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Candidature au concours d'entrée 2022 en Composition – 3ème cycle supérieur PSL-SACRe

Candidat : Didier Rotella

Projet de Recherche

Ecrire pour le piano aujourd'hui, la recherche d'une évidence

1 Introduction

Toute création implique de se poser la question de l'honnêteté. Être honnête avec celui qui va
recevoir l'œuvre, non pas dans la simplicité mais dans un rapport direct avec la pensée initiale de
l'auteur, donner à entendre (ou voir) une perception singulière, parfois intime, de notre temps. Être
honnête avec soi-même, aussi, surtout même, en s'émancipant constamment des modes, des carcans,
des schémas pré-établis qui sont immanents à toute industrie culturelle.

Pour trouver un tel rapport entre l'œuvre et son public, nous musiciens disposons d'un atout
considérable : l'interprète. Aujourd'hui plus que jamais, c'est lui (ou elle, ou eux) qui font le succès ou
l'échec d'une nouvelle proposition musicale, c'est son engagement et son énergie, qui seuls
permettent de traverser la barrière fantomatique de la scène pour emporter un auditoire ou non.

Pianiste de formation, mais compositeur depuis aussi longtemps que j'ai su lire une partition, il m'a
fallu du temps pour me rendre compte que cette honnêteté, cette synchronicité de l'écrit et du geste,
de la pensée et de la réalisation, je ne pouvais la réaliser que si, en premier lieu, je poursuivais jusqu'à
leur terme les recherches sur mon propre instrument et les proposais à entendre dans une relation
directe avec l'auditeur, avant de les traduire aux autres musiciens et d'adopter la même démarche aux
autres instruments.

Cette recherche aboutit à ce que j'appellerai : l'évidence musicale.

Si nous pensons au piano, instrument qui fait peur, avec raison, à beaucoup de jeunes compositeurs,
apparait immédiatement un cortège de références musicales si riche qu'il intimide souvent la pensée
créatrice, d'autant que l'instrument lui-même semble se prêter fort peu à la déformation de timbre ou
de hauteurs et à l'exploration de sonorités inédites. Pour reprendre le mot de Michäel Lévinas
préfaçant son Etude sur un piano espace en 1977 : « le piano et ses sons tempérés a-t-il sa place dans
l'évolution de la musique contemporaine qui semble s'orienter de plus en plus vers une certaine malléabilité de

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ce qu'on appelle la matière sonore ? ».

Ainsi le projet de recherche que je me propose d'effectuer dans le cadre du Doctorat SACRe
s'articulerait en quatre grandes étapes.

Tout d'abord, je tenterai d'approfondir la notion d'évidence en musique, et plus particulièrement


dans mon travail de compositeur, en quoi cet enjeu a été un moteur sous-jacent dans la plupart de
mes anciennes créations et dans quelle mesure il est désormais revendiqué explicitement.

Puis je me pencherai sur la posture de l'interprète-créateur et quelle est la part de cet engagement
dans l'évolution de mon langage et de l'écriture pour piano.

Ensuite nous dresserons l'évolution d'une symbolique du piano qui comprendra une réflexion
esthétique, la mise en perspective de différents axes de recherches au travers de quelques œuvres
ciblées, la notion d'évolution de timbre et de facture instrumentale pour aboutir à mes recherches
récentes autour du piano hybride.

Pour finir, nous nous poserons la question de ce que toutes ces recherches et développements
apportent ou non dans l'appréhension du piano traditionnel et en quoi elles renouvellent la pensée
créatrice lors du travail à la table. Nous essaierons aussi d'en tirer une façon de concevoir l'écriture
pour d'autres instruments, ou pour des œuvres orchestrales ou vocales, et jusqu'à des projets plus
ambitieux mêlants différents arts et médias, à l'aulne des changements de processus de composition
que toutes ces recherches nous aurons fournies. Il s'agira bien ici d'une réflexion pratique qui forme
pour moi le but essentiel de cette recherche doctorale : transposer et rendre « applicable », pour tout
projet artistique, une manière de faire et d'entendre différente, qui aille dans le sens de toujours plus
d'évidence et de sincérité dans le rapport créateur – auditeur.

2 La recherche de l'évidence dans mon style musical

2.1 Qu'est-ce que l'évidence ?

Selon la définition du dictionnaire Larousse, on entend par évident ce qui est immédiatement perçu
comme vrai. Pour ma part, ayant beaucoup travaillé sur les notions de geste musical, d'énergie
déployée sur scène par l'interprète et perçue par l'auditeur, cette notion d'évidence est d'autant plus
cruciale que je questionne désormais beaucoup dans mon travail l'engagement du créateur qui est
aussi partie prenante de la performance de sa création, et de la recherche d'un rapport sans filtre
entre le spectateur et l'auteur.

Cette notion est bien sûr aussi à prendre avec circonspection, tant est grande aujourd'hui la tentation
de l'associer à l'idée de simplicité (du langage…) de l'immédiateté (œuvre nécessitant peu ou pas
d'écoute « active » et dont la finalité est plus de plaire que de remettre en question les certitudes de
l'auditeur…) ou de mode.

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2.2 Dans mon travail de compositeur…

A l'inverse, je pense que cette volonté de rendre audible, visible, tangible, une sensibilité personnelle,
une manière de percevoir la contemporanéité de notre monde, je l'ai démontré ces dernières années
dans mes créations, où les titres eux-même ont évolués pour faire sens. En effet, la question du
« pourquoi écrire cette œuvre» est toujours tellement forte lors du point de départ d'une composition
qu'il me faut vraiment une réponse évidente pour que le projet puisse démarrer, sans quoi il ne me
semble pas sincère, donc pas nécessaire de s'y investir. Le titre de mes dernières œuvres est ainsi
particulièrement important, démontrant je pense une manière de voir le monde et de le donner à
entendre qui fait sens : « Mogari », « Ravages », Absence », « Errances », « Anamorphose-b » (qui construit
peu à peu, phonème après phonème, les derniers mots de Georges Floyd…)

Il s'agit, plus que d'une proposition purement musicale, d'un engagement d'artiste ; en cela il me
semble nécessaire d'aller au bout de ce processus en posant donc aussi la question des techniques
d'écritures, et des moyens d'expressions qui soient, eux aussi, le plus en rapport possible avec cet
engagement que je souhaite le plus total et sincère possible.

Cet engagement, il ne suffit pas non plus de le porter seul, il fait sens aussi lorsqu'une communauté
s'y investit. Depuis plusieurs années je m'intéresse beaucoup à tisser des liens avec des artistes
d'autres disciplines, notamment les arts visuels ou la littérature, artistes avec lesquels je collabore
pour donner corps à une idée engagée qui fait sens et résonne pleinement avec l'univers de chacun :
c'est le cas notamment de la poétesse Brigitte Athéa avec qui j'ai déjà réalisé plusieurs projets et avec
qui je travaille toujours étroitement, notamment pour le projet d'opéra La Dame Rouge où nous
joignons nos deux sensibilités, nos deux visions du monde, en une œuvre parfaitement cohérente
mêlant vidéo, musique, théâtre, qui nous représente pleinement.

D'autres projets ont pu voir le jour ces dernières années avec le cinéaste Dmitri Makhomet, la
performeuse de théâtre Nô Ryoko Aoki, et bien d'autres…

Ryoko Aoki, performeuse Nô, dans ma pièce Anamorphose-b, 2020

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Je compte ainsi profiter des trois années du programme doctoral de composition Sciences, Art,
Création, Recherche pour nouer des liens avec des artistes ou chercheurs d'autres disciplines et
envisager avec eux des œuvres ou des moyens d'expression artistique qui dépassent la simple
composition musicale dans ce sens de la double évidence du geste artistique et du rapport à
l'auditeur.

3 L'interprète – créateur

3.1 Posture ou engagement militant ?

Puisque nous avons parlé d'une recherche d'un lien direct entre l'œuvre et son auditoire, d'une
évidence du geste et de la pensée musicales, nous aborderons maintenant ce qui constitue le lien le
plus direct qui soit : le créateur qui défend son œuvre directement sur scène.

Si une telle posture ne pose aucun problèmes de nos jours dans le cas du créateur – chef d'orchestre
(c'est même souvent un atout), celle qui consiste à prendre la place d'un interprète instrumentiste
pour défendre sa musique s'avère parfois moins recevable.

Nous entamerons notre chapitre par un court rappel historique qui montrera l'évolution des
mentalités du XIXème siècle, ou il était commun d'être à la fois pianiste et compositeur, à
aujourd'hui, en passant par la disparition du « maître » de musique au profit du morcellement (du
cloisonnement?) des disciplines durant la seconde moitié du XXème siècle...

Alors, pourquoi défendre ses œuvres sur scène ? Les contraintes sont multiples, et pour pouvoir
également aller au fond d'une analyse de compositeur qui écoute l'ensemble depuis la salle et
l'interprète concentré sur sa partie il convient d'adapter les manières de travailler, ce qui implique un
dialogue constant avec les ensembles et les chefs d'orchestre sur l'organisation des répétitions et la
manière de faire le retour au musiciens. Personnellement, j'ai pris le parti d'enregistrer avec un
matériel professionnel toutes les répétitions et de les ré-écouter le soir venu pour faire un
commentaire synthétique à chaque début de nouvelle session. Il convient de faire la part des choses :
le compositeur ne doit pas influer sur le travail de l'interprète et vis-versa.

Bien plus qu'une posture, je chercherai à démontrer combien est importante, surtout aujourd'hui où
nous cherchons tous à vivre en harmonie avec notre environnement, dans un rapport ou priment la
simplicité et le respect de la nature ou de son prochain, la proposition d'un acte créateur engagé
depuis l'idée initiale jusqu'à sa réalisation finale, pour donner à entendre la vraie voix de son auteur.
Il me semble que l'auditeur pourrait également y trouver son compte, mis en présence d'un
engagement total de l'artiste, dans un rapport immédiat à son univers, dans une forme, là encore,
d'évidence.

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3.2 Interprète : une nécessité compositionelle

Personnellement j'ai constaté que mes plus grands questionnements sur le plan compositionnel ont
eu lieu dans des moments où j'avais également une intense activité d'interprète. Je ne mentionnerai
ici que deux exemples : le premier eu pour point de départ une période en 2013 – 2014 où j'ai refusé
plusieurs propositions d'écrire pour le piano car mon imaginaire me semblait pauvre au regard du
corpus inégalable de chefs d'œuvres qui existe tant actuel que passé. Puis j'ai eu la chance de
travailler avec le compositeur Frédéric Durieux son œuvre magistrale Marges IV que j'ai jouée lors
d'un récital en 2015. Après l'avoir rendue en public et enregistrée en studio, il me semblait intéressant
et motivant d'explorer à mon tour des domaines comme la gestion de l'énergie et la relation entre
forme ressentie et contraintes d'exécution ; deux sentiments, deux questionnements que je m'étais
posé en tant qu'interprète sur scène durant l'interprétation de cette œuvre, questions que le
compositeur en moi a ensuite, au calme, voulu explorer à son tour avec son propre langage. Là est à
mon sens l'intérêt de la scène : poser des questions non sur l'œuvre elle-même mais sur la manière
dont elle va modifier notre vision du monde qui nous entoure. Un interprète, comme un chef me
semble-t-il, se construit ainsi de la perméabilité des œuvres qui l'ont traversé.

Le second exemple que je mentionnerai est la rencontre avec le compositeur Michäel Levinas, dont
j'ai eu le grand honneur de donner ses œuvres pour piano seul lors d'un récital en décembre 2019 à
Paris. Cette rencontre a été une vraie révélation, tant sur le plan pianistique (avec tout un monde
nouveau qui s'ouvrait à mes doigts et mes oreilles, fait de subtilités, de phrasés inconnus) que de la
composition proprement dite, m'inspirant comme jamais pour ce qui est de la conception formelle, de
la recherche sonore. J'ai également eu la chance, à travers les quelques séances que nous avons
partagé pour préparer le concert, de travailler avec le compositeur à la construction d'une véritable «
re-création » de son œuvre Anaglyphe, comme si la pièce était donnée pour la première fois.

Ces rencontres, si inspirantes pour mon travail de compositeur, j'ai la chance de pouvoir les multiplier
plus que jamais étant désormais pianiste avec l'ensemble Regards et surtout au sein de l'ensemble
bordelais Proxima Centauri avec lesquels, outre mes propres compositions, j'ai pu récemment donner
de nombreuses créations d'Edith Canat de Chizy, Martin Matalon, Voro Garcia, Gonzalo Bustos,
Raphaele Biston, et bien d'autres…

Notons également que pour un compositeur, il est très formateur d'avoir des conseils d'exécution de
la part de ses collègues créateurs, car s'instaure un dialogue complètement différent et tout aussi
passionnant.

Cela est d'ailleurs vrai dans l'autre sens : pour ma pièce Catharsis donnée en 2018 au festival
Manifeste, j'ai fait appel à l'ensemble Links, et plus particulièrement à Laurent Durupt que je
connaissais depuis plusieurs années. Etant tous deux pianistes et compositeurs, le dialogue s'est
trouvé extrêmement facilité et des échanges ont eu lieu qui n'auraient pu exister sans cela,
aboutissant bien souvent à des réécritures et des modifications essentielles pour rendre plus audible
la pensée musicale initiale. Des idées et des émulations ont ainsi pu avoir lieu de part et d'autre qui
font la richesse de tels projets ont posé à l'époque les bases d'une collaboration et d'une amitié jamais
démentie depuis, émaillée de nombreux autres projets communs dont certains verront le jour
prochainement.

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C'est bien sûr un point que je compte développer durant ma recherche doctorale et la réalisation des
œuvres projetées : je ne tiens pas à tenir absolument la partie de piano de mes pièces (cela serait assez
prétentieux) mais plutôt à établir des connexions avec les interprètes un peu différentes de la simple
relation entre « penseur » et « exécutant » (je suis ici volontairement simpliste).

En cela, le projet des 6 Etudes en Blanc dont je parlerai plus loin en est la parfaite illustration, puisque
chacune de ces « Etudes » est -ou sera- écrite pour un ou une pianiste en particulier.

3.3 Quelques points pratiques...

D'autres pistes peuvent être évoquées pêle-mêle tirées de mes expériences en tant que pianiste et
compositeur au sein des ensembles Divertimento (2017), Regards (à partir de 2019) et Proxima
Centauri (à partir de 2020) :

- L'émulation entre musiciens crée une ambiance favorable de travail et de recherche, d'amélioration
constante et commune. La recherche ne se fait plus seulement d'exécutant subordonné au créateur
(ou inversement) mais d'égal à égal, entre deux ou plusieurs artisans... J'avais particulièrement
expérimenté cela en 2014 pour ma pièce de prix du CNSMDP « Instants Mêlés » où nous avions pu
entamer des partielles deux mois avant les répétitions prévues par le chef, ce qui avait grandement
rassuré la chanteuse, alors peu rompue à ce type de répertoire (et surtout à chanter sur des harmonies
en quart de tons...) pour un résultat que j'ai trouvé vraiment abouti à l'époque.

- Repousser les limites techniques : trop souvent un (jeune) compositeur est confronté à des
musiciens d'une grande expérience qui vont parfois remettre en cause son écriture, surtout si elle les
pousse à un investissement plus grand que prévu. Je travaille chacune de mes partitions au piano
comme si elles étaient du répertoire, et destinées à être en récital, ainsi, lorsque je me confronte aux
autres musiciens, ils ont à coeur en général de connaître leur partie comme moi la mienne, sans que
je n'ai besoin de rien dire en général !...

- L'intensité / l'énergie est une chose que je recherche autant dans mes compositions que dans mes
concerts de piano (mes programmes « classiques » sont souvent élaborés sur la gestion de la tension
d'une soirée, et toujours en rapport avec mon travail sur mes propres créations). Ce fut par exemple le
cas en 2018, lors d'un concert intitulé « Evocations » construit comme une histoire, avec une poétesse
faisant le lien entre les œuvres et où la soirée commença presque « timidement » avec une de mes
pièces les plus « tranquilles », mon « Etude pour un Jour de pluie » de 2013, où je tenais la partie de
piano dans l'ensemble, avant une seconde partie où j'étais soliste avec le 3ème concerto de Serguei
Rachmaninoff).

Là encore, le travail avec le chef est souvent presque intuitif lorsque je tiens la partie de piano, peu de
mots sont échangés pour un gain de temps et une synergie commune. Etant de plus en plus séduit
par une grande plasticité des tempi (encore une résurgence du 19ème siècle et son art du « rubato »)
le fait de me trouver sur scène permet en général une grande symbiose avec la direction concernant
les fluctuations métriques, rythmiques, les tensions et détentes. Cela est renforcé par le fait que je
connais en général ma partie par coeur, ce qui permet une grande proximité avec le chef.

-Dans le cas de pièces pour piano solo ou mixte, le compositeur-interprète dispose à la fois :

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- de grandes possibilités pour les rejouer (Strophe 1, pour piano et électronique, reste ma pièce la plus
rejouée à ce jour) ;

- de l'adéquation parfaite entre l'idée créatrice et l'exécution ;

- de possibilités infinies de corrections, d'améliorations : chaque interprétation de cette pièce est par
exemple l'occasion de retouches, parfois assez importantes comme lorsque je l'ai redonnée à deux
reprises à Madrid lors de ma résidence à la Casa de Velazquez (ci-après la vidéo effectuée lors d'un de
ces concerts) :

https://youtu.be/yGmLDzbko7E

et où j'ai revu en profondeur la spatialisation de la partie électronique pour l'intégrer parfaitement au


lieu assez extraordinaire de la Bibliothèque de la Casa.

3.4 Prendre le temps...

Un dernier point qui peut paraître anecdotique : je suis attaché au jeu de mémoire, y compris des
œuvres « en création ». Voici par exemple l'interprétation inspirée d'Andrew Zhou en décembre 2021 à
la salle Cortot (Paris) qui donnait en création mon Etude en blanc n°2 : Hommage à Ravel, jouée sans
partition :

Andrew Zhou interprète mon Etude en blanc n°2, Salle Cortot (Paris), décembre 2021

Cela influe profondément sur la manière d'écrire et de concevoir une œuvre pour piano. Pour être
légèrement simpliste, je dirais qu'aujourd'hui, il semble que l'on soit perpétuellement dans
l'urgence : il faut monter vite, en peu de répétitions, des œuvres que l'on préfère faciles et nécessitant
peu de travail en amont, parfois déchiffrées sur place lors de la première répétition. Défendre sur
scène mon travail est là encore un acte militant : je me refuse à cautionner cet état de fait. Dans le

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même temps, il peut s'agir parfois de contrer certaines « simplifications » de la part de pianistes dans
des ensembles, qui ont pu, dans certains cas auxquels j'ai été confronté depuis la salle, préférer «
improviser dans le style » plutôt que travailler un passage techniquement délicat. C'est un peu suite à
quelques expériences de cette nature que je me suis décidé à tenir les parties de piano des pièces
pour ensemble plus récentes telles que Instants Mêlés (2014), D'un Soleil Arachnide (2017), ou mon
Etude pour piano n°1 - Heart Mechanics donnée avec le soutien de l'ensemble Regards le 6 décembre
2019...

Ces expériences m'ont amené également à travailler plus particulièrement avec des collègues
pianistes, où un temps de dialogue plus long en amont des répétitions a parfois permis de dénouer
des tensions qu'auraient immanquablement généré une écriture parfois très exigeante : je
mentionnerais ici ma partition Prologue pour la Dame Rouge qui a été donnée en 2018 par l'ensemble
Orchestral Contemporain dirigé par Daniel Kawka, avec l'excellent Roland Meillier au piano, qui s'est
vraiment investi complètement dans le rôle (en même temps que jouer la partie de piano, il est aussi
le récitant principal que l'on entend dans l'enregistrement ci-après, tandis qu'un acteur mime en
silence l'action sur scène) :

https://soundcloud.com/user-723868715/prologue-de-la-dame-rouge

Roland Meillier au piano, chantant, parlant et jouant sous la direction de Daniel Kawka, EOC, dans le Prologue de la Dame Rouge (2018)

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4 L'évolution d'une symbolique pianistique

4.1 Une réflexion esthétique

Le piano avec son cortège de symboles hérités du romantisme a-t-il sa place dans les nouvelles
formes d'art actuelles, où la prédominance est donnée au mélange des genres, aux formes artistiques
inédites, aux créations intégrant les nouvelles technologies, aux œuvres participatives, interactives... ?

Une première partie de notre étude portera sur l'intégration et l'évolution conceptuelle de cet
instrument (au regard des nouvelles lutheries, des instruments MIDI ou amplifiés, de la redécouverte
d'instruments du passé (serpent, viole de gambe...) d'instruments extra-européens... dans la carte
globale de la création contemporaine.

Cette étude se complétera d'échanges et de réflexions avec les autres doctorants, avec des artistes de
différents disciplines, ou des chercheurs de sciences pures, échanges où nous essaierons de dégager
d'une part ce qu'évoque le piano dans l'imaginaire de chacun, avant de voir quelles nouvelles voies
peuvent être imaginées dans l'hypothèse d'œuvres de collaboration, avec vidéo, mise en scène du son
de l'instrument dans un espace scénique, transformation et mixité acoustique avec d'autres
médiums... Je laisse ici délibérément ouvert le champ des recherches qui devra nécessairement se
nourrir de rencontres entre artistes et structures durant le temps du doctorat, et pourra déboucher, je
le souhaite, sur des projets inédits.

4.2 Des hauteurs...

J.-S. Bach avec son Clavier Bien Tempéré nous l'avait présenté ainsi : un instrument capable d'être le
garant d'un tempérament égal, une référence absolue qui harmoniserait les différences de
tempéraments qui avaient cours depuis la renaissance. Deux siècles et demi après, cette question de
modes non tempérés est toujours d'actualité, que ce soit dans l'œuvre de compositeurs tels que Ivan
Wyschnegradsky, Alain Bancquart, et bien sûr Alain Louvier qui trace clairement un parallèle entre
les deux époques, que ce soit dans des pièces pour un pianiste seul comme « Anneaux de Lumière » de
1983 pour deux pianos décalés d'un quart de ton, ou « Canto di Natale » de 1976, utilisant le même
dispositif mais intégré dans un ensemble.

L'emprunt à mon ancien maître Alain Louvier du titre de sa conférence de 2008 « Ecrire pour le
piano aujourd'hui » s'inscrit dans cette même démarche d'évidence, tant fut important le tribut que
doivent mes premières recherches. Sans attendre même une organisation des hauteurs aussi
théorisée, Olivier Messiaen nous donnait dès 1963 un aperçu de ce que peut être un environnement
légèrement dé-tempéré intégrant le piano (non modifié) dans ses « Couleurs de la Cité Céleste » pour
piano, ensemble à vent et percussion, en jouant notamment sur le rapprochement des cloches et
métallophones avec les accords basés sur les douze sons de son système harmonique.

Dans un autre registre, son contemporain Maurice Ohana proposait en 1974 avec « T'Haran- Ngo »
pour grand orchestre une division en tiers de tons, dévolus surtout aux cordes (là encore pas d'accord
spécifique du piano). Nous aurons l'occasion durant ces trois années de recherche doctorale d'établir

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un recensement plus approfondi des recherches et de leur « conséquences » sur l'écriture des
compositeurs plus jeunes...

En 2009, alors très influencé par Chronochromie de Messiaen, j'ai commencé à m'intéresser à
l'organisation d'un discours « par blocs » dans lequel le piano jouerait un rôle différent des autres
musiciens : celui d'un perturbateur, d'un électron libre qui déterminerait les changements de «
couleurs » musicales et/ou harmoniques : ce fut « Polychromies 1 » que j'ai écrit entre 2009 et 2012,
pour flûte, clarinette, violon, alto, violoncelle et piano. Le discours harmonique était encore
principalement basé sur les douze sons, en tout cas au début du projet car la pièce dure 40 minutes et
comporte 5 mouvements enchaînés. Ce travail m'a servi de laboratoire musical, dont l'un des
domaines fut l'évolution de la pensée harmonique, d'abord en intégrant des micro-tons dans les
lignes mélodiques, comme une façon subtile de recréer des « fausses résonances » en jouant avec la
pédale du piano et des tenues ou des glissandi aux cordes, puis des tenues en quart de tons aux vents

extrait de la partie de cordes, mesure 50 du premier mouvement de « Polychromies 1 »

Peu à peu, au cours des mouvements, a pris corps une « complexification » des champs harmoniques,
sans aller toutefois jusqu'à une théorisation absolue comme mes pièces plus récentes peuvent le
montrer. Il s'agissait plutôt à l'époque de « faire sonner différemment » le piano lui- même, juste par
sa confrontation avec l'environnement dé-tempéré confié aux cinq autres instruments, ainsi que l'on
peut le voir dans le quatrième mouvement « Distorsions 2 » :

extrait du début (mesure 5) du 4ème mouvement de « Polychromies 1 »

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C'est ainsi que mes pièces plus actuelles se sont progressivement basées sur des systèmes de plus en
plus précis et établis en amont : modes en quart de tons « à transposition limitée », champs
harmoniques distendus, que ce soit juste par l'oreille, ou par des « calculs » réalisés au crayon ou par
assistance informatique (notamment avec le logiciel de l'Ircam OpenMusic).

Ces recherches personnelles m'ont parfois conduit à m'interroger sur la proximité que « l'évolution »
d'une pensée créatrice pouvait faire naître entre des systèmes de composition aussi éloignés (semble-
t-il) que le sérialisme boulézien et le spectralisme de Gérard Grisey ou de Tristan Murail.

Ainsi, si ma recherche personnelle est partie à l'origine d'une organisation plus ou moins influencée
du dodécaphonisme (pour ce qui est des hauteurs), avec des séries peu à peu dénaturées par les
micro-intervalles, des modes, des échelles étendues sans prédominance ni redondance, etc. comme
nous pouvons en avoir un aperçu avec quelques-uns des modes employés ou correspondances
hauteurs-lettres dans « Instants Mêlés » à la page suivante :

correspondances lettres-hauteurs et modes employés dans « Instants Mêlés » (2014)

il est parfois apparu à l'écoute une proximité avec certaines œuvres de l'école spectrale, par exemple
dans le passage central de ma pièce « Instants Mêlés » de 2014 (le second « moment » : « Jour de Pluie »).
Comme cette pièce ne figure pas dans le dossier des partitions envoyées je me permets d'en insérer
ici le lien audio :

https://soundcloud.com/didier-rotella/instants-meles

(plus particulièrement à 3'20'', début de l'épisode « Jour de Pluie »)

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Le développement progressif de ces « systèmes » et l'écoute plus fine qu'ils m'ouvraient m'a légitimement conduit
à travailler dans le domaine de la musique avec électronique, et sans faire ici l'historique de l'évolution de ma
conception des œuvres mixtes pour piano, je ne mentionnerai que 'Catharsis' (2018).

En effet, le point de départ de cette œuvre reprend l'aboutissement provisoire de ces recherches
harmoniques en projetant dès l'incipit ou presque l'auditeur dans un univers bien défini et non plus
seulement dé-tempéré, mais proprement basé sur 24 hauteurs égales.

Des claviers midi de 88 touches sont donc couplés aux claviers « physiques » des pianos, leur injectant
initialement des sons identiques à ceux des « vrais » instruments mais décalés d'un quart de ton. Il
s'agit ni plus ni moins de la « prolongation » des recherches des compositeurs évoqués plus haut, mais
en permettant une vélocité et un jeu pianistique presque « normal ».

Bien sûr, cela permet aussi (et surtout !...) de modifier peu à peu jusqu'à la nature physique de
l'instrument, je parle bien sûr du timbre, de la réponse acoustique, voire du comportement «
énergétique » de l'instrument, puisque, par le truchement d'excitateurs placés sous le piano, la table
d'harmonie devient le médium de diffusion sonore, d'où le nom de pianos « augmentés ».

4.3 Du timbre...

Quand on parle de changement de timbre au piano acoustique, deux options s'offrent spontanément
au crayon du compositeur : les modes de jeux ne faisant pas appel à la mécanique, et plus précisément
à la mise en résonance des cordes, et le piano « préparé ». Là encore, nous partirons dans notre étude
finale des recherches menées avant nous par des musiciens plus aguerris. Pour l'instant nous nous
bornerons à mentionner rapidement quelques pistes, quelques noms au besoin, juste dans l'optique
de poser les questions que chaque parti pris peut engendrer.

Dans le premier cas, citons Helmut Lachenmann et sa Serynade pour piano seul de 1998 ou le travail
de Francesco Filidei qui avec sa Toccata de 1996 pour piano seul, puis ensuite avec sa Partita de 2006,
cette fois pour piano et ensemble, n'utilise pas de préparation mais uniquement des modes de jeux
qui éliminent toute frappe du marteau sur la corde n'usant que des bruits de doigts, de pédales, des
mouvements de bras, d'ongles, etc. Le tout dans une partition particulièrement graphique :

Francesco Filidei, « Partita » (2006) extrait n°1 de la partie de piano

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Francesco Filidei, « Partita » (2006) extrait n°2 de la partie de piano

La texture résultante de ces modes de jeux et du mixage avec ceux des autres instruments est
toutefois très bien pensée et très équilibrée, ce qui peut parfois être périlleux dans ce genre d'écriture.

Mentionnons également le travail de Gérard Pesson qui utilise également l'amplification pour rendre
audible en concert cette exploration de timbre, notamment dans des œuvres telles que « Dispositions
Furtives » pour 2 pianos amplifiés (2001) ou « La lumière n'a pas de bras pour nous porter » (1995).

En parallèle, nous avons le vaste domaine des œuvres pour piano préparé, et là encore nous
distinguerons deux catégories : nous parlerons pour la première de préparations « définitives », non
qu'elles abîment le piano à jamais (encore que cela peut arriver) mais plutôt qu'elle valent pour toute
une pièce. Dans ce cas le compositeur invente à l'avance un nouvel instrument avec lequel il
élaborera son matériau musical. Comme il y a pléthore d'œuvres et de compositeurs ayant traité le
sujet, nous laisserons pour l'instant de côté leur recensement, travail que nous comptons faire durant
ces trois années.

La seconde catégorie, celle qui m'intéresse le plus, est celle que j'appellerai les préparations «
éphémères ». Celles-ci valent uniquement pour un passage plus ou moins court d'une œuvre, et sont
destinées à être mises, modifiées, ou retirées durant l'exécution. Dans ce cas précis, le compositeur n'a
plus seulement un instrument pré-déterminé à l'avance, mais bien un piano en constante évolution,
une infinité de timbres s'offrant à lui, allant des hauteurs les plus reconnaissables aux bruits les plus
éloignés du son de piano originel. Et surtout il peut jouer avec ces modulations de timbres pour
donner une direction, un sens à sa forme. La notion de timbre se trouve ainsi très fortement liée à la
structure, à la mémoire. Je tiens peut-être de mon admiration pour Henri Dutilleux le goût des
œuvres en constante évolution, en perpétuel renouvellement...

Je citerai ici de ma propre recherche dans ce domaine, depuis surtout « Instant Mêlés » en 2014 jusqu'à
« D'Un Soleil Arachnide » en 2017, deux œuvres pour la création desquelles je tenais la partie de piano
dans l'ensemble, ce qui m'a permit d'affiner davantage mon écriture pour clavier et de gérer bien
mieux les préparations possibles durant le jeu.

4.4 Electronique, entre mixité et hybridation

Depuis la découverte de « Jeux » de Denis Cohen ou « Kontakte » de Karlheinz Stockhausen, les


possibilités de transformation de sons du piano, et même de la prolongation des gestes pianistiques et
acoustiques par l'électronique me fascinaient. Durant mes études au CNSMDP dans la classe de

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Frédéric Durieux, j'ai pu me confronter à ces enjeux en écrivant de 2010 à 2012 Strophe 1 pour
piano et électronique (principalement des sons fixés). Si la facture était classique (piano - « bande » -
haut-parleurs en 5.1) l'idée était déjà de renverser les données habituelles de l'électronique imposant
son tempo au musicien. Là tout devait être induit par le jeu du pianiste, depuis le rythme, jusqu'à la
« réponse énergétique » des sons électroniques.

Ces sons ont tous été « construits » à partir de séquences pré-enregistrées de l'instrument du concert,
mais les traitements électroniques que j'ai appliqués en « cascade » de plus en plus déformante ont
permis de basculer dans un univers sonore complètement différent, le jeu de l'instrument acoustique
devenant presque l'élément « étranger ».

extrait de « Strophe 1 » pour piano et électronique

Ce premier contact a été suivi en 2015 d'une résidence au studio Eole où j'ai pu continuer à travailler
sur la distorsion du même matériau, en vue d'une autre pièce pour piano et électronique en temps
réel qui n'a pas vu le jour, du moins pas dans sa forme initialement prévue.

Ce n'est qu'en 2017 que l'opportunité m'a été donnée de prolonger ces recherches avec le projet
Catharsis déjà plusieurs fois évoqué durant cet exposé. En effet, à la suite d'œuvres telles que Related
Rocks de Magnus Lindberg, M de Philippe Leroux ou Rhizomes de Michael Jarell, j'ai ré- investi le
dispositif à deux pianos avec claviers midi mais dans une optique un peu différente pour l'appliquer à
mon discours.

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4.5 Le « Méta-Piano » : Catharsis (2018) et Mogari (2021-22)

Quelques vues du piano hybride de Catharsis (2018) et Mogari (2021-22)

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4.5.1 Catharsis (2017-2018)

Dans ce travail, l'idée de déformation ne se porte plus seulement sur le son, mais aussi sur la
perception de l'espace. C'est pourquoi il nous a semblé évident d'inclure dans le concert la très belle
œuvre de Michäel Lévinas dont j'ai parlé au début : Etude sur un piano-espace, qui fut le prologue à ses
deux Concertos pour un piano-espace.

L’idée fondamentale de ce projet est le retour à une grammaire de l’écriture claviers – percussions –
électronique basée avant tout sur le geste, l’énergie et la figure –avec un travail des hauteurs
revendiqué. A ceci s’ajoute un travail sur l’échantillonnage de sons allant du bruit sans hauteur
(samples de piano préparés et de percussions sans hauteurs plus ou moins traités en studio, autres
sources possibles...) aux hauteurs seules sans transitoires (ou autres «sons purs» électroniques), en
passant par les sons réels des instruments samplés en quarts de tons. Pour en revenir à ce que m'a
permis l'électronique dans Catharsis, nous dirons que cela m'a ouvert une multitude de pistes que je
souhaite à présent développer, investir dans d'autres œuvres et conceptualiser sur un plan plus
théorique comme le permettrait un doctorat de composition.

Outre le travail sur la matière et le geste, évoquons brièvement quelques autres de ces pistes.

J'ai cherché à jouer sur l'espace, tout en gardant une disposition frontale des instrumentistes, mais en
jouant d'une part sur la spatialisation sur scène, et d'autre part, grâce au renfort de haut- parleurs
disposés dans la salle, sur trois « espaces » différenciés : la scène, la façade, et la salle.

Cet espace est bien sûr un prolongement des « espaces acoustiques augmentés » des pianos (et des
timbales et grosses caisses, elles aussi équipées de transducteurs et de capteurs). Outre les samples
évoqués plus haut, les tables d'harmonies des pianos sont également les diffuseurs de multiples
matériaux provenant de sources différentes : des traitements en temps réel des percussions, des « ré-
injections croisées » d'un piano vers l'autre (l'effet d'espace est ainsi rehaussé par le fait que les deux
instruments sont placés aux deux extrémités de la scène, encadrant les deux sets de percussion) ou
simplement des fichiers-sons déclenchés durant l'exécution et qui font des pianos des méta-
instruments.

La transformation acoustique de l'instrument passe aussi, dans « Catharsis », par la captation du geste,
de l'énergie de l'interprète comme déterminant la production sonore elle-même. Pour ce faire, j'ai
utilisé des sons de synthèse (réalisée notamment avec le logiciel Modalys -synthèse sonore par modèle
physique- développé à l'Ircam) qui permettent de rendre «résonants» les membraphones. L'idée
initiale était que la production, la genèse de ses textures métalliques (en général des grandes plaques
fictives de taille et matériaux modulables dans le temps) soit déterminée elle même par le jeu des
musiciens, en fonction de l'intensité de la frappe, de la durée, des nuances, des changements de
hauteurs dans le cas de la timbale, etc.

4.5.2 Mogari (2019-2021, seconde version 2022)

Jouer sur l'espace, mais cette fois en rendant la diffusion uniquement « instrumentale » et en se
passant de haut-parleurs fut ensuite l'enjeu de Mogari, commande de Radio France pour l'émission
Création Mondiale (2021) et reprise dans une nouvelle version au festival Présences 2022.

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Sans entrer dans l'argument poétique de l'œuvre, qui justifiait pleinement l'emploi d'instruments
hybrides pouvant être dénaturés en temps réel sur scène pour créer un espace acoustique là encore
inédit et pour ainsi dire trans-culturel, disons que j'ai ici repris le piano élaboré en 2018 pour
Catharsis mais cette fois la diffusion de la partie électronique fut intégralement confiée à la table
d'harmonie au moyen des vibreurs évoqués plus haut, du moins pour les sons de la partie piano. Pour
intégrer davantage l'instrument hybride dans l'espace acoustique général, et jouer sur un effet
« musique de chambre hybride », les autres instruments ont quant à eux une diffusion proche du
corps, pour les flûte et saxophone ce fut des haut-parleurs cachés juste derrière les instrumentistes, au
niveau de l'émission réelle des instruments (pour des effets ponctuels reprenant en temps réel leur
jeu) et pour la percussion une diffusion dans les membranes via de nouveaux capteurs et excitateurs.

4.6 Concerto pour piano n°1 - Ravages (2021)

Avec Ravages, mon concerto pour piano (acoustique) ensemble et électronique, j'ai l'an dernier
poursuivi ces recherches en dissociant le clavier MIDI du piano acoustique mais en adaptant pour
deux musiciens des systèmes que j'avais développés pour un seul. De fait, le second pianiste jouant
sur le clavier rejoint peu à peu le soliste pour créer une texture fusionnée dans le troisième
mouvement.

Toujours concerné par la notion d'énergie et de geste instrumental, la partie soliste doit ici générer
plus que jamais sa propre réponse par l'électronique, toujours en lien avec l'argument (ici le point de
départ était le livre de René Barjavel de 1944 « Ravage » et entre parfaitement en résonance avec le
quotidien de notre humanité en plein questionnement sur son impact et sa place dans son
environnement naturel). Une piste de recherche pour les projets futurs serait de réinvestir l'idée de
génération sonore en temps réel que je n'ai pu aboutir complètement dans Catharsis, notamment en
précisant davantage les paramètres de programmation durant la phase de recherches préliminaires.

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4.7 Projets pour piano à réaliser pendant le doctorat SACRe

4.7.1 Je souhaite bien sûr continuer de chercher dans le sens des possibilités offertes par
l'hybridation sonore dans des œuvres qui soient composées pour mon système de « Méta-piano » et le
développent, le rendent pérenne et encore plus exportable. Un de mes souhaits serait par exemple de
pouvoir travailler avec des luthiers ou des techniciens, des chercheurs en acoustique, pour affiner
davantage le dispositif, et pourquoi pas développer un instrument à part entière. Rendre accessible
par la-même le langage musical induit par une telle facture, pour les pianistes mais aussi pour les
auditeurs.

Tout d'abord, j'ai en projet un second concerto, cette fois pour ce dispositif et grand orchestre, avec
pour soliste le pianiste Wilhem Latchoumia.

Puis j'ai aussi le projet des Etudes en Blanc, déjà commencé (deux sont écrites, la troisième est en
cours) dont trois au moins seront dédiées au Méta-piano.

4.7.2 Les 6 Etudes en Blanc forment un corpus très important dans ma production musicale, à
plusieurs points de vue, marquant un tournant et en même temps un engagement fort.

Le projet global est simple : écrire chaque pièce, pensée non comme une étude technique mais bien
un poème symphonique pour piano de grande ampleur à la manière des grandes études de concert
de Liszt, pour un pianiste particulier, en tenant compte de ses choix de répertoire, son interprétation,
son univers musical personnel et travailler de concert avec lui ou elle la partition. L’idée est au final
de produire un concert avec les 6 pianistes différents, se relayant sur scène, trois sur un piano
« classique », trois sur le piano hybride.

Le second engagement de ce corpus est d’ordre plus politique. Là encore, me rappelant la manière du
XIXème siècle où le piano servait, dans les salons, à la diffusion des opéras ou des symphonies (là
encore, citons Franz Liszt et ses nombreuses transcriptions, ses paraphrases, et autres…), je me suis
imaginé pouvoir ainsi contrer un phénomène hélas trop présent actuellement et avec lequel nombre
de compositeurs d’aujourd’hui ont à transiger : celui de l’immédiateté de la création, de la nouveauté
à tout prix dont nous avons parlé au premier chapitre. Mon cycle "Etudes en blanc" est tout l’inverse :
chaque étude reprend, développe, ou est écrite en lien avec une oeuvre pour orchestre, ensemble, ou
d’instrumentation différente, de mon catalogue. Parfois, comme c’est le cas pour « Elégie » (n°2), elle
précède l'œuvre orchestrale. Quoi qu’il en soit, l’idée est de revenir à une manière simple de diffuser
la musique, de faire vivre et voyager une idée musicale sans le support technologique moderne,
comme un retour aux sources.

Enfin, le titre « Etudes en Blanc » vient de ce que chaque pièce comporte un ou plusieurs paramètres
(musical, littéraire ou philosophique) laissé à la complète liberté de l’interprète. Alors que la première,
"Heart Mechanics", laissait une totale création des dynamiques au pianiste, dans une pédale infinie, il
s’agit dans la seconde de la gestion du temps musical en lien avec l’acoustique de l’instrument. Il
s’agit également de la manière dont l’interprète joue avec la mémoire de l’auditeur en montrant ou
cachant certaines choses, en faisant entendre le silence toujours différemment (un silence toujours
peuplé de résonances, de partiels à moitié étouffés, de « fantômes musicaux »).

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4.7.3 Nous le voyons avec ce projet, je souhaite transposer mes recherches sonores réalisées avec
l'hybridation acoustique dans le domaine purement instrumental ou dans des dispositifs mixtes
traditionnels. Je vous parlerai donc ici d'une commande que je souhaite intégrer fortement dans mes
années de recherche doctorale SACRe : le projet Pantomimes : un cycle de trois pièces (pour l'instant)
commandées pour un projet franco-coréen dont la première pièce sera donnée en début de saison
2022-2023. Il s'agit ici de trois œuvres pour piano à quatre mains et dispositif électronique simple, là
encore chaque pièce, chaque « masque » sera composée pour un duo de pianistes différents. L'œuvre,
pensée pour le concert mais avec une dimension pédagogique (elle est une co-comande d'un
concours, le niveau ira de la fin du cycle II au perfectionnement d'un cursus supérieur) sera éditée
chez Lemoine.

5 Le piano et au-delà

5.1 Transposition avec électronique...

Je ne souhaite bien sûr pas cantonner ma réflexion sur le seul domaine de l'écriture pour piano, mais
bien investir ces recherches, ces manières de travailler la matière sonore, ces modalités d'échanges
avec les musiciens et les autres artistes développées dans les œuvres citées plus haut en les
transposant pour d'autres instruments, d'autres formes de création sonore.

Par exemple, j'ai avec les percussionnistes Benoît Poly (Court-Circuit, Proxima Centauri...) et Yannick
Michel plusieurs projets pour timbales. Pour le premier, dont la réflexion est déjà entamée, il s'agira
de ré-investir l'hybridation sonore dans un set de 5 timbales : l'une servira uniquement de caisse de
résonance pour les sons électroniques qui seront modulés et déclenchés par les 4 autres timbales,
munies quant à elles de légers capteurs piezzo.

Le second reprend là aussi la forme du concerto pour timbales, dans une œuvre purement
instrumentale mais transposant les injections électroniques de la pièce solo au grand ensemble. Les
deux œuvres, comme pour les Etudes en blanc, seront composées de manière symbiotique.

5.2 Transposition instrumentale…

La finalité de ma recherche sera donc de revenir à une écriture purement instrumentale, dans des
œuvres sans piano, mais qui soient tributaires des recherches évoquées plus haut. Nous parlons ici de
ré-investir la notion d'hybridation acoustique en se passant de tout moyen technologique ou
électronique, adaptée pour d'autres instruments, mais la finalité est bien sûr développer cette
recherche de l'évidence gestuelle et musicale dans la conception même du projet, au service de
l'argument.

Trois grand projets sont ici prévus, tous déjà entamés mais loin d'être achevés :

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- Mon cycle Polychromies III, pour grand orchestre, dont seule la première partie ( Emergence, 2017) est
écrite ;

- Un quatuor à cordes, Fragrances, dont le premier mouvement fut donné en 2015 puis revu en 2016
(quatuors Diotima et Tana), et dont deux mouvements sont encore à finir.

- Mon second opéra de chambre La Dame Rouge, sur un livret de Brigitte Athéa, dont le prologue fut
donné à Rome, Paris et Madrid en 2018 par l'Ensemble Orchestral Contemporain sous la direction de
Daniel Kawka. Œuvre mixte intégrant mime, théâtre, vidéo, instruments, chant et électronique, et
nécessitant la participation d'artistes de domaines particulièrement variés.

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