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L'iris de Suse 4th Edition Giono

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Jean Giono
L’Iris de Suse
à Philippe
et à Agnès
Aux alentours de 1904, un « zèbre » (on ne peut pas l’appeler
autrement) quitta Toulon de nuit, sans bruit ni trompette. C’était une sorte
de chicocandard, la plupart du temps en rase-pet et chapeau melon. Dans
certains milieux il était surnommé Tourniquet – il avait été condamné aux
travaux forcés militaires – ou, plus souvent, Tringlot.
Il suivit une petite route qui serpentait dans un vallon plein de bocages
et de rossignols. Il traversa un village endormi ; longtemps après un moulin
qui enjambait la route et le ruisseau, puis, très longtemps après, des bois de
pins qui ronronnaient comme des chats dans les collines ; une auberge de
roulage dans de grands platanes et une fontaine très sonore. L’écurie était
ouverte ; une lanterne y circulait ; des chevaux piétinant éternuaient et se
raclaient la gorge. C’était l’aube juste avant le blanc. Il s’écarta de la route,
sauta le ruisseau et il monta dans un ubac.
Il trouva un buisson de genêts. C’était un endroit sec et qui sentait le
musc des lapins de garenne. Il fit son lit. Avant de s’endormir, il constata
avec satisfaction que le buisson le recouvrait complètement.
Le grand jour le réveilla. Il se trouvait au-dessus de l’auberge et à moins
d’une cinquantaine de mètres à vol d’oiseau. Il estima qu’il était à peu près
six heures du matin.
Il regarda partir une patache ; trois voyageurs : un commis, une femme
sans voilette et un gros. Une charrette de paysan passa au pas. Un fardier à
vide descendit en trottant ; une petite fille en robe rouge faisait du tape-cul
au bout de la ridelle. Le matin était très calme.
Le soleil dépassa la colline. Un vieux cheval vint boire tout seul dans le
bassin de la fontaine ; il rentra dans l’écurie, pas à pas, la tête basse. Un
Planteur de Caïffa, sur son tricycle, pédala jusqu’à la porte de l’auberge ; il
mit pied à terre, ouvrit son coffre, tira des paquets et les porta dans
l’auberge. Une jeune fille vint balayer le seuil ; elle chantonnait. Une vieille
femme sortit en secouant son tablier et vint s’asseoir sur un banc de pierre,
au pied d’un platane ; elle fouilla dans sa robe, sortit une tabatière et elle se
fourra du tabac à priser dans ses deux narines. Elle huma le frais. Un boscot
trapu, portant de la paille au bout de sa fourche, traversa le terre-plein. Une
conversation s’engagea entre la vieille femme impérative et le bossu qui
s’en allait avec sa paille ; il entra dans l’écurie et il parla aux chevaux avec
une voix de tonnerre qui ne correspondait plus à sa petite taille. La jeune
fille qui continuait à chantonner vint verser des pots de chambre sur le
fumier. Le patron fit quelques pas dehors. C’était un gros sanguin en gilet
de corps et tablier blanc. Il n’avait pas un poil sur le caillou, quoique jeune.
On l’appela ; il rentra. Le Planteur de Caïffa se remit en selle et s’en alla. Il
prit un chemin de traverse au coin de l’écurie. Son tricycle couinait à
chaque coup de pédale. La jeune fille et sa chanson apparurent aux fenêtres
ouvertes du premier étage ; elle faisait les lits ; on l’entendait qui tapait du
plat de la main sur les oreillers et remuait des paillasses. Dans l’écurie, le
boscot guettait la vieille priseuse ; celle-là, béate, se carrait de plus en plus.
Il faisait bon.
Il n’y avait pas un gros trafic sur la route, à part un tombereau, des
piétons : une femme portant un panier (elle échangea quelques mots avec la
vieille femme assise sur le banc de pierre) ; un marchand de lunettes portant
sa caisse, puis un maquignon tirant trois bêtes au cul de son tilbury ; une
vieille carriole, jalouse des deux côtés, traînée par une rosse, portait sur le
siège un bonhomme énorme qui dormait.
Dans le cours de la matinée, le ménage seul de l’auberge continua
petitement. La jeune fille ne chantonnait plus. Elle vint retrouver à deux ou
trois reprises le boscot dans l’écurie. Elle l’appelait. Il répondait de sa voix
de tonnerre. Chaque fois il sortait avec elle en poussant une brouette et ils
allaient tous les deux fourgonner dans un appentis. Ils revenaient en
emportant, d’abord un cuveau qu’ils mirent à remplir sous le canon de la
fontaine, puis un trépied et un gros diable en zinc noir. La jeune fille et le
boscot se mirent en devoir de construire un feu contre le mur de l’appentis.
Ils se disposaient, semblait-il, à faire bouillir la lessive. La vieille, assise sur
son banc, les asticota ; elle se leva, comme de guerre lasse et, en boitillant,
elle rentra à l’auberge sans cesser de grommeler.
Une odeur de daube marqua midi. Un vol de moineaux obstiné harcela
une pie dans les platanes. Au bout d’un moment la vieille femme reprit sa
faction sur le banc de pierre mais elle s’endormit. Une chienne jaune, avec
un grelot, passa en balançant ses longues mamelles.
L’après-midi s’étira. Soudain arriva sans bruit un cabriolet à capote
verdâtre. Il avait des roues caoutchoutées. « Les voilà », se dit Tringlot.
L’attelage traversa silencieusement la scène et disparut. Tringlot
s’endormit.
Il se réveilla. C’était la nuit noire. (La chienne au grelot reniflait en
furetant autour des genêts.) Il descendit de son perchoir, en obliquant pour
éviter la porte de l’auberge, grande ouverte, d’où venaient une lumière
rouge et les bruits d’une partie de cartes.
Il marcha d’abord sur la route ; il faisait le moins possible de bruit ;
d’ailleurs, la poussière épaisse étouffait ses pas. Il regardait de tous ses yeux
le noir d’encre et il écoutait, seul, le murmure des bois. Tous ses sens étaient
en éveil. Même l’odorat : il sentait la sueur aigrelette des lièges écorcés, le
plâtre d’un petit pavillon dans les pins, la rouille des martellières plantées
de biais dans les filioles d’arrosage, l’anis d’un champ de fèves, l’amertume
de la dent-de-lion déchirée la veille par des moutons, la résine des pins, et
naturellement l’épice familière du crottin, mais, plus loin encore (il
cherchait, il se méfiait) l’arôme peut-être d’un tabac. S’ils étaient
embusqués, ils ne fumaient certainement pas cette nuit ; un des deux en tout
cas avait l’habitude de mâcher du cachou.
Il arriva à un petit col. Il s’arrêta pour écouter le ronron des pins. Le
creux dans lequel il allait descendre grondait comme les plaines. Il devait y
avoir en bas de vastes champs de blé en épis, verts, et des prés, et peut-être
des jardins maraîchers. Loin, un train siffla. Il entendit les rumeurs des eaux
d’arrosage et des bruits indistincts, méconnaissables, par exemple des
claquements réguliers.
A partir de là, il marcha précautionneusement sur le bas-côté de la route,
carrément dans l’herbe. Il ne voyait rien mais il tâtait de tout. Il ne s’agissait
pas d’aller vite, mais d’aller sûrement. Les troncs des pins qu’il touchait de
la main s’écartaient et il vit, très loin, circuler de petites lanternes
tremblantes. C’était la grand-route.
Il mit très longtemps à descendre et sans le moindre bruit. En bas il
s’immobilisa : il venait de sentir le cachou et l’odeur de la menthe écrasée.
Ils étaient là. Il arrêta son souffle ; il écouta.
Ils devaient être à une dizaine de pas. Il essaya de se représenter
l’endroit où ils se tenaient. Le bruit confus de grands arbres le dirigea. Ce
n’étaient pas des platanes : des peupliers ; le cabriolet était remisé en retrait
des peupliers, sur de l’herbe épaisse où le cheval, avant de s’endormir dans
les brancards, avait piétiné les menthes. Eux étaient certainement debout au
bord de la route, pas assis mais debout, car, par-dessus le grésillement des
grillons, il entendit un petit cliquetis métallique semblable, mais différent.
C’était un des deux – celui qui ne mâchait pas du cachou – qui tapotait ses
clefs au fond de sa poche, comme il le faisait toujours.
Tringlot ouvrit la bouche et apaisa complètement sa respiration. Puis, il
commença à bouger, lentement, comme dans du miel. Il se baissa et il prit
quatre ou cinq petits gravillons dans sa main. Il se redressa et il resta très
longtemps immobile. Il avait maintenant très bien localisé les deux
hommes. A force d’attendre, ils s’étaient détendus et ils vivaient avec moins
de retenue. Ils respiraient du nez et, malgré leur embuscade, leurs souffles
s’amplifiaient inconsciemment dans la fraîcheur et le parfum de la nuit.
D’un coup de poignet très souple, il lança un gravillon gros comme une
noisette du côté où il avait l’intention de prendre du champ. Le cliquetis des
clefs s’arrêta ; les deux hommes étaient alertés. Au bout d’un moment le
cliquetis reprit. Tringlot continua son manège, lançant des cailloux, tantôt
loin, tantôt près, c(omme une grosse sauterelle ou une grenouille bondissant
dans l’herbe. Les guetteurs s’habituaient peu à peu au bruit d’abord insolite.
Quand ils furent bien rassurés, Tringlot commença à se retirer lentement
vers le pré qu’il imaginait avoir à sa droite.
C’était en effet un pré et assez ras, fauché depuis peu. Pas à pas,
Tringlot s’éloigna de l’embuscade. Il ne faisait pas plus de bruit que celui
de la chute des gravillons. Quand on a fait sept ans de Biribi, et qu’on s’en
sort, on se confie volontiers à un certain romanesque. S’étant assez éloigné,
il échappa un peu plus vite par la tangente. Il essayait en même temps de
comprendre ses alentours. Il avait sur sa gauche les murmures un peu
sifflants de grands saules et le clapotis d’une eau maigre courant sur un lit
de galets. A sa droite circulaient horizontalement des points lumineux
rougeâtres : les lanternes des voitures sur la grand-route ; en face de lui des
bâtiments, sans doute là-bas où un chien aboyait (sans raison pour l’instant).
L’aboi était vaguement répercuté par un écho : un hangar.
Tringlot évita la direction du chien et il se dirigea vers la grand-route.
La nuit élimée laissa petit à petit transparaître quelques formes. A l’horizon,
le liséré ondulé des crêtes se découvrit ; l’ombre fermait encore toute
perspective. Les coqs chantaient. Une lueur à peine sensible blanchit au
creux des collines. Un reflet gris s’élargissait. Des ombres se détachèrent
dans l’ombre : des feuillages où luisaient comme des filaments d’huile, les
triangles phosphorescents des toitures, puis le nuage des crépis.
Insensiblement le jour se levait.
La plaine, ou plus exactement la cuvette entourée de collines noires
dans laquelle Tringlot marchait, se révélait très habitée : des fermes, des
colombiers, des granges, des bosquets, des peupliers, des sycomores, des
saules gonflés comme des poules, le damier des terres cultivées. Il ne fallait
pas s’attarder. Ce chien avait fini par inquiéter ses collègues, ils
commençaient à donner de la voix. Tringlot rentra brusquement la tête dans
les épaules : un vol de pigeons venait de le frôler. Il suivit à grands pas un
chemin de terre.
Au talus de la route il s’accroupit et il jeta un coup d’œil de chaque côté.
Rien sur la droite ; un attelage venait de la gauche. Il se cacha dans le fossé.
Ce n’était pas le fameux cabriolet ; ce n’était pas non plus un courrier, une
patache ou un omnibus. C’était une Victoria et même une vieille Victoria,
toute démantibulée et vide, conduite par un jeune gars qui fouettait cocher.
Peut-être la voiture d’un château.
Après le passage de la Victoria, Tringlot traversa la route, sauta un
caniveau et se trouva sur une voie de chemin de fer qui longeait la route. Il
enjamba le fil du disque ; il monta une lande qui sentait bon le thym et il
entra dans le bois.
Sous le couvert il s’arrêta. « La mort attrape d’abord ceux qui courent »,
se dit-il. Il voulait examiner la situation. Le jour était maintenant levé,
encore incolore, mais les choses se dessinaient. Il essaya de retrouver le
chemin parcouru depuis l’embûche. En partant de la route qu’il avait
traversée, il reconnut son chemin de terre, le colombier où le vol de pigeons
l’avait effrayé, plus loin des prés et, finalement, celui qu’il avait longé, où il
s’était embourbé et qui était en arrosage. Il le voyait luire là-bas ; il était
venu de l’autre, fermé par une haie de saules et enfin celui qui touchait à un
panache de trois peupliers en lisière du bois de pins. En aiguisant sa vue, il
devina et enfin il vit la tache verdâtre de la bâche. En réalité c’était très
près : deux kilomètres tout au plus. Toutes ces précautions lui avaient fait
perdre beaucoup de temps cette nuit.
Pour l’essentiel c’était d’être au large. Le cachou et les clefs n’allaient
pas se dégoûter si facilement, bien sûr ; ils allaient d’abord faire sentinelle
un bon bout de temps au carrefour de la grand-route (ils ne pouvaient pas
s’en dispenser) ; après, ils patrouilleraient dans les deux sens jusqu’à une
gare d’un côté et de l’autre. Ils ne peuvent pas négliger les gares, les salles
d’attente, les horaires. Ils en avaient bien pour tout le jour. Il fallait donc
s’enfoncer tout de suite et le plus loin possible dans le pays sauvage.
Toute cette histoire n’était donc pas trop mal combinée, finalement. Le
sous-bois devint rapidement sombre et profond ; après avoir dépassé un
ravin et une longue colline, il entra dans une forêt de vieux chênes. Il se
dirigeait à vue de nez ; il se confiait à son instinct. Il se disait des quantités
de petites choses qui le stimulaient. Il marchait vite. Il n’était pas fatigué. Il
n’avait ni faim ni soif. Son romanesque cocardier (mais il n’arborait que sa
propre cocarde) lui tenait lieu de confortable pour l’instant.
La forêt se déchira au sommet de la plus haute colline ; c’était déjà
presque une montagne. Il dominait un fameux morceau de pays. A ses pieds
dévalait le bois de chênes, ressautait sur deux ou trois plissements
rébarbatifs, puis il glissait en s’éclaircissant jusqu’à un fond de champs
cultivés. La moitié d’un village émergeait d’une croupe couverte de
terrasses chargées d’oliviers, de vignes et de luzerne. Des hauteurs
scabreuses encerclaient étroitement cette sorte de clairière. Au-dessus
s’allongeait un plateau boisé et, dans ces bois, s’arrondissait un autre village
tout fumant, lançant un long clocher presque transparent. Dans un panache
de pins luisait un château à deux tours carrées chapeautées de tuiles vernies.
Plus loin, s’étendaient des parages indistincts. Le ciel était couvert d’un
voile blanchâtre et des brouillards dormaient dans les vallons. L’horizon
était bouché.
A gauche, une tortueuse vallée encombrée de tertres, resserrée par des
parois à plomb couvertes d’yeuses, remontait vers des massifs enchevêtrés.
Entrelacé avec un ruisseau scintillant, un petit train d’intérêt local y
serpentait. 11 faisait des flonflons de fumée, au pas. La gorge étroite où il
ahanait amplifiait le martèlement de ses bielles et le trimbalement de ses
ferrailles. Il traînait à la montée quatre wagons vers une bourgade enfoncée
dans des éboulis et les décombres d’une montagne. Cette agglomération se
gonflait particulièrement autour d’un ruisseau comme l’indiquaient des
frondaisons importantes et trois hautes cheminées de fabriques.
A droite de Tringlot, et très près de lui, la pente, au sommet de laquelle
il se trouvait, tombait presque à pic sur une autre gorge plus étroite encore
que celle où s’insinuait le petit train. Malgré la matinée avancée, a lumière
ne pénétrait pas dans cette rainure. Il y soufflait un froid de glace et
quelques éperviers tour – laient comme des brindilles dans un remous.
Tringlot suivit la crête pour découvrir des aspects nouveaux du vaste
paysage et il s’aperçut qu’elle ontinuait et précisément dans la direction
qu’il vouait. Il descendit ainsi jusqu’à cette colline entourée de terrasses
étagées. Il se trouva alors sur un belvédère qui dominait le village : une
trentaine de maisons, une glise et un long lavoir rectangulaire. Il n’avait pas
envie, pour le moment, de se rapprocher des endroits habités, à moins de
rebrousser chemin, ce qu’il ne voulait absolument pas. Il fallait cette fois
descendre dans le creux et passer de l’autre côté. D’autant que les pentes en
face, quoique très raides, étaient fourrées de bois à plaisir et, sur le plateau
au-dessus, il voyait des régions très cocagnes. Il trouva un sentier bordé de
murs, noir de lierre et qui coupait en biais les terrasses jusqu’en bas. Il
pouvait très bien dégringoler dans cette sorte de tranchée sans se montrer,
surtout en bombant un peu le dos. Il regrettait d’être habillé de son costume
« hippique », un peu voyant, mais l’autre soir il avait été obligé de jouer la
fille de l’air à toute vitesse. Ça sentait le roussi ! Et à ce moment-là, il ne
s’agissait pas de faire l’artiste. Évidemment, s’il avait pu avoir quelques
trucs, il se faufilerait maintenant, beau comme tout. En tout cas, faute de
grives… il avait toujours un chapeau melon. Le chapeau melon est reçu
partout. A Toulon, oui, se dit-il, chez les pacants, à savoir !
La poulie d’un puits grinçait ; une charrette faisait crier les graviers
d’une route dans un verger ; un dialogue s’échangeait entre le déroulement
d’un chapelet de jurons et un cheval qui répondait en se curant la gorge.
En bas, les champs étaient coupés de haies. Il ne l’avait pas vu de là-
haut. Au fond, c’était très facile : ce village était d’une indifférence totale. Il
y avait toujours ce type qui engueulait son cheval mais paisiblement,
comme une simple formalité. On ne voyait pas l’homme, d’ailleurs ; on ne
voyait qu’un gros cheval rouge. Il n’y eut juste qu’un petit pépin : une
fillette sautait à cloche-pied dans une marelle. Une voix de femme la fit
s’envoler. Il entra dans le sous-bois convoité. La pente était raide. A la force
du poignet il escalada à travers un enchevêtrement de viornes et de
clématites. Il fut obligé de reprendre haleine avant de mettre le pied sur un
chemin montagnard, à moitié glissière, à moitié éboulis et plein de
bardanes. A son idée, il avait dépassé largement midi quand il aborda le
plateau. C’était à perte de vue un désert de cistes et de silence.
Il n’avait toujours pas faim ; enfin pas trop. Et le jour tourna, petit à
petit. Rien ne changeait : des cistes. Tringlot n’entendait que son passage
dans les buissons ; s’il s’arrêtait, c’était le silence. Il avait pris ce qu’il
appelait son « trot de chameau » : un long pas glissé et balancé qui avançait
vite. Il se léchait les lèvres un peu trop souvent. Il était vaguement inquiet.
Il rencontra un énorme oiseau qui s’en allait de son côté, les ailes étendues.
Longtemps après (le ciel était devenu vert) en traversant une région où
les cistes étaient entremêlés avec des genévriers et des buis arborescents,
Tringlot se trouva brusquement en face d’un carrefour de chemins creux, de
murs couverts de lilas d’Espagne, d’une croix et d’une vieille ville
accroupie. Il fut secoué d’un petit rire idiot. Il n’avait pas été pris tout à fait
à l’improviste. Depuis un bon moment déjà il avait sur la langue un goût de
fumée et dans son nez une odeur de génoises pleines de nids ; il avait même
yu dans le soir les zigzags des hirondelles. En réalité, il : royait que son nez,
ses yeux et sa bouche lui faisaient des blagues.
Non, la ville était vraie, vieille comme les rues, comme on dit, mais elle
fumait et même elle brasillait sous ses réverbères.
Tringlot but à une fontaine, d’abord à petits coups, puis comme un
cheval. La nuit était tombée. Il allait pouvoir faire des quantités de choses
dans ces ombres et ces ronds de lumières rouges. Boire encore, bien
entendu, mais d’abord manger. Après il irait chercher des trucs par-ci par-là,
sans imprudence. Il acheta deux sous de pain et trois sous de cervelas. Ce
pain était de première bourre et la charcuterie : un luxe ! Avec de gros
grains de poivre. Il en jutait ! Il but à une nouvelle fontaine. Il savait
apprécier l’eau. Il fit un peu de toilette ; il se rafraîchit les oreilles. Ses
genoux roulaient dans de l’huile, ses pieds intacts comme du marbre : un
véritable Juif errant. Ils pouvaient toujours s’aligner avec le « petit Jules ».
(Les autres l’appelaient – vaguement – Tringlot, mais lui se donnait un
surnom personnel, intime : le petit Jules. Avec celui-là il s’aimait.)
Du fond d’un passage couvert, il vit luire faiblement la vitrine
poussiéreuse d’une boutique de drapier. « Il doit y avoir sûrement là-dedans
de vieux rossignols, se dit-il, ça ferait ma balle. » Il marchanda un costume
de velours. Il en trouva un qui avait été exposé dix fois en montre. Il n’allait
pas mal. En tout cas, il n’avait pas l’apprêt du neuf. A tout hasard il
demanda un couvre-chef, un chapeau. Il se demanda vaguement s’il ne
fallait pas un chapeau de feutre à grands bords, mais non, le fin du fin
c’était le béret, le grand béret, le béret alpin, la tourte, la tourte noire. Il se
regarda dans la glace avec ce prodigieux machin sur la tête. Alors là c’était
tout à fait autre chose. Il fallait évidemment s’habituer. Bon. Il acheta
également un sac, tout dans la même boutique. « Je ne fais pas de détail, se
disait-il, un sac comme vous et moi, un sac comme pour le blé ou les
pommes de terre. » Il trouva tout ça. Et un bout de corde à peu près de deux
mètres. Ça faisait la rue Michel.
Par contre, Tringlot chercha la meilleure boutique. Il s’agissait d’un
quincaillier. Il portait sur l’épaule le sac dans lequel il trimbalait son
costume de velours et son béret. Ce fourniment lui donnait une allure
normale. Il était très à son aise. D’ailleurs, pour le moment, il n’y avait pas
beaucoup de monde dans les rues, sauf des gosses qui criaillaient ; c’était le
repas du soir. La quincaillerie était sur la place : deux belles vitrines
astiquées, avec des quantités d’ustensiles. Il entra demander un couteau,
mais pas n’importe quel couteau : un Opinel. On le lui donna tout de suite et
même on lui en étala tout un choix. Alors là il jubilait ! Il prit un Opinel,
bien marqué sur la lame, le plus grand, à cran d’arrêt, naturellement. Que
voulez-vous qu’il fasse avec un couteau sans cran d’arrêt ? Une fois payé, il
le soupesa encore au creux de sa main. C’était un bon couteau. Il essaya
encore la lame : bien emmanché !
Restait une gourmandise. Il avait encore un peu faim. « Ne te cherche
pas d’excuse, se dit-il ; tu es un goinfre, mais, puisque les rues sont presque
désertes, profites-en. Paye-toi un petit extra. » Il s’agissait non pas de
fromage, mais de croûtes de fromages. Il en était friand. La première
boutique où il en demanda, on le mit à la porte. C’était un gros Allobroge,
mal dégrossi, mal embouché, une sorte de moderne. « Je les donne aux
chiens », dit-il. Il faut y repiquer quand l’envie vous tient. Et c’est dans les
plus vieilles marmites qu’on fait finalement la meilleure soupe. Dans un
quartier excentrique, une boutique de rien du tout, une espèce de pocharde
qui trimbalait quarante kilos de mamelles et une barbe de bouc, mais à l’œil
tendre, ouvrit un tiroir plein de croûtes de fromages. Magnifiques ! Des
croûtes de roquefort de collection ! A croire qu’elle les aimait elle aussi.
Tout en se régalant (il avait racheté quatre sous de pain) il suivait des
ruelles au hasard. Il arriva sur des remparts qui dominaient un terre-plein
sur lequel on parquait les bestiaux pour les comices. Aucun réverbère et des
renfoncements encore plus noirs : tout à fait son affaire. Tringlot y
débusqua des rats énormes. Il se déshabilla ; il fourra le rase-pet, le
« costume ville » et le chapeau melon dans le sac. Avec sa nouvelle pelure
et sa large tourte de feutre posée sur le crâne, il fit quelques pas, très
emprunté. Ce n’était pas facile ! On n’y entre pas d’un seul coup ! Le
velours était en carton. Il se balada un peu sur ce rempart solitaire. A force
de faire les cent pas, il commença à comprendre comment s’organisent ces
plis de velours. « Ça s’arrangera », se dit-il, et il se campa gaillardement le
béret sur l’oreille. « C’est approximatif pour le moment, mais je mettrai ça
au point petit à petit. » Il avait arrangé son sac avec sa corde pour pouvoir le
porter en bandoulière, à la façon du trimard. « Je fais encore le Jacques cinq
minutes et, barca ! » Il prenait de l’aisance. Il était déjà arrivé à combiner
son pas et le frottement de ses pantalons. Il s’aventura dans le centre de la
ville. Les gens prenaient maintenant le frais sur le seuil de leurs portes. Des
groupes de filles et des groupes de garçons se promenaient sur la place.
C’était naturellement une déambulation d’ombres sous les platanes ; il n’y
avait que trois quatre réverbères. Tringlot essaya de passer dans le rond de
lumière rouge des lanternes ; il se regarda dans une vitrine. On ne le voyait
pas très bien, mais il avait une silhouette normale de trimard, ou de paysan,
ou de n’importe quoi. C’était parfait. Il tenait beaucoup à être n’importe
quoi. (Et à le rester, si Dieu prête vie !)
Maintenant il fallait dormir. Il avisa une auberge à pied, à cheval,
pignon sur rue. Ses écuries étaient grandes ouvertes. Il donna cinq sous à un
garçon d’avoine pour lui permettre d’aller se coucher dans la paille. Il s’y
trouva comme un coq en pâte. Le roi n’était pas son cousin. Il s’endormit.
Il aurait fait la grasse matinée, mais le goujat le fit décamper. C’était le
petit jour. Le patron venait faire un tour tous les matins pour surveiller les
râteliers. Et il avait l’œil. Oh ! mais c’était parfait. Frais comme l’œil : il
avait dormi ventre à terre. Mais est-ce qu’il avait rêvé ou quoi ? A son idée,
la mer, ou le Rhône, ou je ne sais quoi, avait passé dans la rue, toute la nuit
en roulant des galets. Non, il n’avait pas rêvé ; il pouvait même dire qu’il
était costaud comme dormeur : un troupeau d’au moins quatre mille bêtes,
certains même disaient jusqu’à cinq à six mille, a traversé la ville ; depuis
onze heures jusqu’à quatre heures personne n’a fermé l’œil. En effet, la rue
était couverte d’un épais tapis de crottes de moutons.
Hors de la ville, Tringlot s’orienta ; il fallait surtout ne pas perdre le
nord (c’était le cas de le dire). Le jour ne s’arrangeait pas, plein de nuages
en peau de lait. Il était bien capable de pleuvoir. Ce ne serait pas le plus
rigolo de l’histoire.
Les traces de ce troupeau s’en allaient aussi du côté du nord.
Tringlot était en train de s’échauffer, sur le point de trouver la cadence
de son pas (avec un pantalon demi-hussard il fallait faire des fioritures)
quand il s’entendit héler. C’était un homme à demi renversé le long d’une
haie. Il n’était pas très fier et vert comme un épinard. Il se tenait le ventre à
deux mains.
– J’ai une colique à tout casser, dit-il. J’ai dû manger ce matin de bonne
heure une mauvaise boîte de pâté en conserve. J’étais en queue du troupeau.
Je me suis mis là pour poser culotte ; je n’ai plus pu bouger. Le troupeau
m’a laissé. J’ai là-bas, à peine à un kilomètre, tout mon barda sur le bât d’un
des ânes. Si tu vas de ce côté, en pressant le pas tu le rattraperas facilement.
Dis à Alexandre, le petit berger, – c’est mon aide – qu’il m’apporte ma fiole
de vespétro. Je suis sûr que ça me soulagerait. Sinon je ne sais pas.
– Ne t’en fais pas, dit Tringlot, j’y vais ; reste là tranquille.
« Il m’a tutoyé, se dit Tringlot ; avec mon rase-pet et mon melon il
m’aurait dit vous. Il ne m’aurait peut-être pas parlé et malgré la colique. » Il
était ravi. Il tira son béret en pointe à la chasseur alpin et il pressa le pas.
Le dénommé Alexandre, après avoir fouillé le bât et trouvé la fiole de
vespétro, dit :– Je suis seul ; ils sont tous partis là-bas devant pour faire
passer les bêtes à un gué ; alors, quoi faire ? Je ne peux pas lui porter sa
gnole, moi !– Donne, j’y vais, dit Tringlot.
A mi-chemin, il rencontra le berger malade qui revenait tout
doucement.
– J’ai un peu de répit, dit-il, j’essaye de marcher mais ça ne va pas très
fort ; ça me tient là-dedans.
Il avala quatre ou cinq grosses gorgées de sa liqueur. Au bout d’un
moment il semblait vaguement retapé.
– Je vais de ce côté, dit Tringlot, je t’accompagne.
Mais en rattrapant le troupeau, le malade fut encore pris de violentes
tranchées et il fut obligé d’aller en vitesse évacuer du haut et du bas
(probablement en raison du vespétro qui agissait et aussi parce qu’il avait
marché). Alexandre n’en menait pas large ; il se lamentait.
– Nous sommes jolis ! Qu’est-ce qu’on va devenir avec ces bêtes
débandées ? Je ne peux pas suffire, moi, je suis tout seul !
– Tu as de grands ânes, dit Tringlot ; il n’y a qu’à charger ton patron sur
ces grosses couffes. Pour tes bêtes, donne-moi un bâton, je t’aiderai.
– Un bâton, non, dit Alexandre ; prends le fouet, je t’expliquerai ; ce
n’est pas difficile ; tu restes en queue ; tu n’as qu’à les pousser ; moi j’irai
en serre-file. A deux ça peut marcher.
Ils installèrent le malade dans une sorte de cacolet. Il gémissait :
– Ah ! mon Dieu, mes enfants, quelle histoire !
Il but encore un petit coup de son vespétro et il se laissa emporter.
Les brebis étaient fatiguées ; elles marchaient pesamment, la tête basse,
les babines à ras de terre. Il suffisait de les contenir dans le chemin et les
empêcher d’aller dans les champs où elles avaient envie de manger et de
dormir. Au surplus, restait le chien du berger malade (un des chiens, car il y
en avait au moins cinq ou six : des griffons qui trottaient sur les talons
d’Alexandre ou prenaient brusquement des initiatives, la queue en l’air et
avec des coups de gueule). Le chien suivait son maître, juste à l’aplomb du
cacolet où le malade se balançait, mais, de temps en temps, il venait prendre
la place de son maître et, en quatre ou cinq coups de museau, il mettait
immédiatement un ordre que Tringlot n’obtenait pas avec son fouet.
– On arrive, dit Alexandre.
– On arrive à quoi ?
– A l’étape.
C’était une prairie dans des peupliers.
– On m’avait dit trois ou quatre mille bêtes…
– On en a plus que ça, dit Alexandre ; ça va chercher dans les six mille
au moins.
– Et là il y en a combien ?
– Dans les cinq cents ; c’est l’arrière-garde. Les autres sont plus loin, là-
bas. Ça s’étend sur une dizaine de kilomètres. Ils sont déjà parqués à la
Trinque – d’Isnard. La prairie a été louée pour nous ; ça s’appelle Blacas.
Toutes les années c’est pareil. Il y a une fontaine là-bas dans les arbres.
Arrêt-buffet.
Les bêtes étaient harassées. Il n’était pas loin de neuf heures.
– Exactement, dit Alexandre en remettant sa montre au gousset.
Tringlot aida à débâter les mulets et les grands ânes. Le malade
descendit tout seul de son couffin.
– Ça va mieux ?
– On dirait. Je ne suis pas encore un lion, mais je me tiens debout. Tu
m’as tiré une belle épine du pied. Je te remercie. Où vas-tu maintenant ?
– Dans cette direction, c’est pas bien défini.
Si tu ne sais pas où aller, viens avec moi. Je t’emmène si tu veux. Je ne
peux pas te payer, je ne suis pas patron, je suis domestique, mais si tu n’as
rien à faire, tu gagneras toujours ta croûte.
– Tout compte fait, dit Tringlot, pourquoi pas ? Je ne resterai peut-être
pas tout le temps, mais on peut faire un petit bout de chemin ensemble ; je
ne dis pas non. Seulement, il faut dire la vérité : je n’y comprends rien à
votre boulot.
– Tu t’es bien débrouillé et puis, il y a tellement de choses à faire : des
petites et des grandes.
« Mais voilà un truc épatant ! se dit Tringlot. J’étais nu et cru et
maintenant j’ai des atouts : j’ai une nouvelle pelure, j’ai un bon couteau ; je
me fous des gages, j’ai de l’argent en pagaille. Ce qui compte c’est que je
suis embrigadé. Qui va me regarder sous le nez désormais ? Ni vu ni connu,
je t’embrouille. »
Pendant toute la matinée, il avait eu trop à faire pour s’occuper du
paysage ; présentement assis contre les bâts comme dans un fauteuil, en
train de mastiquer du bon fromage de chèvre bien sec et du pain de ménage,
Tringlot regarda attentivement ce fameux nord où il allait.
Ça avait l’air de quoi ? D’un bleu bizarre. Il l’avait pris d’abord, les
jours d’avant, pour un ciel, un ciel bouché, puis, une sorte de ciel ; et ce
matin, là-bas, depuis qu’il s’était approché, ce n’était plus aérien : ni un
nuage, ni de l’orage, ou de l’air, non, pas du tout, c’était comme une purée
de pois, plus épaisse encore ; si épaisse qu’elle faisait ombre ; si compacte
qu’elle répercutait tous les bruits et les fondait dans un écho général. Le
pétillement des peupliers, les voix, les appels, le clairon d’un âne, la toux
des moutons, un bêlement solitaire, la campagne d’un bélier endormi, le
grondement du petit fleuve qu’ils avaient passé à gué avant d’arriver et la
confuse rumeur des lointains sonnaient comme dans un corridor.
A l’horizon, une brume légère voilait des mamelons et des tertres
couverts de forêts presque roses mais, au-dessus de cette barre laiteuse, au
lieu d’arrondir le ciel, de nouvelles étendues escaladaient les hauteurs, en
portant des masses d’herbe, des rochers échevelés et même des arbres
gigantesques. Il ne s’agissait pas d’un mirage. Tringlot en connaissait la
musique ; ce qu’il voyait, c’était de la chair et de l’os et pas du tout de l’air
sirupeux. Il respirait un silex glacé, parfumé de foin. « Et parbleu, se dit-il,
c’est la montagne ! »
A différentes reprises, dans la journée, il en toucha quelques mots à
Alexandre.
– Quoi, dit le caporal, ce que tu regardes ? Oh ! là là, c’est rien du tout.
Il va falloir astiquer tes guibolles. C’est encore très loin. On en a pour plus
de huit jours. Tu verras, tu vas en baver.
Il raconta des quantités de choses : à quel endroit ils allaient, à quelle
hauteur ils montaient et il s’extasiait lui-même. Il était intarissable. Il allait
fouetter les brebis là-bas en avant (comme c’était son rôle) et il revenait
pour reprendre :
– Demande à Louiset (c’était le nom du berger malade), il la connaît,
lui, la montagne. Moi, c’est la troisième fois que je remonte mais lui, il est
monté au moins dix fois. Demande-le-lui : c’est le roi de la montagne.
En attendant, le roi de la montagne était de nouveau installé dans la
grosse couffe de sparterie, sur le dos d’un mulet. Il avait fait quelques
kilomètres à pied et il avait été obligé de remonter sur son perchoir.
– Ça ne va pas trop mal, dit-il, mais je suis vidé. Je n’ai pas mangé et je
ne veux pas manger, la tête me tourne. Demain ça ira bien. Et toi, est-ce que
ça marche ?
– Pour l’instant, dit Tringlot.
– Quant à la montagne, en effet : celle qui est là – devant, dit Louiset,
c’est peu de chose. Ces jours-ci nous allons même la traverser carrément.
Derrière, ce sera déjà un autre boulot, déjà plus noir et, attention… Après,
eh bien, après, à chaque jour suffit sa peine.
On arriva à la grand-halte sans trop de soubresauts vers les six heures du
soir. Les brebis furent parquées dans un pré assez maigre et que délimitaient
des haies et des murs en pierres sèches. En plus d’Alexandre il y avait aussi
deux moussaillons qui avaient voltigé toute la journée avec les chiens. Tout
cet état-major, plus Tringlot, se rassembla autour de Louiset qui était le
patron de cette arrière-garde.
Il descendit de sa couffe, fier comme Artaban. Il allait bien : ça se voyait
sur sa figure. Il donna les consignes pour la nuit. Comme d’habitude
(simple comme bonjour) ; départ à deux heures du matin. Et maintenant au
frichti !
– Ne touchez pas aux conserves, c’est ça qui m’a donné la chiasse. Ça
suffit comme ça. Tu sais (il parlait à Alexandre et par conséquent pour tous)
que demain on commence à inaugurer les grand-haltes de jour. Nous
pourrons faire un bon rata. Mais ce soir, si j’ai un conseil à te donner, café
pour tout le monde, fromage de chèvre, peut-être une tablette de chocolat, et
barca.
Louiset avait surtout envie de café. Il en fit et c’était un artiste. Cette
odeur ménagère, dans le soir tombant, engourdissait. Tout le campement ne
faisait pas plus de bruit qu’un grillon. Tant de silence que Tringlot retrouva
dans son esprit le « cachou » et les « clefs ». Est-ce qu’ils allaient rester en
chasse ces deux-là ? Oh ! sûrement, et peut-être pas seuls.
A la nuit on pendit un fanal aux brancards relevés d’un charreton.
Louiset alluma une lampe-tempête ; il se disposait à aller faire sa ronde.
– Je vais avec toi, dit Tringlot.
– Tu n’es pas fatigué ?
– Non.
Le troupeau dormait. De temps en temps Louiset haussait sa lanterne et
cherchait à voir où se trouvaient les béliers et les brebis à qui on avait donné
leurs agneaux.
– Tu ne fumes pas ?
– Non, dit Tringlot.
– J’ai vu que tu ne bois pas de vin non plus.
– Oh ! J’ai quand même du vice.
– Eh bien, tant mieux, dit Louiset.
Le chien suivait pas à pas, le nez sur les talons de son maître.
– C’est un bon, dit Louiset.
– Comment tu l’appelles ?
– Rabobort.
– Drôle de nom.
– Pourquoi drôle ? C’est même le nom d’un type : il faisait la
contradiction à des réunions électorales à un endroit. J’étais venu de Mas-
Thibert. J’ai toujours aimé la politique. J’ai toujours été domestique.
– Il en faut, dit Tringlot.
– Toi, tu n’as pas l’air.
– Oh ! tu sais, l’air… dit Tringlot.
Louiset ramassa un fouet qui traînait.
– J’ai entendu que tu voulais changer de chapeau avec Alexandre ?
– Pour rigoler, dit Tringlot.
– Il faut jamais rigoler avec Alexandre. Il ne sait pas rigoler. Je t’en
donnerai un, moi, de chapeau, usagé mais superbe.
Ils revenaient au bivouac (un petit point rouge dans la nuit d’encre)
après avoir fait le tour des haies et des murs en pierres sèches.
– Je me fais vieux, dit Louiset. Alexandre n’est pas un mauvais bougre
mais il est ambitieux. Si tu viens avec moi dans la montagne, tu m’aides :
même s’il fallait te donner la pièce, je te la donnerais de ma poche.
« Il y a du pour et du contre, se dit Tringlot. D’abord, si j’étais seul, je
marcherais plus vite ; et d’un. Et puis, il faut faire la part des gens : Louiset,
Alexandre, même les moussaillons. Tous ces gens-là parlent. Si je vais dans
la montagne, je rencontrerai les uns et les autres ; ils sont peut-être encore
plus de vingt dans ce troupeau qui est par là autour, le gros de la troupe. Ils
parleront, ceux-là aussi. Qu’est-ce que je suis, au juste ? Voilà ce qu’ils vont
se dire.
« Il faut que je leur raconte une histoire. Mais attention, ils sont malins.
Le truc du chapeau par exemple : oui, j’aimerais bien avoir un chapeau :
usagé, tiens, précisément, comme l’a dit Louiset avec son air de ne pas y
toucher ; un chapeau comme celui d’Alexandre, de Louiset, le chapeau de
tout le monde, pas neuf, un chapeau qui a cent ans de dimanches, pour
remplacer ce béret que je suis seul à porter et que je ne sais même pas
porter. Je croyais qu’Alexandre allait marcher, tu parles… »
Et brusquement, il eut froid dans le dos. « Si jamais Alexandre fouille
dans mon sac, se dit-il, et qu’il trouve mon rase-pet et mon melon, alors là
je suis foutu. » Il fut sur le point de décamper tout de suite, à toutes jambes ;
il en tremblait ; à la lettre ses dents claquaient. C’est le tremblement qui
l’arrêta. Son vieux système : la mort attrape d’abord ceux qui courent. Il ne
mourra jamais que les plus malades. « Si tu fous le camp comme un péteux,
se dit-il, c’est pire. Le “cachou” et les “clefs” sont peut-être rentrés à
Toulon, mais ils sont tout de suite repartis et peut-être avec d’autres. Ils
vont rôder le nez en l’air ; au moindre bruit, ils sont sur la trace. »
Il ne tremblait déjà plus. Rien n’est perdu. « Je trouverai bien un moyen
pour me débarrasser de ma défroque : la brûler même. J’achèterai des
croquenots (depuis la veille il y pensait ; ses bottines n’étaient pas au poil).
On n’improvise pas d’un seul coup un personnage. Ça s’est très vite fait là-
bas, dans la nuit, dans la petite ville mais, si tu n’étais pas maintenant au
milieu de cette brigade… tu serais en train de te pavaner comme un couillon
avec ton béret idiot et tes pantalons housards, avec lesquels tu sais à peine
marcher comme il faut, seul sur les routes, visible comme le nez au milieu
de la figure.
« En définitive, tu es très bien au contraire dans cette brigade. Ça va se
tasser. Dans quatre ou cinq jours, disons une semaine (surtout si d’ici là je
me débarrasse de mon melon et de mon rase-pet) si Loui – set me donne un
chapeau “usagé”, comme il dit, j’aurai une dégaine un peu plus normale. En
définitive, qui pourrait imaginer Tringlot, ou plus exactement Tourniquet,
berger, traînant les pieds derrière un troupeau de cinq ou six mille bêtes ? »
Il se rassura, et de plus en plus les jours suivants. Alors, il entrait pas à
pas dans de vastes déserts. « Seul je n’aurais pas eu le culot. » Quelques
arbres solitaires se dressaient de loin en loin sur les étages de la montagne.
Ils paraissaient au premier abord minuscules, puis on grimpait lentement
jusqu’à l’un après l’autre et, à mesure qu’on avançait, ils s’élargissaient, ils
s’élançaient, ils devenaient énormes. Tringlot n’avait jamais imaginé de
semblables dimensions. Il n’osait pas demander leur nom ; il entendit par
hasard qu’on les appelait des « fayards ». Il fallait se démancher le cou pour
en voir la cime, pendant que le troupeau passait sous leur ombre grondante,
plus large qu’une place de village, et, quand on en sortait, c’était pour revoir
l’étendue de pierrailles et d’herbe maigre montant sans arrêt à un autre
fayard, très loin, très haut. « L’endroit rêvé ! se dit Tringlot. Qui viendrait
me chercher ici ? Qui imaginerait même que je suis ici ? »
Personne ne parlait : ni Louiset, ni Alexandre, ni les moussaillons : un
petit rouquin taché de son, rose comme du porc, et un pruneau sec, sans âge,
comme un Chinois. Les parages étaient menaçants par leur indifférence
totale. Les brebis mâchaient, la tête basse, en hâtant le pas avec une sorte
d’obstination. L’arrière – garde qui avait été coupée du reste du gros du
troupeau avait tendance à se regrouper. Sur ces longues pentes nues, on
entrevoyait parfois le déroulement du troupeau tout entier qui serpentait sur
des kilomètres, dans la hauteur, en charriant sa caravane d’ânes et de
mulets, de charrettes bâchées, de fourgons. L’avant – garde était encore très
loin des falaises abruptes de la cime où s’ouvrait comme une sorte de
brèche.
Chaque nuit, Tringlot était réveillé par le silence qu’approfondissait
encore le grondement sourd des fayards ; il ne se rendormait qu’après avoir
entendu, très loin, la toux des moutons ou la cloche d’un bélier qui
changeait de place. Un matin il vit que le gros du troupeau avait décampé.
« On nous a donné des éclopés, dit Louiset. On va les laisser vingt-quatre
heures, puis nous monterons à la papa. »
Ils restèrent donc sur l’emplacement du bivouac. Ces vingt-quatre
heures se traînèrent interminablement dans un vide écœurant. Un petit vent
sifflait dans les rochers. Le temps se gâtait. Alexandre se mit à faire la
cuisine.
– Tu crois qu’il fait la cuisine ? dit Louiset. En réalité il ne la fait pas.
Ce qu’il fait, je n’en sais rien, je me le suis demandé cent fois, et lui-même
ne le sait pas non plus. Tout ce que je sais c’est que, tu verras, on aura des
retours de bâtons. Il ne peut pas encaisser d’être seul.
– Il n’est pas seul, nous sommes quatre avec lui.
– Quatre ? Cent mille ce serait pareil.
– Et tu crois qu’il est plus en compagnie avec de l’oignon en train de
frire ?
– Je ne crois rien. Je crois ce que je vois.
Ils décampèrent à l’aube et la montée recommença, tout doucement, pas
à pas, d’un pas si prudent que la cloche des béliers ne sonnait même pas ;
on n’entendait que le piétinement dans les pierrailles. Il fallut tout le jour
pour atteindre le bas des falaises. Ils se pointaient en direction de la brèche
qui ouvrait le passage. C’était pourtant la nuit.
– Dépêchons-nous, dit Louiset. Pousse maintenant. Il faut passer à toute
force. On ne peut pas rester là. Des pierres dégringolent de là-haut à chaque
instant. Je vais en tête. Tu verras mon fanal ; je te ferai signe et écoute mes
coups de sifflet. Marche franc ; ne t’inquiète pas, je suis en tête.
Ils campèrent de l’autre côté, sur un replat. Ils dominaient les sapins.
– Quand tu dis tu, dit Tringlot, tu parles à qui ? A Alexandre, aux
moussaillons ou à moi ?
– Quand je dis tu, je parle toujours à Alexandre, mais j’ai été content
que tu sois là cette nuit. Il y a trois ans, nous avons perdu quelqu’un, pas
loin d’ici.
Le troupeau descendit le long de ce versant nord, par une large piste, à
travers les sapinières. Quand la forêt s’entrouvrait, la vue plongeait dans des
précipices blonds au fond desquels tremblait le fil d’argent des torrents.
– Et Mons, qu’est-ce que c’est ?
– Sacré Alexandre ! Il a fallu qu’il t’en parle. Mais c’est un patelin
comme les autres. On y sera dans quelques jours.
Le troupeau continua à descendre par paliers. Il s’élargissait sur des
pâtures rases puis, en le pous- ; ant, il ruisselait de nouveau dans le bois.
Quand il sortit définitivement des sapins, il se précipita dans les contreforts
déchiquetés. Il ne s’agissait plus de piste ; il fallait descendre sur le cul dans
des éboulis le schistes dont la poussière était noire comme du : harbon.
L’herbe ne poussait plus dans ces pierres, sauf quelques touffes d’armoise
grise à forte odeur qui répugnait aux moutons. A force de cris, de sifflets, de
coups de fouet, de jurons et d’un tintamarre de cloches, le troupeau
finalement se retrouva à peu près intact dans l’étroite rainure d’un torrent.
– On y est, dit Louiset.
– Où ? demanda Tringlot.
Il avait beau regarder, il ne voyait strictement rien, que la fin de tout :
serrés comme des anchois entre des crassiers fumants.
– Et où tu veux qu’on soit ? dit Louiset. On n’est nulle part. Nous allons
chercher notre vie.
Enfin, tout ce micmac commença à démarrer tout doucement, en
pataugeant dans le torrent : ânes, mulets, béliers en tête en même temps que
Louiset et son Rabobort.
Un peu plus loin, le ravin s’ouvrit sur une longue plage de cailloux
roulés, devant une bergerie inhabitée. Ils campèrent là pour la nuit. Les
jours suivants ils traversèrent des hameaux disséminés ; la vallée s’était un
peu élargie mais elle était toujours très abrupte ; le torrent engraissé
bondissait et grondait ; sur ses bords verdissaient des petits carrés de seigle
et de pommes de terre. On ne rencontra qu’une femme, debout dans
l’embrasure de sa porte.
– Il t’a encore parlé de Mons ? demanda Louiset.
– Constamment.
– Laisse-le parler. A force de chercher, il finira par trouver.
– Qu’est-ce qu’il cherche ?
– Ce qu’il n’a pas ; comme tout le monde.
La vallée que le troupeau suivait était toute biscornue ; elle se
rétrécissait parfois jusqu’à ne plus laisser qu’un passage à la file indienne, à
côté d’un torrent enragé dans des rochers ; plus loin, elle s’évasait sur des
prairies, des vergers, au pied de villages en nids de guêpes coiffés de pierres
noires, des jardins de choux ; elle faisait succéder gorges, défilés, éboulis
tortueux ; enfin elle déboucha dans une large cuvette pleine à ras bord de
peupliers et de saules, fermée d’escarpements bleus. Au-dessus des
frondaisons, un gros village s’était installé sur des rochers ; une énorme
église trônait.
Le troupeau se glissa sous les feuillages scintillants. Le torrent circulait
paisiblement à travers d’épais buissons d’osier. Les ânes, les mulets, puis
les moutons s’arrêtèrent en paquets indécis ; les chiens interrogeaient leurs
maîtres du regard ; les trembles grésillaient ; deux marteaux frappaient
l’enclume en cadence.
– Arrêt-buffet, dit Louiset. Il n’y a qu’à rester là, cocagne ! Je monte à la
mairie ; il doit y avoir des papiers pour moi. Installez-vous.
Il revint tout content :
– Nous avons une chance de pendu, je le savais, je te l’ai dit. Tu verras :
ils prendront nos cabanes ; naturellement ils les ont prises. Ils nous ont
laissé celles du Jocond. Les plus hautes, justement je les guignais. Eh bien,
nous les avons. Ils sont en train de tout chambarder, là-haut dans les
pâtures. Il n’y a qu’à les laisser faire ; n’allons pas fourrer le nez dans leur
système. Aujourd’hui c’est jeudi, restons ici jusqu’à samedi matin. Nous
avons de l’herbe, nous avons de l’eau à gogo ! Tiens, précisément, donne-
leur un peu de sel.
« Je ne suis pourtant pas tombé de la dernière pluie, se dit Tringlot. Il y
a huit jours qu’il me corne les oreilles. Eh bien ! le voilà son Mons ;
maintenant qu’on y est, il la boucle. Louiset n’en a même pas soufflé mot.
Qu’est-ce qu’il a de si extraordinaire, ce bled ? »
Une route montait au village et y entrait par un vieux portail. Ce n’était
pas un endroit très rigolo. Les maisons collées contre le rocher avaient l’air
de se monter le col ; des quatre à cinq étages presque sans ouvertures,
coiffés de toitures à pierres plates, sans couleur : des murs noirâtres. Un
seul luxe, mais alors quel luxe ! L’église. Pas question de Dieu-le-Père ou
de Sainte-Vierge ; tu pouvais toujours te fouiller. Il y avait bien les machins-
chouettes habituels : croix et bannières, si on peut dire ; il y en avait même
partout, mais c’étaient des bagues à un cochon. Il devait y avoir de sacrés
patrons dans ce logis mirobolant, ne seraient-ce que ces bâtiments massifs,
à côté de l’église et qui s’allongeaient sur le rocher, sans peur du tout, sans
vertige ni picaillons. Qu’est-ce que tu veux qu’on exploite avec cette
fabrique (sans cheminées) dans un pays pareil qui n’a que du bon air, de
beaux arbres, de belles montagnes ?
– Ah ! c’est pas Paris, dit Louiset, mais c’est quand même quelque
chose. D’abord, tu as dit que tu voulais t’acheter des croquenots. Eh bien,
ici, tu peux. D’ailleurs attends : tiens-moi un peu ça…
Il lui tendit une grosse poule qu’il tenait par les pattes. Il se fouilla.
– Faisons nos comptes ? Un écu. Un écu de cinq francs ; tu en auras
d’autres.
– Ça ne pressait pas, dit Tringlot. Qu’est-ce que tu vas faire avec ta
poule ?
– Tu aimes le bouillon ?
– Tu parles !
– C’est moi qui régale. Amène-toi.
Il avait déjà mis un chaudron sur le feu.
– Écoute voir, dit-il, je me débrouille avec la bestiole ; toi tu vas à cette
maison là-bas, la grosse ; demande quelques patates, des navets, des
carottes ; ils en ont ; ils sont fameux ici ; enfin, poireaux, bouquet garni, un
peu de cerfeuil ou du persil. Et alors, si on peut, un bout de petit salé, le
nôtre est rance. Fais ittention au chien, prends le bâton. Et tu payes, bien
ntendu. Si tu ne payes pas, ceinture.
Le bouillon était de premier ordre.
– Oui, dit Louiset, elle était bien grasse. Il faut surtout une vieille poule,
mais là il y avait tout ce qu’il allait : fromage râpé, surtout des carottes
fameuses ! Ah ! les carottes, les patates, les « rates », toujours dans la
montagne les racines. Nous sommes des mylords.
– Et Alexandre ?
– Alexandre ? Il y a longtemps qu’il est parti ; il a donné aux chiens et il
est allé fouiner. Il trouvera peau de zébi fatalement. C’est toujours pareil. Il
tombera sur un bec, tu verras. Au lieu de rester là peinard et tourner son
ventre au soleil. Non, mais c’est une question de tempérament. Il faut
toujours qu’il aille chercher chicane à quelqu’un ou à quelque chose, ou à
rien ; c’est un ambitieux, je te l’ai dit. Il n’est pas heureux, tu sais.
Louiset fit la sieste, Tringlot aussi. Il ne dormait as. Il flottait, les yeux
fermés mais l’oreille occupée par le grésillement des trembles ; il entendait
et il voyait… Martin, surnommé le Prince et le surnommé
Lablonde, le visage creusé par la petite vérole ; quand nous allions en
bande, dans la commune d’Ollières, déguisés en blouses de maquignons. Il
y avait entre autres un sac de safran qui fut vendu quarante-trois louis, sans
compter une jument à poils rouges et elle affichait un luxe insolent ; mais il
y a plus : elle donnait asile à un nommé Gabriel de la commune du Val ; et
ils vinrent sur le soir dans le temps des moissons ; ils affectaient en entrant
de frapper sur la planche avec la crosse de leurs fusils… eh ! oui, c’est ton
propre monde, attention. Tandis que les fayards et ces étendues où il n’y a
pas un chat, et surtout après avoir passé le rebord (en suivant le fanal de
Louiset qui passait en tête dans la nuit) on s’envoie carrément dans cette
descente de mabouls, dans des à-pics, avec cette carriole folle, les deux
moussaillons cramponnés aux ridelles, pendant que toute la troupe dévale et
culbute dans des nuages de poussière noire. On devait cent mille fois se
casser la gueule, et non… Il s’endormit.
La fraîcheur du soir le réveilla. Il était seul. Louiset avait disparu à son
tour mais il s’était occupé des bêtes avant de partir : les assaliers étaient
pleins de sel rouge ; il avait dispersé deux, trois balles de foin aux brebis qui
avaient des agneaux et il avait planté les moussaillons en sentinelles du côté
du torrent. « C’est le moment », se dit-il. Il alla chercher son baluchon dans
la carriole, au pas de promenade il descendit jusqu’aux saules et il passa
sous les taillis. Bien caché, sortit son couteau et il déchira le rase-pet en
plusieurs morceaux ; il écrasa son chapeau melon à coups de talon et il jeta
toutes ces saloperies dans le torrent. Voilà : c’était fait. Il était rassuré, mais
les images et les sons qui s’étaient agités dans sa sieste continuaient leur
petit train, à éclairer et à retentir. Il aurait voulu avoir un bon copain sous la
main. Les moussaillons ne pouvaient pas servir ; ils étaient trop jeunes.
A la nuit close, Louiset revint ; au bruit qu’il faisait, il devait courir. Il
appela.
– Où veux-tu que je sois ? répondit amèrement Tringlot.
Il mangeait bêtement du roquefort, de guerre lasse.
– Je l’ai trouvé, dit Louiset. Je m’en doutais ; on l’a tabassé. Viens
m’aider.
Évidemment il s’agissait d’Alexandre.
Le village était noir comme un pétard ; il fallait tâtonner dans les rues,
sauf sur une petite place qui surplombait les fenêtres éclairées de l’auberge.
On y voyait des voyageurs à table.
Louiset s’arrêta.
– Tiens, dit-il, je ne l’avais pas vue celle-là, tout à l’heure. La femme, là,
à table d’hôte, entre le maquignon et le type à faux col, celle qui coupe son
pain, là,
Tu la vois ? Je la connais : c’est la baronne. Qu’est-ce qu’elle peut bien
foutre par ici ? Si elle est sortie de son trou, c’est que quelqu’un va passer
un mauvais quart d’heure, je peux te le dire !
C’était une petite femme modeste, joliette. « C’est tout juste si elle pèse
trente kilos mouillés », se dit Tringlot.
Ils escaladèrent les ruelles. Ils trouvèrent finalement Alexandre, en tas,
dans les orties, au pied d’un énorme mur aveugle, dont le crépi luisait
vaguement. Tringlot voulait frotter une allumette.
– N’allume pas, dit Louiset. Je sais que c’est lui, ne t’inquiète pas. On le
regardera en bas ; fichons le camp.
En bas, sous l’abri de la carriole, ils regardèrent Alexandre sur toutes les
coutures, avec la lampe. Il était toujours inanimé mais, apparemment, il n’y
avait peut-être pas trop de dégâts. Il avait saigné comme un porc, à cause
surtout d’un mauvais coup sur le nez, mais on ne l’avait pas troué. Le crâne
était solide, à part les bosses. Sur le corps, il était bleu de coups. Ah ! Il
avait reçu une belle tannée ! Un caillot de sang l’empêchait de respirer.
Louiset le lui enleva avec le doigt. Ils le lavèrent, puis avec du vulnéraire à
l’arnica, ils le roulèrent dans des couvertures et ils le couchèrent sous la
bâche, la tête relevée.
– On verra demain, dit Louiset. Il a cochonné ta veste.
– Il fallait qu’elle voie le feu un jour ou l’autre, dit Tringlot.
– Tu as sommeil ?
– Pas précisément.
– Viens, on fait deux pas, il ne risque rien, ne t’inquiète pas, viens. Je
veux surtout m’éloigner des moussaillons. Ce n’est pas la peine de leur
apprendre des notes ; ils en savent déjà assez. Je ne sais pas ce qu’il a, cette
tête de cochon ! Il m’a fait le coup l’an dernier, l’an d’avant et aujourd’hui :
trois fois. Recta, comme un papier à musique. Qu’est-ce qu’il a dans la
corne ? Chaque fois à Mons. Partout ailleurs il est impeccable : un agneau ;
il ne boit pas ; il ne cherche des poux à personne. Rien qu’à Mons, et
toujours au même endroit, là-haut, derrière le couvent des Présentines.
Qu’est-ce qu’il y a là-haut dans cette ruelle ? Il y a un mur : un mur, ni porte
ni fenêtre, zéro, rasibus. Je suis allé voir. Alors, il y a pourtant quelque
chose, puisque chaque fois on lui casse la gueule et qu’il y retourne ? Je l’ai
pris de toutes les façons. Il m’envoie chier et il la boucle. Tête de mule !
S’il continue à prendre des coups sur la caboche il va devenir timbré.
Parole. A moins qu’il le soit déjà. Ou alors la prochaine fois ils le nettoient.
Mais qui ? Ils sont certainement plusieurs. C’est pas un Turc, Alexandre,
mais c’est quand même un bon gars et il n’est pas moisi. Alors qui ? Je les
connais tous ici. A peu près. C’est pas des lumières, mais de là à aller
écrabouiller une andouille… ou alors qu’est-ce qu’il leur fait ? Ils sont
pourtant pas mauvais, j’ai pas l’impression. Et pourtant ! J’ai fouillé son
barda. Je me disais : « A force d’en prendre, il voudra en donner. Il a peut-
être un couteau, même un revolver. » Et rien du tout. Il y va à mains nues.
Sacré cochon !
Au petit matin (il faisait à peine jour) Alexandre commença à remuer, se
curer la gorge, tousser ; finalement il se leva et il alla pisser, comme un
homme. Tringlot faisait semblant de dormir ; il vit que Louiset avait aussi
ouvert un œil. Alexandre se regarda avec un morceau de miroir. « C’est
vrai, se dit Tringlot, il y a également le fait que ma barbe pousse. » Il se
caressa le menton sous les couvertures. Dans deux mois il serait
méconnaissable. Alexandre se mit en devoir de touiller la pâtée des chiens.
Il n’était pas encore un gros bonhomme ; il avait de la bonne volonté mais il
tenait à peine sur ses jambes.
On attendait le vétérinaire pour le certificat de santé. Il arriva vers les
dix heures.
– J’ai pris mon temps, dit le gros bonhomme tout essoufflé ; je savais
que vous ne partiez pas aujourd’hui. Alors, voyons voir.
Il passa son examen et il sortit son carnet à souche.
– Tu ne veux pas jeter un petit coup d’œil à Alexandre ? dit Louiset.
– Pour quoi faire ?
– Il est couci-couça.
– Je ne suis pas docteur.
– Je sais bien, mais ce qui est bon pour les bêtes n’est pas mauvais pour
les gens.
– Qu’est-ce qu’il a ?
– Il est tombé du lit.
– Ah ! diable !
– Regarde s’il ne s’est rien cassé.
Le gros bonhomme regarda Alexandre qui vaquait du côté des balles de
foin ; ce regard n’était pas tendre.
– Qu’est-ce que tu veux qu’il ait de cassé ?
– On ne sait jamais. Une fois qu’on est là-haut on ne voit plus personne.
Et s’il crève ?
– Eh bien, qu’il crève ! dit-il.
Il sortit un tampon encreur de sa poche, il tamponna le bulletin.
– Tiens, voilà ton truc.
Et il s’en alla en faisant un bruit terrible avec son asthme.
– Il est mal poli, dit Louiset. Il est même très mal poli.
Alexandre revint se coucher, mais dans la paille ; il tira toute sa literie
qu’on avait installée dans la carriole. Il s’endormit au soleil. Il respirait du
nez : c’était bon signe.
– Il faut monter sans faute au village, avec le mulet, dit Louiset, faire
des provisions, des quantités. Ici il y a de tout, profitons. Après nous serons
en pleine montagne.
Il acheta une meule de roquefort, des camemberts, des pots d’anchois,
vingt tresses d’ails, du saucisson, des saucisses, des pois chiches, des
haricots, des lentilles, deux jambons ; des oignons, une bonbonne d’huile,
des harengs saurs ; du café, du chocolat, du sucre, du poivre en grains, du
sel fin, de la confiture, un sac de cassonade, cinq morues sèches, de
l’estoquefiche.
– Je te paye recta. Fais-moi la liste de tout ça, le total, tu mets « payé »
et un timbre : ça fait la rue Saint-Michel. Nous allons revenir pour le reste ;
fais – moi préparer cinquante kilos de farine de maïs, cinquante de farine
blanche, vingt de farine de pois et cinquante kilos de pommes de terre. Tu
me fais la facture, tu mets un timbre et je te règle. Les bons comptes font les
bons amis !
Au bureau de tabac, Louiset paya de sa poche deux kilos de tabac, une
blague en vessie de porc, vingt carnets de papier à cigarettes.
– Je ne veux pas de tes allumettes rouges, dit-il, elles me foutent la
frousse, elles s’enflamment toutes seules. Donne-moi cinquante grosses
boîtes d’allumettes noires.
Il ouvrit toutes les boîtes pour s’assurer que les têtes des allumettes
étaient bien noires.
– La confiance règne, dit le buraliste.
– Elle ne règne peut-être pas tout à fait, dit Louiset, mais je vais la faire
régner.
– Attends voir, dit Louiset en sortant du bureau de tabac, maintenant on
va tâcher de trouver du… qu’est-ce que c’est que cet engin ?
Une automobile était arrêtée devant la porte de l’auberge.
– C’est une Trèfle et je crois Serpolet, dit Tringlot.
– Je le sais, dit Louiset, je sais même à qui elle est : elle est à Murataure,
le forgeron de par là-haut, et je suis pas loin de savoir pourquoi elle est là, et
même ce qu’elle va faire ; je te parie qu’elle va remonter.
– Où donc ?
– Précisément dans nos parages, là où nous allons. Tiens, celui qui sort,
voilà Murataure, je te l’avais dit, avec sa casquette en poil de bichard. Et je
me doute… Je vais te montrer quelqu’un qui va sortir également de sa boîte.
Parbleu, la voilà ! Je l’aurais parié. La baronne en personne !
C’était la femme « modeste » qui mangeait à table d’hôte l’autre nuit.
– Trois sous de poivre, dit Tringlot.
– Tu peux dire quatre, dit Louiset, peut-être même cinq.
Elle portait sur la tête un canotier de paille piqué dans son chignon par
une longue épingle à chapeau. Elle s’enveloppa dans une voilette.
– Allons-nous-en, dit Louiset. Je te disais donc… Je te disais donc : on
va tâcher de trouver du pain. Il y a un type, là-bas dans un coin, qui fait du
pain de munition pour les montagnards. On va tâcher de trouver aussi du
fromage de tête et pour moi personnellement une petite douceur : deux ou
trois boîtes de maquereaux au vin blanc : c’est mon péché mignon.
– T’as pas l’air content, dit Tringlot.
– Oh ! que si, dit Louiset. Ils peuvent faire tout ce qu’ils veulent. Mais
c’est ce cirque-là : la baronne, et maintenant le Murataure. Il ferait mieux de
s’occuper de sa forge, celui-là avec sa grande gueule, au lieu de circuler de
droite et de gauche avec son espèce de voiture à la noix. Il a été un des
premiers à avoir une automobile, bon. Tant qu’il s’occupait de mécanique,
bon, mais s’il se met à se transbahuter à toute vitesse avec des gens de tout
acabit sur le siège, ça finira par faire vilain. D’autant qu’il n’est pas
tellement flambard. La baronne, c’est une autre paire de manches. Elle a
tout ce qu’elle veut. Elle en a déjà démoli des quantités ! Elle n’en est pas à
un près. Oh ! Et puis finalement, hein, qu’ils aillent tous se faire foutre, tant
qu’ils sont. C’est pas mes oignons !
Le troupeau décampa le lendemain matin de bonne heure. Le soleil
restait encore à voltiger dans les plus hauts sommets. En bas, la vallée
laiteuse s’enfonçait dans un bleu profond. Ce corridor amplifiait une rumeur
de paix : le grondement du torrent, le bruissement des peupliers, le
piétinement du troupeau et ses cloches.
– Cette fois c’est la montagne, dit Louiset. (Il tira un chapeau de sa
musette.) Je te donne ce que je t’avais promis. Et attention : c’est un
vétéran ; il m’a déjà fait cinq campagnes.
Le chapeau était parfait. « Je suis en train de disparaître, se dit Tringlot
(il tâta sa barbe au menton) comme un morceau de sucre dans du café
bouillant. La mort attrape d’abord ceux qui courent ; je ne cours plus ; je
traîne les pieds. Je vais peut-être à trois à l’heure, sous mon chapeau et ma
barbe, et sous la corporation (qui m’aurait dit que je conduirais des
moutons ?) caché sous la montagne. » Il ne disait pas sur la montagne mais
sous la montagne. Il avait l’impression d’entrer dans des vestibules sombres
et sonores, comme au fin fond de la nuit déserte.
Il savait déjà beaucoup de choses : il avait appris sept ou huit mots de
chien ; il savait fouetter indolemment mais sec ; il se débrouillait avec le
pantalon housard. Il portait des croquenots à clous, achetés à Mons, et il
commençait à mordre à l’élégance bergère en fait de croquenots, c’est-à-
dire de ne jamais relever les pieds, avec un petit air excédé de « marche ou
crève ». C’était le fin du fin. Il l’observait chez Louiset et même chez les
moussaillons. Il y arriverait. « Je suis doué, se dit-il, j’en ai fait bien
d’autres. » Il avait déjà les principes de base à Biribi, mais l’élégance fayot
(quoique également à base de marche à pied inlassable) était très différente
de l’élégance bergère. Attention : chez les bergers, il y a la liberté ; c’est très
différent ; le « silo » ou la « crapaudine », on s’y fourre soi-même ; il n’y a
pas d’emmerdeur ; on est son propre emmerdeur. Tout est là, voilà.
Alexandre, ce matin, avec ses lèvres enflées, ses yeux gonflés comme des
œufs de dindon, il avait l’air bouffi comme s’il se réveillait d’une grasse
matinée, un endormi du dimanche, un type qui refait surface à trois quatre
heures d’un après-midi chauffé à blanc, après une cuite. Alexandre en a
peut-être l’air, mais pas la chanson ; son « marche ou crève » est fait d’un
pas vaguement chaloupé ; une sorte de mazurka dans le crâne. Ceux qui me
cherchent ne sont pas capables de le comprendre : ce ne sont même pas des
marins (moi dans le Sahara, oui) ; ils ne sont que des maritimes entourés de
bistrots ; c’est autre chose. La mazurka dans le crâne, zéro pour la question.
Et zéro pour la montagne. S’ils voyaient un truc comme ça (dans lequel je
suis en plein comme un poisson dans l’eau) ah ! là là, ça leur foutrait les
foies ! Je comptais aller loin, mais ici, c’est autre chose que loin, c’est
ailleurs. »
Les béliers avaient pris un pas lent et long ; le balancement paresseux de
leurs cloches battait des tambours voilés ; toute la troupe emboîtait le pas en
cadence dans le velours du matin. Il faisait frisquet. Le soleil ne se risquait
pas jusqu’au fond de la vallée ; de temps en temps il envoyait un rayon qui
éclatait tout de suite en poussière avant de toucher terre et il placardait sur
les parois de la montagne les prés acides ou le mordoré des foins coupés. A
mesure que l’heure passait, la lumière écartait davantage les branches de
son éventail ; des décors s’effaçaient, d’autres se dressaient : un pan de forêt
en écailles noires, des rochers ruinés qui échangeaient quelques gros
oiseaux, la couronne grenat d’un village de bois au sommet de vertigineuses
prairies, la chapelle de Saint-Basile (dit Louiset) avec son clocher en fer de
lance, en équilibre dans de fragiles éboulis d’argent, une étroite chute d’eau
dressée immobile sur le socle des bosquets, bourdonnant comme un
bourdon, une forteresse dépenaillée dans des ardoises, la fourrure des frênes
le long des sentes, les éclats de lumière dans les pierriers, les jardins
potagers très hauts, gros comme des timbres et peints en violet à coups de
pioche ; les forêts de mélèzes réchauffés fumaient comme des tas de
cendres. Quelqu’un, loin, balançait en mesure dans les herbes roses
l’étincelle d’une faux ; à un détour, apparaissaient en plein ciel comme des
îles quelques triangles de sucre, des taches de corail.
– C’est fleuri, là-haut, c’est chez nous, dit Louiset.
La colonnade interminable des peupliers acheminait
peu à peu la route montante avec, dans le fond resserré, une ombre
pourpre comme l’intérieur d’une figue entrouverte.
Au bivouac, la nuit, couché près de Tringlot :
– Tu dors ? demanda Louiset à voix basse.
– Non.
– Tu as vu les étoiles ?
– C’est ce que je regarde.
– En face, ce ne sont pas les étoiles, ce sont des fenêtres éclairées, très
haut, dans un petit patelin : Saint-Victor. Ils sont peut-être cinq ou six là-
dedans. Je n’y suis jamais allé. Au-dessus, oui, ce sont les étoiles.
– Oui, grosses, et jaunes.
– Il y en a beaucoup.
– C’est bien, dit Tringlot.
Il avait envie de dire autre chose ; finalement non ; c’était bien.
Le lendemain, après s’être faufilés et montés lentement à travers des
gorges, ils émergèrent sur un vaste découvert. Ils étaient maintenant très
haut dans un pays lumineux.
– L’air est un pernod, dit Louiset ; moi il me saoule et j’ai le vin triste.
Je me dis : « Qu’est-ce que tu vas foutre ailleurs ? Fais-toi une cabane, reste
ici et bonsoir. »
Dans le courant de l’après-midi, Louiset pointa son doigt sur les pentes.
– Regarde là-haut.
– J’avais vu, dit Tringlot, qu’est-ce que c’est ?
– Ça s’appelle Quelte. La baronne habite là.
– Seule ?
– Oui, ou à peu près.
C’était une énorme bâtisse dans des rochers.
La nuit finalement les prit au milieu d’un cirque de schistes que le ciel
gris rendait phosphorescent. De maigres acacias bordaient la route. Le
troupeau s’écarta pour camper. Il se coucha dans une herbe de cendre à
odeur très forte.
– Et le baron ?
– Il n’y a pas de baron. Il y en a eu un : un jeune type avec des
moustaches en longe de fouet, toujours prêt à partir dans n’importe quelle
direction. Je l’ai connu ; il est mort. De quoi ? Ça s’imposait. Il y a des gens
comme ça ; la baronne est un peu du même genre. Pour y revenir (la seule
chose que j’aie vue), il était toujours tiré à quatre épingles : un col d’un
demi-pan, et pas en celluloïd, propre et empesé chaque jour ; cravate noire,
qu’il pleuve, qu’il vente, été, hiver. Rasé au sabre du 1er janvier à la Saint-
Sylvestre ; boutonné du haut en bas ; dehors ganté ; une demi-boîte sur la
tête, un peu penchée sur le côté, le gauche.
« Il ne fumait que le cigare : le “londrès” et jamais le “demi-londrès
jamais de demi-mesure ; il l’a dit, je l’ai entendu. On allait lui chercher des
bottes à Lyon. Et rien qu’à Lyon. Il y envoyait le cocher ; plus de trois cents
kilomètres. Une fois, le fournisseur a cru bien faire de mettre le paquet à la
poste. Et Dieu sait s’il en avait envie de ce paquet, m’a dit le cocher. Il l’a
refusé. Pourquoi ? Pour se payer le luxe de refuser. Il se cherchait toujours
des occasions de refuser. Il a dû se payer le luxe une fois de trop, et passez
muscade.
« Il a fait deux choses : un bassin, et il a déplacé une croix. Le bassin est
là-haut, à Quelte, un grand bassin dans le rocher et plein de poissons. La
croix, c’est celle de la mission de 1899. L’évêque et l’archevêque étaient
venus avec des vols de corbeaux, et des bannières, et des cantiques, et la
foire. En principe ça devait se refaire tous les ans. Le baron dit non. “Moi,
François de Quelte, je dis non. Cette montagne n’est pas à vous. A cinq
cents, pleins d’encensoirs, vous arrivez ici avec vos pieds sales ; allez vous
promener ailleurs. Vous venez planter une croix ? Votre foi déplace les
montagnes ; moi je déplace les croix.” On ne l’écoute pas ; même on rigole
et à grand renfort d’ar – chi-trucs (qui avaient des voix de basse) on te
plante la croix de la mission (1899) en belle vue de Quelte, sur un mamelon.
Et on s’en retourne, le devoir accompli, en chantant à pleine voix. Ça n’a
pas traîné. Subito presto. Huit jours après, chez l’archevêque, ou une huile
quelconque, on sonne à la porte. C’était la croix, avec le socle, et les
salutations de Monsieur de Quelte. D’ailleurs, il était là en personne, en
grand uniforme, avec son col à manger de la tarte et à la main sa canne-
épée. La croix est maintenant dans le Valgaudemard, dans un coin perdu.
Oh ! C’est un sacré zouave. C’était !
« Elle ? Même tabac, mais, se payer des luxes pour un homme, c’est
facile. C’est à la portée de tout le monde. Pour une femme, doucement les
basses ! Il faut tirer des plans sur la comète. Quand elle est arrivée ici, on
s’est dit : voyons voir ! La femme de Monsieur de Quelte ça doit être
quelqu’un ! Et pas du tout : une miniature. A croquer, mais il y en avait
peu ! Tu as dit : deux sous de poivre ? Deux sous de rien, mon cher ami ! A
part les yeux. Alors : paye-toi du luxe (pour elle) avec un corps de maison
déjà coquet, difficile à remuer avec les ancêtres ; son mari qui faisait la
pluie et le beau temps jusqu’à la Préfecture, incluse et y comprise ; qui
refusait surtout l’essentiel et à tire – larigot ; un pays cabochard, comme ci,
comme ça, pas très rond, prêt à la traîner dans la boue. On disait : le baron
oui, mais la baronne, non. On l’appela au début : La Jeanne. On la
soupesait : quarante kilos toute mouillée. D’autant plus qu’elle était (qu’elle
est) jolie ! Oui, mais je te l’ai dit : qui se ressemble s’assemble. Ce n’était
pas une question de kilos. En un rien de temps elle les a eus à sa botte ;
prêts à mordre mais, chapeau bas, à la cravache. Un seul malheur : elle ne
pouvait plus s’arrêter ; elle avait pris goût. Elle revenait de loin ; mets-toi à
sa place. Alors, tout y a passé, tout.
« Et puis ; il y a aussi quelqu’un d’autre. Oh ! il y en a des phénomènes.
Celle-là, c’est une autre paire de manches. Il faudrait avoir le temps. Un
jour qu’on aura le temps… »
A dix heures du matin, ils arrivèrent au rocher sur lequel étaient
marquées les couleurs des pistes.
– La verte conduit au Haut-Chadoul, dit Louiset ; la jaune au Villard,
bien entendu ces messieurs se sont servis les premiers ; la noire au Grand
Mourre, que grand bien leur fasse ; la blanche à la Gondole, à la tienne
Étienne ; et nous la rouge qui nous mène tout doucettement au Jocond, au
dernier étage. En avant, mes enfants ! Encore un petit coup de collier et
nous y sommes.
« Ces sacrés andouilles, ils n’en veulent pas du Jocond ; eh bien, ils ont
tort, moi j’en veux. J’y suis allé une fois, en corvée, quand le tonnerre avait
tué trente moutons ; j’avais trouvé ça superbe. L’Émile, le comptable,
impossible de le lui fourrer dans la tête. A son idée, c’était l’enfer (idée de
comptable). “Qu’est-ce que tu veux aller fricoter là-haut, disait-il. Reste en
bas ; je t’aime trop. – Tu m’embêtes, je lui disais, à force de m’aimer. C’est
là-haut que je veux aller ; c’est ce que je préfère. Il y a quatre cabanes dont
une en dur, rends-toi compte. Je domine la situation et on me fout la paix
royale.” Il est mort. Il le voit, l’enfer, maintenant. C’est pas plus gentil
comme ça ? »
Il n’y avait plus qu’à monter en suivant la piste balisée de rouge sur les
troncs d’arbres et sur les rochers, de loin en loin. La piste blanche s’écarta
presque tout de suite la première, vers des sapins, traversa de hauts taillis de
fougères et disparut ; la noire se mit à grimper le long d’un torrent maigre
qui cascadait entre de gros blocs de serpentine vert-de-gris ; la piste verte se
détacha brusquement vers l’est ; la piste jaune suivit longtemps la même
direction que la rouge.
– Allez, ma belle, va-t’en, disait Louiset, nous allons au Jocond et toi tu
vas au Villard ; nous n’avons rien de commun. Ne fais pas la folle.
En effet, au bout d’un moment, elle s’en alla dans le découvert, elle fit
tout le tour d’un grand cirque plein d’herbe dorée, monta à une crête et
cessa d’être visible.
Les pâturages du Jocond s’étalaient sur les plus hauts gradins de la
montagne. C’étaient de vastes solitudes couvertes d’herbages. Les bergers
ne les aimaient pas. Il fallait aller chercher du ravitaillement au diable vert.
Au surplus, le quartier était mal famé ; les orages s’y abattaient
subitement avec une violence indescriptible. La foudre lardait les pâtures
comme un essaim de frelons. A différentes reprises on avait perdu beaucoup
de brebis, notamment en 1900 où une centaine de bêtes avaient été
foudroyées au moment où, en tas, elles essayèrent de faire tête à un
déchaînement sans nom, et deux ans après une véritable catastrophe.
Ils y arrivèrent le soir, dans une lumière rose. La fontaine chantonnait
paisiblement dans l’abreuvoir ; le surplus engraissait d’énormes bardanes ;
une plaque de neige restait encore collée à l’ubac.
La fameuse maison « en dur », si chère à Louiset, était réellement « en
dur » et pas en « murs secs », mais jointoyés au mortier, crépis dehors, « et
on va voir si c’est crépi dedans, mais j’imagine ». C’est avec un
contentement visible qu’il tourna la clef et qu’il ouvrit la porte. Il avait
raison : crépi également l’intérieur. Et quant au reste : une cheminée
presque neuve et qui tirait ; pas la moindre trace de fumée ; un fourneau à
quatre trous avec ses ronds intacts, ses grilles intactes, le four intact, même
la bouilloire intacte ; c’est rare ; non mais, vraiment c’est rare, rendez-vous
compte, je n’ai jamais vu ça !
– Du parquet de bois, et solide (il éprouva le sol à coups de talon), du
fer ! On va être des coqs en pâte : des placards, des placards immenses ;
déjà quatre là-bas ; il doit y en avoir encore deux ; quelques ustensiles, pas
des tas, mais nous en avons ; deux ou trois placards au nord. On peut mettre
là-dedans n’importe quoi, même de la viande de bœuf ; si un jour on en
rapporte du village, on fera une daube ou du bouilli ; c’est une glacière.
C’est un placard qui est sec comme un coup de trique, ah ! mes enfants !
Une grande chambre, regardez-moi ça : un champ de manœuvre. On peut
coucher cinq là-dedans sans se renifler les doigts de pied et même de quoi
faire des marches militaires autour des lits ; quand je vous l’avais dit ! Je
suis venu ici il y a deux ans ; j’avais tout vu, j’avais tout photographié dans
ma petite tête ; je me souvenais de tout, sauf de ce fourneau. Alors, ça, le
fourneau, intact ; je n’en reviens pas. Est-ce que ça ne vaut pas quelques
petits orages de rien du tout, et même gros ?
Les cabanes en bois n’étaient pas mal non plus ; très bien construites,
mais la maison en dur !…
– La cabane la plus grande, on va la joncher de paille, pour les
agneaux : ce sera parfait. Nous avons bien marché mais nous sommes bien
arrivés.
« C’est vrai, se dit Tringlot, nous sommes arrivés, moi surtout. »
Il était sorti sur le pas de la porte. Le soir avait recouvert toute la
montagne jusqu’au sommet. Au fond de la vallée, quelques lumières
clignotaient dans la nuit noire.
« Je suis plus loin que l’Amérique. Bien entendu, je continue à ne pas
oublier le parfum du cachou et ce petit bruit des clefs qu’on tripote au fond
d’une poche. Cette odeur et ce cliquetis n’ont pas cessé dans ma tête, même
pendant cette longue marche et quand j’étais à cent coudées dans les
nuages. Je ne peux pas me payer le luxe d’oublier la réalité. Ce qui est vrai
est vrai ; mais, ce qui est également vrai, c’est que ce soir je suis au sommet
d’une montagne qui n’a de nom pour personne à Toulon. Jusqu’à présent je
m’en tire. Jusqu’à présent en tout cas, c’est déjà très beau. Je n’y croyais
pas. Au départ je me donnais un peu de chance, mais je serrais les fesses. Il
fallait tout. Au moindre faux pas j’étais fichu ; j’étais seul contre… oh ! des
quantités : dix, vingt en tout cas : cinq ou six têtus et qui ne sont pas tombés
de la première pluie. Ils ne lâcheront pas le morceau. Et je me disais : tu es
une sorte de Juif errant, tu ne pourras jamais plus t’arrêter. Ils te talonneront
sans arrêt. Si tu veux que le temps passe, le seul remède : marche, marche,
marche. La première nuit, quand j’ai failli me casser le nez sur un parfum
de cachou et le petit bruit des clefs, j’ai été sur le point d’abandonner ; je
n’ai joué le jeu que parce que je me sentais de taille à m’esquiver, mais je
me disais : “Tu l’as échappé belle une fois, disons deux, mais trois ?…”
Maintenant les choses se présentent d’une autre façon. Louiset avait raison :
la maison est en dur, c’est pas bête. Ce n’est pas une cabane comme
l’oiseau sur la branche. C’est “en dur ce sont des murs, une porte qui se
ferme avec une clef, des fenêtres avec des contrevents. Je suis arrêté
quelque part, sous un toit. Et dans un endroit qui n’a pas de nom (et à
Toulon en particulier, comment veux-tu qu’on puisse imaginer le Jocond ?)
« Regarde ça : le désert, la nuit, le sommet de la montagne. Il y a là,
avec moi, quatre types : Louiset, Alexandre, les deux gosses qui se foutent
de moi comme de leurs premières chaussettes et qui ne se rencontreront
jamais avec une boîte de cachou et des clefs. De plus, je n’ai pas de nom ;
on m’appelle Jules. J’étais quoi quand ils m’ont rencontré ? Un pacant en
pantalons de velours, avec un gros béret à la noix. »
Il faisait frisquet. Tringlot eut grand plaisir à rentrer dans la maison et à
fermer la porte. La lampe à pétrole était installée dans sa suspension en fil
de fer et donnait une lumière douce, toute dorée. Le feu ronflait dans le
fourneau. On allait faire une omelette au lard. Louiset avait inventorié de
nouvelles richesses, incalculables : une table, trois chaises, un escabeau, un
bûcher plein de bois de l’an dernier, une vieille limousine pleine de trous
« mais elle fera très bien ton affaire, dit-il à Tringlot, tu verras. Et je suis sûr
qu’on va encore trouver des quantités de petites histoires ».
Au milieu de la nuit Tringlot s’éveilla par pur plaisir : le vent
ronronnait, il se caressait contre la maison comme un chat.
Le comptable arriva. C’était un nouveau. Il dénombra les marques des
propriétaires.
– Nous allons encore avoir des ennuis, vous allez voir, lui dit Louiset.
J’ai quatre bêtes, tenez, regardez-les, qui ont la passion du sel. Et toujours
des P. M. (Paul Marcellin) toujours les mêmes. Le père P. M. nous fait des
histoires à chaque coup. Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse ? Ces
brebis sont foutues. Elles ne mangent plus du tout ; elles n’attendent que
l’heure de la distribution du sel. J’ai tout fait, je les ai mises à l’écart, je les
ai privées de sel ; comme si je chantais ! Il n’y a rien à faire. De deux
choses l’une : ou bien on les abat et on en profite, et encore pas beaucoup,
maigres comme des clous ; ou alors on les laisse mourir de leur belle mort
et on fait un trou.
Le comptable avait l’air de dire que le père P. M. commençait à lui
courir sur l’haricot. Et il n’y avait pas que le père P. M. Il y avait aussi la
mère B. R. (la Berthe Ravoust, une grosse propriétaire) ; le père V. T.
(Victor Telmont) ; le père O. P. (l’Octave Pellion). Qu’ils aillent se faire…
ce que je pense. C’est facile de peinturlurer des initiales avec du goudron
sur les moutons, et puis, débrouillez-vous ! Mais ils devraient bien lussi se
coller des initiales à leurs caractères de cochons pour que tout le monde les
voie, au lieu de se cacher sous des becs enfarinés et de parler en dessous. La
mère B. R. tiens ! la mère Berthe Ravoust en a raconté en long et en large,
et de toutes les couleurs sur moi, sur vous, sur toi, sur tout le monde. Nous
avons tous eu notre paquet.
– J’en ai par-dessus les bottes de ces propriétaires, lit le comptable.
– Ah ! dit Louiset, c’est pas la peine de se tourner les ans. Il ne mourra
que les plus malades.
– Si j’étais vraiment ce que les propriétaires ont dit de moi ce que
j’étais, je serais riche depuis longtemps.
– Vous n’êtes pas millionnaire ?
– Oh ! non, je ne suis pas millionnaire, il s’en faut de beaucoup, dit le
comptable. Si j’étais millionnaire, je ne serais pas ici.
– C’est le tort que vous auriez, dit Louiset ; ici c’est le meilleur endroit
pour avoir le pain. Ne vous inquiétez pas, monsieur…?
– Honoré, dit le comptable.
– Eh bien, monsieur Honoré, laissez tomber les propriétaires pendant
cinq minutes et mangez une omelette au lard avec nous. Posez votre cul sur
cette chaise, sirotez un petit coup d’absinthe avec notre eau glaciale et
laissez flotter les rubans, révérence parler.
– Comment vas-tu faire pour les œufs ? dit Tringlot qui avait suivi
Louiset dans une des cabanes.
– Mon pauvre vieux, dit Louiset, j’avais prévu le coup. Je les ai, les
œufs ; j’en ai une douzaine dans le bât de l’âne, tu vas voir.
Il démaillota un gros paquet de papier journal froissé et, dans un nid de
paille, ils étaient là, douze, intacts.
– Si on n’est pas costaud, il faut être malin, dit Louiset, car j’ai encore à
réclamer quelques petits trucs à M. Honoré. Je le savais ; il y a toujours des
petites choses à arranger. Celui-là, c’est un jeunot ; il n’est pas encore très à
la coule. On va y aller en douce ; on n’attrape pas les mouches avec du
vinaigre. Tu n’as pas vu que notre pâture est encore un peu molle ? Ça
dégèle à peine. C’est toujours pareil quand on est très haut. Tandis que sur
l’autre versant c’est bien exposé et c’est sûrement sec. Moi, j’aimerais
paître de l’autre côté maintenant, quitte à ramener les bêtes ici dès qu’il fera
un peu plus chaud. Il doit y avoir une combine quelconque là-dessous entre
les forestiers et M. Honoré. C’est cousu de fil blanc ; l’omelette au lard, ça
va graisser beaucoup de pattes. Il va s’humaniser, tu vas voir. Il en faut peu.
– En réalité, dit M. Honoré, emberlificoté dans les odeurs additionnées
de l’absinthe et des lardons en train de frire, vous n’allez que jusqu’au
signal en bois. Je suppose qu’il y a un signal en bois ! On me l’a dit, mais je
ne l’ai pas vu ; jusqu’au signal c’est communal. Vous pouvez y aller, c’est
payé, vous êtes en règle avec la commune. Au-delà du signal c’est
domanial. Il faut s’entendre avec les forestiers. C’est pas totalement
impossible : il n’y a pas de plantations, qu’est-ce qu’on risque ? Je peux
toujours en toucher un mot.
– C’est encore bien plus facile, dit Louiset, ne dites rien. Un signal c’est
en bois, ça ne parle pas.
M. Honoré retourna à ses chères études. Il descendait dans la pâture
avec ses jambes courtes, en clopinant comme un canard.
– Il se fera vite, ce petit, dit Louiset ; il a déjà des notes, quoique
nouveau. Ils ont beau être nouveaux, ils comprennent vite. C’est une
question de métier. Un comptable, ça compte en principe. Je sais compter,
toi aussi ; nous savons tous compter, mais ce ne sont pas ces comptes-là
qu’il faut faire. Il faut du métier ; il faut compter ce qui ne compte pas si on
veut se faire riche. Le signal de bois, il s’en fout : c’est pourquoi je le lui ai
dit. Il avait déjà arrangé l’affaire avant de monter. On aurait pu économiser
l’absinthe et l’omelette. Enfin c’est fait : deux précautions valent mieux
qu’une.
Les jours commencèrent à s’arrondir. Les bêtes allaient d’herbe longue
à herbe longue. Alexandre les accompagnait lentement.
– Il a une patience d’ange, dit Louiset.
Elles montaient sans jamais redescendre, appelées par les sommets.
– C’est en marche, dit Louiset, il n’y a plus qu’à suivre. Bon ou
mauvais, on suit. Il n’y a qu’un endroit où il faudra faire attention : le
rocher se déglingue tous les matins. La nuit il gèle et, au premier rayon du
soleil, les pierres tombent. De l’autre côté, dans le pierrier, il y a une sorte
de parc. De toute façon, il n’y a pas besoin d’abri pour la nuit ; nous
n’avons que des mérinos, ils sont forts comme des Turcs.
« Alors, voilà ce qu’on va faire : le premier mois, nous allons nous
partager en deux équipes : d’un côté Alexandre et les moussaillons ; d’un
autre côté moi et Jules. Nous irons au troupeau à tour de rôle, un jour non
l’autre, après nous verrons.
– Si c’est pour moi, dit Tringlot, je peux très bien aller tout seul.
– Attends, dit Louiset, peut-être oui, peut-être non, ce n’est pas sûr ;
c’est plus difficile que ce que tu crois. Ce qui n’est pas difficile, c’est de
s’occuper des bêtes, oh ! ça non. Du moment qu’il y a de l’herbe, de l’eau et
du sel, ça va tout seul ; ce qui est difficile c’est de s’occuper de soi-même.
Attention, les animaux ne sont jamais fous, mais les hommes, c’est une
autre affaire.
– Tu n’as pas besoin de faire la gueule, je ne l’ai pas dit spécialement
pour toi, dit Louiset quand ils montèrent à leur tour vers le troupeau ; je l’ai
dit pour tous, moi y compris, moi le premier. Alexandre est un bon garçon.
Il a une patience d’ange, je te l’ai dit ; eh bien, malgré l’ange… Il n’a
jamais fait d’histoire ; il prend tout sur lui ; tout se passe en dedans, mais il
y a toujours un beau jour ! Alors là, on ne sait jamais ce qui peut arriver.
Les deux petits mousses, par contre, il faut se méfier : ils ne sont pas encore
faits. Si le revertigot les prend, c’est fini, ils feront pis que pendre. La
solitude est difficile à encaisser ; on se croit solide mais on déraille. J’ai
l’habitude ; pour moi ce n’est pas une question de revertigot : j’ai fait les
quatre cents coups ; qu’est-ce que tu veux que j’en fasse quatre cent un ?
Mais, quand j’ai été malade et quand tu nous as aidés, je me suis dit : c’est
la Providence ! Je ne vais pas bien, je n’ai rien dit, il faut que je travaille,
j’en ai besoin. Je t’ai raconté que c’étaient les conserves (et même je l’ai
cru) mais je sais maintenant que ce n’est pas une question de conserves ; je
dois avoir quelque chose de détraqué, ou peut-être même de mauvais. En
retournant au pays je me ferai voir, mais ici je veux faire mon temps, et
grâce à toi. Voilà. Je préfère être avec toi que seul. Tu croyais que je me
méfiais de toi ? C’est de moi que je me méfie.
Les deux hommes arrivèrent à la crête. Au-delà, des escarpements
rocheux, érodés par le vent, montaient beaucoup plus haut vers le sommet.
– A partir d’ici, c’est pour les amateurs, dit Louiset. S’ils en ont envie
qu’ils s’amusent ; moi je suis un professionnel, je m’arrête, j’en ai assez.
Ils dominaient un vaste paysage.
– Comment s’appelle l’endroit où nous sommes ? C’est, attends que je
regarde mon truc de carte que j’avais préparé. C’est la crête de Chiran.
Voilà, nous savons le nom et, là-haut dans le soleil rouge, les rochers
s’appellent le Peyras, naturellement. En bas, d’abord juste sous nos pieds,
avec déjà un peu de soleil, le clos du Jocond et le chaume des agneaux. Et
voilà notre maison qui fume bien gentiment, et c’est Alexandre qui est en
train de faire son café, le bougre. Plus bas, dans les sapins, dans l’ombre (ils
n’ont pas encore de soleil), c’est le Haut-Chadoul très reconnaissable ; on le
voit bien : l’herbe est bleue ; puis Villard qui fume comme un crassier. Ils
sont peut-être vingt ou trente là-bas dans les cabanes, en train de faire vingt
ou trente cafés, tous mauvais (je les connais). Après, plus bas, le Grand
Mourre où j’étais les autres années et j’y avais attrapé des sortes de
champignons entre les doigts de pied. Enfin, le dernier de mille, tout au
fond, on ne le voit même pas : c’est la Gondole. C’est rien, c’est Paris, c’est
en bas. Ça a un peu de soleil à midi, et à trois heures, macache !
« Et voilà la carte de géographie. On n’a pas besoin de plus. Pour aller
au ravitaillement, mais pas avant quinze jours, le trajet est tout tracé ; c’est
facile, je l’ai déjà mijoté. D’abord, tu suis tout simplement à la papa la piste,
la piste comme vous et moi : la nôtre, la rouge, celle par laquelle nous
sommes montés. Tu la vois ? Regarde-la, on la voit bien. Après le ressaut,
elle passe entre les deux fayards ; vu ? Elle va sous bois jusqu’à
l’embranchement du Haut-Chadoul. Là, tu bifurques à gauche, voilà tout,
c’est pas sorcier. Bien entendu, si tu veux continuer à droite, rien t’en
empêche ; à force de descendre tu finiras bien par arriver en bas, mais tu
feras cinq ou six kilomètres pour rien. Tandis qu’à gauche tu traverses le
Haut – Chadoul, tu tombes au torrent et tu n’as plus qu’à descendre au fil à
plomb. Tu économises plus de quatre kilomètres. Pour remonter, tu fais à ta
guise, selon que tu es bien ou selon que tu es mal.
– J’irai quand tu veux.
– Non. D’abord il faudra, toute affaire cessante, y envoyer les deux
moussaillons et pas ensemble, séparément. Et ça presse. Ce sont eux qui
risquent le plus. Ils sont jeunes, ils sont forts, ils cherchent tout ; il faut les
dompter vite, sinon ils trouveront. Ils trouveront n’importe quoi ; plus c’est
dégueulasse, plus ils le trouveront charmant. Ce ne sont pas les premiers qui
me passent par les mains ; je les connais. Il faut les éteindre très vite, sinon
c’est le feu. Nous : Alexandre, toi, moi, nous avons quand même un peu
vécu (et encore, ça ne prouve rien !). Alexandre, lui, a son cassage de
gueule (mystère ! C’est très bon un mystère) et puis il a son livre. Tu l’as vu
son livre ? C’est plein de chiffres ; rien que des chiffres. J’ai regardé : il n’y
a pas un seul mot ; des colonnes de chiffres, un point c’est tout. Je me
demande comment il fait pour le lire. Dans ce cas-là, on se raccroche à
n’importe quoi, même si c’est en chinois, on s’en fout, c’est très beau. Et
puis il y a toi. Alors toi, c’est un problème. Tu n’as rien, absolument rien :
tu ne fumes pas, tu ne bois pas (je te l’ai dit), tu ne cours pas la gueuse. Si tu
courais je l’aurais vu à Mons, par exemple. Tu n’as rien ; tu n’as rien pour
te rattraper. C’est très dangereux. Je m’interroge.
– Sur quoi ?
– Tu me bottes. Tu m’as plu dès le début. D’abord, tu m’as aidé
gentiment, et puis tu as continué, sans chichis. Je me suis dit : ce type-là
n’est pas mal ; s’il voulait venir avec moi – dans la montagne, ce serait
parfait. Après avoir bien réfléchi, je t’ai posé la question. Tu m’as dit : non
(je l’avais vu), je ne bois pas, je ne fume pas, etc., etc. Eh bien, je te le dis
carrément : ça n’allait pas. Tu m’avais dit : « Oh ! j’en ai des vices. »
J’avais peur que ce soient des paroles en l’air. Il me fallait du répondant.
Dans la solitude où nous allons être, il faut des vices (il ne faut pas en
promettre), des petits vices pour qu’on ne soit pas emporté par des gros.
C’est toute la question. Tant qu’on marche, l’esprit s’occupe ; on va d’un
endroit à l’autre ; le monde vous divertit, mais, quand on est sur place, il
faut se faire chaque jour des horizons neufs, et soi-même : voilà le danger.
Tant que tu marches, tu as un nord, un sud, l’est, l’ouest mais si tu es seul et
planté (c’est notre cas) il n’y a plus de loi ; alors on part en bombe.
« Tu comprends pourquoi Alexandre me rassure ? C’est qu’il va se faire
casser la gueule dans la ruelle, au pied du mur du couvent des Présentines ;
c’est qu’il tripote son livre idiot, plein de chiffres. Mais toi ? Si tu me
bottais pas, cocagne, mais tu me bottes, et même bien, voilà le problème !
– Aucun problème, dit Tringlot. – (Il lui raconta ses bat’ d’Af.) – Pas de
vin, pas de tabac, je faisais de nécessité vertu. Je m’étais mis tellement la
tringle que j’avais même perdu le goût du pain. Mon vice, c’était vivre. Tu
n’as pas besoin de t’inquiéter : toi tu fumes, moi je vis et, comme vice,
rends-toi compte si c’est coquet ! Des femmes, je n’y crache pas dessus à
l’occasion. Je ne crache sur rien, mais je ne fais pas de folies, ni pour une
chose ni pour l’autre ; des femmes, qu’est-ce que tu veux que j’en fasse,
spécialement ? Du moment que je jouis de tout ?
« Je comprends très bien, dit Tringlot, qu’il faut s’amarrer à quelque
chose dans la solitude, sinon elle vous emporte au tonnerre de Dieu et,
tonnerre de Dieu c’est pas joli. Je sais ce que c’est, je l’ai éprouvé ; je suis
né seul. Toi, Louiset, tu connais la solitude de la montagne ; moi je connais
la solitude des coups de trique et c’est aussi une sacrée solitude. Si on s’en
tire, on peut se tirer de n’importe quoi. Ce qu’il faut, c’est ne pas se prendre
pour le premier moutardier du pape. Dans la solitude (la tienne ou la
mienne) il faut être deux, tu l’as dit. J’aime être avec toi, nous faisons la
paire ; mais si je suis seul, je ne reste pas seul : je me dédouble, je suis
toujours deux. Quand on est deux, on sait qu’on n’est pas Dieu-le-Père. On
m’a mis à une drôle d’école, crois-moi. Tu as raison d’être inquiet pour les
moussaillons mais, toi, Alexandre, moi, nous sommes du bois dont on fait
les flûtes. »
Depuis qu’il était dans la montagne, Tringlot se délectait toutes les nuits
sur son lit de feuilles. Il résistait au sommeil pour écouter le grondement du
vent contre la maison « en dur ». Il était à l’abri. Il revoyait sa vie.
« Comme si j’y étais », se disait-il. A cette époque, toute la bande recevait
asile dans une bastide dite la Tour, au terroir de Saint-Georges (le cachou
aimait toujours les précisions). Nous sommes restés là huit jours chez ce
Seguin. Je ne me souviens plus de son prénom ; peut-être Paul. Nous
attendions la Messagerie. Ce Seguin avait un enfant d’environ dix ans, un
maigre, la peau et les os, le feu aux joues, les yeux brillants, les lèvres
gercées, saignantes ; il se léchait à petits coups de langue. Ce gosse se tenait
pendant le jour en vedette sur une hauteur pour guetter le passage de cette
Messagerie. Elle allait de la Préfecture à la gare de Chabran pour donner
son colis au train postal. Et elle ne passa pas. Seguin nous offrit d’aller à La
Garde pour avoir des nouvelles de la Messagerie. Ce qu’il fit deux jours de
suite. Au retour de son dernier voyage, il nous dit que la Messagerie avait
été détournée et qu’elle était allée directement à Marseille par le Logis
d’Anne. Nous étions floués, peut-être trahis, et peut-être par le même qui
trahissait le bureau du payeur général. De toute façon ce traître (s’il l’était)
nommé Chariot, fut trouvé un beau jour, pas très longtemps après, étendu
raide en travers de la route, du côté de Noyers. Il y avait trois millions en
numéraire dans le caisson de la Messagerie quand elle se détourna de nous
par le Logis d’Anne et avec seulement deux gendarmes d’escorte.
Gros manque à gagner ce jour-là. Le Seguin engagea la bande à rester
chez lui pour attendre l’arrivée du propriétaire de ce domaine qu’il avait
envie de faire assassiner. La femme de ce Seguin était estropiée et marchait
avec les béquilles. Elle avait trois filles, dont une était imbécile.
Dans cette bastide du Seguin, il y a une cache pratiquée dans l’écurie ;
l’entrée de cette cache est vers le milieu de l’écurie, sous la litière des
bœufs. Après avoir écarté le fumier, il faut enlever une couche de terre ; on
découvre ensuite une pierre plate d’environ quarante centimètres en carré,
qui ferme l’entrée de la cache. Cette cache est à peine assez grande pour
contenir deux hommes ; elle est vide. Elle n’a jamais été utilisée, même pas
pour le butin. Ce Seguin n’inspirait pas confiance : la tête ronde, des
côtelettes noires, un regard qui fuit ; capable de tout.
Une autre cache est à la Baume, terroir de Saint – Marc, comme dit le
cachou, sur le chemin du Sambuc, à une demi-heure de Saint-Marc, à droite
allant à Aix, exploitée par un nommé Marc, justement, dit « Marc de la
Baume ». L’entrée est sous un hangar voûté. Ce hangar est ordinairement
rempli de bois à brûler. Pour la découvrir, il faut déplacer tout le bois,
fouiller la terre vers le coin du hangar, à main droite, près la muraille du
corps de l’habitation, à une profondeur d’environ trente centimètres. A cette
profondeur on trouve une pierre de cinquante centimètres au carré, cette
pierre ferme l’entrée de la cache ; on ne peut y pénétrer qu’en se baissant,
mais elle est longue ; elle traverse toute la bastide. Elle est muette : Michel
Lieutaud y est mort ; il y est sans doute encore. Il a crié ; il a frappé de
toutes ses forces dans les murs ; Il s’y est débattu. De là-haut, dans la salle
de ferme – qui est juste au-dessus de la cache – on pouvait tranquillement
boire le café au lait ; on n’entendait rien du tout. Avec Lieutaud, il y a de
l’argenterie, des dentelles, des mousselines brodées, des galons d’or et ce
fameux portrait de Cataran du Sémaphore qui a fait couler tant d’encre. On
est toujours en train de le chercher. Il est dans la Baume, dans la cache, avec
les restes de Michel Lieutaud.
Il existe dans les bois d’Ollières, au flanc de la montagne de Baumont,
du côté de la Pouzerade, trois caches, ou cavernes, très difficiles à
découvrir. Il doit y avoir là-dedans quantité de montres et giletières en or,
des sautoirs, et bagues, et bracelets, et boucles d’oreilles. Une de ces caches
(on me l’a dit mais je ne l’ai jamais vue) est fermée par une pierre scellée en
plâtre tout autour et le plâtre a été noirci au tison. Va la voir ! Il n’y en a
qu’un qui aurait pu connaître ces caches : c’est le citoyen Roux, terroir
d’Auriol. Il habitait à une heure du chemin du village, dans les bois, sur la
route de Peynies. Il était garde-chasse ; il venait souvent en armes avec
nous ; nous le gobions assez : un grand fort, pas très déluré. Je l’ai toujours
considéré comme sournois et il n’en faisait qu’à sa tête ; il mangeait
toujours les consignes. Il est mort. De quoi ? Pas de sa belle mort. Et
pourtant, je l’ai vu, étendu sur son lit, sans blessure. Ces caches finissent
toujours par tuer leur homme.
Il y en a des quantités qui sont morts : Auzet de Rians, fusillé à
Courbons par les militaires ; Joseph Gonin, de Saint-Just, assassiné par les
paysans (le Seguin devait en être), Bergier de Trets, guillotiné au boulevard
Chave (j’étais dans le public) ; Charles de Cadenet, assommé à Montfuron
par des charretiers ; les frères Canton, guillotinés tous les deux le même
matin à Chave (cette fois je n’y étais pas, j’étais caché) ; Dori de Salon, mis
en miettes par l’explosion d’Aups ; François Terrier de même. Il était avec
Dori et treize autres que je ne connaissais pas (cette histoire d’Aups a été
terrible) ; Louis Rougier de Rians, brûlé dans un four. Toussaint de
Zaccharie s’est pendu lui-même, apparemment. Sauf le nommé Joseph de
Cadenet ; saisi et arrêté à Font-de-Guérin (terroir, comme dit le cachou), on
avait commencé à l’assassiner ; il avait eu le bonheur de s’échapper en
s’enfuyant et en se cachant dans les bois, malgré les soixante blessures
environ, qu’il avait reçues à coups de couteau, dont tout son corps était
criblé, chose que j’aurais peine à croire si je ne l’avais vu de mes propres
yeux, pendant le séjour, long et nécessaire, pour se faire panser et guérir
dans une bastide de Vaubelle, du terroir de la Verdière où la bande resta
longtemps (et moi aussi). Un officier de santé de la Verdière venait
assidûment et régulièrement le traiter. A Vaubelle, il y a une cache dans la
maison, derrière la tapisserie d’une grande salle où on arrive en montant un
petit nombre d’escaliers. L’officier de santé venait soigner Joseph. C’est là
que cet officier de santé est mort, bien entendu, tout de suite après. Je ne me
souviens pas de son nom. C’était cependant un homme charmant ; il
souriait ; il avait des gestes doux et très entendu dans son art. Mais quoi
faire ?
Je me souviens, dit Tringlot, d’Adélaïde Bagari. Pourquoi me souvenir
brusquement d’Adélaïde Bagari ? Je ne sais pas. Elle avait un corsage rouge
à pois blancs. Je ne revois pas son visage ; il y a des centaines d’Adélaïde
Bagari, mais par contre je vois très bien un grand orme tout reluisant, plus
vert qu’un buis, dans ce pays sauvage, jaune comme l’or.
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settlements of the different countries. In the third book, covering two thirds of the
text, and relating to Germany, each little province receives a historic notice, and
every town and castle of any note its description, with rude wood-cuts attached.
The next division given at some length is Asia, to which is appended half a dozen
pages on America, while Africa closes with the sixth book and about three times
that amount of text. The one chapter relating to our continent is headed, Von den
neuwen inseln, and gives a vague account of the discovery, the physical features
and natural products of the land, the inhabitants and their customs, illustrated with
several cuts, among them a volcano in eruption and two cannibal scenes. The
regular maps are grouped at the beginning of the volume, each on the verso and
recto of two leaves, bearing on the first recto the title, inclosed in a border more or
less ornamented with portraits, symbols, and arabesque. The mappemonde
shows Terra Florida and Francisia on each side of a bay. Above this runs a wide
strait marked Per hoc fretû iter patit ad Molucas, which issues between Cathay
regio and Temistitan. Below this land are placed Hispaniola and Cuba, at the
mouth of another wide strait, bounded on the south by the large island of America
seu insula Brasilij. Further down is Fretû Magaliani, with a large island to the
south. The map for America bears the inscription: ‘Die newe weldt der grossen
und vilen Inselen.’ The second edition of 1545 is considerably enlarged, the
chapter on America covering nine pages. In the third edition, of 1550, the wood-
cuts are increased by a number of large plans, views of towns, and other scenes
by Deutsch, making this the most attractive volume for collectors. A portrait of the
author in his sixtieth year is also given. The various editions in different languages,
issued even in the following century, vary considerably in arrangement and extent,
and that of 1614, although improved and enlarged to 1575 pages, devotes only
ten to America, while previous editions contain more material thereon. The binding
is provided with bosses, clasps, and vellum cover, impressed with tracery,
portraits, and emblems.

[410] Cap. iii. note 1.

[411] ‘Quauhpopocatzin, señor de Coyohuacan, uno de los grandes del imperio,


que asistia en Nauhtlan, y estaba á su cargo el gobierno de las costas del mar del
norte.’ Ixtlilxochitl, Hist. Chich., 296.

[412] Bernal Diaz writes, 40 soldiers, 2 cannon, 2 firelocks, 3 cross-bows and


2000 natives; Cortés, 50 Spaniards and 8000 to 10,000 Indians, ‘y doce tiros de
pólvora.’ Cartas, 88.

[413] ‘Á la primera refriega ... huyeron, y dexaron al Juan de Escalante peleando,’


says Bernal Diaz, Hist. Verdad., 74.

[414] ‘And Montezuma believed this to be the great lady whom we claimed for
patroness.’ ‘Todos los soldados que passamos con Cortés, tenemos muy creido.’
Bernal Diaz, Hist. Verdad., 74.

[415] ‘Seis soldados juntamente con él.’ Bernal Diaz, Hist. Verdad., 73. ‘Nueue
Españoles,’ says Gomara, who assumes that two were previously assassinated by
Quauhpopoca. Hist. Mex., 122, 129.

[416] According to Bernal Diaz, whose version is chiefly adhered to, the death of
so many soldiers caused the Spaniards to fall somewhat in the estimation of the
Indians, who had looked upon them as invulnerable beings. ‘Y que todos los
pueblos de la sierra, y Cempoal, y su sujeto, están alterados, y no les quieren dar
comida, ni servir.’ Bernal Diaz, Hist. Verdad., 73-4. But this is probably an
exaggeration, for Cortés would not have ventured to send down a new
comandante almost without escort, or to have remained quietly at Mexico for
months, had his rear been so threatened. Cortés, who should be regarded as the
best authority, gives a curious motive for the campaign. Qualpopoca, as he calls
him, sent a message to Escalante, offering to become a vassal of the Spanish
king. He had not submitted before, fearing to pass through the intervening hostile
country; but if four soldiers were sent to escort him, he would come with them.
Believing this protestation, Escalante sent the four men, two of whom wounded
returned shortly after with the story that Quauhpopoca had sought to kill them, and
had succeeded in despatching their comrades. This led to the expedition of
Escalante. Cartas, 87-8. It appears most unlikely that this officer should have so
far forgotten the prudence ever enjoined on his captains by Cortés, and trusted
only four men in an unknown country, in response to so suspicious a request.
There was beside no need for Quauhpopoca to go to Villa Rica, since his
submission through envoys would be just as binding. If he desired to see the
Spanish fort, he could have gone safely by water, for large canoes were used on
the coast. It is not improbable that the story was made up to justify the expedition
sent against Nautla, since a campaign by a small force, merely on behalf of a
wretched tribe of natives, might have been regarded as unwarranted. This story
was also useful afterward, when Cortés first thought proper to reveal it, for rousing
his men to action. Gomara follows Cortés, with the difference that Pedro de Ircio,
as he wrongly calls the captain at Villa Rica, having orders from Cortés to
anticipate Garay by incorporating Almería, sent an order to Quauhpopoca to
tender his submission. This he agreed to do, provided the four Spaniards were
sent to escort him. Gomara appears to favor the view that Quauhpopoca acted on
his own responsibility, for he says that this chief sent to warn Montezuma of
Cortés’ intention to usurp the empire, and to urge upon him to seize the white
captain. Hist. Mex., 122, 129. Bernal Diaz stamps this account as false. Peter
Martyr, dec. v. cap. iii., assumes that the two Spaniards were slain by robbers, so
that Quauhpopoca was innocent of any misdeed. Tapia’s version is incomplete,
but appears to favor Bernal Diaz. In Duran’s native record, Coatlpopoca appears
as the guide of the Spaniards. He treacherously leads them along a precipice,
over which two horsemen fall with their steeds, and are killed. For this he is tried
and executed. Hist. Ind., MS., ii. 411-13.

[417] He reveals it only after his arrival at Mexico, and thus leads Bernal Diaz to
assume that the news reached him there. In this he is followed by Herrera, dec. ii.
lib. viii. cap. i., and consequently by Torquemada, i. 455.

[418] Bernal Diaz, Hist. Verdad., 62; Gomara, Hist. Mex., 97; Torquemada, i. 442.

[419] The estimate varies from fourteen days, Herrera, to over twenty days,
Gomara. By assuming that nineteen days were spent at Cholula, the army has a
week in which to reach Mexico, and this is about the time consumed.

[420] Gomara, Hist. Mex., 97. ‘Saliẽdo acompañarle los señores de Chulula, y con
gran marauilla de los Embaxadores Mexicanos.’ Herrera, dec. ii. lib. vii. cap. iii.
‘Andauamos la barba sobre el ombro,’ says Bernal Diaz, in allusion to the
precautions observed. Hist. Verdad., 63.

[421] Bernal Diaz relates in a confused manner that at Izcalpan the Spaniards
were told of two wide roads beginning beyond the first pass. One, easy and open,
led to Chalco; the other, to Tlalmanalco, had been obstructed with trees to impede
the horses, and so induce the army to take the Chalco route, upon which the
Aztecs lay in ambush, ready to fall upon them. Hist. Verdad., 63. This finds some
support in Sahagun, whose mythic account relates that Montezuma, in his fear of
the advancing forces, had blocked the direct road to Mexico and planted maguey
upon it, so as to direct them to Tezcuco. Hist. Conq., 21. Cortés indicates clearly
enough that the Mexican envoys had at Cholula recommended a route leading
from that city south of Huexotzinco to the usual mountain pass, and used by their
people in order to avoid this inimical territory. Upon it every accommodation had
been prepared for the Spaniards. This road was not only circuitous, but had been
declared by Tlascaltecs and others as hard and perilous, with deep ravines,
spanned by narrow and insecure bridges, and with Aztec armies lying in ambush.
Cortés, Cartas, 76-8; Tapia, Rel., in Icazbalceta, Col. Doc., ii. 574. Peter Martyr,
dec. v. cap. ii., calls this route shorter and easier, though more dangerous. Certain
remarks by Bernal Diaz indicate that the ambush had been arranged in connection
with the plot at Cholula, and abandoned upon its failure, loc. cit. There could
hardly have been more than one route across the range, through the pass wherein
the Aztecs had erected their station for travellers, and this the Spaniards did
follow. Here also accommodation was prepared for them, and here the embassy
from Montezuma appeared. Hence the obstructions spoken of must have been at
the junction of the Huexotzinca road with the main road from Cholula to the pass,
and intended as an intimation to the Huexotzincas or to the Mexicans not to
trespass. They could have been of no avail against the Spaniards, who were
beside invited to enter on the main road then at hand. These are facts overlooked
by Prescott, Clavigero, and writers generally who have lost themselves in the
vague and confused utterances of the chroniclers, and in seeking to elaborate a
most simple affair. Modern travellers follow the easier and less picturesque route
north of Iztaccihuatl, which skirts Mount Telapon. This was the road recommended
by Ixtlilxochitl, leading through Calpulalpan, where he promised to join him with his
army; but Cortés preferred to trust to his own arms and to his Tlascaltec followers.
Torquemada, i. 442.

[422] ‘Dezian algunos Castellanos, que aquella era la tierra para su buena dicha
prometida, y que mientras mas Moros, mas ganancia.’ Herrera, dec. ii. lib. vii. cap.
iii.

[423] Gomara, Hist. Mex., 97; Oviedo, iii. 500.

[424] Ixtlilxochitl, Hist. Chich., 295. Torquemada, followed by Brasseur de


Bourbourg and others, calls it Ithualco, which appears rather to have been a
general term for these stations, since ithualli, according to Molina, signifies a court.
Peter Martyr and Gomara refer to it as a summer palace.

[425] Cortés, Cartas, 79. ‘Aun que para los Tamemes hizieron los de Motecçuma
choças de paja ... y aun les tenian mugeres.’ Gomara, Hist. Mex., 97. ‘Los Indios
hizieron de presto muchas barracas,’ says Herrera, who places this ‘casa de
plazer’ in the plain below. dec. ii. lib. vii. cap. iii. Tapia calls the buildings ‘casas de
paja.’ Relacion, in Icazbalceta, Col. Doc., ii. 578.

[426] Martin Lopez was the watchful sentinel. Torquemada, i. 443.

[427] Tapia, Rel., in Icazbalceta, Col. Doc., ii. 577; Cortés, Cartas, 80. Herrera
intimates that an attack on the summit, where the Spaniards were benumbed with
cold, might have succeeded in creating confusion. dec. ii. lib. vii. cap. iii. Unless
the naked Indians had been equally benumbed!

[428] He appealed to the Tlascaltecs by his side, and they declared that they knew
him to be Tzihuacpopoca. Torquemada, i. 446.

[429] A load being at least 50 pounds, the bribe swells to over $5,000,000.

[430] Cortés and Martyr call the envoy a brother of Montezuma. Cartas, 79; dec. v.
cap. ii.; Gomara and Herrera, a relative. Hist. Mex., 98; dec. ii. lib. vii. cap. iii.
According to Bernal Diaz, the bribe is offered by four nobles at Tlalmanalco. Hist.
Verdad., 64. Sahagun, who is the original authority for the story of
‘Tzioacpupuca’s’ attempt to pass himself off for Montezuma, says that Cortés was
highly indignant at the deception, ‘y luego con afrenta enviaron á aquel principal y
á todos los que con él habian venido.’ Hist. Conq., 19; Torquemada, i. 445-6.
[431] Sahagun, Hist. Conq., 20-1; Acosta, Hist. Ind., 519-20; Torquemada, i. 447.
Solis, the ‘penetrating historian,’ repeats and improves upon this as an account
taken from ‘autores fidedignos.’ Hist. Mex., i. 353. And with a similar belief it has
been given a prominent place in West-vnd Ost-Indischer Lustgart, 131. Gaspar
Ens L., the author, was one of the editors of the famous set of De Bry, from which
he like so many others borrowed text, if not engravings. The narrator of several
individual European travels, he also issued the Indiæ Occidentalis Historia,
Coloniæ, 1612. The German version, published at Cöllen in 1618 in a small quarto
form, under the above title, has for its guiding principle the appropriate maxim of
Horace, Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci. The first part, relating to
America in general, is divided into three sections, for physical and natural
geography and Indian customs, followed by discovery, voyages, and conquests,
and concluding with a review of political history, and an appendix on missionary
progress. This arrangement, however, is nominal rather than real, and the
confusion, extending into chapters as well as sections, is increased by the
incomplete and undigested form of the material, enlivened, however, by an
admixture of the quaint and wonderful.

[432] ‘Ya estamos para perdernos ... mexicanos somos, ponernos hemos á lo que
viniese por la honra de la generacion.... Nacidos somos, venga lo que viniere.’
Sahagun, Hist. Conq., 21.

[433] ‘Este parecer de Cuitlahuac, abraçaron muchos de los Presentes.’


Torquemada, i. 444-5.

[434] With seven towns and over 25,000 families, says Chimalpain, Hist. Conq.,
115. Herrera states that at the foot of the descent from the range felled trees
obstructed the road, and appearances indicated that an ambush had been
intended. Herrera, dec. ii. lib. vii. cap. iii.

[435] Cortés, Cartas, 80-1. Bernal Diaz places this occurrence at Tlalmanalco,
where the chiefs jointly offer eight female slaves, two packs of robes, and 150
pesos’ worth of gold. They urge Cortés to remain with them rather than trust
himself within Mexico. This being declined, twenty chiefs go with him to receive
justice from the emperor at his intercession. Hist. Verdad., 63. ‘Se dieron por sus
confederados.’ Sahagun, Hist. Conq. (ed. 1840), 74.

[436] For map of route see, beside those contained in this volume, Carbajal
Espinosa, Hist. Mex., ii. 201, 538, and Alaman, in Prescott’s Hist. Conq. (ed. Mex.
1844), i. 337, 384. The last maps in these books illustrate the later siege
operations round Mexico, and so does Orozco y Berra’s, in Ciudad México,
Noticias, 233. Prescott’s route map, in Mex., i. p. xxxiii., claims to be based on
Humboldt’s, with corrections from the chroniclers.
[437] ‘Mataron dellos hasta veynte.’ Gomara, Hist. Mex., 98. The chiefs
complained in secret of Montezuma. Tapia, Rel., in Icazbalceta, Col. Doc., ii. 578.

[438] By touching the ground with the hand and then bearing it to the lips.

[439] Cortés ‘le dió tres piedras, que se llaman margaritas, que tienen dentro de si
muchas pinturas de diuersas colores.’ Bernal Diaz, Hist. Verdad., 64. A certain
vagueness in the phrase has led some to translate it as a present of three fine
pearls for Cortés.

[440] ‘No les quedaba sino decir que me defenderian el camino.’ Cortés, Cartas,
81. ‘Dieron a entender que les ofenderiã alla, y aun defenderiã el passo y
entrada.’ Gomara, Hist. Mex., 98.

[441] Bernal Diaz, Hist. Verdad., 64. Ixtlilxochitl contradicts himself about the place
of meeting, and makes Cacama invite Cortés to Tezcuco. Hist. Chich., 295; Id.,
Relacion, 411. Torquemada does the same. i. 449.

[442] Native Races, ii. 345-6, 575. Cortés mentions another smaller town in the
lake, without land communication. Cortés, Cartas, 82.

[443] ‘Pariente del rey de México.’ Chimalpain, Hist. Conq., 116. ‘Prince du
quartier de Ticic.’ Brasseur de Bourbourg, Hist. Nat. Civ., iv. 203.

[444] ‘Cortés, ca yua con determinacion de parar alli, y hazer barcas o fustas ...
con miedo no le rompiessen las calçadas (to Mexico).’ Gomara, Hist. Mex., 99.

[445] Torquemada, i. 451; Oviedo, iii. 500.

[446] For an account of the dispute between Cacama and Ixtlilxochitl, see Native
Races, v. 474-7.

[447] Tezcuco was entirely out of Cortés’ route, and the narratives of the march
show that no such detour could have been made. Torquemada, who contradicts
himself about the visit, describes with some detail the reception at this capital,
where the population kneel to adore the Spaniards as children of the sun. They
are entertained at the palace, and discover in one of the courtiers, named
Tecocoltzin, a man of as fair a hue as themselves, who became a great favorite. i.
444. Herrera takes the army from Ayotzinco to Tezcuco and back to Cuitlahuac.
dec. ii. lib. vii. cap. iv. Impressed perhaps by the peculiarity of this detour,
Vetancurt, after repeating the story, expresses a doubt whether the visit was really
made. Teatro Mex., pt. iii. 127-8. But Clavigero brings arguments, based partly
upon vague points in Cortés’ later letters, to prove that it took place. Storia Mess.,
iii. 74. Solis, ‘the discriminating,’ lets Cacama himself guide Cortés from Ayotzinco
to Tezcuco. Hist. Mex., i. 360-1.

[448] ‘Yxtapalapa, que quiere decir Pueblos donde se coge Sal, ó Yxtatl; y aun
hoy tienen este mismo oficio los de Yxtapalapa.’ Lorenzana, in Cortés, Hist. N.
Esp., 56.

[449] Including Matlatzincatzin, lord of Coyuhuacan and brother of Montezuma;


Tochihuitzin of Mexicaltzinco, and Huitzillatl of Huitzilopochco. Clavigero, Storia
Mess., iii. 75; Chimalpain, Hist. Conq., 116; Brasseur de Bourbourg, Hist. Nat. Civ.,
iv. 205.

[450] Peter Martyr, dec. v. cap. ii.; Gomara, Hist. Mex., 99; Cortés, Cartas, 82.
What with the retreating waters and the removal of native lords in whose interest it
lay to preserve the gardens and palaces, her glories are now departed. The
evaporation of the lake waters had been observed before the conquest. After this
it increased rapidly, owing to the thoughtless destruction of forests in the valley, as
Humboldt remarks. In Bernal Diaz’ time already Iztapalapan lay high and dry, with
fields of maize growing where he had seen the busy traffic of canoes. Hist.
Verdad., 65. The fate of the lake region was sealed by the construction of the
Huehuetoca canal, which drained the big lake to a mere shadow of its former self,
leaving far inland the flourishing towns which once lined its shore, and shielding
the waters, as it were, from further persecution by an unsightly barrier of desert
salt marshes—and all to save the capital from the inundations to which blundering
locators had exposed her. Humboldt has in his map of the valley traced the outline
of the lake as it appeared to the conquerors, and although open to criticism it is
interesting. Essai Pol., i. 167, 173-5.

[451] Cortés, Cartas, 82. Bernal Diaz reduces it to 2000 pesos. According to
Sahagun, Cortés summons the lords of the district and tells them of his mission.
The common people keep out of the way, fearing a massacre. Hist. Conq., 21-2.
Brasseur de Bourbourg, Hist. Nat. Civ., iv. 205-6, assumes from this that many of
the chiefs promised to support Cortés against the government, which is hardly
likely to have been done in a city ruled by Montezuma’s brother, who was at heart
hostile to the Spaniards. Here again, says Herrera, dec. ii. lib. vii. cap. v.,
Montezuma sought to dissuade Cortés from entering the capital; Torquemada, i.
449. His envoy being Cacama, adds Ixtlilxochitl, Hist. Chich., 295.

[452] Hist. Verdad., 64-5.


CHAPTER XVI.
MEETING WITH MONTEZUMA.

November, 1519.

Something of the City—The Spaniards Start from Iztapalapan—Reach the


Great Causeway—They are Met by many Nobles—And presently by
Montezuma—Entry into Mexico—They Are Quartered in the Axayacatl
Palace—Interchange of Visits.

From Iztapalapan the imperial city of the great plateau could


clearly be seen, rising in unveiled whiteness from the lake. Almost
celestial was its beauty in the eyes of the spoilers; a dream some
called it, or, if tangible, only Venice was like it, with its imposing
edifices sparkling amid the sparkling waters. Many other places had
been so called, but there was no other New World Venice like this.
Sweeping round in sheltering embrace were the green swards
and wood-clad knolls on the shore, studded with tributary towns and
palatial structures, crowned with foliage, or peeping forth from
groves, some venturing nearer to the city, and into the very lake. “We
gazed with admiration,” exclaims Bernal Diaz, as he compares with
the enchanted structures described in the Amadis their grand towers,
cues, and edifices, rising in the lake, and all of masonry.
Let us glance at the people and their dwellings; for though we
have spoken of them at length elsewhere, we cannot in this
connection wholly pass them by.
Two centuries back, the Aztecs, then a small and despised
people, surrounded and oppressed by enemies, had taken refuge on
some islets in the western part of the saline lake of Mexico, and
there by divine command they had founded the city which, under the
title of Mexico Tenochtitlan, was to become the capital of Anáhuac.
The first building was a temple of rushes, round which the settlement
grew up, spreading rapidly over the islets, and on piles and filled
ground. The city was enlarged and beautified by successive rulers,
and when first beheld by the Spaniards it had attained its greatest
extent—one it never again approached—and was reputed to be
about twelve miles in circumference. This area embraced a large
suburb of several villages and towns with independent names,
containing in all sixty thousand houses, equivalent to a population of
three hundred thousand.[453]
Four great avenues, paved with hard cement, ran crosswise
from the cardinal points, and divided the city into as many quarters,
which were again subdivided into wards.[454]
Three of the avenues were connected in a straight line, or nearly
so, with the main land by means of smooth causeways, constructed
of piles filled up with rubble and débris. The shortest of these was
the western, leading to Tlacopan, half a league distant, and bordered
all the way with houses. They were wide enough for ten horsemen to
ride abreast, and were provided at intervals with bridges for the free
flow of water[455] and of traffic. Near their junction with the city were
drawbridges, and breastworks for defence. A fourth causeway, from
the Chapultepec summer palace, served to support the aqueduct
which carried water from the mountain spring in that vicinity.
Round the southern part of the city stretched a semicircular
levee, three leagues in length and thirty feet in breadth, which had
been constructed in the middle of the preceding century to protect
the place from the torrents which after heavy rains came rushing
from the fresh-water lakes of Xochimilco and Chalco. This levee was
the chief resort of the people—during the day for bustling merchants
and boat crews, during the evening for promenaders, who came to
breathe the fresh air soft-blown from the lake, and to watch the
setting sun as it gilded the summits of Popocatepetl and his consort.
Traffic, as may be supposed, was conducted chiefly by canals
guarded by custom-houses, lined with quays, and provided in some
places with docks. Upon these abutted narrow yet well lighted cross
streets, connected by bridges, and leading to a number of open
squares, the largest of which were the market-places in Tlatelulco
and Mexico proper, wherein as many as one hundred thousand
people are said to have found room.
Viewed architecturally and singly, the buildings did not present a
very imposing appearance, the greater portion being but one story in
height. This monotony, however, was relieved to a great extent by
the number of temples sacred to superior and local deities which
were to be seen in every ward, raised high above the dwellings of
mortals, on mounds of varying elevations, and surmounted by
towering chapels. Their fires, burning in perpetual adoration of the
gods, presented a most impressive spectacle at night. The grandest
and most conspicuous of them all was the temple of Huitzilopochtli,
which stood in the centre of the city, at the junction of the four
avenues, so as to be ever before the eyes of the faithful. It formed a
solid stone-faced pyramid about 375 feet long and 300 feet broad at
the base, 325 by 250 feet at the summit, and rose in five
superimposed, perpendicular terraces to the height of 86 feet. Each
terrace receded six feet from the edge of the one beneath, and the
stages were so placed that a circuit had to be made of each ledge to
gain the succeeding flight, an arrangement equally suited for showy
processions and for defence. Surrounding the pyramid was a
battlemented stone wall 4800 feet in circumference, and through this
led four gates, surmounted by arsenal buildings, facing the four
avenues.[456]
The pyramid was quite modern, and owed its erection to
Ahuitzotl, who for two years employed upon it an immense force of
men, bringing the material from a distance of three or four leagues. It
was completed in 1486, and consecrated with thousands of victims.
The rich and devout brought, while it was building, a mass of
treasures, which were buried in the mound as an offering to the
gods, and served subsequently as a powerful incentive for the
removal of every vestige of the structure. The present cathedral
occupies a portion of the site.[457]
The appearance of the city was likewise improved by terraces of
various heights serving as foundation for the dwellings of rich
traders, and of the nobles who were either commanded to reside at
the capital or attracted by the presence of the court. Their houses
were to be seen along the main thoroughfares, differing from the
adobe, mud, or rush huts of the poor, in being constructed of porous
tetzontli stone, finely polished and whitewashed. Every house stood
by itself, separated by narrow lanes or by gardens, and inclosing one
or more courts. Broad steps led up the terrace to two gates, one
opening on the main street, the other on the back lane or canal. The
terrace platform was particularly spacious in front, where
occasionally a small oratorio faced the entrance. The façade was
adorned with elegant cornices and stucco designs of flowers and
animals, often painted in brilliant colors. Balconies were occasionally
to be seen, supported on monolith columns without base or capital,
though with incised ornamentation; but they were not common,
owing to the prevalence of flat roofs surrounded by battlemented and
even turreted parapets. Behind them rose flowering plants, arranged
in pots or growing in garden plots, and aiding to render the spot
attractive for the family gathering in the evening. Flower-gardens
might be seen also in the courts, with a sparkling fountain in the
centre. Around ran the shady porticos, lined with suites of
apartments, the larger reception rooms in front, the stores and
kitchen in the rear, and other rooms and chambers, with the never
failing temazcalli, or bath, arranged between them, and provided with
wicker screens or curtains in lieu of doors.
Courts as well as rooms were covered with flags of stones,
tessellated marble or cement, polished with ochre or gypsum; and
the walls were decorated not infrequently with porphyry, jasper, and
alabaster, and hung with cotton tapestry adorned with feather and
other ornaments. The furniture on the other hand was scanty,
consisting chiefly of mats of palm leaves, cushions, low tables, and
stools.[458]
It was in the morning of the 8th of November that the Spaniards
mustered for the entry into Mexico. Not far from Iztapalapan they
came upon the longest causeway, two leagues in extent, which with
the exception of a short angle near the shore led in a straight line
northward to the heart of the city.[459] They passed several towns,
some on the shore, others touching the causeway,[460] and
supported to a great extent by the manufacture of salt from the lake
water. The causeway had been reserved for the passage of the
troops, out of deference to the desire manifested to keep the natives
at a respectful distance,[461] but both sides were lined with canoes
bearing an eager crowd of sight-seers. About half a league from the
city the causeway formed a junction with the road from Xochimilco
and Coyohuacan, at a spot called Acachinanco,[462] where a stout
battlemented wall, fully ten feet in height, and surmounted by two
towers, guarded the two gates for entry and exit.
Entering here the Spaniards were met by a procession of over
one thousand representative people from the capital,[463] richly
arrayed in embroidered robes, and with jewelry of pendent stones
and gold. These passed before the visitors in a file, touching the
ground with their hand and carrying it to the lip in token of reverence.
This ceremony occupied an hour, after which the march was
resumed. At the junction of the causeway with the main avenue of
the city was a wooden bridge ten paces wide, easily removable,
inside of which Cortés halted to await the emperor, then
approaching.[464] On either side of the street, closely along by the
houses, came processions of nobles, headed by lords and court
dignitaries, all of whom marched with bare feet and bowed heads.
This humility was owing to the presence of the emperor, who in
almost solitary grandeur kept the centre of the road, borne in a richly
adorned litter on the shoulders of his favorite courtiers, and followed
by a few princes and leading officials.[465] Three dignitaries
preceded him, one of whom bore aloft three wands, signifying the
approach of the imperial head of the tripartite alliance, so that all
persons in sight might lower their heads in humble reverence till he
had passed.
On nearing the Spaniards Montezuma stepped from the litter,
supported on either side by King Cacama and Cuitlahuatzin, his
nephew and brother, and followed by the king of Tlacopan and other
princes. Four prominent caciques held over his head a canopy
profusely covered with green feathers set with gold and silver, and
precious stones, both fixed and pendent, and before them attendants
swept the road and spread carpets, so that the imperial feet might
not be soiled. The monarch and his supporters were similarly
dressed, in blue tilmatlis which, bordered with gold and richly
embroidered and bejewelled, hung in loose folds from the neck,
where they were secured by a knot. On their heads were mitred
crowns of gold with quetzal plumes, and sandals with golden soles
adorned their feet, fastenings embossed with gold and precious
stones.[466]
Montezuma was about forty years of age, of good stature, with a
thin though well-proportioned body, somewhat fairer than the
average hue of his dusky race. The rather long face, with its fine
eyes, bore an expression of majestic gravity, tinged with a certain
benignity which at times deepened into tenderness. Round it fell the
hair in a straight fringe covering the ears, and met by a slight growth
of black beard.[467]
With a step full of dignity he advanced toward Cortés, who had
dismounted to meet him. As they saluted,[468] Montezuma tendered
a bouquet which he had brought in token of welcome, while the
Spaniard took from his own person and placed round the neck of the
emperor a showy necklace of glass, in form of pearls, diamonds, and
iridescent balls, strung upon gold cords and scented with musk.[469]
With these baubles, which were as false as the assurances of
friendship accompanying them, the great monarch deigned to be
pleased, for if every piece of glass had been a diamond they would
have possessed no greater value in his eyes. As a further
expression of his good-will, Cortés offered to embrace the monarch,
but was restrained by the two princes, who regarded this as too
great a familiarity with so sacred a person.[470] The highest
representative of western power and grandeur, whose fame had
rung in the ears of the Spaniards since they landed at Vera Cruz,
thus met the daring adventurer who with his military skill and artful
speech had arrogated to himself the position of a demi-god.
After an interchange of friendly assurances the emperor returned
to the city, leaving Cuitlahuatzin to escort the general.[471] The
procession of nobles now filed by to tender their respects,
whereupon the march was resumed to the sound of drums and wind
instruments. At the head were scouts on horseback, followed by the
cavalry, under Cortés, who had by his side two large greyhounds;
then came the infantry, with the artillery and baggage in the centre;
and last, the allies.[472] The streets, which had been deserted by the
people out of deference to the emperor and to the requirements of
his procession, were now alive with lookers-on, particularly in the
entrances to the alleys, in the windows, and on the roofs.[473]
At the plaza, wherein rose the great pyramidal temple
surrounded on all sides by palatial edifices, the procession turned to
the right, and Cortés was led up the steps of an extensive range of
buildings, known as the Axayacatl palace, which faced the eastern
side of the temple inclosure.[474] Here Montezuma appeared, and
through a court-yard shaded by colored awnings and cooled by a
playing fountain he conducted him by the hand into a large hall. An
attendant came forward with a basket of flowers, wherein lay “two
necklaces made of the shell of a species of red crawfish,” so they
said, and “much esteemed by the natives, from each of which hung
eight crawfish of gold, wrought with great perfection, and nearly as
large as the span of a hand.”[475] These the emperor placed round
the neck of the general, and presented at the same time wreaths to
his officers. Seating him upon a gilt and bejewelled dais,[476] he
announced that everything there was at his disposal; every want
would be attended to. Then with delicate courtesy he retired, so that
the Spaniards might refresh themselves and arrange their quarters.
The building contained several courts, surrounded by
apartments, matted and furnished with low tables and icpalli stools.
Everything about the place was neat and of a dazzling whiteness,
relieved by green branches and festoons. The finer rooms were
provided with cotton tapestry, and adorned with figures in stucco and
color, and with feather and other ornaments set with gold and silver
fastenings. Here and there were vases with smouldering incense
diffusing sweet perfume. So large was the place that even the allies
found room. The halls for the soldiers, accommodating one hundred
and fifty men each, were provided with superior beds of mats, with
cotton cushions and coverlets, and even with canopies. Cortés was
glad to find the building protected by strong walls and turrets, and
after arranging the men according to their corps, he ordered the
guns to be planted and the sentinels posted, issuing also instructions
for the considerate treatment of the natives, and for intercourse
generally. Meanwhile the servants had spread a dinner, which Bernal
Diaz describes as sumptuous.[477]
In the afternoon Montezuma reappeared with a large suite.
Seating himself beside Cortés,[478] he expressed his delight at
meeting such valiant men, whose fame and deeds had already
aroused his interest during their visits in the two preceding years at
Potonchan and Chalchiuhcuecan. If he had sought to prevent their
entry into the capital, it was solely because his subjects feared them,
with their animals and thunder; for rumors had described them as
voracious beings, who devoured at one meal what sufficed for ten
times the number of natives, who thirsted for treasures and who
came only to tyrannize. He now saw that they were mortals, although
braver and mightier than his own race, that the animals were large
deer, and that the caged lightning was an exaggeration. He related
the Quetzalcoatl myth,[479] and expressed his belief that they were
the predicted race, and their king the rightful ruler of the land. “Hence
be assured,” said he, “that we shall obey you, and hold you as lord
lieutenant of the great king, and this without fail or deceit. You may
command in all my empire as you please, and shall be obeyed. All
that we possess is at your disposal.”[480]
Cortés expressed himself as overwhelmed with these kind offers
and with the many favors already received, and hastened to assure
the emperor that they were not misplaced. He and his men came
indeed from the direction of the rising sun, and their king, the
mightiest in the world, and the ruler of many great princes, was the
one he supposed. Hearing of the grandeur of the Mexican monarch,
their master had sent the former captains, brethren of theirs, to
examine the route, and to prepare the way for the present
commission. He had come to offer him the friendship of their great
king, who wished in no wise to interfere with his authority, but rather
that his envoys should serve him and teach the true faith.
The reference to Montezuma’s grandeur led the emperor
evidently to suppose that the rumors concerning him current in the
outlying provinces might have reached the ears of the Spanish king,
for he now alluded to the tales which raised him to a divine being
inhabiting palaces of gold, silver, and precious stones. “You see,” he
added with a sad smile, wherein seemed to linger regrets arising
from his departing glory, “that my houses are merely of stone and
earth; and behold my body,” he said, turning aside his vestment, “it is
but of flesh and bone, like yours and others. You see how they have
deceived you. True, I possess some gold trinkets left me by my
forefathers; but all that I have is yours whenever you may desire
it.”[481]
Cortés’ eyes sparkled with satisfaction as he expressed his
thanks. He had heard of Montezuma’s wealth and power, and had
not been deceived in the expectation, for a more magnificent prince
he had not met with during his entire journey. Such fine words must
be rewarded. At a sign the attendants came forward with a rich
collection of gold, silver, and feather ornaments, and five thousand to
six thousand pieces of cloth, most fine in texture and embroidery.
[482]Being asked what relationship the men bore to one another,
Cortés said that all were brothers, friends, and companions, with the
exception of a few servants.[483]
Montezuma afterward elicited from the interpreters who the
officers and gentlemen were, and in conferring favors he sent them
more valuable presents through the mayordomo, while the rest
obtained inferior gifts by the hand of servants.[484] At his departure
from the Spanish quarter the soldiers with redoubled alacrity fell into
line to salute a prince who had impressed them both with his gentle
breeding and his generosity, and the artillery thundered forth a salvo,
partly to demonstrate that the caged lightning was a fearful reality.
[485]

The following forenoon Cortés sent to announce that he would


make a return visit, and several officers came to escort him. Arrayed
in his finest attire, with Alvarado, Velazquez de Leon, Ordaz,
Sandoval, and five soldiers, he proceeded to the residence of
Montezuma, in the new palace as it has been called, situated in the
south-east corner of the great temple plaza.[486] If they had admired
the palace forming their own quarter, how much more charmed were
they with this, “which has not its equal in Spain,” exclaims Cortés.
The exterior presented an irregular pile of low buildings of
tetzontli, raised upon high foundations, and communicating with the
square by twenty doors, over which were sculptured the coat of arms
of the kings of Mexico. The buildings were so arranged as to inclose
three public squares, and contained an immense number of rooms
and halls, one of them large enough to hold three thousand men, it is
said. Several suites were reserved for royal visitors, envoys, and
courtiers, while others were assigned for the emperor’s private use,
for his harem and his attendants. Large monoliths adorned the halls
or supported marble balconies and porticos, and polished slabs of
different kinds of stone filled the intervening spaces or formed the
floors. Everywhere, on projections and supports, in niches and
corners, were evidences of the artist’s skill in carvings and
sculptures, incised and in relief.
After being conducted through a number of courts, passages,
and rooms, partly for effect, the Spaniards were ushered into the
audience-chamber, and removed their hats as Montezuma advanced
to receive them. Leading Cortés to the throne, he seated him at his
right hand, the rest being offered seats by the attendants. Around
stood with downcast eyes a number of courtiers, who in accordance
with etiquette had covered their rich attire with a coarse mantle and
left their sandals outside the room.[487] The conversation fell chiefly
on religious topics, the favorite theme with Cortés, who aside from
his bigotry was not averse to use the faith as a means to obtain a
secure hold on the people. In any case it afforded a shield for other
objects. He explained at length the mysteries of Christianity, and
contrasted its gentle and benevolent purposes with those of the
idols, which were but demons intent on the destruction of their
votaries, and trembling at the approach of the cross. Aware of the
inefficiency of himself and his interpreters as preachers, indicated
indeed by the passive face of the proposed convert, Cortés
concluded by intimating that his king would soon send holy men,
superior to themselves, to explain the truths which he had sought to
point out. Meanwhile he begged the emperor to consider them, and
to abandon idols, sacrifices, and other evils. “We have given him the
first lesson, at any rate,” said Cortés, turning to his companions.[488]
The ruler of a superstitious people, himself a high-priest and
leader of their bloody fancies, was not to be touched by this appeal
of Cortés. The prejudices of a lifetime could not be so easily
disturbed. He had well considered the words, he replied, transmitted
already from the sea-shore by his envoys, and had found many of
the points identical with those held by his people; but he preferred
not to dwell on the subject at present. The god depicted was
doubtless good; so were their own, for to them they and their
forefathers owed health and prosperity. Suffice it that he believed his
guests to be the men predicted to come. “As for your great king,” he
added, “I hold myself as his lieutenant, and will give him of what I
possess.” As a tangible proof thereof, he again before dismissing
them distributed presents, consisting of twenty packs of fine robes
and some gold-ware worth fully one thousand pesos.[489]
FOOTNOTES
[453] The ruins of the old city, clearly traced by Humboldt, showed that it must
have been of far greater extent than the capital raised upon its site by the
Spaniards. This is also indicated by the size of the markets and temple courts. The
reason is to be found partly in the former prevalence of one-story houses with
courts inclosed.

[454] For ancient and modern names of quarters see Native Races, ii. 563.

[455] Cortés believed that the waters ebbed and flowed, Cartas, 102-3, and Peter
Martyr enlarged on this phenomenon with credulous wonder. dec. v. cap. iii.

[456] For a description of the interior see Native Races, ii. 582-8.

[457] Ramirez and Carbajal Espinosa define the limits pretty closely with respect
to the modern outline of the city, Hist. Mex., ii. 226-9, and notes in Prescott’s Mex.
(ed. Mex. 1845), ii. app. 103; but Alaman, in his Disert., ii. 202, 246, etc., enters at
greater length into the changes which the site has undergone since the conquest,
supporting his conclusions with quotations from the Libro de Cabildo and other
valuable documents.

[458] For further description of streets, buildings, and people, see Native Races,
passim. Also Ramirez, Noticias de Mex., etc., in Monumentos Domin. Esp., MS.
no. 6, 309-50; Dávila, Continuacion de la Crónica, etc., MS., 296; Viagero Univ.,
xxvi. 203-6; Libro de Cabildo, MS., 1, 5, 11, 62, 105, 201-2; Sammlung aller
Reisebesch., xiii. 459-60, 464-67; Las Casas, Hist. Apolog., MS., 17-27; L’America
Settentrionale, 88-207; Mex., Not. Ciudad, 1-8. Venecia la Rica is the name
applied to the city by some of the Spaniards. Carta, in Pacheco and Cárdenas,
Col. Doc., xiii. 339.
A curious view of Mexico is given in the edition of Cortés’ letters issued at
Nuremberg in 1524, which exhibits six causeway connections with the mainland.
Both in situation, with respect to the surrounding towns, and in the general plan, it
accords very fairly with the descriptions of the conquerors. The temple of
Huitzilopochtli occupies an immense square in the centre of Temixtitan, as the city
is called. Round the south-east corner extend the palace and gardens of the
emperor, other palaces being scattered on the lake, and connected with the
suburbs by short causeways. Less correct in its relative position is the view
presented in the old and curious Libro di Benedetto Bordone, which has been
reproduced in Montanus, Nieuwe Weereld, 81, so famous for its cuts, and, of

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