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Cca 223 0047
Cca 223 0047
Résumé Abstract
Les systèmes de contrôle de gestion (SCG) Management control systems (MCS) are at
sont au cœur des transformations du Nouveau the heart of New Public Management reforms,
Management Public faisant émerger une leading to the diffusion of a new managerial
nouvelle logique gestionnaire dans les univer- logic in universities where strong competing insti-
sités, où préexistent de fortes logiques institu- tutional logics pre-exist. Driven by a perspective
tionnelles. Par une perspective centrée sur les centered on professional groups, this research con-
groupes professionnels, cette recherche met en tributes to a better understanding of the micro-
évidence de manière originale les mécanismes foundations of the institutionalization process
micro-organisationnels qui contribuent à la in organizations. The characterization of several
diffusion de cette logique dans l’organisation. dimensions of the logics (values, missions, source
La caractérisation des logiques en termes de of legitimacy, governance and control) allows us
valeurs, missions, sources de légitimité, modes to specify their compatibility and the sources of
de gouvernance et contrôle, nous permet potential conflicts. Our results also show how the
de préciser leur compatibilité et les sources new formal MCS and interactions of individuals
éventuelles de conflits. Nous montrons éga- and groups around these MCS alter the represen-
lement comment de nouveaux SCG formels, tations associated with the managerial logic, and
et les interactions des individus et des groupes contribute consequently to its institutionaliza-
autour de ces SCG, font évoluer les représen- tion.
tations, contribuant à une certaine institution-
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Introduction
Les systèmes de contrôle de gestion (SCG) sont au cœur des transformations du Nouveau Management
Public (NMP) en quête d’efficacité et d’efficience (Hood 1991 ; Bezes et al. 2011). La loi LRU1
en particulier dessine un nouvel environnement institutionnel, vecteur de « contrôle managérial »
(Boussard et al. 2010) sur les universités françaises. Elle leur donne une certaine autonomie et de
nouvelles compétences de gestion, mais leur impose plus de redevabilité (Boitier et Rivière 2013b).
Les SCG pourraient contribuer au renouvellement stratégique des universités (Augé et al. 2010), mais
leur mise en œuvre engendre des difficultés politiques (Dreveton et al. 2012 ; Fabre 2013 ; Bollecker
2013). En interne, perceptions et usages des SCG diffèrent selon la place des acteurs (Chatelain-
Ponroy et al. 2013), guidés par différentes logiques.
Les logiques institutionnelles constituent des systèmes de croyances et valeurs, socialement et his-
toriquement construits, composés de symboles et pratiques matérielles, par lesquels individus et orga-
nisations donnent du sens à leurs activités (Friedland et Alford 1991 ; Thornton et Ocasio 2008).
Or, les logiques d’un champ institutionnel expriment des demandes parfois contradictoires, dont la
confrontation au niveau infra-organisationnel est encore insuffisamment explorée (Greenwood et al.
2011 ; Thornton et al. 2012). Les chercheurs s’intéressent souvent au conflit entre ancienne logique
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fondée sur une étude de cas approfondie. La troisième met en évidence les résultats. Enfin, la dernière
partie discute les résultats et voies d’approfondissement.
1. Cadre théorique
La perspective des logiques institutionnelles atténue le déterminisme originel de la théorie institu-
tionnelle en expliquant les marges de manœuvre des organisations vis-à-vis des pressions de leur
champ par la coexistence de plusieurs logiques de référence (Lounsbury 2007 ; Thornton et Ocasio
2008 ; Greenwood et al. 2011 ; Thornton et al. 2012). Dans ce cadre, l’organisation constitue l’un
des niveaux de l’institutionnalisation des logiques, qui coexistent, se confrontent ou se renouvellent
à travers l’interaction des acteurs. L’université, pilotée par des groupes professionnels se référant
à différentes logiques, est ainsi marquée par un certain pluralisme institutionnel (Kraatz et Block
2008). La question de la diffusion de la logique gestionnaire se pose de manière particulière dans ce
contexte de bureaucratie professionnelle où coexistent historiquement contrôle par les pairs et règles
administratives wébériennes (Mintzberg 1979). Le rôle important des groupes professionnels dans la
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au sein de l’université avant la mise en œuvre du NMP ; elles constituent des référentiels que les
acteurs mobilisent dans leurs activités. Elles révèlent l’influence significative de deux groupes profes-
sionnels, au sens occupationnel (Hughes 1951 ; Bucher et Strauss 1961) : enseignants-chercheurs et
administratifs. Ces groupes, composés d’individus exerçant un même métier et reconnus comme tels,
tant par leur expertise que par leurs valeurs (Dubar et al. 2011), présentent une logique dominante
(McPherson et Sauder 2013).
Ainsi, l’enseignant-chercheur est attaché à une logique académique, qui repose sur la figure historique
de l’université autonome vis-à-vis de l’Église, de l’État et plus récemment du marché (Djelic 2012),
une communauté indépendante consacrée au progrès des connaissances. Cette logique s’exprime en
particulier dans la mission que se donnent les universitaires de former des citoyens (Willmott 1995),
de produire et transmettre un savoir universel. Les académiques montrent une préférence marquée
pour les structures décentralisées qui leur garantissent pouvoir discrétionnaire et autonomie (Townley
1997). Ils définissent ainsi eux-mêmes leurs standards de performance, dont le contrôle est assuré
par les pairs (Demazière et Gadéa 2009 ; Mintzberg 1979). Dans ce cadre, certains enseignants-
chercheurs disposent d’un mandat qui leur donne une responsabilité particulière dans les décisions.
Cela nous conduit à distinguer les enseignants-chercheurs élus, que nous appellerons politiques, des
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équilibre au sein de l’université du fait d’un fonctionnement en grande partie cloisonné. Lorsque
les logiques se trouvent en confrontation, le pouvoir d’un groupe professionnel dépend de sa capa-
cité à définir, d’une manière qui lui est favorable, les problèmes qui touchent son organisation et
les savoirs pertinents pour y répondre (Demazière et Gadéa 2009 ; Morales 2013). Cette dimen-
sion politique du fonctionnement organisationnel est prégnante dans le contexte universitaire : dans
l’intérêt de chaque groupe à défendre des décisions conformes à sa logique de référence ; et par-
fois dans la capacité de certains acteurs à se détacher opportunément de la logique dominante de
leur groupe.
pressions de leur champ. La logique gestionnaire, portée par le ministère incarnant l’autorité, pourrait
par exemple être promue par des administratifs, sans incompatibilité avec les règles et procédures de
leur logique bureaucratique. Les politiques sont également appelés à s’emparer de cette logique, en
raison de leur mission de pilotage. Globalement, chaque acteur de l’université est directement ou
indirectement soumis à l’influence de cette nouvelle logique, qui modifie les conditions du pluralisme
institutionnel.
La combinaison des logiques institutionnelles et de la sociologie des groupes professionnels permet
donc d’analyser la confrontation des différentes logiques au sein des groupes et dans leurs interac-
tions, participant au changement institutionnel (Goodrick et Reay 2011 ; Muzio et al. 2013). Dans
ce cadre, chaque groupe professionnel est porteur d’une logique dominante dont l’influence peut
être contrebalancée à certains moments par d’autres logiques. La nouvelle logique gestionnaire arrive
en force dans le contexte universitaire, soutenue par un contexte global visant l’efficacité, l’efficience
et la redevabilité des organisations publiques. Au niveau organisationnel, les SCG en constituent de
potentiels vecteurs.
Les SCG constituent ainsi des instanciations organisationnelles (Thornton et al. 2012) qui trans-
forment les logiques en action, de par leurs dimensions formelles – les outils et les pratiques maté-
rielles – et informelles – les représentations, symboles et valeurs associés (Guibert et Dupuy 1997 ;
Naro et Travaillé 2010). Les SCG contribuent à la construction et au changement de la réalité orga-
nisationnelle (Oakes et al. 1998 ; Townley 2002), tout en étant eux-mêmes modifiés pour répondre
aux spécificités du contexte (Ezzamel et al. 2012 ; Amans et al. 2015 ; Schäffer et al. 2015). La dua-
lité des SCG entre matériel et immatériel implique d’étudier conjointement les aspects matériels et
symboliques des logiques (Jones et al. 2013). Les SCG comme outils permettent parfois de diffuser
une nouvelle logique de façon plus discrète et plus efficace que les discours (Dambrin et al. 2007).
Ils véhiculent des représentations qui participent à la légitimation des dirigeants, voilant parfois leur
volonté de contrôle renforcé des membres de l’organisation (Bourguignon 2003). Certains mots
du contrôle de gestion constituent en outre des « vocabulaires de pratiques » (Thornton et al. 2012)
qui contribuent à la catégorisation voire à une réification des activités ou des objets, progressive-
ment considérés comme légitimes. Les SCG peuvent donc porter une nouvelle logique déclinant
des valeurs à travers des discours et des techniques de contrôle (Bourguignon, 2003 ; Dambrin et al.
2007 ; Moll et Hoque 2011 ; Ezzamel et al. 2012), certains acteurs se faisant médiateurs de cette
logique institutionnalisée au niveau macrosocial (Oakes et al. 1998 ; Townley 2002 ; Morales et
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Tableau 1
Idéaux-types des logiques institutionnelles du champ universitaire
(Reay et Hinings 2009 ; Arman et al. 2014). Kurunmäki (2004) montre comment la transférabilité
des techniques comptables transforme les médecins en professionnels hybrides, qui s’approprient le
savoir des managers mais gardent le contrôle de leur activité avec une logique de soignant toujours
prééminente. L’hybridation réside donc dans l’adoption d’une nouvelle logique a priori contradictoire
avec la logique préexistante, mais de manière sélective. Un troisième scénario possible est celui d’une
mobilisation de la nouvelle logique dans les relations externes avec certaines parties prenantes, et son
rejet pour les décisions de pilotage interne (Pache et Santos 2013). On ferait face alors non plus à un
découplage, mais à un cloisonnement entre différentes sphères de décision ou à un couplage sélectif
des différentes dimensions des SCG (Pache et Santos 2013 ; Schäffer et al. 2015). Les SCG peuvent
donc conduire à de nouveaux équilibres entre logiques concurrentes (Reay et Hinings 2009), et égale-
ment au changement de logique dominante au niveau organisationnel (Ezzamel et al. 2012 ; Mueller
et Carter 2007).
Nous tentons donc par une étude de cas de comprendre comment les SCG peuvent être les vec-
teurs d’une nouvelle logique gestionnaire dans le contexte d’une université, donnant lieu par les
interactions entre acteurs et groupes professionnels, à une nouvelle combinaison de logiques institu-
tionnelles au niveau organisationnel.
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Tableau 2
Données de l’étude de cas UDEX
Pour les politiques et les administratifs, les acteurs les plus proches des SCG ont été retenus : élus
en charge des finances, du pilotage et du budget, tous trois membres du conseil d’administration ;
administratifs en charge des finances, du pilotage et DGS. Ces acteurs nous ont semblé représenta-
tifs de la manière dont la logique gestionnaire se diffuse au sein de ces groupes professionnels dans
leurs interactions autour des SCG. Nous avons ensuite choisi les trois académiques présentés dans
cet article sur deux critères : celui des responsabilités (de diplôme, département ou laboratoire) de
façon à ce que les acteurs soient confrontés aux SCG (budget, coûts des maquettes…) ; celui de la
diversité des conflits de logiques, les acteurs choisis en étant le reflet. Nous avons donc sélectionné
un académique non directement impliqué dans les changements organisationnels (le circonspect), un
académique directement impliqué entre 2008 et 2012 (le conceptuel), et un autre impliqué à partir de
2012 (le réfractaire).
Les thèmes des entretiens menés avec ces acteurs portent sur les évolutions de l’organisation et de
leur activité, leur perception des missions de l’université, des modes de gouvernance, ainsi que sur
l’évolution des SCG. Ces entretiens révèlent ce que les acteurs au sein de chaque groupe professionnel
perçoivent de leurs propres évolutions vis-à-vis de la logique gestionnaire, mais également des évolu-
tions au sein des autres groupes. Ils ont été retranscrits et analysés de façon thématique, en parallèle de
l’analyse des documents. Ce recueil des données nous permet d’une part d’établir un inventaire chro-
nologique et organisé des changements structurels concernant les SCG dans l’université, et d’autre
part d’interroger les différents acteurs sur ces changements. Un retour aux acteurs a été fait sur l’ana-
lyse des données dans une recherche de convergence des interprétations.
Enfin, pour compléter l’étude de cas, nous avons observé des réunions ouvertes et mené des entre-
tiens informels réguliers avec d’autres acteurs d’UDEX. Cette démarche empirique est de nature à
éclairer les articulations complexes entre parcours biographiques, pratiques et représentations des
acteurs liées aux SCG et à la dynamique de l’organisation (les turning points de Hughes 1951-1996 ;
Dubar et al. 2011).
La perspective des logiques institutionnelles nous a semblé de plus en plus pertinente au fur et
à mesure de nos interactions avec le terrain, et l’élaboration du tableau 1 résulte de ce processus de
confrontation terrain-théorie. Les logiques institutionnelles ne sont jamais données, mais sont les ins-
tanciations matérielles et symboliques de logiques macrosociales, adaptées aux spécificités d’un contexte,
ici celui de l’université. Ce tableau est donc à la fois un cadre d’analyse et un résultat de notre recherche.
Il définit les logiques institutionnelles comme des idéaux-types qui encadrent les décisions des acteurs
et sont renouvelés dans les pratiques et interactions au niveau organisationnel. Il nous permet donc
d’étudier les différentes dimensions de la diffusion de la logique gestionnaire fondée sur les SCG.
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Tableau 3
Évolution des structures et dispositifs formels de contrôle
académique (indépendance académique, autonomie et contrôle exclusif par les pairs). Cette adop-
tion pourrait n’être qu’un gage de légitimité institutionnelle (Meyer et Rowan 1977 ; Covaleski et
Dirsmith 1988), mais l’adhésion de l’équipe présidentielle à ce dispositif est le fruit d’un travail
de pédagogie de la DEP pour convaincre de l’utilité des indicateurs, non seulement pour le repor-
ting, mais également pour le pilotage interne. Cette étape d’adoption de la logique gestionnaire par
l’équipe présidentielle est un préalable au déploiement des outils de pilotage aux différents niveaux
de l’organisation.
Le projet d’établissement constitue à cet égard à la fois un processus et le résultat de la diffusion
de la logique gestionnaire, puisqu’il s’agit pour UDEX de s’engager collectivement sur des objectifs.
L’équipe dirigeante (politiques et administration centrale) y voit un support de la relation contrac-
tuelle avec l’État, une vitrine donnant un gage de conformité à la logique gestionnaire. Les adminis-
tratifs le perçoivent également comme un outil de déploiement interne de la logique gestionnaire.
Formellement, ce projet rassemble les propositions de l’ensemble des membres de l’université et les
structure pour établir un plan stratégique à dix ans. En découlent des plans d’action opérationnels
pour les composantes d’UDEX, en matière de formation, de recherche et de pilotage, en phase avec les
orientations définies par le ministère. Le triptyque « objectifs-moyens-impacts » est ainsi décliné pour
chaque axe stratégique et pour toutes les composantes considérées comme des « centres de responsabi-
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vis-à-vis des instances élues et entre en conflit avec la logique politique. Si cette démarche se veut
participative et par compétences, elle porte atteinte également aux structures de pouvoir en place par
composantes, disciplines et groupes professionnels. En outre, l’accompagnement par un cabinet de
conseil est contesté par de nombreux académiques qui y voient une intrusion coûteuse « du monde du
business » dans leur organisation. L’ouverture au monde socio-économique est cependant une priorité
affichée du ministère, priorité que l’on retrouve au niveau organisationnel.
Cette création et les recrutements successifs manifestent une adoption de la logique gestionnaire
par les politiques, qui décident le développement de compétences en contrôle de gestion central. Les
trois acteurs administratifs clés sont également mandatés pour diffuser la logique gestionnaire au sein
d’UDEX en s’appuyant sur les SCG. Cependant, tous n’ont pas la même culture gestionnaire, ni la
même intention de s’investir pour la diffuser.
Tableau 4
Éléments biographiques – administratifs
AD 1 AD 2 AD 3
L’administratif Le gestionnaire stratège Le pilote de la performance
traditionnel BUR => BUR-GEST BUR-GEST
BUR-POL7
Parcours de gestionnaire Parcours de gestionnaire École de commerce,
et de comptable et de comptable 15 ans d’expérience dans une entreprise
Dix ans d’expérience Formation à l’ESEN publique privatisée.
en formation continue Rejoint UDEX grâce à un programme de
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L’administratif traditionnel reste plutôt fidèle à la logique bureaucratique, attaché au respect for-
mel de la règle, « son métier de base », tout en affichant une familiarité de convenance avec la logique
gestionnaire. En revanche le gestionnaire stratège et le pilote de la performance, malgré des parcours
professionnels très différents, forment un binôme solidaire qui diffuse la logique gestionnaire en s’ap-
puyant sur les SCG : le premier adopte la logique gestionnaire comme nouvelle norme promue par
l’État, compatible avec sa logique bureaucratique originelle ; le second, comme logique universelle de
bon sens pour le pilotage de toute organisation. Leur mission de diffusion de la logique gestionnaire
à partir des SCG vise en priorité l’équipe présidentielle, puis les responsables académiques intermé-
diaires (les directions de composantes).
Pour contribuer à la mise en œuvre des changements, ces trois administratifs ont conscience qu’« il
est nécessaire d’avoir un vrai pilotage, pas seulement sur le plan de la gestion, mais sur le plan politique »
(AD 1). Les administratifs insistent ainsi sur le fait que la mise en place des SCG dans leurs dimen-
sions formelles (tableau de bord, indicateurs, reporting…) n’exonère pas les politiques d’un débat sur
les missions et objectifs prioritaires de l’université. Ils cherchent dès lors à impliquer davantage les
politiques sur cette dimension, en soutenant la nomination d’un vice-président pilotage. La légitimité
des administratifs dans la promotion de la logique gestionnaire est confortée par le nouveau cadre
réglementaire et par une situation budgétaire tendue qui rend les décisions de maîtrise des coûts indis-
pensables. Ainsi, le gestionnaire stratège s’implique fortement d’abord dans la prévision et le suivi
budgétaire, puis dans la recherche d’économies lorsque la dotation budgétaire baisse inopinément.
Il s’attache également à responsabiliser les composantes sur leurs coûts par les constats partagés.
Le pilote de la performance s’appuie sur le tableau de bord stratégique et sur la démarche domaines
pour diffuser la logique gestionnaire à partir des SCG.
Ces administratifs, dont le rôle est d’aider au pilotage de l’université, reconnaissent cependant que
l’appropriation des outils et de la démarche de contrôle « objectifs–moyens–résultats » mise en avant
par le ministère n’est pas évidente pour les politiques : « C’est le passage aux compétences élargies qui
commence à faire le déclic, (…) c’est encore difficile pour eux de s’approprier les outils. » (AD 2). Ils uti-
lisent les consultants « un peu comme des médiateurs. Parce qu’effectivement en tant qu’administratifs, il
y a des discours qu’on ne peut pas porter » (AD 2). À cet égard, l’incapacité des administratifs à émettre
certains discours sur l’efficience relève d’un double conflit de logiques : la logique gestionnaire impo-
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Pendant les quatre ans de leur mandat, l’interaction directe et fréquente des politiques avec
les administratifs favorise l’appropriation par les politiques de la logique gestionnaire autour des
SCG. Cependant, l’influence de ces interactions est très différente selon la trajectoire des individus
(tableau 5).
Tableau 5
Éléments biographiques – politiques
PO 1 PO 2 PO 3
Le bon élève Le manager de projets Le politique historique
ACA => GEST-BURO ACA => GEST POL
Responsable d’un diplôme Directeur de laboratoire Directeur de département
Dix ans de participation à la Doyen Directeur de laboratoire et d’UMR
commission budget Président du collège national de sa (Unité Mixte de Recherche)
Élu au CA discipline Élu au CA, VP.
Contrats de recherche industrie
depuis 20 ans
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Si ces trois politiques ont eu des responsabilités importantes avant de faire partie de l’équipe pré-
sidentielle, ils sont plus ou moins impliqués dans la réalité gestionnaire, considérée comme peu grati-
fiante et chronophage par rapport à ce qu’ils considèrent comme leur vrai métier. Ainsi, le politique
historique reste dans une vision très politique de l’exercice de la direction de l’université, il considère
la logique gestionnaire et les activités associées (le budget, le suivi par tableau de bord) comme le
sale boulot (Hughes 1951 ; Morales et Lambert 2013), qu’il délègue aux administratifs. Il garde de la
distance par rapport à la managérialisation en cours. Cette vision est remise en question en particulier
par le bon élève, qui dénonce les travers de la logique politique :
« Si je vous décrivais nos pratiques… On ne savait pas trop ce que l’on faisait, comme nous sommes
des professeurs là tous (ton ironique), on faisait de la politique… L’établissement a du mal à faire
confiance aux administratifs, qui connaissent eux le métier. Et faire de la politique chez nous, ça veut
dire (soupir) ne pas faire attention aux réalités économiques du moment. » (PO 1)
Le travail en binôme avec les administratifs et l’interaction avec les personnalités extérieures au sein
du conseil d’administration contribuent pour le bon élève et le manager de projet à une appropria-
tion de la logique gestionnaire. Les personnalités extérieures sont vues comme « force de proposition
avec cette vision de la vie réelle » (PO 1). Parmi elles, le directeur du CHU a une forte influence, notam-
ment sur le manager de projet issu d’une composante santé, et sur le bon élève convaincu par l’exemple
« d’un modèle qui marche ». Ils sont sensibles à la qualification professionnelle que requièrent les SCG
(« il faut comprendre comment est fichu un budget » PO 1) et aux problèmes politiques qu’ils soulèvent
(« c’est pas populaire » PO 2). Enfin, l’accompagnement par un cabinet de conseil soutient également
la diffusion de la logique gestionnaire par la formation. Certains politiques se perçoivent comme nou-
vellement compétents et s’approprient d’autant plus volontiers la logique gestionnaire. Les chantiers
de pilotage, initiés par les consultants en 2009, sont poursuivis et pilotés en interne à partir de 2010,
appuyés par la création de la cellule de pilotage à laquelle les administratifs, pilote de la performance et
gestionnaire stratège, collaborent activement. Le manager de projets endosse au fil des entretiens les
habits et le rôle du manager. En binôme avec l’administratif pilote de la performance, sur les principaux
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les décisions prises, y compris lorsqu’il s’agit de faire des économies, la prééminence de la logique
académique se manifeste et « on ne touche pas aux budgets recherche », activité que les trois politiques
affirment conserver pendant leur mandat. La logique gestionnaire est ainsi globalement contestée
concernant le financement conditionnel croissant de la recherche, alors même que la notation des
laboratoires est relativement bien acceptée. Enfin, les politiques qui se sont approprié la logique ges-
tionnaire constatent de manière unanime la difficulté à partager cette logique avec leurs collègues
académiques : « Le terme de pilotage ou de contrôle de gestion… n’est pas compris. Moi, quand j’en parle
à mes collègues, je vois que ma pédagogie n’est pas à la hauteur. » (PO 1)
d’indicateurs utilisant des données fiables, et dont le sens soit clarifié : « C’est vrai que j’ai l’impression
d’avoir besoin d’une vision là-dessus. Mais, un, d’avoir un truc qui marche et pas que ça prenne plus de
temps que l’on en gagne, et deux, de s’être entendus sur les objectifs. Ce n’est pas clair pour l’instant. » (AC 1)
Tableau 6
Éléments de biographie – académiques
AC 1 AC 2 AC 3
Le circonspect Le conceptuel Le réfractaire
ACA ACA => ACA-GEST ACA => ACA-POL
Professeur depuis 2007 Professeur depuis 1997 Maître de conférences depuis
2000
Co-responsable d’un diplôme Responsable d’un diplôme Directeur adjoint d’UFR pendant
Élu au conseil de laboratoire Directeur de département 6 mois (démission au moment
Membre du bureau de Directeur d’un UFR du mouvement de 2009)
département Se syndique en 2011
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L’utilisation d’indicateurs définis et maîtrisés par les académiques est mise en avant comme une
nécessité pour un pilotage efficace : « Il ne faut pas que les outils soient l’instrument défini par l’adminis-
tratif. (…) S’il ne voit pas les conséquences et il ne peut pas les voir, s’il travaille dans son coin, (…) là on
va vers une catastrophe. » (AC 2) La légitimité contestée des administratifs en matière de pilotage est
l’une des expressions du refus de la logique gestionnaire par les académiques.
Les académiques, tout en exprimant leur perception des limites et des biais liés à l’utilisation des
indicateurs chiffrés, réclament un dialogue de gestion pour une meilleure organisation. Ils reven-
diquent également une compétence sur la définition des objectifs permettant de donner une vision
« opérationnelle » et non strictement comptable des activités de l’université. Ils critiquent enfin une
trop grande « lourdeur du système bureaucratique » de gestion des activités de recherche en particulier,
et expriment leur logique académique dans le besoin d’autonomie : « On est dans un milieu universi-
taire, il y a des enseignants-chercheurs qui vont dire : Pour quelle raison vous voulez ça ? Ça veut dire que
vous ne nous faites pas confiance. » (AC 2)
Enfin, si les modalités de mise en œuvre des SCG et de certains organes de gouvernance (DSR et
DSE notamment) sont critiquées par l’intersyndicale qui porte au pouvoir la nouvelle équipe prési-
dentielle en 2012, tous les dispositifs ne sont pas rejetés en bloc. En particulier, la logique contrac-
tuelle des COM est reprise dans une démarche stratégique : « Les composantes se verront confier de
vraies marges de manœuvre pour mettre en place la stratégie de notre université. Parce qu’elles sont plus près
des acteurs, elles peuvent être plus réactives, si on leur en donne les moyens. Ce lien sera explicité dans l’éla-
boration de véritables Contrats d’Objectifs et de Moyens pluriannuels. » Profession de foi – mars 2012
En définitive, les COM ne seront finalement pas mis en œuvre et la démarche domaines sera
abandonnée en 2012. Celle-ci visait à casser les clivages interdisciplinaires et entre groupes profession-
nels pour améliorer le fonctionnement de l’université, mais semblait porter atteinte de manière trop
radicale à l’autonomie des composantes, l’un des fondements de la logique académique. En outre,
après une première période de transformations qui semblait avoir donné un pouvoir significatif aux
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lors d’une nouvelle phase dans la diffusion de la logique gestionnaire au sein d’UDEX et non de sa
disparition totale.
4. Discussion et conclusion
La contribution de cet article est à la fois théorique et empirique. Elle se situe tout d’abord dans la
mise en évidence du rôle joué par les SCG formels comme vecteurs d’une nouvelle logique gestion-
naire dans un processus d’institutionnalisation complexe. Notre article vient compléter les recherches
encore rares, sur le rôle des SCG comme instanciations organisationnelles transformant les logiques
en actions (Lounsbury 2008) dans des situations de pluralisme institutionnel (Ezzamel et al. 2012 ;
Amans et al. 2015 ; Schäffer et al. 2015).
Il contribue en outre à la compréhension des micro-fondements de l’institutionnalisation des
logiques, en analysant la façon dont des logiques multiples influencent simultanément l’organisation,
les groupes professionnels et les individus (Goodrick et Reay 2011 ; Muzio et al. 2013). Il répond en
cela à l’un des enjeux actuels de la théorie institutionnelle appelant à mieux analyser la confrontation
des logiques au niveau infra-organisationnel (Friedland et Alford 1991 ; Thornton et al. 2012).
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montrons comment les membres d’une même organisation peuvent adhérer à différentes logiques.
En particulier, le rapprochement entre logiques et groupes professionnels, suggéré par Muzio et al.
(2013), nous permet d’identifier le rôle des différents groupes professionnels et des individus au sein
de ces groupes dans le changement institutionnel. Ainsi, tout comme Morales et Pezet (2010) et
Mueller et Carter (2007), nous mettons en évidence la manière dont certains acteurs centraux jouent
le rôle de médiateurs de la nouvelle logique et s’appuient sur des médiateurs externes pour faire évo-
luer les représentations des autres membres de l’organisation. En outre, nous soulignons comment ces
acteurs peuvent aller au-delà de la demande exprimée par leur environnement institutionnel – avec
la démarche domaines – dans une quête de légitimité ou par une adoption convaincue de la nouvelle
logique (Ezzamel et al. 2012 ; Moll et Hoque 2011). Les administratifs centraux de l’université ont
ainsi conduit les politiques aux prises avec des problématiques de budget et de pilotage à intérioriser
la nouvelle logique gestionnaire considérée comme acquise. Cette proximité de représentations entre
administratifs et politiques au niveau de l’équipe présidentielle et des services centraux rejoint les
résultats de Chatelain-Ponroy et al. (2013). Ce rapprochement témoigne d’une première étape de
l’institutionnalisation de la logique gestionnaire au niveau central de l’organisation. Il nous conduit
à souligner l’hybridation des groupes concernés dont la logique institutionnelle originelle est contre-
balancée par la logique gestionnaire, qui devient une logique partagée dans un nouveau contexte de
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aux administratifs et celui de se concentrer eux-mêmes sur leurs missions fondamentales. Le clivage
traditionnel entre logique académique, valorisant l’expertise et la pertinence, et logique bureaucra-
tique privilégiant le respect de procédures et de règles, semble également persistant. Les académiques
adoptent donc une partie de la logique gestionnaire, notamment dans le cadre de l’évaluation et
du financement de la recherche, mais ne se transforment pas en « professionnels managés » au sens
de Rhoades (1998) : ils conservent un pouvoir important et une autonomie de décision quant à la
stratégie de leur établissement et veillent sur leur liberté d’enseignants-chercheurs. Leur attachement
à la logique académique est une source de résistance à l’éventuelle hégémonie de la nouvelle logique
gestionnaire.
peut générer une hybridation des professionnels, dans un processus d’apprentissage organisationnel.
Mais, si les politiques sont partiellement convertis à la nouvelle logique gestionnaire, ils demeurent
également très attachés à leurs logiques académique et politique lorsqu’il s’agit de prendre des déci-
sions. Ils perçoivent en outre la difficulté, compte tenu du processus électoral, à tenir dans le temps
des positions contraires à la logique académique dominante et sont relativement soumis aux pressions
de leurs pairs qui gardent de la distance vis-à-vis de la logique gestionnaire.
En conclusion, l’une des limites de notre travail réside dans l’observation d’un processus ina-
chevé et instable. La diffusion de la logique gestionnaire au niveau organisationnel n’est qu’émergente,
lorsque s’achève la première phase de changement portée par l’équipe présidentielle en place sur la
période 2008-2012. Individuellement et collectivement s’expriment différents types de résistances
à la logique gestionnaire, fondées sur les logiques préexistantes (Townley 1997 ; Oakes et al. 1998 ;
Greenwood et al. 2011 ; Thornton et al. 2012). Au niveau individuel, nos résultats rejoignent les
conclusions de Townley (1997) et Moll et Hoque (2011) montrant comment la logique académique
fournit un répertoire de pratiques matérielles et de constructions symboliques pour résister au chan-
gement. Au niveau collectif, les évolutions sont stoppées par le changement d’équipe présidentielle
lors de l’élection de 2012, qui témoigne de la prééminence des logiques politiques et académiques sur
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