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Les systèmes de contrôle de gestion, vecteurs d’une logique

gestionnaire : changement institutionnel et conflits de


logiques à l’université
Marie Boitier, Anne Rivière
Dans Comptabilité Contrôle Audit 2016/3 (Tome 22), pages 47 à 79
Éditions Association Francophone de Comptabilité
ISSN 1262-2788
ISBN 9791093449081
DOI 10.3917/cca.223.0047
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Marie Boitier et Anne Rivière
LES SYSTÈMES DE CONTRÔLE DE GESTION, VECTEURS D’UNE LOGIQUE GESTIONNAIRE :
CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ 47
reçu en février 2015 / accepté en mai 2016 par Aude Deville

Les systèmes de contrôle


de gestion, vecteurs
d’une logique gestionnaire :
changement institutionnel
et conflits de logiques
à l’université
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Management control systems,
vectors of a managerial logic:
institutional change and
conflicts of logics at university
Marie BOITIER*, Anne RIVIÈRE**

Résumé Abstract
Les systèmes de contrôle de gestion (SCG) Management control systems (MCS) are at
sont au cœur des transformations du Nouveau the heart of New Public Management reforms,
Management Public faisant émerger une leading to the diffusion of a new managerial

* Professeur, Toulouse Business School


** Professeur, Toulouse Business School

Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 22 – Volume 3 – Décembre 2016 (p. 47 à 79)


Marie Boitier et Anne Rivière
LES SYSTÈMES DE CONTRÔLE DE GESTION, VECTEURS D’UNE LOGIQUE GESTIONNAIRE :
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nouvelle logique gestionnaire dans les univer- logic in universities where strong competing insti-
sités, où préexistent de fortes logiques institu- tutional logics pre-exist. Driven by a perspective
tionnelles. Par une perspective centrée sur les centered on professional groups, this research con-
groupes professionnels, cette recherche met en tributes to a better understanding of the micro-
évidence de manière originale les mécanismes foundations of the institutionalization process
micro-organisationnels qui contribuent à la in organizations. The characterization of several
diffusion de cette logique dans l’organisation. dimensions of the logics (values, missions, source
La caractérisation des logiques en termes de of legitimacy, governance and control) allows us
valeurs, missions, sources de légitimité, modes to specify their compatibility and the sources of
de gouvernance et contrôle, nous permet potential conflicts. Our results also show how the
de préciser leur compatibilité et les sources new formal MCS and interactions of individuals
éventuelles de conflits. Nous montrons éga- and groups around these MCS alter the represen-
lement comment de nouveaux SCG formels, tations associated with the managerial logic, and
et les interactions des individus et des groupes contribute consequently to its institutionaliza-
autour de ces SCG, font évoluer les représen- tion.
tations, contribuant à une certaine institution-
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nalisation de la logique gestionnaire.
Mots-clés : systèmes de contrôle Keywords: management control
de gestion – logique institution- – institutional logic – new public
systems
nelle – nouveau management public – management – occupational groups –
groupes professionnels – universités universities

Correspondance : Marie Boitier Anne Rivière


Université de Toulouse Université de Toulouse
Toulouse Business School Toulouse Business School
20 Boulevard Lascrosses – BP 7010 20 Boulevard Lascrosses – BP 7010
31068 Toulouse Cedex 7, France 31068 Toulouse Cedex 7, France
m.boitier@tbs-education.fr a.riviere@tbs-education.fr
Remerciements : Nous tenons à remercier les deux réviseurs anonymes pour leurs suggestions constructives.
Nous remercions également nos collègues du groupe de recherche « Comptabilité, Contrôle de
Gestion & Pilotage de la Performance », et en particulier Simon Alcouffe, pour leurs précieux
commentaires.

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CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ 49

Introduction
Les systèmes de contrôle de gestion (SCG) sont au cœur des transformations du Nouveau Management
Public (NMP) en quête d’efficacité et d’efficience (Hood 1991 ; Bezes et al. 2011). La loi LRU1
en particulier dessine un nouvel environnement institutionnel, vecteur de « contrôle managérial »
(Boussard et al. 2010) sur les universités françaises. Elle leur donne une certaine autonomie et de
nouvelles compétences de gestion, mais leur impose plus de redevabilité (Boitier et Rivière 2013b).
Les SCG pourraient contribuer au renouvellement stratégique des universités (Augé et al. 2010), mais
leur mise en œuvre engendre des difficultés politiques (Dreveton et al. 2012 ; Fabre 2013 ; Bollecker
2013). En interne, perceptions et usages des SCG diffèrent selon la place des acteurs (Chatelain-
Ponroy et al. 2013), guidés par différentes logiques.
Les logiques institutionnelles constituent des systèmes de croyances et valeurs, socialement et his-
toriquement construits, composés de symboles et pratiques matérielles, par lesquels individus et orga-
nisations donnent du sens à leurs activités (Friedland et Alford 1991 ; Thornton et Ocasio 2008).
Or, les logiques d’un champ institutionnel expriment des demandes parfois contradictoires, dont la
confrontation au niveau infra-organisationnel est encore insuffisamment explorée (Greenwood et al.
2011 ; Thornton et al. 2012). Les chercheurs s’intéressent souvent au conflit entre ancienne logique
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dominante et nouvelle logique managériale (Townley 2002 ; Reay et Hinings 2009 ; Pache et Santos
2013 ; Lander et al. 2013) mais rarement aux contextes présentant une pluralité durable de logiques
(Goodrich et Reay 2011 ; McPherson et Sauder 2013). Enfin, le rôle des SCG dans ce cadre est peu
analysé, alors qu’ils peuvent être vecteurs de logiques institutionnelles influençant les pratiques quo-
tidiennes et la construction de la réalité organisationnelle (Oakes et al. 1998 ; Townley 2002), tout
en étant eux-mêmes transformés pour répondre aux spécificités du contexte (Ezzamel et al. 2012 ;
Amans et al. 2015 ; Schäffer et al. 2015).
L’université constitue à cet égard un terrain d’observation particulièrement pertinent (Townley
1997 ; Moll et Hoque 2011). Comme organisation dont le pilotage est assuré par des groupes pro-
fessionnels porteurs de logiques fortes, elle est en effet susceptible de générer de multiples conflits de
logiques autour de la mise en œuvre de nouveaux SCG (Mintzberg 1979 ; Bezes et al. 2011). Ainsi,
à la différence des études menées au niveau d’un champ institutionnel, qui considèrent souvent les
organisations comme des collectifs homogènes d’acteurs (Schäffer et al. 2015), nous nous intéressons
à un contexte organisationnel segmenté, présentant un pluralisme institutionnel historiquement et
socialement construit par différents groupes professionnels. Ce faisant, nous explorons la manière
dont les dynamiques des groupes professionnels participent à l’institutionnalisation des logiques.
L’objet de cette recherche est donc d’étudier comment les systèmes de contrôle de gestion
peuvent être vecteurs d’une nouvelle logique gestionnaire dans un contexte organisationnel
marqué par des logiques institutionnelles préexistantes fortes. Pour ce faire, nous nous attachons
plus précisément aux questions suivantes : Comment la logique gestionnaire se diffuse-t-elle à partir
de SCG formels, comme supports matériels et symboliques ? Y a-t-il confrontation ou combinaison
avec des logiques préexistantes au niveau organisationnel, à travers l’évolution des pratiques et des
représentations des individus et des groupes professionnels en interaction autour des SCG ?
L’article est structuré en quatre parties. La première présente le cadre théorique qui associe logiques
institutionnelles et sociologie des groupes professionnels. La deuxième expose la méthode de recherche

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fondée sur une étude de cas approfondie. La troisième met en évidence les résultats. Enfin, la dernière
partie discute les résultats et voies d’approfondissement.

1. Cadre théorique
La perspective des logiques institutionnelles atténue le déterminisme originel de la théorie institu-
tionnelle en expliquant les marges de manœuvre des organisations vis-à-vis des pressions de leur
champ par la coexistence de plusieurs logiques de référence (Lounsbury 2007 ; Thornton et Ocasio
2008 ; Greenwood et al. 2011 ; Thornton et al. 2012). Dans ce cadre, l’organisation constitue l’un
des niveaux de l’institutionnalisation des logiques, qui coexistent, se confrontent ou se renouvellent
à travers l’interaction des acteurs. L’université, pilotée par des groupes professionnels se référant
à différentes logiques, est ainsi marquée par un certain pluralisme institutionnel (Kraatz et Block
2008). La question de la diffusion de la logique gestionnaire se pose de manière particulière dans ce
contexte de bureaucratie professionnelle où coexistent historiquement contrôle par les pairs et règles
administratives wébériennes (Mintzberg 1979). Le rôle important des groupes professionnels dans la
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transformation des universités, groupes attachés à différentes logiques et qui tendent à défendre leur
autonomie et leur territoire, justifie également une mobilisation de la sociologie des groupes profes-
sionnels (Dubar 1991 ; Demazière et Gadéa 2009 ; Boussard et al. 2010).
Notre cadre d’analyse vise à caractériser d’abord les logiques institutionnelles originelles des uni-
versités, puis la nouvelle logique gestionnaire portée par les SCG, et enfin à examiner les conséquences
possibles de la confrontation de ces logiques quant à la diffusion de la logique gestionnaire.

1.1. L’université, une bureaucratie professionnelle


aux multiples logiques
Les logiques institutionnelles comme systèmes de croyances et valeurs, socialement et historiquement
construits, sont des idéaux-types macrosociaux et organisationnels. Elles donnent un rôle à l’univer-
sité dans la société par une « métaphore originelle » et des valeurs fondamentales, et définissent des
missions et des modes de pilotage et contrôle jugés légitimes. Ces idéaux-types sont des outils à la
fois de construction théorique et de recherche empirique. La caractérisation des logiques délimite
des frontières entre elles et permet de repérer celles qui s’expriment dans les discours, pratiques et
représentations des acteurs (Thornton et al. 2012, p. 53). Ces idéaux-types offrent également la pos-
sibilité de jauger la distance entre les observations empiriques et les formes « pures » d’expression des
logiques.

1.1.1. LES LOGIQUES INSTITUTIONNELLES TRADITIONNELLES


DE L’UNIVERSITÉ
En adaptant les idéaux-types macrosociaux proposés par Thornton et al. (2012), Goodrich et Reay
(2011) et Ezzamel et al. (2012), nous avons caractérisé les logiques académique, politique et bureaucra-
tique, révélatrices des dimensions les plus saillantes du contexte universitaire. Ces logiques coexistent

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au sein de l’université avant la mise en œuvre du NMP ; elles constituent des référentiels que les
acteurs mobilisent dans leurs activités. Elles révèlent l’influence significative de deux groupes profes-
sionnels, au sens occupationnel (Hughes 1951 ; Bucher et Strauss 1961) : enseignants-chercheurs et
administratifs. Ces groupes, composés d’individus exerçant un même métier et reconnus comme tels,
tant par leur expertise que par leurs valeurs (Dubar et al. 2011), présentent une logique dominante
(McPherson et Sauder 2013).
Ainsi, l’enseignant-chercheur est attaché à une logique académique, qui repose sur la figure historique
de l’université autonome vis-à-vis de l’Église, de l’État et plus récemment du marché (Djelic 2012),
une communauté indépendante consacrée au progrès des connaissances. Cette logique s’exprime en
particulier dans la mission que se donnent les universitaires de former des citoyens (Willmott 1995),
de produire et transmettre un savoir universel. Les académiques montrent une préférence marquée
pour les structures décentralisées qui leur garantissent pouvoir discrétionnaire et autonomie (Townley
1997). Ils définissent ainsi eux-mêmes leurs standards de performance, dont le contrôle est assuré
par les pairs (Demazière et Gadéa 2009 ; Mintzberg 1979). Dans ce cadre, certains enseignants-
chercheurs disposent d’un mandat qui leur donne une responsabilité particulière dans les décisions.
Cela nous conduit à distinguer les enseignants-chercheurs élus, que nous appellerons politiques, des
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non-élus.
Les politiques constituent un sous-groupe occupationnel. Enseignants-chercheurs, ils sont attachés
à la logique académique, mais par leurs responsabilités se réfèrent à une logique politique dominante
pendant leur mandat. Celle-ci est proche de la logique de gouvernance d’Ezzamel et al. (2012) dans
son lien avec des valeurs incarnées par des partis ou des syndicats. Elle est également liée aux modes
de négociations internes, relevant souvent plus d’un savoir-faire politique que de la maîtrise de tech-
niques de gestion (Mignot-Gérard 2006). La métaphore originelle, d’une université comme arène
politique paritaire, insiste ainsi sur l’importance de la collégialité, avec un pouvoir réparti entre des
groupes poursuivant parfois des intérêts divergents. Les acteurs fondent leur stratégie sur des objectifs
de préservation de territoires (disciplinaire, budgétaire, statutaire…), le contrôle passant par la sanc-
tion des urnes. Cette logique politique peut s’exercer tant dans les relations internes qu’externes, en
particulier avec le ministère.
L’administratif appartient à un groupe professionnel plus hétérogène en termes de métiers (Mignot-
Gérard 2006), mais qui forme un groupe en raison du clivage entre académiques, parfois seuls quali-
fiés d’universitaires (Musselin 2008), et non académiques, et des enjeux d’identité et de pouvoir qui
en découlent. Ce groupe est fédéré par une logique bureaucratique dominante, fondée sur une mission
de service public consistant à offrir au plus grand nombre une formation, de nature à créer un lien
social et à corriger les inégalités produites par le marché (Bezes et al. 2011). La logique bureaucra-
tique, portée par les personnels administratifs, est en outre liée à leur activité de contrôle visant la
conformité des décisions avec le cadre légal et réglementaire.
Chaque groupe professionnel est donc porteur d’une logique dominante, issue de processus de
socialisation (Dubar 1991), qui oriente les comportements et étaye les décisions (Thornton et al.
2012 ; McPherson et Sauder 2013). Les logiques institutionnelles traditionnelles de l’université ne
sont pas systématiquement contradictoires, mais expriment différentes représentations de l’univer-
sité, de ses valeurs, missions et modes de contrôle jugés légitimes. Elles coexistent avec un certain

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équilibre au sein de l’université du fait d’un fonctionnement en grande partie cloisonné. Lorsque
les logiques se trouvent en confrontation, le pouvoir d’un groupe professionnel dépend de sa capa-
cité à définir, d’une manière qui lui est favorable, les problèmes qui touchent son organisation et
les savoirs pertinents pour y répondre (Demazière et Gadéa 2009 ; Morales 2013). Cette dimen-
sion politique du fonctionnement organisationnel est prégnante dans le contexte universitaire : dans
l’intérêt de chaque groupe à défendre des décisions conformes à sa logique de référence ; et par-
fois dans la capacité de certains acteurs à se détacher opportunément de la logique dominante de
leur groupe.

1.1.2. D’UNE LOGIQUE DOMINANTE AU PLURALISME INSTITUTIONNEL


DES GROUPES
La plupart des recherches sur les logiques institutionnelles considèrent qu’il existe une logique domi-
nante au sein d’un champ, d’une organisation ou d’un groupe professionnel, constituant la référence
partagée par les membres de l’entité étudiée (Lounsbury 2007 ; Reay et Hinings 2009 ; Thornton
et al. 2012). Plusieurs logiques peuvent durablement coexister dans certaines organisations composées
de groupes attachés à des logiques institutionnelles distinctes, mais dont les décisions sont cloisonnées
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(Reay et Hinings 2009).
McPherson et Sauder (2013) montrent cependant comment un individu, attaché à sa logique pro-
fessionnelle d’appartenance, peut emprunter occasionnellement celle d’un autre groupe, tantôt dans
une coopération intergroupes, tantôt dans une stratégie débouchant sur des fins satisfaisantes du point
de vue de sa logique d’origine. Dans le contexte universitaire, il est ainsi fort probable que les acadé-
miques empruntent certaines dimensions de la logique politique pour défendre leur territoire lorsque
la question des ressources est en jeu, ou que des administratifs en usent pour défendre des valeurs
syndicales. L’existence d’une logique dominante dans un groupe n’exclut donc pas la possibilité pour
chaque individu d’inscrire ses interactions avec les autres dans le cadre du pluralisme institutionnel
présent au niveau organisationnel (Kraatz et Block 2008). Les logiques institutionnelles sont ainsi
reproduites, confortées ou contestées.
Ce pluralisme institutionnel, de nature à modifier le lien entre groupes et logiques, est d’autant
plus probable lors de périodes de changements institutionnels (Greenwood et al. 2011 ; Thornton
et al. 2012). En particulier, l’émergence d’une nouvelle logique peut bousculer l’équilibre établi au
niveau organisationnel, générant une compétition entre logiques et éventuellement une fragmenta-
tion des groupes (Arman et al. 2014). Face au changement, les groupes professionnels sont potentiel-
lement moins homogènes, devenant « des conglomérats de segments en compétition et en restructuration »
(Bucher et Strauss 1961). Ainsi, même si les logiques institutionnelles structurent les groupes pro-
fessionnels, les individus au sein de chaque groupe peuvent se différencier en mobilisant différentes
logiques selon leur trajectoire professionnelle, et ce faisant participent à la dynamique du groupe
professionnel (Demazière et Gadéa 2009).
En outre, la logique gestionnaire comme logique émergente n’est pas spontanément associable à
un groupe spécifique ; elle peut être mobilisée comme logique secondaire par différents acteurs dans
différents groupes. Lander et al. (2013) montrent ainsi comment les acteurs empruntent certains
éléments d’une nouvelle logique à la façon d’une boîte à outils institutionnelle pour répondre aux

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pressions de leur champ. La logique gestionnaire, portée par le ministère incarnant l’autorité, pourrait
par exemple être promue par des administratifs, sans incompatibilité avec les règles et procédures de
leur logique bureaucratique. Les politiques sont également appelés à s’emparer de cette logique, en
raison de leur mission de pilotage. Globalement, chaque acteur de l’université est directement ou
indirectement soumis à l’influence de cette nouvelle logique, qui modifie les conditions du pluralisme
institutionnel.
La combinaison des logiques institutionnelles et de la sociologie des groupes professionnels permet
donc d’analyser la confrontation des différentes logiques au sein des groupes et dans leurs interac-
tions, participant au changement institutionnel (Goodrick et Reay 2011 ; Muzio et al. 2013). Dans
ce cadre, chaque groupe professionnel est porteur d’une logique dominante dont l’influence peut
être contrebalancée à certains moments par d’autres logiques. La nouvelle logique gestionnaire arrive
en force dans le contexte universitaire, soutenue par un contexte global visant l’efficacité, l’efficience
et la redevabilité des organisations publiques. Au niveau organisationnel, les SCG en constituent de
potentiels vecteurs.

1.2. Les SCG, porteurs de normes et valeurs


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La nouvelle logique gestionnaire est portée au niveau du champ de l’enseignement supérieur par les
principes du NMP, un nouveau cadre réglementaire dont le budget en mode LOLF et la LRU1, et de
nouveaux dispositifs de financement et d’évaluation (Paradeise 2010 ; Boitier et Rivière 2013a). Dans
cette logique, l’université a pour mission de contribuer à la compétitivité économique du pays en
professionnalisant ses étudiants et en développant une recherche tournée vers l’innovation. Le cadre
législatif et contractuel présente en outre des dimensions normatives et symboliques portées par dif-
férents acteurs du champ (l’IGAENR, l’AERES devenue HCERES, l’AMUE, la CPU). Par leurs pré-
conisations, évaluations et programmes de formation, ces acteurs favorisent la diffusion de la logique
gestionnaire au sein des universités et des comportements mimétiques autour de l’adoption des SCG.
Les universités doivent ainsi s’inscrire dans une quête d’efficience, de performance et de redevabi-
lité au cœur des SCG (Hood 1991 ; Ter Bogt et Scapens 2012). Les SCG mis en place reposent dans
leurs dimensions formelles sur un cycle de prévision, suivi, et évaluation périodique des résultats. Ils
donnent une approche cybernétique du contrôle proche de la définition fondatrice d’Anthony (1965).
Dans ce contexte, l’adoption de SCG formels pourrait n’être qu’une manière de gagner en légitimité
au sein du champ institutionnel (Covaleski et Dirsmith 1988 ; Moll et Hoque 2011). Cependant,
de nombreux travaux montrent le rôle particulier que jouent les SCG dans les processus de rationa-
lisation à l’œuvre dans les organisations (Oakes et al. 1998 ; Townley 1997 ; Bourguignon 2003 ;
Dambrin et al. 2007). Les travaux issus de la théorie de la traduction, en soulignant les interactions
entre objets et acteurs, ont notamment analysé ces processus à travers les étapes de transformation
d’un outil de contrôle de gestion, en particulier dans sa dimension matérielle (Briers et Chua 2001 ;
Alcouffe et al. 2008 ; Dreveton 2014). Mais notre recherche s’intéresse à la manière dont les SCG
véhiculent des symboles et valeurs, au-delà de leur dimension matérielle, et sont ainsi vecteurs d’une
nouvelle logique institutionnelle, articulant des transformations sociales et des changements organisa-
tionnels. C’est pourquoi la perspective multi-niveaux des logiques institutionnelles nous semble tout
particulièrement pertinente.

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Les SCG constituent ainsi des instanciations organisationnelles (Thornton et al. 2012) qui trans-
forment les logiques en action, de par leurs dimensions formelles – les outils et les pratiques maté-
rielles – et informelles – les représentations, symboles et valeurs associés (Guibert et Dupuy 1997 ;
Naro et Travaillé 2010). Les SCG contribuent à la construction et au changement de la réalité orga-
nisationnelle (Oakes et al. 1998 ; Townley 2002), tout en étant eux-mêmes modifiés pour répondre
aux spécificités du contexte (Ezzamel et al. 2012 ; Amans et al. 2015 ; Schäffer et al. 2015). La dua-
lité des SCG entre matériel et immatériel implique d’étudier conjointement les aspects matériels et
symboliques des logiques (Jones et al. 2013). Les SCG comme outils permettent parfois de diffuser
une nouvelle logique de façon plus discrète et plus efficace que les discours (Dambrin et al. 2007).
Ils véhiculent des représentations qui participent à la légitimation des dirigeants, voilant parfois leur
volonté de contrôle renforcé des membres de l’organisation (Bourguignon 2003). Certains mots
du contrôle de gestion constituent en outre des « vocabulaires de pratiques » (Thornton et al. 2012)
qui contribuent à la catégorisation voire à une réification des activités ou des objets, progressive-
ment considérés comme légitimes. Les SCG peuvent donc porter une nouvelle logique déclinant
des valeurs à travers des discours et des techniques de contrôle (Bourguignon, 2003 ; Dambrin et al.
2007 ; Moll et Hoque 2011 ; Ezzamel et al. 2012), certains acteurs se faisant médiateurs de cette
logique institutionnalisée au niveau macrosocial (Oakes et al. 1998 ; Townley 2002 ; Morales et
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Pezet 2010).
Cependant, la logique gestionnaire dont les SCG seraient porteurs dans le cadre du NMP, avec
ses principes de rationalisation, standardisation et redevabilité, semble « par nature » contradictoire
avec les fondements de la bureaucratie professionnelle, liés à l’expertise et l’autonomie des profession-
nels (Freidson 1970 ; Bezes et al. 2011). En outre, l’implantation des SCG semble freinée dans les
universités françaises par un contrôle politique dominant (Fabre 2013), une structure conglomérale
(Bollecker 2013), ou des divergences de représentations entre élus et administratifs (Dreveton et al.
2012). La nouvelle logique gestionnaire promue de manière à la fois coercitive et normative au niveau
du champ semble donc potentiellement en conflit avec les logiques institutionnelles préexistantes.
Pour comprendre le changement institutionnel au niveau organisationnel, nous avons donc caracté-
risé les logiques qui encadrent les décisions des individus et de l’organisation.
Le tableau 1 synthétise les quatre logiques (axe X) coexistantes ou potentiellement concurrentes
au sein de l’université. Les différentes dimensions des logiques (axe Y) constituent des sources de
conflits potentiels, liées aux valeurs fondamentales et aux missions de l’université, ou plus opéra-
tionnelles notamment vis-à-vis des dispositifs de contrôle. Par exemple, les enseignants-chercheurs,
se référant à la logique académique, pourraient contester la légitimité d’une redevabilité inscrite
dans une logique gestionnaire quant à l’atteinte d’objectifs quantifiés associés à des consomma-
tions de ressources. Les sources potentielles de conflits sont multiples et ne se manifestent pas de
la même manière au niveau macrosocial et au niveau organisationnel (Thornton et Ocasio 2008 ;
Greenwood et al. 2011), le pluralisme institutionnel et la confrontation des logiques sont donc
susceptibles de conduire à différentes formes de diffusion de la logique gestionnaire au niveau
organisationnel.

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Tableau 1
Idéaux-types des logiques institutionnelles du champ universitaire

Caractéristiques Logique Logique Logique Logique


académique politique bureaucratique gestionnaire
Métaphore Communauté Arène Acteur du service Acteur de
originelle autonome de démocratique public l’économie de la
de l’université savants paritaire connaissance
Valeurs Indépendance Collégialité Rationalité Culture du résultat
fondamentales académique procédurale et efficience
Fondement Production et Préservation des Formation pour Promotion d’un
de la stratégie transmission d’un moyens et défense tous capital immatériel
(mission) savoir universel des territoires au service de la
compétitivité
Sources de Expertise et/ou Négociation Cadre Compétence
légitimité pour réputation en vue d’un réglementaire managériale
le pilotage Statut consensus Hiérarchie des décideurs
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organisationnel
Sources d’autorité Normes définies Processus électoral Règles et standards Leadership
par les pairs définis par la
réglementation
Gouvernance Faible interaction Conseils élus Structure Décentralisation et
avec l’État représentatifs administrative contractualisation
Structures des équilibres multi-niveaux : Rôle des agences
décentralisées politiques internes ministère, d’évaluation et de
et flexibles : université, financement
autonomie des composantes de
composantes l’université
Mode de contrôle Clan et pairs Élections Conformité légale Contrôle de gestion
(formel et informel) Pas de Politique et réglementaire cybernétique
quantification « d’arrière- Contractualisation
boutique » et accountability
Quantification
et ranking
Sources d’identité Groupe des Élu Groupe Réputation
(individus/groupes enseignants- Appartenance occupationnel des Compétence
professionnels) chercheurs syndicale ou administratifs individuelle comme
Rattachement à politique Mission de service manager
une discipline public
Réputation
personnelle

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56 CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ

1.3. Les conflits de logiques autour des SCG :


découplage, hybridation et fragmentation
Les conflits de logiques sont particulièrement saillants dans les organisations professionnelles faisant
face à une nouvelle logique gestionnaire (Townley 2002 ; Reay et Hinings 2009 ; Goodrick et Reay
2011 ; Arman et al. 2014). Le dénouement des conflits se manifeste de diverses manières (Besharov
et Smith 2014) : tantôt la nouvelle logique supplante l’ancienne logique dominante, tantôt les dif-
férentes logiques sont mobilisées de manière segmentée selon les pratiques en jeu (Goodrick et Reay
2011), tantôt enfin les acteurs trouvent des compromis pour faire face aux conflits (Reay et Hinings
2009 ; Arman et al. 2014).
La résolution des confrontations de logiques semble particulièrement contextuelle et l’enjeu est
donc de comprendre la manière dont elle participe au changement institutionnel porté par les SCG.
Ezzamel et al. (2012) montrent ainsi comment les conflits de logiques dans l’éducation autour des
pratiques budgétaires donnent lieu à des réponses hétérogènes de la part des organisations et à des
ré-interprétations au niveau du champ faisant évoluer la logique gestionnaire initialement prescrite.
En outre, les logiques macrosociales induisent des pressions qui ne sont pas perçues de manière homo-
gène. La mobilisation des logiques par les individus est façonnée non seulement par leur position dans
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l’organisation, mais également par leurs liens extra-organisationnels (Townley 2002 ; Greenwood et al.
2011 ; Besharov et Smith 2014). Dans ce cadre, comme vecteurs potentiels de la logique gestionnaire,
les SCG sont à la fois reflets des changements institutionnels et objets de conflits dans des dynamiques
complexes multi-niveaux. La logique gestionnaire est par conséquent susceptible d’être mobilisée de
manière différente par les groupes professionnels de l’université attachés à leurs logiques dominantes
et par les acteurs au sein de ces groupes (Goodrick et Reay 2011 ; McPherson et Sauder 2013), ce qui
renforce le potentiel de fragmentation organisationnelle.
Dans ce contexte, le rôle spécifique joué par des groupes professionnels dans le pilotage de l’univer-
sité justifie un niveau d’analyse intermédiaire focalisé sur ces groupes pour mieux comprendre l’arti-
culation ou la confrontation des différentes logiques en compétition (Goodrich et Reay 2011). À cet
égard, notre recherche rejoint les travaux relatifs à l’impact du NMP sur les groupes professionnels des
bureaucraties professionnelles (Rhoades 1998 ; Evetts 2003, 2011 ; Boussard et al. 2010 ; Paradeise
2010 ; Bezes et al. 2011 ; Berland et Dreveton 2012). Certains postulent que le changement en cours
induit une déprofessionnalisation des professionnels – les académiques perdant leur autonomie et leur
contrôle dominant par les pairs – les transformant en « professionnels managés » (Rhoades 1998).
D’autres soulignent un nouveau professionnalisme gestionnaire individuel et organisationnel (Evetts
2003, 2011 ; Boussard et al. 2010), caractérisé par la diffusion d’outils de gestion et de compétences
managériales (Mueller et Carter 2007).
En définitive, différents scénarios de diffusion de la logique gestionnaire au sein de l’université
semblent donc possibles. Le premier est celui d’une adoption des SCG par l’organisation de manière
essentiellement cérémonielle, avec un certain découplage (Meyer et Rowan 1977 ; Covaleski et
Dirsmith 1988). Le second est celui d’une adoption de plusieurs logiques de manière segmentée
selon les pratiques en jeu (Goodrich et Reay 2011 ; Pache et Santos 2013). Dans le secteur de la
santé, les professionnels soignants dans leurs interactions avec les managers font ainsi coexister dura-
blement des logiques rivales, à travers une certaine hybridation de l’organisation et des individus

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CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ 57

(Reay et Hinings 2009 ; Arman et al. 2014). Kurunmäki (2004) montre comment la transférabilité
des techniques comptables transforme les médecins en professionnels hybrides, qui s’approprient le
savoir des managers mais gardent le contrôle de leur activité avec une logique de soignant toujours
prééminente. L’hybridation réside donc dans l’adoption d’une nouvelle logique a priori contradictoire
avec la logique préexistante, mais de manière sélective. Un troisième scénario possible est celui d’une
mobilisation de la nouvelle logique dans les relations externes avec certaines parties prenantes, et son
rejet pour les décisions de pilotage interne (Pache et Santos 2013). On ferait face alors non plus à un
découplage, mais à un cloisonnement entre différentes sphères de décision ou à un couplage sélectif
des différentes dimensions des SCG (Pache et Santos 2013 ; Schäffer et al. 2015). Les SCG peuvent
donc conduire à de nouveaux équilibres entre logiques concurrentes (Reay et Hinings 2009), et égale-
ment au changement de logique dominante au niveau organisationnel (Ezzamel et al. 2012 ; Mueller
et Carter 2007).
Nous tentons donc par une étude de cas de comprendre comment les SCG peuvent être les vec-
teurs d’une nouvelle logique gestionnaire dans le contexte d’une université, donnant lieu par les
interactions entre acteurs et groupes professionnels, à une nouvelle combinaison de logiques institu-
tionnelles au niveau organisationnel.
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2. Design de la recherche
Notre étude de cas qualitative se concentre sur la compréhension des processus dans un contexte par-
ticulier (Eisenhardt 1989 ; Yin 2003). Elle nous permet de comprendre de manière substantielle com-
ment les SCG interagissent avec leur environnement grâce à un travail d’investigation approfondie
sur le terrain (Hopwood 1983 ; Hopper et Powell 1985). L’objectif méthodologique et théorique est
d’exprimer le terrain comme un construit social, et pas seulement de le décrire (Ahrens et Chapman
2006).
L’étude de cas s’est déroulée sur la période 2007-2012, riche en changements dans le champ de
l’enseignement supérieur et au sein de l’université étudiée baptisée UDEX2. UDEX est une univer-
sité française pluridisciplinaire composée d’environ 32 000 étudiants, 2 600 enseignants-chercheurs
(5 domaines d’enseignement et de recherche, 65 unités de recherche) et 2 000 personnels administra-
tifs. Historiquement, les différentes composantes d’UDEX (UFR, départements, IUT, laboratoires)
sont assez autonomes, et UDEX adopte les RCE3 en 2010, à la moitié du mandat de l’équipe prési-
dentielle en place. En outre, l’équipe dirigeante d’UDEX a activement contribué à la configuration du
PRES4, ainsi qu’au dossier de candidature à l’Idex5 en 2011. Cette candidature était fortement axée
sur l’excellence scientifique et l’adoption de la logique gestionnaire, deux facettes de la performance alors
mises en avant par le ministère de l’enseignement supérieur. Nos données sont constituées de docu-
ments et d’entretiens menés avec différents acteurs d’UDEX (tableau 2).
Dans une première phase, des entretiens ont été menés avec de nombreux acteurs sur les évolu-
tions de l’université liées au nouveau contexte institutionnel. L’importance des groupes professionnels
a alors émergé, qui nous a conduits à distinguer trois groupes – politiques, administratifs et acadé-
miques – et à poursuivre les entretiens avec trois acteurs par groupe, sélectionnés dans un souci de
pertinence.

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Tableau 2
Données de l’étude de cas UDEX

Types de données Description


Entretiens semi-structurés 32 entretiens enregistrés et retranscrits,
soit 44 heures d’entretiens formels
Communiqués de presse et communiqués Nominations, projet d’établissement,
internes chantiers organisationnels, etc.
Organigrammes Différentes versions selon les changements
organisationnels
Délibérations du Conseil d’administration Délibérations et relevés de décisions du CA
Rapports d’audit ou d’évaluation Cour des comptes régionale (2009), Aeres (2010)
Assemblées générales Observation d’assemblées générales (2010-2012)
portant sur les réformes, les changements en cours
ou les difficultés budgétaires
Documents internes portant Description de systèmes de pilotage,
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sur le pilotage et le contrôle extraits de tableaux de bord internes, supports démarche
domaines et COM (constats partagés)

Pour les politiques et les administratifs, les acteurs les plus proches des SCG ont été retenus : élus
en charge des finances, du pilotage et du budget, tous trois membres du conseil d’administration ;
administratifs en charge des finances, du pilotage et DGS. Ces acteurs nous ont semblé représenta-
tifs de la manière dont la logique gestionnaire se diffuse au sein de ces groupes professionnels dans
leurs interactions autour des SCG. Nous avons ensuite choisi les trois académiques présentés dans
cet article sur deux critères : celui des responsabilités (de diplôme, département ou laboratoire) de
façon à ce que les acteurs soient confrontés aux SCG (budget, coûts des maquettes…) ; celui de la
diversité des conflits de logiques, les acteurs choisis en étant le reflet. Nous avons donc sélectionné
un académique non directement impliqué dans les changements organisationnels (le circonspect), un
académique directement impliqué entre 2008 et 2012 (le conceptuel), et un autre impliqué à partir de
2012 (le réfractaire).
Les thèmes des entretiens menés avec ces acteurs portent sur les évolutions de l’organisation et de
leur activité, leur perception des missions de l’université, des modes de gouvernance, ainsi que sur
l’évolution des SCG. Ces entretiens révèlent ce que les acteurs au sein de chaque groupe professionnel
perçoivent de leurs propres évolutions vis-à-vis de la logique gestionnaire, mais également des évolu-
tions au sein des autres groupes. Ils ont été retranscrits et analysés de façon thématique, en parallèle de
l’analyse des documents. Ce recueil des données nous permet d’une part d’établir un inventaire chro-
nologique et organisé des changements structurels concernant les SCG dans l’université, et d’autre

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part d’interroger les différents acteurs sur ces changements. Un retour aux acteurs a été fait sur l’ana-
lyse des données dans une recherche de convergence des interprétations.
Enfin, pour compléter l’étude de cas, nous avons observé des réunions ouvertes et mené des entre-
tiens informels réguliers avec d’autres acteurs d’UDEX. Cette démarche empirique est de nature à
éclairer les articulations complexes entre parcours biographiques, pratiques et représentations des
acteurs liées aux SCG et à la dynamique de l’organisation (les turning points de Hughes 1951-1996 ;
Dubar et al. 2011).
La perspective des logiques institutionnelles nous a semblé de plus en plus pertinente au fur et
à mesure de nos interactions avec le terrain, et l’élaboration du tableau 1 résulte de ce processus de
confrontation terrain-théorie. Les logiques institutionnelles ne sont jamais données, mais sont les ins-
tanciations matérielles et symboliques de logiques macrosociales, adaptées aux spécificités d’un contexte,
ici celui de l’université. Ce tableau est donc à la fois un cadre d’analyse et un résultat de notre recherche.
Il définit les logiques institutionnelles comme des idéaux-types qui encadrent les décisions des acteurs
et sont renouvelés dans les pratiques et interactions au niveau organisationnel. Il nous permet donc
d’étudier les différentes dimensions de la diffusion de la logique gestionnaire fondée sur les SCG.
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3. Résultats : les SCG, vecteurs de la logique
gestionnaire
Le dispositif de recherche adopté nous permet de montrer la diffusion de la logique gestionnaire
comme un processus complexe s’appuyant d’une part sur des changements de structures et dispositifs
formels de contrôle (3.1), et d’autre part sur l’évolution des représentations au sein des groupes pro-
fessionnels, et la confrontation des logiques au fur et à mesure des interactions avec les SCG (3.2). Ces
deux dimensions du changement sont étroitement liées ; elles constituent les facettes matérielles et
immatérielles des logiques en action. C’est pourquoi, tout en focalisant notre analyse tantôt sur l’une,
tantôt sur l’autre, nous nous efforçons de tisser des liens entre ces deux dimensions.

3.1. Des évolutions structurelles, reflets de la nouvelle logique


gestionnaire
La chronologie des évolutions concernant les choix structurels et de gouvernance, les ressources
humaines et les outils ou dispositifs de contrôle de gestion au sein d’UDEX (tableau 3) permet de
souligner l’importance des changements intervenus au cours de la période observée.
Trois dimensions sont particulièrement significatives de la diffusion de la logique gestionnaire
opérée à partir des SCG : une orientation plus gestionnaire donnée à la technostructure, des projets
structurants visant à mieux faire le lien entre orientation stratégique et mise en œuvre opérationnelle,
et enfin une ouverture de l’université au monde socioéconomique.

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Tableau 3
Évolution des structures et dispositifs formels de contrôle

Année Structure / Gouvernance Ressources humaines liées Outils


aux SCG de contrôle
2006 Création de la direction « finances et Recrutement du directeur
contrôle de gestion », avec deux divisions : Recrutement du responsable
budget et achat public DEP et d’une personne
Création d’une 3e division : rattachée
Direction évaluation et prospective (DEP)
2007 Comité d’orientation des activités de la DEP Recrutement 3e personne Rénovation de la
à la DEP procédure budgétaire
et des modalités
d’allocation des
moyens
2008 Nouvelle équipe présidentielle : mise en Nomination VP pilotage Lancement de la
place d’un « G8 » autour du président ; démarche tableau
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création d’une Direction stratégique de de bord
la recherche (DSR) et d’une Direction
stratégique de l’enseignement (DSE) ;
ouverture du conseil d’administration
aux partenaires socio-économiques
2009 Appui d’un cabinet de conseil dans Formation de l’équipe Démarche domaines
l’animation de la démarche domaines : présidentielle au transversale pour
méthodologie et animation de sessions management et à la gestion élaborer les indicateurs
de brainstorming accéléré Seize groupes de travail du tableau de bord
pour la démarche domaines,
pilotés par des binômes
administratifs/politiques
2010 La DEP reprend en interne l’animation Formation de Projet d’établissement
de la démarche domaines 300 gestionnaires à Sifac, de l’université : plan
progiciel de gestion intégré stratégique à dix ans
de gestion financière en mode projets
et budgétaire Mise en place de Sifac
2011 4e division de la direction des finances et Recrutement 4e personne COM : contrats
du contrôle de gestion : qualité à la DEP objectifs-moyens,
Création du Comité stratégique de Recrutement responsable proposition des
l’université (CSU) et d’une cellule pilotage qualité indicateurs de constats
Création de deux facultés (Sciences et partagés
Santé), fusion des anciennes UFR
2012 Nouvelle équipe présidentielle élue : Renouvellement du directeur Abandon du projet
suppression du G8, de la DSR, de la DSE, général des services. d’établissement et de
du CSU, de la cellule pilotage. Changement la démarche domaines
de nom des services administratifs, Maintien des autres
la DEP devient « évaluation et pilotage » outils

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3.1.1. UNE ORIENTATION PLUS GESTIONNAIRE DE LA « TECHNOSTRUCTURE »


La technostructure, rassemblant administratifs et politiques, est réorientée vers un engagement de
l’université sur des objectifs, associés à des indicateurs de performance, dans un souci d’adéquation
aux exigences du contexte institutionnel. Ainsi, au sein de la direction financière, une nouvelle direc-
tion de l’évaluation et de la prospective (DEP) est créée, avec le recrutement de personnes apportant
de nouvelles compétences en contrôle de gestion. La création de ces nouveaux rôles formels et les
relations de ces administratifs avec les politiques contribuent à la dimension structurelle, à l’ancrage
physique de la logique gestionnaire. Les membres des organes de décision centraux, politiques et
administratifs, sont en outre accompagnés par un cabinet de conseil pour accéder à de nouveaux
savoirs et de nouvelles activités de pilotage.
Deux nouvelles structures de décision – directions stratégiques à la recherche et à l’enseignement
(DSR et DSE), dirigées par des académiques nommés – sont chargées de piloter les décisions dans
ces deux domaines « en concertation avec les instances élues ». Ces DSR et DSE s’inscrivent dans
une logique gestionnaire privilégiant réactivité et cohérence stratégique, au détriment de la collégia-
lité de la logique politique. Dans le même sens, des responsables domaines, nommés, élaborent des
plans d’améliorations transverses qui touchent potentiellement à l’autonomie des composantes. On
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assiste ainsi à la managérialisation de certains académiques, qui développent une compétence mana-
gériale correspondant au new-professionalism mis en évidence par Evetts (2003, 2011). Les relations
entre académiques s’en trouvent modifiées. Sans devenir hiérarchique, une nouvelle forme d’autorité
s’exerce, fondée sur des structures de gouvernance qui légitiment l’autorité des responsables nommés
et portent atteinte à l’autonomie du professionnel (Boussard et al. 2010).
Enfin, des réorganisations sont opérées : regroupements de laboratoires au sein de pôles théma-
tiques, suppression des anciennes UFR au profit de grandes facultés réunissant des départements
d’enseignement. Ces réorganisations s’inscrivent dans la logique gestionnaire par différents aspects :
création d’unités gérables avec une responsabilisation d’académiques-managers supposés rendre des
comptes quant au pilotage de leur composante ; recherche de synergies scientifiques et économiques,
permettant d’atteindre les niveaux de performance attendus vis-à-vis des indicateurs de reporting
(nombre de chercheurs par thématique par exemple) et de mutualiser des ressources. Les indicateurs
jouent ainsi un rôle prégnant en induisant d’importantes réorganisations et s’inscrivent dans des pro-
jets liés aux SCG qui font évoluer l’université et ses composantes.

3.1.2. DES PROJETS STRUCTURANTS


Un tableau de bord stratégique est développé dès 2008 à l’initiative de la DEP, afin de suivre les indica-
teurs clés de pilotage de l’université. Il s’agit dans un premier temps surtout d’indicateurs comptables
sur la masse salariale et les projets patrimoniaux, mais également d’indicateurs de reporting vis-à-vis
du ministère (taux de réussite aux diplômes, insertion professionnelle des diplômés, nombre d’ensei-
gnants-chercheurs publiants…). Ce tableau de bord constitue un signal d’adoption de la logique
gestionnaire. En effet, le référentiel de performance est défini par des acteurs extérieurs à l’université,
et la mesure de la performance passe par des indicateurs quantitatifs donnant plus de contrôle à
l’État. À travers cet outil, l’université renonce à une partie des principes fondamentaux de la logique

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académique (indépendance académique, autonomie et contrôle exclusif par les pairs). Cette adop-
tion pourrait n’être qu’un gage de légitimité institutionnelle (Meyer et Rowan 1977 ; Covaleski et
Dirsmith 1988), mais l’adhésion de l’équipe présidentielle à ce dispositif est le fruit d’un travail
de pédagogie de la DEP pour convaincre de l’utilité des indicateurs, non seulement pour le repor-
ting, mais également pour le pilotage interne. Cette étape d’adoption de la logique gestionnaire par
l’équipe présidentielle est un préalable au déploiement des outils de pilotage aux différents niveaux
de l’organisation.
Le projet d’établissement constitue à cet égard à la fois un processus et le résultat de la diffusion
de la logique gestionnaire, puisqu’il s’agit pour UDEX de s’engager collectivement sur des objectifs.
L’équipe dirigeante (politiques et administration centrale) y voit un support de la relation contrac-
tuelle avec l’État, une vitrine donnant un gage de conformité à la logique gestionnaire. Les adminis-
tratifs le perçoivent également comme un outil de déploiement interne de la logique gestionnaire.
Formellement, ce projet rassemble les propositions de l’ensemble des membres de l’université et les
structure pour établir un plan stratégique à dix ans. En découlent des plans d’action opérationnels
pour les composantes d’UDEX, en matière de formation, de recherche et de pilotage, en phase avec les
orientations définies par le ministère. Le triptyque « objectifs-moyens-impacts » est ainsi décliné pour
chaque axe stratégique et pour toutes les composantes considérées comme des « centres de responsabi-
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lité ». Pour faire accepter cette logique gestionnaire, l’équipe présidentielle insiste, lors de l’élaboration
du projet, sur le caractère collégial de la démarche, se référant ainsi à une logique politique partagée.
Cependant, le contrat entre l’État et l’université semble clairement prédéterminer les choix straté-
giques et les critères de performance retenus pour UDEX (calqués sur les indicateurs LOLF du minis-
tère) et laisser peu de marge de manœuvre aux acteurs en interne. En outre, la logique gestionnaire,
fondée sur un contrôle de gestion cybernétique, tend à se diffuser dans la relation entre le sommet et
les composantes, avec l’émergence des contrats d’objectifs et de moyens (COM).
La direction de l’université souhaite par les COM responsabiliser formellement les composantes
via des indicateurs de résultats. Mais cela passe d’abord par un dialogue ayant pour finalité de faire
des constats partagés6 sur les moyens financiers, matériels ou humains mis à la disposition des compo-
santes. Cependant, la formalisation des constats partagés engage certains académiques, soucieux de
défendre les moyens de leur composante, dans une logique politique. La discussion sur les moyens
alimente le dialogue budgétaire et la recherche d’économies, conduisant la résistance contre la logique
gestionnaire à s’organiser. Ainsi, face à cette initiative, certaines composantes, soucieuses de maintenir
un mode de gouvernance décentralisé, conforme à la logique académique, revendiquent « leur auto-
nomie avec préservation de leurs moyens ».
Enfin, la démarche domaines constitue un projet crucial et original mené par l’équipe dirigeante
avec le soutien d’un cabinet de conseil. Elle vise un pilotage par les processus, présenté comme une
innovation managériale susceptible d’améliorer le fonctionnement de l’université sur trois grands
types de domaines : pilotage, métiers/missions (enseignement et recherche) et support. Le contrôle
de gestion est au cœur de cette dynamique organisationnelle et mobilise un nombre important d’ac-
teurs, avec un double objectif d’amélioration du fonctionnement organisationnel et de réduction des
coûts. Cette dernière dimension apparaît parfois pour les académiques comme le mobile premier
de la démarche, ce qui ne facilite pas l’adhésion. De plus, la nomination des équipes de pilotage,
composées d’académiques, administratifs, ingénieurs et techniciens, est perçue comme une menace

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CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ 63

vis-à-vis des instances élues et entre en conflit avec la logique politique. Si cette démarche se veut
participative et par compétences, elle porte atteinte également aux structures de pouvoir en place par
composantes, disciplines et groupes professionnels. En outre, l’accompagnement par un cabinet de
conseil est contesté par de nombreux académiques qui y voient une intrusion coûteuse « du monde du
business » dans leur organisation. L’ouverture au monde socio-économique est cependant une priorité
affichée du ministère, priorité que l’on retrouve au niveau organisationnel.

3.1.3. UNE OUVERTURE DE L’UNIVERSITÉ AU MONDE SOCIO-ÉCONOMIQUE


L’ouverture d’UDEX au monde socio-économique contribue de différentes manières à la diffusion de
la logique gestionnaire à travers les SCG. Ainsi, au niveau du pilotage global, les membres externes
du conseil d’administration assurent un transfert de connaissances. Dirigeants d’entreprises ou du
CHU, imprégnés par la logique gestionnaire, ils tendent à suggérer « des bonnes pratiques », telles que
les COM déjà implantés à l’hôpital par exemple. Au niveau des composantes, certains académiques,
impliqués dans des partenariats industriels, ont également assimilé les dimensions contractualisation
et redevabilité de la logique gestionnaire dans ce contexte, et cela joue favorablement sur leur percep-
tion plus générale de cette logique.
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En définitive, les dispositifs formels de contrôle de gestion jouent un rôle déterminant dans la
diffusion de la logique gestionnaire au sein d’UDEX, mais leur influence n’est pas uniforme. Selon
la place des acteurs dans l’organisation, l’appropriation de la logique gestionnaire ou les conflits
de logiques se traduisent de façons différentes, y compris parfois au sein d’un même groupe profes-
sionnel.

3.2. Évolutions au sein des groupes professionnels et conflits de logiques


Les trois groupes professionnels de notre étude – administratifs, politiques et académiques – ne sont
pas confrontés de la même manière à la logique gestionnaire. C’est pourquoi, pour analyser la diffu-
sion de la logique gestionnaire au niveau organisationnel, nous nous intéressons à des acteurs incar-
nant la diversité des représentations et trajectoires professionnelles au sein de ces groupes et dans les
interactions entre groupes.

3.2.1. LES ADMINISTRATIFS


Les administratifs choisis (tableau 4) ont récemment rejoint l’administration centrale d’UDEX, pour
répondre aux demandes externes des organes de contrôle et pour mettre en place les nouveaux dis-
positifs réglementaires en matière de gestion. Tous les trois très proches de l’équipe présidentielle, ils
jouent des rôles importants dans les processus de décision. Ils sont supposés être les plus compétents
pour accompagner les changements liés à l’adoption des RCE, mais leurs missions et les rôles res-
pectifs des administratifs et des politiques pour mener ce changement ne sont pas toujours clairs.
Si la direction Finances et contrôle de gestion est créée en 2006, « on a quand même eu clairement le
sentiment que personne ne savait ce qu’était le contrôle de gestion » (AD 2). « Notre mission c’est d’aider
les pilotes à piloter cette université. On essaie d’exercer cette mission en mettant en place des outils pérennes,
(…) mais l’attente n’est pas structurée, pas homogène, donc il n’y a pas une approche globale » (AD3).

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64 CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ

Cette création et les recrutements successifs manifestent une adoption de la logique gestionnaire
par les politiques, qui décident le développement de compétences en contrôle de gestion central. Les
trois acteurs administratifs clés sont également mandatés pour diffuser la logique gestionnaire au sein
d’UDEX en s’appuyant sur les SCG. Cependant, tous n’ont pas la même culture gestionnaire, ni la
même intention de s’investir pour la diffuser.

Tableau 4
Éléments biographiques – administratifs

AD 1 AD 2 AD 3
L’administratif Le gestionnaire stratège Le pilote de la performance
traditionnel BUR => BUR-GEST BUR-GEST
BUR-POL7
Parcours de gestionnaire Parcours de gestionnaire École de commerce,
et de comptable et de comptable 15 ans d’expérience dans une entreprise
Dix ans d’expérience Formation à l’ESEN publique privatisée.
en formation continue Rejoint UDEX grâce à un programme de
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mobilité de la fonction publique
« Je me suis beaucoup « J’ai fait une année de « Je suis arrivé à l’université avec un
intéressé à l’organisation du formation à l’ESEN, où sentiment un peu étrange de revenir
réseau des PME PMI, et au on a complété un peu au début de ma carrière par rapport au
bout d’un certain temps je notre cursus, mais très cheminement qui conduit à se structurer
suis revenu dans mon métier sommairement, avec pour fixer des objectifs, pour suivre l’atteinte
de base. » quelques apports en contrôle des objectifs et certainement un jour – on est
de gestion. Dans ma carrière en train de prendre ce virage – pour mettre
j’ai été dans plusieurs en œuvre des ressources optimisées pour
institutions, toujours atteindre ces objectifs, donc pour rentrer
Éducation nationale. » dans une approche de performance. »

L’administratif traditionnel reste plutôt fidèle à la logique bureaucratique, attaché au respect for-
mel de la règle, « son métier de base », tout en affichant une familiarité de convenance avec la logique
gestionnaire. En revanche le gestionnaire stratège et le pilote de la performance, malgré des parcours
professionnels très différents, forment un binôme solidaire qui diffuse la logique gestionnaire en s’ap-
puyant sur les SCG : le premier adopte la logique gestionnaire comme nouvelle norme promue par
l’État, compatible avec sa logique bureaucratique originelle ; le second, comme logique universelle de
bon sens pour le pilotage de toute organisation. Leur mission de diffusion de la logique gestionnaire
à partir des SCG vise en priorité l’équipe présidentielle, puis les responsables académiques intermé-
diaires (les directions de composantes).
Pour contribuer à la mise en œuvre des changements, ces trois administratifs ont conscience qu’« il
est nécessaire d’avoir un vrai pilotage, pas seulement sur le plan de la gestion, mais sur le plan politique »
(AD 1). Les administratifs insistent ainsi sur le fait que la mise en place des SCG dans leurs dimen-
sions formelles (tableau de bord, indicateurs, reporting…) n’exonère pas les politiques d’un débat sur

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les missions et objectifs prioritaires de l’université. Ils cherchent dès lors à impliquer davantage les
politiques sur cette dimension, en soutenant la nomination d’un vice-président pilotage. La légitimité
des administratifs dans la promotion de la logique gestionnaire est confortée par le nouveau cadre
réglementaire et par une situation budgétaire tendue qui rend les décisions de maîtrise des coûts indis-
pensables. Ainsi, le gestionnaire stratège s’implique fortement d’abord dans la prévision et le suivi
budgétaire, puis dans la recherche d’économies lorsque la dotation budgétaire baisse inopinément.
Il s’attache également à responsabiliser les composantes sur leurs coûts par les constats partagés.
Le pilote de la performance s’appuie sur le tableau de bord stratégique et sur la démarche domaines
pour diffuser la logique gestionnaire à partir des SCG.
Ces administratifs, dont le rôle est d’aider au pilotage de l’université, reconnaissent cependant que
l’appropriation des outils et de la démarche de contrôle « objectifs–moyens–résultats » mise en avant
par le ministère n’est pas évidente pour les politiques : « C’est le passage aux compétences élargies qui
commence à faire le déclic, (…) c’est encore difficile pour eux de s’approprier les outils. » (AD 2). Ils uti-
lisent les consultants « un peu comme des médiateurs. Parce qu’effectivement en tant qu’administratifs, il
y a des discours qu’on ne peut pas porter » (AD 2). À cet égard, l’incapacité des administratifs à émettre
certains discours sur l’efficience relève d’un double conflit de logiques : la logique gestionnaire impo-
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serait de réduire les coûts mais peut-être au détriment de la qualité du service public, fondement de
leur logique bureaucratique originelle ; logiques bureaucratique et académique s’opposent quant aux
acteurs légitimes du pilotage de l’organisation – les administratifs n’étant pas considérés comme des
porteurs légitimes du changement.
Les administratifs ont en outre du mal à accepter que l’équipe présidentielle ne se sente pas liée par
les engagements du contrat signé avec l’État. Ceci illustre le conflit entre la logique bureaucratique de
l’administratif, qui tendrait à soutenir la logique gestionnaire en conformité avec le nouveau contexte
réglementaire, et la logique politique de l’élu, qui privilégierait la paix sociale locale au détriment des
engagements vis-à-vis de l’État : « On commence seulement, deux ans et demi après (leur élection), à avoir
une prise de conscience du fait que le bilan du contrat en cours, c’est important. » (AD 3)
Les administratifs centraux considèrent en définitive la logique gestionnaire comme un progrès, à
même de faire respecter le cadre légal et budgétaire dont ils sont les garants, alors qu’auparavant : « il y
avait une commission du budget qui s’occupait de tout en dépit de la réglementation ! C’était politique… »
(AD 2). Cependant, n’ayant ni pouvoir direct ni légitimité politique, l’évolution leur semble extrême-
ment lente et « semée d’embûches » (AD 2).

3.2.2. LES POLITIQUES


L’équipe présidentielle élue en 2008 lance et soutient les chantiers de pilotage (tableau 3), dont la
nécessité semble accentuée par le passage aux RCE. Le président d’UDEX, pour favoriser la mise
en œuvre des changements, forme au sein de son équipe des binômes politique-administratif. Les
effets de ces interactions régulières sont multiples : échanges de connaissances, amélioration de la
communication entre les deux groupes professionnels et reconnaissance mutuelle des compétences et
des fonctions : « Il y a eu 6 mois compliqués, on ne se comprenait pas. C’était ni leur responsabilité ni la
nôtre : on n’avait pas le même regard, les mêmes finalités, plein de choses nous séparaient. Et au final, ça a
pas si mal marché que ça » (PO 2).

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Pendant les quatre ans de leur mandat, l’interaction directe et fréquente des politiques avec
les administratifs favorise l’appropriation par les politiques de la logique gestionnaire autour des
SCG. Cependant, l’influence de ces interactions est très différente selon la trajectoire des individus
(tableau 5).

Tableau 5
Éléments biographiques – politiques

PO 1 PO 2 PO 3
Le bon élève Le manager de projets Le politique historique
ACA => GEST-BURO ACA => GEST POL
Responsable d’un diplôme Directeur de laboratoire Directeur de département
Dix ans de participation à la Doyen Directeur de laboratoire et d’UMR
commission budget Président du collège national de sa (Unité Mixte de Recherche)
Élu au CA discipline Élu au CA, VP.
Contrats de recherche industrie
depuis 20 ans
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« Aucune responsabilité « Le management par définition « L’administration j’en ai fait assez
précédente ne vous conduit fait peur. Et il va toujours dans le peu, même en tant que directeur
à comprendre comment est sens qu’on augmente la pression, de labo j’en faisais très peu, j’avais
fichu un budget. Donc, devant on augmente l’efficience, avec une très bonne secrétaire (rires).
la difficulté de ce qu’est un des moyens contraints pour ne Maintenant j’en fais, et même
budget, de ce à quoi sert un pas dire en baisse. Donc tout ça maintenant, je me débrouille…
budget, et de la décentralisation, est quand même très impopulaire, enfin je reste un politique au sens
on est confronté à un problème faire avaler tout ça à quelqu’un, universitaire du mot : dès qu’il y
de connaissance de cet outil, de travailler plus avec moins de a de l’administration à faire, je la
de connaissance en profondeur moyens, c’est jamais populaire. renvoie à l’administration. »
des pratiques de chacune de ses Et avec des contraintes et une
composantes. C’est pour ça qu’on restitution plus forte, ce n’est
est très peu nombreux, et d’autre pas très enthousiasmant comme
part la tâche est excessivement message. »
ingrate. »

Si ces trois politiques ont eu des responsabilités importantes avant de faire partie de l’équipe pré-
sidentielle, ils sont plus ou moins impliqués dans la réalité gestionnaire, considérée comme peu grati-
fiante et chronophage par rapport à ce qu’ils considèrent comme leur vrai métier. Ainsi, le politique
historique reste dans une vision très politique de l’exercice de la direction de l’université, il considère
la logique gestionnaire et les activités associées (le budget, le suivi par tableau de bord) comme le
sale boulot (Hughes 1951 ; Morales et Lambert 2013), qu’il délègue aux administratifs. Il garde de la
distance par rapport à la managérialisation en cours. Cette vision est remise en question en particulier
par le bon élève, qui dénonce les travers de la logique politique :
« Si je vous décrivais nos pratiques… On ne savait pas trop ce que l’on faisait, comme nous sommes
des professeurs là tous (ton ironique), on faisait de la politique… L’établissement a du mal à faire

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confiance aux administratifs, qui connaissent eux le métier. Et faire de la politique chez nous, ça veut
dire (soupir) ne pas faire attention aux réalités économiques du moment. » (PO 1)
Le travail en binôme avec les administratifs et l’interaction avec les personnalités extérieures au sein
du conseil d’administration contribuent pour le bon élève et le manager de projet à une appropria-
tion de la logique gestionnaire. Les personnalités extérieures sont vues comme « force de proposition
avec cette vision de la vie réelle » (PO 1). Parmi elles, le directeur du CHU a une forte influence, notam-
ment sur le manager de projet issu d’une composante santé, et sur le bon élève convaincu par l’exemple
« d’un modèle qui marche ». Ils sont sensibles à la qualification professionnelle que requièrent les SCG
(« il faut comprendre comment est fichu un budget » PO 1) et aux problèmes politiques qu’ils soulèvent
(« c’est pas populaire » PO 2). Enfin, l’accompagnement par un cabinet de conseil soutient également
la diffusion de la logique gestionnaire par la formation. Certains politiques se perçoivent comme nou-
vellement compétents et s’approprient d’autant plus volontiers la logique gestionnaire. Les chantiers
de pilotage, initiés par les consultants en 2009, sont poursuivis et pilotés en interne à partir de 2010,
appuyés par la création de la cellule de pilotage à laquelle les administratifs, pilote de la performance et
gestionnaire stratège, collaborent activement. Le manager de projets endosse au fil des entretiens les
habits et le rôle du manager. En binôme avec l’administratif pilote de la performance, sur les principaux
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projets liés aux SCG, il dit à quelques mois de la fin de son mandat :
« J’ai encore 20 ans de carrière à faire, j’ai fait un choix qui est très dangereux. Parce que j’ai quitté
mon métier de base. Je suis en train de gérer des projets de fusion de facs, donc je suis en train de
valoriser la compétence managériale que j’ai acquise depuis 4 ans. Mais globalement je ne sais pas de
quoi sera fait demain, parce que ce n’est pas prévu dans nos parcours. » (PO 2)
Cet acteur correspond bien au professionnalisme d’expertise, identifié par Evetts (2003), prêt à
vendre ses compétences sur un marché externe. En interaction avec les consultants, il est convaincu
de la pertinence de la nouvelle logique gestionnaire comme facteur d’amélioration de la performance
de l’université. Il fait ainsi sienne la logique gestionnaire fondée sur les SCG importés du monde de
l’entreprise :
« Il y a un besoin de réorganiser tout ça différemment, en fonction du pilotage, donc on a des compé-
tences très particulières qu’on n’avait pas à l’Université et qu’il faut développer. (…) Il a fallu qu’on
recrute des personnes extérieures qui ont une formation dans ce domaine-là (le contrôle de gestion),
qui ont œuvré dans les entreprises et qui amènent toute une culture que nous n’avons pas. » (PO 2)
Dans le groupe des politiques, on trouve ainsi un spectre très large d’influence de la nouvelle
logique gestionnaire. Pour le politique historique, cette influence semble quasi inexistante. Il reste
ancré sur une vision de son activité focalisée sur la recherche conformément à la logique académique.
Attaché en outre à un pouvoir politique éloigné des considérations économiques, il relègue les pré-
occupations gestionnaires à l’administratif, et ne touche pas aux outils de contrôle de gestion. Dans
les deux autres cas, l’influence de la logique gestionnaire est beaucoup plus importante, avec une
adhésion aux principes d’un contrôle de gestion cybernétique, une reconnaissance de la compétence
des administratifs dans la conception et la mise en œuvre des SCG et une appropriation des outils.
Cependant, l’appropriation de la logique gestionnaire par certains politiques ne se fait pas au
détriment d’un attachement fort à la recherche comme fondement de leur logique académique. Dans

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les décisions prises, y compris lorsqu’il s’agit de faire des économies, la prééminence de la logique
académique se manifeste et « on ne touche pas aux budgets recherche », activité que les trois politiques
affirment conserver pendant leur mandat. La logique gestionnaire est ainsi globalement contestée
concernant le financement conditionnel croissant de la recherche, alors même que la notation des
laboratoires est relativement bien acceptée. Enfin, les politiques qui se sont approprié la logique ges-
tionnaire constatent de manière unanime la difficulté à partager cette logique avec leurs collègues
académiques : « Le terme de pilotage ou de contrôle de gestion… n’est pas compris. Moi, quand j’en parle
à mes collègues, je vois que ma pédagogie n’est pas à la hauteur. » (PO 1)

3.2.3. LES ACADÉMIQUES


L’appropriation de la logique gestionnaire par les académiques s’accroît avec leur niveau de respon-
sabilité au sein de leur composante, sans rentrer systématiquement en conflit avec leur logique aca-
démique de rattachement. En effet, les responsabilités amplifient les demandes de prévisionnels et
de reporting sur différents aspects de leur activité : indicateurs chiffrés pour les contrats de recherche,
rapports d’activité pour les évaluations ou encore anticipation du coût des maquettes pédagogiques.
Le parcours professionnel et l’interaction avec les autres groupes, politiques et administratifs, sont
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également de nature à influencer l’appropriation ou la résistance à la logique gestionnaire portée par
les SCG (tableau 6).
Quel que soit leur parcours, les académiques partagent assez communément la perception d’une
université désorganisée. Cependant, le développement d’objectifs et d’indicateurs pour piloter
l’université provoque des réactions contrastées. Certains, comme le réfractaire, mettent en avant
une opposition de fond à la logique gestionnaire et une vision critique des changements en cours :
« L’autonomie, c’est le contraire de l’indépendance, parce qu’on a ce que vous connaissez : des indicateurs de
performance à rendre et plus ce truc est coercitif et moins il a de pertinence évidemment, parce qu’on cherche
à faire rentrer notre activité dans des cases » (AC 3). En outre, il attribue la responsabilité du désordre
à l’administration centrale, qui déléguerait trop de tâches administratives aux académiques, des pré-
visions budgétaires et des rapports d’autoévaluation notamment, sans liens réels avec leur mission.
La tension traditionnelle entre logiques académique et bureaucratique se trouve réactivée autour de la
répartition des activités gestionnaires dans le travail.
Pour d’autres académiques, les sentiments sont plus mélangés. Si la démarche prévisionnelle a
des aspects intellectuellement séduisants, le caractère potentiellement fictif de certains indicateurs
demandés pour les dossiers d’évaluations et les appels d’offres est souligné par le circonspect : « J’ai
l’impression que c’est, à la fois quelque chose de séduisant parce que ça donne l’impression qu’on peut mieux
savoir où on va. Et en même temps, que c’est une fiction parce qu’on nous demande des indicateurs qu’on
n’a pas réellement ou qu’on a et qui sont pas très fiables. » (AC 1)
D’autres enfin, plus ouvertement convaincus par la logique gestionnaire, pointent néanmoins
des incohérences dans la mise en œuvre au sein d’UDEX d’objectifs considérés comme pertinents :
« L’université est en train d’afficher des objectifs qui sont excellents, mais au niveau de la méthodologie il n’y
a ni culture ni moyens… il y a des projets qui sont contradictoires, et on avance très peu. » (AC 2)
Les académiques aux responsabilités administratives intermédiaires (responsables de diplôme
ou membres du conseil de faculté) expriment parfois le besoin d’indicateurs pour décider, mais

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d’indicateurs utilisant des données fiables, et dont le sens soit clarifié : « C’est vrai que j’ai l’impression
d’avoir besoin d’une vision là-dessus. Mais, un, d’avoir un truc qui marche et pas que ça prenne plus de
temps que l’on en gagne, et deux, de s’être entendus sur les objectifs. Ce n’est pas clair pour l’instant. » (AC 1)

Tableau 6
Éléments de biographie – académiques

AC 1 AC 2 AC 3
Le circonspect Le conceptuel Le réfractaire
ACA ACA => ACA-GEST ACA => ACA-POL
Professeur depuis 2007 Professeur depuis 1997 Maître de conférences depuis
2000
Co-responsable d’un diplôme Responsable d’un diplôme Directeur adjoint d’UFR pendant
Élu au conseil de laboratoire Directeur de département 6 mois (démission au moment
Membre du bureau de Directeur d’un UFR du mouvement de 2009)
département Se syndique en 2011
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Porteur de projets de recherche Impliqué dans le projet de fusion Élu au conseil de la faculté
Non impliqué directement de composantes en une faculté nouvelle
dans les changements unique Impliqué dans les changements
organisationnels Impliqué dans les changements organisationnels à partir de 2012
organisationnels (2008-2012)
« J’ai l’impression de travailler « UDEX manque de « Il faut quelqu’un qui tape du
dans un univers très désorganisé. synchronisation : il y a des actions poing sur la table par rapport à
Et donc ma motivation pour ça à gauche, à droite, il y a des l’administration, l’administration
(les dispositifs de contrôle de objectifs qui sont affichés et tout, c’est important, mais à chacun
gestion) c’est que j’espère que mais il faut que ça devienne un sa tâche ! (…) la posture
ça va m’aider à... enfin que ça concept… pour l’instant on n’est administrative c’est : « je ne
va contribuer à ce que les choses pas un concept. » discute pas avec les enseignants »
soient un peu plus organisées. (...) Il y a divers registres de
Alors voilà, c’est juste que j’ai pas problèmes, et nous, on est face
encore perdu espoir. » à un mur, face à ça, c’est une
énergie colossale »

L’utilisation d’indicateurs définis et maîtrisés par les académiques est mise en avant comme une
nécessité pour un pilotage efficace : « Il ne faut pas que les outils soient l’instrument défini par l’adminis-
tratif. (…) S’il ne voit pas les conséquences et il ne peut pas les voir, s’il travaille dans son coin, (…) là on
va vers une catastrophe. » (AC 2) La légitimité contestée des administratifs en matière de pilotage est
l’une des expressions du refus de la logique gestionnaire par les académiques.
Les académiques, tout en exprimant leur perception des limites et des biais liés à l’utilisation des
indicateurs chiffrés, réclament un dialogue de gestion pour une meilleure organisation. Ils reven-
diquent également une compétence sur la définition des objectifs permettant de donner une vision
« opérationnelle » et non strictement comptable des activités de l’université. Ils critiquent enfin une

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trop grande « lourdeur du système bureaucratique » de gestion des activités de recherche en particulier,
et expriment leur logique académique dans le besoin d’autonomie : « On est dans un milieu universi-
taire, il y a des enseignants-chercheurs qui vont dire : Pour quelle raison vous voulez ça ? Ça veut dire que
vous ne nous faites pas confiance. » (AC 2)
Enfin, si les modalités de mise en œuvre des SCG et de certains organes de gouvernance (DSR et
DSE notamment) sont critiquées par l’intersyndicale qui porte au pouvoir la nouvelle équipe prési-
dentielle en 2012, tous les dispositifs ne sont pas rejetés en bloc. En particulier, la logique contrac-
tuelle des COM est reprise dans une démarche stratégique : « Les composantes se verront confier de
vraies marges de manœuvre pour mettre en place la stratégie de notre université. Parce qu’elles sont plus près
des acteurs, elles peuvent être plus réactives, si on leur en donne les moyens. Ce lien sera explicité dans l’éla-
boration de véritables Contrats d’Objectifs et de Moyens pluriannuels. » Profession de foi – mars 2012
En définitive, les COM ne seront finalement pas mis en œuvre et la démarche domaines sera
abandonnée en 2012. Celle-ci visait à casser les clivages interdisciplinaires et entre groupes profession-
nels pour améliorer le fonctionnement de l’université, mais semblait porter atteinte de manière trop
radicale à l’autonomie des composantes, l’un des fondements de la logique académique. En outre,
après une première période de transformations qui semblait avoir donné un pouvoir significatif aux
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administratifs médiateurs de la logique gestionnaire, leur légitimité est vivement contestée, au cours
de la période précédant l’élection de 2012, dans une organisation encore dominée par les logiques
académique et politique.
La logique gestionnaire, qui s’installe dans le champ de l’enseignement supérieur en France
entre 2007 et 2012, est donc en cours de diffusion au sein d’UDEX. Ceci est manifeste dans la manière
dont les questions de contrôle de gestion sont exprimées : il y a discussion sur le niveau des moyens
accordés, sur les modes de gouvernance, mais rarement le rejet d’un principe de gestion efficace et
efficiente des ressources orientée vers des objectifs définis. L’évaluation fait également partie des prin-
cipes considérés comme acquis même si ses instruments peuvent être critiqués. Cependant, au cours
de ce processus, des résistances à la logique gestionnaire se manifestent : l’académique réfractaire ou
le politique historique en sont l’illustration.
À la fin de notre période d’étude, une forme de résistance collective à la logique gestionnaire
s’exprime avec le changement d’équipe présidentielle mi-2012. La nouvelle équipe est élue sur une
profession de foi dénonçant les valeurs élitistes et le modèle économique de l’université, ainsi que
l’opacité des circuits de décision de l’équipe précédente. En particulier, l’Idex a conduit en 2011 les
dirigeants d’UDEX à participer à un projet d’université au service de l’économie de la connaissance,
aligné sur des valeurs, des « critères d’excellence » et un vocabulaire gestionnaire, dans lesquels la
plupart des universitaires, académiques ou administratifs, ne se reconnaissent pas. En outre, les acadé-
miques perçoivent la logique gestionnaire associée à la logique bureaucratique comme un danger pour
leur métier. Les activités de pilotage, coordination, recherche de financement et rapports d’évaluation
prennent le pas sur leurs activités de recherche et d’enseignement. Enfin, les académiques réclament
un retour à la collégialité des instances élues. En définitive, le rejet du vocabulaire et d’une partie
des processus de contrôle mis en place démontre la résistance de l’université à la logique gestion-
naire portée par son champ institutionnel. Cependant, les structures de contrôle de gestion restent
en place – tant en termes d’organisation, de ressources humaines que d’outils – et le maintien de
conditions budgétaires tendues rend la logique gestionnaire toujours prégnante. Cela témoigne dès

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CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ 71

lors d’une nouvelle phase dans la diffusion de la logique gestionnaire au sein d’UDEX et non de sa
disparition totale.

4. Discussion et conclusion
La contribution de cet article est à la fois théorique et empirique. Elle se situe tout d’abord dans la
mise en évidence du rôle joué par les SCG formels comme vecteurs d’une nouvelle logique gestion-
naire dans un processus d’institutionnalisation complexe. Notre article vient compléter les recherches
encore rares, sur le rôle des SCG comme instanciations organisationnelles transformant les logiques
en actions (Lounsbury 2008) dans des situations de pluralisme institutionnel (Ezzamel et al. 2012 ;
Amans et al. 2015 ; Schäffer et al. 2015).
Il contribue en outre à la compréhension des micro-fondements de l’institutionnalisation des
logiques, en analysant la façon dont des logiques multiples influencent simultanément l’organisation,
les groupes professionnels et les individus (Goodrick et Reay 2011 ; Muzio et al. 2013). Il répond en
cela à l’un des enjeux actuels de la théorie institutionnelle appelant à mieux analyser la confrontation
des logiques au niveau infra-organisationnel (Friedland et Alford 1991 ; Thornton et al. 2012).
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Nos résultats mettent en évidence, tout comme ceux de Townley (2002), Reay et Hinings (2009)
ou Lander et al. (2013), la manière dont des logiques parfois contradictoires peuvent coexister au
niveau organisationnel, donnant lieu à une mise en œuvre partielle de la nouvelle logique gestionnaire
dans un fonctionnement organisationnel hybride. Enfin, en explorant les dynamiques professionnelles
émergentes liées à la diffusion de la logique gestionnaire dans les différents groupes professionnels de
l’université, nous participons également aux réflexions de la sociologie des groupes professionnels
(Dubar 1991 ; Demazière et Gadéa 2009 ; Boussard et al. 2010).

4.1. Les SCG, incarnations matérielles et immatérielles d’une logique


Nos résultats soulignent tout d’abord la congruence entre les valeurs portées par la nouvelle logique
gestionnaire et l’évolution de la structure organisationnelle, des modes de gouvernance et des SCG au
sein de l’université. Cela dépasse largement la simple adoption cérémonielle des SCG (Meyer et Rowan
1977 ; Covaleski et Dirsmith 1988). La mise en place d’objectifs, de plans d’actions et de ressources
dédiées au projet d’établissement et à la démarche domaines sont des manifestations tangibles de la
logique gestionnaire. Tout comme Ezzamel et al. (2012), mais au niveau infra-organisationnel égale-
ment adopté par Moll et Hoque (2011), nous montrons en outre comment la logique gestionnaire se
diffuse dans l’université à travers les représentations des acteurs participant au pilotage fondé sur les
SCG. Les principes de gestion efficace et efficiente des ressources, la contractualisation et la responsa-
bilisation d’unités gérables s’incarnent progressivement dans les représentations et les positionnements
professionnels. Nous mettons ainsi en évidence, en écho à l’appel de Jones et al. (2013), la dualité des
dimensions matérielles (outils, structures et nouvelles fonctions) et immatérielles (nouvelles représen-
tations des objectifs de l’organisation, nouveau vocabulaire) de l’incarnation des logiques.
En nous rapprochant au plus près des individus, notre étude de cas précise la manière dont
cette logique gestionnaire est reçue. Comme Pache et Santos (2013) et Schäffer et al. (2015), nous

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LES SYSTÈMES DE CONTRÔLE DE GESTION, VECTEURS D’UNE LOGIQUE GESTIONNAIRE :
72 CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ

montrons comment les membres d’une même organisation peuvent adhérer à différentes logiques.
En particulier, le rapprochement entre logiques et groupes professionnels, suggéré par Muzio et al.
(2013), nous permet d’identifier le rôle des différents groupes professionnels et des individus au sein
de ces groupes dans le changement institutionnel. Ainsi, tout comme Morales et Pezet (2010) et
Mueller et Carter (2007), nous mettons en évidence la manière dont certains acteurs centraux jouent
le rôle de médiateurs de la nouvelle logique et s’appuient sur des médiateurs externes pour faire évo-
luer les représentations des autres membres de l’organisation. En outre, nous soulignons comment ces
acteurs peuvent aller au-delà de la demande exprimée par leur environnement institutionnel – avec
la démarche domaines – dans une quête de légitimité ou par une adoption convaincue de la nouvelle
logique (Ezzamel et al. 2012 ; Moll et Hoque 2011). Les administratifs centraux de l’université ont
ainsi conduit les politiques aux prises avec des problématiques de budget et de pilotage à intérioriser
la nouvelle logique gestionnaire considérée comme acquise. Cette proximité de représentations entre
administratifs et politiques au niveau de l’équipe présidentielle et des services centraux rejoint les
résultats de Chatelain-Ponroy et al. (2013). Ce rapprochement témoigne d’une première étape de
l’institutionnalisation de la logique gestionnaire au niveau central de l’organisation. Il nous conduit
à souligner l’hybridation des groupes concernés dont la logique institutionnelle originelle est contre-
balancée par la logique gestionnaire, qui devient une logique partagée dans un nouveau contexte de
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pluralisme institutionnel (Kraatz et Block 2008).
Le pluralisme et l’hybridation des groupes professionnels ont ainsi été analysés en plusieurs temps.
Tout d’abord, nous avons caractérisé les logiques dominantes des différents groupes professionnels,
logiques résultant de processus de socialisation qui dotent les professionnels de connaissances, valeurs
et représentations propres à leur groupe (Dubar 1991). Ensuite, nous avons montré comment la dif-
fusion de la logique gestionnaire se manifeste à la fois par une hybridation de certains professionnels
et par une modification des frontières entre les groupes participant au pilotage organisationnel dans
un bouleversement de l’ordre négocié (Strauss 1963). Ainsi, lors des premiers travaux liés à l’adoption
des RCE (rédaction d’un nouveau projet d’établissement, élaboration du tableau de bord stratégique,
mise en œuvre d’une démarche domaine) les administratifs, médiateurs de la logique gestionnaire,
semblent avoir trouvé, au moins temporairement, une nouvelle légitimité et un nouveau pouvoir dans
le pilotage de l’organisation. Leur expertise gestionnaire pour accompagner le changement semble
reconnue par les politiques. De même, certains académiques élus ou nommés à des postes de pilotage
trouvent une nouvelle place dans le processus de managérialisation en cours. Le manager porteur de
projets effectue en effet au cours de notre période d’étude un turning point (Hughes 1951-1996), en
décidant de capitaliser sur ses nouvelles compétences gestionnaires pour modifier sa trajectoire de car-
rière. Il démontre un professionnalisme d’expertise (Evetts 2003) et devient un professionnel hybride
en s’appropriant les techniques de contrôle et les savoirs comptables (Kurunmäki 2004).
La diffusion de la logique gestionnaire apparaît ainsi comme effective dans les discours de l’en-
semble des groupes professionnels inspirés initialement par différentes logiques institutionnelles
(Friedland et Alford 1991 ; McPherson et Sauder 2013). Cependant, cette diffusion ne signifie pas
nécessairement adoption. Ainsi, vis-à-vis des nouveaux indicateurs de performance, les académiques
affichent une attirance intellectuelle alliée à une méfiance sur leur potentielle myopie et en rejettent
l’utilisation bureaucratique. Ils sont en outre tiraillés entre : un besoin de clarification dans la gestion
de l’université et la crainte de perdre ce faisant leurs moyens ; le souci de ne pas déléguer le pilotage

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CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ 73

aux administratifs et celui de se concentrer eux-mêmes sur leurs missions fondamentales. Le clivage
traditionnel entre logique académique, valorisant l’expertise et la pertinence, et logique bureaucra-
tique privilégiant le respect de procédures et de règles, semble également persistant. Les académiques
adoptent donc une partie de la logique gestionnaire, notamment dans le cadre de l’évaluation et
du financement de la recherche, mais ne se transforment pas en « professionnels managés » au sens
de Rhoades (1998) : ils conservent un pouvoir important et une autonomie de décision quant à la
stratégie de leur établissement et veillent sur leur liberté d’enseignants-chercheurs. Leur attachement
à la logique académique est une source de résistance à l’éventuelle hégémonie de la nouvelle logique
gestionnaire.

4.2. Des groupes professionnels fragmentés en quête


d’un nouvel ordre négocié
Devenue dominante, la logique gestionnaire, serait porteuse d’une managérialisation (Mueller et
Carter 2007) qui tendrait à transformer les politiques en managers, les administratifs en gestion-
naires et à dé-professionnaliser les académiques (Evetts 2011 ; Boussard et al. 2010). Contrairement à
Mueller et Carter (2007), nous n’observons pas une managérialisation qui induirait un couplage serré
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entre reporting externe et pilotage interne, et la mobilisation d’outils rendant calculables et contrô-
lables les activités des académiques. Ce groupe possède une autonomie qui accroît son potentiel de
résistance aux changements institutionnels. Si nous observons la diffusion d’une « culture du résul-
tat » et « d’indicateurs prégnants » qui modifient les représentations au sein de chaque groupe profes-
sionnel (Boussard et al. 2010), la logique gestionnaire est loin d’être uniformément considérée comme
acquise.
L’adoption de la logique gestionnaire par les acteurs dépend non seulement de leur place au sein de
l’organisation (groupes professionnels, fonctions) et de leurs interactions autour des SCG (Châtelain-
Ponroy et al. 2013), mais également de leur trajectoire professionnelle (Demazière et Gadéa 2009) et
des liens tissés en dehors de l’organisation (début de carrière en entreprise, partenariats de recherche
avec l’industrie, réseaux académiques internationaux). Nos résultats rejoignent ceux de Morales et
Pezet (2010) en ne montrant pas la victoire des administratifs porteurs de la logique gestionnaire sur
les autres groupes, mais une forme d’agrégation hétérogène des logiques. Tout comme Townley (2002),
Reay et Hinings (2009) ou Lander et al. (2013), nous mettons en évidence une coexistence durable de
logiques multiples, et une mise en œuvre fragmentée de la nouvelle logique (Pache et Santos 2013).
Ainsi, les académiques adoptent une partie de la logique gestionnaire, en se soumettant notamment
aux processus de contrôle exercés par des acteurs externes à l’université, mais ils résistent à la mise en
place des SCG pour le pilotage interne de l’organisation. La résistance s’organise en particulier pour
préserver les territoires et l’autonomie professionnelle. Ceci rejoint les résultats de Lander et al. (2013)
sur la façon dont les acteurs sélectionnent certains éléments des logiques à la manière d’une « boîte à
outils » et contribuent ainsi à la fragmentation des logiques mobilisées par l’organisation.
En définitive, si les SCG participent à une certaine diffusion de la logique gestionnaire, celle-ci se
trouve contrebalancée par la persistance des logiques originelles académique, bureaucratique et poli-
tique, intégrée à un fonctionnement organisationnel hybride (Pache et Santos 2013). Comme le sou-
ligne Kurunmäki (2004), la transférabilité des techniques de contrôle de gestion d’un groupe à l’autre

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peut générer une hybridation des professionnels, dans un processus d’apprentissage organisationnel.
Mais, si les politiques sont partiellement convertis à la nouvelle logique gestionnaire, ils demeurent
également très attachés à leurs logiques académique et politique lorsqu’il s’agit de prendre des déci-
sions. Ils perçoivent en outre la difficulté, compte tenu du processus électoral, à tenir dans le temps
des positions contraires à la logique académique dominante et sont relativement soumis aux pressions
de leurs pairs qui gardent de la distance vis-à-vis de la logique gestionnaire.
En conclusion, l’une des limites de notre travail réside dans l’observation d’un processus ina-
chevé et instable. La diffusion de la logique gestionnaire au niveau organisationnel n’est qu’émergente,
lorsque s’achève la première phase de changement portée par l’équipe présidentielle en place sur la
période 2008-2012. Individuellement et collectivement s’expriment différents types de résistances
à la logique gestionnaire, fondées sur les logiques préexistantes (Townley 1997 ; Oakes et al. 1998 ;
Greenwood et al. 2011 ; Thornton et al. 2012). Au niveau individuel, nos résultats rejoignent les
conclusions de Townley (1997) et Moll et Hoque (2011) montrant comment la logique académique
fournit un répertoire de pratiques matérielles et de constructions symboliques pour résister au chan-
gement. Au niveau collectif, les évolutions sont stoppées par le changement d’équipe présidentielle
lors de l’élection de 2012, qui témoigne de la prééminence des logiques politiques et académiques sur
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la logique gestionnaire.
Cette élection s’affiche comme le retour à une gouvernance collégiale, et s’inscrit dans une logique
politique selon laquelle il faut faire table rase des projets précédents, pour reconstruire une stratégie
fondée sur les valeurs. Notre étude rejoint ainsi celle de Dreveton et al. (2012) soulignant que les
accords entre administratifs et politiques sont par nature instables et peuvent être remis en question.
Dans cette nouvelle constellation de logiques (Goodrich et Reay 2011), les administratifs médiateurs
de la logique gestionnaire, qui avaient acquis un certain pouvoir, voient leurs compétences, légitimité,
outils et discours mis en question. La nouvelle équipe présidentielle conteste la pertinence des outils
de pilotage et bannit le vocabulaire gestionnaire, porteur de valeurs et symboles (Oakes et al. 1998).
Si nous ne pouvons finalement pas conclure sur l’issue d’un processus d’institutionnalisation de
long terme, cette recherche met en évidence de manière originale, par une perspective centrée sur les
groupes professionnels, les mécanismes micro-organisationnels qui contribuent à la diffusion d’une
nouvelle logique dans une organisation marquée par de fortes logiques institutionnelles. De nouveaux
SCG formels et les interactions des individus et des groupes professionnels autour de ces SCG font
évoluer les représentations associées à la logique gestionnaire, et ce faisant contribuent à son insti-
tutionnalisation. La caractérisation des différentes dimensions des logiques – en termes de valeurs
fondamentales, de missions pour l’université, de sources de légitimité et d’autorité, de modes de
gouvernance et contrôle – nous a permis de préciser leur compatibilité et les sources éventuelles de
conflits. L’élection de 2012 a conduit l’université à une pause dans la diffusion de la logique ges-
tionnaire, mais la confrontation des logiques se trouve réactivée progressivement sous la contrainte
budgétaire. L’institutionnalisation de la logique gestionnaire dans les pratiques et les représentations
des acteurs entame donc une nouvelle étape, à laquelle nous portons toute notre attention en vue du
prolongement de cette recherche.

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CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ 75

Notes de la période d’étude d’une logique exclusivement


bureaucratique à un certain pluralisme, adoptant
1. La Loi sur les Libertés et Responsabilités des la logique gestionnaire dans les dimensions com-
Universités votée en 2007 est l’élément législatif patibles avec sa logique bureaucratique originelle.
le plus emblématique de la transformation institu-
tionnelle, mais la LOLF (loi organique relative aux
lois de finance), mise en œuvre à partir de 2006,
marquait déjà une première étape dans l’évolution Bibliographie
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pour soutenir financièrement leur développement. de gestion au service du gouvernement de l’uni-
6. Les constats partagés, comme première étape de la versité : propos d’étape sur la conception d’un
mise en œuvre des COM, consistaient à définir, à Balanced Scorecard au sein d’une université fran-
partir du projet d’établissement et des indicateurs çaise. 31e congrès de l’Association Francophone de
contractuels, les priorités déléguées aux compo- Comptabilité, Nice.
santes, puis les indicateurs de mesure des résultats, Berland, N., Dreveton, B. (2012). Mesurer la perfor-
ainsi que les moyens alloués. À cette occasion, un mance des chercheurs, au risque de la bureaucra-
intense débat s’est par exemple engagé entre les tie. In Comptabilité, Société, Politique – Mélanges
composantes (chargées de vérifier le rattachement en l’honneur du professeur Bernard Colasse (Eds,
de chaque enseignant-chercheur à un laboratoire) Nikitin, M., Richard, C.). Paris : Economica,
et les laboratoires (souhaitant éviter que des moyens 285-301.
de support ne leur soient budgétairement imputés Besharov, M.L., Smith, W.K. (2014). Multiple ins-
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7. Ces abréviations correspondent aux logiques domi- their varied nature and implications. Academy of
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deux abréviations sont accolées, la première est Bezes, P., Demazière, D., Le Bianic, T., Paradeise, C.,
la dominante. Par exemple, AD2 évolue au cours Normand, R., Benamouzig, D., Pierru, F., Evetts,

Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 22 – Volume 3 – Décembre 2016 (p. 47 à 79)


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Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 22 – Volume 3 – Décembre 2016 (p. 47 à 79)


Marie Boitier et Anne Rivière
LES SYSTÈMES DE CONTRÔLE DE GESTION, VECTEURS D’UNE LOGIQUE GESTIONNAIRE :
78 CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ

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Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 22 – Volume 3 – Décembre 2016 (p. 47 à 79)


Marie Boitier et Anne Rivière
LES SYSTÈMES DE CONTRÔLE DE GESTION, VECTEURS D’UNE LOGIQUE GESTIONNAIRE :
CHANGEMENT INSTITUTIONNEL ET CONFLITS DE LOGIQUES À L’UNIVERSITÉ 79

Annexe : Liste des acronymes

AERES : Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (remplacée


depuis 2013 par le HCERES : Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de
l’enseignement supérieur)
AMUE : Agence de Mutualisation des Universités et des Etablissements de l’ESR
COM : Contrat d’Objectifs et de Moyens
CPU : Conférence des Présidents d’Université
DGS : Directeur Général des Services
ESR : Enseignement Supérieur et Recherche
IDEX : Initiatives d’Excellence
IGAENR : Inspection Générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche
LOLF : Loi Organique relative aux Lois de Finance
LRU : Loi relative aux libertés et Responsabilités des Universités
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RCE : Responsabilités et Compétences Elargies
PRES : Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur
UFR :  Unité de Formation et de Recherche, composante d’université qui associe des
départements de formation et des laboratoires de recherche.

Comptabilité – Contrôle – Audit / Tome 22 – Volume 3 – Décembre 2016 (p. 47 à 79)

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