Vous êtes sur la page 1sur 230

Gérard ZWANG

La musique baroque
et son diapason
Le Classique confisqué
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

La musique baroque et son diapason


Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Du même auteur

Aux éditions l’Harmattan :

- Guide pratique des cantates de Bach (avec Philippe


Zwang), 2005.
- Mémoires d’une chanteuse française, 2008.
- Préface du livre de Louisiane Doré Le drame de
l’excision, 2012.
*
Chez d’autres éditeurs

- Á Contre-bruit, éditions Jean-Claude Simoën, 1977.


- Le Diapason, éditions Sauramps médical, 1998.
- L’Oreille absolue et le diapason dit baroque, La Revue
Musicale, nos 368-369, 1984.

*
- Ouvrages de Sexologie, Éthologie, Histoire, Critique.
*

Compositions musicales
déclarées à la SACEM

- Danses pour flûte, clarinette et piano, op. 3 et 5


- Divertissement pour trio à cordes, op. 19 a
- Quatuor à cordes, op. 23
- Rhapsodie pour violoncelle et piano, op. 16
- Sonate pour piano, op. 30
- Sonate pour violon et piano, op. 28
- Trio d’anches, op. 19
- Trio pour flûte, clarinette et piano, op. 31

pièces pour piano, pour petit orchestre, mélodies, etc.


Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

GÉRARD ZWANG

La musique baroque et son diapason

Le Classique confisqué
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

© L'HARMATTAN, 2014
5-7, rue de l'École-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-343-03613-7
EAN : 9782343036137
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Á la mémoire d’Émile Leipp (1913-1986)


qui nous a tout enseigné du diapason,
et qui sut unir dans la même vénération
la Science et la Musique
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

PRÉLUDE

La volonté des maîtres, J.-S. Bach en tête,


crée le classicisme
Maurice Emmanuel 1

Belle lectrice, brave lecteur, peut-être jouis-tu de


l’oreille absolue. Les notes de musique te parlent et te
disent leur petit nom. Depuis le temps qu’on inonde tes
oreilles avec la cacophonie baroque, cette marée noire de
fausses notes devant laquelle s’extasient snobs et
ignorants, j’espère t’apporter un peu de réconfort. Tu n’es
pas seul(e) à pâtir de souffrances que ton entourage
considère imaginaires, tout juste bonnes à te faire jouer
l’intéressant – la princesse outragée. Mais il est plus
probable que tu ne possèdes pas cette faculté, voire que tu
n’en aies jamais entendu parler; comme la grande majorité
de nos congénères. Il n’y a là aucune honte. Le génial
Arthur Honegger n’a jamais possédé ce don, alors que sa
falote épouse en bénéficiait. Comme 20% - seulement -
des musiciens professionnels2 – décidément bien peu de
gens. Tu pourras donc t’étonner que l’on consacre tant
d’énergie à la défense d’un avantage dont ne peut se
targuer que la minorité d’une minorité… Je pense
néanmoins ne pas plaider dans le vide.

1
Maurice Emmanuel : L’Histoire de la langue musicale, o.c., p. 5.
2
Claude-Henri Chouard : L’Oreille musicienne, o.c., p. 264.

9
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Voilà quasi un demi-siècle qu’on bassine les


mélomanes, comme tous les auditeurs de bonne foi, et
leurs enfants hélas, avec la musique baroque, le style
baroque, les compositeurs baroques, les instruments
baroques, les opéras baroques, les festivals baroques, la
danse baroque, le chant baroque. Etc... Baroques donc
foireux, « d’une bizarrerie choquante », pourrait croire un
cœur simple, s’en remettant à notre bon Littré. Mais non !
Désormais, les margoulins qui vendent ces denrées
baroques ont réussi à transformer le vice en vertu, le
blâme en éloge, le baroque en valeur. Après avoir mis la
main sur deux siècles d’une musique, celle de Bach,
Rameau, Vivaldi, et autres créateurs de génie, qui est un
des plus solides fondements de notre art musical
occidental classique. L’antithèse même du baroque.
Tout ce qui paraît hic et nunc sous l’étiquette
baroque n’est donc que camelote, tromperie sur la
marchandise, pacotille qu’on te fait parfois payer très cher,
belle lectrice, et tu me remercieras, brave lecteur, de
t’avoir ouvert les yeux; pour éviter de vous faire gruger.
Vous incitant à réserver vos sous aux musiciens de bon
aloi. Ceux que les marchands de baroque tentent de faire
disparaître, pour éliminer toute concurrence… loyale.
Interdisant pratiquement de jouer Haendel, Purcell et Lulli
avec des instruments corrects, un style correct, et… au
diapason. Car pour bien marquer le territoire occupé, ces
messieurs-dames du baroque se refusent à jouer au
diapason des honnêtes gens. Avec une première
conséquence: le sabotage de précieuses orgues, faisant
partie de notre patrimoine, accordées de façon
défectueuse.
Mais peut-être le monopole abusif sur la musique
de Heinrich Schütz et Clément Janequin vous laisse-t-il
froids, comme l’accord frauduleux des orgues, dans des
églises où vous n’allez pas chanter le dimanche – c’est

10
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

votre droit. J’ai néanmoins l’espoir de vous faire prendre


en pitié ces enfants possédant la prédisposition génétique à
l’éclosion de l’oreille absolue, et qui ne pourront jamais
développer leur don natif. Puisque les baroqueux de tout
poil, polluant l’environnement sonore avec un déluge de
notes inconvenantes, feront périr dans l’œuf leur si
précieuse faculté.
Oui, depuis mai 68 il est mal vu de défendre les
surdoués, les premiers de la classe… sauf s’il s’agit de
gamins prometteurs pour un jour courir le 100 mètres, ou
taper dans un ballon3. Par contre le compassionisme
télévisuel ne manque toujours pas d’émouvoir très fort, à
juste titre, devant ces malheureux enfants victimes des
génocides sévissant en Afrique… c’est loin ! Or c’est ici,
chez nous, dans la tête et le cœur d’innocents enfants, que
la fourberie diapasonique du baroque est en train de
commettre un génocide… culturel. En faisant disparaître
une merveilleuse capacité humaine, sacrifiée sur l’autel du
snobisme… et du fric. Ce sera la mort de l’oreille absolue.
Un crime contre l’humanité. Indignez-vous, et attaquez les
responsables là où ils sont les plus vulnérables : au porte-
monnaie.
*
Découvreur de lune comme tous ses pareils
l’Harnoncourt s’est aperçu qu’il existait un « discours
musical ». Suivant son glorieux exemple, je compose ici
mon discours selon les sept mouvements de
l’emblématique Première suite pour orchestre de J.-S.
Bach4. Cette innocente suite écrite dans l’ut majeur le plus
3
Signe des temps : le pied est plus adulé que la tête.
4
BWV 1066. Oui, je sais, le titre initial des « Suites » de Bach était
Ouverture, auf französich. Mais sœurs orchestrales des Ordres et des
Suites claviéristes dont certaines de J.S.B., fondant une forme
musicale fructueuse, elles eurent une abondante postérité – jusqu’à
Bartók, Milhaud, Prokofiev, Honegger, Poulenc, etc. On rend
hommage à leur maternité en leur laissant leur titre traditionnel.

11
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

candide, que ces messieurs-dames du baroque accablent


malicieusement5 de cinq dièses, la faisant sonner en
véritable-faux si majeur, pour faire endêver les innocentes
oreilles absolues.

Saint Clément de Rivière, février 2014

5
Malice : inclination à mal faire. Tumeur maligne : qui peut entraîner
la mort.

12
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

PREMIER MOUVEMENT. OUVERTURE

COMMENT LE GEAI BAROQUE A PLUMÉ


LE PAON CLASSIQUE
*
Une erreur phénoménale
*
Barroco, c’est du portugais. Terme apparu en
15636 pour qualifier une perle irrégulière, imparfaite –
barroca. Un adjectif qualificatif péjoratif. Puisque la perle
baroque n’a pas la bonne conformation sphérique,
régulière, permettant de l’utiliser pour confectionner
bague ou collier. Francisé en baroque, le terme apparaît en
1684 dans le Dictionnaire de Furetière. Il s’agit toujours
de perle défectueuse. En 1711 sous la plume de Saint-
Simon baroque montre qu’il a amplifié son champ
sémantique, étendu au figuré (la nomination baroque d’un
simple abbé à la succession d’un évêque !). Le
Dictionnaire de l’Académie française de 1740 confirme :
« baroque se dit aussi pour irrégulier, bizarre, inégal ».
Désormais, et jusqu’à nos jours, baroque qualifie
tout ce qui va de travers, diverge, surcharge, déforme,
déconcerte, déséquilibre, rapetisse, inflige le biscornu le
désordonné, l’embrouillé, le boiteux le maniéré et
l’illogique. Baroque peut donc être la coiffure,
l’habillement, la démarche, un jardin, une bâtisse mais
aussi l’idée, le raisonnement, le comportement. C’est
néanmoins dans le domaine des arts, tout spécialement en
architecture et en musique, que l’adjectif s’est le plus
couramment imposé. Pour qualifier un style, une façon de
faire. Un style opposé au bon goût, à l’équilibre, à
l’exemplaire, en un mot : au classicisme. Car le

6
Notions historiques et citations provenant de Tapié, o.c., pp 56-59.

13
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

classicisme c’est bien ce qui, grâce à la perfection7, la


rigueur indestructible de sa mise en forme (la ποιήσις),
accède à la beauté, fonde sa propre référence, va perdurer
et servir de modèle ; en obéissance aux règles, aux
structures qu’il a créées.
C’est donc dans le sens irréductiblement péjoratif
que j’utilise ici l’adjectif baroque, éventuellement
substantifié, et ses dérivés baroquie, baroquiser,
baroquisants, baroqueux, baroquophile, baroquolatre,
baroquolatrie, baroquomanie... On comprendra ainsi
pourquoi je considère comme de superbes oxymores les
termes de « beauté baroque », « chef-d’œuvre baroque »
utilisés par certains illuminés. Le baroque est de la beauté
déchue.
L’architecture baroque, ses ovales, ses excès ses
surcharges, ses tarabiscotages, tout le monde sait la
définir, la connaît et la reconnaît. La définissait en 1788
Quatremère de Quincy dans son Dictionnaire
méthodique : « Le baroque en architecture est une nuance
du bizarre. Il en est…l’abus. Ce que la sévérité est à la
sagesse, le baroque l’est au bizarre c’est à dire qu’il en est
le superlatif ». Certaines églises en fournissent de beaux
exemples, comme ces clochers tournicotants des
campagnes autrichiennes, ou les colonnes en vis de
pressoir de Saint Pierre de Rome ; sans oublier les
doucereux angelots dorés et les vierges pâmées. Une telle
catégorisation s’est imposée sans équivoque pour la
musique :

7
Emile Leipp donne sa définition de l’oeuvre parfaite : celle à qui
« on ne peut rien enlever, ni rien ajouter sans la dénaturer ». Pourtant
J.S.B. a pu ajouter un chœur génial au mouvement lent de son
Concerto pour clavier en ré mineur, BWV 1052, dans sa cantate ZK
140 (BWV 146) Wir müssen durch viel Trübsal. Exceptionnel tour de
force ! Fauré fut son seul émule, enrichissant sa Pavane par un chœur
d’une délicieuse mélancolie.

14
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

« Une musique baroque est celle dont l’harmonie


est confuse, chargée de modulations et de dissonances,
l’intonation difficile et le mouvement contraint ». Cet
article musique baroque est de J.-J. Rousseau, dans le
Supplément de 1776 de L’Encyclopédie. En accordant à
cette musique baroque l’éventail d’attributs qui la
caractérisent, on en reconnaît des manifestations jusque
dans le XXe siècle. Chez Arnold Schoenberg, qui n’hésite
pas à écrire des mesures à quatre et cinq temps dans sa
Valse de l’opus 23 – difficile à danser ! Chez Anton
Webern, dont la Klangfarbenmelodie dépèce et disperse le
flux mélodique. Chez Charles Ives, qui superposait la
musique de plusieurs fanfares venues d’horizons
différents. Chez Luciano Berio, avec son invraisemblable
Sinfonia fourre-tout. Et au pinacle du baroque les
amusettes de John Cage, bourreau des pianos, le bric à
brac de Karlheinz Stockhausen, qui, outre un beau gros
arsenal électronique, a besoin d’ingrédients variés, jusqu’à
un hélicoptère pour, paraît-il, faire de la musique8…
Or les choses avaient changé à la fin du XIXe
siècle. Deux natifs de Winterthur, Burckhardt puis surtout
son élève Heinrich Wölfflin avaient entrepris une
opération de réhabilitation de ce qui s’appelle, auf deutsch,
barock. L’ouvrage de Wölfflin Renaissance und Barock,
paru en 1888, émettait l’idée-force selon laquelle à toute
période de création classique succédait une période de
baroque stylistique. On ne l’avait pas attendu pour avoir
depuis longtemps opposé le baroque pompéien,
maniériste, face au rigoureux classicisme de la Rome
impériale. Les vases chinois eurent eux aussi leur style

8
Entre la mégalomanie de Stockhausen le Concerto Köln et la
baroque Musica antiqua Köln, la si belle ville de Cologne est bien mal
lotie !

15
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

baroque. Or selon le Suisse alémanique9 le barock n’avait


rien de défectueux, et possédait même ses vertus. Wölfflin
s’appuyait sur des arguments captieux: « là où l’artiste de
la Renaissance cherche la ligne, le dessin, celui du
baroque s’attache à la couleur, le premier adopte le plan,
l’autre la profondeur »… et autres âneries. Comme si le
classique était fade incolore superficiel et le baroque
goûteux brillant pénétrant10.
Wölfflin nous dépeint ainsi un baroque admirable,
hissé au rang des grands mouvements esthétiques comme
le romantisme ou l’impressionnisme, l’expressionnisme, le
surréalisme. En voilà donc une idée baroque ! Bizarre !
Pour trois raisons. D’abord parce le terme prenait une
dimension historique : on se mit à parler d’époque
baroque, dont les critères esthétiques s’appliqueraient à
tous les artistes. Ensuite parce que les mérites esthétiques
du baroque, censément aussi grands, dans cette optique,
que ceux du classique, faisaient s’effondrer tout jugement
de valeur comparatif : l’un vaut l’autre sur l’échelle du
beau - un tour de passe-passe détruisant la frontière entre
exemplaire et excentrique. Enfin parce que les
« illuminations » de Wölfflin, censées éclairer l’évolution
de l’architecture, ont été appliquées à tous les arts, donc et
très artificiellement à l’histoire de la musique. Pour notre
plus grand dam : l’idée bizarre fut là désastreuse.
Pour ne s’en tenir qu’à l’architecture et aux arts
plastiques, la prétendue époque baroque du XVIIe siècle
voit coexister le baroquisme de Borromini, du Bernin, qui
triomphe dans la Rome vaticane, et la rigueur toute
classique régnant à Versailles. Là où bâtiments, jardins,
sculptures, pièces et jeux d’eau, dus à Perrault, Le Brun,

9
Il n’y a là aucun ostracisme : certains de mes ancêtres paternels
vécurent à Saint Gall au XVIIIe siècle : pas bien loin !
10
D’autres attributs, à la limite de l’extravagance baroquomaniaque,
se trouvent dans les ouvrages de Philippe Beaussant.

16
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Le Nôtre, Le Vau proclament la mesure, l’équilibre, la


grandeur qui assurent leur indestructible beauté.
L’exemple était mal choisi, la démonstration fallacieuse -
mais « Wölfflin méconnaît la France »11. Fâcheux
scotome; fâcheuse épine dans le pied du théoricien. Déjà
que la succession obligatoire classique-baroque ne peut
donc se plaquer mécaniquement sur l’évolution de
l’architecture, l’application de cette inéluctable alternance
à l’art musical est totalement inadaptée.
Je ne dirai pas que Guillaume de Machaut, Gilles
Binchois, Oswald von Wolkenstein, Guillaume Dufaÿ,
Heinrich Isaac n’étaient pas classiques. Ils le sont à leur
façon et je m’en délecte, éminents représentants de notre
musique savante, élaborée. Mais mein Herr Wölfflin tient
à la Renaissance pour représenter le classicisme
exemplaire. Ce n’est évidemment pas moi qui ferai la fine
bouche et ne reconnaîtrai pas le classicisme des
polyphonistes de la Renaissance. Ceux qui illustrèrent de
façon si persuasive et alors de façon enfin si lucide, si
raisonnée (je pense à Claude Lejeune), les deux géniales
inventions de la musique savante occidentale : l’harmonie
et le contrepoint, qui sont sa gloire et sa fierté12. Or il faut
bien reconnaître que, depuis la naissance de Janequin (v.
1485) jusqu’au siècle qui a vu naître Dutilleux et Xenakis,
l’histoire de la musique montre pendant cinq cents ans une
suite ininterrompue de génies créateurs.
Á moitié aveugle, Wölfflin était peut-être sourd, et
ne semble pas s’être beaucoup préoccupé de musique. Ce
n’est donc pas lui, mais ses émules qui se mirent en tête
11
Tapié, ibid, p. 60.
12
Je n’ai que de bons sentiments envers les Pygmées (voire je les
plains : les grands Africains circonvoisins leur enlèvent leurs petites
femmes). Mais je ne suis toujours pas convaincu de ce que leur
polyphonie soit aussi riche, aussi consciemment élaborée que celle de
Charles Koechlin. Pour complaire aux baroqueux, va-t-il falloir
exécuter à 415 son Offrande musicale sur le nom de BACH op. 187 ?

17
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

d’appliquer sa théorie binaire classique puis baroque à la


musique qu’ils connaissaient. Dans leur esprit, le classique
était représenté par ces valeureux polyphonistes de la
Renaissance, donc la musique des compositeurs du siècle
suivant ne pouvait être que baroque. Cette musique, c’est
celle écrite de 1600 (l’Orfeo date de 1607) à – environs -
la mort de J.-S. Bach (1750). C’est-à-dire la musique dont
le langage s’est imposé de façon si universelle (au moins
en Occident) qu’il est devenu accessible, compréhensible
d’emblée aux oreilles occidentales, dans un répertoire qui
constitue la majeure partie de la musique savante
exécutée, diffusée, étudiée, éditée. C’est le langage
classique. Celui qui nourrit deux épisodes créatifs.
D’abord les Premiers classiques, ceux qui inventèrent,
créèrent l’opéra, le concerto, la sonate, épanouirent la
fugue, la suite, les variations et la cantate ; puis les
classiques Viennois, Haydn Mozart Beethoven,
codificateurs de la forme sonate à deux thèmes, de la
symphonie et du quatuor à cordes.
Pour l’occidental moyennement instruit « le
classique » va de Bach à Beethoven. Ces compositeurs qui
ont écrit une musique, portée par le système tonal le plus
ingénu, parlant d’emblée à l’intelligence et au cœur, et qui
fournit des mélodies que chacun-chacune peut chanter.
Celle que cet Occidental entend habituellement quand il
échappe à la marée verte13 des musiques non-nobles -
ignobles14… Quant au mélomane « moyen », l’amateur de
musique « standard », il s‘agit évidemment de son pain
classique quotidien.
Ne l’entendaient plus de cette oreille les adeptes
germanophones de Herr Wölfflin. Ces prétendus

13
Verte, de la couleur des ulves envahissantes et… de la diarrhée du
nourrisson.
14
Celles qui représentent 96% de la consommation musicale
occidentale – on en reparle.

18
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

musicologues n’étaient que plats musicographes, des


besogneux manifestement imperméables au langage (au
discours !) musical, et dont l’amour de la musique, avec sa
transmission des affects, était le cadet des soucis. Selon un
historicisme fallacieux, borné, – sectaire – ne tenant aucun
compte du style compositionnel ils collèrent l’étiquette
baroque sur la musique des Premiers classiques, sur celle
de Bach comme de Purcell, sur celle de Telemann comme
de Lalande. Elle était devenue de la Barockmusik. Contre
toute logique.
Bien qu’il eût voulu nous faire prendre des geais
pour des paons, au moins Wölfflin reconnaissait-il que le
baroque succède à un classicisme. Que le baroquisme est
un phénomène ultérieur, se manifestant après – comme
les symptômes de l’hystérie (ΰστέρον - ultérieur)15.Si
Monteverdi, Rameau, Lulli ont écrit des opéras baroques,
si Torelli16 et Vivaldi ont écrit des concertos baroques, si
Bach et Haendel ont écrit des sonates baroques quels sont
donc les opéras, les concertos les sonates classiques
auxquels ils ont succédé ? Quelle musique de leurs
prédécesseurs ont-ils donc « baroquisée » ? Erreur
phénoménale. Un contresens aussi énorme que celui de
Freud, attribuant à son fabuleux « inconscient », à son
irréductible « ça » pulsionnel, c’est-à-dire aux
déterminismes biologiques, animaux, de nos
comportements, les propriétés du cerveau néo-cortical
conscient; ce cerveau proprement humain, qui pense,
raisonne, parle… fabule. Après quoi le Viennois n’hésita
pas à faire de ce pataquès un des piliers de l’édifice…

15
Qui ne proviennent donc pas de l’utérus, comme le croient les niais,
étonnés que l’homme aussi puisse être hystérique…
16
Ses concertos fondateurs datent de 1698. Sans le moindre
prédécesseur.

19
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

baroque de sa psychanalyse, prétendue tout savoir de


l’humain!17
Le baroque ne peut ainsi, par définition, être
créateur de formes. Il utilise les formes de ses
prédécesseurs, qu’il accommode à sa façon. Façon de faire
par définition biaisée, oblique, etc., en un mot baroque ! Il
faut une grande effronterie, un grand sectarisme, pour
prétendre que l’opéra, le concerto, étaient baroques de
naissance ! Bel oxymore ! Et où trouve-t-on du décadent,
du discutable, du surchargé dans la musique de Bach ou de
Rameau ? Dans le Clavier bien tempéré ou dans
Dardanus ? Nos premiers classiques écrivirent selon un
style sérieux, intègre, répudiant tout élément hétérogène,
composite. Il faut rappeler les réticences que certains
opposèrent à la naissance de la forme sonate… classique à
deux thèmes antithétiques. Cette forme bithématique
qu’illustrèrent si clairement les classiques viennois et
qu’adoptèrent leurs successeurs pour toute leur musique…
sérieuse, d’orchestre ou de chambre. Et jusqu’au milieu du
XXe siècle (Honegger, Bartók, Roussel, etc.). Un mauvais
esprit pourrait d’ailleurs prétendre qu’en face du
monothématisme rigoureux de Bach c’est Beethoven le
baroque, avec son opposition principielle, fondatrice,
inspiratrice, entre les deux thèmes alimentant les deux
mouvements principaux (le rapide et le lent) de ses
symphonies, de ses sonates, de ses concertos et de ses
quatuors… entre autres. L’Héroïque est plus composite
que les Brandebourgeois !
En musique comme en architecture la théorie
fatalement « successorale » classique-baroque s’avère
inapplicable. Au XVIIIe siècle, pendant que Vivaldi,
Bach, Rameau, Scarlatti Haendel composaient…

17
Héritier de Debray-Ritzen et bien avant Onfray j’ai dénoncé en
1985 ce calamiteux tour de passe-passe : La Statue de Freud, éditions
Robert Laffont.

20
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

sérieusement, Naples s’abandonnait honteusement aux


faiseurs d’opéras les plus débraillés. Du ploum-ploum vite
fait – fa presto – sur des livrets débiles, produits
commerciaux confectionnés pour donner aux gosiers des
chanteurs-étoiles18 l’occasion d’accumuler gammes,
arpèges, trilles, roucoulades, roulades, gloussements,
piailleries – certains contemporains diront gargarismes19.
De la musique insipide, sans coeur, d’élaboration
rudimentaire (forme, harmonie, orchestration), signée
Porpora, Jomelli, Durante et tutti quanti. - voilà qui
baroquise Lulli et Campra20 ! Ne valent pas mieux leurs
« collègues » pondeurs de concertos et de symphonies
dans le style galant-milieu-de-siècle le plus « bateau »,
nullités creuses pleines de… remplissages, de clichés, de
formules aussi plates que stéréotypées, qui prétendaient
« reposer » de la musique sévère… En baroquisant Bach et
Vivaldi ! Alors, du baroque au carré ? Haydn et Mozart
eurent bien du courage de se dépêtrer de cette « musique
merdique »21, quittes à « chahuter » les auditeurs préférant
le ronron galant. « Trop de notes », osa se plaindre
l’Empereur à W.A.M., au soir de l’Enlèvement.
Pendant longtemps les sirènes de la Barockmusik ne
parvinrent pas à séduire toute la musicologie occidentale.
Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale et l’ensuivant après-
guerre les Premiers classiques étaient considérés comme
« les vieux maîtres ». Parfois parlait-on, comme pour
l’école de Mannheim, de musiciens « préclassiques ». En
Angleterre Bach et contemporains dont le très honoré
Haendel étaient les « early classics », et même en
Allemagne non convertie (au baroque) on les appelait

18
Dont les castrats. On en reparle.
19
Cf J.-G. Prod’homme, C.-W. Gluck, o. c., p. 154.
20
Alors que Darius Milhaud, dans sa merveilleuse Suite provençale,
rendit un fervent hommage à son Tancrède.
21
Scheissemusik…Lettre de W.A.M. à son père du 11 avril 1781.

21
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

« Früheklassik ». On reconnaissait leur œuvre – ce qu’elle


est - comme un des piliers de la musique savante
occidentale, la référence incontournable du classique, de ce
que l’on appelait gentiment la « grande musique ».
Les musicologues français les plus compétents
comme Claude Rostand ou Jean-François Paillard
renâclaient à adhérer aux thèses swissdeutsch.
Je cite Claude Rostand refusant de séparer un
« épisode baroque » du flot créatif de la musique
d’Allemagne: Il écrit (bien avant moi !) deux des
leitmotive sur lesquels j’appuie ma démonstration :
« Depuis le début du XXe siècle, les
musicographes, et en général les critiques d’art allemands,
considèrent qu’il y a eu un âge baroque. Tout un chapitre
de l’histoire de la musique allemande est, pour eux, celui
de la musique baroque. C’est là une notion sur laquelle il
convient de nous arrêter brièvement… et d’indiquer les
raisons pour lesquelles nous n’avons pas de chapitre
intitulé de cette façon [dans notre ouvrage] »22. La notion
d’« âge baroque », d’époque baroque, est bien une bévue.
Et Claude Rostand confirme cette évidence : « En
musique… le baroque consiste dans la déformation des
formes créées à l’époque précédente »23. Ô paroles de lait
et de miel !
Je cite J-F Paillard :
« Les musicologues allemands… nous ont habitués
à considérer [la musique des XVIIe et XVIIIe siècles]
comme le fief exclusif du style baroque… Seulement l’art
français ne peut être envisagé du même point de vue. La
résistance qu’il oppose au baroque n’a rien de passif : elle
est la volonté d’édifier des œuvres raisonnables »24.

22
La Musique allemande, o.c., p 45 .
23
Ibid., p 46.
24
La Musique française classique, o.c. , p.5. Il fut, comme moi, un
des rares Français ayant souscrit à la nouvelle édition complète de

22
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Les propos de ces érudits reflétaient l’opinion du


« mélomane moyen d’époque », tout interloqué si on lui
avait asséné de façon magistrale que l’Art de la fugue et le
Te deum de Charpentier étaient de la musique baroque.
Comme si on me disait que ma mère était une putain…
Or la France n’avait pas le monopole de la
composition raisonnable. Peut-on imaginer forme plus
pure, plus intègre, plus charpentée plus classique que la
fugue ? Cette musique qui ne se nourrit que de son sujet
fondateur, qui l’impose aux différentes voix, l’orne des
différentes couleurs des tonalités explorées, en exploite
toutes les possibilités d’écriture, l’amplifie pour
éventuellement l’amener à une glorieuse apothéose ?
Rejetant tout élément étranger, parasitaire, « baroque ».
On a pu lui comparer la construction si solide,
« incassable », des Sermons de Bossuet – le célèbre
prédicateur baroque. Oser traiter la fugue de « forme
baroque », oser parler de « contrepoint baroque » est un
déni, un véritable affront. Et quant aux madrigaux où
s’épanouit le génie de Monteverdi, ne sont-ils pas, sous sa
plume, l’apothéose de leur classicisme le plus
exemplaire ? En quoi baroquisent-ils leurs aînés ? Les
Marenzio, les Willaert ? Alors que grâce à sa maîtrise de
la prima comme de la seconda practica Monteverdi offre
au madrigal un superbe épanouissement.
Les choses changèrent du fait de la fâcheuse
conjonction de trois phénomènes. La naissance bâloise du
foyer d’infection, la marginalisation de la musique
classique et la trahison des clercs.

J.S.B : Neue Bach Ausgabe (NBA). Je ne vois pas dans la liste des
souscripteurs certains qui jouent les « Monsieur Bach », accaparent
tout « discours sur J.S.B. » et se prennent pour d’omniscients faiseurs
d’oracles et d’oukases. Mais au fait, savent-ils lire la musique ?

23
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Les trois responsables d’une aberration.


*
25
1° Bâle , foyer maudit de mon ressentiment !

:Paul Sacher, ce bienfaiteur de la musique auquel


nous devons la commande de tant de chefs-d’œuvre, de
Bartók, d’Honegger, de Martinu et tant d’autres, avait
fondé à Bâle, en 193326, un Centre de musique ancienne.
Une Schola cantorum basiliensis, Hochschule für alte
Musik destinée à mieux connaître, jouer et diffuser la
musique ayant précédé les « grands classiques viennois ».
Louable intention. Mais le climat politique troublé puis la
Seconde Guerre mondiale nuisirent à la notoriété de
l’institution. Il fallut attendre la fin du conflit pour que
s’établisse sa réputation internationale. Y sévissait alors
August Wenzinger – encore un swissdeutsch !
Ce violiste de gambe, contrairement à ce qu’on
pouvait attendre de lui, ne s’illustra guère par ses travaux
concernant la musique des temps vraiment anciens,
hellénique, romaine, médiévale, pour concentrer son
activité, finalement, sur ces Früheklassik qui
représentaient pour lui, homme à la courte vue, de la
« musique ancienne ». Alors que la nomination de Bach à
Leipzig, l’installation de Domenico Scarlatti à la cour de
Madrid, c’était hier. Debussy n’avait pas attendu mein
Herr Wenzinger pour son Hommage à Rameau, Ravel
pour son Tombeau de Couperin. On ne l’avait pas attendu
pour éditer les oeuvres complètes de JSB : Breitkopf und
Härtel avait commencé leur édition en 185027; l’éditeur
25
Bon petit patriote alsacien-lorrain, je lui préfère sa voisine
Mulhouse, où siège le merveilleux Musée des chemins de fer. Et
pourtant Honegger …
26
L’année de l’accession des nazis au pouvoir (par une entourloupe
parlementaire).
27
Ce fut l’ancienne édition, Alte Bach Ausgabe (ABA). Y souscrirent
Schumann, Saint-Saëns.

24
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

français Durand avait depuis longtemps publié l’œuvre


complète de clavecin de Couperin, et celle de Rameau
sous la direction de Saint-Saëns. On ne l’avait pas attendu
pour jouer les Brandebourgeois et Castor et Pollux, qui
enchanta les derniers jours de Claude Debussy28.
Niedermeyer, Brahms, Saint-Saëns, Albert Schweitzer,
Vincent d’Indy, Ernest Lavignac, Maurice Emmanuel,
Nadia Boulanger, Norbert Dufourcq29 en savaient au
moins autant que lui !
En fait à Bâle on joua surtout du Bach et tout ce
qu’on put, suivant les préceptes du compatriote Wölfflin,
qualifier de baroque. En faisant comme si ce baroque
résumait la « musique ancienne » - équivoque sur laquelle
le baroque prospère. Et en succombant à ce qui débuta
comme une salutaire mesure d’hygiène mais devint une
véritable pathologie… nosocomiale : l’authenticomanie –
on en reparle.
La Barockmusik à la swissdeutsch exerça une
véritable fascination sur certains avides de nouveauté dont
les ambitions n’étaient pas satisfaites par la création
musicale de leur temps. Et sur ces instrumentistes qui,
comme certains exécutants, soit n’étaient pas parvenus à
faire carrière de brillant soliste, soit supportaient mal la
sujétion au chef d’orchestre, et aspiraient à lui ravir la
baguette. Ainsi le claveciniste Gustav Leonhardt et le
violoncelliste Nikolaus Harnoncourt. Il faut dire que la
baguette de ces arrivistes n’a jamais eu de grands efforts à
fournir. Pour des musiques ingénument notées à deux,
trois ou quatre temps, et qui ne demandent souvent qu’à

28
« Bien le bonjour à M. Castor » eut-il la force de dire, sur son lit de
mort, à son ami Louis Laloy le 21 mars 1917. Cf. Lockspeiser, o.c., p.
307.
29
Sa Petite histoire de la musique en Europe date de 1942. Elle
s’ornait du Décor pour une scène d’Atys. Il n’avait pas attendu le
fanfaronnant W. Christie pour découvrir l’opéra de Lulli.

25
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

« marcher toutes seules ». Le Troisième Brandebourgeois


n’est pas Le Sacre, ni la Symphonie alpestre.
Adoubés par le passage à Bâle, ces chefs auto-
proclamés créèrent ces formations, le Concentus musicus
en 1953, le Leonhardt consort en 1954 sur lesquels ils
pouvaient exercer leur impéritie et grâce auxquelles,
auréolés par leur Initiation à l’authentique, ils instaurèrent
le règne du baroque sur le monde musical, la critique, les
gens de petite information et tous ceux qui, sentant d’où
venait le vent, s’empressèrent de suivre leur sillage ; snobs
craignant de rater le coche (le coche d’eau, évidemment !).
A partir du foyer d’infection bâlois la peste s’est
propagée en de nombreuses contrées, d’abord Autriche,
Hollande, Angleterre, Allemagne, plus tardivement en
France (mais alors pour faire une redoutable explosion
morbide), avant de contaminer jusqu’au Canada et au
Japon. Nombreux furent ainsi les élèves-émules du couple
infernal Leonharnoncourt. On a pu les nommer « la
génération 1973 »30. Tout le monde connaît leurs
« ténors » les plus m’as-tu-vu, puisqu’ils sont
confortablement installés dans le « fromage » baroque, à
l’Opéra, dans les concerts, les festivals, la radio, la presse
musicale et les bacs des disquaires. Ne serait-ce que les
Koopman, Herreweghe, Brüggen, Hoogwood et
l’omniprésent31 omnipotent omnisouriant (toujours content
de lui) William Christie, pape du baroque, qui ambitionne
de posséder sur le monde de la musique un pouvoir au
moins aussi étendu que celui dont jouit le locataire du
Vatican sur les foules catho.
Pour en savoir plus consultez Wikipedia ou mon
réquisitoire final. Á qui mieux mieux se créèrent des

30
Yvan A. Alexandre, Diapason, n° 618, novembre 2013.
31
Ce grand amateur de rap (baroque ?) peut à la fois se proclamer
l’ami de la très socialiste Martine Aubry et parader dans les pages du
très libéral Figaro-Magazine. Baroquophiles de tous les bords… !

26
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

« ensembles baroques », petites formations pas chères


autour d’un clavecin ou d’une viole de gambe. Leurs
fondateurs furent très inventifs, les baptisant des noms et
surnoms les plus divers et variés, les plus saugrenus,
depuis Gli incogniti (que ne le sont-ils demeurés !) Les
(mauvaises) Surprises, Les Ombres (que n’y sont-ils
restés !), jusqu’au Pomo d’Oro (quel plaisir de l’en
bombarder !). L’important est évidemment qu’ils ne
fassent aucune référence au classique.
Les musiciens de ces petites bandes furent pour la
plupart des « anciens classiques » ayant bénéficié de
l’« illumination » baroque. Ils se groupèrent avec d’autres
convertis pour former leurs petites chapelles. Mais ils
recrutèrent aussi des « classiqueux » n’ayant pas trouvé
d’emploi, ou licenciés de formations philharmoniques à la
dérive. Plutôt jouer faux sur un vieillerie que crever de
faim ! Chez les baroqueux, on aura à manger. D’autant
que n’importe quel petit groupe baptisé baroque parvient à
se faire sponsoriser par Régions, Conseils généraux,
entreprises florissantes (ah ! ah !). Le baroque a le vent en
poupe. Comme dit M. Yvan A. Alexandre « la génération
73 n’aura pas été la mode que ses ennemis espéraient. Pas
une mode, mais un mouvement ». Oserai-je dire : un
mouvement subversif ? Et fondation d’une secte : les
baroquisants. Pour le N.P.L.I.: ceux qui infligent un style
baroque à la musique classique.
Les baroquisants ne rencontrèrent donc guère de
résistance, au sein d’une atmosphère culturelle atteinte
d’ignorantisme. C’est ainsi que leurs cliques purent
proliférer comme vermine dans le monde de la musique. Il
n’est de jour où, à la radio, de mois où, dans les
périodiques musicaux, on n’apprenne la naissance d’un de
ces petits monstres. Pouillerie semblable à ce parasite des
crabes, bête noire de Konrad Lorenz, qui se propage dans
leurs tissus pour en dévorer progressivement la chair.

27
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

2° La marginalisation du classique.

Je n’écris pas pour la foule.


J’écris pour les gens cultivés.
L. v. Beethoven32

La musique classique, c’est bien embêtant. C’est


ringard ; c’est pour les vieux, pour les bourgeois, pour les
profs de musique, pour la TSF les jours de deuil national,
comme quand Pompidou est mort. Apprendre le piano, le
violon, c’est une torture infligée par des parents
monstrueux. Faire apprendre le solfège, c’est, de la part de
profs tyranniques, (fascistes, disons le mot !) persécuter
ceux qui n’ont pas besoin de savoir les notes pour
s’« exprimer librement ». « Avant la guerre », les jeunes
n’osaient pas trop se rebeller contre leurs bourreaux. Mais
pour ceux qui étaient nés après, il était temps de secouer
l’oppression qui prétendait imposer le si barbifiant
classique. Alors qu’il y a tellement d’autres musiques
« pour les jeunes »… Musiques éventuellement jouées par
un de ces génies qui tapent sur les pianos ou soufflent dans
un saxo « sans jamais avoir appris la musique ». Prodige !
Mais quel mépris, quelle désinvolture envers les pauvres
manants besogneux qui ont construit les instruments, leurs
notes, pour que puissent s’exprimer les fulgurances
créatives du génie !
Depuis plus d’un siècle le divorce est consommé
entre la musique « sérieuse » et la musique « populaire »33,
celle des petites chansons, des bals, du divertissement.
Fini le temps où Mozart, sur commande de la Cour, faisait
danser les belles Viennoises, où l’on chantait « non piu
andrai » dans les rues de Prague et lieber Augustin dans

32
Cf Jean et Brigitte Massin, Beethoven, édit. Fayard, p. 145.
33
Rien à voir, hélas, avec celle que les Tiersot et les Bartók allaient
colliger dans les campagnes.

28
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

les rues de Vienne. Fini le temps des Lanner, Strauss,


Waldteufel, des faiseurs d’opérettes, dont la musique avait
la meilleure tenue. Le temps où la « grande musique », à
défaut d’être pratiquée par « tout le monde » grâce au
piano domestique – au phono – était au moins respectée.
De la part de la majorité de nos contemporains du XXIe
siècle débutant elle ne s’attire plus que dédain, sarcasmes,
si ce n’est totale ignorance.
Ce n’est pas dans « nos banlieues » que l’on
connaît Cosi ou Pelléas. Mais pas plus que Pénélope dans
le foyer des « français moyens ». Et même jusque chez
ceux qui constituent l’élite nationale, qu’on voit plus
souvent en compagnie de rockers, de brailleuses à micro,
qu’au concert de quatuor à cordes. Nos politiques décorent
de la Légion d’honneur le génial Bob Dylan le mois où
l’atelier des pianos Pleyel, accablé par notre législation sur
les entreprises, annonce sa fermeture, incapable de
concurrencer les claviers asiatiques. Tous les médias
pleurent la mort de Moustaki, « chanteur contestataire à
moustache » au lendemain du jour où la disparition de
Henri Dutilleux, le dernier grand compositeur français,
passe à peu près inaperçue ; aucun officiel ne s’est déplacé
à ses obsèques pour lui porter l’hommage de la
République française34. Pas un mot à la télévision
française le jour de la mort d’un chef d’orchestre de
l’envergure de Claudio Abbado. Par contre quels
cocoricos, quels chants de victoire lorsque le groupe Daft
Punk fait triompher la France à la 56ème cérémonie des
Grammy Awards de 2014 ! Pire que s’ils avaient trouvé
comment guérir l’Alzeihmer !
Renié, moqué, vilipendé autant que les cours
magistraux et les distributions de prix, hormis pour
quelques hurluberlus, loufoques, vieux de naissance, le

34
En 1809 plusieurs officiers français sont venus assister à la messe
d’enterrement de Joseph Haydn.

29
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

classique « pur jus » n’ose quasi plus être montré en


exemple, proposé à l’admiration, enseigné « aux jeunes ».
Dans l’espoir d’attirer ces fameux jeunes, un festival
organisé à Nice en octobre 2013, où l’on put entendre
Frank Braley, le Quatuor Ludwig et autres classiqueux fut
annoncé et intitulé « C’est pas classique » ! Toujours pour
ne pas rebuter les jeunes – ni les autres, les si excellents
festivals de musique classique de Nantes doivent
s’intituler Folles journées. Á l’extrême rigueur certains
courageux, certains bons élèves pourront néanmoins
avaler, à petite dose (comme ma génération avalait de
l’huile de foie de morue ?) autre chose que leurs refrains
débiles. Par exemple Les Saisons ou « Lascia ch’io
pianga » - on peut presque en faire des « tubes » (« ouais,
c’est un air sympa, on l’a entendu à la radio35 ») ; mais à
une condition : qu’on ne dise surtout pas que c’est du
classique. Ça passera. si on leur affirme, mot magique,
sésame, que c’est « du baroque ». Ainsi peuvent édifier
leur culture ceux qu’on a appelés « les enfants du rock et
du baroque ».
L’explosion des médias sonores, radio, TV,
disques, Internet, etc., depuis le dernier tiers du XXe
siècle, l’usage devenu rituel-obligatoire du micro,
déplorable, démoniaque béquille36 laissant croire que
n’importe quelle perruche, n’importe quel serin est
capable de chanter, ont permis une diffusion massive des
infra-musiques37. Avec une insistance, une omniprésence
intrusive sans précédent. Quand on crée une « chaîne
radio » consacrée à « la musique » il n’est pas question

35
Une « périphérique » assurant la promo de la Bartoli. (à 415
évidemment). Il faudra que le disquaire le retrouve !
36
Il rend le membre supérieur aussi important que le gosier. Un-e
phocomèle aura de la peine à faire carrière de vedette de la chanson !
37
Celles que Iannis Xenakis disait provenir des « bas-fonds de
l’intelligence musicale ».

30
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

qu’on y diffuse le moindre petit bout de classique. Pas


plus qu’au cours de la « rubrique musique » de mes
informations régionales télévisées ; la présentatrice bavant
d’admiration ne fera que commenter avec le génie
dépenaillé aux phanères surabondantes ou rasibus le
« dernier album » (évidemment) que vient de sortir « son
groupe ».
Impossible d’échapper au flot de laideur qui sort
des « Grandes ondes », qui sort des micros sonorisant tant
de restaurants, et les cinémas pendant qu’on attend son
film, et même dans le casque de l’IRM – puisque c’est la
musique que « tout le monde aime ». Impossible
d’échapper, pendant les publicités télévisées farcissant
polars ou vues de la nature à cette voix impérieuse qui, me
tutoyant, me somme d’acheter dans les meilleurs délais la
« compil indispensable » qui me permettra d’écouter, en
extase, telle chanteuse aphone sans micro ou tel
analphabète ne sachant ni lire ni écrire, donc réduit à
confectionner des « albums ». Et dans le même temps que
s’établissait le matraquage par les Variétés de toutes
espèces leur niveau « esthétique » (soyons fous !),
s’effondrait désastreusement.
Ces musiques à bas niveau (sauf sonore !) qui,
désormais, prolifèrent comme une pandémie inondant les
oreilles avec chansonnettes, rengaines niaises, disco,
techno, rap, slam, et toutes les américaneries, pop, folk,
soul, country, metal, le triomphant rock, massacre du
tympan, apothéose de la vulgarité38. Leurs interprètes
agitateurs de guitare électrique et de tignasse, brailleurs de
micro, convulsionnaires tapeurs de tambour fussent-ils les

38
Dans l’excellent film de Robert Altman Le privé, le héros s’efforce
de retrouver en pleine nuit, au milieu de toutes les marques proposées,
une boîte du seul ronron que son chat consente à manger. « Te bile
pas, patron ! », tente de le rassurer l’employé de la supérette, « tout
ça, c’est la même saloperie ! ».

31
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

plus « hard », les plus « contestataires », utilisent les pires


clichés rythmiques et harmoniques, les plus simplistes, les
plus conventionnels, les plus éculés, assortis de criailleries
tenant plus des bruits de la jungle que de la mélodie. On
peut déplorer la même indigence des musiques à danser ne
connaissant que le poum-ta binaire obsessionnel pour
enfants attardés mentaux – d’ailleurs on ne se met plus en
couple pour danser, on se trémousse chacun pour soi, dans
une sorte de transe autiste assez pitoyable. Seuls le
folklore et le jazz peuvent montrer bonne tenue, bon goût
et originalité. Ils ne mobilisent guère les foules, et
rapportent peu aux marchands. Sinon ? Un peu de Frères
Jacques, Bobby Lapointe, Boris Vian… la vie est courte,
je n’ai pas tellement le temps.
La « compréhension » des niaiseries commerciales
ordinaires ne pose évidemment aucun problème
d’« initiation à la musique », celle qui, quand on a l’âge de
raison, doit quand même être reçue pour pouvoir apprécier
ne serait-ce que Pierre et le loup39. Comment s’étonner de
ce que ces productions dont le niveau d’élaboration
dépasse à peine le zéro puisse « plaire » au plus grand
nombre des « peu instruits » ? Plus enclins à aller
retrouver « les copains » - quel que soit leur âge - là où se
produit telle chanteuse, tel groupe en faveur, que se rendre
à Gaveau ou au Capitole. Peuplant vastes salles, stades,
esplanades les Millionen si espérés de Schiller et Ludwig
van ne sont pas face à ceux qui jouent et chantent la
Neuvième, mais devant l’estrade où beuglent des Absalons
environnés d’une sono audiocide, voire un « chanteur à
texte » déclamant sa philosophie à trois sous.

39
Encore qu’on pourrait lui reprocher de raconter une histoire. Or on
n’initie pas vraiment au fait musical, à l’art des sons, à partir d’un
récit littéraire qui lui est hétérogène, puisque la musique transmet
précisément ce qui ne peut être dit par des mots. Le Young person’s
guide to the orchester de Benjamin Britten est plus approprié.

32
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Les sous, les habiles commerçants du show


business savent les récolter. Ils en gagnent plus avec les
concerts, les enregistrements des « Variétés » les plus
débiles, des chansons si niaises qu’il faut leur adjoindre un
(aussi niais) vidéo-clip, qu’avec les concertos de Mozart40
ou la musique de chambre de Zemlinsky. C’est une
industrie florissante (ah ! ah !) soutenue par de très
intrusifs publicitaires. Et qui fait plus gagner en une soirée
aux vedettes microphores que ce qu’un-e brave étudiant-e
du Conservatoire ne peut espérer gagner en un an, en
soufflant dans son basson ou en grattant son alto41. Encore
autant de raisons de détourner du classique, ou d’en
dégoûter.
Il fut un temps où, quand même, il se disait
« officiellement », ne serait-ce qu’à l’école, que le
classique était la forme supérieure de l’art musical. Une
constatation que le politiquement correct interdit
désormais de faire. La démagogie anti-élitiste, alliée aux
marchands de musiquette, est opposée à toute tentative de
hiérarchisation des phénomènes culturels, reflet fétide des
« cultures de classe ». Par une classique ( !) confusion des
valeurs Bob Marley est déclaré aussi créatif (plus !) que
Francis Poulenc, Jacques Brel chante aussi bien (mieux)
que Camille Maurane. Ainsi s’instaure ce qui se voudrait
un œcuménisme mais n’est que tyrannie et/ou putasserie,
et qui ne fonctionne qu’à sens unique.
C’est en vain que tel ou tel ténor de l’art lyrique se
compromet avec telle ou telle vedette du music-hall. Cross
over qui ne convaincra jamais les fans de rock d’aller
écouter Les Pêcheurs de perles. Quant à la « largeur
d’esprit » de ces chaînes radiophoniques dédiées au

40
Propos d’un « jeune » recueilli à la sortie de l’odieux film de Milos
Forman Amadeus : « Ouais, c’était cool, ouais, le son j’ai aimé ! ».
41
La chanteuse de Variétés Mylène Farmer a gagné 4,7 millions
d’euros en 2013.

33
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

classique et qui attribuent de bons temps d’antenne aux


musiques vulgaires, elle n’a aucune contrepartie. Ce n’est
pas demain qu’on entendra les quatuors de Bartók sur
NRJ. Par lâcheté, veulerie, on n’a abouti qu’à un
nivellement par le bas, faisant l’hagiographie de
l’accordéon et des compositeurs de tango.

3° La trahison des clercs

Lorsque ceux qu’on prenait pour d’innocents


illuminés se mirent à bricoler leurs cordes, leurs chevalets
pour faire un « montage à l’ancienne », à utiliser des
archets convexes, à chercher bois et cuivres sans clés ni
pistons, à les accorder plus bas que le diapason (toujours
« à l’ancienne ») on les traita « gentiment » de baroqueux.
On se moquait même de leurs « performances », disant
« Qu’est-ce qu’un instrument baroque ? Un instrument qui
joue faux ! »42. Je dois dire que dès le départ ils ne
m’avaient nullement amusé. Fortement inquiété et
chiffonné, au contraire, m’agressant l’oreille absolue.
J’avais même prévenu mes amis professionnels de la
musique – nous étions dans les années 70 : « Méfiez-vous
de ces gens, ils ont les dents longues et ils vont vous
manger la laine sur le dos ». Ils eurent tort de rire.
Il ne fallut pas longtemps pour que « la petite
bête » ne se mette à monter. C’était « si intéressant, si
original, si inattendu », d’écouter nos braves « classiques
favoris » sonnant « autrement » – même si le résultat
effectif pouvait être des plus médiocres – évidemment en
jugeant d’après les critères alors en vigueur, désormais
ringardisés. Et puis il fallait respecter une démarche aussi
sincère ! Pour un peu on aurait béatifié ces braves gens !
Or ces bons apôtres se sont montrés de féroces carnassiers.
Au fur et à mesure qu’on se persuadait que, dans le fond,
42
Ça c’est ben vrai !

34
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

ils avaient peut être raison, et qu’on les laissait mettre à


mort les formations dont ils volaient le répertoire. Car ils
bénéficiaient de l’irrésistible mouvement en faveur de
l’« authentique » - on en reparle.
Se produisit alors cet « effet rhinocéros » décrit par
Ionesco. Tout le monde succomba à l’infestation. Elle
gagna le haut comme le bas de la pédagogie musicale.
En haut l’Empyrée s’est dépeuplé. Maurice
Emmanuel, Ernest Ansermet disparus, plus personne, de
nos jours, ne peut s’honorer du titre de « philosophe de la
musique »; successeur des Praetorius et des Mersenne. Á
l’étage sous-jacent se trouvent musicologues, critiques, et
responsables des Conservatoires. Doivent connaître
l’histoire de la musique et l’histoire (tout court), et la
musique (comment elle se fait, s’écrit et se joue) les
authentiques musicologues… mais, en plus, avoir « du
goût », aimer la musique, savoir en juger les œuvres, et
offrir à ceux qui les écoutent des raisons de l’aimer encore
plus. En sait à peu près autant le bon critique musical.
L’espèce me paraît en voie d’extinction. Disparus sont les
excellents Massin, Claude Rostand, Antoine Goléa43, et
Roland de Candé, le seul qui m’ait compris et soutenu
dans mon plaidoyer pour le maintien du diapason unifié et
le style classique. J’ai encore connu Marc Vignal, Jean-
Marie Nectoux, Harry Halbreich, Jacques Longchampt,
Claude Samuel… Derrière leurs générations je n’aperçois
aucune relève. Sinon de vagues commentateurs,
musicographes au petit pied dont les critères du jugement
de valeur sont bien faiblards44.

43
Celui qui, au cours d’une émission de critiques de disques, avait eu
le courage de proclamer « Désharnoncourtisons » la Saint Matthieu !
Il faut dire qu’il avait été violoniste et jouissait de l’oreille absolue.
44
Miraculeuses exceptions pour leurs livres : Brigitte François-Sappey
(les Schumann, Mendelssohn), Claire Delamarche (Bartók), Hervé
Lacombe. (Poulenc).

35
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Je donne quelques exemples de la vaste


compétence, de l’aiguë vigilance, de l’acuité auditive de
ces soi-disant critiques.
Á quelques jours d’intervalle j’ai entendu d’abord
l’augure musical d’une radio « périphérique » nous
rassurer : « mais oui, le compositeur de la Messe en si était
catholique »45, puis à France-Musique un de ses collègues
m’apprit que Strawinsky avait utilisé des thèmes de
Vivaldi pour son Pulcinella (que j’adore extrêmement).
Les précisions diapasoniques sont tout à fait familières à
ces érudits… Quinze ans séparent la composition de Lucio
Silla de celle de Don Giovanni. Le premier est qualifié
d’« opéra de jeunesse » (quand donc Mozart fut-il vieux ?)
donc personne ne semble s’être ému (« oui, c’était dans le
temps ! ») de ce que l’Harnoncourt l’ait enregistré au
« diapason ancien » à 415, tandis qu’il a adopté le
« diapason moderne » à 440 pour enregistrer Don
Giovanni. Le diapason était-il monté d’un demi-ton en
quinze ans, entre la jeunesse et mettons l’âge mûr de
Mozart (31 ans) ? Je n’ai lu nulle part l’étonnement d’une
des signatures de la critique musicale écrite – même
silence à la radio.
Il est vrai que la bande à Kuijken enregistrant tous
les opéras de Mozart à 415, le Barockorchester de
l’affreux46 René Jacobs les enregistrant à 430 ont le
« diapason » plus constant… dans la fraude. Tout comme
l’affreux Hogwood que je fusillerais bien pour avoir
massacré à 430 La Clémence de Titus. Ces baguettes

45
Je pardonne à JSB cette oeuvre opportuniste, pour se faire bien voir
du roi de Pologne, pendant que le Conseil de Leipzig faisait rien que
l’em...bêter. Et bien qu’il ait célébré la victoire de ce Piast sur le
Leczinski soutenu (mollement) par les troupes françaises (.ZW 15-
BWV 215). Mais le Gloria est si roboratif !
46
Le qualificatif affreux s’impose comme un adjectif homérique bien
mérité pour ces chefs baroqueux, étant données les affres dont ils font
souffrir les oreilles absolues.

36
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

baroques ne récoltent que louanges de nos critiques si


compétents. Il est vrai que ces opéras mozartiens
réclament « impérativement » des orchestres baroques. Il
est vrai que le diapason, dont dépend – paraît-il – la
hauteur de toutes les notes de l’opéra n’est qu’un « mince
détail »…
Pour ces petits messieurs la guerre du baroque est
derrière eux, et gagnée depuis longtemps. Ils ont « avalé »
le baroque, sa prétendue époque historique, supportent
sans broncher ses sonorités imbuvables, son diapason
décalé, ne le remettront jamais en cause, ni ses caractères
stylistiques et instrumentaux, ni ses vedettes, ses pompes
et ses œuvres. Et bien sûr parmi eux les prosélytes
baroquolatres thuriféraires de la secte. Ils tiennent
conférences, émissions radiophoniques, chroniques
journalistiques, commentaires des étuis de CD, et peuvent
pondre des livres. Des livres à la gloire de la musique
baroque, comme ceux de Philippe Beaussant, ce qui
devrait paraître aussi scabreux que des éloges de la
médecine baroque. Mais ils prétendent que désormais
baroque a perdu tout sens négatif, comme le perdit
autrefois l’adjectif gothique.
Du coup fut débaptisé le mouvement
« néoclassique » de l’entre-deux guerres. Il faut désormais
dire « néobaroque ». Puisque baroque est flatteur, des
chefs d’oeuvre méprisés par les « schoenbergiennement
corrects », comme le Dumbarton Oaks concerto de
Strawinsky, les madrigaux de Martinu, les préludes et
fugues de Chostakovitch, la Symphonie pour cordes de
Honegger, les concertos de Poulenc et tant d’autres vont-
ils désormais avoir droit à la considération distinguée des
« historiquement éclairés » ? C’est pas moi qui m’en
plaindrai, qui n’aurais jamais osé évoquer ces noms
« maudits » dans les couloirs du Festival de Royan !

37
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Il faut dire que le baroquolatre n’est pas à un


pataquès près, et que l’intoxication des esprits est
profonde. La Lettre du musicien de juin 1997 annonçait
ingénument « Rencontres de musique médiévale du
Thoronet. L’abbaye cistercienne du Thoronet accueille
une manifestation entièrement consacrée à la musique
prébaroque ». Comme si « le baroque » était ce ferme
repère historique et esthétique annoncé par la musique
« prébaroque ». Mais qu’est-ce donc que cette musique
prébaroque ? De la musique classique ? selon la leçon de
Wölfflin ? Et alors de quel siècle ? Cruelle incertitude ! Et
jusqu’à nouvel ordre, le théâtre de Molière et Corneille
est-il bien LE théâtre classique français ? Pourquoi donc la
musique de leurs collaborateurs Lulli, Charpentier – celle
qui fait les choux gras des confiscateurs Christie,
Minkovski, Malgoire, Rousset – devrait-elle être étiquetée
baroque ? Ou alors le Malade imaginaire, Psyché sont du
théâtre baroque. Voilà du travail en perspective pour les
futurs rédacteurs des livres scolaires.
Le baroque, consacré par les « autorités »
musicologiques s’est si bien institutionnalisé qu’il a pu
s’introduire dans conservatoires et écoles de musique.
C’est très officiellement qu’ici ou là on enseigne
désormais le chant baroque, la flûte baroque ou la danse
baroque. Les baroqueux installés dans le fromage, tels
Christie pontifiant dans son Jardin des voix, se font eux
aussi un devoir de dispenser leurs lumières, fondent leurs
institutions et répandent leur venin doctrinal. Christie
devenu producteur de CD peut même joindre un fort
courant à la marée noire des fausses notes baroques. Que
le baroque soit enseigné montre à quel degré d’aberration
la secte a fait parvenir le jugement esthétique en musique.
Outre la médecine baroque, pourquoi n’enseignerait-on
pas l’agriculture baroque, la navigation baroque,
l’électronique baroque ? Il est vrai que pendant le festival

38
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

d’opéra baroque de Beaune un restaurateur a proposé des


« menus baroques »…C’est bien de subversion culturelle
qu’il s’agit. Insinuée dès l’école, introduite dans la tête de
nos enfants.
La professeure de musique obéit aux directives
ministérielles concernant l’enseignement de la musique
« accessible à tous », directives pondues par d’anciens
soixante-huitards auxquels les allées du pouvoir sont
(miraculeusement ?) devenues fréquentables. Mais elle
peut obéir à ses convictions personnelles
« œcuméniques ». Il lui sera plus facile – plus plaisant -
d’enseigner les Beatles que Buxtehude. Et si elle
s’aventure dans les musiques du passé elle suivra le
manuel qui définit musiciens baroques ce Bach et ce
Haendel dont les petites têtes blondes n’ont jamais
entendu parler à la maison. Elle leur fera entendre leurs
œuvres, recommandera leur enregistrement à 415 déformé
par le prisme des cliques baroques seules disponibles sur
le marché.
Des générations de « jeunes » n’auront désormais
jamais entendu Le Messie ou la Saint Jean au diapason
avec des instruments corrects. Mais il y a pire. Monsieur
Christophe Coin recrute des élèves des Conservatoires, des
Écoles de musique pour constituer un « Orchestre
française des jeunes baroques ». Ces innocents jeunes gens
sont soumis à des instruments obsolètes, à un diapason
aberrant, les voilà rabougris, momifiés avant l’âge, et
perdus pour l’oreille absolue. Tandis que Monsieur
Herreweghe est tout fier de demander aux jeunes de son
« orchestre Atlantique » de s’accorder à 430… Au fait
qu’a-t-on reproché à Socrate pour lui faire boire la ciguë ?
Et pendant que tout un pan de la musique du passé
tombe aux mains de la subversion baroque, que font les
compositeurs d’aujourd’hui ?

39
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Voilà des décennies que la création musicale


savante occidentale navigue fâcheusement entre deux
écueils, entre Charybde et Scylla. Entre les « petites têtes »
et les trop grosses têtes. D’un côté, les nullités débilardes,
ânonnantes, rabâchantes des Phil Glass, des Arvo Pärt…
misère ! De l’autre côté les trop forts en thème.
La coupure est profonde entre les « inventeurs de
musique » du XXIe siècle débutant47 et le reste de la
population, ne serait-ce que le public mélomane de bonne
volonté. Il est déconcerté par l’abolition des repères : les
notes pivot de la mélodie, les tensions-détentes de
l’harmonie, la scansion mesurée du temps. Tout ce qui
correspond au retentissement physiologique de la
perception musicale. Dans leur tour d’ivoire ils élaborent
des systèmes compositionnels aussi alambiqués,
ésotériques, farfelus, qu’éphémères. Foin de la mélodie,
foin de l’harmonie, foin de la pulsation rythmique, foin de
la communication affective (tout dans la tête !), foin de
l’agrément sonore (hédonisme peccamineux), foin de
l’intelligibilité par l’auditeur. Que peut retenir le
malheureux mélomane d’une polyphonie à 95 parties dont
peut s’enorgueillir un « jeune Turc » tout fier de sa
partition haute de un mètre (pas facile à transporter en
avion !) ?
Depuis le règne boulézien l’hétérogène règne dans
ces compositions qui unissent la musique préfabriquée (à
moi l’informatique !), et la musique extemporanée, elle-
même éventuellement prémâchée par l’ordinateur48.
Fallait-il du génie à Xenakis pour faire parfois sortir de la
vraie musique de ses équations et de son affreux UPIC !

47
Inventeur de musique : le métier que disait exercer Strawinsky.
48
Tous ces appareils, ces mécaniques dont sont tributaires les
compositeurs « assistés » me font irrésistiblement penser à cet attirail
de sex-shop dont ne peuvent se passer certains couples au moment de
s’étreindre.

40
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Le composite – le baroque est décidément devenu


l’étendard musical de notre siècle. Quant au résultat c’est
assez uniformément une musique au propos discursif, faite
de pointes d’épingle et de coups de poing, au parcours en
perpétuel scenic-railway de l’échelle sonore (je monte, je
descends, je remonte, etc., sport favori de Boulez) et au
parcours temporel fort abscons. Et ne parlez pas
d’inspiration, ne parlez pas de cœur. Ce serait indécent,
ou, pire, romantique. Ce qui est aussi l’injure favorite de
la secte baroquisante.
Certes il reste quelques bons petits soldats49. Mais
je n’aperçois pas de général. Celui qui ferait se détourner
les impatients de nouveauté des délices moisies du
baroque chanté par ses sirènes50, pour les remettre dans le
droit chemin de la musique inventive, vivante.
En attendant, ce ne sont pas ceux qui ont renié la
mélodie qui défendront Haendel, ceux qui ont renié
l’harmonie qui défendront Bach, ceux qui ont renié le
souffle du rythme qui défendront Rameau.
*
La mainmise des baroqueux sur le marché des
Premiers classiques est le résultat de ce pataquès, de cet
oubli, de cet abandon, de ce désintérêt, de cette
ignorance de ce snobisme… de cet arrivisme.
*
C’est ainsi que les baroquisants ont pu se conduire
en envahisseurs sans rencontrer grande résistance. Sauf
quelques réfractaires à la « révélation » - dont je suis - on

49
Oui, vivants en 2014 j’écoute Paul Mefano, Pascal Dusapin, Hugues
Dufourt, Bruno Mantovani, Thierry Escaich, Isabelle Aboulker,
Philippe Hersant, Michèle Reverdy … Ils sont bien honnêtes, mais ils
ne m’ont pas donné grand-chose à chanter et ne m’ont pas encore fait
lever de ma chaise. Et que de parlottes ! Que de fausses notes !
50
« LE musicien du XXe siècle est l’interprète de compositeurs
disparus depuis des lustres », Yvan A. Alexandre, Guide de la
musique ancienne et baroque, cité par Benoît Duteurtre, o.c., p.131.

41
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

ne se formalise plus quand on apprend qu’à Versailles,


dans ce temple du classicisme, a été fondé par Philippe de
Villiers ( honte éternelle sur lui !) un très virulent « Centre
de musique baroque ». Quand il semble aller de soi qu’à
Beaune se tienne un Festival annuel de l’Opéra baroque –
né « miraculeusement » baroque sans prédécesseur
classique. Quand on voit applaudir ce Barockorchester de
Fribourg, lorsqu’il exécute (c’est le mot) les oratorios de
Haydn51 et les opéras de Mozart. Il n’est pas jusqu’à Felix
Mendelssohn que ne s’approprient les orchestres baroques
pour jouer ses symphonies de jeunesse (Concerto Köln), et
personne ne tique lorsque un « Orchestre du XVIIIe
siècle » joue sa Symphonie Italienne… née en 1830 :
quelle vérité historique ! Personne n’ose s’insurger contre
cette invasion, contre cette occupation outrecuidante. Et
pourtant ! Les baroques à Versailles, c’est les Cosaques
sur les Champs-Élysées, les Barbares sur le Forum
romanum !
Mais le baroque est si séduisant ! Si raccrocheur !
Á la belle saison il n’y aura bientôt plus aucune petite
ville, commune, mairie qui ne s’enorgueillisse de son
festival baroque, de sa « semaine baroque ». En plein été,
lorsque les soirées sont si chaudes et lumineuses, on a peu
de chance de faire venir les estivants, les enfants des
écoles à un « concert classique » – la barbe !... Mais on
peut rameuter à une alléchante « soirée baroque » des
auditeurs – les enseignants, des vacanciers ravis de la
sortie - qui applaudiront des bigophones jouant à 415 des
oeuvres qui n’auraient demandé pas mieux que d’être
jouées au diapason sur des instruments normaux. Elles
auraient d’ailleurs recueilli le même niveau
d’applaudissement, tant le public manque désormais
d’éléments de jugement.

51
Les Saisons sont de 1801. C’est bien deux siècles de musique (et
plus) que veulent confisquer les baroqueux.

42
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Cette mainmise du baroque sur les gloires du


classicisme le plus exemplaire, le plus rayonnant, est une
formidable intoxication culturelle. C’est aussi une
fructueuse affaire commerciale. « Hors du baroque, point
de salut financier », ont maintenant admis les « décideurs
culturels », les directeurs artistiques et les directeurs
commerciaux. Qu’il s’agisse d’opéra, de concert, de
festival, de sonorisation de monument historique, hélas,
d’enregistrement CD, de programme radiophonique,
puisque les Premiers classiques occupent le seul « créneau
classique » dont le marché soit porteur, seule la secte sera
conviée, honorée…payée ! De plus la gloire dont sont
environnés les porteurs de baguette du baroque leur
permet désormais d’augmenter leurs revenus, au-delà
même des Haydn et Mozart qu’ils polluent allègrement.
Ne regardant plus vers la « musique ancienne » c’est en
faveur de celle du XIXe siècle prétendu « honni » que ces
messieurs ne répugnent pas à prêter leurs « merveilleux
talent ». Beethoven, Schumann, Berlioz, Brahms,
Bruckner… Massenet, Johann Strauss fils, Offenbach
peuvent faire les choux gras des Gardiner, Herreweghe,
Minkowski, et même de l’Harnoncourt, qui s’est pavané
au Concert du nouvel an de Vienne52. Il n’y a pas de petit
bénéfice !

52
Il a « si bien » dirigé « L’invitation à la danse » de Weber-Berlioz
que le beau monde ignorant a applaudi avant le moderato terminal,
croyant que c’était fini…

43
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

DEUXIÈME MOUVEMENT. COURANTE

UNE PATHOLOGIE ASSOCIÉE :


L’AUTHENTICOMANIE

On peut ressusciter certaines sonorités du passé.


On ne peut ressusciter leurs auditeurs.
Helmuth Rilling

Trois manifestations pathologiques caractérisent


cette maladie culturelle.

1° Une chimérique réforme morale

Fils de l’instinct et de l’intelligence, l’art est de ces


« inventions » que l’espèce humaine peut être fière d’avoir
mises au monde. Il permet, entre les humains, de
communiquer les affects, grâce à une mise en forme. Les
affects, c’est « le cœur », et la mise en forme c’est le
propre de l’artiste : le savoir-faire intelligent, la ποιήσις.
Cette communication a le pouvoir exceptionnel, sans égal,
de franchir l’espace, et le temps. Portant le témoignage
impérissable de celui, celle dont les sentiments, les
émotions, les états d’âme vont pouvoir toucher la
sensibilité de ceux qui lui survivront. Le chef-d’œuvre unit
à parts égales le sensible et le raisonné, couple réussi
mariant le cœur et la tête, sans que l’un prédomine sur
l’autre. En musique trop de « main sur le cœur », ce sont
les turpitudes populacières53 de l’opéra vériste, les
exhibitions pleurnichardes de Tchaïkovski. Trop de
« fromage de tête », ce sont les rébus de Webern, les
tableaux noirs de Boulez.

53
Le terme est de Maurice Ravel.

45
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Qui sculpte, peint, dessine, n’a d’autre contrainte,


homo faber, que le façonnement de la matière. Après quoi
son œuvre lui survivra telle qu’elle est sortie de ses mains.
Privilège dont ne jouissent pas le dramaturge, le
compositeur. Pour faire vivre leur œuvre, pour toucher le
cœur de leurs semblables, ils ont besoin d’autres humains.
Ces humains d’ailleurs, ces humains du futur, sont
tributaires de deux contingences. D’une part leur
personnalité, qui en fait de bons ou mauvais interprètes.
D’autre part le sort commun de tous les humains,
l’immersion dans l’Histoire.
Le temps est inexorable : l’Histoire ne recule pas.
Ce qui a eu lieu ne peut être aboli… sauf dans
l’Encyclopédie soviétique ! Au fil des ans, la façon de
produire les sons qui sont la chair de la musique, la façon
de les agencer, de composer évolue, se modifie, progresse.
Comme évoluent toutes choses humaines touchant à la
technicité, touchant au goût – à la mode. Seul ne change
pas le cœur de l’homme. Ses désirs, ses joies, ses peines.
Là gît le pouvoir miraculeux que l’art confère à l’artiste,
au créateur. Par delà les siècles il permet de faire vibrer le
cœur de ceux qu’il veut toucher, et qui bat comme le sien
a battu. Devant la beauté des statues antiques. Devant la
mélancolie de celui qui doit quitter sa ville bien-aimée.
C’est dans ce sens qu’on a pu dire qu’en art « il n’y a pas
de progrès ». Il est vrai que le corps des femmes
d’aujourd’hui est le même prodige que celui modelé par
les mains de Phidias. Et l’air, les paroles de « Innsbrück
ich muss dich lassen », avec leur accompagnement par un-
deux trois instruments facilement réunis peuvent sonner à
nos oreilles tels que Heinrich Isaac les a notés. Les choses
se compliquent lorsqu’il faut faire partager l’affliction de
Huascar, grand-prêtre du Soleil dont on a détruit « les
superbes asiles ».

46
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Les contemporains de Rameau se rendaient au


spectacle à pied, en chaise à porteurs ou en carrosse,
s’efforçant de ne pas trop crotter leurs chaussures. Ils
portaient perruque, culotte, gilet, mouches, lourde robe sur
double ou triple jupon, falbala, corset, bavolet, lacets et
rubans. Ils ne connaissaient ni l’eau courante, ni le
chauffage central, ni l’électricité ni la télé ni le téléphone
portable, ni le TGV ni France-Musique ni le CD ni
l’informatique ni la chirurgie aseptique – entre autres. Ils
s’éclairaient à la chandelle et ne mangeaient pas toujours
frais, ce qui occasionnait bien des indispositions
d’entrailles. Ils ignoraient la contraception « à distance »,
d’où le grand nombre de bâtards et de familles
nombreuses. Leur espérance de vie « globale » dépassait
rarement cinq décennies, menacés par la grosse et la petite
vérole, la pierre, la goutte, la phtisie, le transport au
cerveau, la mort en couches et la péritonite appendiculaire.
Ils se soulageaient n’importe où, à la maison dans de
puantes garde-robes. Plus ou moins bien lavés – ce qui
pouvait se sentir, ils devaient se préserver des puces des
poux et des punaises, usaient et abusaient de poudres,
fards et parfums. Quel humain du XXIe siècle serait tenté
d’adopter de telles conditions de vie ?
L’orchestre de l’Académie royale de musique
faisait entendre aux spectateurs des Indes galantes des
cordes en boyau grattées par des archets convexes, des
bois à peu de clés et des cuivres « naturels ». Un
instrumentaire qu’il y a cinquante ans on eût trouvé bien
déficient. Car année après année les amoureux de la
musique, compositeurs, chanteurs, instrumentistes, luthiers
se sont efforcés de lui fournir les meilleures conditions de
réalisation, la technicité instrumentale et vocale
impeccable, le bon goût sans vulgarité ni provocation.
C’est ainsi que l’on peut s’abandonner sans réticences à
l’émotion. Grâce à ces indubitables progrès l’Opéra de

47
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Paris put, au début des années 1960, offrir aux Indes


galantes de 1734 des représentations dont la beauté
parfumée a laissé un souvenir émerveillé. C’était hélas un
chant du cygne. La dernière fois qu’on put entendre et
voir, sur une scène française, un opéra de Rameau au
diapason et selon les critères esthétiques et techniques les
plus convenables à enchanter les mélomanes du XXe
siècle ; qui n’avaient pas besoin des couinements d’un
orchestre baroque pour être heureux. Ô aveuglement !
Plaisirs d’inconscients, condamnés par les Savonarole de
l’authentique.
« Horreur », se serait alors écrié Monsieur Jean-
Claude Malgoire, l’eût-on traîné, de force, à ce spectacle
scandaleux. « Vous applaudissez une exécution scélérate !
Vous vous vautrez dans le péché, jouissant de délices
interdites ! Le prophète Nikolaus Harnoncourt nous a
montré la voie du salut, et il faut suivre sa prédication ! ».
Effectivement l’Harnoncourt, piqué par une mouche
maligne, avait pris le chemin de la pénitence, renonçant à
tout le confort moderne et aux sons luxurieux54. Inspiré
par le démon de la perversité, il avait adopté cette ligne de
conduite qui tourne le dos à ce qui est le propre de la
démarche artistique. Il prêchait la recherche première non
de la beauté, mais de la vérité.
Personne – sinon les Polyeuctes, les prédicateurs
du Carême, les « révolutionnaires culturels » de Mao, les
ayatollahs et autres talibans – n’a osé s’en prendre à la
beauté. Et de la part d’un musicien, donc d’un artiste,
c’était renier l’art. Renier l’esthétique, cette « science qui
détermine le caractère du beau dans les productions de

54
Pendant la guerre de 14, ma mère avait reçu, en « prix de
musique », un recueil de chants à l’usage des jeunes filles pieuses.
Dans la préface, un brave chanoine mettait en garde contre certains
accords « troublants » pouvant inciter à de « dangereuses rêveries ».
Debussy pervertissant la jeunesse !

48
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

l’art »55. C’était piétiner le goût, cette faculté « qui fait


apprécier les beautés et les défauts dans les ouvrages
d’esprit et dans les productions des arts »56.
L’Harnoncourt se situait bien ainsi dans ce désastreux
antiacadémisme académisé, « qui régit, depuis près d’un
demi-siècle, la partie la plus prétentieuse de la production
artistique »57. Les anciens critères de beauté sont révolus,
ils doivent maintenant s’incliner devant la sainte vérité de
la « nouvelle musique ancienne ». En fait l’Harnoncourt,
partant en guerre contre ce qu’il accusait comme un
académisme figé, allait fonder un nouvel académisme
encore plus paralysant.
La vérité, évidemment, il en était le détenteur. Il
avait décidé de l’appliquer à cette musique du passé à sa
petite portée intellectuelle et technique, celle qu’il avait
exécutée sur son violoncelle. Il l’avait baptisée « alte
Musik », musique ancienne. Mais hélas il l’entendait avec
des œillères ( !), au sens restreint de son gourou
Wenzinger.
On aurait pu croire que le critère d’ancienneté était,
par exemple, la composition avant l’invention de
l’imprimerie. Ou encore, plus historiquement ancienne, la
musique notée de façon bien obscure par nos Antiques
gréco-romains58. Mais non, le hardi explorateur n’a pas
osé s’aventurer au-delà de l’an 1600… Grand timide ! La
Renaissance, le Moyen Âge, l’Antiquité lui feraient-ils
peur ? Quand il sortira de sa tanière baroque, ce sera
d’abord pour jouer Johann Strauss…Tant pis pour ceux
qui, comme moi, sont si désireux d’avoir un écho

55
Littré.
56
Littré, 6.
57
Benoît Duteurtre : Requiem pour une avant-garde, o.c., p 14. Un
ouvrage d’un rare courage.
58
Gregorio Paniagua, l’Ensemble Melpomen nous proposent quelques
reconstitutions. Touchantes mais pas très entraînantes.

49
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

vraisemblable de ce que chantaient les chœurs d’Euripide,


de ce que jouaient les fanfares des salpinx et des tubae
curvae59, de ces airs d’aulos ou de flûte double qui
faisaient danser les belles Hellènes qu’on voit agiter des
tambourins aux flancs des vases.
Cette musique ancienne, finalement, se limita à la
funeste Barockmusik. Ainsi s’accrédita l’idée fausse, se
creusa l’ornière fatale : la musique ancienne c’est la
musique baroque, et vice-versa. Et pour qu’elle soit
véridique, il faut lui appliquer les lois de l’authenticité.
C’est-à-dire, autre dogme fondateur de la secte, la jouer
comme on l’a fait le jour de sa création. « Vous trouvez
que la reconstitution ‘historiquement éclairée’ n’est pas
très séduisante ? Mais parce que vous êtes incapable de
l’effort moral nécessaire : vous replacer dans le passé »…
Il n’y a pas de prescription plus contraire à l’essence
même de l’art, par vocation transtemporel, et plus
impossible à réaliser. Cette conception de l’authentique est
un leurre et une prison.
« Des lotantiques ? » se demande le brave Ugolin
de Pagnol, « ça doit être une plante qui pousse dans les
livres »60. Il n’existe pas d’« enregistrement historique »
datant de 1725 pour l’Estro armonico, datant du 30 mai
1723 pour la cantate ZK 29 (BWV 75, Die elenden sollen
essen). Désirant éclairer leur lanterne historique, les
baroquisants ont donc dû se faire rats de bibliothèque.
Dans l’espoir de dénicher ce qui pourrait les guider au
moment de jouer « authentiquement » cette musique des
Premiers classiques qu’ils avaient accaparée. Sans trouver
finalement grand-chose d’utilisable, sinon quelques
vagues indications de coups d’archet. Ils ont donc dû obéir
à leur parti-pris anti-romantique, à leurs fantasmes, plus

59
Gossec demanda qu’on reconstitue une tuba curva pour sa Marche
lugubre de 1789.
60
Marcel Pagnol : Jean de Florette.

50
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

qu’à un goût qu’ils récusent, et dont ils sont d’ailleurs


parfaitement dépourvus. Pourtant Rameau avait dit que
« le goût avait toujours été son guide61 »… Mais le goût
est comme l’élégance. Il est natif, ou ne sera jamais. Voilà
pourquoi les baroqueux, qu’il s’agisse de la voix ou des
instruments, nous régalent de tempi abracadabrants,
éventuellement frénétiques, de fioritures outrées, de
portamenti, de phrasés et d’accents extravagants
témoignant d’un certain goût : le mauvais goût – le goût
baroque-fin de XXe siècle.
L’authentique, on n’avait pas attendu la secte pour
le faire pousser. S’il y eut une « révolution
musicologique » fructueuse, c’est celle, initiée dans
l’après-Seconde Guerre mondiale, par d’authentiques
musiciens, les Karl Münchinger, les Karl Ristenpart, les
Kurt Redel, les Anthony Lewis. En se fiant au goût, non
aux traités poussiéreux ils surent rendre aux Premiers
classiques alacrité et persuasion. Par leurs effectifs
appropriés, par leurs tempi élastiques, par leur perfection
instrumentale, par leur joie de jouer et de vivre. Ils avaient
trouvé la juste mesure. Après des années d’exécution
compassée. Quand Mengelberg jouait les Passions de JSB
avec des effectifs et des tempi pachydermiques. Quand
Karajan faisait jouer par 40 cordes le Sixième
Brandebourgeois. Voilà qui fut décapant ! Ce n’est pas
l’Harnoncourt, ce découvreur de lune, qui a « inventé » les
effectifs convenant à cette musique. Tout en sachant
qu’elle pouvait éventuellement, comme Le Messie, se
montrer monumentale.
Se créèrent alors des formations qui, dans le
répertoire des Premiers classiques, sous la baguette, par
exemple en France, de Paul Kuentz, de Jean-François
Paillard, de Roland Douatte, de Louis Auriacombe, agirent
avec passion pour faire connaître et aimer cette musique si
61
Girdlestone, ibid, p.514.

51
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

vivifiante. On pouvait faire comme eux, les prendre en


exemple, tout en apportant sa touche de sensibilité
personnelle. Mais on pouvait difficilement faire mieux. Si
bien que pour tirer à eux la couverture et profiter d’un
répertoire si merveilleux et si essentiel, les
Leonharnoncourt et compagnie ont fait les intéressants en
« inventant » leurs instruments d’époque et leur diapason
sécessionniste. C’était l’époque des Jeunesses Musicales
de France62, quand on ne considérait pas preuve d’une
vaste culture musicale le fait, pour un « jeune », de
pouvoir énumérer les participants des groupes de rock
fondés entre 1985 et 1990… Temps révolus, orchestres
mis à mort par la secte, à son plus grand profit.
Ce n’est pas dans les livres qu’on peut apprendre la
façon de jouer la musique qui n’a laissé aucun témoignage
sonore d’époque. Le seul document demeuré c’est alors la
partition notée par le compositeur – ce qu’Émile Leipp
appelle le programme. Des neumes médiévaux jusqu’aux
partitions minutées de Bartók les inventeurs de musique
ont fait de notables progrès dans la précision de leur
notation63. Mais il est finalement impossible de tout
noter64. Restent toujours des incertitudes65. Et il en restera
toujours, On peut dire heureusement, sinon aucune marge
de lecture personnelle ne resterait aux interprètes – phrasé,
nuances, accentuations mélodiques, fluctuations de tempo,
etc. C’est ce qui permet à l’œuvre de rester toujours
vivante, au gré du temps, en passant d’une génération à
l’autre, d’une sensibilité, d’un goût à l’autre. Artur

62
Qu’elles aient été créées sous Vichy n’a nullement nui à leur
bénéfique action dans l’après-guerre.
63
Je ne tiens vraiment pas pour musique les carcans chronométrés
imposés aux instrumentistes par les sons pré-enregistrés.
64
Même grâce à ces logiciels bien utiles pour servir de document,
mais aussi peu émouvants qu’une souche.
65
Et des négligences : ceux qui ont mis sur leur pupitre Iberia savent
combien l’Urtext d’Albeniz est farci d’erreurs.

52
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Rubinstein disait ainsi « l’indication du métronome, c‘est


pour la première mesure » !
Sans authentique document sonore, comment
savoir quel était le véritable tempo des œuvres écrites
avant l’invention du métronome – et encore : comment se
fier aux chiffres métronomiques du génial mais sourd
Ludwig van ? Où peut-on pratiquer le legato ou le
staccato là où il ne sont pas notés dans le Wohltempierte
Klavier ? Quel était le rapport sonore entre le clavier
soliste des concertos de JSB et les cordes qui
l’accompagnaient ? Comment les musiciens des orchestres
de Vivaldi, de Haendel pratiquaient-ils les nuances ?
Tenaient-ils un tempo imperturbable ou utilisaient-ils des
rallentandos, voire des accelerandos ? Accentuaient-ils
certaines notes de la mélodie ? Ralentissaient-ils dans les
mesures conclusives ? Lorsqu’il faut jouer là, maintenant,
ces partitions qui ont laissé ici et là des incertitudes, il faut
s’en remettre soit à la tradition, quand elle existe, soit à
son goût.
C’est la tradition qui a le pouvoir d’autoriser
éventuellement à ne pas suivre le texte à la lettre. Des
exemples sont bien connus depuis longtemps chez les
Premiers classiques. L’exécution en rythme pointé de
certaines parties orchestrales notées en notes égales, en
particulier dans l’opéra français. L’appogiature supérieure
chantée avant la note conclusive dans arias et/ou récitatifs
de JSB et contemporains. L’Harnoncourt avait là
découvert la Lune. Pas de quoi s’extasier sur son
« merveilleux travail ».
D’autres exemples sont bien connus, où la tradition
s’est jointe au goût, pour accommoder certains dessins
mélodiques de Mozart, en dépit de l’Urtext.. J’en cite
trois :

53
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Figure 1. Á gauche l’Urtext. Á droite la version


d’exécution plus « musicale ».

- le thème du rondo K 485, lui-même issu du final du


quatuor K 478, comporte deux petites notes, avant deux
noires. Elles sont barrées : pour ne pas faire dissonance,
pour faire une coquetterie d’écriture ? Toujours est-il qu’il
faille évidemment jouer quatre croches égales, sous peine
de hacher la ligne mélodique.
- le deuxième thème de l’andante du concerto de piano K
467 commence par une délicieuse mélodie descendante
(assez proche du K 485). Elle prend appui, arrêt sur un
long sol, précédé d’un la écrit petite note. Ce la doit durer
pendant une bonne noire bien chantante, avant un sol
blanche. Sinon le petit la croche fait trébucher la ligne
mélodique, avant un sol prématuré « tout bête ».
- Le thème du final du quintette K 493 débute par une
gamme chromatique descendante sèche et agressive. Sur le
manuscrit, une main (pas de Mozart) a écrit à côté un
dessin en zig-zag (approuvé par Alfred Eintein66) que
Mozart a manifestement laissé mettre au cours d’une
exécution chez son mécène Tost ; à moins qu’il ne l’ait
suggéré lui-même, après courtoises critiques de ses amis.
Pour que la très rêche gamme chromatique, disons-le,

66
Mozart, o. c., p. 238.

54
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

provocatrice, soit remplacée par une formule mélodique


gracieuse et bien cambrée, qui évite des dissonances tout à
fait incongrues. Obéissant à Mozart lui-même qui
demandait que la musique ne soit jamais « rebutante » la
tradition s’est donc établie, de retoucher le dessin
chromatique à chacune de ses apparitions, droite ou
renversée. Pour le plus grand délice des mozartiens.
Tous ces accommodements, d’inspiration musicale,
ont été victimes de l’authenticomanie. L’attitude de
l’Harnoncourt vis-à-vis de la tradition avait été
ambivalente. « Avant la Révolution française67, c’était le
bon temps », prêche le saint homme. « L’enseignement se
faisait de maître à élève et les indications d’exécution se
transmettaient tout naturellement. Après, ce fut
l’endoctrinement républicain, le jacobinisme du
Conservatoire, et la chute dans ce mouvement exécrable :
le romantisme. Alors génération après génération, le XIXe
siècle a accumulé tout un tas d’éléments superflus sur la
musique ‘ancienne’ (= baroque, évidemment) si bien
qu’elle nous est parvenue toute déformée, surchargée ».
Le devoir s’est imposé à Nikolaus : il urgeait de décaper.
De faire subir à la musique qu’il disait baroque ce que les
chirurgiens appellent une « intervention de propreté »…
De retourner aux origines, à la Vérité toute nue, sans
tache, de l’Urtext.
C’est ainsi que les cœurs simples ont pris
l’Harnoncourt et ses affidés pour des héros, partis à la
découverte de la pureté perdue. C’était évidemment de la
poudre aux yeux. Ils ne furent à l’origine d’aucune
entreprise éditoriale « révolutionnant » des partitions de
JSB, Rameau, Corelli, Lulli, Telemann, etc. Une fois de

67
Oui, citoyen paisible, la Terreur, la guillotine, les bains de sang, le
déchaînement de haine me font horreur. Mais démocrate convaincu je
tiens à la prévalence du mérite sur la naissance, au suffrage universel,
à l’égalité des sexes, à la laïcité, etc.

55
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

plus on ne les avait pas attendus. Par contre dans le but


d’élargir le répertoire des orchestres baroques il n’est de
partition « courageusement exhumée » de petit maître
jusque-là négligé, inédit, qu’on ne nous mît dans les
oreilles (à 415 évidemment). Avec au moins un bon
résultat : on eut la confirmation que JSB, Vivaldi, mais
aussi Mozart et Haydn étaient incomparablement plus
géniaux que leurs pâles contemporains enfileurs de
platitudes.
Il n’en reste pas moins que le mouvement en
faveur de l’Urtext tourna au fétichisme (en même temps
que naissait le fétichisme instrumental). C’est ainsi que
l’« éclairement historique » fit renoncer à ces
accommodements musicaux dont j’ai cité des exemples.
Renoncements qui touchèrent la musique bien au-delà de
Mozart. Á commencer par Beethoven, qui lui aussi avait
eu recours aux petites notes non barrées, et que l’on barra
en défigurant stupidement des motifs mélodiques, par
exemple dans la sonate op. 10 n° 3, presto68. Bridé par
l’exiguïté des claviers de son temps, le même Ludwig van
n’avait pu écrire en octaves certains passages de ses
sonates pour piano (par exemple op. 31 n° 2, allegretto69).
Au lieu de jouer la restitution en octaves devenue
traditionnelle, les pianistes « éclairés » jouent désormais le
compromis bien moins convaincant que Beethoven avait
écrit faute d’aisance dans les aigus. C’est le même
« plafond bas » qui l’empêcha de pousser aussi haut qu’il
eût été logique certains traits (op. 10 n° 3, encore, presto70,
op. 22, rondo71) ; il semble désormais « inconvenant » de
jouer la belle envolée que permettent les claviers de bonne
dimension. Triste rabougrissement volontaire.

68
mesure 54 sq.
69
mesures 307 à 309.
70
mesure 106.
71
mesure 36.

56
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

L’authenticomane en remontre aux compositeurs


eux-mêmes. Ils ont eu tort de renoncer à leur Urtext. Il
faudrait préférer Leonore à Fidelio que Beethoven a mis
tant d’années à peaufiner. Il faudrait jouer la première
mouture, par endroits bien faiblarde, du trio op. 8 que
Brahms avait jugé bon de remanier-enrichir. Il faut jouer
la première orchestration si anémique du Requiem de
Fauré, tube d’Herreweghe, etc.
C’est ici qu’on risque de faire du chagrin aux
baroquolatres.. Car leur saint Harnoncourt, leur saint
Leonhardt tout auréolés de la glorieuse probité
authenticomaniaque n’en font parfois qu’à leur. tête avec
l’Urtext. Manifestant alors leur goût exécrable – leur
absence de goût. Pourquoi JSB a-t-il écrit des rondes, des
blanches et des noires – outre croches et doubles-croches,
et fort peu de silences – pour le continuo, si ce n’est pour
soutenir la voix – et le moral – du soliste chantant les
récitatifs de toutes ses Cantates et Passions ? C’est ce
qu’ont régulièrement imprimé l’ABA comme la NBA
(figure 2). Et bien non, ont décrété leurs majestés
Leonharnoncourt, en remontrant à JSB. Ils ont décidé de
réduire tous les accords chiffrés de l’accompagnement à
de toutes sèches toutes brèves croches, laissant le
malheureux chanteur (et bien sûr éventuellement le pauvre
petit garçon) tout esseulé, sans soutien, déclamant son
texte dans le vide. Quelle sécheresse de musique – quelle
sécheresse de cœur, ce hachis sermonnant coupant
l’émotion entre deux choeurs et/ou arias sublimes !
Le décapage ne se contenta pas de décharner les
chaleureuses tenues du continuo sécurisant les solistes
des récitatifs. Un vent de puritanisme souffla sur la
musique baroquisée. En s’en prenant à la « matière
charnue » - la chair coupable ? - de la musique, auquel
le pur authenticomane préfère le squelette. Certains
ascètes réduisent à un seul pupitre par partie les ripieni

57
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Figure 2: Cantate ZK 53 (BWV 40).


Les rondes et les blanches du continuo.

accompagnant les concertos de solistes. Alors même que


Bach, dans le Memorandum qu’il avait adressé au Conseil
de Leipzig, le 23 août 1730 comptait sur un orchestre de

58
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

36 musiciens72. Devant cinq malheureux pupitres le soliste


perd tout son prestige, ne faisant que dialoguer avec des
copains, ce qui relève de la musique de chambre, dont
l’écriture est par essence toute différente. Même
squelettisation des effectifs vocaux. Quatre chanteurs, un
par partie, résument alors le coro des cantates. L’illuminé
Joshua Rifkin se met en contradiction formelle, ici aussi,
avec les exigences du cantor. Dans son Memorandum il
réclamait un minimum de trois chanteurs par partie. Dont
trois sopranos et trois altos. Les gamins de la
Thomasschule ne se contentaient pas de chanter faux, ils
avaient comme tous ceux de leur âge les oreillons, la
rougeole, des rhumes, des indigestions et des angines, etc.,
sans compter leurs absences pour fêtes de famille. JSB
espérait ainsi pouvoir disposer en permanence d’effectifs
suffisants pour constituer un vrai chœur : pour lui seize
chanteurs. Le « minimum choral » que nous devons
respecter73. Peut-être certains baroqueux ne savent-ils pas
lire.
Toujours est-il que le rabougrissement des effectifs
vocaux aussi bien qu’instrumentaux, tel que le pratique le
Ricercar Consort de Philippe Pierlot aboutit à un
désastreux résultat : le rapetissement des géniales
architectures de Bach, quasiment réduites à ce qu’on
entend à l’office du dimanche dans une petite église de
campagne, avec les enfants du catéchisme et la dévouée
paroissienne qui tient l’harmonium.
Un des procédés les plus peccamineux aux yeux –
aux oreilles – du prude authenticomane est le vibrato des
cordes, surtout au cours des obscènes soli du premier
violon. On verra que le vibrato s’est imposé dès le XVIIe
siècle pour compenser les inévitables frottements, entre

72
Bach Dokumente, I, 22, p. 60-61.
73
Minimum largement dépassé par l’actuel Thomanerchor. On lui
pardonne, puisqu’il chante au diapason !

59
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

cordes et instruments à sons fixes, imposés par le


tempérament. Cette oscillation vibratoire indécente,
présumée « horriblement romantique », donne la nausée à
Roger Norrington. Ne tenant pas compte des
recommandations du Père Mersenne émises dès 1634.
Mauvais authenticomane ( !), il fut un des plus virulents
prosélytes du non vibrato des cordes. Soi-disant à la
recherche du « son pur ». Un leurre total, puisque plus ce
son correspond au « véritable » dièse ou bémol, plus il a
de chances de s’éloigner du dièse ou du bémol tempéré
fixé d’avance sur les bois ou les claviers ; et ne parlons pas
des cuivres ! Voici qui ne fait qu’aggraver la fausseté des
orchestres baroques.
Nous ne pouvons pas changer d’oreille en fonction
de la date de composition de l’œuvre écoutée. Une oreille
du XXIe siècle ne peut « oublier le vibrato » et ne saurait
sans masochisme, ou fanatisme baroquolatre, jouir des
sons non vibrés. C’est là l’exemple démonstratif de
l’inanité du retour aux conditions d’exécution
d’« époque ». Nous n’avons pas d’enregistrement
d’époque des Symphonies pour les soupers du roi, mais
nous en avons de quatuors à cordes enregistrés dans
l’entre-deux guerres. Á cette époque se pratiquait
couramment le glissando du doigt sur la corde entre deux
notes, lors du changement de position. C’est ainsi que
Debussy, Fauré Ravel ont entendu leurs oeuvres. Mon
professeur de violon me l’avait enseigné. Patatras ! Au
lendemain de la Seconde Guerre mondiale le glissando fut
déclaré anathème – à juste titre. Ceux qui au XXIe siècle
se hasarderaient à jouer ainsi les quatuors de Beethoven ou
de Brahms recevraient des tomates.
Nous n’avons pas non plus d’enregistrement
historique de Tristan und Isolde capté en 1865. Mais nous
avons des photos. Des Tristan grassouillets. Comme des
Walkyries monumentales. Et aussi des Siegfried

60
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

ventripotents. Les spectateurs du XIXe siècle les ont


applaudis. Aucun directeur d’opéra de nos jours ne les
aurait embauchés.
Les conditions historiques véridiques de la création
d’une œuvre, les connaîtrait-on avec précision, ne
sauraient donc en rien constituer un critère à respecter
absolument. La première représentation des Indes galantes
se fit dans la salle exiguë des Tuileries. Avec un orchestre
réduit. Ce n’est pas une raison pour leur infliger ad vitam
aeternam un nombre anémique de pupitres. Á ce tarif il
faudrait interdire aux actuels orchestres de nos scènes
lyriques de jouer La flûte enchantée ; sous prétexte qu’ils
comprennent trois fois plus de cordes que le petit orchestre
de Schikaneder dans son petit théâtre de banlieue. Et puis
au fond, serions-nous transportés par miracle en 1723 à
Saint Thomas de Leipzig, en 1724 au King’s Theatre de
Londres, que nous ne supporterions probablement pas la
cantate du jour, ni la représentation de Giulio Cesare.
Surtout quand on imagine ce que furent le son
instrumental et le style vocal « authentiques d’époque ».

2° Les instruments d’époque

L’instrument d’époque a été hissé par les


authenticomanes au rang d’objet de piété. Pour des raisons
qui tiennent plus de l’article de foi que de l’amour de la
musique En méprisant les musiciens comme les luthiers.
L’équivoque règne lorsqu’on parle d’instrument
ancien. Il peut s’agir d’une vieillerie, fabriquée il y a des
lustres et des lustres, et retrouvée dans un grenier, un
marché aux puces. Anciens, vétustes étaient tous ces
pianos qu’avaient acquis de braves familles bourgeoises
dans leur salon il y a cent ans et plus, et que je retrouvais
dans ma jeunesse, pauvres reliques désaccordées, dans les

61
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

campagnes où je passais mes vacances74. Faut-il


considérer que les Stradivarius et les Guarneri encore en
vie, champions d’ancienneté, soient des instruments
anciens ? N’ayant le droit de quitter l’Allemagne qu’avec
dix marks par personne, le grand-père de mon ami Walter
Simmenauer, riche avocat juif de Hambourg, avait mis à
temps tout son argent dans les précieux instruments d’un
quatuor à cordes ; il put ainsi, dès les nazis arrivés au
pouvoir, s’exiler avec trois amis : les gabelous avaient
laissé passer des instruments « pas neufs » : nicht neuen !
Dès ici faut-il dire que sans les soins de plus en plus
perfectionnés par le progrès technique, des bonnes colles à
l’informatique, les Stradivarius et Guarneri ne seraient
plus que planches muettes. Et à Mirecourt on sait aussi
fabriquer d’excellents violons, neufs, prêts à l’emploi –
qui ont parfois pu être préférés aux Strad en écoute
aveugle…
Autres instruments anciens, ceux qui, ayant sonné
dans notre Antiquité, sont morts sans postérité, flûtes
doubles, barbiton, psaltérion, lyre, sistre, etc. Ils étaient les
contemporains d’autres instruments « anciens » qui, eux,
inauguraient une lignée dont les descendants sont bien
vivants parmi nous. Ceux dont la singularité de timbre, la
saveur particulière leur ont permis de traverser les siècles.
Flûtes, hautbois-aulos, chalumeaux-clarinettes,
doulcines-bassons, cornes-cors, salpinx-trompettes-
cornets-bugles-buisines, trombones-saqueboutes, harpes et
les ancêtres des cordes résonnent depuis fort longtemps
aux oreilles humaines, pour parvenir à cette merveille de
la civilisation occidentale : l’orchestre symphonique.
Au long des siècles s’étaient produits deux
phénomènes. D’une part une décantation, ne laissant
subsister que les instruments compatibles avec le discours

74
Ces vieilleries que les Marx brothers passaient par les fenêtres. Que
n’en fait-on pas autant avec les abominables pianoforte !

62
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

orchestral, ou celui de la musique de chambre. Ainsi


furent abandonnés bombardes, cromornes, cervelas,
trompette marine, vièle à roue, baryton, viole d’amour,
orgue portatif - entre autres. Pour les entendre sonner, il a
fallu les reconstituer, ce qu’avait fait de façon si
merveilleuse (et au diapason !) le Studio der frühen
Musik75 de Munich et la bien française Maurache, elle
aussi hélas disparue.
D’autre part une constante amélioration et des
performances techniques, et de l’affinement du timbre, de
plus en plus différencié, savoureux... Jusqu’à ce point
d’optimisation qui signe une stable et durable perfection,
difficilement surpassable – mais c’est toujours possible !
ceci dit pour qu’on ne m’accuse pas de fétichisme envers
les instruments d’aujourd’hui. L’optimisation, d’ailleurs,
ne concerne pas seulement les instruments de musique.
Elle bénéficie à tout ce qui sort des mains industrieuses de
l’homme. Par exemple aux hélices de bateau, aux ailes
d’avion et à tout ce qui doit s’adapter au corps humain, les
skis, les lunettes, les casseroles (évidemment !), les livres,
les jumelles, les speculums et les casques de moto.
Á l’époque de JSB les instruments de musique
étaient en route vers cette optimisation. Mais ne l’avaient
atteinte ni les bois ni les cuivres ni les claviers ni les
archets. Ce point optimum fut, pour la plupart, atteint au
cours du XIXe siècle, des améliorations se produisant
encore au siècle suivant. L’authenticomanie veut renoncer
à tous ces progrès qui ont rendu si goûteux les instruments
actuels. L’Harnoncourt demande donc de faire « comme
si » on ne les avait jamais entendus sonner. Á moins

75
Hélas Thomas Binkley, saisi par le démon écolo, est parti en
Californie élever des oies, et l’admirable, l’inégalable Andrea von
Ramm a disparu – quel chagrin ! De son vrai nom Irene Honig, elle
me dit dans une de ses lettres son amertume de voir partir aux ordures
leurs précieux instruments.

63
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

d’avoir le goût du moisi, c’est mission impossible. Comme


il faut le répéter régulièrement, nous n’avons plus l’oreille
de Bach pour les hautbois de basse-cour, le public
démocratique de l’Opéra Berlioz de Montpellier n’est pas
celui de Mantoue, fait de banquiers et de princes76 autour
du duc, pour écouter Jacopo Peri. Qu’à cela ne tienne.
Depuis que les baroqueux ont pris le pouvoir, les
instruments évidemment baroques - un qualificatif qu’ils
méritent vraiment ( !) - sont la carte forcée. Avec un
résultat exécrable ; sauf pour les « convertis » et pour ceux
qui n’ont jamais écouté le classique (ils sont hélas
nombreux…). Encore une des manifestations de
l’« admirable travail » de l’Harnoncourt.
Les compositeurs comme les exécutants ont
toujours désiré pouvoir utiliser les instruments les plus
fiables, les plus justes, les plus performants, les plus
expressifs. L’authenticomanie va faire succomber au
fétichisme. Celui qui fait oublier que l’instrument n’est
qu’un outil, un intermédiaire, au service de la pensée, de
la volonté, au service de la main. Les instruments de
musique sont comme ceux du chirurgien, comme ceux de
tout professionnel. C’est dire que leur fabrication,
tributaire de procédés techniques, est toujours capable
d’amélioration. Et que la conscience professionnelle la
plus élémentaire exige qu’ils soient dotés des derniers
progrès acquis. Le mélomane du XXIe siècle ne peut
« oublier » comment sonnent actuellement les cordes les
bois les cuivres les claviers. Au point d’optimisation qu’ils
ont acquis à ce jour. En nous infligeant leurs violons
baroques, leurs hautbois baroques, les baroquisants nous
ramènent à des conditions qui déjà étaient loin de toujours
satisfaire les musiciens du passé et sont pour nous
définitivement caduques.

76
Maurice Roche, Monteverdi, o.c., p.63.

64
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Je m’imagine recevant une des illustres baguettes


du baroque à ma consultation de chirurgien. « Il va falloir
opérer votre adénome prostatique, cher monsieur. Ne
craignez rien. Mon réanimateur va vous anesthésier avec
son appareillage baroque. Et je vais vous opérer avec mes
instruments baroques, mon bistouri baroque, mes pinces
baroques et mes ciseaux baroques. Puis on vous enlèvera
au bout de 10 jours une sonde baroque à l’ancienne dont je
suis très content ». Il me prendrait pour un charlatan. Ai-je
le droit de dire que je tiens pour une déplorable
quincaillerie tout cet instrumentaire baroque, cette
collection de casseroles que la secte veut faire révérer à
genoux par les foules comme s’il s’agissait du Saint
Sacrement ?
Les cordes baroques sont évidemment en boyau.
Monsieur Christophe Coin possède même l’élevage de
moutons qui lui fournit les tripes les plus musicales.
Comme si les cordes métalliques n’avaient pas été un
progrès dans la sonorité comme dans la solidité – les
chanterelles en boyau ont une déplorable tendance à
casser. Mais le chevalet est abaissé, effectuant une tension
moindre sur les cordes. On les gratte avec un archet dont
la courbure est convexe vers le haut. Au contraire de la
courbure adoptée en 1775 par le français François Xavier
Tourte (cocorico !), qui utilisa du bois de Pernambouc. La
mèche y gagna en vigueur et élasticité. Ce coup de génie
met entre les mains des archétistes un instrument assurant
la fermeté des attaques, et la constance des tenues. Ce fut
un progrès considérable. Progrès récusé par le baroqueux
qui préfère les attaques molles, et les tenues au son
fluctuant, en cloche, style guitare hawaïenne, tout juste
bon à donner le mal de mer.
Avec sa sonorité grêle, nasillarde, son aigu
grinçant, le violon baroque mérite bien son nom. Surtout
quand l’accord à 415, l’absence de vibrato, se conjuguent

65
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

avec les notes liées deux par deux, ouah ouah, articulation
favorite du violoniste baroque. Faut-il avoir le goût vicié
pour préférer ces sonorités souffreteuses à ce que peut
faire entendre un violon dit « moderne » sortant de
l’atelier d’un luthier aussi émérite qu’Étienne Vatelot ;
pour préférer le crin-crin de Sigiswald Kuijken, celui
d’Amandine Beyer, au vrai bon violon d’Isabelle Faust.
Faut-il aimer se vautrer dans les délices masochistes du
renoncement pour « se convertir au baroque », comme
l’ont fait sous les applaudissement extasiés de la secte
Chiara Bianchini, Viktoria Mullova ; cette dernière
sacrifiant au passage son oreille absolue, comme les
nonnes sacrifient leur chevelure. Elles sont entrées en
baroquie comme autrefois on entrait au couvent. Il va sans
dire qu’altos, violoncelles et contrebasses (pardon :
violone) baroques ont subi le même mauvais traitement.
Les cordes de l’orchestre de Bach, de Rameau
témoignent de façon exemplaire du travail historique de
décantation de l’instrumentaire. Violons, altos,
violoncelles bien cambrés ont définitivement supplanté
toute la petite famille à planches plates des violes77.
Fondant la composition en cordes de l’orchestre
symphonique, comme la constitution du quatuor à cordes,
que la maïeutique de Joseph Haydn va définitivement
mettre au monde. On commanda à Bach, en 1727, un
hommage funèbre à la princesse mélomane Christiane
Eberhardine. En sa mémoire il fit appel à ces instruments
déjà considérés « anciens » mais prisés de la défunte, ceux
« de son époque » : les violes de gambe et les luths. Mais
seulement le temps d’une cantate78 : c’étaient des
vieilleries….
Remettant à l’honneur la viole de gambe il faut
rendre cette justice à Jordi Savall qu’après avoir subi la

77
Les premiers violons datent de 1560.
78
Lass, Fürstin, ZK 165 (BWV 198).

66
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

pression ambiante du 415 il s’est remis au niveau


diapasonique pour accompagner son épouse regrettée
Montserrat Figueras – elle ne tenait probablement pas à
s’altérer la justesse vocale, ce que bien de ses collègues, la
Bartoli et la von Otter79 en tête, semblent dédaigner (elles
n’ont donc pas d’oreilles ?). Quant à son ensemble
Hespérion XX, puis XXI, il reste dans son univers – déjà
suffisamment riche, surtout depuis qu’il s’est lancé dans le
folklo à tous crins. Á l’inverse des vilains petits
prétentieux du Café Zimmerman qui, illustrant le principe
de Peter, n’hésitent pas à s’attaquer aux Brandebourgeois
– de toute façon à 415, donc inaudibles.
Les luths d’Eberhardine devaient être comme ceux
de son époque, mous des chevilles. L’excellent Alexandre
Lagoya80 disait « le luthiste passait les trois quarts de son
temps à accorder son instrument, et le quart restant à jouer
faux ». Les luths sévissant actuellement ont peut-être
l’accord plus fiable, grâce aux progrès ( !) de leur
fabrication. Mais quelle bonne guitare classique (car il
existe, misère, des « guitares baroques » !) ne peut-elle
jouer, et pour notre plus grand plaisir, le répertoire des
luthistes ? à commencer par les œuvres que le jeune JSB
avait écrites pour eux ; ce que fait très bien Göran
Söllscher.
Parfaitement baroques, c’est-à-dire insupportables,
sont les vents « authentiques d’époque ». Les passer en
revue fait établir un consternant bilan. Une visite au
Musée des horreurs.

79
« La plus baroque des mezzo-sopranos suédoises ». Merveilleux
compliment décerné par Monsieur Olivier Olgan (Le Figaro-
Magazine, n° 21549, 15 novembre 2013).
80
C’était un homme charmant, avec lequel j’avais sympathisé depuis
un concert qu’il avait donné en 1957, avec Ida Presti, à Tlemcen, où je
coupais dans la plus grande allégresse, jeune chirurgien appelé, les
bras et les jambes des petits blessés français.

67
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Je m’étais souvent demandé pourquoi Mozart


disait : « qu’y a-t-il de plus faux qu’une flûte ? Deux
flûtes ». Jusqu’à ce que la petite bande de malfaiteurs81 des
frères Kuijken ne me donne la réponse. La traversière
baroque ne sonne pas du tout comme les honnêtes flûtes
de maintenant. Une espèce de cui-cui qu’on dirait sortir
d’une cage à serin, ou d’une de ces gargoulettes qu’on
offre aux enfants pour exaspérer les parents82. Et qui émet
des sons peu fiables, d’une justesse approximative et
oscillante. On conçoit que ce ramage ait offensé l’oreille si
exigeante de W.A.M. Au point que rares sont les œuvres
d’orchestre où il demande les fameuses deux flûtes. Opéra,
symphonie, concerto, le plus souvent une flûte suffit ! Et
s’il n’y avait eu les commandes du riche Dejean, celle du
duc de Guisnes, il ne se serait pas mis en peine d’en faire
une vedette – d’ailleurs ces mauvais mécènes ne l’ont pas
payé !
Il faut aussi dire que malgré l’exemple des
énigmatiques « flûtes en écho » du Quatrième
brandebourgeois, et la double paire de la Saint Matthieu
(dont le si dissone méchamment, exprès, sur l’avant-
dernier accord du choeur final) JSB ne se fiait qu’à une
seule flûte. Et encore à partir de la cantate ZK 63 (BWV
181, Leichtgesinnte Flattergeister). Après le passage à
Leipzig du français Buffardin qui jouait manifestement
plus juste que ses confrères allemands. Elève de Quantz
élève de Buffardin Frédéric II put probablement bénéficier
d’une bonne musicalité qui explique son engouement pour
la traversière. Avant 1724 JSB n’avait recours qu’à la flûte
à bec, instruments faiblard dont la fausseté est congénitale.
Et les choses ne se sont pas améliorées avec le temps !

81
Cette bande de coquins qui s’attaque aux Messes de Haydn et aux
Symphonies de Mozart.
82
Maurice Jaubert les a chantées dans l’Eau vive.

68
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Tout ceci n’empêche pas le Wieland Kuijken, le


Frans Brüggen de passer pour des héros de l’authentique,
nous remettant dans les oreilles ces bruits de gargoulette
dont nous dispensent désormais les traversières. Depuis
qu’elles sont dotées des clés que le génial bavarois
Theobald Boehm mit plus de quinze ans à inventer et
perfectionner, à partir de 1831. C’est lui qui donna à la
flûte toute son agilité, et ce timbre plein homogène si
séduisant, qui ravit nos oreilles du XXIe siècle, et dont le
timbre baroque ne peut paraître qu’une pénible caricature.
Et pourtant c’est à lui qu’il faudrait réserver (à 415 !) la
Suite en si de JSB et la scène des Champs Elysées de
Gluck… de la part du baroquophile français c’est une
trahison de la tradition d’excellence de nos flûtistes,
Philippe Gaubert, Louis Fleury; Jean-Pierre Rampal83,
Christian Lardé, Emmanuel Pahud…
Peut-on imaginer bruit plus déplaisant que celui
qui sort des hautbois baroques ? Mélange hybride de
cancanement de palmipède fermier et de trompe d’auto de
la Belle époque. Coin-coin dénonciateur immédiat des
orchestres baroques, surnageant de leur marécage comme
le canard navigue à la surface de la mare. Nasillement de
basse-cour dont tirent orgueil certains des plus glorieux et
des plus influents authenticomanes, comme Jean-Claude
Malgoire, Jean-Claude Veilhan : leur passage au baroque
ne peut s’expliquer que par la déplorable absence d’oreille
absolue. On en reparle. Toujours est-il que sans les
perfectionnements de la perce84, du matériau, et des clés
de Monsieur Boehm les hautbois d’aujourd’hui n’auraient
pas ce son si émouvant si prenant qui porte au sommet de
l’excellence la fabrication des vents français. Instruments

83
Il fut une des plus courageux réfractaires au baroquisme.
84
Le creusement du bois avec lequel on refait des instruments
baroques doit expressément s’effectuer à la main, répudiant tout
vulgaire procédé mécanique… faux mais nobles !

69
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

si fiables qu’ils ont la noble tâche de donner le la au reste


de l’orchestre. Les instrumentistes français les Goetgeluk,
les Pierlot eurent à cœur d’illustrer la perfection de nos
luthiers. L’authenticomanie leur a désormais interdit
Rameau, Lulli, Couperin, Campra. Au profit de
bigophones qui désormais ne donnent plus l’honnête la à
440 hertz, mais l’abominable piaulement à 415, cri de
ralliement des envahisseurs baroques. Beau gâchis...
Parmi les prétentions abusives des baroqueux, celle
d’avoir remis à l’honneur les frères et cousins du hautbois,
hautbois d’amour, hautbois de chasse « honteusement
négligés ». Comme si le Debussy des Gigues, le Ravel du
Boléro (excusez du peu) n’avaient pas fait appel au
hautbois d’amour ; Karl Münchinger, Karl Ristenpart,
Fritz Werner, Helmuth Rilling… et autres chefs honnêtes
n’ont donc pas dû recourir à de « nouveaux instruments
anciens » pour faire jouer et enregistrer les parties de
hautbois d’amour des Cantates de JSB – pour le plus grand
délice de nos cellules ciliées. Et comme si nos merveilleux
cors anglais ne supplantaient pas ces oboe da caccia dont
ce qu’on nous fait entendre, péniblement reconstitué, ne
fait qu’aggraver la rhinite dont souffrent les hautbois
baroques, fussent-ils japonais.
Tout autant que les hautbois baroques nasonants,
les bassons baroques auraient bien besoin d’un ORL qui
guérirait leur coryza chronique, aggravé de laryngite. Quel
son lugubre, tout juste bon pour les enterrements… dont
celui des orchestres classiques, évidemment.
Quand s’installe cet orchestre classique, comment
ne pas admirer les quatre magnifiques cors, les plus
rutilants de tous les pupitres, merveilles de l’industrie
luthière ? Ceux de maintenant, cors d’harmonie en fa,
peuvent tout jouer. De Bach à Ligeti, avec ce timbre
inégalable, peut-être le plus beau de tout l’orchestre. Ils le
peuvent grâce à leurs pistons. Ces pistons furent installés

70
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

dans les années 1814-1815 par Stoelzel et Bluhmel.


Auparavant le cor naturel, « tout nu », ne pouvait sans
artifice fournir que les harmoniques de sa note
fondamentale. Un premier artifice a consisté à boucher
avec le poing le pavillon de l’instrument. On peut ainsi
faire baisser la note de un à trois demi-tons. Mais au prix
d’un modification du timbre. Certes le son du cor bouché
est bien particulier, et fort goûteux. Mais si le déroulement
mélodique exige que certaines notes soient bouchées et
d’autres pas, il s’ensuit une bigarrure sonore déplaisante.
D’où la limitation des possibilités d’écriture mélodique.
Outre les cors en fa et en ré, les plus fréquemment
requis, existaient aussi des cors en sol, en ut, en mi, en si
bémol (haut, bas), en la – les plus usuels. Une valise était
nécessaire au corniste pour trimbaler les quatre ou cinq
instruments que pouvait réclamer un concert comportant
des œuvres de tonalités variées ; avec l’inconvénient, au
moment de prendre un nouvel instrument, de le sortir froid
de la valise, éventuellement au cours de la même
symphonie. Comme le corps de la femme, le cor doit être
chauffé pour le faire vibrer de la meilleure façon. Sinon,
c’est le couac assuré, les fausses notes garanties.
Pour n’utiliser qu’un seul instrument, a été inventé
un deuxième artifice : les tons. Des embouchures de tailles
variées, permettant de transforme un cor en fa en cor en mi
bémol. Au détriment de la justesse. Déjà que le cor naturel
a une fâcheuse tendance à fournir des notes toutes crues,
« ingénues », obéissant à la physique de la résonance
naturelle plus qu’à la physiologie auditive humaine… Ce
n’est pas moi, c’est Il Maestro di cappella de Cimarosa
qui peste contre les fausses notes de questi stromenti : les
cors naturels dont la « pureté » du timbre ne se marie
jamais très bien avec les instruments obéissant au
tempérament. Au temps de Haendel comme au nôtre.

71
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Encore une bonne contribution à la fausseté des orchestres


baroques.
Comme les tons, les premiers pistons furent
accusés d’altérer le timbre du cor naturel tout pur. D’où
l’ostracisme qu’ils subirent longtemps. En particulier de la
part de Brahms, qui exigea un cor naturel pour jouer sa
Sonate avec violon et piano. Wagner plus lucide voyait
plus loin, et dans la préface de Tristan, lui qui avait
commandé de nouveaux Tuben à Adolphe Sax
reconnaissait que l’avenir était au cor à pistons – il l’utilisa
pour la première fois en 1865. Car les pistons – comme la
facture instrumentale - ne cessèrent de s’améliorer à la fin
du XIXe siècle, avant d’arriver à l’optimisation actuelle.
Aurait-il vu et entendu les instruments fabriqués par le
français Selmer que Brahms aurait abandonné toute
prévention devant de telles réussites. Elles auraient
désarmé Cimarosa !
Bien entendu, l’authenticomanie répudie tout cor
qui ne soit vierge de tout artifice, de tout piston. Tant pis
pour le désaccord avec les sons tempérés : ça gueule !
Tant pis pour les compositeurs, de Bach à Weber, qui
auraient accueilli avec enthousiasme les instruments
d’Alan Civil et d’André Fournier85. Et quel brillant
accomplissement peut être offert au Konzertstück pour
quatre cors de Schumann !
Le même problème de pistons s’est posé pour les
trompettes. C’est en 1826 que les fabricants de pistons
sus-dits les proposèrent en France. Avec toujours les
mêmes réticences des passéïstes. Pourtant, une fois de
plus, le progrès instrumental procura à la trompette agilité
accrue, justesse, fiabilité. S’en serait réjoui JSB, qui
entretenait des liens d’amitié avec Gottfried Reiche,
trompettiste doyen des musiciens municipaux de

85
Heureusement pour les (vrais) mélomanes, Helmuth Rilling a pu
enregistrer les Cantates de JSB avec des cornistes de haut vol.

72
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Leipzig86. Il leur confia ces superbes sonneries à deux ou


trois trompettes qui illuminent tant de cantates, et le
Magnificat, et la Messe en si ; et que caricaturent en
pseudo-ré bémol les abominables trompettes baroques,
construites à 415 et sonnant le creux. Les auraient
écoutées avec (innocente) malice Debussy, qui a prévu
une trompette en ré bémol pour La Mer. Instrument aussi
excentrique que désuet, que les trompettistes actuels
remplacent avantageusement avec la « bonne vieille »
excellente trompette en ut. Celle qui brille dans la cantate
ZK 178 (BWV 51, Jauchzet Gott). Alors que pour Bach,
Haendel, Rameau, Charpentier existent aussi d’éclatantes
trompettes en ré, ré authentique ( !), et une trompette
aiguë en si bémol pour le Deuxième brandebourgeois.
Toutes pouvant sortir des excellents ateliers français.
Toutes pratiquées avec bonheur par notre Maurice André
national. Un vilain qui ne s’était pas converti au baroque !
L’orchestre baroque cumule évidemment les
défauts de tous ces bidules. Soit qu’ils soient
effectivement « d’époque », soit, cas le plus fréquent, qu’il
s’agisse de copies. Mais attention ! d’après une vieillerie
dont on fournit la date. Le fétichisme authenticomane fait
passer la date de construction avant les qualités
musicales. On la fournit sur le programme du concert, sur
l’étui du CD, on l’annonce à la radio. Comme si c’était le
critère d’excellence ! Le baroquophile pratique ici à
l’envers l’Argus auquel il se fie avant d’acheter un
véhicule d’occasion ! Quant au son de l’orchestre baroque,
il n’est désormais que trop connu, immédiatement décelé
par sa rugosité, son manque de chaleur, ses nasillements,
sa fausseté et son clinquant de musique de cirque. Et aussi
son inaudible accord à 415.

86
Il eut une mort dramatique en 1734, frappé d’apoplexie au cours de
l’exécution de la cantate profane ZW 15 (BWV 215, Preise dein
Glücke), en l’honneur du roi de Pologne Auguste III.

73
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Ce n’est pas ainsi qu’on rend hommage aux


créateurs, privés de tous les progrès de la facture
instrumentale. Et même si la ragougnasse qu’on veut nous
faire ingurgiter se rapproche de ce qu’ont effectivement
entendu les auditeurs du XVIIIe siècle, que cela n’aurait
qu’un intérêt anecdotique. Comme le musée Grévin nous
propose une reconstitution de scènes historiques figées :
« L’Assassinat du duc de Guise »… « Repas de cour au
château de Blois »…Comme on sort quelquefois les
vieilles guimbardes avec lesquelles on n’oserait
s’aventurer sur nos autoroutes pour partir en vacances.
Nos oreilles ne peuvent se mettre des oeillères ( !), oublier
Berlioz comme Ravel… sauf authenticomanie chronique.
Comme nous ne saurions oublier aussi l’électricité qui
permet d’éclairer les salles de concert, et oublier
l’enregistrement sonore qui permet – hélas – la diffusion
des CD des quatre-cents-quinzistes, pour remplir le tiroir-
caisse des Arts florissants...
Par contre l’authenticomane oublie combien le
progrès de la justesse orchestrale, corollaire de
l’amélioration technique des instruments, permit un
spectaculaire développement de la science harmonique.
Vu - et entendu – le peu de fiabilité des sons émis par les
vieilleries baroques, on peut penser qu’obtenir ne serait-ce
qu’un unisson vraiment juste était du domaine de l’exploit.
D’où le nombre restreint de combinaisons harmoniques
demandées à l’orchestre. La science harmonique n’avait
pu se développer que sur les claviers à sons fixes, orgue et
clavecin : du jour où avait été adopté le tempérament dit
égal. Bach, Rameau ne s’en privèrent pas – on en reparle.
Par contre lorsque Rameau, auteur de la délicieuse
Enharmonique pour clavier, demanda cette enharmonie
aux instrumentistes et chanteurs du second Trio des
Parques d‘Hyppolyte et Aricie (Quelle soudaine horreur

74
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

etc.) le naufrage fut tel en répétition, à l’Opéra, qu’il fallut


supprimer le numéro87. C’était trop tôt !
Du moment où le compositeur put compter sur la
justesse effective – et la faisabilité - des accords qu’il avait
tracés sur le papier, l’harmonie des œuvres orchestrales
put enfin prendre son essor. La voie était ouverte vers
Wagner, vers Debussy… et la suite. Ne fut-ce pas un
progrès en musique ?
*
La voie qui conduisit au piano actuel a connu bien
des avatars. L’orgue fut le premier instrument permettant
au musicien de jouer à lui tout seul une œuvre à plusieurs
parties, une mélodie et son accompagnement. Il est
difficile à héberger à la maison, à installer dans une salle
de concert. D’où la fabrication d’instruments à clavier de
volume « raisonnable », pouvant satisfaire les aspirations
de réalisation polyphonique immédiate des inventeurs de
musique, aussi bien que celles des instrumentistes, dont les
doigts devenaient de plus en plus agiles. Au XVIIIe siècle
le clavecin avait supplanté le mignon virginal, l’épinette
pour pucelles de bonne famille. Sans répondre à toutes les
exigences des musiciens. Son volume sonore est grêle, son
émission aigrelette cliquetante. Il demeure incapable de
passer de piano à forte, et inversement, en visitant les
nuances intermédiaires. Incapable de vraiment chanter une
mélodie en valeurs longues, tellement son souffle est
court. D’où le recours aux ornements88 tentant de pallier
l’impossibilité du phrasé. D’où une écriture surchargée de

87
Cf Girdlestone, o. c., p. 160.
88
Ceux, par exemple, qui défigurent complètement l’aria simplette
variée pour Goldberg, et que l’affreux Glenn Gould reproduit de façon
mécanique exaspérante. Ce pensum est hélas devenu un tube mis à
toutes les sauces, en particulier par ces présentateurs radiophoniques
nous annonçant le dernier enregistrement des Goldberg et se
contentant de nous farcir les oreilles pour la ixième fois avec la
misérable ariette, avant les géniales Variations.

75
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

mordants dans les deux sens, simples ou doubles, de


trilles, d’acciaccatures, de petites notes barrées ou non,
etc. aux deux mains, dont nos clavecinistes français ne
furent que trop friands. Au détriment de la lisibilité du
discours mélodique.
Qu’à cela ne tienne : l’atmosphère sonore des
médias, lorsque s’établit l’authenticomanie baroquisante
émettant ses oukases, succomba à une clavecinite
chronique. Il devint difficile d’écouter pendant une heure
un émetteur de radio consacré à la musique sans être
assailli, le son gonflé grâce aux amplificateurs, par les
enregistrements de cette mitraillette de salon. Sans oublier
les tribunes radiophoniques d’écoute comparative de CD
consacrés pendant deux heures et plus aux Suites
françaises ou aux Exercisi de Scarlatti exclusivement au
clavecin. Ce qui aurait fort étonné Jean-Sébastien et s’est
heureusement amendé, vu « la force des choses ».
Vouloir d’autorité imposer maintenant et à jamais
le clavecin aux œuvres pour clavier de JSB, de Haendel,
de Rameau, de Couperin est méconnaître l’insatisfaction
qu’il procurait aux créateurs d’« époque ». Méconnaître
ses défauts qui rendent le récital de clavecin, sa diffusion
radiophonique insupportables au-delà de la demi-heure.
Rameau déplorait son insensibilité « bovine ». Quant à
JSB, expert réputé en facture organistique, il avait tenté
des modifications permettant à ses instruments
domestiques de tenir le son, de fournir des nuances. En
vain malheureusement, bricoleur déçu, car on ne peut
améliorer le clavecin – sinon l’amplifier comme les
guitares électriques ! Et rien ne fut possible tant que les
marteaux n’eurent pas remplacé les becs de plume. Pour
répondre à cette aspiration unanime à voir naître un
instrument à clavier sensible mais vigoureux, capable de
jouer les nuances, piano et forte et de chanter comme la
flûte ou le violon. Faut-il rappeler l’intérêt passionné de

76
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

JSB pour suivre les progrès des constructeurs ? Ses


récriminations auprès de son ami Silbermann, sa visite au
roi de Prusse à Potsdam et la façon dont il s’est « jeté »,
avant même d’avoir enlevé sa houppelande, sur les forte-
pianos de Frédéric II ?
On aurait pu croire que du moment où sont nés les
vrais grands beaux pianos de la fin du XIXe siècle, les
clavecins ne seraient plus jamais sortis des greniers et des
musées. Mais avant même le terrorisme
authenticomaniaque la remise au jour de ces vieilles belles
avait eu deux alliés.
Première alliée sainte Wanda Landowska. Dès
1912 elle s’était mis en tête de ressusciter le zinzin. Mais
en l’absence de nanar utilisable, elle demanda à la maison
Pleyel de lui fabriquer une véritable fausse copie. Avec
laquelle elle partit à la conquête du public friand de
pittoresque, et de certains compositeurs, séduits au moins
autant par le personnage que par son engin. Engin
désormais vilipendé par l’authenticomane pur jus. Mais
qu’il faut bien utiliser pour jouer Poulenc, Falla, Martinu,
etc. – et au diapason, horreur ! Reprit alors la fabrication
de clavecins, copiant de façon de plus en plus rigoureuse-
authentique telle ou telle vieillerie rescapée, signée
Ruckers ou Tasquin, y compris la jolie peinture du
couvercle dont dépendent évidemment les qualités
sonores. Ainsi put-on accompagner en faisant « couleur
ancienne » - photo sépia - les récitatifs des œuvres d’église
comme des opéras… soit ! La gloire du clavecin doit
beaucoup, en fait, à son deuxième allié.
C’est aux progrès ( !) tout modernes de
l’enregistrement sonore que doivent leur célébrité ces
concertos pour guitare – en tête l’archi omniprésent
Concerto d’Aranjuez de Rodrigo - dont le soliste, en
concert, s’exténue, avec ses faibles forces, pour lutter
contre le volume sonore de l’orchestre. Il en est allé de

77
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

même avec les concertos pour le clavecin, et les œuvres de


musique de chambre où il figure. Leurs exténuants
grésillements furent vivifiés grâce aux complaisants
micros du XXe siècle, (…mais où sont donc passés les
micros baroques « d’époque » ?). Ils ont laissé croire aux
gens fréquentant peu les concerts que le clavecin pouvait
tenir autant de place – de volume sonore – qu’un honnête
soliste « normal ». Alors que la flûte la plus usuelle fait
plus de « bruit » que le clavecin tout nu, sur lequel on peut
toujours s’escrimer sans parvenir à faire entendre plus
qu’un vague bruissement harmonique. Ainsi sont
desservies des œuvres de toute beauté où le compositeur a
attribué au clavier une part aussi importante que celle de
son compagnon – je pense aux superbes sonates de JSB
pour clavier et violon, pour clavier et violoncelle. Si belles
avec un piano !
Les enregistrements de clavecin sournoisement
amplifié ont donc fait florès pendant des décennies.
.Jusqu’à ce que les pianistes, les Perahia, Tharaud,
Feltsman, Hewitt (merci ! merci !) bravant
courageusement les oukases authenticomaniaques, ne se
réapproprient ces œuvres magnifiques de Haendel (ses
Suites) et de Bach dont ils avaient été privés. Ne serait-ce
que le superbe Cinquième Brandebourgeois, et le
proprement génial concerto BWV 1052 en ré mineur,
qu’on peut considérer comme le premier grand concerto
pour piano de l’histoire de la musique. S’y étaient illustrés
– sans vergogne - les pianistes du XIXe siècle, et plus près
de nous les Cortot, les Edwin Fischer et les Rudolf Serkin.
Sans subir alors les foudres de critiques musicaux qui
n’étaient pas encore aux ordres !
L’authenticomanie n’a pas pour autant dit son
dernier mot. Le passage du clavecin aux Bösendorfer ne
s’est pas fait du jour au lendemain. Il fallut d’abord
inventer les marteaux, ce que fit Bartolomeo Cristofori,

78
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

ses premiers instruments commençant à se répandre dans


les années 1720, pas encore très convaincants, ce qui déçut
JSB, malgré les améliorations de Silbermann. Puis les
étouffoirs et les pédales, la forte et la sourdine. Et surtout
le double échappement, invention géniale du français
Érard (cocorico). Ses pianos furent encore améliorés par
Ignace Pleyel, installé à Paris en 1807. Les excellents
Pleyel eurent la faveur de Chopin. Mais ailleurs aussi on
s’activait, on s’activa, mû par une saine émulation,
Broadwood à Londres, qui fournit Beethoven, Steinweg à
Vienne, père des Steinway de New York, fournisseur de
Liszt, etc. Pour parvenir à l’optimisation qui fournit au
piano actuel sa ferme rondeur, la générosité de ses tenues,
la puissance de ses accords et sa capacité, enfin, de chanter
des mélodies.
Des claviers de Frédéric II à Fasioli, il y eut
évidemment bien des formes intermédiaires. Clavicorde,
Hammerklavier, fortepiano, etc. Elles sombrèrent dans un
charitable oubli, reléguées dans musées ou greniers –
comme on conserve en bocal les embryons avortés. C’est
là que l’authenticomanie commit un de ses pires méfaits.
On ne peut certes pas jouer les grands concertos de Mozart
au clavecin, encore moins ceux de Beethoven. Mais ni
l’un ni l’autre n’ont connu nos grands pianos de concert.
Les authenticomanes ont donc décidé de nous remettre
dans l’ambiance d’« époque ». Avec des claviers
« historiquement correspondants ». On peut donc
maintenant nous régaler avec « le fin du fin », la
reconstitution « fidèle » ou le rapetassage de toutes ces
tentatives ratées, de tous ces avortons ayant précédé la
naissance du vrai piano. Hélas ils sont comme
l’australopithèque, un cul-de-sac évolutif, ou comme
l’axolotl qui, avec ses vilaines branchies sortant du cou, ne
saurait passer pour la forme aboutie de son espèce.

79
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Pas de souffle, pas de moelleux dans le legato,


articulation sèche, aigus grinçants, graves zinguants, les
pianoforte ne peuvent fournir que des mélodies
asthmatiques, ils sonnaient, sonnent et sonneront toujours
le creux. Vice de constitution qui devient maintenant
vertu, handicap désormais critère d’excellence, pour la
délectation des sots, des snobs, des roués et des
analphabètes. Et qu’on ne vienne pas dire que le volume
sonore des pianofortes, moindre que celui des claviers de
notre temps, correspond à ce qui convient aux mélodies de
Mozart ou de Schubert. Le propre d’un piano n’est-il pas,
précisément, de pouvoir jouer piano…voire pianissimo,
quand il le faut ?
La résurrection de ces vieilles guimbardes (bonnes
à passer par la fenêtre !) fut favorisée, promue, par un
claviériste batave : Jos van Immerseel. Atteint de
l’authenticomanie sous sa forme paranoïaque aiguë cet
archipuriste89 ne peut envisager de faire jouer la moindre
œuvre par son ensemble « Anima eterna » que sur des
instruments fabriqués la même année que sa composition.
C’est ainsi qu’il put annoncer tout fier qu’il avait
miraculeusement retrouvé, au Marché aux puces, un
saxophone de 1930 qui aurait pu servir à l’enregistrement
historique du Boléro sous la baguette de Ravel… ce
musicien baroque bien connu. Immerseel a fait des
émules, qui se répandirent dans tous les lieux où l’on fait
de la musique. Place aux pianofortistes ! Il faut maintenant
révérer ces pilotes de De Dion-Bouton modèle 1904
comme s’ils pouvaient dépasser les performances des
Prost et des Schumacher. C’est ainsi que des masochistes
vont applaudir les récitals d’Andreas Staier.

89
Il fait partie de ceux qui, pour épater les populations ignorantes,
déclarent hardiment « Mozart n’a jamais joué du piano ». Et alors,
Bach a-t-il connu le CD ?

80
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

La musique partie du cœur de Beethoven ne


parviendra jamais au mien, hachée par un pianoforte
garanti copié sur un « ancêtre d’origine » de 1815.
J’imagine un conte cruel à la Hoffmann. La fée Classica,
apitoyée par le tourment que la surdité a infligé à
Beethoven, le réveille d’entre les morts, lui rend l’ouïe et
le fait assister, pour sa plus grande joie (Freude !) à un
concert où son Cinquième concerto pour piano sonne sur
un véritable bon Pleyel, accompagné par un vrai bon
orchestre « normal ». Hélas la dernière note à peine
achevée, surgit toute échevelée la mauvaise fée Barroca.
Elle annonce au pauvre Ludwig que ce grave péché contre
l’« authentiquement correct » allait être puni illico. Par
l’audition intégrale obligatoire du même concerto
massacré par Lubimov sur une casserole construite en
1809, accompagné par des cordes en boyau, des bois
dépourvus du système Boehm, des cuivres sans pistons et
des percussions tonitruantes. Dès les premières mesures du
pianoforte Beethoven préfère retourner au tombeau…
*
Un tel reniement du progrès instrumental ne peut
s’expliquer que par une déplorable perversion du goût; par
la prédominance de l’esprit sectaire sur l’amour de la
musique. De la part de gens qui ne renonceraient pas aux
progrès de la médecine, du confort, des médias, des
transports et de l’informatique – entre autres. Que les
« instrumentistes d’époque » puissent jouir de la
« considération distinguée » de nos contemporains repose
sur l’ignorance et beaucoup sur l’intimidation. Mais il
semble si fidèle, si « honnête », si méritoire et finalement
si « évident » de jouer sur « instruments d’époque » ! Se
laissent prendre à cet argument-massue bien des cœurs
simples, bien des mélomanes de petite culture ne
possédant pas les arguments nécessaires pour réfuter
l’authenticomanie, et aussi malheureusement

81
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

l’intelligentsia – l’élite cultivée et influente, celle qui fait


l’opinion.
Faite, dans un pays comme la France, d’hommes –
de femmes – du Verbe, de la parole, avocats, enseignants,
littérateurs, cette intelligentsia est depuis toujours
réfractaire au fait musical en lui-même, au langage
musical. Victor Hugo demandait qu’on « ne dépose pas de
musique au long de ses vers », et Malraux confiait à
Strawinsky que « la musique est un art mineur ». Élite
française très friande d’« avant-garde » - conformisme
« révolutionnaire » oblige - fut-elle dirigée vers l’arrière !
Intelligentsia approuvant le recours aux « instruments
authentiques d’époque » mais qui, dans le même temps,
pas à un pataquès près, s’extasie devant les monstrueuses
mises en scène de fous furieux campant Cosi dans les
coulisses d’un théâtre90, Don Giovanni dans un building
de la Défense, en attendant Fidelio dans le métro…
On ne renie pas Jenner Claude Bernard Pasteur
Fleming. Mais on méprise le travail, la persévérance, les
réussites des Tourte, Boehm, Stoelzel, Erard, Pleyel,
Selmer, Buffet-Crampon, et de tous ces constructeurs, ces
luthiers, serviteurs et bienfaiteurs de l’art, dont la fierté
n’est pas de rafistoler des reliques, mais d’offrir
aujourd’hui à la Musique les instruments les plus fiables et
les plus brillants. Grâce à tous les moyens offerts par la
technicité la plus « pointue ». Pour que partie du cœur,
l’émotion parvienne au coeur sans écran, paravent, ou
notice explicative : celle qui avant toute « prestation » du
soliste – ou dans le coffret du CD - indique la date de
fabrication de son engin, le nom du fabricant, et pourquoi

90
On ne peut cauchemarder pire contresens, pour un opéra tout
embaumé par les parfums d’un jardin expressément situé, de la main
de Mozart et da Ponte au-dessus de la baie de Naples .Comme s’il ne
suffisait pas d’infliger aux opéras de W.A.M. le massacre des
diapasons frauduleux. On ne fusille pas assez les metteurs en scène.

82
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

pas l’adresse de sa maison natale, la profession de son


père, le prénom de son épouse, son nombre de gendres, de
petits-enfants, etc., tout ce qui n’a aucun rapport avec
l’œuvre exécutée ; mais quel bonheur pour les Trissotin !
Il y en a à qui profite cette cuistrerie. Les officines
qui fabriquent et vendent les nanars reconstitués. Pour
avoir un archet baroque, il faut s’inscrire sur une longue
liste d’attente. Et quand on possède enfin la merveille il
faut la payer très cher. Ne sont pas données non plus ces
copies de vrais faux hautbois flûtes ou cors baroques,
malicieusement accordées à 415 pour ne jamais pouvoir
jouer avec des instrumentistes honnêtes. Il est bon, juste et
salutaire que soit punie, taxée la stupidité.
La cherté des binious baroques a au moins un bon
côté. Des cœurs purs aux moyens financiers limités,
comme l’orchestre Simon Bolivar de Caracas, se sont
résolus à jouer « quand même » Jean-Philippe Rameau. Il
y eut des niais pour « s’étonner de la beauté de cette
musique », bien qu’elle sonne au diapason sur des
instruments modernes… Bruno Procopio fut là un
bienfaiteur des oreilles absolues.

3° Les voix du baroque

Il existe, paraît-il un « chant baroque ». Á entendre


ce qu’a enseigné le gourou-jardinier Christie à ses
disciples, il consisterait à accumuler tous les procédés de
mauvais goût, les phrasés, les minauderies, les scansions
et accentuations excentriques – entre autres - utilisés par
ces messieurs-dames des Variétés. Belle innovation ! En
cas de besoin ces jardiniers pourraient, munis d’un micro,
arrondir leurs fins de mois en montant sur la scène de
l’Olympia… Mais pas d’inquiétude. Estampillée « Les
Arts flo. », votre carrière est assurée, en soliste ou en
chœur, à l’opéra, au concert, en CD…Vous aurez droit à

83
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

interviews et rubriques louangeuses dans la presse


musicale comme à la radio. Et tant pis pour ceux qui n’ont
appris qu’au Conservatoire le chant classique au
diapason…
Le plus insupportable du baroquisme vocal vient
de ce qu’il a remis en vigueur les odieuses prescriptions
misogynes du Vatican. Celles qui ont interdit aux femmes,
pendant des siècles, de chanter à l’église, puisque Paul les
avait exclues du chant sacré : mulieres in ecclesiis
taceant91 ! L’interdit régnait évidemment aux XVIIe et
XVIIIe siècles. Avec ses conséquences : le recours aux
garçonnets, et aux castrats. Le motu proprio « Inter
sollicitudines » de Pie X rappelait, encore en 1903 que les
femmes ne devaient pas participer aux chorales
chrétiennes92. Il faut néanmoins reconnaître que la papauté
n’eut pas le privilège de cette misogynie. Tout droit issue
de l’Ancien Testament, et des Pères de l’Eglise exégètes
du très phallocratique monothéisme mâle, elle touchait
encore au XVIIIe siècle certaines localités réformées,
fussent-elles luthériennes comme Leipzig. Au grand dam
de JSB - et au nôtre.
Première conséquence : le recours aux garçons
impubères et aux voix masculines suraiguës.
Faut-il rappeler que l’humanité comprend deux
sexes ? Et que chaque sexe comprend grosso modo deux
registres vocaux, les voix aiguës et les voix graves ? C’est
la base biologique inexpugnable de cette polyphonie à
quatre voix qui est un des fleurons – un des fondements –
de la musique savante occidentale. Outre les chœurs de ses
cantates, de ses Passions, de ses grands motets, JSB a écrit
pas moins de 185 chorals harmonisés à quatre voix a

91
I Corinthiens, XIV, 34. Et de plus : qu’elles ne parlent pas, et
restent soumises ! Bel ami des femmes !
92
Les bonnes cathos irlandaises de James Joyce s’en plaignent (Les
Morts, in Dubliners).

84
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

cappella, exemplaire polyphonie classique (BWV 253 à


438). Aux voix féminines reviennent naturellement les
deux parties supérieures, soprano et alto. Cela semblait
naturel à Monteverdi, qui n’avait pas peur de faire chanter
les femmes – dont son épouse cantatrice. Mais qui craint
que la présence des femmes, même la tête couverte,
n’induise en tentation les pieux chantres du Seigneur, doit
alors confier leurs parties vocales à d’« innocents » petits
garçons, ou à des hommes capables de les égaler – de les
singer – dans leur tessiture naturelle. Évidemment pas à
des petites filles… tout ce qui sent le sexe féminin est
exclu du chant sacré – pour ne pas offusquer la narine du
Tout-puissant ? Il n’y a pas de « Petites chanteuses à la
croix de bois » ! Seule exception notoire : ces couvents de
femmes où c’est la présence masculine qui est tabou ; le
Seigneur doit donc souffrir les chastes voix des nonnes !
La sainte Hildegarde von Bingen profita de cette
mansuétude….
Souffle court, voix blanche, justesse
approximative, volume sonore restreint, un garçonnet ne
saurait égaler une chanteuse adulte en bon état de marche.
D’où la nécessité, pour faire volume dans les choeurs, de
multiplier le nombre des petites têtes blondes – ou brunes.
Ce qu’on fait encore à Saint Thomas. L’authenticomane
peut ici arguer que la turba, le peuple représenté par le
chœur des Passions, n’a pas besoin de femmes, les foules
moyen-orientales d’époque, comme celles de notre temps,
ne comprenant (presque) que des hommes… Quant à
confier des solos à une de ces petites voix, cela nécessite
de dresser comme singes savants les plus douées. Sans
jamais obtenir le phrasé convaincant, le velouté du timbre
qu’offre une vraie femme bien développée. Donc sans
satisfaire les intentions expressives d’un compositeur
exigeant. Tant qu’il s’agit de ces œuvres édifiantes où l’on
chante les louanges du chaste Christ, ses souffrances, les

85
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

remords et la pénitence du pécheur, la participation des


garçonnets impubères reste dans le ton de la « pureté
asexuée » qui sous-tend la morale chrétienne. Leur voix
« angélique » ravit ces prudes paroissiens, friands des
chorales de « petits chanteurs » et autres manécanteries,
bigots pisse-froid pour qui l’exercice de « la chair » se
situe à la frontière de la bonne moralité ; il faut laisser le
sexe à la porte du Saint Lieu. Mais Bach n’était pas
Palestrina.
Jusqu’à son installation à Leipzig, JSB avait une
bonne expérience du chant féminin. La pauvre Maria
Barbara semble avoir été un contralto ; son cher cousin fut
blâmé pour avoir fait chanter à l’église, dans le chœur
mais seul à seule, cette demoiselle « étrangère »… quel
scandale!93 ! Anna Magdalena fut soprano, chanteuse
officiellement appointée à la cour d’Anhalt-Cöthen. Mais
pas question de la faire chanter à la tribune de Saint
Thomas. Double déconvenue pour son Cantor d’époux.
D’une part il fut privé de sa collaboration artistique : elle
semble avoir bénéficié d’une belle voix et d’un beau
talent, non dépourvu de virtuosité. Nous en avons
probablement le témoignage dans les arias de soprano de
la cantate profane ZW 22 (BWV 210 O holder Tag). Il est
même possible qu’elle ait chanté, en lieu laïque (Hôtel
municipal ?), la si vaillante cantate ZK 178 (BWV 51,
Jauchzet Gott) – inaccessible à un petit garçon !
Admirable collaboratrice de son mari, copiste infatigable,
elle ne manquait évidemment pas de chanter à la maison
(certainement aussi ses filles) lors des petites séances
domestiques de musique, lors des quodlibets. Deuxième
déconvenue, le salaire qu’Anna Magdalena touchait à
Cöthen va cruellement manquer au budget familial – il y a
beaucoup de bouches à nourrir. On remarquera ici
combien JSB tenait les femmes en grande considération ;
93
Bach Dokumente, II, 17, p. 21.

86
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

musicienne professionnelle ou poétesse comme Marianne


von Ziegler, Elisabeth Creutziger, il ne les réduisait pas au
rôle de ménagère pondeuse d’enfants qui était le sort des
braves bourgeoises de son temps… même s’il procréa
d’abondance - mais comme tant de ses contemporains.
L’authenticomanie exigea évidemment qu’on
revint aux « conditions d’époque » d’exécution des
cantates d’église. Petits garçons obligés. Comme on
continuait de le faire à Saint Thomas ; tradition assez
touchante. Mais depuis un siècle et demi les femmes
avaient été « réhabilitées » par Mendelssohn (béni soit-il !)
et ses successeurs. Au plus grand bénéfice des mélomanes.
Car on leur rendait des arias de toute beauté que JSB avait
manifestement conçues pour leur voix de soprano et de
contralto. Comment ne pas suspecter une certaine
misogynie chez ces baroqueux style Léonharnoncourt qui
ne recoururent aux femmes que du bout des lèvres, pour
les arias des Passions ? Et qui nous remettent dans cette
atmosphère contrainte, artificielle, où la femme est
suspecte.
Bien sûr, on peut supporter qu’un « enfant du
catéchisme » fasse de pieux commentaires sur la péricope
du jour. Mais le gamin s’avère bien léger quand il s’agit de
verser sur les souffrances du Christ les larmes d’une
compassion toute maternelle. Les choses deviennent
ridicules quand le sopranus ou l’altus s’entretient d’égal à
égal avec le Sauveur. Comment s’émouvoir lorsque c’est
un garçonnet qui chante la partie de soprano de ces arias et
duos des cantates où s’exprime l’amour parfois le plus
ardent voire le plus explicite ? Je pense à l’aria n° 494 de la
ZK 45 (BWV 148), à l’aria n°595 de la ZK 93 (BWV 180),

94
« Ma bouche et mon cœur s’ouvrent à toi » ;
95
« Soleil de la vie ».

87
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

à l’aria n° 296 de la ZK 124 (BWV 74), à ces « concerts en


dialogue », que Bach n’a pas pu faire chanter une femme.
Contraint par le puritanisme du Conseil il fut contraint de
se contenter des gamins. Il a donc « fait avec », mais
comment imaginer que les arias de « la fiancée », de la si
palpitante Église envers son liebster Jesus n’étaient pas
conçues pour une voix de femme ?
Ces chants d’amour ne nous communiqueront leur
émotion, leur ferveur, leur chaleur quasi charnelle que
grâce à la voix d’une femme véritable, en chair en os,
ayant l’expérience de la vie, avec ses chagrins et ses
bonheurs ; que connaît un garçonnet prépubère des élans
du cœur et de la joie charnelle ? Il paraît que c’est l’amour
« mystique » entre le Sauveur et sa Sainte Église !
Mystique mon œil ! Et quand un « charmant petit garçon »
dialogue avec un monsieur adulte, quand ils se disent avec
chaleur - à peu de choses près « Tu es à moi - Je suis à
toi 97» comment ne pas être gêné par un effluve assez
délétère de pédophilie98 ?
Le baroquolatre doit donc assumer cette exclusion
des femmes, leur singerie, au profit des petits garçons,
mais aussi des hommes à la voix suraiguë. Puisant dans
l’énorme corpus de musique « pieuse » d’obédience
vaticane des XVIIe et XVIIIe siècles les baroques nous
« régalent » de toutes ces œuvres écrites pour une voix
haute, évidemment interdites alors aux femmes ; donc
destinées à un de ces rares chanteurs dont le larynx rivalise
avec les tessitures féminines. Haute-contre, contre-ténor,

96
« Viens, viens, mon cœur t’est tout ouvert… Je t’aime ». Plus loin
« la demeure est prête » (récitatif n°3).
97
Cantate ZK 182 (BWV140), aria-duetto n° 6.
98
Dénonçant dans mes ouvrages sexologiques, dès les années 70, les
Institutions catho encadrant les jeunes garçons, comme évidents
foyers de pédophilie, je me suis fait accuser d’anticléricalisme
sordide. Jusqu’à ce que le Vatican lui-même ne fasse son « coming
out ».

88
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

ça s’appelle… Du temps où ne régnait pas le tyrannique


« politiquement correct » le cher Antoine Goléa, un
homme qui connaissait la musique, et qui l’aimait, parlait
alors – comme tout le monde - de « voix de châtré ».
L’authenticomanie a évidemment et automatiquement
exigé que l’on demande à nouveau à des voix masculines
suraiguës de se réapproprier ces cantiques, ces motets, ces
litanies, ces lamentations.
Mécréant gynécomaniaque je n’ai pas honte
d’avouer ressentir un certain malaise, lorsque j’entends
une de ces voix équivoques (ni homme ni femme !)
pleurnicher à 415 sur les malheurs de Jérusalem, en alliant
des relents peu sympathiques de bondieuserie et
d’uranisme99. Les représentants « musicologiques » de
cette frange de la population adulte mâle qui n’attend pas
des femmes le bonheur érotico-affectif se sont
évidemment enthousiasmés pour cette apothéose de leur
dilection. Ils en sont devenus d’ardents prosélytes, certains
abusant de leur influence pour prôner leur goût
excentrique.
Toujours est-il que grâce au baroquisme les contre-
ténors ont pu faire « leur grand retour ». Les voici adulés,
leurs enregistrements fêtés, leur répertoire couvrant
désormais tout ce qu’il y a cinquante ans on confiait aux
vraies dames, sopranos et surtout, misère, aux contraltos.
Quels sommets d’émotion atteignent ces arias que le Bach
des cantates a confiées à cette voix ! Comme elles nous

99
Je n’incrimine évidement pas ici la gent homosexuelle dans son
ensemble. Dans mes ouvrages scientifiques (sexualité,
comportements) je dis de façon fort claire que son orientation est à la
fois irrépressible (à ne pas réprimer !) et inoffensive, entre adultes
consentants, ne touchant chez les hommes que 5% de la population
adulte. Mais elle comporte, tout comme « les autres » des génies, de
brillants personnages, des gens très ordinaires et des individus
insupportables, tout particulièrement dans le domaine de la
baroquolatrie.

89
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

remuent, chantées par une de ces contraltos à la voix


chaude et profonde ! Comme Kathleen Ferrier, qui est
morte avant l’occupation. Comme Andrea von Ramm, à
qui l’on n’a fait enregistrer qu’une seule aria100. Comme
Aafje Heynis qui n’a eu droit à enregistrer que deux
cantates101. Et ne me parlez pas de Natalie Stutzmann :
elle ne chante (voire dirige) qu’à 415. Heureusement que
Helmuth Rilling, Fritz Werner, Karl Ristenpart ont pu
faire chanter et enregistrer au diapason de vraies bonnes
contraltos. Sinon, c’est un petit garçon chevrotant ou un
monsieur cocotant à 415. Encore un effet du « merveilleux
travail » de l’Harnoncourt.
Deuxième conséquence, la plus odieuse : le recours
aux castrats.
Pour qu’un garçonnet n’effectue pas sa mue, ne
devienne ni ténor ni basse, il faut et il suffit de le priver de
ses deux testicules avant la puberté. Effet secondaire d’une
pratique criminelle initialement effectuée pour avoir des
eunuques gardant ces sérails, harems où l’on enfermait les
femmes des potentats polygames. Le castrat est
« sexuellement inoffensif » et « vocalement féminin ».
Merveilleuse disposition qui permit aux gynophobes de
faire chanter des voix aiguës qui ne soient pas d’origine
femelle. Or le castrat adulte possède des avantages sur le
petit garçon : plus de capacité pulmonaire, plus de
maturité psychologique et un ambitus vocal beaucoup plus
étendu, pouvant atteindre les trois octaves. Un bien
meilleur chanteur. De bien meilleurs ensembles. Les lieux
de culte chrétien étaient l’endroit tout désigné pour mettre
en valeur leurs capacités.
L’utilisation des castrats « ad majorem Dei
gloriam » est ainsi très ancienne. Ces culs-bénits de

100
ZK 185 (BWV 36), vinyle LUMEN 651 213.
101
ZK 145 (BWV 170) et ZK 155 (BVW 169), CD PHILIPS
468 310-2

90
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Byzantins ne s’en privèrent pas, ni leurs successeurs de


l’Église d’Orient. L’Église d’Occident finit par les
solliciter, et on en trouva dans nombre de chapelles
princières. Il n’y en avait pas moins de six dans la
Chapelle bavaroise de Roland de Lassus dans les années
1560. Á Rome, les papes déçus par les chœurs d’enfants
premiers sollicités pour chanter la gloire du Seigneur ont
longtemps recouru à des hommes chantant en voix de
fausset. Ces falsettistes, recrutés en Espagne, étaient
probablement des castrats inavoués… L’aveu vint de
Clément VII en 1588, dont un bref autorisa les castrats à
monter à la tribune de la Sixtine, évidemment interdite aux
femelles de notre espèce. C’est ainsi que les papes purent
se constituer cette manécanterie d’hommes châtrés.
Comme les chorales de garçonnets, les ensembles
de castrats réalisaient ce « concert des anges », cette
pureté céleste asexuée102 dont se régale la morale catho –
du moins celle prônée en chaire. Car à certaines époques
les mignons des cardinaux circulaient librement dans les
couloirs du Vatican… Les membres de la manécanterie
papale étaient rigoureusement sélectionnés, et donnaient
des « prestations » dont la qualité faisait l’orgueil de Sa
Sainteté; elle attirait les amateurs. D’où l’intérêt que
suscita la formation chorale de la Sixtine chez certains
compositeurs de musique sacrée. Ils écrivirent
spécialement pour elle, éventuellement sur commande. En
particulier ce fameux Miserere d’Allegri interdit à la
copie, que Mozart sut noter de mémoire.
L’attitude des papes était particulièrement odieuse.
Ils s’associaient à la condamnation officielle de la
castration : « toute mutilation des individus est attentatoire
à la souveraineté divine », avait dit Thomas d’Aquin. Mais

102
Dans la Cité de Dieu, Augustin nous dit que les corps glorieux des
ressuscités seront préservés des attributs physiques engendrant la
concupiscence.

91
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

dans le même temps ils recrutaient régulièrement des


castrats pour maintenir l’effectif de leur chorale angélique.
En laissant faire les criminels mutilateurs, et les dresseurs
recruteurs-fournisseurs. Ceux qui repéraient les jeunes
talents, les faisaient châtrer vers huit-dix ans, avec la
complicité de la famille, éventuellement rémunérée, la
mutilation au besoin déguisée en « accident de cheval ».
Des officines spécialisées de Naples, de Milan, leur
apprenaient la musique, perfectionnaient leurs dispositions
vocales, puis proposaient leurs candidats lorsqu’une place
était vacante. Á défaut de Sixtine on fournissait ainsi les
chapelles moins prestigieuses d’Italie et d’Europe.
Certains « ratés » ont probablement fourni des recrues à la
prostitution homosexuelle : rien ne s’opposait – sauf la
morale ! - à ce qu’ils se prêtassent à la sodomie passive…
La naissance de l’opéra va projeter
« providentiellement » les castrats sur le devant de la
scène. Dès cette naissance (faut-il rappeler que l’opéra
n’est pas né baroque ?), l’opéra mettant en scène les
passions humaines racontait évidemment des histoires
d’amour. Au début du XVIIe siècle, les seuls chanteurs
capables de tenir un rôle de héros lyrique exigeant étaient
les castrats. On n’avait pas encore « inventé » les ténors
italiens, ni les barytons. Et les basses ne pouvaient jouer
les amoureux : ils étaient des pères, des rois ou des dieux.
C’est ainsi que le rôle d’Orfeo fut créé en 1607 par un
evirato, Giovanni Gualberti. En face existaient des
chanteuses exercées103. C’est avec elles, pour les héroïnes
qu’elles incarnaient, que ces malheureux stropiati
chantaient des déclarations d’amour, des arias passionnées
– passion qu’ils étaient bien incapables de matérialiser, ô
ineptie !

103
Cf Roger. Blanchard et Roland de Candé : Dieux et divas de
l’opéra, o.c., p. 32 sq.

92
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

L’opéra napolitain va cultiver la virtuosité vocale à


un degré quasi délirant. C’est pour les castrats que furent
écrits ces airs purement acrobatiques dont le contenu
vraiment musical est archi-nul104. Ayant écouté l’Alceste
de Gluck l’écrivain Joseph von Sonnenfels s’écrie tout
admiratif « un Singspiel sans castrat, une musique sans
vocalises ou, pour mieux dire, sans gargarismes105 ».
Ailleurs on ne prisait pas obligatoirement les roucoulades
creuses, mais on avait besoin, en face de la prima donna,
d’un primo uomo. Les castrats créèrent ainsi nombre
d’opéras, du sud au nord de l’Europe, pour Galuppi
comme pour Hasse. Le napolitain Porpora outre qu’il
commit des dizaines d’opéras détestables, s’était fait une
spécialité de la formation des castrats, (maudite soit sa
mémoire) qu’il essaima de Naples à Vienne et à Londres –
entre autres. Gluck, Haendel les firent chanter, ce dernier
succombant longtemps au péché de roucoulade. Et même
Mozart : il écrivit pour un castrat le rôle de don Ramiro de
la Finta giardiniera, et aussi le rôle d’Idamante
d’Idomeneo – mais il ne recommencera pas !
Á leur grande époque, les castrats les plus réputés
furent l’objet d’une adulation extravagante, du style de
celle dont bénéficient les actuelles rockstars. La bonne
société se les arrachait, les bissait et les ovationnait à
l’opéra, les faisait chanter dans ses salons, et certaines
dames en mirent dans leur lit – on en reparle. On a
conservé la mémoire de leurs représentants les plus fêtés,
Farinelli, Caffarelli, Senesino... Leur règne ne survit pas
au XVIIIe siècle. Les Lumières, Voltaire, Diderot,
dénoncèrent la barbarie de leur « confection ». Voulant se

104
On connaît la réflexion de Ravel à propos du Capriccio espagnol
de Rimsky : « C’est un morceau épatant, mais il n’y a là pas une seule
note de musique ! »
105
J. von Sonnenfels, Briefe über die Wienerische Schaubühne, 1768,
cité par J.G Prodhomme, o. c., p. 154.

93
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

rapprocher de la réalité, surtout depuis la réforme


gluckiste, la scène lyrique mit progressivement de vrais
hommes en face de vraies femmes, des basses séduisantes
surent chanter les Don Juan, des ténors chantèrent les
Ferrando, des dames travesties purent sans nul dommage
corporel chanter les Cherubin106, tandis que le mouvement
humaniste, dont faisait partie la franc-maçonnerie,
devenait sensible au massacre de la vie d’homme de ces
malheureux castrati. Mozart possédait ainsi un manifeste
s’opposant à la mutilation d’innocents enfants107.
Plus que le louable mouvement abolitionniste, ce
sont les évènements politiques qui hâtèrent l’extinction de
la criminelle pratique. Les guerres qui ont secoué l’Europe
de part et d’autre de la naissance du XIXe siècle
entraînèrent la fermeture de nombreux lieux de spectacle.
Mettant les artistes au chômage technique et entraînant la
fin de leur recrutement. Terminées les guerres que l’on fit
à la Révolution puis à l’Empire français, l’atmosphère
socio-culturelle, la scène lyrique, les livrets d’opéras
avaient subi une profonde mutation, où les castrats
n’avaient plus leur place. Rossini fut des premiers à les
récuser. On en fit encore pour la Sixtine, mais pas au-delà
de 1870. Léon XIII s’éleva définitivement en 1902 contre
la mutilation et contre l’emploi de chanteurs castrés. Pie X
confirma ces interdictions… ce que certains regrettent
manifestement !
L’authenticomanie aurait évidemment exigé que
des castrats récupèrent leur répertoire, pour nous charmer
de leur voix céleste. Hélas le dernier, Alessandro
106
De tout jeunes hommes. Richard Strauss recourut encore au travesti
« classique » dans son Rosenkavalier.
107
Est-ce par remords d’avoir fait chanter l’Idamante d’Idoménée par
un castrat que Mozart reprit par la suite, et par deux fois, son aria
Ch’io mi scordi di te ? Elle fut désormais confiée à une femme : K
490 et surtout K 505, pour sa si chère Nancy Storace et lui-même.
D’ailleurs le créateur châtré Del Prato avait été lamentable.

94
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Moreschi, est mort depuis longtemps, après avoir fait des


enregistrements « historiques » guère convaincants.
Depuis longtemps aussi les cantatrices, dont ils avaient
usurpé la tessiture, s’étaient emparées de leurs chants
sacrés et profanes. Et même à l’Opéra, travesties. Elles ne
manquèrent pas, telles la Bartoli, de se jeter sur ces
exercices de haute voltige lorsque le baroquisme les remit
à l’honneur, se régalant de ces brillantes nullités. Le niais
moyen en fut époustouflé, faisant le bonheur des
directeurs commerciaux des fabricants de CD. Mais la
Bartoli n’est qu’une femme…
C’est ici que les contre-ténors s’engagèrent vers la
gloire. Jusque-là cantonnés, comme l’honorable Alfred
Deller, aux gentilles ariettes du XVIIe siècle anglais et
quelques apparitions chez Purcell et Haendel, ils
bénéficièrent d’une éclatante promotion ; mue par un
double moteur. Premier moteur : le baroquisme, friand de
toute musique composée en ce qu’il appelle l’« ère
baroque », l’opéra « du sud » en italien fournissant le
pendant profane des austérités germanophones sacrées
« du nord ». Année après année des œuvres que leur
banalité clinquante avait fait tomber dans un juste oubli
sont « redécouvertes » et portées sur le devant de la scène,
leurs enregistrements soutenus par un matraquage
médiatique leur valant un bon chiffre de vente – surtout si
un merveilleux « diapason d’or » (on en reparle) les
couronne. On offre ainsi à notre vénération extasiée
Jaroussky, « le nouveau Farinelli », et puis un nouveau
Caffarelli, sans compter les « étoiles montantes » du
contre-ténorat. Le « deuxième moteur » apporta un
appoint non négligeable à ce succès.
Issu de l’intellectualisme « milieu de XXe siècle »,
un mouvement très « tendance » s’en prend, sous couvert
d’égalité entre les sexes, à la « tyrannie biologique » qui
rend les hommes et les femmes différents. L’illustre la si

95
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

spécieuse « théorie du genre », magistrale foutaise


soutenue en fait et principalement par des gens qui « ne
croient pas » au sexe biologique mais préfèrent
manifestement le leur lorsqu’il faut se trouver un
compagnon – une compagne de lit. Image possible des
castrats, les contre-ténors illustrent une sorte de « sexe
baroque » : des hommes biologiques dont la voix pourrait
merveilleusement passer pour celle d’une femme,
entendue à la radio ou sur le CD. D’où une hagiographie
pleine de regrets des castrats. Nostalgie très bien exprimée
par un écrivain comme Dominique Fernandez, qui n’a
jamais caché ses goûts, et dont le roman Porporino a été
primé Médicis, s’il vous plaît !
Les castrats apparaîtraient ainsi comme des
humains merveilleusement dispensés de toutes les charges
exténuantes du sexe, corvées comportementales imposées
par une société oppressive. Ils auraient joui d’une
« céleste » sérénité leur permettant de se consacrer
uniquement à leur art. Une mythologie réapparaît, faisant
d’eux de pures créatures angéliques, avec illustrations à
l’appui. Des « anges purs », chérubins et séraphins, font
battre leurs mignonnes ailes sur fond de ciel paradisiaque,
pour orner les étuis de CD et la publicité dans les journaux
musicaux. Á nouveau le cocktail de bondieuserie et
d’uranisme : le castrat reflèterait sur terre l’image
angélique du corps glorieux façon Augustin, débarrassé
des fâcheux organes de la concupiscence. Mais cette
nostalgie de l’« extrasexualité » n’est qu’hypocrisie. Car
c’est bien en tant qu’hommes que les contre-ténors sont si
prisés de la part de certains qui n’ont pas le besoin
physique des femmes108. Éliminant les femmes de leur
domaine vocal, ces chanteurs célestes donnent à ce genre

108
Cri du cœur du critique Jacques Bourgeois lors d’une émission de
discographie comparative : « Pour moi les femmes dans Bach, c’est
l’horreur ! »

96
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

de fans l’image d’un monde « idéal » uniquement


masculin109... En miroir et heureusement, personne ne
semble avoir eu l’idée baroque de dresser des femmes
pour qu’elles puissent, ayant trafiqué leur grave, chanter
Sarastro ou Wotan… Qui irait les embaucher, les écouter ?
Or, et c’est assez comique, dans le même temps
que certains font l’éloge de l’« asexualité », d’autres
veulent nous persuader que le sort sexuel des castrats
n’était pas si frustrant. Un encadré du journal Diapason de
décembre 1994 veut ainsi nous persuader, en toutes lettres,
que, dans le fond, les castrats « n’étaient pas des
eunuques », et pouvaient se marier. Pure manœuvre
d’« agit-prop » à la Lénine. Intox efficace, puisque j’ai
entendu une jeune gourde réclamer au brave vendeur de la
FNAC le Requiem de Mozart chanté par des castrats…
comme si leur mutilation somme toute anodine
(Dominique Fernandez dit « couper les canaux ») avait
permis d’en confectionner de nos jours !
Mais si, mais si, hélas, les castrats, comme tous les
eunuques, devaient renoncer à toute vie d’homme
sexuellement active. Au plan érotique comme au plan
génésique. En l’absence de la sécrétion d’hormone mâle
établie à partir de la puberté leur verge demeurait de taille
infantile, même si capable d’hypothétiques mini-érections,
façon garçonnet. Mais incapable de la moindre véritable
pénétration coïtale. Certes les castrats avaient encore
l’usage de leurs mains et de leurs lèvres : caresses et
baisers toujours possibles ! Les dames ravies des services
au lit de leur carissimo castrato pouvaient ainsi bénéficier
des cajoleries mammaires et des caresses génitales

109
Rêve du « génial » metteur en scène qui, pour le ballet sur le
Venusberg de Tannhauser, fit danser un ensemble de beaux éphèbes.
D’ailleurs j’ai connu un brave mélomane uraniste qui m’a assuré que
si Wagner avait quitté Louis II de Bavière, ce fut en raison d’une
querelle d’amants !

97
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

externes tout-à-fait nécessaires à la physiologie érotique


féminine, et dont leurs machistes hâtifs d’époux aristos
pouvaient être chiches, voire parfaitement ignorants. Mais
pas question de ces jonctions corporelles dont les schémas
moteurs programmés du cerveau basal établissent le
besoin chez la femme adulte : bien caressées, mais mal
étreintes ! En retour, leur infantilisme génital permettait-il
aux castrats de ressentir quelques bienfaits érogènes de la
main charitable de leurs admiratrices ? Ce serait consolant,
mais en l’absence de tout témoignage d’époque il est
permis d’en douter… Or au sacrifice de la virilité active et
pénétrante, se joignait la renonciation à la procréation.
La progéniture demeure le seul moyen de se
projeter dans le futur, pour ceux qui ne peuvent laisser par
leur œuvre créatrice témoignage personnel de leur passage
sur Terre. Les castrats n’eurent jamais d’enfants, et pour
cause… Ce serait déjà un argument suffisant pour ne pas
en faire les archétypes d’une humanité bienheureusement
« libérée » des corvées sexuelles… mais condamnée à
l’extinction. Cette impossibilité de fonder un couple, un
foyer, une famille, est probablement la principale cause de
cette mélancolie, ce fond d’humeur dépressif des castrats,
dont nous avons, cette fois-ci, de nombreux échos110. Y
songeait-il, le même Dominique Fernandez, lorsque je l’ai
entendu évoquer la possibilité de retrouver la voix des
castrats, en dressant au chant de malheureux garçonnets,
victimes prépubères d’un accident de voiture les privant de
leurs glandes génitales ?
Le devoir des médecins, devant ces éventuels petits
blessés, serait évidemment de compenser par un traitement
adapté leur privation hormonale. Pour qu’ils puissent non
seulement agir en hommes, mais aussi bénéficier d’un
développement corporel harmonieux. Car privée de
l’égide hormonale programmée assurant la croissance, la
110
Patrick Barbier, Histoire des castrats, o. c., p. 22.

98
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

configuration somatique peut souffrir d’anomalies, en


particulier d’obésité. Une gravure d’époque nous montre
le castrat Senesino atteint de microcéphalie et d’un vilain
double genu valgum : pas un Adonis ! Pourvu qu’on ne
lise pas les prix Médicis parisiens, dans ces officines où
l’on émascule et bourre d’hormones femelles des petites
victimes destinées à fournir les « brésiliennes » du Bois de
Boulogne et autres lieux de prostitution ! Pourvu que de
riches amateurs de « voix célestes » n’aillent pas y
chercher d’« intéressants sujets » qu’ils pourraient, dûment
castrés, élever en pot à l’instar de Porpora !
Il est dommage que toute la littérature échafaudée à
la gloire des castrats passe très vite (pudiquement !) sur les
procédés physiques agressant les gonades des pauvres
gamins. Ils étaient châtrés entre huit et dix ans. Certains
furent mutilés selon la technique de la bonne castration
« classique ». Elle consiste tout bonnement à sectionner
les bourses à leur base, en utilisant un bon couteau avant
de jeter aux orties les deux testicules et le scrotum qui les
enveloppe. Procédé hautement dangereux exécuté selon
les moyens « d’époque » les moyens de la médecine
« baroque », et de la chirurgie dotée d’« instruments
baroques » (ah ! ah !). La mort était assez fréquente, par
hémorragie, par infection. Aussi certains « spécialistes »
se vantaient-ils de « châtrer proprement et à bon
marché »111. Ils n’incisaient que la région inguinale,
devant le cordon spermatique qui contient l’artère
nourricière du testicule. Ils pouvaient alors (technique
toujours valable) attirer le testicule dans l’incision, couper
le cordon, le gubernaculum testis, et extirper la glande
sacrifiée. Ils pouvaient aussi se limiter à la section-ligature
du cordon. Le testicule succombait alors à une nécrose
ischémique, qui mettait fin à sa fonction. Les tortionnaires

111
Mais pas encore remboursé par la Sécu ! Cf. Patrick Barbier, ibid,.
p. 18.

99
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

n’ont pas laissé d’exposé écrit de leurs techniques... Par


contre on sait qu’ils utilisaient un procédé anesthésique
pour ne pas être obligés de ligoter trop fort le gamin
pendant l’« opération ». Après un bain de siège très froid
assurant une certaine vaso-constriction, ils pouvaient
comprimer les artères carotides primitives au cou jusqu’à
entraîner une lipothymie, et ils profitaient rapidement de la
perte de connaissance ; ils pouvaient aussi faire ingérer
une bonne potion à l’opium112.… quelle bienveillance !
Mais quel réveil !
Toujours est-il qu’il s’agissait bel et bien, en tout
état de fait, d’une agression physique, d’une violence
corporelle. Beaucoup semblent l’avoir oublié, en nos
siècles où le déplorable docteur Freud a fait couler tant de
ruisseaux de larmes sur les malheureuses victimes des
« traumatismes psychologiques » ! Ce sont bien ici des
« coups et blessures, mutilation », traumatismes bien
physiques, « sur enfant mineur » ! Un crime inexpiable !
Certains n’achèteraient pas le moindre grain de riz
sans s’être assuré qu’il n’a pas été récolté par des enfants
asservis. En ce qui me concerne, je ne peux supporter la
moindre note fournie par les contre-ténors dans leur
répertoire actuel, chanteraient-ils au diapason (mais faut
pas rêver !) des œuvres dépourvues d’acrobaties vocales
(comme le Stabat mater de Pergolèse). D’abord parce que
leur singerie des femmes, l’équivoque de leurs émissions,
cette confusion des sexes me cause un insurmontable
malaise ; on ne me fera pas écouter le Commandeur chanté
par une dame... Et aussi parce que leurs exploits
roucoulants reflètent des siècles d’exclusion des femmes,
des siècles de haine à leur encontre, des siècles de
mutilation d’enfants privés de leur vie d’homme.

112
Il était, à l’époque, en particulier sous forme de « grains »
médicamenteux, beaucoup plus accessible que de nos jours.

100
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Mais une première barrière me préserve de cette


pénible épreuve auditive, tout en me coupant d’une bonne
partie de la musique que j’aime. Car ces voix baroques
« d’époque », ces instruments « d’époque », ne se
contentent pas de leurs sonorités exténuantes. Ils obéissent
aux très imaginaires « diapasons d’époque ».
L’affabulation la plus routinière en est le la 3 à 415 hertz.
Accord aussi fantaisiste qu’insupportable, incomestible
aux oreilles absolues. Or cet accord à 415 ne se contente
pas d’agresser les oreilles absolues d’aujourd’hui. Il a mis
en route la machine qui, dans un proche avenir, va mettre
à mort cette merveilleuse faculté.
*
Voilà pourquoi, paraphrasant Napoléon, je
formulerais simplement tout ce que je reproche à
l’Harnoncourt, ce descendant d’émigrés113, et à ses
disciples, à ses émules, à ses admirateurs, à ses partisans, à
leurs thuriféraires, à leurs propagandistes et diffuseurs par
le disque, par la radio, par la presse, à tous les adeptes de
la secte baroquisante : « ces gens-là ne m’ont rien appris,
mais ils m’ont tout gâché ».

113
On conçoit combien le républicain mélomane que je suis en veut à
Louis XIV d’avoir révoqué l’édit de Nantes. On aurait peut-être pu ne
jamais subir l’Harnoncourt, ses ancêtres étant restés sur leurs terres !

101
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

TROISIÈME MOUVEMENT. GAVOTTES I et II

LE DIAPASON ET LE TEMPÉRAMENT114
.
I. Pourquoi le diapason

Pour légitimer leur accord frauduleux, les


marchands de baroque prétendent obéir au « diapason
ancien ». Eh bien si j’étais aussi féroce que l’abominable
Goering, je dirais « Quand j’entends parler de diapason
ancien, je tire mon revolver ! ». Mais ce serait coup d’épée
dans l’eau, attaque des moulins à vent. Car le « diapason
ancien » n’existe pas, n’a jamais existé. C’est une
chimère, une coquecigrue, un zombie. Il n’y a qu’un seul
diapason. Celui que nous devons respecter hic et nunc.
Donc pas de diapason haut, ni de diapason bas, ni de
diapason futur, ni de diapason « d’époque », etc. Personne
ne mettrait un qualificatif après mètre, ou minute, ou litre.
Qui tolérerait qu’on prenne les dimensions de sa maison
avec un « mètre court », que son compteur de vitesse
automobile soit étalonné sur un kilomètre-heure « long »,
que la pompe à essence lui délivre des « litres lourds » ou
« légers » selon le département ? Dans diapason il y a
tous : δια-πασων ; une mesure, un repère que tous doivent
respecter.
Quel moment émouvant, magique, lorsque avant le
concert, avant l’opéra, le premier hautbois, puis le premier
violon donnent le la à l’ensemble de l’orchestre ! Lorsque
tous ces artistes émérites s’accordent selon un cérémonial
qui va garantir la justesse de l’exécution destinée à nous
émouvoir, à nous rendre heureux.

114
Ce chapitre est ici volontairement concis. On trouvera un exposé
plus détaillé et les références dans Le Diapason.

103
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Dès ici, je tiens donc à balayer l’argument massue


des authenticomanes qui, au nom de leur manie
historiciste, veulent imposer l’exécution des œuvres du
passé au « diapason d’époque ».
Quand Jean-Marie Leclair écrivait en la mineur
l’adagio de son Concerto pour hautbois op. 7 n° 3115 en ut
majeur, cette merveille de science harmonique, à la
noblesse insurpassable, il demandait à sa tonalité
exactement ce que nous lui en demandons actuellement.
Ici cette tendresse triste un peu raide, sans apitoiement,
qu’on ressent dans le Concerto pour piano de Schumann
et le double Concerto pour violon et violoncelle de
Brahms. Certes J.-M. Leclair s’est un peu promené, mais il
ne vivait sûrement pas sur deux diapasons. Celui auquel il
jouait les œuvres écrites de son vivant, et un deuxième, un
diapason « ancien » plus bas, lorsqu’il jouait les concertos
de Corelli écrits quarante ans plus tôt. Quel était vraiment
le diapason auquel il a entendu son œuvre ? Que nous le
sachions avec la plus extrême précision (on peut toujours
rêver) ne serait pas une condition suffisante pour adopter
cet accord, différerait-il du nôtre. Car nous n’avons pas les
oreilles « d’époque » de J.-M. Leclair, et nous demandons
de nos jours au la mineur ce qu’il en demandait lui-même
en son temps, et qui va être altéré si on ne nous le fournit
pas à la même hauteur que la Symphonie écossaise de
Mendelssohn ou le Premier concerto de violoncelle de
Saint-Saëns.
Il en va de même avec toutes ces œuvres du passé
dont la connaissance précise du niveau d’accord
« d’époque » ne peut être une raison pour l’adopter,
martyrisant les oreilles absolues auxquelles on veut faire
avaler en un imbuvable sol dièse mineur l’adagio de J.-M.
Leclair, si on obéit au « diapason » surbaissé des

115
Oui, je sais, on peut le jouer avec un violon ou une flûte soliste.
Mais le hautbois est ici si goûteux !

104
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

baroqueux. En prétendant servir aux auditeurs du « super


fin authentique d’époque ». En vain, car l’extrême
majorité d’entre eux ne savent se délecter de cette
« faveur », dont ils sont parfaitement inconscients. Il serait
instruisant d’interroger ces baroquophiles à la sortie du
concert : « à quel diapason a joué l’orchestre ? ». Combien
le sauraient-ils ?
Inutile donc de se targuer, au XXIe siècle, de jouer
telle ou telle œuvre au « diapason » vérifié-garanti de 1563
ou de 1722 – mais c’est mission impossible : « nous ne
saurons jamais rien de ce qu’était le diapason réel lors de
l’exécution de telle œuvre de Mozart »116. Inutile mais pas
inoffensif, puisqu’on agresse un certain nombre
d’auditeurs.
Il n’est pas une œuvre de la musique savante
occidentale, quelle que soit son époque de composition,
qui soit « impossible » à jouer au diapason. Aucune ne
nécessite un diapason différent du la 3à 440 hertz.
Les seuls auditeurs se rendant compte du
changement de diapason sont ceux qui en souffrent.
Quod demonstrandum est.
*
La musique est l’art des sons, et le diapason est la
règle du jeu. Il fixe la première caractéristique du son : sa
hauteur. Le chiffrage mathématique de cette hauteur fut
certes impossible tant qu’on n’avait pas mis au point les
instruments capables de dénombrer les vibrations sonores.
On a alors pu, dans un premier temps, fournir le nombre
de vibrations à la seconde. Le physicien Heinrich Hertz
(1857-1894) a proposé une mesure plus fiable – désormais
le hertz, correspondant à un aller et retour vibratoire,
l’aller pouvant être différent du retour : regardez le
balancier des comtoises. Le nombre de hertz est ainsi la
moitié du nombre de vibrations.
116
E. Leipp, Du diapason, o. c., p. 8-9.

105
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Pendant longtemps ce que les humains chantaient,


ce qu’ils jouaient sur leurs « instruments premiers » a dû
s’étendre sur un ambitus117 assez réduit (nous n’avons
hélas pas d’enregistrement d’« époque » paléolithique). Il
ne devait guère dépasser l’ambitus dont est dotée la voix
d’un adulte « ordinaire », soit une octave et demie. Les
mélodies premières inventées118 pouvaient assurément se
prendre à diverses hauteurs sans que le chanteur, la
chanteuse ne s’égosille dans l’aigu, ne s’étrangle dans le
grave. Néanmoins, et j’y reviendrai les lois de la génétique
avaient certainement déjà doté certain(e)s du diapason
interne apanage de l’oreille absolue, chez eux logé dans la
sensibilité proprioceptive du larynx. Ces hommes et
femmes d’attaque guidaient leurs compagnons lorsqu’il
fallait entonner à hauteur confortable les chants collectifs.
Des instruments pouvaient les y aider.
Les premiers instruments que nous ayons
retrouvés, confectionnés par nos ancêtres, sont des flûtes ;
ancêtres de tous les instruments à vent et même de l’orgue.
Donc des instruments à sons fixes. Outre qu’ils pouvaient
accompagner-guider le chant, ils pouvaient se joindre à
d’autres instruments de leur famille comme à des
instruments à cordes réglables, qui devaient s’accorder sur
eux. L’accord instrumental est aussi vieux que lyres,
harpes et autres cithares. Tant que les musiciens ne
quittaient guère leurs lieux de naissance ils obéissaient à
l’accord local établi par leurs prédécesseurs – ce fut le cas
des flûtes andines, des sitars, des balafons et autres
gamelangs, jusqu’à ce que la mondialisation du diapason
ne vienne guider leur fabrication.

117
L’intervalle entre la note la plus grave et la plus aiguë d’une voix,
d’une mélodie, d’un instrument.
118
Je ne crois pas une minute à la « création populaire spontanée ».
Les plus « folklo » des musique « ethniques d’origine » ont été crées
par un « original », père originaire, ancêtre des compositeurs.

106
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

En Chine, au Japon, le pouvoir exigeait que les


musiciens obéissent au même accord, unifié sur tout le
territoire de l’Empire. Il était déterminé à chaque
changement de souverain, et fixé par des fonctionnaires du
Palais qui le transmettaient aux représentants des
différentes provinces, venus en délégation. Par flûte, sifflet
ou clochette – on a retrouvé certains ancêtres de notre
actuel diapason transportable. Un mauvais accord pouvait
mettre en danger, par ses vibrations nocives, la vie du
Souverain du Céleste Empire. De peur que les
fonctionnaires de son prédécesseur (parfois zigouillé dans
un couloir du Palais !) ne lui veuillent du mal, il leur
faisait couper la tête et nommait de nouveaux
responsables119.
En Europe on était moins féroce et longtemps
moins centralisateur. L’emprise du christianisme sur la
culture jeta honte et discrédit sur ces trompeurs qui, au
lieu de chanter, usaient d’outils, de méprisables
instruments. Ceux dont usaient les Romains au cours de
leurs débauches, agrémentées par des danseuses incitant à
la luxure. Pas d’instruments pendant des siècles et des
siècles au Saint Lieu – même pas d’orgue qui, pour
beaucoup est désormais le symbole sonore de
l’atmosphère confite en piété ! Il faut dire qu’outre
l’ostracisme épiscopal les siècles troublés de l’Empire
finissant avaient fait disparaître en Occident les orgues
« d’époque », les hydraules issus des antiques « flûtes
mécaniques ». Mais il en restait en Orient, soutenant les
cantiques des Byzantins. Il fallut attendre 757, un cadeau
de Constantin V Copronyme à Pépin le bref pour qu’on
construise à nouveau des orgues en Occident. Mais ce
n’est qu’en 826 que Louis le Pieux fit installer un orgue
dans son palais, sous l’égide du prêtre Georges.

119
Un tel centralisme autoritaire officiel ne fait-il pas penser à l’Union
des compositeurs soviétiques ? Voire à l’IRCAM ?

107
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Progressivement on garnit d’orgues églises, cathédrales et


abbayes. C’est là qu’ils purent prendre de l’ampleur, ce
qui entraîna les premières préoccupations diapasoniques.
On a donc toujours chanté à l’église. En l’absence
de diapason, en l’absence de notation sur la portée, on a
longtemps pratiqué la solmisation – mais le nom actuel
des notes (do-ut, ré, mi, etc.) ne date que du XIIIe siècle,
initié par les premières syllabes des vers d’un hymne à
saint Jean. Repérées les notes les plus hautes et les plus
basses du chant à exécuter, on fixait la hauteur d’attaque
en fonction des capacités vocales des participants. L’orgue
local put aider à fournir cette hauteur, étant donné que lui-
même était accordé selon le gré de son constructeur. Deux
paroisses distantes de deux heures de marche pouvaient ne
pas chanter à la même hauteur le Veni creator.
On n’avait pas inventé, à cette époque, les « concerts
trompette et orgue » qui firent florès dans les années 50 du
XXe siècle. Longtemps les instruments ne se mélangèrent
pas. S’étaient différenciés les instruments hauts, ceux qui
font grand bruit : trompettes, cornes, cromornes, cornemuses,
chalémies, hautbois, percussions, et ceux qui « parlent à voix
basse »120, instruments bas, flageolets, flûtes, doulcines et
rebecs. Déjà s’étaient constituées ces familles particulières,
fanfares, « écuries » qui se faisaient entendre en plein air.
Dans l’intimité des demeures seigneuriales jouaient les
instruments bas. Il fallut néanmoins recourir à des
instruments des « deux espèces », flûtes, cornemuses,
chalémies, rebecs et diverses percussions, pour accompagner
les chants et surtout les danses, au village comme au château,
que les ayatollahs du christianisme naissant n’avaient pu
faire disparaître.
Les musiciens locaux ne pouvaient être nombreux,
au sein de la paysannerie soumise au servage. Mais il
exista tout au long du Moyen Âge des musiciens
120
Homo-Lechner, o. c., p. 41.

108
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

ambulants121 allant d’un château à l’autre, d’une foire à


l’autre, d’un mariage, d’une fête patronale, d’un banquet à
l’autre. Ces pauvres jongleurs, ménestrels, Musikanten
assez méprisés quoique indispensables, dont des femmes
quasiment considérées comme des putains, circulaient
avec leurs instruments dont ils n’avaient pas à modifier
l’accord, fixé selon leurs voix. Ce n’était pas encore
l’époque des concertistes internationaux de la flûte comme
Buffardin ou du violon comme la Strinasacchi !
Cérémonies religieuses ou profanes, fanfares
guerrières, chasses seigneuriales, ballets de cour, bals
populaires ou réjouissances matrimoniales, il s’agissait
dans presque tous les cas de musique fonctionnelle,
accompagnant un évènement dont elle rehaussait la
solennité ou l’agrément, non d’une musique à écouter pour
elle-même. Seuls se faisaient écouter avec attention
trouvères et troubadours, éventuellement accompagnés de
baladins, pour distraire les belles châtelaines pendant les
longues soirées sans cinéma ni télé. Mais c’était le texte
qui avait suscité la mélodie : la poésie avant la musique;
avec néanmoins quelques créateurs capables d’inventer les
deux en même temps.
Il fallut attendre la Renaissance pour que la
musique suscite l’intérêt pour elle-même, pour qu’on aille
écouter des concerts. Dans les milieux où il était possible
de faire vivre à demeure un certain nombre de
professionnels, instrumentistes et/ou chanteurs – parfois
les deux. Donc dans les riches paroisses, chez les riches
aristocrates, ducs princes ou rois, ou les riches
municipalités; avant les opéras. Ils et elles purent
s’enorgueillir de ce qui s’appela longtemps chapelle, ou
chambre, avant « orchestre ». Les musiciens rémunérés
pour agrémenter la vie religieuse ou profane avaient un

121
En hochdeutsch Pach. Très probable étymologie patronymique de
la famille Bach.

109
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

statut dépassant à peine celui de domestique, et restaient


attachés à leur employeur comme la chèvre à son piquet.
Donc peu d’occasions, pendant longtemps, sinon pendant
d’éventuelles études chez un maître extérieur, d’entendre
d’autres professionnels, et leur accord possiblement
différent.
Cette situation de sujétion perdura tout au long du
XVIIIe siècle, avec peu d’exceptions comme Gluck qui
avait épousé la fille d’un banquier, ou Haendel composant
opéra sur opéra pour remplir la caisse du théâtre – les
oratorios finirent par lui assurer de plus sûrs revenus. On
sait qu’à part de rares voyageurs comme Schütz allant à
Venise étudier avec Giovanni Gabrielli, Bach allant
écouter Buxtehude, ou ces « nordiques » comme Willaert
qui, lui, resta à Venise, chaque musicien professionnel ne
pouvait « lâcher » l’église, le seigneur ou la municipalité
dont il dépendait : ainsi et encore de Mozart, Haydn et
Bach – avec ses trois installations, ce dernier est un cas
assez rare, mais ce n’est pas sans vifs tiraillements qu’il
quitta ses deux premiers emplois avant de ne plus bouger
de Leipzig. Si Haydn resta attaché aux Esterhazy, Mozart,
habitué à la bougeotte lorsque le bon évêque
Schrattenbach autorisait la petite famille à se promener,
finit par secouer le collier et refusa d’aller le reprendre à
Salzbourg, en restant à Vienne.
L’accord local fut donc le seul que connurent les
musiciens pendant des siècles. C’est celui qui servait aux
artisans fabriquant les instruments à sons fixes, bois
cuivres et claviers. Plus l’instrument est de fabrication
complexe, plus il nécessite de moyens techniques, avec
des installations qui ne sont pas à la portée des petites
localités. L’atelier qui fabrique les orgues n’est pas celui
qui fabrique les cromornes, et il reçoit des commandes en
provenance d’un assez vaste territoire ; à partir du moment
où le nombre des tuyaux et la diversité des jeux dépassent

110
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

les capacités de production des premiers artisans, qui


fournissaient de petits instruments à deux ou trois dizaines
de tuyaux. Les organiers furent donc les premiers à se
soucier de normatiser la hauteur des instruments qu’ils
fabriquaient.
Les professionnels constructeurs d’orgues se
connaissaient obligatoirement et communiquaient, ne
serait-ce que par la nécessité de faire appel aux mêmes
fournisseurs régionaux pour leurs matières premières
métalliques. Un consensus s’était établi entre eux pour
prendre comme étalon la mesure la plus courante dans
l’Europe médiévale, le pied, et l’attribuer à la note initiale
de l’hymne à saint Jean ayant baptisé les notes, l’ut – plus
précisément notre ut 4. Nous avons gardé – mesurées
désormais en système métrique - ces longueurs de tuyaux :
1, 4, 8, 16 pieds. En France le pied était celui de
Charlemagne : 325 millimètres122. Le tuyau d’orgue à
bouche long d’un pied – le diapason d’époque ! - servait à
guider la fabrication des nouveaux instruments – et à la
réfection des instruments endommagés. Contrairement à
ce que pensent les ignorants, on peut accorder les orgues :
l’accord d’un instrument vieux de trois siècles a pu
changer plusieurs fois au cours des ans. Et ici se situe un
phénomène miraculeux ; le tuyau de 325 millimètres
donne un ut 4123 qui sonne à 525 hertz. C’est-à-dire à très
peu de choses près (2 hertz), celui fourni par notre
diapason à 440 hertz le la 3 ! Cocorico ! Á la Renaissance,
les orgues françaises étaient au diapason.
Malheureusement le pied n’avait pas partout en
Europe la même longueur. Et les européens, sauf ceux de

122
Ces dimensions du pied proviennent de Hütte, o. c.
123
On numérote les notes en fonction de l’octave où elles figurent, la
première octave débutant sur l’ut grave, la note la plus basse du
violoncelle, la plus grave fournie par les chanteurs basses, (ut 1) deux
lignes sous la clé de fa. Le la 3 figure dans la troisième octave.

111
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Brescia !, avaient le pied moins long que celui de notre


Empereur. Du coup, accordées sur un tuyau plus court que
325 millimètres, toutes les orgues construites hors de
France sonnaient plus haut que les nôtres. Jusqu’à un ton
entier, en particulier en terre batave. Pour ces orgues
depuis et manifestement toujours accordées à 494 le la 3
(= le si !) sur lesquelles entre autres s’exécuta le Gustav
Leonhardt, un des odieux propagateurs du la 3 à 415; sans
en être apparemment gêné – mais peut-être était-il sourd !
Toujours est-il que l’innocent organiste « préservé » de
l’oreille absolue qui joue à Zwolle le Prélude et fugue
BWV 542 en sol mineur ne s’aperçoit pas qu’il le fait
sonner en (pseudo) la mineur. Un ton plus haut. Et qu’on
ne nous dise pas qu’« autrefois on jouait plus bas que
maintenant » !
C’est en Europe du nord, en pays germanophone
(l’Allemagne n’existait pas en tant que telle) que l’accord
des orgues était le plus haut. Niveau élevé qui fut
probablement à l’origine du double « diapason » des
églises, éventuellement entériné par la présence de deux
orgues. Le Kammerton, ton de chambre, était réservé aux
instruments quand ils jouaient seuls avec l’orgue. Tandis
que le Chorton, ton du chœur, plus bas (une seconde, une
tierce), faisait chanter les choristes et les fidèles sans les
égosiller vers le haut. Après la « pétaudière » diapasonique
régnant jusqu’à la fin du XVIIe siècle, ce fut le premier
des trois épisodes de double diapason qui ont incommodé
la vie musicale.
Un des premiers théoriciens de la musique,
Michael Praetorius (1571-1621) un authentique génie,
s’était ému des différences d’accord d’un pays à l’autre
d’Europe. Examinant les instruments en provenance de
différentes localités, en particulier les flûtes, il constata un
écart d’une quinte entre les plus hauts et les plus bas. Il
s’en plaint dans son excellent ouvrage Organographia

112
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

(Wolffenbütel, 1618). Il constate aussi que c’est dans le


nord qu’on s’accorde le plus haut, en Italie le plus bas124.
Se rapportant à la longueur du pied en Basse Saxe à son
époque, 283 millimètres, on peut conclure que le
« diapason » de Praetorius dans sa banlieue de
Braunschweig était, comme celui de l’orgue de Zwolle, à
494. Praetorius se rendit compte de l’incommode hauteur
de ces accords et souhaita que l’on baisse le « diapason »
des orgues – et des autres instruments, ce que l’on ne fit
pas partout. L’accord pratiqué par les Prussiens demeura
haut. Á Potsdam Frédéric II s’accordait à 455 ! L’affreux
Wieland Kuijken jouant à 415 serait ainsi un bon ton au-
dessous de la traversière du roi de Prusse : pas au même
accord ! Ils n’auraient pu jouer ensemble !
Ceux qui assassinent Bach à 415 n’auraient pu, eux
non plus, jouer avec lui. Au moins trois musicologues
éclairés se rejoignent pour nous enseigner qu’à son époque
Leipzig s’accordait comme nous à 440 : Arthur Mendel125,
Karl Geiringer126 et Alfred Dürr127. Et aussi, fait
mémorable, qu’à l’église Saint Thomas le Kammerton et
le Chorton étaient les mêmes. Remarquable simplification
de la vie du Cantor, et certainement aussi considérable
repos de son oreille. Un des avantages de sa situation, qui
lui faisait « avaler » ses désagréments. Un autre argument
corrobore cette identité du diapason de JSB et du nôtre :
l’ambitus demandé aux chanteurs de ses cantates. Avec un
bel exemple : la cantate ZK 23 (BWV 163) qu’il a fait

124
Il n’a sûrement pas entendu d’instrument en provenance de
Mantoue. Monteverdi s’accordait très haut, au moins un ton au-dessus
du 440. Il demande dans Le retour d’Ulysse un ut 1 impossible à
chanter à 415.
125
On the pitches in use in Bach’s time, o.c.
126
Johann-Sebastian Bach, o. c., p. 148.
127
Die Kantaten von Johann Sebastian, o. c., p 343.

113
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

chanter à Leipzig, comme toutes les autres128. Dans le


duo-récitatif n° 4 le soprano doit monter jusqu’au si 4,
alors que l’alto doit descendre jusqu’au sol 2. C’est-à-dire
les limites « classiques » (naturelles) de ces deux voix
aiguës. Á 415, l’alto doit donner un fa dièse 2 ; il risque de
s’enrouer (bien fait !). Plus haut que 440, la soprano devra
donner un ut ou un ut dièse 5 : c’est trop haut ! Restons à
440 !
Ce diapason leipzicois de Bach à 440 – le nôtre –
s’avère au fil des ans celui vers lequel convergèrent
progressivement les accords européens pour se situer, à la
fin du XVIIe siècle, comme put l’établir Émile Leipp,
dans un fourchette oscillant entre 450 et 442 hertz129.
Donc toujours au-dessus de notre diapason à 440 !
quoiqu’en pensent ceux qui répètent comme des
perroquets qu’« autrefois on s’accordait plus bas que
maintenant ». Ce progressif consensus envers ce niveau,
correspondant aux données anatomo-physiologiques du
larynx humain – la nature finit toujours pas gagner - s’était
établi après des siècles de tâtonnement et de pagaille –
pour ne pas dire pire. Dans la même ville les claviers
domestiques, les orgues, les instruments de la caserne,
ceux du prince, ceux des salons aristocratiques, ceux des
bals, ceux de la scène là où l’on chantait l’opéra pouvaient
ne pas être tous réglés sur le même accord.
La confirmation de ce désordre fut facilitée aux
recherches d’Émile Leipp par l’invention de John Shore.
Ce digne sujet de Sa très gracieuse Majesté (1662-1752)
fut à la fois trompettiste et luthiste à la Chapelle Royale de
Londres. C’est probablement son exaspération devant le
manque de tenue des cordes de son luth qui lui fit chercher

128
Elle a été composée en 1715 à Weimar, où le « diapason » était
manifestement plus bas qu’à Leipzig. Nous ne connaissons que la
version de Leipzig, d’une écriture très certainement transposée.
129
Emile Leipp : Du diapason et de sa relativité, o. c., p. 8.

114
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

un moyen de les réaccorder au bon niveau d’un jour sur


l’autre. Il inventa l’instrument métallique à fourche qui a
donné le la à des générations de musiciens. Son appareil,
qu’on peut appeler diapason, fut présenté en 1711. Appelé
à un bel avenir, il se répandit rapidement dans toute
l’Europe.
Le choix du la 3 était très judicieux. Succédant à
l’ut 4 des organiers, puis aux tentatives du fa 3 moins
commode à marier aux tonalités les plus courantes à
l’époque, il se situe dans ce registre moyen où l’ouïe
humaine « colle » le plus fidèlement aux données
physiques. L’étalon choisi par John Shore est toujours en
vigueur de nos jours. Désormais consultable par des
moyens sophistiqués, voire électroniques, ou tout
simplement en décrochant son téléphone : c’est la tonalité.
Ce ne fut pas pour autant que l’accord fut d’emblée
universel. Même si le français Joseph Sauveur (cocorico)
avait enfin trouvé en 1701, de façon encore artisanale,
comment mesurer les vibrations des corps sonores.
Chaque fabricant de fourche donna bien le la, mais celui
« de son coin ». On a donc retrouvé des la de diverses
hauteurs. Hauts à Berlin, bas à Milan. Commodes à
l’échelon local, ils n’étaient pas obligatoirement les
mêmes d’une ville à l’autre ou de chaque côté d’une
frontière. Fort désagrément pour ceux qui commencèrent à
voyager avec leur instrument – leur larynx.
Les choses bougèrent enfin avec les musiciens ;
dans les premières années du XVIIIe siècle. Á une époque
où le développement des transports permit aux personnes
comme au courrier, aux partitions désormais correctement
imprimées de circuler dans de bonnes conditions de
sécurité. Ceux qui étaient devenus des compositeurs pour
« la chambre », le concert ou la scène130, exigèrent des
interprètes capables de jouer, chanter des œuvres de plus
130
Et pouvaient se connaître, correspondre, comme Bach et Couperin.

115
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

en plus élaborées, de plus en plus raffinées. La scène


lyrique et le concert ont ainsi engendré la vedette, le
soliste, le virtuose. Ceux et celles dont le talent natif,
judicieusement travaillé, avait permis de s’élever au-
dessus de leurs pairs purent établir une réputation
dépassant leur lieu de premier exercice – avant que ne
s’établissent dans les grands centres urbains ces écoles,
ces conservatoires où l’on va pour se former à
l’excellence.
Les carrières internationales des virtuoses de la
flûte, du violon, de l’opéra, sont nées au milieu du XVIIIe
siècle. Leur ambition les portait à se faire entendre
« partout », quand les organisateurs de concerts, les
directeurs d’opéra désiraient tirer profit de leurs exploits.
Les voici donc se promenant avec leurs précieux
instruments, avec leur précieux larynx131. Si les
complaisantes cordes peuvent supporter un demi-ton,
voire un ton d’écart avec l’accord prévu lors de leur
fabrication, on n’« accorde » pas de la même façon les
flûtes ni les gosiers. La nécessité devint impérieuse,
d’établir un accord valable en tout lieu civilisé.
Sarti nous donne un très précieux témoignage du
point de convergence diapasonique à la fin du XVIIIe
siècle. Ce niveau s’était probablement établi au milieu du
siècle. Ce qui permit au jeune Mozart itinérant de
Salzbourg à Vienne à Londres à Paris et Bologne et Rome
etc. de ne pas trop martyriser son oreille absolue, attestée
l’année de ses sept ans, à la grande fierté de son papa
montreur de phénomènes.
Ce Giuseppe Sarti (1729-1802), on le connaît.
C’est le compositeur de cet opéra, I due litiganti, dont les

131
Les « transferts » de certaines vedettes de l’opéra avaient
commencé bien plus tôt. C’est ainsi que Mazarin (possiblement son
ancien amant) avait fait venir de Rome à Paris la Leonora Baroni en
1644. Cf. Blanchard et Candé, o. c., p. 53.

116
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

musiciens jouent à don Giovanni une aria (Come


un’agnello) pour le divertir pendant son ultime festin.
Homme orchestre connu de toute l’Europe, ami de
Mozart132, il fut maître de chapelle, compositeur d’œuvres
sacrées et d’opéras, chef d’orchestre lyrique, directeur de
théâtre (l’Ospedaletto de Venise) théoricien et pédagogue
(maître de Boccherini). Il finit glorieusement sa carrière
auprès de Catherine II qui lui offre en 1784 le poste
qu’occupait Paisiello. Ce qui lui permet de superviser
toutes les activités musicales de la Cour impériale de
Saint-Pétersbourg, et même de toutes les Russies, de créer
des écoles de musique, d’être le professeur des premiers
compositeurs russes, et enfin de normatiser le diapason
officiel.
Sarti, en effet, est aussi physicien. Il a mis au point
en 1780 un instrument perfectionné et enfin fiable pour
mesurer les vibrations sonores. Ce qui lui valut d’être
nommé membre d’honneur de l’Académie des sciences de
Saint-Pétersbourg en 1794. Le la 3 est ainsi fixé par Sarti à
872 vibrations par seconde. Soit 436 hertz. Á 4 hertz du
nôtre ce qui, on le verra, est « avalable » par l’oreille
absolue. L’expérience de Sarti est considérable, il a fait
chanter toute l’Europe, toutes les divas, il a fait chanter les
opéras de Mozart en Russie et nous pouvons le croire
lorsqu’il nous démontre que la Reine de la nuit de la
Zauberflöte doit monter aussi haut son fa 5 que nos
actuelles cantatrices. Prétendre qu’en jouant Mozart plus
bas, à 415, on obéit au « diapason d’époque » n’est qu’un
grossier mensonge. Et c’est aussi une agression contre les
sopranos. Tant dans l’Incarnatus est de la Messe en ut
mineur K 427 que dans l’aria K 505, il leur faut chanter
un la bémol 2, déjà très bas pour une soprano « ordinaire »
qui doit ensuite, dans la Messe, grimper jusqu’à l’ut 5 ;

132
Qui composa une série de variations pour piano, K 460, sur l’air
joué pour don Giovanni.

117
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

chantant avec un orchestre accordé à 415, un demi-ton


plus bas que le diapason, il leur faut atteindre un sol 2,
pour elles une véritable torture – mais elles sont ainsi
punies d’avoir accepté de chanter avec Gardiner et autres
quatre-cents-quinzistes ! de fieffés misogynes !
Sarti reflétait un consensus européen que tous
n’avaient pas encore adopté. On a vu que la Prusse
continuait à s’accorder très haut. Les doléances auprès de
Beethoven de la Karoline Unger nous en donnent le
témoignage. Ici faut-il reconnaître le rôle unificateur joué
par les instruments en cuivre.
Ces « hauts instruments » réservés d’origine aux
fanfares et chasses seigneuriales n’ont longtemps joué
qu’entre eux, et en plein air. Mais ils s’introduisirent
progressivement au sein de la musique « roturière ».
Giovanni Gabrielli consacra leur entrée au Saint Lieu de
Saint Marc, écrivant pour eux de magnifiques canzone, les
mêlant éventuellement aux cordes. D’autres vénitiens,
Grandi, Castello, firent chanter ces nobles instruments.
Monteverdi les amena à l’opéra, où ils débutèrent leur
fonction de brillance et de solennité. Quant à Haendel, il
fournit le témoignage, dans ses musiques d’eau et de feux
d’artifice, du passage des cuivres des formations militaires
aux civiles, des formations royales133 aux roturières, et
vice-versa.
Héritiers spirituels du shofar hébreu, les trombones
– ex saqueboutes - incarnaient si bien la gravité
« religieuse », la force du destin face à la fragilité humaine
qu’ils furent sollicités en contrée réformée pour soutenir
les fidèles chantant les chorals à l’office. De façon
probablement tellement routinière que Bach n’en usa
qu’avec parcimonie. Par contre Mozart n’hésita pas à les
convoquer pour rendre plus impressionnante la
malédiction du Commandeur. Et comme tous les
133
Tels les valeureux « His majesty’s cornets and sackbuts ».

118
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

symphonistes il compta sur les trompettes pour solenniser


les accords décisifs, scander les marches et clamer certains
thèmes marquants.
Les interventions des cuivres au cours des
symphonies, des opéras furent néanmoins longtemps assez
limitées134, au point qu’ici et là on ne jugea pas nécessaire
de rétribuer des professionnels faisant carrière dans
l’orchestre. On faisait alors plutôt appel aux militaires de
la caserne voisine – chaque ville possédait la sienne. Il
fallait alors s’accorder à leurs instruments, ce qui
contribua à unifier l’accord au sein de la localité. Lors du
Congrès de Vienne, en 1814, le tsar Alexandre s’y rendit
avec la fanfare du régiment dont il était colonel. Il était
très fier de ses cuivres qui, selon Alexander John Ellis (on
en reparle, et en mal), se répandirent en plusieurs lieux
musicaux où ils imposèrent leur « diapason » prussien très
haut. Ce fut, se lamente l’Alexander Ellis, le début de la
désastreuse et fatale « perpétuelle montée du diapason ».
Toujours est-il que dix ans plus tard, lorsque Beethoven
demanda, dans sa Neuvième, un sol dièse 2 à la contralto
solo135, la créatrice Karoline Unger s’en plaignit ; d’après
Blanchard et Candé, son ambitus s’arrêtait en bas au la
2136. Si le sol dièse est sorti, selon la ferme volonté de
Ludwig van, c’est que, sous l’effet probable de la livraison
de nouveaux cuivres aux casernes viennoises, en 1820, le
diapason était monté par rapport à celui auquel la

134
Assistant religieusement, à l’Opéra de Paris, à une représentation
de Don Giovanni, je pouvais voir la première trompette faire
tranquillement son courrier pendant ses longues pauses.
135
Finale, allegro energico, mesure 11.
136
O. c., II, p. 112. Mais ils se trompent : c’est d’une note trop grave
et non trop haute dont elle se plaignit.

119
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

chanteuse était habituée, très probablement le 440 déjà


établi presque partout137.
Les premières années du XIXe siècle, il est vrai,
virent une très déraisonnable « montée vers les cimes » du
diapason. Les chanteurs en sont responsables. Les
sopranos, la Sontag, la Pasta, la Malibran, les ténors
lyriques s’efforcent de chanter le plus haut possible leur
contre-ut (ut 5). C’est à l’Opéra de Paris qu’on
« s’envole » de façon démentielle : en 1858 le diapason est
à 457 ! L’année suivante, Hector Berlioz demande
charitablement qu’on redescende à 449138 ! Il avait été une
victime du mythe de la « montée inexorable », qu’il
chiffrait à un demi-ton par siècle… Á ce tarif, à quelle
profondeur chantait-on donc dans l’Égypte antique ? Le
larynx des dames égyptiennes momifiées a pourtant la
même conformation anatomique que celui de nos Dessay
et de nos Georghiu. Toujours est-il que ces baroqueux qui
se propagent désormais dans le répertoire romantique, les
Gardiner, les Herreweghe, devraient jouer Harold en Italie
ou les Troyens à 457 pour faire dans le « vrai authentique
d’époque » : au lieu d’accorder à 430 l’Orchestre dit des
Champs Elysées : grave erreur historique !
Les Parisiens s’étaient par trop éloignés du bon
vieux 440. Pourtant il avait été proposé au Congrès de
Stuttgart dès 1834139. Ce fut le premier Congrès
international consacré au diapason. Fait de scientifiques
et de musiciens, il s’appuya sur les travaux et enquêtes du
physicien Scheibler. Ce brave homme avait inventé un
tonomètre comportant 52 diapasons-fourches. L’engin fut
137
Pas rancuneuse, c’est elle qui fit se retourner Beethoven vers le
public auquel il tournait le dos, alors qu’on ovationnait l’Hymne à la
joie.
138
Feuilleton des Débats, 27 septembre 1859.
139
Ce Congrès fondateur est superbement ignoré dans un ouvrage
paru en 2013 : Claude Abromont, Guide de la théorie de la musique,
Fayard, p 341. Ce n’est hélas pas son seul défaut.

120
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

promené un peu partout en Europe pour relever les


différents accords locaux. Après auditions, concertations
et délibérations les participants du Congrès de Stuttgart
tombèrent d’accord – c’est le cas de le dire – pour fixer le
diapason à 880 vibrations le la 3 – donc 440 hertz. Ainsi
estimèrent-ils faire œuvre raisonnable, car la plupart des
accords relevés étaient au-dessus du 440, limite supérieure
du tonomètre. Dès 1834, le 440 s’imposait officiellement
par son niveau le plus pertinent pour voix et instruments.

Figure 3 Les vicissitudes authentiques du diapason


au cours du XIXe siècle.
Il fut presque toujours au-dessus du 440 hertz fixé en 1834
à Stuttgart.
Au-dessous, en ligne pointillée, la toute mythique
« ascension du diapason », qui n’a
aucun support historique

121
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Déjà usuel depuis le milieu du XVIIIe siècle, on y


« retombe » chaque fois qu’on veut s’en éloigner.
Au cours du XIXe siècle le diapason a en effet subi
des tiraillements dans les deux sens – au lieu de suivre
cette lente et régulière ascension que fabulent baroquisants
et authenticomanes (figure 3).
L’entraînement vers le bas fut le fait de la
regrettable Commission Lissajoux-Halévy. Elle fut réunie
au Conservatoire National de Musique en 1859, à
l’initiative de Napoléon III. L’empereur protecteur des arts
et de l’industrie tenait à laisser sa marque sur la pratique
de la musique. Sa commission comprenait un authentique
savant, Lissajoux, inventeur du télégraphe optique et six
compositeurs : Halévy, Auber, Berlioz, Meyerbeer,
Rossini, Thomas. La moyenne d’âge de ces musiciens,
hélas, était fort élevée. Avec ses 56 ans, Berlioz faisait
figure de garnement. On verra qu’avec l’âge l’oreille
absolue peut subir une dégradation, chez ceux qui
vieillissent mal. Ce fut manifestement le cas de plusieurs
membres de la Commission. Ceux dont l’oreille absolue
devient sénile se figurent que le diapason monte, que les
musiciens jouent progressivement trop haut. C’est une des
origines du mythe de l’« inexorable ascension du
diapason. ». Ainsi peut s’expliquer l’absurde décision de
la Commission.
Lissajoux, en honnête scientifique, avait demandé à
24 « villes musicales » d’Europe de lui envoyer leur
diapason-fourche. Trois de ces niveaux furent au-dessous
de 440. Alors que les 21 autres, soit les sept huitièmes,
étaient au-dessus, dont 450 pour Leipzig140 et jusqu’à 455
pour Bruxelles – le plat-pays a décidément toujours eu de
hautes ambitions diapasoniques ! La moyenne de ces
documents était à 445. Horrifiés, les gérontes crurent faire
œuvre utile en adoptant le niveau le plus bas, 435 hertz.
140
Dans la ville de Jean-Sébastien !

122
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Stupide « mesure de précaution », en prévention de


l’irrépressible remontée qui ne tarderait pas à se
produire… et qui se produisit effectivement, puisque les
musiciens professionnels restèrent « sournoisement » entre
440 et 445.
La décision officielle en faveur du 435 inaugura
donc la deuxième période du diapason « à deux têtes ». Ce
diapason aberrant était devenu le diapason officiel, donc
« légal et obligatoire » pour tous les instruments
dépendant d’organismes d’état, Conservatoires, Écoles de
musique… et musiques militaires. Ne convenant pas aux
instruments alors « en service », il fallut construire, outre
des milliers de diapasons-fourches et sifflets, des vents et
des claviers à ce 435 incongru ; au grand bénéfice des
fabricants… mais sans convaincre les professionnels. Á
l’orchestre, à l’Opéra, les instrumentistes ne voulant pas
modifier-détériorer leurs précieuses flûtes ni leurs
précieux cors, pas plus qu’ils ne s’étaient décidés à acheter
une deuxième clarinette ou un deuxième basson, gardèrent
leur bon vieil instrument; accordé entre 440 et 445. Avec
la complicité des chefs d’orchestre, et des chanteurs.
On vécut ainsi en France pendant des décennies
avec deux diapasons. Celui du piano ou de la flûte
domestique, des orgues de Barbarie et des bals populaires,
des goualeuses et des chanteurs-chanteuses de cabaret, de
certaines églises et des défilés militaires, à 435. Et celui
qu’on nomma « le la orchestre », à 440. Les deux étant
incompatibles, puisque deux instruments jouant à 5 hertz
d’écart cassent horriblement les oreilles les moins
absolues. Il faut dire que certains amateurs, voulant jouer
les « pros » à la maison, accordaient leur violon ou
faisaient accorder leur piano au la orchestre. En fait
coexistaient deux mondes. La majorité de la population
n’allait pas au concert ou à l’Opéra comme nous allons au
cinéma, et avant le développement des moyens de

123
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

reproduction et de diffusion sonore les oreilles absolues


« d’époque », réglées sur un diapason ou sur l’autre ne
devaient pas trop souffrir. La souffrance commença avec
les rouleaux et la TSF. Ce qui contribua sûrement, pour
une part, à faire réclamer l’unification diapasonique.
Napoléon III n’avait pas de pouvoir décisionnel en
dehors de France et le restant de l’Europe n’écouta pas sa
prescription du diapason à 435. En particulier l’Angleterre
– ce n’était pas encore l’Entente cordiale ! Sans tenir
compte du Congrès de Stuttgart les accords british de la
fin du XIXe siècle se mirent à grimper de façon insensée.
Fut incriminé un chef d’orchestre des Philharmonic
Concerts, Michel Costa, qui s’accordait à 450. Mais les
musiciens de la British army s’accordaient à 452, on
accordait les pianos à 454 en 1885 (pauvres sommiers !) et
l’orgue d’opéra de Covent garden passa de 441 à 446 hertz
en 1879, à la demande des chanteurs. Voilà qui scandalisa
mister Alexander John Sharpe (1814-1890), acousticien de
son état. Sous le nom de A.J. Ellis il publia une série
d’articles dans les comptes-rendus de la Society of arts.
L’ouvrage qui les réunit, publié en 1885, The History of
the musical pitch fut incroyablement le premier, depuis
Praetorius, consacré au diapason.
Cette History fut un désastre, au plan de
l’historicité comme au plan de la pratique musicale. Elle
entérinait de façon prétendue scientifique le mythe de
l’inexorable, éternelle montée du diapason ; avec une
documentation restreinte et se basant principalement sur
les mesures relevées en Angleterre. Sharpe affirmait, entre
autres illusions, que Mozart s’accordait à 421,6 – précision
aussi paranoïaque que controuvée141 – une des preuves
selon lui qu’« autrefois on s’accordait plus bas » ; un
truisme si facile à croire ! – on y revient. Le

141
Racontar gobé, semble-t-il, par l’affreux René Jacobs pour saboter
ses opéras, à la vive admiration des niais.

124
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

catastrophique livre d’Ellis, partout répandu, demeura


pendant des décennies le seul « sur le marché », la seule et
incontestée référence sur le diapason. Pour les musiciens
professionnels, les musicologues, les Conservatoires et les
Encyclopédies. Tous répétaient comme perroquets « le
diapason monte toujours »142. Cette ânerie ne fut enfin
objectivement réfutée que par le savant Émile Leipp, dont
les travaux furent définitivement publiés en 1977. Ils
établissaient de façon évidente que la tendance du
diapason n’était pas à la montée, mais à la convergence.
Grâces soient rendues à cet exceptionnel scientifique, dont
la probité résista à l’emprise du lieu commun, et qui nous
ouvrit les yeux sur la fausseté d’une idée reçue. Il avait
fallu attendre presque cent ans pour renoncer à cette
nuisible contre-vérité, une glaireuse tarte à la crème dont
se repaît désastreusement le « mouvement baroque ». Pour
nous empoisonner les oreilles.
La vérité, c’est que le diapason ne bouge plus.
Depuis qu’il a été définitivement fixé. Depuis que le
monde de la musique, de façon unanime, a fini par se
mettre d’accord… sur l’accord ; par des Accords
internationaux. Tous préconisent le la 3 à 440 hertz.
Le premier accord, on l’a vu, fut celui du Congrès
de Stuttgart, en 1834. Il y a presque deux siècles. Il
entérinait la pratique la plus courante et la plus pertinente,
déjà en vigueur au XVIIIe siècle, celle à laquelle
revenaient les musiciens professionnels malgré les
incitations plus ou moins autoritaires pour jouer plus haut
ou plus bas. Les premiers enregistrements sonores que
nous pouvons consulter, faits au début du XXe siècle par
Ysaye, Debussy, Nikisch, Caruso nous font entendre la
désobéissance aux vilains Lissajoux-Halévy. Tous
jouaient, dirigeaient à 440, au « la orchestre ». Il fallut

142
Antienne reprise hélas encore en 2013 dans l’ouvrage cité de C.
Abromont.

125
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

néanmoins attendre 1939, un siècle après Stuttgart, pour


que le 435 soit récusable et que le 440 se voie
officiellement confirmé. Par l’International Standardizing
Organisation (I.S.O.), réunie à Londres (pour se faire
pardonner les excès british du XIXe siècle ?). L’I.S.O.
précisa aussi la température : 20° centigrades. Il est vrai
que par temps froid les doigts s’engourdissent, et qu’au
dessus de 20° la chaleur détend les cordes des archétistes,
des pianos et des harpes : dans une salle de concert non
climatisée, la température atteint facilement 30° au bout
d’un certain temps. D’où la précaution parfois prise de
s’accorder à 442 ou 444 en début de concert, pour se
retrouver à 440 à la fin ; précaution inutile, puisque tout le
monde « suit » le réchauffement, même les oreilles
absolues que la lente progressivité du changement ne
heurte pas.
La réunion de 1939 se tint malheureusement à la
veille de la Seconde Guerre mondiale. Mais la paix
revenue confirma ses conclusions. L’Organisation
Internationale de Normatisation (I.N.O.), réunie à
nouveau à Londres en 1953, entérina l’enquête d’un
honorable membre de l’Académie Sainte Cécile de Rome,
G. Pasqualini : le 440 est pratiqué partout en Europe, il est
devenu impossible de modifier le diapason. En dépit des
récriminations de certains chanteurs, en faveur d’un
hypothétique « diapason Verdi » à 432, parfaitement
fabulé, et totalement inapplicable.
L’AFNOR française a très raisonnablement adopté
le 440 – il n’y a d’ailleurs pas de solution alternative.
Firent de même plusieurs réunions de la Commission
Culturelle du Conseil de l’Europe. Parrainé par le
gouvernement autrichien, un groupe de travail réunit en
août 1968 à Salzbourg, sous l’égide du Président de
l’Académie du Mozarteum, un grand nombre de
professionnels de la musique en provenance de sept pays

126
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

européens : musiciens, musicologues, facteurs


d’instruments, représentants de la radio et de l’industrie du
disque. Non seulement il se félicita de l’accord
international à 440, mais de plus il recommanda que « des
moyens appropriés de contrôle soient adoptés par les
gouvernements ».
Depuis les progrès de l’enregistrement sonore,
qu’il s’agisse des disques, fabriqués par millions, qu’il
s’agisse des concerts conservés par les radios, par le
cinéma, il est facile de constater que le 440 a été partout
pratiqué, partout respecté, depuis des décennies. Le
diapason ne bouge pas, ne monte pas. Et le 440 convient à
toutes les œuvres composées à toutes les époques de la
musique occidentale. Depuis le grégorien jusqu’à nos
jours. Il convient au jazz et aux musiques folkloriques
« de chez nous », aux cornemuses, aux cabrettes, aux
tenoras et aux bombardes. Il convient aux cloches et aux
carillons. Il convient aux trompes des veneurs. Il convient
aux musiques « exotiques » de toutes contrées. Il convient
à l’énorme production « mondialisée » des musiquettes de
toutes sortes, à leurs accordéons à leurs synthés, à leurs
guitares branchées EDF, au dancing et au music-hall. Son
niveau est une mesure universelle, elle a servi et sert à la
fabrication des millions d’instruments maintenant en
service, qui contribuent et contribueront à son maintien.
Toute exécution musicale publique doit donc
s’effectuer au diapason 440 hertz. Tout instrument de
musique à sons fixes mis dans le commerce doit être
accordé à 440. Sous peine de se mettre en infraction avec
les accords internationaux auxquels la France a souscrit.
Un bon instrument est un instrument au diapason… S’il
ne l’est pas, il serait comme un instrument de chirurgie
non stérilisable. Comme un chronomètre mal étalonné.
Comme un jouet menaçant la santé des enfants. Comme

127
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

une denrée alimentaire ayant dépassé sa date de


péremption.
Il faudra bien un jour décréter que tous ces binious
baroques à 415, ne respectant pas le diapason, donc non
conformes, sont des produits non marchands, frauduleux,
impropres à la consommation.

II. Contraintes et bienfaits inattendus du tempérament

Dépendant de structures biologiques, l’ouïe


humaine ne rend pas compte de façon rigoureusement et
purement physique des phénomènes sonores. Ce qu’Émile
Leipp qualifie de « machine à écouter » est un appareillage
vivant, réagissant, avec des particularités, des qualités et
des défauts la différenciant d’une simple machine
enregistreuse. De plus, la tâche de tous ceux qui se sont
mis en tête de fabriquer des instruments à sons fixes a été
compliquée par un de ces caprices de la physique qui,
comme les nombres irrationnels, défie « notre » logique
sans qu’on puisse s’y opposer. Autant de pièges dont le
déjouement – l’établissement du tempérament - a
miraculeusement débouché sur ce cadeau inattendu : doter
chaque tonalité de sa couleur propre, de sa saveur
particulière et inimitable.

1° Les particularités humaines de la réception sonore

Du pavillon de l’oreille aux nobles couches


supérieures du cerveau, la physiologie humaine traite de
quatre façons l’information sonore.

Premier traitement : la « perception active »

Recueillie par le conduit auditif externe, le tympan


et ses osselets, l’information parvient à la cochlée de

128
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

l’oreille moyenne, à ses récepteurs, les cellules ciliées,


internes et externes. Les cellules ciliées externes possèdent
un pouvoir surprenant : l’oto-émission. C’est un
phénomène actif, qui amplifie le message reçu. Activité
plus vigoureuse chez les sujets dotés de l’oreille absolue.
Cette oto-émission contribue à bien dessiner sur
l’ensemble de la surface sensible l’image de Savart, dont
les éléments « vibrent » en accord avec l’information
reçue, à laquelle ils sont pré-accordés quand il s’agit des
vibrations musicales. Cet accord préétabli, on le verra, ne
s’applique pas au demi-ton exact, ce qui constitue un des
aléas de la construction instrumentale. Il est par contre des
vibrations « en sympathie ».
Le nerf cochléaire recueille et transmet les
informations « traitées » par les cellules ciliées. Les
potentiels d’action qu’on a pu enregistrer dans ce nerf
montrent une corrélation privilégiée entre deux messages
concomitants quand ils proviennent de l’audition
simultanée de deux sons distants d’une quinte. Ce degré
élémentaire de l’harmonie, pré-accordé par la physiologie
humaine, est à l’origine des phénomènes de consonance,
de hiérarchisation des sons musicaux, attraction,
subordination. Avec la quarte, qui est le renversement de
la quinte, et bien sûr l’octave qui les superpose, résonance
aussi bien physique que physiologique, la mise en
connivence de ces accords élémentaires avec l’appareil
réceptif est une propriété biologique commune à tous les
humains.
Tonique et dominante, la quinte est si bien
accordée à notre physiologie qu’elle permet d’accorder à
l’oreille la famille des instruments à cordes – la
contrebasse et en partie la guitare s’accordant sur la
quarte, son renversement. Ces repères sonores, avec leurs
pôles d’attraction, de dominance, ont fondé le langage
musical cohérent, obéissant au système modal ou tonal –

129
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

ce bon vieux système tonal qui a fourni, jusqu’ici,


incomparablement plus de chefs d’œuvre que ses
détracteurs et ennemis…
Dès l’étage de la réception, notre appareil auditif
met en forme – s’efforce de mettre en forme - les
informations musicales. La « révolution dodécaphonique »
prétendant « libérer » la musique de la tyrannie tonale se
basait sur une illusion d’intello. Cet « affranchissement »
était une duperie. D’autant que les lois physiques
s’opposent à ce que les douze sons de la gamme
chromatique soient rigoureusement « égaux »,
équidistants. Malgré toute sa « bonne volonté
compréhensive » Henri Dutilleux confessait que son
oreille ne pouvait s’empêcher d’entendre de façon tonale
les œuvres issues des préceptes harmoniques
schoenbergiens. Préceptes fâcheusement repris par la
plupart des compositeurs depuis le milieu du XXe siècle,
en face de la façon « naturelle » d’écouter qui demeure
celle des auditeurs de bonne volonté ; innocents
mélomanes que la musique « antitonale » déconcerte et
plonge dans un éthos angoissé.

Deuxième traitement : les répercussions


physiologiques sur l’affectivité

Les messages sonores décodés font partie de ces


informations sensorielles qui parviennent à la couche
optique du cerveau basal. De ce relais obligatoire ils
partent de deux côtés. Soit vers « l’instinct »,
l’hypothalamus (le cerveau reptilien) et le grand arc
limbique de Broca (le cerveau mammifère), là où siègent
les instances supérieures du système neuro-végétatif et de
l’affectivité. Soit vers la conscience « intelligente », les
couches supérieures du cerveau néo-cortical.

130
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

La richesse de la diffusion des messages sonores


dans la sphère instinctivo-affective fait tout le pouvoir
émotionnel de la musique. Faisant partie de la nature
humaine, cet imparable retentissement neuro-
physiologique n’est pas plus révocable que la respiration
pulmonaire ou le cycle du nycthémère. Déclarer s’en
passer, le heurter, le mépriser au profit de l’historicisme
ou de constructions sonores fruits de la seule spéculation
est agir à l’encontre de l’essence même de l’art. Qu’on
s’appelle Harnoncourt ou Boulez. Alexis Roland-Manuel a
eu le grand tort, mettant « au propre » la Poétique
musicale de Strawinsky, de lui faire dire « la musique
n’exprime rien ». Mais si : comme tout art, la musique est
vecteur d’émotion, exprime sentiments, états d’âme,
humeurs, et aspire à les provoquer chez l’auditeur. Ce que
les grecs appelaient l’éthos (έθóς) de toute oeuvre
musicale, comme nous le rappelle Ernest Ansermet143…
Ainsi peut être touchée toute la palette des affects.
Par ses rythmes, par ses mélodies, par ses
harmonies la musique s’avère donc, de tous les arts, celui
qui touche le plus l’« âme », le cœur de l’homme… et de
la femme. Qui peut provoquer pleurs de joie, palpitations,
recueillement, consolation, apaisement serein ou
encouragement à agir, entraînement à la danse… entre
autres. C’est bien pourquoi on la convoque en toutes ces
occasions qui marquent le destin humain, qu’il soit
individuel ou collectif. Pour solenniser, magnifier
commémorer l’évènement, triste ou joyeux, pour
provoquer des rassemblements d’humains éprouvant
l’émotion en sym-pathie144, et bien sûr pour les faire
danser. Si méprisables soient les musiquettes vulgaires,
elles sont capables de réunir des groupes autrement plus
nombreux que les visiteurs d’un exposition de peinture ou

143
Les fondements de la musique, o. c., p. 145.
144
Éprouver ensemble : συν-παθέιν.

131
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

l’assistance à un tragédie. La Musique est bien l’art


souverain.
C’est enfin à cet étage instinctuel que s’imprime le
« sentiment » éprouvé envers telle ou telle musique. Il
existe ainsi des musiques que l’on adore, et d’autres que
l’on déteste. C’est là que se forme le goût, qui décide de la
meilleure concordance de telle ou telle musique avec les
instances émotionnelles personnelles. Quelle joie
merveilleuse que de réécouter une œuvre aimée, chérie !
Presque aussi émouvante que le bonheur de se réveiller le
matin auprès de celle-celui qu’on aime ! C’est à juste titre
que l’on parle d’« amour de la musique ». Un sentiment
que n’éprouvent guère musicographes et authenticomanes.
Alors que, pour le fervent de l’art des sons, la musique
prodigue tous les bienfaits d’une compagne de vie de tous
les instants, constante, chaleureuse et fidèle.

Troisième traitement : la prise de conscience

Les informations sonores quittant « vers le haut »


la couche optique parviennent à la surface du cerveau, sur
la première circonvolution temporale. Là se situe l’aire
auditive (aire 41). Sous l’écorce cérébrale se trouve une
formation en omega, le gyrus de Heschl, dernière étape
réceptive des phénomènes auditifs. Elle rend compte à la
conscience de ces phénomènes sonores, émanant de la
radio ou de la fanfare municipale, émanant de la rue ou
d’un interlocuteur… entre autres. La projection de la
cochlée s’étale avec précision sur le cortex temporal, du
grave à l’aigu.
C’est probablement à ce niveau que se produit le
phénomène de convergence auditive. Il est comparable à
cette action physiologique qui ramène vers le centre du
champ visuel les perceptions latérales. Les sons les plus
graves, comme les plus aigus, sont ramenés vers le milieu

132
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

du spectre audible145. Dans ce que les accordeurs appellent


la partition, au milieu du clavier. Là où il fut judicieux de
fixer le diapason. Cette convergence fait partie de la nature
humaine. Elle rend impossible l’accord avec un étalonneur
physique. L’accordeur doit corriger à l’oreille les octaves
« du haut » et « du bas » des pianos, des orgues, il faut
agir de même avec les « mécaniques », synthétiseurs,
orgues Hammond.

Quatrième traitement : l’intellection

Ce sont les aires environnant l’aire auditive qui


mettent en œuvre l’interprétation, la compréhension, la
mémorisation des phénomènes sonores. Le planum
temporal, derrière le gyrus de Heschl, joue là un rôle
prédominant. S’agissant de musique, c’est le cerveau droit,
le cerveau des artistes, celui qui pense par sons, images,
volumes, qui est le plus sensible aux notes, au langage
musical. Tandis que le cerveau gauche, celui du calcul, de
l’abstraction, du verbe signifiant, est celui qui sait analyser
la construction des œuvres musicales et en juge la qualité
compositionnelle. Il est aussi le plus sensible à tout ce qui
se mesure en musique, donc la hauteur des notes, tandis
qu’il comprend les paroles qui les accompagnent. C’est
donc dans le planum temporal gauche que se produit
l’encodage des hauteurs définissant l’oreille absolue. Il
est plus développé que le droit chez qui en possèdent le
don, ce que l’on objective en I.R.M. La preuve biologique
que l’oreille absolue n’est pas un mythe.
Unissant la réceptivité particulière de chacun des
deux hémisphères, unissant l’intelligence logicienne du

145
La maladie de Gabriel Fauré fut l’excès de cette convergence. Les
aigus et les graves lui sonnaient faux, ne le laissant entendre juste que
dans le medium. Il eut néanmoins le génie de composer « de tête » ses
derniers chefs-d’œuvre.

133
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

néo-cortex et la sphère « instinctive » des affects la parole


chantée est la forme musicale la plus prégnante. On
connaît tous ses pouvoirs, de la délectation raffinée de la
mélodie – du lied - classique aux entraînants hymnes
guerriers146, en passant par la cantate, l’art lyrique, les
cantiques et les chansons que les humains fredonnent sur
toute la surface du globe.

2° La laborieuse édification des gammes

Les quatre cordes des plus anciennes lyres


antiques, leur tétracorde jouait quatre notes sur l’ambitus
d’une quarte (par exemple do ré mi fa); soit trois tons et un
demi-ton. Comme la quarte, le ton est un universel, dont la
pertinence de réception-intellection est commune à tous
les humains. La place du demi-ton va définir le mode. Non
moins universelle est la réception-intégration de l’octave,
que la physique confirme comme résonance naturelle :
c’est la première harmonique. En égrenant un deuxième
tétracorde (par exemple sol la si do) à un ton au dessus du
premier, on atteint cette octave, ce qui constitue une
gamme : 3 + 1 + 3, sept tons + 2 ½ tons = huit tons.
En fonction de la note prédominante, déterminant
les dessins mélodiques et la conclusion de l’oeuvre, la
musique modale, née monodique (à une seule voix),
obéissait à sept modes (mode phrygien sur le mi, mode
dorien sur le ré, lydien sur le fa, etc.). Chaque mode
correspondait déjà à un éthos particulier. La musique
tonale, qui admit la tierce comme intervalle consonnant,
épanouit l’harmonie tout en n’utilisant que deux modes :
le mode majeur et le mode mineur - grosso modo deux
mondes émotionnels ; elle épanouit la polyphonie et

146
Dont La Marseillaise ! Mais aussi l’Internationale, Giovinezza, ou
le Horst Wessel Lied… Les deux camps de la Guerre de Sécession,
eux, chantaient les mêmes cantiques.

134
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

exigea l’usage de tous les demi-tons séparant les tons


entiers – alors que la musique modale n’avait « inventé »
que le « mollissement » du si, le si(B) mol, baissé d’un
demi-ton pour éviter l’accord de quarte augmentée, fa-si
bé(B) carre (carré, blessant147) « diabolus in musica » : la
première des surprises guettant ceux qui voulaient marier
la nature « physique » et la nature humaine. La gamme
chromatique fut rendue possible par le parcours de tous les
degrés que ne séparait qu’un demi-ton.
Au fur et à mesure que se développa la fabrication
instrumentale il fut nécessaire de dépasser le « bon vieux »
tétracorde pour des instruments à l’ambitus plus étendu,
parcourant d’abord l’octave (les cithares grecques), puis
faisant sonner le grave et l’aigu de chaque côté du médium
antique (l’orgue), s’étendant enfin jusqu’aux sept octaves
et une tierce du piano actuel, le clavier fournissant tous les
degrés de la gamme chromatique. Empêcher les
instruments à sons fixes de sonner faux au fur et à mesure
qu’ils fournissaient de plus en plus de notes ne fut pas une
petite affaire. Car il a fallu ruser autant avec les caprices
de la physique qu’avec ceux de l’acoustique humaine.

1. Les caprices métriques de la physique

Les vibrations des corps sonores ne fournissent pas


qu’une seule note – celle qui prédomine. Derrière – au-
dessus – d’elle sonnent des harmoniques : des notes
subordonnées dont le nombre donne au degré principal sa
saveur auditive. Les quinze premières harmoniques
s’étagent sur quatre octaves. Les trois premières sont
l’octave et la quinte : pas de conflit entre l’oreille et le son
fourni. Les choses se compliquent avec les harmoniques
suivantes, qui fournissent de quoi fabriquer une gamme.

147
Les arbalètes lançaient des carreaux, des flèches dont la base du fer
était quadrangulaire.

135
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Pour bien repérer le niveau de ses degrés physiques, le


grec Aristoxène a divisé une corde vibrante en 2, 3, 4, 5,
etc. segments égaux. Les harmoniques apparaissent les
unes après les autres. La gamme qu’elles permettent
d’établir, ramenées à la hauteur de l’octave initiale est la
gamme « des physiciens ».
Cette gamme des physiciens, ou de Zarlin148,
quoique tout à fait « naturelle », a un gros défaut. Elle rend
dyssymétriques les deux tétracordes. L’intervalle du ton
n’est pas le même pour les deux. Ainsi la « nature »,
capricieuse, fournit-elle des tons grands ou petits, majeurs
ou mineurs. L’intervalle séparant ces deux « tailles » de
ton est incompressible : c’est le comma149 de Zarlin. Il se
mesure : 5,55 savarts – le savart étant le plus petit
intervalle de hauteur repérable par l’oreille humaine (cf.
infra). Pour cette oreille, le seuil de fausseté est franchi.
Impossible d’utiliser deux instruments accordés « à la
Zarlin » à partir de deux toniques différentes. Impossible
de faire jouer un instrument accordé « à la Zarlin » avec
un instrument à l’accord tempéré. Impossible donc de
jouer autre chose que de petites mélodies à une seule voix
sur un instrument tristement seul et sonnant faux. Ainsi
s’explique pourquoi les instruments fournissant
vaillamment les harmoniques naturelles – dont les cors –
doivent se soumettre au tempérament pour ne pas trop
grincer avec les collègues de l’orchestre.
Se fiant à l’accord si « naturel » entre la quinte
physique et la quinte perçue, d’autres physiciens avaient
pensé qu’on pouvait se fier à la superposition des quintes
pour fournir les bons degrés des gammes. A la douzième
quinte on « retombe sur ses pieds » : si dièse par exemple,
enharmonique de l’ut dont on est parti. Le calcul permet,
en multipliant par 3/2 la fréquence d’une note d’obtenir la

148
Gioseffo Zarlino (1517-1590), vénitien élève de Willaert.
149
Κομμά : ce qui est coupé, fragment.

136
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

fréquence de la quinte supérieure. On pouvait ainsi penser


établir simplement les fréquences permettant d’accorder
tous les instruments à sons fixes. C’est la gamme de
Pythagore.
Malheureusement chaque degré trouvé par ce
calcul de fréquence s’éloigne progressivement du
« véritable » bon degré : si bien qu’arrivé à (3/2) x 12 on
n’obtient pas la deuxième harmonique : la note située à la
douzième quinte est bien trop haute. Si, au lieu de monter
les quintes, on les étage vers le bas, on se heurte au même
problème irritant : la dernière quinte est trop basse. La
dernière note obtenue par le calcul « grince » donc,
séparée du bon degré par le comma de Pythagore, soit
5,88 savarts. Là encore le seuil de fausseté est franchi.
Une solution pratique avait été trouvée par les accordeurs :
tricher sur la dernière des quintes, baptisée « quinte du
loup » ; celle qu’il faudra raccourcir pour qu’elle ne
« hurle » pas. La sacrifiée est habituellement fa dièse-do
dièse. Mais le très émérite Serge Cordier se fait désormais
fort d’un accord à quintes égales150.

2. Les caprices métriques de la physiologie


acoustique

On a vu supra la convergence auditive vers le


medium que notre physiologie fait subir aux sons les plus
élevés et les plus graves. Ce n’est pas la seule « fantaisie »
de cette physiologie réceptrice.
L’oreille humaine possède sa propre jauge pour
mesurer la hauteur des sons. Elle est étalonnée sur le plus
petit intervalle de hauteur perceptible. C’est le savart, du
nom du savant qui l’a décrit. Tout serait simple si ce savart
biologique s’harmonisait avec les mesures physiques.
Mais la nature humaine a ses caprices : l’octave contient
150
Piano bien tempéré et justesse orchestrale, o c.

137
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

301 savarts ; un de trop pour tomber juste à 300 ! Faire


coïncider mesure physique et mesure biologique ne peut
donc être qu’approximation. Le ton vaut ainsi 50 savarts
ou presque, le demi-ton 25 savarts ou presque. Le spectre
sonore s’étale sur 2000 savarts ou presque. Et le demi-ton
exact ne va jamais tomber juste sur le bon savart : notre
oreille ne supporte ainsi que les divisions impaires du ton.
Ce qui fit avorter toutes les tentatives d’écrire en quart de
ton : des amusettes mort-nées désespérément fausses,
inaudibles. Un certain tiers-mondisme s’extasie (parfois à
juste titre) devant les musiques extra-européennes, et se
délecte des micro-intervalles que certaines utilisent. Ses
tenants, considérant odieuses les gammes tempérées
occidentales se régalent de ce qu’ils croient dur comme fer
être des quarts de ton. Ce sont en réalité des tiers ou
cinquièmes de ton: l’écart que jouent souvent nos
archétistes entre la tonique et la note sensible, juste en
dessous.
Le savart est donc le juge « biologique » de la
fausseté. Est faux le son qui s’écarte de 5 savarts du ton
juste ; une reconnaissance des fausses notes commune à
tous les humains. Lorsque la fausse et la bonne note sont
émises simultanément par instruments ou chanteurs il se
produit ce que les physiciens appellent des battements
désagréables - ou comiques sur le piano bastringue. On a
vu que les commas de Zarlin et de Pythagore franchissent
ce seuil de fausseté. Fournir justes des demi-tons
préétablis pose d’autres problèmes.
Sous les doigts des claviéristes (orgue, clavecin,
piano, etc.) la touche intermédiaire, entre deux touches
séparées par un ton, ne peut être un véritable demi-ton
physique. Lorsqu’on a construit la mécanique des orgues
Hammond, des synthétiseurs, on a entendu ces véritables
demi-tons physiques : des sons plats, morts. Et on s’est

138
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

rendu compte que les accordeurs avaient eu raison, en


ayant adopté le compromis impair accepté par l’oreille.
Le comma de Holder avait été établi à partir des
deux tierces fournies l’une par la gamme de Pythagore,
l’une par la gamme de Zarlin : c’est le chiffre de leur
différence. Il correspond à un neuvième de ton – donc une
fraction impaire à laquelle il faut adapter les accidents,
dièses et bémols. Le dièse haussant une note d’un demi-
ton ne peut donc qu’en théorie être le même degré que le
bémol de la note supérieure. Si on opte pour chiffrer
l’altération à cinq commas, le dièse cinq commas au-
dessus (par exemple do dièse), le bémol cinq commas au-
dessous (par exemple ré bémol) on s’oblige à mettre deux
touches entre le do et le ré. Les tentatives pour construire
des claviers à dièses et bémols différents n’ont fourni que
des instruments impraticables. Le consensus s’est
finalement établi pour que la touche noire fournisse un
dièse151. Donc un demi-ton « long » entre do et do dièse, et
un demi-ton court entre do dièse et ré – le même qu’entre
mi et fa, si et do, sur les touches blanches.
Ce fut un des pas décisifs pour fonder le
tempérament. En acceptant une « petite fausseté »
physique acceptable par l’oreille on peut établir le
tempérament dit égal, permettant de jouer dans toutes
tonalités. C’est Werckmeister qui publia l’ouvrage
définitif guidant l’accord tempéré : Über musikalische
Temperatur. En 1691. JSB avait six ans.
Malgré cette parution salvatrice, certains organistes
se cramponnèrent à leur tempérament inégal – il en est de
plusieurs sortes, tous limitant le répertoire jouable sur
l’instrument. JSB morigéna son ami Silbermann,
cramponné à son tempérament mésotonique. Les
masochistes authenticomanes du XXe siècle se régalèrent
évidemment de ces réglages inégaux fournisseurs de
151
Bragard et de Hen, o. c., p. 157.

139
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

fausses notes, car dès qu’on sort des trois ou quatre


tonalités simples prévues par la facture en tempérament
inégal de l’orgue, les dièses et les bémols couinent
horriblement. Impossible évidemment de jouer sur ces
vieilles excentriques le répertoire organistique de Bach.
JSB fut donc un chaud partisan de ce tempérament
égal, sur lequel il accorda les instruments en sa possession
et ceux de son travail. Il lui a permis d’écrire en fa dièse
majeur comme en sol dièse mineur, ce qui était auparavant
impossible. Il en fit la démonstration dans les deux
géniaux cahiers de son Wohltempierte Klavier, parus en
1715 et 1722 – le pain quotidien des pianistes. Or cette
écriture dans toutes les tonalités n’était pas seulement un
exercice théorique, un défi, une prouesse technique. Elle
profitait de ce cadeau inestimable fourni par le
tempérament dit égal : la coloration affective des tonalités.
Gloire à notre Jean-Philippe Rameau, qui adopta lui aussi
le tempérament « égal » en 1737. Traiter ce génie de la
théorie musicale de « compositeur baroque » est une
infamie. Il fut quand même le premier à rédiger en 1722
un Traité de l’harmonie, que bien peu des actuels
baroquolatres serait à même de comprendre.
L’authenticomane amateur de tempérament inégal
n’a pas de mots assez dédaigneux pour stigmatiser le
« rouleau compresseur égalitariste » du tempérament
égal152. Ignorant que cette « égalité » n’est qu’un procédé
commode d’accord, alors que cet accord consacre
d’inévitables inégalités. La tierce majeure do-mi, par
exemple, de l’ut majeur, n’a pas la même dimension que
la tierce majeur ré-fa dièse du ré majeur, plus longue.
Chaque gamme tonale possède ainsi ses intervalles
particuliers, ce qui différencie le mi majeur du la majeur,

152
J’ai publié dans mon numéro de la Revue musicale un article d’un
certain Michelin, consternant d’incompétence et d’agressivité. Cet âne
hargneux croyait que Bach militait pour un tempérament inégal…

140
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

le si bémol mineur du ré mineur. Toutes ces gammes sont


justes, mais différentes, non superposables. Émile Leipp a
publié le tableau des fréquences tempérées utilisées par les
accordeurs actuels153, qui m’a permis d’établir les schémas
démontrant les inégalités d’intervalle d’une gamme à
l’autre (figure 4).
Ces inégalités tonales se répercutent
inéluctablement dans la sphère cérébrale « des
sentiments », des émotions. Chaque tonalité possède ainsi
son éthos particulier154. Déjà aux temps de la musique
modale antique, la place du demi-ton donnait sa couleur à
chaque mode. Le phrygien était combatif, l’éolien
élégiaque, etc. Les luthistes aussi avaient leur ton « de la
chèvre » (fa dièse mineur) leur ton « enrhumé » et même
leur « ton juif ». Du jour où s’établit définitivement le
tempérament dit égal le ré majeur put se montrer
triomphal, le mi majeur ensoleillé, le la mineur exotique,
etc. J’ai dit couleur, mais on pourrait aussi bien dire
parfum. Ô le parfum suave du la majeur de Mozart, du ré
bémol majeur chanté par Richard Strauss !
J’indique ci-dessous la palette des affects véhiculés
par chaque tonalité, pour déplorer leur piétinement par le
415. Du fa dièse mineur attristé de Rameau au fa dièse
majeur exultant de Messiaen les compositeurs utilisèrent à
dessein ces propriétés particulières, pour notre plus grand
émerveillement, notre plus grande adhésion affective.
Voilà qui fut récusé par l’a priori anti-tonal155 décrété par
Schoenberg. Bien à tort.

153
Je l’ai repris dans Le Diapason, p. 98.
154
« C’est cette qualité expressive qu’ont, pour nous, les tonalités ».
Ernest Ansermet, o. c., ibid.
155
Je préfère anti-tonal à atonal, car le bon petit dodécaphoniste n’a
pas droit au moindre accord consonnant. Octaves et quintes
interdites ! Dixit magister Arnold.

141
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Figure 4: échelonnement inégal des demi-tons


dans les gammes tempérées
A droite : « couleur » de trois gammes,
ut, si, si bémol majeurs.

142
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Le système dodécaphonique reposait sur l’égalité


des douze demi-tons de la gamme chromatique. Egalité
tout à fait chimérique, puisque le tempérament établit des
demi-tons longs et des demi-tons courts. Les douze demi-
tons ne sont donc pas équidistants les uns des autres, et à
un moment ou l’autre certains degrés vont imposer leur
prédominance. C’est bien ce que Dutilleux appelait
écouter de façon tonale la musique anti-tonale. Pour tenter
d’échapper à cet éthos flottant angoissé monochrome,
signature indélébile du dodécaphonisme.
Le réglage des instruments à sons fixes sur le
tempérament égal impose enfin aux instruments à cordes
de faire un petit effort d’adaptation. Glissant sur la corde,
le doigt des archétistes leur permet en effet de fournir des
« vrais » dièses, de « vrais » bémols. Mais qui ne tombent
pas automatiquement sur les dièses et bémols qui sortent
des hautbois et des trompettes. Pour éviter les
désagréables battements, la solution fut trouvée. C’est le
vibrato, qui non seulement rend la note plus expressive,
mais aussi, l’enlaçant par en haut et par en bas, lui permet
de se marier avec celle donnée par vents et/ou claviers
.Restant dans un ensemble de cordes on peut certes se
priver de vibrato, mais on émet des sons tristement plats,
lugubres, « sans âme » : le son de débutants. Quant à
récuser le vibrato dès qu’on assemble cordes, vents et
claviers, au nom d’un son « pur » présumé parfait
immaculé ce n’est pas seulement une chimère, puisque le
sol du violon n’est pas assuré de se marier avec celui du
cor, c’est aussi se condamner à jouer faux au nom d’un
puritanisme dévastateur et sous-informé. Car le vibrato
avait été préconisé dès 1634 par le Père Mersenne, dans
son Harmonie universelle. Roger Norrington devrait
réviser ses classiques ! (pardon : ses baroques !).

143
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

QUATRIĖME MOUVEMENT. FORLANE

L’OREILLE ABSOLUE

L’oreille absolue est la faculté de reconnaître la


hauteur des notes sans fourniture d’un repère préalable.
Elle permet de fournir par le chant telle ou telle note
demandée, toujours sans repère préalable. Elle met enfin le
nom des notes sur les musiques en représentation
mentale : les « airs » que l’on a « dans la tête ». C’est ainsi
un avantage plus gratifiant que l’oreille relative, que
possèdent la majorité des musiciens professionnels, mais
qui exige la fourniture d’un repère identifié.
*
Sa naissance
*
C’est une propriété transmise génétiquement, sur le
mode autosomial récessif à faible pénétrance. Mais elle
n’est pas toujours détectée, en raison des conditions de son
objectivation. Elles sont doubles, celles liées à l’individu
et celles liées à son environnement. Le legs génétique
fournit une prédisposition, que le destin individuel va
pouvoir développer ou non.
La génétique ne favorise qu’une minorité
d’individus. Minorité néanmoins non négligeable. Au
moins 20% des professionnels de la musique : deux fois
plus que de gauchers ! Mais en 1995 le même Claude-
Henri Chouard avait pu trouver jusqu’à un tiers d’oreilles
absolues au sein de 183 professionnels156. Le chiffrage
exact dans la population globale demeurera impossible à
obtenir, ce qui n’est évidemment pas une raison pour
considérer l’O. A. comme une rareté négligeable. Là où

156
Étude environnementale et électrophysiologique de l’oreille
absolue, o. c.

145
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

elle est le plus aisément objectivée, dans les familles de


musiciens dotées de la prédisposition, tout le monde ne la
développe malheureusement pas, en raison des lois de la
génétique qui en font un caractère récessif, pas toujours
émergent. On y considère alors comme « vilains petits
canards » ceux-celles qui « passent à côté » ! On a vu
supra la traduction anatomo-physiologique de l’O. A.
constituée : la plus grande activité oto-émettrice des
cellules ciliées externes, et le développement privilégié du
planum temporal gauche.
L’apparition de l’O. A. se fait généralement dans la
deuxième décennie de l’existence, qui constitue
manifestement une période de sensibilité, lorsque
l’expérience musicale de l’individu, et le développement
de sa maturité intellectuelle sont suffisants. Ce phénomène
de période sensible intervient dans l’acquisition de
certains comportements157. La neuro-physiologie utilise
alors une protéine favorisant l’apprentissage : le
valproate158.
L’évènement est surprenant et subit, plongeant le
bénéficiaire dans l’étonnement… et le ravissement.
Certains, comme Mozart, ont pu bénéficier plus tôt de
cette véritable révélation159 formés de bonne heure à la
musique. Alors que ceux que la génétique en laissera
dépourvus n’ont aucune chance de la voir apparaître,
dépassée la fin de cette deuxième décennie. Ils peuvent
s’en désoler, mais malheureusement sans espoir
d’entendre un jour les notes dire leur nom. Quelles que
soient les méthodes parfois et mensongèrement proposées

157
CF G. Z. Biologie et comportements humains, éditions Sauramps
médical, 2009.
158
Cf. « La molécule qui donne l’oreille absolue », Le Figaro, n°
21608, 26 janvier 2014.
159
Mutatis mutandis, le phénomène s’apparente à l’apparition elle
aussi subite et surprenante du premier orgasme vaginal.

146
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

pour faire éclore le don chez ceux qui ne l’ont point. Cela
ne les empêchera pas d’être de bons musiciens, voire de
géniaux compositeurs comme Chopin. Par contre la déesse
de la musique fit bénéficier de l’O. A. Schumann, Saint-
Saëns, Ravel – et probablement d’autres qui n’ont pas jugé
utile de s’en targuer.
Une fois apparue, l’O. A. dote le musicien d’un
diapason interne qui ne le quittera plus – sauf altérations
pathologiques. La réception nominative des notes lui
paraît désormais toute naturelle et toute immédiate. Parfois
à l’étonnement de son entourage160, qui peut le soupçonner
d’imposture, puisque son expérience est incommunicable ;
mais on n’a pas manqué ici ou là de vérifier la véracité de
ses dires grâce à piano ou autre. Exhibition de foire qu’on
a infligée au petit Mozart comme au petit Saint-Saëns.
Le phénomène est connu depuis longtemps en
Occident. Au moins depuis qu’existent cloches et
carillons. Dans les ateliers de fonderie des « accordeurs »
ont depuis toujours guidé l’ajustement, le moulage des
cloches pour qu’elles « sonnent juste ». Á défaut d’en
posséder un sur place, on faisait appel à certains
spécialistes itinérants161.
Mais sur le reste du globe certains humains
possèdent la prédisposition génétique dans la même
proportion. C’est le cas de ces hommes et femmes
d’attaque faisant démarrer les chants traditionnels. Ici

160
Je n’ai jamais pu convaincre un musicologue aussi éminent que
Jacques Chailley de l’existence de l’oreille absolue. D’après lui ce
n’était que « question de mémoire ». Consternant déni.
161
En 2013 on a restauré les cloches de Notre Dame de Paris. En se
guidant sur le fa dièse du gros bourdon – celui que Ravel évoque dans
sa Vallée des cloches - on a construit un carillon constituant la gamme
de fa dièse majeur. Tonalité originale mais difficile à marier avec
d’autres musiques éventuellement concomitantes. Il eût été préférable
de prendre le fa dièse comme médiante de la gamme de ré majeur,
d’un emploi bien plus courant.

147
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

doit-on penser que chez eux le diapason interne a sa


correspondance dans la sensibilité proprioceptive des
cordes vocales. Des chanteuses émérites comme Mado
Robin, Mady Mesplé, toutes deux dotées de l’O. A., ont
déclaré ressentir ce degré de contraction musculaire du
larynx en rapport avec la hauteur des notes émises. Voilà
qui ne préoccupe guère ceux et celles, volatiles du genre
Bartoli, qui changent de diapason comme de chemise,
pourvu qu’on vende bien le CD.
Une deuxième condition individuelle est la
pratique précoce et assidue de la musique. C’est-à-dire que
pour connaître le nom des notes, il faut l’avoir appris, fait
du solfège. Dès qu’on sait lire. Les petits « latins », slaves,
magyars sont là favorisés, avec les la si do ré mi fa sol la –
qua e tota la musica disait Mozart. Des monosyllabes bien
coulants. Le petit nom des notes est plus difficile à
enregistrer pour les petits germanophones et anglophones :
va pour A, B, D, E, mais C, F, G et H sont plus
« rugueux ». Ce vocabulaire élémentaire doit évidemment
servir dans la lecture de ce que le jeune chante ou joue
régulièrement. La pratique d’un instrument à sons fixes,
flûte ou piano, est un élément favorisant la révélation de
l’O. A. Mais les petits archétistes sont formés à la justesse,
pour fournir la « bonne » note. Ce sont de toute façon de
bons arguments pour ne pas hésiter à faire apprendre la
musique de bonne heure à ses rejetons.
Il y a une ombre au tableau : l’apprentissage
précoce d’un instrument transpositeur comme la clarinette
(on ne « se met » pas au cor à sept ans !). Les petits dotés
de la prédisposition vont appeler do le si bémol (pour la
clarinette en la, on verra plus tard !). Ceci ne les
empêchera pas d’être réceptifs à la couleur des tonalités,
d’être émus par le dramatisme du sol mineur, la candeur
de l’ut majeur, même s’ils les appellent autrement.

148
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Sur le fonds génétique, deux conditions


environnementales sont absolument indispensables. La
constance du diapason, et la pratique du tempérament.
Car la naissance de l’O. A. est initiée par la concordance
de la hauteur et de la couleur de chaque tonalité. Encore
faut-il que le petit humain baigne dans un environnement
musical où tout le monde joue au diapason.
Voilà qui explique pourquoi les fluctuations
diapasoniques provoquées par les baroqueux vont faire
avorter la prédisposition native. Et qui permet d’avoir
quelques lueurs sur la progressive convergence des
diapasons au cours de l’histoire. Car les oreilles absolues
ont très certainement agi, pour renforcer les aspirations
des chanteurs et instrumentistes en faveur de l’unification
diapasonique.
Unification désormais bafouée par baroqueux et
authenticomanes.
*
Ses merveilles
*
Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir
Baudelaire

L’apparition de l’oreille absolue est un


émerveillement. Du jour où elle s’est révélée, la partition
des œuvres musicales s’imprime tout naturellement dans
la tête de l’auditeur. Contrairement à ce que pensent
certains mal informés, l’O. A. n’est pas une « petite
machine à reconnaître le la ». Ce sont toutes les notes
qu’elle entend, l’harmonie au complet. L’immédiate
transcription de la dictée musicale.
Les pianistes dont je suis peuvent immédiatement
reproduire sur leur clavier ce qu’ils viennent d’entendre –
et s’en rappelleront. Au fur et à mesure que l’oeuvre se
déroule, l’O. A. suit intimement le discours musical, fait

149
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

corps avec. La couleur, le parfum de la tonalité lui en sont


amplifiés pour ajouter à la délectation du mélomane.
Oserai-je dire que les porteurs de l’O. A. sont les fervents
de musique les plus favorisés pour jouir de l’art des sons ?
Les plus réceptifs à la musique : οι άριστοι (affreux
élitisme !). Bénis par la muse Euterpe – par la nature, par
le don transmis par leurs parents. Combien j’en remercie
mon père ! Mais ce bonheur n’est pas le seul bienfait
prodigué par l’O. A.
Elle confère une incomparable facilitation dans la
compréhension, l’intellection de l’œuvre entendue. Ainsi
peut-on savoir, en fonction de la tonalité, si l’oeuvre
diffusée par le tuner allumé ex abrupto en est à
l’exposition ou à la réexposition. Ainsi peut-on suivre - et
admirer - le jeu des modulations qu’explore le
développement d’un morceau de sonate ou de symphonie
classique ; suivre ces modulations qui font le charme si
délicieux des mélodies de Fauré. Ainsi peut-on s’amuser
des « petites farces » que fait Haydn, prenant une tonalité
« incongrue » pour le mouvement lent d’un quatuor. Ainsi
peut-on, si on la possède, retrouver sur la partition
l’endroit entendu d’une oeuvre en cours d’exécution.
Et il faudrait renoncer à tous ces bonheurs ? Sous
l’effet de l’agression par de pédants arrogants berlurant
sots et ignorants ? Quelle lâche démission !
*
Ses souffrances
*
L’oreille absolue peut souffrir sous l’effet de deux
causes. La cause interne relève de la sénilité auditive. Le
changement de diapason est la cause externe, celle qui
provoque les souffrances les plus fréquentes. Leur
insupportabilité, l’outrecuidance de leur imposition fut le
primum movens de ce texte.
*

150
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

L’altération endogène de l’O. A. la plus commune


est donc le mauvais vieillissement. Dans le cadre de ce
que la médecine O.R.L. appelle la presbyacousie.
Le phénomène est variable selon des individus.
Comme tous les signes témoignant de l’usure organique
liée à l’âge : chacun la subit de façon particulière, plus ou
moins tôt, plus ou moins intensément selon sa constitution
héritée. Ce qui est fort injuste, mais imparable. L’usure de
la cochlèe fait progressivement perdre la réception de plus
ou moins de fréquences dans le grave et dans l’aigu,
perdre plus ou moins d’harmoniques. Le(la) « dur(e) de la
feuille » peut ainsi aller jusqu’à la surdité.
Concurremment à ces altérations, l’O. A. peut se
dégrader. Le diapason interne ne « colle » plus avec le
diapason « externe » resté en place. Il « décroche » et
baisse. Le phénomène entraîne les récriminations de qui le
subit : « c’est affreux, ils jouent de plus en plus haut ! ».
J’ai entendu s’en plaindre Marcel Landowski vieillissant.
Évidemment, il est fort pénible d’entendre le Boléro de
Ravel sonner en ré bémol majeur, la Cinquième
symphonie en ut dièse mineur. Il n’y a malheureusement
aucun remède. Qui est atteint par ce décrochage doit subir
cette pénible « hausse » du diapason, ou ne plus écouter
que son piano, ou son violoncelle, accordé à son oreille.
Cruelle privation.
Ce mauvais vieillissement de l’O. A. a eu de
fâcheuses répercussions, quand des décisionnaires en
pâtissant ont fait prendre des mesures touchant tout le
monde de la musique. Ce fut de façon très évidente le cas
de la plupart des membres de la déplorable Commission
Lissajoux-Halévy. Victimes de la fable selon laquelle « le
diapason monte toujours », et victimes personnelles de
leur presbyacousie. Ces gérontes ont à la fois officialisé le
mythe de l’irrésistible monté du diapason, et contraint
leurs contemporains à adopter l’incongru la 3 à 435. Qui

151
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

ne correspondait pas au diapason alors majoritairement


utilisé, et a condamné plusieurs générations de musiciens à
vivre sur deux diapasons. Bifidité funeste que nous fait
subir à nouveau, et sans la moindre raison estimable, le
fameux « mouvement baroque ».
*
Le changement délibéré de diapason est l’agression
externe qui affecte le plus communément l’O. A.
L’altération du diapason peut certes se produire
« innocemment ». Péchés véniels. C’est le cas de ces
pianos « anciens » négligés dont on a laissé les cordes se
détendre, et qu’il faut subir « pour faire plaisir » en visite
ou en vacances. Cela ne dure guère. C’est aussi le cas du
mauvais réglage de certains appareils de reproduction
sonore, ceux « qui tournent », magnétophones, tourne-
disques. Tournant trop vite, ils font monter le diapason, ils
le font baisser dans le cas contraire. Cela s’est parfois
produit, par négligence, lors du passage au vinyle 33 tours
des anciennes cires à 78 tours ; se produit parfois encore
lors du repiquage mal contrôlé du vinyle au CD. Il fallut
aussi le subir lorsque la bande-son des films pâtissait de la
vitesse différente du déroulement de l’image lors de leur
passage à la télévision. Les cors des westerns bramaient en
fa dièse majeur… surprenant ! Les techniciens ont
remédié à ce désaccord.
Le péché est mortel quand le changement de
diapason est délibéré. Bien qu’il fasse partie des « titres
de gloire » des baroqueux et authenticomanes. Schisme
effectué par des gens n’ayant aucune idée de ce qu’est l’O.
A. et se foutant comme d’une guigne de ce qu’ils allaient
faire subir à certains de leurs congénères.
L’incompréhension totale des exigences de l’oreille
absolue, la totale méconnaissance des souffrances que lui
font endurer les « diapasons » non conformes peuvent se
lire sous la plume d’un de ces musicographes dont

152
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

l’épaisseur de la documentation historique n’est pas


obligatoirement génératrice de sensibilité musicale :
« Tout porte à croire que Bach possédait une
oreille ‘absolue’ et d’une remarquable acuité, mais cette
acuité, précisément, devait lui faire apprécier plus
intensément les nuances, que le diapason soit celui du
Chorton, du Kammerton, ou du tief Kammerton »162.
Ainsi donc, JSB était masochiste au point de se
délecter des décalages diapasoniques qui martyrisent les
porteurs de l’oreille absolue « ordinaires » ! On croit rêver
devant un tel contresens. Je pense tout au contraire que le
diapason unifié de Saint Thomas lui avait bien reposé
l’oreille, lui faisant peut-être retrouver un accord
longuement pratiqué dans sa jeunesse.
Il avait été si facile de faire admettre aux oreilles
« non absolues » que l’abaissement du diapason était tout
à fait légitime. Mais bien sûr ! C’est évident ! Autrefois on
s’accordait plus bas ! Les montgolfières ne montaient pas
aussi haut que les sondes spatiales, les diligences
n’allaient pas aussi vite que le TGV163, etc… Voilà de
beaux truismes, de belles évidences du style « la Terre est
plate », « le Soleil tourne autour de la Terre », etc… Et
puis n’était-ce pas une mesure charitable envers les
« pauvres » sopranos, qu’on dispense ainsi de trop monter
dans l’aigu ? On oublie ainsi qu’on contraint les contraltos
et les basses à s’étrangler dans le grave – tandis que les
« bonnes » coloratures se foutent de cette pitié mal placée.
Sollicitude d’ailleurs à sens unique. Ceux qui prétendent
ménager les dames sopranos se pâment d’admiration aux

162
Gilles Cantagrel, Tempérament, tonalités, affects… in Jean-
Sébastien Bach, Ostinato rigore, Jean-Michel Place, 16/01, p. 39.
163
Et les femmes avaient le vagin moins large ! Stupéfiante révélation
anatomique que nous apprend une chanson de Roland de Lassus : « En
un chasteau ». Citée dans Le Diapason.

153
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

exploits des contre-ténors « virtuoses » cocotant dans le


suraigu.
Les baroqueux n’ont donc pas trouvé grande
résistance lorsqu’ils décidèrent de jouer plus bas que les
gens normaux, prétendument « à l’ancienne ». Ce qui leur
permit de prendre leurs distances avec le reste du monde
de la musique, de faire sécession, et de pouvoir « fricoter »
entre eux au sein de la baroque-society. Avec
l’approbation des ignorants. Ceux qui comprennent mal
qu’en changeant de diapason on inflige aux O. A. un
supplice du style de celui qu’affectionnait le père Ubu :
« le petit bout de bois dans les oneilles »164. Ce supplice
c’est :
la non-concordance entre la hauteur et la couleur
des tonalités. Un déchirant divorce.
N’en souffrent évidemment pas les héros de la
baguette baroque, de l’Harnoncourt aux Gardiner,
Herreweghe et autres Koopman, qui furent et demeurent
les agents de la rupture diapasonique.
« Bienheureusement » exempts de l’oreille absolue ils
n’ont pas souffert en reniant le diapason de leur
apprentissage de la musique. Ils ne souffrent pas en
dirigeant tantôt à 440, tantôt à 415 voire éventuellement à
392 si ce n’est 430 ; du moment qu’ils sont rémunérés ! Le
comble de la veulerie devant l’authenticomanie est atteint
par ces « sourds » qui, tels l’orchestre baptisé Les Siècles,
changent de diapason et d’instruments au cours du même
concert ; comme Maître Jacques change de chapeau.
N’en souffrent évidemment pas ces instrumentistes
délibérément passés au baroque et qui, tels Jean-Claude
Malgoire, ne s’offusquent pas d’entendre l’orchestre
s’accorder à 415 ou 392 après qu’ils aient pendant des
années, sur leur hautbois, donné le la 440 à leurs
collègues. Haute trahison !
164
Alfred Jarry, Ubu roi, troisième acte.

154
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

N’en souffrent évidemment pas la majorité des


auditeurs, y compris tous ces critiques, musicographes,
journalistes « musicaux », dont la possession de l’oreille
absolue n’est pas exigée pour exercer leur profession… et
qui parfois n’hésitent pas à se féliciter de son absence.
Monsieur Geoffroy Dechaume n’a-t-il pas dit que
« l’oreille absolue est une infirmité » ?
N’en souffrent évidemment pas ces présentateurs
de radio qui diffusent à la suite et sans sourciller Brahms,
Bach et Schumann sans s’être aperçu le moins du monde
du changement de diapason entre les deux romantiques.
Bien entendu aucun baroquolatre de l’espèce
commune n’est capable de dire vraiment à quel diapason
joue là, maintenant; sa clique favorite. D’abord, c’est pas
écrit sur le programme. Les fervents baroquophiles font
confiance au génial chef capable de diriger le Troisième
Brandebourgeois - quel magnifique exploit ! - pour faire
jouer son valeureux orchestre baroque, avec ses
instruments d’époque, au « diapason ancien »165. Baroque,
d’époque, ancien : trois sésames, pour eux triple garantie
d’excellence dans la perfection ! Le même champion
aurait-il eu l’idée espiègle de faire accorder les violons au
diapason166 pour le concert de ce soir qu’ils ne s’en
apercevraient pas et applaudiraient aussi fort.

165
Le Freiburger Kammerorchester l’a enregistré en (pseudo) fa
majeur, au « diapason » 392, un ton trop bas ! au fou !
166
Puisque d’après l’éminente musicologue Geneviève Dutilleux de
France-Culture, c’est au chef de décider au dernier moment à quel
diapason on va jouer (cf infra). Faut-il apporter des hautbois à
coulisse ?

155
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Les seuls auditeurs qui se rendent compte du


changement de diapason sont ceux qui en souffrent. BIS.

Ils sont évidemment les moins nombreux, si bien


qu’un présentateur d’une émission radiophonique d’écoute
comparative de la Grande messe en ut mineur de Mozart,
K 427 put déclarer sans ambages : « nous allons
aujourd’hui comparer différentes versions sur instruments
d’époque. Et tant pis pour les oreilles absolues ». Aucune
protestation de la part de l’aréopage, faits d’éminents
augures de la musicologie bienheureusement exempts de
la tare auditive. Il est vrai que cette messe de Mozart,
écrite en 1782-83 est de ces œuvres qui réclament
impérieusement leur exécution sur des instruments
baroques, au sein d’un orchestre baroque…
Comme les bienfaits, les souffrances de l’O. A.
sont incommunicables. En ces temps où médias sonores,
visuels, imprimés, nous font quasi quotidiennement
compatir aux souffrances que leur handicap fait subir aux
Alzheimer, enfants autistes, obèses malgré eux167, qu’on
veuille bien, sans encombrante compassion, tenter quand
même de faire comprendre ce que leur « handicap » fait
subir aux oreilles absolues. Par exemple ce qu’endurent
ceux qui sont contraints malgré eux à subir la 39éme
symphonie de Mozart quand son délicieux, chaleureux,
soyeux, inimitable mi bémol est ignoblement saboté en
pseudo ré majeur. Avanie dont se rient les Minkowski et
les Kuijken.
Une approximation pourrait peut-être donner une
idée des tourments de l’oreille absolue à ceux qui n’en
bénéficient point : le décalage des longueurs d’onde du
spectre visible. Ne seraient-il pas désappointés de se
réveiller un matin en face d’une mer orange, sous un ciel

167
C’est un médecin qui parle ! Estimant la compassion louable mais
moins efficace que la compétence thérapeutique.

156
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

vert, au milieu d’arbres bleus, le bifteck de leur assiette


devenu violet au milieu de frites grisâtres ? Bon appétit !
Une autre comparaison du malaise auditif pourrait
s’appliquer au goût : comme si on avait mis du sel au lieu
de sucre dans le thé, ou comme si la francfort de la
choucroute avait subitement le goût d’une sardine à
l’huile, environnée de chou parfumé à la framboise. Ou à
l’odorat : comme si roses lilas et mimosas n’exhalaient
plus qu’odeur de renfermé, de poussière, comme le vase
de Mallarmé.
Mais ces maltraitances de la vue, de l’odorat et du
goût n’atteindraient pas la sphère émotionnelle, n’auraient
pas le retentissement affectif engendré par la musique. Ci-
dessous sont passées en revue les incongruités d’éthos,
d’armature tonale que le 415 fait subir aux œuvres qu’il
dégrade. J’en donne dès ici un exemple démonstratif.
Lorsque l’affreux Kuijken168 s’attaque à la
Symphonie n° 45, dite « les Adieux » du pauvre papa
Haydn, il fait sonner le fa dièse mineur à la hauteur du fa
mineur. C’est-à-dire que de trois dièses à la clé on passe à
quatre bémols. Total bouleversement tonal qui ne coïncide
pas avec une mutation de couleur, puisque le tempérament
reste le même, ce tempérament dit égal partout adopté
auquel aucune formation symphonique ne peut se
soustraire. Donc l’éthos du fa dièse mineur, sérieux, un
peu sévère, tout emprunt de sobre et sombre dignité, sonne
à la hauteur de l’élégiaque fa mineur, volontiers
pleurnichard. Totale inadéquation. Or il ne s’agit pas
seulement d’une transposition incongrue.
Lorsqu’on transpose, on commet le plus souvent
une mauvaise action. Transposant de son la majeur
originaire, si fragrant, vers le si banal si bémol majeur,
pour la varier, l’aria La ci darem la mano de Don

168
L’assonance avec kraken, le terrifiant monstre marin, me tinte aux
oreilles chaque fois qu’est prononcé le nom de ce malfaiteur.

157
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Giovanni Chopin a fait une grosse bêtise, et démontrait


qu’il n’avait pas l’oreille absolue. Il en va de même avec
toutes ces mélodies que les chanteurs, bafouant l’éthos
original, veulent chanteur quand même, alors qu’elles ne
sont pas écrites pour leur tessiture. Avant de subir son
trouble auditif – mais aussi après - Gabriel Fauré fut un de
ceux qui surent le mieux nous délecter du parfum de
chaque tonalité ; à tel point que son excellent exégète
Vladimir Jankélévitch169 se crut autorisé à établir un très
légitime répertoire tonal de ses œuvres. Plus qu’aucunes
autres les mélodies de Fauré sont intransposables – bien
que l’éditeur (la honte sur lui !) ait exigé (cela se faisait
« à l’époque » !) de publier une version pour soprano et
une autre pour mezzo. Mais on peut en dire autant des
mélodies de Schubert, de Schumann, de Brahms, de
Duparc.
Transposition est altération, et néanmoins pratique
par trop courante. Ce fut le cas de l’« ogre » Dietrich
Fischer Dieskau qui transposait « à tout va » et nous a
laissé des centaines d’enregistrements dont la plupart
outragent la tonalité originale. Et tant pis pour l’Erlkönig
saboté en fa mineur, ce qui est parfaitement inapproprié !
Et DFD en a fait bien d’autres, sans choquer ses fans…
Mais au moins la transposition respecte le diapason.
Quand on change de diapason il en va tout
autrement, puisque les degrés de la gamme surbaissée ou
surélevée ne coïncident pas avec ceux de la gamme dont
ils empruntent la hauteur. La figure 5 en fait la
démonstration. Hormis, par exemple dans le cas du 415, la
seule concordance entre le sol dièse originaire et le
prétendu « nouveau » la, il n’y a aucune autre
concordance entre les degrés des deux gammes. Le fa
dièse mineur surbaissé d’un demi-ton n’a pas les mêmes
intervalles entre les notes que le fa mineur. C’est un
169
Vladimir Jankélévitch : Fauré et l’inexprimable, o. c.

158
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

pseudo fa mineur, une chimère faite de membres


disparates, un monstre tout hérissé de dents, de griffes
pour agresser l’oreille absolue. Un breuvage empoisonné,
imbuvable.

Figure 5. Incongruence entre les gammes tempérées


construites à partir du diapason, et celles construites à
partir du pseudo diapason à 415

159
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Le divorce entre hauteur et couleur, tonalité et


éthos, maltraite chez les porteurs de l’O. A. une neuro-
physiologie dépendant des couches profondes de
l’instinctivo-affectif. C’est malmener le rapport entre la
physiologie, qui reçoit puis décode les messages
sensoriels, et leur résonance dans la sphère « émotive ».
Peut-on ainsi comprendre l’ampleur du dégoût, du
ressentiment endurés par ceux à qui on sabote, détériore
les affects éprouvés et transmis par les compositeurs ?
Ceux à qui on piétine les sentiments ? En outrageant une
biologie humaine incontournable. Certains se disent
possesseurs de l’oreille absolue, tout en prétendant que le
415 ne les gêne pas. Ils se trompent et nous trompent. Leur
prétendue oreille absolue n’est que toute relative.
M’accoutumer au 415 me serait aussi impossible
qu’inverser mon orientation sexuelle ou me convertir au
végétarisme. Ainsi pensent et ressentent mes compagnons
et compagnes d’infortune, qui n‘auraient jamais imaginé
qu’un (mauvais) jour leur don serait agressé par des
coquins arrogants adulés comme des héros : les « Paladins
du baroque »170 ! Et qu’on stigmatiserait ce qui fait leur
(innocent) bonheur.
*
Son extinction
*
C’est l’altération pathologique qui fait disparaître
l’oreille absolue. Nous connaissons deux cas de ce
malheur. Ravel et Schumann.
Maurice Ravel n’était atteint d’aucune
psychopathie, n’est pas devenu sénile avant l’âge; mort à
62 ans, misère. Après cinq ans de souffrances, séquelles
d’un accident de taxi d’octobre 1932. Il n’avait que
cinquante-sept ans, au sommet de son art. Oui, une « petite
dame » de la rue d’Amsterdam l’avait contaminé (dans ses
170
Jacques Doucelin, Le Figaro, 6-7 janvier 1990.

160
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

années de Conservatoire ?), mais il avait guéri sa syphilis.


De façon évidente un hématome intra-crânien non
diagnostiqué lui avait comprimé l’hémisphère cérébral
gauche. D’où son apraxie, sa mauvaise coordination
motrice : il ne pouvait plus signer son nom, plus nager.
Son planum temporal gauche traumatisé avait été
progressivement refoulé, aplati : son oreille était devenue
relative, et il fallait lui fournir le la171. De combien de
musiques merveilleuses, de chefs-d’oeuvre avons-nous été
privés ! Que Ravel n’a-t-il pu bénéficier de ce qui est
maintenant le B-A BA de la neuro-chirurgie !
Schumann, ce génial compositeur dont la musique
me fortifie, m’exalte et m’émeut tant, ce courageux
dénonciateur des Philistins – mon saint patron gémeau172 –
n’est pas mort lui non plus de la vérole. Il a souffert de
façon évidente de schizophrénie. La maladie bipolaire. Je
n’ai jamais compris pourquoi musicologues,
musicographes, historiens et aussi malheureusement
certains médecins s’obstinent à nous le conter victime
d’une syphilis nerveuse. Il n’a jamais présenté le moindre
signe de la syphilis tertiaire, tabès ou P.G. - la « paralysie
générale », dont souffrirent Hugo Wolff, Maupassant,
Lénine, le général Gamelin. Il n’a jamais contaminé Clara
ni évidemment ses enfants. Alors que Chabrier a
contaminé sa malheureuse épouse, et qu’ils en sont morts.
Tous les symptômes de la « maniaco-dépressive »
accablent le pauvre Robert. On sait désormais qu’il s’agit
d’une maladie d’origine génétique, altérant le métabolisme
de la sérotonine au sein des neurones cérébraux. L’origine
familiale est attestée : la sœur de Robert elle aussi fut
déclarée « folle », plus tôt et plus gravement atteinte que

171
Cf. G. Z. Mémoires d’une chanteuse française, o. c., p. 119 ; et Le
Diapason, p. 104.
172
Créateur sous la double mais bénéfique tutelle d’Eusebius et de
Florestan.

161
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

lui (les enfants de Clara y échappèrent heureusement). Les


troubles du décodage des messages sensoriels, qui sont si
caractéristiques, avec des hallucinations auditives,
accablent Schumann. De tonitruants A, le la germanique,
deux fois présents dans le prénom de sa Clara bien aimée,
le torturent lors de cauchemardesques crises de chagrin
nocturne. Ces crises dépressives alternent avec des accès
d’hyperactivité, voire d’agressivité autodestructrice,
comme lorsqu’un brave marinier dut le tirer du Rhin et le
ramener chez lui. Sans jamais la moindre altération de
l’intelligence, du jugement, de la lucidité, ce qui lui fait
dire « il faut composer tant qu’il fait jour » - en dehors des
moments d’abattement. Et un mauvais jour il écrit dans
son journal « j’ai perdu mon oreille ». Le décodage ne se
fait plus. Déchirant aveu de ce musicien que son oreille
absolue avait fait si bien parler des couleurs tonales.
Comment ne pas avoir le cœur étreint par la
paralysie créatrice de l’auteur de tant de musiques pleines
d’élan (Aufschwung), par le calvaire de ce génie muré en
lui-même, ce qui le décida à partir avec ses cigares et son
papier à musique dans la maison de santé173. Loin de
l’imbécillité béate du P. G. qui, selon la description
« classique » (ah ! ah !) de la pathologie neurologique se
contente d’« attendre l’heure des repas » Schumann se
laissa mourir de faim174 – que n’a-t-il connu mon maître et
ami Louis Bertagna, inventeur émérite du traitement au
lithium de la maniaco-dépressive175… Je n’ai pas son
génie, mais si un jour mon oreille absolue m’abandonne,
je pense qu’il sera temps de plier bagage.
173
Où Clara n’est jamais allée lui rendre visite. Bourrique !
174
Un cauchemar lui a été évité : Les Amours et la vie d’une femme,
chantés et enregistrés par un homme, le contre-ténor « baroque » Paul
Esswood.
175
Que Mozart n’a-t-il pu bénéficier d’une greffe de rein ! Que n’ai-je
pu opérer tout simplement et guérir Constance de ses ulcères
variqueux…

162
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

CINQUIÈME MOUVEMENT. MENUETS I et II

LE RÈGNE DES COQUINS

I. MÉFAITS ET ATROCITÉS DU 415

Si l’on jouait l’Eroica en mi majeur


vous en seriez déconcertés.
Il n’y aurait pourtant qu’un demi-ton de différence.
Ernest Ansermet176

« Que d’histoires pour un malheureux demi-ton ! ».


Voilà ce que peut penser un cœur simple, entendant se
lamenter les porteurs de l’oreille absolue agressés par
Christie ou Herreweghe. « Et puis, un demi-ton, ce n’est
pas bien méchant ! ».
Et bien si, justement : le 415, l’abaissement d’un
demi-ton est la pire souffrance qu’on puisse faire subir
aux oreilles absolues. Avec des acmès douloureuses quand
on leur inflige les fa dièses à vide de violon qui devraient
être des sol, des si à vide de violoncelle qui devraient être
des do (pauvres Suites de JSB !), et des trompettades en ré
bémol qui devraient sonner en ré majeur, sonneries aussi
stridentes, térébrantes que les trompettes de Jéricho. Et
quand les O. A. entendent couiner le la 415 cancanant
rameutant l’orchestre baroque, le son leur est aussi
pénible, discordant, que celui des trompes teutoniques
ralliant les ennemis de la Sainte Russie, comme l’avaient
mitonné Prokofiev et Eisenstein.
Bien sûr, hélas trois fois hélas le 415 n’est pas le
seul ennemi de l’O. A. L’authenticomanie a inspiré ces
« merveilleuses recherches » qui permettent d’affirmer à
certains Trissotin qu’il faut jouer l’opéra français du
176
O. c., ibid.

163
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

XVIIIe siècle à 392, Mozart à 420 et les quatuors


d’Onslow à 430 ; en se prenant pour des petits génies du
« lotantique ». Sans oublier Monteverdi qui jouait
« sûrement » à 494, un ton au-dessus du diapason, ce qui
nous a valu un enregistrement de l’Orfeo où la Toccata
initiale sonnait en mi majeur ! Alors que le 420 et le 430
nous hérissent les cellules ciliées. Alors que le 392 de
Minkowski et Rousset serait plutôt comique, nous
bourrant les oreilles avec des fa majeur qui sont des sol
majeur, et nous laisserait croire qu’au XVIIIe siècle on
écrivait fort souvent en un si bémol majeur des plus naïfs
– comme qui dirait de l’ut majeur.
On remarquera d’ailleurs un certain hommage du
vice à la vertu. Puisque ces « fantaisistes » se réfèrent au
diapason, le vrai, pour s’accorder soit tout juste un demi-
ton (415) soit un ton entier (392) au-dessous de ce qui
reste le repère du 440… sournoisement respecté. Et un
vrai ton, un vrai demi-ton, nonobstant les délices exotico-
snobinardes des « micro-intervalles ».
On remarquera aussi comment « l’admirable
travail » de l’Harnoncourt a su faire proliférer des faux
diapasons divers et variés. La pétaudière ! Celle dont se
plaignait tant le lucide Praetorius. Nous voici revenus
quatre siècles en arrière. Quel merveilleux enrichissement
de la musique ! Avoir ouvert la boîte de Pandore dont sont
sortis tous ces diapasons aberrants, démons dont la
fourche crève les « tympans » absolus.
Si je concentre le tir sur le 415 c’est parce qu’il est
l’accord frauduleux le plus fréquent, le plus agressif à
l’encontre de l’O. A., et celui que les ignorants estiment le
plus pertinent « pour ce répertoire »177. Quand on reçoit un
blessé de guerre victime d’une rafale d’arme automatique,
il urge en premier lieu de réparer les dégâts du ventre, du

177
Opinion affligeante de C. Abromont o. c., montrant sa totale
ignorance de l’histoire du diapason.

164
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

thorax, qui mettent en jeu le pronostic vital, avant de


s’occuper des plaies des membres178. Quand on aura ôté au
415 son monopole abusif et surtout son outrecuidante
respectabilité, on peut penser que les autres accords
aberrants disparaîtront, comme s’évanouissent les
fantômes nocturnes au chant du coq.
Je le répète : le 415, comme tout changement de
diapason, ne fait pas seulement changer de hauteur,
comme le ferait une « honnête » transposition, mais il fait
entendre des notes non congruentes avec celles accordées
à 440. Il suffit, pour s’en rendre compte, de comparer ce
qui sort à 415 de la radio, du CD, avec ce que donne le
piano domestique. Jouant en même temps le Tambourin de
Rameau en mi bémol mineur, Jesu meine Freude en sol
bémol majeur, on s’aperçoit que « ça grince » ; ça « ne
colle pas ». Même discordance, bien sûr, si on joue le
même Tambourin en ré mineur en même temps qu’un
zinzin à 392. La faute n’en est pas à l’accordeur, mais aux
faquins qui ne jouent pas au diapason. Ainsi sont
défigurées toutes ces musiques que nous aimons tant.
Écrites, entre 1600 et 1750 (et aussi plus tard, misère !),
dans ces bonnes braves tonalités toutes innocentes, ut, fa,
sol, ré, la, mi, les voici, surbaissées, affreusement lardées
d’un nombre extravagant d’accidents, de dièses, de
doubles dièses et d’invraisemblables do bémols, fa bémols,
cinq dièses pour l’ut majeur descendu au si, six bémols
pour le sol majeur descendu au sol bémol. Comment
l’oreille absolue ne pourrait-elle pas s’horripiler devant ce
hérissement ?
*

178
Sauf s’il y a une lésion artérielle !

165
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Chaque mouvement du cœur a un ton pour s’exprimer


Jean-Philippe Rameau179

Premier méfait : l’inaudibilité

Ici sont répertoriées les différentes tonalités


utilisées par les compositeurs entre 1600 et 1750 – avec
leurs références classiques. J’indique leur « couleur
émotionnelle » particulière, révélée à ceux qui l’ont
explorée puis employée à dessein, une fois établi le
tempérament dit égal. Couleur, éthos désormais consacrés
par quatre siècles de tradition – et bien sûr rien n’a changé
depuis mon numéro de la Revue Musicale et son
répertoire. Il est évident que cette catégorisation ne peut
être qu’une approximation. D’une part en raison de la
spécificité du langage musical, qui exprime précisément ce
qui ne peut se dire avec les mots – sinon ce ne serait pas la
peine ! et chaque éthos est capable de plusieurs et
merveilleuses nuances. D’autre part en raison des
possibles fantaisies, escapades auxquelles ont parfaitement
droit de se livrer les musiciens ; tels Prokofiev écrivant en
ré bémol majeur, ce ton de l’effusion intime, un concerto
de piano tout pimpant et extraverti180. On remarquera
l’ampleur du génie de Jean-Sébastien Bach, ici par neuf
fois seul explorateur de tonalités jamais abordées par ses
contemporains et prédécesseurs.
Á chaque fois est stigmatisée la défiguration de
l’éthos par le 415, grimace, caricature dont souffrent les
oreilles absolues - quand l’ut majeur est déformé par le
pseudo si majeur. On peut apprécier le formidable
pataquès qui fait jouer la Badinerie de la Suite n° 2 de
Bach (deux dièses à la clé) à la hauteur de la Marche

179
Cité par C. Girdlestone, o. c., p. 499.
180
J’y vois une facétieuse satire des pesants pompeux ploum ploum
ouvrant le Premier concerto de piano de Tchaïkovski.

166
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

funèbre de Chopin (cinq bémols à la clé). C’est l’agression


d’œuvres que leur immortelle beauté a fait monter à
l’empyrée de l’art musical. Les victimes que je signale
sont précisément de celles constituant le patrimoine que
possède dans sa tête et dans son cœur tout mélomane
occidental ; celles qui font partie intégrante de sa vie. On
comprend donc la totale allergie des O. A. à l’encontre de
ce gâchis, et leur totale détestation des quatre-cents-
quinzistes.
*
Je limite à deux les exemples démonstratifs, mais
tout mélomane connaît la tonalité des œuvres qu’il aime. Il
retrouvera ici leur couleur.
*
Ut majeur
Rien à la clé. Franc, simple, honnête, ingénu, « le
ton du Bon Dieu », disait Gounod. Tout blanc181.
- Exemples classiques :
Mozart : Symphonie n° 40, « Jupiter ». Ravel : Boléro.
- Victimes à 415 du pseudo si majeur, cinq dièses à la clé :
Bach : Cantate ZK 3 (BWV 71) Gott ist mein König.
Suite n° 1 pour orchestre.

Ut mineur.
Trois bémols à la clé. Pathétique (ainsi promu par
Ludwig van !), agité, inquiet, triste avec noblesse. Noir.
- Exemples classiques :
Mozart : Concerto pour piano n° 24, K 491. Richard
Strauss : Métamorphoses.
- Victimes à 415 du pseudo si mineur, deux dièses à clé :
Rameau : La Livri. Purcell : Ouverture de Didon et Enée.

181
Relevant de l’« audition colorée » dont jouissait Messiaen, ces
couleurs « audibles » me sont propres, et n’engagent que moi !

167
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Si majeur
Cinq dièses à la clé. Vibrant, d’une grande
plénitude. Blanc éclatant.
- Exemples classiques :
Strawinsky : final de l’Oiseau de feu. Wagner : final de
Tristan und Isolde.
- Victimes à 415 du pseudo si bémol majeur, deux bémols
à la clé :
Bach : Préludes et fugues XXIII du Clavier bien tempéré.

Si mineur.
Deux dièses à la clé. D’une mélancolie contenue,
un peu taciturne, d’une grande noblesse. Blanc cassé.
- Exemples classiques :
Chopin : Troisième sonate pour piano. Stawinsky :
dernier tableau d’Apollon musagète.
- Victimes du pseudo si bémol mineur, cinq bémols à la
clé :
Bach : Suite n° 2 pour orchestre. F. Couperin :
Passacaille en rondeau pour clavier.

Si bémol majeur
Deux bémols à la clé. Tout simple – voire un peu
fade - décidé, heureux de vivre, transparent. Ton favori de
Bohuslav Martinu.
Beethoven : Concerto pour piano n° 2. Weber : Concerto
pour clarinette n° 1.
- Victimes à 415 du pseudo la majeur, trois dièses à la
clé :
F. Couperin : les Barricades mystérieuses pour clavier.
Bach : Sixième Concerto Brandebourgeois.

Si bémol mineur
Cinq bémols à la clé. Irrémédiablement triste,
mélancolique, voire accablé, gris-noir.

168
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

- Exemples classiques :
Chopin : Deuxième sonate pour piano (avec la marche
funèbre). Brahms : Intermezzo pour piano op. 117 n° 2.
- Victimes à 415 du pseudo la mineur, rien à la clé :
Bach : Préludes et fugues XXII du Clavier bien tempéré.

La majeur
Trois dièses à la clé. Chaud, caressant, sensuel,
charnel, quasi érotique chez Mozart, débordant de joie
chaleureuse chez Bach. Rouge pourpré.
- Exemples classiques
Mozart : Quatuor à cordes K 464. Roussel : Quatrième
symphonie.
- Victimes à 415 du pseudo la bémol majeur, quatre
bémols à la clé :
Bach : choeur initial de la Cinquième partie de l’Oratorio
de Noël. Rameau : La triomphante pour clavier.

La mineur
Rien à la clé. Tonalité bifrons. D’un côté la passion
malheureuse mais digne, résignée sans ressentiment, avec
un petit air « folklo » de très ancienne complainte. De
l’autre un aspect exotique mis à profit par les
« turqueries » et diableries. Brun rouge.
- Exemples classiques :
Beethoven : Andante con moto du Quatuor op. 59 n° 3.
Fritz Kreisler : Liebesleid. Mais aussi Strawinsky: Danse
infernale de Katschei de l’Oiseau de feu. Mozart: air
d’Osmin Erst geköpft de l’Enlèvement au sérail.
- Victimes à 415 du pseudo sol dièse mineur, cinq dièses à
la clé:
Rameau : La Timide. Bach : Concerto pour violon BWV
1041.

169
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

La bémol majeur
Quatre bémols à la clé. Câlin, intime, amoureux,
sentimental voire un peu mièvre. Très prisé des
romantiques. Brun clair.
- Exemples classiques :
Beethoven : Sonate pour piano op 26. Chopin : Valse op.
43.
- Victimes à 415 du pseudo sol majeur, deux dièses à la
clé :
Bach : Préludes et fugues XVII du Clavier bien tempéré.

Sol dièse mineur


Cinq dièses à la clé. Tonalité irrémédiablement
sombre, poignante en tempo lent, bourrue agressive
dardant tous ses dièses et doubles dièses en tempo rapide.
Utilisée de façon bouleversante, grâce au jeu des
modulations, dans le premier mouvement du Concerto
pour violon BWV 1042 de Bach, dans l’adagio du
Concerto pour violon K 219 de Mozart. Bleu noir.
- Exemples classiques :
Beethoven : adagio du Quatuor à cordes op. 131. Ravel :
Scarbo.
- Victimes à 415 du pseudo sol mineur, deux bémols à la
clé :
Bach : Préludes et fugues XVIII du Clavier bien tempéré.

Sol majeur
Un seul dièse à la clé. Gentil, dépourvu de toute
malice, rural-champêtre : un ton de fleur, disait Schumann.
Bleu ciel.
- Exemples classiques :
Mozart : Concerto pour piano n° 17, K 453. Darius
Milhaud : Concertino de printemps pour violon.
- Victimes à 415 du pseudo fa dièse majeur, six dièses à la
clé :

170
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

.Bach : Sinfonia de la Deuxième partie de l’Oratorio de


Noël. Vivaldi : Concerto alla rustica.

Sol mineur
Deux bémols à la clé. Palpitant romantique
enfiévré en tempo rapide. Parfois plus grave en tempo
lent. Bleu foncé.
- Exemples classiques :
Mozart : Quintette à cordes K 516. Schumann : Deuxième
sonate pour piano.
- Victimes à 415 du pseudo fa dièse mineur, trois dièses à
la clé :
Purcell : chœur final de Didon et Enée. Rameau : Les
Sauvages des Indes galantes.

Fa dièse majeur
Six dièses à la clé. Rutilant exultant en tempo
rapide, riche voluptueux en tempo lent. Rouge vif.
- Exemples classiques :
Haydn : Largo du Quatuor à cordes op. 76 n° 5.
Messiaen : final de la Turangalila Symphonie.
- Victimes à 415 du pseudo fa majeur, un seul bémol à la
clé :
Bach : Préludes et fugues XIII du Clavier bien tempéré.

Fa dièse mineur
Trois dièses à la clé. D’une digne mélancolie.
Rouge foncé.
- Exemples classiques :
Mozart : Andante du Concerto pour piano n° 23, K 488.
Fauré : Pavane.
- Victimes à 415 du pseudo fa mineur, quatre bémols à la
clé:

171
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Rameau : air de Huascar « Permettez, astre du jour » des


Indes galantes. Bach : aria de ténor (n° 8) du Magnificat
BWV 243 « deposuit ».

Fa majeur
Un seul bémol à la clé. Consacré pastoral par
Beethoven, joyeux innocent, d’une gaîté confiante, un ton
« pour les enfants ». Rouge orange.
- Exemples classiques
Schumann : Le gai laboureur, de l’Album pour la
jeunesse. Roussel : Suite en fa.
- Victimes à 415 du pseudo mi majeur, quatre dièses à la
clé :
Haendel : arioso Ombra mai fu de Serse182, et aussi aria
n° 22 d’Almirena, Lascia ch’io pianga de Rinaldo – pas
de chance pour ces deux « tubes » haendeliens ! Presque
quotidiennement massacrés.

Fa mineur
Quatre bémols à la clé. Chagrin, accablé, limite
larmoyant. Brun foncé.
- Exemples classiques :
Wagner : Prélude du troisième acte de Tristan und Isolde.
Prokofiev : Première sonate pour violon et piano, premier
mouvement.
- Victimes à 415 du pseudo mi mineur, deux dièses à la
clé :
Vivaldi : L’Hiver. Pergolèse : Stabat mater.

182
Magnifié en « célèbre largo de Haendel », cette aria, où Xerxès
conte « innocemment » la félicité que lui procure l’ombrage de son
cher platane, passa pour des générations d’organistes de province et de
jeunes pianistes comme le parangon du pieux recueillement et de la
noblesse de sentiment…

172
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Mi majeur
Quatre dièses à la clé. Apollinien, ensoleillé,
rayonnant, euphorisant, stimulant, méditerranéen. Jaune
vif.
- Exemples classiques :
Rossini: Ouverture de La pie voleuse. Bizet : Carillon de
l’Arlésienne.
- Victimes à 415 du pseudo mi bémol majeur, trois bémols
à la clé :
Vivaldi : Le Printemps. Bach : Concerto pour violon
BWV 1042.

Mi mineur
Deux dièses à la clé. Dur, fatal, peiné sans
apitoiement, avec un petit parfum médiéval. Ocre jaune.
- Exemples classiques :
Brahms : Quatrième symphonie. Prokofiev : Danse des
chevaliers, de Roméo et Juliette.
- Victimes à 415 du pseudo mi bémol mineur, cinq bémols
à la clé :
Rameau : Allemande pour clavier. Bach : Aria duetto n° 5
de la Cantate ZK 101 (BWV 91) Die Armut, so Gott auf
sich nimmt.

Mi bémol majeur ;
Trois bémols à la clé. Une autre tonalité bifrons.
D’un côté solennelle, vigoureuse sans pesanteur, héroïque
pour Beethoven, pour Mozart le « Maurerton ». De l’autre
intime et chaleureuse ; là aussi tonalité favorite de Mozart
qui a su tirer profit de toutes ses facettes. Jaune clair.
- Exemples classiques :
Joseph Haydn : Concerto pour trompette. Mozart :
Ouverture et final de la Flûte enchantée. Mais aussi
Beethoven Sonate pour piano n° 13, op. 27 n° 1. Et encore
Mozart : Quatuor à cordes K 428.

173
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

- Victimes à 415 du pseudo ré majeur, deux dièses à la


clé :
Bach : Cantate ZK 182 (BWV 140) Wachet auf. Haendel:
aria (n° 17) de Nireno de Giulio Cesare.

Mi bémol mineur,
Cinq bémols à la clé. Angoissé, accablé, fatal, ton
« maudit » pour Schumann. Jaune citron.
- Exemples classiques :
Joseph Haydn : Trio pour piano et cordes Hob. XV, 31.
Robert Schumann : Ouverture de Manfred.
- Victime à 415 du pseudo ré mineur, un seul bémol à la
clé :
Bach : Prélude VIII du Premier livre du Clavier bien
tempéré.

Ré dièse mineur.
Six dièses à la clé. Tonalité rarissime. Apparaît
chez Ravel sombre et mélancolique, chez Bach lasse et
bougonne. Vert foncé.
- Exemple classique (unique !) :
Ravel : partie centrale de Laideronnette impératrice des
pagodes pour piano à quatre mains (Ma mère l’oye).
- Victimes à 415 du pseudo ré mineur, un bémol à la clé :
Bach : Préludes et fugues VIII du second livre du Clavier
bien tempéré.

Ré majeur
Deux dièses à la clé. Joyeux, festif, éclatant. Ton
favori de Bach pour ses sonneries solennelles. Tout à fait
convenable pour les concertos de violon (Mozart,
Beethoven Brahms, Prokofiev). Très approprié pour
l’indicatif de radiodiffusion d’évènement musicaux. Vert
émeraude.
- Exemples classiques :

174
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Monteverdi : Toccata initiale de l’Orfeo. M. A.


Charpentier : Te deum183.
- Victimes à 415 du pseudo ré bémol majeur, cinq bémols
à la clé :
Bach : Magnificat. Haendel : Riccardo I, Ouverture.

Ré mineur
Un seul bémol à la clé. Dionysiaque, tourmenté
voire tragique, emporté. Couleur du drame pour Mozart.
Vert noir.
- Exemples classiques :
Wagner : Ouverture de La Walkyrie. Honegger :
Deuxième symphonie, 1er mouvement.
- Victimes à 415 du pseudo ut dièse mineur, quatre dièses
à la clé :
Bach : Concerto pour deux violons, BWV 1043.
Haendel : arietta n° 24 d’Elviro « Ah tigre infedele » de
Serse.

Ut dièse majeur
Les sept dièses à la clé. Dense, serein, d’une
plénitude apaisante. Outremer.
- Exemples classiques :
Fauré : dernière variation de Thème et variations pour
piano. Ravel : conclusion d’Ondine (Gaspard de la nuit)
pour piano.
- Victimes à 415 du pseudo ut majeur, rien à la clé :
Bach : Préludes et fugues III du Clavier bien tempéré.

Ut dièse mineur :
Quatre dièses à la clé. Grave, sérieux, appliqué.
Gris bleu.
- Exemples classiques :

183
Les baroqueux le jouent évidemment à 392 (pseudo ut), mais on
peut encore trouver des CD au diapason.

175
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Beethoven : Sonate pour piano n° 14 (clair de lune…).


Brahms : Intermezzo op. 117 n° 3 pour piano.
- Victime à 415 du pseudo ut mineur, trois bémols à la
clé :
Bach : adagio du Concerto pour violon BWV 1042.
*
Deuxième méfait. Schisme confiscateur et destructeur
*
« Le baroque » n’a pas fait que s’institutionnaliser.
Il s’est constitué « un monde » Le monde du baroque. Là
où l’on joue et chante baroque – la baroque society. Coupé
de toute influence extérieure. De toute référence étrangère.
Non seulement stylistique mais aussi historique. Comme si
rien n’avait existé avant le baroque, ni après. On peut en
sortir, adoubé grâce au « passage par le baroque » pour se
répandre urbi et orbi, en tout lieu naïf qui prend le baroque
pour respectable, mais on n’y entre qu’en faisant
hommage lige aux gourous. On s’y repent des erreurs de
sa vie antérieure et on y adopte le credo de la secte.
On assiste donc depuis au moins quatre décennies à
un véritable schisme. Les baroquisants ont fait main basse
sur les musiques de deux siècles qui sont devenues leurs
prisonnières sévèrement gardées. Ils s’en sont accaparé
l’exclusivité de l’exécution, et font tout pour qu’elle reste
« dans leur monde ». Concerts, festivals, CD, tout ce qui
relève de ces deux siècles de musique sera exclusivement
« baroque ». La secte a désormais réussi à empêcher que
dans le programme d’un même concert figurent des
œuvres de Couperin et de Ravel, de Haendel et de Brahms.
Comme du temps où un pianiste n’avait pas honte de
débuter son récital par une Suite anglaise avant de
poursuivre par les Kreisleriana et le Tombeau de
Couperin. Les compositeurs des XVIIe et XVIIIe siècles,
leur musique, ont été coupés du flot créateur de l’art
musical occidental. Coupés de cette chaîne des générations

176
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

où, volens nolens, les génies se tiennent la main, du


Moyen Âge à nos jours. Comme si ces classiques des
XVIIe et XVIIIe siècles ne suivaient pas leurs aînés, et
n’avaient rien eu à léguer à leurs successeurs. Comme s’ils
n’avaient pas droit aux progrès de la facture
instrumentale : no future !
Les baroquisants ont ainsi piégé nos Premiers
classiques dans un monde historiquement figé. Ils ont fait
de leur musique une chasse gardée. Avec deux verrous.
Deux cerbères. Le premier, c’est « l’étiquette » : baroque.
Cette dénomination mensongère, infligée à des œuvres du
plus pur classicisme, que j’ai longuement récusée plus
haut. Mais étiquette que les sectaires appliquent sur toutes
les œuvres qu’ils veulent confisquer. Le deuxième, c’est le
415. Si le baroque est la peste, le 415 est le choléra.
Grâce au changement de diapason, la secte a réussi
à se couper du reste du monde musical. Le 415 forme une
frontière efficace et infranchissable. Bien entendu, cet
accord ne peut en rien se justifier par des raisons
historiques, musicales, esthétiques. J’ai longuement
démontré plus haut que jamais ni nulle part on n’a cherché
à jouer selon un accord unifié à 415.
Qu’on me fasse connaître une partition des siècles
XVe au XVIIIe injouable au diapason (le vrai). Tout au
contraire certaines œuvres du passé ne peuvent être jouées
plus bas qu’à 440. Tels les opéras de Monteverdi,
inchantables à 415 ou, pire, à 392. Le pseudo diapason
415 n’a aucune référence historique crédible. Il ne sert aux
baroqueux que de filtre pour n’admettre que des
instrumentistes montrant ainsi « patte blanche » : le droit
d’entrée dans la secte. Et aussi tout platement pour que
« les baroqueux de tout pays » puissent « copiner » entre
eux. Le diapason s’étant imposé comme une indispensable
normatisation, le 415 fournit ainsi une « normatisation
baroque » : un bel oxymore ! Et ceux qui s’y soumettent

177
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

peuvent se qualifier de quatre-cents-quinzistes. Ils


pourraient en faire un badge : « 415 », à porter comme une
décoration : il y a le beau monde distingué qui joue à 415,
l’élite de la « musique authentique d’époque », alors que
les manants - les « ploucs » - jouent encore ( !) à 440 !
pauvres arriérés ! Ne serait-ce pas un certain mélange
(toxique !) d’ostracisme et de snobisme ?
Le « monde du 415 » n’a aucune communication
avec celui « des gentils » qui ne jouent pas baroque.
Aucun de ses instrumentistes ne pourrait à l’occasion
s’agréger à une formation honnête normale au diapason,
de chambre ou d’orchestre ; et vice-versa. Par le timbre,
évidemment, mais avant tout par le diapason. « Nous ne
sommes pas du même sang, vous et moi » !... Ce que
peuvent aussi bien dire les porteurs de l’oreille absolue. Ce
monde quatre-cent-quinziste leur est infréquentable,
inhabitable. C’est un monde aberrant où tout sonne de
travers, un demi-ton trop bas dans une tonalité défigurée.
Ce monde qui s’est arrogé la volonté délibérée de Bach
écrivant dans une tonalité très précise les deux fois 48 du
WTK, et que tout claveciniste converti va faire débuter par
un Prélude I en (faux) si majeur, avant de tout dégrader,
jouant en tonalités fades les merveilles écrites dans ces
tonalités si rares que JSB a eu le courage et le génie de
faire sonner, tout en hérissant les tonalités « innocentes »
d’épines acérées de dièses et bémols totalement incongrus.
Un monde où malgré les tonalités indiquées sur l’étui des
CD les 555 Exercisi de Scarlatti que Scott Ross a
enregistrés (pas loin de chez moi) sur son zinzin à 415
sonnent un demi-ton trop bas. 555 tromperies sur la
marchandise…
Le quatre-cents-quinzisme a muni ses troupes de
ces armes que sont les fameux « instruments baroques ».
Tous construits à 415. En prétendant que ces pauvres chers
petits « bijoux » sont trop fragiles pour supporter la torture

178
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

d’être montés jusqu’au tyrannique et inaccessible 440.


Allégation tout à fait mensongère, mais argument
séduisant naïfs et ignorants184. Il suffirait d’un petit peu
moins de métal, de bois, en raccourcissant le tuyau, pour
que flûtes hautbois et trompettes baroques soient accordés
au diapason. Mais alors… ils ne seraient plus baroques ?
Le baroquisme a pris exemple sur Mac Pherson
qui, pour conforter son mythe du génial barde Ossian, a
écrit de sa propre belle plume les poèmes qu’il lui a
attribués. Les vieilleries copiées par les fabricants de
« nouveaux instruments anciens » se sont évidemment
trouvées accordées à ces divers « diapasons » qui ont
régné avant l’unification. Dont très probablement certaines
accordées à 440. Ce sont celles-là qu’il eût fallu copier !
Mais non. Il faut fortifier le mythe du « diapason ancien
plus bas ». Et tout construire un demi-ton au-dessous du
diapason ; en ne copiant surtout pas ces vents prussiens
(en a-t-on retrouvé ?) accordés à 450 et plus. Les barocco-
quatre-cents-quinzistes ont frauduleusement fait fabriquer
les preuves de leurs postulats captieux. Et les soutiens de
leur schisme.
La prétendue impossibilité de jouer à 440 est
évidemment aussi invoquée pour les instruments à cordes.
Argument insoutenable en ce qui concerne la famille des
violons. Dès l’origine les violonistes ont utilisé, en cas de
besoin, la scordatura. En relâchant ou le plus souvent en
retendant la corde, on peut lui faire gagner ou perdre
facilement un demi-ton. Mozart demande à l’altiste soliste
de sa Symphonie concertante K 364 de s’accorder un
demi-ton plus haut, pour sonner plus brillant – il n’y a
aucun témoignage historique de « rupture dramatique », en
plein concert, des cordes surtendues du soliste ! L’artifice
fut mis à profit par Paganini pour ses diableries. Et aussi
par le Bartók des Contrastes, imitant le violoneux de la
184
Argument stupide hélas repris dans Abromont, o. c., ibidem.

179
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Danse macabre de Saint-Saëns. Les violoncelles bien sûr


peuvent eux aussi tirer sur la corde ou la détendre, pour le
Quatuor piano et cordes op. 47 de Schumann, pour le
dernier accord du Sacre, etc. Les cordes, je le répète, sont
bonnes filles – surtout celles de maintenant.
Quant aux clavecins, il s’en construisit
suffisamment au diapason pendant un bon demi-vingtième
siècle pour qu’on les utilise aussi bien pour Bach que pour
Poulenc. En témoignent des centaines et des centaines
d’enregistrements. Horreur ! se sont exclamés les baroquo-
puristes. Ces clavecins n’étaient pas copiés sur les Hemsch
et compagnie ! seuls autorisés par l’authenticomanie.
Probablement imperméable aux subtilités des timbres
cembaliques j’avoue ne pas beaucoup faire la différence
sonore entre les vilains Pleyel et les gentils Blanchet…
Toujours le même zinzonnement, au sein duquel je défie la
majorité des baroquophiles de trier le bon grain de l’ivraie
en écoute aveugle…
Il n’est sûrement pas impossible de fabriquer un
sommier suffisamment résistant pour permettre aux copies
de Tasquin de tenir le 440, même si l’on était sûr que le
modèle était accordé au-dessous. Toujours cette sale
marotte de copier jusqu’aux défauts d’époque. Et que sont
donc devenus les clavecins prussiens (celui de Karl Philip
Emmanuel Bach ?) qui accompagnaient à 455 le souverain
de Potsdam ? Ont-ils tous brûlé pendant les guerres ? Ne
pourrait-on pas s’en inspirer, en les soulageant un peu
pour les ramener à 440 ? Il est enfin étonnant que
l’admirable souplesse, l’admirable « plasticité du
baroque » chantée par son adorateur Philippe Beaussant
n’utilise pas cette possibilité pourtant depuis longtemps
mise à disposition des clavecinistes : le déplacement du
clavier. Ici en le déplaçant d’un demi-ton vers la droite.
Certes, le tempérament ferait changer la bonne
concordance avec les autres instruments au diapason, mais

180
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

le volume sonore faiblard de l’engin – non amplifié - ne


ferait pas trop ressortir les petits frottements, et au moins
n’infligerait-on pas le 415 à ceux qui en souffrent.
Clavecins, cors, bassons, qu’on en construise à 415
ne va pas obligatoirement agresser les oreilles de qui ne
voudra pas les entendre. Cela remplit les caisses des
faiseurs de bigophones et vide les poches des convertis :
bien fait ! Il est plus grave d’infliger le 415 à des
instruments touchant un public « obligé » et faisant partie
d’un précieux patrimoine historique : les orgues. C’est
pourtant ce qui a été entrepris en trop de lieux sous l’effet
de l’authenticomanie baroquisante. Construites il y a deux
ou trois siècles, ces orgues « anciennes » ont pu passer
sous la coupe de sectaires. Lorsqu’ils ont mis la main
dessus, ils les ont trouvées à des diapasons divers. Je
répète qu’il est illusoire de penser que l’accord d’un orgue,
au XXe siècle, était le témoin fidèle de son diapason de
construction. Je répète qu’il est tout à fait loisible
d’accorder les orgues – même si c’est plus long qu’un
piano !
De 1680, de 1710 à nos jours, un instrument a pu
changer d’accord, une, deux ou trois fois. La sagesse – la
musique tout court – commande de profiter de ces
révisions de temps à autre nécessaires pour s’assurer que
l’instrument est bien au diapason. Pour qu’il puisse jouer
avec d’éventuels autres musiciens, ne pas faire chanter
trop haut ni trop bas la chorale locale comme les braves
paroissiens… et ne pas agresser les oreilles absolues. Qu’à
cela ne tienne. Lors d’une restauration ou de propos
délibéré des sectaires résolus ont fait mettre leurs victimes
au fameux « diapason ancien ». Les voici capables de
jouer avec des « instruments baroques », mais coupées du
reste du monde de la musique. Coupable dégradation
d’instruments faisant partie de monuments historiques

181
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

classés. Faisant partie du patrimoine culturel. Dégradation


jusqu’ici malheureusement impunie.
*
Ici faut-il démontrer l’emprise tyrannique exercée
par le 415.
La déplorable contamination - dénoncée ci-après -
à laquelle succombent certains musiciens intimidés-
culpabilisés par le « mouvement baroque » ne peut pas ne
pas se produire dans l’autre sens. Les mêmes causes
produisent les mêmes effets. Qui tient un archet et un
violon tient à la franchise de ses attaques, au bon maintien
sonore des tenues, et à la bonne justesse de ses notes. Et
serait-il « violoniste baroque » qu’il entend quand même,
en dehors « du boulot », les violons des orchestres
normaux. C’est dire que même avec un archet « baroque »,
même interdit de vibrato il va refaire le chemin qui a
conduit à jouer du violon comme le font les
instrumentistes actuels. En appuyant bien sur la pointe
comme sur le talon, et en vibrant discrètement
(sournoisement !). Le résultat est que certaines formations
de cordes baroques en arrivent à sonner presque comme
un orchestre normal. Elles jouent à peu près « comme les
autres » Les quatre saisons de Vivaldi et les Concertos de
Corelli… à ceci près qu’elles les jouent un demi-ton trop
bas. Stupéfiant, grandiose résultat de la « révolution
baroque » : jouer Le Printemps en (faux) mi bémol
majeur ! Ce dont ne s’aperçoivent pas la grande majorité
des auditeurs. Fallait-il pour cela chambarder le monde de
la musique classique ?
*
Troisième méfait : contamination
*
Établi le mythe du « diapason ancien plus bas », le
415 s’est imposé comme la référence pour toute la
« musique d’autrefois ». Le baroque ayant cantonné à son

182
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

seul bénéfice la musique dite « ancienne », qui a précédé


les Classiques viennois, les concerts et CD de musique
médiévale et de la Renaissance sont devenus bien rares,
les formations pouvant les jouer ont été presque toutes
exterminées. Parmi les rares qui restent, un Ensemble
Claude Janequin s‘est imposé et prouve son génie en
prononçant « à l’ancienne » le « roué de France ». Et bien
sûr il chante le plus souvent à 415, ce qui n’a aucun sens,
aucune justification. Sinon que c’est de la « musique
ancienne ».
Il en va de même avec le grégorien. Là aussi le
faible ambitus de ses hymnes et antiennes a permis de le
chanter « sans problèmes » au diapason évidemment local
pendant des siècles, montées les orgues dans les lieux du
culte. Mais aussi au diapason unifié, depuis sa
« reviviscence » dans le monde profane grâce à l’école
Niedermeyer. Depuis la « révolution baroque », la routine
s’est établie, pour les formations professionnelles chantant
le grégorien, de s’accorder à 415. Écorchant les oreilles
absolues avec des Credo et des Alleluia remplis de dièses
et bémols totalement incongrus. Quant à l’Ensemble
Hilliard, qui détient un certain monopole médiéval, il
s’accorde à des diapasons totalement aberrants; inaudibles.
L’intimidation par le 415 fait que certains
compositeurs de musique de film se croient très malins en
écrivant, pour les films « historiques », un demi-ton au-
dessous du ton convenable, alors qu’ils font jouer un
orchestre symphonique normal. Ainsi écrivent-ils en ré
bémol ce qui devrait être du ré majeur, en ut dièse mineur
ce qui devrait être du ré mineur. Lâche soumission ! Mais
qui laisse évidemment froide l’énorme majorité des
spectateurs… peine perdue ! La soumission est encore
plus déplorable pour ces musiciens, le m’as-tu-vu Yo Yo
Ma, l’altiste Antoine Tamestit qui jouent la plupart du
temps au diapason, et qui se mettent à 415 pour jouer –

183
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

exécuter – les Suites pour violoncelle seul de Bach. Qui


espèrent-ils séduire ?
*
Quatrième méfait : mise à mort de l’oreille absolue
*
« Il versa par les porches de mes oreilles
cette essence lépreuse dont l’effet glace et fige le
sang fluide et sain »
Shakespeare185

Le 415 agresse les oreilles absolues constituées


avant l’invasion baroque : elles sont en droit de protester
et peuvent encore exprimer les raisons de leur rejet, les
souffrances imméritées qu’on leur fait endurer. Mais au
fur et à mesure du vieillissement de leurs porteurs leur
nombre va aller en diminuant. Or le relais générationnel
est gravement menacé.
La constance du diapason, condition sine qua non
de la révélation de l’O. A., est battue en brèche par le
temps croissant de l’exposition au 415. Radio, concerts,
opéras, CD, la musique de deux siècles parmi les plus
« productifs », les plus chéris des mélomanes, est victime
de la « marée noire » du 415. Alors que la marée verte des
musiquettes omniprésentes reste à 440 – comme ce qui
reste de musique classique honnête. Prise entre deux feux
– voire trois ou quatre, avec le 392 et le 430 - la
prédisposition ne pourra jamais s’épanouir chez les jeunes
humains; tant que la subversion diapasonique n’aura pas
été vaincue. Son éradication ne semble malheureusement
pas faire partie des urgences préoccupant les responsables
culturels, qui tolèrent quand ils ne les subventionnent pas
les fraudeurs du diapason… Restera-t-il des oreilles
absolues au milieu du XXIe siècle ? On peut en douter.

185
Hamlet, acte 1, scène 5.

184
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Lèpre ou choléra, le 415 aura aboli une


merveilleuse faculté humaine. Ç’aura été un assassinat
culturel. L’avortement définitif - le génocide - d’une
potentialité inscrite dans le patrimoine biologique de
l’humanité, don naturel que le raffinement culturel permet
d’épanouir. Ceux qui ont joui de l’oreille absolue feront
partie des espèces disparues. On parlera de leur capacité
comme d’une particularité assez fabuleuse – voire fabulée.
La regrettera-t-on ? Tellement de gens l’ignorent
totalement. Tellement de gens n’y croient pas. Tellement
de gens s’en foutent…
*
II. UN NOUVEAU TERRORISME
*
« Quelle intolérance ! », m’a-t-on reproché, du jour
où j’ai commencé à faire entendre mes récriminations.
Gros vilain, je ne voulais pas hurler avec les loups, me
prosterner devant la si merveilleuse « révélation »
baroque. Parce que la baroquisation de presque deux
siècles de musique classique est intolérable ; parce que les
faux diapasons sont intolérables, et que tolérer
l’intolérable est une lâcheté, une démission. La génération
qui a précédé la mienne s’y est honteusement abandonnée,
laissant monter l’intolérable crue des exactions du monstre
d’outre-Rhin, jusqu’à Munich et la suite. Voilà qui nous a
vaccinés contre la veule soumission.
L’intolérance dont on m’accuse reflèterait donc la
prétendue tyrannie du diapason, dont je me serais fait le
zélé porte-parole. Reproche absurde. Y a-t-il une tyrannie
de l’heure, du système métrique, des longitudes ? La
mesure, τo μετρον, est le propre de l’homme. Il a besoin
de repères pour vivre, ne serait-ce que la division en sept
jours de la semaine du temps qui s’écoule. L’homme a
mesuré la hauteur des montagnes, chiffré en heures le flux
et reflux des marées, ce qui lui est bien utile, veut-il

185
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

prendre l’avion ou le bateau. Le diapason est de ces


repères, de ces mesures convenues mais nécessaires pour
relier les hommes entre eux. Ici pour faire de la musique
ensemble, ce qui est une des plus nobles activités de notre
espèce. On a vu combien l’établissement du diapason
enfin adopté fut un mouvement universel et salutaire.
La tyrannie n’est pas de mon côté. Elle est exercée
par ceux qui se sont proclamés champions de la « nouvelle
musique ancienne ». Il urgeait de « rénover », faire du
nouveau, en attaquant avec la plus ferme autorité un
« vieux monde » musical encroûté dans le conformisme.
« Il ne s’agit plus de proposer mais d’imposer », a
péremptoirement asséné Jean-Claude Malgoire, un des
plus forcenés représentants du baroquisme militant, le jour
de l’inauguration du funeste Centre de musique baroque
de Versailles. Voilà qui n’est guère pacifique, et ne semble
pas récuser l’usage violent de la contrainte. Ce qui est un
des moyens classiques (ah ! ah !) des révolutions.
Les « nouveautés » de Leonharnoncourt se
couvrirent ainsi du manteau de la révolution, la
« révolution baroque ». Pour séduire tous ceux qui adulent
la révolution – dont l’intelligentsia BCBG - pourvu qu’elle
n’affecte point leur confort domestique ni leur compte en
banque. « Révolutionnaristes » conformistes qui, le
sachant ou non, adhèrent aux théories du sinistre Theodor
Adorno186. Inspirées du marxisme, elles postulent qu’en
musique – comme dans les autres arts – les véritables
créateurs suivent un processus de « progressisme
historique ». Ce qui a permis à Boulez d’affirmer que
Schubert était « un musicien inutile »… Le progressisme
s’appuie sur l’« action révolutionnaire ». La révolution
étant évidemment un processus obligatoirement violent,

186
En France, André Hodeir s’en était fait l’écho : La musique après
Debussy.

186
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

qui détruit un ordre ancien déclaré mauvais, et en institue


un nouveau, assuré meilleur.
Qu’on me permette de penser qu’en art la
« révolution » peut dire tout et n’importe quoi187, et d’en
donner deux exemples contradictoires. Á propos des
« révolutions » dont on a crédité Beethoven et
Schoenberg.
Beethoven aurait été ce farouche, héroïque
révolutionnaire, ce « briseur de chaînes » qui avait « fait
éclater » les formes musicales du passé pour fonder une
« nouvelle musique ». Or Ludwig van ne fut jamais qu’un
révolutionnaire en mie de pain. Malgré ses déclarations et
opinions égalitaristes (contredisant son désir de toucher le
public cultivé – l’élite !) il serait mort de faim sans la
pension que lui versèrent ses protecteurs aristocratiques, et
leurs commandes. Et il n’y a que les niais pour croire que
l’Empereur du concerto est notre Napoléon. Alors que
c’est le bel et bon Empereur et Roi d’Autriche, définitif
vainqueur de l’« usurpateur » pour le plus grand bonheur
de ses sujets respectueusement soumis.
En fait Beethoven n’a rien détruit. Au contraire son
langage vigoureusement tonal (« on ne discute pas de la
Generalbass »), repose sur une harmonie fortement et
ostensiblement structurée – en retrait sur les subtilités de
Mozart. Tandis que son génie compositionnel constructeur
a su magnifiquement amplifier, élargir, approfondir les
formes (fugue, sonate, quatuor, concerto, symphonie)
léguées par Haydn et Mozart. D’ailleurs quand il s’écartait
du « format standard », il prévenait honnêtement : sonata
quasi una fantasia, fuga con alcune licenze. Il a laissé à
ses successeurs ces formes confirmées et magnifiées :
consolidateur et non destructeur. Á l’inverse la
« révolution dodécaphonique » a vraiment fait œuvre

187
« Une révolution complète en art est… impossible ; ce n’est pas un
moyen désirable en vue d’une fin ». Bela Bartók, Écrits, o. c., p. 288.

187
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

destructrice, à commencer par les dons indéniables de


Schoenberg, sacrifiés sur l’autel de la spéculation.
Voulant abolir – à contre-nature, on l’a dit, les
rapports hiérarchiques entre les notes confirmés par
l’harmonie tonale et/ou modale, elle a détruit l’adhésion
temporelle de l’auditeur au discours musical. D’autant que
le magister Schoenberg interdisait à ses disciples la
moindre répétition. Avec beaucoup de justesse,
Strawinsky qualifiait la musique d’« art du temps ». Á
l’écoute d’une œuvre musicale on part pour une aventure
temporelle dont le talent du compositeur a été capable
d’aménager les épisodes. Même les amateurs les plus
« zen » de « musique planante » ne sauraient se contenter
d’un seul son indéfiniment prolongé…
En détruisant d’un côté les jalons harmoniques
tension-détente, dissonance-consonance, de l’autre ces
retours, ces rappels réaffirmant au cours du temps les
assises fondatrices de l’œuvre et nous les mémorisant on
détruit tout ce qui donne à l’intellection des messages
sonores la prise compréhensive sur l’élaboration, la
structure de la composition ; on piétine aussi tout ce qui
constitue le « plaisir de la musique ». Subissant un flux
sonore erratique, un discours à la logique absconse,
l’auditeur désorienté peut certes savoir quand on
commence, mais il ne sait ni quand ni comment on va
finir ! On peut en dire autant de toutes ces œuvres qui
depuis un demi-siècle renient toute structuration obéissant
de près ou de loin à la hiérarchisation auditive tonale –
modale.
Apprenti sorcier inquiété par l’anarchie que son
antitonalisme principiel pouvait engendrer, Schoenberg
s’empressa d’édicter les règles tyranniques de son très
« intellectuel » système sériel. Il aggrava ainsi les
contraintes sans parvenir à rétablir la moindre sym-pathie
avec le déroulement temporel du discours musical,

188
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

toujours aussi insaisissable, en dissonance perpétuelle,


lassante donc inefficace.
De toute façon ces pesants discours de Schoenberg
et compagnie demeurent d’une monochromie exténuante,
le gris-noirâtre d’une perpétuelle angoisse, ponctué des
hurlements à la fin lassants donc inefficaces d’Erwartung,
de Lulu. La perpétuelle (sur)tension, sans jamais de
détente. Jamais un rayon de soleil, jamais un sourire,
jamais un moment de tendresse. Le concerto de violon de
Berg doit sa flatteuse réputation à son titre pleurnichard188
et à son accord final façon « Variétés », superposant le
sixième degré à l’accord parfait de si bémol majeur; alors
que tout le reste, le cul entre deux chaises, la tonale et
l’atonale, n’est qu’un lugubre festival de fausses notes ;
dont l’apparition, comme cheveux sur la soupe, du choral
de Bach incongruement transcrit en plat si bémol, en dépit
de son frappant éthos originaire en la majeur.
*
Parler de « révolution baroque » était en fait un bel
exemple de pataquès. Puisqu’il s’agissait de son exact
antonyme : une réaction ; un mouvement qui écoutait les
doléances des durs de la feuille se plaignant du « diapason
qui monte toujours » - au détriment des jeunes dont le don
fut sacrifié. En arrière toute ! Pour se retrouver trois
siècles plus tôt, avec des vieilleries instrumentales et des
diapasons flottants. Tout en prétendant qu’on effectuait
œuvre salutaire (progressiste !) en renonçant aux
instruments et façon de jouer « modernes ». Ce
modernisme « coupable » devenait désuet, et ceux qui le
défendent se sont vus taxer de passéisme. La façon
« moderne » de jouer la musique « ancienne » était ainsi
rangée parmi les vieilles lunes : « le moderne, c’est
ringard » !!! Un total confusionnisme ! Qui n’exclut

188
Dans le genre, je préfère de loin le Chant funèbre à la mémoire des
jeunes femmes défuntes, op. 37, de Charles Koechlin.

189
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

nullement la tyrannie. Car les réactionnaires peuvent eux


aussi être violents.
Les gourous baroquisants ont été couronnés de
l’auréole de l’omniscience. Comme si l’historicisme
muséographique supplantait le génie et le goût. Les
caciques de la secte savent tout, nimbés de l’« éclairage
historique » ils ont le droit d’émettre les oukases et de
proférer les anathèmes. Voire de prononcer des
condamnations. S’agissant de ces façons « modernes » de
jouer Rameau ou Lulli Jean-Claude Malgoire n’hésita pas
à parler d’« exécutions scélérates ». Ah mais ! Combien
d’années de travaux forcés ? – alors que les rigueurs de la
loi devraient plutôt s’abattre sur les faussaires du
diapason…
Le baroquisme règne ainsi par l’intimidation et la
culpabilisation. Il a déclenché une guerre contre ceux qui
lui résistent. On les traite de passéistes, de « romantiques »
(horreur !) ou tout simplement d’ignorants,
d’incompétents. Leurs discours sont déconsidérés par les
pontifes baroquisants de la même façon dont les freudiens
dénoncent avec commisération la « résistance à la
psychanalyse ». Comme si un rebouteux en remontrait à
un chirurgien sur sa technique d’hystérectomie. Certes la
médecine, la justice, la conduite des CC 6500 ne peuvent
s’exercer sans en avoir acquis le droit par la compétence.
Mais le domaine de l’art est quand même ouvert à tous.
Puisque c’est sa mission, et son ambition. Alors que le
baroquisme a confisqué jusqu’au discours sur la musique
des XVIIe et XVIIIe siècles. Et que ses tenants s’efforcent
de clouer le bec à ceux qui ne partagent pas leur dévotion,
les dénoncent comme hérétiques et les feraient volontiers
condamner pour délit d’opinion.
Le profane de bonne volonté n’est pas
obligatoirement informé du conflit. Bertrand Tavernier a
confié à Antoine Duhamel la musique de son film « Que

190
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

la fête commence ». Pour « faire époque » le compositeur


a sollicité La grande écurie et la chambre du roi,
formation baroque « dans le vent ». Á laquelle il a
demandé de jouer au diapason certaines musiques de
Philippe d’Orléans qu’il avait rafraîchies. Innocent ! Ces
messieurs de la Grande écurie, privés de leur cher 415 ont
mis une telle mauvaise volonté lors de l’enregistrement
que le réalisateur s’en est aperçu, et s’en est plaint avec
étonnement.
Les culpabilisateurs, juchés sur le piédestal de la
morale, ont de tout temps pourri la vie de leurs
congénères. J’ai connu comme tout le monde ceux qui
fustigent le goût des plaisirs charnels, ceux qui dénoncent
les délices de la table, ceux qui vitupèrent l’aisance
financière, et désormais certains qui accusent les pauvres
automobilistes de faire fondre la banquise. Les ayatollahs
du baroquisme ont inauguré une nouvelle forme de
culpabilisation. Ils imputent à péché le fait de ne pas
suivre leurs édits, et qui craint d’être complice doit se
démarquer des coupables. Le courageux livre iconoclaste
de Jean-Paul Penin189, paru en 2000, dénonçait « les
grotesques de la musique » à la façon de son cher Berlioz.
Il fut victime d’une véritable conspiration du silence de la
part des gazettes, n’eut pas le retentissement médiatique
qu’il méritait, et son argumentaire – évidemment tout
proche du mien - ne fut guère écouté des professionnels ni
de l’opinion.
Par contre tout « discours sur la musique » se doit
désormais de faire référence, révérence quasi obligatoire,
au « renouveau baroque », et dans la foulée, rendre
hommage au « travail admirable » de l’Harnoncourt et
autres malfaisants. Allégeance qui n’est que veulerie,
crainte de ne pas être « dans le vent », clin d’œil apeuré
aux redoutables garde-chiourme du baroquisme ; alors
189
Les Baroqueux ou le Musicalement correct, o.c.

191
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

même qu’on parle de l’enfance de Maurice Ravel ou des


amours impossibles de Ludwig van.
Il faut entendre ces commentateurs et présentateurs
radiophoniques faisant écouter telle œuvre des Premiers
classiques enregistrée avant le règne des baroqueux. Au
minimum « C’est avec une certaine nostalgie que je vous
fais entendre ce concerto de flûte enregistré par Kurt
Redel ». Plus engagé « On ne joue plus du tout cette
musique de cette façon là ». Jusqu’au « Comment peut-on
encore jouer comme ça ? » invective favorite de certains
critiques de disques qu’on pourrait suspecter d’être aux
ordres. Et ton accusateur, « guerrier », joie mauvaise,
malice médiévale qu’on retrouve dans les gazettes
musicales tout acquises à la secte.
La guerre est déclarée : « Fi des modernes, place
aux baroqueux ! »190. Viktoria Mullova décide de lâcher
son violon moderne et le diapason, sacrifie son oreille
absolue pour passer au baroque : « Viktoire ! » exulte
l’enragé baroquolatre Gaëtan Naulleau191. On annonce de
nouvelles parutions de CD baroques : « Extension du
domaine de la lutte »192. On se félicite : « Le diapason à
l’ancienne vibre à Cracovie »193… Etc., etc. Comme
pendant la guerre de 14, lorsque l’État-major se croyait
obligé de pondre chaque jour un communiqué entretenant
le moral des troupes.
Ce n’est pas pour me faire plaindre, mais pour
fournir un exemple démonstratif, que je rappelle les
réactions hostiles suscitées par les manifestations de ma
rébellion. Depuis mon article de presse de 1976 cartonnant
Leonhardt... de façon jugée trop vulgaire.

190
Diapason, avril 1999.
191
Diapason, octobre 2005.
192
Diapason, octobre 2004
193
Classica, juillet-août 2013

192
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Le regretté Robert Laffont fait paraître en 1982 le


Guide pratique des cantates de Bach, que nous avons
scrupuleusement établi avec mon frère historien Philippe.
Á l’époque personne ne s’était « mouillé » en tentant de
mettre de l’ordre dans une chronologie bafouée par le très
outrecuidant Schmieder, avec ses BWV parfaitement
fantaisistes. Un travail sincère et honorable, conforté par
les travaux historiques publiés ultérieurement ; il permet
de ne plus croire que la Cantate BWV 1 (ZK 114) soit la
première écrite par JSB, alors que la BWV 199 (ZK 15)
daterait de la fin de sa vie194. Nous avions évidemment
préconisé les exécutions « modernes » de ces chefs-
d’œuvre, faisant aux baroqueux les reproches justifiés
qu’ils méritent.
Les éditions Robert Laffont avaient une collection
commune avec la revue Diapason. La coédition permettait
une bonne publicité et une bonne diffusion. Le
responsable de la collection, baroquophile vexé et
craignant peut-être la concurrence avec son propre
ouvrage à venir sur les Cantates de Bach refuse sèchement
la collaboration, nous accusant d’accumuler les âneries.
Notre livre, bien qu’acheté par tous les sectateurs,
référencé dans les bibliographies internationales, ne
connaît qu’une diffusion confidentielle, et s’épuise chez
l’éditeur. Il attend 23 ans avant d’être enfin repris par
l’Harmattan.
Mon numéro de la Revue musicale de 1984 se fait
« cartonner » comme vilaine manifestation d’intolérance
sur France-Musique. Dans le journal le Monde Gérard
Condé propose de balancer mon opuscule parmi les
feuilles mortes et autres détritus, après quoi il me souhaite
charitablement de pouvoir enfin entendre Kuijken et

194
Seule incertitude : quelle fut la véritable première cantate écrite par
JSB – pour nous la ZK 1. Nous avions d’abord opté pour la BWV 131,
alors que ce serait plutôt la BWV 4.

193
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Malgoire lorsque mon oreille absolue aura baissé d’un


demi-ton, atteinte par la sénilité195. Une émission de
France-Culture est consacrée conjointement à mon texte
et au « génial » Discours musical d’Harnoncourt. Sous la
houlette d’une madame Geneviève Dutilleux (sans rapport
avec le compositeur). Mon soutien « opiniâtre » au
diapason unifié me vaut d’être comparé à un peu
sympathique leader d’extrême droite, on m’accuse de « ne
pas savoir écouter », et j’apprends d’étonnantes
informations. Selon madame Dutilleux, c’est au chef
d’orchestre de décider « au dernier moment » à quel
diapason on va jouer. Et ses éminents collaborateurs
tombent d’accord sur ma profession de psychanalyste – je
dis que je suis chirurgien dès la page 19… Voilà des gens
compétents ! Et qui avaient « bien lu » mon texte, avant de
le passer au crible du conformisme baroquophile !...
Jean-Claude Veilhan, hautboïste baroque de son
état, n’avait pas apprécié ma défense du diapason au cours
d’une conférence tenue dans les locaux des pianos
Hamm196. Publiant un livre à la gloire de son horrible
bigophone, il tenta de me salir en prétendant que j’avais
attribué au viol le pouvoir de guérir la frigidité197. Il a fallu
menacer son éditeur des foudres de la Justice pour que le
passage scandaleux soit caviardé.
Un périodique français s’intitule Diapason. Non
dépourvu d’humour, il pousse la facétie jusqu’à décerner
des récompenses, des « diapasons d’or », à des
musiciens… qui ne jouent pas au diapason. Dans
l’atmosphère délétère qui fait prendre les baroqueux pour
des artistes émérites. Diapason est un de leurs agents
publicitaires résolus. Il a consacré des numéros entiers à la

195
Le Monde, n° 12313, 28 août 1984.
196
Le 23 mai 1984.
197
C’était une calomnie propagée par Claude Sarraute, du Monde. Le
journal a dû faire amende honorable.

194
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

gloire du « renouveau baroque ». Il organise des concours-


tombolas où les plus érudits en baroquisme sont
récompensés par des CD198. Diapason d’or donc pour
l’affreux Harnoncourt massacrant à 415 la Messe en si de
Bach (devenue messe en si bémol, mars 2008), pour
l’affreux Gardiner massacrant à 430 la Missa solemnis de
Beethoven (février 2014). Les responsables de Diapason
connaissent-ils la hauteur du diapason ? Un de ses
rédacteurs les plus influents, thuriféraire du baroque, y
traita hardiment mon livre Le Diapason d’ouvrage
vraiment « peu sérieux »199. Après quoi il publia son
propre historique du diapason, qui ne contenait pas le
dixième des références historiques, musicologiques,
scientifiques… sérieuses, toutes vérifiables, citées dans
mon ouvrage.
*
Un véritable terrorisme culturel s’est installé. Qui
refuse de passer sous les fourches caudines du baroque est
chargé de tous les péchés d’Israël, tandis que le reste des
mélomanes doit se soumettre au dogme, et n’en pas
dévier, surveillés par les gardiens de la foi.
Les raisons de cette exclusivité sont « toutes
bêtes » et toutes classiques (ah ! ah !). Deux des
principales motivations agitant les humains : l’argent et le
pouvoir.
Le « mouvement baroque » s’est organisé en
lobby. Il a fait une chasse gardée de la musique parmi les
plus écoutées, les plus compréhensibles au mélomane
occidental moyen. Défense de jouer autrement qu’« alla
barocca ». Dans la foulée de Leonharnoncourt, plusieurs
firmes de disques se sont lancées dans l’enregistrement

198
Diapason, supplément au n° 359.
199
« Hauteur et misère du diapason », Yvan A. Alexandre, Diapason,
n° 481, mai 2001.

195
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

intégral des 202 cantates sacrées de Bach200 – et vendent


bien leurs CD d’orchestres, solistes, chœurs et diapason
baroques, unanimement loués par « la critique », qu’il
s’agisse d’Herreweghe, de Koopman ou de Suzuki.
Trouverait-elle de courageux interprètes, aucune de ces
firmes n’oserait se lancer dans l’intégrale des ballets et
tragédies lyriques de Rameau enregistrés au diapason avec
des orchestres normaux. Leurs directeurs artistiques et
commerciaux trembleraient à l’idée de « contrarier » la
secte et ses supporters. Le groupe de pression leur ferait
subir une mortelle campagne de dénigrement ; elles ne
vendraient rien. Le lobby veut garder le fromage de ce
répertoire de la musique classique dont le marché est
porteur, qui peut donc encore rapporter de l’argent. Il lui
faut garder le juteux monopole des concertos de Vivaldi,
des cantates de Bach et des opéras de Rameau. On peut
ainsi remplir le tiroir-caisse, éliminés les concurrents
écrasés sous le rouleau compresseur du lobby. Et régner
sur le bon peuple, sur les musiciens, sur la critique, sur les
concerts, sur l’industrie du disque, savourant l’enivrant
parfum du pouvoir.
Ces gens-là, oui, je les abomine. Puisqu’ils m’ont
déclaré la guerre. Agressant mes goûts, agressant mon
oreille absolue, me privant d’une musique qui, avant leur
confiscation, avait fait mon bonheur. C’est eux qui ont
commencé ! Alors que je leur avais rien fait ! Je suis donc
en état de légitime défense. Toute petite consolation : je
suis conforté dans ma détestation par le trombinoscope du
baroque. Féru de culture hellénique, je joins le beau et le
bon, καλοσκαγαθος, le laid et le mal. Je suis servi là par
l’adéquation entre la face de carême des caciques du
baroque et ce que je ressens à leur encontre. Des
grotesques que j’aimerais voir raillés par un nouveau

200
Les CD d’Helmuth Rilling, au diapason, sont heureusement
toujours disponibles en 2014.

196
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Daumier. Affichés au mur comme cibles, qu’il me serait


plaisant de les larder de fléchettes !
Évidemment, que je ne cautionne pas le « délit de
sale gueule ». Mais enfin comment ne pas reconnaître que
certaines saintes icônes du baroquisme n’ont rien
d’affriolant ? Ô la mine sinistre de Gustav Leonhardt ! Cet
air de chattemite – des vilains diraient de faux-cul ! Et la
laideur rédhibitoire des frères Kuijken ! Comment
laissent-ils paraître publiquement leur portrait ? C’est un
réquisitoire ! Et les petits yeux de cochon de Gardiner,
trop rapprochés du nez comme sur une caricature de mon
cher Siné. Et surtout le faciès crispé, l’oeil vrillant,
inquiétant, agressif, proprement tyrannique,
d’Harnoncourt ! Jeune homme impressionnable, il me fait
froid dans le dos. Cet adversaire résolu de la Révolution
française n’aurait-t-il pas dans ses ascendants un
Obersturmführer ?
La peste que je dénonce pourrait ainsi avoir la
couleur brune de ces chemises qui ravagèrent en leur
temps des contrées aussi civilisées que l’Allemagne et
l’Autriche avant d’envahir le reste du Vieux Monde.
Potache sous l’Occupation dans mon cher bon vieux lycée
Henri IV j’entendais passer, depuis mes salles de classe,
des pelotons de soldats en feldgrau remontant la rue de
l’Estrapade. Ils se rendaient au Panthéon, orgueilleux
emblème de cette France qu’ils avaient vaincue et
humiliée, marchant au pas en chantant quelques airs bien
virils. J’imagine l’Harnoncourt marchant à la tête de
troupes auxquelles il ferait chanter (à 415, évidemment)
l’hymne martial du baroquisme conquérant : « Barock
über alles ! »...
Or les quatre-cents-quinzistes montreraient-ils tous
une face angélique qu’on pourrait dire que, tels Lucifer, ils
sont d’autant plus beaux que leur dessein est plus

197
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

démoniaque, ou que, tels l’ara, leur ramage ne vaut pas


leur plumage.
Toutes ces figures du baroque, ce sont les
Philistins, les envahisseurs, l’ennemi. Et en quelque sorte
des délinquants puisque, par leurs diapasons frauduleux,
ils nuisent à des enfants prédisposés, dont ils empêchent le
don de s’épanouir. Des gens auxquels on ne serre pas la
main. Avec lesquels il n’y a ni dialogue ni compromis
possible. L’oreille est absolue, qu’ils ont attaquée. Nous ne
sommes pas du même sang, vous et moi.
Et comme j’aimerais qu’on leur applique « à
l’ancienne » la sanction de leurs méfaits ! Avec des gibets,
des cordes et des bûchers d’époque !

198
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

SIXIÈME MOUVEMENT. BOURRÉES I et II

DE SALUTAIRES MESURES D’HYGIÈNE

I. Châtiment d’époque

Le Tribunal des arts présidé par le dieu Apollon,


assisté à sa droite des muses Euterpe et Erato, à sa gauche
des saintes Cécile et Brigitte, s’est réuni sur le Parnasse
pour juger les coupables de :
mainmise à leur seul profit sur plus de deux siècles
de musique savante occidentale, qu’il s’agisse de son
exécution publique, de son enregistrement, de son
enseignement en organisme officiel ou privé
injure publique envers cette musique, traitée de
baroque
confection et usage d’instrument déficients
création de compagnies de coquins utilisant ces
instruments non conformes
accord frauduleux, ne respectant pas le diapason
établi par des conventions internationales
pollution obligée de l’atmosphère sonore en
certains lieux publics
détournement de talents qui auraient pu s’épanouir
honnêtement
massacre culturel de l’oreille absolue

en conséquence

Seront brûlés en effigie les sieurs

- Leonhardt, Gustav
- Ross, Scott
- Wenzinger, August

199
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Seront essorillés puis pendus haut et court les dits


- Alarcon, Leonardo Garcia
- Biondi, Fabio
- Bonizzoni; Fabio
- Brüggen, Frans
- Bylsma, Anner
- Christie, William
- Curtiss, Alan
- Fagioli, Franco
- Fasolis, Diego
- Gardiner, John-Eliot
- Goebel, Reinhard
- Hansen, David
- Hantaï, Pierre
- Harnoncourt, Nikolaus
- Herreweghe, Philippe
- Hogwood, Christopher
- Jacobs, René
- Koopman, Ton
- Mac Geggan, Nicholas
- Malgoire, Jean-Claude
- Niquet, Hervé
- Pichon, Raphaël
- Pinnock, Trevor
- Ponsel, Marcel
- Reyne, Hugo
- Rousset, Christophe
- Schnebelli, Olivier
- Scholl, Andreas
- Smith, Hopkinson
- Spinosi, Jean-Christophe
- Suzuki, Masaaki
- Van Immerseel, Jost
- Van Waas, Guy

200
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Seront brûlées comme sorcières les dites

- Bartoli, Cecilia
- Frisch, Céline
- Gaillard, Ophélie
- Genaux, Viveca
- Haïm, Emmanuelle
- Huggett, Monica
- Kojena, Maria
- Malgoire, Florence
- Stutzman, Natalie

Par mesure de clémence, pour avoir publiquement avoué


obéir au démoniaque accord 415, auront le col rompu par
le bourreau avant la crémation les dites

- Beyer, Amandine
- Bianchini, Chiara
- Mullova, Viktoria

Refusant de se soumettre au diapason, seront dissoutes,


leurs instruments confisqués pour relégation aux archives
les formations ci-après désignées201

- Academia Montis Regalis


- Academy of ancient music
- Les Agrémens
- L’Arte del mondo
- Les Arts florissants
- Bach Collegium Japan

201
Cette liste des fripons et friponnes ne jouant pas au diapason est
établie pour dissuader mes lecteurs de dépenser leur argent en achetant
leurs CD ou en allant écouter leurs concerts. Proliférant comme
vermine à la surface d’une charogne, il est hélas difficile d’en établir
la liste exhaustive.

201
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

- Café Zimmerman
- Capella savaria
- Collegium vocal de Gand
- Complesso barocco
- Concentus musicus
- Le Concert d’Astrée
- Le Concert des nations
- Le Concert spirituel
- Concerto italiano
- Concerto Köln
- Das kleine Konzert
- English concert
- Ensemble Amaryllis
- Ensemble baroque de Fribourg
- Ensemble baroque de Limoges.
- Ebsemble baroque de Nice
- Ensemble Clément Janequin
- Ensemble Masques
- Ensemble Matheus
- Ensemble Pomo d’Oro
- Ensemble Pygmalion
- Ensemble 415
- Ensemble Villancico
- Ensemble Zefiro
- L’Europa galante
- Freiburger Barockorchester
- Gli Incogniti
- La Grande écurie et la chambre du roy
- I Barocchisti
- Il Giardino armonico
- I Turchini
- London baroque soloists
- Monteverdi choir
- Musica antiqua Köln
- Les Musiciens de saint Julien.

202
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

- Les Musiciens du Louvre et de Grenoble


- Orchestre baroque d’Amsterdam
- Orchestre baroque d’Helsinski
- Orchestre de la Chapelle royale
- Orchestre des Champs Elysées
- Orchestre du XVIIIe siècle
- Orchestre du siècle des lumières
- Ochestre du théâtre royal de Drottningholm
- Orchestre révolutionnaire et romantique
- Les Pages
- La Petite bande
- Quartetto Festetics
- Quatuor Chiaroscuro
- Quatuor Ruggieri
- Quatuor Mosaïques
- La Risonanza
- Les Siècles
- La Simphonie du marais
- Les Surprises
- Tafelmusik
- Les Talens lyriques
- The Hannover band

Après avoir abjuré solennellement le démoniaque accord


415 auquel ils ont eu la faiblesse de céder, seront
condamnés à six mois de pénitence, jeûne et abstinence les
dits

- Bonney, Barbara
- Gens, Véronique
- Piau, Sandrine
- Rattle, Simon
- Roth, François Xavier
- Tamestit, Antoine
- Yo yo ma

203
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

II. Ils iront au Paradis

En plein quatre-cents-quinzisme, ont eu le courage de


respecter le diapason pour jouer les musiques des siècles
passés :

- Berliner barock Solisten


- Biller, Christoph
- Capella Gabetta
- Chailly, Riccardo
- Ensemble Galatea
- Ensemble La Fenice
- Hewitt, Angela
- La Cetra d’Orfeo
- Pasticcio barocco
- Perahia, Murray
- Procopio, Bruno
- Rilling, Helmuth
- Snirnova, Lisa
- Stadtfeld, Martin
- Tharaud, Alexandre
- Van Nevel, Paul

204
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

SEPTIÈME MOUVEMENT. PASSEPIED

SUPPLIQUE AU MINISTRE DE LA CULTURE

Les mêmes causes produisent les mêmes effets. La


musique savante occidentale ne vivra pas éternellement en
situation de schisme. Les excès du passéisme
authenticomaniaque lui feront perdre son influence et sa
tyrannie. Dans cinquante ans, dans un siècle, les
instruments les plus performants et les plus goûteux
finiront par faire reléguer au grenier les guimbardes
baroques. Dans cinquante ans, dans un siècle le diapason
réunifié permettra à nouveau à tous les musiciens honnêtes
de s’accorder entre eux. Mais ma génération, et deux ou
trois autres auront disparu, après avoir bien souffert. Est-il
possible de hâter ce retour à la raison, ce retour à l’unicité
du monde de la Musique ?
Hic et nunc il serait très amusant, pour dix ou
douze paires d’oreilles absolues, de se disséminer dans la
salle où va retentir un « merveilleux » concert baroque, et
de souffler très fort en même temps dans dix ou douze
sifflets à 440, pendant que le bigophone de service pousse
son affreux la 415202. On aurait aussi pu organiser une
manifestation devant cette salle de concert, avec de
grandes pancartes proclamant « Á bas le 415 » ! Troubles
de l’ordre public dont l’efficacité ne serait pas garantie !
Davidsbündler agressés en droit de se défendre, mais
citoyens pacifiques.
Culpabiliser les quatre-cents-quinzistes en leur
faisant valoir qu’à chaque fois qu’ils s’accordent à un

202
C’est ce responsable de l’accord qu’une disposition légale devrait
contraindre à « annoncer la couleur » avant le concert, pour dire
clairement aux auditeurs à quel « diapason » leurs oreilles vont être
soumises.

205
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

diapason frauduleux ils commettent une mauvaise action,


participant au génocide de l’oreille absolue, pourrait peut-
être convaincre certaines formations à revenir au diapason.
D’autant que certains étiquetés baroques jouent au
diapason : Pasticcio barocco, Berliner barock Solisten.
Les transfuges du 415 craindraient de se faire accuser de
trahison, tant que le respect du 440 ne serait pas
(re)devenu une mesure officielle obligatoire. Le salut ne
peut venir que des autorités responsables de la Culture, de
la Musique. Selon l’expression consacrée il est possible de
les « sensibiliser » aux méfaits du baroquisme et du 415.
En parlant du respect des accords internationaux en faveur
du 440, en parlant d’espèce menacée et de patrimoine
humain.
Dans la foulée « sensibiliser l’opinion » des
mélomanes sous-informés ne serait pas inutile. Un
avertissement prévient les fumeurs, sur les paquets de
cigarettes : « Fumer tue ». Une mise en garde pourrait
figurer définitivement sur les enregistrements. Á défaut de
« Le mauvais diapason tue l’oreille absolue », l’éventuel
acheteur pourrait hésiter, lisant « Cet enregistrement n’est
pas au diapason ». La diffusion radiophonique de ces
enregistrements devrait signaler cette irrégularité. Outre le
nom des interprètes les présentateurs nous disent bien la
date de l’enregistrement, voire son lieu et le nom du
fabricant de disques. On peut toujours rêver : les
interprétations baroqueuses ayant fini par saturer le
marché, les responsables commerciaux des organisations
de concerts, des firmes de disques trouveraient peut-être
un jour fructueux, pour pouvoir encore vendre du Vivaldi
et du Rameau, de recourir à des formations « modernes ».
Les chargés de publicité pourraient alors allécher les
clients : « Bach vivant parmi nous », « Haendel de notre
temps »… pour une fois que le goût du profit favoriserait
le bon goût !

206
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Bien entendu, il restera toujours loisible à ceux qui


aiment ça de se « shooter » chez eux à 415 ou à tout
accord les émoustillant, comme d’autres se régalent à la
maison avec les menottes érotiques ou leurs joints extra-
super. Il sera toujours loisible d’organiser des « baroque-
parties »203 privées où l’on viendra poudré costumé à
l’ancienne, pour se délecter de hautes-contre, de clavecins,
de gambes et de cornets à bouquin en buvant du tokay et
du sirop d’orgeat. Mais que ces messieurs-dames du
baroque cessent d’occuper le haut du pavé, qu’ils soient
descendus du piédestal d’où ils toisent les
« obscurantistes » que n’illumine pas l’«éclairage
historique», qu’ils cessent de verser leur venin dans les
oreilles innocentes.
Détrôner le baroque, dénoncer dans l’opinion son
monopole abusif, exiger que tous les petits Français
n’entendent qu’un seul diapason, ne se fera pas sans cris
d’écorchés poussés par les vedettes de la secte. Ces gens
qui ont pu exercer en toute impunité leur impéritie se
diront victimes d’un tyrannique autoritarisme (fasciste,
pourquoi pas !). Quand on les priera de se mettre au
diapason ou de renoncer aux apparitions publiques, quand
on les priera d’indiquer par une étiquette sur les supports
de leurs enregistrements le niveau d’accord, comme on
met la date de péremption sur les pots de yaourt et les
aliments sous cellophane…
Rester sourd à leurs jérémiades ne demandera
qu’un peu de courage. Car leurs thèses sont toutes
réfutables, ce que je me suis appliqué à démontrer tout au
long de ce texte. Il ne s’agit que de revenir aux critères de
l’esthétique, et obéir aux engagements de notre pays. Dans
mon numéro de la Revue musicale j’avais déjà répertorié
les quelques mesures simples permettant de faire

203
Les parties des clubs échangistes sont tolérées tant qu’elles ne
troublent pas l’ordre public…

207
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

reprendre la bonne route à la musique que le « mouvement


baroque » avait détournée du droit chemin.

Association pour le respect du diapason (A.R.D.)


à
Madame-Monsieur la-le ministre de la Culture

Madame-Monsieur

Depuis quelques décennies une mode s’est


installée, qui considère comme « musique baroque » celle
écrite au XVIIe siècle et la moitié du XVIIIe par les
compositeurs de musique classique. Cette musique est
devenue la propriété quasi exclusive d’artistes et
formations s’étant eux-mêmes baptisés baroques. Ces
musiciens n’obéissent plus au diapason consacré par des
accords internationaux auxquels la France a régulièrement
adhéré. Ils empêchent de faire carrière d’autres musiciens
n’obéissant pas aux critères de style et d’exécution par eux
établis arbitrairement, et qu’ils imposent par l’intimidation
au monde la musique. Il y a là un abus et une infraction
auxquels il est de votre responsabilité de remédier.
Le terme baroque est parfaitement inapproprié pour
qualifier une musique qui est un des fondements de l’art
musical classique occidental. La musicologie française
s’est longtemps refusée à qualifier ainsi la musique écrite
entre la Renaissance et celle des classiques Viennois.
C’est une erreur esthétique. Quant aux diapasons non-
conformes ils entravent le développement de l’oreille
absolue chez les jeunes en possédant la prédisposition :
ainsi est sacrifié un inestimable patrimoine humain. Ils ont
aussi conduit à dérégler l’accord de certaines orgues
anciennes ; c’est la dégradation d’un précieux patrimoine
historique.

208
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

En conséquence nous nous permettons de vous


soumettre quelques propositions dont l’application légale
permettrait de remédier à ce fâcheux état de fait. Elle
accomplirait le vœu de la Réunion de Salzbourg de 1968,
incitant les gouvernements à prendre les mesures
appropriées au respect du diapason :

1° Veiller à ce que les futurs manuels scolaires ne


qualifient plus de baroque la musique écrite entre 1600 et
1750. Ses compositeurs devront reprendre leur
dénomination de Premiers classiques. Une circulaire
enjoindra aux enseignants de la musique d’appliquer dès à
présent cette dénomination lors de leurs cours aux élèves.

2° Exiger que tous les organismes et formations


officiels consacrés à la musique, Conservatoires, Écoles de
musique, opéras et orchestres subventionnés n’utilisent
que le diapason unifié à 440 Hertz le la 3.

3° Fermer dans ces écoles et conservatoires tous


les cours consacrés à l’art prétendu baroque, chant,
instruments, danse.

4° Faire cesser toute éventuelle subvention


officielle aux artistes et formations ne respectant pas le
diapason.

5° Exiger que lors de toute exécution publique où


n’est pas respecté le diapason l’infraction soit signalée par
une annonce préalable et sur le programme imprimé. Elle
indiquera la hauteur de l’accord utilisé.

6° Faire mentionner sur les supports de musique


enregistrée, compacts-discs, cassettes, etc. une inscription
indiquant visiblement l’accord de l’exécution, s’il n’obéit

209
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

pas au diapason. La précision devra être mentionnée lors


de la diffusion radiophonique de ces enregistrements.

7° Instaurer une taxe de non-conformité


diapasonique appliquée à toute exécution et tout
enregistrement n’obéissant pas au diapason.

8° Faire remettre au diapason toutes les orgues, de


concert ou d’églises ouvertes au public, dont l’accord
aurait été modifié pour l’éloigner du la 3 à 440.

Avec l’expression de notre profond respect et dans


l’espoir que vous voudrez bien prendre en considération le
bien-fondé de nos propositions nous vous prions de bien
vouloir agréer Madame, Monsieur la-le ministre, etc…

210
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

POSTLUDE

L’art des sons est un langage secret qui parle sans doute
aux cœurs,mais qui choisit les cœurs avec une curieuse
parcimonie
Claude Samuel204

La colère, la vindicte mais surtout un immense


chagrin, une grande frustration ont inspiré ce texte. On
m’a volé Rameau, on m’a volé Lulli, et Couperin, on m’a
volé Purcell et les fils de Bach, et tant d’autres205. Parution
après parution la presse musicale m’apprend la sortie en
CD des œuvres les plus variées, la représentation d’opéras
des Premiers classiques joués par des coquins qui ne
s’accordent pas au diapason. Ce qui ne les empêchera pas
de se voir attribuer un glorieux « diapason d’or » (en
toc !). Livraison après livraison, les très beaux très
coûteux volumes de l’édition complète de Haendel, les
opéras, les oratorios, s’entassent dans la bibliothèque sans
que je sache si j’en entendrai un jour les notes. Chirurgien-
urologue et musicien, je n’ai jamais pu entendre au
diapason l’Opération de la taille de Marin Marais. Matin
midi et soir, il se passe rarement une heure sans que le
présentateur-la présentatrice de la radio ne m’inflige le
supplice du petit bâton 415 dans les oreilles (« et
maintenant voici de la musique baroque ») et parfois en
même temps sur les deux chaînes radiophoniques diffusant
« du classique » en France : l’enfer sur le tuner
domestique comme sur l’autoradio - ce sera ma pénitence :
entendre éternellement du 415, en sanction de mes lourds
péchés !

204
Panorama de l’art musical contemporain, NRF, p. 781.
205
Pour Bach père, j’ai pu faire des provisions !

211
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

J’ai déjà évoqué la « peste brune » à propos de


l’infestation envahissante que le baroque fait subir au
corpus de la musique savante occidentale. Peste brune qui
avait contaminé tout le Vieux Continent. J’ai connu
l’Occupation, son froid, sa faim, sa nuit. Certains jours
l’espoir semblait définitivement éteint. Et puis les
héroïques combattants Alliés sont venus périr sur nos
plages pour nous délivrer du monstre, et nos chers pays du
Vieux Continent défigurés écrasés sous la botte ont
retrouvé leur visage. Maintenant, hic et nunc, il n’y a pas
mort d’homme. Mais c’est bien une sorte d’Occupation
que subit le monde de la musique classique. Les hordes
baroques ont planté leur étendard grinçant sur une de ses
plus belles contrées. Ce pays merveilleux où s’élèvent les
sommets Bach et Rameau, ou s’étendent les prairies
Vivaldi et Couperin, où coulent les ruisseaux Scarlatti et
Jean-Marie Leclair. Qui la délivrera ? Qui rendra son
visage à cette musique si chère à nos cœurs ? Sans laquelle
nous perdrions tant de joies, de goût à vivre ?
Trois héros manquent encore pour nous rendre
deux siècles de musique indûment confisqués. Un Charles
Martel pour arrêter le flot des envahisseurs. Une reine
Isabelle pour reconquérir la contrée occupée. Et le
Christophe Colomb, compositeur de génie, nouveau
Vivaldi, nouveau Beethoven, nouveau Strawinsky - il en
naît rarement plus d‘un par siècle - qui saura mener la
musique savante d’Occident vers de nouveaux et
merveilleux rivages.
Le Charles Martel, ministre rétablissant la stricte
observance diapasonique et rebaptisant le Centre de
Versailles : Centre de musique française classique, chef
d’orchestre réputé, grande vedette du chant ou du violon,
qui sortira de la langue de bois, saura dire « le roi est nu »,
saura convaincre les instances responsables, politiques et
artistiques, en proclamant régulièrement, haut et fort « le

212
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

baroque, c’est laid, c’est faux, c’est ringard ». Ma


Supplique lui fournit les mesures simples et de bon goût
possibles à réaliser : les remèdes pour guérir l’épidémie
baroque. La reine Isabelle, aux côtés de son valeureux
époux, saura enrôler sous sa bannière les vaillants
musiciens, les vaillants chanteurs et vaillantes chanteuses
qui chanteront et joueront au diapason, avec de bons
instruments, cantates et opéras, concertos et sonates de nos
Premiers classiques. Quant au génie créateur, il permettra
de « sortir par le haut » du cachot baroque. En attirant à lui
tous ces artistes, musiciens compositeurs et exécutants
férus de nouveauté, d’exaltante innovation, ou tout
simplement ambitieux, qui regarderont devant eux et non
dans leur dos, hypnotisés par les sépulcres blanchis – à
eux de séduire leur auditoire. Tandis que s’étioleront les
cliques baroques.
Je ne suis pas niais au point de croire qu’un jour la
création d’un nouveau Don Giovanni, d’une nouvelle
Symphonie fantastique, d’un nouveau Sacre fera autant de
bruit que ses glorieux ancêtres. Qu’il aura autant d’éclat,
de retentissement culturel, atteignant les avocats comme
les médecins, les conducteurs de transports en commun
comme les caissières de supermarché; et les enseignants,
victimes de choix de la prédication authenticomaniaque.
Mais je ne veux pas être aussi pessimiste que Arthur
Honegger qui, dans les années 1950 prédisait la mort
inéluctable de la musique savante d’Occident, par
désintérêt culturel général, tarissement de ses sources,
épuisement de ses ressources compositionnelles. Il est vrai
qu’en ce début du XXIe siècle combien de braves citoyens
français sauraient-ils citer le nom ne serait-ce que d’un
seul compositeur de « grande musique » vivant ? Il faut ne
se faire là aucune illusion. La musique savante occidentale
n’a toujours été et ne sera jamais le fait, la passion, que de
happy few. Mais pour ceux-là qui maintiennent le

213
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

flambeau elle doit tout autant sauvegarder le trésor,


inestimable témoignage de ce que l’humanité sait faire de
plus précieux, que l’enrichir de nouveaux joyaux206.
« Notre » musique n’est peut-être pas à bout de
souffle. Surmontant l’épreuve de la subversion
baroquisante, elle peut faire fleurir une nouvelle
Renaissance. La verrai-je avant de mourir ? Verrai-je au
contraire la peste et le choléra baroques étendre leurs
ravages, trouvant de moins en moins de réfractaires à leur
virus, valeureux résistants sensibles à mon discours, à
celui de Roland de Candé, de Jean-Pierre Penin ? Je n’en
démordrai pas pour autant de mon invincible dégoût, de
mon total rejet, que nourrit le plus fervent amour de la
musique.
« Et s’il n’en reste qu’un, je serai celui-là ».

*
Du baroque à jamais je demeure ennemi.
La haine est un doux mot, pour traduire à demi
Le noir ressentiment qu’il me fait endurer.
Jusques à mon trépas il lui faudra compter
Avec la vive ardeur de mon exécration.

Le classique toujours, seul digne de passion,


Finit par triompher, adorable vainqueur,
De la cacophonie qui piétine nos cœurs.
Diapasons frauduleux, instruments de torture,
Je veux vous voir détruits, réduits en pourriture.

Après avoir régné sur les sots et les vains


Baroqueux abhorrés, vous serez cois enfin.
Du fond de l’Achéron vos violes et vos chants
Jamais plus ne viendront baroquer nos tympans.

206
Des perles bien régulières !

214
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

BIBLIOGRAPHIE

- Ansermet, Ernest :
Les fondements de la musique dans la conscience
humaine, Robert Laffont, collection Bouquins, 1961-1989.
- Barbier, Patrick :
Histoire des castrats, Grasset, 1989.
- Bartók, Bela :
Écrits, Contrechants, Genève 2006.
- Benoist, Jean-Marie (sous sa direction) :
Figures du baroque, Colloque de Cérisy, P.U.F.
1983.
- Blanchard, Roger et Candé, Roland de :
Dieux et divas de l’opéra, Plon, 1986.
- Bragard, Roger et de Hen, F.J. :
Les instruments de musique dans l’art et l’histoire,
de Visscher, 1973.
- Chailley, Jacques:
Histoire musicale du Moyen-âge, P.U.F., 1950.
- Chouard, Claude-Henri :
Etude environnementale et électrophysiologique de
l’oreille absolue. Bulletin de l’Académie Nationale de
Médecine, 1990, 174, n° 1.
L’Oreille musicienne, Gallimard, 2001.
Vaincre la surdité, éditions du Rocher, 1995.
- Cordier, Serge :
Piano bien tempéré et justesse orchestrale, Buchet-
Chastel, 1982.
- Dufourcq, Norbert :
Petite histoire de la musique en Europe, Larousse,
1942.
- Dürr, Alfred :
Die Kantaten von Johann Sebastian Bach, Deutsch
Taschenbuch Verlag, 1971.

215
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

- Duteurtre, Benoît :
Requiem pour une avant-garde, Les Belles lettres,
2006.
- Einstein, Alfred :
Mozart, tr. fr. Desclée de Brouwer 1954.
- Emmanuel, Maurice :
Histoire de la langue musicale, 1911, reprint éd.
Laurens, 1980.
- Geiringer, Karl :
Jean-Sébastien Bach, tr. fr. Le Seuil, 1970.
- Girdlestone, Cuthbert:
Jean Philippe Rameau, tr. fr. Desclée de Brouwer,
1962.
- Homo-Lechner, Catherine :
Sons et instruments de musique au Moyen Âge,
Errance, 1996.
- Hütte :
Des Ingenieurs Taschenbuch, W. Erns und Sohn,
Berlin, 1908.
- Jankélévitch, Vladimir :
Fauré et l’inexprimable, Plon, 1974.
- Koechlin, Charles:
Les instruments à vent, PUF, collection Que sais-je ?
n° 267, 1948.
- Leipp, Emile:
Acoustique et musique, Masson-Dunod, 1970.
Du diapason et de sa relativité, La Revue
musicale, n° 294, 1977.
La Machine à écouter, Masson-Dunod, 1977.
- Lockspeiser, Edward :
Claude Debussy, Fayard, 1980.
- Massin, Jean et Brigitte :
Ludwig van Beethoven, Fayard, 1967.

216
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

- Mendel, Arthur :
On the pitches in use in Bach’s time, The Musical
Quaterly, XLI, 1955, p. 332-354 et 446-480.
- Paillard, Jean-François:
La musique française classique, PUF, collection
Que sais-je ?, n° 878, 1960.
- Penin, Jean-Paul:
Les Baroqueux ou le Musicalement correct, Gründ,
2000.
- Prod’homme, Jacques-Gabriel:
C.-W. Gluck, Fayard, 1985.
- Roche, Maurice:
Monteverdi, Le Seuil, collection Solfèges, 1971.
- Rostand, Claude:
La miusique allemande, PUF, collection Que sais-
je ? n° 894, 1967.
- Thibault, Jacqueline :
L’oreille absolue, l’Harmattan, 2013.
- Tapié, L. Victor:
Baroque et classicisme, Le livre de poche, 1980.
- Vernillat, François :
Le la à 440 consacre enfin l’accord international,
Science et vie, t. LXXXV, 1954.
- Zwang, Gérard :
Ouvrages non musicologiques :
Biologie et comportements humains, Sauramps
médical, 2009.
Chirurgien du contingent, éditions du CNRS,
UMR 5609, Université Paul Valéry, Montpellier III, 1999.
La Statue de Freud, Robert Laffont, 1985.
- Zwang, Philippe :
Jean-Sébastien Bach, Champion, 1990.

217
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Pour mémoire

Je rappelle les articles que j’ai écrits sur le sujet, et


qui ont alimenté ce texte. Avec mes remerciements pour
mon ami Yves Leroux, qui m’a ouvert des colonnes
(Connaissance des hommes, Arts Sciences et Techniques),
quand ma prose n’était pas grata dans les médias tout
acquis au « mouvement baroque ».

- Leonhardt, y’en a marre !


Pariscop, n° 441, 3 novembre 1976.
- Alerte au 415 :
Une semaine de Paris. Pariscop, n° 729, 12 mai
1982.
- Il n’y a pas deux diapasons.
Diapason, n° 278, décembre 1982.
- La musique baroque, une fructueuse imposture.
Connaissance des hommes, n° 120, été 1987.
- Le rock, assommoir de masse.
Désinformation Hebdo, n° 51, 25 février 1988.
- Barock über alles.
Connaissance des hommes, n° 147, novembre
1988.
- L’oreille absolue, naissance, délices et mort.
Annales d’Oto-Rhino-Laryngologie, 1990, 107, p.
377-385.
- Le goût du moisi.
Connaissance des hommes, n° 5, novembre-
décembre 1992.
- Diapason : la pollution s’étend.
Connaissance des hommes, n° 6, janvier-février
1993.
- La mascarade des diapasons d’or.
Connaissance des hommes, n° 9, automne 1993.

218
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

- Diapasons frauduleux : la prolifération maligne.


Connaissance des hommes, n° 12, été 1994.
- Le sexe baroque
Les cahiers de sexologie clinique, volume 22, n°
129, avril 1996.
- Dix raisons pour ne pas devenir baroque.
Krisis, n° 19, novembre 1996.
- L’oreille absolue.
Médecine des arts, n° 25, septembre 1998.
- Faut-il traîner les baroqueux en justice ?
Éléments, n° 108, avril 2003.
- Du baroquisme et de ses méfaits.
Pourtours, n° 10, avril-juin 2005.
- De l’oxymoron considéré comme un des beaux arts et
une victoire de la musique.
Arts, Sciences et Techniques, n° 47, janvier 2005.
- Ces metteurs en scène qui assassinent Mozart.
Eléments, n° 120, printemps 2006.
- Les assassins du piano sont parmi nous.
Éléments, n° 128, printemps 2008.

219
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

TABLE DES MATIÈRES

Prélude ............................................................................... 9

Premier mouvement. Ouverture


Comment le geai baroque a plumé le paon classique...... 13

Une erreur phénoménale .............................................. 13


Les trois responsables d’une aberration. ...................... 24
1° Bâle, foyer maudit de mon ressentiment !........... 24
2° La marginalisation du classique. ......................... 28
3° La trahison des clercs .......................................... 34

Deuxième mouvement. Courante


Une pathologie associée : l’authenticomanie .................. 45
1° Une chimérique réforme morale.......................... 45
2° Les instruments d’époque.................................... 61
3° Les voix du baroque ............................................ 83

Troisième mouvement. Gavottes I et II


Le diapason et le tempérament ...................................... 103
I Pourquoi le diapason ........................................... 103
II. Contraintes et bienfaits inattendus
du tempérament ...................................................... 128
1° Les particularités humaines
de la réception sonore ............................................ 128
2° La laborieuse édification des gammes............... 134

Quatriėme mouvement. Forlane


L’oreille absolue ............................................................ 145
Sa naissance ............................................................... 145
Ses merveilles ............................................................ 149

221
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Ses souffrances........................................................... 150


Son extinction ............................................................ 160

Cinquième mouvement. Menuets I et II


Le règne des coquins ...................................................... 163
I Méfaits et atrocités du 415....................................... 163
II. Un nouveau terrorisme .......................................... 185

Sixième mouvement. Bourrées I et II


De salutaires mesures d’hygiène ................................... 199
I. Châtiment d’époque ................................................ 199
II. Ils iront au paradis ................................................. 204

Septième mouvement. Passepied


Supplique au ministre de la culture ............................... 205

Postlude .......................................................................... 211

Bibliographie.................................................................. 215

222
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Musique
aux éditions L’Harmattan
Dernières parutions

Chanson et performance
Mise en scène du corps dans la chanson française et francophone
Lebrun Barbara - Barbara Lebrun (éd.) ; Préface de Ginette Vincendeau
La moustache de Brassens, la robe noire d’Edith Piaf, les paillettes de Claude
François, les cheveux de Dalida... Les chanteurs ont un corps indissociable
de leurs chansons. Ce livre s’intéresse à la présence physique de la musique
populaire, à sa performance sur scène et sur le disque. Voici observées les
tensions sociales, sexuelles et identitaires qui sous-tendent la performance
musicale.
(Coll. Logiques sociales, série Etudes culturelles, 23.00 euros, 222 p.)
ISBN : 978-2-296-99740-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-51427-0
Écrire à voix haute – Rencontre entre un poète et un linguiste
Barret Julien, Diamanka Souleymane
Parmi les slameurs d’aujourd’hui, Souleymane Diamanka se distingue par la
vibration de son timbre, la richesse de ses rimes et la force de ses images.
Entre la lyrique des griots d’Afrique de l’Ouest et une esthétique poétique
française, son spoken word marque l’auditeur. Julien Barret, spécialiste du
rap et du slam, propose un éclairage poétique sur le travail de Souleymane
Diamanka. Il dévoile les ressorts d’une esthétique qui voisine avec celle des
troubadours, des poètes romantiques ou de l’OuLiPo.
(14.00 euros, 128 p.)
ISBN : 978-2-296-99750-9, ISBN EBOOK : 978-2-296-51278-8
Jazz (Le) : un modèle pour apprendre
De la musique à une construction de soi
Calamel Charles - Postface d’Alain Vulbau
Voici un ouvrage sur les savoirs du jazz transférables dans les champs de
l’éducation, de la formation et des enseignements artistiques. Fruit d’une
recherche en sciences de l’éducation, il étudie les interactions musicales et
sociales des jazzmen et les contingences d’une «sensible» construction de
soi. Il s’agit d’envisager le jazz comme un modèle d’apprenance spécifique et
différent, à placer au coeur des théories contemporaines de l’apprentissage et
de l’action.
(Coll. Terrains sensibles, 20.00 euros, 204 p.)
ISBN : 978-2-336-00354-2, ISBN EBOOK : 978-2-296-51217-7
art (L’) du Cantabile – Méthodologie de la résonance vocale libre
Landuyt Louis
Ce livre illustre tous les attributs de l’Art du Chant dans leur irréductible
complexité. Il explique la structuration dynamique de «la nature chantante de
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

l’Homme» qui permet de comprendre aisément toute la puissance expressive,


innée et consciente d’un exceptionnel cantabile. Virtuosité vocale et résonance
libre se retrouvent dans une osmose nouvelle.
(37.50 euros, 374 p.)
ISBN : 978-2-336-29081-2, ISBN EBOOK : 978-2-296-51433-1
Musique classique à l’écran et perception
culturelle
Vincent Delphine
Cinéma, télévision, Internet : face à ces nouveaux moyens de diffusion de la
musique classique, quelle attitude adopter ? Traditionnellement, ces pratiques
sont entourées de méfiance, voire de mépris. L’étude de l’histoire et des
techniques de captation filmique des concerts et opéras permet de déterminer
les modifications que le filmage induit sur la perception de la musique. Les
phénomènes récents et en cours d’explosion, comme le vidéoclip classique,
sont pris en considération.
(35.00 euros, 342 p.)
ISBN : 978-2-336-00536-2, ISBN EBOOK : 978-2-296-51466-9
The funny face of broadway
Batteault Rémy
Comment s’y prendre pour faire une comédie musicale ? Pour le savoir,
une seule solution : s’envoler pour New York, la capitale du «musical» !
Ce documentaire, construit comme une comédie musicale via ses voix off
intégralement chantées, nous permet de rencontrer les personnes qui «font»
Broadway au jour le jour. Sans oublier Liliane Montevecchi, une truculente
artiste française peu connue dans son pays mais vedette à Broadway, la bonne
fée de ce film !
(20.00 euros) ISBN : 978-2-336-00775-5
Étude sur l’improvisation musicale – Le témoin de l’instant
Rousselot Mathias
Technique musicale fascinante, jeu d’adresse captivant, l’improvisation
ne cesse de percuter nos sens et d’éveiller notre curiosité. Ce livre prétend
montrer le rôle essentiel de l’improvisation dans la constitution de l’art et de la
civilisation. Il se focalise sur sa description, ses caractéristiques, sa pratique
et son importance dans la création.
(Coll. Sémiotique et philosophie de la musique, 18.00 euros, 170 p.)
ISBN : 978-2-336-00176-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-51050-0
Dire la musique – A la limite
Sous la direction de Roth Stéphane, Soraru Isabelle
Une certaine hésitation, semble-t-il, précède tout discours voué à la musique.
Que nous nous employions à la nommer, à la décrire, à la transcrire, nous nous
trouvons constamment confrontés à une tâche qui nous pousse à considérer
que jamais nous ne dirons la musique telle qu’elle se présente à nous, mais
toujours de manière différée.
(Coll. Esthétiques, 26.50 euros, 254 p.)
ISBN : 978-2-336-00309-2, ISBN EBOOK : 978-2-296-51057-9
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Philojazz – Petites ritournelles entre souffle et pensée


Parent Jean-Marie
Peut-on transmettre dans le silence et la solitude de l’écriture les turbulences
propres à une musique dont la source plonge au cœur des passions humaines ?
Jazz et philosophie savent croiser des forces complices dans leur démarche
commune d’appréhension du monde. L’un donne à entendre la richesse
singulière d’un univers sonore d’une incroyable diversité, l’autre nous propose
de prendre part aux petites ritournelles de la pensée.
(23.00 euros, 230 p.)
ISBN : 978-2-336-00635-2, ISBN EBOOK : 978-2-296-51175-0
industrie (L’) musicale à l’aube du XXIe siècle
Perticoz Lucien, Matthews Jacob Thomas
La filière phonographique, bouleversée par le peer-to-peer et la numérisation
des contenus, a servi de cheval de Troie, dans le secteur des industries
culturelles, aux acteurs du logiciel, du Web ou de la fabrication de matériel.
Alors que la musique n’a jamais été autant écoutée et consommée, ces firmes
l’utilisent principalement pour vendre d’autres produits et services ou pour
asseoir leur stratégie de marque. Ces contributions analysent aussi l’évolution
des pratiques des auditeurs.
(Coll. Questions contemporaines, 22.00 euros, 210 p.)
ISBN : 978-2-336-00402-0, ISBN EBOOK : 978-2-296-51056-2
Francis Poulenc et la musique populaire
Arbey Dominique
Francis Poulenc (1899-1963) a été particulièrement influencé par la musique
populaire de son époque. Pour étudier cet aspect de son œuvre, l’auteur
s’est appuyé sur la production musicale du compositeur, sur ses nombreux
témoignages (correspondances, émissions radiophoniques et divers écrits) et
sur tous les documents liés à la création et à la réception de ses œuvres.
(Coll. Univers musical, 27.00 euros, 260 p.) ISBN : 978-2-336-00507-2, ISBN
EBOOK : 978-2-296-51068-5
Françoise Hardy : pour un public majeur
Aroumi Michel
Ce livre est une tentative pour abolir le fossé qui sépare la culture populaire
et celle qui est l’objet des études universitaires. Michel Arouimi a longtemps
exploré les œuvres des grands poètes ; il sonde ici les abysses insoupçonnés
du texte des chansons de Françoise Hardy : un exemple majeur de «pop
littérature». L’écriture de ses chansons se révèle être le moyen, surprenant par
son intensité poétique, d’une détection des tensions de notre monde sur le fil
du sentiment amoureux.
(Editions Orizons, 20.00 euros, 224 p.) ISBN : 978-2-296-08835-1, ISBN
EBOOK : 978-2-296-51154-5
Théâtre des passions – Concert, spectacle, musique - Château d’Assas
De Figueiredo Nicolau, Chaptal Jocelyne
Le 10 septembre 2006, au salon de musique du Château d’Assas, a eu lieu
un concert-spectacle, Le Théâtre des Passions, destiné à montrer les liens
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

indissociables qui unissent la musique baroque à la déclamation  : même


tactus (le rythme cardiaque), même discours, mêmes affects. La captation de
ce concert, réalisée avec quatre caméras, comprend trois parties.
(20.00 euros) ISBN : 978-2-336-00761-8

Toru Takemitsu – Situation, héritage, culture


Miyakawa Wataru
Cet ouvrage étudie le langage musical du compositeur japonais Toru Takemitsu
(1930-1996). Si le corpus de son oeuvre reflète un certain éclectisme (influence
de compositeurs occidentaux comme Debussy, Messiaen ou Cage) et l’intérêt
aussi bien pour sa propre culture que pour des domaines artistiques variés, on
voit la même préoccupation du compositeur derrière cet apparent éclectisme :
la quête d’un langage universel.
(Coll. Univers musical, 37.50 euros, 370 p.)
ISBN : 978-2-336-00617-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-50787-6
Hugues Dufourt – Un univers bruissant
Humbertclaude Eric
Durant la décennie 1975/1985, Gérard Grisey, Tristan Murail et Hugues
Dufourt ont participé à la création d’un son musical novateur. L’auteur explore
quelques spécificités de l’univers bruissant de Dufourt, un univers riche en
masses amples et dynamiques.
(Coll. Univers musical, 10.50 euros, 74 p.)
ISBN : 978-2-336-00448-8, ISBN EBOOK : 978-2-296-50915-3
Un «cabaret» en Languedoc
Le Pet au Diable de jean-Pierre Lesigne
Palliès Jacques
Dans les années soixante, soudain, une auberge improbable ouvre ses portes
dans un vieux village de la garrigue héraultaise, au nord de Montpellier. Le
Pet au diable est né qui, sous l’impulsion de son créateur, le poète et musicien
Jean-Pierre Lesigne va, pendant quinze ans, devenir le lieu incontournable
des gens de culture de la région, amoureux de la chanson et du jazz.
(Coll. Cabaret, 21.00 euros, 212 p.)
ISBN : 978-2-296-99730-1, ISBN EBOOK : 978-2-296-50984-9
Variations sur le James Bond Theme
Chenille Vincent
On reconnaît James Bond 007 à son thème musical aussi bien qu’à sa voiture
Aston Martin DB5. Cet effet de reconnaissance est-il dû à la répétition de
ce thème au gré des vingt-deux films officiels de ce personnage ? A travers
l’étude historique du James Bond Theme, l’auteur essaie de déterminer s’il
existe un son propre à James Bond.
(19.00 euros, 188 p.)
ISBN : 978-2-336-00370-2, ISBN EBOOK : 978-2-296-50992-4
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

L’HARMATTAN ITALIA
Via Degli Artisti 15; 10124 Torino

L’HARMATTAN HONGRIE
Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16
1053 Budapest

L’HARMATTAN KINSHASA L’HARMATTAN CONGO


185, avenue Nyangwe 67, av. E. P. Lumumba
Commune de Lingwala Bât. – Congo Pharmacie (Bib. Nat.)
Kinshasa, R.D. Congo BP2874 Brazzaville
(00243) 998697603 ou (00243) 999229662 harmattan.congo@yahoo.fr

L’HARMATTAN GUINÉE
Almamya Rue KA 028, en face du restaurant Le Cèdre
OKB agency BP 3470 Conakry
(00224) 60 20 85 08
harmattanguinee@yahoo.fr

L’HARMATTAN CAMEROUN
BP 11486
Face à la SNI, immeuble Don Bosco
Yaoundé
(00237) 99 76 61 66
harmattancam@yahoo.fr

L’HARMATTAN CÔTE D’IVOIRE


Résidence Karl / cité des arts
Abidjan-Cocody 03 BP 1588 Abidjan 03
(00225) 05 77 87 31
etien_nda@yahoo.fr

L’HARMATTAN MAURITANIE
Espace El Kettab du livre francophone
N° 472 avenue du Palais des Congrès
BP 316 Nouakchott
(00222) 63 25 980

L’HARMATTAN SÉNÉGAL
« Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E
BP 45034 Dakar FANN
(00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08
senharmattan@gmail.com

L’HARMATTAN BÉNIN
ISOR-BENIN
01 BP 359 COTONOU-RP
Quartier Gbèdjromèdé,
Rue Agbélenco, Lot 1247 I
Tél : 00 229 21 32 53 79
christian_dablaka123@yahoo.fr
Licence accordée à Frédéric MICHEL erdalduna@wanadoo.fr - ip:88.191.188.82

Achevé d’imprimer par Corlet Numérique - 14110 Condé-sur-Noireau


N° d’Imprimeur : 109183 - Dépôt légal : juin 2014 - Imprimé en France
Musique baroque, style baroque, compositeurs baroques, instruments
baroques, opéras baroques, festivals baroques, danse baroque, chant
baroque, depuis presque un demi-siècle le baroque est partout, règne par-
tout. Il a envahi le monde de la musique et s’est immiscé sur la scène cultu-
relle. Par un funeste pataquès esthétique le baroque, cette décadence, et
devenu critère de perfection. Il est même enseigné, totale ineptie.
Gérard Zwang fut parmi les tout premiers rebelles au rouleau com-
presseur baroque. Articles, conférences, ouvrages de musicologie, il s’ef-
force, depuis quarante ans, de démontrer l’outrecuidance, la voracité et
la nocivité de cette « révolution baroque ». Il prouve aisément qu’on pro-
fère un non-sens, voire une injure, en traitant de baroques Bach, Rameau,
Haendel, Purcell, Monteverdi, Scarlatti, Vivaldi – entre autres. Ils ont créé
les formes – opéra, oratorio, concerto, sonate, etc. – et le langage à l’origine
du plus pur et du plus représentatif classicisme musical de notre culture.
Ces génies créateurs sont les Premiers classiques, le pain quotidien du mélo-
mane occidental. Confisquer leur musique pour la « baroquiser » est à la
fois une absurdité esthétique et une odieuse mauvaise action. Tous argu-
ments réunis Gérard Zwang a ici écrit son « J’accuse ».
La réaction de rejet du baroque par Gérard Zwang, outre sa dévotion
passionnée au classicisme, a été motivée par son oreille absolue. Cette
faculté si précieuse qui permet de reconnaître et nommer les notes de
musique sans repère préalable. Les divagations diapasoniques l’agressent
cruellement. Basée sur une prédisposition génétique, l’éclosion de l’oreille
absolue nécessite de vivre dans une atmosphère musicale dont le diapason
demeure constant. Sous prétexte d’un authenticité chimérique et spécieuse,
les caciques du baroquisme, bravant effrontément les accords internatio-
naux auxquels la France a adhéré pour fixer le diapason à 440 hertz le la 3,
vont entraver, par l’omniprésence de leurs diapasons aberrants (415, 430,
392) le développement de l’oreille absolue chez les jeunes humains. En
quelques générations, ces malfaisants auront assassiné l’oreille absolue.

Gérard Zwang a accompli une carrière de chirurgien-urologue.


Mais il est aussi musicien, instrumentiste (violon, piano, orgue),
musicologue, critique et compositeur inscrit à la SACEM. Il a
publié aux éditions l’Harmattan un Guide pratique des can-
tates de Bach et les Mémoires d’une chanteuse française.

Illustration de couverture : Catherine Naour.

22 €
ISBN : 978-2-343-03613-7

Vous aimerez peut-être aussi