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Pôle d’Enseignement Supérieur de la Musique

Seine-Saint-Denis – Île-de-France, dit « Pôle Sup'93 »

Louis SIRACUSA

L'improvisation comme outil pédagogique favorisant la pratique


interprétative et l'expressivité en interprétation

Mémoire

Diplôme d’État de professeur de musique

présenté sous la direction de

Jérémie Decottignies

05 2017
ENGAGEMENT RELATIF AU PLAGIAT

Je soussigné(e),

Siracusa, Louis,

certifie qu’il s’agit d’un travail original et que toutes les sources utilisées ont été indiquées
dans leur totalité. Je certifie, de surcroît, que je n’ai ni recopié ni utilisé des idées ou des
formulations tirées d’un ouvrage, article ou mémoire, en version imprimée ou électronique, sans
mentionner précisément leur origine et que les citations intégrales sont signalées entre
guillemets.

Signature :

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 2/57


RÉSUMÉ

L'improvisation comme outil pédagogique favorisant la pratique


interprétative et l'expressivité en interprétation

par SIRACUSA Louis

Ce mémoire cherche à mettre en lumière les liens entre l'improvisation et l'interprétation, dans
l'optique de créer un outil pédagogique utile à l'apprentissage initial d'un instrument de musique
en conservatoire. Seront analysés les liens entre la créativité interprétative et l'expressivité de
l'improvisation, les enjeux pédagogiques de l'improvisation, ainsi que des cas particuliers ou
l'improvisation a été utilisée pour favoriser une compréhension esthétique ou technique, c’est-à-
dire favoriser et faciliter l'expressivité en interprétation.

Mots-clés :

Improvisation, créativité, interprétation, expressivité, outil pédagogique


REMERCIEMENTS

Je remercie mon directeur de mémoire, Jérémie Decottignies, pour ses conseils avisés,

Je remercie également tous mes professeurs d'improvisation, et tous les improvisateurs qui
m'ont accompagné le temps d'une masterclasse.

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Table des matières
Introduction......................................................................................................................................6
I. L'improvisateur, l'interprète et l'œuvre......................................................................................... 8
I.A La créativité et l'expressivité en interprétation et dans l'improvisation................................8
I.A.A. L'autorité, la créativité de l'improvisateur et l'interprétation expressive.....................8
I.A.B. John Cage, l’indétermination et l'espace créatif laissé à l'interprète...........................9
I.A.C. Visions historicistes et expressionnistes.................................................................... 10
I.A.D. Expressionnisme, référentialisme et formalisme, l'expressivité à l'épreuve de
l'esthétique............................................................................................................................ 12
I.A.E. Expressivité, créativité du musicien et temporalités..................................................16
I.B. L'histoire.............................................................................................................................18
I.B.A. Du baroque au romantique....................................................................................... 18
I.B.B L'improvisation non-idiomatique et le soundpainting................................................ 19
II.Utilisation de l'improvisation en pédagogie...............................................................................20
II.A. Les enjeux pédagogiques de l'improvisation.................................................................... 20
II.A.A L'écoute .................................................................................................................... 21
II.A.B. La créativité..............................................................................................................23
II.A.C. La réactivité..............................................................................................................23
II.A.D L'anticipation.............................................................................................................25
II.A.E. La présence scénique et le rapport au corps............................................................. 25
II.A.E La construction d'un discours.................................................................................... 26
II.A.F. La confiance en soi................................................................................................... 27
II.B. Exemples pratiques........................................................................................................... 28
II.B.A. Les problématiques générales.................................................................................. 28
II.B.A.a. le son, le timbre et le poids............................................................................... 29
L'exercice :.................................................................................................................. 29
II.B.A.b. Le rythme et la conscience rythmique..............................................................30
L'exercice.................................................................................................................... 31
II.B.A.c. Analyse des cas proposés..................................................................................31
II.B.B. Les objectifs musicaux............................................................................................. 32
II.B.B.a. Les musiciens de Brême : L'analogie pour construire une improvisation........32
II.B.B.b. Les musiciens de Brême : déroulé et analyse................................................... 34
Conclusion..................................................................................................................................... 37
Annexe........................................................................................................................................... 39
Bibliographie................................................................................................................................. 54
Introduction
Le premier acte musical est la vibration sonore. Comme les astrophysiciens procédant à
l'étude harmonique des premiers instants observables de l'univers pour en déceler les potentielles
évolutions passées, le fond diffus cosmologique, un simple son proposé ouvre la possibilité de
l'étude d'un champ de possibilités, d'une potentialité musicale. Et là, un deuxième son apparaît.
La dualité crée une tension, un contraste, ou encore une harmonie. Une nouvelle échelle
temporelle s’est créée de l’intervalle entre ces deux sons À l'instar de la vision platonicienne de
la musique, nous pourrions nous arrêter là. « il faut se garder de changer pour passer à une
nouvelle forme de musique, comme on se garde de ce qui mettrait en péril l’ensemble. En effet,
les modes de la musique ne sont nulle part ébranlés sans que le soient aussi les plus grandes lois
politiques »1 La simplicité et la répétition inébranlable rend compte de la meilleure des façons de
l'harmonie du monde des idées et des lois, l'harmonie céleste. « la multiplicité engendre ici le
dérèglement, et là la maladie ; tandis que la simplicité en musique engendre dans les âmes la
modération »2.

Mais nous, les musiciens, allons plus loin, pour observer toutes ces possibilités, jouer de la
régularité, de l'harmonie, des tensions, confronter les mondes et les lois à travers un agencement
de vibrations. Malheureusement, la beauté est fugace, elle s'évanouit avec le temps. Il faudrait
donc réduire cet acte en informations pour que tous puissent les découvrir également, créer pour
l'autre, dans l’éternité. Une partition transmet suffisamment d'informations pour permettre à
quiconque de recréer cet instant, me dira-t-on. Mais l'autre, comprendra-t-il le message, aura-t-il
compris le propos même de cette œuvre ? N'aurait-il pas besoin lui-même de vivre cette création
pour en comprendre réellement le sens ?

Il y a dans cette question une problématique d'incarnation de l'œuvre par l'interprète. Incarner,
c’est-à-dire trouver un rapport entre l'œuvre et soi dans l'interprétation.

L'interprète face au compositeur possède un rôle très mouvant, en fonction des époques et des
modes d'interprétation. Mais quel que soit son rôle attribué, il n'en reste pas moins qu'il est le
garant de l'incarnation de l'œuvre, de sa transformation en phénomène physique que l'on peut
entendre. Il peut être réduit à un état de machine, exécutant parfaitement les informations
présentes sur la partition, mais, derrière ce corps réalisant, on décèle des indices d'une créativité.

Si on considère l'éducation créative, qui est le courant de science de l'éducation défendant


l'enseignement de la créativité, on remarque que leurs études à grande échelle se retrouvent
1. PLATON, La République , Livre IV, Traduction Émile Chambry
2 Ibid. Livre III

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parfois contrariées par le manque de formation quant à cet enseignement de la créativité 3 des
professeurs de musique. Enseigner dans le but de développer la créativité des élèves s'apprend.
C'est pourquoi j'essaye de me créer des outils pédagogiques adaptés afin d’enseigner la créativité
et l’expressivité, et apprendre à l'enseigner, sur la base de mes lectures et expériences. Mon
expérience la plus flagrante par son intensité et sa potentialité créative et expressive étant
l'improvisation, je vais essayer à travers ce mémoire de créer un pont entre les pratiques, associer
la créativité interprétative avec la créativité de l'improvisateur, pour amener l’apprenant à
expérimenter la création, pour mieux comprendre l'interprétation. Les enseignements dans
l'apprentissage initial de la musique dans les conservatoires de France sont principalement
centrés autour de l'interprétation. Enseigner l'improvisation et enseigner par l'improvisation
nécessite donc de penser les liens entre interprétation et improvisation chez l'instrumentiste.
Nous allons étudier ces liens en prenant comme axe dominant l'expressivité et la créativité, et
nous essayerons par là même d’en révéler le parallélisme. Cela implique une question principale,
est-ce que la créativité et l'expressivité personnelle propre à l'improvisation ont une place dans le
travail interprétatif ? Est-ce que l'expressivité et la créativité en improvisation sont assimilables à
celle de l'interprétation, et est-il envisageable d'utiliser l'improvisation comme outil pédagogique
pendant l'apprentissage initial de l'interprétation ?

La créativité brille également par une grande multiplicité de ses définitions. Pamela Burnard
la définit comme dépendante d'un contexte culturel, d'un produit social dépendant que de
l'observateur, c'est-à-dire qu'elle ne serait pas contenue dans l'esprit humain 4 . Cela impliquerait
que, tel la théorie de la relativité générale d'Einstein où tout événement physique dépend du point
de vue que l'on prend, on ne pourrait juger la créativité d'un musicien que par le regard qu'on
porte sur son interprétation, un regard teinté d'un contexte référencé. À la manière de
l'observateur qui est acteur du phénomène physique, l'auditeur serait acteur de la créativité du
musicien.

Pour le développement du mémoire, nous partirons de la définition de T. Lubart, qui dit de la


créativité qu'elle est « la capacité à réaliser une production qui soit à la fois nouvelle et adaptée
au contexte dans lequel elle se manifeste »5, car elle permet à l'interprète d'être acteur de sa
créativité. Nous assimilerons également l'expressivité à la créativité.

Méthodologie
3 Zbainos, Dmitri, Anastasopoulou, Ariadni, « Such findings lead to suggestions for numerous changes in music
teachers’ education, establishing training in teaching for creativity as a fundamental priority. » traduction
personnelle, « de telles découvertes appellent à de nombreux changements dans l'éducation des professeurs de
musique, pour établir l'enseignement pour la créativité comme une priorité fondamentale », créative éducation, vol
3. no 1, 2012, parlant d'une étude de grande échelle sur l'éducation à la créativité musicale en Grèce
4 Mili, Isabelle, créativité didactique dans l'enseignement musical, Créativité et création en éducation, Volume 40,
n° 2, Automne 2012, définition rapportée de la vision de Pamela Burnard, p. 142
5LUBART, Todd, Psychologie de la créativité. Paris, Armand Colin, p. 11
Concernant l'axe d’étude de l'improvisation, bien que mes exemples pratiques soient dans un
cadre majoritairement non-idiomatique, je n'ai volontairement pas limité le champ de
l'improvisation à ce type d'improvisation, pour parler d'une pratique en général et pas
uniquement d'un seul courant. En effet une grande partie du propos contenu dans ce mémoire
porte sur l'expressivité dans son instantanéité en improvisation, comparée à celle de
l'interprétation, il est donc possible de lier toutes les pratiques de l'improvisation et de l'invention
musicale en temps réel à cette expressivité. Le cadre des improvisations dans les exemples de
pratique en cours peut moduler en fonction du besoin. Les exemples présentés n'imposent pas de
cadre idiomatique car cet attachement stylistique n'aurait aucune influence sur le résultat
concernant les objectifs proposés, bien qu'on puisse penser à une multiplication des objectifs
pour aborder une problématique idiomatique en parallèle au problème travaillé. Il est donc
également envisageable de jouer sur ce cadre, si l'on reste dans une pratique à objectif unique,
pour travailler des problématiques musicales idiomatiques. On peut penser à la conduite
harmonique, à la recherche stylistique pour préparer le jeu d'un répertoire spécifique, ou autres
cadres idiomatiques, tell que l'improvisation est pratiquée dans le reste des musiques improvisées
ou en partie improvisée de la musique européenne et du monde.

Les éléments de réflexion apportés sur l'expressivité en interprétation et en improvisation sont


des pistes de réflexion avec une volonté d'englober et de tracer les limites de l'expressivité et des
visions de l'interprétation. Le sujet étant extrêmement vaste il est donc logique que la réflexion
soit limitée par le format de ce mémoire.

I. L'improvisateur, l'interprète et l'œuvre


I.A La créativité et l'expressivité en interprétation et dans l'improvisation

I.A.A. L'autorité, la créativité de l'improvisateur et l'interprétation expressive

L'acte d'improviser pour un musicien ouvre la possibilité d'une autre forme de création
musicale, ce qui par rapport à la tradition interprétative change les rôles et donne une autorité au
musicien. Il faut comprendre le mot « autorité » au sens d'« auctorial », du latin « auctor »,
fondateur, instigateur. Dans la construction en temps réel qu'est l'improvisation, le musicien est à
la fois garant de la qualité de sa proposition musicale, de la construction de son discours et, en
fonction du paradigme de l'improvisation, de l'organisation temporelle et structurelle de l'œuvre
improvisée proposée. C'est-à-dire de tous les paramètres qui font une œuvre musicale. Mais il est

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aussi garant de la qualité interprétative de l'œuvre qu'il propose, c’est-à-dire de la qualité
spectrale, timbrique, rythmique… Cette définition de l'autorité de l'improvisateur ne dépend pas
du cadre idiomatique ou non-idiomatique6 de celle-ci car elle invoque uniquement la place du
musicien qui improvise face à l'œuvre improvisée. Si on analyse ces remarques auctoriales du
point de vue de l'expressivité, l'improvisateur serait donc dans une posture qui allie l'expressivité,
la créativité du compositeur et celle de l'interprète, au travers d'une créativité propre, un acte
musical subjectivé.

Concernant le rapport des deux pratiques, nous recherchons soit un transfert de l'expressivité
en improvisation à l'expressivité interprétative, soit un parallélisme entre celles-ci. Mais, qu'est-
ce que l'expressivité de l'interprète et où se trouve-t-elle ? On parle souvent d’interprétation
expressive, généralement mise en concurrence avec des interprétations dites techniques. Il y a
une tendance à vouloir à travers l'œuvre jouée ressentir « l'âme » du musicien jouant, ses
émotions. Cette volonté est de capter ce qui correspond à l'être musicien malgré l'œuvre, donc la
temporalité et la sensibilité de l'interprète, musicales ou extra-musicales, associées à celles du
compositeur. Le champ lexical du sentiment et de la sensation ajoute aux paramètres de la
construction musicale un référentialisme7de l'œuvre, par l'appel aux sensations.

I.A.B. John Cage, l’indétermination et l'espace créatif laissé à l'interprète

Dans certaines visions très respectueuses de la volonté auctoriale, l'acte interprétatif implique
une modalité bien déterminée. La créativité de l'interprète fait partie du cadre défini par l'auteur,
et donc dépend généralement de l'autorité et des libertés choisies par l'auteur pour le musicien.
On peut analyser ce « cadre défini » sous le prisme de l'indétermination de l'œuvre quant à son
exécution, selon la définition de John Cage.

Dans sa conférence sur l'indétermination de l'œuvre quant à son exécution, John Cage propose
une classification des différentes indéterminations, placées dans des espaces inclus dans les
paramètres qui font l'œuvre musicale.

6 Idiomatique : qui est caractéristique d'une langue (ici d'un langage musical)

7 Voir Annexe 1 : référentialisme


“la structure qui est la division du tout en parties, la méthode, qui est la procédure note à note,
la forme, qui est le contenu expressif [...] le timbre, la fréquence, la durée, l'amplitude, (qui
sont) caractéristiques du matériau”8

Il existe selon lui trois formes d'indétermination de l'œuvre, l’indétermination par l'utilisation
du hasard dans la composition, l’indétermination par l'utilisation d'une notation indéterminée, par
exemple la partition graphique, et, celle qui nous intéresse, celle où les éléments sont donnés par
compositeur, mais les arrangements de ces éléments dépendent de la volonté de l'interprète.

Chaque paramètre, en fonction de l'époque et du style musical, devient cadre du choix


interprétatif, donc cadre de l'expressivité de l'interprète. Celui-ci doit se plier à cette volonté
auctoriale pour comprendre la place que son expressivité doit occuper. Dans cette vision, il existe
donc une expressivité personnelle dans l'interprétation, car le compositeur laisse, volontairement
ou pas, un espace qui sera uniquement tributaire des volontés de l'interprète. Les annotations
personnelles de Webern par exemple pour ses Variations pour piano surabondent d'intentions
expressives, alors que la partition proposée aux musiciens est dépouillée. 9 John Cage remarque
que quel que soit le style étudié, l'espace indéterminé laissé à l'interprète est restreint à un ou
deux paramètres maximum, mais ceux-ci apportent donc à l'interprète un rôle dans la créativité
structurelle et/ou compositionnelle de l'œuvre. Il y a donc une part non négligeable de
subjectivation de l'œuvre par l'interprète, assimilable à la subjectivation de l'acte musical par
l'improvisation, car reposant sur les mêmes leviers de créativité, bien que contrainte par un cadre
restreint. Cet espace créatif est défini de façon strictement formelle et structurelle, elle ne prend
donc pas en compte l'aspect sentimental, analogique, de l'expressivité.

I.A.C. Visions historicistes et expressionnistes

Mais comme annoncé précédemment, cette analyse est « dans une vision respectueuse de la
volonté auctoriale », car étudié du point de vue du compositeur, par un compositeur. Peut-on
limiter la créativité interprétative au cadre imposé par le compositeur, à l'espace que celui-ci a
bien voulu lui laisser ? Est-ce que la créativité d'interprétation n'existe que là où le compositeur
la laisse volontairement être ? Cette question peut être abordée d'un point de vue des traditions
d'interprétation avec l'opposition entre visions historicistes et expressionnistes, qui opposent
deux attitudes interprétatives ; soit aller vers l'œuvre et son contexte historique, soit lier cette

8 Cage John, Silence, conférences et écrits de John Cage, conférence sur l'indétermination d'une œuvre relativement
à sa composition, Héros-Limite, Genève, 2003, traduction de Vincent Barras, p. 39
9 Webern, Anton, Variations Opus 27 Avec Annotations, Universal

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œuvre à son expressivité propre et ses problématiques anachroniques à celle-ci. Cela correspond
à une opposition entre une adaptation des problématiques musicales de l'interprète pour aller vers
l'œuvre, dans le cas historiciste, et une adaptation de l'œuvre à sa propre vision interprétative
subjective et prenant en compte des problématiques musicales anachroniques à celle-ci. Nous
allons étudier ce qu'impliquent ces deux choix bien différents par rapport à l'expressivité.

Le débat sur la subjectivation de l'œuvre par l'ajout d'expressivité anachronique se cristallise


particulièrement sur la question de l'interprétation du répertoire baroque. La construction de la
phrase musicale, et de l'interprétation en général, en musique baroque présente des oppositions
structurelles fortes en fonction des interprètes et de leurs attitudes face à cette problématique
musicale. Ceci entraîne une opposition radicale de résultat quant à l'interprétation de la même
œuvre. Cela donne une image de ce qui est possible quand on considère la question de
l'anachronisme de l'interprétation par la subjectivation de l'œuvre par l'interprète. Mais la seule
réelle différence que l'on peut noter si l’on considère l'apport de créativité personnelle dans
l'interprétation se trouve dans la notion d'anachronisme, et donc dans le respect des espaces de
créativité propre à l'époque et au style.

Il est important de noter que de par l'évolution de la culture interprétative et de la culture


musicale, l'expressivité personnelle de l'interprète contemporain et son rapport à son instrument
sont forcément anachroniques par rapport à une œuvre baroque. Mais de par les connaissances
musicologiques, historiciste, il est envisageable d'encadrer son expressivité pour qu'elle rentre
dans le champ expressif correspondant à l'époque donnée.

Analysons, par exemple, deux interprétations diamétralement opposées de « l'introduction


lente » du prélude de la 5e suite pour violoncelle de Bach BWV 1011 : d'une part celle de Paolo
Pandolfo10, et d'autre part celle de Misha Maisky11. Les deux interprétations de l'introduction
lente du prélude, avant la fugue, diffèrent en tout point, et diffèrent toutes deux du texte stricto
sensu. Paolo Pandolfo appartient à une attitude historiciste de l'interprétation alors que celle de
Maisky correspond plus à une réappropriation romantique. Cela correspond à une prise en
compte des problématiques instrumentales anachroniques à l'œuvre jouée, dépendant de
l'évolution de la tradition interprétative européenne. Prenons quelques exemples de libertés
créatives prises par les deux musiciens, quelle que soit leur attitude. D'abord, le rythme : On
remarque un surpointage des rythmes pointés dans l'interprétation de Paolo Pandolfo. Celui-ci
peut être justifié par le lien fort entre ce prélude et l'ouverture à la française 12, dont l'introduction

10PANDOLFO, Paolo : Bach Cello Suite 5, Prelude (Viola da Gamba), lien vidéo consulté le 10 mars 2017,
https://www.youtube.com/watch?v=NN0PvbjQDm4
11MAISKY, Misha, Bach Cello suite 5, prélude, lien vidéo consulté le 10 mars 2017,
https://www.youtube.com/watch?v=sPY7xL1JItQ
12 A. Grave surpointé B. fugatto A'. reprise de A
lente présente un surpointage également. Misha Maisky prend la liberté créative de ne pas
respecter ce surpointage, dépendant de la version historiciste de l'interprétation, mais il respecte
le rythme écrit sur la partition. On peut observer de grandes différences également dans la
construction de la phrase musicale : Pandolfo cristallise le discours musical, que ce soit
rythmiquement ou dans sa conduite de l'amplitude sonore, sur les accords et donc sur le rythme
harmonique. Il propose une discontinuité de la ligne musicale, solvée par une continuité de la
ligne harmonique. À l'inverse, Maisky propose une construction très romantique de la phrase,
avec une construction linéaire et donc liée des événements, qu'ils soient des notes de passages ou
des appuis harmoniques.

Ce respect du style n’empêche pas Paolo Pandolfo d'improviser des ornementations, de peut-
être surjouer sa vision « ouverture dans le style français » de l'œuvre, de créer des subtilités de
jeu propres à son expressivité et sa vision de l'œuvre. À l'écoute, son interprétation est celle qui
me donne le plus l'impression d'une attitude expressive proche de l'improvisation, par la liberté
qu'il met dans son jeu, bien qu'il soit possible que Maisky improvise également par exemple sa
conduite des nuances et son vibrato.

Les créativités des deux interprètes se retrouvent donc à la fois dans l'expressivité inhérente à
la conduite de la phrase musicale et dans leur choix et analyses musicologiques, que celle-ci se
place d'un point de vue historique ou anachronique. La créativité dans l'interprétation n'est donc
pas uniquement dans un rapport de rapprochement de l'œuvre à soi. Elle existe également dans le
traitement que l'ont fait des informations historiques, musicologiques, analytiques que l'on
possède sur l'œuvre, et de la façon dont on applique ces connaissances pour diriger son champ
créatif.

Comparons cette créativité d'interprétation à une créativité d'improvisation. On remarque une


similitude du cadre de cette expressivité. La différence de résultat entre les interprétations
comparées prouve également que l'interprète peut avoir, dans ce cas précis, un rôle presque
auctorial. L'œuvre se présente à l'interprète comme un arbre de possibilités. Celui-ci doit savoir
trouver son organisation, sa vision formelle, sa vision de la phrase musicale et en devient le
garant pendant l'acte interprétatif. Le même phénomène se retrouve en musique improvisée.

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I.A.D. Expressionnisme, référentialisme et formalisme, l'expressivité à l'épreuve de
l'esthétique

Si l'on considère ces conclusions d'un point de vue esthétique, c'est-à-dire de la considération
de ce qui fait la qualité de l'œuvre artistique – dans ce cas musicale – cette vision présentée de la
liberté interprétative rentre dans un champ esthétique qui considère et la qualité structurelle et
formelle et la qualité expressive de l'interprète dans le jugement qualitatif de l'œuvre. Cela peut
correspondre à une approche dite « expressionniste », comme par exemple l'expressionnisme
absolu présenté par B. Reimer dans sa Philosophie de l'éducation musicale. Il propose dans sa
construction de la philosophie de l'éducation musicale de partir de deux esthétiques
déterminantes historiquement selon lui, le référentialisme 13 et le formalisme14. Il les choisit
comme étalons, assez manichéens, permettant de classifier les visions de l'art proposées par les
différents artistes et musicologues de l'histoire, dans le but d'en déceler les conséquences
pédagogiques dans l'enseignement de la musique. Le formalisme propose une vision structurelle
de l'œuvre dont l’intérêt est intrinsèque à sa construction, le référentialisme propose une vision
extérieure de l'œuvre, cadrant la qualité de l'œuvre musicale sur ce qu'elle transmet, sur son effet
sur l'auditeur et le musicien. Cela correspond à une recherche de références externes à l'œuvre et
des conséquences sociales de celle-ci.15 Ce qui est particulièrement notable est la notion hors-
cadre des visions philosophiques. Il n'y a aucune prise en compte des particularités de l'œuvre
dans l'analyse polarisante de B. Reimer. L'art et la musique sont jugés en tant que tels par la
vision philosophique proposée et non par rapport à une époque, un contexte. Par exemple, même
si l'auteur a utilisé un cadre référentialisé, comme par exemple un texte, comme argument de
composition, cela ne fait pas l’intérêt de l'œuvre pour un œil formaliste. N'importe quelle œuvre
peut être regardée par le prisme de ces deux visions, et de la troisième qu'il propose,
l'expressionnisme absolu.

Nous avons dans l'analyse des interprétations du prélude de la Ve suite pour violoncelle de
Bach ci-dessus décelé une bidirectionnalité de l'expressivité interprétative, celle qui va vers
l'œuvre et celle qui rapporte l'œuvre vers soi. Ces deux expressivités ont été décrites dans un
cadre intra-musical, c’est-à-dire correspondant à tout ce qui est paramètre fonctionnel, structurel
de la musique, mais nous n'avons pas étudié l'aspect extra-musical et référentialiste de l'analyse
expressive, c'est-à-dire ce qui touche au sensible, à l’expérience de l'auditoire, aux concepts
d'utilitarisme social de l'art16. De premier abord il appartient à l'interprète et à lui seul de, à son

13 voir annexe 1 : référentialisme


14 voir annexe :2 formalisme
15 REIMER, Bennett, Une philosophie de l'éducation musicale, traduction sous la direction de Yves Bédard, les
presses université Laval, Quebec, 1976
16 voir annexe : référentialisme
envie, essayer de transmettre une certaine émotion, au travers d'une œuvre. L'expressivité en
improvisation rentre dans ce cadre référentialiste, car par l'improvisation existe une même
volonté de subjectivation de l'œuvre que dans la créativité interprétative référentialiste, quel que
soit le sens de cette volonté de l'interprète, vers l'œuvre ou vers soi. Mais cette volonté
référentialiste se confronte aux réalités historiques et musicologiques de l'œuvre. Il existe des
répertoires ou cette expressivité extra-musicale se retrouve dans la méthode même du
compositeur. Cela correspond généralement au principe compositionnel de stratégie narrative :

« La stratégie narrative est une stratégie compositionnelle extrêmement puissante, permettant,


au cours du XXe siècle, de composer des œuvres fermées et cohérentes malgré leur
hétérogénéité interne »17

Ivanka Stoianova réduit dans sa phrase la stratégie narrative au XXe siècle, mais ce principe
compositionnel existe au moins depuis la Renaissance. Si nous considérons la musique du XVIe
et du XVIIe siècle, celle-ci est en grande partie influencée par la rhétorique musicale, adaptant la
rhétorique du discours à la phrase musicale. Les traités de Joachim Burmeister sont les plus
anciens traitant du sujet18. On peut faire un lien direct entre la seconda pratica de Claudio
Monteverdi et l'idée d'hétérogénéité interne dont parle Ivanka Stoianova. Claudio Monteverdi
s'affranchit des règles traditionnelles de la prima pratica en encourageant une plus grande liberté
d'écriture concernant les problématiques d'homogénéité et de dissonance, poussant la rhétorique
à son paroxysme. L'exemple le plus flagrant étant le combat de Tancrède et Clorinde (1624) dans
le 8e livre de madrigaux. La musique de cette pièce pré-opératique n'a aucune justification autre
que de suivre la rhétorique du texte, et n'a aucune logique interne autre que cette rhétorique. C'est
la stratégie narrative et le référentialisme extra-musical qui rend ce madrigal cohérent.

Mais en quoi cette expressivité auctariale extra-musicale modifie l'espace expressif de


l'interprète et son orientation ? Reprenons le contexte des madrigaux, c'est-à-dire de la musique
baroque du début du XVIe siècle. Les musiciens jouant cette œuvre peuvent bien sûr jouer les
notes, les rythmes, respecter les indications, mais la connaissance de cette expressivité extra-
musicale va leur permettre de rejoindre l'intention du compositeur. Cela rentre dans le champ de
l'expressivité vers l'œuvre, dans laquelle nous avons décelé précédemment des liens avec
l'expressivité en improvisation. La vision historiciste est un art non pas de composer en temps
réel comme l'improvisation mais de recomposer à partir des informations et d'un bon cadrage des
limites son expressivité d'interprète.

17 STOIANOVA, Ivanka, Entre détermination et aventure, Paris, l'Harmattan, 2004, page 243
18 BURMEISTER, Joachim, Musica Poetica, 1606, dernier traité, fait la synthèse des traités précédents, Rostock,
rééd. en fac similé, Cassel et Bâle, 1955

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Ce reférentialisme est celui de l'auteur, car le choix du référentiel est uniquement décidé par
lui, mais il existe des répertoires où la stratégie narrative est laissée au musicien interprète. Dans
le répertoire contemporain de la contrebasse, il existe une pièce phare dont l'hétérogénéité
compositionnelle peut être solvée par cette stratégie narrative : Valentine de Jacob Druckmann.
L'expressivité de l'interprète ne peut être réduite dans cette pièce uniquement à une expressivité
intramusicale. « [Valentine] est une vraie pièce théâtrale des années 1960 »19. Il appartient donc à
l'interprète de proposer une incarnation de l'œuvre, en construisant son discours corporel en
fonction des maigres indices laissés dans la partition, et la conduite qu'il peut deviner et inventer.
L'expressivité exigée est donc simultanément corporelle et musicale, la subjectivation de l'œuvre
par l'interprète est donc totalement assumée par le compositeur.

La partition présente qu'un très faible nombre d'indications de mouvement physiques non
musicaux, « se pencher vers la partition »20, ou encore dans le texte récité « [...]essayer de
garder le tempo de la musique qui a précédé tout en se penchant en avant et regardant
attentivement la partition[...] »21. Mais le compositeur, par sa demande dans la préface de la
partition à ce que le contrebassiste aie un rapport à la « De Sade »22 avec sa contrebasse, et
l'utilisation de techniques mettant en scène le corps et la voix de l'instrumentiste 23, prouve que la
grande majorité de la partie théâtrale rentre dans le cadre indéterminé de l'œuvre, et donc dans le
champ de la construction subjective et l'improvisation. De plus, celui-ci laisse même des cadres
improvisés à l’intérieur de la partition.

L'interprète est donc amené à exprimer s'il le souhaite son interprétation de l'œuvre quant à
l’exécution théâtrale, dont le champ des possibilités est, selon moi, extrêmement large. Ma vision
de la pièce, expliquée en annexe, est celle d'une pièce à tendance sexuelle, mais la mise en œuvre
de cette sexualisation pendant l'interprétation tient de l'expressivité propre de l'interprète, car elle
ne correspond à aucune demande spécifique de l'auteur. La difficulté de l'œuvre ajoute en plus la
nécessité de cette interprétation corporelle, qui se rapproche grandement de l'expressivité
improvisatoire. Ces œuvres correspondent à une vision ouverte de l'œuvre, laissant une grande
place à l'interprète en tant qu'individu dans leur construction. Cela rejoint le théâtre musical, du

19DRUCKMAN Jacob, Composer Jacob Druckman : A conversation with Bruce Duffie, interview, Chicago, 2 mars
1989, http://www.bruceduffie.com/druckman.html, consulté le 19 mars 2017, traduction personnelle, texte original :
« It’s a real nineteen sixties theatrical piece »
20
21 DRUCKMAN, Jacob, Valentine, Traduction personnelle. Texte original complet : « wisper this instructions
aloud barely audibly, as fast as possible, try to keep the same even pulse of the preceeding music while leaning
forward and peering intensely at the score, begin again at the word « now » »
22 DRUCKMAN, Jacob, Valentine, program note, Boosey and Hawkes, 1969, texte original « The work [...]
demandes that the player attack the instrument with bow, timpani stick, both hands alterning percussive tapping on
the body of the instrument with pizzicato harmonics, while the voice sustains tones, sings counterpoints, and
ponctuate accents. All this necessitates the player's assaulting the instrument with an almost deSade-like
concentration (hence the title) »
23 Voir annexe 3 : Valentine
mouvement Fluxus, du concept d'œuvre ouverte apporté par Umberto Eco...

Bien que l'esthétique formaliste soit décrite comme englobant une vision de l'art en général,
nous pouvons nommer des œuvres musicales dont la construction correspond à un extrême de
cette vision. Est-ce que même dans une œuvre dont l'immense majorité de ce qui la rend
intéressante est structurelle, nous pouvons retrouver les indices d'une expressivité du musicien ?
Les exemples choisis comme le prélude de la Ve suite de Bach et Valentine étaient des pièces
pour instrument soliste, qui mettent en valeur l'expressivité de l'interprète. Mais dans le cadre
d'œuvres plus formalistes, il existe une rupture entre l'œuvre et l'expressivité de l'interprète. La
limite est souvent fine, mais si on prend un cas extrême, on peut citer par exemple Piano Phase
de Steve Riech (1967), où l’intérêt de l'œuvre réside dans le déphasage ou phasing de deux voix
similaires.

« Les deux musiciens commencent à jouer le même motif à l'unisson, encore et encore. Puis,
pendant que l'un continue, l'autre augmente peu à peu le tempo pour prendre lentement un
temps d'avance sur le premier. Le processus est répété jusqu'à ce que les deux musiciens se
retrouvent à l'unisson : à ce moment-là, le motif change et le processus de déphasage
recommence. »24

La qualité de l’exécution de cette œuvre ne va très peu dépendre de la créativité de


l'interprète, mais presque entièrement de sa qualité d’exécution technique.

« l’interprétation de la pièce nécessite d'apprendre par cœur le matériau musical et de mettre la


partition de côté : elle […] ne serait qu'une distraction. Ensuite, il n'y a plus qu'à être très
attentif […]. Tout est prévu, aucune improvisation n'est possible, mais la psychologie du jeu
[…] nécessite une immersion complète […] un engagement sensoriel et intellectuel total. »25

C'est une attitude très simplifiée du rapport entre l'expressivité de l'œuvre, du compositeur et
celle de l'interprète : L'expressivité de l'interprète ne se trouve que dans l'engagement sensoriel et
intellectuel de celui-ci. La terminologie est très intéressante, Steve Riech propose une grille de
lecture de l'expressivité interprétative à deux axes dans cette dernière phrase. Le premier axe est
l'improvisation, ici probablement assimilée à l'expressivité personnelle, le second axe est
l'engagement sensoriel et intellectuel, qui correspond à l'expressivité par l'engagement physique
et mental, c’est-à-dire uniquement l'incarnation. Le terme expressivité est quand même utilisé ici
car un corps vivant est de fait expressif, bien que ce soit pour moi probablement le degré le plus

24 RIECH, Steve, Steve Riech différentes phases, philharmonie de paris, la rue musicale, trad. christophe jacquet,
issu de programmes de salles et notices d'enregistrement, 2016, paris, p. 26
25 RIECH, Steve, Steve Riech différentes phases, philharmonie de paris, la rue musicale, trad. christophe jacquet,
issu de programmes de salles et notices d'enregistrement, 2016, paris, p. 26

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 16/57


bas d'expressivité artistique.

I.A.E. Expressivité, créativité du musicien et temporalités

L'expressivité de l'interprète existe donc en fonction du cadre de l'œuvre, qu'elle se dirige vers
l'œuvre ou qu'elle dirige l'œuvre vers soi. Bien sûr, certains contre-exemples les plus formalistes
vont à l'encontre de cette règle, et la pensée formaliste dans sa vision la plus extrême également.
Mais dans une vision plus généraliste, cette question d'objectivité de l'interprétation s’étiole par
la simple prise en considération des arbres, ou éventails de possibilités qu'offre une partition à
son interprète. Comme l'écrit Adorno, l'interprète et l'analyste ne peuvent pas limiter la lecture
d'une œuvre à sa partition uniquement.

« L’objectivité n’est pas ce qui subsiste après la soustraction du sujet. Jamais, à aucun endroit,
la partition musicale n’est identique à l’œuvre »26

Nous avons aussi vu que l'œuvre ne se limite pas uniquement à ce que demande son auteur,
car il laisse des espaces de liberté volontairement ou involontairement à l'interprète.

L'expressivité peut se placer dans ces espaces, dans cette indétermination de l'œuvre, mais
aussi dans les choix que va prendre l'interprète par rapport à l'arbre des possibles proposé par le
compositeur. Il faudrait donc définir si nous sommes face à deux choses différentes ou
analogues, si l’indétermination est similaire aux éventails de possibilités laissées dans l'œuvre,
mais cela semble assez relié pour pouvoir les assimiler. Dans une improvisation cadrée, par
exemple le jazz, l'improvisateur se retrouve aussi dans une même confrontation à un arbre de
possibles offerts par une grille, un thème, ou autre paramètre du morceau joué. Dans une
improvisation libre, ou non-idiomatique, l'improvisateur est aussi face à un arbre de possibilités,
qui dans ce cas dépend de sa propre conception musicale, de sa posture d'observateur acteur de
l'œuvre créée en temps réel.

Il y a aussi la question de la temporalité. D’un premier abord l’expressivité en improvisation


correspond à un acte, un geste plus qu’à une pensée réfléchie, c’est une expressivité du temps
réel. Elle dépend principalement d’un complexe de réflexes et d’intuition. D'autre part
l’expressivité dans l’interprétation possède plusieurs temporalités, le temps de la construction de
l’interprétation et le temps du jeu. La créativité se place sur des temporalités différentes, mais
lors du jeu, de l'incarnation de l'œuvre ou de l'improvisation, les temporalités se relient.

Nous avons également touché du doigt une certaine « attitude en improvisation » que pourrait
26 ADORNO, Theodor, Prismes, Rivages, 2003, p 148, suite de la citation : « il faut au contraire toujours saisir,
dans la fidélité à la partition, ce qu’elle recèle en son sein. Sans une telle dialectique, la fidélité se change en
trahison : l’interprétation qui ne se soucie pas du sens musical sous prétexte qu’il se manifeste de lui-même, au lieu
de comprendre qu’il doit chaque fois être constitué, passe à côté du sens. »
détenir l'interprète. Rechercher cette attitude est un choix interprétatif et donc également
pédagogique. Rechercher cette attitude chez un apprenant, c'est le confronter à l'arbre des
possibles de la musique, et l'œuvre que l'on interprète et que l'on improvise.

I.B. L'histoire

I.B.A. Du baroque au romantique

L'improvisation est partie intégrante de la musique, elle est de premier ordre dans toutes les
traditions non européennes, bien que certaines sont si codifiées qu'elles en limitent les
possibilités.27 L'enseignement initial de la musique étant centré sur l'interprétation de la musique
savante européenne, nous allons donc principalement étudier ce pan de l'histoire de
l'improvisation. Pour situer l'improvisation dans la tradition européenne savante, il faut aborder
l'improvisation dans son rapport avec l'œuvre écrite, c'est-à-dire déceler les espaces de liberté
laissée au musicien dans l'interprétation. Les affirmations suivantes seront forcément détachées
des réalités spécifiques à certains compositeurs, certains pays. Partons de la musique baroque
(~1600 à ~1750). Dans la période baroque, improviser est un acte intégré dans la vie musicale,
intégré dans le processus d'interprétation. La partition est le squelette de l'œuvre, le musicien est
libre de jouer avec le tempo, avec les appuis, d'ajouter des ornementations. Si on considère la
basse continue, présente dans une grande majorité des pièces pour ensemble, le musicien jouant
la partie de clavier, sur clavecin ou orgue se doit d'improviser la réalisation harmonique de la
basse chiffrée, donc d'improviser les lignes intermédiaires. Les autres musiciens jouant la basse
continue, sur instrument monodique, ont également beaucoup de liberté dans la conduite de la
basse. Concernant l'organisation de l'amplitude sonore, les musiciens sont souvent libres de
choisir les nuances des différents moments de l'œuvre. Cela peut être improvisé dans une pièce
pour instrument solo, ou déterminé en répétition pour une pièce pour ensemble. Les affinités
musicales et la créativité de l'interprète sont donc extrêmement influentes sur le résultat sonore
de l'œuvre, qui est amené et invité à beaucoup improviser.
La période classique apporte de grandes modifications dans le rapport entre le compositeur et
l'interprète. Le champ des possibilités créatives de l'interprète est réduit. Mais l'improvisation fait
toujours partie intégrante de la vie musicale, les musiciens solistes par exemple improvisaient les
cadences de concerto, les compositeurs également improvisaient. Il nous reste particulièrement

27 SIMHA, Arom, Réalisations, variations, modèles dans les musiques traditionnelles centrafricaines, 1987
Ethnomusicologie, SELAF-PARIS, pp.119-122

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 18/57


les improvisations de Mozart, et les batailles d'improvisations qu'aurait gagnées Beethoven 28.
L'improvisation au clavier continuera d'être importante jusqu'à l’avènement de l'enregistrement.
Nombreux compositeurs de l'époque romantique sont connus pour leurs improvisations, Liszt,
Mendelssohn… On remarque que les improvisateurs dont on a gardé une vraie trace étaient
également compositeurs.

I.B.B L'improvisation non-idiomatique et le soundpainting

Durant le XXe siècle, l'improvisation change de forme en Europe, sous l'influence des courants
musicaux américains et du jazz, dont l'attachement folklorique et populaire modifia les codes
musicaux par rapport à l'élitisme de la tradition Européenne, comme Gershwin. D'autres
compositeurs americains ou naturalisés américains, proposèrent de nouvelles façons de penser la
composition. On peut citer par exemple Carter, Cage, ou Varèse. Il se crée en Europe une
relativisation culturelle, les apports du jazz, de l'ethnomusicologie, de l'exposition universelle de
1889 à paris, de la sortie de la tonalité amorcée par les compositeurs dans les premières années
du XXe siècle, entraînent une remise en question des pratiques musicales occidentales. L'intérêt
porté par les interprètes et les compositeurs à toutes ces pratiques soit nouvelles soit découvertes
entraînent la création de nouveaux modes d'expression par l'improvisation.

L'improvisation « libre » apparaît dans les années 1960 en Europe et aux États-Unis, instiguée
principalement par des musiciens venant du free-jazz et de la musique contemporaine. On peut
noter les groupes fondateurs américains : Spontaneous Music Ensemble, the Art ensemble of
Chicago, et AMM29

C'est Derek Bailey qui propose en premier le terme d'improvisation non-idiomatique, à la suite
de ses expérimentations dans son CD Music Improvisation Company, et du travail qu'il mènera
par la suite en improvisation libre. Il explique que les musiques improvisées qu'il nomme
idiomatiques ont pour fondement et identité un idiome, par exemple le flamenco, le baroque ou
le jazz, alors que l'improvisation non-idiomatique, nommée libre, peut être très stylisée, mais
n'est pas attachée à une identité idiomatique.30 Richard Barrett, compositeur britannique de la
seconde moitié du XXe siècle, lui aurait préféré le terme « radicalement idiomatique »31 à « non
idiomatique ». Alain Savouret, créateur de la classe d'improvisation libre du cnsmdp parle, lui,
d'improvisation générative :
28 SOLOMON, Maynard, Beethoven, Fayard, Paris, pp 75-79
29Wikipedia, consulté en ligne le 10/05/2017, https://en.wikipedia.org/wiki/Free_improvisation
30 BAILEY, Derek. L'improvisation, sa nature et sa pratique dans la musique, Outre Mesure, Paris, 1999, parution
originale en anglais 1992. “J'ai utilisé les termes idiomatique et non idiomatique pour décrire les deux formes
principales d'improvisation », xi-xii
31 BARRET, Richard, « radicaly idiomatic » en anglais, traduction personnel, Dark Matter -interview with Daryl
Buckley and programme note, 2003, en ligne, consulté le 10/05/2017,
url : http://richardbarrettmusic.com/DARKMATTERinterview.html
« Pierre Schaeffer énonçait en son temps que « l’entendre précède le faire » ; il m’a semblé très
opportun d’anamorphoser légèrement la formule pour l’adapter à la pratique improvisée libre,
ce qui donnait « l’entendre génère le faire » »32

Il aurait même préféré le mot « invention » au mot « improvisation ».33

Certains improvisateurs (du cadre non-idiomatique) défendent une vision de l'œuvre et de


l'improvisation qui peut être mise en parallèle avec la subjectivation de l'œuvre de l'attitude
interprétative expressionniste.

« le son, c’est l’individu, toute son écorce, ce par quoi il passe ou doit passer, ses accidents et
ses incertitudes, ses gloires et ses chambres où l’on attend, seul et fou d’aimer, de monter sur
scène, et de dire »34

Le nom de donné à ce mode d'improvisation est donc protéiforme, soit improvisation


générative35, soit improvisation non-idiomatique, soit improvisation libre... Le principe reste le
même, improviser ensemble, sans se donner de règles.

Le Soundpainting, élaboré par Walter Thompson en 1974 à Woodstock36 est une autre pratique
contemporaine de l'improvisation musicale, mais cette fois en grand groupe. Le principe est que
l'improvisation est dirigée par un chef qui, à l'aide d'un langage des signes très complexe, va
donner des informations plus ou moins précises sur ce que doivent jouer les différents musiciens.
Le langage s'adapte également pour la danse et le théâtre, il est donc possible de faire un
ensemble d'artistes, dirigés par un seul chef pour une création unique, une improvisation
collective. Le degré de liberté laissé à chaque instrumentiste est décidé par le chef.

II.Utilisation de l'improvisation en pédagogie


II.A. Les enjeux pédagogiques de l'improvisation

Nous allons aborder différents points clés du travail de l'improvisation non-idiomatique en


solo en collectif, pour les analyser par rapport à l'interprétation dans ses différentes formes, en
orchestre, en musique de chambre et en solo, et dans les différents styles, pour les comparer à

32 SAVOURET, Alain, Clément Canonne, « Enseigner l’improvisation ? Entretien avec Alain Savouret », Tracés.
Revue de Sciences humaines [En ligne], 18 | 2010, mis en ligne le 01 mai 2012, consulté le 10 mai 2017. URL :
http://traces.revues.org/4626
33 Ibid.
34. LÉANDRE, Joëlle, «Basse tension», entretien avec Philippe Robert, Les Inrockuptibles, op. cit., p. 56.
35 SAVOURET, Alain, Tracés, revue de sciences humaines n°18, 2010, pp 237 à 249
36 Histoire du Soundpainting sur le site officiel de Walter Thompson, consulté le 12 mai 2017,
url = http://www.soundpainting.com/history/

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 20/57


une attitude expressive.

II.A.A L'écoute

En improvisation, comme en interprétation, l'écoute est nécessaire. Si l'on parle


d'interprétation en ensemble, l'écoute est, selon mon expérience, le point clé de l'apprentissage en
cours. Écouter l'harmonie, l'équilibre des voix, le déroulement du tempo, le phrasé des autres
musiciens… Le rôle de chaque musicien et de son instrument influence l'écoute nécessaire. Par
exemple, en orchestre, un instrumentiste de pupitre aura une écoute orientée sur le son du pupitre
dans son ensemble, et sur la place de son propre son au sein de celui-ci. Pour la justesse, l'écoute
d'un instrumentiste jouant une voix intermédiaire de l'harmonie est souvent principalement
focalisée sur la justesse harmonique. Celle d'un musicien jouant la partie de basse est selon mon
expérience plus focalisée la justesse des fondamentales par rapport à la voix soliste ou le chant,
ainsi que sur la justesse par rapport aux autres instruments jouant cette même voix de basse.
L’expérience personnelle de chaque musicien l'entraîne à orienter son écoute en fonction de la
situation et de ses exigences, et c'est là que l'improvisation peut apporter des ouvertures du
champ d'écoute des élèves.

En improvisation non idiomatique en groupe, on peut orienter la question de l'écoute sur un


point de vue discursif. En effet, il est possible de considérer une analogie entre l'écoute dans une
discussion en groupe, de par les nombreux points communs. En improvisation, différents
discours musicaux se confrontent, et se positionnent les uns par rapport aux autres. C'est une
problématique double, le musicien doit à la fois construire un discours musical et le faire évoluer
en fonction des propositions des autres musiciens. Chaque individu de la discussion est
représenté par sa proposition musicale. Joëlle Léandre défend cette analogie, préférant la
dialectique à la discussion en groupe, car cette première offre plus de possibilités, pour elle, de
profondeur et d'intimité.

« je ne crois pas beaucoup à la masse, je crois à l’intimité de l’écoute. Le duo est un art, c’est
une conversation intime et profonde. »37

L'écoute en improvisation correspond, pour elle, à un dévoilement sentimental, c'est donc à la


fois une écoute intérieure et une écoute de l'autre dans son intimité. Cette écoute que propose
Joëlle Léandre est une écoute non pas analytique structurellement mais une écoute ouverte sur la
sensibilité. Travailler cette écoute sensible en improvisation c'est inciter l'apprenant à s'ouvrir
aux propositions des autres et à réagir en fonction, être dans un état attentif pendant l'acte
musical.

37 LÉANDRE, Joëlle, À voix basse, entretiens avec Frank Medioni, mars 2008, Éditions MF, Paris
Il y a aussi l'écoute non-idiomatique. La pratique instrumentale cadre l'écoute dans le champ de
ce que l'on nomme musique, dans le champ des sons classés comme musicaux. L'improvisation
non-idiomatique propose au contraire de sortir, de briser les murs, et d'écouter les sons du monde
comme des matières sonores utilisables. Par rapport à son instrument l'instrumentiste se retrouve
à explorer l'ensemble des possibilités, pour ensuite, de par cet enrichissement, pouvoir « affiner
le champ ordinaire de la technique instrumentale »38. C'est dans ce but qu'Alain Savouret
proposait comme socle des ateliers de sa classe d'improvisation générative un attachement à la
musique concrète éléctroacoustique, car celle-ci utilise « le champ de l'audible dans sa
globalité »39 Travailler à partir de ces œuvres permet d'apprendre « à entendre, sans prothèse
haut-parlante, ce que tous les siècles précédents négligeaient »40. Cette écoute, qui peut être
développée par l'improvisation non-idiomatique, est donc une écoute du timbre, de ce qui fait les
subtilités de celui-ci. Cela permet également d'aborder avec l'apprenant des questionnements
esthétiques sur ce qui rend un son musical, et donc ouvrir l'écoute à l'approche instrumentale de
la musique contemporaine.

Alain Savouret41 lui émet l'idée d'une écoute à trois niveaux, trois échelles. Il parle d'écoute
macrophonique, mesophonique et microphonique entre lesquelles les musiciens jonglent avec
plus ou moins de facilités. Il est donc pour lui important de cultiver ces écoutes pour développer
une « oreille virtuose ».

L'écoute macrophonique correspond à l'écoute cultivée, c'est une écoute qui tend à un
référencement de l'objet écouté par rapport aux connaissances de l'auditeur « via nos mémoires
épisodiques ou sémantiques »42

L'écoute mésophonique est l'écoute habituelle, celle qui permet de créer du sens, une
cohérence au discours et musical et oral. C'est l'écoute de la mémoire à moyen terme, qui permet
d'envisager la forme d'une œuvre ou d'un discours, de relier des évènements sonores espacés de
quelques minutes.

l'écoute microphonique est l'écoute de l’événement particulier, l'écoute du détail timbrique


« que le microphone nous a appris a écouter »43 Elle ne fait appel qu'à la mémoire instantanée.
38 SAVOURET, Alain, Enseigner l'improvisation ? Entretien avec Alain Savouret, Cannone, Clement, ENS
editions, Lyon, Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 18 | 2010, mis en ligne le 01 mai 2012, consulté le
18 mai 2017. URL : http://traces.revues.org/4626 ; pp 237 à 249
39 Ibid.
40 Ibid.
41 SAVOURET, Alain, Introduction à un solfège de l'audible, Symétrie, 2010, Lyon, pp 98 à 105
42 SAVOURET, Alain, Enseigner l'improvisation ? Entretien avec Alain Savouret, Cannone, Clement, ENS
editions, Lyon, Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 18 | 2010, mis en ligne le 01 mai 2012, consulté le
18 mai 2017. URL : http://traces.revues.org/4626 ; pp 237 à 249
43Ibid

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 22/57


II.A.B. La créativité

Nous avons précédemment beaucoup abordé la question de la créativité en interprétation et


improvisation. L'ajout par rapport aux informations précédentes et celui des spécificités de la
créativité en improvisation non-idiomatique.

La créativité se retrouve dans tous les enjeux pédagogiques détaillés dans cette sous-partie.
Elle se retrouve dans la construction d'un répertoire sonore nouveau, dans la proposition d'une
idée musicale, la construction d'un discours musical à partir de cette idée musicale, dans le
positionnement du musicien en fonction des autres, contre, avec, en soutien, en accompagnement
des autres propositions. C'est un positionnement général que le musicien adopte par rapport à son
instrument et à l'improvisation. À chaque instant d'une improvisation le musicien est confronté à
de nombreux choix, qui peuvent être conscientisés. S’il porte une idée musicale (positionnement,
confiance), comment se développe-t-elle ? (construction et anticipation), comment se terminera-
t-elle ? (construction et anticipation), comment réagissent les autres musiciens par rapport à cette
idée ? (écoute) En fonction des réactions, doit-elle prendre plus de place, et donc guider
l'ensemble ? S'éteindre ? Changer de rôle ? Leader, accompagnement, contre-chant ? (écoute,
positionnement)

On voit dans cette association de questions musicales durant l'improvisation aux enjeux
pédagogiques que chaque acte musical en improvisation dépend d'un point sensible de
l'improvisateur, mais que tous ces paramètres si non maîtrisés sont des freins à la créativité.
Comment choisir la fin de l'improvisation si on ne l'anticipe pas ? Comment porter une idée et la
développer si on n'a pas confiance en soi et en son discours ?

II.A.C. La réactivité

La réactivité est en lien direct avec l'écoute. En fonction de ce que j'entends, je réagis. La
réactivité en improvisation non-idiomatique est d'autant plus importante de part l’indéterminisme
de l'acte musical. Il est compliqué d'anticiper les propositions des autres musiciens, il faut donc
être dans une attitude réactive par rapport à l'ensemble. Bien qu'il soit important de réagir en
fonction des autres musiciens, il est d'autant plus important de ne pas en oublier son propre
discours musical, qui doit garder sa cohérence. J'ai remarqué lors d’ateliers et de concerts
d'improvisation deux types de réactivité : une réactivité passive et une réactivité active.

Quand un geste musical apporté par un musicien force une réactivité des autres
improvisateurs, leurs réactions sont généralement similaires. C'est pourquoi je parle de passivité
dans la réaction, car la solution prise est généralement la même, et de manière presque
instantanée. Cela correspond à un acte musical volontaire, qui dérange l'organisation de la
musique jouée. Cela peut être une rupture forte : l'exemple le plus marquant que j'aie vécu est,
pendant un moment improvisé très lyrique mezzo piano, un percussionniste est rentré fortissimo
en tapant sur une cloche un rythme répété rapide. La réaction a été une coupure brutale du
discours précédant l'intervention. Mais cela peut également être un crescendo mené par un
instrumentiste, qui entraîne crescendo général. La réaction passive à un événement pareil est une
adaptation instantanée. Quand je travaille l'improvisation avec mes élèves, j'utilise l'exemple du
crescendo, en l'amenant progressivement, pour leur faire comprendre qu'un musicien dans un
groupe peut influencer la directivité de l'improvisation très simplement, leur faire comprendre
qu'il faut juste en avoir la volonté. Les exemples proposés correspondent soit à une proposition
en rupture avec les propositions actuelle, soit par l'apport d'une directivité, mais dans les deux
cas la proposition contraste par une augmentation du volume sonore général. J'ai déjà
expérimenté l'inverse, bien que plus rarement. Pendant un moment fortissimo d'une
improvisation en groupe, j'ai proposé un discours pianissimo en harmoniques suraiguës. Mon
discours étant inaudible, les musiciens jouant avec moi ont rapidement baissé le volume général
pour faire ressortir ma partie. C'est une réactivité que j'assimile aux réflexes que l'on peut avoir
en situation de danger.

La réactivité active correspond à une réactivité consciente, correspondant plus à une analogie
discursive. Reprendre un élément proposé par un autre musicien, pour adapter son discours et
créer un dialogue, sentir quand il est avisé ou non de rentrer sur le discours d'un autre... C'est une
réactivité d'écoute et d'attention. Si l'on reprend les exemples précédents, il est possible d'avoir
une réactivité active dans le cadre décrit, si le choix est conscientisé et non subi, même s'il suit
l'intuition générale. Je peux très bien décider, par exemple, de continuer le chant lyrique mezzo
piano pendant l'intervention des cloches.

La réactivité est essentielle en interprétation en groupe, pour pouvoir s'adapter rapidement aux
propositions des autres musiciens. L'exemple le plus frappant est l'accompagnement d'un air
d'opéra. Les chanteurs jouant souvent avec le tempo, il est nécessaire pour un musicien
accompagnant d'être extrêmement réactif. Quand on joue une partie de basse, comme la
contrebasse, il est assez impressionnant de voir les effets de la réactivité passive lié à la conduite
de la basse proposée. Si nous prenons par exemple un répertoire baroque, un musicien jouant la
basse continue peut grandement influencer l'ensemble du groupe en fonction de son
interprétation de la ligne de basse continue, sans que ceux-ci décident volontairement de suivre,
par exemple en proposant un crescendo, un decrescendo, non décidé à l'avance, à des moments

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clés. C'est un paramètre de l'improvisation qui est intéressant à transcrire dans l'interprétation.

II.A.D L'anticipation

L'anticipation se retrouve dans la construction de son discours musical propre. Il faut que le
musicien anticipe les choix à prendre, et l'évolution de sa proposition musicale. En fonction de la
réaction des autres musiciens, n'importe quelle idée, quel que soit son rôle, peut se retrouver à
changer de rôle malgré la volonté du musicien la portant. Par exemple, par défaut de voix
supérieure, un accompagnement peut se retrouver dans un rôle soliste à tout moment d'une
improvisation. C'est pourquoi le musicien doit envisager le potentiel de sa proposition, même
dans un rôle d'accompagnement, pour pouvoir le déclencher au moment voulu, ou subi.

II.A.E. La présence scénique et le rapport au corps

Le corps est un des moteurs possibles de l'inventivité dans l'improvisation. L'instrumentiste


sort de son rôle d’interprète et peut donc utiliser dans son discours improvisé l'entièreté de son
entité scénique, c’est-à-dire son corps, sa voix. L'improvisateur est individu avant d'être
instrumentiste, son médium d'expression n'est pas uniquement son instrument de musique. Il est
possible donc de travailler tous les aspects de la présence sur scène en improvisation. La pièce
présentée Valentine rentre dans ce contexte d'ouverture du rôle du musicien, ainsi que beaucoup
d'autres pièces du répertoire du théâtre musical. On peut parler particulièrement du travail du
compositeur Vinko Globokar, dans des pièces comme ?Corporel44 pour percussionniste solo,
dont l'instrument est le corps, Dédoublement (1975)45 pour clarinette seule, avec deux timbales,
jouant sur les résonances de la clarinette à l’intérieur des timbales, ou encore Par une forêt de
symboles (1986)46, pièce pour sextuor ou plus, travaillant sur des enchaînements d'événements
symboliques musicaux et théâtraux.

« Lors du concert d’un orchestre, par exemple, on s’attend à une expérience intellectuelle, affective, voire
certainement non physique. Le corps des exécutants est déguisé et neutralisé par le fait même qu’ils
portent un uniforme. Tout concorde de manière à neutraliser les éléments visuels et théâtraux de
l’expérience. On a souvent l’impression d’être invité à écouter les yeux fermés. ?Corporel renverse cela
en insistant sur le corps et l’idée que nous faisons nous-mêmes des sons et sommes par nature des
créatures musicales. »47

Le rapport au corps est la base des enseignements en improvisation de mon ancien professeur

44?Corporel, GLOBOKAR Vinko, 1984, Edition Peters, Londres


45 Dédoublement, GLOBOKAR Vinko, 1975, Frankfurt ; London ; New York, H. Litolff C.F. Peters
46 Par une Foret de Symboles, GLOBOKAR Vinko, 1986, Ricordi, Milan
47 SCHICK Steven, 2010, Vinko Globokar Corporel 1984, consulté le 20/04/2017, en ligne
http://www.music.mcgill.ca/musimars/mm2010/schedule/day5/globokar.html
d'improvisation Philippe Pannier.48 Il commence tous ces ateliers par un travail physique, proche
des travaux que l'on peut effectuer en initiation à la danse contemporaine. Il tente à travers des
exercices de transférer une production mentale du son vers une production physique.

Un exercice que j'ai pu observer à de nombreuses occasions consiste à essayer de lancer un son à
différents endroits de la salle, en changeant la gestuelle employée. Le but est de connecter
l'amplitude gestuelle au résultat sonore, pour inciter les musiciens présents à développer un
rapport presque dansé avec leur instrument. Cet exercice permet de repenser le geste musical par
rapport à une construction gestuelle et non une attente sonore.

Le geste comme principe compositionnel existe chez plusieurs compositeurs de la seconde


moitié du XXe siècle. Dans le répertoire de la contrebasse, on peut parler de Chamber Noise49
d'Ondrej Adamek, qui annonce l'aspect théâtral dans la préface50 et également de Valentine de
Jacob Druckmann.

Dans le cadre non-idiomatique improvisé, le rapport à l'instrument change du rapport


traditionnel, et la technique s'en trouve modifiée.

« L’improvisateur libre pousse le plus loin possible l’appropriation de son instrument, jusqu’à
la distorsion factuelle de celui-ci : ajouts divers, prothèses caractérisées, etc. C’est bien le
caractère propre du musicien (donc son style) qui est en jeu, pas sa façon de tourner autour de
valeurs communes (trop communes) à un courant, à un idiome de référence. Les « marges »
techniques, c’est la marge de liberté inventive que le musicien s’offre, provoque. »51

Le geste technique n'est plus dans une recherche d'une perfection du résultat, mais admet des
marges obligées par l'acte musical improvisé. Sa créativité et son expressivité débordent donc le
cadre technique de la pratique traditionnelle.

II.A.E La construction d'un discours

La construction du discours musical englobe tous les paramètres, mais est quelque chose de
propre à l'individu. Le discours d'un musicien dans une improvisation est personnel,
indépendant, mais aussi altérable et pluriel. Il s'adapte aux propositions des autres musiciens,
mais ne doit pas en être dépendant. En effet, de par la nature aléatoire de l'improvisation en
48Conservatoire D'aubervilliers la Courneuve
49 Adamek Ondrej, Chamber Nôïse I, Editions Gérard Billaudot, 2011
50 « Cette pièce a un aspect théâtral [...] une grande concentration des musiciens sur scène est alors très importante
» Adamek Ondrej, Chamber Nôïse I, préface, Editions Gérard Billaudot, 2011
51 Savouret, Alain, Enseigner l'improvisation ? Entretien avec Alain Savouret, Cannone, Clement, ENS editions,
Lyon, Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 18 | 2010, mis en ligne le 01 mai 2012, consulté le 18 mai
2017. URL : http://traces.revues.org/4626 ; pp 237 à 249

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 26/57


groupe, n'importe quel discours peut être à tout moment mis en avant (cf l'anticipation), et doit
par extension être cohérent en lui-même, et contenir un développement propre sous-jacent, ou
effectif. Il est important d'être conscient de l'arbre des possibilités de ce qu'on joue lorsque l'on
improvise. Dans un cadre pédagogique, la notion de discours rhétorique peut être abordée, dans
ses formes les plus simples ; exorde, narration, péroraison, ou de façon plus ouverte ; début,
milieu, fin. Il est intéressant de faire un parallèle entre le discours parlé et le discours musical,
ou, en fonction du public, de faire le parallèle avec une histoire. Construire l'histoire d'un son,
d'une idée musicale comme celle d'une comptine.

La construction rhétorique du discours musical se retrouve dans l'organisation du tutti initial


des premiers mouvements des concertos de l'époque classique, il est donc possible d'aborder ces
répertoires par ce biais. Cela correspond donc à infuser la construction d'un discours musical
improvisé d'une pratique compositionnelle correspondant au morceau à interpréter. On peut
aborder un discours musical en reprenant le principe de simplicité motivique et de l’extrême
développement de ce simple motif de l'écriture de Beethoven dans le but d'interpréter une pièce
de ce compositeur. De nombreux autres exemples peuvent être étudiés, on peut faire un exercice
improvisé pour chaque construction du discours musical détectée dans un morceau à interpréter.

Je décris dans la partie II.B.B un projet qui reprend de manière détournée cette méthodologie.

II.A.F. La confiance en soi

La confiance en soi est le paramètre de l'improvisation le plus remarquable, et le plus


incapacitant.

De par sa nature, l'improvisation met les individus dans un rapport social comparable à la
discussion en groupe. Les mêmes problématiques s'y retrouvent donc. Assumer son discours, le
porter, le construire, contredire le discours d'un autre, le soutenir… Tout ceci demande de
l'aisance sociale, et l'improvisation libre confronte l'individu à ses lacunes sociales, et l'oblige à y
réfléchir. Il est du rôle du pédagogue de prendre en compte cet aspect hautement social de
l'improvisation, et de guider humainement les apprenants. Les profils peuvent être nombreux, la
timidité, la non-implication, l’omniprésence… Improviser, c'est avant tout écouter les autres,
construire son propre discours, et l’insérer dans la somme des discours.
II.B. Exemples pratiques

L'improvisation dans le cadre de l'apprentissage initial d'un instrument de musique peut être
aussi utilisée comme outil pédagogique pour pallier les difficultés techniques, à la place des
traditionnels exercices techniques. L'utilisation de l'improvisation comme exercice peut favoriser
la prise en compte naturelle de paramètres techniques par l'apprenant. Le cadre peut porter sur
une problématique générale portant sur la position et le jeu, comme sur une problématique
particulière portant sur un répertoire spécifique ou une complexité technique.

II.B.A. Les problématiques générales

Ce qui est nommé « problématique générale » ci-dessus correspond aux difficultés


rencontrées par l'élève quel que soit le répertoire proposé. Celles-ci peuvent correspondre soit à
des difficultés diagnostiquées sur la contrebasse : position, technique et musicalité, soit à des
difficultés correspondant à l'ensemble de la pratique musicale : oreille, écoute, justesse,
rythme…

Dans le cadre d'une problématique simple, l'exercice d'improvisation peut être assimilé à un
exercice relevant d'un modèle d'enseignement dit « constructiviste »52

« L’apprentissage se construit au sein d’une production de type artistique, réalisée par l’élève,
stratégiquement structurée par l’enseignant sur la base d’une proposition ouverte de travail.
Les étapes et le résultat de la démarche sont argumentés dans un but de formalisation et de
rationalisation des acquis, puis situées au regard de problématiques ancrées dans le champ
artistique »53

Schéma d'une situation de travail dite constructiviste54

L'élève est mis dans une situation artistique d'improvisation qui le confronte spécifiquement à
un problème pour lequel il doit trouver une solution. Celle-ci n'est pas apportée par l'enseignant.

52AC-Paris.FR, lien consulté le 11/05/2016 https://www.ac-paris.fr/portail/jcms/p1_464684/trois-grandes-positions-


en-education-et-leurs-liens-avec-la-transmission-des-savoirs-en-matiere-deducation-artistique
53 Ibid.
54 Ibid.

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 28/57


Le déroulé et la méthode des exercices décrits par la suite sont assimilables à une
simplification descriptive :

prérogatives : avoir déjà abordé l'improvisation non-idiomatique avec l'élève

cadre : improvisation, idiomatique ou non-idiomatique.

consigne : consigne unique polarisée sur un seul paramètre technique ou


sonore, tous les autres paramètres sont laissés indéterminés, donc
dans le champs de la création artistique.

Deux improvisations avec discussion après chacune des improvisations, essayant d'éviter une
trop grande verticalité dans l'enseignement, sur une base dialectique. (questions)

II.B.A.a. le son, le timbre et le poids

Le son et le timbre sont une grande problématique de l'apprentissage d'un instrument à cordes
frottées. Selon mon expérience, les apprenants sont souvent confrontés à une difficulté soit à
considérer le son qu'ils produisent soit à comprendre leur marge d'action sur celui-ci. Il est
entendu par « considérer » l’intérêt porté par l'apprenant sur la qualité timbrique qu'il propose.

C'était le cas de Jeanne (16 ans) élève à Cachan en 3e année de second cycle au moment de la
situation présentée. C'est une élève qui, selon mon diagnostic, n'a pas encore pris en compte
toutes les possibilités expressives de l'archet dans son jeu 55. Elle joue majoritairement en
flautando56 presque sul tasto57, quels que soient le répertoire abordé et les demandes de
l'enseignant concernant l'interprétation de ce répertoire.

Elle possède une technique de main gauche développée et saine (la main gauche est celle qui
s'occupe des doigtés). Son oreille est assez développée pour qu'elle ait une bonne justesse. Sa
conscience des rapports harmoniques dans la construction d'une phrase musicale menant à cette
justesse, conjuguée à son intérêt pour le perfectionnement de sa position de main gauche, donne
l'indice d'une polarisation de sa concentration sur la note et le doigté. Les problématiques liées au
timbre et à l'archet sont donc probablement laissées aux automatismes de jeu.

L'exercice :
cadre : improvisation non-idiomatique
paramètre déterminé : évolution temporelle de l'amplitude sonore
55 Paramètres du son à l'archet : poids, vitesse, placement vertical et horizontal, gestion du crescendo, du
decrescendo
56 Flautando : grande vitesse d'archet et très peu de poids dans la baguette, sonorité feutrée, flottante et pleine de
souffle
57 sul tasto : jeu avec l'archet sur la touche, menant à une sonorité feutrée, un amplitude sonore faible et très peu
d'harmoniques aigues.
(crescendo) à l'archet

– Première improvisation :

conscientisation du problème : Jeanne se rend compte que la limite haute de son amplitude
sonore est très basse, quel que soit le matériau utilisé. (incapacité à obtenir en fin d'improvisation
un vrai forte, ni même un mezzo forte ample.)

– Questions : Par quels moyens peux-tu mener un crescendo ? Par quels moyens peux-tu
augmenter ton amplitude sonore maximale ?

Elle définit au bout de la discussion les différents paramètres de l'archet : le poids, la vitesse,
le placement vertical, le placement horizontal.

– Seconde improvisation :

Nous remarquons avec Jeanne une vraie évolution de son son et de son amplitude.

– Questions : Qu'est-ce qui a changé par rapport à la première improvisation ? Quels


changements as-tu ressenti et opéré dans ton écoute ? Quels choix gestuels as-tu fait pour mener
la progression de l'amplitude sonore ?

Cette évolution se ressent juste après lors du jeu de son morceau de répertoire.

II.B.A.b. Le rythme et la conscience rythmique

La conscience rythmique est une autre difficulté récurrente chez les apprenants. Nous allons
voir un cas ou cette problématique est due à une considération erronée du jeu et du déroulement
temporel et musical par l'apprenti.

Armand est un élève du conservatoire de Cachan. Il a 7 ans et est en 2e année de premier


cycle au moment de la situation présentée.

Concernant le rythme, la problématique diagnostiquée est qu'il envisage le jeu comme un


effort physique intense, et donc prend le temps de souffler fortement entre chaque note, comme
s'il avait effectué un effort énorme. Ceci lui fait perdre toute conscience temporelle et lui
empêche de créer du lien entre chaque indication sur la partition, qu'il imagine comme un
événement. Il considère donc chaque note comme un événement musical et physique fini, et non
relié. Se figurent donc deux travaux, un sur une rationalisation de sa posture et de sa respiration
pour éviter la fatigue physique, et un autre sur la conscience du temps et du déroulement du
temps dans la musique jouée. Nous allons voir ce deuxième point, sous le prisme de l'exercice

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 30/57


dans un cadre improvisé.

L'exercice
cadre : improvisation non-idiomatique
paramètre déterminé : tempo (lent)

– Première improvisation :

Armand à du mal à maintenir le tempo proposé pendant le jeu à deux, mais la répétition des
événements musicaux se fait de manière plutôt naturelle.

– Question : Qu'est-ce qui n'a pas marché dans l'improvisation ?

Armand détecte le fait qu'on n’était pas vraiment « ensemble »

– Seconde improvisation :

La répétition se fait de manière plus naturelle, le rythme s'installe.

– Question : Pourquoi avons-nous réussi à jouer ensemble ? Que penses-tu qu'être en rythme
veut dire ?

Armand aborde la question du temps et du tempo.

II.B.A.c. Analyse des cas proposés

Dans les deux cas présentés on retrouve à l'origine de la problématique traitée un problème de
conscience et d’habitude. Le problème est assimilé et vu par l'apprenant soit comme normal ou
non problématique, soit comme non important, moindre face aux autres difficultés. Les deux cas
présentés diffèrent grandement si on les compare d'un point de vue d'une étude de public.
Armand et Jeanne représentent deux étapes différentes de l'enseignement initial d'un instrument
de musique au sein d'un conservatoire. La création et transmission de bases musicales et
techniques pour pouvoir aborder la pratique musicale chez Armand, qui représente un public
jeune, et l'indépendantisation de l'apprenant pour le mener vers une vie artistique amateur chez
Jeanne, qui représente un public amateur aux portes des études supérieures. Les objectifs des
exercices improvisés sont donc placés dans un axe différentié. L'indépendantisation passe par
une dialectique visant à une analyse poussée, l'amenant à se poser elle-même des questions
techniques précises ainsi qu'à faire des choix techniques et musicaux. Chez Armand la partie
dialectique porte plus sur une découverte musicale, une reformulation d'acquis d’expérience, et
lors de cours de formation musicale, pour favoriser l'assimilation.
Le procédé d'improvisation comme outil pédagogique n'est en rien une solution miracle, et le
résultat n'est pas miraculeux, car les cadres décrits détachent l'apprenant d'une grande partie des
problématiques du jeu interprétatif. La difficulté technique, la lecture, le respect d'un style, du
rythme, la justesse, la forme, etc., sont dans la majorité des situations supprimés par l'intuitivité
de l'improvisation. Par exemple dans le cas d'Armand, le problème peut être lié aux
problématiques de lecture, et de simultanéité de la lecture et du jeu. L'improvisation enlève cette
complexité.

Cet outil pédagogique permet la création d'une focalisation du travail sur une problématique
technique et ou instrumentale de détacher cette problématique de son contexte interprétatif, mais
dans un cadre artistique, ludique et partant de l'élève. Il se crée donc à la fin des improvisations
et discussions un référentiel fructueux commun à l'enseignant et à l'apprenant. Ceux-ci pourront
l'invoquer pour pallier une récurrence de ce problème, et donc apposer ce travail à un cadre
interprétatif. L'improvisation sert de révélateur, pour que l'apprenant se rende compte par lui-
même du diagnostic fait par son professeur, la dialectique amène la découverte et/ou
reformulation de solutions à ce diagnostic. La dernière improvisation, au sein de laquelle le
problème se résout, sert de référence pour la suite de l'enseignement.

On peut donc identifier un déroulement méthodologique :

1. L'enseignant diagnostique un problème chez l'élève, verbalisé.

2. Il propose une situation d'improvisation qui détache le problème choisi du reste des
problématiques du jeu interprétatif.

3. L'élève identifie le problème.

4. L'élève est amené par la dialectique à identifier des solutions.

5. L'élève utilise les solutions dans une nouvelle improvisation

6. Cette occurrence sert de référentiel commun dans le travail interprétatif futur.

II.B.B. Les objectifs musicaux

II.B.B.a. Les musiciens de Brême : L'analogie pour construire une improvisation

Comme nous l'avons précédemment vu, l'improvisation, idiomatique ou non idiomatique, peut
servir de matériel pédagogique pour amener l'apprenant à découvrir, formuler, pratiquer, des

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 32/57


principes musicaux que l'on retrouve dans l'ensemble de la musique écrite. Improviser amène à
poser des questions sur les paramètres de la musique. Qu'est-ce qu'une idée musicale ? Un
motif ? Comment construit-on un morceau ? Comment faire évoluer une idée ? Quels principes
permettent à plusieurs idées de cohabiter ? Comment commencer ? Comment finir ? Quelle place
donner au silence ? La liste est longue.

Pour aborder des questions de construction d'un discours musical, j'ai voulu adapter la
méthodologie au public ciblé dans le but de favoriser la compréhension. Pour un public jeune,
j'ai choisi une méthodologie analogique. L'analogie est un moyen généralement utilisé dans
l'enseignement spécialisé de la musique pour permettre à l'apprenant, soit de comprendre une
problématique technique, soit d'exprimer ses émotions grâce à son instrument.

J'ai observé dans les ateliers de Jérôme Capitan le même fonctionnement par analogie, au sein
d'une méthodologie visant à proposer des contrastes musicaux entre deux idées. Il y a dans
chaque atelier environ 15 élèves en premier cycle. Chaque étudiant propose chacun son tour une
idée musicale liée à un sentiment ou une posture personnifiée, contrastant avec la proposition
précédente cela peut être un grand personnage fort, ou un personnage triste.

« le raisonnement par analogie entend l'atteinte d'une cible (l'élément nouveau) par le biais
d'une source (l'élément connu) qui partage une certaine ressemblance avec la cible58. »

schéma de la structure d'une analogie59

L'analogie selon B. Reimer tient du cadre référentialiste de la pédagogie car elle cherche du
sens dans un sujet extérieur à celle-ci. Il faut donc selon lui faire attention à ce que les
particularités observées et mises en lumière par l'analogie utilisée soient réellement analogues
aux particularités de la musique.

Pour un public plus âgé il est possible de travailler cette même problématique en ayant une
approche purement structurelle et musicale, c'est-à-dire sans passer par l'argument analogique.
C'est une approche que j'ai observé pendant les cours d'improvisation que j'ai suivi avec Philippe
Pannier au CRR d'Aubervilliers la Courneuve et au pôle sup 93, ainsi que lors d'une Masterclass

58 MORAIS, Line, L'analogie comme stratégie d'enseignement en pédagogie du piano, thèse, université d’Ottawa,
Ottawa, canada, 2005, p. 15, consulté en ligne le 10/05/2016, URL : http://piano.uottawa.ca/wp-
content/themes/pianolab/Publications/Methods/Line.pdf
59 MORAIS, Line, Ibid, p. 77
avec Denis Charolles60 chaque atelier est porté sur une problématique unique de la construction
du discours et de l’œuvre. Par exemple, comment commencer ? Comment finir ? Comment
développer une idée à matériau simple ? À matériau complexe ? Comment effectuer un "slash",
c’est-à-dire un changement brutal d'atmosphère sonore non prévu à l'avance dans une
improvisation en groupe ?

Dans les cas que nous allons étudier, l'analogie est au cœur du principe méthodologique. Pour
mon projet artistique à caractère pédagogique, j'ai utilisé la personnification pour aborder des
problématiques de construction musicale. L'argument de mon projet était un conte, les musiciens
de Brême des frères Grimm. J'ai par ailleurs observé des ateliers d'improvisation de Jérôme
Capitan au CRD de Montreuil, ou ce même principe de personnification est utilisé comme outil
pédagogique.

Un personnage est intéressant car il subit tout au long de l'histoire, de son parcours, des
épreuves qui le mène à un développement de sa personnalité, qui le transforme en profondeur.
C'est le principe littéraire du voyage initiatique. Dans l'histoire de la musique, les cas les plus
probants d'analogie littéraire au héros d'un conte ou d'une histoire, utilisée pour la construction
de l'œuvre sont les poèmes symphoniques, comme par exemple Pelleas und Melisande de
Schoenberg, ou chaque personnage est représenté par un court motif réutilisé tout au long du
morceau. Le destin est aussi mis en musique par un motif.

II.B.B.b. Les musiciens de Brême : déroulé et analyse

Mon projet pédagogique a été mené au conservatoire d'Aubervilliers la Courneuve dans la


classe de Félicie Bazelaire avec quatre élèves en contrebasse en fin de premier cycle début de
deuxième cycle, représentant une fourchette d'âge de 10 à 12 ans.

Pour rester dans une attitude favorisant la créativité de chacun, toutes les décisions ont été
prises à partir de propositions des participantes, exceptés le découpage du texte et l'argument
littéraire général de chaque improvisation. 61

Nous allons étudier uniquement le travail sur les cinq premières improvisations, à thématique
musicale unique.

60 CRR Aubervilliers La Courneuve


61 Voir annexe : déroulé du projet

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 34/57


Déroulé des séances :

Les trois premières séances ont porté sur la construction d'un matériau court, d'une idée
musicale pour chaque protagoniste du conte : l'âne, le chien, le coq, le chat, et les brigands. Suivi
d'un travail sur le développement de cette idée en solo et en tutti, le tutti correspondant à la mise
en situation des éléments choisis les uns par rapport aux autres.

Les trois autres séances ont porté sur le choix des structures et formes des improvisations
longues.

J'ai orienté le travail selon le déroulé méthodologique suivant :

I. Construction d'un matériau, d'une idée musicale, et d'un répertoire sonore

La réflexion sur ce qui fait idée musicale s'est construite de prime abord à partir de l'approche
analogique, à partir d'évocations sensibles. Chaque personnage a été analysé dans son
comportement et son histoire. Les remarques effectuées d’un point de vue sensible ont été
ensuite retravaillées d’un point de vue analytique. Les termes : « matériau » et « idée musicale »
représentent dans ce mémoire le même concept, une courte cellule musicale pouvant être définie
selon la grille de lecture des paramètres du son : fréquence, timbre, durée, amplitude. Un son
unique peut avec tous ces paramètres contenir assez d’informations pour faire idée musicale.
Aborder ces problématiques a entraîné une utilisation d'une oreille analytique chez les
apprenants. La réflexion est partie d'un son unique pour aller vers des idées plus complexes
d’association de sons.

les matériaux retenus pour les protagonistes du conte furent :

Pour l'âne : notes courtes arco dans les graves et des glissendi arco.
Pour le chat : battement du bouton de l'archet entre les cordes et un con legno battuto
Pour le chien : des sons frappés sur le corps de l'instrument, un vibrato ample effectué par
une torsion de la corde sur une note tenue à l'archet et des notes vives sur les cordes entre
le cordier et le chevalet
Pour le coq : des sons sul ponticello arco et des pizz bartòk
Pour les brigands : Un thème chromatique dans les graves en rythme resserré.

On remarque également que par le biais de l'improvisation une grande partie des possibilités
instrumentales sonore de la contrebasse ont été utilisées, ce qui permet le développement de
l'écoute timbale et des sons.
II. Développement de cette idée musicale, construction d'un discours musical

Les improvisations à thématique unique (bandits / coq / âne / chat / chien) 62 ont été travaillées
à partir des caractérisations musicales choisies. Nous avons identifié les différents paramètres
définissant chaque idée et réfléchi à comment développer un discours à partir de ces paramètres.
Cela correspond à l'identification de l'arbre des possibilités que propose un son unique, son
potentiel évolutif.

III. Mise en situation de ce discours par rapport aux autres propositions musicales en groupe,
l'organisation verticale

J'ai cherché à mettre en lumière les différents rôles que peut occuper un musicien dans une
pièce en ensemble : Solo, accompagnement, contre-chant, mais aussi les différentes interactions
qui peuvent exister et coexister entre deux discours musicaux simultanés : ils peuvent être
opposés, reliés, ignorés.

IV. Construction d'une œuvre musicale dans son ensemble, organisation structurelle et
formelle

De par les thématiques abordées dans le texte, il fut assez simple de justifier des
cheminements thématiques à l’intérieur des improvisations. Les structures furent choisies
ensemble de sorte à couvrir un large panel des possibilités structurelles d'une œuvre courte :

Pour l'âne : La forme ABA

Pour le coq, des événements qui s'espacent de plus en plus, jusqu'au silence

Pour le chat une forme binaire en crescendo tutti vers une coupure nette

Pour le chien un ajout progressif d'éléments

Pour les brigands une forme en decrescendo

Analyses

J'ai essayé par ce projet de mettre en œuvre une approche globale de la création artistique, par
le biais de l'improvisation. Les étudiantes étaient très impliquées et motivées, elles présentaient
une grande force de proposition. Mais je n'ai pas pu faire l'important du travail, qui se passe une
fois le projet fini, restituer les compétences abordées dans l'interprétation. La quantité de points
abordés était peut-être trop grande pour amener à un réel apprentissage tangible concernant la

62 Voir le déroulé en annexe

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 36/57


créativité et la création en musique, mais de nombreux points importants ont été abordés, en
termes de timbre, de structure, de développement motivique, de communication, qui pourront je
l'espère servir d'informations référence dans leur conception musicale.

Conclusion
J'ai, tout au long de mon parcours d'études, associé de manière parallèle l'improvisation et
l'interprétation sans en comprendre réellement le lien expressif. Ce n'est qu'en fin d'études qu'un
professeur m'a invité à transférer l’expressivité en improvisation vers le travail d’une
interprétation, et cette proposition bien que logique m'a ouvert progressivement l'esprit sur cette
correspondance expressive. J'ai petit à petit réussi à ressentir en interprétation ce que je ressentais
en improvisation, et ce travail est bien sûr toujours en cours. En réfléchissant à mon parcours je
peux réaliser maintenant le temps perdu à séparer les pratiques, à ne pas relier les éléments. Le
lien entre interprétation et improvisation est, je pense, beaucoup plus facile à effectuer si il est
conscientisé tôt dans l’apprentissage de la pratique instrumentale, et peut, comme j'ai essayé de
le démontrer, réellement aider à l'interprétation. C'est pourquoi je propose cette approche de
l'expressivité dès le plus jeune âge à mes élèves à Sarcelles et lors des projets que j'organise, c'est
également pourquoi j'ai cherché à adapter des exercices détachés de leur contexte musical à un
contexte improvisé, pour apporter au sein du travail spécifié technique une direction propre à la
musique ainsi qu'une part d'expressivité et de créativité.

Chaque pédagogue de l'enseignement initial de la musique en France trouve, à l'aide de


lectures et remises en questions pédagogiques, une méthodologie et une pédagogie pour à la fois
garantir un enseignement efficace et prendre en compte la volonté de l'apprenant. Mais, de mon
expérience, la créativité et l'expressivité, dans l'enseignement de la contrebasse, sont souvent très
peu abordées, contrairement aux autres traditions instrumentales. Cela est peut-être dû au rôle
que possède l'instrument dans l'histoire de la musique, un rôle harmonique, de fondation, et
rythmique, une fonction accompagnatrice et non d'expressivité horizontale. Il est logiquement
plus compliqué de chercher une grande expressivité quand on ne joue pas les parties les plus
expressives du morceau interprété, mais je suis intimement convaincu que la créativité
interprétative peut être recherchée même dans les parties les plus accompagnatrices. La
contrebasse possède de plus un grand répertoire et une grande tradition soliste, de Dittersdorf à
Bottesini, Koussevitsky, et maintenant un répertoire contemporain de soliste, et solo, grandissant
(Sequenza de Berio, l'œuvre complète de Stephano Scodannibio, les différents concertos de
Martin Matalon, Rebecca Saunders, etc).

Pour conclure, l'improvisation peut-être un espace de créativité au service de l'apprentissage


de l'instrument et de l'apprentissage de l'interprétation, de part la correspondance des différentes
créativités. La créativité en improvisation est une créativité plus simple à mettre en œuvre, car
celle-ci propose un rôle « auctorial » au musicien, qui laisse une place créative dont l'approche
est simplifiée par rapport à la créativité en interprétation. Cette dernière demande en plus une
complexité liée à la lecture de la partition, à la difficulté physique, rythmique, la recherche de la
perfection de la justesse, entre autres. Ces problématiques liées à l'interprétation d'une partition
rend l'expressivité et la créativité plus difficile à aborder.

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 38/57


Annexe

Annexe 1. Référentialisme :

Le référentialisme, selon B. Reimer, pense l'art, et dans ce cas la musique, dans un cadre
extra-musical. « La signification et la valeur d'une œuvre se trouvent en dehors de l'œuvre elle-
même63. » Il s'attache au sujet plutôt qu'à la forme, à l'expressivité, à l'idée de langage et de but
extérieur à l'œuvre. Plus la musique réussit à faire vivre une expérience extra-musciale, plus elle
est réussie.

« En musique, les sons devraient servir à nous suggérer, à nous donner un indice ou un signe de
quelque chose d’extérieur à la musique, de quelque chose d'étranger aux sons et de différent du
rôle des sons64. »

Le référentialisme s'étend dans trois pensées différentes, soit l'idée d'un art comme utilitaire
social, soit comme transmetteur sensé, soit comme transmetteur sensoriel, émotionnel. On
retrouve cette idée référentialiste d’utilité sociale et de transmission sensée dans l’image de l’art
proposée par le marxisme-léninisme :

« L’art doit contribuer à la transformation idéologique et à l’éducation des travailleurs selon


l’esprit du socialisme65. »

« Il faut juger une œuvre d'art d'après ce qu'elle a de non artistique, d'après le rapport de son
contenu avec le monde extérieur à l'œuvre, monde distinct des qualités artistiques66. »

On la retrouve également chez Platon et Tolstoï. Dans La République, Platon traite la musique
et la gymnastique dans le même chapitre, et donc les assimile 67. Pour lui, chaque mode musical a
une valeur en fonction de l’effet qu’il produit sur les foules. La seule musique intéressante pour
son message (et non ses conséquences extra-musicales) est la musique à harmonie fixe et tempo
fixe, car représentant l’harmonie parfaite du monde des idées 68. Tolstoï, lui, considère la qualité
d’une œuvre par rapport à sa capacité à transmettre les valeurs chrétiennes 69.

La musique considérée comme d'utilité publique pose la question du contenu de l'éducation


musicale : faut-il apprendre une technique, un art, ou apprendre à être ? Dans certaines de ses
formes utilitaristes, le référentialisme implique une pédagogie de l’élévation personnelle, du
devenir citoyen.
63 TOLSTOÏ, Léon, What is Art, traduction Aylmer maude, indianapolis, the liberal art press, 1960, p 152
64 REIMER, Bennett, Une philosophie de l'éducation musicale, traduction sous la direction de Yves Bédard, les
presses université Laval, Quebec, 1976
65 BERGER, John , DANIEL Howard, GARRIGUES, Antoine , Réalisme Socialiste, Encyclopædia Universalis,
en ligne, consulté le 15 janvier 2017. URL: http://www.universalis.fr/encyclopedie/realisme-socialiste/
66 Ibid.
67 Platon, La République, Livre III/IV/V, traduction Émile Chambry.
68 Platon, La République, Livre IV, traduction Émile Chambry.
69 TOLSTOÏ, Léon, What is Art, traduction Aylmer maude, indianapolis, the liberal art press, 1960, p 152
Le second pan du référentialisme pense l'œuvre musicale comme un discours intelligible. La
musique transmet des informations, possède un langage dont il faut connaître le code pour
pouvoir le comprendre, on peut donner comme exemple les traités de rhétorique musicale du
XVIIe siècle proposant un lien entre figure de style, champs lexicaux, passions et principes
compositionnels, par exemple Musica Poética de Burrmeister70.

Le dernier pan du référentialisme construit sa vision de la musique sur un référencement


sensitif, sensoriel, émotionnel. C'est-à-dire associer à chaque paramètre musical une
signification, ou une émotion, un affect. L'œuvre est un médium de l'expression de soi. Les
références extra-musicales permettant l'évaluation de l'œuvre musicale ne sont plus dans la
recherche d'un langage musical universel, mais dans la recherche d'une expérience sensorielle.
On retrouve la vision sensorielle, uniquement émotionnelle, chez Kierkegaard, pour qui elle est
le domaine de l'érotisme spontané 71.

Dans le cadre de la construction d'un idéal référentialiste, on peut faire le lien entre le
référentialisme émotionnel et l'esthétique expressionniste décrite par François Nicolas72.

« L'expression […] transperce [la construction]. La construction […] la comprime, si ce n'est


l'opprime » « l'audition n'est plus une perception (la reconnaissance d'objets, la saisie d'une
cohérence, d'un secret, d'un sens) mais un ravissement […].73 »

Le référentialisme met en avant l'émancipation personnelle par l'apprentissage artistique et la


sensibilisation artistique, ainsi qu'une intention extérieure à sa construction nécessaire à toute
œuvre. Celle-ci enferme l'expression de cette intention, et doit donc au maximum lui laisser
l'espace de s'exprimer.

Annexe 2 Formalisme

Le formalisme prend ses racines dans la pensée formelle stricte déconnectée des émotions. La
pensée formaliste de l'art s'oppose à l'idée d'un langage d'émotion produit par l'art. « Les
sentiments précis et les émotions ne sont pas susceptibles d'être concrétisées en musique 74. »

La valeur et l’intérêt même d'une œuvre se retrouvent uniquement dans sa construction, sa


forme et la légitimité de son organisation. L'émotion et l'expressivité sont des paramètres

70 BURMEISTER, Joachim, Musica Poetica, 1606, par exemple


71 DARRIULAT, Jacques, en ligne, URL =
http://www.jdarriulat.net/Introductionphiloesth/PhiloContemp/Kierkegaard.html, consulté le 15/01/2017
72 NICOLAS, François, Ibid., pp.170 à 173
73 NICOLAS, François, Ibid., p171
74 HANSLICK, Edouard, The beautiful in Music, trad Gustave Cohen, Indianapolis, The liberal art press, 1957, p.
21

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 40/57


proscrits, car le formalisme une « esthétique de la cohérence formelle, impersonnelle et
allergique à toute mimésis75 ». Son langage n'est autre que son langage, et ne peut être extra-
artistique.

Le formalisme esthétique est par donc définition normatif. Si l’intérêt de l'œuvre est
uniquement formel, on peut logiquement penser que le rôle de l'interprète est d'effectuer une
transcription en temps réel parfaite des composantes formelles et des subtilités compositionnelles
de l'œuvre. Dans ce cadre, l'interprète, lors de l'exécution, n'aurait pas de rôle sensible personnel,
tout ce que l'œuvre doit communiquer serait ainsi déjà inclus dans celle-ci. « La tâche de
l'interprétation est alors étroitement conscrite à des vertues d'exactitude : l'interprétation est –
doit être – une exécution la plus exacte possible 76. » L'expressivité personnelle de l'interprète et
ses sentiments n'auraient pas à transparaître dans l'interprétation, car l'expressivité de l'œuvre
serait déterminée par elle-même, par son organisation et sa justification.

Cette vision de l'interprète oriente donc les buts de l'apprentissage d'un instrument, et
implique un formalisme didactique. Le plus important serait alors d'enseigner à l'apprenant les
méthodes et la technique permettant une exécution parfaite de l'œuvre.

« La transmission entre musiciens du souci musical est pratiquée comme une instruction 77.

Annexe 3. Valentine

Valentine est une pièce pour contrebasse seule écrite par Jacob Druckman en 1969. Elle fut
commandée, avec Animus III par le Groupe de Recherche Musicale de Paris, et créée par Alvin
Brahem.

1. Mise en œuvre de la voix

Dans un cadre musical, l'interprète doit chanter, parler, souffler. Ces évènements ponctuent le
discours musical et ont un rôle timbrique, polyphonique, percussif ou formel.

Fondus enchainés

Ces événements sont généralement des travaux sur le timbre, où une distorsion timbrique d'un
son est effectuée par un système de fondu enchaîné entre un événement instrumental et un
événement vocal. Cela peut être dans une idée de prolongation d'un son, comme à 4:45 où le
drone de croches répétées est transmis à la voix par un fondu, caché par un évènement sonore
fort. On remarque ce principe, souvent utilisé dans la partie 5, 4:53, 5:03, 5:05. Ces passages en
75 DARRIULAT, Jacques, en ligne,http://www.jdarriulat.net/Auteurs/Hanslick/HanslickIndex.html, consulté le
15/02/2017
76 NICOLAS, François, La singularité Schoenberg, les cahiers de l'ircam, L'harmattan, ircam centre George
Pompidou, paris, 1997, p. 168
77NICOLAIS, François, Ibid.
fondu sont souvent liés à une problématique physique, obligés par une impossibilité de prolonger
le drone ou la note tenue tout en jouant les évènements simultanés. La voix, dans ce cadre,
permet une polyphonie, donnant l'impression d'une polyphonie instrumentale. Il y a plusieurs
autres occurrences de ce principe : 0:45, 1:10, 2:00, 2:14, 2:35.

Voix percussive

La voix est aussi utilisée comme matériel percussif, pour ajouter des sonorités. Par exemple
dans la partie 5, de 5:10 à 5:30, où un son aspiré bref est utilisé dans les agrégats de son frappés
sur l'instrument à l'aide d'une baguette de timbale. Un autre passage utilise ce principe de voix
percussive, de 7:56 à 8:17, à la fin de la partie 8.

Texte

L'interprète doit réciter des textes d'une façon incompréhensible. Cette incompréhensibilité est
due au chuchotement ainsi qu'à la rapidité de diction demandés. La voix parlée est utilisée
comme matériel timbrique. Dans la première partie de 1:00 à 1:07 et de 1:44 à 1:50, ainsi que
dans la 8e partie, dans a3, de 7:07 à 7:25.

Cris et soupirs

Enfin, Jacob Druckman utilise des bases de la communication humaine, le cri et le soupir,
pour souligner des évènements, dans la partie 6 à 5:35, 5:55, 6:29, 6:31, ainsi que dans la partie 8
à 7:43, ou pour entraîner un changement de partie dans la pièce, 1:50, donc entre la 1e et la 2e
partie, 2:47 entre la 2e et la 3e, 6:40 entre la 6e et la 7e, et 8:14 entre la 8e et la coda.

Ces utilisations de la voix ont un rôle musical certain, et servent à l'élaboration timbrique ou
formelle de l'œuvre et du discours musical.

2. la voix comme élément dramaturgique

On peut trouver une interprétation non musicale de ces évènements vocaux. Plusieurs sons
vocaux impliquent un rôle double, musical et scénique.

Voix parlée et texte

Concernant la voix parlée, le discours récité est performatif ; les instructions décrivent la
façon dont le musicien doit parler ainsi que la gestuelle à effectuer simultanément.

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 42/57


« chuchoter ces instructions à haute voix, de façon peu audible, le plus rapidement possible,
essayer de garder le tempo de la musique qui a précédé tout en se penchant en avant et
regardant attentivement la partition, recommencer au mot « maintenant » »78

Le compositeur donne par ce biais des indications purement scéniques à l'interprète, se


pencher, regarder attentivement la partition. Ces demandes n'ont aucune influence sur le jeu et
donc sur le résultat sonore. Il est indiqué au musicien un geste exclusivement dramaturgique, qui
n'influe pas sur la performance sonore.

Cris et soupirs

Les cris et les soupirs viennent ponctuer le discours musical. Au début de la seconde partie,
juste avant le jeu de la première note à l'archet, à 1:51, le contrebassiste doit émettre un son ə
étouffé (souffle et chuchotement) en glissendo descendant. La résultante de cette indication, en
fonction de l’interprétation est un soupir descendant, qui s'enchaîne avec un fa# grave à l'archet
assez long, d'environ 2 secondes et demi. L'instrumentiste sort de la première partie de l'œuvre,
très dense, jouée avec une baguette de timbale, et viens de dire un texte assez long, très
rapidement, en regardant intensément la partition. La seconde partie, à l'archet, est-elle beaucoup
plus calme. Après le texte, un trait passant au-dessus du point d'orgue prolonge le point
d’interrogation final de la phrase jusqu'au soupir. Ce trait peut être interprété comme un maintien
de la tension et de la position exigée par le texte. Ce soupir, placé dans son contexte est
significatif. Par ce ə étouffé le contrebassiste relâche la tension retenue pendant le point d'orgue.
C'est un souffle d'apaisement, possédant signification formelle, le changement de partie et donc
de densité, et dramaturgique, le contrebassiste relâche la tension physique exigée auparavant. Un
autre événement vocal récurrent peut être interprété de la même façon, le ha en glissendo, qui est
souvent utilisé dans le même rôle que le ə étouffé décrypté si dessus. Il suit un événement intense
forté ou fortissimo : 5:30 : les cordes sont frappées par le manche de la baguette de timbale

5:50 : les quatre cordes sont claquées contre le manche 6:25 et 6:30 : un impacte grave 8:10 :
après un crescendo final.

Lors des 4 premières occurrences, (5:30/50 6:25/30) l’événement fortissimo ou forte


contrastant est précédé d'un passage piano / pianissimo. Le Ha en glissendo, assimilable

aussi à un soupir d'aise, viens relâcher la tension créée par un événement et/ou impact sonore
contrastant.

Voix percussive

78Traduction personnelle. Texte original : « wisper this instructions aloud barely audibly, as fast as possible, try to
keep the same even pulse of the preceeding music while leaning forward and peering intensely at the score, begin
again at the word « now » »
La voix utilisée de façon percussive donne aussi des indices de dramaturgie. Par exemple de
7:55 à 8:13, où des consonnes et voyelles courtes sont utilisées comme sonorités contrastantes
avec des pizzicatos sur cordes étouffées. Le passage est organisé en accélération dans un grand
crescendo. Est inclus un espace d'improvisation reprenant les matériaux précédents. Cette section
se conclu par un impact fortissimo.

Ce moment est, en plus d'être musical, très symbolique. Les pizzicati passent progressivement
de vibrants à étouffés, et nous pouvons voir dans ces bribes de voix une tentative de
communication de l'instrumentiste freinée, comme un bégaiement, qui s’amplifie vers un
relâchement final. La répétition de sons courts à la voix entrainent naturellement un
essoufflement de l'instrumentiste et le met dans un état de tension corporelle. Est-ce que cet effet
est prévu ? Difficile a dire sans texte explicatif du compositeur, mais nous pouvons imaginer un
dessein derrière cela. Ce passage, de par sa symbolique, est, en plus d'être musical,
dramaturgique. Le contrebassiste se crispe sur sa contrebasse comme dans un râle avant de se
détendre en soufflant (ha glissendo expliqué ci dessus). Ce passage est le dernier climax de la
pièce. C'est le dernier enchainement de tension – détente. La coda qui en découle est une
liquidation des matériaux vers le silence.

3 – Mise en œuvre du corps, le corps dramaturgique

Les techniques créées et utilisées par Jacob Druckman changent la mise en œuvre
traditionnelle du corps du contrebassiste.

« Cette pièce [...] demande au musicien d'attaquer l'instrument avec l'archet, la baguette de
timbale, les deux mains alternant des frappes percussives sur le corps de l'instrument et des
pizzicatos harmoniques, pendant que la voix maintient des sons, chante des contrepoints et
ponctue des accents. Tout ceci exige au contrebassiste d'agresser l'instrument avec une
concentration à la Sade (d'où le titre). » 79

Le corps dramaturgique est explicité dans la préface de Valentine par Jacob Druckman. On y
retrouve le champs lexical de l'agression « attack / assaulting » traduits par attaquer, aggresser.
Ces mots sont utilisés spécifiquement pour décrire la relation entre le contrebassiste et son
instrument, et de plus sont les seuls utilisés sur ce sujet. Cette relation est définie par une
gestuelle. « Attaquer l'instrument avec l'archet » « agresser l'instrument avec » sont des

79. Traduction personnelle : texte original « The work [...] demandes that the player attack the instrument with bow,
timpani stick, both hands alterning percussive tapping on the body of the instrument with pizzicato harmonics, while
the voice sustains tones, sings counterpoints, and ponctuate accents. All this necessitates the player's assaulting the
instrument with an almost deSade-like concentration (hence the title) » Druckman Jacob, Valentine, program note,
Boosey and Hawkes, 1969

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indications qui précisent les informations données dans la partition. Cela entraine des
conséquences sonores et visuelles. Au niveau du son, la notion d'agression de l'instrument avec
l'archet permet de mettre en perspective l'interprétation des passages forte ou fortissimo à l'archet
(3:15, 3:38, de 4:00 à 4:15) des impacts arco (2:07, 2:30), ou encore le col legno de 2:44, seul col
legno explicitement forte. On peut en conclure une technique d'archet dénotant de la technique
traditionnelle, recherchant un son propre et rond, une technique plus brute et grinçante. Les
conséquences visuelles de cette agressivité sont dans l'attitude même de l'instrumentiste. Il est
demandé au contrebassiste de combattre son instrument, de le frapper, de pincer.

2.2b – le corps sexualisé

Deux autres indices d'une trame dramaturgique sont importants pour l'appréhension de cette
pièce, son titre et sa couverture. La couverture est un cœur blanc en dentelle sur fond rose, le titre
de la pièce est en rouge, posé dessus. Ces choix d'édition sont très révélateurs. Il est très rare de
voir une couverture de partition reprenant des codes d'affiche de spectacle, et la comparaison
avec la ligne graphique habituelle de l'éditeur Boosey&Hawkes confirme cette singularité.

Par ailleurs, le titre de la pièce Valentine, et la mention de Sade dans la préface donnent
l'indice de la mise en scène d'un combat à caractère sexuel. Dans ce contexte, le sens des gestes
effectués change : Les longs glissendi sur le manche en aller-retour (4:37, 4:47, partie 6, de 6:50
à 7:00), figurent une masturbation (les soupirs accompagnant les glissendi prennent un autre
sens). Les frappés prennent une signification sadique.
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Annexe 4. Les musiciens de Brême, déroulé
Un meunier possédait un âne qui, pendant des années, avait porté des sacs de grains, mais qui
commençait à perdre ses forces. La pauvre bête comprit que son maître s'irritait de sa faiblesse et
elle préféra s'enfuir, prenant la route de Brême.
Là, se dit il, je pourrai devenir musicien de la ville.

Improvisation 1. L'âne 1 min


A. glissés B. marche lente ecrasé dans les graves A’. glissés (cris de l’âne)

L'âne rencontra un chien couché au bord de la route.


- Pourquoi gémis-tu ainsi ? Demanda l'âne au chien
- Ah ! Répondis le chien, parce que je suis vieux. Je ne peux plus chasser et mon maître voulait
me tuer. Je me suis enfui, mais comment vais-je gagner mon pain, maintenant ?
- Moi, dit l'âne, je vais à Brème pour y devenir musicien ; viens avec moi. Je jouerai du violon et
toi, de la timbale. Le chien fut ravi de cette proposition et les deux nouveaux amis se mirent en
route.

Improvisation 2. Le chien, 1 min


A. Son du chien qui tourne (bend) B. autres techniques (frapper sur la basse, jouer en double sur
le cordier)

Bientôt ils rencontrèrent un chat qui avait l'air triste, triste comme un jour de pluie.
- Qu'est-ce qui ne va pas, vieux, matou ? Demanda l'âne.
- Croyez moi, soupira le chat, je n'ai pas envie de rire ! Je deviens vieux, mes dents s'usent et je
passe plus de temps à dormir près du poêle qu'à attraper les souris. Ma maîtresse a voulu me
noyer ; je me suis sauvé, mais, maintenant, je ne sais pas où aller.
-Viens à Brême avec nous, proposèrent l'âne et le chien, tu seras musicien.
Le chat accepta de les accompagner

Improvisation 3. Le Chat. 1 min


Grand crescendo : bouton entre les cordes vers battuto, manais arrête.
Quelques instants plus tard, les trois fugitifs passèrent devant une ferme. Un coq chantait de
toute ses forces, perché sur le portail.
- Qu'as tu donc à crier ainsi ? Demanda l'âne.
- Demain, c'est dimanche, expliqua le coq. La fermière a des invités et elle veut me manger. Je
chante tant qu'il me reste un peu de temps à vivre.
- Mais viens donc avec nous, plutôt que d'attendre la mort ! s'exclama l'âne. Tu as une belle voix,
tu pourras faire de la musique.
Le coq accepta ce conseil et tous les quatre se dirigèrent vers la ville de Brême.
Improvisation 4. Le coq. 1 min
Materiaux : sul pont / pizz bartok : de moins en moins d’évenements, jouer avec les silences.

Vers la fin de la journée, comme ils traversaient une forêt, ils décidèrent d'y passer la nuit. L'âne
et le chien se couchèrent au pied d'un gros arbre, le chat sauta sur une branche et le coq se posa
sur la cime. De là-haut, il vit briller une petite lumière dans le lointain.
Il appela ses amis et leur dit qu'il devait y avoir une maison de ce côté, car il voyait de la lumière.
L'âne dit :
-Levons-nous et allons-y. Ici ce n'est pas confortable.
Le chien pensa que quelques os avec un peu de viande autour seraient les bienvenus. Ils
marchèrent donc tous vers la lumière qui grandissait au fur et à mesure qu'ils s'approchaient.
Finalement, ils arrivèrent à la maison, qui était habitée par des brigands.

Improvisation 5. Les brigands. 1 min


Thème dans les graves en ½ tons croches 2 doubles
L'âne, qui était le plus grand, s'approcha de la fenêtre et regarda à l’intérieur,
- Qu'est-ce que tu vois ? demanda le coq.
- Ce que je vois ? répondit l'âne : une table bien servie et des gens en train de se régaler. Ce sont
des brigands.
- C'est une maison comme cela qu'il nous faudrait ! s'exclama le coq.
- Eh oui ! soupira l'âne. Mais comment faire ?
Les quatre amis discutèrent, cherchant un moyen de faire déguerpir les brigands. Finalement, ils
eurent une idée : l'âne appuya ses pattes de devant sur le bord de la fenêtre, le chien sauta sur son
dos, le chat bondit sur le dos du chien et le coq se percha sur la tête du chat. Puis, ainsi installés,
ils commencèrent leur musique. Les brigands furent épouvantés.

Improvisation 6. Musique des animaux contre brigands. 5 min


A. Brigands B. Animaux vs brigands C. animaux

Croyant entendre un fantôme ou un monstre, les brigands partirent en courant dans la forêt. Nos

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quatre musiciens s'installèrent à leur place et firent bombance. Puis, rassasiés, ils soufflèrent les
bougies et chacun s'installa confortablement pour passer la nuit : l'âne se coucha dans la cour, sur
le tas de paille, le chien près de la porte, le chat dans l'âtre, tandis que le coq se perchait dans le
poulailler. Comme ils étaient fatigués de leur voyage, ils s'endormirent tout de suite.
Les bandits n'étaient pas partis bien loin. Cachés dans la forêt, ils virent que la lumière était
éteinte.
Tout paraissait tranquille. Leur chef dit :
- Nous n'aurions pas dû nous laisser mettre à la porte comme cela. Toi, dit-il à l'un de ses
hommes, va voir qui a pris notre place.

Improvisation 7. Brigands. 1 min


FF Decrescendo vers pianissimo

Le brigand s'approcha doucement de la maison, entra dans la cuisine, et, comme il faisait noir, il
voulut allumer une bougie. Il ramassa une brindille dans la cheminée et l'approcha des braises :
mais ce n'étaient pas des braises, c'étaient les yeux du chat, qui brillaient dans la nuit ! Le matou
n'apprécia pas la plaisanterie. Il se mit à cracher, et, toutes ses griffes dehors, il sauta au visage
du brigand. L'homme voulut se sauver par la porte de derrière. Le chien, qui était couché à cet
endroit, bondit sur lui et lui mordit les jambes. L'homme s'échappa dans la cour, mais, comme il
passait près du tas de paille, l'âne lui expédia un terrible coup de sabot dans les fesses. Alors le
coq, réveillé par tout ce bruit, cria du haut de son perchoir :
- Cocorico, cocorico !
Improvisation 8. Brigand contre animaux 2. 5 min
Libre
Le brigand s'enfuit à toutes jambes dans la forêt et se réfugia auprès de ses camarades. Il leur
dit :
- Dans la cuisine, il y a une affreuse sorcière. Elle m'a craché à la figure et m'a griffé avec ses
ongles pointus. Derrière la porte, il y a un homme avec un couteau, il m'a tailladé les jambes.
Dans la cour, il y a un monstre noir, il m'a donné un coup de massue. Et sur le toit, il y a un juge
qui s'est mis à crier « Condamnez ce coquin ! Condamnez ce coquin ! »
- Fuyons ! Fuyons ! crièrent tous les brigands épouvantés.
Jamais ils ne revinrent. Les quatre amis renoncèrent à être musiciens. Il étaient si bien dans cette
petite maison qu'ils y restèrent et y vécurent en paix.
Improvisation 9. Déroulé total 5 min
Entrées chacun son tour avec un personnage par personne. Fin chacun son tour dans le même
ordre.
Bibliographie
Livres :

→LÉANDRE, Joëlle, À voix basse, entretiens avec Frank Medioni, mars 2008, Éditions MF,
Paris

→REIMER, Bennett, Une philosophie de l'éducation musicale, traduction sous la


direction de Yves Bédard, les presses université Laval, Quebec, 1976

→PLATON, La République, Livre III/IV/V, traduction Émile Chambry.

→BURMEISTER, Joachim, Musica Poetica, 1606

→ADORNO, Theodor, Prismes, Rivages, 2003

→CAGE, John, Silence, conférences et écrits de John Cage, conférence sur


l'indétermination d'une œuvre relativement à sa composition, Héros-Limite, Genève,
2003, traduction de Vincent Barras

→SOLOMON, Maynard, Beethoven, Fayard, Paris

→SIMHA Arom, Réalisations, variations, modèles dans les musiques traditionnelles


centrafricaines, 1987 Ethnomusicologie, SELAF-PARIS

→LUBART, Todd, Psychologie de la créativité. Paris, Armand Colin, p. 11

→RIECH, Steve, Steve Riech différentes phases, philharmonie de paris, la rue musicale, trad.
christophe jacquet, issu de programmes de salles et notices d'enregistrement, 2016, Paris

Partitions :

→ADAMEK Ondrej, Chamber Nôïse I, Editions Gérard Billaudot, 2011

→ GLOBOKAR Vinko, ?Corporel,1984, Edition Peters, Londres

→GLOBOKAR Vinko, Dédoublement, 1975, Frankfurt ; London ; New York, H. Litolff C.F.
Peters

→ GLOBOKAR Vinko, Par une Foret de Symboles, 1986, Ricordi, Milan

→ DRUCKMAN Jacob, Valentine, program note, Boosey and Hawkes, 1969

Liens consultés en ligne :

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 54/57


→ MORAIS, Line, L'analogie comme stratégie d'enseignement en pédagogie du piano, thèse,
université d’Ottawa, Ottawa, canada, 2005, p. 15, consulté en ligne le 10/05/2016, URL :
http://piano.uottawa.ca/wp-content/themes/pianolab/Publications/Methods/Line.pdf

→SAVOURET, Alain, Enseigner l'improvisation ? Entretien avec Alain Savouret, Cannone,


Clement, ENS editions, Lyon, Tracés. Revue de Sciences humaines [En ligne], 18 | 2010, mis en
ligne le 01 mai 2012, consulté le 18 mai 2017. URL : http://traces.revues.org/4626 ; pp 237 à 249

→SCHICK, Steven, 2010, Vinko Globokar Corporel 1984, consulté le 20/04/2017, en ligne

http://www.music.mcgill.ca/musimars/mm2010/schedule/day5/globokar.html

→BARRET, Richard, « radicaly idiomatic » en anglais, traduction personnel, Dark Matter


-interview with Daryl Buckley and programme note, 2003, en ligne, consulté le 10/05/2017,

url : http://richardbarrettmusic.com/DARKMATTERinterview.html

→PANDOLFO, Paolo : Bach Cello Suite 5, Prelude (Viola da Gamba), lien vidéo consulté le
10 mars 2017, https://www.youtube.com/watch?v=NN0PvbjQDm4

→MAISKY, Misha, Bach Cello suite 5, prélude, lien vidéo consulté le 10 mars 2017,
https://www.youtube.com/watch?v=sPY7xL1JItQ

→BERGER, John , DANIEL Howard, GARRIGUES, Antoine , Réalisme Socialiste,


Encyclopædia Universalis, en ligne, consulté le 11 mai 2017. URL:
http://www.universalis.fr/encyclopedie/realisme-socialiste/
Index lexical
Alain Savouret......................................................................................................................... 22, 26
analogie.......................................................................................................................................... 33
archet..............................................................................................................................................30
Bach............................................................................................................................................... 11
Bennet Reimer......................................................................................................................... 33, 39
Claudio Monteverdi....................................................................................................................... 14
constructivisme.............................................................................................................................. 28
créativité...........................................................................................................................................8
Denis Charolles..............................................................................................................................34
Derek Bailey.................................................................................................................................. 19
dialectique...................................................................................................................................... 29
esthétique....................................................................................................................................... 12
expressionnisme absolu................................................................................................................. 13
Félicie Bazelaire............................................................................................................................ 34
formalisme..................................................................................................................................... 13
formaliste....................................................................................................................................... 15
François Nicolas........................................................................................................................ 40 sv
interprétation.................................................................................................................................... 8
Ivanka Stoianova............................................................................................................................14
Jacob Druckmann.................................................................................................................... 14, 26
Jérôme Capitan.......................................................................................................................... 33 sv
Joachim Burmeister....................................................................................................................... 14
Joëlle Léandre................................................................................................................................ 21
John Cage.................................................................................................................................... 9 sv
Kierkegaard....................................................................................................................................40
le combat de Tancrède et Clorinde.................................................................................................14
Les musiciens de Brême.......................................................................................................... 32, 34
Lubart...............................................................................................................................................7
Misha Maisky.................................................................................................................................11
Ondrej Adamek.............................................................................................................................. 26
Pamela Burnard................................................................................................................................7
Paolo Pandolfo............................................................................................................................... 11
Philippe Pannier.......................................................................................................................26, 33

SIRACUSA Louis L'improvisation comme outil pédagogique page 56/57


Platon......................................................................................................................................... 6, 39
prima pratica.................................................................................................................................. 14
référentialisme............................................................................................................... 9, 13, 33, 40
rythme............................................................................................................................................ 30
Schoenberg.....................................................................................................................................34
seconda pratica...............................................................................................................................14
Steve Riech.................................................................................................................................... 16
stratégie narrative...........................................................................................................................14
timbre............................................................................................................................................. 29
Tolstoï............................................................................................................................................ 39
tradition d'interprétation.................................................................................................................10
utilitarisme social........................................................................................................................... 39
Valentine........................................................................................................................................ 14

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