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Bulletin Monumental

Les enduits dans les constructions du Moyen Age


Marcel Aubert

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Aubert Marcel. Les enduits dans les constructions du Moyen Age. In: Bulletin Monumental, tome 115, n°2, année 1957. pp.
111-117;

doi : https://doi.org/10.3406/bulmo.1957.3805

https://www.persee.fr/doc/bulmo_0007-473x_1957_num_115_2_3805

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LES ENDUITS

DANS LES CONSTRUCTIONS DU MOYEN ÂGE

Pendant le Haut Moyen âge, comme aux époques romane et gothique, l'intérieur
des églises et des bâtiments monastiques, et aussi des châteaux, palais et maisons,
était décoré de peintures sur un support de mortier ou de plâtre. De nombreux textes
pris dans les chroniques, les poèmes, les lettres, en administrent la preuve formelle. Ils
ont été publiés par Émeric-David (1), Julius von Schlosser (2), V. Mortet (3), Mme Du-
prat (4), Focillon (5) et, plus récemment, par MM. Paul Deschamps et Marc Thibout (6).
Quelques monuments de l'art chrétien primitif en portent le témoignage : les
catacombes, l'église et la synagogue de Doura-Europos, les basiliques du Bassin
méditerranéen.
Dès le ive siècle et le début du ve en Gaule, Sulpice-Sévère et Paulin de Noie
chantent la gloire de ces peintures représentant des paysages, des scènes de chasse,
puis, à la demande des Pères de l'Église, des scènes de l'Ancien et du Nouveau
Testament, des vies de saints, et aussi des mosaïques et des décors de stuc. Plus tard, poètes
et chroniqueurs loueront la beauté de ces œuvres, l'intensité des couleurs, l'éclat des
fonds d'or, l'intérêt des scènes représentées qu'accompagnent des inscriptions donnant
les noms des personnages. Ainsi se faisait l'instruction des fidèles dans la connaissance
des choses de la religion. On considérait, à l'époque carolingienne, qu'une église n'était
pas terminée si elle n'avait pas reçu son décor peint qui luttait de richesse avec les
tapisseries, les courtines de pourpre brochées d'or, les tissus de soie et de laine
accrochés aux murailles ou déposés sur les tombeaux des saints, tandis que les châsses

(1) Histoire de la peinture au Moyen Age, éd. 1863.


(2) Schriftquellen zur Geschichte der Karolingischen Kunst, Vienne, 1892.
(3) Victor Mortet et Paul Deschamps, Recueil de textes relatifs à l'histoire de l'architecture en
France au Moyen Age, Paris, 1911-1929, 2 vol.
(4) Enquête sur la peinture murale à l'époque romane, clans Bulletin monumental , 1 942 et 1943-1 944.
(5) Peintures romanes des églises de France, 1938.
(6) La peinture murale en France, t. I, 1951.
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d'orfèvrerie, les « majestés » d'or, brillaient sur les autels sous le feu des flambeaux et
des couronnes de lumière.
Ces peintures étaient exécutées sur un enduit de mortier ou de plâtre (1), enduit qu'il
ne faut pas confondre avec ces badigeonnages au lait de chaux dont on empâta
sculptures et moulures aux xvne et xynie siècles. Parfois, ces enduits étaient rehaussés de
stucs moulés et ciselés, dessinant de grands tableaux ou des bandeaux, comme dans
bien des monuments de l'art antique, la basilique pythagoricienne de la porte Majeure,
à Rome, par exemple. On pouvait peindre ou représenter en bas-relief les figures des
saints, mais pas en plein relief : l'écolâtre d'Angers, Bernard, au début du xie siècle,
s'élèvera encore violemment contre une telle audace (2).
De nombreux textes prouvent que, même lorsque les murs n'étaient pas couverts
de peintures, ils étaient, dès l'origine, protégés par un enduit, mortier de chaux et de
sable fin ou plus souvent du plâtre, qui cachait les imperfections d'une construction
grossière en moellons, pierres cassées, rognons de silex, cailloux roulés, blocages divers,
à l'intérieur et même parfois à l'extérieur et, qui passé sur les bois de la charpente, des
clôtures, des plafonds, avait l'avantage de les protéger contre le feu. L'opération est
appelée dans les textes « dealbatio ». Nous verrons que l'on y traçait parfois des
joints dessinant un faux appareil sur les murs et les arcs, sous les voûtes, le long des
fenêtres.
Lorsque, aux xe et xie siècles, on construira en pierres de taille (3), lorsque « la
terre, secouant sa vieillesse, se couvrira d'un blanc manteau d'églises », suivant
l'expression du moine Raoul Glaber, en 1002-1003 (4), on conservera les traditions
anciennes et l'on passera un enduit sur l'appareil de pierres taillées comme on l'avait
fait sur les blocages et les moellonages et sur les appareils de médiocre qualité.
Ce que nous disons pour les églises vaut pour les châteaux, les palais et les maisons.
Le moine Théophile (5) signale l'emploi habituel des enduits sur la pierre et le bois au
début du xie siècle.
On a souvent remarqué que, dans les maçonneries les plus anciennes, les joints sont
épais et saillants, sans doute pour porter des placages qui ont aujourd'hui disparu
presque partout, sous le poids des ans et les ravages des hommes, surtout lors des
restaurations du xixe siècle, où l'on pensait qu'il fallait mettre à nu blocages et pierres et
montrer les murs dépouillés, comme Y Ecorché de Houdon, sans songer que les irré-

(1) F. Mercier, La peinture clunysienne, 1932.


(2) Mortel, Recueil de textes, t. I, p. 49.
(3) « Ex quadris lapidibus more Antiquorum, non quidem nostro gallicano more», dans les textes
dont Mortet a réuni un grand nombre (Recueil de textes, t. I, |>. 33, 40, 75, 92, 94, 172, etc.).
(4) Livre III, ch. îv, cf. Morlel, Recueil de textes, t. I, p. 4.
(5) Schedula diversarum artiurn, livre I, publ. par le comte de Lescalopier en 1845. Cf. études de
W. Theobald, Berlin, 1935, et D. V. Thompson, Londres, 1936.
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gularités des moellonages et les piquetages des pierres de taille étaient destinés à
accrocher plus fortement l'enduit au mur.
A l'époque romane, dans les églises de pierre d'appareil, souvent voûtées, pesant
lourdement sur le sol, de larges surfaces de murs étaient disponibles dans un éclairage
parfois assez pauvre, murs goutterots, voûtes, absides, sur lesquels les peintres
représentaient des scènes iconographiques en registres superposés, le Christ en majesté entre
les symboles des Évangélistes, des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament, des
saints et des saintes sous arcades, encadrés de bandeaux décoratifs. Tout est peint
sur enduit de mortier à chaux et sable fin, ou de plâtre. Parfois même, les scènes sont
sculptées en réserve dans le mur et peintes, ce qui donne l'impression de grands tableaux
dont on aurait cerné les bords et silhouetté les figures par des traits d'ombre profonds.
On sait comment saint Bernard, notamment dans Y Apologie à Guillaume de
1125 (1), et les Cisterciens, et avec eux les Prémontrés, les Grandmontains, les
Chartreux et, plus tard, les Frères mineurs, lutteront contre ces décors peints et reviendront
à la simplicité de l'enduit de plâtre, enduit parfois orné de gaufrures obtenues avec des
moules de bois ou de fer, comme dans la belle église cistercienne de Cadouin (Dor-
dogne). Alexandre Neckam, dans son De naturis rerum, à la fin du xne siècle, s'éleva
lui aussi contre la décoration picturale et la sculpture trop riche des bâtiments civils
et de l'architecture privée (2).
Je ne puis rappeler ici que les principaux textes où sont mentionnés ces enduits
du xe siècle à la fin du Moyen Age (3). Déjà, au début du vie siècle, Saint-Hilaire de
Poitiers avait été revêtu d'un placage intérieur et extérieur par l'abbé Fridolin (4) :
on pourrait en trouver d'autres exemples en Italie et en Espagne aux vme et ixe siècles.
Aux xe et xie, la cathédrale d'Orléans, les églises abbatiales de Saint-Trond, Mouzon,
celle de Brauweiler, ornée, par l'abbé saint Wolphelm, de mosaïques et d'enduits, au
dehors et au dedans (5), l'église Sainte-Eugénie à Varzy, dont les murs sont blanchis
par les soins de l'évêque Hugues d'Auxerre (999-1039) (6). Lanfranc, archevêque de
Cantorbéry, fait enduire de plâtre les murs de sa cathédrale avant de les couvrir de
tapisserie et aussi les bois des charpentes (7). Gérard II, archevêque de Cambrai de
1076 à 1092, recouvre de plâtre les murs et les bois de la charpente (8). Hoël, évêque
du Mans de 1085 à 1096, achève la décoration de son église cathédrale, fait peindre les

(1) Mortet, Recueil de textes, t. I, p. 366-370.


(2) Mortet et Deschamps, Recueil de textes, t. II, p. 180.
(3) Émeric-David, Histoire de la peinture au Moyen Age, éd. 1863, p. 113 et notes.
(4) Crozet, Textes et documents relatifs à l'histoire des arts en Poitou, 1942, p. 1.
(5) Mabillon, A A. SS. ord. S. Bened., IX, 686.
(6) Mortet, Recueil de textes, t. I, p. 93.
(7) Guillaume de Malmesbury, De gestis pont. Angl., livre I.
(8) Mortet, Recueil de textes, t. I, p. 68.
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colonnes et les poutres de la charpente et enduire de plâtre les murs (1). De même
Guy, évêque de Beauvais, pour sa cathédrale, vers 1003 (2).
Les exemples sont encore nombreux, pour le xne siècle, d'églises qui sont ainsi
blanchies, comme Notre-Dame-de-la-Dalbade à Toulouse, ainsi appelée pour la
distinguer de Notre-Dame-de-la-Daurade, l'église Saint-Trond de Liège, dont les murs
sont recouverts d'un enduit de mortier par l'abbé Rodolphe (1108-1118) (3). Il en va
de même pour les maisons et les châteaux : en 1198, on enduit de plâtre le cadre des
cheminées, les murs de bois et les plafonds du Château-Gaillard aux Andelys (4).
Citons encore, avant 1212, l'ordonnance de Philippe Auguste faisant crépir de
chaux à l'intérieur et à l'extérieur les fortifications de Laon, Saint-Mard, Compiègne,
Melun (5) ; en 1287, un ordre de plâtrer les fenêtres, cheminées, murs et pignons de
bois ou de torchis du château de Meaux pour éviter l'incendie, précaution que l'on
prendra également en maints endroits, et singulièrement à Bayonne (6). Lorsque le
roi d'Angleterre, Henri III, visita Paris, en 1254, il admira l'élégance des maisons
enduites de plâtre à l'intérieur et à l'extérieur et ordonna de recouvrir de plâtre
français les boiseries, clôtures, dais de son château de Nottingham (7). Les comptes de la
cathédrale de Troyes mentionnent, après 1380, que l'on blanchit les murs, les voûtes,
les portails et même les sculptures (8).
Les monuments apportent la confirmation de cette habitude que l'on avait au
Moyen Age de couvrir d'un enduit de chaux ou de plâtre l'intérieur des édifices et
même parfois l'extérieur et d'y tracer à la truelle, et plus souvent au pinceau, un
appareil fictif, blanc sur fond ocre jaune ou plus généralement brun rouge sur fond blanc
ou jaune pâle (9). Les lignes sont filées au pinceau sur de grandes surfaces, simples,
parfois doubles, surtout dans les joints verticaux, accompagnées ou non de fleurettes
stylisées ou d'ornements qui font ressortir les bandeaux moulurés et les faisceaux de
colonnes dont les bases, les chapiteaux et souvent les fûts sont relevés de couleurs, à l'in-

(1) Mortet, Recueil de textes, t. I, p. 163.


(2) Eméric-David, Histoire de la peinture au Moyen Age, éd. 1853, p. 113 et notes.
(3) Mortet et Deschamps, Recueil de textes, t. II, p. 5.
(4) Mortet et Deschamps, Recueil de textes, t. II, p. 176.
(5) Mortet et Deschamps, Recueil de textes, t. II, p. 215-217.
(6) Mortet et Deschamps, Recueil de textes, t. II, p. 22, 23, 176, 310, 319.
(7) Ce plâtre venait du gypse des carrières de Montmartre et était transporté par eau jusqu'à
Londres. Plus tard, on brûla du marbre des carrières de Purbeck ou des albâtres de Nottingham, niais
on continua d,e l'appeler « plâtre de Paris ».
(8) J. Quicherat, Mélanges, TT, 1886, 203-204.
(9) Un des exemples les plus curieux de cette décoration fictive du Moyen Age, ce sont ces
représentations d,e fenêtres avec leurs fausses verrières peintes au xme et au xive siècle sur l'enduit
recouvrant un mur plein, qui semblent prolonger un fenestrage réel : sur la face interne des tours
occidentales de la cathédrale de Chartres, dans les chapelles de celle de Clermont-Ferrand, dans la salle
capitulaire des Jacobins de Toulouse.
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teneur comme à l'extérieur : portails, arcatures, rosés des façades et surtout sculptures.

Cl. Marquise de Maillé.


EGLISE DE THEMERICOURT ( SEINE-ET-OISE )

Nous en avons relevé un grand nombre de cas du xne et surtout du xme siècle
je ne pourrai en citer ici que quelques-uns parmi les plus intéressants.
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Aux xe et xie siècles, de faux joints sont peints sur un enduit de chaux ou de
plâtre, dans la crypte de la cathédrale d'Orléans, sur les murs et les colonnes, même
les colonnes monolithes, comme dans la crypte de la cathédrale de Rouen, construite
en pierres de taille soigneusement appareillées, où M. Lanfry a reconnu un premier
enduit d'origine, de chaux teintée de rouge, doublé d'un second enduit ocre jaune sur
lequel sont tracés de faux joints blancs ne correspondant pas au véritable appareil et,
sur les colonnes, des peintures bariolées imitant le marbre (1). A la Trinité de Vendôme,
une chapelle du premier tiers du xie siècle est ornée d'un faux appareil blanc sur un
fond ocre jaune, comme les murs de la primitive église abbatiale de Cluny, et, au début
du xne siècle, de la chapelle voisine de Berzé, où les traits sont ocre rouge ou jaune sur
une couche mince de chaux. On a fait les mêmes remarques à Romainmôtier, en Suisse,
et dans plusieurs églises du Nord de l'Italie. En Roussillon, où les églises des xie-
xne siècles sont construites en cailloux roulés noyés dans du mortier, les murs sont
toujours recouverts d'un enduit, sur lequel sont peints, à l'intérieur, des personnages
ou parfois de faux joints et, à l'extérieur, des joints parfois tracés au fer, imitant un
appareil de pierre de taille, d'abord épais, puis, à partir du milieu du xie siècle, très
minces. A la fin du xme et au xive siècle, des lits de briques horizontaux viendront,
comme à l'époque gallo-romaine, régulariser de place en place les lits irréguliers des
cailloux, au Palais des rois de Majorque, à Perpignan, par exemple.
Aux xiie-xine siècles, les exemples sont nombreux en Dordogne, à Agonac et
dans l'église cistercienne de Boschaud — un trait pour les lits horizontaux, deux pour
les joints verticaux, en ocre rouge sur enduit de plâtre —-, dans les bâtiments
monastiques de Saint- Jean-du-Grais, près de Tours, en Ile-de-France à Saint-Vaast de Long-
mont et Saint-Christophe-en-Halatte, à Foulangue et dans la nef de l'église de Cam-
bronne (Oise), comme aux Vaux-de-Cernay (Seine-et-Oise). On peut dire que, au
xme siècle, ce faux appareil est la règle — généralement un trait pour les lits
horizontaux, deux pour les joints verticaux — même dans les édifices construits en pierres de
taille soigneusement appareillées, dans les petites églises comme dans les grandes : en
Seine-et-Oise, à Théméricourt, la nef du xme siècle fut voûtée au xvie et, au-dessus,
apparaissent les murs primitifs en pierre de taille, en partie recouverts d'un enduit
de chaux sur lequel est peint un appareil de couleur qu'enrichissent des motifs
décoratifs stylisés; à Chars, Cormeilles - en - Parisis et Cormeilles - en - Vexin où, comme
à Notre-Dame-de-la-Roche, sont peintes au pochoir dans les cadres rectangulaires
dessinés par les faux joints des fleurs de lis et des fleurettes à cinq pétales ; à Gaillon,
près Meulan, l'encadrement du triplet supérieur du chevet est orné de faux joints
et de bâtons brisés peints à l'ocre rouge sur enduit de chaux ; à Omerville, où a été

(1) G. Lanfry, dans Bulletin monumental, 1936, p. 194.


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peinte une fausse voûte sexpartite sous le berceau du clocher (1). Dans l'Oise, à Saint-
Jean-aux-Bois, à Bury, au chœur de Cambronne et de Plailly ; à Mailly-le-Château,
dans l'Yonne, Saint-Émilion et la Sauve, en Gironde ; dans la chapelle de la Vierge de
Saint-Remi de Reims. A la cathédrale de Reims, l'architecte Deneux a reconnu, sous
plusieurs enduits superposés, les joints d'origine, peints sur plâtre, comme on en voit
sur les voûtes du déambulatoire, du chœur et du transept de la cathédrale d'Auxerre
et encore, au début du xive siècle, aux voûtes du chœur de Saint-Ouen de Rouen, et,
jusqu'à la fin du Moyen Age, en bien des endroits.
Nous pourrions également relever des exemples de ce procédé dans les maisons,
les palais et les châteaux : les murs intérieurs du donjon de Coucy étaient recouverts
d'un enduit sur lequel étaient peints des lits horizontaux simples et des joints
verticaux doubles ; on en trouverait des exemples représentés dans les peintures, les
miniatures et aussi les vitraux.
Marcel Aubert.
(1) Jules Formigé, clans Congrès archéologique, 1946, p. 291.

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