A la rencontre des thérapeutes de l'Inde

par le Dr Jacques Vigne

pour Santé-yoga
On s'intéresse beaucoup en Occident aux effets du hatha-yoga sur la santé, mais celui-ci est
en Inde seulement une partie de toute une tradition thérapeutique. Ayant eu moi-même une
formation de médecin et de psychiatre à Paris, avec ensuite vingt ans de séjour en Inde pour ma
recherche spirituelle et l'écriture, j'ai senti qu'il serait intéressant d'introduire des thérapeutes
français à cette vaste tradition de l'Inde sur le terrain même. D'où un voyage qui s'est effectué
avec trente personnes dans la plaine du Gange en novembre 2005. Dans la thérapeutique
indienne, il y a déjà les chikitsak-s ou ojhas, les guérisseurs. Ils sont en général formé
traditionnellement par un ancien, mais ne s'occupent de leurs patients que la façon temporaire. Ils
procèdent à des rituels de courte durée, donnant ensuite des conseils généraux "d'hygiène de vie
spirituelle" à leurs patients pour maintenir l'amélioration. Ils sont nombreux en Inde encore
actuellement, on estime que 80 % des patients qui présentent une souffrance psychique viennent
les consulter, au moins pour un essai, en parallèle souvent avec des thérapies allopathiques, c'est-
à-dire en Inde plus des psychotropes qu'une psychothérapie de type occidentale, qui reste rare et
limitée aux villes.
Le second pôle de la thérapie traditionnelle, c'est l'aide psychospirituelle donné par des
Swâmîs et gourous, c'est-à-dire des moines ordonnés régulièrement et héritiers de la grande
tradition spirituelle de l'Inde. À travers les méthodes qui peuvent sembler trop simples aux
thérapeutes occidentaux, mantra, concentration, méditation, ils aident leurs élèves et disciples à
long terme, et peuvent en fait emmener loin au moins ceux qui s'engagent sérieusement. En
général ceux-ci ne sont pas le plus grand nombre, comme dans les autres traditions, la demande
majeure étant de bénéficier des "consolations de la religion" ou pourquoi pas, de miracles si
l'enseignant spirituel a la réputation d'en avoir fait ...
Ces deux milieux sont assez séparés: les guérisseurs s'intéressent aux gens du peuple en crise
aiguë, alors que les gourous fonctionnent en général avec une base plus large, et accompagnent
les gens à long terme. Les cures chamaniques des guérisseurs sont largement basées sur la transe,
comme dans les autres régions du monde. Lors de voyage de novembre, nous avons passé quatre
jours dans l'hôtellerie du plus grand temple tibétain de Sarnath près de Bénarès, le Vajra Vidya
Mandir. Nous avons fait venir un guérisseur avec son patient d'un village à une centaine de
kilomètres de là, et il nous a montré comment il procédait, avec l'association de transe et de
rituels, l'état de transe étant partagée dans l'ensemble avec son patient.
Les dieux invoqués étaient ceux de l'hindouisme, en particulier Hanuman qu'on surnomme
Sankat Mochan, celui qui libère (mochan), des crises, (sankat). Nous avons visité avec le groupe
de thérapeutes français sont grand temple de guérison au Rajasthan, Balaji. Il est intéressant de
voir qu’il est à la fois le dieu du service, de la dévotion au divin et de la chasteté. Il y a
effectivement dans les troubles psychiques un problème de la transformation de l’énergie vitale
en quelque chose de plus large, en un amour stable et basé sur le don plutôt que l’attente d’un
retour. On raconte aussi qu’Hanuman a fait un certain nombre de bourdes quand il était jeune,
mais qu’il les a réparées grâce à son bon cœur. Ceci facilite l’identification positive du patient
avec le dieu, puisque le premier est conscient lui aussi d’avoir fait des erreurs dans son passé.
Une question simple est de savoir si la thérapie de transe est applicable en Occident. Par
exemple, le Dr Donnars à Paris a essayé cette méthode en organisant pendant des années des
groupes de thérapie par la transe. Il était principalement inspiré par les pratiques brésiliennes,
mais sans pour autant faire référence au panthéon de la macumba qui nous est étranger. Il
demandait simplement d'avoir confiance dans ce mécanisme fort ancien de la transe, sans doute
la première thérapie du psychisme à être venue au monde, et qui devait déjà exister dans les
grottes préhistoriques. Les thérapies émotionnelles ont aussi repris les éléments de la transe, avec
des succès mitigés, elles continuent maintenant mais bien moins que dans les années 80 où elles
étaient à la mode. Il y a en réalité une grande différence entre la recherche de l'émotion pour
l'émotion, comme dans la transe thérapeutique occidentale, et le fait d'apprendre à diriger son
émotion vers le divin et la perfection, comme sait le faire par exemple le peuple de l'Inde dans sa
pratique de la transe.
En ce qui concerne le pouvoir thérapeutique de la méditation, on peut dire en bref qu'il repose
sur deux facteurs : la concentration et l'observation. Nous avons chacun en nous un noyau
psychotique qui est diffluent, nous n'associons pas les objets de la pensée d'une façon
raisonnable, mais automatique comme dans un rêve. La concentration aide beaucoup à corriger
ce noyau en profondeur. Nous avons aussi une tendance hystérique nous poussant à nous
identifier aux émotions et aux créations imaginaires qui sont constamment produite par notre
mental. Ceci revient à un genre d'ivresse, pour nous en dégriser, l'observation de l'esprit est un
médicament puissant.
Pour terminer cette brève présentation, il peut être utile d'insister sur l'importance de la théorie
sous-tendant le travail d'évolution intérieure. En Occident, le monde psychique est conçu comme
un sac de noeuds avec des forces contradictoires qui tiraillent indéfiniment le je dans différentes
directions. En Orient, on se base sur l'enseignement et l'expérience des sages qui affirment que
notre nature est perfection, et que le travail qu'on a à faire est négatif au sens technique du
terme : il consiste à écarter cette couche d'herbes aquatiques entremêlées qui correspond à notre
mental pour parvenir à percevoir directement l'eau sous-jacente tranquille du Soi ou de la
conscience de nirvâna.

Jacques Vigne, 22 février 2006