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Chapitre 0, Economie industrielle, Émergence, démarche d’analyse et


théories mobilisées

Chapter · November 2019

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Salah Koubaa
University of Hassan II of Casablanca
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Pour citer cette référence :

Koubaa, S (2019). Manuel d’économie industrielle : Structure, Conduite et Performance. Editions


Najah Al Jadida

** L’édition de ce manuel a été subventionnée par l’Université Hassan II de Casablanca


SOMMAIRE

Chapitre 0 - Économie industrielle ‘Émergence, démarche d’analyse et théories mobilisées’

1. Économie industrielle, de quoi parlons-nous ? ......................................... 4


2. Émergence de l’économie industrielle...................................................... 5
3. Structuralistes vs béhavioristes. ............................................................... 6
4. Théories mobilisées par les économistes industriels .............................. 10
5. Au Maroc, … ............................................................................................ 11
6. Structure de l’ouvrage ............................................................................ 12
7. Note importante au lecteur .................................................................... 13

Chapitre 1 - La concurrence parfaite, une structure de référenceError! Bookmark not


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1. La concurrence parfaite ..............................Error! Bookmark not defined.
2. La demande résiduelle ................................Error! Bookmark not defined.
3. L’efficience, le bien-être et la perte sèche ..Error! Bookmark not defined.
4. La contestabilité des marchés .....................Error! Bookmark not defined.

Chapitre 2 - Le monopole et la position dominanteError! Bookmark not defined.


1. Le comportement de la firme en position de monopoleError! Bookmark not defined.
2. Pourquoi les monopoles sont-ils créés et maintenus ?Error! Bookmark not defined.
3. Position dominante avec frange concurrentielleError! Bookmark not defined.
4. La discrimination du prix .............................Error! Bookmark not defined.

Chapitre 3 - Les industries oligopolistiques et les cartelsError! Bookmark not defined.


1. Le cartel, une industrie oligopolistique coopérativeError! Bookmark not defined.
2. Les industries oligopolistiques non-coopérativesError! Bookmark not defined.

Chapitre 4 - La différenciation et la concurrence monopolistiqueError! Bookmark not


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1. La différenciation des produits ...................Error! Bookmark not defined.
2. Le modèle du consommateur représentatifError! Bookmark not defined.
3. Les modèles de localisation ........................Error! Bookmark not defined.
Chapitre 5 - La structure et la performance de l’industrieError! Bookmark not defined.
1. Les prix et les profits ...................................Error! Bookmark not defined.
2. L’approche SCP ...........................................Error! Bookmark not defined.
3. Les analyses modernes du paradigme SCP .Error! Bookmark not defined.

RÉFÉRENCES .................................................................................................. 14
TABLE DES MATIÈRES ......................................Error! Bookmark not defined.
Chapitre 0
Économie industrielle
Émergence, démarche d’analyse et théories mobilisées

1. Économie industrielle, de quoi parlons-nous ?

Que signifie l’économie industrielle ? Pour un néophyte, la réponse est loin d’être claire.
Probablement, parce qu’aucune autre discipline des sciences économiques n’est
insuffisamment informative de son contenu. Une première réponse possible est que
l’économie industrielle s’intéresse à la production de la firme dans une économie de marché.
Une autre met l’accent sur la discipline comme étant une économie appliquée dans la réalité.
Ces éléments de réponse et bien d’autres sèment les graines de l’économie industrielle. La
manière la plus simple pour cerner cette discipline est de mettre l’accent sur son objet d’étude.
Appelée aussi méso-économie, c’est une branche des sciences économiques qui se situe entre
le niveau micro et macro et qui étudie les situations de la concurrence imparfaite.
La concurrence imparfaite couvre une panoplie de situations1: le duopole, la position
dominante d’une entreprise en concurrence avec d’autres, etc. Aussi, les produits peuvent être
identiques (exemple du ciment) ou très différents (exemple des produits cosmétiques). De
même, l’entrée, contrairement à la concurrence parfaite, n’est pas toujours libre. Elle peut être
facile dans le secteur de la restauration rapide mais très difficile dans le cas de l’industrie
automobile.
Les postulats de la concurrence pure et parfaite (CPP) sont alors remis en cause par les faits
réels. Le modèle CPP ne tient pas compte des interdépendances inter-firmes. Dans la réalité,
la firme doit être vigilante de l’interdépendance des actions sur le marché. Chacune d’elles
souhaite prendre en compte la réponse (réaction) éventuelle des concurrents. De même, les
concurrents souhaitent connaitre la réponse de l’entreprise question.
La réalité se situe souvent entre deux extrêmes théoriques : le monopole pur et la concurrence
pure. Que se passe-t-il lorsque deux, trois ou même plusieurs entreprises sont présentes sur
le marché ? Quel rôle jouent les forces concurrentielles lorsque la firme est face à un nombre
limité de concurrents ? Les prix seront-ils dérivés du coût marginal ? La publicité et les
politiques de promotion seront-elles des leviers des revenus des firmes ? Les activités de R&D
et l’innovation seront-elles une source de la pression concurrentielle ? Si c’est le cas, comment
sont obtenues les situations de monopole ? Pourquoi certaines situations de monopoles sont-
elles autorisées par les pouvoirs publics ?
Au total, l’économie industrielle représente le cadre d’analyse que les économistes utilisent
pour traiter et répondre à l’ensemble de ces questions et bien d’autres. Si les économistes se
sont intéressés pendant longtemps au modèle idéal de la concurrence parfaite, les situations
de la concurrence imparfaite ont suscité peu d’intérêt en sciences économiques. C’est à cette
entreprise que l’économie industrielle s’est livrée depuis son émergence.

1
Voir la typologie des marchés élaborée par Von Stackelberg.
2. Émergence de l’économie industrielle

Appelée aussi dans le monde anglo-saxon industrial organization ou la méso-économie,


l’économie industrielle se focalise sur la manière dont les firmes sont organisées, structurées
et mises en compétition dans la réalité. L’émergence de l’économie industrielle en tant que
discipline remonte aux différentes réflexions développées par les économistes autour de
Sherman Act en 18902. La grande dépression des années 30 a clairement mis en évidence
l’importance d’inclure les faits réels dans le corpus théorique des sciences économiques
notamment celui de la formation des prix. L’urgence de ce renouveau théorique s’est
renforcée par la publication des travaux de Robinson3 en 1933 sur la concurrence imparfaite
et ceux de Chamberlin4 en 1937 sur la concurrence monopolistique. Quelques années plus tard,
en 1957, Mason a mis en évidence les phénomènes réels de concentration et de monopole
par rapport à la théorie fine et rigoureuse de la formation des prix.
Durant cette même période, d’autres économistes notamment Berle et Means (1932) se sont
intéressés au phénomène de pouvoir dans les organisations et la propriété privée. Le pouvoir
avait tendance de passer des mains de ceux qui « possèdent », c’est-à-dire les propriétaires
aux mains de ceux qui « savent », les managers et les dirigeants. C’est cette théorie qui devient
par la suite une des bases des travaux sur la gouvernance d’entreprises. Les problématiques
de la gouvernance dans la grande firme américaine voient ainsi le jour dans un contexte de la
grande dépression. Les limites de l’éffet-taille sont aussi mises en évidence.
À partir de ces constatations et de ces remises en cause du corpus théorique déjà établi et face
à la volonté de saisir de nouvelles relations entre les firmes, les banques, les pouvoirs publics
dans la lignée de la révolution « chamberlinienne » et les rapports des autorités de la
concurrence, aux USA, sur la concentration économique, des économistes ont mis en place les
jalons d’une nouvelle discipline appelée « organisation industrielle » et définie comme étant
« l’étude des actions réciproques des vendeurs et des acheteurs dans la détermination des
prix,… la politique des entreprises de grande dimension ».

2
Le Congrès a adopté la première loi antitrust, la Sherman Act en 1890, en tant que charte globale de la liberté
économique visant à préserver une concurrence libre et sans entrave. En 1914, le Congrès a adopté deux lois
antitrust supplémentaires : la loi sur la Commission fédérale du commerce, qui a créé la Federal Trade Commission
et la loi Clayton. Avec quelques révisions, ce sont les trois lois fédérales antitrust de base toujours en vigueur.
3
Dans les années 1930, elle est une des membres les plus assidues du Cambridge Circus, groupe de jeunes
économistes réunis autour de John Maynard Keynes pour l'aider à élaborer ce qui allait devenir la Théorie
générale de l'emploi, de l'intérêt et de la monnaie en 1936. Elle rejoint la British Academy en 1958. Après la guerre,
elle est l'une des figures majeures du post-keynésianisme et joue un rôle important dans la controverse des deux
Cambridge, débat particulièrement virulent qui oppose ce courant représenté, outre Robinson, par Nicholas
Kaldor, Pierangelo Garegnani et Luigi Pasinetti, qui sont tous professeurs à l'université de Cambridge, aux
partisans du « keynésianisme de la synthèse » groupés notamment autour de Robert Solow et Paul Samuelson,
professeurs à l'université de Cambridge aux États-Unis, à propos des théories de la croissance. Elle qualifiera à
l'occasion les théories de la synthèse de « keynésianisme dégénéré » et traita les hypothèses du modèle de Solow
de peu réalistes. Elle ironisa même sur le caractère peu réaliste de ces hypothèses en parlant du « royaume de
Solowie »
4
Né en 1899, Edward Hastings Chamberlin est un économiste américain. Il obtint sa thèse en 1927 à l’université
de Harvard aux États-Unis qu’il ne quittera plus jusqu’à sa retraite. Sa contribution principale aux sciences
économiques a été publiée en 1933 sous le titre « The Theory of Monopolistic Competition ». Sa théorie a deux
ambitions : expliquer le comportement individuel d’entreprises concurrentes quand des éléments de
différenciation existent, et souligner la façon selon laquelle un équilibre de marché s’établit entre elles.
Sur le plan académique, l’économie industrielle en tant que discipline s’est procurée plus de
légitimité du fait de plus en plus de revues scientifiques et de conférences dédiées à ses
problématiques. En effet, les économistes industriels francophones se sont dotés de la revue
d’économie industrielle depuis 1977 par l’université Sophia-Antipolis. D’autres revues
anglophones se sont aussi intéressées à l’objet d’analyse de l’économie industrielle. Il s’agit
notamment de International Journal of Industrial Organization. Journal of Industrial Economics
et Review of Industrial Organization.

3. Structuralistes vs béhavioristes.

Les analyses des économistes industriels sont encore largement enracinées dans l’approche
micro-économique dominée par l’usage des outils traditionnels de la théorie des marchés ou
de la théorie des prix. Les courbes de coûts et de fonction de production sont largement
utilisées. Elles se distinguent de la théorie traditionnelle par le nombre de variables souvent
institutionnelles prises en compte dans le raisonnement.
Les économistes industriels de Harvard (les structuralistes) s’efforcent de faire appel à d’autres
domaines scientifiques telles que l’histoire et la sociologie. Leurs analyses s’enrichissent par
l’introduction de notions fructueuses comme les inégalités, le pouvoir économique, la
domination, les conflits, les concentrations, la concurrence ‘praticable’. Ils sont quasi-
unanimes sur le schéma d’analyse Structure-Conduite-Performance.
Ce schéma descriptif permet une vision globale de la discipline de l’économie industrielle. Il a
été développé par Edward, S. Mason durant la période 1939-1949 à Harvard mais aussi par ses
collègues et étudiants comme Joe, S. Bain en 1959. Selon cette démarche, la performance
d’une industrie, les bénéfices qu’apportent le secteur d’activité aux consommateurs, dépend
des conduites des entreprises (les comportements), qui à leur tour dépendent de la structure,
c’est à dire l’ensemble des facteurs qui déterminent la compétitivité d’un marché. La structure
de n’importe quelle industrie dépend d’un certain nombre de conditions de base. Il s’agit
notamment de la technologie et de la demande des produits. Dans le cas par exemple d’une
industrie avec une technologie donnée, le coût moyen (CM) diminue lorsque la quantité
d’output augmente. Par conséquent, l’industrie tend à avoir une seule entreprise ou peut-être
un nombre réduit d’entreprises. Dans le cas extrême d’un monopole, les produits sont vendus
à un prix supérieur aux coûts marginaux de production. Si les conditions de base font de la
demande des produits du monopole une demande inélastique, (les consommateurs ne sont
relativement pas sensibles aux prix) le prix dans ce marché est élevé par rapport à la situation
où la demande est élastique (les consommateurs sont sensibles au prix).
Le paradigme SCP montre comment les conditions de base interagissent avec chacune des
composantes de cette approche. Il montre aussi les différentes interactions avec les pouvoirs
publics en termes d’actions de régulation, des lois anti-trust, des impôts et taxes, des barrières
à l’entrée, des incitations à l’investissement et à la création d’emplois et des politiques macro-
économiques.
Cette démarche n’exclut pas les effets de retour « feed-back ». Si les structures des marchés
déterminent la conduite des firmes, il n’est pas du tout impossible que certaines conduites
stratégiques telles que les collusions puissent déterminer les structures des marchés
permettant ainsi de renforcer les phénomènes de concentration.
En dépit de l’engouement des économistes industriels à cette démarche, elle n’est pas sans
limites. En effet, la séquence SCP soulève plusieurs conflits théoriques de taille. Certains
accordent plus d’importance à la relation directe entre les structures et les performances. Les
comportements stratégiques sont négligés. Il s’agit par exemple des prévisions de
performances qui peuvent être faites uniquement à partir des données structurelles. En outre,
des comportements stratégiques différents peuvent naitre des mêmes conditions
structurelles.
D’autres se penchent plus sur la relation stratégie-performance parce qu’elle permet de mieux
comprendre le ‘pourquoi’ des choses et non pas seulement le ‘comment’. Une seconde limite
est relative à la divergence qui concerne le centre principal d’intérêt tels que la firme pour
Mason et la branche pour Bain5.

5
Le groupe de firmes ayant des produits et des processus similaires.
Figure 0-1: Le paradigme Structure – Comportement – Performance

Conditions de base

Demande Offre
Élasticité de la demande Technologie utilisée
Produits de substitution Matières premières
Saisonnalité Cycle de vie des produits
Taux de croissance Économies d’échelle
Etc.. Économies de variété
Etc..

Structure :

- Nombre d’acheteurs et de vendeurs


- Barrières à l’entrée
- Différenciation des produits
- Intégration verticale
- Diversification
- Etc…

Politiques des pouvoirs


Conduite : publics :
- Publicité - Régulations
- Recherche & développement - Barrières à l’entrée
- Programmes d’investissement - Impôts et taxes
- Politique de produit - Incitations à
- Politique de prix l’investissement et la
- Fusions & acquisitions création des emplois
- Etc… - Politiques macro-
économiques

Performance :

- Prix
- Production efficiente
- Allocation des ressources efficiente
- Qualité du produit
- Progrès technique
- Profits
- Etc…

À partir des années 70, les choses ont commencé à changer. Les économistes sont de plus en
plus conscients des défaillances du paradigme SCP. En effet, plusieurs conclusions des études
empiriques ont montré leurs limites et font désormais l’objet d’interprétations différentes.

Il s’agit par exemple de la conclusion la plus fréquente des économistes structuralistes selon
laquelle les entreprises avec des parts de marché importantes ont tendance à générer des
profits importants. Cette conclusion peut être prise comme une vérification de la thèse basique
du paradigme SCP qui stipule que plus la part de marché de l’entreprise est élevée, plus le
pouvoir du monopole est important et donc les profits générés sont aussi élevés. Or, les profits
élevés peuvent aussi s’expliquer par la maitrise de technologies ou encore l’appropriation d’un
portefeuille de ressources et de compétences.

L’écueil le plus important de l’approche structuraliste réside dans le rôle médiateur des
comportements des firmes et notamment le manque d’analyses et d’intérêt accordé par les
économistes industriels aux interactions stratégiques. En outre, la structure est considérée
comme une variable exogène, c’est-à-dire un facteur déterminant le comportement de la
firme. Celui-ci ne détermine pas, en retour, la structure du marché. Toutefois, il s’avère
clairement que le comportement de la firme a un impact sur la structure du marché. Par
exemple, la concurrence intense par les prix entre les firmes réduit l’attractivité de l’industrie.

Partant de ces limites du SCP, Bain (1956), était un des premiers qui ont compris l’importance
des barrières à l’entrée comme une partie intégrante de l’économie industrielle. Cette
dimension a joué un rôle capital dans la théorie de la contestabilité des marchés développés
au début des années 80 par Baumol, Panzar et Willig. La difficulté pour un nouvel acteur
d’entrer dépend des actions prises par les entreprises déjà présentes dans le marché. Elles
peuvent influencer, à travers leurs actions stratégiques, l’entrée de concurrents potentiels.

Dans ce même ordre d’idées, des économistes et des juristes de Chicago (behaviouristes) ont
montré que plusieurs pratiques observées dans la réalité, notamment par les tribunaux,
portent atteinte à la concurrence et le bien-être économique. Vues sous l’angle de la politique
générale des entreprises, ces pratiques pourraient apparaitre comme étant favorables à
l’efficacité économique et l’utilité des consommateurs.

La réflexion de l’école de Chicago portait à la base sur les relations verticales, amont-aval, entre
l’entreprise et ses fournisseurs ou encore ses distributeurs. La plupart de ces relations
contractuelles intègre des restrictions telles les relations de franchising avec exclusivité
territoriale ou encore des restrictions imposant aux distributeurs de vendre à un prix minimum.
Économiquement parlant, ces pratiques restrictives, pour l’école de Chicago, sont recevables
et pourrait être bénéfiques aux consommateurs. Légalement parlant, les juristes de la
concurrence ont commencé à revoir leur verdict sur ces pratiques considérées pendant
longtemps comme étant illégales.

L’influence des travaux de l’école de Chicago sur les relations verticales s’est rapidement
propagée. La cour suprême aux Etats-Unis a rejeté l’ensemble des efforts déployés par le
gouvernement américain pour bloquer certaines fusions des années 70. Durant cette même
période, le gouvernement US n’a pas eu gain de cause de plusieurs procès accusant certaines
grandes entreprises, telle que KODAK ou IBM, du monopole et du non-respect du Sherman
Act.

Il est très difficile de sous-estimer l’influence de l’école de Chicago et notamment son influence
légale jusqu’aujourd’hui. Ses travaux portent sur les logiques comportementales et les
conduites stratégiques des firmes. Le handicap de l’école de Chicago, dite béhavioriste, était
l’absence d’un cadre d’analyse unificateur qui permet d’analyser clairement les interactions
inter-firmes. La théorie des jeux (Von Neumann and Morgenstern (1944) et Nash (1951)) s’est
présentée comme étant un cadre théorique propice pour analyser les interactions stratégiques
dans un contexte de concurrence imparfaite : on parle du courant post-Chicago ou encore de
la Nouvelle Économie Industrielle (NEI).

Au final, il est intéressant de constater que si l’engouement de la théorie des jeux a diminué la
portée de l’école de Chicago, il ne faut surtout pas la concevoir dans une perspective de rejet
de cette école de pensée. Comme le post-Chicago, les développements permis par la théorie
des jeux s’inscrivent dans le prolongement de sa pensée.

En guise de conclusion de ce débat entre les structuralistes (école de Harvard) et les


behaviouristes (école de Chicago), il est intéressant de souligner que l’économie industrielle a
été associée dès sa naissances aux politiques anti-trust. Son émergence est liée aux
interactions stratégiques entre les firmes et son objet consiste à comprendre les tactiques et
les politiques générales des firmes et leurs implications sur le marché.

4. Théories mobilisées par les économistes industriels

Le modèle de la théorie des prix propose une analyse des incitations des consommateurs et
des firmes pour expliquer le phénomène du marché. George Stigler (1968) est un précurseur
de cette approche analytique. L’économiste industriel est amené à utiliser la théorie micro-
économique pour concevoir ses études empiriques et évaluer les effets des politiques
publiques.

Les tenants de la théorie des prix notent la forte tendance des économistes industriels d’utiliser
la théorie micro-économique. Cette adoption s’explique par deux principales raisons : (1) la
disponibilité des données empiriques au niveau micro et (2) les avancées considérables de la
théorie des prix.

Au total, trois principales applications théoriques ont connu récemment un engouement


considérable : (1) les analyses des coûts de transaction, (2) la théorie des jeux et (3) la théorie
des marchés contestables.

La théorie des coûts de transaction (Coase, 1937 ; Williamson, 1975) : comme son nom
l’indique, la théorie des coûts de transaction s’intéresse à l’ensemble des coûts des activités
effectuées avec les autres agents et qui ne sont pas forcément intégrés dans le calcul du prix.
Il s’agit par exemple des coûts de rédaction et d’application des contrats. Les différences des
coûts de transaction permettent de comprendre comment les structures, les conduites et les
performances varient d’une industrie à une autre. À la fin des années 30, Ronald Coase (1937)
a mis l’accent sur la firme et le marché comme étant deux modes organisationnels alternatifs
des activités économiques. L’usage du marché implique, selon Coase, des coûts. Ces coûts
déterminent la structure du marché. Lorsqu’ils sont faibles, la firme a intérêt d’acheter le
produit auprès des autres firmes au lieu de le produire en interne. Williamson (1975) a
popularisé la théorie des coûts de transaction en proposant les principaux facteurs générateurs
des coûts liés aux transactions économiques. Il s’agit notamment de l’opportunisme des
agents, la rationalité limitée, la spécificité des actifs et bien évidemment l’asymétrie de
l’information et l’incertitude.
La théorie des jeux (Von Neumann and Morgenstern 1944) : C’est une autre approche
théorique qui a connu un engouement considérable en économie industrielle notamment chez
les tenants du courant behaviouriste. Elle sert de modèle d’analyse des relations de
concurrence et de coopération entre les individus et les firmes. La concurrence entre les firmes
est vue comme un jeu de stratégie ou encore des plans d’action qui décrivent le comportement
de chacune d’elles. La théorie des jeux permet de comprendre la formation des stratégies et
des interactions inter-firmes, leur impact sur les profits. Elle a joué un rôle capital dans la
conception de la concurrence, si l’on veut bien considérer que les modèles de Cournot (1838),
Bertrand (1883), Von Stackelberg (1934) comme des modèles de cette théorie.

La théorie des marchés contestables (Baumol, Panzar, Willig, 1982) : Si la théorie des jeux offre
un cadre conceptuel pour comprendre les comportements conflictuels et coopératifs des
acteurs économiques (individus et firmes), le processus d’entrée sur le marché concurrentiel
était toujours au centre de préoccupations des économistes. Lorsque le nombre de firmes dans
une industrie est réduit (peut-être une seule firme), la compétition peut être forte si la menace
de nouvelles firmes (entrants potentiels) est forte. Le marché dans lequel plusieurs firmes
peuvent entrer rapidement si les prix sont supérieurs aux coûts et sortir rapidement si les prix
sont inférieurs aux coûts est appelé un marché contestable. De manière plus précise, la théorie
des marchés contestables montre que la présence de monopoles peut être compatible avec
un prix identique à celui de la concurrence parfaite (le pouvoir de monopole disparaît). Ceci
n’est possible que si des entrants potentiels existent et pourraient accéder à la branche si le
profit pur est positif. Trois conditions sont nécessaires pour que le marché soit effectivement
contestable : (1) Les firmes susceptibles d’entrer ont le même accès aux techniques de
production que la firme en place ; (2) Il n’y a pas de coûts irrécouvrables (ou sunk costs) c’est-
à-dire la possibilité de sortir sans coût et (3) le délai d’installation de la firme entrante est
suffisamment court.

5. Au Maroc, …

L’émergence de l’économie industrielle au Maroc est très récente, son histoire est encore à
faire. En effet, il serait difficile de comprendre l’émergence de l’économie industrielle et par
conséquent de la politique concurrentielle sans tenir compte de la nature composite de la
société marocaine6. Il en est de même pour certaines dates ou même périodes clés de l’histoire
récente du Maroc. La référence est faite ici au programme d’ajustement structurel, connu sous
le nom du PAS, de 1983 à 1993. C’est une période pleine de conséquences et d’implications
qui ont métamorphosé la scène économique nationale. Durant cette période, le Maroc s’est
vu imposer une politique d’austérité et d’équilibres macro-économiques en rupture avec le
volontarisme des années 1970 (Plan 1973- 1977) et avec la marocanisation imposant des
limites aux entreprises à capitaux étrangers. La décennie des années 90 était marquée par un
processus de libéralisation, d’ouverture et de mise à niveau de l’économie. La ratification des
accords du GATT et l’OMC à Marrakech en 1995 en est un exemple de ce processus. Plusieurs
accords d’association et de libre échange ont été mis en place notamment avec les pays de

6
Sur ce sujet, voir les travaux du sociologue Paul Pascon notamment son œuvre intitulé « la nature composite de
la société marocaine » et publié en (1967), Lamalif, n°17, décembre. Selon l’auteur, « dans cette société
s’affrontent en réalité plusieurs types d’organisations sociales complètes en elles-mêmes. Nous n’avons pas
affaire à une société, mais à des aspects partiels de plusieurs sociétés qui coexistent parfois au même moment et
au même lieu. Ainsi un individu déterminé appartient, selon ses différents comportements, à plusieurs sociétés ».
l’Union Européenne. Dans ce contexte, le Maroc devait être doté d’une véritable politique
concurrentielle de son industrie.
Si l’émergence de l’économie industrielle dans les pays développés ne peut pas être dissociée
de la promulgation des lois sur la concurrence notamment aux Etats-Unis (adoption de la
Sherman Antitrust Act en 1890) et au Canada (Adoption de la Loi relative aux enquêtes sur les
coalitions en 1889), il en est de même pour le Maroc. L’émergence de l’économie industrielle
est liée à l’adoption de la loi sur la concurrence dans le royaume. En effet, la loi 104-12 (Juin
2014) relative à la liberté des prix et de la concurrence et la loi 20-13 (Juin 2014) relative au
conseil de la concurrence7 marquent la naissance légale d’une politique de la concurrence dans
le royaume. Ces lois constituent les principales composantes d’un cadre juridique de la
concurrence au Maroc.
Les problématiques liées au jeu de l’offre et de la demande, les situations de monopole et de
position dominante, les opérations de concentrations économiques et les études de la
concurrentiabilité font désormais partie des activités du conseil de la concurrence. Ce conseil
est, selon l’article premier de la loi 20-13, « une institution indépendante chargée, dans le cadre
de l’organisation d’une concurrence libre et loyale, d’assurer la transparence et l’équité dans
les relations économiques, notamment à travers l’analyse et la régulation de la concurrence sur
les marchés, le contrôle des pratiques anticoncurrentielles, des pratiques commerciales
déloyales et des opérations de concentration économique et de monopole ». En plus de son
pouvoir décisionnel, le conseil est aussi une instance consultative. Sa mission consiste à lutter
contre les pratiques anticoncurrentielles, contrôler les opérations de concentration
économique, donner son avis sur les demandes de consultations conformément à la loi et
publier des études sectorielles concernant l’économie nationale.
Ainsi, depuis sa création, le conseil de la concurrence a procédé à l’examen de plusieurs études
et avis. Par exemple, le conseil a émis le 28 octobre 2021 son avis relatif à l’examen du respect
des règles d’une concurrence libre et loyale par les producteurs et importateurs des huiles de
table suite aux augmentations des prix de vente constatées sur le marché́ national de ces
produits. D’autres exemples d’avis peuvent être consultés par le lecteur sur le site web du
conseil de la concurrence. L’avis du Conseil, du 14 février 2019, relatif au projet de décision du
Gouvernement concernant le plafonnement des marges bénéficiaires des carburants liquides
est une autre illustration des problématique que couvrent le champ de l’économie industrielle
et donc de la loi sur la liberté des prix et de la politique de la concurrence au Maroc.

6. Structure de l’ouvrage

Cet ouvrage a une portée purement pédagogique destinée aux étudiants de la licence (Bac+3)
et du master (Bac+5) des facultés de droit & des sciences économiques et des écoles de
commerce et de gestion. Il est aussi destiné aux professionnels qui s’intéressent à la politique
de la concurrence, les stratégies des firmes et des acteurs de la concurrence.
Après un chapitre introductif numéroté chapitre 0, l’ouvrage s’articule autour de 5 chapitres.
Les deux premiers chapitres présentent les pôles de la performance du marché. Le chapitre 1
s’intéresse à la concurrence pure et parfaite comme une structure de marché de référence
pour les économistes. La perspective d’analyse dans ce chapitre n’est pas purement micro-
économique mais plutôt méso-économique. Les notions de seuil de fermeture, du surplus du

7
http://conseil-concurrence.ma
consommateur et de la perte sèche ainsi que la demande résiduelle, l’efficience et le bien-être
sont mises en exergue.
Le chapitre 2 expose l’antidote de la concurrence parfaite. Il s’agit du monopole et par
extension de la position dominante de la firme. Si la concurrence parfaite est définie par le
nombre illimité de producteurs, le monopole se réfère à la présence d’un seul offreur dans
l’industrie. De même, les situations de position dominante, similaires au monopole, sont
définies par les parts de marché élevées et le nombre de firmes présentes dans l’industrie.
Le chapitre 3 penche sur l’analyse des industries oligopolistiques pour comprendre le
fonctionnement des cartels et des ententes comme étant des oligopoles coopératifs mais aussi
pour mettre en évidence, sur la base de la théorie des jeux, les modèles d’oligopole non
coopératif les plus célèbres en économie industrielle : le modèle de Cournot, le modèle de
Bertrand et celui de Stackelberg.
La remise en cause de l’hypothèse de base de la concurrence relative à l’homogénéité des
produits par la prise en compte de la différenciation des produits permet dans le chapitre 4
d’analyser la concurrence monopolistique afin de comprendre son fonctionnement.
Quant au chapitre 5, le dernier dans cet ouvrage, l’attention porte sur la relation entre la
structure des marchés et la performance des industries.

7. Note importante au lecteur

Pour terminer ce chapitre introductif, il s’avère important d’alerter le lecteur de la référence


de base utilisée pour concevoir le présent manuel. Il s’agit de l’ouvrage « Modern Industrial
Organization », dans sa version anglaise de Carlton et Perloff, 4ème édition de 2015. La plupart
des exemples et figures ont été adaptés de cet ouvrage. D’autres références étaient aussi utiles
pour les applications notamment celui de Pepall et ses collègues, 5ème édition en 2014, intitulé
« industrial organization : contemporary theory and empirical applications ».
Les rapports du conseil de la concurrence, peu nombreux soient-ils, étaient d’une grande utilité
pour élaborer cet ouvrage. En effet, les illustrations par des exemples du contexte marocain
ont été inspirés des rapports du conseil de 2012 et 2013. Même le récent avis, du 15 Février
2019, sur le plafonnement des marges dans l’industrie des hydrocarbures liquides a été utilisé
pour en faire un cas pratique et permettre au lecteur de s’interroger sur le conseil, ses missions
et bien évidement le rôle qu’il peut jouer au sein d’un modèle de développement en gestation.
Il est aussi intéressant de noter l’usage des notions de la firme et de l’entreprise. Elles signifient
la même chose dans cet ouvrage. Il en est de même pour les notions de l’industrie, du secteur
et du marché.
RÉFÉRENCES
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