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Interventions et Thérapies Brèves : 10

Stratégies Concrètes. Crises et


Opportunités 2e édition Edition Betbèze
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Psychothérapies des hallucinations, par J. Favrod et F. Larøi, sous la direction
de R. Jardri, 2016, 352 pages.
La psychothérapie centrée sur les émotions, par U. Kramer et E. Ragama, 2015,
240 pages.
La thérapie des schémas – Principes et outils pratiques, par B. Pascal, 2015,
280 pages.
La psychothérapie : approches comparées par la pratique, par C.-E. Rengade
et M. Marie-Cardine, 2014, 248 pages.
TCC chez l’enfant et l’adolescent, par L. Vera, 2e éd., 2014, 376 pages.
Thérapies brèves : principes et outils pratiques, par Y. Doutrelugne,O. Cottencin
et Julien Betbèze, 3e éd., 2013, 248 pages.
Remédiation cognitive, par N. Franck, 2013, 256 pages.
Psychothérapie de soutien, par L. Schmitt, 2012, 256 pages.
Soigner par l’hypnose, par G. Salem et É. Bonvin, 5e éd., 2012, 352 pages.
Gestion du stress et de l’anxiété, par D. Servant. 3e éd., 2012, 248 pages.
Cas cliniques en thérapies comportementales et cognitives, par J. Palazzolo,
3e éd., 2012, 288 pages.
Sexualité, couple et TCC, par F.-X. Poudat, 2011 : volume 1. Les difficultés
sexuelles, 248 pages ; volume 2. Les difficultés conjugales, 224 pages.
La thérapie d’acceptation et d’engagement. ACT, par J.-L. Monestès et M. Villatte,
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Premiers pas en psychothérapie. Petit manuel du thérapeute, par L. Schmitt. 2010,
200 pages.
Intervention psychodynamique brève. Un modèle de consultation thérapeutique
de l’adulte, par J.-N. Despland, L. Michel, Y. de Roten, 2010, 232 pages.
Protocoles et échelles d’évaluation en psychiatrie et psychologie, par M. Bouvard
et J. Cottraux, 5e éd., 2010, 368 pages.
Soigner par la méditation. Thérapies de pleine conscience, par C. Berghmans, 2010,
208 pages.
Anorexie et boulimie : approche dialectique, par J. Carraz, 2009, 252 pages.
Interventions et thérapies
brèves : 10 stratégies concrètes
Crises et opportunités

Yves Doutrelugne
Olivier Cottencin
Julien Betbèze
Luc Isebaert
Dominique Megglé
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© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.


ISBN : 978-2-294-75008-3
e-ISBN : 978-2-294-75026-7
ELSEVIER MASSON S.A.S. – 62, rue Camille-Desmoulins,
92442 Issy-les-Moulineaux cedex
Liste des auteurs
Julien Betbèze. Psychiatre des hôpitaux, chef de service au CHS de Blain.
Chargé de cours à Nantes à la Faculté de psychologie. Thérapeute familial
au service d’addictions du CHU de Nantes. Responsable pédagogique de
l’IMHEN. Co-auteur de Thérapies brèves : principes et outils pratiques (Elsevier-
Masson, 3e édition, 2013) ; de Les approches collaboratives en thérapie, (Satas,
2013) et de Pistes narratives (Hermann, 2011).
Olivier Cottencin. Professeur de psychiatrie et d’addictologie à la Faculté
de médecine de Lille. Il a longtemps exercé dans le secteur de soins sans
consentement du service de Psychiatrie adulte, puis a développé la psychia-
trie de liaison au CHRU de Lille. Aujourd’hui, il est responsable d’un service
d’addictologie dans ce même CHU. Co-auteur de Thérapies brèves : Principes
et outils pratiques (Elsevier-Masson, 3e édition, 2013) et de Thérapies brèves :
situations cliniques (Elsevier-Masson, 2009).
Yves Doutrelugne. Médecin, chargé de conférences à l’université Libre
de Bruxelles, chargé d’enseignement à l’université de Lille II. Co-auteur de
Thérapies brèves : Principes et outils pratiques (Elsevier-Masson, 3e édition,
2013) et de Thérapies brèves : situations cliniques (Elsevier-Masson, 2009).
Luc Isebaert. Psychiatre, il est le père du « modèle de Bruges », particuliè-
rement connu pour ses thérapies orientées solutions en alcoologie. Auteur
de nombreux livres en plusieurs langues, dont Pour une thérapie brève : le libre
choix du patient comme éthique en psychothérapie, écrit avec Marie-Christine
Cabié (Erès, 1997).
Dominique Megglé. Psychiatre à Toulon, il est l’auteur d’une soixan-
taine d’articles et de cinq ouvrages : Les Thérapies brèves (Satas, 5e éd., 2011),
Douze Conférences sur l’hypnose, La thérapie brève et les sangliers (Satas, 2011),
Erickson, hypnose et psychothérapie (Retz, 3e éd., 2005), Le moine et le psychiatre
(Bayard éditions, 1995), La dépression (Presses de la Renaissance, 2002).
Préface
Les revoilà… et pour notre plus grand plaisir !
Après le succès des deux premiers livres des docteurs Yves Doutrelugne et
Olivier Cottencin, les auteurs nous proposent un nouvel ouvrage qui enri-
chit considérablement les précédents.
Cette nouvelle contribution présente trois enrichissements majeurs et
témoigne d’une constance :
• les auteurs ayant déjà contribué aux ouvrages précédents ont repris leur
réflexion et témoignent très exactement de l’évolution de leur exercice et/
ou de leur conception sur les sujets traités ;
• l’apport de deux chapitres de thérapie narrative, l’un sur les troubles des
conduites alimentaires, l’autre sur les « neurones miroirs, mimétisme, colla-
boration et hypnose » ;
• l’apport d’un article d’un de nos maîtres à tous, le docteur Domi-
nique Megglé sur « hypnose et tabac ».
Une constante dans l’enchaînement de ces contributions : l’humanisme,
la présence discrète de l’humour et la profonde impression de bienveillance
qui se dégagent tant de l’ouvrage que, moi qui les connais et les côtoie, de
l’ensemble des auteurs.
Le chemin était tracé… Vive ce nouvel opus !
Guillaume Vaiva
Psychiatre professeur des universités, Lille II
Chef du service de Psychiatrie d’adultes du CHU de Lille.
Avant-propos

La crise, c’est une aventure que l’on refuse,


L’aventure, c’est une crise que l’on accepte.
Bertrand Piccard, psychiatre, thérapeute bref
et hypnothérapeute, auteur de Premier tour du monde
en ballon (1999) et de Solar Impulse (2016).

La parution puis les rééditions de notre premier ouvrage Thérapies brèves :


Principes et outils pratiques ont suscité intérêt, réflexions et apports. Loin
des traditionnelles querelles de chapelles, la coexistence féconde de sept
modèles conduisant en symbiose à un même objectif n’a pas cessé d’étonner.
Les équipes soignantes y ont trouvé des éclairages originaux et des tech-
niques de soins immédiatement applicables, dans une bienveillance omni-
présente.
Mais au-delà des soignants, d’autres praticiens de la relation d’aide hors
du champ médicopsychologique nous ont dit leur intérêt pour cet outil clair
et pragmatique. Ils l’ont trouvé simple, utile et efficace dans leur domaine
de travail : champ social, entreprise, évolution personnelle…
Tout cela nous a amenés à reprendre notre plume… Travaillant dans un
même esprit d’autonomie et de coopération, axe central de leur pensée,
cinq auteurs praticiens, mus par une même passion, exposent ici l’essence
de leur compréhension et de leur travail dans des domaines spécifiques.
Tout en utilisant les mêmes outils, les thérapies brèves plurielles, ils
avaient une totale liberté de contenu comme de style : chacun a donc son
propre ton, sa propre méthode. Dans une créativité constante, les pratiques
évoluent vers plus de cohérence intellectuelle et stratégique, plus d’effica-
cité et donc de brièveté.
Merci à tous nos collaborateurs, à nos collègues, aux patients qui, par nos
échanges, nous stimulent dans cette voie passionnante.
Docteurs Yves Doutrelugne et Olivier Cottencin
Liste des abréviations
CT Tomodensitométrie
dss Différence statistiquement significative
EEG Électroencéphalogramme
EMDR Eyes Movement Desensitization and Reprocessing
EMG Électromyogramme
HDT Hospitalisation à la demande d’un tiers
HL Hospitalisation libre
HW Homework, devoir à la maison, tâche thérapeutique
IMO Intégration par les mouvements oculaires
MAP Mouvements alternatifs pluriels
MRI Mental Research Institute
PNL Programmation neurolinguistique
SAJ Service d’aide à la jeunesse
SPJ Service de protection judiciaire
TCC Thérapie comportementale et cognitive
TOC Trouble obsessionnel compulsif
TOS Thérapie orientée solution
1 Neurones miroirs,
mimétisme et hypnose1

Julien Betbèze
Psychiatre des hôpitaux, chef de service au CHS de Blain.
Chargé de cours à Nantes à la faculté de psychologie. Thérapeute familial
au service d’addictions du CHU de Nantes. Responsable pédagogique de l’IMHEN.

René Girard et le mimétisme


« Il y a eu en 2003, à Sanary-sur-Mer, un congrès d’hypnose, organisé par
Dominique Megglé. Il m’avait demandé de présenter un travail sur le mimé-
tisme2. Je me suis attelé à la tâche et j’ai proposé un travail sur le lien entre
la psychopathologie et la lecture mimétique de la psychopathologie. Suite à ce
travail, j’ai continué à approfondir cette approche. Vous connaissez peut-
être un auteur qui s’appelle René Girard, qui est un génie à mes yeux, l’un
des plus grands penseurs du xxe siècle, qui, malheureusement, est très peu
connu en psychiatrie, bien qu’il soit peut-être le penseur de l’avenir, concer-
nant la psychiatrie, puisque c’est quelqu’un qui permet de penser l’hypnose
directement en relation avec toutes les découvertes récentes, en particulier
sur les neurones miroirs et sur l’empathie.
Pourquoi cela est-il important ? Parce que, si l’on travaille en hypnose,
il est important de savoir ce que l’on fait et pourquoi on le fait. Pas sim-
plement d’appliquer les techniques, mais bien de comprendre le processus
à partir duquel on va être amené à prendre telle ou telle initiative.
Dominique Megglé parle de la nécessité de la création d’une hypnopa-
thologie, c’est-à-dire de comprendre des problèmes psychologiques à partir
de l’hypnose. Alors, qu’est-ce que l’hypnose ?
Le mot employé par Milton Erickson concernant l’hypnose et que vous
allez voir en rapport avec les neurones miroirs, c’est le mot coopération.
C’est le mot le plus employé par Milton Erickson. L’hypnose est un processus

1. Ce texte est celui de la conférence de J. Betbèze au Congrès mondial d’hypnose à


Paris, le 29 août 2015, au Palais des Congrès. Il n’a donc pas la forme habituelle
d’une présentation écrite. Nous avons choisi de le placer au début de cet ouvrage
car il explicite des notions centrales utilisées par l’auteur dans le chapitre sui-
vant, consacré au traitement de l’anorexie, de la boulimie et des vomissements
liés aux troubles du comportement alimentaire.
2. La Note bleue, sous la direction de D. Megglé, Ed Satas, 2005, p. 77 à 93.

Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes


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2 Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes

de coopération. C’est vraiment le centre du processus hypnotique. Et ce


n’est pas une coopération simplement « dans la tête », c’est une coopération
qui implique la totalité du corps : dans les gestes, dans la manière d’être en
relation avec l’autre, de créer un lien chez une personne qui vient nous voir
parce qu’elle n’arrive plus à être en lien ; elle est isolée et elle est seule. Donc
on va recréer ce lien pour que le processus de vie puisse se remettre en place.
Et le fait de créer ce lien est possible, comme toute création de lien, grâce
aux neurones miroirs.
Ce qui caractérise les neurones miroirs, c’est la capacité chez l’être
humain de rentrer dans ce processus dans lequel le moi émerge à partir du
nous ; il y a quelque chose du côté du nous qui est premier, le moi arrive
après. Le sujet est une qualité émergente à partir de la relation et le lien avec
l’hypnose est qu’être dans la relation ou être dans le corps, c’est la même
chose. C’est ça qu’il faut comprendre.
Qu’est-ce que l’hypnose ? C’est un processus de dissociation/réassociation
qui permet au sujet de vivre son corps et, en fonction de sa relation à l’autre,
de s’adapter, progressivement, d’ajuster sa position par rapport à l’autre avec
des processus dissociatifs, pour pouvoir se réassocier.
Que se passe-t-il lorsque les neurones mémoires sont présents ? Ce qu’on
appelle les neurones miroirs est une découverte faite en 1996 par Giacomo
Rizzolatti et l’équipe de Parme. Ils se sont rendu compte, de manière tout à
fait banale, lors d’une pause de midi, que lorsque les gens qui s’occupaient
des singes macaques sortaient leurs sandwichs et mangeaient, ces singes,
qui voyaient ces gens manger, activaient dans leur cerveau des zones qui
correspondaient au fait de manger aussi. C’est-à-dire que ce n’est pas sim-
plement voir l’autre, c’est que je suis en même temps avec l’autre et c’est ce
lien qui est là, spontané, qui est premier.
Sans les neurones miroirs, par exemple, personne n’aurait pu apprendre à
parler. Lorsqu’on parle, au départ, on est directement avec l’autre : au niveau
du geste, au niveau de la dimension faciale, orofaciale, entre tout ce qui se
passe au niveau facial et le bras et la main, en tout ce qui s’entend —les sons
qui sont entendus et le reste des circuits. Au tout début, les scientifiques ne
savaient pas où se trouvaient les neurones miroirs, aujourd’hui on pense
qu’il y en a un peu partout. C’est vraiment, dans la machinerie cérébrale,
ce qui nous relie à l’autre. Et ce qui nous relie à l’autre, et c’est ça qui est
important, ce sont à la fois des cognitions (en termes d’informations), mais
aussi l’affect, c’est-à-dire que notre relation à l’autre est toujours médiatisée
dans cette dimension affective, ce qui fait qu’on va être attiré vers l’autre
ou au contraire qu’on va se retirer par rapport à l’autre. Cette dimension
affective est centrale dans la construction des concepts.
Les neurones miroirs sont donc, en 1996, une découverte fondamentale,
qui permet de penser en même temps l’empathie, la relation avec l’autre
et tout ce qui a été dit sur l’hypnose depuis des siècles. Cela montre qu’il y
Neurones miroirs, mimétisme et hypnose 3

a un support dans ce va-et-vient entre moi et l’autre, et que moi-même je


n’émerge qu’à partir de la relation. Et que dans cette émergence l’affect est
au centre. Ce qui représente vraiment un changement radical en termes de
perspectives et de compréhension anthropologique.

Le mimétisme et l’intentionnalité
Les neurones miroirs sont à l’origine de la relation : ils permettent le
mimétisme. Or, qu’est-ce que le mimétisme ? C’est la capacité spontanée
d’imitation. On sait que, dès le départ, les enfants tirent la langue en face
de quelqu’un qui tire la langue, même s’ils ne connaissent pas encore leur
visage. C’est vraiment quelque chose qui est inscrit dans notre patrimoine
génétique.
Si je désire ce que désire l’autre, ce que va faire l’autre, je suis dans ce pro-
cessus d’imitation. Mais l’imitation est d’autant plus importante que c’est
une imitation qui intègre l’intentionnalité, et ce n’est pas n’importe quelle
imitation : c’est une imitation centrée sur l’intentionnalité. Si je mets une
pomme sur la table, je vais mettre ma main pour aller chercher la pomme,
vous percevez tout de suite le geste que je vais faire. Si on met un rideau par-
devant, vous ne voyez pas la fin de mon geste mais simplement son début,
mais comme vous saviez qu’il y avait une pomme, vous comprenez l’inten-
tionnalité et donc vos neurones miroirs vont s’allumer par rapport à l’inten-
tionnalité du geste. On n’imite pas n’importe qui, on imite quelqu’un en
rapport avec cette intentionnalité et, comme je l’ai dit, il y a un lien entre
cette intentionnalité et l’affect. Si je prends l’intentionnalité de l’autre, c’est que
je me situe dans le même espace affectif, sinon il n’y a pas d’intentionnalité.
Les cognitions pures n’existent pas. Les cognitions sont toujours en relation
avec un corps, une sensorialité et une relation avec un autre.
Dans l’approche que j’avais développée en 2003, j’avais montré comment
le travail du mimétisme permettait de repenser à l’époque la relation
avec Freud, en particulier à travers la question de l’Œdipe, à travers diffé-
rents éléments cliniques sur le masochisme et sur les névroses.

Hypnose, mimétisme et coopération


J’aimerais vous présenter un modèle simple d’hypnose qui intègre cette
dimension mimétique. Si la dimension mimétique est centrale en hypnose,
cela signifie que ce qui est central, c’est la coopération, et que le changement
passe par la coopération. C’est la capacité du sujet de rentrer dans un pro-
cessus de coopération qui permet au sujet de découvrir de nouvelles pers-
pectives et de faire des choix. Lorsqu’il est dans la coopération, il est dans
son corps, il a une sensorialité, et il peut accueillir cette sensorialité. Nous
accueillons nos affects dans la relation avec l’autre. C’est quand la relation
4 Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes

avec l’autre est une relation « d’accordage », une relation dans laquelle je suis en
coopération, que je peux accueillir mes propres affects.
Si la relation avec l’autre n’est pas cette relation d’accordage, je me sens
mal au sein de cet espace affectif, j’ai la sensation d’une ambiance qui n’est
pas bonne. À ce moment-là je ne vais pas accueillir ma propre sensorialité
en rapport avec mes émotions, je vais lutter contre ma propre sensorialité,
spontanément. Cette sensorialité peut être traduite sous forme d’émotion
comme la peur, la colère, la tristesse. Au lieu de les accueillir, je vais spon-
tanément lutter contre elles, spontanément. Et là, j’entre dans un premier
processus dissociatif :
J’ai peur, j’ai une sensorialité que je n’accueille pas, je lutte contre cette
sensorialité et je rentre dans la peur de la peur. Je rejette cette peur, et je
la rejette justement parce que je ne retrouve pas d’expérience sécure anté-
rieure avec l’autre. Je ne suis pas dans ce processus de coopération que j’ai
pu construire. L’importance, au départ de la relation à l’autre, c’est aussi
l’importance (comme vous le voyez) d’une relation de sécurité relation-
nelle. Il n’y a que dans un cas de sécurité relationnelle ou de protection que je
peux avoir accès à mon autonomie.
Que se passe-t-il lorsqu’on rentre dans des processus névrotiques ? La
question de la sécurité est centrale pour pouvoir accueillir ses propres
affects.
Dans la théorie de l’attachement, au tout départ, l’enfant entre dans ce
processus mimétique d’accordage avec sa mère. Sa mère lui fait un geste, il
rend ce geste. Elle lui sourit, il rend ce sourire. Il y a une imitation entre les
deux, c’est la première phase d’imitation et le plaisir d’être dans l’imitation.
Secondairement, l’enfant voit que la maman va à droite, à gauche, elle
ne reste pas tout le temps avec lui, et donc, il va faire pareil : l’enfant va
aller à droite, à gauche, il va commencer à s’autonomiser. Il ne le fait pas
contre la mère, il le fait en imitant la mère. Donc l’autonomie se construit
dans l’imitation. Lorsque l’enfant va à droite ou à gauche, sa maman lui dit
« c’est bien ! ». Si elle lui dit « c’est bien », l’autonomie est intégrée comme
quelque chose qui renforce la relation avec elle. Elle comprend l’intention
positive de l’imitation et elle envoie ce message : ton autonomie renforce la
qualité de notre relation.
Mais si ce n’est pas le cas (parfois, ça arrive !), au moment où l’enfant
va à droite ou à gauche, ce qui va être dit c’est « fais pas ci, fais pas ça ». À
ce moment-là, l’autonomie, qui est en rapport avec l’imitation de l’inten-
tionnalité et la dimension affective, va être pensée comme contraire à la
relation. C’est contre moi que tu fais cela. Le fait de placer l’autonomie contre
la protection et la sécurité, c’est le début de la psychopathologie.
Dans la psychopathologie, l’autonomie est structurée autour de la rivalité,
ce qui permet aux gens de retrouver cet équilibre, c’est de pouvoir penser
l’autonomie dans la coopération et c’est cela qui est au centre de l’apport
Neurones miroirs, mimétisme et hypnose 5

de Milton Erickson à la psychothérapie. C’est la raison pour laquelle Milton


Erickson dit : il n’y a pas de résistance. Qu’est-ce que ça veut dire qu’il n’y
a pas de résistance ? Tout ce que fait le sujet est interprété par le thérapeute
comme une différence qui va enrichir la relation que nous avons ensemble.
C’est la meilleure manière pour le sujet de collaborer. Et pour moi, le fait
qu’il n’y ait pas de résistance est le centre de la compréhension de ce qu’est ce
processus de coopération. Lorsque je coopère avec quelqu’un, ce n’est pas
que je fais toute chose identique à lui : on n’est pas tous en train de faire
la même chose. On va faire aussi des choses différentes, mais lorsque je
fais quelque chose de différent, l’autre perçoit mon intentionnalité de coo-
pération dans cette différence.
Un exemple simple : un couple parental qui a des différences d’appré-
ciations quant à la prise en charge d’un adolescent par exemple : « il fau-
drait plus de discipline », versus « il faudrait plus l’écouter ». C’est un cas
classique… On peut être en désaccord sur ce qu’il faut faire tant que cha-
cun perçoit l’intention positive de l’autre par rapport à sa propre position.
Quand vous perdez cette intention positive, vous basculez dans la rivalité.
Parce qu’à ce moment-là, n’importe quelle initiative de l’autre est perçue
comme contraire à la relation que nous avons avec l’autre. L’autre fait ça
contre moi et non pas avec moi. Cet aspect du travail que nous faisons en
hypnose et qui est central est pour moi la création innovante d’Erickson.
Quand vous regardez une lévitation dans l’hypnose au xixe siècle, on vous
dit « la main est légère » et elle monte, ou pas. On vous dit « la main est
lourde » et elle pèse, ou pas. On parlera suivant les cas de personne « sugges-
tible » ou de personne « résistante ».
Pour Erickson, c’est totalement différent, puisque pour lui, que la main
monte ou descende, est un processus collaboratif. Et donc, que fait Erickson
par rapport à l’hypnose du xixe siècle ? Quelle est cette rupture fondamen-
tale ? C’est la réintroduction de la liberté au sein de l’hypnose ; avant il
n’y avait que deux possibilités : l’autre est là pour m’imiter ou il refuse de
m’imiter. Le thérapeute était dans une position de modèle auquel l’autre
devait s’adapter.
Si Freud à un certain moment a voulu créer la psychanalyse c’est pour
réintroduire la subjectivité individuelle, et donc cette notion de liberté à
partir de l’analyse de la résistance. Malheureusement, il a pensé la subjecti-
vité individuelle (avant la théorie de l’attachement) comme contraire à la
relation, à partir du fantasme, envers du vécu traumatique. Ce qu’a apporté
Erickson, c’est la réintroduction de cette dimension de subjectivité indi-
viduelle, de différence individuelle, qui va émerger au sein de la relation.
Nous sommes singuliers dans la relation de coopération.
En résumé, on pourrait dire que dans toute la psychopathologie, le sujet
est structuré autour de la rivalité. Les gens qui viennent nous voir sont
structurés autour de la rivalité et nous allons les aider à rentrer dans un
6 Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes

processus de coopération. Et c’est parce que nous allons les aider à rentrer
dans un processus de coopération que secondairement, ils vont pouvoir
faire d’autres choix et ouvrir un espace de liberté dans lequel ils pourront
devenir eux-mêmes. Mais c’est eux qui font tout le travail. Vous voyez bien
la différence fondamentale amenée par Erickson, c’est pour cela que je
pense même que le terme d’hypnose est parfois problématique. Selon moi,
toute hypnose est autohypnose, dans la mesure où « auto » renvoie à la
liberté. C’est central.
Que faisons-nous en thérapie ? Nous amenons la personne à être dans un
processus d’autonomie relationnelle. C’est ça qui est au centre. Et la véri-
table autonomie est relationnelle. Que cherchons-nous ? Nous cherchons à
amener quelqu’un à pouvoir se sentir libre dans ses relations. Les gens qui
viennent nous voir ne peuvent pas se sentir libres dans les relations. Soit ils
se sentent libres, mais seuls et isolés ; soit ils sont dans la relation mais ce
sont des relations de pouvoir. Il y a une opposition, une contradiction entre
l’autonomie et la relation. Or tout le travail fait en hypnose est d’apporter
une conjonction entre l’autonomie et la relation de telle manière que la
personne puisse se sentir elle-même dans la relation avec l’autre. La per-
sonne se sent d’autant plus elle-même que c’est dans la relation avec l’autre
qu’elle peut accueillir ses propres affects, ainsi être réassociée, et transfor-
mer des sensations désagréables au départ en sentiment de joie.

Les trois blocages dissociatifs


Jusqu’à maintenant, je vous ai présenté le premier blocage dissociatif, carac-
térisé par la lutte contre les ressentis sensoriels en rapport avec les émotions,
dans un contexte de rivalité. Les émotions se dédoublent, le sujet passe, par
exemple, de la peur à la peur de la peur, etc., et c’est le début de la pathologie,
le sujet se met à rêver d’un monde utopique sans aucune peur. Coopération
et accord avec mes affects versus rivalité et lutte contre mes affects.

Le deuxième blocage dissociatif


C’est le passage dans un registre « dans la tête ». Quand je suis avec des
amis, je suis dans un échange affectif et il y a de l’information qui circule
mais il y a surtout un échange affectif avec l’autre, ce qui fait que je me sens
moi-même et je me sens bien. Lorsque je rentre dans un contexte où il y
a de la rivalité, que se passe-t-il ? Je quitte mon corps, je passe « dans ma
tête » et je commence à me dire « Mais pourquoi il fait ci ? Pourquoi il fait
ça ? Qu’est-ce qui se passe ? ». Et j’essaie de trouver des bonnes raisons qui
permettent de rendre compte du fait que dans mon corps j’ai un ressenti
qui montre qu’il y a un danger et que cet affect auquel je suis attaché est en
train de se défaire.
Neurones miroirs, mimétisme et hypnose 7

Donc, le deuxième processus dissociatif, est : Je ne suis plus dans mon corps
je passe « dans ma tête ».

Le troisième processus dissociatif


Il concerne mes gestes, mes mains, mes gestes, tout ce qu’on a vu sur le
niveau du mimétisme sur les gestes. Je ne suis plus dans l’accordage, je ne
suis plus dans la spontanéité, au contraire, mes gestes deviennent des gestes
automatiques, « c’est plus fort que moi », comme une machine.
• J’ai des rituels obsessionnels, je me lave les mains quarante fois par jour,
c’est plus fort que moi, je ne peux pas faire autrement, c’est automatique.
• Je fais des crises de boulimie, tout d’un coup je ressens une sensation dans
mon corps et suite à cette sensation, des gestes automatiques se mettent en
place.
Donc, gestes automatiques versus gestes spontanés, lutte contre les ressentis
sensoriels, passage dans la tête au lieu d’être dans le corps, ce sont les trois
signes du blocage dissociatif, qui nous empêche de nous réassocier.
Les gens viennent nous voir en thérapie pour que nous puissions les aider
à se réassocier, que ce soit par l’hypnose formelle ou par les thérapies brèves :
stratégique, solutionniste ou narrative, qui toutes sont des conversations et
des expériences de réassociation. La thérapie narrative travaille énormément
sur la notion d’intentionnalité dont je vous ai montré le rapport avec la
notion de l’affect. Lorsque nous entrons dans ce processus, nous allons per-
mettre à la personne de se réassocier. Les patients viennent nous voir pour
pouvoir se réassocier, ils n’y parviennent pas, parce que leur autonomie est
vécue comme contraire à la relation.
Pour conclure, j’espère avoir montré à travers ce bref exposé l’intérêt de
la compréhension de l’hypnose comme un processus relationnel central,
un processus de coopération. Ce qui est central, c’est la capacité de relier
mes affects avec mes cognitions. C’est quand j’accueille mes affects que mes
cognitions peuvent donner forme à la vie, sinon je passe dans la rumination
mentale. Et c’est toute cette rupture entre cognition et affect qui caractérise
le processus dissociatif bloqué.
2 Thérapies brèves
et hypnose dans les
troubles du comportement
alimentaire

Julien Betbèze
Psychiatre des hôpitaux, chef de service au CHS de Blain. Chargé de cours à
Nantes à la faculté de psychologie. Thérapeute familial au service d’addictions
du CHU de Nantes. Responsable pédagogique de l’IMHEN.

Autonomie, plaisir et coopération


Les personnes souffrant de troubles alimentaires (anorexie et boulimie)
ont des difficultés à gérer leur vie émotionnelle. Si ces difficultés sont plus
importantes chez les personnes ayant des antécédents de troubles de l’atta-
chement, elles sont le signe également de facteurs culturels en lien avec
l’individualisme compétitif, l’imaginaire de l’autocontrôle et l’identité
de genre. Ces difficultés relationnelles augmentent pendant la période de
l’adolescence, période durant laquelle le jeune développe son autonomie en
expérimentant de nouvelles relations. Si la relation à l’autre est vécue
comme trop angoissante, l’adolescent ne parviendra pas à franchir cette
étape et aura tendance, dans notre société de consommation, à remplacer
cette relation par une relation à un objet-plaisir. Alors que le jeune croit
pouvoir contrôler la relation à cet objet-plaisir, ce dernier va progressive-
ment contrôler sa conduite, le plaisir devenant de plus en plus absent.
Pour avoir du plaisir dans sa relation avec l’autre, tout sujet doit se sentir
libre de prendre des initiatives. Cette liberté dépend de la sécurité relation-
nelle, qui laisse advenir un monde dans lequel la singularité est reconnue.
L’intentionnalité perçue dans sa visée collaborative façonne un sentiment
de liberté dans lequel le sujet peut accueillir ses propres affects. Le senti-
ment de liberté, perçu comme un facteur d’enrichissement, s’épanouit dans
une expérience coopérative lorsque l’intention de chacun est interprétée
positivement. Les conditions d’une justice relationnelle sont alors posées.
Illustrons cette analyse par l’exemple de parents ayant un adolescent en
difficulté.
Des désaccords peuvent être exprimés dans la manière de faire face aux
problèmes de l’adolescent (l’un des parents privilégiant la nécessité d’une

Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes


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10 Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes

plus grande discipline, alors que l’autre estime qu’une meilleure écoute est
la voie à suivre). Néanmoins, les membres du couple parental continue-
ront à se percevoir comme coopérants tant que la différence d’appréciation
et d’analyse du conjoint est comprise comme une manière d’enrichir le
débat. Ainsi, chacun peut développer sa créativité pour prendre de nou-
velles initiatives, s’il ressent que son intention collaborative est accueillie
par l’autre. Cet accueil favorise l’expérimentation d’un sentiment de liberté
incarnée. Le fait d’interpréter les différences positivement rend ainsi pos-
sible un accordage affectif dans lequel chacun valide son vécu émotionnel.
Si l’intention positive n’est pas perçue, l’incompréhension s’installe, et
toute différence devient automatiquement interprétée comme remettant
en cause le point de vue de chacun. Dans cette occurrence, le sujet se trouve
seul et isolé face à un rival. La souffrance de se sentir incompris s’installe, et
une tendance à lutter contre ses propres affects douloureux apparaît.
Tout sujet est, pour sa survie, biologiquement programmé pour fuir
spontanément la douleur. Cette issue devient impossible dans un contexte
rivalitaire, dans lequel existe une confusion entre acceptation des émotions
désagréables et du pouvoir de l’autre. Pour fuir le pouvoir de l’autre, le
sujet ne pourra que lutter en vain contre ses vécus sensoriels à mesure que
ceux-ci envahissent son champ de conscience. Cette douleur constitue un
signal qui doit être pris en compte et accueilli comme le signe de la perte
du processus coopératif. La perception de cette douleur implique donc une
modification dans la relation afin de maintenir une identité vivante.
Dire que l’identité est relationnelle, c’est comprendre que la relation à soi
est médiatisée par la relation à l’autre dans une expérience sociale partagée.
Un être ne peut percevoir ses qualités et donner du sens à son action qu’à
travers le regard de l’autre. Pour que toute personne puisse perdurer dans
son être, un ajustement relationnel est nécessaire. La douleur, en étant
accueillie, participe de cet ajustement pour retrouver du plaisir. Quand la
souffrance (due à la perte de liberté) est prise en compte, le sujet se réassocie
et modifie son interaction avec l’autre.
Sans ajustement relationnel, toute lutte amène le sujet à rentrer en riva-
lité avec lui-même jusqu’à l’impasse d’une dissociation stérile. Vouloir être
soi-même dans un monde où l’autre est un rival accentue la dissociation ;
rechercher du plaisir indépendamment de l’autre échafaude la croyance
en un monde humain structuré par la douleur. Retrouver du plaisir à travers
un objet est alors l’illusion proposée par la solution addictive, qui finira par
contrôler le sujet dans une logique masochiste. Dans ce jeu structuré par la
rivalité mimétique, le plaisir de la compétition s’amenuise en laissant place
à la fascination pour le rival, et à l’incapacité d’agir par soi-même. Le sujet
se sent alors de moins en moins capable d’être l’auteur de sa vie, et la dépen-
dance s’installe avec son cortège d’ennui, de manque, de choix impossibles
et d’enfermement dans les ruminations mentales.
Thérapies brèves et hypnose dans les troubles du comportement alimentaire 11

L’anorexie
L’anorexie sacrificielle
Connotation positive et modification des tentatives de solution
L’approche théorique
La montée en puissance des troubles alimentaires comme pathologie spé-
cifique de notre modernité tardive est symptomatique, en particulier chez
les femmes, de la difficulté à construire une place autonome, socialement
active, aux choix assumés, tout en existant comme un être affectif, avec une
vie amoureuse et la possibilité de devenir mère.
Le développement des troubles alimentaires s’inscrit, comme l’a montré
Mara Selvini, dans une modification du contexte culturel où un change-
ment du modèle social intervient : l’économie et son imaginaire compétitif
ont pris une place prépondérante.
Les névroses avec conversion hystérique sur lesquelles Sigmund Freud
avait réfléchi et théorisé étaient marquées par la nécessité de construire un
compromis entre désir individuel et règle sociale. Aujourd’hui, les troubles
alimentaires sont en relation avec un imaginaire individualiste. À la fin du
xixe siècle, la place sociale active était réservée aux hommes, et la société
fonctionnait sur un mode patriarcal où les femmes, si elles souhaitaient être
reconnues comme personnes de valeur, devaient impérativement accepter
une position seconde par rapport à leur mari. Si d’aventure elles n’étaient
pas mariées, une interrogation portait sur l’aspect étrange ou suspect de
ce choix personnel. Dans ce type de société, l’imaginaire du groupe était
prégnant par rapport aux individus, et la force du groupe, tant du point de
vue économique que militaire, agissait comme support de la virilité. Dans
cette période précédant les deux premières guerres mondiales, vouloir être
autonome et traduire son désir dans des réalisations sociales demeurait
problématique pour les femmes. L’accès à l’autonomie était en effet perçu
comme une position de rivalité par rapport aux hommes et se traduisait,
chez celles tentant l’expérience, par une perte de protection des relations
affectives de soutien, de la part des autres membres du groupe.
Le développement des symptômes de conversion hystérique à cette
époque peut être en grande partie compris par une mise en scène mon-
trant l’impossibilité d’être à la fois autonome et reconnue comme personne
de valeur digne de soutien. Avoir envie d’être active dans la société, de
construire son chemin, et en même temps être paralysée des jambes, met
en évidence ce désir d’émancipation et l’acceptation de l’interdit. À cette
époque, le désir d’autonomie des femmes, s’il était exprimé, était assimilé
à un acte transgressif et traduit par leur rejet du groupe familial et social.
Cette période de l’histoire de la psychopathologie correspond aux débuts
de la théorisation freudienne. Mara Selvini, après avoir travaillé pendant
12 Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes

17 ans à partir d’une approche freudienne centrée sur les conflits internes
de nature inconsciente, a ressenti le besoin d’aller se former aux États-Unis
sur des approches plus pragmatiques, face au développement de ce qu’elle
percevait comme l’émergence d’une nouvelle pathologie sociétale. Jusque-
là, et à raison de plusieurs séances par semaine, Mara Selvini mettait de 3
à 5 ans pour obtenir des résultats thérapeutiques satisfaisants, malgré son
investissement et une bonne relation avec ses patientes. Elle a alors estimé
inenvisageable le fait de soigner seulement 30 ou 40 personnes au cours
de sa vie, ce d’autant plus que l’anorexie était une pathologie en pleine
croissance.
En 1967, Mara Selvini passe plusieurs semaines aux États-Unis afin de
rencontrer des thérapeutes familiaux. À cette époque, elle lit attentivement
les travaux de Paul Watzlawick et Grégory Bateson, et va commencer sous
leur influence à se spécialiser dans les interventions paradoxales. Ces der-
nières consistent à un blocage des tentatives de solution et permettent à
la famille de retrouver sa créativité ; cette approche stratégique, fortement
influencée par l’école de Palo Alto, marquera le début d’une recherche qui
se poursuivra par un essai de compréhension de la dynamique anorexique
à l’intérieur des familles. Sa réflexion portera en particulier sur les phéno-
mènes de triangulation autour du conflit parental.
Toutefois, pour la chercheuse qu’est toujours restée Mara Selvini, le
contexte de déclenchement de l’anorexie doit aussi être compris dans sa
dimension sociale et économique1, dont le développement de la société
de consommation, marquée par une nourriture offerte à profusion, est le
corollaire. Pour elle, les facteurs sociaux et culturels restent au premier plan
et traversent l’imaginaire de chaque famille, prise en étau entre moder-
nité et tradition. Le modèle de la maigreur, mis en exergue depuis Sissi2
l’impératrice comme symbole d’une féminité autonome, est de plus en plus
devenu le signe d’une réussite individuelle traduisant la capacité de chaque
femme à se percevoir comme désirable.
Les jeunes filles anorexiques, refusant l’alimentation qui leur est propo-
sée, sont en même temps membres de familles qu’elles quittent plus tar-
divement, et dont les parents placent le bien-être des enfants au centre de
leurs préoccupations.
Cet investissement éducatif est une réaction à la pédagogie noire qu’ont
connue leurs aïeux, pédagogie elle-même enracinée dans une vision guer-
rière des rapports humains.

1. J. Betbèze, « L’apport de la critique sociale à la prise en charge des troubles


alimentaires » in Pistes narratives, sous la direction de C. Besnard-Perron &
B. Dameron, Ed. Hermann, 2011, p. 295.
2. R. Girard, Anorexie et désir mimétique, Ed. L’Herne, 2008, p. 67.
Thérapies brèves et hypnose dans les troubles du comportement alimentaire 13

Nous pouvons d’ailleurs nous demander si les difficultés pour les couples
à exprimer ouvertement leurs conflits, occurrence fréquente dans certaines
familles où se développent les conduites anorexiques, ne sont pas en
rapport avec un désir utopique de paix évitant l’expression de tout conflit.
Pour les femmes, la difficulté à gérer les conflits dans une société dans
laquelle l’autonomie est une préoccupation centrale va devenir de plus en
plus délicate. D’une part en raison de l’importance du désir individuel dans
le choix du partenaire, d’autre part à cause du contexte concurrentiel déve-
loppé par l’imaginaire de la compétition économique et sociale.
C’est dans ce contexte et sur fond de contradiction entre autonomie et
relation que s’est développé, comme Michel Foucault l’a montré, un imagi-
naire d’autocontrôle comme processus de socialisation.
Tout se passe comme si les jeunes filles anorexiques, dans une époque où
le contrôle est la norme dominante de la société, avaient réussi à développer
de manière exceptionnelle cette capacité qui, dans un premier temps, les
conduit à avoir un statut privilégié, avant de sombrer dans un univers de
solitude glacée.
L’introduction de la pensée stratégique met au centre du dispositif théra-
peutique le concept de tentative de solution. Cette notion déconstruit une
vision structurale et normative des troubles de la personnalité : une jeune
fille, même sans structure psychopathologique avérée, peut développer un
trouble des conduites alimentaires. En ne tenant pas suffisamment compte
de la position de l’autre dans l’interaction, le sujet va se dissocier de la rela-
tion, et par la suite, se dissocier de lui-même. Cette dissociation enferme ce
dernier dans un espace clos où sa créativité est inhibée par la peur.
Cette approche de nature relationnelle est au centre du travail de Mara
Selvini et irrigue les thérapies brèves. En effet, les relations constituent
notre identité sociale, et c’est la présence d’une relation sécure qui nous
rend capables d’accueillir nos sensations. Cette relation sécure existe tant
que l’autre perçoit notre intention collaborative.
La répétition des tentatives de solution rigidifie les relations, elle construit
la souffrance somatopsychique et les croyances limitantes.
Le retour d’une créativité dans la famille et l’apaisement des souffrances
passe par la modification des interactions. Mara Selvini utilise la connota-
tion positive pour modifier les interactions, elle amène les membres de la
famille à changer leurs tentatives de solution, en permettant la perception
des intentions collaboratives. Et c’est parce que les parents perçoivent que
le thérapeute reconnaît la valeur positive de leurs intentions vis-à-vis de
leur fille qu’ils acceptent une nouvelle manière de l’aider.
La connotation positive ouvre un espace collaboratif dans lequel la
demande de changement de comportement à 180 degrés peut faire sens.
Dans un contexte rivalitaire, tout changement de comportement néces-
site d’être très important pour que soit perçue l’intention positive. L’intérêt
14 Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes

du changement à 180 degrés est donc de s’extraire du doute lié aux inter-
rogations suivantes : « L’autre change-t-il de point de vue par tactique pour
mieux garder le pouvoir, ou ce changement est-il réellement authentique ? »
Penser la stratégie à partir d’une intentionnalité coopérative se retrouve
dans toute l’approche des thérapies brèves. En ce sens, voir la connota-
tion positive comme davantage qu’un simple outil tactique, c’est perce-
voir la différence entre l’intentionnalité et l’action, et donc pouvoir rendre
compte de la dimension dissociative vécue dans l’expérience corporelle de
l’anorexie.
La thérapie d’Antonella Sala (1976) ou comment s’autonomiser
au sein d’une famille élargie
La famille Sala est composée de :
• Mario, père d’Antonella, maçon âgé de 42 ans ;
• Desiderata, son épouse, également âgée de 42 ans ; elle vit au foyer après
avoir travaillé quelques années dans une petite usine. Il est à noter que le
prénom de la maman provient du fait qu’elle a été une enfant très désirée,
puisque 11 garçons l’ont précédée ;
• Antonella, leur fille, âgée de 17 ans, mesurant 1,75 m et pesant 38 kg au
moment de la première séance. Elle a pris la suite de sa mère à l’usine ;
• Fabrizio, petit frère, âgé de 11 ans et scolarisé en 5e.
Plusieurs informations importantes sont apparues au cours de la première
séance :
• L’importance de la grand-mère maternelle3 Teresa puisque sa fille
Desiderata a réussi après son mariage à convaincre son mari de venir habiter
chez elle pendant plusieurs années. Si par la suite, la famille a emménagé
dans un chez-soi lui étant propre c’est en grande partie parce que le père,
Mario, supportait mal que sa propre mère ne lui rende que rarement visite
à l’adresse de la grand-mère Teresa.
• L’existence d’une relation amoureuse secrète d’Antonella depuis l’âge de
15 ans avec son petit ami Franco, information secrète que tout le monde
partageait.
• Le déclenchement de l’anorexie d’Antonella, secondaire à l’interdiction
de ses parents de partir en vacances avec ses amis, de peur qu’elle en profite
pour fréquenter Franco.
• Les larmes de Desiderata expliquant que sa propre mère souffrait énormé-
ment parce qu’Antonella ne mangeait pas et avait honte qu’elle fréquente
Franco : « Maman aurait voulu qu’Antonella soit comme moi, qu’elle
attende d’avoir l’âge… Franco ne m’inspirait pas confiance, il n’avait pas
envie de travailler et il ne fallait pas les laisser sortir tout seuls… »

3. J.-L. Vénisse, L’anorexie mentale, Ed. PUF, 1983, p. 32.


Thérapies brèves et hypnose dans les troubles du comportement alimentaire 15

Cette histoire clinique du début des années 1970 en Italie se situe dans
une période de transition entre les sociétés traditionnelles où le groupe
est plus important que l’individu (ici le groupe avec la grand-mère Teresa
comme chef implicite), chacun acceptant de ne pas prendre de décision en
son nom propre et de suivre les règles sociales fixées par la coutume.
C’est aussi une période où l’organisation économique et les mesures
sociales soutiennent l’autonomie des femmes. Si le symptôme anorexique
explose après l’interdiction faite à Antonella de décider elle-même de ses
vacances, cela traduit l’échec de sa tentative de redéfinir la relation avec sa
mère et sa grand-mère de façon plus autonome. En refusant de s’alimenter
et en ne quittant pas sa famille, Antonella met en évidence son désir d’auto-
nomie contre le groupe, tout en acceptant les règles du groupe.
Si Antonella vit dans la croyance illusoire d’avoir redéfini les relations
avec son entourage, l’anorexie devenant le nouveau maître du groupe, il
aurait suffi qu’elle refuse la décision de ses parents de lui interdire de partir
en vacances et de fréquenter Franco. Elle aurait pu transgresser cet inter-
dit, transgression qui aurait pu être accueillie favorablement par les critères
culturels.
Antonella a au contraire sacrifié son autonomie en reprenant la position
traditionnelle du rôle des femmes qui doivent savoir se sacrifier et s’effacer
devant le pouvoir du groupe. L’anorexie d’Antonella n’a donc rien changé
à l’organisation des relations entre les membres de la famille élargie, et la
pression subie pour qu’elle fasse moins souffrir sa grand-mère (la garante
du groupe) et oublier Franco a été un échec qui a majoré le pouvoir de
l’anorexie.
En fin de séance, l’équipe thérapeutique lit à haute voix le commentaire
suivant :
« L’équipe des spécialistes a décidé que la thérapie familiale était très indi-
quée car Antonella est en danger de mort et nous avons ici de fortes chances
de la guérir. Il y a un risque très grave qui nous préoccupe, il concerne
grand-mère Teresa. En effet, si Antonella guérissait, il y aurait le risque
qu’elle recommence à fréquenter Franco et cela pourrait constituer pour
Teresa une honte et une douleur mortelle, bien pire que ce qu’elle souffrirait
si Antonella mourait de sa maladie. »
Ce commentaire de fin de séance est marqué par l’approbation par les
thérapeutes des intentions d’aide de la famille et la connotation paradoxale
du jeu implicite dans lequel chaque membre est pris. L’équipe thérapeu-
tique renverse la croyance secrète d’Antonella : elle n’est pas en train de
punir sa grand-mère avec l’anorexie, mais la protège d’une douleur encore
plus grande.
Ainsi la logique paradoxale* de l’anorexie est dévoilée : elle protège la
grand-mère et la guérison d’Antonella risque d’être contre-productive pour
le groupe.
16 Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes

La connotation positive, en donnant forme à la logique implicite du


groupe familial, permet à la famille d’expérimenter une relation de protec-
tion avec les thérapeutes. En même temps, le contenu du message met en
évidence les paradoxes d’une histoire où toute autonomie est synonyme de
mort potentielle. Personne n’est coupable mais chacun est victime d’un jeu
plus fort que lui, lié à une histoire dominante qui empêche les évolutions
adaptatives.
L’intervention paradoxale*4 reprend la logique des approches érickso-
niennes : pour combattre une peur, il faut faire appel à une peur plus impor-
tante, ici c’est la peur de la destruction du groupe qui serait signifiée par la
mort de Teresa, plus grave que la mort d’Antonella qui ne serait que la mort
d’un membre du groupe. Si Antonella est incapable de dire à sa grand-mère
de la laisser vivre sa vie et de s’occuper de ses affaires, c’est avant tout parce
qu’elle-même, tout en désirant davantage d’autonomie, continue à valider
implicitement l’importance supérieure du groupe en comparaison aux indi-
vidus le composant (d’autant plus que sa relation avec sa grand-mère avait
toujours été excellente, puisque cette dernière s’était comportée avec elle
lors de sa petite enfance comme une deuxième mère).
Qu’aurait-il donc fallu pour qu’Antonella arrive à assumer, dans le conflit
avec les valeurs dominantes du groupe, son désir de vivre à côté de son
travail, une relation d’amour ? Pour que cette autonomie puisse se concré-
tiser, il aurait été nécessaire qu’au moins un de ses deux parents puisse la
soutenir : soit sa mère, mais cela semble difficile car elle ne travaille plus et
se retrouve soumise au jugement de Teresa, soit son père qui a fait preuve
d’autonomie en refusant d’habiter chez sa belle-mère et a pu faire croire à sa
fille qu’il accepterait de soutenir son désir de liberté. En effet, pour qu’une
autonomie puisse être satisfaisante, il est essentiel que ce projet soit porté et
soutenu par au moins une des figures d’attachement, et en particulier pour
une jeune fille, par sa propre mère.
Si le symptôme anorexique pose, comme la névrose hystérique au début
du xxe siècle, la question du conflit entre l’autonomie et la protection du
groupe, le climat social et culturel a changé. Au début du siècle dernier
(période de l’hystérie de conversion), la société regardait d’un mauvais œil
la femme qui voulait s’émanciper, alors qu’à partir des années 1970, ce pro-
jet s’est vu soutenu par la culture et les médias. La dimension sacrificielle
de cette anorexie souligne le maintien du pouvoir du groupe au moment

4. Cette approche paradoxale n’a pas dépassé deux séances dans 60 % des cas,
et qu’avec un si petit nombre de séances, le succès a pu être évalué à 66,7 %
auxquels on peut ajouter 7,1 % de succès partiels. In Anorexique et boulimique de
M. Selvini, S. Serilo, M. Selvini, A.M. Sorentino, Ed. Médecine & Hygiène, 1998,
trad. 2002, pp. 71 et suiv.
Thérapies brèves et hypnose dans les troubles du comportement alimentaire 17

où ce dernier se défait, mais où chaque membre de la famille a peur de s’en


détacher.
Le déclenchement des troubles n’est pas simplement dû à un conflit entre
l’autonomie et la protection, mais à un sentiment de trahison lié à la perte de
la protection des structures traditionnelles, sans qu’une nouvelle forme
de soutien relationnel la remplace. Cette notion de trahison a un effet trau-
matique qui va amener la jeune fille à s’identifier aux images de l’autonomie
proposées par les médias, avec la figure du contrôle et de l’ultraminceur.
C’est dans une période de transition, où la famille élargie est encore un
groupe social de référence, que l’anorexie sacrificielle est apparue.
Par la suite, l’évolution vers la famille nucléaire a amené Mara Selvini à
développer d’autres stratégies thérapeutiques.

Secret et prescription invariable


L’approche théorique
Mara Selvini décrit un processus en six stades pour comprendre le déclen-
chement de l’anorexie sacrificielle dans la famille nucléaire. Elle rappelle
que les modalités d’interactions dans la famille ne sont qu’un facteur du
déclenchement de l’anorexie. Ces dysfonctionnements ne doivent en
aucune manière être séparés de la compréhension du contexte culturel.
• Le 1er stade, nommé « pat de couple » est caractérisé par l’existence d’un
conflit qui tourne à vide entre les parents. Tous les deux se comportent
de manière provocatrice, avec un provocateur actif et un provocateur pas-
sif. La relation du couple parental se rigidifie en amenant un des parents
(provocateur passif) à se complaire dans un rôle de victime. Cette dernière
personne, perçue comme plus isolée et souffrante, va se confier auprès de la
future anorexique et établir une relation privilégiée avec elle.
• Le 2e stade se définit par l’engagement dès l’enfance de la jeune fille dans
le jeu parental. Elle se rapproche du parent qu’elle croit victime et prend
soit le parti de la mère (jeune fille de profil A), soit du père (jeune fille de
profil B). Son autonomie est alors sacrifiée sur l’autel du parent choisi.
• Dans un 3e stade au début de l’adolescence, la jeune fille de profil A
découvre que sa mère préfère un autre membre de la fratrie. Se voyant
ainsi trahie, elle tourne alors ses espoirs vers son père et se met à instiguer
contre sa mère. Quant à la jeune fille de profil B, prendre parti pour son père
devient embarrassant en raison du développement d’un état de sexualisa-
tion lié à l’adolescence. Cette dernière voudrait secrètement que son père
soit plus dur et contrôle mieux le comportement de sa mère.
• C’est à ce moment-là, dans cet intense malaise relationnel, qu’a lieu l’avè-
nement de la diète (4e stade) :
La jeune fille de profil A, face à l’échec du rapprochement paternel et à la
rivalité avec sa mère, se construit en opposition avec elle en s’identifiant au
18 Interventions et thérapies brèves : 10 stratégies concrètes

modèle dominant de la jeune fille autonome proposé par la société, modèle


d’autocontrôle et d’ultraminceur.
Pour les patients du groupe B, le régime est décidé au départ pour défier la
mère. Celle-ci proteste et essaye de contrôler le régime alimentaire de sa fille
en même temps que le père la laisse tomber, quand bien même elle s’était
sacrifiée pour lui. Dans cette occurrence où les troubles de l’aménorrhée
sont précoces, la fille finit par s’identifier aux modèles sociaux dominants.
Ce vécu de trahison est traumatique et se traduit pour le sujet par une
perte de sa propre valeur : tout se passe comme si la trahison signifiait que
ce soutien positif de la jeune pour un de ses parents n’avait pas de valeur.
La trahison est vécue comme un refus du don d’amour qu’elle faisait en
soutenant la relation parentale.
• À mesure que la jeune fille se sent trahie par ses deux parents (5e stade),
une rivalité mimétique s’installe dans un contexte de perte de protection.
Cette rivalité se poursuit au sein des modèles sociaux, dans une logique de
compétition et de comparaison. Ce stade se traduit par la présence d’un
sentiment de rancœur, puis de désespoir et de mépris avec une réduction de
l’alimentation à un niveau absurde.
• Dans le 6e stade, la patiente prend conscience que son symptôme lui
permet de reconquérir une place privilégiée dont elle jouissait au sein de sa
famille, dans son enfance et sa préadolescence. À partir de ce moment-là,
la famille va s’organiser de plus en plus autour du pouvoir obscur et des-
tructeur de l’anorexie.
La thérapie de Maria Marsi (1979) ou comment s’autonomiser
au sein d’une famille nucléaire
C’est en mai 1979, travaillant avec la famille Marsi, dont la patiente dési-
gnée Maria, 21 ans, anorexique depuis de nombreuses années et aînée de
trois filles, que Mara Selvini et son équipe ont inventé la prescription du
secret ainsi que la prescription de la disparition des parents du domicile
parental, afin de sortir de la logique de triangulation qui soutenait le pou-
voir de l’anorexie5.
Après les trois premières séances de thérapie familiale assez chaotiques,
où Maria et ses deux sœurs adolescentes n’ont pas tardé à s’immiscer de
manière assez agressive dans les problèmes de leurs parents, l’équipe décide
de ne faire revenir en consultation que ces derniers.
Lorsque les parents se présentèrent seuls à la quatrième séance, Mara
Selvini leur fit la prescription suivante6 :
« Observez le secret absolu sur tout ce qui se dit en séance. Si vos filles
vous posent des questions, répondez que tout doit rester entre vous et la

5. M. Selvini Palazzoli, S. Cirillo, A.M. Sorentino, Les jeux psychotiques dans la


famille, trad. 1990, Ed. ESF.
6. M. Selvini, Réinventer la psychothérapie, Ed. De Boeck, trad. 2008, p. 165.
Thérapies brèves et hypnose dans les troubles du comportement alimentaire 19

thérapeute. Au moins deux fois d’ici la prochaine séance, disparaissez de


la maison avant le dîner, sans prévenir, en laissant seulement un petit mot
avec le texte suivant : “Ce soir, nous ne sommes pas là”. Allez dans des
endroits où vous supposez que personne ne vous connaît. Quand à votre
retour, vos filles vous demanderont : “Où diable étiez-vous passés ?” Répon-
dez en souriant : “Cela ne regarde que nous”. Enfin, sur une feuille de papier
tenue bien cachée, chacun de vous deux, séparément, notera les réactions
de chacune de vos filles à votre étrange comportement. Au prochain rendez-
vous, encore réservé à vous deux seuls, vous nous lirez vos notes ».
Les parents exécutèrent scrupuleusement cette prescription, et les consé-
quences furent miraculeuses. La thérapie prit fin en huit séances, soit quatre
séances après la prescription. Par la suite, Maria est devenue championne
d’athlétisme, et fit un mariage heureux. Cette prescription invariable a été
proposée de manière systématique jusqu’en 1986.
Pour Mara Selvini, l’acceptation du secret était un signe de pronostic
favorable ; elle note que les échecs de cette prescription sont souvent en
rapport avec un rôle important de la famille élargie dans le maintien de la
pathologie. Cette prescription permet de bloquer la triangulation et remet
en place un contexte de protection qui inaugure une nouvelle perception
coopérative du couple parental.
Par la suite, le modèle développé par l’équipe de Mara Selvini s’orientera
vers une logique plus relationnelle et individuelle. C’est-à-dire, comme dans
l’approche centrée solution, par l’éviction de métaphores guerrières. Cette
dernière orientation, plus relationnelle, rejoint la problématique érickso-
nienne dans laquelle l’autonomie et la singularité sont possibles dans un
contexte relationnel sécure. Cette façon de travailler rend le thérapeute plus
attentif aux ressources des personnes, les libère du pouvoir du contrôle en
leur redonnant de la valeur.7

L’anorexie abstinente
L’école de Palo Alto : tentatives de solution et blocages
dissociatifs
L’apport théorique
La découverte du concept de « tentatives de solution » par l’école de Palo
Alto constitue une avancée majeure au xxe siècle, en mettant en avant le
rôle des interactions dans la construction de la pathologie. Les différences
entre le processus de communication et son contenu réintroduit la relation
comme intentionnelle. Les membres de l’école de Palo Alto, influencés par
les travaux de Milton Erickson, placèrent au centre de leurs recherches la
dimension relationnelle.

7. « Réinventer la psychothérapie » de M. Selvini Palazzoli, p. 211.


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chickens eating when you don’t talk. The noises make you nervous. I
should think anything would get by, even if you talked about the
weather. Otherwise it seems just like machinery at work. Rather
messy machinery, too.”
Baron seized an oar. “Perhaps when people are thoughtful, or
possibly troubled, it is a mark of good taste not to try to draw them
into a conversation.” He said this airily, as if it could not possibly
apply to the present occasion.
“A very good idea!” admitted Bonnie May, quite obviously playing the
part of one who makes of conversation a fine art. “But isn’t it also
true that people who are troubled ought to hide it, for the sake of
others, and not be a sort of—oh, a wet blanket?”
The elder Baron’s eyes twinkled in a small, hidden way, and Flora
tried to smile. There was something quite hopefully audacious in the
child’s behavior.
But Mrs. Baron stiffened and stared. “Good gracious!” she
exclaimed. After which she stirred her coffee with so much vigor that
a little of it ran over into the saucer, and even the spotless table-cloth
was menaced.
Baron undertook a somewhat sterner strategy. He felt that he really
must not permit the guest to add to her offenses against his mother.
“It might be sensible not to talk too much until a closer acquaintance
is formed,” he suggested with something of finality in his tone.
But Bonnie May was not to be checked. “A very good thought, too,”
she admitted, “but you can’t get better acquainted without
exchanging ideas—and of course talking is the only way.”
Baron leaned back in his chair with a movement resembling a
collapse. Hadn’t Thornburg said something about a white elephant?
“Wouldn’t it be fine if everybody wore a badge, or something, so that
you would know just how they wanted to be taken?” A meticulous
enthusiasm was becoming apparent. Mrs. Baron was sitting very
erect—a sophisticated, scornful audience, as she seemed to Bonnie
May.
“Absurd!” was Baron’s comment.
“Well, I don’t know. You pretty near know without any badges. You
can tell the—the mixers, and the highbrows. I mean when they are
the real thing—people worth while. I would know you for a mixer
easy enough. I don’t mean careless, you know; but willing to loosen
up a little if people went at you in the right way. And Flora would be a
mixer, too—a nice, friendly mixer, as long as people behaved.” Here
she turned with a heroic, friendly appeal to Mrs. Baron. “And Mrs.
Baron would be one of the fine, sure-enough highbrows.”
“I think,” began Mrs. Baron, suddenly possessed of an ominous
calm; but the guest made an earnest plea.
“Oh, please let me finish!” she begged.
“Very well,” said Mrs. Baron, “you may—finish.”
“You know I understand about your part in that entertainment this
morning. You don’t belong in that crowd. It’s like the queen who
kissed the soldier. She was high enough up to do it and get away
with it.” She placed her elbows on the table and beamed upon Mrs.
Baron with a look so sweetly taunting, and so obviously conciliatory,
that the others dared to hope the very audacity of it would succeed.
“Now don’t deny,” she continued, shaking an accusing finger at Mrs.
Baron and smiling angelically, “that you’re just a nice, sure-enough,
first-class highbrow!”
It was done with such innocent intention, and with so much skill, that
all the members of Mrs. Baron’s family turned their faces toward her
smilingly, appealingly, inquiringly.
But alas! Mrs. Baron failed to rise to the occasion. She was being
ridiculed—by a child!—and her children and her husband were
countenancing the outrage. Her composure vanished again.
She pushed her chair back from the table angrily. Her napkin fell to
the floor; she grasped the edge of the table with both hands and
stared at Bonnie May in a towering rage.
“You little wretch!” she cried. “You impudent, ungrateful little wretch!
You—you brand from the burning!”
She hurried from the room. In her blind anger she bumped her
shoulder against the door as she went out, the little accident robbing
her exit of the last vestige of dignity.
Bonnie May was horrified, crushed. She sat, pale and appalled, her
eyes fixed on the doorway through which Mrs. Baron had vanished.
Then she brought her hands together sharply and uttered a single
word:
“Hoo-ray!”
Every member of the family was electrified.
“Father!” expostulated Flora.
“Victor!” exclaimed the elder Baron.
And Baron, shaking his head sadly, murmured:
“Bonnie May! Bonnie May!”
CHAPTER X
THE WHITE ELEPHANT

Mrs. Baron “took to her room,” as the saying is. For an hour or
more she might have been, to all intents and purposes, in some far
country.
She left an awed silence behind her.
“If you’ll excuse me, I think I’ll go and talk to Mrs. Shepard a while,”
said Bonnie May, not without significance. The atmosphere had
become too rarefied for her. She was turning from an inimical clan.
She was obeying that undying instinct which impelled the cavemen
of old to get their backs toward a wall.
Baron, Sr., prepared to go out. He turned to Victor and Flora as he
took his leave, and his whole being twinkled quietly. He seemed to
be saying: “Don’t ask me!”
Flora stole up to her mother’s room. She tapped at the door
affectionately—if one can tap at a door affectionately.
A voice muffled by pillows was heard. “Making hay,” it seemed to
say. Flora frowned in perplexity. Then her brow cleared and she
smiled wistfully. “Oh!” she interpreted, “‘Go away.’”
She went to Victor again.
“I suppose she’ll have to go,” she said, almost in a whisper.
“Oh, yes, certainly; yes, she’ll have to go,” agreed Victor firmly.
“And yet I can’t say it’s her fault.”
“You might say it’s her misfortune.”
“Yes.... Isn’t she—wonderful!”
“Oh, well, if two people simply can’t understand each other, that’s all
there is to it.”
“But she understands. She just talks too much. She won’t realize that
she’s only a child.”
“Oh, what’s the use!” exclaimed Baron. He thrust his hands into his
pockets and strolled through the house, up into the library.
He took down a copy of “Diana of the Crossways,” and opened it at
random, staring darkly at words which the late Mr. Meredith never
wrote:
“Why couldn’t she have made allowances? Why couldn’t she have
overlooked things which plainly weren’t meant to be the least
offensive?”
Obscurities, perhaps, but what does one expect of Meredith?
He meditated long and dejectedly. And then he heard his mother in
the sitting-room.
He put aside his book and assumed a light, untroubled air. “Better
have it out now,” he reflected, as he opened the door and went into
the sitting-room.
“Where is the Queen of Sheba?” asked Mrs. Baron.
Baron dropped into a chair. “You know I’m awfully sorry, mother,” he
said. There was a singular lack of real repentance in his tone.
“I don’t doubt that. Still, you might have taken me into your
confidence before you brought that little limb of Satan into the house.
I never heard of such a child. Never.”
“But you know what the circumstances were——”
“Don’t go into that again. I know that you brought her here, and that
there wasn’t any excuse for such a foolish action.”
“But, mother!” Baron’s face was heavy with perplexity. “She’s such a
little thing! She hasn’t got anybody to turn to when she’s in trouble.
My goodness! I think she’s done nobly—not whimpering once since
she came into the house. She’s probably—rattled! How would you or
I behave if we were in her shoes?”
Mrs. Baron’s eyebrows steadily mounted. “The point is, we’re not in
the slightest degree responsible for her. I want to know how we’re
going to get rid of her.”
Baron had taken a chair directly in front of his mother. Now he arose
and paced the floor. When he spoke his tone was crisp almost to
sharpness.
“It isn’t any more difficult now than it was yesterday,” he said. “I can
turn her over to the police.”
Something in his manner startled his mother. She flushed quickly.
“That’s just like you,” she protested. “What do you suppose people
would say if we turned a motherless child over to the police? You
ought to see that you’ve forced a responsibility on me!”
“Well, I should think it would be a question of what your own
conscience says. As for ‘people,’ I don’t see why anybody need
know anything about it.”
“And the newspapers and everything? Of course they would—
everything.”
“I could ask Thornburg to take her. He offered to help. I have an idea
he’d be only too glad to have her.”
“The theatre man—yes. And he’d dress her up in a fancy-ball
costume, and encourage her in her brazen ways, and she’d be
utterly shameless by the time she got to be a young woman.”
Baron sat down again with decision. “Mother, don’t!” he exclaimed.
“Thornburg isn’t that kind at all. He’d—he’d probably try to get at her
point of view now and then, and he might allow her to have certain
liberties. I think he’s broad enough to want her to be good without
insisting upon her being miserable!”
“Victor Baron!” warned his mother, and then she added with
decision: “Then you’d better get him to take her—and the sooner the
better.”
“That will be all right. To-morrow. I’ll call on him at his office to-
morrow. I’ve never met his family. I’d consider it an intrusion to go to
his house to-day, whether he did or not.”
This, of course, was spoken disagreeably, and Mrs. Baron resented
it. “You’re very obliging, I’m sure,” she said. “But after what I’ve gone
through I’ve no doubt I can wait until to-morrow.”

“No, it’s not that she has disappointed me,” responded Baron to a
question by Thornburg the next morning.
They were sitting in the manager’s office, and Baron had realized too
late that he should have waited until after luncheon, or for some
other more auspicious occasion, to have a confidential talk with
Thornburg. There were frequent interruptions, and the manager had
his mind upon the complicated business of amusement purveying,
rather than upon the welfare of a waif who, as he conceived it, had
become the hobby of a somewhat eccentric young man. A special
rehearsal was in progress in the theatre, and the voice of the stage-
manager, lifted in anger, occasionally reached them. It was a warm
morning, and many doors were open.
“The fact is,” Baron resumed, “I didn’t foresee the—the
complications. My mother has taken them into account, and it’s her
decision, rather than mine, that we ought to give her up.”
Thornburg turned hurriedly to examine, and then to approve, the
underline for a gorgeous poster of highly impressionistic design,
which one of his employees had placed before him. When he turned
to Baron again he presented the appearance of one who has lost the
thread of a conversation.
“We were saying—oh, yes. You’ve got enough of—of what’s her
name. Well, what’s your impression of her, now that you’ve had time
to look her over?”
“I haven’t changed my mind at all. I like her.”
“The family made a row?”
Baron answered evasively. “It isn’t quite a question of liking. It’s
something like trying to keep a canary in a suitcase, or putting a
lamb or a kitten into harness.”
Thornburg smiled. “Tell me just how she fails to square with the—the
domestic virtues,” he said.
“Her way of saying things—her views—she is so wholly
unconventional,” said Baron haltingly. “She doesn’t stand in awe of
her superiors. She expresses her ideas with—well, with perfect
liberty. You know children aren’t supposed to be like that. At least my
mother takes that view of the case.”
He so plainly had little or no sympathy with the argument he made
that Thornburg looked at him keenly.
“I see. She scratches the paint off!” interpreted the manager. He
smiled upon Baron exultingly.
“You might put it so,” agreed Baron, to whom the words were highly
offensive. What right had Thornburg to speak contemptuously of the
things which his family—and their kind—represented? He proceeded
coldly. “I understood that you felt some measure of responsibility. I
thought perhaps you might be willing to take her, in case we decided
it would be difficult for us to keep her.”
The manager pretended not to note the aloofness of the other’s
tone. “Now, if it were a matter of expense—” he began.
“It isn’t. She doesn’t seem at home with us. I think that states the
whole case.”
“How could she feel at home in the short time she’s been with you?”
“Then I might put it this way: She doesn’t seem congenial.”
“Of course that’s different. That seems to leave me out, as near as I
can see.”
“You mean,” said Baron, “you wouldn’t care to assume the
responsibility for her?”
“Why should I?” demanded Thornburg bluntly. He glared at Baron
resentfully.
“You’re quite right, certainly. I seem to have had the impression——”
“I have an idea she’s doing better with you than she would anywhere
else, anyway,” continued Thornburg in milder tones. “Why not give
her her place and make her stay in it? I can’t understand a family of
grown people throwing up their hands to a baby!”
“I merely wanted to get your views,” said Baron stiffly as he rose to
go. “I didn’t care to send for the police until——”
Thornburg got up, too. “Don’t understand that I wash my hands of
her,” he hastened to say. “It might not hurt me any for the public to
know that I didn’t do anything, under the circumstances, but it would
certainly be a boost for me to have it known that I went out of my
way to do a good deed. Of course if you won’t keep her——”
Baron turned and looked at him and waited.
“Look here, Baron, I’m going to be frank with you. When you took her
home, I was sore at you. Especially after you told me something
about her. I like them—children, I mean. You had taken her off my
premises. I thought about the big house I’ve got, and not a child in it,
and never to be, and I figured I might as well have taken her myself.
But there’s difficulties.” His expression became troubled. “Once
before I tried to take a child into the house and Mrs. Thornburg
objected. It was my own child, too.” He paused. “You know I’ve been
married twice.”
Baron’s thoughts went back a few years to the somewhat unpleasant
story of Thornburg’s divorce from an actress with whom he had
spent only a little more than one troubled year. The facts had been
public property. He made no reply.
Thornburg continued: “I’m in doubt as to how my wife would look at it
if I suggested that I’d like to bring this waif home. Of course, it’s just
possible she might not want to take a child of mine, and still be
willing to take in some outsider. You know what strange creatures
women are.”
Baron waited. Was Thornburg being quite frank with him—at last?
“You see the difficulty. The—the wife is likely to suspect that Bonnie
May is the same little girl I wanted to bring home before—that she’s
mine. She never saw the little daughter. I’d have to be careful not to
make her suspicious.”
“But the circumstances ... I don’t see how she could suspect
anything,” argued Baron.
“Not if I don’t seem too much interested. That’s the point. I’ll tell you,
Baron—you come out and see us. Me and my wife. Come to-night.
State the case to us together. Tell the plain truth. Explain how you
got hold of Bonnie May, and tell my wife your people have changed
their minds. That ought to make the thing clear enough.”
Baron, homeward bound, marvelled at Thornburg. It seemed strange
that a crude, strong man should feel obliged to shape his deeds to
please an ungracious, suspicious wife. He felt sorry for him, too. He
seemed to be one of those blunderers whose dealings with women
are always bewildering, haphazard experiments.
He had promised to call that evening—to lend his aid to the
manager. It was the sensible thing to do, of course. They had to get
rid of Bonnie May. Nothing was to be gained by debating that point
any further. And yet....
When he reached home he was hoping that his mother might, on
some ground or other, have changed her mind.
He speedily learned that she had done nothing of the kind.
Indeed, matters were a little more at cross-purposes than they had
been the night before. Mrs. Baron had tried again to make a dress
for the fastidious guest, accepting certain of Flora’s suggestions, and
the result of the experiment hadn’t been at all gratifying.
Baron received the first report of the matter from Bonnie May, who
was waiting for him at the foot of the stairs when he entered the
house.
“You will please make no unkind remarks about my new dress,” she
began, assuming the attitude of a fencer, and slowly turning around.
The subject—and the child’s frivolous manner—irritated Baron.
“Really, I think it’s very pretty and suitable,” he said.
“Not at all. It’s neither pretty nor suitable—though both words mean
about the same thing, when it comes to a dress. But it’s a great
improvement on that first thing. I told your mother that. I told her I’d
wear it until I got something better.”
Baron sighed. “What did she say to that?”
“She was offended, of course. But what was I to do? I can’t see that
I’m to blame.”
“But can’t you see that mother is doing the best she can for you, and
that you ought to be grateful?”
“I see what you mean. But I believe in having an understanding from
the beginning. She’s got her ideas, and I’ve got mine. She believes
you’re Satan’s if you look pretty—or something like that. And I
believe you ought to be Satan’s if you don’t.”
“But you do look—pretty.” Baron spoke the last word ungraciously.
He was trying to believe he would not care much longer what turn
affairs took—that he would have forgotten the whole thing in another
day or two.
He found his mother up-stairs.
“Well—any change for the better?” he asked.
“I’m sure I don’t know. That depends entirely upon what
arrangements you have made.”
“I think Thornburg will take her. He’s got to do a little planning.”
“People sometimes do before they bring strange children into their
houses,” Mrs. Baron retorted.
Baron realized that his mother was becoming more successful with
her sarcasm. He passed into the library. A mischievous impulse
seized him—the fruit of that last fling of his mother’s. He called back
over his shoulder. “If the perverse little thing is quite unendurable,
you might lock her up in the attic and feed her on bread and water
until she leaves.”
Mrs. Baron stared after him, dumfounded. “I’ll do nothing of the sort!”
she exclaimed. “She shall not be treated unkindly, as you ought to
know. We owe that much to ourselves.”
CHAPTER XI
HOW A CONVEYANCE CAME FOR BONNIE MAY
—AND HOW IT WENT AWAY

True to his promise, Baron set aside that evening to call on the
Thornburgs.
As he emerged from the vestibule and stood for a moment on the top
step he noted that the familiar conflict between the departing daylight
and the long files of street-lamps up and down the avenue was being
waged. In the country, no doubt, this hour would be regarded as a
part of the day; but in the city it was being drawn ruthlessly into the
maw of night. There was never any twilight on the avenue.
Already countless thousands of people had had dinner, and were
thronging the avenue in that restless march which is called the
pursuit of pleasure.
He slipped into the human current and disappeared just a moment
too soon to observe that an automobile swerved out from its course
and drew up in front of the mansion.
A youthful-looking old lady with snowy hair and with small, neatly
gloved hands, pushed open the door and emerged. With the manner
of one who repeats a request she paused and turned.
“Do come in, Colonel,” she called into the shadowy recesses of the
car.
A gray, imposing-appearing man with a good deal of vitality still
showing in his eyes and complexion smiled back at her inscrutably.
“Go on,” he said, tucking his cigar beneath the grizzled stubble on
his upper lip, and bringing his hand down with a large gesture of
leisurely contentment. “You’ll be all right. I don’t mind waiting.”
And Mrs. Harrod proceeded alone to make her call.
By the most casual chance Mrs. Baron was standing at her sitting-
room window when the car stopped before the house, and when she
perceived that it was Mrs. Harrod—Amelia Harrod, as she thought of
her—who was crossing the sidewalk, she underwent a very
remarkable transformation.
So complete a transformation, indeed, that Bonnie May, who was
somewhat covertly observing her, sprang softly to her feet and
became all attention.
Mrs. Baron’s face flushed—the child could see the heightened color
in one cheek—and her whole attitude expressed an unwonted
eagerness, a childish delight.
The truth was that Mrs. Harrod was one of the old friends who had
seemed to Mrs. Baron to be of the deserters—one whose revised
visiting list did not include the Barons. And they had been girls
together, and intimates throughout their married lives—until the
neighborhood had moved away, so to speak, and the Barons had
remained.
It is true that, despite Mrs. Baron’s fancies, Mrs. Harrod had
remained a fond and loyal friend, though she had reached an age
when social obligations, in their more trivial forms, were not as easily
met as they had been in earlier years. And it may also be true that
something of constraint had arisen between the two during the past
year or so, owing to Mrs. Baron’s belief that she was being
studiously neglected, and to Mrs. Harrod’s fear that her old friend
was growing old ungracefully and unhappily.
Then, too, the Harrods had money. Colonel Harrod had never
permitted his family’s social standing to interfere with his money-
making. On the contrary. The Barons were unable to say of the
Harrods: “Oh, yes, they have money,” as they said of a good many
other families. For the Harrods had everything else, too.
“Oh, it’s Amelia!” exclaimed Mrs. Baron, withdrawing her eyes from
the street. She gave herself a quick, critical survey, and put her
hands to her hair, and hurried toward her room in a state of delighted
agitation.
She had not given a thought to Bonnie May. She did not know that
the child slipped eagerly from the room and hurried down the stairs.
Bonnie May was, indeed, greatly in need of a diversion of some sort.
Not a word had been said to her touching the clash that had
occurred at the table during the Sunday dinner. She did not know
that the machinery necessary to her removal from the mansion had
been set in motion; but she had a vague sense of a sort of rising
inflection in the atmosphere, as if necessary adjustments were in the
making. Perhaps her state of mind was a good deal like that of a
sailor who voyages in waters which are known to be mined.
However, she liked to go to the door to admit visitors, in any case.
There may have been, latent in her nature, a strong housekeeping
instinct. Or, perhaps, there seemed a certain form of drama in
opening the door to persons unknown—in meeting, in this manner,
persons who were for the time being her “opposites.” She assured
herself that she was saving Mrs. Shepard from the trouble of
responding from the kitchen; though she realized clearly enough that
she was actuated partly by a love of excitement, of encounters with
various types of human beings.
On the present occasion she had opened the door and stepped
aside, smiling, before Mrs. Harrod had had time to touch the bell.
“Come in,” she said. And when the visitor had entered she closed
the door softly. “Will you wait until I make a light?” she asked. “I’m
afraid we’ve all forgotten about the light.” The lower rooms had
become quite gloomy.
She had climbed upon a chair in the drawing-room, and touched a
match to the gas-burner before she could be questioned or assisted,
and for the moment the caller was only thinking how peculiar it was
that the Barons went on relying upon gas, when electricity was so
much more convenient.
“Please have a seat,” Bonnie May added, “while I call Mrs. Baron.”
She turned toward the hall. “Shall I say who it is?” she asked.
Mrs. Harrod had not taken a seat. When the light filled the room child
and woman confronted each other, the child deferential, the woman
smiling with an odd sort of tenderness.
“Who are you?” asked the visitor. Her eyes were beaming; the curve
of her lips was like a declaration of love.
“I’m Bonnie May.” The child advanced and held out her hand.
Mrs. Harrod pondered. “You’re not a—relative?”
“Oh, no. A—guest, I think. Nothing more than that.”
Mrs. Harrod drew a chair toward her without removing her eyes from
the child’s face. “Do sit down a minute and talk to me,” she said. “We
can let Mrs. Baron know afterward. A guest? But you don’t visit here
often?”
“This is my first visit. You see, I have so little time for visiting. I
happen not to have any—any other engagement just now. I was very
glad to come here for—for a while.”
“You haven’t known the Barons long, then?”
“In a way, no. But you know you feel you’ve always known really
lovely people. Don’t you feel that way?” She inclined her head a little;
her lips were slightly parted; her color arose. She was trying very
earnestly to meet this impressive person upon an equal footing.
“I think you’re quite right. And—how did you meet them? I hope you
don’t mind my asking questions?”
“Not in the least. I met Mr. Victor at a—a kind of reception he was
attending. He was lovely to me. He asked me to meet his mother.”
“How simple! And so you called?”
“Yes. That is, Mr. Victor came and—and brought me. It was much
pleasanter, his bringing me.”
She had wriggled up into a chair and was keeping clear, earnest
eyes upon the visitor. She was recalling Mrs. Baron’s agitation, and
she was drawing conclusions which were very far from being wholly
wrong.
“I think Victor’s a charming young gentleman,” declared Mrs. Harrod.
“He’s always doing something—nice.”
“Yes,” responded Bonnie May. She had observed that the visitor
paused before she said “nice.” Her eyes were alertly studying Mrs.
Harrod’s face.
“And your name is Bonnie May. Is that the full name, or——”
“Yes, that’s the full name.”
Mrs. Harrod pondered. “You’re not of the Prof. Mays, are you?”
“Why, I’m of—of professional people. I’m not sure I’m of the Mays
you’re thinking about.” She edged herself from her chair uneasily. “I
hope I haven’t forgotten myself,” she added. “I’m sure I should have
let Mrs. Baron know you are here. I think you didn’t say what the
name is?”
“I’m Mrs. Harrod. I hope you’ll remember. I would be glad if you’d be
a friend of mine, too.”
The child’s dilemma, whatever it had been, was past. She smiled
almost radiantly. “I’m very glad to have met you, Mrs. Harrod,” she
said. She advanced and extended her hand again. “I truly hope I’ll
have the pleasure of meeting you again.”
Then she was off up the stairs, walking sedately. It had meant much
to her that this nice woman, who was clearly not of the profession,
had talked to her without patronizing her, without “talking down” to
her.
A strange timidity overwhelmed her when she appeared at Mrs.
Baron’s door. “It’s Mrs. Harrod,” she said, and there was a slight
catch in her voice. “I mean, Mrs. Harrod has called. I let her in.”
Mrs. Baron, standing in her doorway, was fixing an old-fashioned
brooch in place. She flushed and there was swift mistrust in her
eyes. “Oh!” she cried weakly. The sound was almost like a moan. “I
thought Mrs. Shepard——”
“I didn’t tell her I was—I didn’t tell her who I was. I thought you would
rather I didn’t. I was just nice to her, and she was nice to me.”
She hurried away, then, because she wanted to be by herself. For
some reason which she could not understand tears were beginning
to start from her eyes. Mrs. Baron had not been angry, this time. She
had seemed to be ashamed!
She did not know that the old gentlewoman looked after her with a
startled, almost guilty expression which gave place to swift contrition
and tenderness.
Mrs. Baron did not descend the stairs. She was about to do so when
Mrs. Harrod appeared in the lower hall.
“Don’t come down!” called the latter. “I mean to have my visit with
you in your sitting-room.” She was climbing the stairs. “I don’t intend
to be treated like a stranger, even if I haven’t been able to come for
such a long time.” Shadows and restraints seemed to be vanishing
utterly before that advancing friendly presence. And at the top of the
flight of stairs she drew a deep breath and exclaimed:
“Emily Boone, who is that child?” She took both Mrs. Baron’s hands
and kissed her. “I told the colonel I simply wouldn’t go by without
stopping. He had an idea we ought to go to see—what’s the name of
the play? I can’t remember. It gave me a chance to stop. I seem
never to have the opportunity any more. But do tell me. About the
child, I mean. Do you know, I’ve never seen such a perfect little
human being in my life! She’s so lovely, and so honest, and so
unspoiled. Who is she?”
Mrs. Baron felt many waters lift and pass. Bonnie May hadn’t done
anything scandalous, evidently. And here was her old friend as
expansive, as cheerfully outspoken as in the days of long ago.
She found herself responding happily, lightly.
“A little protégée of Victor’s,” she said. “You know what a discoverer
he is?” They had entered the sitting-room. Mrs. Baron was thinking
again how good it was to have the old bond restored, the old friend’s
voice awaking a thousand pleasant memories.
But as Mrs. Harrod took a seat she leaned forward without a pause.
“Now do tell me about that—that cherub of a child,” she said.
In the meantime, Victor Baron was experiencing something like a
surprise to discover that Thornburg, the manager, seemed a new, a
different, sort of person, now that he was in his own home. He had
quite the air of—well, there was only one word for it, Baron supposed
—a gentleman.
The Thornburg home was quite as nice, even in the indefinable ways
that count most, as any home Baron was acquainted with. There
was an impression of elegance—but not too much elegance—in the
large reception-room. There was a general impression of softly
limited illumination, of fine yet simple furniture. The walls had a kind
of pleasant individuality, by reason of the fact that they were sparsely
—yet attractively—ornamented.
A grandfather’s clock imparted homeliness to one end of the room;
there was a restful suggestion in the broad fireplace in which an
enormous fern had been installed. Baron’s glance also took in a
grand piano of a quietly subdued finish.
Mrs. Thornburg alone seemed in some odd way out of harmony with
the fine, cordial picture in which Baron found her. She was a frail,
wistful woman, and because her body was ailing, her mind, too—as
Baron speedily discovered—was not of the sound, cheerful texture of
her surroundings.
“Ah, Baron!” exclaimed Thornburg, advancing to meet his guest as
the latter was shown into the room. “I’m glad to see you here.”
As he turned to his wife, to introduce the visitor, Baron was struck by
something cautious and alert in his manner—the manner of a man
who must be constantly prepared to make allowances, to take
soundings. He presented an altogether wholesome picture as he
looked alternately at his wife and his guest. His abundant, stubborn
gray hair was in comfortable disorder, to harmonize with the
smoking-jacket he wore, and Baron looked at him more than once
with the uncomfortable sense of never having really known him
before. He thought, too, how this brusque, ruddy man seemed in a
strange fashion imprisoned within the radius of an ailing wife’s
influence.
“Mr. Baron is the man who carried that little girl out of the theatre the
other day,” explained Thornburg. He turned again to Baron with a
casual air: “Do you find that your people still want to let her go?”
He was playing a part, obviously; the part of one who is all but
indifferent. Mrs. Thornburg scrutinized the visitor’s face closely.
“Yes, I believe they do,” replied Baron.
“I’ve been talking to Mrs. Thornburg about the case. She
understands that I feel a sort of responsibility. I think I’ve about
persuaded her to have a look at the little girl.”
Mrs. Thornburg seemed unwilling to look at her husband while he
was speaking. Baron thought she must be concealing something.
She was gazing at him with an expression of reproach, not wholly
free from resentment.
“Hasn’t the child any relatives?” she asked. She seemed to be
making an effort to speak calmly.
“I really can’t answer that,” said Baron. “She seems not to have. She
has told me very little about herself, yet I believe she has told me all
she knows. She has spoken of a young woman—an actress—she
has travelled with. There doesn’t appear to have been any one else.
I believe she never has had a home.”
Mrs. Thornburg withdrew her gaze from him. She concerned herself
with the rings on her thin, white fingers. “How did you happen to be
with her in the theatre?” she asked.
“I was in one of the upper boxes. I don’t know how she came to be
there. I believe she couldn’t find a seat anywhere else.”
“And you’d never seen her before?”
“Never.”
There was an uncomfortable silence. Both Thornburg and Baron
were looking interestedly at Mrs. Thornburg, who refused to lift her
eyes. “I wonder how you happened to take her to your home?” she
asked finally.
Baron laughed uneasily. “I’m wondering myself,” he said. “Nobody
seems to approve of what I did. But if you could have seen her!
She’s really quite wonderful. Very pretty, you know, and intelligent.

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