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Roi

HISTOIRE DE L’ART
LFIAL1140

GODART JUSTINE
Année 2019-2020
Histoire de l’art.

Introduction : Qu’est-ce qu’un style artistique ?


Le style renaissance correspond à des critères précis et vaut pour tous les grands médiums. Mais ce
n’est pas le cas de tous les styles.

Rubens nous apparaît rétrospectivement comme la peinture baroque par excellence. Mais, comme il
s’agit d’un concept rétrospectif, il se considérait lui-même comme le continuateur des grands
peintres italiens qui l’avaient devancé.

Première partie :

1. Le Moyen Âge de Charlemagne à la Grande Peste 800-1350 :


Héritages antiques et germaniques :

Travail du métal et enrichissement de celui-ci car on y insère des éléments comme des pierres
précieuses. On les retrouve des siècles plus tard dans l’art médiévale. Au point de vue de
l’architecture, l’héritage de l’architecture antique, on retrouve deux grands types.

Le type Basilique (plan longitudinale) est adopté pour les églises tandis que le plan centré avec
coupole est généralement réservé à des fonds spécifiques (funéraires et baptismales).

Attention que la notion de basilique renvoie à l’origine à une fonction de l’architecture romaine. C’est
de là que provient l’expression plan basilical pour les édifices longitudinaux. Dans le contexte
chrétien, la notion de basilique va bientôt désigner des églises particulièrement prestigieuses, par
exemple en raison de leur relation avec un martyr vénéré. Des églises peuvent donc avoir un plan
basilical sans avoir le statut catholique de « Basilique ».

L’Europe occidentale vers 800 : « renaissance » carolingienne et nouveau départ omeyyade :

Les omeyyades : dynastie musulmane.

La construction de l’Empire carolingien est amorcée par Pépin le Bref dans la seconde moitié du 8 e
siècle mais elle est symbolisée par le couronnement de Charlemagne en l’an 800 et la volonté de
celui-ci de se construire une capitale à Aix-la-Chapelle. Il reste de cet ensemble palatial la chapelle

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palatine (vers 800). Cette architecture est issue du nord de l’Europe mais s’inspire de différents
modèles à plan centré donc l’église de San Vitale à Ravenne. L’octogone surmonté d’une coupole
était décoré de mosaïques. On parle de « renaissance » dès lors que la référence à l’Empire romain
d’Occident disparu vers 476. La chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle (vers800) avec son plan centré
somme d’une coupole est le monument emblématique de la Renaissance carolingienne (voir photo).

L’abbatiale de Corvey (Allemagne) est l’un des rares vestiges du vaste chantier architectural de
l’époque carolingienne. Elle représente un plan basilical précédé d’une façade harmonique. C’est une
véritable antéglise avec deux tours symétriques. On voit se marquer ici un accent typiquement
médiéval sur la verticalité qui contraste avec le profil des anciennes basiliques paléochrétiennes.

Le plan idéal du Monastère de Saint-Gall (actuelle Suisse), permet d’évoquer l’articulation des
diverses fonctions architecturales au sein des complexe monastiques. Le Monastère regroupe petit à
petit de nombreuses fonctions non liturgiques (dortoir, réfectoire, etc..).

L’Évangéliaire de Godescalc (Bibliothèque nationale de Paris) est l’un des exemples les plus précoces
de l’autre domaine privilégié de la Renaissance carolingienne : l’art du livre enluminé. Cet art du livre
est quelque chose d’incroyable à l’époque.

Il est à noter que l’Europe occidentale voit vers la même époque s’édifier sur ses terres un chef-
d’œuvre de l’art arabo-musulman. Cordoue est à cette époque la ville la plus peuplée d’Europe.
Entamée dès le 8e siècle, la mosquée est embellie au 10e siècle. L’émirat ne connaît donc pas la
césure qu’a représentée au nord les invasions normandes. Les carolingiens sont les contemporains
des Omeyyades, des Abbassides et des Byzantins. Ce sont là les quatre puissances qui se partagent le
monde euroméditerranéen vers 800.

L’Europe vers l’an 1000 : le rêve impérial ottonien :

La plus grande puissance du 10e siècle est le Royaume de Germanie gouverné par la dynastie des
Otton.
C'est précisément Otton Ier qui est couronné nouvel empereur en 962 (on parle désormais de
SaintEmpire romain germanique et de période ottonienne). Ses successeurs sont de plus en plus

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tournés vers l'Italie et vers la Cour byzantine (Otton II épouse une princesse byzantine qui sera la
mère d’Otton III). La collégiale de Nivelles est le monument le plus important de la période
ottonienne dans nos régions (consacrée en 1046).

Le culte des reliques, si important au Moyen Âge, se développe à cette époque. Les reliquaires
constituent un domaine des arts importants.

Les matières précieuses signalent à la fois le luxe et une valeur sacrée. L’orfèvrerie acquiert de ce fait
un rôle de premier plan. La pompe impériale s’inspire de celle de Byzance : le rituel suppose
l’utilisation d’un trône, d’une couronne, d’un sceptre, d’épées (Regalia). Cette époque voit également
le développement du culte des reliques : des reliquaires précieux sont réalisés pour abriter les parties
des corps des saints (ex : Reliquaire du pied de saint André au trésor de la cathédrale de Trêves).
Comme il manie des matières précieuses à tous points de vue, l’orfèvre est considéré ́ comme un
artisan tout à fait à part : son prestige semble anticiper sur un statut d’artiste que les peintres
n’obtiendront que bien plus tard.

Une originalité́ de la période ottonienne est l’apparition de cycles peints dans certaines églises en lieu
et place des mosaïques. C’est le cas des églises de l’île de Reichenau (lac de Constance). Le Christ y
est volontiers représenté́ comme un maître de sagesse : on ne rencontre pas encore l’accent sur les
scènes de souffrance liées à la Passion.

La « renaissance » ottonienne apparaît donc comme un nouveau départ pour la culture occidentale
après le choc des invasions normandes. Néanmoins, la plus grande ville européenne de l’an 1000
reste Cordoue avec deux cent mille habitants.

L’Europe de l’Ouest vers 1100 et au-delà : l’essor romain de l’art monumental :

Le nom de « roman » a été́ donné au développement de l'architecture en pierre que l'on observe au

11e siècle dans des régions du Sud de l'Europe (comme la Catalogne), et ce de manière indépendante
de l'architecture impériale de la région rhénane. La grande question est la voûtaison en pierre des
églises au moyen de vastes berceaux en plein cintre (plutôt que des plafonds en bois). L’architecture
du Sud-Ouest est stimulée par le développement du pèlerinage de Saint- Jacques de Compostelle :
chaque étape des différentes routes souhaite être marquée par un édifice spectaculaire. La
cathédrale de SaintJacques-de-Compostelle en constituait l’apothéose mais d’importantes

transformations à l’époque baroque en tronquent notre représentation actuelle.

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Un autre aspect de l’art monumental roman est donc la peinture murale. L’exemple le plus
spectaculaire est l’église Saint-Savin (Poitou) dans lesquelles se succèdent les scènes narratives. On a
pu parler de la « Chapelle Sixtine de l’art roman ». L’art roman n’hésite pas à déformer et à styliser
non par maladresse mais dans un but d’expressivité ́ spirituelle. L’absence de perspective n’est pas un
défaut mais participe de l’adaptation de la peinture au cadre monumental.

Le renouveau de la sculpture monumentale en pierre est un phénomène décisif de cette époque.


Celleci se déploie, d’une part, au niveau de la façade avec le développement de portails présentant le
thème du Jugement dernier, d’autre part dans les chapiteaux soit au niveau de la nef de l’église soit
au niveau des cloîtres qui se développent justement à cette époque (exemple de Moissac, région de
Toulouse). Comme en architecture, la sculpture romane connait une diversité ́ stylistique. Nous
insisterons ici sur des exemples où la stylisation (par déformation) s’avère radicale et contribue à une
expressivité́ tantôt savoureuse tantôt inquiétante qui est à l’opposé du naturalisme antiquisant que
l’on rencontre dans les régions fortement marquées par l’Empire. Du coté ́ de la sculpture romane la
plus radicale de ce point de vue, citons le portail d’Autun (Bourgogne) et les chapiteaux de Chauvigny
(Poitou). Dans le premier cas, le Jugement dernier présente un Christ anormalement allongé (cela
marque son importance symbolique) autour duquel grouillent des personnages. Dans le deuxième, se
déploie un bestiaire fantastique là aussi particulièrement expressif.

Depuis la conquête de l’Angleterre (1066) par Guillaume le Conquérant (immortalisée par la célèbre «
tapisserie » de Bayeux), l’État anglo-normand s’est imposé comme l’une des premières puissances du
continent. L’église Saint-Etienne de Caen est l’un des exemples les plus significatifs de l’architecture
romane normande : celle-ci influencera aussi bien l’architecture anglaise que celle de Sicile ! La quête
de verticalité́ et de lumière (qui suppose un évidement des murs) préoccupe particulièrement «
l’école » romane anglo-normande : c’est donc cette région qui offre l’architecture romane la plus
proche de la future architecture gothique.

La Sicile du 12e siècle passée sous le contrôle des rois normands se révèle un véritable
creuset puisque une synthèse est inventée entre art roman occidental et art byzantin, le tout

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teinté d’éléments décoratifs empruntés à l’art islamique. Cette synthèse apparaît dans
l’architecture et dans les mosaïques du palais des rois normands de Palerme.

La France capétienne de la seconde moitié du 12e siècle : Le laboratoire du gothique.

Le style gothique est inventé en Île-de-France dès avant le mitan du siècle. Un acteur principal de
cette création est Suger, abbé de Saint-Denis. Toutefois, la basilique a été beaucoup transformée. La
cathédrale de Sens donne une meilleure image de ce gothique précoce.

Dans les premiers édifices gothiques ont met en place une méthode de construction mais l’on n’ose
pas encore faire des nerfs trop hautes.

Le laboratoire gothique de la seconde moitié du 12 e siècle coïncide largement avec le domaine royal
capétien. Celui-ci est peu de choses dans l’Europe occidentale. Notamment face à l’Empire
Plantagenêt, constitué suite au remariage d’Aliénor d’Aquitaine avec Henri II.

Bien que moins homogène que d’autres cathédrales, Notre-Dame de Paris est le monument le plus
célèbre du gothique du 12e siècle.

Le roman reste l’expression privilégié du reste de l’Europe, notamment en Italie où Pise exprime sa
puissance et sa prospérité dans le Campo dei miracoli (baptistère et campanile sont entamés dans la
seconde moitié du 12e siècle).

Le 13e siècle : rayonnement européen du gothique :

La nef de la cathédrale de Chartres (Vers 1200) présente l’élévation temaire typique du gothique de
la première moitié du 13e siècle. On a de grandes arcades, triforium aveugle, fenêtres hautes. Dans la
seconde moitié du siècle, le triforium sera ajouté renforçant d’autant l’effet de « cage de verre »
spirituelle.

Autour de 1200, plusieurs chantiers de cathédrale décisifs sont lancés en France (Chartres, Bourges).
L'élévation typique de la nef est la suivante : grandes arcades, triforium aveugle et fenêtres hautes
(donc trois registres). C’est peut-être dans les cathédrales dont la construction s’étire au long du 13 e
siècle (Reims, Amiens) que le rêve de Suger est pleinement accompli : les vaisseaux sont toujours
plus haut et toujours plus longs dans un élan cohérent. Les surfaces dégagées sont envahies par les
vitraux dans lesquelles dialoguent deux couleurs dominantes : un bleu et un rouge profonds.
Traversés par une lumière sacrée, les vitraux contribuent à faire de l’édifice religieux une image de «
la » Jérusalem céleste. L’interaction architecture-vitraux permet ainsi d’atteindre la finalité ́

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recherchée dans le monde byzantin par les mosaïques : avec le gothique, la spiritualisté occidentale
semble avoir trouver une expression spécifique. Si les cathédrales de Chartres et de Bourges sont
celles qui conservent le plus de vitraux anciens, c’est sans doute à la Sainte-Chapelle de Paris (vers
1250), véritable cage de verre spirituelle, que l’image recherchée d’une Jérusalem de lumière et de
pierres précieuses est la plus parlante.

La cathédrale de Reims est une cathédrale typique du 13 e siècle français avec la volonté d’églises

toujours plus grandes aux nefs toujours plus hautes. La façade occidentale est remarquablement
ajourée.

Le gothique du 13e siècle se répand dans des régions où la tradition architecturale locale était
pourtant forte comme l’Espagne du nord ou la Rhénanie.

Nos régions attendant beaucoup d’autres régions européennes le 13 e siècle pour se mettre au style
gothique mais le vieux clivage entre régions scaldienne et mosane perdure. Il faut à nouveau l’audace
des évêques de Tournai pour construire un chœur qui rivalise avec les cathédrales françaises.

Le laboratoire pictural italien (vers 1300 à vers 1350) :

Vers 1300, le chantier pictural de la Basilique d’Assise est en pleine effervescence. Le gothique très
timide permet un développement de l’art de la fresque qui contraste avec la primauté du vitrail au
nord des Alpes.

Que ce soit dans l’art de la fresque (Assise) ou dans les tableaux d’autel, le traitement du mobilier en
perspective témoigne de la recherche giottesque de tridimensionnalité.

La peinture de chevalet ne concerne par contre presque exclusivement que la peinture religieuse
(tableaux d’autel).

La grande peste de 1348 apparaît comme un coup d'arrêt provisoire avec un véritable choc
démographique. La peinture italienne de la seconde-moitié du siècle s’éloigne de Giotto et renoue
avec un style plus linéaire où se mêlent les influences byzantines et gothiques. Cette période riche et
méconnue entre difficilement dans le story-telling d’une histoire de l’art continue. On parlera donc
de « retour à Giotto » à propos des pionniers de la peinture Renaissance vers 1430. Vite célébré ́ par
les poètes (ce qui signale une valorisation de la dignité ́ de l'artiste distingué de l'artisan), Giotto sera

considéré́ comme le fondateur et le symbole d'une voie italienne spécifique.

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2. De l’Europe « courtoise » à l’Europe « maniériste » (1350-1610) :
L’Europe des cours dans la seconde moitié du 14e siècle :

Il s’agit ici d’un siècle raffiné où se multiplie les cours et les mécènes. Avant, le contexte dominant de
la création artistique était le collectif et le public, il concerne maintenant les cours qui tendant à
rivaliser de faste.

L’un des plus grands centres d’art italien est provisoirement situé hors de la Péninsule dès lors que la
Papauté est établie à Avignon. Le palais des papes d’Avignon avec ses pièces décorées par des
artistes italiens est un témoignage exceptionnel de la vie de cour au 14 e siècle.

Le roi de Bohème est élu empereur à la veille de la Grande Peste (1347) sous le nom de Charles IV.
Celuici a séjourné́ plusieurs années à Avignon et est bien déterminé à faire de sa capitale, Prague, un
autre grand centre artistique et intellectuel. Il fait ainsi construire la cathédrale gothique de la ville et
plusieurs châteaux tout en faisant décorer les pièces ou chapelles de cycles peints.

Le patio de la cour des lions de l’Alhambra de Grenade, aménagé vers 1350, est contemporain du
Palais d’Avignon et témoigne à sa manière du goût des cours pour le faste.

La cathédrale Saint-Guy avec ses chapelles peintes est une pièce maîtresse dans le dispositif mis en
place par l’empereur (voir PowerPoint).

En France, les frères rois Charles V développent des cours brillantes dans leur fief respectif. C’est le
cas de celle d’Angers avec la célèbre tenture de l’Apocalypse.

L’art international courtois vers 1400 :

Venus de nos régions pour s’établir à la cour du duc de Berry (Bourges), les frères Limbourg entament
l’un des chefs-d ’œuvres les plus célèbres de l’art de l’enluminure : Les Très Riches Heures du Duc de
Berry (année 1410, cons. Au château de Chantilly).

Le mois d’octobre présente une image du Louvre de Charles V (mort en 1380).

Après les désastres de la guerre de cent ans, un rétablissement provisoire a lieu sous le règne de
Charles V. La situation se dégrade à nouveau progressivement par la folie de Charles VI, la guerre
civile et les prétentions anglaises sur la France. Toutefois, des cours brillantes se développent dans
les capitales « régionales » des oncles du roi à Angers, Dijon, Bourges.

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Le goût de la belle silhouette prédomine : cela détermine un art plus linéaire que tridimensionnel. Le
goût des beaux costumes aux rehauts d'or est également marqué. Ce style courtois international se
prolonge dans les premières décennies du 15 e s. y compris en Italie comme en témoigne L’adoration
des Mages de Gentile da Fabriano. L’adoration des mages par Gentille da Fabriano montre la
présence de l’art courtois international à Florence dans les années 1420. C’est contre cet art que
réagira Masaccio.

Pour comprendre partiellement le renouvellement de la spatialité dans la peinture de chevalet dans


les Pays-Bas du 15e siècle, il faut se tourner prioritairement vers d’autres médiums : l’enluminure
mais aussi la sculpture d’un Sluter, artiste à la cour de Dijon vers 1400.

La peinture des « primitifs flamands » et leur rayonnement international :

Le polyptyque de l’Agneau mystique des frères Van Eyck (1432, Cathédrale Saint-Bavon à Gand :
ancienne église saint Jean-Baptiste) est l’un des premiers chefs-d’œuvre de la peinture flamande du
15e siècle. Cette apparition coïncide avec l’invention du style Renaissance à Florence de Masaccio. Le
point commun avec les deux est la rupture avec le style courtois international par l’intégration de
figures tridimensionnelles dans un espace réel, c’est pourquoi on parle souvent de « Renaissance
flamande » pour éviter l’expression jugée problématique de « primitifs flamands ».

La Vierge au Chancelier Rolin de Jan Van Eyck (Louvre, années 1430) rassemble les grands
caractéristiques de sa peinture (espace, rendu des matières, art du portrait et du paysage). Van Eyck
est un virtuose de la couleur et de l’atmosphère lumineuse en partie grâce à la maîtrise de la
peinture à l’huile.

Un exemple de l’influence flamande en Europe méridionale est le style du plus important tableau

e
portugais du 15 siècle : le Triptyque de Saint-Vincent de Nuno Gonçalves (Musée national d’art

ancien de Lisbonne) est l’un des premiers portraits de groupe de l’histoire de l’art. L’évocation du
Portugal se justifie bien sûr par le rôle crucial que joue ce pays à ce moment dans les « Grandes
découvertes ».

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L’architecture et la sculpture dans les Pays-Bas du 15e siècle :

Au 15e siècle, l’architecture religieuse gothique brabançonne est en plein essor. Celle-ci favorise une
haute tour unique en façade (« cathédrale » de Malines) même si certaines réalisations privilégient la
façade harmonique (« cathédrale » de Bruxelles »).

L’un des aspects les plus originaux du nouvel essor de l’architecture gothique brabançonne est la
construction d’hôtels de ville, témoignage de la vitalité de la symbolique municipale sous les ducs de
Bourgogne.

De part et d’autre de 1500, le Brabant (Bruxelles, Anvers) exporte ses retables en bois sculpté
polychromé aux quatre coins de l’Europe.

Les pionniers de la Renaissance florentine (première moitié du 15 e siècle) :

Nous venons de voir que dans les anciens Pays-Bas, la peinture affirme une importance et une
originalité́ spécifiques alors que l’architecture s’inscrit davantage dans la tradition gothique. En Italie,
c’est au contraire dans le domaine de l’architecture que s’affirme une rupture précoce avec
l’architecte Brunelleschi. En réalité ́, celui-ci avait d’abord commencé sa carrière comme sculpteur
mais c’est son ami Donatello qui va vite s’imposer comme la grande figure florentine de la sculpture
du début du Quattrocento. Masaccio, le peintre, est le plus jeune « membre » du « trio fondateur »
de la Renaissance florentine mais aussi celui qui disparut le plus précocement.

La coupole de la cathédrale de Florence (consacrée en 1436), réalisé par Brunelleschi, contribue au


grand retour de ce thème architectural et renouvelle le paysage urbain déjà marqué par le Palazzo
pubblico médiéval.

D’autres réalisations de Brunelleschi témoignent du retour au vocabulaire antique. Cela signifie un


retour au plafond plat dans les cas des nefs d’églises à plan basilical.

La basilique Saint-André de Mantoue présente l’une des premières applications de l’architecture


antique au thème de la façade (Alberti). Le contraste est total avec l’architecture contemporaine de
nos régions. Nous avons du mal à mesurer l’effet de nouveauté d’une architecture qui a connu entre-
temps des milliers de variations.

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Dans l’architecture profane, le thème dominant dans la Florence du 15 e siècle, est le Palazzo.
L’horizontalité est soulignée par une corniche saillante. Une cour élégante inspirée par le thème du
cloître contraste avec l’austérité extérieure.

Du grand retour au nu :

Donatello marque l’histoire de la ronde-bosse en redonnant vie à la nudité héroïque (David, Bargello,
vers 1430). Le thème du David juvénile incarne la volonté de renouveau de Florence. « Le jeune corps
en contrapposto est tout entier revêtu de lumière » (A. Chastel).

Du thème ornemental des Putti :

Il marque également l’art du relief (perspective « écrasée ») et l’histoire de l’ornement « thème des
putti ».

De la statue équestre :

Donatello donne une ampleur nouvelle à la sculpture monumentale urbaine. S’inspirant de la statue
de Marc-Aurèle (Rome). Il exalte un Condottiere (Gatamelatta, Padoue, 1453).

Du relief en perspective par écrasement progressif :

La Fresque de la trinité de Masaccio (1428) intégrée dans un portique à l’antique s’ouvre en


trompel’œil dans un mur de l’église Santa Maria Novella de Florence. La perspective suit un idéal de
rigueur géométrique.

Le carrefour napolitain (années 1440) :

En 1442, la ville de Naples échappe à René ́ d’Anjou et passe sous le contrôle du Roi d’Aragon qui
règne ainsi sur une bonne partie de la Méditerranée occidentale. Pour marquer la naissance d’une
nouvelle ère, le roi flanque d’un portail sculpté dans le style de la Renaissance « florentine » le
château médiéval de la ville. Sa cour va accueillir le plus brillant humaniste de l’époque : Lorenzo
Valla. Or, tant les Angevins que les Aragonais étaient passionnés de peinture flamande. Cette
influence se ressent dans le Saint-Jérôme de Colantonio (réalisme donné aux livres du cabinet
d’humaniste). La collection du roi comporte en outre plusieurs Van Eyck. Voilà qui expliquerait le côté ́
flamand des œuvres d’un peintre passé par Naples : Antonello da Messina ! Sa remarquable maîtrise
des effets chromatiques permis par la peinture à l’huile avaient fait croire erronément à un
apprentissage direct auprès de Van Eyck ! Or, cet accent mis sur la dimension « tonale »,

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atmosphérique marquera durablement la peinture vénitienne dans laquelle Antonello séjournera
plusieurs années.

Les peintres italiens des dernières décennies du 15e siècle :

Le peintre dominant de la fin du 15 e siècle à Florence correspondant au « règne » de Laurent de


Médicis est Botticelli. Les thèmes de ses tableaux reflètent la culture humaniste néo-platonicienne de
son temps. Son style en revanche tranche avec le souci de tridimensionnalité qui s’est imposé
presque partout en Italie depuis Masaccio : le fond du Printemps (Musée Offices de Florence) évoque
plus une tapisserie que l’art du paysage stimulé par les Flamands. Le jeu de lignes sur la surface
pourrait apparaître comme un retour au style courtois. Éclipsé par la Haute-Renaissance romaine,
Botticelli sera remis à l’honneur par les Préraphaélites anglais du 19 e siècle et trouvera une nouvelle
heure de gloire dans l’Europe symboliste fin de siècle.

Formé dans un atelier Florentin, Léonard de Vinci met son talent multiforme au service de la cour de
milan dans les deux dernières décennies du 15 e siècle. Ses visages caractéristiques et son utilisation
du sfumato (estompement des contours et atmosphère brumeuse) ont contribués à sa légende
énigmatique. Dans la Cène, fresque réalisé pour le réfectoire d’un couvent milanais, Léonard modifie
l’agencement du thème pour se concentrer sur les échanges psychologiques entre les personnages.

Dürer, un artiste entre plusieurs mondes :

Les deux autoportraits réalisés ci-après vers 1500 manifeste la nouvelle dignité de l’artiste non sans
une intention d’autopromotion. On remarquera la présence du monogramme ainsi que dans la
gravure représentant Érasme.

La Haute-Renaissance romaine et la spécificité vénitienne (premières décennies du 16 e


siècle) :

Si le changement de siècle ne symbolise pas, dans un cas, un changement de style, il est néanmoins
lié à un déplacement du centre de gravité artistique de Florence vers Rome. C’est en effet à Florence
que les conséquences de l’invasion française de 1495 sont les plus dramatiques : Savonarole fait le
procès de l’humanisme. Les troubles d’Italie vont provisoirement stimuler la réaffirmation de la
puissance pontificale sous Alexandre VI Borgia, Jules II et Léon X.

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Jules II a détourné Michel-Ange de sa chère sculpture pour peindre le plafond de la Chapelle de son
oncle Sixte IV dont les murs latéraux avaient été peints au 15 e siècle. L’artiste lui donne une structure
architectonique en trompe-l’œil marquée par des leitmotives : les figues prophétiques (prophètes et
sibylles) et les ignudi.

Léon X succède à Jules et commande à Raphael la décoration des Stanze. Il s’agit de célébrer le Pape
comme le digne héritier de Périclès et d’Auguste. L’idée du « classicisme » comme monumentalité
sereine est affirmée. Les frais engendrés par les travaux pontificaux et le refus de la synthèse
paganochrétienne (voir PowerPoint).

Pendant ce temps à Venise, s’affirme un talent tout diffèrent en la personne du Titien. Alors que la
maîtrise du dessin (du contour) est au principe d’un art « romain » surtout centré sur l’art de la
fresque, c’est le chromatisme qui est ici essentiel : l’exaltation de la couleur peut être servie par une
touche large, libre et nerveuse qui s’exprime dans la peinture de chevalet. Titien est notamment un
grand portraitiste. Peintre officiel de l’Empereur Charles Quint, il peint celui-ci dans un paysage et
rend les reflets lumineux de sa cuirasse.

La réaction florentin « anticlassique », le Maniérisme et l’École de Fontainebleau :

C’est surtout dans le milieu florentin des années 1520 que se développe un art qui semble
déconstruire le sens de la synthèse monumentale de la « Haute-Renaissance romaine ». Les attitudes
des personnes de cette Descente de croix de Rosso Fiorentino sont renforcées par l’élongation du
canon. Les lignes de force semblent aller dans des directions opposées. La gamme chromatique est
dominée par des demitons rehaussés par la lumière. L’inquiétude de l’artiste semble rejoindre
l’inquiétude des temps (crise religieuse et politique).

Rosso se met au service du Roi de France François 1 er, adversaire de Charles Quint, il est bientôt
rejoint par d’autres « compatriotes » si bien que le château de Fontainebleau devient dans les
années 1530, un centre d’art italien au-delà des Alpes. Les panneaux peints de la galerie sont
entourés de stucs maniéristes et rythment la galerie. François 1 er sera un jour ravi d’épater Charles
Quint en lui faisant visiter cette petite Italie. Rosso a contribué à inventer un nouveau style de cour
qui va essaimer dans toute l’Europe. le Maniérisme peut donc renvoyer aussi bien à la figure de
l’artiste inquiet que du décorateur inlassable.

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Michel-Ange (1475-1564) : un génie multiforme :

L’une des commandes les plus célèbres d’un Pape à Michel-Ange est le jugement dernier de la
Chapelle Sixtine (vers 1540). Trente ans séparent la voûte de cette fresque. Entre-temps, l’artiste
s’est détaché en partie de l’humanisme florentin pour un christianisme épuré mettant en évidence la
spiritualité intérieure. Les corps nus n’ont ni la sensualité des ignudi de la voûte ni le canon allongé
du Maniérisme contemporain. La nudité exprime désormais la vulnérabilité et l’égalité des hommes
devant le jugement de Dieu. L’anatomisme de la Renaissance n’est plus au service d’un idéal
d’harmonie mais illustre la crainte de tous, y compris des puissants, contre la possibilité de la
damnation. Les coprs tourbilloneants n’ont ni la sérénité de la Haute-Renaissance ni l’élégance du
maniérisme. Cette dynamtique dramatique annonce le Baroque du siècle suivant. Cette œuvre
singulière n’est toutefois pas encore « baroque » car elle ne ménage pas une ouverture vers le «
hors-cadre ».

Parmi d’autres réalisations architecturales, Michel-Ange va réaliser la coupole de la coupole de la


Basilique Saint-Pierre.

Le David et le Moïse évoquent l’activité favorite de Michel-Ange : la sculpture. Ils pourraient aussi
être la métaphore de la jeunesse et de la maturité du sculpteur au sein d’une si longue carrière.

Les « inachevés » de Michel-Ange (destinés au projet du tombeau du Pape jules II) expriment
remarquablement sa philosophie de l’art sculptural ou l’artiste démiurge doit arracher la forme à la
matière.

L’italianisme dans l’Europe du 16e siècle. D’Angers à Prague :

L’artiste le plus étonnant de nos régions vers 1500 est probablement Jérôme Bosch. Son monde
peuplé de créatures démoniaques fantastiques tranche singulièrement avec l’idéal humaniste que
Raphaël va bientôt exalter dans L’École d’Athènes. Cette vision pessimiste est servie par une
imagination inépuisable (qui fascinera les surréalistes) mais aussi par un rare talent de peintre : des
rehauts de blanc contribuent au riche chromatisme de ses œuvres. À côté ́ de ses visions infernales,
Bosch se révèle aussi un maître du paysage auquel il confère puissance chromatique et souffle
cosmique.

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Mais si la peinture de Bosch paraît aux antipodes de celle de Raphaël, le style Renaissance s’acclimate
progressivement tant l’Italie séduit les princes du Nord. Putti, guirlandes, médaillons présentant le
profil d’empereurs romains s’insinuent d’abord dans la riche ornementation du gothique flamboyant.
C’est seulement progressivement qu’un italianisme intégral sera adopté : on parle alors de «
romanisme » (c’est-à-dire, si l’on veut un « art flamand » à la mode de ce qui se fait à Rome). La
comparaison entre deux jubés permet de comprendre le phénomène même s’il faudrait idéalement
montrer les étapes intermédiaires : le jubé ́ de Walcourt est essentiellement flamboyant mais serti de
certains motifs Renaissance (on parle de « gothico-renaissance ») alors que le jubé de la cathédrale
de Tournai présente un italianisme intégral. L’auteur de ce dernier est Cornelis Floris à la fois
sculpteur et architecte : il est surtout connu pour l’hôtel de ville d’Anvers (1565) où cette typologie
est également gagnée par le vocabulaire Renaissance se rapprochant du modèle du palazzo italien.
Un domaine notable qui échappe à l’italianisation est celui de l’architecture religieuse du 16 e s. : chez
nous une architecture gothique religieuse continue de se développer à côté ́ d’une architecture
profane Renaissance. Nos églises se couvrent pourtant de vitraux Renaissance qui présentent dans
leur décor des architectures à l’antique. L’un des exemples les plus spectaculaires de ceci est le vitrail
du transept de la Collégiale de Bruxelles (aujourd’hui
« cathédrale ») : le vitrail présente un arc de triomphe à l’antique inséré ́ dans une fenêtre gothique.
Charles Quint y affirme son triomphe sur ses ennemis coalisés et son aspiration à l’Empire universel.
L’architecture représentée peut être comparée à celle des fastueuses architectures temporaires qui
étaient confiées aux artistes notamment à l’occasion des Joyeuses Entrées. Les formes de la
Renaissance sont ici clairement mises au service d’une propagande : renaissance artistique et
renaissance impériale sont supposées se faire écho.

Au Nord des Alpes au 16e s., l’italianisme n’est plus lié à une culture « républicaine » ou néo-
platonicienne comme c’était le cas dans la Florence du Quattrocento. L’émulation entre les cours
joue un rôle prépondérant, ces mêmes cours qui se sont fait la guerre notamment en Italie. C’est
ainsi que, dans nos régions, le rôle des gouvernantes successives administrant nos régions au nom de
Charles Quint puis de Philippe II est décisif. Progressivement Anvers s’impose comme la nouvelle
capitale artistique des anciens Pays-Bas aussi sûrement qu’elle l’est du point de vue économique. Il
s’agit ici d’artistes ayant fait le voyage d’Italie ou s’étant formé auprès d’artistes ayant fait le voyage :
il ne s’agit donc pas d’« immigrés » italiens comme à Fontainebleau. Dans les années 1560, le plus
célèbre des peintres « romanistes » anversois n’est autre que le frère de Cornelis : Frans Floris. C’est
dans le « bouillon » anversois que s’est formé Spranger lequel devient bientôt à la fin du 16 e siècle le
peintre officiel de l’Empereur Rodolphe II à la Cour de Prague. Ses tableaux sont popularisés par des

14
gravures réalisées au Nord de la Hollande. Le style de Spranger correspond bien aux critères définis
ci-dessus du « maniérisme » : on peut donc bien parler à ce moment d’un nouveau style
international.

« L’exception » Breughel (années 1560) :

Les principaux tableaux de Breughel l’ancien datent des années 1560. Ils sont donc contemporains
des dernières années de la prospérité anversoise, du triomphe du « romanisme » et de la montée des
troubles. L’interprétation de son œuvre a donné lieu à de nombreuses théories mais on ne peut que
constater le contraste qu’elle représente par rapport à l’italianisme dominant. La Dulle Griet (Anvers,
Musée Mayer Van den Bergh) semble annoncer toutes les « furies » qui vont s’abattre sur les Pays-
Bas et témoigne de l’influence de Bosch. La Tour de Babel (Musée de Vienne) s’inspire du Colisée
comme si Breughel n’avait pas cru à la pérennité du nouvel âge d’or promis par une certaine culture
Renaissance. La Parabole des aveugles semble contraster avec l’art de cour contemporain et les
illusions du nouveau monde qui se délite. L’intérêt pour le peuple (thème des noces paysannes)
contribuera à la notoriété éphémère de « Breughel le drôle ».

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3. De la révolution caravagesque à la réaction néo-classique (1600-1800) :
Rome vers 1600 : la « révolution » caravagesque :

Vers 1600, à Rome, Le Caravage crée un style tout en contraste avec le style maniériste. Le réalisme
cru de personnages issus du peuple s'oppose au raffinement et à l'irréalisme des attitudes
maniéristes. La Caravage valorise l'instantané, c'est-à-dire le moment décisif d'un mouvement pris
sur le vif. Il rompt avec la palette toute en brillance du maniérisme pour des couleurs plus saturées.
Le peintre apprécie les types populaires et les détails vrais comme pour rappeler que le christianisme
originel n’était pas une affaire de cour. L'élément le plus caractéristique est un violent clair-obscur
qui nourrit le dramatisme des scènes. On peut parler d'un style en soi : le caravagisme. Celui-ci se
diffuse au 17e s. dans les deux versants des Pays-Bas désormais scindés mais aussi en Espagne.
Rubens et surtout Rembrandt ont par exemple été marqués par le caravagisme. La peinture
caravagiste est déjà, à bien des égards, de la peinture baroque même si elle n’en a pas encore
pleinement deux caractéristiques importantes : la nervosité de la touche et l’éclat des couleurs. Le
face à face de la Crucifixion de saint Pierre et la Conversion de saint Paul dans une église de Rome
(Santa Maria del Popolo, vers 1600) permet d’appréhender le génie du peintre.

Le Baroque pictural en Italie :

Le concept de Baroque a reçu ses lettres de noblesse vers 1900 dans les livres d’Heinrich Wölfflin à un
moment où le concept de Maniérisme n’était pas encore reçu des historiens de l’art. L’historien de
l’art suisse donnait une connotation positive à un mot longtemps péjoratif (« baroque » voulait dire «
bizarre, irrégulier »). Il cherchait à conceptualiser tout ce qui dans l’art du 16 ième siècle échappe à la
sérénité classique de la Renaissance symbolisée par Raphaël. Wölfflin a défini ainsi toute une série de
polarités comme celle entre la stabilité et le mouvement, ou celle entre l’espace fermé et l’espace
ouvert. Ces concepts sont désormais utilisés à propos de la majeure partie de la production
européenne du 17e siècle.

Le peintre baroque le plus international du premier 17 e siècle est Rubens (voir ci-dessous). En Italie,
on évoquera ici les grands plafonds baroques comme celui du Palais Barberini à Rome réalisé dans
les années 1630 par Pierre de Cortone. Le commanditaire n’est autre que le Pape Urbain VIII.
L’allégorie représente notamment Minerve mettant en déroute les géants, c’est-à-dire les « erreurs
». Les « erreurs » en question du point de vue de cette propagande sont non seulement le

16
protestantisme mais aussi une partie des sciences modernes (c’est sous Urbain VIII que sont
condamnées nombre de thèses de
Galilée).
Rubens et l’«école flamande» du premier 17e s :

Rubens serait bien étonné aujourd’hui d’être considéré comme le fleuron d’une « école » flamande
car son rêve était de triompher en Italie. Le classement des peintres en « écoles nationales » est un
système inventé par certains musées au 18 e s., qui s’est généralisé au 19e s. et existe encore
aujourd’hui dans certains grands musées comme le Louvre. Cette expression est en partie trompeuse
et désuète. Mais elle offre une certaine commodité pour exprimer le fait que les spécificités

« nationales » se marquent davantage au 17 e s. alors que le 16e s. voyait la domination très large de
l’italianisme sous la forme du maniérisme. La maladie de sa mère fait revenir Rubens à Anvers (1608)
à un moment où intervient une trêve entre l'Espagne et les Provinces-Unies. Cette ville en perte de
vitesse économique va devenir l'un des grands centres de l'art baroque et de la propagande
religieuse catholique. Le style de Rubens, peintre baroque par excellence, reprend en partie les
caractéristiques caravagesques (réalisme cru dans la représentation des martyres) mais se
caractérise surtout par la liberté de la touche (ampleur et nervosité) et la puissance des couleurs (le
fameux rouge rubénien). L’Érection de la croix (aujourd’hui à la cathédrale d’Anvers) réalisée peu
après le retour de Rubens présente une synthèse originale. Le peintre associe chromatisme vénitien,
dramatisme et réalisme caravagesques, puissance michelangelesque (celui du Jugement dernier). Le
panneau central présente une tension entre la diagonale ascendante qui semble emporter le regard
du Christ vers son père et le mouvement inverse des personnages musculeux pour ramener la croix
vers la station droite et le supplice. Une caractéristique importante du concept de Baroque est ici
bien présente : l’ouverture vers le hors-cadre. Chez Rubens, le mouvement règne en maître
notamment sous la forme d'une dynamique ascensionnelle (exemple de La Montée au calvaire de
Bruxelles). Le Caravage saisissait le cœur de drames dans la pénombre. Rubens (mort en 1640) a lui
aussi le sens du pathétique (bien éloigné de la sérénité de Raphaël) mais il s'agit désormais
d'épopées dans un festival de couleurs.

Le principal élève et « concurrent » de Rubens est Van Dyck qui deviendra peintre de la Cour
d’Angleterre. Ce pays recourt volontiers à des peintres « extérieurs » (Van Dyck, Portrait de Charles
Ier) et ne verra une peinture « autochtone » se développer qu’au siècle suivant. La disparition
presque simultanée (vers 1640) de Rubens et de Van Dyck marque la fin du rayonnement

17
international de la peinture anversoise. Presque toutes les grandes collections européennes
voudront avoir leurs peintres
« flamands ». Mais, vers 1650, les Pays-Bas méridionaux perdent l’influence qu’ils avaient sur la
peinture européenne depuis deux cents ans.

Vélasquez et l’ « école » espagnole :

L’« école » espagnole de peinture au 17 e siècle est liée au règne de Philippe IV (1621-1665), lequel
veut se profiler comme un grand mécène. Ce règne voit le déplacement de gravité de la puissance
continentale de l’Espagne vers la France (Traités de Westphalie et des Pyrénées). Vélasquez obtient
le titre de peintre du roi peu avant d’entreprendre un voyage d’Italie (1630) où, sous les conseils de
Rubens, il s’est surtout attaché à aller voir les œuvres du Titien qui contribuent à éclairer sa palette.
En effet, la peinture espagnole des années 1620 était dominée par le ténébrisme caravagiste.
Zurbaran est un exemple de carravagiste espagnol. Il est connu pour ses peintures mystiques
austères relevées par le clair-obscur. Les contemporains ne le placèrent pas au rang de Vélasquez
mais les Romantiques du 19ième siècle furent fascinés par une dimension qui leur apparut authentique
et terrible.

La Vénus au miroir de Vélasquez (vers 1650, National Gallery de Londres) reflète l’assimilation par le
peintre de la peinture vénitienne tant par le sujet (nu exceptionnel en Espagne) que par le
chromatisme et la touche. Le thème du miroir semble faire écho à ce jeu par excellence sur les
apparences qu’est la peinture.

Le tableau Les Ménines (Madrid, musée du Prado) de Vélasquez date de 1656. Ce triomphe de la
peinture a donc été réalisé dans la phase critique du règne de Philippe IV et quatre ans avant la mort
du peintre. Les servantes de l’infante sont surprises sur le vif alors qu’elles rendent visite au couple
royal. Celui-ci se reflète dans le miroir mais une autre lumière surgit de la porte ouverte. Cet espace
est typiquement « baroque » puisque le centre de l’œuvre se dérobe, est partout et nulle part à la
fois. Vélasquez ne s’en donne pas moins une place centrale, familier de la Cour et maître de la
palette. C’est avec ce pinceau triomphant puisant dans la matière rouge qu’il ajoutera bientôt la
dignité (impensable pour un peintre) de l’Ordre de Santiago.

Rembrandt et l’« école hollandaise » :

Le siècle d’or néerlandais, quant à lui, n’est pas une apogée en trompe-l’œil. L’essor de la République
des Provinces-Unies est l’un des phénomènes les plus spectaculaires de l’histoire européenne du
17ième siècle et un jalon essentiel dans l’histoire de l’expansion occidentale. Pourtant, les efforts pour

18
défendre le pays contre Louis XIV et les revers financiers obscurcissent la fin du siècle. La montée de
Guillaume III d’Orange sur le trône d’Angleterre après la « Glorieuse révolution » de 1688, apparaît
un peu rétrospectivement comme un « passage de témoin ». Aujourd’hui, Rembrandt symbolise
autant la peinture hollandaise du 17ième siècle que Rubens la peinture anversoise. Or, le peintre ne
s’affirme que vers 1630 alors que la peinture du Nord a déjà acquis une véritable personnalité en
rupture avec le Maniérisme antérieur. Dans les années 1620, Utrecht s’est profilée comme un foyer
caravagiste suite au voyage à Rome de plusieurs de ses peintres. Une caractéristique importante de
l’«école » hollandaise des années 1620 est la primauté des « genres » tenus ailleurs pour mineurs.
Alors que les scènes de genre d’Utrecht sont marquées par le clair-obscur caravagesque, c’est une
certaine « monochromie » qui caractérisent les paysages d’hiver (Avercamp), les vues d’intérieur
d’église (Saerendam) ou les stillevens (Heda).

Rembrandt s’est formé dans les années 1620. Les œuvres réalisées autour de 1630 montrent les
caractéristiques de son talent personnel. Rembrandt est marqué par le goût d’une certaine
monochromie. Mais, formé dans la ville universitaire de Leyde, il apprécie les sujets religieux ou
mythologiques (« peinture d’histoire »). Rembrandt aime représenter les figures méditatives
(comme le prophète Jérémie) dans des espaces mi-clos. Le clair-obscur ne sert plus ici comme chez
le Caravage à un contraste dramatique mais à créer une atmosphère méditative. Le peintre entame
dans sa jeunesse une longue série d’autoportraits qui le feront considérer au 19 ième siècle comme un
champion de l’intériorité individuelle. Il livre aussi à cette époque sa vision du peintre vingt-cinq ans
avant celle de Vélasquez. Mais s’il s’impose à Amsterdam, c’est comme peintre de portraits,
notamment de portraits collectifs (La leçon d’anatomie du Professeur Tulp).

Dans les dernières décennies du siècle, le Classicisme français, pourtant lié à l’« ennemi », devient à
la mode et contribue à démoder Rembrandt de son vivant.

Louis XIV et le rayonnement du Classicisme français (années 1660) :

La fondation de l’Académie royale de Peinture et Sculpture par Mazarin en 1648 est le signe d’une
volonté d’État d’encadrer les arts et de rendre à la France une place centrale sur l’échiquier artistique
européen. Cette volonté va trouver une main de fer en la personne du jeune Louis XIV dont le
pouvoir personnel absolu commence en 1661. Celui-ci se veut, sur le plan militaire, le nouvel
Alexandre mais il se rêve aussi, dans le domaine culturel, comme le nouvel Auguste et le nouveau
Léon X. Félibien, historiographe de Louis XIV, écrit dans les années 1660-1680 les divers livres des
Entretiens où il veut établir la gloire de l’école française. Félibien et quelques autres héroïsent la
figure de Poussin, supposé le Raphaël français. Comme Rubens, Poussin avait l’intention de

19
triompher en Italie et non d’incarner une spécificité identitaire française. Après un bref séjour à Paris
en 1640-1642 (règne de Louis XIII), Poussin était retourné à Rome où il fit son autoportrait en maître
du dessin (et non du pinceau comme Vélasquez ou Rembrandt). Poussin est d’autant plus facilement
un modèle qu’il ne dispute pas de commandes aux Parisiens. Poussin meurt en 1665 avec la
conviction que le Classicisme a triomphé. Celui-ci entend contraster point par point aux
caractéristiques rubéniennes à la mode dans la France du premier 17 e siècle : il célèbre la primauté
du dessin (clarté des contours), gage de maîtrise des passions et la supériorité de la peinture
d’Histoire. Une figure aujourd’hui moins connue que Poussin du Classicisme français mais active à
Paris dès le règne de Louis XIII est Philippe de Champaigne, venu de Bruxelles. Celui-ci est encore
actif au début du règne personnel de Louis XIV. L'austérité de son style est frappante dans son
portrait des futurs « dissidents » jansénistes (L'Ex-Voto, 1662, Louvre). Si le Classicisme français
nous paraît indissociable de la figure de Louis XIV, on voit que son terrain a été largement préparé
par Richelieu et Mazarin.

L’Europe des grands chantiers (second 17e siècle) :

Les théoriciens du 16e siècle avaient rêvé de villes idéales mais c'est surtout dans les dernières
décennies du 17e siècle que plusieurs capitales européennes reçoivent un nouveau visage, qu'elles
ont en partie conservé. À Rome, les papes Urbain VIII et Alexandre VII, notamment, donnent à la ville
son profil baroque, encore dominant aujourd'hui. Plusieurs coupoles viennent ainsi marquer le
panorama de la ville s'ajoutant à la coupole de la Basilique Saint-Pierre construite au 16 e s. par
Michel-Ange. Devant ce même édifice, le grand architecte baroque Le Bernin construit une vaste
esplanade en ellipse entourée d'une colonnade. L'essor inouï des Pays-Bas au 17 e s. permet le
développement d'Amsterdam avec la construction des principaux quartiers, de l'hôtel de ville
(actuel Palais royal) et des principales églises. Londres est en grande partie reconstruite après
l'incendie de 1666 : Christopher Wren construit non seulement la Cathédrale Saint-Paul (elle aussi
avec une imposante coupole) mais un grand nombre d'églises. Bruxelles, de même, est largement
reconstruite après le bombardement de 1695 (maisons de la Grand-Place dans un style tantôt
baroque tantôt ouvert au classicisme louisquatorzien). Enhardi par ces exemples multiples, le Tsar
Pierre le Grand entreprendra de construire une nouvelle capitale au début du siècle suivant (à partir
de 1703) : Saint-Pétersbourg.

En France, Vauban couvre les frontières du pays de places fortes (comme, par exemple, Lille
conquise en 1667). Paris conserve aussi de cette époque quelques-uns de ses monuments
marquants (plusieurs places royales, Colonnade du Louvre, Dôme des Invalides) mais le principal

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chantier de Louis XIV est bien sûr le château de Versailles dont la construction s’étale sur plusieurs
décennies.

D'autres palais monumentaux sont construits sur ce modèle à la fin du siècle ou au siècle suivant
comme à Vienne.

Concernant les monuments de cette époque particulièrement constructrice, on parle tantôt de


Classicisme (lorsque les ornements sont limités et austère et que la ligne droite domine) tantôt de
Baroque (lorsque des ornements opulents au vif relief ainsi que des jeux de courbes et de contre-
courbes animent la façade) mais il existe toute une série de formules intermédiaires entre ces deux
pôles stylistiques. Le contraste est bien illustré par la façade Louis XIV du Louvre (Colonnade) : le
projet tout en respiration courbe du Bernin a été écarté au profit d'une construction orthogonale.
Dans presque tous les cas, par contre, les formes définies par la Renaissance italienne sont désormais
traitées avec une monumentalité intimidante pour l'échelle humaine.

La sculpture au 17e s. : domination du Baroque :

Le Bernin domine la sculpture italienne de tout le dix-septième siècle (il est actif de 1615 à 1680 !). La
théâtralité est le maître-mot tant dans l’église que dans la ville (fontaines monumentales). L’extase
de sainte Thérèse (Rome, vers 1650) allie sculpture, architecture et lumière. Le drapé animé
contribue à exprimer le ravissement de la mystique. Les églises de la Belgique actuelle, bastion du
catholicisme, se remplissent aux 17e et 18e siècles de figures baroques sculptées dans le bois (exemple
des confessionnaux de Grimbergen). On voit que si le Classicisme français a réussi à imposer sa
marque dans les domaines de la peinture et de l’architecture, il a eu plus de difficulté à rivaliser dans
le domaine de la Sculpture avec le Baroque européen. Aujourd’hui, le sculpteur français qui apparaît
le plus marquant de cette époque est le sculpteur baroque Pierre Puget lié à la ville de Marseille.

Le rayonnement du goût français dans l'architecture civile et le mobilier du 18 e siècle :

De même que l’on fait parfois commencer le 20 e siècle avec 1914, de même est-on parfois tenté de
penser que le dix-huitième siècle ne commence « vraiment » qu’avec la mort de Louis XIV en 1715.
Deux ans auparavant, le Traité d’Utrecht avait déjà démontré l’inadéquation des rêves d’hégémonie
du Roi Soleil. La France doit renoncer à ses rêves d’hyperpuissance et compter sur les mers avec la
puissance anglaise et, sur le continent, avec la puissance prussienne. Cette modification de la
situation internationale ne nuit aucunement au rayonnement culturel de la France qui atteint au
contraire son apogée lors de ce siècle.

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Les deux principaux styles du 18 e siècle sont successivement le Louis XV (ou « Rocaille » ou «
Rococo ») et le Louis XVI (ou « Néo-classique »). Le contraste entre ces styles se mesure non
seulement dans les façades mais aussi dans l'ameublement intérieur.

Le style ornemental rococo tourne le dos aussi bien aux rigueurs des ordres classiques (transgression
de la symétrie !) qu'à la robustesse expressive du baroque. On retrouve certes les courbes et
contrecourbes de ce dernier mais sous une forme délicate, fantaisiste, irrégulière. Des coquillages
aux formes chantournées et découpées ont pris la place des ornements puissants en vive saillie (du
baroque). L'évolution de la technique du verre permet d'insérer dans les hôtels des fenêtres plus
vastes, elles-mêmes animées par cette sorte de « respiration rococo ». L'élégante irrégularité Louis
XV concerne aussi l'ensemble du mobilier si bien que l'interaction entre architecture et intérieur
des pièces est à son maximum pour créer un effet d'ensemble. On ne manque pas d'enrichir encore
ces intérieurs de bibelots en porcelaine qui permettent aux aristocrates de s'amuser et de s'émouvoir
du sort des paysannes chinoises (chinoiseries).

Le style Louis XVI réagit contre cette culture élégante vite accusée de mièvrerie et de frivolité.
On retourne au style Louis XIV tout en s'inspirant dans le mobilier des modèles antiques : la
référence du « Néo-classicisme » est donc double. Ce retour à la ligne droite n'est pas pour autant
une véritable rupture avec la richesse : un intérieur Louis XVI est en fait aussi cohérent et opulent
qu'un intérieur Louis XV.

Citons quelques exemples à l'appui de cette comparaison. En ce qui concerne l'ameublement


intérieur, on peut comparer telle pièce de l'Hôtel de Soubise à Paris (style Louis XV) avec telle autre
du Petit
Trianon de Versailles. Sur le plan de l'architecture, l'ensemble monumental
« français » le plus représentatif du style Louis XV est la Place Stanislas de Nancy (grilles en fer
forgé !). La perspective de la Place de la Concorde (hôtels datant de Louis XVI) vers l'église de la
Madeleine (initiée sous l'Empire, c'était initialement un Temple de la Grande Armée) permet
d'évoquer un riche ensemble urbanistique néo-classique.

La peinture au 18e siècle en France : le contraste Watteau-David :

Un contraste comparable à celui entre styles Louis XV et Louis XVI en architecture peut se remarquer
dans le domaine de la peinture. Dès la fin du 17 siècle, donc dès avant la mort de Louis XIV (1715),
des admirateurs de Rubens convertissent la France à la primauté de la couleur et à la liberté de la
touche. Pendant la Régence (minorité de Louis XV), Watteau anime ainsi ses « fêtes galantes » avec
une touche vibrante et frémissante (ex : L’embarquement pour Cythère, 1717). Des sujets légers

22
sont traités avec une touche aussi nerveuse que dans la peinture baroque et une gamme de demi-
tons qui rappelle le maniérisme. On parle de Rococo. Les tableaux ne cherchent plus tant à s'imposer
qu'à s'intégrer dans les riches intérieurs Louis XV où l'on accumule les bibelots en porcelaine. En fin
de compte, le rêve louisquatorzien d’un goût français s’imposant à l’Europe est mieux atteint par le
style suivant pourtant dénué de pompe et d’austérité.

Le retour de balancier s'affirme dans les dernières décennies du 18 e s. : artistes et critiques jugent le
style rococo superficiel et estiment qu’un art sobre et concis est plus adapté à leur admiration
renouvelée pour les héros antiques. Ce « Néo-classicisme » se réclame aussi bien du modèle louis-
quatorzien que du modèle antique. On réaffirme la primauté du dessin et on privilégie à nouveau
les scènes héroïques au lieu des fêtes galantes plus ou moins teintées d'érotisme. Ce style sera celui
de la Révolution et de l'Empire mais il est en fait constitué dès avant 1789 comme le prouve l'œuvre
emblématique de Jacques-Louis David, le Serment des Horace (1785, Louvre).

L’anticomanie de Winckelmann à Napoléon :

Le Rococo était par son répertoire ornemental original et son souci de l’art de vivre un art bien de
son temps, du moins pour les classes privilégiées. Il est paradoxal de penser que la réaction contre ce
mouvement est allée chercher ses modèles dans l’art de l’Antiquité. Ce nouveau retour à l’antique
est différent de celui de l’Italie Renaissance qui cherchait à réaffirmer une spécificité italienne face à
l’Europe gothique. Cette fois, c’est toute l’Europe qui semble honteuse d’une sorte de superficialité
et se tourne vers l’Antiquité comme vers une source de rajeunissement vertueux. Winckelmann
fait partie de ces intellectuels allemands actifs à Rome qui présentent la Rome antique et surtout la
Grèce comme un modèle à leur patrie.

Napoléon est lui aussi un anticomane bien de son temps : il veut rétablir l’Empire romain à son profit.
La bonne société impériale s’assoit sur des chaises à l’antique et boit dans des tasses inspirées,
notamment, de Pompéi. Le sculpteur néo-classique CANOVA utilise la nudité à l’antique pour faire
l’éloge tant de Napoléon que de sa sœur Pauline. De même l’Arc du Carrousel (près du Louvre)
s’inspire directement des arcs de triomphe romains. Quant à l’Arc de Triomphe de la Place de
l’Étoile, il est lui aussi commencé sous Napoléon mais ne sera achevé que sous Louis- Philippe. À
l’origine, l’anticomanie du 18e siècle n’a rien de spécifiquement française. Pourtant, une assimilation
va se faire bientôt dans l’esprit de certains opposants étrangers entre culte de l’Antiquité,
rationalisme français et impérialisme français. Cet amalgame va donner un stimulant à de nouvelles
réactions « anticlassiques ».

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4. Art de l’Époque contemporaine (1800-2010).
Alternatives visionnaires (autour de 1800) :

Le ralliement de Jacques-Louis David à la propagande napoléonienne (cf. Le Sacre de Napoléon,


1807, Louvre) établit pour un temps un amalgame entre style néo-classique et impérialisme français :
le retour à une certaine simplicité qu’était le Néo-Classicisme à l’origine prend désormais des allures
d'apologie de l’ordre. Alors même que des écoles romantiques de poésie naissent en Allemagne
comme en Angleterre, plusieurs peintres de ces pays s’illustrent, bien loin de la pompe guindée du
Néo-classicisme impérial, par un art intérieur et visionnaire (voir au-delà des apparences) qui
fascinera les sensibilités au 20e siècle. Cette dimension visionnaire révèle en quelque sorte les ombres
du siècle des Lumières.

Dès 1782, le peintre d'origine suisse Füssli expose à Londres le tableau Le Cauchemar (conservé à
Detroit, USA) où un incube (sorte de démon) grimaçant se tient au-dessus d'une magnifique jeune
femme livrée à ses démons intérieurs. Cette atmosphère freudienne avant la lettre est bien
différente de l'héroïsme davidien ! Pour Goya, c'est aussi en cauchemar que l'impérialisme
napoléonien transforme l'Espagne : son Colosse (vers 1810, Prado) ravageur fait en quelque sorte
pièce au Sacre. Sa célèbre eau-forte – Le sommeil (ou le songe) de la raison enfante des monstres –
semble évoquer le retour d’une réalité refoulée mais non maîtrisée par le rationalisme. Sur un mode
plus contemplatif, l’Allemand Caspar David Friedrich estime que les véritables conquêtes sont
intérieures : les paysages dans lesquels évoluent ses personnages isolés sont des reflets de leurs
propres états d'âme. Affranchies du dessin, ces atmosphères brumeuses épurées expriment une
profondeur ineffable (Le moine au bord de la mer, vers 1810, Berlin).

Redécouverte du gothique et essor des nationalismes (19e s.) :

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Au début du 19e siècle, on n'a pas encore conscience des origines françaises du gothique. Le choix du
néo-gothique pour le Parlement de Londres (construit autour de 1850 après l'incendie de 1834) ou
l'empressement pour achever la cathédrale de Cologne (de part et d'autre de 1850) s'expliquent par
l'idée que le style médiéval s'enracine aux yeux des Anglais ou des « Allemands » dans un passé
national plus authentique. En Belgique, le néo-gothique exprime un renouveau catholique : d’un bout
à l’autre du Royaume (d’Ostende à Arlon en passant par Laeken) de vastes églises sont construites
dans ce style.

Paris, laboratoire de la peinture « moderne » (1855-1889) : impressionnisme contre


académisme.

Sous le Second Empire (1851-1870), l’art dit officiel est celui qui est exposé au Salon après la
sélection d’un jury d’après des critères dits « académiques ». Ces critères sont en fait les mêmes que
ceux du Néo-Classicisme (primauté du dessin et de la peinture d’histoire) mais avec un surcroît de
sectarisme.

En 1863, Napoléon III, curieusement plus « libéral » que le jury, permet l'organisation d'un Salon des
artistes refusés par le jury du Salon officiel. Le déjeuner sur l'herbe de Manet (Orsay) y fait scandale.
La femme nue serait tout à fait acceptable si un contexte mythologique le justifiait. Mais le fait
qu'elle soit représentée dans une scène quotidienne avec des hommes habillés de costumes
contemporains, le fait aussi qu'elle semble dévisager le spectateur est une manière de démasquer le
voyeurisme hypocrite du public des Salons. Pour Manet, l'essentiel se joue ailleurs : dans le paysage
du fond laissé volontairement à l'état d'esquisse ; Manet nie brutalement le principe de la primauté
du dessin et l’obligation de l’apparence de l’« achevé ».

L'audace de Manet enhardit les jeunes à la recherche de nouveaux modèles. 1874 (la République a
été proclamée entre-temps mais le goût bourgeois n'a pour autant guère évolué) voit la révélation du
groupe impressionniste dans une exposition privée : il présentera des expositions collectives
pendant 12 ans. Le tableau de Monet Impression Soleil levant (Musée Marmottan à Paris) en est
l'exemple le plus connu. Monet n'est certes pas le premier paysagiste du 19 e s. En se spécialisant
dans ce genre, les Impressionnistes consacrent une évolution qui les précèdent. Monet juxtapose des
taches de couleurs franches. Manet, précurseur de l'impressionnisme, se rallie d'ailleurs à ce groupe
de jeunes et devient l'un des leurs. Les deux tableaux conservés au Musée des Beaux-arts de Tournai
(Chez le père Lathuille) datent de cette époque.

La dernière exposition collective impressionniste a lieu en 1886. C'est aussi parce qu'il a été une
aventure collective durable que l'Impressionnisme, d'abord couvert de quolibets, change le cours de

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l'histoire de l'art. Il convertit la partie de la bourgeoisie soucieuse de donner d'elle-même une image
novatrice. Le triomphe progressif de l'Impressionnisme va faire considérer bientôt le goût bourgeois
académique du 19e s. comme synonyme de « mauvais goût ». Ce triomphe n'aurait cependant pas été
possible sans le ralliement d'une partie de la bourgeoisie.

Par sa rupture intégrale avec l'héritage de la Renaissance, l'Impressionnisme ouvre une nouvelle
période en peinture : l'« art moderne ». Par cette expression, on ne renvoie pas à un style précis : il
s'agit plutôt d'un ensemble hétérogène de mouvements très divers qui se distinguent les uns des
autres. Aucun d'entre eux n'auraient cependant été possibles sans la rupture impressionniste.

L’Europe Art Nouveau (vers 1900). Le cas de Bruxelles :

Ce qui frappe les contemporains de la fin du 19 e s. est le renouvellement de l'architecture et le


triomphe des arts décoratifs que l'on baptise Art Nouveau. Nous avons vu combien le 19e s. était
tourné vers les styles du passé. Le monde des architectes (« palais » divers) et celui des ingénieurs
(ponts, gares construits avec les matériaux nouveaux) semblaient évoluer parallèlement. C'est dans
sa toute dernière décennie que le 19 e s. semble enfin trouver son style. D'une part, il réconcilie
matériaux anciens et matériaux nouveaux. D'autre part, il renonce enfin aux ornements «
historicistes » (comme le néo-gothique) pour un nouveau répertoire ornemental inspiré de la
végétation. Courbes et contre-courbes des lignes végétales se déploient à l'infini non seulement
dans l'architecture mais dans les arts décoratifs (essor du design, des bijoux, de l'affiche, etc.).

L'une des capitales Art nouveau est bien sûr Bruxelles. Victor Horta préside à cette œuvre d'art
totale qu'est l'hôtel particulier Art nouveau : il veille aux moindres détails (comme la poignée des
portes) qui contribuent à l'interaction entre architecture, mobilier et décoration. Mais c'est d'abord
un architecte de l'espace et de la lumière par l'importance donnée aux puits de lumière dans ses
habitations. La destruction volontaire de la Maison du Peuple et involontaire du magasin de
l'Innovation conjuguée à la préservation des principaux hôtels particuliers bruxellois (ex : l'hôtel
Tassel) risque de faire oublier que Victor Horta s'est voulu un architecte pour la collectivité et pas
seulement pour une élite.

De même que la dialectique du dessin et de la couleur traverse les siècles de l'histoire de la peinture,
de même en va-t-il pour la dialectique de la ligne droite et de la ligne courbe en architecture.

L'architecture du 20e s. sera majoritairement celle de la ligne droite et du refus de l'ornement en tant
que tel (qu'il soit « historiciste » ou « art nouveau »). Pendant des décennies, on va mépriser le
prétendu « style nouille », d'où l'indifférence qui a accompagné le démantèlement de la Maison du
Peuple.

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L’exposition Gauguin et la vogue de l’« art nègre » (début 20e s.) :

Vers 1889, Paul Gauguin s’était signalé comme un peintre important pour renouveler la peinture
audelà de l’impressionnisme. Ses séjours à Tahiti où il meurt en 1903 avaient rendu difficile le suivi
de son évolution artistique. Or, une rétrospective de son œuvre à Paris en 1906 va révéler des
sculptures qui incarnent une rupture brutale avec la tradition « classique » issue de Donatello. Les
artistes les plus marqués par ces formes synthétiques et expressives partiellement inspirées de l’art
océanien ne sont pas des sculpteurs mais, à l’origine, des peintres. L’exposition Gauguin coïncide
avec leur admiration pour ce que l’on appelle à l’époque l’« art nègre » : Picasso, par exemple,
collectionne des sculptures et s’en inspire pour son travail. Certes, dans son cas, il s’agit surtout
d’objets issus d’Afrique mais à l’époque on appelle « art nègre » tout ce qui tranche avec l’art
occidental en ce compris des statues de l’Île de Pâques, par exemple. Les artistes modernes voient
dans toutes ces œuvres des constructions plastiques qui ne doivent rien à l’héritage antique. On
appelle l’art qui s’en inspire le primitivisme. Le poète Guillaume Apollinaire accompagne cet
engouement : il réclame l’entrée au Louvre de ces objets. Ce ne sera le cas que peu après l’an 2000.
Aujourd’hui, l’expression « art nègre » a heureusement été abandonnée mais la nouvelle expression
proposée n’est pas non plus très satisfaisante : « les arts premiers ».

Berlin, carrefour des avant-gardes (1910-1930) :

Une volonté de rupture et d'innovation caractérise plusieurs grandes villes européennes autour de
1910. C'est l'esprit d'avant-garde. Celui-ci est partagé entre une volonté d'affirmation nationale (de
jeunes rebelles italiens, allemands ou russes estiment pouvoir aller plus loin que les Français
impressionnistes et post-impressionnistes qui les inspirent) et de fédération internationale contre le
conformisme. C'est la multiplication simultanée des « ismes ». Impossible d'évoquer ici cette
incroyable effervescence des années précédant immédiatement la guerre.

Vers 1912, une veine dominante se dégage pourtant associant fragmentation des formes et faisceaux
de lumières laissant penser qu'un style international commun pourrait émerger : le
« cubo-futurisme ». Berlin se profile bientôt comme un véritable carrefour en raison de sa position
géographique mais aussi grâce au dynamisme et à l'ouverture de ses galeries. C'est là qu'il faut aller
si l'on veut voir les œuvres françaises, italiennes, russes et bien sûr allemandes les plus audacieuses
du moment. L'œuvre de l'Allemand Franz Marc Le destin des animaux (1913, Bâle) est très
caractéristique d'une synthèse possible entre les différents courants. En tant qu'expressionniste
allemand, Marc est convaincu à l'origine de la pureté vitale de la Nature et des animaux (son thème
de prédilection). Ce sentiment écologique et cosmique peut apparaître aux antipodes du culte de la

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technologie propre aux futuristes italiens. Marc est néanmoins inspiré par le style de ces derniers
dont il a vu les œuvres à Berlin : il intègre en effet à sa peinture des faisceaux lumineux dynamiques
qui désintègrent et multiplient l'espace. Un mot-clef semble présider aux avant- gardes
internationales de cette époque malgré leurs différences de départ : c'est l'idée de simultanéité qui
dépasse la distinction entre l'espace et le temps. Le style commun à la plupart des avant-gardes
d'avant-guerre pourrait donc être qualifié rétrospectivement de simultanéisme. Certains
commentateurs ont été frappés par la contemporanéité de ces convergences avec la théorie de la
relativité d'Einstein. L’esprit du « simultanéisme » est fort bien rendu en poésie par La prose du
Transsibérien de Blaise Cendrars illustré par Sonia Delaunay, peintre russe qui a épousé l’un des
premiers peintres abstraits français (Robert Delaunay).

C'est aussi notamment dans le Berlin d'avant-guerre qu'expose Kandinsky qui, bien que d'origine
russe, s'est investi dans l'avant-garde allemande : son art abstrait dit « lyrique » apparaît comme
l'aboutissement de la triple libération poursuivie par le siècle précédent (geste, couleur, sujet). Mais
il renoue aussi avec la valorisation du sentiment intérieur et de la spiritualité que nous avions
rencontrée chez Caspar David Friedrich.

La Première guerre mondiale met un cran d'arrêt à cette internationalisation en cours. L'une des
figures de proue de l'avant-guerre, Franz Marc, meurt au combat. Après la guerre, le Berlin
révolutionnaire est l'une des capitales du Dadaïsme. Ce mouvement est né deux ans plus tôt à Zurich
dans un esprit de dérision des utopies artistiques d'avant-guerre. Le dadaïsme berlinois reprend cet
esprit caustique mais exprime aussi une révolte sociale et politique. La foire dada de Berlin en 1920
tourne ainsi en dérision aussi bien l'art d'avant-guerre que les autorités économiques et militaires.

D'autres artistes allemands ne partagent ni le radicalisme politique (pro-communiste) ni le nihilisme


artistique des dadaïstes berlinois. Ils veulent au contraire reprendre, structurer et enseigner un
certain nombre de découvertes de l'avant-garde d'avant-guerre. Ils fondent le Bauhaus en 1919 à
Weimar (transféré ensuite à Dessau et Berlin), capitale de la République du même nom. Le Bauhaus
devient un nouveau foyer international : Kandinsky y devient enseignant après une expérience
malheureuse en Russie. Sa peinture tend toutefois à se géométriser à rebours de la spontanéité
jaillissante d'avant-guerre. Le Bauhaus est un pôle d'attraction pour tous les artistes novateurs
notamment abstraits de l'Europe. Le bâtiment qui est construit pour le Bauhaus pendant la période
de Dessau est un bon exemple d'architecture « moderniste » : refus de l'ornement, orthogonalité,
ouverture maximale à la lumière. Mais comme hier avec la Première Guerre mondiale, cet élan est
brisé par l'Histoire, en l'occurrence par la montée du nazisme dont les dirigeants ordonnent la
fermeture du Bauhaus (1933).

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Abstraction géométrique ou Surréalisme ? (Paris autour de 1930) :

C'est en fait seulement en 1930 que Paris redevient pleinement la capitale des avant-gardes comme
elle l'avait été dans la seconde moitié du 19 e siècle. En effet, de nombreux artistes abstraits fuient les
régimes autoritaires qui s'installent progressivement en Europe centrale et orientale. Ils y rejoignent
à Paris le plus marquant d'entre eux (en ce qui concerne le courant géométrique, alors dominant),
le Néerlandais Piet Mondrian qui s'y est installé pour raisons personnelles. Plusieurs artistes et
critiques abstraits veulent s'y structurer pour faire pièce au mouvement qui est né à

Paris quelques années plus tôt : le Surréalisme. Celui-ci, lié à un mouvement poétique, s'est cherché
dans des expressions plastiques diverses. Mais en 1930, il semble se confondre avec la peinture
ultrafigurative de Magritte et Dali lesquels considèrent qu'un métier traditionnel donnera d'autant
plus d'impact à leurs images destinées à faire douter du réel et surgir les forces de l'inconscient. Par
son goût pour la face mystérieuse de l’humain, le surréalisme est l’héritier de l’art visionnaire évoqué
au point 4.1. C'est donc un contraste spectaculaire qui oppose ces milieux d'avant-garde
internationaux qui se font face à Paris. Bien que la démarche abstraite de Mondrian n'est pas
exempte d'une dimension mystique, ses partisans exaltent en elle une rationalité, une universalité,
une modernité qu'ils opposent à l'art jugé régressif et obscène des Surréalistes. Ceux-ci trouvent
à l'inverse l'abstraction géométrique inhumaine et desséchante. Ce débat ne concerne toutefois
qu'une minorité car, dans de nombreux pays, la tentation est celle d'un retour à un réalisme
beaucoup plus « traditionnel ».

Paris, 1937 : l’art face à l’Histoire :

Comme à d'autres reprises, l'exposition universelle de Paris de 1937 est l'occasion de faire le point
sur le monde artistique. La même année, les nazis ont manifesté leur rejet de l'avant-garde par
l'exposition de l'art prétendument dégénéré. Ils y tournent en dérision les artistes primitivistes,
dadaïstes et abstraits : le seul art valorisé par le nazisme est celui qui exalte les prétendues vertus
raciales. À Paris, face à la Tour Eiffel se font face les pavillons soviétique et allemand : ces deux
régimes totalitaires témoignent, malgré leurs différences idéologiques, d'un même style et d'un
même rejet de l'art moderne : l'art qu'ils conçoivent doit être au service de leur propagande.

On y trouve aussi deux pavillons pour l'Espagne qui est en pleine guerre civile. Le tableau de Picasso
Guernica (1937, Reina Sofia, Madrid), qui dénonce le bombardement de cette ville basque par
l'aviation nazie, témoigne du grand retour de la peinture d'histoire comme si l’art abstrait n’était
pas le plus qualifié pour exprimer les angoisses du temps. Si les expositions universelles du 19 e s.

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étaient imbues de l'idée de Progrès, celle-ci semble révéler un monde au bord du gouffre. L'art

moderne survivra-t-il ? L'art aux États-Unis après la guerre (1945-1960) :

Les États-Unis n'ont pas connu dans les années 10 et 20 de mouvements d'avant-garde d'une
ampleur comparable au Futurisme ou au Bauhaus. La domination des courants réalistes (d'inspiration
sociale, régionaliste ou psychologique) est très forte. Citons parmi les figures les plus célèbres du
réalisme américain : les tableaux de paysans de Grant Wood et les atmosphères mélancoliques
d'Edward Hopper. Après la guerre, la volonté de rupture et de renouveau de la jeune génération est
forte. Contrairement à ce qui se passe en Europe, cette jeune génération n'a pas à rivaliser avec des
pionniers des premières décennies du siècle. L'ambition n'est pas seulement d'écrire une nouvelle
page de l'histoire de l'art mais de placer les États-Unis au centre de la carte mondiale artistique.

Un courant dominant se profile bientôt que l'on va appeler l'expressionnisme abstrait. Il s'agit en
fait d'une abstraction gestuelle où la liberté et la puissance de la touche se déploient sur des toiles
d'un format généralement supérieur à ce que l'on voit en Europe. Ces toiles de grand format
caractérisées par une certaine unité (toute la surface est occupée par la matière picturale peinte ou
projetée) s'imposent au lieu d'exposition, ont une densité impressionnante. Elles donnent une
ampleur nouvelle à la notion de champ pictural. Certains critiques insistent sur la dimension
psychologique, existentielle de cet art (d'où le nom d'« expressionnisme »). D'autres,
particulièrement influents, retiennent plutôt l'aspect formel : l'expressionnisme abstrait leur apparaît
comme un triomphe de la peinture en tant que telle et de sa caractéristique supposée principale : la
planéité. Enfin, ce mouvement fait l'objet d'une récupération politique. Si, au début, l'establishment
artistique pouvait être rétif à l'audace de ces jeunes artistes, les autorités américaines finissent par y
voir un symbole même de leur prétention à incarner un « monde libre ».

Le représentant le plus connu de ce courant est Jackson Pollock. L'intensité de son engagement et
sa mort précoce en ont fait un mythe. D'autres ténors seraient également à citer. Mais à côté de
ceux-ci, il faut aussi compter avec des dizaines d'épigones. Les galeries newyorkaises des années 50
sont pleines de toiles expressionnistes abstraites qui ont nécessité l'épandage d'une quantité
invraisemblable de matière picturale. On devine que la saturation est proche et qu'une réaction va
intervenir. Or, cette réaction va avoir pour l'histoire de l'art une signification plus radicale que les
réactions que nous avons rencontrées précédemment (Caravagisme contre Maniérisme, Néo-
classicisme contre Rococo, etc.).

L’art aux États-Unis autour de 1960 et le triomphe tardif de Duchamp :

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En effet, la réaction contre l'Expressionnisme abstrait ne va pas seulement donner lieu à la définition
d'un nouveau courant pictural mais à une remise en cause de la centralité de la peinture . 1960
apparaît dès lors à certains égards comme l'entrée en crise d'une suprématie dont nous avons observé
l'émergence autour de 1430. Les premiers coups de butoir viennent, dès avant 1960, de deux artistes
qui s'ingénient à perturber en quelque sorte de l’intérieur la peinture abstraite sous ses différentes
formes. Jasper Johns peint des séries de Cibles ou de Drapeaux. Ces tableaux pourraient parfaitement
faire l'objet d'une description purement formelle comme certains critiques savaient si bien le faire.
Toutefois, comment ne pas reconnaître aussi dans ces bandes de couleur une « image » familière ?
Robert Rauschenberg réalise, quant à lui, des Combine Paintings : il s'agit de collages et
d'assemblages. Des champs picturaux sont envahis par des objets de la vie quotidienne voire par des
animaux taxidermisés ! Rauschenberg prépare un retour à l'objet mais aussi à la troisième dimension.
C'est comme si la vie extérieure, exclue du champ pictural par quinze ans de domination abstraite, en
reprenait le contrôle.

C'est un art tridimensionnel du début du 20 e qui préfigure le mieux les ruptures postérieures à 1960.
Marcel Duchamp est en effet l’inspirateur direct des assemblages de Johns et Rauschenberg. Duchamp
a commencé par être peintre... au moment de l'effervescence créative autour de 1910 (cubo-futurisme).
Mais il a été exaspéré par ce qu'il estimait être le sectarisme de ses collègues. Comme les futuristes
italiens, Duchamp est fasciné par la technologie moderne mais il est vite convaincu que l'art ne saurait
rivaliser avec les prouesses de celle-ci. À rebours de l’abstraction naissante, Duchamp est fasciné par
l’objet quotidien. Il valorise l'objet déjà réalisé en l'élevant au rang d’œuvre d'art : ce sont les fameux
ready-made. Souvent, le clin d’œil à la problématique sculpturale est évident : dans La roue de
bicyclette (1913), le tabouret fait écho au socle tandis que la roue elle-même évoque la préoccupation
contemporaine de rendu du mouvement. Il s'agit encore d'un assemblage. La seule intervention dans le
Séchoir à bouteilles (1914) est par contre la signature et la datation. Duchamp interroge la définition de
l’art : n’est-ce pas toujours un certain milieu institutionnel qui édicte la frontière entre art et non art ?
Le fait que Duchamp ait été considéré comme un artiste à part entière, un peintre reconnu aux
ÉtatsUnis lui a donné en quelque sorte le pouvoir d’interroger les règles de l’art. Pour lui, c’est aussi
un jeu social. .

C'est l'émergence et, bientôt, le triomphe du Pop Art qui sonne le glas de la longue domination de
l'Expressionnisme abstrait. La rupture avec l'abstraction est évidente avec la réalisation d'images de
grands formats inspirées du monde de la publicité ou de la bande dessinée. Ce qui est ainsi remis en
cause, c'est une certaine fracture entre l'art et la culture populaire, fracture que l'on pourrait faire
remonter à la Renaissance italienne. Le Pop Art réinscrit l'Art dans la culture visuelle générale du 20 e
siècle marquée par le développement de nouvelles images. La facture du Pop Art est froide et
présente des images aux contours précis. Il s'oppose donc à l'Expressionnisme abstrait également du

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point de vue de la facture (qui était « chaude » et spontanée). Andy Warhol est bien sûr le
représentant le plus connu du Pop Art. L'interprétation de ce courant n'a pas fini de faire couler de
l'encre. Quelle est sa part d'ironie ou, au contraire, de platitude ? Est-elle une critique de la société de
consommation ou une sorte de reconnaissance par l'art que celui-ci ne peut plus lutter contre elle ?
Andy Warhol rompt avec l’image de l’artiste romantique : il assume une certaine superficialité de
dandy, ne prétend pas que sa célébrité est justifiée par cette profondeur et cette authenticité que les
expressionnistes abstraits revendiquaient pour leurs toiles.

L’art contemporain et ses « genres » : un jeu dans l’espace :

Les critiques américains des années 50 voulaient retenir l’art dans une définition étroite où l’art est
distinct de la société et où la peinture joue toujours le premier rôle. Ils étaient attachés à une claire
distinction entre l’œuvre, l’artiste, le spectateur et l’espace d’exposition. Ces distinctions n’avaient
en effet pas été remises en cause ni par l’impressionnisme ni par l’art abstrait. Les nouvelles
avantgardes des années 60 et 70 vont vouloir ouvrir le champ artistique tous azimuts et brouiller
toutes les distinctions traditionnelles. Ceux qui pensaient que la peinture abstraite était l’oméga de
l’histoire de l’art sont déroutés : ils dénoncent une fuite en avant. Certes, tous les genres et tous les
courants de l’art contemporain ne relèvent pas de l’art tridimensionnel. Mais, désormais, celui-ci
domine de manière évidente la peinture. Être un peintre aujourd’hui sans paraître ringard est un
défi. Certes, on annonce régulièrement « le grand retour de la peinture » mais cela confirme surtout
le fait qu’elle est a perdu de sa superbe.

Certains artistes vont donc vouloir sortir du cadre à leurs yeux étriqués de la galerie d'exposition,
déconstruire en quelque sorte la relation entre le spectateur et le dispositif. C'est ainsi que Robert
Smithson réalise Spiral Jetty (1970) dans un lieu inaccessible. Seules des photographies pourront
être présentées dans des galeries.

L'installation est un genre de l’art contemporain qui suppose une relation étroite d'intégration
entre l'espace d'exposition et le dispositif exposé : c'est l'ensemble qui fait œuvre. L'environnement
insiste plutôt sur l'intégration-participation ou sur l'immersion du spectateur : l'environnement peut
donc avoir une dimension sonore. Dans les deux cas, l'art a été redéfini puisqu'il ne s'agit plus de
peinture limitée à son cadre ou de sculpture limitée à son socle. Un autre genre est la performance :
dans ce cas, c'est la distinction entre l’œuvre et l'artiste, mais aussi entre la sculpture et le théâtre,
qui est brouillée. L'un des artistes les plus connus dans ce « genre » de l’art contemporain est
l'Allemand Joseph Beuys qui déployait à travers ses performances (années 1970) toute une

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mythologie personnelle (Comment on explique les tableaux au lièvre mort ; J'aime l'Amérique et
l'Amérique m'aime, etc.). Aujourd’hui encore, la performance peut être un genre privilégié pour
exprimer une opposition politique (exemple de Piotr Pavlenski en Russie).

Si l’œuvre d’art peut s’étendre à l’espace environnant en incluant l’artiste et le spectateur, elle peut
aussi se dématérialiser. Dans l’art conceptuel, l’idée ou le projet peut suffire sans réalisation.

L'architecture au 20e et 21e siècles :

Nous avons déjà évoqué le bâtiment du Bauhaus (architecte : Walter Gropius) comme un exemple
d'architecture moderniste en rupture avec l’architecture 1900 (l’« Art nouveau »). Le plus célèbre
représentant de ce courant dominant du 20 e siècle est l’architecte suisse Le Corbusier. Malgré son
austérité, ce courant est marqué par une grande diversité interne. On y rencontre des architectes
novateurs mais aussi nombre d'épigones, parfois mus par un esprit de système. Les projets vont de la
villa de riches mécènes à des unités d'habitations populaires jusqu'à, dans un exemple extrême, la
création d'une nouvelle ville : Brasilia (Oscar Niemeyer, premier noyau inauguré vers 1960). Les
caractéristiques les plus visibles de ce courant sont le refus de l'ornement, l'orthogonalité,
l'exploitation des nouveaux matériaux (béton, amélioration des techniques du verre, etc.), une
certaine indifférence au bâti ancien jugé peu fonctionnel. Les conséquences peuvent être néfastes
en cas d'application aveugle dans des villes au riche patrimoine historique (la « bruxellisation »).

La caractéristique la plus fondamentale de l’architecture moderniste reste la primauté accordée à la


cohérence interne des bâtiments : les façades n'ont guère de sens en elles-mêmes et pour elles-
mêmes ; elles reflètent la logique spatiale interne. C'est une situation inverse à l'architecture
classique soucieuse de la dignité et de l'harmonie de la façade. Cette caractéristique ( le primat de la
cohérence interne) permet de personnaliser les habitations privées en s'adaptant à des programmes
spécifiques. L’un des exemples les plus célèbres de villa moderniste est la Villa Savoye réalisée à
Poissy (région parisienne) par Le Corbusier vers 1930. On y retrouve ses grands principes : les
pilotis dématérialisent le rez-de-chaussée, le toit-terrasse réinvente l’art de vivre, la conception de
l’espace intérieur n’est plus conditionnée par les murs-porteurs. L’architecte américain Frank Lloyd
Wright est un autre maître du modernisme. Son œuvre la plus célèbre, La Villa sur la Cascade, a été
réalisée quelques années plus tard aux États-Unis. S’il y a des différences entre les démarches, le
point commun avec Le Corbusier est le caractère « autocentré » de l’architecture : l’espace intérieur
détermine des formes en relation avec la nature, indépendamment de l’espace urbain.

On constate donc dans les années 1950 un grand contraste entre une peinture gestuelle qui se veut
spontanée, parfois exubérante, et une architecture rationaliste et austère. Difficile de rassembler ces

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deux médiums sous un même concept stylistique comme aux temps du Baroque ou du Néo-
Classicisme ! La différence se marque aussi du point de vue de la chronologie. Alors que le souci de
redéfinir complètement les arts plastiques se marque dès 1960 environ, il faut attendre le courant
des années 70 pour voir apparaître une remise en cause frontale du paradigme moderniste en
architecture. Ce sera le postmodernisme1. L'impersonnalité voire le supposé iconoclasme de
l'architecture moderniste sont mis en procès. L'aspect le plus visible de ce moment est le retour à
l'ornement voire à la suggestion des matériaux traditionnels. L'architecte « postmoderniste » le plus
connu est Ricardo Bofill (projets à Montpellier, Marne-la-Vallée, etc.). La dimension nostalgique
(écho du Grand Béguinage de Louvain) qui caractérise la Faculté de Philosophie, Arts et Lettres de
Louvain-la-Neuve était en réalité à son époque (1979) tout à fait up to date. Au-delà de ce bâtiment,
le contraste à Louvain-la-Neuve entre les premiers bâtiments construits (à partir de 1971) en béton,
isolés au milieu de la nature et proche de voies automobiles rapides et le bas de la ville mettant à
l'honneur la brique et le piétonnier est très caractéristique de l'évolution générale au cours des
années 1970. Une dimension fondamentale du postmodernisme est en effet le retour à la ville,
c'est-à-dire en particulier à son tissu ancien. La prise de conscience écologique est passée par là : la
ville n'est plus considérée comme le domaine exclusif de la voiture et des voies rapides. Le
patrimoine naguère jugé encombrant est valorisé : de vastes campagnes de réhabilitation de villes
anciennes sont entreprises (exemple en Belgique de Mons dès les années 80).

Les années 90 voient la réhabilitation massive en architecture des nouveaux matériaux, lesquels
avaient été critiqués par le courant « post-moderniste » (retour à la brique, etc.). Ces matériaux
ne sont plus tant exaltés pour leur valeur fonctionnelle que pour les performances plastiques qu'ils
permettent, des « gestes architecturaux forts » (que leurs détracteurs surnomment ironiquement
GAF). Des types de bâtiment particulièrement en vogue sont les musées, considérés comme de
nouvelles cathédrales. L'exemple emblématique est le Musée Guggenheim de Bilbao par Frank
Gehry (1997). Il s'agit de créer un ensemble monumental et spectaculaire. Il s'agit d'une véritable
sculpture géante comme si architecture et sculpture avaient eu tendance à fusionner et que la ville
était la nouvelle échelle. Autour de l'an 2000, la ville de Valence en Espagne fait réaliser les différents
bâtiments de sa Cité des Arts et des Sciences par Santiago Calatrava. Ce dernier architecte est
particulièrement apprécié par les responsables wallons qui lui commandent des gares spectaculaires
(Liège, Mons). Après l'Espagne des années 90, c'est la France des années 2010 qui voit les projets
muséaux spectaculaires se réaliser. Chaque grande ville régionale semble vouloir son « phare ». Mais
cette politique du « grand geste » peut parfois occasionner un surcoût titanesque (le Musée des
Confluences de Lyon a finalement coûté 306 millions d'euros !) menaçant le tissu culturel de la ville.

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Aujourd'hui, la communauté de Valence est l'une des plus endettées d'Espagne.

L’art contemporain concerne un milieu international riche d’échanges mais sa difficulté persistance à
toucher d’autres publics l’expose au risque d’une certaine dualisation. Ce phénomène où la création
vivante concerne une élite de fait, fût-elle mondialisée, est en réalité fréquent dans l’histoire de l’art.
Souvenons-nous de ces courants qui étaient des phénomènes européens, certes, mais « de cour ».
Que l’on s’en accommode ou que l’on s’en affecte, l’art semble avoir toujours été lié à une
dualisation sociale. Le monde des galeries et des foires d’art contemporain peut apparaître lointain à
une partie importante de la population et la laisser indifférente. En revanche, les grands projets
d’architecture affectent dans la ville la vie de tout un chacun. Dans le meilleur des cas, ils donnent à
la ville une nouvelle fierté, ils revitalisent des quartiers jusque-là déconsidérés ; dans d’autres, ils
grèvent les finances publiques et s’éternisent en chantiers interminables qui expriment un malaise
plus général.

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