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RELIRE L’AUTEL PORTATIF DE STAVELOT

Patrick HENRIET

‟autel portatif de Stavelot a fait l‟objet de nombreux travaux394. Dans un livre très

L important consacré aux rapports entre arts et liturgie sous l‟abbatiat de Wibald (1130-
1158), Susanne Wittekind lui consacre cent-vingt pages très érudites qui constituent
aujourd‟hui le point de départ obligé de toute étude sur cet objet fascinant.

Nous n‟avons pas la prétention de reprendre ce travail extrêmement complet mais plutôt, dans
les pages qui suivent, de formuler quelques propositions relatives à la partie centrale de
l‟autel. Celui-ci présente en effet une double particularité qui, sous cette forme, ne se retrouve
dans aucune autre réalisation du même genre : la pierre d‟autel est un cristal de roche sous
lequel a été placé, bien en évidence, un morceau de parchemin. On peut lire sur celui-ci les
mots Sanctus, Sanctus, Sanctus395. Les remarques qui suivent aborderont principalement la
question du rapport entre ces mots, le corps du Christ et les reliques, car il nous semble que
dans ce domaine au moins, il est encore possible d‟approfondir notre compréhension de
l‟autel de Stavelot. La discussion portera donc prioritairement sur la partie centrale de la

394 J‟indique seulement les plus importants travaux récents, qui permettront de reconstituer une bibliographie
exhaustive : Michael BUDDE, Altare portatile. Kompendium der Tragaltäre des Mittelalters 600-1600,
Münster, 1998 (avec 2 CD-Roms), en particulier CD 2, p. 139-143. Susanne WITTEKIND, Altar Ŕ Reliquiar Ŕ
Retabel. Kunst und Liturgie bei Wibald von Stablo, Cologne, 2004, p. 51-172 ; Sophie BALACE dans La salle
aux trésors. Chefs d’œuvre de l’art roman et mosan, I, Turnhout, 1999 (Musées Royaux d‟Art et d‟Histoire.
Bruxelles), p. 24-27. Voir aussi les notices des catalogues d‟exposition suivants : Rhin-Meuse. Art et civilisation.
800-1400, Cologne-Bruxelles, 1972, G 13, p. 252 ; Reinher HAUSSHERR éd., Die Zeit der Staufer. Geschichte,
Kunst, Kultur, I, Stuttgart, 1977, n° 544, p. 409-410 ; Jacques STIENNON et J. DECKERS, Wibald, abbé de
Stavelot-Malmedy et de Corvey (1130-1158), Stavelot, 1982, n° 46, p. 66-67.
395 Une restauration de l‟autel menée à bien en 1995 a permis de remettre dans le bon sens les émaux et le

parchemin, qui avaient été remontés à l‟envers en 1954 (comparer les photos des publications postérieures à
1995 avec par exemple celle de Rhin-Meuse, G13, entre p. 260 et 261) : Monique de RUETTE, « L‟autel portatif
de Stavelot. Un autre regard », dans Bulletin des Musées Royaux d’Art et d’Histoire, 65, 1994, p. 65-74.

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tablette (cristal et parchemin) et sur les huit figures qui l‟entourent. On trouvera en appendice
une retranscription critique des gloses à la préface et au canon de la messe qui figurent dans le
sacramentaire de Wibald.

L‟autel de Stavelot est l‟un des nombreux autels portatifs confectionnés tout au long du
Moyen Âge, avec semble-t-il une plus grande fréquence aux XIe et XIIe siècles. Michael
Budde en a dressé un savant répertoire396. Notre autel a été copieusement décrit en différentes
occasions, aussi nous nous contenterons ici de rappeler l‟essentiel des informations
nécessaires à la bonne compréhension des pages qui suivent. De dimensions classiques pour
un objet de ce type (10 cm x 27,5 cm x 17 cm), il a été fabriqué pendant l‟abbatiat de Wibald
(1130-1158) selon certains, sous celui de son frère Erlebald, qui lui succéda (1158-1192),
pour d‟autres397. Abbé de Stavelot depuis 1130, éphémère abbé du Mont-Cassin en 1137,
abbé de Corvey depuis 1146, Wibald fut un très grand personnage, conseiller des empereurs
Lothaire III et Conrad III, diplomate lettré, auteur d‟une riche correspondance398. Il a été plus
d‟une fois comparé à Suger, son activité de mécène, son intérêt pour les objets du culte et
l‟orientation typologique très raffinée des réalisations effectuées sous son abbatiat expliquant
ce rapprochement399. Dans le livre qu‟elle consacre à cet aspect de la carrière de Wibald,
Susanne Wittekind traite également du reliquaire du chef du pape Alexandre Ier et du retable
perdu de Saint-Remacle, deux autres réalisations majeures.

396 Sur l‟autel portatif dans la perspective d‟une histoire générale de l‟autel chrétien, voir l‟ouvrage classique de
Joseph BRAUN, Der christliche Altar in seiner geschichtlichen Entwicklung, 2 vol., Munich, 1924, ici I, p. 37
sq., 71 sq., 419-516. Sur les autels portatifs dans la perspective d‟une histoire de la liturgie et de ses rapports
avec l‟espace sacré, Éric PALAZZO, L’espace rituel et le sacré dans le christianisme. La liturgie de l’autel
portatif dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Turnhout, 2008 (Culture et société médiévales).
397 L‟autel est souvent daté de la décennie 1160-1170, soit peu après la mort de Wibald. Voir par exemple R.

GREEN, « Reading the Portable Altar of Stavelot », dans Revue Belge d’archéologie et d’histoire de l’art, 72,
2003, p. 3-10, et récemment Albert LEMEUNIER, « Wibald, Erlebald et le patrimoine artistique de l‟abbaye de
Stavelot », dans ID. dir., D’or et de parchemin. Wibald de Stavelot, abbé d’Empire (ϯ 1158), Stavelot, 2009, p.
15-23 (ici p. 21). Sur la personne d‟Erlebald, Philippe GEORGE, « Erlebald (ϯ 1193), gardien des reliques de
Stavelot-Malmedy », dans Le Moyen Âge, 90, 1984, p. 375-382, à compléter par ID., « Sur la terre comme au
ciel » L‟évêque de Liège, l‟abbé de Stavelot-Malmedy, le droit, la justice et l‟art mosan vers 1170 », dans
Cahiers de Civilisation Médiévale, 2013, p. 245-247. L‟auteur note aussi p. 240 que l‟autel « fait vraiment
exception par son style, sa technique et la couleur des émaux » (« Sur la terre comme au ciel, p. 240, avec renvoi
à Alice GUDERA, Der Tragaltar aus Stavelot. Ikonographie und Stil). Michael BUDDE, Altare portatile, p. 5,
propose entre 1140 et 1165 sans se prononcer davantage. Susanne WITTEKIND, Altare Ŕ Reliquien Ŕ Retabel,
date au contraire p. 54 l‟autel vers 1140, ce qui explique le rôle pionnier qu‟elle lui assigne dans son livre (il est
traité avant le reliquaire du pape Alexandre et le retable de saint Remacle). La question reste ouverte en
l‟absence de preuves concluantes.
398 Sur Wibald, qui a fait l‟objet d‟un assez grand nombre d‟études depuis le XIX e siècle. La monographie de

référence est celle de F. J. JAKOBI, Wibald von Stablo und Corvey (1098-1158), benediktinischer Abt in der
frühen Stauferzeit, Münster, 1979, à compléter par Philippe GEORGE, « Wibald von Stablo », dans Lexikon des
Mittelalters, 9, 1998, col. 57-58. Voir aussi A. VERRYCKEN, « Au service de l‟empire ou de la papauté ? Note
sur l‟historiographie de Wibald de Stavelot », dans Revue d’Histoire ecclésiastique, 73, 1978, p. 54-68 ; Jacques
STIENNON & J. DECKERS, « Wibald », op. cit. (catalogue d‟exposition) ; Nicolas SCHROEDER, « Wibald de
Stavelot (ϯ 1158). Contributions de l‟histoire sociale à une biographie », dans D’or et de parchemin, op. cit., p.
5-14.
399 Susanne WITTEKIND, Altar Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, p. 25-32. La comparaison entre Suger et Wibald semble

avoir été faite pour la première fois par dom Martène en 1724 (MARTÈNE & DURAND, Voyage littéraire, II,
Paris, 1724, p. 151, et WITTEKIND, Altar Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, p. 25). Voir aussi la présentation de l‟activité
de Wibald par Cynthia HAHN, Strange Beauty. Issues in the Making and Meaning of Reliquaries, 400-circa
1204, The Pennsylvania State University, 2012, p. 209-221 (p. 212 : « The comparison with Suger is apt »).

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L‟autel de Stavelot est donc organisé autour d‟un cristal de roche recouvrant un parchemin sur
lequel a été écrit le Trisagion, Sanctus, Sanctus, Sanctus, représenté sous la forme des trois
lettres S, C et S surmontées d‟un tilde. Le reste de l‟autel est majoritairement recouvert de
plaques émaillées. La tablette peut être divisée en trois ensembles. Les registres supérieurs et
inférieurs sont consacrés à la vie du Christ, avec au registre inférieur, de gauche à droite, la
dernière Cène, le Christ devant Pilate et la flagellation, et au registre supérieur le portement de
croix, la crucifixion et les trois femmes au tombeau. Le registre médian (que l‟on peut
considérer comme un double registre) donne d‟abord quatre figures autour du cristal,
disposées dans quatre lobes qui ont la forme d‟un « phylactère »400 : l‟Église triomphante et la
Synagogue aux yeux bandés au-dessus et au-dessous de la pierre, Samson enlevant les portes
de Gaza à gauche, Jonas sortant de la baleine à droite. Dans les quatre écoinçons flanquant le
quadrilobe, on trouve de bas en haut et de gauche à droite le sacrifice de Melchisedech, celui
d‟Abel, Isaac portant le bois de son bûcher, enfin Moïse et le serpent d‟airain. Tout cet
ensemble est vétérotestamentaire et typologique : l‟Église a remplacé la Synagogue, la
nouvelle Loi a remplacé l‟ancienne, les grandes figures et les grands événements de l‟Ancien
Testament annoncent le Christ, la Passion (Melchisedech, Abel, Isaac, Moïse) et la
résurrection (Samson et Jonas). Sur les faces latérales ont été représentés le martyre des onze
apôtres (Judas manque évidemment) et la dormition de saint Jean. Des statuettes en bronze
doré des quatre évangélistes soutiennent l‟autel. Enfin, deux inscriptions en vers courent sur
les rebords supérieur et inférieur. L‟inscription supérieure doit être mise en relation avec
l‟iconographie de la tablette :

QUAM COLIT ECCLESIA CRUX La croix que vénère l‟Église,


MORS VICTORIA CHRISTI mort et victoire du Christ,

PER SANCTOS PATRES PATRIARCHAS Par les saints pères, patriarches et prophètes,
ATQUE PROPHETAS

ANTE FIGURATA FUIT ET Fut autrefois figurée et signifiée


PRESIGNIFICATA

ET TAMEN HEC CECA Et cependant cette Synagogue aveugle


NUNDUM CREDIT SYNAGOGA401 n‟y croit toujours pas402

400 Voir Étienne BERTRAND, « Phylactères », dans L’Œuvre de la Meuse I, 2014, p. 106-110, avec prise en
compte et reproduction de cette partie de l‟autel de Stavelot.
401 Les inscriptions de l‟autel portatif de Stavelot sont données en particulier par J. BRAUN, Der Christliche

Altar, I, p. 483; Die Zeit des Staufer, I, n° 544 (Dietrich KÖTZSCHE); La salle aux trésors, p. 24 ; Robert
FAVREAU, « Les autels portatifs et leurs inscriptions », dans Cahiers de civilisation médievale, 2003, p. 327-
352, ici p. 344-345 et Susanne WITTEKIND, Altar Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, p. 139-141. Robert Favreau donne à
tort au troisième vers atque pour et et prefigurata pour figurata. Pour le quatrième vers, Wittekind reprend p.
139, n. 310 à Die Zeit der Staufer la graphie nun dum et propose de comprendre nunc dum, ce qui donnerait le
sens suivant: « et maintenant la synagogue est encore aveugle, jusqu‟à ce qu‟elle croie » (« und dennoch [ist] die
Synagogue jetzt blind, bis sie glaubt »). Cette conjecture doit à mon sens être rejetée. Nundum est une variante
de nondum fréquemment attestée et l‟expression nondum credere est fréquente (Augustin écrit plusieurs fois
nondum credit: Sermo 346B, Sermo Dolbeau 14D, Contra epistulam Manichaei quam uocant fundamenti).
402 La traduction est mienne. Robert Favreau traduit « La croix, la mort, la victoire du Christ que vénère l'Église

ont été auparavant préfigurés », mais il me semble que le verbe au singulier (figurata fuit et presignata) rend
cette construction difficile

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Crucifixion et résurrection annoncées dans l‟Ancien Testament, opposition Église/Synagogue,
tel est en effet le programme de la tablette.

L‟inscription inférieure donne :

HI QUE SCRIPSERE DOCTORE Ce qu‟écrivirent ceux-là, ils l‟apprirent de Dieu


DEO DIDICERE docteur,

HORUM FIRMATA PLAGIS ET MORTE Ce fut confirmé et prouvé par leurs blessures et
PROBATA leur mort,

ET CELEBRATA SIMUL HORUM Célébré en même temps par leur bouche


DIVINITUS ORE divinement inspirée

ISTORUMQUE PIO PARITER SANCCITA Et consacré aussi par leur pieux sang
CRUORE403

Hi que scripsere : le pronom démonstratif, Hi, désigne assurément les évangélistes, dont les
figurines scandent aux quatre coins l‟inscription. Mais il est sans doute extensible aux autres
apôtres, dont le martyre est rappelé juste au-dessus. Le caractère inspiré de l‟Écriture est ainsi
affirmé avec force. Il sert de fondement à l‟autel et donc au discours sur la célébration
eucharistique. Ce dispositif est raffiné, complexe même, cependant il s‟inscrit parfaitement
dans la tradition iconographique, christique et eucharistique, des autres autels portatifs404.
Tâchons maintenant de voir comment il l‟approfondit sur un mode inédit.

403 J. BRAUN, Der Christliche Altar, I, p. 483, faisait commencer l‟inscription du bas par le vers
Istorum…cruore, ce qui l‟amenait à tort à introduire un sic après sanccita.
404 Sur celle-ci, É. PALAZZO, L’espace rituel, p. 153-180, qui prolonge Joseph Braun et Michaël Budde,

indispensables encore.

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Une illustration du canon de la messe

La pierre d‟autel se
présente donc sous la
forme d‟un cristal de
roche qui donne à voir un
bout de parchemin sur
lequel on peut lire
S(an)c(tu)s, S(an)c(tu)s,
S(an)c(tu)s. L‟utilisation
du cristal pour la pierre
d‟autel est extrêmement
rare mais on la retrouve
avec l‟autel dit
d‟Eilbertus, sans doute
composé dans la région de
Cologne et à peu près
Autel portatif d'Eilbertus, Berlin, Kunstgewerbemuseum.
contemporain de celui de
Stavelot405. Le cristal de Autel portatif de Brunswick, Braunschweig, Städtisches Museum
roche, dans ce cas,
recouvre un parchemin
enluminé qui représente le
Christ dans sa mandorle et
le tétragramme. Si l‟on ne
connaît pas d‟autre
exemple du trisagion sous
la pierre, sa présence n‟est
pourtant pas totalement
surprenante. Il apparaît
ainsi deux fois sur un autel
portatif de l'église Saint-
Michel de Brunswick
(Braunschweig), au-dessus
et au-dessous de la
pierre406.

405 Voir la notice détaillée d‟Andrea BOOCKMANN dans les Deutsche Inschrifte Online: DI 35, Stadt
Braunschweig I, N° 11 (www.inschriften.net, urn:nbn:de:0238-di035g005k0001108). Susanne Wittekind cite
cet autel à plusieurs reprises mais ne le rapproche pas de celui de Stavelot à propos de l‟utilisation du cristal
comme pierre d‟autel.
406 Voir Andrea BOOCKMANN, Deutsche Inschrifte Online: DI 35, Stadt Braunschweig I, Nr. 13

(www.inschriften.net, urn:nbn:de:0238-di035g005k0001302), qui donne la bibliographie. Ajouter Robert


FAVREAU, « Les inscriptions», p. 335 (l‟auteur signale que l‟on a « inscrit un triple Sanctus aussi bien sur la
plaque supérieure que sur la plaque inférieure ». La photographie du DI ne permet pas de voir l‟inscription, mais
la description d‟Andrea Boockmann suggère plutôt que le triple sanctus se trouve deux fois sur la table
supérieure, au-dessus et au-dessous la pierre d‟autel. Celle-ci a par ailleurs disparu.

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Le Trisagion était par ailleurs suggéré, mais non directement reporté, dans une inscription de
l‟autel donné par Henri II (1014-1024) à la cathédrale de Bamberg, inscription que l‟on
retrouve ensuite à l‟identique sur un autel colonais des années 1180407.

Le Trisagion peut être interprété de deux façons. Il renvoie d‟abord à Isaïe 6, 3 : le prophète a
la vision du Seigneur en majesté assis sur son trône. Des séraphins sont autour de lui et
s‟écrient : Sanctus, Sanctus, Sanctus / Dominus Deus Sabaoth. / Pleni sunt caeli et terra
gloria tua. / Hosanna in excelsis. /Benedictus qui venit in nomine Domini. / Hosanna in
excelsis. C‟est clairement à cette scène que renvoient les autels d‟Henri II et de Cologne, dont
les inscriptions mentionnent les chérubins et les séraphins, et celui de Brunswick, où le triple
sanctus accompagne chaque fois trois anges. Mais le Trisagion est aussi, dans la liturgie de la
messe, la formule qui marque la transition entre la préface et le début du canon. Il introduit
donc le moment de la transformation eucharistique. Au terme de celle-ci, le vin et l‟hostie
sont effectivement devenus le corps et le sang du Christ. Sur l‟autel de Stavelot, et à la
différence des autels d‟Henri II et de Brunswick, si le souvenir de l‟adoration du Seigneur par
les séraphins est présent, ce n‟est que secondairement. Tout indique en effet que le triple
Sanctus de l‟autel de Stavelot fut pensé comme une allusion directe à la liturgie eucharistique
et plus précisément au canon de la messe. L‟iconographie qui l‟accompagne, et sur laquelle
nous allons revenir, n‟accorde en effet aucune place aux séraphins de la vision d‟Isaïe. Dans
ce contexte le support du parchemin indique déjà la priorité de l‟interprétation eucharistique
sur l‟interprétation directement scripturaire puisqu‟il s‟agit d‟une table d‟autel. Par ailleurs, de
même que sur les autres autels portatifs, les différentes figures qui ont été représentées, à
commencer par celles qui entourent le parchemin, renvoient toutes, selon un schéma
typologique éprouvé, à la figure du Christ et non à celle du Dieu trônant d‟Isaïe. Nous allons
voir qu‟elles vont plus loin et que certaines d‟entre elles doivent être considérées comme une
illustration du texte du canon.

Au-dessus et en dessous du Trisagion, l‟Église triomphante et la synagogue aveugle rappellent


au fidèle qu‟après la venue du Christ il n‟est plus possible de s‟en tenir à l‟ancienne loi. À
gauche, Samson enlève les portes de Gaza et à droite Jonas sort du ventre de la baleine, deux
scènes qui symbolisent la résurrection du Christ408.

407 Robert FAVREAU, « Les inscriptions », p. 334, d‟après Jules CORBLET, Histoire dogmatique, liturgique et
archéologique du sacrement de l’Eucharistie, II, Paris, 1886, p. 216. L‟inscription accompagne quatorze figures
de séraphins et de chérubins: CHERUBIM QUOQUE ET SERAFIM SANCTUS PROCLAMANT / ET OMNIS CELICUS ORDO
DICENS : TE DECET LAUS ET HONOR DOMINE. Robert Favreau décompose le texte de l‟inscription (qui renvoie bien
sûr à Isaïe), mais il faut noter que celui-ci est intégralement repris à la liturgie de la Saint-Michel et de la
Toussaint : René-Jean HESBERT, Corpus antiphonalium Officii, nr. 7757 (qui donne exactement le texte de
l‟inscription, alors que le nþ 5515 cité par R. Favreau est seulement proche du deuxième vers). Pour l‟autel
colonais des années 1180, Anton LEGNER dir., Ornamenta Ecclesiae. Kunst und Künstler der Romanik :
Katalog zur Ausstellung des Schnütgen-Museums in der Josef-Haubrich-Kunsthalle, 3 vol. , Cologne, 1985, ici
2, F50, p. 408-409.
408 Le recours à la figure de Samson est nettement moins fréquent que l‟utilisation de Jonas. WITTEKIND, Altar

Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, p. 105, note que Jonas est la seule figure de l‟Ancien Testament présente sur l‟autel de
Stavelot à ne pas porter de nimbe. Honorius Augustodunensis met la figure de Samson en parallèle avec celle de
Jésus (Speculum Ecclesiae, PL 172, 927-942, ici 933 sq.). L‟interprétation de l‟épisode des portes de Gaza est
clairement interprété dans le sens de la résurrection par Adam de Saint-Victor, qui rapproche sa figure de celle
de Jonas (Analecta hymnica Mediiaevi, 54, 1915, p. 227, n° 149 ; cf. WITTEKIND, p. 105-107, qui suggère que
l‟image de Samson est aussi celle du Christ portant la croix).

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Le discours typologique se poursuit dans les quatre écoinçons qui complètent le registre
central : en bas, de gauche à droite, on reconnaît les sacrifices de Melchisedech et d‟Abel,
puis, en haut, Isaac portant le fagot destiné à son bûcher et Moïse devant le serpent d‟airain.
Les images de Melchisedech, d‟Abel et d‟Isaac ne posent aucun problème : elles montrent
toutes des scènes de sacrifice et sont fréquemment utilisées dans une perspective typologique.

Celle de Moïse est assez fréquente aussi dans


l‟orfèvrerie mosane. L‟Évangile de Jean
expliquait en effet que le serpent, élevé dans le
désert par Moïse, préfigurait le Fils de l‟homme,
« élevé en haut » (Jn, 3, 14). Dans l‟exégèse,
l‟épisode du serpent d‟airain devint ensuite le
type des souffrances, de la mort et de la
résurrection du Christ. Il est assez souvent
représenté dans cette perspective au XIIe siècle,
et on le trouve en particulier sur les vitraux
typologiques de Saint-
Denis (Chapelle de Saint-Pérégrin- ci-dessus) ou de la cathédrale de
Châlons-en-Champagne (sur lesquels nous reviendrons Ŕ ci-contre),
sur une croix typologique mosane du milieu du XIIe siècle
(ci-dessous) ou encore sur l‟autel portatif de Mönchengladbach
(Cologne, 1160), contemporain de celui de
Stavelot409. Dans tous ces cas, le serpent est
représenté d‟une façon qui va au-delà du
texte biblique, puisque celui-ci précisait
seulement qu‟il avait été pris par Moïse pro
signo. Or il est ici placé sur une sorte
d‟autel semblable à ceux de Melchisedech
et d‟Abel.

409Saint-Denis : voir Louis GRODECKI, Études sur les vitraux de Suger à Saint-Denis (XIIe siècle), II, Paris,
1995, p. 79-83. Chalons : Id., « À propos des vitraux de Chalons-sur-Marne. Deux points d’iconographie
mosane », dans L’art mosan, Paris, 1953, p. 161-170, et « La restauration des vitraux du XII e siècle
provenant de la cathédrale de Chalons-sur-Marne », dans Mémoires de la Société d’agriculture, sciences et
arts de la Marne, 28, 1953-1954, p. 323-352, tous deux repris dans Id., Le Moyen Âge retrouvé, I, Paris,
1986, respectivement p. 325-338 et 291-319. Croix typologique mosane : Sophie BALACE, « Croix
typologique », dans L’œuvre de la Meuse I, p. 57-61. Autel portatif de Mönchengladbach : Ornamenta
Ecclesiae, F 45, p. 404 et Michael BUDDE, Altare portatile, CD 1, n° 57. Moïse est aussi présent sur un autel
de la même époque aujourd’hui conservé au Louvre (Inv. OA 8095 et Diehl, Die Darstellung der ehernen
Schlange von ihren Anfängen bis zum Ende des Mittelalters, Inaugural-Dissertation zur Erlangung der
Doktorwürde der Philosophischen Fakultät der Ludwig-Maximilian-Universität zu München, 1956, M12, p.
145). Mentionnons aussi une plaque émaillée représentant Moïse et le serpent d’airain qui provient sans
doute du tombeau du comte de Champagne Henri Ier le libéral († 1181) et qui a clairement une valeur
typologique (d’autres plaques représentent l’Église et la Synagogue, Élie et la veuve de Sarepta etc.) :
reproduction et bibliographie dans Une renaissance : L'art entre Flandre et Champagne 1150-1250, Paris,
2013 (catalogue d’exposition), p. 133-137.

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Toutes ces figures pointent donc clairement vers une iconographie du sacrifice christique.
Mais en réalité, ainsi que l‟ont déjà remarqué Robert Favreau puis, indépendamment de celui-
ci, Suzanne Wittekind410, trois des quatre figures situées dans les écoinçons qui flanquent, aux
quatre coins, le parchemin du trisagion, proposent une véritable illustration du canon de la
messe. On trouve en effet dans celui-ci la prière suivante :

Supra que propitio ac sereno uultu respicere digneris et accepta habere sicuti acepta habere
dignatus es munera pueri tui iusti Abel et sacrificium patriarche nostri Abrahe et quod tibi
obtulit summus sacerdos tuus Melchisedech, sanctum sacrificium, inmaculatam hostiam411.

Les trois personnages


vétérotestamentaires dont il est
ici question au canon, Abel,
Abraham et Melchisedech,
sont donc présents dans les
écoinçons (Abraham l‟est par
Isaac qui porte le bois). Mais
pour compléter la série, il
fallait trouver une quatrième
figure, de préférence
vétérotestamentaire afin de ne
pas rompre l‟harmonie
typologique : ce fut Moïse.
Nous avons vu que l‟épisode
du serpent d‟airain était alors
devenu classique dans le
discours exégétique. Il
convient maintenant d‟ajouter,
et c‟est essentiel, qu‟il était
parfois utilisé pour illustrer le
début du canon de la messe :
dans une « dissertation
doctorale » soutenue en 1956,
Ursula Diehl a noté que
l‟épisode du serpent
apparaissait fréquemment dans
les sacramentaires et dans les
missels, entre la fin du XIIe et
le XVe siècle, pour illustrer le
Te igitur (premiers mots du
canon).
Croix typologique mosane. Bruxelles MRAH

410 Robert FAVREAU, « Les autels portatifs et leurs inscriptions », p. 327-352, ici p. 335, et Susanne Wittekind,
Altar Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, p. 63-64, 90-94 (sans citer l‟article de Robert Favreau).
411 Je donne ici le texte tel qu‟il figure dans le sacramentaire de Wibald, fol. 31r.

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On sait que le T du Te igitur, qui suivait directement le
sanctus, était classiquement mis à profit, depuis le
sacramentaire de Gellone (fin VIIIe siècle) au moins,
pour représenter le Christ en croix412. Or à partir du
XIIe siècle, il accueillit aussi très souvent le serpent
d‟airain, symbole de la crucifixion413. En tant que telle
celle-ci pouvait d‟ailleurs, selon les cas, demeurer ou
disparaître. C‟est certainement dans cette tradition, dont
il est un témoin assez précoce, qu‟il faut situer l‟autel
portatif de Stavelot : Moïse s‟imposait naturellement
pour compléter le trio Abel/Abraham/Melchisedech.
Situés aux quatre coins des mots du Trisagion, ces
quatre figures vétérotestamentaires chargées d‟une
riche lecture typologique étaient donc bien
Autel portatif de Mönchengladbach
l‟illustration, ou peut-être faudrait-il dire le type, du
canon de la messe.

Moise et le serpent d'airain dans


l'illustration du Te Igitur

Tours, Bibliothèque municipale


Manuscrit 193, folio 70

412 Rudolf SUNTRUP, « Te igitur-lnitialen und Kanonbilder in mittelalterlichen


Sakramentarhandschriften », dans Text und Bild. Aspekte des Zusammenwirkens zweier Künste in
Mittelalter und früher Neuzeit, sous la dir. de Christel MEIER & Uwe RUBERG, Wiesbaden, 1980, p. 278-
382.
413 Ursula DIEHL, Die Darstellung, p. 37. Plus de vingt-cinq références allant du XIIe au XVe siècle dans le

catalogue des pages 113-177: B 14, B 16, B 23-40, B 43, B 50, B 59, B 68, B 69, B 70. Les plus anciens
manuscrits repertoriés sont ceux de Tours, Bibliothèque Municipale, ms. 193, fol.70, et de Madrid, Biblioteca
Nacional, Vitrina 20/7 (fin XIIe siècle, région de la Meuse ?). Le sacramentaire de Tours se trouve dans un
manuscrit composite. Il est daté par Leroquais (Sacramentaires et missels des bibliothèques publiques de
France, I, Mâcon, 1924, n° 158, p. 313-317) du dernier quart du XIIe siècle et a fait l‟objet d‟une thèse dirigée
par Éric Palazzo : Aurélie MERCIER, Le manuscrit composite B.M. Tours, BM 193, codex majeur au sein du
scriptorium de Saint-Martin de Tours, 2 vol., Université de Poitiers, 2010. Dans ce manuscrit, Moïse est au pied
de la croix et tient le serpent sur un bâton. Exemple d‟un Te igitur avec Moïse et le serpent d‟airain mais sans
crucifixion dans un missel de Sens de la fin du XIIIe siècle (Cathédrale d‟Auxerre, ms. 8, fol. 60v) : reproduction
François GARNIER, « L‟imagerie biblique médiévale », dans Pierre RICHÉ & G. LOBRICHON (dir.), Le
Moyen Âge et la Bible, Paris, 1984, p. 421, n° 19.

188
Le corps du Christ comme relique

Comme tous les autels dans lesquels on enfouissait des


corps saints, l‟autel portatif de Stavelot était aussi un
reliquaire. Par leur taille et leur riche ornementation, les
autels portatifs se prêtaient particulièrement bien à ce
rapprochement qui, dans certains cas, fut poussé très
loin. On connaît l‟exemple étonnant de l‟autel d‟Egbert
de Trèves (entre 977 et 993), surmonté d‟une
représentation du pied de saint André, auquel il était
dédié, en référence à la courroie des sandales de l‟apôtre
qu‟il contenait mais aussi, peut-être, à Rom 10, 15. Il est
certes impossible de dire la messe sur un tel objet, mais
si celui-ci est à l‟évidence un reliquaire (sacrum
reliquiarum reconditorium), il n‟en est pas moins aussi
un autel (Hoc altare consecratum est)414. La confusion
est donc ici à peu près totale. Nous aimerions suggérer
qu‟à Stavelot, la logique d‟assimilation entre autel et
reliquaire fut également poussée particulièrement loin
mais en mettant cette fois-ci au cœur du dispositif non
plus les reliques d‟un saint mais le corps du Christ.

Comme c‟est souvent le cas, la structure de notre autel est constituée d‟une âme de bois
pourvue d‟une cavité destinée à recevoir les reliques. Sous l‟autel, une croix est cerclée d‟une
inscription particulièrement soignée : RELIQUIE SANCTORUM. Une telle insistance est moins
courante. Surtout, la croix et l‟inscription se situent exactement sous le cristal et le triple
Sanctus. Une sorte d‟axe symbolique relie donc les reliques des saints (on ne sait lesquels, les
reliques et leurs authenthiques ayant disparu) au Trisagion, signe du corps du Christ. La
situation du parchemin portant le triple Sanctus, sous un cristal, n‟est pas sans rappeler, par
ailleurs, les monstrances eucharistiques et les reliquaires dotés d‟une fenêtre permettant de
voir le corps ou l‟objet saint, dispositifs qui apparaissent au XIIIe siècle et deviennent la règle
à la fin du Moyen Âge415. Les reliquaires furent sans doute les premiers à ménager des
ouvertures permettant de voir les fragments de corps qui étaient offerts à la dévotion des
chrétiens.

414 Sur cet étonnant objet, voir Thomas HEAD, « Art and Artifice in Ottonian Trier », dans Gesta, 36/1, 1997, p.
65-82. L‟inscription de la table d‟autel dit bien : HOC ALTARE CONSECRATUM EST IN HONORE SANCTI ANDREAE
APOSTOLI. Une autre inscription donne la liste des reliques (dont la catena sandalium sancti Andreae) et désigne
l‟objet comme sacrum reliquiarum conditorium (FAVREAU, « Les inscriptions », p. 330). Pour le
rapprochement avec Rom. 10, 15 (« Que les pieds de ceux qui annoncent l‟Évangile de paix sont beaux ! »), voir
PALAZZO, L’espace rituel, p. 175-176. Thomas HEAD, « Art and Artifice », p. 80, note 79, suggère
prudemment que le pied d‟André était amovible, ce qui aurait pu permettre d‟obtenir un autel utilisable.
415 Robert BARTLETT, How can the Dead do such Great Things ? Saints and Worshippers from the Martyrs to

the Reformation, Princeton, 2013, p. 267-268. En rapport avec l‟art du cristal : H. R. HAHNLOSER, « Début de
l‟art des cristalliers aux pays mosans et rhénans : les monuments historiques de la France », dans Les trésors des
églises de France, Paris, 1966, p. 19 sq.

189
La « lanterne de
Bégon », propriété de
l‟église de Sainte-Foy
de Conques, contenait
des restes d‟Hababuc,
de Daniel et des trois
Hébreux. Elle avait
peut-être été conçue
comme une
monstrance dès sa
fabrication avant
1007 . À la fin du IXe
416

siècle, la Vita
d‟Hathumoda de
Gandersheim (ý 874)
rapportait déjà qu‟un
cristal de roche
contenant une relique
avait été suspendu au
lit de la sainte417. Plus
important que ces cas
relativement isolés, on
assiste à l‟époque de
Wibald à une volonté
de théâtraliser le
dispositif reliquaire,
principalement pour le
lignum crucis. Le
triptyque de la vraie
croix, originaire de
Stavelot et aujourd‟hui
conservé à New York,
reprenait deux
reliquaires byzantins
Autel portatif de Stavelot, tablette inférieure, Bruxelles, MRAH dont le plus grand
permettait de voir les
morceaux du saint bois selon un double dispositif, puisqu‟après l‟ouverture des volets
latéraux, ceux-ci apparaissaient ensuite sous un cristal418. Cette formule particulièrement

416 La France romane au temps des premiers capétiens (987-1152), Paris, 2005 (catalogue d‟exposition), nþ 207,
p. 270-271
417 Erat autem cristallus cum reliquiis sanctorum lectulo eius appensus, MGH SS 4, p. 172, cité par C. HAHN,

Strange Beauty, p. 190. Hahn, ibid., reproduit p. 191 des reliquaires en cristal de roche du trésor de la cathédrale
de Quedlinburg faits à partir d‟objets fatimides (voir infra).
418 William M. VOELKLE, The Stavelot Triptych : Mosan Art and the Legend of the True Cross, Catalogue

Pierpont Morgan Library, New York, 1980 ; Kelly McKAY HOLBERT, Mosan Reliquary Triptychs and the
Cult opf the True Cross in the Twelft Century, PHD diss., Yale University, 1995. Voir aussi une étude de Guy
Lobrichon sur ce triptyque, éditée avec Philippe George dans son ouvrage, L’art wallon aux États-Unis. Histoire

190
originale (il s‟agit peut-être du premier triptyque composé en Occident) fut souvent reprise.
Le dévot était ainsi conduit non seulement vers la relique mais aussi vers la vision de la
relique. Pour en revenir à notre autel, le fait d‟avoir inséré un cristal de roche au centre de la
composition participait d‟une logique assez semblable puisqu‟il s‟agissait de faire voir un
signe placé au cœur d‟un dispositif complexe. La présence du cristal de roche sur tel ou tel
autel est certes attestée avant Wibald, mais il s‟agissait alors d‟ajouter un ornement et non
d‟ouvrir une fenêtre419. À Stavelot, de même que l‟on exposait le bois de la croix sur un
triptyque, on donnait à voir sur l‟autel quelques mots clé de la liturgie de la messe, ce qui était
une autre façon de suggérer le Christ. L‟autel conçu, selon toute probabilité, par Wibald,
annonce donc dans une certaine mesure, sur un mode original et sans postérité directe, les
monstrances qui apparaîtront plus tard420.

Triptyque de Stavelot (New York, Pierpont Morgan Library)

de l’art en Wallonie des origines à 1789 et de sa présence dans les collections américaines. Essai, Namur, sous
presse. Exemples de croix reliquaires en forme de triptyques dans Ornamenta Ecclesiae, 3, p. 145-152. Les
reliquaires-monstrances se multiplient à partir de la première moitié du XIII e siècle
419 Les cas connus sont italiens. Le plus ancien remontre à l‟année 768 : Theo JÜLICH, « Gemmenkreuze : die

Farbgkeit ihres Edelsteinbesatzes bis zum 12. Jahrhundert », dans Aachener Kunstblätter, 45/55, 1986-1987, p.
99-258, ici p. 126. François BOUGARD, « Trésors et mobilia italiens du haut Moyen Âge », dans Jean-Pierre
CAILLET & Pierre BAZIN (éd.), Les trésors de sanctuaires, de l’Antiquité à l’époque romane, Paris, 1996, p.
161-197, ici p. 186, donne un exemple de l‟année 1022. Cf. HAHN, Strange Beauty, p. 268, n. 40.
420 Frédéric TIXIER, La monstrance eucharistique (XIII e-XVIe siècle), Rennes, 2014.

191
Le parchemin qui était mis en valeur n‟était-il pas lui-même perçu comme une sorte de
substitut du corps saint ? Il est difficile en effet de ne pas le rapprocher des authentiques de
reliques qui avaient à peu près la même taille et qui possédaient sans doute un statut assez
ambigu puisque, portant les noms des saints et placées au contact direct de leurs corps, elles
tendaient à devenir elles-mêmes des sortes de reliques de contact421. Ici le triple Sanctus, qui
annonçait le début du canon et de la consécration transformatrice, évoquait le corps du Christ,
il en était un peu l‟authentique. Ce rapprochement entre les reliques des saints et le corpus
Christi, s‟il n‟est guère pensable dans le christianisme antique, ne doit pas surprendre pour
l‟époque considérée. Depuis l‟époque carolingienne en effet, dans un contexte de réalisme
eucharistique sans cesse plus affirmé, le corps du Sauveur s‟était peu à peu imposé comme la
première des reliques. Peter Browe et plus récemment Godefridus J.C. Snoek ont donné de
nombreux exemples de son assimilation croissante avec le corps des saints422. Dès le milieu
du VIIIe siècle, l‟Ordo romanus XLII recommandait de placer dans l‟autel, avant même les
indispensables reliques, trois fragments du corps du Christ et trois grains d‟encens423. En 816,
le concile de Chelsea mentionnait quant à lui, pour le même usage, une capsula contenant
l‟Eucharistie et « d‟autres reliques » (cum aliis reliquiis)424. À partir de Guillaume Durand
(ý 1296) se répandit même l‟idée qu‟en l‟absence de reliques, on pouvait ne placer que
l‟Eucharistie dans l‟autel425. L‟assimilation à un corps saint était ainsi poussée jusqu‟au bout,
et l‟on connaît, par exemple chez Conrad d‟Eberbach, des histoires miraculeuses d‟hosties
retrouvées incorrompues dans des autels longtemps après leur enfouissement426.

Dans ce dispositif de mise en valeur du corps par les mots, le choix du cristal n‟apparaît pas
anodin. Il n‟a rien d‟exceptionnel pour cette époque et peut être mis en relation, nous venons
de le voir, avec un désir croissant de montrer un contenu. Dans les régions rhéno-mosanes, les
objets cultuels utilisant le cristal de roche sont très nombreux à partir du XIIe siècle. Une
influence orientale indirecte n‟est sans doute pas étrangère à cette situation, l‟Égypte fatimide
ayant largement utilisé le cristal à la fin du Xe et au XIe siècle, le chargeant déjà d‟une forte
valeur symbolique427. En contexte chrétien, cette pierre transparente suggérait sans doute à
peine moins le corps du Christ que les mots préludant au début du canon. Il existait en effet
une riche exégèse du cristal de roche, mentionné dans les psaumes, dans l‟Ecclésiaste, dans

421 Le rapprochement entre reliques et authentiques de reliques est opéré de façon convaincante par Paul
BERTRAND, « Authentiques de reliques: authentiques ou reliques? », dans Le Moyen Âge, 112, 2006, p. 363-
374 et par Philippe GEORGE, Reliques. Le quatrième pouvoir, Nice, 2013, p. 98-105 (p. 101: « les authentiques
ont été considérées comme des reliques authentiques, ce qui explique leur bonne conservation »).
422 Peter BROWE, Die Verehrung der Eucharistie im Mittelalter, Munich, 1933, et Godefroy J. C. SNOEK,

Medieval Piety from Relics to the Eucharist. A Process of Mutuel Interaction, Leyde, 1995 (Studies in the
History of Christian Thought, 63).
423 Michel ANDRIEU (éd.), Les Ordines Romani du haut Moyen Âge, IV, Louvain, 1956, p. 394.
424 MANSI, Sacrorum conciliorum novissima et amplissim collectio, XIV, col. 356. Pour cet exemple et ceux

qui suivent, voir SNOEK, Medieval Piety, p. 186 sq.


425 Guillaume DURAND, Rationale, éd. Anselme DAVRIL et T.M. THIBODEAU, Turnhout, 1995 (CC CM

140), I, 7, 3, l. 225 et Pontificale, II, 2, 3 (éd. Michel ANDRIEU, Le pontifical romain au Moyen Âge. III Le
pontifical de Guillaume Durand, Città del Vaticano).
426 Conrad d‟Eberbach, Exordium magnum Cisterciense, III, 25, éd. B. GRIESSER, Turnhout, 1994 (CC CM

138), l. 80-82.
427 Sophie MAKARIOU, « Le cristal de roche islamique et ses avatars liturgiques dans l‟Occident romain »,

dans Cahiers de Saint-Michel de Cuxa, 37, 2006, p. 239-247. On peut aussi citer, parmi d‟autres objets, la
remarquable croix-reliquaire de Borholst dans laquelle sont enchassés deux flacons fatimides en cristal de roche
qui laissent apparaître un récipient contenant le sang du Christ : Ornamenta Ecclesiae, III, p. 106-108. Cette
croix, conservée au Westfälisches Landesmuseum de Münster, a été volée en octobre 2013.

192
Ézéchiel et surtout dans l‟Apocalypse428, et les différents auteurs rapprochaient classiquement
cette pierre merveilleuse de la figure du Christ. Dans son De universo, Raban Maur lui
consacre un chapitre et lui attribue trois significations : le sacrement du baptême, la « fermeté
des saints anges » et l‟incarnation du Seigneur. Eau et roche à la fois, le cristal rappelle aussi
bien la vie fluctuante du Christ que son immuable solidité après la Résurrection429. Rupert de
Deutz, un auteur proche de Wibald dans le temps et dans l‟espace, souvent cité, pour cette
raison, comme une source importante des constructions exégétiques de l‟art mosan du XIIe
siècle, dit à peu près la même chose dans son commentaire de l‟Apocalypse : « le cristal est
une pierre qui a été transformée en pierre solide à partir de l‟eau et par la glace ; le corps du
Christ était fait d‟eau en raison de sa fragile et mortelle condition, mais maintenant il a été
consolidé d‟une éternelle solidité par la gloire de la résurrection »430. Honorius
Augustodunensis, auteur d‟un De divinis officiis dont Suzanne Wittekind rappelle à juste titre
l‟influence au XIIe siècle, écrit quant à lui en décrivant les rites de la semaine sainte que « le
cristal transparent est la chair du Christ devenue diaphane dans la résurrection »431.

Il est inutile de multiplier les exemples. Le cristal était le corps du Christ, ce que renforçait
sans doute d‟ailleurs, tacitement, la quasi homonymie de Christus et de crystallus432. On peut
d‟autre part se demander, certes prudemment, si dans le contexte de la messe, l‟usage du
cristal ne rappelait pas aussi la transformation eucharistique. Depuis Pline l‟Ancien en effet,
on expliquait l‟origine de cette pierre par un phénomène de transformation de l‟eau en glace,
puis par la pétrification de celle-ci. Cette conviction avait été relayée par Isidore de Séville et
elle était universellement répandue au XIIe siècle433. Or les termes utilisés à propos du cristal
rappellent fortement ceux qui servaient à décrire la transformation eucharistique : ainsi dans le
texte de Rupert de Deutz déjà cité, l‟adjectif transmutata précède directement la mention du
corpus Christi434. Il n‟était donc guère possible à un clerc lettré du XIIe siècle de ne pas

428 Ps 147, 17 ; Eccl, 43, 22 ; Ezech, 1, 22 ; Ap 4, 6 ; 21, 11 et 22,1. Sur la symbolique des pierres précieuses au
Moyen Âge, on pourra consulter Christel MEIER, Gemma spiritalis. Methode und Gebrauch der
Edelsteinallegorese vom frühen Christentum bis ins 18. Jahrhundert, Munich, 1977 (Münstersche Mittelalter-
Schriften, 34/1), qui ne recense cependant pas les textes qui suivent.
429 Raban Maur, De universo, XVII, 9, PL 111, col. 472 C-474 A: Crystallus aliquando significat baptismi

sacramentum, aliquando firmitatem sanctorum angelorum, aliquando etiam incarnationem Dominicam, ibid.,
472 C-D. Corpus autem Redemptoris nostri quia usque ad mortem passioni subjacuit, aquae simile juxta aliquid
fuit: quia nascendo, crescendo, lassescendo et esuriendo, sitiendo, moriendo, usque ad passionem per momenta
temporum mutabiliter decurrit, ibid., 473 B.
430 Crystallus namque lapis est ex aqua per glaciem in soliditatem lapideam transmutata et corpus christi pro

conditione fragili atque mortali erat aqua nunc autem per gloriam resurrectionis solidatum est soliditate
aeterna, Rupert de Deutz, Commentarium in Apocalypsim, III, 4, PL 169, col. 911 C.
431 Crystallus perspicua, est Christi caro in resurrectione perlucida, Honorius Augustodunensis, Gemma animae

sive de divinnis officiis, PL 172, III, 100, col. 668 B-C. Pour une mise en relation poussée de l‟autel de Stavelot
avec l‟oeuvre d‟Honorius (pour la scène de la Passion), WITTEKIND, Altar Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, p. 65-71.
432 Ainsi que le suggère Sophie MAKARIOU, « Le cristal de roche islamique », p. 245. Le cristal, traversé par la

lumière sans être endommagé, pouvait aussi signifier la virginité de Marie : ainsi chez Hildebert de Lavardin,
Adam de Saint-Victor etc. Voir B. Jollès, « La formulation de la virginité de Marie dans la poésie latine
médiévale », dans Jean LONGÈRE (dir.), La virginité de Marie, Paris, 1998 (Société française d‟études
mariales. Session 53), p. 137-155, ici p. 153-154. Je remercie Adrienne Hamy d‟avoir attiré mon attention sur ce
dernier point.
433 Pline, Hist. nat., XXXVII, 23. Isidore : Étym., XVI, 13, 1.
434
Voir supra. C‟est par ailleurs l‟époque où la polémique anti-hérétique sur l‟Eucharistie met en valeur les
concepts de transformation, de transmutation et de transsubstantiation, ce dernier terme apparaissant en 1140. La
transformation de l‟eau en glace est un argument courant: voir D. IOGNA-PRAT (que je remercie pour ces
précisions), Ordonner et exclure. Cluny et la société chrétienne face à l’hérésie, au judaïsme et à l’islam, 1000-
1150, Paris, 1998, p. 148.

193
rapprocher les deux opérations, transformation de la glace en cristal et transformation de
l‟hostie en corps du Christ. La pierre d‟autel de Stavelot, qui recouvrait en les donnant à voir
les mots précédant le canon, était aussi le signe du Sauveur incarné. Il n‟est pas indifférent à
cet égard de constater que le cristal fut surtout utilisé à cette époque pour des objets qui
avaient un rapport direct avec le Christ. La référence au corpus Christi s‟imposait parfois
d‟elle-même, ainsi pour la croix de Scheldewindeke (vers 1170-1180), composée de plusieurs
blocs de cristal de roche. Aux quatre extrémités des quatre bras, des plaques émaillées
représentent, dans une perspective typologique l‟Église, la Synagogue et la veuve de Sarepta,
ainsi qu‟un ange portant le globe et l‟agnus Dei. La croix est aniconique et en son centre, à la
place normalement dévolue au crucifié, on a placé le plus gros des blocs de cristal. Sous celui-
ci, bien visible, un parchemin en partie effacé portait sans doute les lettres INPI 435 : pouvait-
on suggérer plus clairement que ce morceau de cristal était le Christ ?

Croix de Scheldewindeke, Bruxelles, MRAH

435 Rhin-Meuse, p. 260 ; La salle aux trésors, p. 28-29. Première tentative de déchiffrement des quelques lettres
lisibles sur le parchemin : R. PETRUCCI, « The Scheldewindeke Cross », dans The Burlington Magazine for
Connoisseurs, Vol. 3, No. 9, 1903, p. 294-295 et 297-298, ici p. 294.

194
De même, sur une autre croix
originaire de Rhénanie (milieu
du XIIIe siècle), elle aussi faite
en cristal de roche, on peut
distinguer à la croisée, sous une
pierre carrée, un parchemin
représentant la crucifixion
enroulé autour du bois436 (ci-
contre). Nous ne savons pas si
l‟autel de Stavelot inspira,
directement ou indirectement,
ces croix, ou bien si les trois
objets participent d‟un modèle
commun. N‟oublions pas non
plus cet autel colonais qui
permettait de voir, sous un
cristal, un parchemin enluminé
représentant le Christ en
majesté437. Quoi qu‟il en soit, le
lien entre le Sauveur et la pierre
Croix rhénane, Munich, Bayerisches Nationalmuseum translucide apparaît
consubstantiel. En témoigne
encore, si l‟on veut bien se placer cette fois-ci, sans doute, en amont de l‟autel de Stavelot, ce
fameux vitrail de Chalons-en-Champagne qui offre une iconographie particulièrement proche
de celle de l‟autel de Stavelot438 : aux quatre écoinçons de la partie centrale, on trouve de
gauche à droite et de bas en haut Osée, Job, David et Samson portant les portes de Gaza. Les
quatre lobes entourant le cadre central donnent à l‟ensemble la forme d‟un « phylactère » et
proposent des images que nous avons déjà rencontrées439 : l‟Église et la Synagogue, le
sacrifice d‟Isaac, enfin Moïse et le serpent d‟airain. Or la partie centrale de la composition,
celle qui correspondrait sur l‟autel de Stavelot au cristal de roche, est occupée par une scène
de crucifixion. Cette dernière a été en quelque sorte « remontée » sur notre autel au sommet
de la composition, mais on voit bien, là encore, que le cristal était le signe du Christ.

436 Ornamenta Ecclesiae, I, C 45, p. 466 ; Rhin-Meuse, M 9, p. 353. On pourrait citer d‟autres exemples : ainsi
cette croix typologique de la seconde moitié du XII e siècle qui représente sur des plaques émaillées Caïn et Abel
offrant l‟agneau et la gerbe de blé, Aaron inscrivant le tau sur le front des israélites, une figure inscrivant le tau
sur les portes des maisons et, comme sur l‟autel de Stavelot, Moïse et le serpent d‟airain. Les extrémités des
quatre branches et surtout la croisée sont occupées par des cabochons de cristal de roche. Cf. La salle aux
trésors, p. 30-31 et surtout Sophie BALACE, « Croix typologique », dans L’œuvre de la Meuse, p. 57-61.
437 Voir supra.
438 Voir supra. GRODECKI, « À propos des vitraux », p. 326-327, présente en vis-à-vis des reproductions du

vitrail de Chalons et de l‟autel de Stavelot.


439 Étienne BERTRAND, « Phylactères », avec rapprochement entre l‟autel de Stavelot et le vitrail de Chalons,

p. 107.

195
Ce n‟était cependant pas une hostie que
le fidèle pouvait admirer sous le cristal,
mais bien trois mots. Ceux-ci
pouvaient-ils donc avoir un statut se
rapprochant peu ou prou de celui des
corps saints ? Assurément. Pour nous
en convaincre, il faut maintenant prêter
attention au traité sur les reliques de
Théofrid d‟Echterbach, une œuvre elle
aussi composée en terre d‟Empire,
environ un demi-siècle avant l‟autel de
Stavelot (entre 1098 et 1104-1105).

Vitrail de la Rédemption
Chalons-en-Champagne, Cathédrale

Mots-objets. Les mots comme reliques.

Théofrid, l‟auteur des Flores epytaphii sanctorum (« Les fleurs du tombeau des saints ») était
moine à Echternach, un monastère qui abritait le corps de Willibrord et qui se trouve
aujourd‟hui au Luxembourg, à une centaine de kilomètres de Stavelot. Ses Flores sont avec le
De pignoribus sanctorum de Guibert de Nogent l‟un des deux traités consacrés aux reliques
au cours du Moyen Âge440. On n‟en connaît que trois manuscrits, deux étant originaires
d‟Echternach et le troisième de Trèves. Il n‟est pas totalement impossible que cette œuvre ait
été lue à Stavelot à l‟époque de Wibald et de son frère. Les liens entre les deux abbayes sont
en effet bien attestés à cette époque : dans l‟obituaire d‟Echternach, composé vers 1123-1150
et ultérieurement supplémenté, on ne compte pas moins de 91 moines de Stavelot et 39 de

440
Voir l‟édition de Michele Camillo FERRARI, Turnhout, 1996 (CC CM 133), avec l‟introduction. ID.,
« Lemmata sanctorum. Thiofrid d'Echternach et le discours sur les reliques au XII e siècle », dans Cahiers de
civilisation mediévale, 38, 1995, p. 215-225. Je me permets de renvoyer aussi, sur le chapitre abordé ici, à mon
article, « Invocatio santificatorum nominum. Efficacité de la prière et société chrétienne (IXe-XIIe siècle) », dans
Jean-François COTTIER (éd.), La prière en latin, de l’Antiquité au XVIe siècle. Formes, évolutions,
significations, Turnhout, 2006 (Collection d’études médiévales de Nice, 6), p. 229-244, ici p. 236-241.

196
Malmedy441. Au siècle précédent déjà, le collectaire de Thierry de Stavelot (abbé de 1048 à
1080) semble avoir été influencé par le style d‟Echternach442. En tout état de cause, si la
connaissance à Stavelot des Flores epytaphii sanctorum relève de la conjecture, il faut
souligner la communauté des pratiques cultuelles et des références culturelles de ces deux
monastères bénédictins d‟Empire ainsi que leur appartenance à un même réseau.

L‟ouvrage de Théofrid s‟organise en quatre livres qui renferment tous symboliquement sept
chapitres. Le premier traite des reliques des saints proprement dites et de la sanctification de
la matière par Jésus Christ. Le second s‟intéresse aux tombeaux, aux ornements et aux
reliquaires. Les troisième et quatrième abordent la question de ce que Théofrid nomme les
appendicia exteriora, c‟est-à-dire les objets qui, ayant été en contact avec le corps d‟un saint,
fournissent des reliques secondaires. Suivant un ordre hiérarchique, le premier chapitre du
livre trois s‟occupe de l‟« appendice extérieur » le plus noble parce que le plus près des corps
saints. Or il ne s‟agit pas d‟un objet ou d‟un vêtement mais bien, comme le dit Théofrid, de
« la grâce et de la puissance du nom des saints »443. Tout ce passage explique longuement
comment ces noms participent du Verbe de Dieu et permettent, par leur invocation, d‟obtenir
des miracles de toutes sortes. Or les arguments du moine d‟Echternach peuvent nous aider à
comprendre la symbolique du parchemin portant le triple Sanctus.

- Réserver un chapitre liminaire aux noms des saints dans un traité consacré aux reliques,
avant tous les autres appendicia exteriora, indique clairement l‟absence de toute différence de
nature entre les reliques matérielles et les mots ainsi que le statut « extérieur », quasiment
tangible, de certaines paroles. Or l‟emplacement du Trisagion sur la tablette de l‟autel, sous
son cristal de roche, permet de le considérer comme une parole matérialisée et donc de le
ranger dans la catégorie des reliques. Le texte même du Sanctus mentionne d‟ailleurs, comme
en écho aux développements de Théofrid, le nom de Dieu : Sanctus, Sanctus, Sanctus /
Dominus Deus Sabaoth. / Pleni sunt caeli et terra gloria tua. / Hosanna in
excelsis. /Benedictus qui venit in nomine Domini. / Hosanna in excelsis. « Béni soit celui qui
vient au „nom du Seigneur‟ ».

- Pour Théofrid, les nomina ont un pouvoir supérieur aux autres reliques car ils ne sont pas
limités par les contraintes d‟espace. Ils se situent donc dans une logique d‟éternité, ils sont
toujours accessibles, à la différence des reliques corporelles. De même, les mots du Trisagion
dotent l‟autel de Stavelot d‟une sorte d‟efficacité liturgique permanente. On se doit ici de
rappeler l‟existence d‟une autre pratique, caractéristique de certaines régions méridionales :
en Catalogne et en Languedoc, il était en effet de règle depuis l‟an Mil au moins d‟ensevelir
dans l‟autel, en marge des reliques que l‟on y scellait, un parchemin contenant les dix

441 A. STEFFEN, « Das alteste erhaltene Obituar der Abtei Echternach », dans T’Hemecht, t. XIV, 1961, p. 5-109
et Philippe GEORGE, « Les confraternités de l'abbaye de Stavelot-Malmedy », dans Bulletin de la Commission
Royale d’Histoire, t. CLXI, 1995, p. 105-169. Je remercie Philippe George de m‟avoir éclairé sur la question des
relations entre Stavelot et Echternach. Son article donne d‟autres références que celles qui sont citées ici. Un
accord de confraternité entre Echternach et Stavelot est mentionné dans une liste copiée au XIV e siècle en marge
de la Bible de Stavelot.
442 François MASAI, « Les manuscrits à peintures de Sambre et Meuse aux XI e et XIIe siècles » dans Cahiers de

Civilisation Médiévale, 1960, p. 169-189, ici p. 184.


443 De sanctorum nominum gratia et potentia, éd. M. C. FERRARI, p. 56.

197
commandements et le début des quatre évangiles444. Là aussi, les mots étaient liés à l‟autel
dans une association pérenne qui « activait » la parole de Dieu.

- L‟écriture n‟était pas considérée au Moyen Âge dans une relation d‟opposition à la
performance orale, elle en était le prolongement. Théofrid précise que si les nomina des
saints ne sont pas prononcés mais écrits in schedulis, ils restent parfaitement efficaces et
peuvent guérir différents types de maladies445. En d‟autres termes, écrits ou prononcés, les
nomina sont toujours des nomina.

- En s‟interrogeant sur le mode d‟efficacité des reliques, Théofrid nous aide aussi à
comprendre comment les mots pouvaient agir. Il utilise pour ce faire le concept clé de
transfusio, la puissance divine étant transfusée dans la chair et les ossements, puis dans les
objets qui les abritent. Ici comme ailleurs, le Christ est le paradigme de toute chair puisque
« la grâce de l‟incorruptibilité et de la sanctification a été transfusée de la chair incorruptible
du Seigneur dans la chair de tous les saints »446. Or les noms des saints étaient de la même
façon dépositaires d‟une virtus par proximité avec le Verbe incarné et le nom de Dieu447. Mais
Théofrid signale aussi, et il convient d‟insister sur ce point, que la « transfusion » atteint les
« couvertures » (operimenta, tegmina) des reliques, comprenons les contenants, les
reliquaires448. Comment ne pas penser ici à l‟autel de Stavelot, qui est en quelque sorte la
« couverture » du trisagion ? L‟efficacité du mot s‟étend à l‟objet, reliquaire ou
autel/reliquaire. Dans un aller-retour permanent entre reliques des saints et corps du Christ,
Théofrid précise d‟ailleurs que les contenants des reliques ont une fonction comparable à celle
du pain et du vin, qui abritent le corps et le sang du Christ 449. Cette comparaison semble
particulièrement opératoire pour l‟autel de Stavelot. Le parchemin et les mots qui le marquent
peuvent être considérés comme un réceptacle de la parole sacrée, qui passe par les paroles du
prêtre (et l‟on sait qu‟au moment de la consécration, selon tous les commentateurs, le Christ
s‟exprime par la bouche de celui-ci). Ce premier support, le parchemin, est lui-même inséré
dans un autre contenant, le reliquaire/autel, qui abrite également les reliques des saints. Il y a
donc un feuilletage des « couvertures », un emboîtement des contenants.

En définitive, le dispositif de l‟autel de Stavelot matérialise et valorise les mots de la


liturgie comme des objets, il les « présentifie », pour reprendre un concept parfois utilisé par
les historiens des images. Les paroles sont écrites et présentées sur un support qui devient
objet d‟admiration par lui-même. Les mots sont des « mots-objets », de même qu‟il existe des

444 Voir Patrick HENRIET, « Audi Israel. Le parchemin de consécration et la parole de Dieu dans l‟autel
(Catalogne et Languedoc, XIe-XIIIe siècle) », dans La parole sacré. Formes, fonctions, sens (XIe-XVe siècle)
Toulouse, 2013 (Cahiers de Fanjeaux, 46), p. 67-106.
445 Per uerba illorum absentium non uoce prolata sed in scedulis digesta, ut ueridica testantur scripta,

diuersarum egritudinum curantur incommode (…), éd. M. C. FERRARI, p. 58.


446 Nam sicut de incorruptibili carne dominica in omnem sanctorum carnem incorruptionis et sanctificationis

transfusa est gratia…., ibid., III, 4, p. 67.


447 Vnum sunt cum Verbo incarnato et nomine Domini infinito, ideoque sicut illud ubique totum est et summe

prodest, sic illa tota sunt et affatim prosunt quandocumque et ubicumque secundum fidem promerentium necesse
est, ibid., III, 1, p. 60.
448 (…) sic de uestitura eius dispensatoria et mystica in omnia sanctificatorum somatum qualiacumque tegmina

inenarrabilis translata est uirtutum affluentia, ibid.


449 Ibid., II, 3, p. 39. Le « voile du pain et du vin » (panis et uini uelamen), de même que, pour les reliques, les

« objets précieux et l‟or » (auro et quibusque rerum utensilium) permettent d‟éviter aux hommes la vue des
cruda et cruenta. Dans cette optique, l‟autel de Stavelot donne à voir une évocation du corps du Christ qui n‟a
rien de choquant, puisqu‟elle a l‟apparence d‟un cristal translucide et de trois mots sur un parchemin.

198
« images-objets ». Reprenant un concept créée par Jean-Claude Bonne, Jérôme Baschet a
défini ces dernières comme des images « inséparables de la matérialité de leur support, mais
aussi de leur existence comme objet, agi et agissant, dans des lieux et des situations
spécifiques, et impliquées dans la dynamique des rapports sociaux et des relations avec le
monde surnaturel »450. De cette définition, on retiendra tout spécialement l‟importance de la
matérialité du support ainsi que l‟implication dans une dynamique relationnelle qui engage ici
le célébrant, les fidèles et bien entendu le Christ. Les mots agissent depuis l‟épaisseur
matérielle qui les pérennise tout en les donnant en voir. Le corps des mots suggère le corps du
Christ.

Le sacramentaire de Wibald et les gloses du canon de la messe

Que l‟autel ait été réalisé sous l‟abbatiat de Wibald ou sous celui de son frère, il est un
manuscrit qui, dans tous les cas, peut nous permettre d‟approcher de plus près la façon dont
on comprenait alors à Stavelot la célébration eucharistique, la consécration du pain et du vin
et leur transformation en corps et en sang du Christ. Il convient donc de le lire en regardant
l‟autel. Ce sacramentaire (Bibliothèque royale de Belgique, ms. 2034-35), possession
personnelle de Wibald est abondamment pourvu de gloses marginales qui révèlent les points
que son possesseur, vraisemblablement auteur de ces commentaires, jugeait capitaux451. Si les
auteurs mis à contribution par le glossateur ont été, pour l‟essentiel, signalés, les gloses elles-
mêmes restent inédites452. Nous proposons donc en annexe de ce travail une première édition
de celles qui accompagnent la préface et le canon de la messe, ce qui inclut bien entendu le
triple Sanctus. Les textes retenus par Wibald sont exclusivement bibliques ou patristiques.
Cependant les citations sont souvent indirectes car elles ont été relayées par des auteurs tel
que le pseudo Alcuin, Burchard de Worms ou encore la glose dite ordinaire. Les auteurs les
plus utilisés sont saint Ambroise, Grégoire le Grand et saint Paul, suivis d‟Augustin, d‟Eusèbe
gallican, de Cyprien, du pape Alexandre Ier (en réalité un passage des décrétales pseudo-
isidoriennes) et d‟Hilaire de Poitiers (mais il s‟agit, cette fois-ci, d‟un texte du véritable
Isidore)453. Les principaux thèmes sur lesquels insistent les gloses et donc, très certainement,
Wibald, sont les suivants :

450 La notion d‟image-objet a d‟abord été proposée par Jean-Claude BONNE, « Représentation médiévale et lieu
sacré », dans Sofia BOESCH GAJANO et L. SCARAFFIA (éd.), Luoghi sacri et spazi della santità, Turin,
1990, p. 566. Voir Jérôme BASCHET, L’iconographie médiévale, Paris, 2008, p. 25-64 (d‟où, p. 33-34, la
définition reprise ici).
451 Wibald comme auteur des gloses : Timothy REUTER, « Gedenküberlieferung und Ŕpraxis im Briefbuch

Wibalds von Stablo », dans Karl SCHMID & Joachim WOLLASCH (éd.), Der Liber Vitae der Abtei Corvey.
Studien zur Corveyer Gedenküberlieferung und zur Erschließung des Liber Vitae, Wiesbaden, 1989, p. 161-177
et Susanne WITTEKIND, Altar Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, p. 355 (« Das Sakramentar ist daher ein wichtiges,
wissenschaftlich bischer noch nicht genutztes Zeugnis von Wibalds persönlicher Auseinandersetzung mit
theologischen und liturgischen Fragen »). Sur le sacramentaire comme possession personnelle de Wibald, cf.
infra.
452 Susanne WITTEKIND, Altar Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, propose p. 364-369 une liste des sources utilisées dans

les gloses, d‟après les titres de celles-ci. Ce travail fort utile n‟est cependant qu‟une première étape, car les noms
annoncés peuvent dissimuler d‟autres auteurs. Ainsi, dans les seules gloses que nous retranscrivons infra, un
texte attribué à Hilaire de Poitiers est d‟Isidore de Séville, le même Isidore se dissimule dans un passage attribué
à Augustin etc.
453
Pour les références précises aux textes utilisés, nous renverrons à l‟édition ci-dessous.

199
- L‟Eucharistie est pour les chrétiens ce que fut la manne pour le peuple juif (Augustin).
Cependant l‟Église a remplacé la Synagogue, de même que le dimanche a remplacé le sabbat
(Eusèbe gallican). Cette insistance sur le passage de l‟ancienne à la nouvelle Loi acquiert
évidemment une résonnance particulière si on la rapporte à l‟iconographie de l‟autel, puisque
l‟Église victorieuse et la Synagogue aveugle y figurent au premier plan.

- Le sacrifice eucharistique doit être quotidien (presque tous les auteurs sont ici convoqués :
Augustin ; Cyprien ; Hilaire/Isidore, Ambroise). Cette insistance est adaptée au monde
bénédictin dans lequel vivait Wibald, un monde de moines-prêtres peuplant de grands
monastères dans lesquels on disait quotidiennement plusieurs messes privées.

- L‟Eucharistie est une médecine qui efface les péchés. Elle est donc nécessaire et réitérable à
l‟infini, ce qui renvoie au point précédent (Ambroise, Alexandre, Grégoire, Hilaire/Isidore). Il
convient cependant d‟être pur pour approcher le corps du Christ, comme le rappelle une
citation de saint Paul.

- La manne/hostie est dotée d‟une virtus (le mot est utilisé par Eusèbe gallican) qui assure
définitivement le primat de la qualité sur la quantité. L‟Eucharistie échappe ainsi aux lois de
la nature. En d‟autres termes, ce qui est rare ou petit n‟est pas moins efficace que ce qui est
abondant. On ne peut s‟empêcher de mettre en relation cette affirmation avec la spécificité de
l‟autel portatif, un objet qui est une reproduction en réduction de l‟autel principal, lui-même
figure de l‟alliance entre Dieu et les fidèles.

- La transformation est réelle, le pain et le vin deviennent vraiment le corps et le sang du


Christ. Wibald s‟appuie essentiellement sur Ambroise pour rappeler ce point capital. On
notera que le traité sur les reliques de Théofrid d‟Echternach, que nous avons largement mis à
contribution, contient aussi un passage anti-bérengarien sur la réalité de la transformation454.

- Lors de la célébration, aux mots du prêtre, les cieux s‟ouvrent, le terrestre rencontre le
céleste et « les choeurs des anges sont là dans le mystère de Jésus Christ » (Grégoire). C‟est
cette glose tirée du pseudo Alcuin mais attribuée à Grégoire qui figure dans le sacramentaire
en face du Sanctus. Rappelons que le Sanctus est l‟acclamation chantée par les séraphins mis
en présence du Seigneur.

- On notera enfin le rôle dévolu dans ces gloses au pape Alexandre Ier (107-116), dont le Liber
pontificalis signalait qu‟il avait ajouté au canon de la messe « les mots de la passion du
Seigneur ». Ce choix n‟est pas anodin puisque Stavelot possédait le chef du pape,
splendidement mis en valeur sous l‟abbatiat de Wibald455. La centralité du monastère de
Stavelot dans le dispositif eucharistique était ainsi affirmée.

Si aucune de ces gloses ne surprend, l‟ensemble qu‟elles composent permet de tenir sur la
messe un discours très cohérent et très complet qui apparaît parfaitement en phase avec
l‟iconographie de l‟autel, avec sa théologie et avec son Sanctus.

Théofrid d‟Echternach, Flores epytaphii sanctorum, IV, 2, p. 88, et éd. FERRARI p. XLX-LIX.
454

Sur le « chef-reliquaire » du pape Alexandre, voir WITTEKIND, Altar Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, p. 173-224 et S.
455

BALACE dans L’Œuvre de la Meuse, I, 2014, p. 12-28.

200
Conclusion

Les développements qui précèdent sont loin d‟épuiser une matière déjà abondamment et
remarquablement traitée. Peut-être pourront-ils cependant attirer l‟attention sur quelques
points qui mériteraient de plus amples recherches. Les liens de l‟autel de Stavelot avec
d‟autres autels comme ceux de Mönchengladbach, de Brunswick ou d‟Eilbertus, pour citer
quelques cas troublants, mériteraient d‟être examinés plus à fond. L‟édition des gloses de
Wibald, lorsqu‟elle sera intégralement réalisée, permettra peut-être d‟approfondir notre
compréhension de cet objet étonnant.

De façon générale, les autels portatifs sont des objets polysémiques qui brouillent toujours un
peu la différence entre autels et reliquaires, et donc entre corps des saints et corps du Christ.
Celui de Stavelot va très loin dans cette direction et anticipe en même temps, à sa façon, la
grande théâtralisation des reliques et du corpus Christi qui caractérise la fin du Moyen Âge. Il
amène par ailleurs à s‟interroger sur la matérialité des mots dans un système où contrairement
à ce qui se passe dans les sociétés modernes, la parole est souvent conçue comme pérenne
voire, si c‟est la parole de Dieu, comme éternelle. Le concept de « mot-objet » nous semble
rendre assez bien compte du choix opéré à Stavelot. De même que les noms des saints, les
mots de la liturgie sont aussi des reliques potentiellement dotées d‟une virtus. Ils renvoient ici
au plus important des miracles, la transformation des espèces eucharistiques. Leur
enchâssement sous le cristal de roche est un moyen de les « réactiver » sans fin, selon une
formule particulière qui trouve cependant des échos dans d‟autres objets comparables456.

L‟autel de Stavelot est aussi petit qu‟il est chargé de sens. Il propose un concentré d‟exégèse
visuelle qui s‟appuie sur une théologie complexe. Au bout du compte, dans un système
d‟Église qui s‟est construit sur la médiation sacramentelle des clercs, sur la réalité de la
transformation des espèces et sur la nécessaire matérialité du sacré, il nous dit assez
clairement à quoi peut ressembler un reliquaire du corps du Christ.

456Susanne WITTEKIND, Altar Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, p. 59, note 28, remarque par exemple que sur l‟autel
d‟Eilbertus, les apôtres disent les vers du Credo que l‟on récite pendant la messe.

201
Annexe

Les gloses de la préface et du canon de la messe


dans le sacramentaire de Wibald

Le sacramentaire aujourd‟hui conservé à Bruxelles (Bibliothèque royale, ms. 2034-35)


mesure 23,5 x 16,5 cm. Il compte 164 folios mais le sacramentaire proprement dit commence
avec le calendrier au folio 18 (écriture du XIIe siècle). Il n‟a certainement pas été conçu pour
l‟abbaye de Stavelot, mais plutôt pour un établissement germanique (on a parlé
d‟Helmarshausen)457. Nous ne présentons pas ici ce manuscrit de façon très détaillée aussi
nous renvoyons à la bibliographie existante458. Il faut cependant souligner qu‟une série de
mentions prouve indubitablement qu‟il était bien la possession de Wibald, qui le rapporta
certainement à Stavelot à une date inconnue :

Folio 7 : Un extrait du De summo bono (ou Sententiae) d‟Isidore de Séville est suivi d‟une
phrase expliquant comment le domnus Wibaldus, qui devint ensuite abbé de Stavelot, se
convertit en lisant ce texte (la phrase est en rouge)459.

Le calendrier contient divers ajouts permettant de retracer la carrière de Wibald : profession à


Waulsort, le 19 mars 1117, investiture comme abbé de Stavelot par Lothaire III le 13
avril 1131, consécration par l‟évêque Alexandre de Liège le 20 avril 1131, investiture comme
abbé du Mont-Cassin le 19 septembre 1137, élection comme abbé de Corvey le 20 octobre
1146, élection comme abbé de Stavelot le 16 novembre 1130, investiture comme abbé de
Corvey le 12 décembre 1146, entrée à Stavelot un 18 décembre460.

La préface et le canon de la messe se trouvent aux filios 29v-32, accompagnés de gloses


marginales. On trouve également des gloses patristiques ou des commentaires en marge du
calendrier (fol. 18-24), en pleine page aux folios 24v-25, 27v-29, 108v-109v, à la fin du folio
143v, au folio 163 et enfin à nouveau sous forme de gloses aux folios 110-143.

457 Voir en particulier l‟étude du calendrier par Jacques STIENNON dans le catalogue Wibald, abbé de Stavelot-
Malmédy, p. 38 sq. (Propre du diocese d‟Utrecht).
458 On peut partir des pages très précises que lui consacre WITTEKIND, Altar Ŕ Reliquiar Ŕ Retabel, p. 353-364.

La description de Joseph Van den GHEYN, Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique. 1.
Écriture sainte et liturgie, Bruxelles, 1901, n° 388, p. 222-224, reste utile. Pour les enluminures, Marie-Rose
LAPIÈRE, La lettre ornée dans les manuscrits mosans d’origine bénédictine (XI e-XIIe siècles), Paris, 1981, p.
286-289.
459 Isidorus in libro de summo bono. Vtile est multa scire et beate uiuere. Quod si utrumque non ualemus, melius

est ut bene uiuendi studium quam multa sciendi studium sequamur. Non pertinere ad beatitudinem
consequendam scientiam rerum, nec esse beatum multum scire, sed esse magnum beate uiuere. Nihil obest
dominum scientibus ignorantia mundi, perfecte autem scit qui Dominum prius et ista non pro se sed propter
Dominum scit. Isidore, Sententiae, II, 1, sent. 11, éd. Pierre CAZIER, Turnhout, 1998 (CC SL 111), p. 93.
460 Ces notices sont publiées par P. Jaffé, Monumenta Corbeiensia, I, Berlin, 1864, p. 74-75.

202
Nous retranscrivons ici les
gloses des folios 29v-31, qui
correspondent à la préface et
au canon. Dans un premier
temps, le scribe donne un texte
ininterrompu, soigneusement
disposé dans la marge (fol.
29v-30). Il est possible que cet
assemblage de citations
compose un ensemble pensé
comme indissociable. Aux
folios 30v-31, les gloses sont
disposées tout autrement :
horizontalement dans la marge
supérieure et verticalement
dans les marges latérales. Elles
sont indépendantes et
composent quatre modules.
Nous avons respecté cette
différence dans la transcription
en donnant un texte sans sauts
de lignes pour les folios 29v-
30461, puis avec sauts de ligne
isolant les différents modules
pour les folios 30v-31. Les
gloses disparaissent à la fin du
folio 31, peu avant le début du Sacramentaire de Wibald, gloses (en bas du folio, le Sanctus)
Memento. Bruxelles, BR Ms. 2034-35, folio 29 verso

Les textes utilisés sont exclusivement bibliques et surtout patristiques. Ils ne correspondent
pas toujours à ce qui est annoncé, ce qui devrait amener à opérer quelques modifications à la
liste donnée par Susanne Wittekind. Ainsi dans un passage attribué à Augustin, on trouve un
extrait du De eclesiasticis officiis d‟Isidore ; la formule sanctus Hilarius episcopus dicit
introduit un autre passage de la même œuvre. Isidore est donc clairement sous-représenté dans
la liste fort utile de Wittekind. Notons enfin que le rapport de Wibald aux textes qu‟il utilise
est souvent indirect. Augustin est cité d‟après la glose dite ordinaire, un passage des
Dialogues de Grégoire est sans doute cité d‟après le Liber de divinis officiis du pseudo
Alcuin, Cyprien et Hilaire/Isidore, peut-être même aussi un extrait des fausses décrétales,
sont cités d‟après le Decretum de Burchard de Worms. Une étude systématique des méthodes
de travail du glossateur permettrait de mieux cerner son identité et de déterminer s‟il s‟agit
bien de Wibald, ce qui est extrêmement probable.

461 Nous allons tout de même à la ligne pour chaque auteur afin de faciliter la lecture.

203
Édition des gloses

(fol. 29v) Beatus Augustinus dicit : « In primo populo unicuique piorum manna secundum
propriam uoluntatem in ore sapiebat, sic in ore uniuscuiusque christiani sacramentum illud,
quo subiugatus est mundus. Nam ille honorando non audet cotidie sumere, et ille honorando
non audet ullo die pretermittere. Contemptum solum non uult iste cibus, sicut manna
fastidium »462. « Verumtamen nisi aliquo intercedente peccato, Eucharistia cotidie accipienda
est. Vnde Dominus in Evangelio dicit : Panem nostrum cotidianum da nobis hodie (Lc, 11, 3,
Mt, 6, 11). Timendum est ne dum diu quisque separatur a Christi corpore, alienus remaneat a
salute, ipso dicente: Nisi manducaueritis carnem filii hominis et biberitis eius sanguinem, non
habebitis uitam in uobis »463 (Jn. 6, 66). Sanctus Ambrosius in libro sacramentorum dicit :
« Si quotienscumque effunditur sanguis Christi in remissionem effunditur peccatorum, debeo
semper accipere illum, ut semper michi peccata dimittantur. Qui semper pecco, semper debeo
habere medicinam »464. Gregorius primus: « Quis », inquit, « fidelium habere dubium possit,
in ipsa immolationis hora ad sacerdotis uocem celos aperiri, in illo Christi Ihesu mysterio
angelorum choros adesse, summis ima sociari, terrena celestibus iungi, unumque ex
uisibilibus atque inuisibilibus fieri? »465
(fol. 30) Eusebius episcopus de corpore et sanguine Domini dicit : « Panem angelorum
manducauit homo (Ps. 77, 24-25). Et quis est panis angelorum nisi Christo466 qui nos cibo sue
caritatis faciat467 ? Hunc panem prefiguratum manna, populus iudeorum per omnes ferias, nisi
in solo sabbato colligitur. Iam tunc Christus ab ecclesia, cui dominicum diem resurrectio
consecrauit, recipiendus ostenditur, et synagoge ad quam cultus sabbati pertinebat, negandus
esse prohibetur, dum dies iste id est dies septimus, celestis panis gratia priuatus. De quo pane
uetus narrat hystoria nec qui plus collegerat habuit amplius, nec qui minus parauerat repperit
minus (Ex. 16, 18), eo quod Eucharistie sacra perceptio non in quantitate sed in uirtute
constat, quod corpus sacerdote dispensante tantum est in exiguo quantum esse constat in

462 In primo… fastidium] Augustin, Ep. 54, éd. A. GOLDBACHER, CSEL 34.2, p. 163, l. 9 sq. Wibald ne copie
cependant pas directement Augustin. Le texte qu‟il donne est extrêmement proche de celui de Pierre Lombard,
son contemporain, dans ses commentaires des Epîtres de Paul (In Epist. ad Cor. I, cap. XI, PL 191, col. 1647 B).
Pierre Lombard et Wibald dépendent peut-être d‟une même source, qui pourrait être un maître de la génération
précédente dont les gloses seraient inédites. Je remercie vivement Cédric Giraud pour cette suggestion. Pour la
haute estime dans laquelle Wibald tenait les dits maîtres (« Anselme de Laon, Guillaume de Paris, Albéric de
Reims, Hugues de Paris et encore beaucoup d‟autres »), voir Cédric GIRAUD, Per verba magistri. Anselme de
Laon et son école au XIIe siècle, Turnhout, 2010 (BHCMA, 8). On notera que le piorum, qui n‟est pas dans le
texte d‟Augustin, se trouve déjà dans une citation de ce même passage par le pseudo saint Éloi (Homélie VIII,
PL 87, col. 626 A), un texte d‟époque carolingienne (cf. CPL 2096), mais la citation s‟arrête à pretermittere.
463 Nisi aliquo… hodie] Isidore, De eccl. Off., éd. Ch. M. Lawson, Turnhout, 1989 (CC SL 113), I, 18, p. 21, l.

58-61. Timendum… in uobis], ibid., p. 21-22, l. 72-76.


464 Si quotienscumque…medicinam] Ambroise, De sacram., IV, 6, PL 16, 446 A.
465 Quis…fieri] Grégoire, Dialogues, IV, 68. La transmission semble passer pour Wibald par Ps. Alcuin, Liber

de divinis officiis, cap. XL, PL 101, col. 1263 A (le passage commence également par Quis, inquit, qui est absent
chez Grégoire et n‟a pas de sens dans l‟hypothèse d‟une transmission directement grégorienne). Le Liber de
divinis officiis du Pseudo Alcuin est un texte franc sans doute composé à la fin du IX e ou au Xe siècle : M. H.
Julien et F. Perelman, Clavis Scriptorum Medii Aevi. Auctores Galliae, 735-987, II. Alcuin, Turnhout, 1999, p.
133-134.
466 Intellige Christus
467 panem… faciat] Eusèbe gallican, éd. François GLORIE, CCSL, Hom. XVII, p. 200, l. 78-80.

204
magno »468. Sanctus Cyprianus dicit469: « Eucharistia cotidie ad cibum salutis accipitur ».
Gregorius primus470: « Corpus dominicum panis conferatus in altari uno tempore et momento
in celum rapitur ministerio angelorum consociandum corpori Christi et ante oculos sacerdotis
in altari uidetur ». Alexander papa quintus post beatum Petrum in canone addidit verba
passionis Domini471. Ambrosius dicit472 : « Quod in altari ponitur, antequam consecratus panis
est, ubi uerba Christi accesserunt corpus est Christi, et ante uerba Christi in calice uinum et
aqua, vbi uerba Christi operata fuerint, sanguis Christi efficitur, quo populus fidelium
saluatur ». Alexander V dicit : « Peccata hominum oblatis his Domino sacrificiis delentur.
Nihil in sacrificiis maius esse potest quam corpus et sanguis Christi, nec ulla oblatio hac
potior est, sed haec omnes precellit. Que pura conscientia Domino offerenda est, et pura
mente consumenda, atque ab omnibus ueneranda, et sicut potior est ceteris, ita potius excoli et
uenerari debet »473.

(fol. 30v) Gregorius dicit : « Singulariter ad absolutionem nostram oblata hostia cum lacrimis
et benignitate mentis sacrati altaris hostia suffragatur, quia is qui in se surgens a mortuis iam
non moritur, adhuc per hanc in suo misterio pro nobis iterum patitur. Nam quotiens ei hostiam
suae passionis offerimus, totiens nobis ad absolutionem nostram passionem illius
reparamus »474.

Sanctus Hilarius episcopus dicit: « Si tanta non sunt peccata ut excommunicetur quis, non se
debet a medicina corporis Domini separare. Vnde timendum est, ne diu abstractus a corpore
Domini, alienus remaneat a salute. Nam manifestum est eos uiuere, qui corpus eius attingunt,
ipso Domino dicente: nisi manducaueritis carnem Filii hominis, et biberitis eius sanguinem,
non habebitis uitam in uobis (Jn, 6, 54). Qui enim peccare quieuit communicare non
desinat »475.

(fol. 31) Apostolus dicit : « Quicumque manducauerit panem uel biberit calicem Domini
indigne reus erit corporis et sanguini Domini. Probet autem se ipsum homo et sic de pane illo

468 Panem… in magno] Eusèbe gallican, Ibidem, Hom. XVII, p. 200, l. 78-87 (avec variantes). Pour bien
comprendre tout ce passage parfois quelque peu elliptique, cf. Ex. 16, 22-30.
469 Eucharistia…accipitur] Cyprien, Liber de oratione dominica, PL 4, 531 A: Eucharistiam quotidie ad cibum

salutis accipimus. En réalité, Wibald cite sans doute ici Burchard de Worms, Décret, V, 18, 756 A-B, PL 140,
col. 756 A-B : Sanctus Cyprianus dixit: Eucharistia quotidie ad cibum salutis accipitur.
470 Corpus…uidetur] Cette formule, classique, apparaît en réalité, sous le nom de Grégoire, dans le Pseudo

Alcuin, Liber de divinis officiis, cap. 40, PL 101, 1263 A.


471 Cf. le Liber pontificalis, éd. Louis DUCHESNE, I, Paris, 1886, p. 54 et 55 : Hic passionem Domini miscuit

in predicatione sacerdotum.
472 Ambroise, De sacramentis, IV, 5, PL 16, col. 444 A.
473 Ps. Isidore, Décrétales, PL 130, col. 94 A. Il est possible que Wibald cite ici les décrétales du pseudo Isidore

par le biais de Burchard de Worms (PL 140, V, 5), qui donne consummanda comme lui et non sumenda comme
le Ps. Isidore. Burchard accorde par ailleurs une grande importance à l‟introduction de la Passion du Seigneur au
canon, puisque le titre de ce chapitre est De passione Domini in consecratione corporis miscenda. Wibald peut
cependant suivre d‟autres collections canoniques reprenant ce passage, par exemple celle de Remedius de Coire
ou celle d‟Yves de Chartres.
474 Singulariter…reparamus] Grégoire, Homiliae in Euangelia, II, hom. 37, éd. Raymond ÉTAIX, Turnhout,

1999 (CC SL 141), p. 354, l. 173.


475 Sanctus Hilarius…desinat] Burchard de Worms, Decretum, V, 18, PL 140, col. 756 B. Le texte est en réalité

d‟Isidore de Séville: Isidore, De ecclesiasticis officiis, I, 18, l. 68, qui reprend lui-même en partie Augustin, Ep.
54, vol. 34/2, 3, p. 162, l. 15, mais le texte de Wibald suit clairement Burchard et non Isidore, jusque dans le
Sanctus Hilarius episcopus dicit.

205
edat et de calice bibat. Qui enim manducat et bibit indigne iudicium sibi manducat et bibit non
diiudicans corpus476 Domini ».

« Si cotidianus est panis, cur post annum illum sumis, quemadmodum greci in Oriente facere
consueuerunt ? Accipe cotidie quod cotidie tibi prosit. Sic uiue, ut cotidie merearis accipere.
Qui non meretur cotidie accipere, non meretur post annum accipere »477. Ambrosius de
sacramentis. Panem nostrum cotidianum da nobis hodie. Hec postulatio maxima est eorum
que postulantur. Et dimitte, inquid, debita nostra nobis, sicut et nos dimittimus debitoribus
nostris478. Ideo cotidie accipe, ut cotidie debito suo479 indulgentiam petas480. Igitur liquet quod
preter nature ordinem uirgo generauit et panis qui offertur super altare post consecrationem
corpus dominicum est de uirgine natum481.

476 Quicumque…corpus] I Cor, XI, 27-29


477 Si cotidianus…accipere] Ambroise, De sacramentis, V, 4, PL 16, 452 B.
478 Panem nostrum…hodie […] Et dimitte…nostris] Pater noster, Mt 6, 11-12 et Lc, 11, 3-4 (le Notre Père est

dit un peu plus loin dans la messe, ici fol. 31v-32).


479 Intellige tuo.
480 Panem nostrum…petas] Ambroise, De sacramentis, VI, 5, PL 16, 460 B.
481 Igitur liquet…uirgine] Cf. Ambroise, De mysteriis, I, 9, 53, PL 16, 407 A : Liquet igitur quod praeter

naturae ordinem Virgo generavit. Et hoc quod conficimus corpus, ex Virgine est: quid hic quaeris naturae
ordinem in Christi corpore, cum praeter naturam sit ipse Dominus Jesus partus ex Virgine?

206
Traduction

Le bienheureux Augustin dit : « Pour le premier peuple, la manne avait pour chacun des
hommes pieux un goût dans la bouche qui dépendait de la volonté individuelle, et de même
dans la bouche de chaque chrétien ce sacrement, par lequel le monde a été subjugué. Un tel,
pour l‟honorer, n‟ose pas l‟avaler quotidiennement, et tel autre, pour l‟honorer, n‟ose pas s‟en
passer un seul jour. Il n‟y a que le mépris que cette nourriture ne souffre pas, de même que la
manne ne souffrait pas le dégoût ». « En vérité, si aucun péché ne l‟empêche, l‟Eucharistie
doit être reçue chaque jour. En effet Dieu dit dans l‟Évangile : Donne-nous aujourd’hui notre
pain quotidien. Il est à craindre que celui qui est longtemps séparé du corps du Christ ne reste
étranger au salut, celui-ci disant : Si vous ne mangez pas la chair du fils de l’Homme et si vous
ne buvez pas son sang, vous n’aurez pas en vous la vie ». Saint Ambroise dit dans le Livre des
sacrements : « Si chaque fois que le sang du Christ est répandu, il est répandu en rémission
des péchés, je dois toujours le recevoir, afin que mes péchés me soient toujours remis.
Puisque je pèche sans cesse, je dois sans cesse recevoir un médicament ». Grégoire Ier. « Quel
fidèle », dit-il, « peut-il douter qu‟au moment même du sacrifice les cieux s‟ouvrent à la voix
du prêtre, les chœurs des anges sont là dans le mystère de Jésus Christ, le haut s‟unit avec le
bas, la terre rejoint le ciel, et les choses visibles et invisibles ne font plus qu‟un ? »
L‟évêque Eusèbe dit à propos du corps et du sang du Seigneur : « L’homme a mangé le pain
des anges. Et qui donc est le pain des anges, si ce n‟est le Christ, qui nous fait par la
nourriture de sa charité ? La manne, ce pain préfiguré, le peuple des juifs la recueille tous les
jours sauf le samedi. Désormais le Christ doit être reçu par l‟Église, à laquelle la résurrection
a consacré le dimanche, et il doit être refusé à la Synagogue, à laquelle appartenait le culte du
sabbat, car ce jour, qui est le septième jour, est privé de la grâce du pain céleste. L‟histoire
ancienne rapporte à propos de ce pain que celui qui en avait recueilli plus n’en avait pas
davantage, et celui qui s’en était moins procuré n’en trouvait pas moins, pour cette raison que
le recueillement sacré de l‟Eucharistie n‟importe pas par la quantité mais par la vertu, et que
le corps dispensé par le prêtre vaut autant en petite qu‟en grande quantité ». Saint Cyprien
dit : « L‟Eucharistie est quotidiennement reçue comme nourriture de salut ». Grégoire Ier: « Le
corps du Seigneur placé sur l‟autel est ravi au ciel par le ministère des anges pour être associé
au corps du Christ, et en même temps, au même moment, il est vu par les yeux du prêtre sur
l‟autel ». Le pape Alexandre, cinquième après le bienheureux Pierre, ajouta au canon le récit
de la passion du Seigneur. Ambroise dit : «Ce qui est placé sur l‟autel avant la consécration
est du pain. Lorsque les paroles du Christ ont été prononcées, c‟est le corps du Christ. De
même avant les paroles du Christ il y a du vin et de l‟eau dans le calice, et quand les paroles
du Christ ont été prononcées, cela devient le sang du Christ, par lequel le peuple des fidèles
est sauvé ». Alexandre V dit : « Les péchés des hommes sont effacés par ces sacrifices offerts
au Seigneur. Il ne peut y avoir de plus grand sacrifice que le corps et le sang du Christ, de
même qu‟aucune offrande n‟est préférable à celle-ci, mais c‟est celle-ci qui les surpasse
toutes. Elle doit être offerte au Seigneur avec une conscience pure et elle doit être accomplie
avec un esprit pur ; elle doit être vénérée par tous, et comme elle est préférable à toutes les
autres, il faut l‟honorer et la vénérer davantage ».

207
Grégoire dit : « Le sacrifice de l‟autel consacré offert avec les larmes et la bienveillance de
l‟esprit favorise tout particulièrement notre absolution car celui qui s‟est relevé d‟entre les
morts ne meurt plus, et maintenant encore, par ce sacrifice, il souffre à nouveau pour nous
dans son mystère482. En effet chaque fois que nous lui offrons le sacrifice de sa passion, nous
restaurons pour nous sa passion pour être absouts ».

Saint Hilaire évêque dit : « Si quelqu‟un n‟a pas commis assez de péchés pour être
excommunié, il ne doit pas se séparer de la médecine du corps du Seigneur. Pour cette raison
il faut craindre que s‟il est longtemps éloigné du corps du Seigneur, il ne demeure étranger au
salut. Il est manifeste en effet qu‟ils vivent, ceux qui ont accès à son corps, le Seigneur lui-
même disant : Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’Homme et si vous ne buvez pas son
sang, vous n’aurez pas de vie en vous . En effet, que celui qui a cessé de pécher ne cesse pas
de communier ».

L‟Apôtre dit : « Quiconque mangera le pain ou boira au calice du Seigneur indignement sera
accusé par le corps et le sang du Seigneur. Que l‟homme se mette lui-même à l‟épreuve et
ainsi, qu‟il mange de ce pain et qu‟il boive au calice. En effet celui qui mange et boit
indignement mange et boit sa sentence, ne distinguant pas le corps du Seigneur ».

« Si le pain est quotidien, pourquoi le prends-tu au bout d‟un an comme les grecs ont
l‟habitude de le faire en Orient ? Reçois chaque jour ce qui t‟est chaque jour profitable. Vis de
telle façon que tu mérites quotidiennement de le recevoir. Celui qui ne mérite pas de le
recevoir quotidiennement, il ne mérite pas non plus de le recevoir au bout d‟un an. Ambroise,
Des sacrements. « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien. Cette demande est la plus
grande de celles qui peuvent être formulées. Et remets-nous, dit-il, nos dettes, de même que
nous les avons remises à nos débiteurs. Ainsi reçois chaque jour, afin de demander
l‟effacement de ta dette. Il est clair en effet que la Vierge a enfanté indépendamment de
l‟ordre naturel et que le pain qui est offert sur l‟autel est après la consécration le corps du
Seigneur né de la Vierge ».

482 La phrase latine ne se comprend bien qu‟en enlevant l‟un des deux hostia (le second ne figure pas dans le
texte de Grégoire).

208
TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos 5
Nigel MORGAN

Orfèvrerie septentrionale (XIIe-XIIIe siècle). L’Œuvre de la Meuse (II)


Philippe GEORGE 7

Du transitus à la résurrection : la représentation de la destinée posthume des saints


dans l’orfèvrerie mosane
Marcello ANGHEBEN 11

Le Trésor d’Oignies et ses avatars


Jacques TOUSSAINT 33

Deux ajouts au corpus des émaux septentrionaux


Neil STRATFORD 43

Un ensemble d'émaux de la seconde moitié du XIIe siècle : les plaques de la


cathédrale de Troyes, influences et spécificités
Christine DESCATOIRE 49

Huit plaques émaillées du XIIe siècle, remployées sur la reliure d’un évangéliaire de
l’abbaye Saint-Pierre-le-Vif de Sens des années 1240-1250
Marc GIL 67

Orfèvreries mosanes et septentrionales en Piémont, Vallée d’Aoste et Savoie


Simonetta CASTRONOVO 85

L’art mosan : du trésor au cabinet de curiosité (1750-1850) Quelques cas de


figure dans les collections Hüpsch, de Renesse, van Huerne, Essingh et d’Arenberg
Sophie BALACE 109

Un certain goût pour l’orfèvrerie mosane au XIXe siècle : Quelques remarques sur la
collection parisienne d’Alexandre Basilewsky
Frédéric TIXIER 121

256
Conclusions de la Journée d’études de Liège (2014)
Jean-Pierre CAILLET 139

CONTRIBUTIONS COMPLÉMENTAIRES

Une grande croix émaillée mosane reconstituée, vers 1160-1170 (Louvre, Stuttgart,
Cologne et Nantes)
Camille BROUCKE 147

Une paire de chandeliers mosans aux figures allégoriques (vers 1160)


Christine DESCATOIRE 149

Maas- en Rijnlands email in de kunsthandel


Bernard DESCHEEMAEKER 153

La croix de Baltimore, un « monument » de l’art mosan


Philippe GEORGE 159

Les émaux romans de style mosan d’un reliquaire au Musée d’Art et d’Histoire Guy
Baillet à Langres
Jean-Claude GHISLAIN 163

Relire l’autel portatif de Stavelot


Patrick HENRIET 179

Découverte d’un second dessin du retable de Saint Remacle à Stavelot


Hadrien KOCKEROLS 209

Two Mosan Aquamanilia


Joanna OLCHAWA 237

En guise de postface. Pour « L’Œuvre de la Meuse » : cartes sur table


Philippe GEORGE 253

257

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