédiatement la voix d’Alice.

- Ethan, tu m’as ouvert les yeux… je crois que je te dois des


excuses… et surtout, que je te dois un grand merci…

- C’est surtout Lilia, que tu devrais remercier. Je crois qu’elle te porte


vraiment une affection très particulière…

- Tu vas me prendre pour une folle… mais je crois que… j’étais avec
elle dans une autre vie…

***

Morale. Si chacun s’aperçoit que des Autres peuvent lire leurs


pensées les plus profondes, il se met en place une forte incitation à
tendre vers davantage d’honnêteté.

Capacités spirituelles. Des Autres enseignent le développement des


capacités spirituelles partout dans le monde. Les gens découvrent
l’expérience de sortie hors-du-corps, la médiumnité, la vision à
distance et tous les autres phénomènes habituellement classés comme
parapsychologiques ou paranormaux. Ils peuvent organiser des
rencontres hors-du-corps avec certains Autres en suivant par exemple
leurs directives. Des réponses à des questions très profondes sur le
sens de l’existence, les missions ou plans de vie sont discutées très
directement.

Et vous, que feriez-vous ?

132
Epilogue
« En fait, t’es un chaman » me lance ma moitié d’un sourire
malicieux. Je pouffe, flairant la farce. Je crois n’avoir rien d’un
chaman. Mais elle ne plaisante pas. Elle poursuit, devant mon
incrédulité. « Mais si, réfléchis. Les chamans servent de liens entre
les esprits et les humains dans certaines civilisations. Ils perçoivent
les esprits, ils communiquent avec eux. Toi, t’es juste ça, mais dans
une civilisation qui le reconnait pas. ». Pas bête. Corine Sombrun
l’avait rappelé dans l’une de ses conférences. Certaines tribus ne
prennent même aucune décision sans avoir consulté un chaman, qui
lui même consulte les esprits pour ne pas les offenser, ou pour
obtenir certaines informations provenant du monde des esprits. Alors,
j’étais ça ? Un intermédiaire ? Je n’étais pas fou ? Les Autres étaient
bien réels ? Pourquoi je les percevais et pas tout le monde ? Pourquoi
étais-je dans une société qui ne reconnait pas ce rôle ?

Je n’utilise pas de transes. Ni de tambours. Ni de psychédéliques.


J’entends la Musique de leur être, qui joue à côté des humains. Avec
eux, parfois. Les bons jours, j’entends même leurs pensées, j’entends
ce qu’ils me disent, j’entends certains qui s’attachent à certains lieux,
à certaines personnes. Parfois, nous communiquons. Parfois, ils rient.
Parfois, ils s’amusent du fait que je peux les entendre. Parfois, ils
sont en colère. Parfois, ils m’aident. Parfois, ils m’insultent. Et
parfois, ils m’opèrent. Aucun ne se ressemble.

J’ignore tout d’Eux. Et très souvent, je m’interroge sur ma santé


mentale et sur celle du monde dans lequel je suis. Me suis-je incarné
trop tôt, ou trop tard ? En réalité, ces questions m’épuisent. Parce que
je ne me sens pas fou. Parce que ma pensée me parait claire et pas
plus chaotique que mes compères incarnés. Parce que ma logique ne
me parait pas nécessairement plus percée que celles de mes pairs.
Parce que je sens au fond de moi que malgré mes centaines de biais,
je touche du réel, bien réel, et pas du fantasme, bien fantasmé.
Fatigué, parce que la condescendance de mes contemporains me
parait bien souvent rude, maladroite et inintelligente.

J’ignore tout d’Eux. Et pourtant, ils m’ont beaucoup appris, et ne


cessent de le faire. Peut-être que nous ne faisons que tourner autour
133
d’une même réalité. Peut-être que l’humanité a temporairement
oublié leur existence. Peut-être qu’une partie de nos problèmes
peuvent être résolus en demandant de l’aide à certains de ces Autres,
et en écoutant leurs réponses. Ou peut-être tout simplement en
commençant par les respecter, et respecter celles et ceux qui tendent
l’oreille et qui les entendent. Peut-être est-il temps de descendre du
trône en carton que nous avons créé pour nous rassurer. Peut-être est-
il temps de faire moins de bruit et d’écouter davantage. Combattre
moins, accueillir plus. Moins de scissions, davantage de liens. Peut-
être est-il temps de lever certaines cloisons pour avancer pour de
bon. Et de construire enfin un édifice inspirant, solide et pérenne.

Et maintenant que les briques principales ont été posées et les


différents fusibles installés, il va être temps de conclure cet ouvrage
en entrant davantage dans le détail concernant ce qu’ils m’ont appris.
Comme le dit le dicton, on reconnait un arbre à ses fruits. Alors, je
me dis que même s’il était avéré que je sois victime d’une pathologie
psychiatrique et qu’il était prouvé sans ambiguïté possible que ce que
je perçois ne sont que des artefacts sans aucune forme de réalité autre
que mon cerveau malade combiné à des sur-interprétations
d’interprétations, si des idées nouvelles et fécondes peuvent malgré
tout émerger, alors le travail n’aura pas été vain.

Des idées nouvelles qui m’ont forcé à revoir mes certitudes, ils m’en
ont - directement et indirectement - amené de nombreuses. Mais ce
sont aussi surtout des questions nouvelles qui ont émergé. Des
questions qu’il m’aurait été difficile voir impossible d'imaginer avant
ces expériences. En voici quelques unes, concernant par exemple
ceux qui m’ont opéré.

Comment opèrent-ils ? Comment implantent-ils ? Quelle technologie


utilisent-ils ? Agissent-ils à distance ? Que font-ils de leurs journées
après avoir implanté des gugusses comme moi ? Ils boivent une bière
sur Proxima ? Où vivent-ils ? Pourquoi font-ils ça ? Ont-ils peur ?
Vivent-ils des moments de joie ? Quel est le raisonnement qui leur
permet d’arriver à la conclusion qu’il faut agir de cette manière sur
un singe terrestre ? Comment se situent-ils par rapport aux autres
consciences qui n’ont pas de corps biologique ? Doivent-ils
composer avec une forme de hiérarchie ? Ou bien ce sont eux les
tauliers ? Comment ont-il appris à faire ça ? Ont-ils des universités ?
134
Des lieux d’apprentissages ? Comment arrivent-ils à paralyser le
corps biologique, et le corps subtil également ? Comment arrivent-ils
à modifier nos émotions, à stopper net une attaque de panique par
exemple ? Comment arrivent-ils à générer des états vibratoires ?
Comment font-ils pour modifier nos perceptions ? Et de nombreuses,
nombreuses autres interrogations…

Mais si je devais retenir deux idées qui m’ont paru nouvelles dans
mon histoire personnelle, alors je choisirai celles-ci.

La première, je l’introduirais par son opposé en disant que l’idée


selon laquelle l’humain serait en mesure de comprendre ou d’avoir
une quelconque forme de pouvoir ou de contrôle sur certains Autres
me parait totalement hors-de-propos. Certains auteurs affirment
qu’avec de la pensée positive, des techniques comme le V.E.L.O,
certaines techniques « énergétiques » à base de forme-pensée,
d’égrégores, d’outils divers ou d’offrandes, aucune « entité » ne peut
fondamentalement nous résister. Une idée que d’aucuns pourrait
trouver rassurante. Je suis à ce jour extrêmement sceptique
concernant ces affirmations. Je ne nie pas l’utilité d’une partie de ces
techniques, à l’évidence. Je ne peux compter le nombre de fois où les
techniques d’oscillations « énergétiques » ou d’extériorisation m’ont
apporté un très grand bénéfice. Mais je pense sincèrement que, pour
certains Autres, ces techniques leur arrachent l’équivalent d’un
sourire maternel attendri face à un nouveau-né qui se débat pour ne
pas aller à la sieste. Pour certains, c’est une évidence. D’autres me
répondront que je n’ai pas assez de volonté, de puissance, ou de
techniques pour me défendre convenablement. J’entends. Si je
n’avais pas perçu ceux-là, j’en serais peut-être aussi resté à l’idée
selon laquelle ma volonté seule peut me sortir de rencontres
complexes. Mais ces expériences m’ont forcé à adopter une posture
plus humble. Je demeure donc extrêmement sceptique concernant
l’hypothèse de la toute puissance de la volonté humaine.

La deuxième, c’est l’extension de l’idée selon laquelle nos pensées


ne sont pas uniquement les nôtres - tout au moins, pas tout le temps.
Une autre manière de la présenter, c’est de dire que la structure et la
texture que nous percevons de nos pensées, de nos émotions, bref, de
nos perceptions ne sont pas uniquement issues de nous. Dit encore
autrement, dans le lot de nos pensées, de nos perceptions, de nos
135
émotions 1) il peut y avoir celles des Autres et 2) ces derniers
peuvent influencer non seulement nos perceptions mais également la
structure de notre pensée. La reconnaissance de ces nouvelles
signatures dans une soupe que l’on a traditionnellement appris à
définir comme étant « je » est peut-être l’un des changements parmi
les plus massifs que l’on peut imaginer ontologiquement parlant.

Emerge alors naturellement une posture d’humilité et de respect face


à la complexité de la réalité.

136

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