Visit to download the full and correct content document: https://testbankbell.com/dow nload/ati-rn-proctored-adult-medical-surgical-form-c-2016/ ATI RN Proctored Adult Medical-Surgical Form C 2016 Visit to download the full and correct content document: https://testbankbell.com/dow nload/ati-rn-proctored-adult-medical-surgical-form-c-2016/ Another random document with no related content on Scribd: moment le comte leva les yeux et nous aperçut. Quelque chose comme un sourire passa sur ses lèvres. —Messieurs, dit-il aux trois joueurs qui faisaient sa partie, voulez-vous me permettre de me retirer? Je me charge de vous envoyer un quatrième. —Allons donc, dit Paul; tu nous gagnes quatre mille francs, et tu nous enverras un remplaçant qui se cavera de dix louis. Non pas, non pas. Le comte, à moitié levé, se rassit; mais au premier tour, un des joueurs ayant engagé le jeu, le comte fit son argent. Il fut tenu. L’adversaire du comte abattit son jeu; le comte jeta le sien sans le montrer en disant: J’ai perdu, poussa l’or et les billets de banque qu’il avait devant lui en face du gagnant, et, se levant de nouveau: —Suis-je libre de me retirer cette fois? dit-il à Paul. —Non, pas encore, cher ami, répondit Paul qui avait relevé les cartes du comte et regardé son jeu, car tu as cinq carreaux, et monsieur n’a que quatre piques. —Madame, dit le comte en se retournant de notre côté et en s’adressant à la maîtresse de la maison, je sais que mademoiselle Eugénie doit quêter ce soir pour les pauvres, voulez-vous me permettre d’être le premier à lui offrir mon tribut? A ces mots, il prit un panier à ouvrage qui se trouvait sur un guéridon à côté de la table de jeu, y mit les huit mille francs qu’il avait devant lui, et les présenta à la comtesse. —Mais je ne sais si je dois accepter, répondit madame M...; cette somme est vraiment si considérable..... —Aussi, reprit en souriant le comte Horace, n’est-ce point en mon nom seul que je vous l’offre; ces messieurs y ont largement contribué, c’est donc eux plus encore que moi que mademoiselle M... doit remercier au nom de ses protégés. A ces mots, il passa dans la salle de bal, laissant le panier plein d’or et de billets de banque aux mains de la comtesse. —Voilà bien une de ses originalités, me dit madame M...; il aura aperçu une femme avec laquelle il a envie de danser, et voilà le prix dont il paie ce plaisir. Mais il faut que je serre ce panier; laissez-moi donc vous reconduire dans le salon de danse. Madame M... me ramena près de ma mère. A peine y étais-je assise, que le comte s’avança vers moi et m’invita à danser. Ce que venait de me dire la comtesse se présenta aussitôt à mon esprit; je me sentis rougir, je compris que j’allais balbutier; je lui tendis mon calepin, six danseurs y avaient pris rang; il retourna le feuillet, et comme s’il ne voulait pas que son nom fût confondu avec les autres noms, il l’inscrivit au haut de la page pour la septième contredanse; puis il me rendit le livret en prononçant quelques mots que mon trouble m’empêcha d’entendre, et alla s’appuyer contre l’angle de la porte. Je fus sur le point de prier ma mère de quitter le bal, car je tremblais si fort, qu’il me semblait impossible de me tenir debout; heureusement un accord rapide et brillant se fit entendre. Le bal était suspendu. Listz s’asseyait au piano. Il joua l’invitation à la valse de Weber. Jamais l’habile artiste n’avait poussé si haut les merveilles de son exécution, ou peut-être jamais ne m’étais-je trouvée dans une disposition d’esprit aussi parfaitement apte à sentir cette composition si mélancolique et si passionnée; il me sembla que c’était la première fois que j’entendais supplier, gémir et se briser l’âme souffrante, dont l’auteur du Freyschütz a exhalé les soupirs dans ses mélodies. Tout ce que la musique, cette langue des anges, a d’accens, d’espoir, de tristesse et de douleur, semblait s’être réuni dans ce morceau, dont les variations, improvisées selon l’inspiration du traducteur, arrivaient à la suite du motif comme des notes explicatives. J’avais souvent moi-même exécuté cette brillante fantaisie, et je m’étonnais, aujourd’hui que je l’entendais reproduire par un autre, d’y trouver des choses que je n’avais pas soupçonnées alors; était-ce le talent admirable de l’artiste qui les faisait ressortir? était-ce une disposition nouvelle de mon esprit? La main savante qui glissait sur les touches avait-elle si profondément creusé la mine, qu’elle y trouvait des filons inconnus? ou mon cœur avait-il reçu une si puissante secousse, que des fibres endormies s’y étaient réveillées? En tout cas, l’effet fut magique; les sons flottaient dans l’air comme une vapeur, et m’inondaient de mélodie; en ce moment je levai les yeux, ceux du comte étaient fixés de mon côté; je baissai rapidement la tête, il était trop tard; je cessai de voir ses yeux, mais je sentis son regard peser sur moi, le sang se porta rapidement à mon visage, et un tremblement involontaire me saisit. Bientôt, Listz se leva; j’entendis le bruit des personnes qui se pressaient autour de lui pour le féliciter; j’espérai que, dans ce mouvement, le comte avait quitté sa place; en effet, je me hasardai à relever la tête, il n’était plus contre la porte; je respirai, mais je me gardai de pousser la recherche plus loin; je craignais de retrouver son regard, j’aimais mieux ignorer qu’il fût là. Au bout d’un instant le silence se rétablit; une nouvelle personne s’était mise au piano; j’entendis aux chuts prolongés jusque dans les salles attenantes que la curiosité était vivement excitée; mais je n’osai lever les yeux. Une gamme mordante courut sur les touches, un prélude large et triste lui succéda, puis une voix vibrante, sonore et profonde, fit entendre ces mots sur une mélodie de Schubert:
«J’ai tout étudié, philosophie, droit et médecine; j’ai fouillé
dans le cœur des hommes, je suis descendu dans les entrailles de la terre, j’ai attaché à mon esprit les ailes de l’aigle pour planer au-dessus des nuages; où m’a conduit cette longue étude? au doute et au découragement. Je n’ai plus, il est vrai, ni illusion ni scrupule, je ne crains ni Dieu ni Satan: mais j’ai payé ces avantages au prix de toutes les joies de la vie.»
Au premier mot, j’avais reconnu la voix du comte Horace. On
devine donc facilement quelle singulière impression durent faire sur moi ces paroles de Faust dans la bouche de celui qui les chantait: l’effet fut général, au reste. Un moment de silence profond succéda à la dernière note, qui s’envola plaintive comme une âme en détresse; puis des applaudissemens frénétiques partirent de tous côtés. Je me hasardai alors à regarder le comte; pour tous peut-être sa figure était calme et impassible, mais pour moi le léger froncement de sa bouche indiquait clairement cette agitation fiévreuse dont un des accès l’avait pris pendant sa visite au château. Madame M... s’approcha de lui pour le féliciter à son tour; alors son visage prit l’aspect souriant et insoucieux que commandent aux esprits les plus préoccupés les convenances du monde; le comte Horace lui offrit le bras et ne fut plus qu’un homme comme tous les hommes; à la manière dont il la regardait, je jugeai que de son côté il lui faisait des complimens sur sa toilette. Tout en causant avec elle, il jeta rapidement de mon côté un regard qui rencontra le mien; je fus sur le point de laisser échapper un cri, j’avais en quelque sorte été surprise; il vit sans doute ma détresse et en eut pitié, car il entraîna madame M... dans la salle voisine et disparut avec elle. Au même moment, les musiciens donnèrent de nouveau le signal de la contredanse; le premier inscrit de mes danseurs s’élança vers moi, je pris machinalement sa main et je me laissai conduire à la place qu’il voulut; je dansai, voilà tout ce dont je me souviens, puis deux ou trois contredanses se suivirent, pendant lesquelles je repris un peu de calme; enfin une nouvelle pause destinée à un nouvel intermède musical leur succéda. Madame M... s’avança vers moi; elle venait me prier de faire ma partie dans le duo du premier acte de Don Juan; je refusai d’abord, car je me voyais incapable en ce moment, toute timidité naturelle à part, d’articuler une note. Ma mère vit ce débat, et, avec son amour- propre de mère, vint se joindre à la comtesse, qui s’offrait pour accompagner; j’eus peur, si je continuais à résister, que ma mère ne se doutât de quelque chose; j’avais chanté si souvent ce duo, que je ne pouvais opposer une bonne raison à leurs instances; je finis donc par céder. La comtesse M... me prit par la main et me conduisit au piano, où elle s’assit: j’étais derrière sa chaise, debout et les yeux baissés, sans oser regarder autour de moi, de peur de retrouver encore ce regard qui me suivait partout. Un jeune homme vint se placer de l’autre côté de la comtesse, je me hasardai à lever les yeux sur mon partner; un frisson me courut par tout le corps: c’était le comte Horace qui chantait le rôle de don Juan. Vous comprendrez quelle fut mon émotion; cependant il était trop tard pour me retirer, tous les yeux étaient fixés sur nous; madame M... préludait. Le comte commença; c’était une autre voix, c’était un autre homme qui chantait, et lorsqu’il commença: Là ci darem la mano, je tressaillis, espérant que je m’étais trompée, et ne pouvant pas croire que la voix puissante qui venait de nous faire frémir avec la mélodie de Schubert pouvait se plier à des intonations d’une gaîté si fine et si gracieuse. Aussi, dès la première phrase, un murmure d’applaudissement courut-il par toute la salle; il est vrai que, lorsqu’à mon tour je dis en tremblant: Vorrei e non vorrei mi trema un poco il cor, il y avait dans ma voix une telle expression de crainte, que les applaudissemens contenus éclatèrent; puis on fit tout-à-coup un silence profond pour nous écouter. Je ne puis vous dire ce qu’il y avait d’amour dans la voix du comte, lorsqu’il reprit: Vieni, mio bel diletto, et ce qu’il mit de séduction et de promesses dans cette phrase: Io cangierò tua sorte; tout cela était si applicable à moi, ce duo semblait si bien choisi pour la situation de mon cœur, qu’effectivement je me sentis prête à m’évanouir, en disant: Presto non so più forte: certes la musique avait ici changé d’expression; au lieu de la plainte coquette de Zerline, c’était le cri de la détresse la plus profonde; en ce moment je sentis que le comte s’était rapproché de mon côté, sa main toucha ma main pendante près de moi, un voile de flamme s’abaissa sur mes yeux, je saisis la chaise de la comtesse M... et je m’y cramponnai; grâce à ce soutien, je parvins à me tenir debout; mais lorsque nous reprîmes ensemble: Andiamo, andiam mio bene, je sentis son haleine passer dans mes cheveux, son souffle courir sur mes épaules; un frisson me passa par les veines, je jetai en prononçant le mot amor un cri dans lequel s’épuisèrent toutes mes forces, et je m’évanouis.... Ma mère s’élança vers moi; mais elle serait arrivée trop tard, si la comtesse M... ne m’avait reçue dans ses bras. Mon évanouissement fut attribué à la chaleur; on me transporta dans une chambre voisine, des sels qu’on me fit respirer, une fenêtre qu’on ouvrit, quelques gouttes d’eau qu’on me jeta au visage me rappelèrent à moi; madame M... insista pour me faire rentrer au bal, mais je ne voulus entendre à rien; ma mère, inquiète elle-même, fut cette fois de mon avis, on fit avancer la voiture et nous rentrâmes à l’hôtel. Je me retirai aussitôt, dans ma chambre; en ôtant mon gant je fis tomber un papier qui y avait été glissé pendant mon évanouissement, je le ramassai et je lus ces mots écrits au crayon: Vous m’aimez!... merci, merci! IX.
Je passai une nuit affreuse, une nuit de sanglots et de larmes.
Vous ne savez pas, vous autres hommes, vous ne saurez jamais quelles angoisses sont celles d’une jeune fille élevée sous l’œil de sa mère, dont le cœur, pur comme une glace, n’a encore été terni par aucune haleine, dont la bouche n’a jamais prononcé le mot amour, et qui se voit tout-à-coup, comme un pauvre oiseau sans défense, prise et enveloppée dans une volonté plus puissante que sa résistance; qui sent une main qui l’entraîne, si fort qu’elle se raidisse contre elle, et qui entend une voix qui lui dit: Vous m’aimez, avant qu’elle n’ait dit: Je vous aime. Oh! je vous le jure, je ne sais comment il se fit que je ne devins pas folle pendant cette nuit; je me crus perdue. Je me répétais tout bas et incessamment:—Je l’aime! je l’aime! et cela avec une terreur si profonde, qu’aujourd’hui encore je ne sais si je n’étais pas en proie à un sentiment tout-à-fait contraire à celui que je croyais ressentir. Cependant il était probable que toutes ces émotions que j’avais éprouvées étaient des preuves d’amour, puisque le comte, à qui aucune d’elles n’avait échappée, les interprétait ainsi. Quant à moi, c’étaient les premières sensations de ce genre que je ressentais. On m’avait dit que l’on ne devait craindre ou haïr que ceux qui vous ont fait du mal; je ne pouvais alors ni haïr ni craindre le comte, et si le sentiment que j’éprouvais pour lui n’était ni de la haine ni de la crainte, ce devait donc être de l’amour. Le lendemain matin, au moment où nous nous mettions à table pour déjeuner, on apporta à ma mère deux cartes du comte Horace de Beuzeval: il avait envoyé s’informer de ma santé et demander si mon indisposition avait eu des suites. Cette démarche, toute matinale qu’elle était, parut à ma mère une simple manifestation de politesse. Le comte chantait avec moi lorsque l’accident m’était arrivé: cette circonstance excusait son empressement. Ma mère s’aperçut alors seulement combien je paraissais fatiguée et souffrante; elle s’en inquiéta d’abord; mais je la rassurai en lui disant que je n’éprouvais aucune douleur, et que d’ailleurs l’air et la tranquillité de la campagne me remettraient, si elle voulait que nous y retournassions. Ma mère n’avait qu’une volonté, c’était la mienne: elle ordonna que l’on mît les chevaux à la voiture; vers les deux heures nous partîmes. Je fuyais Paris avec l’empressement que, quatre jours auparavant, j’avais mis à fuir la campagne; car ma première pensée, en voyant les cartes du comte, avait été qu’aussitôt que l’heure où l’on est visible serait arrivée, il se présenterait en personne. Or, je voulais le fuir, je voulais ne plus le revoir; après l’idée qu’il avait prise de moi, après la lettre qu’il m’avait écrite, il me semblait que je mourrais de honte en me retrouvant avec lui. Toutes ces pensées qui se heurtaient dans ma tête faisaient passer sur mes joues des rougeurs si subites et si ardentes, que ma mère crut que je manquais d’air dans cette voiture fermée, et ordonna au cocher d’arrêter, afin que le domestique pût abaisser la couverture de la calèche. On était aux derniers jours de septembre, c’est-à-dire au plus doux moment de l’année; les feuilles de certains arbres commençaient à rougir dans les bois. Il y a quelque chose du printemps dans l’automne, et les derniers parfums de l’année ressemblent parfois à ses premières émanations. L’air, le spectacle de la nature, tous ces bruits de la forêt qui n’en forment qu’un, prolongé, mélancolique, indéfinissable, commençaient à distraire mon esprit, lorsque tout-à-coup, à l’un des détours de la route, j’aperçus devant nous un cavalier. Quoiqu’il fût encore à une grande distance, je saisis le bras de ma mère dans l’intention de lui dire de retourner vers Paris,—car j’avais reconnu le comte;—mais je m’arrêtai aussitôt. Quel prétexte donner à ce changement de volonté, qui paraîtrait un caprice sans raison aucune? Je rassemblai donc tout mon courage. Le cavalier allait au pas, aussi le rejoignîmes-nous bientôt. Comme je l’ai dit, c’était le comte. A peine nous eut-il reconnues, qu’il s’approcha de nous, s’excusa d’avoir envoyé de si bonne heure pour savoir de mes nouvelles; mais devant partir dans la journée pour la campagne de monsieur de Lucienne, où il allait passer quelques jours, il n’avait pas voulu quitter Paris avec l’inquiétude où il était; si l’heure eût été convenable, il se serait présenté lui-même. Je balbutiai quelques mots, ma mère le remercia.—Nous aussi nous retournions à la campagne, lui dit-elle, pour le reste de la saison.—Alors vous me permettrez de vous servir d’escorte jusqu’au château, répondit le comte. Ma mère s’inclina en souriant; la chose était toute simple: notre maison de campagne était de trois lieues plus rapprochée que celle de monsieur de Lucienne, et la même route conduisait à toutes les deux. Le comte continua donc de galoper près de nous pendant les cinq lieues qui nous restaient à faire. La rapidité de notre course, la difficulté de se tenir près de la portière, fit que nous n’échangeâmes que quelques paroles. Arrivé au château, il sauta à bas de son cheval, aida ma mère à descendre, puis m’offrit sa main à mon tour. Je ne pouvais refuser; je tendis la mienne en tremblant; il la prit sans vivacité, sans affectation, comme il eût pris celle de toute autre; mais je sentis qu’il y laissait un billet. Avant que je n’aie pu dire un mot ni faire un mouvement, le comte s’était retourné vers ma mère et la saluait; puis il remonta à cheval, résistant aux instances qu’elle lui faisait pour qu’il se reposât un instant; alors, reprenant le chemin de Lucienne, où il était attendu, disait-il, il disparut au bout de quelques secondes. J’étais restée immobile à la même place; mes doigts crispés retenaient le billet, que je n’osais laisser tomber, et que cependant j’étais bien résolue à ne pas lire. Ma mère m’appela, je la suivis. Que faire de ce billet? Je n’avais pas de feu pour le brûler; le déchirer, on en pouvait trouver les morceaux: je le cachai dans la ceinture de ma robe. Je ne connais pas de supplice pareil à celui que j’éprouvai jusqu’au moment où je rentrai dans ma chambre: ce billet me brûlait la poitrine; il semblait qu’une puissance surnaturelle rendait chacune de ses lignes lisibles pour mon cœur, qui le touchait presque; ce papier avait une vertu magnétique. Certes, au moment où je l’avais reçu, je l’eusse déchiré, brûlé à l’instant même sans hésitation; eh bien! lorsque je rentrai chez moi, je n’en eus plus le courage. Je renvoyai ma femme de chambre en lui disant que je me déshabillerais seule; puis je m’assis sur mon lit, et je restai ainsi une heure, immobile et les yeux fixes, le billet froissé dans ma main fermée. Enfin je l’ouvris et je lus:
«Vous m’aimez, Pauline, car vous me fuyez. Hier vous
avez quitté le bal où j’étais, aujourd’hui vous quittez la ville où je suis; mais tout est inutile. Il y a des destinées qui peuvent ne se rencontrer jamais, mais qui, dès qu’elles se rencontrent, ne doivent plus se séparer. »Je ne suis point un homme comme les autres hommes: à l’âge du plaisir, de l’insouciance et de la joie, j’ai beaucoup souffert, beaucoup pensé, beaucoup gémi; j’ai vingt-huit ans. Vous êtes la première femme que j’aie aimée, car je vous aime, Pauline. »Grâce à vous, et si Dieu ne brise pas cette dernière espérance de mon cœur, j’oublierai mon passé et j’espérerai dans l’avenir. Le passé est la seule chose pour laquelle Dieu est sans pouvoir et l’amour sans consolation. L’avenir est à Dieu, le présent est à nous, mais le passé est au néant. Si Dieu, qui peut tout, pouvait donner l’oubli du passé, il n’y aurait dans le monde ni blasphémateurs, ni matérialistes, ni athées. »Maintenant tout est dit, Pauline; car que vous apprendrais-je que vous ne sachiez pas, que vous dirais-je que vous n’ayez pas deviné? Nous sommes jeunes tous deux, riches tous deux, libres tous deux; je puis être à vous, vous pouvez être à moi: un mot de vous, je m’adresse à votre mère, et nous sommes unis. Si ma conduite, comme mon âme, est en dehors des habitudes du monde, pardonnez-moi ce que j’ai d’étrange et acceptez-moi comme je suis, vous me rendrez meilleur. »Si, au contraire de ce que j’espère, Pauline, un motif que je ne prévois pas, mais qui cependant peut exister, vous faisait continuer à me fuir comme vous avez essayé de le faire jusqu’à présent, sachez bien que tout serait inutile: partout je vous suivrais comme je vous ai suivie; rien ne m’attache à un lieu plutôt qu’à un autre, tout m’entraîne au contraire où vous êtes; aller au devant de vous ou marcher derrière vous sera désormais mon seul but. J’ai perdu bien des années et risqué cent fois ma vie et mon âme pour arriver à un résultat qui ne me promettait pas le même bonheur. »Adieu, Pauline! je ne vous menace pas, je vous implore; je vous aime, vous m’aimez. Ayez pitié de vous et de moi.»
Il me serait impossible de vous dire ce qui se passa en moi à la
lecture de cette étrange lettre; il me semblait être en proie à un de ces songes terribles où, menacé d’un danger, on tente de fuir; mais les pieds s’attachent à la terre, l’haleine manque à la poitrine; on veut crier, la voix n’a pas de son. Alors l’excès de la peur brise le sommeil, et l’on se réveille le cœur bondissant et le front mouillé de sueur. Mais là, là, il n’y avait pas à me réveiller; ce n’était point un rêve que je faisais, c’était une réalité terrible qui me saisissait de sa main puissante et qui m’entraînait avec elle; et cependant qu’y avait-il de nouveau dans ma vie? Un homme y avait passé, et voilà tout. A peine si avec cet homme j’avais échangé un regard et une parole. Quel droit se croyait-il donc de garrotter comme il le faisait ma destinée à la sienne, et de me parler presque en maître, lorsque je ne lui avais pas même accordé les droits d’un ami? Cet homme, je pouvais demain ne plus le regarder, ne plus lui parler, ne plus le connaître. Mais non, je ne pouvais rien... j’étais faible... j’étais femme... je l’aimais. En savais-je quelque chose, au reste? ce sentiment que j’éprouvais était-ce de l’amour? l’amour entre-t-il dans le cœur précédé d’une terreur aussi profonde? Jeune et ignorante comme je l’étais, savais-je moi-même ce que c’était que l’amour? Cette lettre fatale, pourquoi ne l’avais-je pas brûlée avant de la lire? n’avais-je pas donné au comte le droit de croire que je l’aimais en la recevant? Mais aussi que pouvais-je faire? un éclat devant des valets, des domestiques. Non; mais la remettre à ma mère, lui tout dire, lui tout avouer... Lui avouer quoi? des terreurs d’enfant, et voilà tout. Puis ma mère, qu’eût-elle pensé à la lecture d’une pareille lettre? Elle aurait cru que d’un mot, d’un geste, d’un regard, j’avais encouragé le comte. Sans cela, de quel droit me dirait-il que je l’aimais? Non, je n’oserais jamais rien dire à ma mère... Mais cette lettre, il fallait la brûler d’abord et avant tout. Je l’approchai de la bougie, elle s’enflamma, et ainsi que tout ce qui a existé et qui n’existe plus, elle ne fut bientôt qu’un peu de cendre. Puis je me déshabillai promptement, je me hâtai de me mettre au lit, et je soufflai aussitôt mes lumières afin de me dérober à moi-même et de me cacher dans la nuit. Oh! comme malgré l’obscurité je fermai les yeux, comme j’appuyai mes mains sur mon front, et comme, malgré ce double voile, je revis tout! Cette lettre fatale était écrite sur les murs de la chambre. Je ne l’avais lue qu’une fois, et cependant elle s’était si profondément gravée dans ma mémoire, que chaque ligne, tracée par une main invisible, semblait paraître à mesure que la ligne précédente s’effaçait; et je lus et relus ainsi cette lettre dix fois, vingt fois, toute la nuit. Oh! je vous assure qu’entre cet état et la folie il y avait une barrière bien étroite à franchir, un voile bien faible à déchirer. Enfin, au jour je m’endormis, écrasée de fatigue. Lorsque je me réveillai, il était déjà tard; ma femme de chambre m’annonça que madame de Lucienne et sa fille étaient au château. Alors une idée subite m’illumina; je devais tout dire à madame de Lucienne: elle avait toujours été parfaite pour moi; c’était chez elle que j’avais vu le comte Horace, le comte Horace était l’ami de son fils; c’était la confidente la plus convenable pour un secret comme le mien; Dieu me l’envoyait. En ce moment la porte de la chambre s’ouvrit, et madame de Lucienne parut. Oh! alors je crus vraiment à cette mission; je me soulevai sur mon lit et je lui tendis les bras en sanglotant: elle vint s’asseoir près de moi. —Allons, enfant, me dit elle après un instant et en écartant mes mains dont je me voilais le visage, voyons, qu’avons-nous? —Oh! je suis bien malheureuse! m’écriai-je. —Les malheurs de ton âge, mon enfant, sont comme les orages du printemps, ils passent vite et font le ciel plus pur. —Oh! si vous saviez! —Je sais tout, me dit madame de Lucienne. —Qui vous l’a dit? —Lui. —Il vous a dit que je l’aimais! —-Il m’a dit qu’il avait cet espoir, du moins; se trompe-t-il? —Je ne sais moi-même; je ne connaissais de l’amour que le nom, comment voulez-vous que je voie clair dans mon cœur, et qu’au milieu du trouble que j’éprouve j’analyse le sentiment qui l’a causé? —Allons, allons, je vois que Horace y lit mieux que vous.—Je me mis à pleurer.—Eh bien! continua madame de Lucienne, il n’y a pas là dedans une grande cause de larmes, ce me semble. Voyons, causons raisonnablement. Le comte Horace est jeune, beau, riche, voilà plus qu’il n’en faut pour excuser le sentiment qu’il vous inspire. Le comte Horace est libre, vous avez dix-huit ans, ce serait une union convenable sous tous les rapports. —Oh! Madame!... —C’est bien, n’en parlons plus; j’ai appris tout ce que je voulais savoir. Je redescends près de madame de Meulien et je vous envoie Lucie. —Oh!... mais pas un mot, n’est-ce pas? —Soyez tranquille, je sais ce qui me reste à faire; au revoir, chère enfant. Allons, essuyez ces beaux yeux et embrassez-moi... Je me jetai une seconde fois à son cou. Cinq minutes après, Lucie entra; je m’habillai et nous descendîmes. Je trouvai ma mère sérieuse, mais plus tendre encore que d’ordinaire. Plusieurs fois, pendant le déjeuner, elle me regarda avec un sentiment de tristesse inquiète, et à chaque fois je sentis la rougeur de la honte me monter au visage. A quatre heures, madame de Lucienne et sa fille nous quittèrent; ma mère fut la même avec moi qu’elle avait coutume d’être; pas un mot sur la visite de madame de Lucienne, et le motif qui l’avait amenée ne fut prononcé. Le soir, comme de coutume, j’allai, avant de me retirer dans ma chambre, embrasser ma mère: en approchant mes lèvres de son front, je m’aperçus que ses larmes coulaient; alors je tombai à genoux devant elle en cachant ma tête dans sa poitrine. En voyant ce mouvement, elle devina le sentiment qui me le dictait, et, abaissant ses deux mains sur mes épaules, et me serrant contre elle: —Sois heureuse, ma fille, dit-elle, c’est tout ce que je demande à Dieu. Le surlendemain, madame de Lucienne demanda officiellement ma main à ma mère. Six semaines après, j’épousai le comte Horace. X.
Le mariage se fit à Lucienne, dans les premiers jours de
novembre; puis nous revînmes à Paris au commencement de la saison d’hiver. Nous habitions l’hôtel tous ensemble. Ma mère m’avait donné vingt-cinq mille livres de rentes par mon contrat de mariage, le comte en avait déclaré à peu près autant; il en restait quinze mille à ma mère. Notre maison se trouva donc au nombre, sinon des maisons riches, du moins des maisons élégantes du faubourg Saint- Germain. Horace me présenta deux de ses amis, qu’il me pria de recevoir comme ses frères: depuis six ans ils étaient liés d’un sentiment si intime, qu’on avait pris l’habitude de les appeler les inséparables. Un quatrième, qu’ils regrettaient tous les jours et dont ils parlaient sans cesse, s’était tué au mois d’octobre de l’année précédente en chassant dans les Pyrénées, où il avait un château. Je ne puis vous révéler le nom de ces deux hommes, et à la fin de mon récit vous comprendrez pourquoi; mais comme je serai forcée parfois de les désigner, j’appellerai l’un Henri et l’autre Max. Je ne vous dirai pas que je fus heureuse: le sentiment que j’éprouvais pour Horace m’a été et me sera toujours inexplicable: on eût dit un respect mêlé de crainte; c’était, au reste, l’impression qu’il produisait généralement sur tous ceux qui l’approchaient. Ses deux amis eux-mêmes, si libres et si familiers qu’ils fussent avec lui, le contredisaient rarement et lui cédaient toujours, sinon comme à un maître, du moins comme à un frère aîné. Quoique adroits aux exercices du corps, ils étaient loin d’être de sa force. Le comte avait transformé la salle de billard en une salle d’armes, et une des allées du jardin était consacrée à un tir: tous les jours ces messieurs venaient s’exercer à l’épée ou au pistolet. Parfois j’assistais à ces joûtes: Horace alors était plutôt leur professeur que leur adversaire; il gardait dans ces exercices ce calme effrayant dont je lui avais vu donner une preuve chez madame de Lucienne, et plusieurs duels, qui tous avaient fini à son avantage, attestaient que, sur le terrain, ce sang-froid, si rare au moment suprême, ne l’abandonnait pas un instant. Horace, chose étrange! restait donc pour moi, malgré l’intimité, un être supérieur et en dehors des autres hommes. Quant à lui, il paraissait heureux, il affectait du moins de répéter qu’il l’était, quoique souvent son front soucieux attestât le contraire. Parfois aussi des rêves terribles agitaient son sommeil, et alors cet homme, si calme et si brave le jour, avait, s’il se réveillait au milieu de pareils songes, des instans d’effroi où il frissonnait comme un enfant. Il en attribuait la cause à un accident qui était arrivé à sa mère pendant sa grossesse: arrêtée dans la Sierra par des voleurs, elle avait été attachée à un arbre, et avait vu égorger un voyageur qui faisait la même route qu’elle; il en résultait que c’étaient habituellement des scènes de vol et de brigandage qui s’offraient ainsi à lui pendant son sommeil. Aussi, plutôt pour prévenir le retour de ces songes que par une crainte réelle, posait-il toujours avant de se coucher, quelque part qu’il fût, une paire de pistolets à portée de sa main. Cela me causa d’abord une grande terreur, car je tremblais toujours que, dans quelque accès de somnambulisme il ne fît usage de ces armes; mais peu à peu je me rassurai, et je contractai l’habitude de lui voir prendre cette précaution. Une autre plus étrange encore, et dont seulement aujourd’hui je me rends compte, c’est qu’on tenait constamment, jour ou nuit, un cheval sellé et prêt à partir. L’hiver se passa au milieu des fêtes et des bals. Horace était fort répandu de son côté; de sorte que, ses salons s’étant joints aux miens, le cercle de nos connaissances avait doublé. Il m’accompagnait partout avec une complaisance extrême, et, chose qui surprenait tout le monde, il avait complétement cessé de jouer. Au printemps nous partîmes pour la campagne. Là nous retrouvâmes tous nos souvenirs. Nos journées s’écoulaient moitié chez nous, moitié chez nos voisins; nous avions continué de voir madame de Lucienne et ses enfans comme une seconde famille à nous. Ma situation de jeune fille se trouvait donc à peine changée, et ma vie était à peu près la même. Si cet état n’était pas du bonheur, il y ressemblait tellement que l’on pouvait s’y tromper. La seule chose qui le troublât momentanément, c’étaient ces tristesses sans cause dont je voyais Horace de plus en plus atteint; c’étaient ces songes qui devenaient plus terribles à mesure que nous avancions. Souvent j’allais à lui pendant ces inquiétudes du jour, ou je le réveillais au milieu de ces rêves de la nuit; mais dès qu’il me voyait, sa figure reprenait cette expression calme et froide qui m’avait tant frappée; cependant il n’y avait point à s’y tromper, la distance était grande de cette tranquillité apparente à un bonheur réel. Vers le mois de juin, Henri et Max, ces deux jeunes gens dont je vous ai parlé, vinrent nous rejoindre. Je savais l’amitié qui les unissait à Horace, et ma mère et moi les reçûmes, elle comme des enfans, moi comme des frères. On les logea dans des chambres presque attenantes aux nôtres; le comte fit poser des sonnettes, avec un timbre particulier, qui allaient de chez lui chez eux, et de chez eux chez lui, et ordonna que l’on tînt constamment trois chevaux prêts au lieu d’un. Ma femme de chambre me dit en outre qu’elle avait appris des domestiques que ces messieurs avaient la même habitude que mon mari, et ne dormaient qu’avec une paire de pistolets au chevet de leur lit. Depuis l’arrivée de ses amis, Horace était livré presque entièrement à eux. Leurs amusemens étaient, au reste, les mêmes qu’à Paris: des courses à cheval et des assauts d’armes et de pistolet. Le mois de juillet s’écoula ainsi; puis, vers la moitié d’août, le comte m’annonça qu’il serait obligé de me quitter dans quelques jours pour deux ou trois mois. C’était la première séparation depuis notre mariage: aussi m’effrayai-je à ces paroles. Le comte essaya de me rassurer en me disant que ce voyage, que je croyais peut-être lointain, était au contraire dans une des provinces de la France les plus proches de Paris, c’est-à-dire en Normandie: il allait avec ses amis au château de Burcy. Chacun d’eux possédait une maison de campagne, l’un dans la Vendée, l’autre entre Toulon et Nice; celui qui avait été tué avait la sienne dans les Pyrénées, et le comte Horace en Normandie; de sorte que, chaque année, ils se recevaient successivement pendant la saison des chasses, et passaient trois mois les uns chez les autres. C’était au tour d’Horace, cette année, à recevoir ses amis. Je m’offris aussitôt à l’accompagner pour faire les honneurs de sa maison, mais le comte me répondit que le château n’était qu’un rendez-vous de chasse, mal tenu, mal meublé, bon pour des chasseurs habitués à vivre tant bien que mal, mais non pour une femme accoutumée à tout le confortable et à tout le luxe de la vie. Il donnerait, au reste, des ordres pendant son prochain séjour afin que toutes les réparations fussent faites, et pour que désormais, quand son année viendrait, je pusse l’accompagner et faire en noble châtelaine les honneurs de son manoir. Cet incident, tout simple et tout naturel qu’il parût à ma mère, m’inquiéta horriblement. Je ne lui avais jamais parlé des tristesses ni des terreurs d’Horace; mais, quelque explication qu’il eût tenté de m’en donner, elles m’avaient toujours paru si peu naturelles, que je leur supposais un autre motif qu’il ne voulait ou ne pouvait dire. Cependant il eût été si ridicule à moi de me tourmenter pour une absence de trois mois, et si étrange d’insister pour suivre Horace, que je renfermai mon inquiétude en moi-même et que je ne parlai plus de ce voyage. Le jour de la séparation arriva: c’était le 27 d’août. Ces messieurs voulaient être installés à Burcy pour l’ouverture des chasses, fixée au 1er septembre. Ils partaient en chaise de poste et se faisaient suivre de leurs chevaux, conduits en main par le Malais, qui devait les rejoindre au château. Au moment du départ, je ne pus m’empêcher de fondre en larmes; j’entraînai Horace dans une chambre et le priai une dernière fois de m’emmener avec lui: je lui dis mes craintes inconnues, je lui rappelai ces tristesses, ces terreurs incompréhensibles qui le saisissaient tout-à-coup. A ces mots, le sang lui monta au visage, et je le vis me donner pour la première fois un signe d’impatience. Au reste, il le réprima aussitôt, et, me parlant avec la plus grande douceur, il me promit, si le château était habitable, ce dont il doutait, de m’écrire d’aller le rejoindre. Je me repris à cette promesse et à cet espoir; de sorte que je le vis s’éloigner plus tranquillement que je ne l’espérais. Cependant les premiers jours de notre séparation furent affreux; et pourtant, je vous le répète, ce n’était point une douleur d’amour: c’était le pressentiment vague, mais continu, d’un grand malheur. Le surlendemain du départ d’Horace, je reçus de lui une lettre datée de Caen: il s’était arrêté pour dîner dans cette ville et avait voulu m’écrire, se rappelant dans quel état d’inquiétude il m’avait laissée. La lecture de cette lettre m’avait fait quelque bien, lorsque le dernier mot renouvela toutes ces craintes, d’autant plus cruelles qu’elles étaient réelles pour moi seule, et qu’à tout autre elles eussent paru chimériques: au lieu de me dire au revoir, le comte me disait adieu. L’esprit frappé s’attache aux plus petites choses: je faillis m’évanouir en lisant ce dernier mot. Je reçus une seconde lettre du comte, datée de Burcy; il avait trouvé le château, qu’il n’avait pas visité depuis trois ans, dans un délabrement affreux; à peine s’il y avait une chambre où le vent et la pluie ne pénétrassent point; il était en conséquence inutile que je songeasse pour cette année à aller le rejoindre; je ne sais pourquoi, mais je m’attendais à cette lettre, elle me fit donc moins d’effet que la première. Quelques jours après, nous lûmes dans notre journal la première nouvelle des assassinats et des vols qui effrayèrent la Normandie; une troisième lettre d’Horace nous en dit quelques mots à son tour; mais il ne paraissait pas attacher à ces bruits toute l’importance que leur donnaient les feuilles publiques. Je lui répondis pour le prier de revenir le plus tôt possible: ces bruits me paraissaient un commencement de réalisation pour mes pressentimens. Bientôt les nouvelles devinrent de plus en plus effrayantes; c’était moi qui, à mon tour, avais des tristesses subites et des rêves affreux; je n’osais plus écrire à Horace, ma dernière lettre était restée sans réponse. J’allai trouver madame de Lucienne, qui depuis le soir où je lui avais tout avoué, était devenue ma conseillère: je lui racontai mon effroi et mes pressentimens; elle me dit alors ce que m’avait dit vingt fois ma mère, que la crainte que je ne fusse mal servie au château avait seule empêché Horace de m’emmener; elle savait mieux que personne combien il m’aimait, elle à qui il s’était confié tout d’abord, et que si souvent depuis il avait remerciée du bonheur qu’il disait lui devoir. Cette certitude qu’Horace m’aimait me décida tout-à-fait; je résolus, si le prochain courrier ne m’annonçait pas son arrivée, de partir moi-même et d’aller le rejoindre. Je reçus une lettre: loin de parler de retour, Horace se disait forcé de rester encore six semaines ou deux mois loin de moi; sa lettre était pleine de protestations d’amour; il fallait ces vieux engagemens pris avec des amis pour l’empêcher de revenir, et la certitude que je serais affreusement dans ces ruines, pour qu’il ne me dît pas d’aller le retrouver; si j’avais pu hésiter encore, cette lettre m’aurait déterminée: je descendis près de ma mère, je lui dis que Horace m’autorisait à aller le rejoindre, et que je partirais le lendemain soir; elle voulait absolument venir avec moi, et j’eus toutes les peines du monde à lui faire comprendre que, s’il craignait pour moi, à plus forte raison craindrait-il pour elle. Je partis en poste, emmenant avec moi ma femme de chambre qui était de la Normandie; en arrivant à Saint-Laurent-du-Mont, elle me demanda la permission d’aller passer trois ou quatre jours chez ses parens qui demeuraient à Crèvecœur; je lui accordai sa demande sans songer que c’était surtout au moment où je descendrais dans un château habité par des hommes que j’aurais besoin de ses services; puis aussi je tenais à prouver à Horace qu’il avait eu tort de douter de mon stoïcisme. J’arrivai à Caen vers les sept heures du soir; le maître de poste, apprenant qu’une femme qui voyageait seule demandait des chevaux pour se rendre au château de Burcy, vint lui-même à la portière de ma voiture: là il insista tellement pour que je passasse la nuit dans la ville et que je ne continuasse ma route que le lendemain, que je cédai. D’ailleurs, j’arriverais au château à une heure où tout le monde serait endormi, et peut-être, grâce aux événemens au centre desquels il se trouvait, les portes en seraient-