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LA FIANCÉE DU TSAR J'ai bien changé depuis les jours heureux.

Et cependant combien de fois naguère,


Rimski-Korsakov Quand une fille se trouvait à mon goùt,
Livret d’Ilya Tioumenev Je l'enlevais en troika sur le champ!
En me servant des longues nuits obscures,
J'en ai ravi plus d'une dans le temps.
Glacée de peur la douce tourterelle
Tremblait d'émoi, mais sourd à ses prières,
Personnages Je ravissais mon innocente proie.
Ces jours passés me semblent bien lointains.
Que reste-t-il du fier boyard Grigori?
Vassili SOBAKINE, marchand de Novgorod Où sont les temps de joie et d'insouciance?
MARFA, sa fille. Où sont les jours heureux des gais festins?
Grigori GRIAZNOÏ, ) Opritchniks (Chevaliers L'amour n'est qu'un vain mot, la vie un leurre!
Grigori MALIUTA-SKURATOV ) du Tsar) En vain j'aurai recours à la violence.
Ivan LIKOV, un noble. Mon àme désarmée par l'innocence
LIUBACHA Pour la première fois doit se plier devant sa loi!
Eliceï BOMELIUS, médecin du Tsar. Mais toi, mon pauvre Likov,
DOMNA SABUROVA, femme d’un marchand. Je te défie de te marier à Marfa!
DUNIACHA, sa fille, amie de Marfa. J'ai fait venir ce soir quelques convives,
PETROVNA, gouvernate de Sobakine. Bomélius sera aussi des nôtres, j'aurai besoin de lui...
IVAN LE TERRIBLE, sous le déguyisement d’un noble
(rôle muet) - Scène 2

------------------- Griaznof, Maliouta, Likov, Bomélius et les Opritch-


niks
L’action se déroule dans le village (La porte du fond s'ouvre)
d’Alexandrvoskaïa, dans la nablieu
de Moscou, en automne 1572 GRIAZNOÏ
Voici mes hôtes !
--------------------- (Entre Maliouta suivi des Opritchniks)
Soyez les bienvenus !

ACTE I LES OPRITCHNIKS


Salut Grigori !

MALIOUTA
Ouverture Je suis venu avec ces jeunes gens,
Voulant goùter ton hydromel, Grigori.
- Scène 1
GRIAZNOÏ (Il frappe des mains. Entrent des valets)
Récitatif et air
Vite servez le vin !
La scène représente une grande salle dans la maison de MALIOUTA
Griaznoi: Au fond une porte d'entrée assez basse. Près Paroles sages !
de celle-ci un dressoir garni de coupes et de différents
flacons. Du côté droit trois fenêtres, en face de cel- (Les valets présentent aux hôtes de Grigori des coupes
les-ci, mais toujours du même côté, se trouve une longue d'hydromel)
table recouverte d'une nappe. Sur la table sont disposés
de hauts candélabres, une salière et un «cabaret» ouvra- MALIOUTA et LES OPRITCHNIKS
gé. Du côté gauche une porte donnant accès dans les ap- A ta santé.
partements intérieurs. Non loin de celle-ci un large
banc recouvert d'étoffes richement brodées. Au mur sont (Ils boivent en saluant Griaznoï)
suspendus: un fusil, un grand coutelas et, près de ceux-
ci, appuyée au mur, une fourche pour la chasse à l'ours. GRIAZNOÏ (en saluant)
Non loin de là, pendent accrochés quelques vêtements et Dieu vous en rende gràce !
à côté, mais plus près de l'avant-scène, on aperçoit une
grande peau d'ours suspendue au mur. La pièce et les si- (Likov entre en scène suivi de Bomélius)
èges sont tendus d'étoffe rouge.
Griaznoï pensif, tête basse, se tient près d'une des GRIAZNOÏ (saluant les nouveaux arrivés)
fenêtres. Que ma demeure vous soit familière,
Mes valeureux seigneurs!
GRIAZNOÏ Ivan Serguéitch! Bomélius, ami fidèle!
Pourrai-je oublier enfin, Je suis heureux de vous revoir chez moi!
Le charme et la douceur de cette belle enfant!
Aucune chance de fléchir son père, (Les valets présentent des coupes à Likov et Bomélius)
En vain j'ai demandé la main de Marfa.
Le vieux marchand n'a rien voulu savoir! LIKOV et Bomélius
«Je suis touché Seigneur, me fit-il dire, Dieu te protège !
D'un tel honneur pour moi et pour ma fille,
Mais j'ai promis sa main (ils saluent et vident leurs coupes)
Depuis longtemps à Ivan Likov,
Revenu d'un long voyage.» GRIAZNOÏ (Saluant)
(Il s'éloigne de la fenêtre) Le Seigneur vous garde !
Où sont les temps de joie et d'insouciance, (S'adressant à tous)
Où sont les jours heureux des gais festins? J'ai bon espoir en votre bienveillance,
Hélas! vous avez fui tels un beau rêve. Mes chers amis !
Rien ne saurait plus égayer mon coeur!
L'amour n'est qu'un vain mot, la vie un leurre. LES OPRITCHNIKS
Qu'est devenu le fier boyard Griaznoï, Plus doux que miel nous semblent tes vunux francs et
Vaillant guerrier jadis plein de courage? sincères,
Où sont les temps de joie et d'insouciance, Car le dicton prétend qu'un fraternel
Auraient-ils à jamais fui sans retour?

1
- La fiancée du Tsar -
Accueil vaut plus que toutes les agapes! Celui qui glorifie notre Tsar.
Tes paroles nous sont douces, frère!
Ta bonhommie est proverbiale, ami fidèle, Chant de gloire
Car maintes fois nous fumes ravis par ton accueil amène. (Chanteurs et chanteuses s'avancent en saluant. Les
Tes paroles sont plus douces, frère, que le miel. musiciens prennent place sur les bancs)
Ta bonhommie est proverbiale, preux camarade. Pour Dans l'azur vaste brille la gloire
ton amitié fidèle, pour l'accueil que tu nous offres De l'astre du jour!
Puisse le Seigneur te combler de grâces ! Et sur la terre règne
(Les invités prennent place autour de la table. Les L'auguste puissance sainte du Tsar.
valets apportent divers plats qu'ils présentent aux Gloire au puissant Tsar!
hôtes de Griaznoï; Chantant à table) Sur la terre gouverne en maitre sacré
De riches agapes nous sont moins précieuses Notre grand Tsar.
Que le doux attrait d'un accueil fraternel. Gloire au très grand Tsar!
Gloire! gloire à l'auguste
MALIOUTA (S'adressant à Likov) Et puissant Tsar Chrétien,
Ivan, tu es de retour d'un long voyage. Ses beaux coursiers sont infatigables,
Quelles sont les moeurs des peuples d'occident ? Aurais- Gloire au Tsar !
tu vu chez eux de belles choses ? Ses somptueuses parures scintillent
Telles des astres dans le ciel pur!
LIKOV Gloire au Tsar!
Arioso
En ces pays magiques et lointains, LIKOV, Bomélius, Griaznoï,
L'hiver, les nuits sont douces Maliouta et les Opritchniks
Et les aubes limpides sans frimas. Ses boyards sont comblés
L'été précoce fait resplendir Par les grâces de leur Tsar!
Les verts gazons des près d'odorantes fleurs. Les cimes Vive, vive le Tsar!
des montagnes se dressent majestueuses vers le ciel.
CHANTEURS et DANSEUSES
En ces pays lointains les villes sont immenses. Gloire, gloire éternelle au puissant Tsar,
Leurs murs flanqués de hautes tours. Vive le Tsar! vive le Tsar!
Les vastes maisons sont d'orgueilleux palais,
Leurs salles aux grandes baies recèlent MALIOUTA
D'innombrables precieux objets. Avec un pareil Tsar l'Etat prospère,
En occident les femmes paraissent Le peuple bénira plus tard ce prince.
Aux fêtes de la ville, Déjà longtemps avant qu'il vint au monde,
Gracieusement parées de beaux atours. Un innocent du nom de Domitien
En tout la bienséance exemplaire, Prédit son grand destin à la Princesse:
L'amour pour le travail et la constance “Le grand Titus naîtra bientôt!”
Triomphent chez ces peuples laborieux.
Aux paternels soucis de notre Père, LES OPRITCHNIKS
Le très auguste Tsar, rendons hommage, Bénisse Dieu le règne de notre Tsar!
D'avoir, pour notre bien, Son éclat doit éblouir le monde.
Voulu nous faire connaître tant de beaux pays!
LIKOV
GRIAZNOÏ (Debout, levant sa coupe) Et pourtant
Amen! Il est certaines gens qui le réprouvent.
Béni soit le bon Tsar qui nous gouverne! Car l'on prétend qu'il est terrible!
Que le Seigneur protège ses états!
MALIOUTA
(Tous se lévent) Certes! Terrible!
Mais le vent de la tempête
LES OPRITCHNIKS Est un bienfait qui rompt les vieilles branches
Que le Seigneur bénisse notre Tsar, Pour redonner de l'air à la forêt.
Dieu veille au bonheur de ses états!
LES OPRITCHNIKS
(Les invités vident leurs coupes) Discours profond et sage, c'est bien parler!
Et l'on comprend sans peine
- Scène 3 Pourquoi le Tsar te tient en grâce!

Griaznof; Maliouta, Likov, Bomélius, les Opritchniks, MALIOUTA


Chanteurs et Chanteuses Le Tsar fit pendre non sans cause,
A vos selles des balais.
MALIOUTA Avec leurs crins, rendez plus blanc que neige l'Etat!
Cher hôte! Pourrions-nous entendre
Les chanteurs de ta chapelle, GRIAZNOÏ
Qu'ils entonnent un hymne Joyeuse tâche!
En l'honneur de notre Tsar!
LES OPRITCHNIKS
GRIAZNOÏ Haïda, Haïda,
Qu'a cela ne tienne, (Les invités se lèvent et vident leurs coupes)
(S'adressant aux valets) Béni soit le grand Tsar qui nous gouverne,
Dites leur qu'ils entrent! Que le Seigneur protège ses Etats!
(Saluant Griaznoï)
LES OPRITCHNIKS Pour ton accueil reçois tous nos éloges !
Après les choeurs, quelques joyeuses danses.
GRIAZNOÏ (Il remercie en saluant)
(Les chanteurs et chanteuses entrent en scène. Après C'est moi, seigneurs, qui doit vous remercier.
avoir salué l'assistance. ils se rangent au fond de la
salle) (Nombre d'invités se lèvent de table et se divisent
par groupes dans la salle. Les autres restent assis)
GRIAZNOÏ
Rapsodes, égayez mes nobles hôtes, MALIOUTA
En entonnant le choeur que je préfère, Commande quelques chants à tes rapsodes.

2
- La fiancée du Tsar -
Egaye-nous de leurs refrains joyeux. MALIOUTA
La maîtresse de Griaznoï, superbe fille!
GRIAZNOÏ La belle chante tel un rossignol,
A votre guise! Ses blondes tresses tombent jusqu'à terre.
C'est à Kaschira qu'on l'avait trouvée.
MALIOUTA (S'adressant aux chanteurs) Depuis elle m'appelle son parrain,
Place pour la danse! Car pour bénir les bons bourgeois rebelles
Les jeunes filles s'avancent au milieu de la scène. J'ai employé un goupillon de fer!
Les invités se groupent en demi-cercle autour d'elles)
- Scène 4
La chanson du Houblon
Près d'un frète arbrisseau, Griaznoï, Maliouta, Lioubacha, les Opritchnka
Sur la berge du ruisseau, (Lioubacha entre en scène et salue l'assistance. Les
En de verts ombrages invités rendent son salut)
Le houblon s'étage!
Orne nos treillages, MALIOUTA
Bel houblon sauvage Bonjour mon bel enfant!
Dès que tu seras paré de tes fleurettes,
Je viendrai aux treilles faire la cueillette. LIOUBACHA
Ma récolte prête Salut, petit père!
Pour un jour de fête,
Dans des pots de terre MALIOUTA
Moussera la bière Tes yeux sont bien meurtris, ce soir.
Dont le doux arôme,
Tel du miel embaume. LIOUBACHA
J'ai convié mon père Très lasse, je reposais paisiblement,
A vider un verre Rêveuse, absente...
Plein de blonde bière.
Mon rude père MALIOUTA
Est bien trop sévère Bah! ton mal n'est pas bien grave,
Pour pouvoir comprendre Chante pour l'oublier mignonne.
Ma douleur cuisante,
Mon chagrin d'amante.
LIOUBACHA
Quel air veux-tu?
Près d'un frèle arbrisseau...

J'ai convié ma tendre mère MALIOUTA


Pour vider un verre Un chant plaintif et triste
Plein de blonde bière. Que tu chantais naguère.
Ma douce mère Chers convives, faites silence,
Est bien trop austère La belle va chanter.
Pour pouvoir comprendre
Ma douleur cuisante, LIOUBACHA
Mon chagrin d'amante. A toi, parrain incombera la faute
Si ma chanson n'obtient pas de succès.
Près d'un frèle arbrisseau....
Chanson de Lioubacha
Pour goûter ce frais et doux breuvage Puisque que je ne peux épouser mon bien-aimé,
Je convierai un hôte de mon âge, Mère sans pitié que ton voeu soit exaucé.
Sous les frais feuillages Livre ton enfant au vieux ladre détesté,
De mon vert bocage. Qui depuis longtemps n'aspirait qu'à l'épouser.
Son humeur amène Plus amer que fiel
Dissipe mes peines, Est mon triste sort cruel.
Ses douces caresses, Oh! subir l'horreur
Pleines de tendresses, D'un mariage sans bonheur.
Font fuir ma tristesse. Cache la pâleur
De mon front avec des fleurs
Oh, mon bien-aimé Pour que mon fiancé
Viens près de ton amante, Ne voie pas mes traits figés
Entends-tu l'appel Lorsque la clarté
De ma passion ardente. Des grands cierges allumés
Je te tends les bras, Sur mon corps glacé
Mon bien-aimé je suis à toi ! Posera ses deux reflets,
Ouvre grandes les portes
MALIOUTA Pour que l'exécré
Pour terminer joyeusement la fête, Trouve sa fiancée morte,
Cher hôte, un régal nous a manqué. Mère sans pitié!
Tu caches trop, Grigori, ma filleule.
Redoutes-tu de perdre ton trésor? (Lioubacha, sa chanson finie, salue les invités)

GRIAZNOÏ LES OPRITCHNIKS


Non pas, boyard, détrompe-toi! Divine voix!
Superbe!
(S'adressant aux valets)
Belle, rare!
De suite, redites à Lioubacha qu'elle vienne.
MALIOUTA
(Quelques valets quittent la salle pour exécuter les
Chant magique qui fait jaillir des larmes...
ordres de Grlaznoï) Ah! que les nuits sont brèves,
Quand j'entends la voix enchanteresse de Lioubacha...
MALIOUTA (Se levant de table)
Boyard c'est bien! Il faut partir, l'auguste Tsar s'éveille.
Dans peu de temps je vais sonner matines.
BOMÉLIUS Boyards, ne vous attardez pas!
Qui est donc Lioubacha? (Se préparant à partir)

3
- La fiancée du Tsar -
Il faut, hélas, nous séparer, Grigori! LIOUBACHA
Ah le triste sort!
GRIAZNOÏ (Aux valets) Mon bonheur est mort.
Versez du vin! Buvons l'ultime coupe! Où sont-ils les jours
Rayonnants d'amour?
(Les valets présentent des coupes de vin aux invités) Dans mon coeur meurtri
LES OPRITCHNIKS Nul espoir ne luit.
Pour la dernière fois, ami, à ta santé ! Un présage noir
(Ils vident leur verre) Brise mon espoir
Reçois nos compliments pour ton accueil amène!
BOMÉLIUS
(Ils se saluent mutuellement) Connais-tu le pouvoir d'un talisman?
L'art d'ensorceler par l'enchantement?
GRIAZNOÏ Les puissants secrets des sorciers damnés.
Boyards je compte faire mieux encore.
(Les hôtes quittent la salle. Lioubacha se tenant LIOUBACHA
Non, non ce n'est plus moi,
près de la porte latérale prend congé des invités de
Ce n'est plus moi qu'il aime l'ingrat. (bis)
Griaznoi: Bomélius ne la quitte pas des yeux)
(Aux valets et aux chanteurs)
BOMÉLIUS
Laissez-nous seuls.
Crois donc en mon grand art,
(A Bomélius, à part)
Il est tout-puissant. (bis)
De gràce, reste-là,
l'aurai besoin de toi.
GRIAZNOÏ
(Valets et chanteurs sortent) Non, non, je crois qu'un tel bonheur
LIOUBACHA Serait bien trop beau pour moi (bis)
Que veut-il dire? Ton art est-il magique?
Quel est ce mystère?
Moi, je reste. BOMÉLIUS
Pourquoi mentir.
(Elle se cache derrière la peau de l'ours suspendue
au mur) GRIAZNOÏ
J'irai te voir chez toi
Et si tes sortilèges réussissent,
- Scène 5
Je te promets de l'or.
Griaznoï Bomélius, Lioubacha BOMÉLIUS
Adieu. Viens vite!
GRIAZNOÏ
Bomélius, GRIAZNOÏ
Je tiens à te confier un grand secret. Attends, je vais t'accompagner ami.
Dis-moi si tu te crois vraiment capable
D'ensorceler un coeur rétif et fier?
(Ils sortent)
BOMÉLIUS
Mon art est tout puissant. - Scène 6

GRIAZNOÏ Lioubacha, Griaznoï


Tu railles! (Lioubacha quitte sa cachette et s'échappe de la pièce
par la porte latérale. Griaznoï rentre l'air préoccupé.
BOMÉLIUS Lioubacha revient en scène et s'approche doucement de
Non. son amant)

GRIAZNOÏ GRIAZNOÏ
Un vieil ami d'enfance Que veux-tu?
Pour une femme se meurt d'amour,
Brisé par la souffrance. LIOUBACHA
Viens-lui en aide par ta science. Voici l'heure des matines.
Vas-tu rejoindre tes amis?
BOMÉLIUS
Oui-da. Pour lui j'aurai un doux remède GRIAZNOÏ
Qui lui vaudra l'amour de son aimée. Bien sûr!

GRIAZNOÏ (Il s'assied près de la table cachant son visage en-


Serait-ce d'un breuvage dont tu parles? tre ses mains)

BOMÉLIUS LIOUBACHA
Non pas, une poudre qu'on délaie au vin. Dis-moi la cause qui te rend chagrin.
Que ton ami en donne à sa belle. (S'approchant encore plus près de Griaznoï)
Ah! qu'ai-je donc commis de si coupable
Trio Que tu ne veuilles même plus m'entendre!

GRIAZNOÏ GRIAZNOÏ (Sans la regarder)


Ne serait-ce pas un mirage vain Va-t-en!
De fléchir ainsi le cruel destin
Dans le fol espoir que mon pauvre coeur LIOUBACHA
Désormais ne goûte qu'à la douceur Oui, ton amour pour moi
D'un amour serein qui m'apporterait Est mort depuis longtemps!
La paisible joie d'un hymen révé. Qu'espères-tu ma fille ?
L'oisillon peureux, viendra-t-il un jour Les heures de la joie, hélas, sont brèves.
A l'appel d'un coeur qui se meurt d'amour. Vois, tu l'ennuies
Connaitrai-je enfin ce bonheur divin? Car une rivale a pris son coeur.

4
- La fiancée du Tsar -

GRIAZNOÏ (Se retournant vers Lioubacha) (Troisième coup de cloche)


Laisse-moi seul, Lioubacha. J'ai tout compris, c'est l'autre qu'il adore,
C'est d'elle qu'il parlait avec cet homme,
Duo Offrant de l'or pour son odieux service...
Sa belle doit connaître la magie!
LIOUBACHA (Les cloches sonnent matines)
Non, tu n'aimes plus le rire de Lioubacha. Je trouverai un jour cette sorcière
GRIAZNOÏ Pour t'arracher à l'infernal
Qu'il est triste de l'entendre. Pouvoir magique de son art

LIOUBACHA
Ton amour est mort depuis longtemps déjà. ACTE II
GRIAZNOÏ
Que pourrai-je donc répondre ? - Scène 1
Aux cuisants reproches d'un coeur outragé?
Choeur de citadins; Opritchniks, puis un jeune homme.
LIOUBACHA
Te rappellerai-je les nuits voluptueuses, (La scène représente une rue de l Alexandrovskaïa Slobo-
Où tu te grisais d'amour auprès de moi. da, banlieue de Moscou. A l'avant-scène gauche, la mai-
Te souviens-tu de l'étreinte de mes bras? son de Sobakine à trois fenêtres donnant sur une rue en-
tourée d'une grille avec portail. Près de celui-ci une
GRIAZNOÏ seconde entrée moins importante. Un simple banc de bois
Lorsque j'ai vu Marfa la première fois, est adossé à la grille. Du côté droit de la scène, la
Fus-je à tel point coupable d'oublier maison de Bomélius et plus loin la muraille d'un cloître
La pauvre Lioubacha. à entrée monumentale. Face à celle-ci, au fond de la
Quand l'amour tel une corde vient à se casser, scène, à gauche, la demeure du prince Gvosdev-Rostovski.
C'est en vain que l'on essaye de le renouer. Sa somptueuse entrée donne directement sur la rue.
Un amour brisé ne revit jamais. Paysage d'automne. Grands arbres au feuillage rouge
et or. Le jour décline. La foule des fidèles sort du mo-
LIOUBACHA nastère.)
Où sont ces jours sublimes?
Puisque dans un noir abime CHOEUR DES CITADINS
Croulent mes plus chers espoirs de bonheur, Voici la fin des vêpres accomplies.
Vois enfin l'immensité de ma douleur. Avant la nuit rentrons dans nos logis.
Oh! pourquoi mes larmes et mes longs sanglots Que l'air est doux pour un soir d'automne!
Dans ton coeur n'éveillent point d'écho! On se croirait en plein été.
L'hiver à même date devrait couvrir
GRIAZNOÏ Les champs de neige
Marfa, mon aimée, Et rosir les joues des filles!
Entends-tu l'appel Toujours trop tôt le froid vient nous surprendre,
De celui qui t'aime? Un temps pareil est une chance rare.
Tiens des oiseaux migrateurs!
LIOUBACHA (Se jettant aux pieds de Griaznoi) C'est un présage de malheur
Ah! je délire! Ma raison s'égare. Quand ils s'en vont trop tôt
J'ai dû, sans le vouloir, te contrarier, Vers les pays chauds.
Sans doute, par dépit, tu aimes l'autre. Bourgeois, parlez plus bas!
Oublie-la. Ce n'est que moi qui t'aime! L'Opritchina est là !
Ce n'est que moi, mon bien-aimé,
Qui t'aime d'un amour ardent, (Au fond de la scène apparaissent des Opritchniks se
Car pour te suivre, entends-tu, j'ai délaissé dirigeant vers la maison du prince Gvosdev. La foule de-
Le doux foyer de mes parents, vient soudain silencieuse. D'aucuns se découvrent au
Brisé l'espoir de leurs vieux jours. passage des Opritchniks et les saluent craintivement)
J'ai tout quitté pour ton amour,
Sans nul regret. LES OPRITCHNIKS
Rappelle-toi mon bien-aimé. C'est ici que tout à l'heure
(Elle pleure) Se rassemblent en cénacle
Vois-tu couler mes larmes ! Tous nos braves camarades,
(Elle tombe à genoux) A l'appel pas un ne manque.
Ah! prends pitié de ma douleur Grigori... Dès qu'il fera nuit obscure
A grand trot sur nos montures
(On entend un premier coup de cloche) Nous allons semer l'alarme
Par le feu et par les armes
GRIAZNOÏ (Se levant) Chez les villageois,
On a sonné. Domptant l'émeute
Fomentée dans le peuple
(Il revêt en hâte par-dessus ses vêtements une coiffe Par les gueux rebelles.
de moine)
(Ils entrent dans la maison du prince)
LIOUBACHA
Attends, ne t'en va pas! De grâce, demeure! LA FOULE (En les voyant disparaître)
Redis-moi par pitié que ton amour pour l'autre Où s'en vont-ils ? Un noir complot se trame.
N'est qu'un rêve, qu'un songe creux. Malheur aux gueux!
Des têtes vont tomber!
GRIAZNOÏ Des innocents seront mis au supplice
Adieu ! Par les bourreaux!
Pesez vos mots, commères!
(Second coup de cloche. Il sort) Bourgeois, parlons plutôt du Tsar
Et de ses fiançailles.
LIOUBACHA (Courant après lui) Sur qui se portera
Reviens! Grigori! Le choix de notre prince?
(Revenant en scène) Qui peut le dire?
Parti ! en me laissant dans la détresse. Ce n'est pas simple de fixer un choix

5
- La fiancée du Tsar -
Parmi tant de beautés. MARFA
Amis, ne craignez rien, Oui, tu peux en rire, je n'y songeais guère.
Le Tsar saura choisir sa belle,
Le prince s'y connait en filles. Certes! DOUNIACHA
Le vieux dicton est juste qui assure,
(Deux jeunes hommes sortent de la maison de Baméllus. Que lorsqu'on aime l'on ne pense plus
S'adressant aux jeunes gens) Qu'au jour de l'hyménée.
DEUX JEUNES HOMMES MARFA
Qu’alliez vous demander à cet impie? Tu plaisantes mais un jour
Tu diras bien autre chose.
UN JEUNE HOMME Quant à moi-même, puis-je oublier
Un baume tout puissant Le doux serment qui doit unir nos vies.

LA FOULE (Ecoutant) DOUNIACHA


Les folles têtes! Seriez-vous des amis d'enfance?
C'est un très grand méfait!
Un crime grave! MARFA
Ah! quel péché! Presque.
(S'approchant peu à peu) Air
Oh! jeunes imprudents! L'amour naquit parfois d'un voisinage
En allant voir le vieux sorcier pendable Son grand jardin était voisin du nôtre...
Vous reniez la sainte foi! Que de fois, dans ses verts bosquets,
C'est un fripon! Nous cherchions la douce jraicheur durant l'été,
Ami du diable! Que de fois j'y tressais
Que Dieu pardonne votre faute. De belles couronnes pour mon bien-aimé.
Gardez-vous bien de ses astuces! Innocents et purs, nous étions heureux,
Fuyez toujours ce fourbe! Tels de gais pinsons sous le grand ciel bleu.
Vous perdriez vos âmes.
Qu'a-t-il donné? Nous dansions en rond tout autour du tronc
D'un vieux chérie témoin de nos amours.
LE JEUNE HOMME Ah! Ah! Ah! Ah!
De simples herbes. Nos parents heureux
De nous voir joyeux
LA FOULE Ecoutaient nos chants
Jettez-les vite frère,. Se disant tout bas,
Malicieusement:
LE JEUNE HOMME Puisse le Seigneur faire leur bonheur.
(Se troublant) Oh, divine joie
Mais volontiers... Soit je les jette... D'un premier émoi!

(Il jette le paquet) C'est ainsi que passa


Le doux et joyeux printemps,
D'un amour inconscient.
LA FOULE
L'univers tout entier
C'est bon !
Semblait protéger
Dorénavant fuyez ce vieux compère
Nos innocents ébats.
Et jamais plus n'entrez dans son repaire.
Nous vivions heureux
C'est bien compris.
Sous le grand ciel bleu.
Il se fait tard.
Tel un rêve pur
Rentrons dans nos foyers!
Me semblait l'aube de l'amour.
Que Dieu vous garde !
Quand décéda son père Ivan partit
(La foule se disperse. La place se vide) Marfa et Dou- Chez un vieil oncle, noble voïvode.
niacha suivies de Petrovna sortent du monastère) Dès lors, ce fut l'attente, longue, morne...
Le bruit courut qu'il entreprit
- Scène 2 Ensuite de longs voyages.
Oh combien fut triste le temps de son absence.
Marfa, Douniacha et au début Petrovna Dieu mit trêve à mes alarmes.
Nous nous retrouvâmes et de nouveau
PETROVNA Parut pour nous l'aurore des jours heureux.
Combien est apaisant ce soir d'automne
DOUNIACHA
DOUNIACHA Combien tu fus heureuse!
Restons encore quelque temps dehors.
- Scène 3
MARFA
Bientôt, sans doute, va rentrer mon père. Marfa, Douniacha, puis Ivan Likov et Sobakine
Veux-tu que sur ce banc nous attendions, (Maria, muette, regarde attentivement le fond de la scè-
Douniacha, son retour. ne où apparaissent deux nobles cavaliers. L'un d'eux,
vêtu d'un superbe manteau, est le Tsar Ivan Vassilie-
DOUNIACHA vitch le Terrible. Son compagnon porte attachés à sa
Sans doute. selle une tête de chien et un long balai. Le Tsar arrête
son cheval et pose sur Marfa un profond et pesant re-
PETROVNA
Si vous voulez rester, moi, je m'en vais. gard. Celle-ci ne reconnaît pas le souverain et paraît
effrayée de se voir ainsi dévisagée par l'inconnu.)
(Elle entre dans la maison de Sobakine)
MARFA
MARFA Ah, qu'ai-je donc, pourquoi trembler ainsi?
Tu ne connais pas Vania?
DOUNIACHA (A part)
DOUNIACHA Oh, quel regard plus sombre que la nuit!
Etourdie! Ce n’est qu'hier que je suis arrivée.
(Le Tsar traverse lentement la scène et disparaît

6
- La fiancée du Tsar -

suivi de son écuyer) SOBAKINE


D'ici peu de temps
MARFA Tu auras ta maison à toi!
Mon cour se glace d'épouvante, Et vivant auprès d'un époux bien-aimé,
Ayant senti passer la mort. Tu pourras goùter aux paisibles joies du foyer!

DOUNIACHA MARFA
Un trouble profond s'empare de moi! Pour l'éternité
L'un à l'autre nous resterons unis!
MARFA Oh! combien je te chérirai,
A la vue de cet étranger Prévenant tendrement tes moindres souhaits!
Tout mon être fut saisi d'horreur! Oh! bonheur, joie suprême,
Je suis à toi pour toujours!
DOUNIACHA
Oh, l'affreuse vision, DOUNIACHA
Noir présage de malheur. Oh! combien ils sont beaux ces deux jeunes tourtereaux!
Le bonheur se lit dans leurs yeux,
(Au fond de la scène apparaissent Sobakine et Ivan Puisse Dieu les combler de ses divins bienfaits.
Likov) Que la joie règne dans leur coeur à jamais!

LIKOV LIKOV
Mais il me semble que l'on nous attend. Puisse-t-il arriver bientôt ce jour
Impatiemment attendu,
SOBAKINE Lorsqu'enfin nous serons l'un à l'autre réunis!
Je te l'avais bien dit, Ivan Serguéitch, Puisse Dieu nous accorder sa bénédiction
Ta belle s'impatiente. En ce jour de joie et de paix!

LIKOV (Saluant cérémonieusement Marfa) SOBAKINE


Dieu te garde Marfa Vassilicvna! Puisses-tu bénir l'union
De ces enfants... Dieu puissant!
MARFA (Saluant à son tour) Fais régner au sein de leur nouveau foyer
Ivan Serguéitch, La concorde, l'affection, le bonheur et la paix!
Eh bien, fillette, prie ce cher hôte d'entrer chez nous,
(Timidement avec un tendre reproche)
As-tu dressé la table pour le souper?
Oublies-tu, seigneur, ta fiancée?
Voici deux jours que l'on ne te voit plus...
MARFA
Oui-da!...
Quatuor

SOBAKINE SOBAKINE
Attends donc quelques jours, enfant, Viens donc, mon gendre!
Pour unir à jamais ton coeur
A celui de ton fiancé bien-aimé. (Ils entrent dans la maison par la petite porte. La
nuit tombe. On voit s'allumer des feux dans la maison de
LIKOV Sobakine)
Puisse-t-il venir bientôt ce jour
Où sera béni notre pur amour! Intermezzo

DOUNIACHA (Au fond de la scène apparaît Lioubacha couverte d'un


Qu’ils sont beaux les deux tourtereaux! épais voile. Elle s'avance en scrutant prudemment l'obs-
Le bonheur se lit dans leurs yeux! curité grandissante, longe les murs des maisons et arri-
ve enfin au premier plan de la scène.)
MARFA
Oh, mon fiancé chéri, - Scène 4
Nous serons unis pour l'éternité!
Lioubacha seule, puis Bomélius
LIKOV
Viendra-t-il ce jour de félicité LIOUBACHA
Si longtemps souhaité. Enfin, j'ai su trouver sa tourterelle!
Voyons, comment est-elle de plus près.
SOBAKINE (Elle s'approche de la maison de Sobakine. En regar-
Vos anneaux d'époux sont déjà forgés! dant à travers la fenêtre)
Oui,... pas trop mal.
MARFA Des lèvres de carmin,
Oh mon bien-aimé, Visage frais et rose.
Mon amour sera plein de dévouement, Est-ce Marfa, l'on me contait
Devant le Seigneur j'en fais le serment, Bien autre chose d'elle.
A jamais le bonheur règnera Mes craintes étaient vaines.
Dans nos chastes cours, oh! mon bien-aimé. Cette fillette ne saura pas
Capter son coeur.
DOUNIACHA Regardons bien.
On serait heureux rien qu'à regarder Ah! Qu'est-ce donc? Juste ciel! La voici!
Le parfait bonheur, dont le ciel (Se jettant en arrière)
Comble ces deux cours! Oui, j'ai bien vu, c'est l'autre ma rivale
Puisse Dieu protéger et bénir Au beau regard profond, aux tresses brunes!
L'union de ces deux charmants enfants! Oh! vision plus belle que le jour!
(S'approchant de nouveau de la fenêtre)
LIKOV Je crois rêver! Pourrait-il résister
Le suprême moment A tant de charme! Certes, il l'adore!
Du bonheur nous attend! Aussi je dois périr ou me venger.
Seigneur, bénissez l'union Ah! quel affreux tourment me ronge l'âme!
Que nos cours souhaitaient tendrement.
Protégez, mon Dieu, nos amours! (Elle frappe à la porte de Bomélius)

7
- La fiancée du Tsar -

BOMÉLIUS (Dans la coulisse) BOMÉLIUS


Qui frappe là? Rien !

LIOUBACHA LIOUBACHA
Sorcier, ouvre ta porte ! Te faudrait-il un autre gage?

BOMÉLIUS (Ouvrant la croisée) BOMÉLIUS


Lioubacha! Certes! Mon prix?
Je ne demande
LIOUBACHA (Il lui saisit la main)
Sans retard viens me rejoindre. De toi qu'un seul baiser !

(Bomélius sort en hâte de sa maison, une lanterne à LIOUBACHA (La retirant brusquement)
la main) Vieux lâche!
Perdrais-tu la tête?
BOMÉLIUS Ailleurs je trouverai ce que je veux
Rentre chez moi! Pour un bien plus modeste prix.
(Il prend la main de Lioubacha) (Lioubacha traverse précipitàmment la rue. Bomélius
Il fait si froid dehors ! court après elle)
Arrière! Je vais crier!
LIOUBACHA (La retirant brusquement)
Non, vieux sorcier, je n'irai pas chez toi! BOMÉLIUS
Du calme!
BOMÉLIUS A ta guise, mais dès demain
Dis-moi pourquoi viens-tu me voir? Je préviendrai ton maître!
A d'aussi belles filles que puis-je refuser? Lioubacha (A part)
Satan ne peut avoir plus de malice.
LIOUBACHA (S'adressant à Bomélius)
On m'a vanté ta science prodigieuse, Peut-être bien mon prix est trop modique?
Les baumes tout-puissants de ta magie, Pour me donner ce lent poison magique
Ecoute, je serai sincère! Dis-moi ce que tu veux!
Existe-t-il parmi tes sortilèges Quel est ce gage, quels sont tes voeux?
Un vrai moyen d'étioler un être Je paierai le prix. Ah! parle donc
Sans que personne puisse le savoir?
Un lent poison qui le dessèche... BOMÉLIUS
Parle! Lioubacha, aime-moi, exauce la prière
D'un coeur brillant d'amour
BOMÉLIUS Qui crie ma misère !
C'est tout compris!
(Dans la maison de Sobakine éclatent des chants et
LIOUBACHA des rires)
Je veux un philtre qui pourrait détruire...
LA VOIX de SOBAKINE (Dans les coulisses)
BOMÉLIUS Pas besoin de chasseurs, ni de grands cavaliers,
Mes philtres sont nombreux... Pour que règne chez nous la gaité!
Il suffit de verser à grands flots
LIOUBACHA Le bon vieux vin aux hôtes pour qu'ils chantent!
... Le pur éclat d'un doux et frais visage...
VOIX de MARFA et DOUNACHIA
BOMÉLIUS Ha ha ha ha ha ha...
... J'aurai ce qu'il te faut!
VOIX de LIKOV
LIOUBACHA Puisqu'il en est ainsi, tenons-nous-le pour dit!
... Le séduisant aspect de la jeunesse,...
LIOUBACHA
BOMÉLIUS Tu railles mais bientôt tu verseras
Ce que tu me demandes est dangereux, mignonne! D'amères larmes!
(S'adressant à Bomélius)
LIOUBACHA Sorcier, ton maudit philtre,
... Le charme captivant de la beauté! Je te l'achète!
Ton prix, je le paie!
BOMÉLIUS Ah! peu m'importe!
C'est ma vie qui est en jeu! Mon bonheur est mort !

LIOUBACHA (Bomélius rentre en hâte dans sa maison)


Le plus cruel bourreau n'en saura jamais rien!
- Scène 5
BOMÉLIUS (Regardant fixement Lioubacha)
C'est donc bien grave? Lioubacha seule, puis Likov et Sobakine. Quelques
instants plus tard Bomélius.
LIOUBACHA (Approchant sa main de la lanterne)
Vois ces joyaux, voici de riches bagues, LIOUBACHA
Un beau collier de perles fines! Air
C'est un bijou qui vaut une fortune! Ah! puisse Dieu me pardonner, Grieori!
Prends-le si tu le veux! Mais toi tu es coupable d'avoir brisé mon coeur.
Accepte! Je sais que tu ne m'aimes plus,
Pour Marfa tu m'abandonnes,
BOMÉLIUS Grisé par sa beauté!
Tu n'aurais pas assez d'argent! Mais penses-tu gagner son coeur,
Es-tu certain de son amour?
LIOUBACHA Tantôt j'ai entendu son rire...
Quel est ton prix? Détrompe-toi. Grigori,
Son cour est à un autre.

8
- La fiancée du Tsar -

Voix de Marfa (Dans la coulisse) - Scène 1


Adieu, Ivan Scrguéitch!

(Likov accompagné par Sobakine sort de la maison) Likov, Griaznoï, Sobakine


Une chambre d'apparat dans la maison de Sobakine. A
SOBAKINE droite, trois fenêtres richement parées. A gauche, dans
Viens demain nous voir avec Griaznoï, mon cher ami! le coin de la pièce, un poète en faiènce. Non loin de
celui-ci et plus près de l'avant-scène, une porte d'en-
LIKOV (Saluant) trée. Au fond de la scène, une autre porte. A droite,
Comptez sur nous ! une table devant un banc. A gauche, tout près de la por-
te, se trouve un vaisselier. Prés des fenêtres, un large
SOBAKINE banc. Sobakine. Likov et Griaznof sont assis sur le banc
Dieu te bénisse, mon fils!
près de la table.
(Likov s'éloigne. Sobakine rentre chez lui)
Trio

LIOUBACHA (Qui s'était cachée reparait de nouveau) SOBAKINE


Grand Dieu ! Demain Griaznoi vient chez Marfa! Je dois remercier Dieu, Ivan Serguéitch,
Ah! qu'il revienne vite ce sorcier! D'avoir eu de nombreux enfants,
Dont l'affection si tendre
(Bomélius sort de sa maison et s'approche prudemment Fait la joie de mes vieux jours.
de Lioubacha) Béni soit le Seigneur
Qui m'a comblé de ses bienfaits,
BOMÉLIUS Et dont la grâce veille
C'est fait, Sur le bonheur de toute ma famille!
LIOUBACHA LIKOV
As-tu le philtre? Quand donc, mon père, Marfa sera mienne?
Il serait temps de nous marier
BOMÉLIUS Et de célébrer ce jour par un festin.
Oui, ma belle!
SOBAKINE
(Bomélius remet la drogue) Oui certes et cependant il faut attendre.
Le Tsar nous fit connaître son désir
LIOUBACHA De voir nos filles, car il veut se marier.
Je veux le voir! Dieu! On vient d'inscrire Marfa sur la liste...
N'est-ce pas un leurre?
LIKOV
BOMÉLIUS Pourquoi cela?
Quand j'ai promis
Je n'ai qu'une parole, SOBAKINE
Mais je veux mon prix! Avec Douniacha il y eut
De suite deux milles noms.
LIOUBACHA Depuis hier j’apprends qu'il n'en reste que douze!
Sorcier, je paierai! (Griaznoï se lève brusquement. S'adressant à lui)
(Se tournant vers la maison des Sobakine) Qu'as-tu donc, mon hôte?
Ce n'est pas moi qui l'ai voulu, ma belle.
Mais bien toi qui me ravis Grigori, GRIAZNOÏ
Ah! puisse Dieu me pardonner ce crime! Rien... ça va passer, ami...
(S'adressant à Bomélius)
Entraîne-moi dans ton repaire, monstre! SOBAKINE
Ivan Serguéitch, sois sans crainte,
(Bomélius l'emmène précipitamment vers sa demeure) Prends patience.

- Scène 6 LIKOV
Que Dieu protège nos amours!
LES OPRITCHNIKS
Tels de beaux faucons qui planent dans le ciel bleu, SOBAKINE
Les Opritchniks voient fuir partout devant eux Je t'ai promis la main de Marfa...
Le craintif et vil gibier de potence
Qui redoute les effets de leur vengeance. LIKOV
(La grande porte monumentale de la maison du prince Je sens l'approche d'un malheur.
Gvosdev s'ouvre et laisse sortir la foule avinée des
Opritchniks) SOBAKINE
A travers les mornes rues des villages ... N'ayant voulu que toi pour gendre.
Nous semons l'effroi par de sanglants carnages.
(Des valets suivent les Opritchniks en les éclairant LIKOV
de lanternes. D'autres emmènent leurs chevaux) Plus que la vie j'aime Maria...
Pas de grâce pour tous ceux qui se révoltent!
L'incendie va détruire leur récolte. SOBAKINE
Nous n'avons de crainte que pour notre Maître ... Et cependant il faut attendre.
Le grand Tsar dont la puissance souveraine
Règne sur la terre ! LIKOV
... Aussi mon coeur est plein d'angoisse.
(Le cortège des Opritchniks se met en route)
GRIAZNOÏ (A part)
Oh! Dieu du ciel, l'affreux tourment!
ACTE III Tous mes espoirs vont s'écrouler.
En l'avenir ayons plus de confiance,
Je ne veux pas désespérer.
Prélude

9
- La fiancée du Tsar -

SOBAKINE Ah, les voici! Eh bien! quelles nouvelles?


On trouvera parmi les jeunes filles,
Pour notre Tsar quelqu'un de mieux que Marfa. DOMNA SABOUROVA
Après cela nous fèterons vos noces. Ah, cher ami, permets que je m'assoie!

LIKOV SOBAKINE
Mon seul bonheur c'est elle! Où sont nos filles!
Comment pourrai-je rester fidèle
A mon amour ainsi qu'à notre Prince? DOMNA SABOUROVA
Tu verras la belle dans un instant.
GRIAZNOÏ Ecoute bien Vassili Stépanovitch,
Le philtre magique guidera Ce que je vais t'apprendre.
Le choix de Marta. L'auguste Tsar me comble de ses grâces:
(S'approchant de Sobakine) Il questionna Douniacha longuement.
Je m'offre pour témoin du fiancé!
SOBAKINE
SOBAKINE Ah! bah! Parle vite!
Non, non, Ivan Serguéitch, ne crains rien.
Du calme mon cher fils, reprends confiance! DOMNA SABOUROVA
Pourquoi se tourmenter ainsi Arioso
Par de vaines alarmes! On nous reçut dans une vaste salle.
Les belles s'alignaient en rang.
LIKOV
L'espoir a fui mon âme désolée. SOBAKINE
Les nôtres?
GRIAZNOÏ
A ta noce m'invites-tu? DOMNA SABOUROVA
Ont pris leurs places.
SOBAKINE Dounia se tenait tout au bout du rang,
Depuis longtemps j'ai tout prévu Et Marfa plus au centre.
Pour votre noce. Ah! quel spectacle! Rien ne peut dépeindre
Mes bien aimés enfants ! La beauté de tous ces frais visages!
Et puis tous ces somptueux atours!
LIKOV Que dire d'un tel tableau!
Nous acceptons ton offre, La soie et le satin.
Cher boyard, avec grande joie ! L'argent et l'or ont aveuglé mes yeux!
Soudain nous vîmes des boyards, qui clamaient
GRIAZNOÏ « Le Tsar! Le Tsar! »
Merci ami! La foule se prosterne,
Puis se relève pour voir
SOBAKINE (Se levant) Le grand Tsar et son Tsarévitch!
Chers amis, je pense que vous prendrez Près d'eux leur suite.
Un verre d'hydromel! Les yeux du Tsar brillaient tels ceux d'un aigle.
Pendant ce temps ma fille reviendra. La salle nous semblait plus claire.
Les deux amies rentrent Avec Domna Ivanovna. Puis il passa trois fois devant la foule,
Plaisantant avec les belles,
(Il sort par la porte du milieu) Leur demandant le poids de leurs bijoux.
Avec Douniacha il parla ensuite,
Voulant savoir son âge, puis son nom.
- Scène 2
Il questionnait avec un doux sourire,
Et ne posa qu’un long regard sur Marfa...
Likov et Griaznoï Douniacha au début parut timide,
N'osant parler devant l'auguste Tsar.
LIKOV Mais il souriait, toujours plus tendre,
Dis-moi de grâce, que ferais-tu, Alors Douniacha prit plus de courage
Ami fidèle, à ma place, Et répondit presque en riant au prince,
Si ton hymen, un jour, devait se rompre? Les yeux brillants d'un fier éclat,
Les joues pourpres d'émotion, comme pavots
GRIAZNOÏ Qui en été fleurissent les prairies...
Ariette
Qu'aurais-je fait? SOBAKINE
J'aurais subi mon sort avec courage, Alors le Tsar a-t-il fixé son choix?
Car pour si peu faut-il se désoler?
Te souviens-tu que l'an dernier, moi-même, DOMNA SABOUROVA
J'avais tenté de conquérir ta place. Qui peut le dire cher ami! Personne!
N'ayant aucun succès auprès de Marfa,
J'abandonnais bien vite ce projet. SOBAKINE
De tout mon coeur je vous rendrai service Sait-on jamais. mon Dieu? Peut-étre bien,
Et forme pour vous deux des voeux sincères! Pendant que nous causons, une ambassade
Que le Seigneur bénisse vous amours ! Vient te saluer au nom du prince! Hein?
- Scène 3 DOMNA SABOUROVA
Ne raille pas! La chose est possible!
Likov, Griaznoi; Sobakine et Domna Sabourova Peut-on prévoir sa chance?
(Sobakine revient portant une grande pinte d'hydromel et Que font là-haut nos filles, les bavardes ?
des coupes)
(Elle sort)
SOBAKINE
Mes bons amis, goûtez ce vin! SOBAKINE
Cher hôte, un verre! Je dois aller donner aux gens mes ordres.
Vania, je remplis tu coupe?
J'entends du bruit. (Il sort. Le jour baisse rapidement. Griaznoï pensif
On vient d'ouvrir la porte. s'assied à table)
(Domna Sabourova entre en scène)

10
- La fiancée du Tsar -

LIKOV SOBAKINE
Douniacha plait au prince? Pas possible! Dieu bénira l'union de vos deux cocurs candides
Dieu tout-puissant, rends-moi ma fiancée! En vous donnant la joie d'avoir de beaux enfants!
Quand viendra-t-il enfin ce jour suprême,
Ce jour où Maria sera mon épouse? DOMNA SABOUROVA
Nous vous souhaitons, amis, des jours pleins de bonheur!
Air
De lourds nuages noirs ont obscurci les cieux, DOMNA SABOUROVA et Douniacha
Mais les beaux jours reviendront de nouveau. Dieu bénira l'union de vos deux cours
On m'a rendu ma fiancée, mon doux trésor, En vous donnant la joie et le bonheur
Celle qui règne à jamais dans mon cour! Au sein d'un radieux foyer!
Ah! mon aimée, combien je t'adore,
Proche est le jour de bonheur et de paix! GRIAZNOÏ
Sois sans alarmes, n'aie point de crainte, Seigneur, bénis leur hymen!
Car le Seigneur bénira nos amours! Vivez dans la paix!
Tous nos tourments passés doivent enfin cesser,
Dieu nous protège de son bras puissant! MARFA
De lourds nuages noirs ont obscurci les cieux, Merci pour vos sincères voeux
Mais les beaux jours reviendront de nouveau. Mes chers amis!
L'heure est proche de notre bonheur!
DOMNA SABOUROVA
GRIAZNOÏ Le ciel vous bénit!
Combien de fois je t'ai redit sans cesse,
Qu'il ne fallait jamais désespérer, LIKOV
Et j'ai la certitude d'être gai Mes chers amis, merci pour vos sincères voeux
Le jour de votre mariage! Se ba kine
Dès que Maria viendra avec Douniacha Que Dieu protège mes enfants candides.
Nous rejoindre je vous présenterai mes voux...
Aubaine! Voici du vin! DOUNIACHA
Soyez toujours heureux!
LIKOV Dieu bénira votre foyer!
Remplis, remplis nos coupes !
SOBAKINE
GRIAZNOÏ Puissent les anges bénir leur union!
Il fait bien noir...
GRIAZNOÏ
LIKOV Soyez heureux! Dieu vous protège.
Approche-toi du jour. Vivez dans la joie!
(Il s'approche de la fenêtre) DOMNA SABOUROVA
Vivez dans la joie!
GRIAZNOÏ Soyez heureux!
C'est vrai! Dieu vous bénit!
(Il verse de l'hydromel dans une des coupes ci la po-
se sur la table) LIKOV
Voici ta coupe bien remplie. Que de bonheur!
Ça c'est pour Maria!
(Il prend une autre coupe et s'approche de la fenêtre. MARFA
Pendant qu'il tourne le dos à Likov. Griaznoï jette fur- Ah! chers amis, que nous sommes heureux!
tivement dans la coupe destinée à Marfa une poudre qu'il
cachait dans ses poches. Puis il revient et pose tran- SOBAKINE
quillement la seconde coupe près de la première sur le Soyez heureux!
plateau)
Tiens, voici nos hôtes! LES FEMMES
Puisse Dieu bénir le joyeux foyer des heureux amants
- Scène 4 Que l'on va marier!
Que la paix du ciel règne dans vos cours!
Marfa, Douniacha, Domna Sabourova, Likov, Griaznoï En ce jour de joie, recevez nos voeux! (bis)
Sobakine et chour des femmes
(Sobakine entre en tenant en mains un candélabre. Marfa SOBAKINE
Douniacha, Domna Sabourova et les femmes de service de Que Dieu bénisse vos amours! (bis)
sa maison le suivent. Griaznoï fait signe à Likov de s'
approcher de Marfa. Celui-ci se met aux côtés de sa fi- GRIAZNOÏ
ancée. Alors Griaznoï s'avance vers eux et leur présente Dieu bénisse vos amours! (bis)
le plateau avec les deux coupes)
LIKOV
GRIAZNOÏ (Saluant le couple) Dieu vous entende! (bis)
Ce verre est pour toi,
(Likov prend sa coupe, la vide et salue Griaznoi) DOUNIACHA
Et l'autre pour Maria ! Dieu vous garde! (bis)
(Marfa boit une gorgée d'hydromel et après avoir re-
posé la coupe sur le plateau salue à son tour Griaznoï) DOMNA SABOUROVA
Selon le vieil usage, bois d'un trait. Seigneur Dieu! (bis)
(Marfa vide sa coupe et salue de nouveau. Petrovna
offre des coupes d'hydromel à toute l'assistance) MARFA
Dieu vous accorde le bonheur dans le mariage, Merci!
En bénissant l'union de vos deux jeunes coeurs.
LES FEMMES
MARFA et LIKOV (En saluant! Puisse Dieu bénir leur joyeux foyer!
Nous te remercions pour tes souhaits sincères,
Puisse le Seigneur Dieu combler tes voeux. MARFA

11
- La fiancée du Tsar -
De tout coeur merci, mes chers amis! Pour légitime femme et souveraine,
Lys sans tache, béni des cieux,
GRIAZNOÏ Ta douce fille Marfa.
Dieu bénira dans sa bonté votre foyer!
Soyez heureux, mes très chers amis ! (Surprise générale. Sobakine se prosterne à terre)

LIKOV
Dieu, vous entende mes amis! merci!

DOMNA SABOUROVA
Que Dieu bénisse vos amours, enfants!
ACTE IV
SOBAKINE
Dieu vous bénisse mes chers enfants! Prélude
DOUNIACHA - Scène 1
Dieu vous bénisse mes amis
Sobakine, puis Domna Sabourova, une servante et un
MARFA valet du Tsar
Merci! (Une salle dans le palais du Tsar, Au fond de la scène,
face au public, une porte donnant accès dans les appar-
LES FEMMES tements de la Tsarevna. A gauche, un premier plan, une
Soyez toujours heureux autre porte s'ouvrant sur le vestibule. Aux fenêtres,
des grillages dorés. Les murs de la pièce sont tapissés
Chanson des Fiançailles
de drap rouge, les bancs sont recouverts d'étoffes ri-
DOMNA SABOUROVA chement brodées. Au premier plan, à droite, un siège d'
Et maintenant chantons aux jeunes fiancés apparat recouvert de brocart d'or est réservé à la Tsa-
(En s'adressant aux femmes) revna. Un lustre de cristal est retenu au plafond par
Un hymne en leur honneur, pour terminer la fête! des chaires d'or.
(Elle commence le premier couplet)
Par un jour d'été, dans un ciel radieux. SOBAKINE (Pensif il se tient près du siège d'apparat de
Un grand aigle planait en guettant sa proie. sa fille, la Tsarevna, la fiancée du Tsar)
Air
LES FEMMES Un long sommeil réparera les forces
Quand soudain il vit à ses pieds nageant De mon enfant. Un noir destin m'accable.
Dans les flots d'un grand lac un beau cygne blanc. Dieu me punit pour mes péchés!
Hardiment le bel aigle s'abat vers lui, Le Tsar me comble d'honneurs:
Il se pose au bord des gazons fleuris, Ma fille Marfa devient Tsarevna
Il s'approche du cygne tremblant d'émoi, Et je suis moi-même nommé boyard!
Puis avec amour il étreint sa proie. Pareille chance n’est possible
Qu'en rêve et s'enfuit dès le réveil!
DOMNA SABOUROVA et Douniacha Peut-on prédire sa destinée?
Il enlace le cygne blanc. Au lieu de jouir de cette gloire sans pareille
Le bel aigle fier n'était qu'un beau gars, Je dois pleurer ma fille
C'était le fiancé que nous glorifions. Que torture un mal cruel!

LES FEMMES DOMNA SABOUROVA (Sortant des appartements de la Tsarev-


Et le cygne blanc, vous le devinez, na)
C'est la belle Maria Vassilievna. Ne pleure pas, mon cher ami
L'amoureux sut lui dire des mots très doux, Ta fille guérira bientôt!
Des paroles tendres, qui rendent fou. C'est un léger malaise sans nul danger.
Il conquit l'amour de son jeune coeur,
Et depuis parmi eux règne le bonheur... SOBAKINE
Non, détrompe-toi!
DOMNA SABOUROVA et Douniacha Ce mal subit causa trop de ravages
Et la belle lui donna son coeur... Pour qu'elle puisse recouvrer ses forces!

- Scène 5 (Une servante entre en courant)

Sobakine, Petrovna, Maliouta et les autres personna- LA SERVANTE


Boyarinia! La Tsarevna se réveille!
ges de de la scène précédente
(Elle sort)
PETROVNA (Entrant précipitamment)
Seigneur, des envoyés du Tsar s'approchent!
DOMNA SABOUROVA
Je vais la voir!
SOBAKINE
Vers moi? Tu perds la tête!
(Entre précipitamment un valet du Tsar)
PETROVNA
Non, certes pas, va les saluer... LE VALET
Ciel! On entend leurs pas! Du Tsar une missive!

(Maliouta entre en scène suivi des boyards. Sobakine (Il sort)


et le reste du monde les saluent profondément)
DOMNA SABOUROVA
Je vais en hâte près de la Tsarevna.
MALIOUTA
Vassili! Notre très puissant Seigneur,
Grand duc aimé de Dieu, (Elle sort)
Ivan Vassilievitch, Tsar de Russie,
Te fait le grand honneur de m'envoyer te dire: - Scène 2
Dieu qui m'inspire et le désir
De mes parents défunts, m'ont fait choisir Sobakine, Griaznoi; puis Marfa, Domna Sabourova,

12
- La fiancée du Tsar -

Douniacha, les servantes et les Boyards (Elle pousse un cri et tombe évanouie. Tout le monde
s'empresse autour de la Tsarevna)
GRIAZNOÏ
Reçois mes voeux, puissant boyard SERVANTES et BOYARDS
Vassili Stepanovitch! Oh, juste Dieu, protège la Tsarevna!

SOBAKINE (Saluant Griaznoi) GRIAZNOÏ


Agrée les miens, boyard. Grand Dieu!

GRIAZNOÏ DOMNA SABOUROVA. Douniacha, SOBAKINE


Le très auguste Tsar m'a donné l'ordre de voir ta fille Son mal redouble de violence.
La Tsarevna pour lui apprendre de bonnes nouvelles.
Son meurtrier conta enfin ses crimes SERVANTES et BOYARDS
Et le très docte médecin du Prince Seigneur clément, redonne-lui la vie!
Se charge de guérir notre Tsarevna.
DOUNIACHA
SOBAKINE Non, cela n'est pas vrai,
Quel est le criminel? Mais d'autres sans doute
Qui furent coupables.
GRIAZNOÏ
Tu connaîtras, boyard bientôt son nom. DOMNA SABOUROVA
Va vite m'annoncer. Ce n'est pas notre Ivan,
(Sobakine sort) Mais d'autres sans doute
Le mal secret qui ronge la Tsarevna Qui furent coupables.
N’est que l'amour, j'en ai la certitude.
Et cependant, grand Dieu, comment le dire? SOBAKINE
Pour voir le doux regard de mon idole Je ne croirai jamais ce que nous dit Griaznoi!
Je damnerais sans nul regret mon âme!
SERVANTES et BOYARDS
La voix de Marfa (Dans la coulisse) Peut-on la voir...
Arrière! Je veux voir ce qui se passe.
(Maria sort précipitamment de ses appartements pri- SOBAKINE
vés.Sa figure est pale. ses traits tirés sa robe défai- Likov fut calomnié,...
te, les cheveux décoiffés. Une couronne d'or négligem-
ment posée sur la téte lui ceint le front. Domna Sabou- Servantes et Boyards
rova, Douniacha et les servantes tâchent de la retenir) ... Sans larmes dans les yeux.

DOMNA SABOUROVA et LES SERVANTES DOMNA SABOUROVA et Douniacha


De grâce ne t'alarme pas Tsarevna! Qui pouvait préparer, sans crainte,...
Pourquoi te déranger ainsi sans cause?
Le messager du Tsar ne vient sans doute SOBAKINE
Que pour savoir comment va ta santé! ... La trame d'un acte semblable?

MARFA DOMNA SABOUROVA et Douniacha


Arrière! Je veux le voir! ... Et le cruel bourreau...
(Elle échappe brusquement aux femmes qui la rete-
naient et prend place sur le siège d'apparat) SOBAKINE
Boyard, avance-toi! Tu peux parler. ... Lui arracha l'aveu...

GRIAZNOÏ SERVANTES et BOYARDS


Le très auguste Tsar, Ses yeux demeurent clos,...
notre puissant Seigneur Ivan Vassilievitch
M'a envoyé pour te saluer, Tsarevna DOMNA SABOUROVA et Douniacha
Et demander comment va ta santé. Quel est le criminel?

MARFA (Se levant) SERVANTES et BOYARDS


Merci boyard. Je suis bien portante. .. Sa face est blême.
Mais de méchantes gens ont dit au Prince
Qu'un mal secret altère ma raison. SOBAKINE
Dieu m'est témoin, cela est faux! ... D'un méfait mensonger?

(Au seuil du vestibule parait Maliouta suivi de plu- GRIAZNOÏ


sieurs boyards. Les nouveaux venus s'arrêtent sur le pas C'est une blanche fleur jonchant le sol,
de la porte) Un oisillon mortellement blessé aux ailes!

GRIAZNOÏ DOMNA SABOUROVA et Douniacha


Tsarevna, je n'ai pas fini. La pauvre Tsarevna
(Marfa acquiesce d'un signe de tète et observe anxieu- Fut l'innocente proie...
sement Griaznoi)
Ivan Likov pressé SOBAKINE
Par le bourreau à la torture Dieu juste!
A dit avoir voulu t'empoisonner.
Pour ce méfait le Tsar l'a mis à mort. SERVANTES et BOYARDS
(Saluant la Tsarevna) Ses lèvres ont l'empreinte de la mort!
C'est moi qui fus chargé par notre maître
D'exécuter cet ordre sans retard ! SOBAKINE
Quel est le criminel
Quintette avec chœur Qui conçut ce méfait?

MARFA DOMNA SABOUROVA et Douniacha


Ah! ... D'un affreux scélérat
Qui cherche sa perte.

13
- La fiancée du Tsar -

MALIOUTA Crois-tu? Griaznoï n'a pas tout dit encore.


Le malheur poursuit le Tsar J'atteste que le traître, c'est moi-même,
Lui prenant sa bien-aimée! Le vil bandit qui calomnia Ivan Likov.
C'est moi qui dois subir la juste peine!
GRIAZNOÏ
Mon Dieu pardonne-moi, (L'assistance demeure saisie de stupeur à l'aveu de
Mon noir méfait! Griaznoi)

SOBAKINE MALIOUTA
Ma pauvre fille, Tu perds la tête, calme-toi, Griaznoï!
Mon cher trésor!
LES BOYARDS
SERVANTES et BOYARDS Récuse-toi, sinon tu perds la vie!
Seigneur clément, protège la Tsarevna!
MARFA (S'adressant à Griaznoi)
(Marfa reprend connaissance) Les rêves ne sont pas toujours des leurres,
Ils ont un sens profond...
DOMNA SABOUROVA, Douniacha, Griaznof
Les forces lui reviennent GRIAZNOÏ
Bel ange pur, candide fleur des cieux, Je t'ai donné
SOBAKINE moi-même le poison fatal
Sauvée!
MALIOUTA
MARFA (S'adressant à Griaznoï) Tu as commis ce crime?
Où suis-je donc? ...
Vis-tu, Ivan Serguéitch? Ah! GRIAZNOÏ
Ah! Vania. Vania, Oui, Maliouta,
Quel étrange rêve! Un fol amour égara ma raison!
Soudain je me suis endormie Je fus trompé moi-même par un traitre.
Et vis un bien terrible songe. Je demandais un philtre tout puissant
Pour conquérir l'amour de celle que j'aimais,
GRIAZNOÏ Qui fut mon seul trésor, que j'aimerai toujours,
Reprend tes sens, Tsarevna bien-aimée! Qui m'est cent fois plus chère que la vie!

MARFA DOMNA SABOUROVA, DOUNIACHA, SOBAKINE, MALIOUTA, SERVAN-


Le Tsar me choisissant pour femme, TES et BOYARDS
Je devenais dès lors Tsarevna. Tais-toi, Griaznoi!
De tels propos, bandit,
SOBAKINE Méritent la mort! Saisissez-vous du traître!
Tais-toi, tais-toi!...
Boyard Griaznoi; silence! MARFA (S'adressant à Griaznoi)
Scène et air
DOMNA SABOUROVA Viens au jardin, Ivan Serguéitch.
Seigneur clément protège ton enfant! L'air est si doux, le ciel est sans nuages.
Veux-tu courir ensemble par les prés?
DOUNIACHA Nous allons voir qui courra le plus vite.
Protège ton enfant! (Battant des mains)
Viens! Un, deux, trois!
MARFA (Elle court puis s'arrête)
Un jour quelqu'un m'a dit: Tu vois! Tu ne m'as pas!
Tsarevna! Et cependant je suis bien essouflée.
Celui qui fut ton fiancé Ah! Mais vois donc la frète campanule!
Trahit son très auguste Maître, Est-il bien vrai qu'à la Saint-Jean
Le misérable veut ta mort! Quand vient la nuit,
Combien de larmes j'ai versé! Au loin s'entend
Mon coeur se déchirait de peine. Son grêle tintement?
Petrovna me raconte
GRIAZNOÏ De beaux récits sur cette nuit.
Ah! juste Dieu, pardonne-moi mon crime! Regarde donc ce beau pommier en fleurs,
Reposons-nous sous ses ombrages.
MARFA Grand Dieu, ce rêve me poursuit!...
J'ai cru mourir d'un tel chagrin! Combien ce soir sont beaux les cieux!
Le doux Seigneur tissa pour nous
GRIAZNOÏ La trame de ce voile bleu
Je bravais le destin et le ciel m'a puni. Etincelant des feux de mille étoiles.
Dis-moi si dans les autres pays
MARFA Le ciel est aussi beau qu'ici?
Ah! l'affreux tourment!... Vois-tu à l'horizon briller
Quelle douleur!... Tels des diadèmes deux nuages?
Pour notre hymen, mon bien-aimé
MALIOUTA Dieu fit ces deux couronnes.
Un fatal destin poursuit notre Tsar!
- Scène 3
GRIAZNOÏ
Je ferai payer cher au sorcier son méfait! Les mêmes puis Lioubacha

MARFA GRIAZNOÏ
Ensuite je vis Griaznof Non, non, c'est assez.
Qui prétendait t'avoir tué lui-même! Emmène-moi Maliouta,
Joyeux compère ce Griaznoi; Devant l'auguste Tsar!
Il espérait me faire rire! Pourtant, j'implore.
Fais-moi l'ultime grâce
GRIAZNOÏ De revoir le damné sorcier!

14
- La fiancée du Tsar -

LIOUBACHA (Sortant soudain du groupe des servantes)


Réglons avant nos comptes!
Tu me parais ne plus songer à Liouba!
Par un fatal hasard j'ai su ton crime. FIN
Alors moi-même j'ai trouvé le mage.
Tu paies cher le prix de ses breuvages!
Je me suis fait donner un autre philtre,
Que j'ai payé moins cher!
Il vaut le tien sans doute.
Celui qui l'a goûté dépérira!

GRIAZNOÏ
Serais-tu folle?

LIOUBACHA
Mon poison l'étiole jusqu'à la mort.
J'avais changé les philtres
Pour que ce fût toi-même qui l'empoisonnât!

MARFA
Dis-moi, Ivan Serguéitch,
Qui parle avec Douniacha?

LIOUBACHA
Vois ce que tu fis!

GRIAZNOÏ (Portant la main à son poignard)


Maudit démon !

LIOUBACHA
Je ne crains pas la mort!
C'est toi, Griaznoi; toi seul le vrai coupable!
Pris-tu jamais pitié de ma douleur.
Prends donc ma vie,...
Je n'en ai que faire!

GRIAZNOÏ
Péris démon!

(Il la frappe d'un coup de poignard en pleine poi-


trine)

LIOUBACHA (S'affaissant)
Dieu juste, fais-moi grâce...

(Elle meurt)

MALIOUTA (Se penchant sur le cadavre de Lioubacha)


La pauvre enfant!

SOBAKINE et les Boyards


Sur l'heure liez l'infâme!

MALIOUTA
Griaznoï, ta fin est proche!

DOMNA SABOUROVA, Douniacha et les servantes


Ciel, il l'a tuée!

(Sobakine et les Boyards se jettent sur Griaznoï)

GRIAZNOÏ
J'implore!...
Un dernier adieu à mon aimée
Bel ange pur, pardonne mon méfait.
Pardonne-moi chacune des tes larmes,
Le mal cruel qui frappe ta jeunesse.
Je paie la rançon de ta douleur.
Pour expier ma lâche forfaiture,
Je livrerai mon corps à la torture
Sans craindre le courroux du Tsar Ivan!
Adieu, adieu !

(On l'emmène. Avant de franchir le seuil de la por-


te, Griaznoï jette un dernier regard d'adieu vers Maria)

MARFA
Reviens demain, mon Vania!

DOMNA SABOUROVA, DOUNIACHA, SOBAKINE, MALIOUTA, SER-


VANTES et BOYARDS
Pitié, Seigneur!

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