Visit to download the full and correct content document: https://testbankdeal.com/dow nload/electric-power-systems-a-first-course-1st-edition-mohan-solutions-manual/ Another random document with no related content on Scribd: XXIII LA LOUTRE FAIT UNE TROUÉE
Quelques jours après, Kazan avait repris sa force coutumière et
sa belle santé. Mais sa haine pour les castors maudits n’avait fait qu’empirer. Détruire ses ennemis était devenu pour lui une idée fixe et qui lui bouleversait passionnément le cerveau. Le barrage prenait des proportions de plus en plus formidables. Le cimentage de la digue s’étendait plus profondément sous l’eau, par les soins constants et rapides des ingénieurs à quatre pattes. Trois huttes s’élevaient. A chaque vingt-quatre heures, l’eau montait plus haut et régulièrement l’étang s’élargissait, submergeant tout. Sans cesse aux aguets, dès que la chasse et le souci de la nourriture pour lui et pour Louve Grise ne le retenaient pas, Kazan ne cessait de rôder autour de l’étang à la recherche d’une occasion favorable pour tuer quelqu’un des membres imprudents de la tribu de Dent-Brisée. C’est ainsi qu’il surprit un gros castor, qui s’était trop écarté sur la berge, et l’étrangla. Trois jours après, ce fut au tour de deux bébés castors, qui s’ébattaient dans la vase, à quelques pieds du rivage. Kazan, dans sa fureur, les mit littéralement en morceaux. Alors Dent-Brisée décida qu’on ne travaillerait plus que durant la nuit et que, le jour, toute la tribu demeurerait dans ses huttes. Kazan n’y perdit point. Il était un habile chasseur nocturne et, deux nuits de suite, il tua son castor. Il avait déjà sept pièces au tableau, lorsque la loutre entra en scène. Jamais Dent-Brisée n’avait encore été placé entre deux ennemis plus acharnés et plus féroces que ceux qui, maintenant, l’assaillaient. Sur terre, Kazan était son maître et celui de sa race, par l’agilité supérieure qui était la sienne, par son odorat plus subtil et ses ruses de combat. La loutre, dans l’eau, était une pire menace. Elle y évoluait, plus rapide que le poisson dont elle faisait sa nourriture. Ses dents aiguës étaient pareilles à des aiguilles d’acier. Elle était si lisse et luisante, et glissante, que les castors, si nombreux fussent-ils après elle, eussent été incapables de l’empêcher de leur filer entre les pattes. Pas plus que le castor, la loutre n’a soif de sang. Et pourtant, dans tout le Northland, elle est la pire destructrice de ces animaux. Elle est pour eux une véritable peste. C’est surtout durant les grands froids de l’hiver qu’elle accomplit son œuvre la plus redoutable. Elle ne s’en va pas attaquer les castors dans leurs chaudes huttes. Mais, et l’homme fait de même à l’aide de la dynamite, elle va pratiquer, sous la glace, une trouée dans la digue. L’eau se met aussitôt à descendre, la glace s’effondre en masses cahotiques et les huttes demeurent à sec. Les castors ne tardent pas à y mourir de froid. Car, en dépit de leur épaisse fourrure, ces animaux sont très sensibles aux basses températures, qui atteignent, durant l’hiver canadien, quarante à cinquante degrés au-dessous de zéro. La protection de l’eau et de la glace contre l’air extérieur est pour eux aussi nécessaire que le feu l’est à l’homme. Deux jours durant, la loutre s’ébattit autour de la digue et de l’eau profonde de l’étang. Kazan la prit pour un castor et tenta en vain de la chasser à l’affût. La loutre, de son côté, regardait Kazan avec méfiance et se tenait soigneusement hors de sa portée. Ni l’un ni l’autre ne se reconnaissaient pour des alliés. Les castors continuaient leur travail avec une prudence redoublée, mais sans l’abandonner une minute. L’eau montait toujours. Le troisième jour, l’instinct de destruction de la loutre se décida à opérer. Elle plongea et, fouinant partout de sa petite tête, elle se mit à examiner la digue près de ses fondations. Elle ne fut point longue à découvrir un point faible, où les bûches, les branches et le ciment formaient un tout moins homogène et, de ses petites dents aiguës, elle entama ses opérations de forage. Pouce par pouce, creusant et rongeant devant elle, elle se frayait un chemin dans la digue. La petite ouverture ronde qu’elle pratiquait mesurait dans les sept pouces de diamètre. Au bout de six heures de travail, la digue était entièrement percée. Alors, par ce déversoir, l’eau se précipita, pareille à celle d’un tonneau qui se vide par sa bonde. Kazan vit la loutre, satisfaite de son ouvrage, sortir de l’eau, grimper sur la digue et s’y secouer. En une demi-heure, le niveau de l’étang avait subi une baisse déjà perceptible et, par l’effet de la pression de l’eau, le trou de fuite s’élargissait de lui-même. En une autre demi-heure, les trois cabanes furent asséchées et la vase sur laquelle elles reposaient apparaissait. Ce fut seulement à ce moment-là que Dent-Brisée commença à s’alarmer. Pris de panique, il rallia autour de lui la colonie, qui se démenait de droite et de gauche, et nageait affolée dans toutes les directions, sans plus se soucier du chien-loup et de la louve. Un gros castor ayant abordé de leur côté, Kazan, aussitôt suivi de Louve Grise, fut sur lui, en deux bonds. Le combat fut bref et cruel, et les castors virent leur frère rapidement étranglé. Alors, ils se précipitèrent tous vers la rive opposée. Dent-Brisée, cependant, escorté de ses meilleurs ouvriers, avait plongé dans ce qui restait d’eau à la base de la digue et cherchait la brèche, afin de l’obturer au plus vite. La loutre, sur ces entrefaites, s’était éclipsée. Le travail à exécuter était difficultueux, car les castors devaient, après les avoir rognées à la dimension convenable, traîner à travers la vase bûches et fascines. Il fallait, en outre, dans cette lutte pour la vie, braver à découvert les crocs de Kazan et de Louve Grise, qui barbotaient dans la boue, s’avançant aussi loin du rivage qu’ils le pouvaient, et qui haletaient de carnage. Cinq autres castors adultes et un bébé castor tombèrent sous leurs coups, au cours de l’après- midi, et furent mis en pièces. Dent-Brisée réussit enfin à obturer la brèche, l’eau recommença à monter et le massacre prit fin. La grosse loutre, remontant le torrent, s’en était allée à un demi- mille de là, se reposer de sa besogne. Étalée sur une souche, elle se chauffait aux derniers rayons du soleil couchant. Son intention était, dès le lendemain, de redescendre vers la digue et de renouveler sa trouée. C’était sa méthode coutumière et son amusement, à elle. Mais cet étrange et invisible arbitre du Wild, celui que les Indiens appellent O-se-ki, « l’Esprit », condescendit enfin à jeter un regard de pitié sur Dent-Brisée et sa malheureuse tribu. Voyant l’étang à nouveau rempli, Kazan et Louve Grise entreprirent, eux aussi, de remonter le torrent, à la recherche de nouveaux castors à tuer, si par hasard il s’en était égaré par là. La loutre était, avons-nous dit, grosse et grise, et vieille. Pendant dix ans elle avait vécu, pour prouver à l’homme qu’elle était plus madrée que lui. En vain, maint chasseur avait-il disposé ses pièges pour la capturer. Dans le courant des ruisseaux et des torrents, des couloirs perfides avaient été, par d’astucieux trappeurs, savamment établis à l’aide de bûches et de grosses pierres, au bout desquels la guettaient les mâchoires d’acier. Toujours elle avait éventé ces traquenards. Peu de ceux qui la chassaient l’avaient vue. Mais la piste qu’elle laissait dans la vase ou le gravier disait sa grande taille. Si elle n’avait su la défendre ainsi, sa splendide et moelleuse fourrure hivernale eût pris, depuis longtemps, la route des plus luxueux magasins de l’Europe. Car cette fourrure était vraiment digne d’un duc ou d’une duchesse, d’un roi ou d’un empereur. Dix années durant, elle avait su vivre et échapper aux convoitises des riches. Mais, par ce beau soir d’été, elle était sans défiance. Il ne se fût pas trouvé un seul chasseur pour la tuer, car en cette saison sa peau était de nulle valeur. Cela, l’instinct et la Nature le lui disaient. C’est pourquoi, engourdie à la fois par le bon soleil et par la fatigue, l’estomac bien garni d’un lot de poissons qu’elle était en train de digérer, elle dormait voluptueusement, en pleine sérénité, aplatie sur sa souche, à proximité du torrent. A pas de velours, Kazan arriva, suivi de Louve Grise. Le vent, qu’ils avaient pour eux, ne les trahissait pas et il leur apporta bientôt l’odeur de la loutre. Ils trouvèrent que c’était celle d’un animal aquatique, une odeur rance, aux relents de poisson, et ils ne doutèrent point qu’ils allaient rencontrer un de leurs ennemis à large queue. Ils redoublèrent de prudence et parvinrent, sans être entendus, en face de la loutre. Kazan s’arrêta brusquement et, en guise d’avertissement, heurta de l’épaule la louve aveugle. L’ultime plongée du soleil à travers les arbres s’était éteinte et le crépuscule commençait à tomber. Dans le bois qui s’obscurcissait, un hibou saluait la nuit de son premier appel, aux notes sourdes. La loutre s’agitait sur sa souche. Une sorte de malaise s’emparait d’elle et son museau moustachu se contractait. Elle était prête à s’éveiller lorsque Kazan bondit sur elle. Face à face, en franche bataille, la loutre aurait pu encore se défendre et prouver sa valeur. Mais le Wild avait décrété, cette fois, qu’elle devait mourir. O-se-ki, l’Esprit immanent et tout-puissant, s’appesantissait sur elle. Il était plus redoutable que l’homme et elle n’avait nul moyen de lui échapper. Les crocs de Kazan s’enfoncèrent dans la veine jugulaire de la loutre et elle mourut instantanément, avant même d’avoir pu connaître qui lui avait bondi dessus. Quant au chien-loup et à la louve, ils reprirent leur tournée, cherchant toujours des castors à égorger, et sans se douter qu’en tuant la loutre ils avait supprimé le seul allié qui aurait, à la longue, fini par faire évacuer le marais à l’ennemi commun. La situation, pour eux, ne fit dès lors qu’empirer. Dent-Brisée et sa tribu, maintenant qu’il n’y avait plus de loutre, avaient beau jeu pour poursuivre leurs constructions. Ils ne s’en firent pas faute et, en juillet, la dépression presque entière qu’occupait le marais était profondément sous l’eau. Kazan et Louve Grise furent pris d’effroi devant cet incoercible pouvoir qui leur rappelait celui de l’homme. Par une grosse lune blanche et ronde, ils abandonnèrent leur ancien domaine, remontèrent le torrent sans s’arrêter de la nuit, jusqu’à la première colonie de castors, dont ils se hâtèrent de se détourner, et continuèrent leur route vers le nord. XXIV LA CAPTURE
L’incendie auquel Kazan et Louve Grise avaient miraculeusement
échappé ne fut pas le seul qui, cette année-là, désola le Northland. D’autres feux, malencontreusement allumés par des imprudences d’indiens ou d’hommes blancs, ajoutèrent leur fléau au gel excessif de l’hiver, à la famine et à la Peste Rouge, et dévastèrent, en juillet et août, des régions entières. Kazan et Louve Grise atteignirent bientôt des forêts dévastées par la flamme, que les vents d’est, venant de la Baie d’Hudson, avaient attisée, et où toute trace de vie, tout vestige vert avait disparu. Les doux coussinets de leurs pattes ne foulaient plus que des souches roussies, des bûches carbonisées et un sol noirci. La louve aveugle ne pouvait voir le monde noir où ils évoluaient, mais elle le sentait des narines. Devant cette désolation infinie, Kazan semblait hésiter sur la route à suivre. En dépit de sa haine des hommes, il eût préféré redescendre vers le sud. Car c’est au sud qu’est la civilisation et l’instinct du chien le ramène toujours, malgré lui, dans cette direction. L’instinct du loup, au contraire, le repousse toujours vers le nord, et c’est vers le nord que Louve Grise prétendait aller. Ce fut elle qui, finalement, l’emporta. Le couple continua à s’orienter de ce côté, vers le Lac Athabasca et les sources du Fleuve Mac-Farlane. Vers la fin de l’automne précédent, un prospecteur d’or était arrivé au Fort Smith, sur le Grand Lac de l’Esclave [34] , avec un bocal à conserves rempli de poussière d’or et de pépites. Il avait fait cette précieuse récolte dans le Fleuve Mac-Farlane. La nouvelle s’en était rapidement colportée jusqu’au monde civilisé et, à la mi-hiver, l’avant-garde d’une horde de chercheurs de trésors était accourue, précipitamment, sur ses raquettes et en traîneaux à chiens. [34] Le Grand lac de l’Esclave s’étend, au nord du Lac Athabasca, entre le soixantième degré et le Cercle Arctique. Il mesure, de l’est à l’ouest, 500 kilomètres environ.
Les trouvailles d’or se multiplièrent. Le Mac-Farlane était riche en
paillettes, petites et grosses, qu’il n’y avait qu’à ramasser dans ses eaux, mêlées au sable et au gravier. Les prospecteurs, sitôt arrivés, se hâtaient de délimiter, tout le long du fleuve, leurs champs d’exploitation et se mettaient aussitôt au travail. Les retardataires s’en allaient un peu plus loin. Et la rumeur se répandit, dans tout le Northland, que la récolte du jaune métal était plus abondante encore que sur les rives du Yukon [35] . [35] Le Yukon, ou Yakou, après avoir coulé du sud au nord, comme le Mackenzie, fait un coude vers l’ouest et va se jeter dans la Mer de Behring, sur le territoire de l’Alaska. Les deux fleuves sont séparés l’un de l’autre par la chaîne des Montagnes Rocheuses.
L’afflux des chasseurs d’or augmenta. D’une vingtaine qu’ils
étaient au début, ils devinrent cent, puis cinq cents, puis un millier. Beaucoup venaient du sud et du pays des prairies, abandonnant les gisements plus exploités du Saskatchewan. Les autres descendaient du Far Nord [36] et du Klondike, par les Montagnes Rocheuses et le Fleuve Mackenzie. Ceux-là étaient les aventuriers les plus aguerris et les plus rudes, qui ne redoutaient ni la mort par le froid, ni celle par la faim. [36] Le Far Nord ou l’Extrême-Nord.
De ce nombre était Sandy Mac Trigger.
Pour de multiples raisons, Sandy avait jugé préférable de s’éloigner du Yukon. Il était en délicatesse avec la police qui patrouillait dans la région et, par surcroît, sa poche était vide. C’était un des meilleurs prospecteurs qui eussent cherché fortune sur cette terre lointaine. Il avait récolté de l’or pour un ou deux millions de dollars. Mais il avait bu ou perdu au jeu tout son gain. C’était, au demeurant, un roué, sans conscience aucune, et qui ne craignait ni Dieu ni Diable. Sa face était brutale et bestiale. Sa mâchoire en galoche, ses yeux exorbités, son front bas et la touffe de cheveux roux, tirant déjà vers le gris, qui lui ornait le crâne, lui donnaient un aspect peu rassurant. Rien qu’à le regarder, quiconque comprenait qu’il était peu prudent de se fier à lui, au delà de la portée de la vue ou d’une balle de fusil. Il était véhémentement soupçonné d’avoir tué deux hommes et d’avoir vidé les poches de beaucoup d’autres. Mais, chaque fois, la preuve avait manqué et jamais la police n’avait pu le prendre sur le fait. Son sang-froid et sa maîtrise de lui étaient extraordinaires. Ses pires ennemis lui rendaient sur ce plan justice et ne pouvaient s’empêcher d’admirer non plus sa ténacité et son courage. En six mois de temps, Red Gold City [37] avait poussé sur les bords du Mac-Farlane, à cent cinquante milles de distance de Fort Smith, qui est lui-même à cinq cents milles de toute civilisation. [37] La Cité de l’Or Rouge.
Lorsque Sandy Mac Trigger arriva, il fit rapidement le tour de
l’ensemble rudimentaire de baraques, de cabanes de bûches, de maisons de jeu et de bars dont se composait la nouvelle ville, et risqua au jeu les quelques piécettes qui lui restaient. La chance le favorisa suffisamment pour lui permettre de renouveler ses provisions de bouche et son équipement. Outre une petite pirogue, le principal de cet équipement fut un vieux fusil, au mécanisme antédiluvien, et dont il ne put s’empêcher de bien rire en l’achetant, lui qui avait manié tant d’armes modernes et magnifiques. Mais c’était tout ce que l’état de ses finances lui avait permis d’acquérir. Quittant ensuite Red Gold City où l’encombrement et la cohue étaient à leur comble, il résolut de descendre vers le sud, dans sa pirogue, en remontant le Mac-Farlane vers sa source, au delà du point où les chercheurs d’or avaient cessé d’explorer le lit du fleuve. Ce fut là seulement qu’il commença ses recherches. En prospectant un petit affluent, il trouva de l’or, en effet. Il aurait pu en ramasser pour six à huit dollars par jour. Mais il haussa dédaigneusement les épaules et recommença son exploration. Patiemment il la continua, toujours en remontant le fleuve, durant plusieurs semaines. Il ne trouva rien. Après une pareille malchance, il eût été dangereux de se rencontrer avec lui. Mais il était seul, dans un désert. Il ne pouvait faire de mal à personne. Un après-midi, il accosta, avec son embarcation, sur une berge de sable blanc, qui bordait le fleuve. La première chose qui frappa sa vue, sur le sable humide, furent des empreintes de pas d’animaux. Ceux-ci étaient deux. Ensemble et côte à côte, ils étaient descendus vers l’eau, pour y boire. Les empreintes étaient récentes et ne dataient que d’une heure ou deux. Une curiosité brilla dans les yeux de Sandy. Il regarda autour de lui. — Des loups ! grommela-t-il. Volontiers, pour me détendre un peu les nerfs, je leur tirerais une balle de ce vieux flingot, qui opère à un coup par minute. Bon Dieu ! Écoutez-les gueuler… Et en plein jour encore ! Il sauta à terre. A un quart de mille de là, Louve Grise avait senti dans le vent la dangereuse odeur de l’homme. Kazan s’était éloigné d’elle, quelques minutes avant, pour courir après un lapin blanc. Couchée sous un taillis, en l’attendant, elle avait perçu d’abord le claquement des rames sur l’eau, puis le bruit de la pirogue qui râclait la rive. Alors elle avait jeté à son compagnon, en guise d’avertissement, un long hurlement plaintif. C’était la première fois, depuis l’hiver, qu’un être humain se trouvait ainsi à proximité du couple errant. Mac Trigger attendit que le dernier écho de la voix de la louve se fût évanoui au loin. Alors il tira de l’embarcation son vieux fusil, y enfila par le canon une cartouche neuve et s’enfonça dans les broussailles qui bordaient le fleuve. Kazan avait rapidement rejoint Louve Grise et se tenait près d’elle, l’échine hérissée. Une bouffée de vent, imprégnée de l’odeur de l’homme et qu’il huma, le fit tressaillir. Sandy avait chassé le renard dans les régions arctiques et, selon la tactique que lui avaient enseignée les Esquimaux, il tournait autour de son gibier jusqu’à ce qu’il se trouvât à contre-vent. Mais Louve Grise était plus fine encore que le renard aux petits yeux rouges de l’Arctique. Son museau pointu suivait lentement l’évolution circulaire de Sandy. Elle entendit, à quelques trois cents yards, une branche sèche craquer sous les pieds de l’homme, qui commençait à se rapprocher. Puis ce fut le bruit métallique du fusil, qui heurtait le tronc d’un jeune bouleau. Elle poussa Kazan de l’épaule et tous deux se défilèrent, au petit trot et en silence, dans la direction opposée. Sandy continua à ramper comme un serpent, mais ne trouva rien. Après une heure de chasse vaine, il retourna sur ses pas, vers le fleuve et vers la pirogue. Il poussa un juron et sa face mauvaise se crispa. Les deux bêtes étaient, derrière son dos, revenues boire dans le fleuve. De nouvelles empreintes, toutes fraîches, le lui apprenaient, sans nul doute possible. Puis il se mit à rire sous cape, tandis qu’il sortait de la pirogue son sac de voyage et tirait de celui-ci une petite pochette de caoutchouc. De cette pochette il extirpa un flacon hermétiquement bouché, qui contenait de menues capsules de gélatine. Chacune d’elles renfermaient cinq granules de strychnine. Sur les bords du Yukon, il avait été beaucoup dit de choses sombres au sujet de ces granules. On assurait que leur propriétaire avait, une fois, pour les essayer, laissé choir l’une d’elles dans une tasse de café qu’il offrait à boire à un autre homme. Cela non plus n’avait pas été prouvé. Ce qui est certain, c’est que Sandy Mac Trigger était, pour ses chasses, un maître dans l’emploi du poison. Ce sont des milliers de renards dont il s’était ainsi emparé et il ricanait encore aujourd’hui, sinistrement, en songeant combien il lui serait facile, par ce moyen, de mettre à la raison cette paire de loups, si curieux de lui. Quelques jours auparavant, il avait tué un caribou dont il avait chargé sur son embarcation les meilleurs morceaux. Et, à l’aide de bâtonnets, afin qu’il n’y eût aucune odeur de ses doigts adhérente à l’appât, il commença à englober dans un peu de graisse, puis à enrouler dans des bandes de peau, une des mortelles capsules. Ayant renouvelé huit fois la même opération, il s’en alla, un peu avant le coucher du soleil, mettre en place le poison. Il pendit à des buissons une partie des appâts et sema les autres sur diverses pistes de lapins et de caribous. Après quoi, il revint à sa pirogue et prépara le souper. Le lendemain matin, il se réveilla de bonne heure et partit aussitôt, afin d’aller constater les effets de son stratagème. Le premier appât qu’il releva était intact. Le second était tel également qu’il l’avait déposé. Le troisième avait disparu. Sandy se frotta les mains et ne douta point que, dans un rayon de deux ou trois cents yards, il trouverait son gibier. Mais il fallut bientôt déchanter. Son regard s’étant porté à terre, une malédiction s’échappa de ses lèvres. Sous le buisson à une branche duquel il avait suspendu la capsule empoisonnée, celle-ci gisait sur le sol. La peau qui l’enveloppait avait été déroulée, mais la capsule même était intacte dans la graisse. C’était la première fois que pareille aventure advenait à Sandy Mac Trigger. Si un renard ou un loup trouvaient un appât assez alléchant pour y toucher une fois, il s’ensuivait invariablement que l’appât était mangé. Le prospecteur d’or ignorait que Kazan était, de longue date, familiarisé avec toutes ces ruses, qu’il avait appris à connaître chez les hommes. Il continua son chemin. Le quatrième et le cinquième appât étaient à nouveau intacts. Le sixième avait été dépouillé comme le troisième et la poudre blanche était, cette fois, éparpillée sur le sol. Il en était de même des deux derniers. Il n’y avait aucun doute, au surplus, que ce travail ne fût l’œuvre des deux loups mystérieux, dont les huit pattes avaient laissé d’indiscutables empreintes. L’exaspération de Mac Trigger en fut à son comble. La méchante humeur qui s’accumulait en lui, depuis plusieurs semaines d’inutile labeur, éclata en fusées de colère et en jurons. Elle avait trouvé, dans les deux loups, des responsables envers qui s’extérioriser et se détendre. Il considéra ce nouvel échec comme le point culminant de sa mauvaise chance et jugea qu’il était inutile de pousser plus outre. Tout était ligué contre lui et il décida à s’en retourner à Red Gold City. Aussitôt donc qu’il eut fini de déjeuner, Sandy Mac Trigger repoussa à l’eau sa pirogue et s’abandonna au fil du courant. Paresseusement assis sur son banc, comme dans un fauteuil, il sortit sa pipe, la bourra, et commença à fumer, ne se servant de la rame que pour gouverner son frêle esquif. Il avait mis son vieux flingot entre ses genoux. Peut-être, chemin faisant, découvrirait-il, sur l’une ou l’autre rive du fleuve, quelque gibier à tirer. Vers le milieu de l’après-midi, Kazan et Louve Grise qui avaient, de leur côté, jugé prudent de s’éloigner des appâts empoisonnés et qui, à cet effet, avaient descendu rapidement la vallée pendant cinq ou six milles, eurent soif. Ils descendirent sur la berge du fleuve qui, à cet endroit, décrivait un coude brusque. Si le vent avait été favorable ou si Sandy avait ramé, Louve Grise n’eût point manqué de flairer le péril qui s’approchait. Mais le vent soufflait de face et l’embarcation filait silencieusement au fil de l’eau. Seul le clic ! clic ! métallique du fusil qu’armait Mac Trigger lui fit dresser l’oreille. Instantanément son poil se hérissa et, cessant de laper l’eau fraîche, elle se recula avec précipitation vers les buissons qui bordaient le rivage. Mais Kazan, relevant la tête, demeura sur le sable, afin d’affronter l’ennemi. Presque aussitôt la pirogue débouchait du coude du fleuve et Sandy pressait sur la gâchette. Il y eut un vomissement de fumée et Kazan sentit un jet brûlant qui le frappait à la tête. Il chavira en arrière, ses pattes cédèrent sous lui et il tomba comme un paquet inerte. Au bruit de la détonation, Louve Grise avait pris la fuite comme un trait. Aveugle comme elle l’était, elle n’avait pas vu Kazan s’abattre sur le sable. Ce fut seulement après avoir parcouru près d’un mille, loin de l’effroyable tonnerre du fusil de l’homme blanc, qu’elle s’arrêta et constata que son compagnon, qu’elle attendit en vain, ne l’avait pas suivie. Sandy Mac Trigger avait arrêté son esquif et il sauta sur la berge avec un hurlement de joie. — Tout de même je t’ai eu, vieux diable ! cria-t-il. Et j’aurais eu l’autre aussi, si j’avais possédé autre chose que la saloperie qui me sert de fusil ! De la crosse de son arme, il retourna la tête de Kazan et un vif étonnement se peignit sur sa face. — Cré Dié ! dit-il. Ce n’est pas un loup ! C’est un chien, Sandy Mac Trigger ! Un chien authentique ! XXV LA MÉTHODE DE SANDY MAC TRIGGER
Mac Trigger s’agenouilla sur le sable, près de sa victime, qui
paraissait toujours inanimée. Il souleva la tête de Kazan et ne tarda pas à découvrir l’usure du poil autour du cou, ainsi que les cals de la peau, qui indiquaient que la bête avait porté le collier. Il ne pouvait en croire ses yeux. — C’est un chien ! s’exclama-t-il à nouveau. Un chien, Sandy ! Et de toute beauté ! Une mare de sang rougissait le sable autour de la tête de Kazan. L’homme examina la blessure et chercha à se rendre compte de l’endroit exact où la grosse balle ronde avait porté. Elle avait atteint le sommet de la tête, mais n’avait pas entamé la boîte crânienne, sur laquelle, au contraire, elle avait dévié. La blessure, quelque violent qu’en eût été l’effet, n’était pas grave et les soubresauts de Kazan, qui agitaient nerveusement ses pattes et son échine, n’étaient point, comme Mac Trigger l’avait craint tout d’abord, les convulsions de l’agonie. Le chien-loup n’avait nulle envie de mourir et c’était la vie qui revenait peu à peu en lui. Mac Trigger était, en chiens de traîneaux, un fin connaisseur. En leur compagnie il avait passé deux tiers de sa vie. Sur un simple coup d’œil, il était capable de dire pour chacun d’eux l’âge de la bête, ce qu’elle valait et d’où elle venait. Il pouvait, sur la neige, distinguer la piste d’un chien du Mackenzie de celle d’un malemute, les empreintes d’un chien d’Esquimau de celles d’un husky du Yukon. Il examina donc les pattes de Kazan, C’étaient des pattes de loup. Sandy ricana. Il était fort et puissant, et Sandy songea, à part lui, aux prix élevés qu’à l’hiver prochain les chiens atteindraient à Red Gold City. Il alla donc à sa pirogue et en rapporta un morceau de toile, dont il étancha le sang de la blessure, ainsi qu’une grande provision de lanières de babiche, dont il entreprit immédiatement de confectionner une muselière. Il l’exécuta en tressant ensemble les plus fines de ces lanières, comme on fait pour les sangles d’une raquette à neige. En dix minutes, il avait terminé la muselière, y avait inséré le nez de Kazan, et l’avait fixée solidement autour du cou de l’animal. Il confectionna, avec d’autres lanières, une laisse de dix pieds de long. Puis il s’assit, les jambes croisées, en attendant que Kazan revînt à lui. Cela ne tarda pas. Le chien-loup commença par soulever sa tête et regarda autour de lui. Il ne vit rien tout d’abord. Un brouillard de sang était sur ses yeux. Puis son regard s’éclaircit et il aperçut l’homme. Son premier mouvement fut de se dresser sur ses pattes. Trop faible pour se tenir debout, il retomba, par trois fois, sur le sol. L’homme, assis à six pieds de lui, tenait la laisse et ricanait. Les crocs de Kazan se découvrirent. Il grogna, menaçant, et son dos se mit en brosse, Sandy Mac Trigger se remit debout. — Sûr et certain, que je sais bien ce que tu complotes, marmotta- t-il. J’en ai, avant toi, vu d’autres de ton espèce. Les damnés loups t’ont rendu mauvais et tu auras besoin d’une bonne quantité de coups de trique avant de te décider à remarcher droit. Veux-tu que nous commencions immédiatement la leçon ? Écoute un peu… Mac Trigger avait eu soin d’apporter de la pirogue un robuste gourdin. Il le ramassa sur le sable, sans lâcher la lanière, qu’il tenait de l’autre main. Kazan s’était enfin redressé. Devant lui il retrouvait l’Homme, son vieil ennemi, et, dans la main de l’Homme, l’inséparable gourdin. Tout ce qu’il y avait dans sa nature de férocité farouche se réveilla. Il savait que Louve Grise était partie. L’homme qui était là en était responsable. Ce même homme l’avait blessé et son gourdin, il le savait bien, s’apprêtait à frapper. Alors si soudainement il bondit que Mac Trigger, qui pourtant se méfiait, n’eut point le temps de parer l’attaque. Avant qu’il n’eût levé son gourdin ou sauté de côté, Kazan lui arrivait en pleine poitrine. La muselière sauva seule la vie à Sandy. La mâchoire redoutable claqua, sans pouvoir mordre. Mais il tomba en arrière, sous la violence du choc, comme s’il eût été frappé par une catapulte. Aussi agile qu’un chat, Sandy Mac Trigger se remit aussitôt sur ses pieds, tenant toujours solidement la lanière qui retenait Kazan captif et qu’il avait enroulée plusieurs fois autour de son poignet. Le chien-loup bondit derechef. Mais il rencontra le furieux moulinet du gourdin, qui s’abattit sur son épaule, d’un coup bien appliqué, et l’envoya rouler sur le sable. Avant qu’il eût pu reprendre ses esprits, Mac Trigger, raccourcissant davantage la lanière, était sur lui. Le gourdin retomba, en un rythme terrible et précis, comme on pouvait l’attendre d’une main aussi exercée à son emploi. Les premiers coups ne servirent qu’à augmenter davantage encore la rage de Kazan. Mais celle de son adversaire, à demi-fou de cruauté et de colère, n’était pas moindre. Chaque fois que Kazan bondissait, le bâton l’atteignait au vol, avec une violence capable de lui briser les os. La bouche contractée de Sandy ne connaissait nulle pitié. Jamais il n’avait vu pareil chien et, tout muselé que fût Kazan, il n’était qu’à moitié rassuré sur l’issue de la bataille. Il était trop évident que si la muselière venait à rompre ou à glisser, c’en était fait de lui, sans rémission. Tout à cette pensée, l’homme asséna finalement un coup si formidable sur la tête de Kazan que le vieux lutteur en retomba sur le sol, plus flasque qu’une chiffe. Mac Trigger était à bout de souffle. Sa poitrine haletait. Devant Kazan abattu, il laissa son gourdin glisser de sa main et ce fut seulement alors qu’il se rendit compte pleinement de la lutte désespérée qu’il lui avait fallu soutenir. Il profita de ce que l’animal avait perdu connaissance pour renforcer la muselière à l’aide de nouvelles lanières. Puis il traîna Kazan à quelques pas plus loin, jusqu’à un tronc d’arbre que les eaux avaient rejeté sur le rivage, et il l’y assujettit fermement. Ensuite, il tira à terre son esquif et se mit à préparer le campement de la nuit. Lorsque Kazan eut un peu repris ses sens, il demeura immobile et gisant, en observant son bourreau. Chacun de ses os le faisait souffrir. Mac Trigger semblait très satisfait. Plusieurs fois il revint vers l’animal, en compagnie du gourdin, et réitéra. La troisième fois, il piqua Kazan avec l’extrémité du bâton, ce qui redoubla la fureur du chien-loup. C’était ce que voulait Mac Trigger. Le procédé est ordinaire aux dresseurs de chiens indisciplinés. Il contraint ceux-ci à se rendre compte de l’inutilité de leur révolte. Puis les coups recommencèrent à pleuvoir. Si bien que Kazan finit par ne plus faire face à l’homme et au gourdin, et se réfugia, en gémissant, derrière le tronc d’arbre auquel il était attaché. A peine pouvait-il se traîner. Eût- il été libre alors qu’il n’aurait même pas pu fuir. Sandy avait retrouvé toute sa bonne humeur. — Je réussirai bien, disait-il à Kazan pour la vingtième fois, à faire sortir le méchant diable qui est en toi. Il n’y a rien de tel que les coups de bâton pour apprendre à vivre aux chiens et aux femmes. Avant un mois d’ici, tu seras à point et tu vaudras deux cents dollars, ou je t’écorcherai tout vif ! A plusieurs reprises encore, avant la tombée de la nuit, Sandy tenta de réveiller la colère de Kazan en le piquant et tarabustant du bout du gourdin. Mais maintenant la réaction était nulle. Les yeux clos et la tête entre ses pattes, il ne voyait même plus Mac Trigger. Mac Trigger lui jeta, pour son dîner, un morceau de viande sous le nez. Il ne le regarda pas davantage. Il ne sut pas non plus quand le soleil acheva de sombrer à l’occident, derrière les forêts, et ne vit point venir la nuit. Il y eut un moment, seulement, où il s’éveilla de sa stupeur. Dans son dolent cerveau il lui sembla que résonnait une voix connue, une voix du passé. Il leva la tête et écouta. Sur le sable de la berge, il vit Mac Trigger qui avait établi son feu. L’homme s’était levé et se tenait debout dans la lueur rougeâtre, tourné vers les ténèbres de la forêt, et lui aussi écoutait. Il écoutait ce même cri funèbre qui avait ranimé Kazan, la lamentation de Louve Grise, qui retentissait au loin. Kazan se remit sur ses pattes et, en gémissant, commença à tirer sur la lanière. Sandy bondit vers lui après s’être saisi du gourdin, qu’il avait gardé à sa portée. — Couché ! Sale bête ! ordonna-t-il. Dans la lumière du feu, le gourdin se leva et s’abattit, rapide et féroce. Et lorsque Mac Trigger s’en revint vers le foyer qui brûlait sur le sable, à côté de ses couvertures qu’il avait étendues pour y dormir, le gros bâton avait pris un aspect tout différent. Il était maintenant couvert de sang et de poils. — Certainement, monologua Sandy, que ma méthode, à la longue, le calmera. J’y réussirai… ou je le tuerai ! Plusieurs fois, durant la nuit, Kazan entendit l’appel de Louve Grise. Il gémissait très bas, en réponse, de crainte du gourdin. Il avait la fièvre et souffrait atrocement dans sa chair sanglante. Il regardait brûler le feu et son gosier desséché implorait un peu d’eau. Aux premières lueurs de l’aube, l’homme sortit de dessous ses couvertures et apporta à Kazan de la viande et de l’eau. Il but l’eau, mais continua à refuser la viande. Il ne grognait plus et ne découvrait plus ses crocs. Sandy se plut à constater cette amélioration. Quand le soleil se leva, Sandy avait terminé son déjeuner du matin et était prêt à partir. Sans crainte, et négligeant le gourdin, il vint vers Kazan, le délia du tronc de l’arbre et le traîna à sa suite, sur le sable, vers la pirogue. Kazan se laissa faire. Lorsque tous deux furent arrivés au bord de l’eau, Sandy Mac Trigger attacha la lanière à l’arrière de la pirogue. Il s’amusait énormément à l’idée de ce qui allait suivre et qui faisait encore partie des méthodes de dressage employées sur le Yukon. Comme Sandy avait, en effet, poussé au large, d’un coup net et subit, à l’aide d’une de ses rames, Kazan se trouva tout à coup en pleine eau. La lanière se tendit, cependant que Mac Trigger se mettait à ramer, pour accélérer la vitesse de l’embarcation. En dépit de sa grande faiblesse, l’animal fut contraint de nager, afin de tenir sa tête hors de l’eau et de ne pas couler à fond, Et, en un jeu diabolique, destiné à augmenter son supplice, Sandy continuait à ramer de toutes ses forces. Pris dans les remous de la pirogue, Kazan sentait, par moments, sa tête broussailleuse disparaître dans le fleuve. D’autres fois, quand il s’était remis d’aplomb, en nageant dans un effort désespéré, c’était l’homme qui, d’un coup de sa rame durement asséné, le replongeait dans l’eau. Au bout d’un mille de ce mode de voyager, le chien-loup, exténué, n’allait pas tarder à être noyé. Alors seulement son maître se décida à le tirer à bord et à l’embarquer. Tout brutal qu’il fût, et par cette brutalité même, le système de Sandy Mac Trigger avait abouti au résultat désiré. Kazan était devenu aussi soumis qu’un enfant. Il ne songeait plus à sa liberté perdue et à lutter encore pour elle. Son seul désir était que le maître lui permît de demeurer couché au fond de la pirogue, à l’abri de l’eau et du gourdin. Celui-ci gisait entre lui et l’homme, à un pied de son museau, et le sang coagulé qu’il y flairait était son propre sang.
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