Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
musicale
Formation
du musicien
éditions
DELATOUR FRANCE
FORMATION MUSICALE
FORMATION DU MUSICIEN
FORMATION MUSICALE
FORMATION DU MUSICIEN
L'image de l'escalier évoque une manière de gradus ad parnassum, avec tout l'humour dont fit
preuve Claude Debussy dans l'oeuvre qui porte ce titre.
La transmission de connaissances, d'interprétations du monde, suppose des étapes (des
«marches », chacune de celles qu'il faut gravir se trouvant toujours aux frontières du sens ...
des transitions, une intégration progressive, une adaptation de l'ensemble de la mémoire, une
polysémie, une évolution continue, un déplacement sans fin de soi, issu de distances critiques,
de transgressions, de transversalités.
Si l'on se réfère aux escaliers « à double révolution », on ne devra pas oublier qu'il existe tou-
jours des territoires parallèles inconscients, cryptés, interdits, dont il convient de transmuer les
cloisons apparemment étanches.
Et pensons également que tout parcours « scalaire », fût-il le plus étroit, en spirale, à vis, en co-
limaçon, ainsi qu'il s'ouvre à nous dans certaines tours permettant l'accès aux tribunes d'orgue,
à la jouissance musicale fondée sur une mémoire transformée la plus large possible, comporte
le plus souvent des ouvertures vers de magnifiques perspectives.
Tel n'est-il pas l'enjeu d'un « dialogue pédagogique », afin de parvenir à des Parnasses toujours
nouveaux, où se conjoignent pensée philosophique, artistique et scientifique ?
Partitions
Tableaux d'une exposition pour piano à 4 mains (Moussorgski/Rossignol)
La contrebasse Vol. I (Régis Prudhomme)
La contrebasse Vol. II (Régis Prudhomme)
Prélude à l'après-midi d'un faune pour piano à 4 mains (Debussy/Rossignol)
Tous droits de traduction, d'adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays.
Le code de la propriété intellectuelle du 1« juillet 1992 n'autorise, aux termes de l'article L.122-5, 2e et 3e a), d'une part, «que les copies ou
reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective» et, d'autre part, «que les analyses et les
courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration», «Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement
de l'auteur ou ayants cause, est illicite» (article L.122-4).
Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et
suivants du Code de la propriété intellectuelle.
ISBN 978-2-7521-0246-1
Avant-propos 11
Introductions
Introduction générale 23
Jean-Michel BARDEZ
La place de l'oeuvre 53
Mikaël LE PADAN
Méthodes
La pédagogie Dalcroze 89
Anne-Gabrielle CHATOUX-PETER (équipe de DALCROZE France)
7
Réflexions sur une discipline
8
Ouvertures et nouveaux enjeux
Improviser aujourd'hui 2 8 5
Michaël ERTZSCHEID
9
AVANT-PROPOS
11
BIOGRAPHIE DES AUTEURS
Jean-Michel Bardez
Titulaire de prix du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris
(classes de F. Lengelé, G. Hugon, B. de Crépy, R. Boutry, C. Ballif, O. Messiaen, B.
Jolas, S. Nigg, M. Philippot) ainsi que d'un doctorat en littérature comparée (Université
Paris X), après des études en classe préparatoire et de piano.
Jean Michel Bardez a été président-fondateur de l'Adem-Art, est président de la Société
Française d'Analyse Musicale (depuis 1992) et enseigne l'écriture-analyse-composition
au Conservatoire H. Berlioz (Paris) où il est également Conseiller aux Etudes.
Son parcours et sa formation pluridisciplinaires font de lui une figure atypique de la vie
musicale/musicologique : de l'activité de compositeur (pièces pour orchestre, piano,
ensembles, v o i x , orgue, e t c . : é d . Schott-Frères, Agenda, H . Lemoine...) à
l'improvisation — piano (éd. Ready Made), orgue —, ou au dessin et à la peinture, il mène
aussi une activité de recherche (contribution à la réalisation d'une vingtaine de congrès et
colloques internationaux), d'édition (trois livres sur le x v i i r siècle, une cinquantaine
d'ouvrages pédagogiques publiés aux éditions Rideau-Rouge, Chappell, A . Leduc,
Ricordi, Amphion, Choudens, Wamer, Musicom, Carish, H. Lemoine...), de multiples
articles, préfaces, émissions, une collection de partitions commune à s i x éditeurs
(Carrousel), une collection Internet (éd. J. Davoust), plusieurs collections de livres et de
partitions (« Pensée Musicale », « Musique/Pédagogie », «Patrimoine »...), d'autres, en
collaboration, avec A. Riotte (éd. Main d'oeuvre) et, plus récemment, avec J.-J. Nattiez,
M. Andreatta (en partenariat avec l'Ircam), G. Vinay, D. Mahiet, D. Van Egroo (éd.
Delatour-France). Il est, en outre, éditeur de l'oeuvre du compositeur N. Obouhow (aux
éditions H. Lemoine...).
Membre du comité éditorial de la revue Analyse Musicale, puis, de la revue Musurgia et
de la revue Internet Musimediane, il est également impliqué (aux éditions Delatour) dans
le développement d'une collection à vocation interdisciplinaire (arts visuels et sonores) :
« MuSique/Transversales », avec Jean-Marc Chouvel.
Mikaël Le Padan
Mikaël Le Padan est professeur d'enseignement artistique au CRR de Montpellier-
Agglomération e t chargé d e cours à l'Université P a u l -Valéry Montpellier I I I
(départements musicologie et musicothérapie). Depuis plusieurs années, i l anime des
cycles de conférences sur la musique et la place des oeuvres en partenariat notamment
avec l'Opéra Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon. I l intervient
régulièrement en tant que formateur pour le CNFPT et Hérault Musique Danse sur des
stages pédagogiques liés à la formation musicale. I l est l'auteur de l'Opus à l'oreille,
méthode de formation musicale en quatre volumes aux éditions Billaudot.
Daniel Blackstone
Elève de Marcel Ciampi pour le piano, de Pierre Doury et Edouard Souberbielle pour
l'orgue, Daniel Blackstone a été, en pédagogie de la formation musicale, l'élève puis le
collaborateur de Maurice Martenot de 1975 à 1980. I l a ensuite été professeur de
13
formation musicale puis directeur des écoles de musique de Boissy-Saint-Léger et de
Cormeilles-en-Parisis. Il fait partie depuis plus de trente ans de la rédaction de la revue
L 'Education Musicale.
Anne-Gabrielle Chatoux-Peter
Anne-Gabrielle Chatoux-Peter est diplômée de l'Institut Jaques-Dalcroze de Genève
(HEM-Haute Ecole de Musique) et professeur d'enseignement artistique. Après avoir
enseigné l a musique aux musiciens et aux danseurs pendant dix-huit ans dans les
conservatoires de la Ville de Paris, elle intègre, en janvier 2014, l e conservatoire de
Vincennes où elle a été appelée pour assurer la formation musicale des filières voix et
danse. Elle enseigne également la rythmique Jaques-Dalcroze aux enfants de la Maîtrise
de Radio France.
Depuis près de quinze ans, elle est aussi formatrice auprès des professionnels de
l'enseignement et anime de nombreux stages auprès d'organismes agréés : ARIAM,
ADIAM, CNFPT, CFMI de Lille (Université de Lille), DASCO (Direction des affaires
scolaires de l a Ville de Paris)... Présidente de l'association Dalcroze-France, elle
s'attache à faire découvrir en France cette méthode mondialement reconnue. Elle est
régulièrement invitée lors de colloques (APFM, IFAC), émissions de TV ou radio (LCP,
France Musique).
Laurence Renault-Lescure
Après des études musicales e t littéraires, Laurence Renault-Lescure se consacre à
l'enseignement musical et particulièrement aux pédagogies actives pratiquées en France
et à l'étranger. Son parcours débute au sein de l'Education nationale pour continuer au
ministère de la Culture où elle prend une part active à l'élaboration de la réforme de
1977. Elle enseigne ensuite au CNSM de Paris puis dans des conservatoires régionaux,
particulièrement au conservatoire à rayonnement régional de Paris, où elle passera plus
de trente ans à enseigner la formation musicale.
Marc Bleuse
Marc Bleuse a étudié au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris dans la
classe de Simone Plé (contrepoint et fugue) et, deux ans plus tard, dans celle d'André
Jolivet (composition). Après avoir obtenu le premier Certificat d'aptitude aux fonctions
de directeur des écoles contrôlées par l'Etat en 1969, il est nommé directeur de l'Ecole
nationale de musique de Perpignan. En 1975, Marcel Landowski le nomme à l'Inspection
de l a Musique sur l a proposition de Jacques Charpentier. E n 1980, i l est nommé
Inspecteur Général chargé de l'enseignement musical. De janvier 1984 à novembre 1986,
il dirige le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et, de novembre 1986 à
novembre 1988, il succède à Maurice Fleuret comme Directeur de la musique et de la
danse.
En 1990, Marc Bleuse prend la direction du Conservatoire à rayonnement régional de
Toulouse puis, quelques années après, celle du Centre d'études supérieures de musique et
de danse (CESMD) de cette même ville où il est désormais établi. En 1993, Michel
Plasson crée avec Michel Strauss et l'Orchestre national du Capitole son Concerto pour
violoncelle, commande de Radio France. S'étant aujourd'hui retiré de toute activité
officielle, Marc Bleuse poursuit néanmoins ses activités de compositeur et continue de
donner des conférences ou de participer à des congrès.
14
Marguerite Labrousse
Après des études générales et musicales (Conservatoires, CNSM, Université), Marguerite
Labrousse a obtenu un CAPES d'éducation musicale en 1973, un C A de méthodes
actives en 1975 et un C A de solfège spécialisé en 1976. Elle a enseigné l'éducation
musicale en collège (Education nationale) de 1974 à 1977 puis la formation musicale au
CRR de PARIS de 1977 à 2011. Elle a également été professeur tuteur pour les
CEFEDEM de Rueil-Malmaison, de Normandie (Caen-Rouen), Lorraine (Metz) et Sud
(Aubagne), et animé divers stages pour professeurs de conservatoire à Strasbourg, Metz
et Reims. Elle a publié de nombreux ouvrages aux Editions Henry Lemoine (Cours de
Formation Musicale, Planète FM...)
Virginie Dao
En parallèle à des études générales (langues étrangères appliquées) e t musicales
(hautboïste de formation), Virginie Dao s'est très tôt consacrée à l'enseignement de la
formation musicale, tout en conservant à ses débuts une activité d'interprète. Son v i f
intérêt pour la pédagogie de cette discipline l'a amenée à enseigner dans de nombreuses
structures, autant d'enseignement général (écoles primaires) que spécialisé. Elle a orienté
son mémoire de maîtrise de musicologie sur le sujet de l'intonation et l'audition dans le
cours de formation musicale. Elle est membre actif au sein de l'APFM — Association des
Professeurs de Formation Musicale —, participe régulièrement à des jurys de CEFEDEM
et intervient ponctuellement dans d e s formations d'enseignants. E l l e enseigne
actuellement au CRR de Paris, dont elle coordonne l e département d e formation
musicale.
Agnès Retailleau-Matry
Agnès Retailleau-Matry, trompettiste et organiste, enseigne la formation musicale au
CRR de Boulogne-Billancourt depuis 1989. Elle intervient comme formateur pour des
préparations au DE et au C A de formation musicale, puis auprès du CNSMDP, de
l'IFEDEM de Paris, comme professeur tuteur aux CEFEDEM de Rueil-Malmaison et de
Bourgogne et à l'ARIAM Ile-de-France. Elle anime de nombreux stages de pédagogie
générale o u d e pédagogie d e l'éveil musical organisés p a r les A D I A M 94 et 77,
l'ADDM 53, l'UDEMM 72 ou l'ADDAV 56.
Présidente de l'Association des professeurs de formation musicale de 2000 à 2009, elle
participe à l'organisation de congrès, de tables rondes, conférences, débats... Elle rédige
des articles sur des sujets pédagogiques et musicaux et cherche aussi par des actions
diverses à faire connaître et évoluer la formation musicale pour lui conserver sa place
centrale dans l'enseignement français.
Bruno Rossignol
Bruno Rossignol a été directeur des conservatoires de Jouy-en-Josas (1989-1992),
Suresnes (1992-1997), Orsay (1997-2000), Bourges (2000-2005) et Paris 10e Hector
Berlioz (2005-2010). Il est directeur du Conservatoire à Rayonnement Départemental de
la Dordogne depuis 2011.
Compositeur, son catalogue comprend : un opéra (Madame Roland), un concerto pour
violon, créé en 2000 par Annie Jodry, un concerto pour harpe, créé en 2008 par Sabine
Chefson, de nombreuses oeuvres chorales : Stabat Mater, Salve Regina, Ave Verum,
Exsurgens autem Maria (créé en mai 2014 dans le cadre des célébrations du 900e
15
anniversaire de l'abbaye de Pontigny), Cantate L'escalier, des mélodies (Nouvelles
histoires naturelles), plusieurs recueils de pièces pour piano.
Il a également écrit un grand nombre de pièces instrumentales à visée pédagogique,
éditées par les principaux éditeurs français : Leduc, Lemoine, Billaudot, Combre,
Salabert, Delatour, Armiane, Delrieu... De 1985 à 1995, i l fut le chef de choeur des.
spectacles musicaux de Jean-Michel Jarre, q u ' i l a accompagné à Londres, Paris-
La Défense (1990), Berlin, Budapest, Séville, Barcelone, Saint-Jacques-de-Compostelle,
Mont-Saint-Michel... I l a également transcrit pour piano à quatre mains de grandes
oeuvres du répertoire (Tableaux d'une exposition de Moussorgski, Prélude à l'après midi
d'un faune de Debussy).
Depuis 2011, i l est directeur artistique de l'ensemble instrumental de l a Dordogne
(E.I.D.) avec lequel i l se produit principalement en région Aquitaine. Il a créé dans le
même temps le choeur de Dordogne. Son oratorio La fin dau inonde, écrit en occitan
limousin sur un texte de Jean-Yves Agard, a été créé le 26 avril 2013 au centre culturel de
Sarlat. En tant que chef de choeur, il a remporté le l ' prix du concours international de
Malte en 1989, le le` prix du concours international de Vérone (Italie) en 1993, le prix du
meilleur chef du festival de Vérone 1993, le grand prix des Hauts-de-Seine en 1996. Il
s'est vu décerner la médaille de la Ville de Paris en 1990.
Nino Barkalaya
Pianiste et musicologue, scénariste, maître de conférences du conservatoire supérieur
national Tchaïkovski de Moscou, rédactrice-consultante de la chaîne Kultura (Russie).
Entre 1996 et 1999, elle est chef de la Philharmonie des jeunes artistes du conservatoire
de Moscou. En 2000-2001, elle est l'initiatrice et la responsable du projet de coopération
du conservatoire de Moscou avec le conservatoire national supérieur de musique et de
danse de Paris. Elle est également l'organisatrice du Studio de musique électronique au
conservatoire de Moscou. De 2001 à 2008, elle dirige le département de musique de
chambre d u conservatoire de Moscou (organisation de concerts e t de festivals de
musiciens russes et étrangers). Depuis 2005, elle est chargée de cours d'histoire de l'art
pianistique à l'académie Gnessine et au conservatoire Tchaïkovski. En 2008, elle crée le
Concerto pour piano e t O M N I de Guy Reibel dans l a salle Olivier Messiaen de
Radio France (commande de Radio France et du festival Multiphonie). En 2012, elle
soutient une thèse à l'Université de Paris VIII. En 2013, elle prépare un livre consacré à
l'esthétique et la technique compositionnelle de Nicolas Obouhov dans le contexte du
modernisme russe et français (Institut des études slaves).
Son répertoire comprend des oeuvres classiques (Bach, Couperin, Mendelssohn, Liszt,
Chopin, Prokofiev, Chostakovitch), ainsi que des compositions d'auteurs contemporains
de différents pays : Karol Beffa, Guy Reibel, Bruno Mantovani (France), Oskar Strasnoy
(Argentine), Bernat Vivancos (Espagne), A n t o n Steinecker (Slovaquie), S o f i a
Goubaïdoulina, Edison Denisov (Russie).
Antonin Servière
Compositeur, saxophoniste et enseignant de la musique. Parallèlement à ses études au
Conservatoire de Paris, il étudie l'orchestration puis la composition. Sensible à l'Histoire
et au discours sur la musique, Antonin Servière suit un cursus universitaire complet en
musicologie (Licence, Master, Doctorat). Professeur agrégé de l'Université, il est l'auteur
d'une thèse consacrée à l'oeuvre symphonique de Jean Sibelius et a vécu deux ans en
Finlande. Antonin Servière mène à présent une double activité de compositeur et
16
d'enseignant de la musique. Ses oeuvres ont été jouées en France, au Canada, en Finlande,
aux Pays-Bas, en Suisse et en Italie. Son catalogue comprend désormais une vingtaine
d'oeuvres parmi lesquelles de nombreuses pièces de musiques de chambre ou pour
ensemble, une oeuvre pour orchestre, pour bande électroacoustique et un opéra de
chambre.
Pierre Kolp
Pierre Kolp est compositeur, musicologue et organiste. Après une dizaine d'années
consacrées à l'enseignement de la musique, i l dirige l'Institut de Rythmique Jaques-
Dalcroze de Belgique pendant seize ans. I l préside de 2005 à 2012 l'association des
académies de musique francophones de Belgique. Actuellement, i l est Inspecteur de
l'enseignement artistique près la Fédération Wallonie-Bruxelles de Belgique.
Michel Jaspar
Musicien polyvalent : pianiste, chanteur, chef de choeur, conférencier, organisateur et
metteur en scène de spectacles musicaux, Michel Jaspar a enseigné &rant vingt-huit ans
le solfège puis la formation musicale, l'écriture, l'analyse, l'histoire de la musique et le
chant choral en académies (écoles de musique) ; il enseigne actuellement la direction de
choeur, l'harmonie pratique, la psychologie, la psychopédagogie et la méthodologie de la
FM à l'IMEP (Institut de Musique Et de Pédagogie, Namur, Belgique) ainsi que la
méthodologie de la F M au CRB (Conservatoire Royal de Bruxelles). Diplômé en
psychologie, spécialisé dans la cognition musicale, il entreprend des recherches dans le
domaine de l'audition et de la lecture à vue, appliquées au cours de formation musicale,
en vue d'une thèse doctorale.
Vincent Bouchard-Valentine
Vincent Bouchard-Valentine est professeur de pédagogie musicale au Département de
musique de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Auparavant, il a enseigné la
musique au primaire à la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe. Depuis plusieurs
années, i l s'implique dans la Fédération des associations de musiciens éducateurs du
Québec (FAMEQ), notamment comme éditeur délégué d e l a revue Musique e t
pédagogie. Pour Vincent Bouchard-Valentine, l'interaction entre les milieux universitaire
et scolaire est essentielle pour valider la formation initiale des enseignants et pour
contribuer à l'amélioration des pratiques sur le terrain. Ses domaines d'expertise couvrent
les fondements théoriques de l'éducation musicale scolaire, la technopédagogie de l a
musique, les modèles d'enseignement de la création musicale et l'éducation relative à
l'environnement sonore.
17
Jean-Paul Despax
Pianiste de formation, Jean-Paul Despax est diplômé du CNSM de Lyon où il a étudié
entre 1994 et 1998. De 2001 à 2004, il complète sa formation au CNSM de Paris dans les
classes d'esthétique, analyse, histoire de la musique et pianoforte. Dès cette époque, sa
carrière d'enseignant s'oriente vers la formation musicale. Après avoir enseigné dans
différents établissements, i l est à présent professeur au CRR de Paris et participe à des
actions de formation continue et d'accompagnement pour enseignants.
Parallèlement, Jean-Paul Despax a publié divers articles, notamment sur les Etudes pour
piano de Claude Debussy, et contribué à plusieurs ouvrages (Eléments d'esthétique
musicale dirigés par Christian Accaoui, Musique, corps, âme aux éditions de la Cité de la
Musique,...). Il a travaillé comme musicologue-bibliothécaire aux Talens lyriques sous la
direction artistique de Christophe Rousset, puis au Centre de musique baroque de
Versailles en tant que chercheur et responsable éditorial. Dans ce cadre, i l a supervisé
l'édition d'oeuvres de Beauvarlet-Charpentier, Dieupart, Edelmann, Montéclair, Rigel,
Vachon. 11 est également co-auteur, avec Marguerite Labrousse, de plusieurs ouvrages
pédagogiques parus aux éditions Henry Lemoine (Formation musicale chanteurs, Atout
rythme).
Stefan Moriamez
Stefan Moriamez est à présent directeur pédagogique et chef de choeur de la Maîtrise
Boréale (CHAM) dans le Nord-Pas-de-Calais. Formé dès l'enfance à la musique, i l
poursuit d'abord des études d'anglais à l'université Paris I V -Sorbonne qui le mènent
jusqu'au DEA en linguistique anglaise (master 2). Après les conservatoires de la Ville de
Paris où il poursuit ses études de chant, d'orgue, d'écriture, d'analyse et d'histoire de la
musique, il entre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (CNSMDP)
en culture musicale (classe d e Brigitte François-Sappey) e t en direction de choeur
grégorien, musique médiévale et de la Renaissance où il obtient ses premiers prix.
Entre 2004 et 2009, il enseigne principalement la formation musicale et le chant choral
dans les conservatoires d'arrondissement de Paris (10e, 7e) et en banlieue parisienne. Il
s'investit également dans des stages d'été (Prieuré de Marcevol, Abbaye de Saint-Michel
en Thiérache...) où il intervient en tant que professeur de technique vocale et chef de
choeur. En tant qu'interprète, i l s'est produit régulièrement comme artiste de choeurs
(Opéra National de Paris, Choeurs de l'Opéra de Lille, Teatro Real de Madrid...), ou en
tant que ténor soliste (notamment avec l'Orchestre de Picardie), tout en poursuivant ses
recherches musicologiques. I l a également participé à de nombreuses émissions sur
France Musiques. Son activité de chef de choeur se décline en expérience diverses :
création et direction du choeur Vocalis, direction du choeur Opéracadémy et, aujourd'hui,
celle de la Maîtrise Boréale.
Michaël Ertzscheid
Ayant commencé la musique en famille, il obtient des premiers prix en piano et musique
de chambre dans différents conservatoires (Toulouse, Boulogne-Billancourt, Paris).
Soucieux de se forger également une solide formation théorique, il étudie l'analyse avec
Alain Louvier. Il intègre le Conservatoire National supérieur de Musique et de Danse de
Paris, fait ses classes d'érudition et y obtient ses prix d'harmonie, de contrepoint et de
fugue.
Très intéressé par l'accompagnement et le déchiffrage depuis toujours, i l obtient son
D.F.S. d'accompagnement mention Très Bien dans l a classe d e Jean Koemer au
18
CNSMDP, et travaille sous l a direction de Pierre Boulez, Kasuchi Ono, Christoph
Eschenbach, et John Axelrod dans le cadre de productions avec le CNSM ou avec le
Théâtre du Châtelet. I l achève ses études instrumentales au CNSM en obtenant ses
premiers prix en improvisation et en musique de chambre auprès de Pierre-Laurent
Aimard.
Il se produit régulièrement en concert en France et à l'étranger ; titulaire du Certificat
d'Aptitude à l'enseignement du piano, i l est actuellement professeur de piano au Pôle
supérieur PSPBB et au CRR de Boulogne-Billancourt, et assistant en accompagnement
au CNSM de Paris.
Jean-Luc Leroy
Jean-Luc Leroy est docteur en Histoire de la musique et Musicologie de l'Université
Paris IV-Sorbonne, agrégé de musique, psychologue clinicien. Il exerce actuellement la
fonction de Maître de conférences à l'Université d'Aix-Marseille et de psychologue et
psychothérapeute en cabinet privé. I l est membre du Laboratoire d'Études en Sciences
des Arts (LESA, Aix-Marseille Université) et de l'Observatoire Musical Français (groupe
de recherche Musique, Éducation, Société, Cognition — MUSECO, Paris IV-Sorbonne).
Ses travaux portent principalement sur les processus dynamiques en musique, sur les
processus artistiques et créatifs, sur l'épistémologie de la musique, sur la science de
l'éducation musicale. Outre de nombreux articles, contributions, directions d'ouvrages,
on compte parmi ses publications : Outline for a general theory o f music (à paraître),
Topicality of Musical Universals (dir.) (2013), Perspectives actuelles de la recherche en
éducation musicale (dir.) (2011), Le vivant et le musical (2005), Vers une épistémologie
des savoirs musicaux (2003).
Guy Reibel
Guy Reibel développe ses activités de recherche e t de création autour d'une idée
centrale : celle de l'homme musicien, qui associe indissolublement l'écoute et la création,
avec comme corollaires le fait de susciter et développer les aptitudes créatrices de tous,
jeunes et adultes, et d'inverser le schéma habituel qui va du créateur à l'auditeur.
Il a été membre du GRM (Groupe de recherches musicales) de 1963 à 1983, producteur
d'émissions à la radio (Concerts lectures, émissions pédagogiques) dans les années 1970-
1980, professeur de composition au Conservatoire de Paris de 1968 à 2001, directeur
d'ensembles vocaux (Groupe vocal de France, Choeurs de Radio France), chargé de
missions de conseil sur des projets musicaux (Cité de l a Musique) e t producteur
d'événements musicaux (La Marseillaise des mille).
Par ailleurs, i l crée l e « jeu vocal » pour tous les publics, développé depuis une
quarantaine d'années, avec la réalisation récente d'une anthologie sur ce thème (Le Jeu
vocal, film MK2), et s'est associé aux recherches de Patrice Moullet sur les instruments
électroniques (les OMNI). I l est également compositeur d'un ensemble d'oeuvres
électroniques, symphoniques, vocales, pour les formations les plus diverses, et auteur
d'ouvrages sur l e jeu vocal e t l a création : L'homme musicien (Edisud), Les jeux
musicaux, Jeux vocaux (Salabert) et d'un DVD, Jeu vocal Chant spontané (MK2).
François Delalande
En qualité de responsable du programme de recherches en sciences de la musique au sein
du GRM (Groupe de recherches musicales, Institut national de l'audiovisuel, Paris),
François Delalande a conduit des travaux dans les domaines suivants : analyse des
19
musiques électroacoustiques e t ses prolongements théoriques (théorie d e l'analyse
musicale e n général, sémiotique musicale, analyse d e l'écoute), apparition e t
développement des conduites musicales chez l'enfant — implications anthropologiques et
pédagogiques.
20
INTRODUCTIONS
FORMATION ARTISTIQUE, MUSICALE
Jean-Michel BARDEZ
23
Parmi les prises de position des politiques, citons José Manuel Durâo
Barroso, ancien président de l a Commission européenne : « L a dimension
culturelle (...) est une composante essentielle de la construction européenne et
une condition pour sa réussite. (...) Dans l'échelle des valeurs, la culture vient
devant l'économie' ». Citons également Renaud Donnedieu de Vabres, alors
ministre de l a Culture et de l a communication : «Nous avons à récuser la
compétence de l'Organisation mondiale du commerce pour la culture et affirmer
celle de l'Unesco. (...) La culture n'est pas un supplément d'âme, c'est pour
notre pays un réservoir d'activités, d'influence et de rayonnement qui suppose
des moyens2 ». Aurélie Filippetti, ancienne ministre de l a Culture et de l a
communication, insistait récemment sur la nécessité de « refonder le rapport
entre économie et culture. (...) Le premier enjeu, c'est l'accès de tous à la
culture, au patrimoine, à la création et aux oeuvres de l'esprit. C'est là toute
l'ambition de l'éducation artistique et culturelle' ».
On pourrait y opposer de nombreux constats : « En réalité, c'est l a
décrépitude de toute vision politique de la culture qui permet à l'économique de
devenir aujourd'hui le juge suprême du culturel4 ». Cette autre prise de position
laisse-t-elle entendre q u ' u n enseignement « de masse » e s t voué à u n
nivellement : « L a situation somme toute médiocre en France de l'éducation
artistique pour tous contraste violemment avec la vastitude des ambitions en la
matière de tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1945. (...) Depuis
des décennies, i l n'y a pas suffisamment d'emplois disponibles de professeurs
d'enseignement artistique pour assurer au moins toutes les heures obligatoires au
collège, ce qui jette un jour cru sur le peu d'importance que l'Education nationale
attache en fait à ces matières' » ?
Bien évidemment, il sera aisé d'ajouter qu'une culture, sa diffusion, son
développement, sa créativité, supposent une économie, plus précisément des
choix économico-politiques. Michel Schneider soulignant le «très certain défaut
de culture6» d'un certain nombre de responsables politiques, ces décisions
dépendent d'un niveau de conscience auquel contribue justement une formation
artistique, de telle sorte que nous nous trouvons souvent dans une boucle !
La création d'un musée du Louvre dans l'un des pays émirati ne va-t-il
pas dans le sens de l'universalité d'une culture artistique, chacun d'entre nous
étant susceptible d e s'approprier l'ensemble des formes imaginées par des
représentants de l'espèce actuelle ? Il est possible de repérer des signes positifs et
24
négatifs dans le sens d'une expansion de la « culture » artistique qui exprime son
extrême complexité.
S'agissant de formation artistique, un certains nombre de cas de figure
peuvent être repérés.
1) Les responsables élus et/ou gestionnaires préfèrent (de manière
souvent inconsciente ou, en tout cas, peu exprimée ainsi) que les jeunes élèves
restent deux ou trois années dans une école d'art (le terme « conservatoire » étant
connoté et restreint) afin que tous puissent y avoir accès et que le nombre de
jeunes ayant fréquenté le lieu soit le plus éloquent possible, faisant ainsi la
démonstration qu'elle profite à tous.
2) Ils peuvent penser, au contraire, que les coûts de fonctionnement
consentis supposent u n e fréquentation p l u s durable a f i n d e justifier
l'investissement humain et budgétaire, mais dans ce cas, le nombre d'individus
impliqués sera moindre et certains pourront toujours arguer du caractère limité,
voire « élitiste » d'une telle infrastructure. Il faudrait alors le prétendre également
pour des installations sportives destinées à une pratique choisie, plus intense, ou
pour d'autres formations plus poussées.
3) Ils font confiance aux spécialistes que sont les artistes-pédagogues
pour développer des parcours les plus attractifs possibles, mais également les
plus efficients, ce qui est encore la meilleure manière de justifier la dépense
collective en faisant profiter tous ceux qui le souhaitent dans l a « cité » de
prestations publiques très denses et diverses, rendues, possibles par une série
d'engagements de tous ordres.
4) Ils préfèrent que se développent des structures privées alternatives, qui
soulageront le poids de la mission publique, mais en recréant des privilèges. Face
aux difficultés — listes d'attente, en particulier —rencontrées au seuil d'une partie
des écoles artistiques, les parents q u i l e peuvent se tourneront vers u n
enseignement privé sous ses diverses formes.
D'autres attitudes sont le fruit de croisements de ces positionnements que
l'on pourrait très longuement décrire par le menu.
25
A cette conséquence, certains opposent la création de modules, de cours
de soutien plus adaptés à chacun, de parcours plus singularisés, lesquels sont
également... chronophages.
De petites structures sont parfois proportionnellement mieux équipées
que de plus grandes ! Un conservatoire de 650 élèves dans une ville de 23000
habitants «dispose d'un Centre Culturel de 850 places qui peut accueillir des
formations de toutes sortes (...) et d'un théâtre à l'italienne (...) de 250 places8. »
La réforme des rythmes scolaires (souhaitable sur le fond et qui pourrait
prendre de nombreuses dimensions pratiques, ainsi qu'en Allemagne, si souvent
citée, mais ceci supposerait des adaptations plus importantes — la ville d'Epinal
avait également fait une expérience en ce sens il y a fort longtemps — y compris
en libérant plutôt des après-midi entières, ainsi que pour les élèves des CHAM,
par exemple) et la réforme territoriale, conjuguée à des transferts de gestion de
l'Etat vers d'autres structures, ne sont et ne seront évidemment pas sans
incidences quant aux disparités conséquentes entre régions, villes, communautés
de communes, etc. Il est également question de « temps nécessaire » collectif et
individuel, de déplacements, de succession d'activités, de capacité d'attention, de
disponibilité, de diversification des activités selon les âges, de moments plus
favorables, etc.
Bien d'autres problématiques sont incidentes.
- « Un enfant peut apprendre les bases du solfège en même temps que la
technique de son instrument. Bien évidemment, cette méthode demande un peu
plus de temps, et parfois de patience, à son professeur d'instrument. Elle est donc
malheureusement trop coûteuse pour les écoles de musique9. » Des solutions
hybrides sont envisagées avec des cours partagés entre professeurs de formation
musicale (FM) et d'instrument, des moments instrumentaux collectifs permettant
d'envisager des aspects de lecture, de déchiffrage, etc.
- « Beaucoup d e conservatoires o n t introduit l e s pratiques vocales
d'ensemble dès les débuts de l'enfant à la musique en plus du solfège. Cet ajout
est un dilemme pour les responsables pédagogiques comme pour les parente. »
L'une des solutions alternatives est de permettre le choix de la pratique chorale,
mais à un moment ou à un autre. Cette expérience ne fait-elle pas cependant
partie des « fondamentaux » ? Faudrait-il qu'elle soit pratiquée à l'école ?
- « I l me semble plus honnête vis-à-vis du public d'être dans la clarté des
exigences d'un art (...) que d'en taire les contraintes". »
J'ajouterai que plus intense est l a formation, pour des « amateurs »
comme pour des préprofessionnels — personne ne pouvant deviner les choix
ultérieurs —, plus les satisfactions seront à la hauteur de l'expérience poursuivie.
26
«Rêvons un peu : si un jour l'école primaire assumait mieux son rôle
dans l e domaine de l'initiation à l a musique, les conservatoires pourraient
redevenir d e s établissements d'enseignement spécialisés. I l s seraient
probablement pédagogiquement p l u s performants e t refuseraient m o i n s
d' élèves' 2. »
A propos des intervenants scolaires envoyés par les conservatoires :
« Au-delà des questions pédagogiques que ces interventions posent, on peut
considérer que c e dispositif cache u n désengagement d u financement d e
l'enseignement artistique par l'Etat, compensé par les communes, q u i e n
prennent le coût en charge par l'entremise de l'école de musique°. »
Si le lieu de formation artistique ne remplit pas pleinement ses fonctions
fondées sur des exigences de densité à tous égards, il suscitera des déplacements
d'une partie de l a population (la plus aisée, peut-être, mais surtout la plus
informée, motivée) vers des cours privés d e diverse nature, l e s adultes
recherchant pour les enfants la plus grande efficacité possible associée à des
plaisirs récurrents, par paliers de maîtrise et de réalisation de soi. Ceux qui ont
reçu une formation artistique satisfaisante, complète, enrichissante, chercheront
légitimement les mêmes conditions d'épanouissement pour les enfants.
Chargé d'une mission d e réflexion s u r l'enseignement dans l e s
conservatoires de la capitale par la Direction des affaires culturelles de la Ville de
Paris (contenus, cursus, relations avec les cours d'instruments et les chorales,
écoute, etc.), j'avais remis un rapport en juin 2001, dont la synthèse rapide est la
suivante :
Penser le long terme est la seule issue pour cette espèce. C'est là ce que
certains nomment « économie » positive : celle qui tient compte des générations
à venir. Le long cours s'applique également à l'engagement professionnel des
12Ibid., p. 68.
13Ibid.
27
individus, qui fonde une expérience prolongée significative dans une durée
indispensable, a u lieu des stratégies déstabilisantes actuelles d e mobilité
contrainte. Un lieu de formation artistique nécessite cette durée d'investissement
incontournable correspondant à une densification progressive d'un « savoir-
faire » et d'un « savoir-être », selon des expressions consacrées.
« S'il fallait ne retenir que deux mesures essentielles au décollage de
notre éducation musicale, je mentionnerais à nouveau la place substantielle que
doivent occuper les arts dans le baccalauréat et la mobilisation sans relâche et à
tous les niveaux, dans le domaine de la formation des enseignants'''. » Si les deux
types de structures (enseignements dits « général » et « spécialisé ») doivent
trouver des voies de collaboration, les secondes ne peuvent suppléer au rôle
décisif des premières. Ainsi que l e rappelle encore Marc-Olivier Dupin, l a
formation sportive semble « occuper une place plus légitime dans l e
développement de l'enfant qu'une activité artistique15. »
A partir de choix de formation, les différents niveaux de responsabilités
se répartissent les budgets. Celui de l'Etat, en France, étant en décrue en ce qui
concerne les établissements artistiques et devant être assumé par les régions, les
municipalités, ce retrait accentue les disparités territoriales et entre villes. Le
budget de la recherche, de l a formation, celui des aides aux établissements
d'enseignement artistiques « contrôlés » par l'Etat seront encore diminués en
2014 de 31% après une baisse de 25% en 2013. Le désengagement du ministère
reporte les charges sur les collectivités territoriales. Certains se demandent si le
« label » des conservatoires vaut d'être maintenu, qui comporte des contraintes
budgétaires, le danger d'une telle autonomisation étant la diversification des
offres et des régressions possibles de tous ordres.
28
critique, etc. Les auteurs concluent en soulignant la nécessité de « la constitution
d'un espace public de la connaissance constituant une raison, c'est-à-dire une
motivation sociale qui passe par ce qu'on a appelé la raison, et comme motif
universel de l'esprit entendu comme critique, c'est-à-dire discernement". » I l
nous est également rappelé qu'un ancien président du Medef, Ernest-Antoine
Sellière, écrivait (en 2004) : « Ce début de siècle sonne l a f i n de l a rente
technologique pour l'Occident. Aujourd'hui, c'est sur le capital humain (...) que
se fonde notre réponse à la nouvelle donne internationale. Education, fonnation ;
l'économie de la connaissance n'est pas un slogan creux19. »
Si l'enseignement général joue son rôle e t propose une formation
artistique — musicale — aux élèves des écoles, puis des collèges et des lycées, les
écoles d'art ont des fonctions parallèles spécifiques : ils accueillent ceux des
enfants e t des adolescents q u i manifestent l e désir de pousser plus avant
l'acquisition d'une technique, d'un savoir diversifié, d'une culture, encore une
fois, quoi qu'il leur advienne ensuite en termes professionnels et selon des
parcours internes qui peuvent être multiples (voire interrompus, repris — y
compris assez « tardivement » —, mais l'accroissement de l'espérance de vie et
les mutations socioprofessionnelles ne nécessitent-ils pas un nouveau type de
soutien à des réorientations circonstanciées, individuées ?!...). Le fait de vouloir
confier aux écoles d'arts des responsabilités qui sont celles de l'Education
nationale introduit des ambiguïtés préjudiciables au déroulement des études. La
question est évidemment complexe et subtilement contextuelle, une fois de plus.
Elle dépend également de relations de collaboration entre deux ministères.
L'art n'est pas une activité à part, moins encore un divertissement, mais
une dimension profonde et grave de la vie de l'espèce actuelle. Elle implique un
engagement important si on va vers lui de manière plus particulière, car il ne
s'agit plus, dès lors, d'un cours hebdomadaire d'instrument, mais d'un ensemble
de cours qui constituent un faisceau convergent vers un lieu d'accomplissement
croissant.
18 Ibid., p. 157.
19 Ibid., p. 111.
29
sorte de grande surface bétonnée à l'échelle de la planète sur les étagères de
laquelle reposent des objets indifférenciés face à des acheteurs indifférents ?
Repenser l'histoire de l'espèce actuelle redonne une perspective et met en avant
des évènements saillants, décisifs. I l en va de même pour celle de la pensée
artistique et du phénomène musical, que les sociétés anciennes l'aient nommé tel
ou non. On ne saurait inventer le futur qu'en connaissance très analytique, sans
cesse reprise, d e l'évolution générale d e cette espèce dans ses aspects
« historiques » les plus dynamiques, c'est-à-dire les plus « actuels »...
Dans une école de masse, il est difficile de donner à tous les établissements une
sensibilisation de qualité aux arts et de généraliser des expériences qui exigent
du temps et des intervenants d'exception. Quant aux médias, en dehors des
chaînes de radio e t de télévision culturelles, o n connaît leur sujétion aux
impératifs de divertissement et de l'audimat21.
20MOULINIER, Pierre (2013), Les politiques de la culture en France, Paris, P.U.F., p. 122.
21Ibid., p. 17.
22LIPOVETSKY, Gilles et SEROY, Jean (2013), L'esthétisation du inonde. Vivre à l'âge du
capitalisme artiste, Paris, Gallimard, p. 414.
23Ibid.
30
nouvelles relations au végétal, au vivant, dans lesquels des rythmes différents,
des convivialités se reconstruisent, l'activité artistique donnant la mesure des
temps nécessaires, de temps plus apaisés, moins délétères. Elle est une manière
« d'ex-tension » de l'être dans un réseau relationnel vivable. La qualité d'une vie
est dans la recherche esthétique qui induit des temps singuliers, à la mesure de la
richesse de la mémoire assimilée, mûrie, qui permet des novations radicales et
bouleversantes, à l'inverse d'une vie qui perd son sens dans un consumérisme
effréné, d'une société qui vit dans l'immédiat, dans «l'actuel », dans le virtuel, et
qui aurait comme oublié les durées longues, les perspectives, les projets.
Les pratiques artistiques sont encore dévaluées par rapport aux autres
disciplines. O n n'en comprend pas l'importance rayonnante e t l'influence
décisive sur les autres actes de saisie, de pensée, de réalisation, d'imagination
parce que l'on se décourage d'emblée face à la durée « infusive » que l'on ne
saurait réduire. La célérité des outils informatiques est un vecteur opportun au
service d e l'élaboration d ' u n e intelligence susceptible d e dépasser l e s
contradictions entre l'espèce et son «territoire »... Remet-on en question le
temps nécessaire à l'apprentissage, à l'appropriation et à la maîtrise du langage,
des mathématiques ou des disciplines scientifiques ? On aimerait croire qu'il
existe des courts-circuits pour aller très vite. La méthode baptisée La main à la
Pâte de Georges Charpak était envisagée pour permettre un accès plus adapté aux
sciences à de jeunes enfants, non pas pour nier la difficulté. Les méthodes dites
« actives » dans le domaine de la formation musicale ont ce même objectif.
La plupart d e s responsables conviennent t r è s directement o u
implicitement de l'intérêt de pratiques artistiques, plus encore depuis que des
travaux étayés et éminents en montrent les effets sur les processus neuronaux,
mémoriels, inventifs. Mais ils ne savent comment prévoir les budgets nécessaires
dans une ère de crise due à des économies parallèles qui minent l'économie
réelle. Nous sommes face à des enfants qui perdurent — néoténie humaine
avérée— et qui veulent l a toute-puissance et l e moindre effort, l e rêve, l a
déréalisation, l'obtention immédiate des objets convoités.
Les pratiques artistiques sont des formes d'énergies nouvelles mais on ne
sait s'en donner les moyens ni le temps nécessaire. Il faut changer de modèles
vitaux à tous égards. Nous devrons bien repenser le temps long, ce qui ne signifie
pas que l'on ne puisse penser les temps infiniment courts de la physique récente,
mais également le temps lui-même !
Que veut faire un enfant : se distraire, courir, voler, rouler, etc. avec un
jeu informatique qui lui permet de ne prendre aucun risque personnel. Jouer un
air facile dont un logiciel lui réalise l'accompagnement au fur et à mesure,
« composer » avec des outils algorithmiques qui lui donnent l'illusion d'un savoir
sans qu'il l'ait compris, assimilé, utilisé pour lui-même d'une manière originale.
Il veut d'abord jouer ce qu'il entend partout, ce qu'il pense être de son « monde »
31
personnel et partagé par une partie de ceux de son âge, ce qui passe (d'ailleurs
très rapidement) dans l'air du temps, ce qui est également imposé par des médias
de manière à la fois impérieuse et très éphémère. Partir de ce désir pour l'ouvrir
le plus largement possible est l'ambition d'une formation au musical, pour
constituer une perspective qui rend possible les distances réflexives, critiques,
pour trouver, peu à peu, le bonheur d'un « timbre » personnel rayonnant en tous
sens et susceptible d'évolution, ce dont ne veulent pas les divers niveaux de
pouvoirs, à toutes les époques, qui apprécient avant tout les divertissements
anodins.
Bien évidemment, i l existe des cours, des méthodes, suscitant l'ennui.
Quel est l'intérêt de les évoquer sinon pour préciser qu'ils peuvent servir de
repoussoirs ? Que fait l'élève face à un professeur de langue ennuyeux ? I l
«s'absente ». Ses parents, s'ils en ont les moyens, l'enverront dans le pays qui
lui permettra de parler et l u i feront donner des cours particuliers (lesquels
permettent très rapidement de progresser, telle est bien l'une des contradictions
des enseignements de masse) pour parler, écrire et lire. Une des leçons de ce
véritable schéma est que la pratique est efficace en échange (jouer avec d'autres
en est la transposition dans le lieu qui nous occupe, ce qui est plus évident pour
les apprentissages de la scène—les monologues étant peu fréquents, tels que celui
de Madeleine Renaud dans O les Beaux-jours). La neuro-éducation nous incite à
prévoir des parcours diversifiés afin que chaque élève puisse mieux gérer le
« sien ».
32
quelconque définition solide (hormis ce qui a été repéré en tant que « style
classique » par des musicologues) tant sont divers les répertoires très nombreux
que cette notion est censée recouvrir. De même, des catégories sociales ne sont
plus liées à cette notion, chacun pouvant avoir accès à toute musique, pour peu
que les conditions l'y autorisent — car il y a également de terribles conformismes
qui enferment les adolescents ou des groupes repérables en termes sociologiques,
dans des « enclos » sonores indéfiniment répétés, des boucles addictives. L a
musique de création des cinquante dernières années n'est pas connue. Les
compositeurs et compositrices en résidence devraient être chaque armée présents
dans le plus grand nombre d'écoles d'art. L a musique associée aux images
filmiques subit, elle aussi, u n e modélisation globalisée a u détriment d e
singularités plus stimulantes, y compris pour les réalisateurs !
La seule musique n'est-elle pas celle inventée par l'espèce actuelle ? Il
existe également des densités et des niveaux de novation très variable et la
musique diffusée dans les grandes surfaces n'est pas celle des crêtes acérées de
l'invention humaine à toutes les époques et en tous lieux. Que des pouvoirs aient
intérêt à maintenir une partie de la population dans des habitudes répétitives les
plus diffusées est une autre affaire qui supposerait de longs développements pour
l'évoquer dans ses s i nombreuses incidences. L'école d'art est u n l i e u
d'ouverture à toute musique profondément unique et qui va impressionner,
émouvoir, faire penser ceux qui ont la chance de pouvoir y venir pendant des
années, le plus longtemps possible, quoi qu'ils en fassent ultérieurement.
33
Pour revenir, e n contrepoint, dans cet article tentant de situer les
contextes particuliers dans une perspective plus large, à une question qui taraude,
l'éducation de masse peut-elle faire une place à une formation artistique ayant
une épaisseur et dans quel type de structure : l'enseignement dit général, les
écoles d'art dont l'enseignement est choisi, ou les structures privées ?
« Les maires se demandent pourquoi la constitution en vigueur prévoit
que l'enseignement est une charge pour l'Etat alors que celui de la musique n'est
pas inclus26. »
La compréhension du musical oscille, dans l'inconscient collectif, entre
le sublime et l'inutile, entre le divertissement —et ses récupérations mercantiles —
et l'acte réservé, entre la notion d'élitisme, de conservatismes et la démagogie ou
le relativisme. Il faudrait rappeler en détail l'une des initiations les plus réussies :
l'expérience menée par l'Opéra Bastille avec des adolescents face à une musique
qui est réputée leur être totalement étrangère, ainsi que l'aventure bien connue
des orchestres du Venezuela, qui a essaimé largement.
26 MONTANDON, Frédérique (2011), Les enfants et la musique. Visions de parents sur une activité
extrascolaire, Paris, L'Harmattan, p. 142.
34
sa jeune élève de clavecin aux « arcanes » de l'harmonie, de l'écriture, à la
compréhension de la mise en forme, de la composition. Ne pourrait-on ajouter :
la conscience de la globalité de la musique humaine liée à l'appréhension de son
histoire la plus approfondie dans ses aspects les plus saillants, le plaisir de
l'improvisation, du fait de jouer ensemble, la découverte de sa propre vocalité, le
déchiffrage, l'appréhension des pouvoirs d u sonore, d e sa place dans les
territoires sociaux et tant d'autres aspects encore. La question de l'efficacité est
d'autant plus flagrante que les élèves des conservatoires contemporains (hormis,
peut-être, une partie des enfants de musiciens) disposent de bien moins de temps
qu'un enfant du XVIII' siècle qui appartenait à des milieux lui rendant possible
une formation artistique complète, suffisamment poursuivie dans le temps et
souvent quotidienne.
35
en puissance. En fonction de sa forme, de son volume et de la dimension de son
ouverture, l a cavité pharyngo-buccale, située entre les cordes vocales et les
lèvres, amplifie certains des harmoniques du son laryngé et confère à la voix un
timbre qui lui est propre et qui diffère d'un individu à l'autre29. »
29TITZE, Ingo, « La voix : Le plus beau des instruments », Pour la Science, avril 2008, p. 44.
3° SCOTTO DI CARLO, Nicole, Le monde des Sciences, Février/mars 2013, p. 20.
36
technologies, etc.), e t d u volume d e s cours proposés e n considérant
particulièrement l a nécessité d ' u n e augmentation d e l a fréquentation
hebdomadaire dans les cours plus avancés des cursus (pratiques collectives,
orchestres, ensembles, formation musicale adaptée, analyse, histoire, écriture,
clavier complémentaire, travail de l a voix, second instrument, répertoires,
approches de la scène — tout ce qui fonde le sens et conforte le fait d'être un
musicien — majoritairement « amateur »). Enseigne-t-on la maîtrise de la langue,
des sciences, de manière adaptée à leur usage supposé « limité » ultérieur ? Bien
des « amateurs » o n t d'ailleurs des pratiques comparables à celles d e
professionnels, mais plus ponctuelles.
Il existe encore cette idée selon laquelle toute organisation sonore se joue
(comme un destin) mais ne se commente pas. Il s'agit d'un fonds appartenant à
une partie des traditions, selon lesquelles elle se chante, au demeurant, plus
qu'elle se joue. Le commentaire de la forme sublime, sublimée (ainsi que certains
textes comme « incréés ») serait inconcevable. Tout juste peut-on transmettre des
indications d'interprétation et même ces dernières doivent prendre des formes
très fortement codifiées, autorisées. Derrière l a peur d u «théorique », d e
l'interprétation, d e l'analyse, d e l a réflexion esthétique, nécessairement
philosophique, n ' y a-t-il pas comme un souvenir de cet interdit qui perdure ?
Pourtant, il n'est pas de ne varietur même dans ce domaine clos. La forme est la
somme de ses interprétations successives, au risque de dérives...
37
Avec des moyens plus récents on pourrait penser à une transmission de
savoirs directement aux circuits mémoriels internes du cerveau (déjà envisagée
pour les langues). Nous n'en sommes pas là et l'apprentissage suppose toujours
des détours de complexité imparables, que l'on peut rendre plus rapides, plus
enthousiasmants, plus motivés, etc., ce qui est le sens même de toutes les
méthodes dites « actives ».
S'agissant de la « lecture » : (période nécessaire de deux ou trois ans
chez u n enfant), ajoutons ces éléments de réflexion fournis par Stanislas
Dehaene, psychologue cognitif et neuroscientifique : «Penser qu'on peut l a
court-circuiter afin d'accéder directement au sens des mots (...) est une grave
erreur. C'est néanmoins ce que proposent certaines méthodes mixtes. » L'auteur
signale que l'enfant apprend à lire en trois étapes : « Identifier la séquence de
lettres, décoder leur prononciation (...), c'est seulement en dernier qu'intervient
le sens ». Apprendre à lire les signes de la partition correspond-t-il à une même
série de phases : identification, associer à un son, donner du sens ? L'auteur
ajoute que «la science de l'apprentissage est très peu présente dans la formation
[des enseignants]. ( . . . ) I l s doivent devenir des experts de l a recherche en
éducation, comme leurs homologues finlandais, qui collaborent régulièrement
aux travaux des chercheurs. (...) Ce qu'il ne faut pas, c'est distraire l'enfant. » Il
attire l'attention, s'agissant de l'apprentissage de la lecture, sur le rôle de la
famille qui, lorsqu'elle e n a l a possibilité, «compense les déficiences d e
l'école. » A propos de la semaine de quatre jours et demi, il ajoute : «Plus il y a
d'alternance entre apprentissage et sommeil, mieux fonctionne la mémoire. I l
vaut mieux répartir un cours d'une heure en quatre petites leçons de quinze
minutes plutôt que le dispenser d'un coup31 ».
Les écoles d'art sont à la fois des lieux relativement autonomes et de
véritables chambres d'écho des contradictions de la société et du système de
formation générale, qui peuvent d'autant mieux s'y exprimer que le champ
d'activités est différent. L e caractère stressant de l a vie quotidienne, celui,
anxiogène, de contextes pédagogiques au demeurant très variables, s'y expriment
comme en creux, parce que le temps devient différent, mais également parce que
la formation artistique en subit les conséquences de plein fouet, en particulier en
fin de journées épuisantes. Le samedi est une plage beaucoup plus faste. Elles
sont également d'utiles contrepoids, des territoires de « dégagement » dans
lesquels o n s e s e n t m i e u x exister. C e t t e opposition supposerait d e s
développements...
Nous voulons q u e chaque enfant a i t l a possibilité d e s'associer
pleinement au projet collectif d'une société, mais cette dernière a-t-elle les
moyens de réaliser cet idéal ? Toutes les collectivités l'ont-elles ? I l faut y
ajouter, comme pour bien d'autres domaines (accès aux services publics, à la
culture, en général), les inégalités territoriales déjà évoquées, un enfant né dans
38
un petit village isolé n'ayant pas les mêmes chances qu'un enfant né dans un
quartier d'une grande ville offrant une grande diversité d'accès à des pratiques
artistiques. La population mondiale se regroupe d'ailleurs de plus en plus dans de
grandes métropoles. E n donnant en exemple les sociétés scandinaves, i l ne
faudrait pas oublier qu'elles sont riches, peu peuplées, et qu'elles ont développé
des systèmes démocratiques plus avancés que ceux de pays conservateurs de
diverses manières. L a formation artistique se situe dans u n contexte f o r t
« évolué ». A quelque époque que ce soit, ne représente-t-elle pas l'une des crêtes
des vagues de l'intelligence humaine ?
Sont souvent mentionnés une école qui « n e joue pas son rôle de
reconnaissance e t de protection pour u n grand nombre d'enfants » et « le
harcèlement sur les réseaux sociaux. » Dispose-t-on d'études sur les enfants
fréquentant les conservatoires ? Ils y sont apparemment plus heureux. « L'Unicef
39
s'alarme du mal-être des adolescents fi-ançais34. » Cependant, des indicateurs
penchent dans u n autre sens : responsabilité, créativité, sens d u collectif,
ouverture aux autres35... L e besoin de structures dans des sociétés dont le
potentiel (une fois de plus à moyen et long terme) n'est pas proposé par les
responsables économiques et politiques peut trouver une réponse évidemment
forte — tout dépend de l'investissement consenti — dans une formation artistique
poursuivie — ou dans d'autres formations durables. La défection entre quatorze et
dix-huit ans n e d o i t pas être imputée, d'emblée, à certains aspects d u
fonctionnement des écoles d'art mais à u n environnement q u i les atteint
nécessairement. Elles peuvent trouver des voies de réaction positive.
40
- I l n'existe globalement que deux types d e structures d e formation
musicale/artistique (centripètes, centrifuges, ou bien les deux lorsqu'elles ont des
antennes) : celles q u i mènent jusqu'au seuil préprofessionnel de très bons
« amateurs » heureux de cette formation pour le reste de leur vie (quitte, parfois,
à reprendre plus tard, ce qui se produit plus fréquemment qu'on le croit), et les
établissements de formation professionnelle.
Notre modèle éducatif butte sur le postulat, naïf, que laisser une plus grande
liberté aux enfants en classe est synonyme d'efficacité. Si les élèves sont actifs,
cela ne signifie pas qu'ils ont une appétence cognitive surdéveloppée. En dépit
de toutes les méthodes mises en oeuvre pour les rendre actifs, la majorité des
élèves restent passifs. O n retrouve u n e problématique fondamentalement
inégalitaire : avec les élèves les plus doués en capital social, ces méthodes
fonctionnent bien. ( . . . ) Plus l e s élèves s o n t m a l dotés socialement e t
personnellement, plus ils sont en difficulté face à l'exigence scolaire. ( . . . )
L'apprentissage des fondamentaux lire, écrire, compter, est extraordinairement
difficile37.
41
est tout sauf un jeu d'enfant. Elle s'apprend, dans toutes les cultures, le plus
souvent laborieusement. (...) La créativité s'exprime dans tous les domaines»
(non seulement en musique) ; « L a musique est une activité plaisante. (...) Là
encore, le plaisir n'est pas intrinsèque à l'activité, i l dépend de la capacité de
l'être humain à l'investir de façon plaisante et de la nature du contexte41. »
43
nécessaire à l'invention de nouvelles représentations, relations et réalisations
humaines.
Ainsi pouvons-nous sans doute, selon le très beau titre d'un ouvrage
collectif cité dans ce texte, « réenchanter le monde43 »...
44
BIBLIOGRAPHIE
45
GROSO, Philippe (2008), L'existence musicale — Essai d'anthropologie
phénoménologique, Paris, L'Age d'Homme.
GUMPLOWICZ, Philippe (2001), Les travaux d'Orphée. 150 ans de vie musicale
amateur en France : harmonies, chorales, fanfares, Paris, Aubier.
MAREK, Yves et MOLLARD, Claude (2012), Malraux, Lang et après— débat sur
la culture, Paris, Area : Descartes et Cie.
46
PETARD, Antoine (2010), L'improvisation musicale : enjeux e t contraintes
sociales, Paris, L'Harmattan.
SCHAEFFER, Pierre (1998), Solfège de l'objet sonore (1967), Paris, lila, Grm.
47
ZURCHER, Pierre (2012), Le développement musical de l'enfant — Les quatre
temps de la musique, Paris, L'Han-nattan.
ARTICLES DE PRESSE
Enquête «Les politiques et l'Art — Les passionnés, les amateurs, les incultes »,
Beaux-arts magazine, mars 2014.
PAOLI, Emma (2014), « A Monticello, une petite utopie des rythmes scolaires »,
Le Monde, 20 septembre 2014, p. 11.
48
Masters des UFR
49
VAYSSE, Isabelle, Le cerveau du musicien : structures cérébrales mises
en j e u p a r l a musique e t l e u r plasticité. Etude bibliographique,
Grenoble I, 2003.
50
BARDEZ, Jean-Michel, Ouvrages pédagogiques :
51
L A PLACE DE L'OEUVRE
Mikaël LE PADAN
Introduction
53
devient repoussante et c'est le silence qui vient héler et devient solennel. Le
silence est devenu le vertige moderne. De la même façon qu'il constitue un luxe
exceptionnel dans les mégapoles », nous rappelle Pascal Quignard2. Le salut de la
musique passe par la non-musique, si telle est l'une des définitions possibles du
silence.
John Cage nous rappellera alors que le silence n'est qu'un leurre, porteur
lui-même de teintes multiples, et que sa valeur est à redécouvrir. Mais opposer le
silence à la musique, n'est-ce pas associer la musique au bruit ? Là encore, les
spéculations esthétiques seront nombreuses sur la question, et nous éloigneraient
de notre sujet premier.
Par ailleurs, la vigilance est de mise sur la question du jugement et de
cette tendance contemporaine qui consiste à dire qu'en matière d'art et de
musique tout se vaut. Face à la diversité outrancière, le sens commun nous
pousse à adopter l'attitude du renoncement. Le regard se perd et, dépourvu de
critères d'appréciations — qui eux-mêmes se multiplient, i l adopte l'idée d'un
nivellement des formes de l'art. Puisque l'art n'est inscrit dans aucune démarche
de progrès auxquelles les sciences e t techniques nous o n t habitués, i l est
également exempt de toute forme de critère objectivable. Les oeuvres d'art ne
sont pas hiérarchisables. Nous pourrions donc nous conformer à cette pensée
dominante qui nous dit que l'art se trouve dans le majeur et le mineur, dans ce
monde d u « t o u t -se-vaut ». C a r vouloir hiérarchiser, c'est forcément être
juge. « Vous me dites que des goûts et des couleurs il ne faut pas discuter, mais
toute vie est lutte autour des goûts et des couleurs », nous rappelle Nietzsche3.
Cette perte de repère et le renoncement à toute forme de distinction
trouvent sans doute en partie leur origine dans l'éclatement du langage musical
au début du XXe siècle et la désintégration du système tonal. L'éclectisme de la
création musicale et la perte de référentiels concernant les « musiques d'art » de
notre temps rendent plus difficile l e discours sur l'oeuvre. L a théorie d u
nivellement est une réponse discutable face a u désarroi qu'implique l a
multiplicité des expressions de l'art. Rendre la musique d'art accessible au plus
grand nombre entraîne aux yeux de beaucoup une nécessaire banalisation de
l'oeuvre.
Or nous savons bien que l a disponibilité d'une oeuvre, qu'elle soit
musicale ou pas, implique une éducation artistique. O n peut certes éprouver
l'oeuvre dans son immanence, sans culture, simple expression directe de surface.
Mais doit-on la réduire à cet aspect ? Ce serait trop facile.
La compréhension de l'oeuvre d'art telle que définie par Hannah Arendt,
Gérard Genette ou Georges Steiner4 devrait nous permettre par ailleurs de
2QUIGNARD, Pascal (1996), La Haine de la musique, Paris, Gallimard, collection Folio, p. 254.
3NIETZSCHE, Friedrich (1947), Ainsi Parlait Zarathoustra (1883-1885), Paris, Gallimard, p. 137.
4 Je fais référence tout au long de l'article à plusieurs ouvrages qui contribuent à une définition
globale de l'oeuvre d'art :
- A R E N D T , Hannah (1961), La condition de l'homme moderne, Paris, Calmann-Levy ;
54
comprendre sa portée et son rôle dans notre monde. Redéfinir sa place, c'est lui
permettre d'échapper au rôle convenu de loisir dans lequel elle se retrouve vite
enfermée.
Une fois les enjeux de l'oeuvre d'art dévoilés, la question de la mission
des enseignements artistiques et de la place qu'occupe la formation musicale
dans notre rapport au monde des oeuvres se pose.
Si l'éducation artistique est une réponse à la réhabilitation d'une forme
de vigilance critique, elle doit permettre alors de s'orienter au sein de la diversité
et de développer une poétique du jugement.
Je veux croire à la place réelle qu'accorde le conservatoire à cet enjeu.
J'imagine qu'il est soucieux d'un enseignement spécialisé qui, à un moment ou à
un autre, se préoccupe de l'éveil du sens artistique et du rapport critique au
monde des oeuvres. Cependant, si le conservatoire affiche sa volonté première
d'offrir une pratique musicale, crée-t-il suffisamment les conditions pour que cet
enseignement trouve s o n sens ailleurs q u e dans l'unique compétence
instrumentale ? L a formation musicale dispose d ' u n cadre privilégié pour
développer cette relation active entre le jeune musicien et l'art. Mais i l est
nécessaire alors de se poser la question de savoir ce qui dans cet enseignement
rend possible une telle relation.
Autrement dit, comment agir en cours pour permettre la rencontre entre
l'oeuvre e t l'élève ? Que mettre e n place pour favoriser e t nourrir cette
rencontre ? Quel regard l'élève porte-t-il sur le répertoire ? À l'issue de son
parcours au conservatoire, a-t-il développé un regard critique sur la création
artistique ? Est-il à même de s'orienter dans la diversité esthétique ? Par ailleurs,
comment évaluer notre capacité à rendre réelle la présence d'une oeuvre auprès
des élèves ? En quoi ces enjeux modifient-ils notre pédagogie et nous ouvrent-ils
les portes d'un solfège de l'émerveillement, un équilibre entre technicité et
poésie, entre le savant et le poète, entre logique et sensibilité ? Et enfm, quelles
compétences souhaitées pour l e professeur d e formation musicale chargé
d'opérer cette rencontre, et quels moyens peut-on imaginer mettre en oeuvre afin
que cette tâche ne lui échappe pas ?
Toute tentative de réponse prendra ici la forme de dialogue virtuel entre
un grand nombre de penseurs, de philosophes et de pédagogues qui ont déjà
largement contribué à cette réflexion. Les citations, volontairement nombreuses
tout au long de mes propos, peuvent par ailleurs offrir à chacun un lien
bibliographique et permettre de mener plus en avant un point abordé ou une
notion évoquée.
55
I. L a réhabilitation de l'oeuvre
56
dans l'enseignement général : « L e s enseignants e t les parents d'élèves ne
considèrent les disciplines artistiques l a plupart d u temps que comme une
parenthèse récréative aux astreintes des disciplines nobles, ou une esclave de
"mieux-disant culturel" certes enrichissante, mais inessentielle8. » Sommes-nous
loin de la réalité ? Sans doute pas. Quelle est la place accordée à l'oeuvre, quand
l'enseignement artistique est relégué au rang des options ? C'est «l'intrus au
programme », nous dit Denyse Beaulieu, qui ne trouve sa légitimité aux yeux du
système éducatif que dans sa capacité transversale de réinvestissement possible à
l'intérieur des disciplines considérées plus essentielles. L'art est mis au service
de la rentabilité. Comment, dans ce sens, le grand public peut-il imaginer trouver
dans les pratiques artistiques autre chose qu'un réconfort et une distraction,
simple parenthèse des préoccupations sérieuses et nécessaires de la vie active ?
Nikolaus Harnoncourt l e musicien e t Denyse Beaulieu l'écrivain
témoignent d'une même réalité : les mutations de l'homme moderne aboutissent
à un rapport perverti à l'oeuvre. L'époque moderne ne situe plus l'objet de
connaissance dans l'oeuvre et l'action, mais dans le processus et le travail. Bien
que conservant sa potentialité et sa possibilité d'oeuvrer et de vivre au contact des
oeuvres, l'homme moderne s'accomplit plutôt dans le « faire » dont le produit est
davantage voué au fonctionnalisme qu'à la durabilité. C'est le triomphe de
l'homo faber selon Hannah Arendt qui, dans L a Condition d e l'Homme
Moderne9, adopte une attitude tout aussi pessimiste en considérant que nous
avons transformé l'oeuvre en travail.
Cette réalité préoccupe autant le philosophe que le musicien et nous ne
pouvons l'ignorer dans nos démarches artistiques et pédagogiques. Ne soyons
pas naïfs : bien que destiné à un public volontaire, parfois déjà averti, souvent
mélomane, notre enseignement spécialisé doit s'adapter et surtout trouver une
alternative permettant à l'oeuvre de survivre. Comment agir et donner à l'oeuvre
une autre place que celle de loisir-récréatif, lui redonner cette part durable et en
faire un médiateur privilégié entre l'homme et le monde qui l'entoure ?
8 BEAULIEU, Denyse (1997), «L'intrus au programme », BEAULIEU, Denyse (éd.), L'Enfant vers
l'Art, Paris, Autrement, p. 39.
9 ARENDT, Hannah (1961), op. cit.
57
Hannah Arendt définit l'oeuvre comme aboutissement e t durabilité
extrême dans un monde éphémère. L'oeuvre, c'est ce qui perdure et qui nous
offre notre part d'éternité :
En raison de leur éminente permanence, les oeuvres d'art sont de tous les objets
tangibles les plus intensément d u -monde ; leur durabilité est presque
invulnérable aux effets corrosifs des processus naturels. (...) Leur durabilité est-
elle d'un ordre plus élevé que celle dont tous les objets ont besoin afin d'exister ;
elle peut atteindre à la permanence à travers les siècles. (...) Nulle part la
durabilité pure du monde des objets n'apparaît avec autant de clarté, nulle part,
par conséquent, ce monde d'objet ne se révèle de façon aussi spectaculaire
comme la patrie non mortelle d'êtres mortelsm.
Selon Hannah Arendt, le travail, l'oeuvre et l'action sont les trois activités
humaines fondamentales. Elle propose ainsi un cadre clair à nos activités et
réhabilite l'acte artistique de l'homme moderne. Plutôt que dans l e travail,
l'humanité trouve sa part d'éternité dans l'oeuvre et l'action qui nous permettent
de nous élever au sommet des possibilités humaines. Pouvons-nous espérer
mieux pour justifier la place des oeuvres dans notre quotidien ? N'est-ce pas la
meilleure raison pour justifier l'idée qu'il y a de l'éducation dans l'oeuvre dès
lors qu'elle représente cette part d'éternité née de main d'homme ? Pourtant,
l'histoire et l'expérience montrent que rien n'est jamais acquis en la matière. La
perception des oeuvres est changeante et les regards versatiles rendent la relation
difficile. De là naît ce besoin de sans cesse redéfinir la relation tangible mais
pourtant bien réelle entre l'oeuvre et l'homme.
Il est essentiel de comprendre que l'oeuvre d'art n'est pas u n objet
d'usage ordinaire, c'est un objet de pensée et «les rapports que l'on a avec
l'oeuvre d'art ne consistent pas à s'en servir". »
Il faut ainsi distinguer le travail de l'artiste, production d'objets de
pensée, qui n'a «ni fin, ni but hors de soi », des autres productions de l'homo
faber, dédiées « au fonctionnalisme des choses produites pour la consommation
et la pure utilité des objets produits pour l'usage'2. »
C'est cette capacité de réification de la pensée qui offre une stabilité
extraordinaire aux processus dévorants de l'existence, et l'artiste réalise cette
conceptualisation de pensée dans l'oeuvre. Mais elle ne prend sens que sous l'oeil
et l'oreille du public.
Cela nous amène à considérer un dernier point dans la définition de
l'oeuvre : le rapport au public.
Bien évidemment, le travail de l'artiste trouve son sens dans la relation
qui s'instaure avec le public. L'oeuvre existe dans le partage et la communication
qui se crée avec le spectateur. Cette relation n'apparaît que dans la volonté
58
commune des deux parties : l'oeuvre doit être porteuse d'une potentialité
significative communicante et universelle ; le spectateur est quant à lui disposé à
se laisser guider et à recevoir avec force ou faiblesse l'empreinte de l'oeuvre.
L'artiste provoque u n acte d e communication e t l'épreuve d'une
rencontre. Pourquoi ne pas imaginer d'ailleurs, comme le fait Georges Steiner, un
monde où notre relation aux oeuvres serait directe, frontale, sans discours, sans
méta-texte : «Imaginer une société dans laquelle tout discours oral ou écrit relatif
aux oeuvres littéraires, plastiques ou musicales de valeur serait tenu pour verbiage
illicite13. » Cela rejoindrait la conception moderne de la subjectivité définie par
Emmanuel Kant dans la Critique de la Faculté de Juger : «Le jugement de goût
n'est pas un jugement de connaissance, ce n'est donc pas un jugement logique,
mais esthétique, c'est-à-dire un jugement dont le principe déterminant ne peut
être rien d'autre que subjectifm. »
On le sait, goûter l'oeuvre d'art, le tableau comme la partition musicale,
est un acte individuel, parfaitement subjectif, en prise avec le relativisme dont le
monde contemporain, triomphe de l'individualité, s'accommode fort bien en
matière d'art. Cette subjectivité de l'appréciation esthétique, qui mène à l'idée
que l'art est dans le regard et non dans l'objet, suppose une connivence entre
l'ceuvre et la sensibilité individuelle.
« Chaque consommateur exerce une sensibilité personnelle, une culture
déterminée, des goûts, des tendances, des préjugés qui orientent sa jouissance
dans une perspective qui lui est propre », nous dit Umberto Eco dans l'OEuvre
ouverte15. Le partage de l'oeuvre d'art, c'est donc la multiplication des regards et
des avis. La valeur que l'on accorde à tel objet dépend de cette relation bilatérale,
et comprendre une oeuvre d'art, c'est rendre possible une potentialité de sens à
laquelle l e récepteur (auditeur, spectateur) était préparé. « L'oeuvre est u n
message fondamentalement ambigu, une pluralité de signifiés qui coexiste en un
seul signifiant16. »
Au contact réel de l'oeuvre, le spectateur ou l'auditeur est donc aux prises
avec un monde des possibles dont l'interprétation ne connaît pas de limite.
Au-delà du plaisir ou du déplaisir que procure cette relation, il ne faut pas
oublier d'ajouter le dénivelé spirituel de l'oeuvre, ce hors-champ qui en fait un
objet de pensée immortelle et inépuisable : «L'artiste qui produit sait qu'il
structure à travers son objet un message". »
Si l'articulation bilatérale entre l'oeuvre et son lecteur est limpide, la
singularité réside dans l'ambiguïté du message.
59
Imaginons donc cette idée d'un art qui, non content du divertissement
dans lequel il se trouve souvent cantonné, serait aussi ce langage de l'indicible,
exprimant par la science des formes et des sons ce que le discours ne peut
exprimer, ce que le langage philosophique ne peut dire. E n ce sens, Denis
Huisman y voit «le degré le plus élevé du savoir philosophique »18 ; « L'oeuvre
permet de dire plus qu'on en sait, voire de dire ce que l'on ne sait pas », ajoute
Arthur Rimbaud'9.
Enfin la musique, au dire de Georges Steiner, anime cette exaltation de
l'art plus que tout :
60
réclament des pratiques artistiques à l'école'''. I l y a un désir manifeste de voir
s'inscrire au sein de l'enseignement général les pratiques artistiques, et le succès
grandissant des écoles de musique et de danse confirme ce besoin.
Comme le rappellent Dany Robert Dufour et Philippe Berthier :
Ce n'est pas par souci de faire joli ou pour présenter des insignes culturels de
classe suffisamment probants de rehaussement social que la pratique artistique
se doit d'entrer dans le processus éducatif, c'est au contraire pour une raison de
fond liée au rôle éminent que jouent ces pratiques dans l e processus de
signification (...) et le développement des aptitudes à la symbolisation22.
61
interprétative) est porteur en soi d'une rencontre réelle avec l'oeuvre. La maîtrise
du jeu instrumental ouvre les voies de l'interprétation cognitive. C'est le savoir-
faire instrumental qui dans ce contexte permet la rencontre.
La formation musicale ne sera pas exempte d'un intérêt similaire, dans la
mesure où elle développe ses propres outils et propose une pluralité d'approches
pédagogiques soucieuse de la lisibilité du monde des oeuvres.
La formation musicale —pensée comme initiation aux autres disciplines
musicales (l'analyse, l'écriture, la culture) et pas seulement comme apprentissage
des principes élémentaires du langage musical et de sa notation, pour reprendre
une définition convenue de l'enseignement du solfège — serait même amenée à
jouer un rôle essentiel dans cette relation à engager.
En plaçant l'oeuvre au coeur de l'apprentissage solfégique, la réforme de
la formation musicale dans les armées 1970 aura permis une première prise en
compte nécessaire de l'objet musical dans l'apprentissage, mais l'oeuvre devient
ici l'outil de la compréhension du langage. Une oeuvre musicale, pour ne pas se
limiter à sa dimension solfégique, doit signifier auprès des élèves, au-delà de son
potentiel technique. Comment l e professeur de formation musicale peut-il
pleinement participer à cette lisibilité de l'oeuvre et à la rencontre active avec le
jeune musicien ?
a. C u l t i v e r l'émerveillement
Que l'oeuvre d'art déconcerte ou rassure, c'est selon. Elle est une énigme,
un objet fuyant. « L ' a r t se ferait presque pervers pour créer des tâches
impossibles à maîtriser par nos facultés normales. Le chaos menace de près »,
nous prévient Anton Ehrenzweig24. Mais l'oeuvre parle au plus intime de notre
être et, à ce titre, installe un lien privilégié voire intime avec son récepteur
(l'auditeur). I l faut bien admettre que toute tentative de compréhension de
l'oeuvre reste inachevée et qu'il vaut sans doute mieux, plutôt que de s'en
effrayer, se rassurer et se laisser guider par son potentiel suggestif. En incitant
l'élève à exprimer le sentiment personnel qui accompagne sa découverte d'une
oeuvre, on permet l'expression d'une multitude de perceptions.
Mais i l peut y avoir distinction entre les propriétés expressives d'une
musique e t l e ressenti de l'auditeur. L'intention expressive voulue par l e
compositeur n'est pas forcément en adéquation avec la perception subjective de
celui qui écoute. La prise en compte des intentions du compositeur peut aider à la
perception et à l'interprétation d'une oeuvre, mais il faut reconnaître par ailleurs
le potentiel d'intentions non signifiées. I l s'agit du hors-champ de l'oeuvre qui
porte en elle bien plus que ce que décide le compositeur.
24EHRENZWEIG, Anton (1974), L'ordre caché de l'art, Paris, Gallimard, collection Tel, p. 65.
62
Prenons exemple sur l'écoute de Jeu sur la plage, courte pièce pour
piano extraite des Scènes d'Enfants de Federico Mompou. Sans en dévoiler le
titre, qui induit forcément une écoute suggestive et descriptive, j'ai proposé à une
classe ( 1 ' cycle) de décrire leur ressenti à la première écoute. Qu'évoque pour
eux cette pièce ? Et quel en est le caractère ?
Alors que le projet du compositeur se veut rassurant et léger, simple
évocation presque nostalgique de l'enfance —et sans doute le souvenir plus précis
des jeux d'eau dans le port de Barcelone de l'enfance de Mompou —, i l faut
admettre qu'on ne peut réduire l a pièce à cette appréciation possible. Une
majorité d'élèves a, dans une écoute globale, perçu tout à fait autre chose en
donnant un caractère sombre et angoissé. Ce qui peut être perçu par les uns
comme amusant était entendu comme mystérieux par les autres. Nous ne sommes
pas loin de ces propos de Descartes qui, dans une lettre à Mersenne, nous dit que
ce qui fait danser les uns donne envie de pleurer aux autres. Toute perception,
toute relation à l'oeuvre induit notre mémoire, notre vécu et notre état d'esprit.
Ce dialogue, cette confrontation de perception est essentielle dans l'idée
de partage de l'oeuvre. L'oeuvre est une forme vivante et c'est précisément dans
la description qu'elle prend vie.
Sandrine Darsel analyse cette distinction entre la volonté du compositeur
et le potentiel significatif de l'oeuvre. C'est la conception constructionniste qui,
dans l'interprétation, «accorde u n rôle important au créateur autant qu'au
spectateur interprète et équilibre par là les contributions respectives de l'autre et
du critique au sein du processus de signification : l'existence et l'identité d'une
oeuvre musicale dépendent à la fois des conditions de production et de réception
de l'oeuvre. Une oeuvre musicale est un objet public. L'auditeur est donc tout
autant qualifié pour interpréter l'oeuvre que son compositeur25. »
Vient ensuite le temps de l'analyse. En mémorisant d'abord le thème de
Jeu sur la plage, l'élève centre son attention sur le dessin mélodique et développe
une écoute horizontale de l a pièce musicale. E n discernant les éléments de
répétition, de reprises, de retour thématique, il découvre la construction formelle
de la pièce. C'est en sortant le thème de l'écoute globale et en le confrontant au
chaos qui caractérise le motif de départ - que Mompou appelle cris - que l'élève
prend conscience que cet élément motivique initial vient induire une perception
différente du thème principal, consonnant, organisé et répétitif, à l'image d'un
jeu collectif qui prend forme.
Il ne s'agit pas, bien sûr, de substituer une perception à une autre mais,
au contraire, de montrer que l'oeuvre est la somme d'une pluralité de relations.
Elle est à la fois ce qu'on imagine et le résultat d'un processus compositionnel
qui fait appel à des éléments techniques, à un langage établi par le compositeur.
Le rôle du professeur de formation musicale est sans doute d'accompagner
l'acquisition d'une vision analytique tout en laissant l'espace nécessaire à
63
l'imaginaire et à la sensibilité de l'élève. Sa perception de l'oeuvre lors de la
première écoute, ou à l'issue d'activités en cours, ne doit pas être négligée car
c'est de toute évidence le ressenti poétique qui restera inscrit dans sa mémoire
musicale.
Dans L'Ordre caché de l'Art, Anton Ehrenzweig nous dit :
64
voir et rendre visible un monde des possibles bien souvent insoupçonnés par le
jeune élève. L a découverte d'une oeuvre est une expérience singulière et un
moment précieux, mais en mesurons-nous suffisamment l'importance ?
Il nous faut sans doute pour cela imaginer et inventer les situations qui
permettent le choc de la rencontre.
Prenons e n exemple une première situation : l a venue d ' u n artiste
compositeur ou interprète au sein de la classe. La rencontre avec l'artiste marque
l'esprit et le fait d'associer une musique à une personne donne à l'oeuvre une
dynamique et une dimension humaine indéniable. Chaque expérience menée
(rencontre précédée d ' u n e préparation a v e c l a classe) a é t é r i c h e
d'enseignements. Les questionnements des élèves, la pertinence et parfois la
franchise de leurs interrogations peuvent donner lieu à des échanges fructueux
entre l'artiste et la classe. Les questions des élèves portent tout aussi bien sur la
technique : «Comment avez-vous procédé pour obtenir tel ou tel aspect ? », que
sur des éléments plus personnels : « A quel âge avez-vous pensé devenir
compositeur28 ? » Notons que les élèves créent alors un lien privilégié avec
l'oeuvre et nourrissent une curiosité grandissante pour ce qui l'entoure. I l est
essentiel de comprendre ici que cette relation s'opère sans a priori, loin du texte
et de l'analyse. L'important n'est pas dans l'échange conceptuel, mais dans le fait
qu'il implique une ouverture au sens. I l remplace le «je ne sais pas» par «je
ressens, je perçois. »
C'est dans ce sens que Georges Steiner nous met en garde face au piège
de la rationalité sémantique :
L'art, la musique, la littérature sont les formes les plus compactes et délibérées
de cette liberté [ d e sens]29. L e u r ouverture à l a compréhension o u a u
malentendu, à l'accueil o u au rejet, leur caractère inépuisable, forment l e
meilleur accès dont nous disposions à l'altérité, à la liberté, à la fois exaltante et
abyssale de la vie elle-même. (...) Le lien qui existe entre l'objet esthétique et
nous-mêmes semble bien se situer à un niveau plus profond que le cérébral et le
conscient. Le texte, la structure musicale, le tableau ou la forme remplissent des
attentes, des besoins dont nous ne savions rien30 .
65
D'autant plus qu'être sensible à la rencontre, c'est être conscient que
«l'approche esthétique est l'une des rares q u i permette de contourner les
difficultés des enfants en échec scolaire. (...) Aux enfants qui, à l'école, ne se
sentent pas complètement à leur place dans un enseignement conceptuel et
rationnel, pour des raisons psychologiques o u sociologiques, o n offre l a
possibilité "d'ouvrir la fenêtre". On leur montre qu'il y a autre chose. Je crois
beaucoup au choc esthétique »32, ajoute Hélène Mathieu.
Il y a donc, e n plus d e l a dimension artistique, une dimension
démocratique, car c'est permettre l'émergence de l'amateur éclairé.
Mais cette dimension n'a de sens que dans une prise en compte du
répertoire dans son extrême hétérogénéité. L'ouverture à la pluralité des modes
d'expressions musicales est d'abord une réponse aux a priori et à cette opinion
répandue des «beaux-arts qu'on enferme dans les institutions et qu'on présente
dans les cages ou prisons appropriées33. »
Être vigilant à l a diversité des répertoires permet d'inscrire l e
conservatoire au coeur des énergies, a u sein d'un monde des oeuvres en
effervescence. C'est aussi une garantie précieuse contre l'ethnocentrisme. Le
musicologue John Blacking témoigne de cette volonté de décloisonnement des
cultures : « I l nous faut savoir quels sons et quelles sortes de comportements les
différentes sociétés ont choisi d'appeler musicaux ; et tant que nous n'en saurons
pas davantage sur ce point, nous ne pourrons entreprendre de répondre à la
question : qui a le sens de la musique' ? »
Aborder le répertoire dans sa diversité multiplie les chances de rencontre
de l'oeuvre. En choisissant le contraste, notre enseignement confronte l'enfant à
la multiplicité au sein de laquelle il doit s'orienter, se créer ses propres repères et
déterminer des affinités particulières.
Agir en sourcier, c'est aussi créer des résonances entre les oeuvres et
mettre à jour des passerelles entre les époques et les styles. En comparant, par
exemple la quatrième Ballade opus 10 de Johannes Brahms avec Nebenstiick de
Gérard Pesson, en associant les jeux vocaux de la chanteuse Tanya Tagaq avec
les joutes vocales traditionnelles des femmes inuits, en prolongeant l'étude du
début du quatuor Les dissonances de Mozart avec d'autres évocations du chaos
dans l'histoire de la musique (La Création de Joseph Haydn ou Les Éléments de
Jean-Féry Rebel), chaque oeuvre prend une dimension nouvelle en résonance
avec d'autres formes et d'autres visions d'une même réalité.
À l'utilité d'agir en sourcier et de sensibiliser les élèves à des expressions
musicales variées, ajoutons qu'il est nécessaire d'être en même temps le garant
d'un patrimoine en donnant à l'oeuvre un contexte. Seul le repère nous préserve
de l'obscurantisme et du nivellement si symptomatique d'un certain discours
32 Mid., p. 191.
33 ONFRAY, Michel (1993), La sculpture de soi, Paris, Grasset, collection Biblio Essais, p. 83.
34 BLACKING, John (1980), Le sens musical, Paris, Editions de minuit, collection Le sens commun,
pp. 12-13.
66
ambiant. Nous avons v u que mettre e n résonance les oeuvres permet de
comprendre que toute création est une réponse au monde des oeuvres. Ce souci de
situer l'oeuvre en l'inscrivant dans u n contexte est essentiel. I l donne une
enveloppe, une profondeur et fait sens, sans pour autant nuire à l'autonomie
singulière de l'oeuvre. Pour reprendre les termes de Theodor W. Adorno, l'oeuvre
est du « contenu sédimenté »35 tout en développant une autonomie sémantique.
Elle est à la fois dans ce rapport au monde et dans sa spécificité sémantique.
C'est précisément en s'inspirant et en puisant avec force dans la tradition russe
(le ressenti profond d'une Russie ancestrale d'un côté et les leçons de l'école
symphonique russe de l'autre) que Stravinsky va créer l'une des oeuvres les plus
originales e t bouleversantes d e l a musique d u X X e siècle. Dans s o n
exceptionnelle capacité syncrétique, l'oeuvre dépasse le cadre dans lequel elle
trouve ses fondements et nous ouvre à un ailleurs, porteur lui-même de sens pour
les oeuvres futures.
Il y a rencontre avec l'oeuvre si les élèves la perçoivent dans sa filiation
essentielle à un contexte et aux vibrations culturelles qui ont permis son éclosion,
sans dénier son caractère insondable et sa singularité qui lui permettent en même
temps d'échapper à ce contexte.
67
Yves Michaud nous met en garde face au risque de nature gazeuse de
l'art37. La production industrielle des biens culturels supplante la lisibilité de
l'oeuvre par le triomphe de l'esthétisme. La réalité du monde musical nécessite
une prise en compte de cette « vaporisation » de l'oeuvre et de la difficulté de la
rendre lisible dans le monde multiculturel d'aujourd'hui. Comment s'orienter au
sein de cette diversité ? Selon Yves Michaud, constater qu'il n'y a plus de
critères esthétiques revient à dire qu'on n'a plus les moyens de faire des
distinctions. C'est le triomphe du «tout se vaut », là où justement les critères
pourraient aider à la distinction et aux différences. Le pédagogue, face à ce
constat, a le choix entre plusieurs attitudes.
Une première attitude consiste à avoir une confiance aveugle en l'histoire
de l'art et prône l'argument du consensus qui entoure certaines oeuvres : faisons
confiance au temps qui sélectionne les chefs-d'oeuvre et nous propose un
parcours consensuel à travers les grands classiques, à grand renfort de collections
discographiques proposant un répertoire établi, discothèque idéale à l'appui.
Cependant, cette attitude consensuelle ne va pas sans poser de problèmes. Quels
critères propose-t-elle face aux musiques contemporaines, extra-européennes, ou
aux expressions musicales émergentes ? Le désarroi reste entier pour qui veut
développer un regard critique.
Une seconde attitude, loin de se soucier de l'histoire e t de l a
reconnaissance par le milieu d'un monde officiel des oeuvres, s'inscrit au
contraire dans le subjectivisme et le renoncement volontaire de tout critère. Il lui
préfère la rencontre personnelle, souvent abstraite, de l'oeuvre. Il n'y a plus de
classement à établir. La définition de l'oeuvre musicale nous place face au
paradoxe ontologique qui, devant l'omniprésence d'objets dits «musicaux », ne
parvient que difficilement à en déterminer les cadres. Il n'y a donc plus nécessité
de critères ni de critiques. C'est souvent l'attitude de l'enfant devant l'oeuvre, et
cette subjectivité pure, on l'a vu, ne doit pas disparaître derrière les structures
historiques et analytiques.
Enfin, Yves Michaud envisage la possibilité d'une conciliation entre la
crédulité des uns et le scepticisme des autres. Cette attitude passe alors par
l'appropriation d'un vocabulaire. C'est en formulant ses avis et en justifiant ses
appréciations qu'il est possible d'associer le jugement esthétique et le regard
critique à l'organisation réfléchie d'une écoute active.
Ajoutons à l'idée de verbaliser notre rencontre avec l'oeuvre l'analyse de
Jerrold Levinson qui révèle l'existence d'un sens critique dans toute description
d'une oeuvre : «Les attributs esthétiques que l'on accorde à des oeuvres d'art,
ainsi que les termes que l'on emploie pour le leur accorder, sont largement
37 MICHAUD, Yves (2003), L'Art à l'état gazeux, Essai sur le triomphe de l'Esthétique, Paris,
Stock.
68
descriptifs ; c'est à dire qu'ils sont basés sur certaines apparences, sentiments,
impressions qui ressortent des propriétés perceptibles simples38. »
Description o u critique de jugement, l a frontière n'est pas simple.
Demander à un élève de décrire ce qu'il entend est une manière détournée
d'obtenir l'expression de son ressenti.
Prenons un exemple. Lors d'une séance de sensibilisation à la création
contemporaine avec une classe de deuxième cycle, je leur fis entendre WTC 9/11
de Steve Reich. Je demande aux élèves de trouver au moins deux termes pour
décrire la pièce qu'ils écoutent. Parmi les réponses, on peut catégoriser ce qui est
de l'ordre de la description objective (« c'est rythmique, mécanique, répétitif »)
ou de la description expressive (« c'est bruyant, bizarre, stressant, oppressant »).
Autrement dit, l'élève peut prendre le parti de décrire non pas ce qu'il
entend, mais ce qu'il ressent. Dire d'une musique qu'elle est bruyante, c'est
exprimer sa sensibilité au caractère dissonant ; dire qu'elle est oppressante ou
stressante renvoie à la nature répétitive et au principe de battement porteur d'un
concept de pulsation singulier. L'appropriation d'un vocabulaire permet ensuite
d'orienter l'écoute. En proposant et en définissant ensemble quelques mots-clés
du vocabulaire de Steve Reich (battement, pulses, boucles, déphasage, pattern),
les élèves peuvent alors construire un raisonnement plus riche et affiner ainsi leur
perception de l'oeuvre. L'appropriation d'un vocabulaire est donc un moyen de
renouveler et d'enrichir la perception de l'oeuvre.
Cependant, la compréhension d'une oeuvre doit-elle forcément passer par
le verbe ?
Rappelons que notre perception peut prendre plusieurs formes et porter
sur des aspects complémentaires, non verbaux. Il y a la perception aspectuelle (la
forme, la construction mélodique, le parcours et le rythme harmonique) qui offre
une compréhension analytique d'une oeuvre. Cette perception est celle qui
préoccupe la formation musicale et l'analyse en premier lieu. Elle nécessite une
culture, un vocabulaire et un certain nombre de savoir-faire contenus dans ces
apprentissages. Il y a aussi la perception émotive : la manière dont chacun perçoit
une oeuvre et comment elle entre en résonance avec notre vécu et notre culture.
Comprendre une oeuvre musicale, c'est être capable de l'écouter plusieurs fois,
de faire des comparaisons éclairantes, d'en parler et aussi d'être ému : ressentir
de la gêne ou du mécontentement à l'écoute d'une exécution musicale incorrecte
d'une oeuvre, être satisfait en comprenant ce qui fait de telle oeuvre un chef-
d'oeuvre, éprouver d e l a tristesse à l'écoute d ' u n chant désespéré. L a
compréhension musicale est une activité dans laquelle les mots occupent une
place très modeste : voilà pourquoi la danse ou le chant plutôt que l'explication
69
verbale peuvent être une bien meilleure façon d'exprimer c e que nous
entendons39 ! »
Conclusion
70
BIBLIOGRAPHIE
71
Brigitte Moretti et Christophe Coski, Paris, Vrin, collection Recherche
sur la philosophie et le langage.
MEYRIEU, Philippe (1998), « Quels savoirs enseigner dans les lycées », rapport
consultable sur : www.ladocumentationfrancaise.fr
(2003), L'Art à l'état gazeux, Essai sur le triomphe de l'Esthétique, Paris, Stock.
72
MÉTHODES
« L'EDUCATION PAR L'ART » :
Daniel BLACKSTONE
Ce cours était tenu par les deux soeurs Martenot, Madeleine et Geneviève [sic],
dans un petit hôtel particulier de la rue Saint-Pierre. Elles avaient inventé une
très jolie méthode avec des lotos musicaux, et des exercices d'assouplissement
des doigts que je sais encore faire ! Elles avaient un frère cadet, qui avait servi
dans les transmissions pendant la guerre. On le voyait quelquefois passer comme
un fou dans le jardin, toujours en blouse blanche. Il travaillait dans un pavillon,
au fond du jardin, d'où sortaient des bruits épouvantables : des espèces de voix
humaines, des sons très bizarres. Il travaillait sur une invention qui a fini par voir
le jour : les ondes Martenot. Du coup, le cours Martenot est devenu célèbres.
1SIGNORET, Simone (1976), La nostalgie n'est plus ce qu'elle était, Paris, Seuil, p. 30.
75
dernière édition des Principes Fondamentaux de Formation Musicale et leur
application2.
Maurice Martenot mettait en exergue de ses publications cette maxime
qu'il attribuait à l'inspecteur Jardin : «L'esprit avant la lettre, le coeur avant
l'intellect ». Cette formulation peut nous sembler aujourd'hui désuète, mais sa
signification demeure fondamentale. N'est-elle pas d'ailleurs a u coeur des
convictions profondes des grands pédagogues ? Robert Schumann, dans ses
Conseils aux jeunes musiciens3 , de 1848, traduits en français par Franz Liszt, ne
dit pas autre chose. Willems et Dalcroze avaient la même conviction. Pour eux,
c'est tout l'être qu'il faut éduquer et unifier. Ainsi, Maurice Martenot développe
parallèlement à sa méthode de formation musicale une méthode de relaxation
active.
Précisons tout de suite que mettre « l'esprit avant la lettre » ne signifie en
rien négliger la formation technique. De même, il n'est nullement question, dans
l'enseignement Martenot, d'en rester à un stade élémentaire. Les principes
fondamentaux qu'il a développés doivent s'appliquer à tous les stades et tous les
niveaux de la pratique musicale.
Définir le professeur comme un «éducateur par l'art» n'est pas non plus
considérer l'art comme un accessoire de l'éducation. L'art n'éduque que s'il est
pratiqué a u plus haut niveau d'exigence. Pour reprendre une distinction
philosophique, l'art n'est pas, dans l'éducation, un but secondaire mais un but
second. Ce qui signifie qu'il n'est pas un moyen mais une fin. O n pourrait
rapprocher cette idée de l a phrase de Rabelais, q u ' i l faut citer en entier :
« Sapience n'entre point en âme malivole, et science sans conscience n'est que
ruine de l'âme ». Schumann, encore lui, ne dit pas autre chose lorsqu'il écrit :
«Ne négligez pas l'étude de la vie, aussi bien que celle des autres arts et sciences.
Les lois de la morale régissent l'art. »
I. L a « Méthode Martenot »
76
un résultat en multipliant les exercices ou les recettes alors qu'il s'agit en fait de
trouver celui dont l'élève a besoin. Cela explique aussi son souci de ne pas voir
ses stagiaires « picorer » ici ou là des recettes tirées de différentes «méthodes ».
Ce n'était pas par souci d'exclusivité, mais parce q u ' i l était convaincu que
chaque méthode avait sa logique interne, et que c'est seulement lorsqu'on s'était
approprié cette logique qu'on pouvait se nourrir d'autres éléments.
S'il est un fondement de la méthode Martenot, c'est qu'il n'y a pas de
musique sans « pensée musicale ». Appelons-la « chant intérieur » ou « audition
intérieure », peu importe. L a pensée musicale est ce q u i f a i t «l'homme
musicien ». S'il ne s'agit que d'exécuter une partition, un piano mécanique le
fera aussi bien, sinon mieux — ou aujourd'hui un ordinateur. Mais là où il n'y a
pas de pensée musicale, il ne peut y avoir d'interprétation. Reprenons ici cette
formule d'Edgar Willems que Maurice Martenot aimait tant à citer : « Les
mauvais musiciens n'entendent pas ce qu'ils jouent. Les médiocres pourraient
entendre mais ils n'écoutent pas. Les musiciens moyens entendent ce qu'ils ont
joué. Seuls les bons musiciens entendent ce qu'ils vont jouera. »
C'est à partir de la pratique de l'écoute intérieure que se mettront en
place les données théoriques et techniques de l'éducation musicale.
Un autre élément fondamental d e l a méthode consiste à diviser
l'apprentissage de la musique en différents paramètres pour mieux les maîtriser
et ensuite les réunifier. L'un des premiers « exercices jeux » proposé dans les
cours destinés aux enfants consiste à chanter une chanson que tous connaissent,
avec les paroles. Puis on enlève les paroles pour bien faire distinguer ce qui est
« l'air » d'une chanson. Ensuite on donne à cet « air » différentes expressions :
« Frère Jacques » est joyeux, triste, pressé... et, ce faisant, on fait chanter l'air
dans différentes tessitures, ce qui est un moyen de travailler l'audition intérieure.
On enlève l'air : il ne reste que le rythme. La chanson est encore reconnaissable
par les enfants. O n affine ces découvertes avec d'autres « exercices-jeux » :
autrement dit, on s'assure que le « sensoriel » est en place avant de le formaliser
plus tard par des notations rythmiques ou des noms de notes.
Ceci n'est qu'un tout petit exemple de l'esprit dans lequel se fait le
travail.
Un autre aspect fondamental est celui de « l'acquis par acquis » : inutile
de brûler les étapes. Combien rencontrons-nous d'élèves noyés simplement parce
que les fondements n'ont pas été solidement mis en place...
Par cet exemple concret, nous voyons un peu mieux ce que peut être
l'esprit de la méthode. Dès les premiers cours, on fait place à l'improvisation. De
même que la pensée musicale se développe par la mémorisation de chansons dès
le plus jeune âge, elle se développe aussi naturellement par l'improvisation de
nouveaux airs, ce qui peut commencer spontanément très jeune et sera développé
par d'autres exercices jeux comme celui des «questions-réponses ».
4 WILLEMS, Edgar (1976-77), L'oreille musicale (1940), Fribourg, Editions Pro Musica.
77
Derrière l'écoute active, la mémorisation, la transposition spontanée et
l'improvisation, il y a tout simplement la vie. Le but de l'éducateur par l'art est
de « libérer, épanouir, respecter la vie tout en inculquant les techniques'. »
Reprenons ces principes domaine par domaine, en essayant de voir
comment ils sont applicables à tous les niveaux de l'enseignement musical, pas
seulement dans le champ de la Formation Musicale, mais aussi dans celui de
l'enseignement instrumental.
a. L e rythme
5 PFFMA, p. 1.
6 Mid., p. 27.
7Entendu sur France Musique ; citation reproduite approximativement.
78
Le terme « exercice-jeu » ne doit pas laisser supposer que nous voulons amuser
les enfants par des jeux. I l ne représente pas non plus le « jeu éducatif » ayant
pour objectif d'éduquer en amusant. I l veut dire que les exercices réalisés
suivant les indications [du livre du maître] sont tellement empreints d'éveil, de
vie, de liberté, d'expression, qu'ils correspondent, pour les élèves, à l'attrait du
jeu8 .
Il ne s'agit donc en aucun cas d'amuser les élèves avant de passer aux
choses sérieuses mais de les passionner pour leur apprentissage.
Ces « jeux » de rythmes sont peu à peu complexifiés jusqu'à un niveau
professionnel. I n u t i l e d e n o t e r q u e c e t t e précision rythmique s e r a
avantageusement cultivée dans l'apprentissage instrumental et pas seulement
dans les classes de batterie... On pourra appliquer cela notamment dans le cadre
du déchiffrage d'une partition. Combien d'instrumentistes non pianistes jouent
leur partie d'ensemble comme s'ils étaient tout seuls... Quant aux pianistes, si
souvent tout seuls, combien jouent sans que leur interprétation montre la moindre
ossature rythmique. Le professeur, bien souvent désarmé, aura ainsi pour donner
à ses élèves le sens du rythme d'autres moyens que celui de leur répéter à
longueur de temps de jouer au métronome ; ce qui n'est qu'un cache-misère, car
une fois le métronome arrêté, les défauts réapparaissent de plus belle, le sens de
la pulsation, qui détermine l a précision rythmique, n'ayant pas été vraiment
intégré corporellement. Non que le métronome soit inutile mais, comme l e
thermomètre médical, il permet le diagnostic mais ne guérit pas.
79
de la cinquième symphonie de Beethoven. Tous se récriaient. Il lançait alors les
premières notes. L'assemblée commençait à chanter l'air mais au bout de quatre
mesures, i l manquait déjà la moitié des chanteurs et, très vite, i l n'en restait
qu'une poignée. On n'essaie même pas de demander aux pianistes le chant de la
main gauche d'un morceau connu... On croit savoir, mais en fait cette mémoire
manque de précision et sera inutile dans le processus d'improvisation ou de
création. Il n'est nul besoin ici de préciser que cette technique d'apprentissage
doit continuer d'être pratiquée à tous les stades du développement musical. Pour
certains, cela se fera quasi spontanément. Mais ce n'est pas le cas de tous, loin de
là.
c. L a transposition
d. I m i t a t i o n spontanée, mémorisation
80
fois plus satisfait. C'est qu'alors le sens intérieur du ton s'est éveillé en vous. Les
doigts doivent exécuter ce que la tête a conçu, pas le contraire. »
Dans ses Principes fondamentaux, Maurice Martenot consacre u n
chapitre très important à «l'analyse des divers circuits d'automatismes : de
l'expression vocale instinctive au jeu instrumental ». Ce chapitre ne peut être
résumé ici, mais i l est une clé essentielle pour comprendre en profondeur la
méthode Martenot. Citons-en simplement la conclusion :
Dans le dernier schéma [celui qui intègre la pensée musicale comme clef de
voûte de la production de la musique], le circuit logique est respecté. Dès la
période exclusivement sensorielle franchie, l'élève prend l'habitude d e
transformer spontanément les signes de notation en «air mental ». C'est alors
celui-ci qui commande l'action vocale ou instrumentale en lui transmettant tous
les impondérables de l'expression de la vie à travers le son ; la musique se
manifeste9.
e. L e chant conscient
9PFFMA, p. 69.
81
f. L e coeur de la méthode : les «exercices associés» — Les « trois
temps Montessori »
82
troisième permet de solfier les notes lues sur la portée après les avoir entendues
intérieurement. Une nouvelle association est alors mise en place entre la notation
et l'expression du rythme. La «pensée musicale », bien loin d'être oubliée, est au
centre de la démarche.
Il est aisé d'appliquer cette démarche à l'enseignement instrumental et de
s'assurer que l'élève entend bien ce qu'il va jouer...
g. L'improvisation
83
a. L'attention au geste pianistique
b. L a transposition spontanée
Avant toute lecture d'une partition, l'élève est invité à retrouver, à jouer
des airs simples sur son clavier. La berceuse Fais dodo est jouée surfa — sol — la,
puis do — ré — mi et sol — la — si. Bien sûr, tout cela intervient après une première
année de formation musicale et se fait donc à partir du « chant intérieur » et non
par la lecture de notes. Les petites partitions qui viennent ensuite sont chantées et
transposées avant d'être jouées. C'est toujours la pensée qui conduit les doigts et
non l'inverse, mais ce faisant l'élève prend une réelle connaissance de son clavier
et peut mettre en pratique la connaissance théorique des gammes.
c. L'improvisation
"Ibid., tome 1, p. 6.
84
d. L'harmonisation au clavier
e. L a relaxation
85
f. Application à d'autres instruments
86
de la méthode sans forcément utiliser ces cahiers. Inversement, l'utilisation des
cahiers ne garantit en rien qu'on possède l'esprit de la méthode...
La recherche continue et est plus que jamais ouverte. Souhaitons que les
aperçus ci-dessus aient été révélateurs de la pertinence toujours actuelle de la
démarche et suscitent à leur tour de nouvelles recherches.
Deux Centres : le Centre Martenot Kléber (à Paris) et le Centre Martenot
Rennes assurent la formation des futurs professeurs de la méthode en piano et
formation musicale ainsi que des cours pour enfants et adultes. La relaxation
active fait partie de la formation des professeurs, mais est également enseignée
de façon indépendante par des professeurs agréés par l'association Spirale.
La pédagogie des arts plastiques et du dessin initiée par Ginette Martenot
est très vivante et diffusée dans de nombreuses écoles. La qualité du geste est au
cœur de l'enseignement, favorisée par la relaxation et des réalisations à grande
échelle, par une approche plus sensorielle que théorique. Elle apprend à regarder,
à ressentir l'équilibre des formes, des volumes, des couleurs, à former
l'observation et la mémoire.
La Fédération des Enseignements Artistiques Martenot regroupe en son
sein les différentes branches : Formation Musicale, Etude vivante du piano,
Relaxation, Arts Plastiques et Ondes Martenot. On peut trouver sur son sitels tous
les liens nécessaires pour se mettre en contact avec les différents centres
d'enseignement Martenot.
15http://federation-martenot.fr
87
LA PEDAGOGIE DALCROZE
I. P r i n c i p e s
89
cours en fonction de ses élèves, de leur compréhension, des individualités. I l
s'appuie cependant sur une méthodologie précise, et sur une expérience pratique
acquise de manière intensive au cours de ses études. Sa formation poussée en
improvisation, instrumentale, vocale et corporelle, l u i permet d'inventer des
musiques ou des jeux adaptés précisément à l'instant et au groupe présent.
La méthode Dalcroze s'adresse aux personnes de tous âges et de tous
niveaux (débutants à supérieurs). E n France, aujourd'hui, cette méthode est
enseignée dans une quinzaine de conservatoires ou structures d'enseignement
musical, où elle permet de transmettre les mêmes programmes de formation
musicale qu'un cours de solfège traditionnel, l'approche seule étant différente.
Aux professionnels de la musique ou du mouvement, elle offre un nouveau
regard sur l'exercice de leurs compétences personnelles. Aux amateurs, enfants,
adolescents, adultes ou seniors, elle procure les moyens d'accéder de façon
vivante à la conscience d'eux-mêmes et au plaisir de la découverte artistique. La
pratique dalcrozienne est aussi une expérience humaine valorisante, suscitant
enthousiasme, confiance, écoute et connaissance de soi comme du groupe.
II. D i v e r s i t é
90
premières méthodes d'enseignement musical appelée «méthodes actives »,
puisque Jaques-Dalcroze a commencé ses recherches au début du )Q( siècle.
Actuellement, la diversité des démarches dalcroziennes reflète à la fois la volonté
de son fondateur de ne pas figer son enseignement, et la richesse des possibilités
de ce dernier.
91
ENTRETIENS CROISÉS AVEC MARC BLEUSE
Laurence RENAULT-LESCURE
I. C o n s t a t
Laurence Renault-Lescure :
En mai 1968, pendant que la France défilait sur les Champs-Elysées,
Marcel Landowski' ouvrait en catimini la porte de son bureau au ministère et
recevait divers acteurs de l a vie éducative en France. Lors d'une de ces
rencontres, i l m'avait montré une carte de France en m'expliquant que l a
situation était restée inchangée depuis Napoléon, à une époque où les écoles de
musique étaient principalement liées aux fanfares.
Marc Bleuse :
J'ai été nommé inspecteur en septembre 1975. Un inspecteur principal
avait, à cette époque, pour mission essentielle de faire un bilan de l'état de
chacune de nos écoles. Marcel Landowski voulait savoir où nous en étions sur le
plan des compétences de nos enseignants
C'était une mission assez difficile. Avec quelques collègues, nous avons
fait un tour de France... Nous restions une semaine dans une école et nous en
visitions deux par mois. C'était difficile, j'étais jeune marié avec un bébé. C'était
difficile mais fort intéressant. I l fallait rencontrer les gens, leur parler, leur
demander quelle avait été leur formation. En somme, il fallait rapporter à l'Etat
une photographie aussi précise que possible de ce qui se passait en France dans
les écoles de musique.
Marcel Landowski venait de créer le Certificat d'Aptitude. Ce faisant, son
objectif était que les villes s'attachent désormais à nommer en priorité des
musiciens ayant satisfait aux exigences des épreuves de ce CA lorsqu'un poste
était à pourvoir.
J'ai donc vu un grand nombre de conservatoires en France et assisté à des
cours dans toutes les disciplines, mais ce que j'ai pu observer dans les classes de
solfège était particulièrement paradoxal pour u n enseignement à vocation
artistique : manuels multipliant les difficultés d e lecture en plusieurs clés,
recherche de performances en tous genres et absence totale de matière musicale.
1Marcel Landowski (1915-1999) fut directeur du service de la musique de 1966 à 1970 puis
directeur de la musique, de l'art lyrique et de la danse au ministère des Affaires culturelles de 1970
à 1974 (Source : Who's who in France 2000, 31e édition, Levallois-Perret Laffitte-Hébrard, 1999).
93
Laurence Renault-Lescure :
Les exercices rythmiques étaient démoniaques, les questions de théorie
plus difficiles les unes que les autres. Comme l e dit joliment Jean-Claude
Casadesus : «Entre l'âge de quatre et huit ans, je suis allé me refroidir le coeur et
m'amidonner le cerveau dans ces cours au profil quasi militaire2. »
Marc Bleuse :
Un véritable parcours du combattant pour les élèves, jamais une phrase
musicale. Atterré, je suis allé voir Jacques Charpentier3 qui avait guidé mes
premiers pas dans ces fonctions d'inspecteur ; à mon exposé il a répondu : «Je le
sais bien. Si vous avez des idées, lancez la réforme ! » Ce faisant, nous nous
sommes évidemment retrouvé au bout du fusil des maisons d'édition qui faisaient
leur fonds de commerce de ces manuels de « gymnastique ».
II. A c t i o n
Marc Bleuse :
La commission chargée d'élaborer la réforme s'est donc réunie au début
de l'année 1977, pendant le mandat de Jean Maheu4 à l a Direction de l a
musique.
Les tenants des méthodes actives ont été invités à venir présenter leurs
méthodes à la commission. J'avais rencontré Maurice Martenot avant son décès.
René Clément le représentait à la commission. Sa méthode nous a paru la plus
cohérente.
Laurence Renault-Lescure :
C'était sans doute aussi celle qui nous semblait la plus adaptée à la
réforme. Les Principes fondamentaux' sont une réflexion de base pour tout
enseignant. Pour des raisons que j'ignore, les représentants des méthodes
Dalcroze, Kodaly et Willems ne sont pas venus. L a méthode Orff, elle, se
présentait à l a f o i s comme u n e méthode e t comme l'équipement e n
instrumentarium nécessaire à son application.
Avec le recul, je prends conscience de l'extrême intelligence de cette
politique : De Gaulle donnant tout pouvoir à Malraux qui faisait totalement
2CASADESUS, Jean-Claude (2012), La partition d'une vie, entretiens avec Frédéric Gaussin, Paris,
éditions Écriture, p. 103.
3Jacques Charpentier (1933-) fut nommé inspecteur principal de la musique au ministère des
Affaires culturelles en 1966 et inspecteur général de la musique au secrétariat d'État à la Culture en
1975 (Source : Who's who in France 2014, 45' édition, Levallois-Perret, Laffitte-Hébrard, 2013).
4Jean Maheu (1931-) fut directeur de la musique, de l'art lyrique et de la danse au ministère de la
Culture et de la communication de 1974 à 1979 (Source : Who 's who in France 2014, op. cit.).
5MARTENOT, Maurice (1970), Principes fondamentaux de formation musicale et leur application
(1967), Paris, Magnard.
94
confiance à Landowski pour ériger u n réel corps professoral. C e f u t une
organisation nationale couvrant tout le territoire d'écoles de musique, le CA étant
la garantie de compétence des enseignants de ces écoles.
Marc Bleuse :
Landowski écoutait beaucoup. J'ai apporté ma modeste contribution...
On doit aussi beaucoup à Odette Gartenlaub, professeur au conservatoire de
Paris, rue de Rome, qui a été très sévère pour maintenir le niveau technique dans
sa classe de préparation au CA. On a pu assister alors à l'évolution du niveau des
candidats dans cette discipline.
Le distinguo CA de solfège spécialisé et CA de méthodes actives a été
une grosse erreur. A u x examens en vue de l'attribution du CA de méthodes
actives, on a vu et entendu des candidats beaucoup trop amateurs. J'ai présidé
quelques-uns de ces examens et me suis dit que cela ne pouvait pas durer.
Heureusement, ce recrutement a été supprimé assez rapidement.
Laurence Renault-Lescure :
Quelle que soit la méthode utilisée, i l est certain qu'on peut faire un
cours passionnant et musical qui soit un réel enseignement. De mon point de vue
aujourd'hui, i l ne peut pas y avoir de guerre des méthodes. On peut même se
demander s'il faut appliquer une méthode ou plutôt s'en inspirer pour nourrir sa
pédagogie. D'ailleurs, dans le CA de formation musicale tel qu'il s'est présenté
par la suite, peu importait la méthode employée par les étudiants, seule comptait
la qualité d e v i e musicale qu'ils insufflaient dans leur cours, ainsi que
l'utilisation judicieuse qu'ils faisaient de leur répertoire musical personnel.
III. M u s i q u e
Marc Bleuse :
La question du répertoire ne s'est pas posée uniquement dans les classes
de solfège.
Une anecdote m e revient. A u cours d ' u n e inspection dans u n
conservatoire, un professeur d'instrument me présente un élève qui joue une
pièce de X, puis un autre élève qui joue un morceau du même X, et encore un...
jusqu'à l'élève de niveau supérieur. Je remercie le professeur de m'avoir fait
connaître cet auteur prolixe que je ne connaissais pas. « Mais enfin, lui dis-je, à
part cela, que faites-vous travailler dans le répertoire ? » La réponse a été nette :
«Monsieur l'inspecteur, pourquoi aller chercher autre chose quand on apprend
tout avec X » !!!
Dans d'autres classes, lorsque je faisais allusion au répertoire musical, les
réponses étaient souvent plus que minimalistes.
95
Laurence Renault-Lescure :
Dans la classe d'Odette Gartenlaub au Conservatoire supérieur de Paris
(classe de préparation au CA), nous avons, parallèlement au travail de technique
requis pour le niveau des candidats, développé la recherche de textes musicaux
du répertoire adaptables aux difficultés abordées dans les classes de solfège.
Nous avons encouragé les étudiants à rechercher et à répertorier ces oeuvres ou
ces extraits d'oeuvres e t à proposer des dossiers pédagogiques sur leurs
« trouvailles » musicales.
Toute une littérature pédagogique a ainsi vu le jour, proposant un large
choix de textes allant jusqu'à la musique contemporaine.
Marc Bleuse :
Je n'ai aucun mérite à en parler, cela me paraît si évident !!! On s'est
moqué à tort d e Lavignac qui, parlant d u solfège (terme q u i signifie
littéralement : lire sol et fa), affirmait qu'il fallait faire entendre aux enfants des
musiques « authentiques », travailler à partir du répertoire. C'est tout bête !
Il y a tout de même une candidate au CA qui a téléphoné au ministre
pour se plaindre après le concours. La raison en était que, lors de l'entretien
clôturant les épreuves, je lui avais demandé quels étaient ses goûts personnels en
musique. Devant l'incompréhension qu'elle manifestait à ma question et son
bafouillage, j e hasardai : «Voyons, s i vous deviez emporter deux ou trois
partitions sur une île déserte, quelles seraient-elles ? ». L e lendemain, cette
candidate exprimait au ministre son indignation devant cette question si osée !!!
IV. F o r m a t i o n musicale
Laurence Renault-Lescure :
Parallèlement à cette recherche d'exploitation du patrimoine culturel, il
nous fallait introduire le chant et les instruments dans les classes de solfège.
Marc Bleuse :
C'est une nécessité absolue pour un enseignement musical complet. Tout
commence par là. Proposer à un enfant deux années de solfège aride avant de
faire un son sur son instrument est de nature à décourager tout le monde.
Le fondement de cette réforme est d'être confronté à la musique dès le
début de l'enseignement.
Il faut impérativement chanter, entendre des oeuvres, jouer, et, très
concrètement, être exigeant pour l'apprentissage de la technique, bien sûr, mais
en utilisant un matériau authentique.
Laurence Renault-Lescure :
Ainsi la classe de solfège devint classe de formation musicale (de FM),
ce qui ne se fit pas sans mal.
96
Je m e souviens encore d'une des premières émissions parlant de
pédagogie musicale sur France Culture. L e titre était provocateur et un peu
racoleur : «Pour ou contre l e solfège ». Face à l'inspectrice de l'éducation
nationale de l'époque, nous avions tenté, avec Marcel Landowski, de souligner
l'intérêt culturel d e l a réforme. L'émission touchait à s a f i n . Madame
l'inspectrice désirait avoir le mot de la fin. Elle l'obtint et ce fut pout dire :
« c'est égal, j'aimerais qu'on réhabilite l e m o t de solfège ! » Légèrement
médusés, nous avions fini par en rire en sortant de la Maison de la Radio.
Il fallait un certain courage pour mettre un tel coup de pied dans la
fourmilière. On a quand même eu des réactions assez violentes... Il fallait savoir
en rire !
Marc Bleuse :
Cela n'a pas été si compliqué ! Certes, i l y avait des écueils. Les vrais
objectifs devaient demeurer ambitieux en termes de formation solfégique — là, le
terme convient. Mais, dès lors que ces enseignements ont été confiés à des
musiciens plutôt qu'à des «gymnastes », les résultats o n t été rapidement
concluants et ces orientations semblent plutôt bien adoptées aujourd'hui.
Conclusion
Laurence Renault-Lescure :
Cette réforme a donné une extraordinaire richesse à notre enseignement.
L'utilisation des oeuvres du répertoire, la pratique du chant, l'introduction des
instruments dans les classes, qui ont été à la base de notre activité pédagogique,
nous ont permis de former des musiciens heureux, créatifs et curieux. J'avoue
que, lorsque j'entends parler certains de nos anciens élèves qui font des carrières
d'instrumentistes, de chefs ou de compositeurs, je suis sidérée et ravie de leur
culture, de leur ouverture d'esprit. Je ne peux m'empêcher d'avoir un petit
sentiment de fierté pour l'action que nous avons menée durant toutes ces années.
Marc Bleuse :
On a donné un élan. Cela a ouvert les conservatoires aux musiques
vivantes, à la création contemporaine...
Il est vrai que les responsables de cette époque ont compris qu'il fallait
« labourer profond » et laisser l e temps pour que les choses se modifient
durablement : cela a pris vingt ans.
Aujourd'hui, l a plupart des politiques sont soumises aux échéances
électorales.
Cette action a été un moment de l'histoire qui a eu sa nécessité et sa
vertu. Perdurera-t-elle ? Les responsables politiques sauront-ils et/ou pourront-ils
préserver son importance ?
97
BIBLIOGRAPHIE
98
SOLFEGE VERSUS FORMATION MUSICALE :
UN BILAN ?
Le solfège, à l'origine, associé aux études instrumentales, est devenu au fil des
années u n enseignement totalement cloisonné qui a suscité une littérature
spécifique constituant un matériel pédagogique le plus souvent dépourvu de
substances musicales (phrasé, nuances, dynamiques, articulations, etc.) e t
n'offrant qu'une connaissance très partielle des langages musicaux. Peu à peu,
les spécialistes de cette discipline, tout en pratiquant, dans le meilleur des cas,
une pédagogie permettant l'acquisition d'une haute technicité solfégique ont
oublié la finalité essentielle de cet enseignement. Enfin, il apparaissait nécessaire
de faire cesser les querelles concernant l'utilisation des méthodes actives, car si
nous savons que des abus o n t permis à des incompétents d'utiliser une
pédagogie « riante » mais ne comportant aucun prolongement sérieux, cela ne
saurait remettre en cause la valeur réelle technique et philosophique de ce nouvel
esprit pédagogique. Partir de la musique pour en découvrir le langage et ses
techniques est plus formateur qu'une étude analytique abstraite, élément par
élément, desséchante par définition, dont l'usage démontre qu'elle tourne
souvent le dos au but à atteindre : la connaissance et l'apprentissage de la
musique'.
99
et cela dès le degré débutant, était influencé par cette technicité. Un point de non-
retour avait été atteint. Autant cet enseignement pouvait être utile aux futurs
professionnels, autant il était très décourageant pour les niveaux débutants.
L'absence totale et délibérée d'une approche sensorielle de la musique rendait
son apprentissage en contradiction totale avec cet art !
La réforme de cet enseignement détaché de tout contexte musical
conduisit, sous l'influence des méthodes actives, à ce que les textes officiels
appelleront l a «formation musicale ». C'est d'ailleurs dans ce but que le
ministère de la Culture avait créé, parallèlement à un certificat d'aptitude (C.A.)
de solfège spécialisé, un C.A. de méthodes actives. Au CNSM, une classe de
préparation propre aux deux métiers de professeur de solfège (méthodes actives
et solfège spécialisé) avait été créée. Celle de préparation au C.A. de méthodes
actives offrait deux options : Orff avec Françoise Rieunier ou Martenot avec
Laurence Renault-Lescure. Sous l'appellation «formation musicale », les
instigateurs de la réforme entendaient mettre en avant une pratique vivante et
sensorielle précédant l'étude théorique, appuyée sur des textes musicaux de
qualité : «l'esprit avant la lettre » et « un enseignement où les connaissances
théoriques sont enrichies par l'expression vivante et la sensation intérieure de la
musique2. »
Comme cela était autorisé, j'ai préparé et réussi les deux examens. Pour
celui de méthodes actives j'avais choisi la méthode Martenot. J'ai connu les
écrits de Maurice Martenot puis sa personne grâce à Laurence Renault-Lescure
qui enseignait au CNSM aux côtés d'Odette Gartenlaub mais aussi à l'école
Martenot à Neuilly. L a méthode Orff, bien que très attrayante avec son
instrumentarium ludique et sa pratique quasi immédiate de la musique par les
enfants, ne me satisfaisait pas complètement. Elle me semblait trop fondée sur la
reproduction immédiate e t mécanique. L a méthode Martenot, e n revanche,
mettait en avant une notion qui m'est apparue essentielle : la formation de
l'écoute intérieure (du chant intérieur), pouvant avec bonheur et efficacité être
pratiquée depuis l'éveil musical jusqu'en cycle spécialisé.
Il est bien évident qu'il n'y a pas de musique possible sans écoute
intérieure : pas de compositions, pas d'interprétations autres que mécaniques.
Auparavant, cette écoute intérieure était demandée de façon implicite. Il fallait,
au mieux, attendre le cours d'harmonie pour que cette démarche soit explicitée et
sollicitée par un travail à la table en particulier. Le génie de la méthode Martenot,
de mon point de vue, est d'avoir découvert et démontré qu'on pouvait, dès le plus
jeune âge et par un travail approprié, former tous les élèves à cette écoute
100
intérieure. L e moyen l e plus simple pour initier cette formation était l a
mémorisation. Mémoriser une phrase musicale courte et simple et pouvoir la
réentendre dans sa tête, c'est là le début de tout apprentissage musical. Certains
élèves font cela naturellement et il faut impérativement encourager et cultiver
cela chez tous.
Maurice Martenot a su bénéficier de l'influence de Maria Montessori,
médecin et pédagogue italienne, qui a fait prendre conscience au début du XXe
siècle des processus d'apprentissage nommés par Maurice Martenot «les trois
temps de Montessori »3. Voici ces trois temps avec l'application musicale que
Maurice Martenot en faisait :
1) Présentation (Mémorisation) ;
2) Reconnaissance (Reproduction) ;
3) Lecture (Intonation et Lecture instrumentale).
Sans le respect de ces «trois temps », l'apprentissage devient laborieux
et difficile. Maria Montessori insistait sur la notion d'intégration entre ces trois
processus et Maurice Martenot insistait sur la nécessité de respecter le deuxième
temps sans lequel aucune intégration n'est possible.
Pour enclencher ce processus de formation au « chant intérieur », l a
démarche à suivre peut être décrite de la façon suivante.
Tout d'abord, écoute d'une phrase mélodique courte et simple, entendue
une première fois, suivie par un temps de silence équivalent à la durée de la
phrase mélodique pendant lequel les élèves vont devoir se l a remémorer
intérieurement. I l y a l à u n paradoxe pédagogique : ce moment d'audition
intérieure est capital mais, de façon très inquiétante, il semble ne rien se passer !
Le professeur et les élèves sont face à face... Et c'est le silence, l'angoisse du
vide ! Le professeur ne peut pas dans un premier temps contrôler ce qui se passe
dans la tête des élèves ; il faut absolument faire confiance à ce processus et savoir
attendre : la répétition de l'exercice portera bientôt ses fruits ! Petit à petit, «les
élèves prennent conscience de l'air qui chante en eux4. »
Cette procédure est à répéter une deuxième puis une troisième fois,
toujours en observant scrupuleusement ce temps de silence équivalent à la durée
de l a phrase entendue, temps q u i v a permettre aux élèves d'engager l e
mécanisme de l'audition intérieure. Cette mémorisation ne doit pas être suivie
immédiatement d'une restitution. Les élèves sont en effet capables de reproduire
après une seule écoute une petite phrase musicale. Souvent en début d'année ils
ne comprennent pas pourquoi j'insiste pour qu'ils la réécoutent une deuxième
fois puis une troisième ! L a mémorisation immédiate est trop volatile ; elle
semble solide mais c'est un leurre car elle s'évapore très vite. Ce qui est capital,
c'est que la mélodie chante dans l a tête, que l'élève sente qu'elle est à sa
disposition et qu'il peut à tout moment se l a remémorer pour vérifier u n
intervalle, un rythme, etc. La restitution (reproduction chantée ou jouée) n'est
101
finalement qu'un moyen de vérification. Avec une mémorisation intériorisée et
solide, on peut manipuler la phrase musicale, la ralentir, l'accélérer, l'analyser
dans ses moindres détails et donc l'écrire impeccablement. On arrive par ce
procédé à une conscience musicale complète. C'est à ce moment-là seulement
que peut intervenir la notion de plaisir : celui de maîtriser quelque chose, même
si c'est un tout petit élément.
A la suite de cette approche, le travail d'intégration des notions musicales
et de la lecture va pouvoir se faire le plus agréablement du monde : « seul ce qui
est reproduit correctement par imitation peut être abordé en lectures. »
C'est là l'apport incomparable de Maurice Martenot. I l forme à une
audition intérieure et ensuite il s'en sert pour faire apprendre, d'abord de façon
sensorielle, puis de façon intellectuelle, toutes les notions musicales (rythme,
intervalle, tonalité, etc.). La théorie s'appuie et découle de la reproduction qui
s'associera à de nouvelles productions.
Arrivé à ce stade, on peut passer à la restitution d'abord impérativement
vocale de la phrase musicale mémorisée, en doublant au piano les élèves et en les
faisant chanter tous ensemble, une fois puis une deuxième pour que tout le
monde soit très à l'aise, puis individuellement en commençant par les élèves qui
paraissent les plus assurés et en finissant par les plus fragiles. De cette façon, ces
derniers auront bénéficié d'auditions supplémentaires ! Quand l a restitution
semblera aisée et parfaitement exacte, on pourra alors demander aux élèves :
1) de la reproduire en chantant sans le nom de notes (sur la la la) avec
une pulsation à la main (le fait de ne plus chanter les paroles d'une chanson
oblige l'élève à les penser, donc à les entendre dans sa tête et cet exercice est
aussi une des façons pour travailler à nouveau très simplement l'audition
intérieure) ;
2) de la reproduire une nouvelle fois mais cette fois-ci avec le nom des
notes, en ayant donné ou non la première note (« La faculté d'attribuer des noms
de notes à des successions de sons représente surtout au départ un facteur intuitif
d'une extrême fragilité. Or il est bien connu que la moindre crainte, le plus petit
doute de soi annihile l'intuition6. »)
3) de déterminer la tonalité en ayant fait chanter et/ou jouer la gamme
adéquate (« qui va avec ») ;
4) de l'écrire (notes et rythmes).
5Ibid., p. 35.
6Ibid., p. 78. Pour arriver au nom des notes, il faut préalablement avoir fait prendre conscience des
notions de conjoint/disjoint, grave/aigu, vite/lent, ascendant/descendant et fort/doux à l'aide de jeux
d'écoute sur des sons. Cette éducation de l'oreille doit se faire évidemment de façon sensorielle,
progressivement et systématiquement, en faisant mimer par exemple avec un geste de la main ou du
bras, en utilisant au début un vocabulaire adapté à l'âge des enfants (ça monte/ça descend, c'est à
côté/c'est loin...) pour ensuite acquérir un vocabulaire plus savant. Tous ces « jeux » seront
parallèlement et progressivement adaptés à la lecture : il est très utile de montrer dès le départ
comment la musique s'écrit et quel est le sens de cet écrit (entendre ce qu'on lit).
102
Avec cet apprentissage, on donne au futur musicien les outils pour
pouvoir jouer, entendre, lire et comprendre à l'écoute et à la lecture de façon
aisée et ludique. Au-delà de la performance et de la réussite des élèves, qui est un
bon indicateur pour le professeur, l'épanouissement des élèves, visible par le
plaisir q u ' i l s prennent à participer a u cours, e s t u n bénéfice humain
supplémentaire et finalement capital.
Contrairement à une idée reçue, aussi bien chez les élèves que chez les
professeurs, la dictée musicale est un exercice intéressant et formateur même s'il
a été réduit à une évaluation commode pour les examens de fin d'année. Il a été
galvaudé, perverti et a terrorisé des générations entières d'élèves dont c'est la
bête noire ! En réalité, en initiant cet exercice par la mémorisation, les élèves
écrivant la phrase musicale qu'ils ont en tête et qu'ils peuvent se chanter autant
de fois qu'ils en ont besoin, on supprime le stress. Le début doit être lent et
calme, la méthodologie par la mémorisation deviendra claire et toute la classe
parviendra progressivement, en général au bout de trois mois, à réaliser cet
exercice ; le temps qui semblait perdu sera largement rattrapé.
103
le son prenne d'abord naissance dans la pensée'. » Si l'on est au tout début d'un
apprentissage, il va falloir donner à mémoriser une note (l'écouter, la mémoriser,
la chanter, la trouver et la reproduire sur l'instrument...) puis deux notes et puis
trois... et là c'est déjà une petite mélodie ! Avec de futurs professionnels, par
exemple en cycle spécialisé, la phrase donnée sera plus complexe, plus longue
(par exemple un thème de Ligeti), mais la démarche restera la même.
Les instrumentistes transpositeurs (clarinettistes, saxophonistes,
cornistes, etc.) vont, a u départ, être u n peu ralentis dans l a reproduction
instrumentale de la mémorisation. Il va falloir leur laisser plus de temps. Dès que
la première note de la mémorisation sera trouvée à l'instrument, il faudra qu'ils
travaillent en audition relative (conjoint/disjoint) plutôt que de penser un nom de
note. Ce processus sera un peu laborieux au début mais, très vite, ils deviendront
aussi habiles que les autres ! Il faudra surtout leur donner suffisamment de temps
pour qu'ils puissent faire des essais successifs e t trouver leur mode d e
fonctionnement. L'aide du professeur consistera à leur faire rechanter la phrase à
reproduire pour que, petit à petit, la reproduction instrumentale soit aisée et que
le rapport oreille/doigt soit bien fonctionnel. Cette phrase émise sera ensuite lue
sur la partition et ainsi, de façon presque intuitive et pragmatique, ils vont
apprendre à transposer à vue. En résumé, la mémorisation développe la mémoire,
forme l'audition intérieure, l a «pensée musicale », e t se révèle u n outil
extrêmement puissant pour tout apprentissage de connaissances techniques.
L'improvisation permet aux élèves, de façon ludique et sensorielle, de
rentrer dans le langage musical avec un sentiment de liberté ; au début les
improvisations seront très simples puis elles s'étofferont petit à petit. Le grand
intérêt de cet outil, c'est qu'obligatoirement l'élève devra entendre et imaginer
intérieurement la phrase pour pouvoir improviser. Personne n'improvise sans
entendre préalablement. Cette pratique est doublement formatrice : par son
exercice et par la transcription qui suivra. Elle permet au professeur de mesurer
exactement, et sans passer par un examen, ce que savent les élèves. En effet, ils
n'utiliseront que ce qu'ils connaissent vraiment, que ce qui est réellement acquis.
7Ibid., p. 40.
104
jouent, si c'est fort ou doux, le caractère gai ou triste, si l'on a envie de danser ou
au contraire de se reposer...
Les élèves peuvent répondre dans le désordre à ces questions et les
réponses seront notées au tableau car elles serviront à la fin du cours. Il peut y
avoir trois ou quatre écoutes en fonction des réponses, pour que tous les élèves
aient bien entendu tout ce dont on aura parlé.
Pour un degré plus élevé, les mêmes notions seront explorées mais avec
un vocabulaire plus savant : tempo, mesure, anacrouse et carrure, langage, style,
époque, compositeur... Ces quelques écoutes auront aussi permis aux élèves une
imprégnation purement sensorielle de la musique choisie sur laquelle ils auront
mis des mots.
Ensuite nous rentrons dans le v i f du sujet par la mémorisation d'une
phrase du début de l'oeuvre ou d'un fragment.
Quand les élèves sauront chanter par répétition purement sensorielle la
phrase musicale et qu'ils la maîtriseront bien, il sera alors possible de passer à la
phase de travail théorique : toujours en chantant ils devront trouver les notes, la
gamme, les rythmes, la mesure, le phrasé, les nuances. Dernière étape, ils devront
écrire tout ce qu'ils auront joué ou chanté. A ce niveau de travail, la partition sera
donnée aux élèves ; ils vont ainsi pouvoir retrouver sur le papier tout ce qu'ils
avaient trouvé à l'écoute au début. Par exemple les élèves avaient déterminé que
le morceau entendu était lent et effectivement sur la partition le mot adagio est
inscrit (acquisition du vocabulaire). C'est une étape importante car ce qui n'avait
été qu'entendu et joué doit pouvoir se lire sur la partition.
En fonction du programme et de l'avancement du cours, le texte choisi
va comporter de nouvelles difficultés : un nouveau rythme, une indication de
tempo, de phrasé... Si, par exemple, c'est la formule rythmique croche pointée
double qui est l'objet d'un apprentissage, je vais isoler cette formule en lui
enlevant sa mélodie ; il ne faudra mémoriser que le rythme et une fois que toutes
les manipulations seront aisées on pourra enfin montrer l'écriture de la formule.
Là encore, le son se « colle » sur l'écrit... et l'écrit « sonne » !
La partition est ensuite lue, chantée, décortiquée : tous les signes
rencontrés seront expliqués mais ces explications vont s'asseoir sur un vécu, un
entendu ; elles auront du sens. Les élèves sauront à quoi ces signes servent et
pourquoi il faut les lire et donc les jouer !
Le processus d'acquisition part du global (écoutes, commentaires libres et
mémorisation) puis devient analytique (reproduction, commentaires théoriques,
nouvelles acquisitions) pour revenir au global par la lecture en retrouvant les
commentaires du début à l'écrit (analyse) et aboutir enfin à la pratique en
chantant/jouant (exécution et interprétation) la partition. Cela est une nouvelle
globalisation.
105
Quelle place accordez-vous à l'improvisation dans vos cours ?
8Ibid., p. 129.
106
écrite. Il est intéressant d'observer le désappointement d'un élève qui ne reproduit
pas instrumentalement le son qu'il avait instinctivement dans la tête (voir plus
loin) !
Tous ces exercices sont à écrire soit en cours soit à l a maison ;
l'obligation de concrétiser, d e mettre noir sur blanc, favorise l a relation
oreille/oeil, améliore l'écriture, lui donne du sens (et au passage améliore la
lecture) ; il faut que l'entendu corresponde à l'écrit, c'est en quelque sorte une
autodictée !
L'apprentissage se fait dans ce sens : on va de l'entendu, du mémorisé,
en passant par le chanté et le joué pour arriver à l'écriture et aux explications
théoriques. Dans quelques mois o n procédera à l'inverse : pouvoir dès l a
première lecture, entendre et comprendre, et donc jouer en toute conscience.
107
Par exemple, sur le plan rythmique, il faut impérativement attendre que
la pulsation soit bien installée et avoir répété sensoriellernent des formules avant
de les aborder à la lecture. U n minimum d'indépendance psychomotrice est
requis pour que cet apprentissage se fasse normalement. La pulsation, c'est-à-dire
la capacité pour un élève de frapper régulièrement, est d'abord travaillée avec un
geste de plus en plus petit et précis. Cette répétition va permettre d'ajouter un
rythme parlé. Pour que cet entraînement porte ses fruits il faudra éviter de varier
trop tôt et sans discernement le support moteur (marche, grands gestes des bras,
battement de pieds, etc.) ; en la matière un rituel immuable est judicieux jusqu'à
parfaite intégration : « l e rythme étant e n rapport étroit avec l a liberté
d'expression corporelle, (...) il est essentiel au début de faire toujours appel aux
mêmes groupes musculaires9. »
C'est bien dans cet apprentissage de la régularité de la pulsation qu'il
faudra savoir attendre ; en effet, il est inutile d'avancer si les élèves n'ont pas
acquis cet outil. E n revanche, dès sa maîtrise, les élèves pourront avancer
beaucoup plus vite. Progressivement, il faudra que cette pulsation s'intériorise ;
cela prend du temps. Il n'est pas rare, quand l'intégration a été mal faite, de voir
en fin de cursus des étudiants dont la pulsation devient instable et fluctuante
jusqu'à disparaître. L'édifice musical devient alors bancal, c e q u i rend
l'interprétation déséquilibrée, voire désagréable à écouter.
La réforme de la formation musicale a été souvent réduite à la seule
utilisation d'exemples musicaux du répertoire en oubliant tout le reste et même
les apports bénéfiques d u bon vieux solfège. L a musique ajoutée à une
progression et un enseignement défaillants ne donne rien. Utiliser des supports
issus du répertoire ne suffit pas pour obtenir une pédagogie efficace ! D'autre part
l'influence bénéfique des méthodes actives s'est souvent résumée à une
méthodologie sensorielle. L e mot d'ordre était : « faire d u sensoriel » ! L a
mémorisation immédiate utilisée sous forme de réflexe, sans conscience et sans
aboutissement concret sur la lecture et l'écriture, est complètement inefficace et
perverse : on croit savoir et en réalité on ne sait rien... On bâtit sur du sable ! La
déception que beaucoup de professeurs ressentent s'explique par cette approche
tronquée et erronée.
Un autre détail a porté préjudice à la méthode Martenot : c'est la pauvreté
musicale des textes musicaux donnés en exemple dans ses manuels ; on a jeté le
bébé avec l'eau du bain !
9Ibid., p. 31.
108
Varenne, professeur de formation musicale, et Claude Crousier, professeur de
clarinette) en poste au conservatoire de Nice dans les années 1980. La perte de
compétence que l'on constatait chez les élèves était assez démoralisante. Que
faire pour qu'un apprentissage rythmique pratiqué à la voix soit réalisable ensuite
par l'élève sur son instrument ? Pour combler ce hiatus nous avons émis
l'hypothèse de prolonger l'apprentissage par une réalisation instrumentale en
cours de formation musicale.
J'ai expliqué mon projet au directeur du CRR de Paris de l'époque,
Jacques Taddei, q u i m ' a donné carte blanche. Chargée à l'époque de l a
coordination des professeurs de formation musicale, j'ai proposé à mes collègues
de l'appliquer à l'ensemble de la filière en partant du degré le plus bas.
A cette proposition novatrice q u i n e recueillait pas complètement
l'assentiment de mes collègues s'opposaient aussi quelques détails précis :
- l e s enfants devaient venir en cours de formation musicale avec leurs
instruments d ' o ù l'objection d e s parents quand i l s s'agissaient
d'instruments encombrants ;
les professeurs d'instrument s'inquiétaient de voir leurs élèves lancés
dans des lectures o u improvisations a u cours desquelles i l s n e
respecteraient pas forcément les bons doigtés voire les bonnes postures.
Cette réserve argumentée ne résiste finalement pas à une réflexion plus
poussée. Le gain d'un élève motivé par le jeu instrumental compensera
largement un petit défaut fugitif de posture qui sera très vite rectifié...
Un souvenir me revient : ma collègue de harpe Brigitte Sylvestre,
intriguée par ma demande d'avoir régulièrement cet instrument en cours,
est venue, au bout de quelques semaines, assister à un cours. La petite
élève harpiste, en présence de son professeur, est soudain devenue toute
timide et n'osait plus jouer quand cela a été son tour. Le siège n'était pas
soi-disant à la bonne hauteur, elle n'avait pas les doigtés du professeur...
Finalement, la professeur de harpe est intervenue : « tu dois tout faire
pour pouvoir jouer, mets-y le nez s'il faut mais joue ! ». Ce fut un bel
encouragement e t une formidable compréhension de cette nouvelle
approche.
109
technique instrumentale, ni de suppléer au professeur d'instrument. Cette mini-
révolution s'est installée en un temps record grâce à l'adhésion immédiate des
enfants. L'élève qui improvise une fin de phrase est obligé, pour pouvoir le faire,
d'entendre chanter dans sa tête la phrase qu'il va improviser ; c'est d'une certaine
façon une phrase idéale mais la réalisation instrumentale peut être défectueuse et
entraîner une grande surprise ! On peut faire la même remarque pour un travail
de réalisation écrite : l'élève après avoir improvisé une fin de phrase doit l'écrire
et à cet instant de son travail i l peut y avoir des distorsions, l'écrit ne
correspondant pas à ce qui est entendu ou joué. La consigne sera alors que l'élève
fasse plusieurs essais jusqu'à ce qu'il trouve et puisse écrire ce qu'il avait dans la
tête. Ce passage à l'écriture est un moment très important car l'élève par lui-
même va devoir mobiliser tout son savoir et surtout acquérir les notions qui
pourraient lui manquer. Ce travail par tâtonnement et « bidouillage » est très
précieux : c'est ce qui va le faire progresser. I l en va de même lors de l a
mémorisation vocale ou instrumentale : il faut avoir la patience de laisser l'élève
procéder par essais successifs en l'encourageant.
Revenons à l'implémentation initiale au CRR1° de Paris où, pour nous
assurer de la viabilité de l'innovation, nous avions mis en concurrence deux
classes de P1, une classe dite « normale » et l'autre utilisant l'instrument des
élèves en cours. A la fin de l'année, nous avons confronté les élèves sur des
épreuves communes mais avec ajout du jeu instrumental pour la mémorisation,
l'improvisation, la transposition et la lecture rythmique. La supériorité, l'aisance
et le plaisir manifeste de l'élève (et l'approbation de la professeur de harpe) ont
achevé de convaincre tous les professeurs.
L'apprentissage musical doit se faire à la voix et par la voix. Mais pour
des instrumentistes il est tout à fait légitime de continuer par un prolongement à
l'instrument. Tous les exercices faits à la voix (mémorisation, lecture...) seront
joués à l'instrument. Le fait de jouer sur un instrument la phrase précédemment
chantée, va obliger l'élève à concrétiser très physiquement, la position des doigts,
les doigtés, u n coup d'archet, etc. O n peut dire qu'une phrase mélodique
mémorisée et rejouée à l'instrument est totalement incarnée et donc presque
écrite. L'élève aura été obligé de traduire physiquement un son entendu par une
réponse musculaire précise et donc de décider par exemple si oui ou non il faut
mettre un dièse devant le fa. En plus de ce côté formateur, il y a le côté ludique :
tous les élèves ont envie très vite de pouvoir jouer facilement. Or l'apprentissage
instrumental est quand même long ; il exige de l'endurance, de la constance, de la
patience. Rien n'est plus satisfaisant que d'arriver à reproduire facilement une
petite phrase mélodique sur son instrument sans un travail acharné. Lors du
remplacement d'un collègue dans un cours de 2e année, une petite élève de violon
110
qui jouait très faux, et avec beaucoup de difficultés quand elle lisait, s'est
complètement transformée quand i l a fallu reproduire une phrase musicale
mémorisée. A ce moment-là, de façon spectaculaire et presque magique, l'élève a
reproduit très musicalement la phrase en question : tout était juste et en place ; la
phrase était comprise dans son intégralité et son interprétation quasi parfaite !
Autant l a reproduction par l a lecture en position de déchiffrage et
d'apprentissage é t a i t douloureuse e t contre-productive, autant p a r u n e
mémorisation bien menée elle était à la fois épanouissante et formatrice ; la
mémorisation a été libératrice!
« I l s'agit de retrouver dans la matière sonore le moment où les signes sur
la portée ne sont plus l'image d'un son, mais le symbole d'une pensée". »
«Pour tous les exercices sensoriels, dans la partie d'application pratique,
en ce qui concerne la théorie, on veillera à ce que les élèves puissent en premier
lieu s'imprégner d'une expérience concrète sans faire intervenir l'intellect'2. »
Les élèves du CRR, passant un concours sélectif pour entrer dans une
classe à horaire aménagé o u en cycle spécialisé, sont effectivement d'un
excellent niveau. Cela rend les choses plus faciles en apparence et peut même de
façon perverse cacher des failles. A i n s i les élèves, p a r leur bon niveau
instrumental et leur pratique intense, peuvent masquer des lacunes ; i l sert de
faire-valoir en cas de formation insuffisante. Ils sont en quelque sorte floués car
ils croient savoir... et finalement ne savent pas. Cela risque de compromettre
gravement leur avenir professionnel en particulier au niveau de l'interprétation.
Pour éviter la tour d'ivoire que peut représenter une école conune le
CRR, je tenais à faire des jurys dans des endroits divers (banlieue parisienne et
province) ; cela me permettait de v o i r d'autres enseignements e t d'autres
niveaux. Mais j'ai aussi fait des remplacements dans des écoles où les élèves
avaient moins de temps de cours et n'avaient pas surtout les mêmes motivations
que ceux du CRR. Je me suis adaptée en allant moins vite ; mes propositions
étaient plus simples et le rendu instrumental plus ingrat. Les élèves sont toujours
arrivés à ce que je voulais, c'est-à-dire que j'ai pu finalement faire un cours qui
me semblait satisfaisant, la rapidité en moins. A la fin du cours ils ont chanté et
joué agréablement le texte choisi. Je dirais même que plus les élèves sont faibles
et peu motivés, plus cette pédagogie est précieuse et formatrice car, malgré un
petit niveau instrumental, elle va leur permettre de s'exprimer, de jouer et
finalement, de prendre plaisir à faire vraiment de la musique.
" Beethoven, cité par A. Jolivet dans Le règne de Beethoven, in MARTENOT, Maurice (1970),
op.cit., p. 41.
Il MARTENOT, Maurice (1970), op.cit., p. 47.
111
Oui, définitivement je pense que cette pédagogie est exportable.
112
méritions pas le titre de musicien ! C'est sans doute parce que les gens pensent
solfège. Cet enseignement, par les défauts énoncés plus haut, s'est forgé la
réputation tenace d'être à la fois ingrat, rébarbatif et inopérant.
Oui, les options de la formation musicale ont totalement transformé le
métier et l'ont rendu exaltant aussi bien pour les professeurs que les élèves. I l
était assez amusant de voir des élèves en fin d'année, qui avaient réussi leur
examen, me demander ce que j'allais mettre au programme l'année suivante et
commenter favorablement mes choix.
13MENES, Martine (2012), «L'enfant et le savoir », Télérama, n° 3274 —13 au 19 octobre 2012.
14MARTENOT, Maurice (1970), op. cit., p. 95.
113
En effet, j'aimerais aborder u n sujet difficile qui est l a distance
nécessaire entre le professeur et les élèves. Certains professeurs, entraînés par
leur souci de bien faire et leur affectivité personnelle, ont tendance à vouloir
créer une relation qui n'a pas lieu d'être dans le cours. Il faut donc savoir garder
la bonne distance.
Ayant reçu un savoir, les élèves doivent aussi pouvoir s'éloigner. S'il y a
eu un enseignement particulièrement heureux, ils reviendront plus tard, en toute
liberté. C'est effectivement un moment de grand plaisir pour le professeur que
celui de voir ses élèves faire leur chemin professionnel et revenir en parler.
Personnellement, j'y ai gagné quelques amis très précieux.
Enfin, on n'insistera jamais assez sur le fait de cultiver la confiance :
commencer par féliciter l'élève pour tout ce qui était bien et ne parler qu'ensuite
de ce qui était fautif ou incomplet ! N e pas avoir peur de lui faire des
compliments et de lui demander des efforts en sachant à la fois les mesurer et lui
donner les moyens d'atteindre le but fixé.
Martine Menès15 dit que « le pédagogue est celui qui accompagne vers le
savoir, bien plus que celui qui l'inculque. C'est la question du transfert qui est en
jeu. Le désir de savoir du maître crée, en l'élève, un écho qui entraîne la mise en
oeuvre de son propre désir de savoir. L'enseignant ne se présente pas comme
détenant la vérité absolue, il laisse place au dialogue. Le meilleur moteur, dans
l'acte d'apprendre, est la curiosité spontanée de l'enfant. »
Une chose toute simple que l ' o n oublie souvent est l a nécessité de
reformuler ses explications et ses questions ; il est inutile de répéter une question
incomprise à l'identique. Il faut impérativement changer les termes, la tournure
de la phrase, traduire en quelque sorte en utilisant des mots de tous les jours puis
en donnant les termes musicaux plus savants.
Une des grandes révolutions proposées par la formation musicale a été de
rechercher les supports de travail dans les textes de répertoire. Ce faisant, la
curiosité du professeur est sollicitée en permanence par la recherche de ces
textes. Au CRR de Paris, l'expérience a été particulièrement intéressante car
menée par l'équipe toute entière, ce qui a créé une dynamique exemplaire durant
plus de d i x ans. Cette recherche, pour peu que l e professeur s ' y adonne,
renouvelle son plaisir à préparer ses cours, et il n'y a pas de bon enseignement
sans préparation de cours ( i l n'y a guère que les ragoûts qui soient bons
réchauffés !). Cependant le cours ne doit jamais être figé d'avance. S i le
professeur croit gagner du temps en suivant strictement sa préparation, il se
leurre doublement, son projet passera avant l'écoute de ses élèves et il ne
répondra pas à l'exigence réelle du moment. Rien n'est plus lancinant que de
répéter à longueur d'années. I l faut éviter de fermer son enseignement en ne
laissant pas de place à l a curiosité de l'élève. I l ne faut pas borner son
enseignement en faisant une exégèse du sujet (particulièrement sur les partitions
114
découvertes en grand niveau). I l faut laisser la perspective ouverte afin que
l'élève soit incité à découvrir par lui-même. L'enseignant n'a pas besoin de se
présenter comme omniscient, i l peut sans rougir réclamer le droit à l'erreur à
condition d'être honnête envers lui-même et envers ses élèves.
Les études instrumentales sont très exigeantes et la concurrence est rude.
L'apprentissage de la musique avec un enseignement de formation musicale va
donner aux élèves un plaisir et une liberté dans leur jeu instrumental. Bien
enseignée, elle donnera aux élèves une structure et une intelligence musicale qui
va l e u r rendre service l o r s d ' u n entraînement instrumental intense. L e
développement de l'audition intérieure va décupler leur capacité à comprendre
les oeuvres qu'ils doivent interpréter, les aider à faire des choix musicaux, leur
permettre de gagner en autonomie et donc de mieux épanouir leur personnalité
musicale.
En résumé, le plaisir que trouvera l'enseignant à renouveler son cours se
ressentira dans le plaisir de l'élève à assister au cours et à en transcrire les
enseignements dans sa pratique instrumentale.
BIBLIOGRAPHIE
115
L A MEMOIRE MUSICALE
Laurence RENAULT-LESCURE
Souvenir n° 1
Jeune professeur, monsieur Martenot me demande un jour en séminaire
public de jouer la main gauche seule du morceau de piano que je suis en train
d'étudier. A ma grande honte, j'en suis bien incapable !!!
De quelle mémoire disposais-je alors ? Sérieusement ébranlée, je me mis
à réfléchir et rechercher ce qui pouvait bien clocher dans le système.
Il est courant dans notre éducation musicale actuelle de faire une bonne
place à la mémorisation. On constate souvent que cela se traduit par l'envoi d'un
message musical q u e l'élève e s t censé reproduire s o i t vocalement s o i t
instrumentalement. Dans ma découverte des recherches de la famille Martenot,
cela donnait à peu près ceci : « Voici une phrase musicale. Ecoute-la puis
réécoute-la dans ta tête autant de fois qu'il te plaira jusqu'à ce que t u l a
réentendes en entier. Je redonnerai cette phrase à ta demande. Quand tu seras tout
à fait sûr(e) de tout avoir en tête, tu pourras la rechanter (ou la rejouer). » Les
élèves habitués à cet exercice pouvaient au bout d'un certain temps, lorsque l'on
avait abordé l'écriture, restituer la phrase à l'écrit, que ce soit un rythme ou un
extrait mélodique : faire une dictée musicale.
C'était bien la première fois que j'entendais ce langage pédagogique,
habituée par mes propres études à me torturer sur la vitesse d'écrit de ces
fameuses dictées et pensant que dans cette vitesse résidait le secret de la réussite.
Parallèlement à cela, et toujours en réfléchissant à l'aspect vitesse, je pouvais
constater avec stupeur que, dans les classes de maternelle et de primaire où il
m'arrivait de travailler, certains enfants levaient le doigt pour répondre alors que
l'enseignant n'avait pas encore terminé de formuler sa question. A quoi jouait-on
exactement ? Y avait-il un lien réel à rechercher entre la vitesse et la mémoire ?
Grâce aux pionniers de l'éducation nouvelle dite « active » et à ceux qui
ont s u i v i leurs recherches, i l existe u n e grande variété d e dispositifs
d'enseignement ressemblant à des jeux et mettant l'accent sur l'activité pure de
mémorisation.
117
Il y a quelque chose que je peux chercher par mes propres moyens,
« dans ma tête ». Je peux aller rechercher, si je n'attends pas trop longtemps, une
trace que j'ai laissée s'inscrire sans angoisse, presque sans rien faire. Je peux
reconstituer volontairement tout ou partie du message. Je peux comparer ce que
j'ai cru entendre avec ce qui m'a été donné, et même sentir que je peux faire tout
cela de plus en plus vite avec un peu d'entraînement. C'est épatant... et rigolo !
Souvenir n° 2
Toujours en recherche sur ces questions de mémoire, j'avais été très
impressionnée, l o r s des séminaires organisés p a r l'association l a Pensée
musicale, par la présentation des travaux d'Antoine de la Garanderie.
Désireuse d'expérimenter, je mets en place un dispositif visant à faire
reconnaître par chaque enfant son « canal » d'écoute préférentiel. Nous sommes
dans une classe de P2 au CRR de Paris. Par expérience, j'avais compris qu'un
message musical exprimé à la voix passait mieux auprès des enfants (affaire de
relation plutôt bonne avec mes élèves ? Attachement des jeunes enfants au timbre
féminin ?). Cette fois-là, cependant, mon objectif final étant la dictée musicale
traditionnellement exprimée au piano, je donne la phrase au piano. La consigne
est que chaque enfant, après la première écoute, doit dire ce qu'il a perçu.
Dans cette classe, on a déjà « écouté » sans autre but que de se laisser
remplir de musique : comme une éponge se remplit de l'eau dans laquelle on la
plonge, sans rien faire.
Les enfants ont compris que le travail de reconstitution ne se faisait
qu'après ce temps-là.
Je joue, ils écoutent, puis, tour de table. Et là, une surprise pédagogique
de taille !
Quelques enfants majoritairement violonistes entendent le nom des notes
directement. Ceux-là n'auront aucun problème en dictée musicale, c'est sûr !
D'autres visualisent des mouvements ascendants ou descendants, des valeurs
rythmiques (ils ont déjà quelques notions d'écriture) mais aucune idée du nom
des notes.
Un petit garçon voit un petit chien courir après un ballon ??!...
Comment fait-il pour parvenir, au bout d'un certain temps, à écrire ses
notes sur son cahier ? Combien lui faudra-t-il de « transpositions » —comme le
dit M. de la Garanderie— pour arriver au résultat final de sa dictée ?
Enfin, une petite fille — devenue musicienne professionnelle depuis — dit
franchement : «moi, j'écoute pour savoir si ça va me plaire. »
Effectivement, elle semblait réussir sans trop de difficultés ses dictées
écrites, mais elle demandait toujours après la première écoute : « vous pouvez
rejouer s ' i l vous plaît ? », c e qui avait pour résultat de m'intriguer voire
m'irriter : «mais enfin, j e viens juste de le jouer ! » Je l ' a i toujours rejoué
cependant, persuadée qu'elle finirait par cesser ce scenario invariable. En fait,
118
c'est moi qui venais de prendre une leçon de motivation. Cela lui plaisait ? Alors
on pouvait continuer !
Dans un deuxième temps, chaque enfant devait choisir la procédure d'un
autre enfant, expérimenter autre chose, ce qui eut pour effet de leur donner
ultérieurement du choix.
Antoine de la Garanderie disait qu'au cours de ses recherches il avait
constaté que les élèves réussissant tout et toujours—les forts en thème, comme
on disait alors—avaient à leur disposition le maximum de procédures, passant de
l'une à l'autre au gré de leurs besoins. Auditifs, visuels, kinesthésiques, ils
pouvaient être tout cela avec une égale facilité, rien ne leur était impossible.
De nombreux stages d e P N L (programmation neurolinguistique)
m'avaient déjà convaincue qu'il y a un soulagement voire un certain amusement
à jouer ainsi avec nos différents canaux de réception de l'information. C'est assez
extraordinaire de mieux connaître nos chemins, d'en explorer d'autres, d'élargir
notre palette sensorielle.
La musique passe, elle s'inscrit dans le temps. Notre mémoire a la
capacité de fixer ce temps. N'est-ce-pas magique ? Paradoxalement, notre
société, qui voit se multiplier les maladies de l a mémoire, multiplie les
manifestations faisant appel à la mémoire avec une nette tendance à tout
accélérer. Saurons-nous donner à nos élèves les outils de construction d'une belle
mémoire, d'une mémoire heureuse ?
Le poète Georges-Emmanuel Clancier, dont on a récemment fêté le
centenaire, affirmait dans une interview : « Vous savez, plus que jamais je pense
que l a mémoire et l'imagination sont indissociables ; l a mémoire nourrit
l'imagination et l'imagination redonne à la mémoire l'apparence de la vie. C'est
à partir de cette conviction que j'ai écrit tous mes livres. »
Passons cette belle conviction à nos jeunes élèves !
119
REFLEXIONS SUR UNE DISCIPLINE
LA FORMATION MUSICALE,
UNE DISCIPLINE EN MOUVEMENT
Virginie DAO
I cf. les nombreux ouvrages et articles relatant l'histoire de l'enseignement spécialisé de la musique
en France.
2CNSM : Conservatoire National Supérieur de Musique (à l'époque, seul celui de Paris existait et la
danse n'y était pas encore intégrée), à présent CNSMD Paris et CNSMD Lyon
123
ceux-ci atteignent le nombre de 274, auquel i l convient d'ajouter les écoles
municipales non agréées, les plus nombreuses, de l'ordre de 900 environ en
19813, et 2900 en 19994 ! La conséquence de ce développement fut, bien sûr, le
besoin colossal de professeurs et, par contrecoup, le besoin de formation des
enseignants. Celle-ci nécessitant une réelle volonté politique assortie de moyens
et de temps, ce qui n'a pas été toujours le cas et l'est de moins en moins, il faut
reconnaître qu'en 2013 le pourcentage de professeurs effectivement formé à cette
discipline reste très faible au regard du nombre d'enseignants5 total, et surtout, au
regard des besoins effectifs dans les conservatoires. Quoi qu'il en soit, même si la
formation des enseignants dénote un manque patent, cela ne suffit pas à expliquer
la multiplicité des approches.
Il convient à ce stade de se poser la question suivante : qu'est-ce qu'un
professeur de Formation Musicale, au sens de : qu'est-ce qui le constitue6 ?
Prenons pour exemples u n violoncelliste7, u n pianiste, u n chanteur, u n
compositeur, un musicien classique, un musicien de jazz, lesquels s'appuieront
sur des parcours différents, adopteront des stratégies adaptées à leurs propres
réalités musicales et à celles de leur environnement. Car si une majorité
d'enseignants s e retrouve s u r l a définition d e s grandes l i g n e s
d'apprentissage (nommons dans le désordre et sans exhaustivité : l'installation de
la pulsation, du rythme, la formation de l'oreille, la pratique vocale, l'application
instrumentale, etc.), on peut supposer qu'un professeur de F.M. — percussionniste
aura des exigences rythmiques particulièrement élevées ; un professeur de F.M. —
chanteur sera peut-être davantage attentif au placement de la voix et à la bonne
utilisation d e celle-ci ; u n professeur d e F. M . —musicien d'orchestre o u
chambriste installera des réflexes de jeu (instrumental) et de déchiffrage pendant
que le professeur de F.M. —compositeur élèvera l'exigence du propos musical et
de sa forme. Gageons que le professeur de F.M. —gambiste ou claveciniste
124
nourrisse ses élèves de répertoire dit « ancien » quand le professeur de F.M. —
jazzman initiera une écoute harmonique spécifique.
Est-ce à dire pour autant que chaque enseignement sera lacunaire ? Nous
ne le pensons pas, car les bases de l'apprentissage musical sont communes à
(presque) toutes les pratiques, s'agissant de la transmission écrite —même si le
cas du jazz est particulier car fondé en grande partie sur la transmission orale. Par
extension, citons ici le cas des musiques actuelles, de plus en plus présentes dans
les conservatoires, et à un haut niveau toujours plus élevé. Le contenu des cours
de F.M. musiques actuelles s'apparente bien souvent à celui des cours dits
classiques, seul le répertoire diffère.
Nous sommes riches de plusieurs héritages : les apports sont multiples
depuis notre première scolarité dans des cursus plus o u moins heureux et
complets, en passant par nos premiers questionnements pédagogiques étayés par
des formations, et jusqu'à notre vie professionnelle, de musicien autant que
d'enseignant, qui nourrit continuellement notre réflexion. Il est à noter au passage
que les enseignants de Formation Musicale, toujours prompts à s'enrichir et à
tenter de nouvelles expériences, font preuve d'une grande diversité dans leurs
pratiques musicales. Les exemples précédents pourraient ainsi être complétés
par : professeur de F. M . — compositeur—pianiste — saxophoniste classique e t
jazz, ou encore professeur de F.M. — violoniste baroque— chef de choeur— joueur
de tablas, e t pourquoi pas professeur de F.M. — flûtiste à bec —danseur de
flamenco —spécialiste d'opéra.
Dans ce contexte, on peut alors aisément imaginer la richesse musicale et
technique offerte aux élèves par ce corpus d'enseignants. Nous sommes bien loin
du «bon vieux solfège méthode 1850» que d'aucuns rêvent de voir rétabli un
jour et qui, s'il était adapté à un certain format d'établissement et à une certaine
pratique musicale, ne l'est certainement plus de nos jours. I l existe toujours,
bien sûr, des établissements dont le rêve inavoué est d'être une copie conforme,
quelques niveaux en dessous bien sûr, du CNSM, ou plutôt, devrait-on dire, du
CNSM des temps anciens, entendons par-là LE Conservatoire de Paris à l'époque
des succursales (jusqu'à la moitié du XXe siècle environ)8. Ces établissements
engendrent une véritable schizophrénie chez ses enseignants— tout au moins chez
ceux qui ne voient pas les choses de cette façon —et les élèves — ceux qui ne
rêvent pas forcément de « faire carrière », peut-être d'ailleurs rêveraient-ils de
faire carrière si on leur proposait un enseignement différent. On pénètre dans ce
type de lieu comme en terre sacrée, où les enseignements sont figés, soumis à un
modèle depuis longtemps caduc, sans que l'air que l'on respire à l'extérieur ne soit
parvenu à entrer dans ces murs9... On n'hésite pas à laisser entendre à des
125
générations d'élèves — et à leurs parents—qu'en dehors d'une certaine manière de
faire, il y aurait escroquerie. L'escroquerie ne réside-t-elle pas plutôt dans les faits
suivants : faire croire que le marché de l'emploi est identique à celui d'il y a
cinquante ans ; écarter tout ce qui n'est pas du domaine de la « grande musique »
et, de fait, porter des jugements de valeur négatifs sur des pratiques, genres,
styles, qui seront pourtant le quotidien professionnel d'un nombre grandissant
d'élèves ; imposer de fait un obscurantisme culturel et social ; par contrecoup,
déconnecter l'établissement de l'époque dans laquelle nous vivonsw ? Il ne faut
dès lors pas s'étonner des conséquences qui peuvent découler de telles postures,
en premier lieu, la désaffection des élèves qui ne comprennent pas les enjeux de
ces contenus, et leur corollaire, la tentation —ô combien compréhensible — pour
les directeurs de supprimer cette discipline, source de tracas voire de conflits. En
effet, lorsqu'elle n'a pas purement et simplement été supprimée dans certains
établissements, son cursus dit obligatoire est souvent réduit à une peau de chagrin
(Mesure prise par des directeurs qui n'ont pas compris qu'à partir d'un certain
degré de connaissance et de maîtrise, le plaisir va grandissant ? Mesure prise par
des directeurs dont les souvenirs d'enfance étaient le solfège, vis-à-vis duquel le
principal objectif de la plupart des élèves était de « s'en débarrasser » ? Mesure
prise par des directeurs qui ne peuvent imaginer que certains élèves viennent au
cours de formation musicale avec plaisir, voire continuent à venir, ayant arrêté
l'apprentissage instrumental, pour le plaisir ?). Et pourtant, ils ont bien tort de se
priver de l'énorme potentiel offert par chaque équipe de Formation Musicale : en
effet, au v u de tout ce qui a été relevé précédemment, i l est possible et
souhaitable de créer un département cohérent qui s'appuierait sur les diverses
compétences de chacun.
Heureusement, l'existence de tels établissements ou de telles classes est
contrebalancée par celle de nombreux et nombreuses autres, dont la qualité
dominante est le réalisme. L'offre pédagogique et musicale des établissements n'a
jamais été aussi vaste et diversifiée, prenant en compte non seulement les envies,
mais également les besoins du public. Les enseignants de Formation Musicale
l'ont bien compris, qui mettent en oeuvre de multiples stratégies pour répondre au
mieux aux attentes des élèves, des collègues, des directeurs. L a quantité de
méthodes publiées annuellement prouve à quel point cette discipline est vivante.
L'éventail des activités proposées par le biais de ces ouvrages est de plus en plus
large, de l'analyse au rythme, de la F.M. instrumentale à la créativité. Et s'il était
encore besoin de justifier l'existence de la Formation Musicale, il est pertinent de
rappeler ses déclinaisons : F. M . « généraliste » ( l a plupart d u temps,
instrumentistes), F. M . chanteurs, F. M . jazz, F. M . musiques actuelles, F. M .
danseurs.
Alors, que fait-on véritablement dans un cours de F.M. ? Il semble qu'il y
ait un consensus commun autour de la matière à étudier : la musique sous forme
10et à l'intention de certains esprits retors, « conserver » ne signifie pas « figer » ni « scléroser »...
126
de pièce artistique achevée et production en tant que telle, et non pas production
à visée pédagogique.
Les écueils, car i l en existe malheureusement, sont que certains
enseignants «ne s'y retrouvent pas », que les élèves, passant d'un professeur à un
autre, peuvent être perdus par les différentes manières d'aborder la discipline, que
l'apprentissage en général est une question de temps : si l'élève suit un cursus trop
hétérogène en raison de ses professeurs, i l ne peut ancrer durablement les
notions. C'est pourquoi i l est indispensable que les équipes fonctionnent de
manière cohérente au sein de chaque établissement. Là réside toute la difficulté.
En effet, cela suppose, de la part de chaque protagoniste, une grande dose de
courage—courage de reconnaître ses propres limites, courage de continuer,
encore et toujours, à se former ou du moins s'informer, courage d'accepter la
différence chez les collègues et, de là, essayer d'installer un socle commun.
Mais, las de rejeter sur autrui, si nous souhaitons que cette discipline
somme toute récente acquière ses lettres de noblesse et ne soit plus mise en
concurrence avec l'ancien solfège, c'est à nous, enseignants de cette discipline si
enrichissante, par notre investissement, notre enthousiasme, notre sérieux, qu'il
appartient de prouver notre légitimité.
BIBLIOGRAPHIE
127
LA FORMATION DES PROFESSEURS
DE FORMATION MUSICALE
Agnès RETAILLEAU-MATRY
Conservatoires recherchent...
professeurs de formation musicale bien formés !
129
formation à ce diplôme s'est alors tout naturellement posé, mais cette fois la
réponse a été différente. Les années 1990 ont ainsi vu l'éclosion d'organismes de
formation (CEFEDEM, DEFEDEM, IFEDEM...) diplômant la plupart de temps
en deux ans et mêlant les différentes disciplines dans une même promotion, la
part des étudiants en Formation Musicale restant conséquente par rapport aux
besoins, mais nettement moins importante que dans les classes de préparation au
CA.
Le dernier examen décernant le DE de Formation Musicale organisé par
le ministère de la Culture et de la communication a eu lieu en 2010. Dorénavant,
les pôles supérieurs assurent les formations et les épreuves. L a Formation
Musicale n'étant pas présente en tant que discipline dans ces pôles supérieurs, il
est donc difficile d'y accéder. L'une des possibilités, de plus en plus courante, est
d'obtenir un DE en instrument, puis en FM. Cette double compétence, très
recherchée par les directeurs, permet une plus grande souplesse à l'intérieur des
établissements.
Une fois ce bilan dressé, comment peut-on aujourd'hui obtenir ces deux
diplômes ?
En ce qui concerne le DE, c'est encore possible. La voie la plus simple
est d'entrer en formation diplômante dans l'un des pôles (deux ou trois candidats
par an), soit en formation initiale, soit en formation continue. Une autre consiste
à passer en candidat libre les épreuves finales en justifiant d'une formation
pédagogique acquise par ailleurs. La dernière voie possible est la validation des
acquis et de l'expérience (VAE) organisée par les CEFEDEM ou les pôles, sur
dossier et entretien, conformément au référentiel de compétences'.
Une fois ce diplôme obtenu, i l faudra alors au nouveau professeur
intégrer la fonction publique territoriale en passant les concours correspondants.
En ce qui concerne le CA de Formation Musicale, il n'est pas possible de
l'obtenir depuis 2006, car les épreuves organisées par la Direction de la musique
n'existent plus. Les pôles supérieurs, en dehors des deux CNSM, ne sont pas
encore habilités par l'Etat à délivrer ce diplôme. Une commission s'est réunie en
2013 au CNSM de Paris pour y mettre en place une formation diplômante au CA
de FM qui verra le jour prochainement.
Malgré tout, le problème principal reste la baisse générale du niveau,
dénoncée régulièrement dans les concours. En effet, la motivation pour conserver
le niveau très exigeant du CA est difficile à maintenir sans véritable débouché
concret. Les classes de cycle spécialisé à dominante FM se font de plus en plus
rares dans les établissements, le niveau d'exigence n'est plus aussi fort et les
professeurs titulaires du CA de moins en moins nombreux.
Pourtant, les besoins en professeurs de Formation Musicale sont très
importants et la pénurie annoncée inquiète les directeurs, car ils sont de plus en
130
plus amenés à recruter des personnels non qualifiés, ce qui n'améliore pas la
qualité de l'enseignement.
Ce problème de la formation des professeurs devient tout à fait crucial, et
les stages organisés par l'ARIAM Ile de France, le CNFPT (Centre National de la
Fonction Publique Territoriale) ou les communautés d'agglomération sont pris
d'assaut. L'APFM (Association des Professeurs de Formation Musicale) organise
chaque année un congrès et des journées de formation pour tenter de répondre
également à cette forte demande.
La mission des enseignants en FM est très vaste et nécessite de multiples
compétences. I l est très difficile pour un étudiant non formé de se retrouver
devant une classe sans avoir de bagage pédagogique. Les manuels, souvent très
bien réalisés, ne peuvent se substituer à une démarche pédagogique personnelle
et cohérente. Le fonctionnement en équipes pédagogiques peut en partie répondre
à ces questions, mais l a réflexion et l a personnalité de chacun restent des
éléments indispensables à la constitution de sa propre démarche.
A l a lecture du référentiel d'activités et de compétences du diplôme
d'Etat de professeur de musique2, qui concerne toutes les disciplines, il apparait
que les champs d'application sont très étendus.
Tout d'abord, «être engagé dans un projet artistique personnel »3. Cela
suppose une réflexion sur sa pratique qui n'est pas toujours évidente pour un
enseignant en Formation Musicale, mais qui par ailleurs le revalorise en tant que
musicien à part entière. En effet, « maîtriser au moins une expression musicale et
entretenir s a pratique » e t « développer des expériences artistiques t a n t
individuelles que collectives »4 permettent au professeur de F M de trouver sa
place au sein de la programmation musicale de son établissement et de pouvoir
mettre en place des projets artistiques avec ses collègues instrumentistes.
Ensuite, «mettre en oeuvre un projet pédagogique », «organiser sa
réflexion pédagogique » et « mesurer les besoins, attentes e t capacités des
élèves »5 nécessitent une prise de conscience en profondeur et une bonne
connaissance du terrain. L'équipe pédagogique et l'expérience des collègues
prennent alors toute leur importance et permettent souvent de construire des
programmes pédagogiques plus cohérents répondant mieux aux nécessités de
l'établissement. L'« évaluation» et l'« orientation» des élèves6 deviennent alors
plus évidentes et, peut-on espérer, plus concertées a u sein d'une équipe
pédagogique élargie.
Ainsi, la nécessité d'« être acteur du projet pédagogique et artistique de
l'établissement » prend t o u t s o n sens, y compris dans s a « dimension
131
territoriale »'. Le rayonnement de l'établissement dans sa ville concerne tout
autant les classes de FM souvent associées à des projets «hors les murs », tant
dans les médiathèques, que les musées, hôpitaux ou maisons de retraites.
Dans l e référentiel de compétences apparaissent enfin des « savoirs
associés e t spécifiques p o u r l a Formation Musicale »8. N o t r e discipline
transversale demande des notions parfois assez approfondies dans différents
domaines d'application. La voix de l'enfant, qui est le fondement du cours de
FM, exige une attention particulière (connaissance physiologique, technique
vocale adaptée). Le professeur de FM doit bien entendu être à l'aise lui-même
avec sa voix pour pouvoir guider les élèves et donner des exemples pertinents. Il
est également appelé à accompagner régulièrement au sein de son cours, la
plupart d u temps a u piano. I l l u i f a u t donc avoir d e solides notions
d'accompagnement, d'harmonisation et même d'improvisation pour pouvoir
répondre aux différentes sollicitations de la classe, dans le feu de l'action.
La Formation Musicale suppose un enseignement collectif, ce qui peut
apparaître comme une difficulté, mais se révèle souvent être un atout et même
une force, préparant mieux les élèves à une pratique collective qui concerne la
plupart d'entre eux. Une «pratique élémentaire de direction d'ensemble vocaux
et instrumentaux »9 permet alors de mieux faire face à cette nouvelle exigence.
L'enseignement à un groupe est rarement abordé lors de l a formation des
enseignants. La psychologie d'un groupe est pourtant tout à fait particulière et
demande au moins un apprentissage souvent dispensé lors de tutorat, mais la
lecture d'ouvrages sur le sujet s'avère primordiale, afin de ne pas se laisser
déborder par des réactions intempestives d'élèves lors d'un cours.
Le dernier point que je souhaite aborder concerne le développement du
«lien entre l'écoute (le son) et l'écriture musicale (le signe) »Io, qui est le propre
de la Formation Musicale.
Cet aller-retour permanent entre l'entendu et le joué anime constamment
la pédagogie de l a FM. Depuis les premières années et l a découverte de
l'organisation de l'environnement sonore, jusqu'à l a formation de l'écoute
intérieure et l'aptitude à entendre une partition sans l'écouter, l a démarche
pédagogique est longue et passionnante. Cette éducation de l'oreille demande
une grande patience et une grande disponibilité tant de la part de l'élève que de
l'enseignant.. L'idée de s'approprier peu à peu la maîtrise du langage musical est
prometteuse mais parfois ardue. Chacun se forgeant sa propre stratégie, l e
professeur de FM est là pour guider cette démarche, encourager et conseiller sur
ce parcours parfois semé d'embûches et surtout de blocages. Le relevé d'une
oeuvre entendue donne une plus grande conscience de l'écriture et une plus
grande liberté d'accès à des répertoires parfois non édités. Même si la dictée
7 Ibid., p. 9.
8Ibid., p. 10.
9 Ibid.
I° Ibid.
132
musicale, tant décriée, a tendance à disparaître en tant que telle, cette formation
de l'oreille tant orale qu'écrite reste primordiale dans l'apprentissage du jeune
musicien et indispensable pour le futur professionnel.
La Formation Musicale est une discipline riche et variée, mais exigeante.
Elle requiert des besoins particuliers de formations liés à la polyvalence de
l'enseignement et à la gestion d'un groupe. Elle fait l'objet d'une perpétuelle
évolution et d'un questionnement parfois déstabilisant mais passionnant Elle
manque cruellement de nouvelles recrues solidement formées, alors que l a
demande des conservatoires s'accroit. Souhaitons que ce métier soit plus valorisé
et attire de jeunes pédagogues musiciens prêts à transmettre cette musique si
diverse.
133
FORMATION MUSICALE,
QUELQUES PARADOXES EN QUESTION
Bruno ROSSIGNOL
Si l'on analyse avec objectivité les arguments qui nous sont présentés
depuis des décennies pour pourfendre l'enseignement du solfège, puis de la
formation musicale «à la française », on observe un continuum que les pratiques
réelles viennent peu bouleverser.
Les principaux opposants à cet enseignement sont les parents d'élèves et
les enseignants des pratiques instrumentales, les défenseurs restant les
professeurs de la discipline, quelques directeurs et les musiciens ayant conservé
la nostalgie de leurs années d'apprentissage, pour peu qu'ils aient obtenu leur
certificat de solfège dans «la joie et l'allégresse ».
Parmi ces derniers, il est intéressant de noter le nombre important de
ceux qui ont suivi un parcours, que l'on qualifie prudemment d'atypique, qui leur
a permis de passer outre les dix années d'études requises par le cursus complet
proposé dans la plupart des conservatoires, se réservant des sessions de rattrapage
pour accéder au diplôme d'études musicales.
Partant de ces constats, l'objet de cet article est de porter un regard sur
les différents points de vue exprimés pour attaquer ou défendre l'enseignement
de l a formation musicale dans les parcours affichés par la majorité des
conservatoires français, d'en dégager certaines contradictions et d'apporter, à la
lumière d'expérimentations en cours, quelques propositions d'évolution.
135
limitant leur capacité à proposer à leurs élèves un champ musical varié. Combien
proposent une découverte d'esthétiques musicales différentes de celles qui
constituent leur fonds de répertoire ?
Paradoxale, car dans l e même discours, o n entend des enseignants
réclamer une formation musicale plus exigeante pour leurs élèves, démunis
devant des difficultés, notamment théoriques voire rythmiques, qu'ils estiment ne
pas être leur fonction de résoudre, et souhaiter que les programmes soient allégés
pour que ces mêmes élèves puissent se consacrer davantage à l'apprentissage
instrumental.
136
enseignants eux-mêmes. Cette lacune est constatable également dans la formation
desdirecteurs d'ensembles instrumentaux.
- Accentuer la perméabilité des enseignements constitutifs du cursus type :
instrument / formation musicale / pratique collective. Ce chantier donne déjà lieu
dans de nombreux conservatoires à un important travail de synthèse au sein
d'équipes constituées autour d'un objectif essentiel : donner le goût de la
musique dès les premiers temps d'apprentissage, en réservant les disciplines
théoriques à un moment où elles pourront être assimilées sans «bachotage »,
trouvant leur justification dans les progrès attendus face à une situation musicale
précise.
- Favoriser les concerts d'élèves de formation musicale, qui prouvent
d'une part que la démarche artistique est le principal moteur de la motivation
pédagogique, d'autre part que les professeurs de formation musicale sont des
musiciens à part entière.
137
rénové mais toujours perçu comme symbole du conservatisme des conservatoires
malgré les différentes réformes qu'il a connues. La formation musicale, que l'on
a trop souvent réduite à une discipline complémentaire, c'est l'ensemble du
cursus lui-même, c'est le chapeau qui recouvre tous ces dispositifs.
138
REGARDS SUR D'AUTRES PRATIQUES
TRADITIONS ET MODERNITE DE L'ETUDE DU SOLFEGE
AU CONSERVATOIRE TCHAIKOVSKI DE MOSCOU
Nino BARKALAYA
141
- l a Théorie élémentaire de l a musique de Sposobin, professeur au
conservatoire de Moscou ;
- l e Manuel d'harmonie de Dubovsky, Evseïev, Sposobin et Sokolov
(1965) ;
- L'analyse des oeuvres musicales de Maasel et Zukkerman (1967) ;
- l e Solfège de Kalmykov et Fridkyne ;
- 1 0 0 0 dictées de Ladukhin.
142
mémorisation rapide des oeuvres musicales, ainsi qu'à l'écoute simultanée des
voix et des instruments. La capacité de jouer et de chanter en ensemble est une
exigence des plus importantes au cours de l'étude instrumentale. Les interprètes
sont habitués à jouer par coeur, tandis qu'un travail vers la totalité du grand
répertoire est obligatoire pour tous les élèves des classes d'instrument.
Dans le domaine de la formation de l'oreille, de l'écoute et du rythme de
la musique classique et contemporaine, s'est développée une systématique sous
forme d'exercices proposés selon des programmes méthodiques et dans des
manuels. Les méthodes pédagogiques concernant le solfège se fondent sur des
traditions de l'école, mais aussi sur les recherches de théoriciens et professeurs
actuellement en fonction.
Le cours de solfège repose sur les éléments suivants :
- une méthode d'enseignement des disciplines « théoriques » destinée aux
enfants ;
- l a « grammaire » élémentaire de la musique ;
- les bases de l'écriture et la notation musicale (dictées, exercices divers) ;
- l e déchiffrage chanté d'oeuvres tirées d e répertoires anciens e t
contemporains ;
- des exercices de déchiffrage chanté en polyphonie ;
- des exercices mélodiques, rythmiques et polyrythmiques, harmoniques et
poly-harmoniques (solfège contemporain) ;
- des dictées mélodiques, rythmiques et harmoniques (de une à quatre
voix) ;
- des dictées timbriques (cours de « solfège contemporain » du professeur
Marina Karaseva, à Moscou) ;
- une analyse auditive et des dictées comportant des enchaînements
harmoniques jusqu'à 20/25 accords (école supérieure) ;
- l'improvisation dans différents styles (classique, romantique, d e
compositeurs comme Rachmaninov ou Scriabine, etc.) ;
- l'improvisation de préludes o u de fugues dans différents styles
(« stricte » de l'époque Renaissance ou plus « libre » de l'époque de J.S. Bach) ;
- des exercices comportant le déchiffrage chanté d'intervalles et d'accords
« inharmoniques », des mélodies, des échelles d'intervalles et accords dans les
différents systèmes harmoniques du XXe siècle, (« solfège contemporain » de M.
Karaseva, cf. infra);
- l'approche des cultures du monde, la connaissance, avec les exemples
appropriés, de mélodies et de l'harmonie de cultures différentes (par exemple les
modes grecs, roumains. ukrainiens, andalous, des pays du Caucase, des pays
d'Europe de l'Est, etc.) ;
- l'approche des répertoires ancien, classique et contemporain à travers des
exemples choisis dans les manuels pratiques et théoriques, y compris en chantant.
143
Les chorals sont obligatoires durant le cours de l'harmonie et sont
régulièrement utilisés dans le cours de solfège, notamment dans les dictées et
l'analyse auditive.
Un rapide développement du « solfège contemporain » entraîna certaines
difficultés quant à la méthodologie de la discipline. I l existait un risque de
redondances avec d'autres cours théoriques. Dans les années 1960, pour résoudre
ce problème, les professeurs du conservatoire Tchaïkovski de Moscou et du
conservatoire de Saint-Pétersbourg (Leningrad) avaient conçu un nouveau cours
de solfège comprenant des exemples de musique contemporaine de Prokofiev,
Chostakovitch, etc. L'analyse des structures et des systèmes harmoniques du XXe
siècle avaient permis la mise au point de cours tels que « solfège harmonique » et
« solfège polyphonique ».
« Le solfège contemporain » e n t a n t q u e discipline d'étude a u
conservatoire a pris forme avec les professeurs du cours de théorie musicale du
conservatoire Tchaïkovski, Yuri Kholopov et son élève Marina Karaseva, à partir
de l a fin des années 1980. L e catalyseur f u t un article intitulé « Comment
déchiffrer e t chanter l a musique d u X X e siècle — Méthode d u chant
contemporain », écrit par Kholopov en 1979, publié en bulgare (1984) puis en
russe (1985). Le résultat de ces recherches fut présenté dans un nouveau manuel :
Solfège contemporain, (Karaseva, 1996). Grâce aux efforts du professeur Marina
Karaseva, i l existe désormais un cours de « solfège contemporain » avec des
programmes conçus pour différents niveaux e t q u i sont utilisés p a r les
« collèges » et certaines écoles supérieures régionales.
Enfin, dans l e cadre des cours de « théorie », u n cours de solfège
interactif se développe actuellement, utilisant des ressources informatiques.
144
BIBLIOGRAPHIE CHRONOLOGIQUE
1930 (1947) B.V. Assafiev La forme musicale comme processus - en deux tomes
(B.B. Acae.en My3b1canbnasi tbopma xax nponecc (2 taimru)
145
1967 L . A . Maasel et V.A. Zukkerman L'analyse des oeuvres musicales
(JI.A. MaaBenb, B.A. 11,rucepmaii A l l a 1 1 1 4 3 myablicaribilLIX
npollaBei_ieimii)
Le solfège russe
146
2001-2009 M . V. Karaseva Programmes d'étude du solfège dans les écoles
supérieures (bac +4) e t des facultés (composition, musicologie,
direction d'orchestre, (M. B. Kapacëua llporpaMMbl npenonasamtg
convflen)Ruo B By3ax r i o criennalnatocTstm: «Komno3nunsi»,
«Mymixoue,genne», «Aupkomponanme». «My3LIKO3HaliHe 14
my3b1caubno-npuxnantioe FICKyCCTBO» (6axananpuar))
Liens Internet
http://nv.mosconsv.ru/wp-content/media/03_1carasiova_marina.pdf
http://mosconsv.ruku/publication.aspx?id=122554
http://mosconsv.ruku/person.aspx?id=8816
147
L'ENSEIGNEMENT DE LA
FORMATION MUSICALE EN FINLANDE
Antonin SERVIERE
Pédagogie... ou démagogie ?
149
cela aboutit également à une complaisance vis-à-vis des élèves et de leur niveau.
Car, à force de se préoccuper de leur confort et de leur confiance, on en oublie
l'exigence. Cette obsession du « bien-être » sert ainsi parfois de porte ouverte à
toutes sortes de dérives de comportement — en particulier de la part des parents —
aboutissant à une surprotection de l'enfant. Tout est fait pour le « confort » de
l'élève, aussi bien dans les situations d'apprentissage (on n'hésite pas à simplifier
à l'extrême l'exercice proposé plutôt que de demander plus d'effort), que dans les
conditions matérielles (beaucoup de classes de FM disposent ainsi de poufs et
autres coussins afin que les élèves puissent se « détendre » pendant l'écoute
d'une œuvre ou entre différentes activités...). Dans le même ordre d'idées, les
situations d'évaluation sont presque systématiquement considérées comme
« stressantes » pour les enfants et sources de traumatismes potentiels. Il en résulte
qu'elles sont évitées a u maximum, o u bien simplifiées, ajournées, voire
supprimées. Tout doit être facile et agréable. Conséquence de cette vision : si un
élève décide de ne pas faire un examen, ressentant un sentiment d'appréhension
devant l'échéance o u face au cap à franchir, i l ne l e fait pas. L a grande
préoccupation des directeurs et directrices d'école de musique est avant tout que
leurs élèves viennent avec « plaisir » en cours, qu'ils trouvent l'ambiance
« sympathique »... e t q u e leurs parents soient contents. L a culture e t
l'augmentation du niveau musical des élèves passent clairement au second plan,
même si cela n'est bien entendu jamais dit ouvertement. Les cours sont de
quarante-cinq minutes, et seulement de trente minutes pour les élèves inscrits en
« cours libres », ceci quel que soit leur âge.
Pour un professeur issu du système d'apprentissage français, i l est
possible de juger les Finlandais, de manière générale, assez peu exigeants du
point de vue de la technique musicale. Tous les enseignants ne pratiquent pas la
solmisation e t utilisent des méthodes d'apprentissage d e l a musique très
différentes (parfois même les plus farfelues), ce qui crée des niveaux très
disparates dans tout le pays. La lecture de notes n'est guère poussée, les dictées
encore moins. À titre d'exemple, la reconnaissance des intervalles ne se fait
qu'en nommant sa qualité (par exemple, «quarte juste »), sans jamais deviner
une note par rapport à une première, et ce quel que soit le niveau. De même, la
battue de la pulsation n'est pas corrélée au geste correspondant (comme on le
ferait en direction d'orchestre), mais simplement en tapant les temps avec un
crayon sur la table (il est vrai que cette pratique en « demi-mesure », si l'on peut
dire, est également beaucoup utilisée en France aussi, au moins durant les
premières années d'apprentissage, chose que l'auteur de ces lignes regrette
ouvertement).
Enfin, i l faut rappeler que les Finlandais sont très patriotiques. Ils sont
fiers, à juste titre bien sûr, des performances de leur « petit » pays au sein de
l'Union européenne e t dans l e monde en général. I l s savent investir dans
l'exportation de leur culture et, surtout, soutenir ceux qui réussissent. Mais
beaucoup d'enseignants finlandais, après s'être félicités devant les caméras des
150
bons résultats de leur système éducatif, se plaignent aussi du manque d'autorité
et de considération de la part à la fois des parents et de leur tutelle, conséquence
collatérale de leur conception de l'enseignement. Enfin, l a situation des
enseignants est très précaire : presque les deux tiers d'entre eux ne sont pas
titulaires de leur poste et leur salaire est très peu élevé compte tenu du coût de la
vie en Finlande. Les professeurs de formation musicale n'échappent pas à la
règle, et sont ainsi partagés entre la fierté d'un système sain, efficace, qui donne
ses chances à tout citoyen désireux d'apprendre et de pratiquer la musique, et la
volonté—parfois frustrée—de nourrir des projets plus ambitieux artistiquement.
151
QUINZE ANS DE FORMATION MUSICALE
EN BELGIQUE FRANCOPHONE
Pierre KOLP
Résumé
Introduction
I Chapitre V de la loi du 29 mai 1959 (révisée le 19 juillet 2010) publiée au Moniteur belge le 31
août 2010.
153
population adulte) fréquentent l'enseignement musicale. Les communes dans
lesquelles i l n'y a pas d'enseignement artistique subventionné sont, à deux
exceptions près, semi-urbaines o u rurales (moins d e 10.000 habitants).
Cependant, le fait d'habiter la commune n'est pas une condition restrictive à
l'inscription dans une académie ; de même, il y a toujours une implantation à
moins de 25 km de tout lieu d'habitation. Donc, somme toute, l'enseignement
musical subventionné est facilement accessible (d'autant plus que l'enseignement
artistique est gratuit pour les enfants de moins de 12 ans, initialement afin de
compenser la carence des formations artistiques de base dans l'enseignement
primaire).
Principes généraux
154
La formation musicale dans le système éducatif belge
155
musicale, pas seulement instrumentale ou vocale, mais aussi en termes de
perception et d'appréhension des cultures.
La filière de qualification n'est accessible qu'à la réussite de la filière de
formation. Elle vise un approfondissement des matières étudiées en filière de
formation afin de rendre l'élève autonome et apte à transférer ses connaissances
(savoirs) dans des situations diverses où sa créativité lui permet de manipuler les
savoir-faire afm de se forger une identité culturelle (penser, produire, reproduire).
Cette filière, aussi divisée en cours enfants ou adultes, permet aux écoles de
donner entre 80 et 240 périodes de cours supplémentaires, qualifiantes après une
ou deux années d'études.
La filière de transition, accessible dès 11 ans, sur la base de la réussite de
la filière de formation et de conditions d'admission définies par chaque école,
vise expressément à préparer les élèves à l'enseignement supérieur artistique (à la
différence des humanités artistiques) ; à cet égard, l'enseignement dispensé doit,
d'une part, stimuler un degré de maîtrise dans divers langages musicaux et,
d'autre part, approfondir les études des filières de formation et de qualification.
Pour cela, cette filière comporte au minimum 360 périodes de cours réparties sur
trois années d'études (cycle court) ou au maximum 600 périodes sur cinq années
d'études (cycle long).
Soulignons que les filières de formation et de qualification doivent être
obligatoirement proposées d a n s toutes l e s académies recevant l e
subventionnement de l'Etat, mais il n'y a aucune obligation d'organiser la filière
préparatoire (94% des établissements la prévoient) ou la filière de transition
(47% des académies la planifient). C'est dire que l'Etat subventionne, pour
chaque académie, des cursus de minimum 400 heures et de maximum 1000
heures de cours de formation musicale.
L'enseignement supérieur artistique constitue le cinquième et dernier
niveau organisant des études musicales où le cours de formation musicale est
dispensé, mais ce niveau n'est accessible que sur la base de la réussite à un
examen d'admission pour des élèves ayant l e certificat de f i n d'études
secondaires supérieures (à 18 ans). Les Ecoles supérieures des arts (les
«Conservatoires royaux» y sont assimilés) o n t e n charge c e type
d'enseignement et délivrent les grades de Bachelier ou de Master, sur base du
Protocole de Bologne e t d u décret organisant l'enseignement supérieur
artistique6. Il n'existe pas d'école supérieure des arts doctorante en musique, hors
université. Par contre, depuis 2002, le Master didactique en écriture et théorie
musicale, option formation musicale, est spécialement conçu pour la fonction de
Professeur de formation musicale. En Belgique, ce master est un titre reconnu
pour accéder à l a profession, soit e n humanités artistiques, soit dans
l'enseignement à horaire réduit. Mais, avec une population de moins de 0,3% des
élèves inscrits dans l'enseignement supérieur artistique, ce Master didactique en
6 Décret du 20 décembre 2001 fixant les règles spécifiques à l'enseignement supérieur artistique
publié au Moniteur belge le 3 mais 2002.
156
formation musicale connaît peu de succès malgré la pénurie d'enseignants dans
ce secteur et malgré le profil de compétences professionnels et pédagogiques
délivré et adapté au métier (les diplômés sont capables de mobiliser leurs
connaissances artistiques et leurs compétences pédagogiques, de maîtriser la
complexité ainsi que de formuler des opinions, des jugements critiques ou des
propositions à partir d'informations incomplètes ou limitées, en y intégrant une
réflexion sur les responsabilités sociétales, scientifiques, techniques, artistiques,
éthiques et éducatives). Le cahier de charges, les programmes de cours et les
référentiels professionnels appartiennent à l'autorité académique, pédagogique et
artistique de chacune des quatre Ecoles supérieures des arts organisant cette
formation. Le présent exposé ne prétend pas en rendre compte, d'autant que le
processus de révision du paysage de l'enseignement supérieur en Belgique
francophone, entrepris depuis 2010, vient de se conclure par le « décret-
paysage » qui entre en application en septembre 2014. Ce décret modifie en
profondeur les études supérieures artistiques. La suite de notre présentation ne se
rapporte donc plus à ce niveau d'enseignement'.
a. Objectifs d'éducation
7Pour plus de détails, le lecteur peut se référer au dossier consacré au Master didactique en
formation musicale publié dans Conseil de la Musique de Belgique (éd.) (2010), Orphée Apprenti,
NS2, Bruxelles, pp. 120-131.
8Les valeurs éducatives sont principalement du ressort des pouvoirs organisateurs, à travers leur
projet éducatif. Ce projet éducatif n'est pas seulement applicable aux académies mais à tous les
établissements d'éducation placé sous l'autorité d'un même pouvoir organisateur (de l'école
maternelle à l'enseignement supérieur). Dans les faits, le projet éducatif est valable pour plusieurs
157
de divers moyens et formes d'expression artistique, volonté d'amener tous les
élèves à s'approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent
aptes à apprendre et à prendre une place active dans la vie sociale, culturelle,
notamment par un enseignement mettant en valeur l'autonomie, la responsabilité,
la pluralité et l'ouverture aux autres cultures ;
2) l'éducation musicale : éducation au monde sonore en général,
affinement sensoriel et moteur, reconnaissance des cultures ;
3) le niveau des études : initiation, études de base, approfondissement et
qualification, perfectionnement e t préparation aux exigences d'études de
l'enseignement supérieur.
pouvoirs organisateurs (ainsi, l'ensemble des villes et des communes disposent du même document
et l'ensemble des associations partent d'un cadre commun). Les différences entre les projets
éducatifs émanent généralement de l'expression des convictions philosophiques qui animent les
pouvoirs organisateurs libres, ce qui ne peut être le cas des municipalités qui doivent, par la loi,
observer la neutralité.
158
dire l'acquisition d'un référentiel de compétences à maîtriser) qui doit guider les
procédures de certification au terme des études.
Ici surgit la principale complexité rencontrée sur le terrain. Elle pourrait
se résumer en une « impréparation » des équipes professionnelles et une
« incohérence » du cadre légal.
D'abord, au niveau de son organisation fonctionnelle, le cours de
formation musicale reste obligatoire pour tout instrumentiste ou chanteur (y
compris e n jazz, e n musique ancienne, e n musique traditionnelle o u
patrimoniale). Et donc, les souhaits que d'aucuns ont pour ce cours, dans les
équipes pédagogiques, restent implicitement les mêmes que ceux q u i
concernaient le solfège. Par le fait que ces attentes soient maintenant devenues
implicites, nous sommes bien obligés de déduire que le cours de formation
musicale est placé, dans l'environnement de l'école, dans des situations de
malentendus, pour ne pas dire d'amalgames et de confusions.
De plus, cette ambiguïté se renforce d'autant plus que les exigences
pédagogiques imposées par le décret de 1998 ont été très insuffisamment
préparées. Le référentiel de compétences9 n'est rédigé qu'avec grand retard et est
rendu disponible en 2005, soit sept ans après le décret, alors que l'ensemble des
programmes de formation musicale est déjà approuvé par le gouvernement (et
d'ailleurs ces programmes restent toujours approuvés, donc ils sont en dehors de
ce cadre référentiel). Ainsi, les programmes approuvés avant 2005 et appliqués
dans les écoles ne sont toujours pas orientés sur la pédagogie par compétences
voulue par le législateur : en un sens, ils sont soit obsolètes, soit en incohérence
avec le prescrit légal.
d. Synthèse
9http://www.ecoles.cfwb.be/acadintercsjtn/ESAHR_r%C3%A9f dom_musique.pdf
(consulté le 25/05/2014).
159
significatif". Autre exemple, le Conseil de la Musique de Belgique va publier,
fin 2014, les résultats d'une large enquête externe, basée sur les « usagers » (les
élèves) du cours de formation musicale «nés dans la formation musicale », c'est-
à-dire n'ayant jamais connu le solfège traditionnel. Cette publication" permet
aux professionnels de prendre connaissance de l'impact de ce cours dans le
ressenti formatif, éducatif et artistique des élèves eux-mêmes, ceci allant dans le
sens de construire un enseignement participatif où les élèves deviennent acteurs
de leur apprentissage.
L'héritage : le solfège
160
toute évidence, nous sommes tous emportés par cette vague sans nécessairement
en avoir pris conscience. Cette étude démontre que ce n'est pas le fait d'avoir
changé le vocabulaire qui entraîne un changement des contenus et des pratiques.
Perspectives
Conclusion
161
En examinant, sur ces quinze dernières années, le contexte général dans
lequel s'est déroulée la mutation du solfège vers la formation musicale, puis en
analysant le processus d'élaboration du cours de formation musicale, nous
mettons en évidence les difficultés, les défis et les atouts qui contribuent à
l'identité d'un cours touchant à la diversité des musiques étudiées dans les
académies belges.
A l'heure actuelle, si chaque école applique son propre programme de
cours, la loi régule les apprentissages en définissant une série d'objectifs et de
socles de compétences communs à atteindre. Les prospections portent sur une
réorientation générale du cours de formation musicale à partir de compétences
transversales (autonomie de l'élève dans le transfert de ses connaissances et
aptitude créative à manipuler des savoir-faire dans une identité culturelle), ceci
afin de répondre aux exigences sociétales (une culture pour tous) et humaines
(une culture pour chacun) actuellesI4 auxquelles la Belgique adhère.
162
L'ENSEIGNEMENT DE LA FM EN BELGIQUE
Michel JASPAR
Prélude
163
tradition anglo-saxonne du Révérend Curwen (pays germaniques ou Kodàly en
Hongrie par exemple), la France et, dans son sillage, d'autres pays latins et/ou
voisins, continuaient à porter un culte à la « trinité » susmentionnée, privilégiant,
entre autres conséquences, les possesseurs de la très précieuse « oreille absolue »,
sésame pour certaines des plus spectaculaires et acrobatiques épreuves de
concours jalonnant le parcours solfégique. Nous y reviendrons...
C'est presque d'un même tempo que, des deux côtés de la frontière, s'est
développée une réflexion, suivie d'une remise en cause profonde, par quelques
musiciens-pédagogues, de cette discipline académique. Il faudra cependant vingt
ans de plus en Belgique qu'en France pour que cela se formalise dans la loi.
On ressentit l'influence des principes de l'Education Nouvelle et des
méthodes dites « actives », traduites dans le domaine de la pédagogie musicale
par l'oeuvre des Jaques-Dalcroze, Martenot, Orff, Kodàly et Willems, ainsi qu'un
certain souffle « post-soixante-huitard » vers l'espérance de lendemains chantant
plus juste.
Ainsi, des forces vives de nos institutions respectives formulèrent les
propositions d'une « formation musicale » qui, sans renier complètement
l'héritage du solfège, élargirait l'apprentissage à une dimension où la musique
(re)trouverait une place centrale. Elles misent notamment sur la qualité artistique
et l a transversalité (solfège/instrument, lecture/audition/production/créativité,
musique classique occidentale/autres musiques) plus que sur la performance
technique et l'exclusivité des cours.
Henri Pousseur, qui a participé à cet élan en France (mise sur pied de
l'IPMC La Villette, organisation de colloques de pédagogie musicale, fondation
de la Revue Marsyas), est aussi à cette époque le directeur du conservatoire de
Liège qui tente d'insuffler à son équipe pédagogique ce renouveau, tant et si bien
que l e jeune étudiant que j e suis se voit contaminé par les vibrations
enthousiasmantes de cette mutation, via le cours de méthodologie spécialisée du
solfège', tout récemment créé.
Nous sommes du reste déjà invités à substituer l'expression «formation
musicale » à celle de « solfège », bien avant le décret qui, une dizaine d'années
plus tard, officialisera la chose.
De nombreux colloques et débats ont lieu durant les années qui suivent et
diverses expériences voient l e jour, à l'initiative des inspecteurs d e
164
l'enseignement artistique et avec la collaboration de quelques établissements
(appelés «académies-pilotes »), qui donnent l'occasion de constater à la fois les
difficultés e t les bénéfices d'une réforme, désirée par certains milieux
pédagogiques musicaux et crainte par d'autres.
C'est ici l e moment de rappeler que l a Belgique vit depuis une
quarantaine d'années au rythme de ses multiples réformes de l'Etat, au f i l
desquelles les trois Communautés linguistiques voient progressivement leurs
destinées diverger, en dépit d'une histoire jusque là façonnée de manière
commune et donc assez similaire. Nous reviendrons plus tard sur les spécificités
actuelles des autres Communautés, mais exposons à présent les aspects essentiels
des réformes d u cours de F M en Fédération Wallonie-Bruxelles, entité
regroupant les Belges francophones.
Modulations
Filière de
DETERMINATION
' e"o4,
Degré
d'Orientation
Degré
d'Observation
Degré
165
« trente glorieuses » et tentait d'arracher de cette pratique, ou du moins atténuer,
l'image élitiste qui lui colle à la peau.
Un élève allant jusqu'au bout de son parcours de FM est donc amené à
suivre de cinq à sept années de cours à raison d'une heure quarante minutes par
semaine en moyenne, s'il opte pour la filière de qualification, tandis que cela peut
aller jusqu'à dix ou douze années s'il emprunte la filière de transition, avec un
horaire plus chargé à la fin, sans compter d'autres cours qu'il est obligé de suivre
en sus (écriture ou histoire de la musique, etc.).
A ceux qui s'étonneraient de la grande quantité d'heures de cours
dispensés en académie, il faut rappeler la situation peu enviable de la musique à
l'école générale dans notre pays (enseignements maternel, primaire et secondaire,
de l'âge de 3 ans à 18 ans). A l'exception de quelques lieux où des initiatives
individuelles bien inspirées ou d'efficientes collaborations avec des institutions
musicales existent, l'acculturation musicale s'effectue principalement de manière
passive.
Une heure de musique en première année d'école secondaire (en principe
généralisée mais, dans les faits, garantie ni dans sa réalité ni dans sa qualité) et
quelques rares traditions populaires locales survivantes (chorales, harmonies,
fanfares, surtout en milieu rural) ne suffisent pas à endiguer l'indigence
inexorable en termes d'exposition active au langage musical, à côté de la
déferlante de la « culture en boîte », arrosée grâce à la connivence des médias
mercantiles.
Une autre nouveauté de taille est le changement de vocable (« formation
musicale »), ce qui, pour les acteurs du terrain déjà acquis à cette cause, n'est
qu'une légitimation de leur récent credo, mais est accueilli avec indifférence,
quand ce n'est pas avec raillerie, par des enseignants réfractaires.
Il en bouleverse des routines pédagogiques, ce décret de 1998 ! En effet :
- instauration des cours d'instrument en semi-collectivité en lieu et place
des traditionnels cours individuels ;
- diminution du temps de cours, non seulement par le regroupement, en
cours serai-collectifs, de deux, trois voire plus d'élèves pour une période de cours
instrumental, mais aussi par l'abaissement de soixante à cinquante minutes de
cette période, que ce soit pour l'instrument ou pour la FM ;
- limitation des moyens financiers (politique dite « de l'enveloppe
fermée »), ce qui ne laisse pas de jeter la suspicion, auprès du corps enseignant,
quant aux motivations réelles de cette réforme prétendument pédagogique.
166
Celles de « donner aux élèves les moyens et formations leur permettant
d'atteindre l'autonomie artistique suscitant une faculté créatrice personnelle » et
d'« offrir un enseignement préparant des élèves à rencontrer les exigences
requises pour accéder à l'enseignement artistique de niveau supérieur » n'arrivent
qu'en deuxième et troisième places.
Une autre implication du décret de 1998 est encore la consécration du
concept de compétences, ce qui, comme dans les autres domaines de la
pédagogie, plaide pour un apprentissage centré sur les processus plutôt que sur
les contenus.
De plus, le travail de quatre « compétences générales ou transversales »
sont attendues à chaque moment pédagogique : l a maîtrise technique,
l'intelligence artistique, l'autonomie et la créativité. Le travail fourni par certains
types de cours se résume parfois dans la seule première de ces quatre
compétences générales. La réflexion sur l'assimilation des trois autres dans le
quotidien des professeurs de FM (et d'instrument aussi, d'ailleurs) nous donne
encore du grain à moudre pour un long moment !
La plupart de ces évolutions, allant de soi pour ceux qui n'ont pas attendu
le décret pour s'en soucier, entament les certitudes et surtout les habitudes d'une
longue tradition. Elles alimentent toujours moult discussions en classe, dans les
salles de professeurs, les conseils pédagogiques et les sessions de formation
continuée, depuis maintenant plus de quinze ans !
Strettes
2HENNION, Antoine (1988), Comment la musique vient aux enfants, Une anthropologie de
l'enseignement musical, Paris, Anthropos.
3pp. 23-24.
167
(obligation pour tous les instrumentistes et chanteurs de le suivre, volumes
horaires plus ou moins identiques), de grands changements dans les pratiques
pédagogiques ne pouvaient être attendus, de la part d'un corps professoral dont la
majorité des membres ont été formés uniquement par le solfège et dont un grand
nombre encore, à cette époque, n'a pas reçu la moindre formation didactique
spécifique, l e cours de méthodologie (didactique) étant encore jeune e t
l'obtention d'un diplôme de ce type n'étant toujours pas requise pour enseigner la
FM. Entretemps, des référentiels de compétence, rédigés par des experts, sont
venus au secours des enseignants disposés à mettre leurs cours plus en
adéquation avec l'esprit de la réforme.
Comme souvent, une réforme ne peut réellement s'actualiser et, peut-être,
se généraliser qu'après un lent processus, où les effets de multiples facteurs se
font progressivement ressentir. Ainsi, l'Enseignement Supérieur Artistique
(conservatoires royaux et IMEP4), dont le rôle essentiel dans ce processus tombe
sous le sens, connaîtra plusieurs réformes, lui aussi, dans le cadre du processus de
Bologne, mais après celle de l'enseignement à horaire réduit, avec deux
conséquences :
1) La transformation du cours de solfège en FM, à ce niveau supérieur, se
fait ou non, selon le degré d'adhésion à cette nouvelle philosophie et ces
nouvelles pratiques des enseignants et/ou de la direction de chaque établissement,
ce q u i crée parfois d e troublants décalages entre les deux niveaux
d'enseignement, dans les deux sens. I l peut arriver, par exemple, qu'un
établissement supérieur intégrant dans son cursus la FM juge des postulants
comme trop experts dans des acrobaties solfégiques « à l'ancienne » e t
possesseurs de lacunes, en revanche, dans d'autres compétences (autonomie,
créativité), tandis qu'un second sera déçu que des élèves se présentent sans les
pré-requis nécessaires à sa formation solfégique.
2) Les filières didactiques des quatre institutions francophones n'ont pas
toujours répondu de manière unanime aux évolutions, ce qui a donné lieu, pour
un temps, à une sorte de « géographie différenciée » des pratiques pédagogiques
de la FM. On peut maintenant se réjouir d'une plus grande complicité en la
matière.
168
chaotique dans ses effets observables, en dépit des intentions louables qui y ont
présidé. Une des conséquences les plus tangibles est le désarroi de pas mal
d'enseignants et de directeurs d'académies, face à la grande hétérogénéité des
pratiques en cours et des demandes émanant des établissements supérieurs, face
aussi aux contingences structurelles des écoles (la politique budgétaire de
P« enveloppe fermée » oblige les nombreuses institutions à « la jouer très fine »
dans un « marché » où i l devient impératif de stabiliser ou d'augmenter sa
population, avec ce que cela implique de compromis(sion?) entre l'attachement à
des valeurs culturelles et la prise en compte des souhaits des « usagers/clients »5).
A noter également une perte croissante de repères quant aux compétences
travaillées, une certaine anarchie régnant au niveau des programmes de cours et
des supports (vide infra).
L'absence totale d'un programme minimum et homogène de contenus
crée des discordances d'un établissement à l'autre, voire d'un professeur à l'autre
dans un même établissement. Des cas singuliers d'élèves changeant de professeur
ou d'institution en cours d'apprentissage sont parfois, à ce titre, révélateurs.
5Sans parler de la concurrence, de plus en plus agressive, des écoles privées pour lesquelles
l'absence d'examen et de solfège sont les atouts d'un apprentissage « sans douleur » !
6- l'Institut Jaques-Dalcroze de Bruxelles, par exemple, assure une formation de qualité mais qui ne
débouche pas sur l'obtention d'un titre suffisant pour l'enseignement de la FM. Seul un cours
intitulé «rythmique et mouvement » peut être attribué aux détenteurs d'un diplôme de cet institut !
On peut regretter ce fait et espérer que le plus grand nombre possible de professeurs de FM
complète sa formation au sein d'une telle institution, car les apports psychomoteurs, rythmiques et
spatiaux dalcroziens font peu de doute ;
- des associations Kodâly et Willems existent et certains de leurs membres sont actifs dans
l'enseignement de la FM, avec plus ou moins de bonheur. La tentative d'instaurer la solmisation
relative kodalyenne, dans une académie wallonne, a échoué devant la difficulté d'adaptation des
collègues instrumentistes du téméraire pédagogue. Dans un même ordre d'idée, les partisans d'une
méthodologie basée sur les principes d'Edgar Willems se heurtent parfois à la rigidité conservatrice
de leur direction ou de leurs pairs ;
- l'influence d'Orff est moins palpable encore chez nous, en dehors de l'utilisation, assez fréquente,
de l'instrumentarium qui porte son nom ;
- quant à Martenot, il a imprégné la formation des étudiants qui auront accompli leur cursus au
Conservatoire de Mons, dont le professeur de méthodologie était un disciple fervent de sa
pédagogie.
169
méthodes dispensées telles quelles n e s o n t finalement rencontrées
qu'occasionnellement, mais il est observé plutôt des pratiques qui empruntent,
dans l'esprit ou la technique, à ces écoles, et qui enrichissent des cours de facture
plus traditionnelle. En outre, il faut souligner l'apport considérable de trois autres
pédagogues, belges tous les trois, qui ont oeuvré à l'évolution positive du cours de
FM :
- Jacques Fourgon
Sous l'impulsion rénovatrice d'Henri Pousseur, il a formé, à Liège, un
grand nombre de professeurs de FM. Le privilège donné à l'approche sensorielle,
surtout dans l'éveil préparatoire à l'apprentissage de la lecture, l'abord de la
lecture fondé sur une différenciation des paramètres et sur une oreille davantage
explicitement relative (tonale, modale et atonale) qu'absolue, ainsi que la part
importante allouée à l'improvisation et aux musiques nouvelles, impriment
toujours maintenant une certaine singularité aux enseignants diplômés à Liège.
- Jean-Claude Bartsoen
Sa méthode « Créatif-Global » e s t u n e approche véritablement
« structurale » de la musique, qui met au premier plan l'imprégnation et la
compréhension de la musique par sa structure tonale, son harmonie et la
dimension syntaxique du discours musical ; ses références constantes sont
puisées dans le répertoire vivant de notre patrimoine classique et populaire
occidental. I l a, lui aussi, formé des professeurs, toujours en activité dans
quelques académies du pays.
- Jean-Jacques Cambier
Il a rédigé, en 2007, un ouvrage' des plus précieux sur les aspects
cognitifs relatifs à l'apprentissage de la lecture et de l'audition solfégiques, en
lien avec les socles de compétences préconisés par le décret. Ce travail
remarquable est le fruit d'une longue expérience mariée à une mûre réflexion, et
se trouve étayé par de très nombreuses références scientifiques, en psychologie
générale ou musicale. Il est aussi explicité par deux volumes didactiques très
riches, malheureusement plus édités, mais qui connaissent une sorte de
« renaissance » actuelle grâce au logiciel dont il sera question plus bas.
Partitions
170
et/ou directeurs eux-mêmes. I l est possible d e rencontrer maintenant,
indifféremment, toutes sortes de matériaux :
- d'anciens manuels, comme ceux décrits ci-dessus, ont toujours leurs
défenseurs ;
- des recueils d'extraits du répertoire, assortis ou non d'exercices divers,
ont vu le jour, à l'image des ouvrages nous arrivant de France, mais adoptés
souvent avec réticence par le public belge ;
- plusieurs manuels, qui nous viennent de la Communauté flamande,
séduisent actuellement par l a modernité stylistique e t par les C D les
accompagnant, permettant ainsi une certaine coloration d u cours e t u n
prolongement du travail à domicile ;
- certains enseignants, profitant de la liberté pédagogique qui leur est
accordée, constituent, en équipe (au sein d'une académie) ou individuellement,
leur propre cours, tantôt en rédigeant un manuel personnel, fruit de leur créativité
musicale ou d'une récolte de morceaux et extraits de provenances variées, tantôt
en adaptant presque au jour le jour le matériel aux besoins, aux demandes des
élèves et/ou à l'actualité (projets interdisciplinaires, spectacles, etc.).
171
Variation 2 : alla fiaminga
172
Si la formation dans les cinq blocs est obligatoire, les stages, eux, sont à
choisir dans trois des cinq disciplines. Les professeurs d'instrument auront donc
tous réalisé des stages pratiques dans l'un ou l'autre des trois types de cours
généraux, mais i l ne s'agit pas à proprement parler d'une spécialisation.
L'avantage nous semble être le fait que les professeurs de FM sont des musiciens
pratiquant et enseignant un instrument (nous verrons plus bas tout le bien à
penser de cet état de fait). L'inconvénient est que la formation spécialisée est
moins volumineuse.
Une dernière spécificité de l'enseignement musical en Flandre, purement
technique, mais qui a peut-être son importance dans la « valeur » estimée par le
public de l'apprentissage reçu, est que son accès y est lié au paiement d'un droit
d'inscription dès l'âge minimum requis (8 ans). Ce droit d'inscription existe aussi
dans la partie francophone du pays mais n'y concerne que les élèves de 12 à 17
ans, pour lesquels il est peu élevé, puis ceux de 18 ans et plus, pour lesquels
celui-ci devient plus conséquent. Le temps n'est d'ailleurs pas très éloigné où tout
l'enseignement artistique était gratuit.
Malinconico e sognando
173
La musicothérapie est assez à la mode, mais le travail de recherche, en
amont, est aussi des plus excitants et des plus nécessaires. Des collaborations
entre établissements supérieurs d'enseignement artistique et universités ne
doivent-elles pas être encouragées afin d'édifier ce pont qui fait défaut entre la
pratique et la recherche ?
Ainsi, pour ne prendre qu'un exemple—qui me tient particulièrement à
coeur— du profit que pourrait tirer de la science la recherche pédagogique en
FM : de plus en plus de processus de perception et de production musicales sont
décrits grâce aux neurosciences et à leurs méthodes toujours plus spectaculaires
et fiables (description de troubles, techniques d'imagerie cérébrale, etc.).
Mes préoccupations pour les processus différenciés de types absolus et
relatifs me conduisent à des hypothèses (qui demandent, bien sûr, de solides
confirmations expérimentales) concernant la variabilité des stratégies cognitives
dans plusieurs catégories de performances, non seulement de « perception »
(reconnaissance facilitée, par des processus absolus, du nom des notes mais, en
revanche, perception parfois déficitaire de l a courbe mélodique ou de
l'expressivité d'une mélodie), mais aussi de « production » (n'est-il pas beaucoup
plus aisé de chanter à vue des notes, avec le « feed-back » immédiat de son
oreille absolue, même exclusivement passive ?). Une bonne compréhension de
ces différents « profils » ne nous amènera-t-elle pas à enseigner de manière
différenciée aux oreilles absolues et aux autres ? A ceux qui grimacent devant
cette éventualité, j e réponds que dans bon nombre d'autres disciplines
didactiques (langues, mathématiques, etc.), il est de plus en plus question de
« styles cognitifs » et émerge, de par l'intérêt pour les processus, une
« individualisation » croissante des apprentissages. La conception du logiciel
décrit plus bas oeuvredans cet esprit.
Le litige, réactivé de manière récurrente, entre certains enseignants de
formation instrumentale et leurs collègues de FM est résumé dans le fameux
« Mais qu'est-ce qu'ils font au cours de FM ? ».
Nonobstant les dénégations de certains, le décret consacrant la formation
musicale n'autorise plus à concevoir ce cours exclusivement comme un serviteur
soumis à l'apprentissage instrumental. Le débat que je provoque régulièrement au
sein de mes classes de formation pédagogique sur ce thème (futurs professeurs
d'instrument ET de FM mélangés) donne toujours un presque parfait 50/50, entre
ceux qui tiennent à la servilité du cours de FM à l'égard de l'instrument et les
défenseurs d'une formation autonome, même si complémentaire. La seule issue
est une poursuite du dialogue (de très frileux, aujourd'hui, dans certains cas, à
déjà très productif, heureusement, dans d'autres cas) entre les deux
« corporations ».
Les « systèmes D » tels que la mise au point d'un vocabulaire ou d'un
répertoire communs, la collaboration suscitée par des projets interdisciplinaires et
de fréquents échanges au sujet des élèves partagés sont des classiques, mais qui
font leurs preuves là où ils sont appliqués et qui tardent malheureusement encore
174
à se généraliser. Une interrogation revient régulièrement sur les raisons
psychologiques de la distance parfois très grande entre ceux qui ne sont
qu'instrumentistes et ceux qui ne sont « que professeurs de FM » (et donc, pas
toujours musiciens pratiquants, ce qui peut poser question).
Ne pourrait-il pas se révéler, d'une part, des corrélations entre activités
professionnelles (professeur d'instrument ou de FM) et profils cognitifs, et,
d'autre part, une relation de cause à effet entre ces singularités et la difficulté
qu'ont parfois les deux groupes à s'entendre ? Il est, à ce titre, réjouissant de voir
le nombre, en augmentation, de candidats «professeurs de FM » qui sont déjà
instrumentistes accomplis ou, mieux encore, également didacticiens d e
l'instrument. Ils représentent un des ferments les plus prometteurs d'un dialogue
fructueux entre les deux discipliness.
D'autres idées, plus saugrenues peut-être : obligation, dans la formation
et dans la pratique professionnelle, d'assister, de manière régulière, à des
séquences pédagogiques de l'autre domaine, voire d'y intervenir. L'utilisation de
l'instrument a u cours de F M nous semble aussi déterminante pour l a
transversalité souhaitée entre les deux cours. Elle existe parfois, de manière
occasionnelle et, plus rarement, de manière systématique au sein de certaines
classes. N'est-ce pas là, pourtant, la façon la plus légitime et la plus probante de
résoudre le différend en justifiant la complémentarité des deux cursus ? Une
dernière idée, enfin : donner une solide formation de didactique en FM aux futurs
enseignants de formation instrumentale, afm qu'ils puissent, dans le cadre de leur
propre cours, oeuvrer dans la même direction que leurs collègues.
La question des filières (transition versus qualification, vide supra)
demeure problématique depuis le décret les instituant (1993).
La filière de transition n'est pas du tout généralisée, loin s'en faut, et ce,
pour des raisons tantôt budgétaires (l'organisation d'une filière de transition étant
plus coûteuse, certaines directions d'établissements préfèrent la sacrifier au profit
d'un accueil plus large d'élèves), tantôt pédagogiques, voire idéologiques (le
maintien d'une distinction entre amateurs et futurs professionnels ou, selon les
représentations, entre élèves moyens et élèves doués, entretient une sorte de
dichotomie propre à susciter des réactions parfois partisanes à propos de culture
démocratique et d'élitisme).
Il est frappant d'observer une répartition géographique des attitudes à cet
égard, certaines régions étant bien pourvues en classes de transition et d'autres
très mal. Et les conséquences peuvent en être très diversement ressenties. De
l'absence de filière de transition peut résulter une concentration sur la filière de
qualification, avec, comme corollaires prévisibles, l'adaptation de la pédagogie en
8Le succès de la formation didactique pour la FM, en Belgique francophone, est un fait saillant
aujourd'hui. Il trouve son origine dans une situation de pénurie particulièrement dramatique du
personnel enseignant, elle-même résultat d'un processus historique : les très nombreuses académies
créées à la même période, dans les années 1960-70, ont engagé des professeurs qui, depuis peu,
arrivent presque tous en même temps à la retraite !
175
ternies d'exigence technique et de choix de répertoire, et donc la difficulté, pour
ceux qui poursuivent un objectif professionnel, de trouver une formation
adéquate.
Mais i l est possible, parfois, de rencontrer des situations presque
totalement inverses, où la filière unique de qualification, par ses objectifs et ses
méthodes, ressemble à ce qui est visé dans la filière de transition, soit à cause
d'un héritage du solfège encore profondément ancré, consciemment ou non, dans
le corps enseignant, la direction, voire les élèves et/ou leurs parents, soit par
choix assumé (« Tout le monde a le droit d'accéder à un enseignement
performant »).
La dérive principale de ce second état de fait peut être la perte de
motivation de certains élèves et la disqualification de l'idée de filière, pourtant
précisément initiée pour prendre en compte «tout le monde ». Les principes
d'éducabilité et de liberté, chers à Philippe Meirieu, sont ici dévoyés et bafoués à
la fois : il est connu de tous que les savoirs et savoir-faire enseignés dans un
cours conçu sur le modèle du Conservatoire de Paris de 1795 ne sont pas
accessibles à la totalité de la population et que, faute de réponses adaptées à leurs
besoins et souhaits, bon nombre d'élèves n'auront d'autres libertés que celles
d'abandonner l'apprentissage de la musique ou de s'adresser à des structures
privées qui n'offrent pas toujours des gages de qualité pédagogique.
La situation des académies offrant le choix entre les deux filières n'est
pas exempte de points d'interrogation non plus. Un premier concerne la décision
de suivre telle ou telle filière : liberté personnelle de l'élève ou sélection opérée
par l'autorité pédagogique ? Un deuxième a trait aux critères présidant à ce
choix : sont-ce les compétences ou la motivation (où les compétences ne jouent
qu'un rôle partiel) qui attestent de la légitimité du choix ? Il n'est pas rare de
constater que les deux facteurs sont parfois abusivement associés dans les
représentations, alors que les exemples du terrain sont nombreux à témoigner
d'une dissociation possible.
Nous avons rencontré quantité d'élèves, jugés comme particulièrement
doués, qui ne manifestaient pas l a moindre attirance pour une poursuite
« experte » de leur apprentissage et, à l'inverse, des élèves dont les ambitions
étaient largement disproportionnées par rapport à leurs dispositions. Sans parler
de l'obligation qui est faite, pour suivre la filière de transition au cours
d'instrument, d'y conformer son parcours en FM.
Comme il est constaté trop souvent (mais est-ce vraiment surprenant et,
finalement, n'est-ce pas une preuve que la FM a encore beaucoup à faire pour
coller avec les besoins ?), les expertises dans les deux disciplines peuvent offrir
des formes très contrastées, ce qui a pour conséquence d'amener, à leur corps
défendant, des élèves, par ailleurs brillants dans leur pratique instrumentale, dans
des cours de FM où ni la motivation ni les compétences ne sont au rendez-vous.
176
Le troisième point d'interrogation, et non le moindre, concerne les
spécificités de chaque filière en termes de niveau d'exigence technique, de
contenu abordé et de musique exploitée.
Ce qui nous amène tout naturellement à la problématique suivante :
quelle matière musicale aborder dans ce cours de FM ? A quel langage musical
familiariser et former les élèves, exposés à tant de musiques différentes dans leur
quotidien ? Si, dans la filière de transition, les choix se doivent d'être concertés
avec le niveau d'enseignement supérieur, puisqu'une continuité doit être possible,
qu'en est-il de la filière de qualification, qui se propose de cultiver l'amour de la
musique, sans égard excessif pour l'élitisme induit par l a notion d e
professionnalisme ? L'ouverture de l'enseignement musical aux répertoires autres
que celui légué par la tradition savante occidentale est un vaste débat, qui n'a pas
fini de faire couler encre et salive.
Je me contenterai ici de livrer au lecteur ma conviction, acquise par
l'expérience personnelle, qu'un pluralisme en la matière est des plus sains. Un
certain éclectisme dans mes goûts stylistiques a sans doute favorisé cette opinion.
Dans le cas d'enseignants aux tendances plus exclusives, une suggestion serait
d'encourager la complémentarité au sein d'une école par l'engagement de
pédagogues aux profils variés. La diversité n'est-elle pas gage de santé culturelle,
que ce soit sous la forme d'une cohabitation pacifique ou d'un métissage, et une
sectarisation de la musique savante ne risque-t-elle pas de conduire, à terme, à sa
perte ?
Le déclin de l'audience de la musique classique, quels qu'en soient le lieu
et le support, n'incite pas vraiment à voir les choses autrement.
Les nombreux objectifs recensés dans les référentiels de compétences,
évoqués plus haut, expriment l'ambition très louable du cours de FM d'apporter
aux élèves toutes sortes de compétences. Tout pertinents soient-ils, ces objectifs,
dont on aura une idée en lisant les questions de l'enquête décrite plus bas, posent
deux problèmes majeurs quant à leur poursuite dans nos académies :
1) Le premier problème est leur quantité. Les aborder tous, de manière
organisée, sans omettre ceux qui sont proposés pour une « sensibilisation » avec
simple évaluation formative, tout en conservant assez de temps pour ceux qui
seront soumis à une évaluation certificative, relève, de toute évidence, du
surréalisme le plus naïf, vu le temps alloué et le volume des groupes-classes, sans
parler des difficultés liées aux élèves d'aujourd'hui (pré-acquisition du langage
musical par acculturation très faible, overbooking, fragilité de la motivation,
volatilité de l'attention)9. Des solutions ? a) Soumettre tous ces objectifs et leur
mise e n application à l'observation e t à l'expérimentation (cf. l'axe
9Les référentiels proposent des compétences, qui peuvent être l'objet d'une sensibilisation (1), d'une
certification (2) ou d'un entretien (3). La sensibilisation à l'exercice d'une compétence n'implique
pas obligatoirement sa certification. Les compétences dont seule la sensibilisation est suggérée par
le référentiel courent évidemment le risque d'être négligées au profit de celles dont la certification
est attendue, par souci d'efficacité.
177
« scientifique » plaidé plus haut) pour les articuler au mieux, d'une manière plus
pragmatique qu'idéaliste. b) A défaut d'étendre à souhait les grilles horaires des
étudiants et de réduire le nombre d'élèves par classe (quel établissement peut-il
se le permettre ?), i l faut « choisir », en concertation avec tout le corps
professoral, afin d'avoir un projet pédagogique cohérent au sein d'un même
établissement e t sans peur d'afficher ses choix. C a r « choisir », c'est
« renoncer », et ressurgit un problème souvent évoqué à propos du cours de FM :
« Le cours dans telle académie prépare mieux à tel conservatoire », « Le cours
chez tel professeur ne prépare pas bien à telle compétence », etc. Est touché là
l'épineux paradoxe de la liberté pédagogique : plus la souplesse est grande,
moins l'homogénéité des critères d'évaluation est possible. On comprend alors si
bien, dans ces conditions, que certains nostalgiques se barricadent derrière le
choix des objectifs les plus proches de ceux du solfège traditionnel car, non
seulement ces pratiques leur sont plus familières, mais, en plus, elles paraissent
rencontrer un meilleur consensus de par leur universalité apparente (dans nos
régions du moins !). Qu'il doit être difficile, pour un directeur d'académie,
d'assumer le fait que les élèves formés dans son établissement, en raison du
choix de ses objectifs, fussent-ils bien atteints, ne satisfont pas aux exigences
d'un autre établissement, a fortiori quand il s'agit d'un établissement supérieur !
Quand cette problématique des plus cruciales est énoncée, il se dit souvent que
c'est à l'enseignement supérieur de montrer la voie et d'exprimer clairement ses
attentes. Et de se retrouver dans une partie de ping-pong de «patate chaude»
entre les différentes instances !
2) Le second problème posé par les multiples objectifs du cours est leur
grande variété, et, en conséquence, les multi-compétences qu'ils réclament de la
part des enseignants. Passer de l'enseignement de la lecture, de la dictée et de la
théorie à celui de la musique au sens large, avec tout ce que cela comporte
d'aspects artistiques, psychomoteurs, culturels, etc., ce n'est pas une mince
affaire ! Les musiciens dotés de toutes ces compétences ne sont-ils pas tous chefs
d'orchestre ou compositeurs ? Nous avons la chance d'avoir dans notre région
une formation ad hoc dans nos conservatoires, mais elle semble encore bien
pauvre au vu de toutes les compétences que requiert la fonction selon ces
objectifs. L à aussi, des choix sont à opérer, fondés sur les compétences
particulières de chaque enseignant, même si la poursuite d'une gamme étendue
de compétences reste un but estimable, compte tenu de la philosophie du cours.
L'ouverture récente du nouveau bac professionnalisant dans le supérieur, au lieu
du seul master, est déjà un bon pas dans le sens d'une formation plus appropriée !
Poco a poco
178
recherches sur le thème de la FM, dont voici deux exemples brûlants d'actualité.
Le premier est une enquête, initiée par le GRiAMI°, conçue et réalisée de 2011 à
2013, avec l'aide des étudiants d e l'IMEP, dans une bonne vingtaine
d'établissements d'enseignement musical à horaire réduit parmi les 91 que
compte la Belgique francophone.
Elle vise à donner une photographie actuelle des pratiques au sein du
cours de FM et des opinions émises par ses usagers. Elle veut aussi répondre, par
une démarche exploratoire rigoureuse, aux préjugés parfois véhiculés et invoqués
lors de débats de la corporation, débats souvent stériles parce que dénués
précisément d'argumentation scientifique.
Le second exemple de recherche est l'élaboration d'un logiciel, en cours
d'expérimentation, consistant en un outil d'exercisation solfégique, avec l'espoir
avoué de réconcilier les deux conceptions, évoquées plus haut, du cours de FM, à
savoir : celle, d'une part, de la construction de savoirs et de savoir-faire destinés
avant tout à être transférés à l'apprentissage instrumental, et celle, d'autre part, de
l'éducation à un savoir-être musical, grâce à l'appropriation de savoirs et de
savoir-faire où l'affect et le partage priment sur la technicité.
La double ambition de cet outil est d'être efficient par sa complémentarité
avec le cours collectif de FM, tout en délestant ce dernier de son aspect
exclusivement technique pour y consacrer plus de temps aux activités pratiques,
sensorielles, artistiques, réflexives, culturelles et socialisantes.
Enquête du GRiAM
179
cette activité, à l'aide d'un smiley (trois réponses possibles : j'aime, indifférent,
bof).
En outre, des appréciations étaient également attendues sur le cours en
général et les sentiments d'utilité réciproques perçus entre les cours d'instrument
et les cours de FM. Enfin, les élèves étaient questionnés sur leur investissement
personnel (travail à domicile) et le profil de chaque sujet était bien sûr dressé
(genre, âge, débuts musicaux, niveau académique, instrument pratiqué,
motivations, etc.).
Seuls les résultats bruts et quelques premiers tableaux de corrélations me
sont parvenus jusqu'à présent et leur synthèse et interprétation feront l'objet d'un
article dans le prochain numéro d'Orphée Apprenti, mais quelques tendances sans
ambiguïté méritent d'ores et déjà attention :
180
- Travail à domicile :
30% des adultes et 42% des enfants reconnaissent ne jamais travailler à
la maison pour le cours de FM. Les raisons invoquées sont le manque de temps
et, parfois, l'absence de conviction d'une utilité de ce travail. La réponse pas
demandé par le professeur est très peu représentée.
Cette question du travail personnel est importante dans le cadre d'une
discipline qui peut difficilement s'envisager sans un minimum d'entraînement et
elle manque, comme d'autres, de prise en compte par la recherche, me semble-t-
il. Il est courant de rencontrer des élèves ne sachant pas toujours ce qu'ils peuvent
faire à la maison, en dehors de répéter les morceaux appris au cours, ce qui n'est
du reste pas superflu (si toutefois le morceau a été bien appris au cours) mais est
insuffisant pour l'acquisition d'habiletés autonomes. Les ouvrages didactiques
modernes, pourvus de CD, ou encore certains logiciels, comme celui décrit juste
ci-dessous, sont des réponses possibles, au moins partielles, à cette question.
En conclusion de ce bref aperçu de résultats, et de manière provisoire,
puisque les détails de cette étude n'apparaîtront qu'à sa publication, on peut
pointer l'enthousiasme modéré, pour le dire diplomatiquement, suscité par le
cours de FM. Ce constat, combiné à celui de l'attrait pour les activités qui ne font
pas partie du solfège traditionnel, chez ceux qui les pratiquent bien sûr, ainsi que
le problème de déperdition de la population des classes (non encore évoqué ici,
ce problème est pourtant bien réel : peu d'élèves réalisent un parcours complet en
académie) et la confusion mentionnée plus haut, nous exemptent de tout scrupule
à poursuivre ardemment une réflexion en profondeur à propos de ce cours.
Solfegiciel
a. Introduction
181
dans le cadre d'un partenariat entre l'IMEP et les praticiens (professeurs de FM
de l'institut et en académies).
Le travail de Cambier (2007) a profondément inspiré l'entreprise. Selon
lui, la préoccupation centrale de la pédagogie de la FM doit être la formation de
l'oreille intérieure (ou «représentation auditive »), cet invariant opératoire à
l'origine, à la fois, d'une bonne lecture et d'une bonne identification, à l'audition,
des codes solfégiques.
La solfiation est un acte complexe : identification et nomination des
notes, reconnaissance et production des rythmes, référence au sens tonal,
évocation des hauteurs relatives, oralisation. L e professeur d e solfège,
aujourd'hui retraité, de l'Académie de Schaerbeek (Bruxelles), est néanmoins
sceptique quant à l'utilité des exercices fragmentaires (identification parlée des
notes, intonation sans rythme, etc.). Ce n'est qu'en se confrontant directement à
de nombreuses phrases musicales à chanter et à reconnaître que l'apprenti
musicien, progressivement, structurera son oreille, en s'imprégnant de la syntaxe
tonale (acculturation) et en faisant de constants allers-retours entre le code écrit et
la réalité sonore grâce à toutes sortes d'exercices de chant, de vraie lecture à vue,
d'audition et de manipulation du langage (jeux de questions-réponses inspirés par
E. Willems). I l préconise l'usage d'un manuel aux exercices soigneusement
hiérarchisés selon un emboîtement des objectifs et suffisamment variés et
nombreux pour étayer la construction des compétences.
i.Répertoire
182
TeeateeDe ;Méjétct
• 92
sens de la phrase bien assimilé, l'usage des combinaisons aléatoires augmentera de manière
remarquable le stock d'exercices possibles, tout en sauvegardant quand même les sentiments de
tension et de détente procurés par chaque fin de question ou de réponse.
183
Le masquage d'une partie ou de la totalité d'une séquence permet des
exercices d'audition : identifier ce qui est entendu, le rechanter avec les noms de
notes ou l'écrire. Un masquage synchronisé à l'audition de la musique, par temps
ou par mesure, oblige à l'anticipation dans la lecture, processus propre à
développer une lecture experte.
Les séquences peuvent être jouées par des instruments MIDI (piano,
violon, etc.), dans des tempi variés, avec ou sans les battements du métronome
(d'intensité variable), à la hauteur réelle, notée sur la partition, ou transposées (de
3tons plus bas à 3 tons 1/2 plus haut) pour la compréhension et le travail, délicat,
desinstruments transpositeurs, notamment. L'écoute à une octave de distance,
quant à elle, permettra d'épouser la voix des hommes, par exemple, chantant en
clé de sol (8" bassa) ou celle des femmes chantant en clé de fa (8' alta). Un
petit clavier affiche les touches correspondant aux sons entendus : les petites
touches se colorent de manière synchronisée durant l'écoute. L'audition d'une
partie seulement de séquence est possible, au choix, et toutes les séquences ou
parties de séquences peuvent être entendues une seule fois, répétées en boucle ou
encore enchaînées les unes aux autres de manière aléatoire, selon des critères
définis par l'utilisateur (nombre de notes, difficulté rythmique, tonalité, mode,
vitesse, instrument, masquage, clé, intervalle de transposition).
c. Usages didactiques
184
L'individualisation de l'entraînement est aisément envisageable puisqu'il
est possible d'imaginer des contrats personnalisés : par exemple, un altiste
travaillera davantage la clé d'ut 3 ' ligne, dont i l a besoin, tandis que le
percussionniste pourra avancer plus rapidement dans sa pratique spécifique en
frappant seulement les rythmes (au lieu de chanter). En attendant que chaque
élève possède son propre matériel (ordinateur ou tablette), le logiciel sera
envisagé dans le cadre du cours collectif et, pourquoi pas, mis à la disposition des
élèves, à l'académie, dans un ordinateur accessible à tous.
d. Conclusion
Coda, a piacere
12
Après l'emballement des premières découvertes sur quelques différences remarquables entre les
deux hémisphères cérébraux, l'heure est à la prudence dans le domaine des neurosciences à ce sujet
et certains ouvrages de vulgarisation sont remplis de généralisations hâtives sur les différents
profils correspondant à une prédominance du cerveau droit ou du cerveau gauche. Nous savons
maintenant que beaucoup de processus sont le résultat d'une collaboration étroite et quasi
permanente des deux parties cérébrales. Dans l'activité musicale, les études sont toutefois assez
précises et montrent que, si les deux hémisphères interviennent, certaines spécialisations sont
avérées. Ainsi, le traitement du contour mélodique se ferait plutôt à droite, tandis que le siège du
traitement des notes isolées ou des intervalles serait plutôt à gauche. Sans vouloir simplifier à
outrance, i l est possible d'avancer que des processus de traitement, ainsi localisés dans différentes
zones du cerveau, peuvent être mis en oeuvre de manière très diversifiée en fonction de la
performance à réaliser et en fonction des prédispositions et/ou de l'expérience de l'individu. La
réussite d'une opération se fondant le plus souvent sur une collaboration des deux hémisphères, une
des tâches essentielles de l'enseignement de la lecture consiste à favoriser les allers-retours
continuels entre ces deux instances.
185
le cloisonnement entre les pratiques (clivages théorie/pratique, instrument/chant,
intellect/affect) ne le favorise pas beaucoup. Si ce n'est pas le seul enjeu des
débats sur le cours de FM, il n'y est pas étranger non plus.
Les efforts, depuis une quarantaine d'années, tant en Belgique qu'en
France, pour faire évoluer le cours de solfège vers une formation musicale plus
générale, plus globale, plus culturelle, plus vivante, plus pratique, bref plus
artistique, commencent à porter leurs fruits, mais non sans provoquer des
troubles, tant au niveau des enseignants et des directeurs d'établissements, dont
certains ont du mal à changer leurs représentations, qu'au niveau des usagers qui,
eux aussi, mettent du temps à modifier l'image bien ancrée du « solfège de
papa » !
L'existence d'une formation didactique supérieure spécifique à l a
discipline ainsi que l'engouement actuel pour la profession, ajoutés au long
chemin pratique et réflexif déjà parcouru par les défenseurs ardents de la
réforme, permettent d'augurer d'un avenir souriant, même si parsemé encore
d'embûches ; le taux de satisfaction assez tiède des élèves, révélé par l'enquête,
atteste de ces dernières.
Beaucoup d'espoir est également mis dans l'outil d'aide au travail
technique que nous développons, en gageant qu'il permette, par son usage
individualisé, d'alléger le cours collectif de son caractère le plus austère, pour lui
rendre la fonction qu'il mérite (moment de partage de « vraie musique », de
partage émotionnel, de socialisation dans l'art). Et pour terminer par une petite
réhabilitation du «Pater Seraphicus » liégeois, puis parisien, n'oublions pas
l'aura dont il jouit pour toute une génération de compositeurs, grâce au poste de
professeur d'orgue au Conservatoire de Paris, et trouvons en Grieg un défenseur
de sa musique, quand il déclare : « Je me demande ce que les Français ont avec
leur Berlioz. Il y a moins de musique dans tout son corps que dans le petit doigt
de C. Franck. » Comme quoi tout, en musique, est question de goût, d'époque et,
sans doute, d'hémisphère !
186
Annexe 1
187
BIBLIOGRAPHIE
188
LA FORMATION MUSICALE AU QUEBEC :
Vincent BOUCHARD-VALENTINE
189
s'engage dans un vaste mouvement de réformes et de transformations sociales.
Jusqu'à cette époque, l'éducation musicale au Québec avait surtout été l'affaire
des communautés religieuses, lesquelles avaient organisé et assuré la formation
musicale dans les couvents, les collèges classiques et, plus tard, dans les écoles
normales.
En 1961, le gouvernement libéral de Jean Lesage institue la Commission
royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec (Parent, 1964),
mieux connue sous le nom de commission Parent. Son mandat consistait à
étudier les questions relatives à l'éducation et à formuler les changements
nécessaires à une réforme en profondeur du système d'éducation québécois. Une
des principales recommandations du rapport Parent fut d'améliorer l'accessibilité
à l'éducation pour tous les Québécois, quel que soit leur lieu de résidence. On y
reconnaît aussi de façon claire et explicite la valeur fondamentale de l'éducation
artistique qui, avec les langues, les sciences et les techniques, constitue l'un des
quatre principaux domaines du savoir. La musique figure au nombre des
disciplines artistiques obligatoires depuis l'éducation préscolaire jusqu'à la
deuxième année du secondaire, et ce, à raison d'au moins une période par
semaine. Pour les trois dernières années du secondaire, elle doit être offerte en
option dans toutes les écoles.
Malgré la générosité des intentions, le rapport Parent fut mal reçu par le
milieu des arts qui lui reprochait de laisser planer l'ambiguïté sur la valeur réelle
de l'éducation artistique et de réduire celle-ci à un rôle de complément culturel.
À la suite des pressions exercées par les artistes, le gouvernement institua, en
mars 1966, la Commission d'enquête sur l'enseignement des arts au Québec
(Rioux, 1969). Son mandat était d'étudier l'ensemble des questions relatives à
l'enseignement des arts au Québec et de présenter des recommandations sur les
changements à apporter dans l'organisation de l'enseignement artistique.
Le rapport Rioux déborde largement le domaine de l'enseignement
artistique. I l propose la vision unifiée d'un projet de société duquel l'art et
l'éducation artistique sont partie active et intégrante (Couture et Lemerise, 1992).
En ce sens, i l constitue l'une des publications marquantes de la Révolution
tranquille. S'il n'a pas reçu l'écho escompté auprès du gouvernement, i l a
profondément influencé les administrateurs et les concepteurs des programmes
d'enseignement de la musique. Plusieurs des institutions de formation musicale
sont issues des recommandations de ce rapport qui prônait la mise en place de
structures diversifiées afin de pourvoir aux différents besoins de formation des
élèves.
Le plan global proposé débute par une éducation musicale accessible à
tous dès les premiers niveaux du système scolaire et se termine aux niveaux
supérieurs par une formation professionnelle e t de recherche de calibre
international. Les recommandations 452 à 458 de ce rapport ont façonné la
structure du système d'éducation musicale québécois tel qu'on le connaît
aujourd'hui (Rioux, 1969, p. 261-262) :
190
452 La maternelle constitue l'élément de transition entre le milieu familial et
l'école. Elle prolonge, en système organisé, l e développement sensoriel e t
perceptuel, par un emprunt important aux techniques artistiques, principalement
celles qui se réfèrent à l'éveil des sens auditif, rythmique et visuel ; elle constitue
le stade d'initiation à l'expression, aux divers langages de la communication
globale et à la vie en collectivité.
454 Le secondaire s'amorce dans un tronc commun et devient peu à peu le lieu
des premières options. À partir d'une expérience vécue des domaines
fondamentaux de la connaissance, l'adolescent peut opter pour un type d'activité
mais sans se détacher des matières de base.
458 L'éducation artistique est donc un processus qui s'inscrit comme un aspect
fondamental dès le début de la formation, et qui se prolonge selon diverses
formes jusqu'au niveau supérieur.
Le niveau supérieur comprend également les conservatoires de musique. D'un point de vue
historique, ces structures poursuivent des visées différentes. Les facultés de musique universitaires
étaient à l'origine dédiées à la musica theorica, qui comprend les sciences musicales (la théorie
musicale, l a psychoacoustique, l a musicothérapie, l'éducation musicale, etc.) et les autres
disciplines musicologiques (la sémiologie de la musique, l'ethnomusicologie, la sociologie de la
musique, etc.). Les conservatoires, quant à eux, ont plutôt été assignés à la musica pratica, c'est-à-
dire aux techniques musicales d'interprétation, de composition et de direction (Tafuri, 2004). Ainsi,
« on peut être docteur en musique sans être le moindrement un virtuose. En revanche, on ne peut
obtenir les premiers prix d'un conservatoire digne de ce nom sans être un virtuose d'une certaine
qualité » (Deslauriers, 1969, p. 12).
191
En suivant ce plan, tout enfant peut donc poursuivre sa formation
musicale de la maternelle jusqu'au doctorat, à l'intérieur du système public.
a. L e s enseignants de musique
192
professionnelles dans les savoirs relatifs aux champs de l'éducation, de la
musique et de la pédagogie musicale.
Malgré des progrès incontestables dans les années 1960, notamment par
l'importation des méthodes européennes, la formation initiale des enseignants de
musique a stagné à partir des années 1980, incapable de se renouveler et
d'intégrer les connaissances propres au champ de l'éducation : didactique,
docimologie, psychologie de l'éducation, etc. Pendant près de quarante ans, la
formation initiale des enseignants de musique s'est essentiellement bornée à la
maîtrise des méthodes actives d'enseignement musical pour le primaire, et à
l'acquisition de techniques d e direction d'ensembles musicaux pour l e
secondaire. Il n'est pas rare de rencontrer, encore aujourd'hui, des enseignants de
musique ignorants des concepts et des théories courantes en éducation. La refonte
des programmes de formation initiale par le MELS au tournant des années 2000 a
bel et bien suscité une réflexion sur les savoirs professionnels des enseignants de
musique, mais les fondements pédagogiques sur lesquels s'articule la didactique
musicale restent encore fortement liés à la tradition.
b. L e Régime pédagogique
193
semaine, le passage de l'éducation physique dans le camp des matières à temps
réparti sur deux heures et la discontinuité dans l'enseignement des disciplines
artistiques ont sonné le début d'un déclin des programmes de musique. Dans
plusieurs écoles, la qualité des ensembles instrumentaux est en diminution et les
programmes de musique accusent des problèmes de recrutement ou de rétention
des effectifs. Cette décroissance indique peut-être aussi que les modèles de
formation musicale privilégiés à l'école secondaire ne répondent plus aux
aspirations musicales d'une majorité d'élèves.
A l'heure actuelle, il est difficile de tirer un portrait fiable de l'état de
l'enseignement musical dans le système scolaire québécois. S'il est incontestable
que plusieurs milieux jouissent de programmes de musique dynamiques et bien
implantés, la Fédération des associations de musiciens éducateurs du Québec
(FAMEQ) soutient que la situation générale est critique. Depuis plusieurs années,
cette organisation demande au MELS que l e temps inscrit au Régime
pédagogique soit prescriptif, ou du moins inscrit dans le temps réparti pour
assurer un temps minimum d'enseignement de l a musique. L a FAMEQ
revendique également l'obligation de continuité dans l'enseignement sur les six
années du primaire et sur les cinq années du secondaire. Certains syndicats
proposent quant à eux une répartition équitable du temps d'enseignement entre
les différentes spécialités : anglais, éducation physique et arts.
c. L e s programmes d'études
4 Les quatorze programmes disciplinaires sont répartis dans cinq domaines d'apprentissage : les
langues, la mathématique, la science et la technologie, l'univers social, les a▶ts, le développement
personnel (Québec, 2006a, p. 7).
194
de compétences génériques qui doivent être développées à travers l'ensemble du
cursus scolaire'. Enfin, les Domaines généraux de formation6 fournissent un
ensemble de thématiques sociales auxquelles sont confrontés quotidiennement les
élèves et dans lesquelles doivent s'ancrer les activités pédagogiques. La rédaction
de ces programmes s'est réalisée dans le contexte d'une décentralisation des
pouvoirs scolaires et d'une professionnalisation de l'acte d'enseignement. Ils
donnent à l'enseignant une grande latitude quant au choix des contenus à
enseigner et des stratégies pédagogiques à mettre en oeuvre.
Plus de dix ans après leur implantation, les enseignants de musique
attendent toujours les formations promises à l'époque par l e MELS.
L'application des programmes nécessite l a compréhension d e concepts
complexes et cette compréhension suppose un accompagnement rigoureux et
suivi. Ces programmes sont par ailleurs très ambitieux sur le plan des intentions
et des attentes. Il est maintenant manifeste que le temps alloué à la musique dans
le Régime pédagogique ne permet pas de les atteindre ni de dispenser un
enseignement suffisamment approfondi pour qu'il puisse influencer de manière
significative le développement global de l'élève.
d. L e s profils de formation
5Ces compétences sont au nombre de neuf : exploiter de l'information, résoudre des problèmes,
exercer son jugement critique, mettre en oeuvre sa pensée créatrice, se donner des méthodes de
travail efficaces, exploiter les technologies de l'information et de la communication, structurer son
identité, coopérer, communiquer de façon appropriée (Québec, 2006a, p. 13).
6Ces domaines généraux de formation sont au nombre de cinq : vivre-ensemble et citoyenneté,
santé et bien-être, orientation et entrepreneuriat, environnement et consommation, médias. La prise
en compte des domaines généraux de formation a pour but «d'amener l'élève à établir des liens
entre ses apprentissages scolaires et sa vie quotidienne et de lui offrir l'occasion de comprendre
différents contextes de vie, de se construire une perception nuancée de ces contextes et d'envisager
une diversité d'actions dans des situations données. Ils permettent à l'élève de relier entre eux les
divers domaines de connaissances et de porter un regard critique sur les éléments de son
environnement personnel, social ou culturel (Québec, 2006a, p. 7).
7Dans la documentation anglophone, ce profil est appelé « general music» ou « comprehensive
music ».
195
1) Il s'adresse à tous les élèves, peu importe leurs aptitudes ou leurs
préalables musicaux ;
2) Il offre un agencement diversifié et équilibré d'activités en vue d'une
appréhension globale de la discipline : interprétation, création, improvisation,
appréciation, etc. ;
3) Il doit familiariser l'élève avec un large éventail de musiques :
populaires, savantes, occidentales, extra-occidentales, anciennes, actuelles, etc. ;
4) Les musiques employées doivent présenter d e fortes qualités
expressives, afin d'aiguiser la sensibilité musicale des élèves et d'améliorer leur
capacité d'éprouver le plaisir musical ;
5) Il s'inscrit dans la perspective du développement intégral de la
personne.
L'Etat doit aussi veiller aux besoins de formation des élèves qui
manifestent des dispositions particulières ou un intérêt marqué pour la musique
en autorisant, par dérogation, des projets particuliers axés sur le développement
et l e perfectionnement de compétences musicales spécifiques. C e profil
spécialisé de formation musicale implique la rédaction de programmes d'études
locaux et présente les caractéristiques suivantes :
1) Il s'adresse aux élèves manifestant un intérêt, des aptitudes ou des
préalables notables pour la musique ;
2) Il vise le développement optimal d'un nombre limité de compétences
musicales, habituellement celles liées à l'interprétation instrumentale ;
3) Il se concentre sur un nombre limité d'esthétiques ou de types
musicaux ;
4) La représentation musicale (concert) constitue le principal moteur des
activités d'apprentissage ;
5) L'émulation entre les élèves, entre les écoles ou entre les régions est
encouragée ;
6) Il peut déboucher sur la filière préprofessionnelle.
196
II. L'enseignement collégial
1. L e Cégep de Drummondville
2. L e Cégep de Joliette
3. L e Cégep de Sainte-Foy
4. L e Cégep de Saint-Laurent
5. L e Cégep de Sherbrooke
6. L e Cégep de Trois-Rivières
7. L e Cégep Lionel-Groulx
8. L e Cégep Marie-Victorin
9. L e Cégep Vanier
10. L e Collège d'Alma
11. L e Marianopolis College
12. L e Campus Notre-Dame-de-Foy
13. L ' E c o l e de musique Vincent-d'Indy
14. L e Conservatoire de musique de Gatineau
15. L e Conservatoire de musique de Montréal
16. L e Conservatoire de musique de Québec
17. L e Conservatoire de musique de Rimouski
18. L e Conservatoire de musique de Saguenay
19. L e Conservatoire de musique de Trois-Rivières
20. L e Conservatoire de musique de Val-d'Or
8Seuls les établissements constitués en vertu de la Loi sur les collèges d'enseignement général et
professionnel peuvent utiliser cette appellation. Les cégeps sont des établissements d'enseignement
collégial publics (Legendre, 2005).
197
Essentiellement, deux types de programmes d'études sont offerts dans
ces établissements9 : les programmes préuniversitaires d'une durée de deux ans
préparent aux études universitaires, tandis que les programmes professionnels ou
techniques d'une durée de trois ans conduisent au marché du travail. Ces deux
profils sont reliés entre eux par un tronc commun de formation générale en
langue d'enseignement et littérature, en philosophie, en éducation physique et en
langue seconde. L'élève intéressé par la musique peut donc choisir entre :
9Certains établissements délivrent aussi des attestations d'études collégiales en musique au terme
de microprogrammes d'études dérivés des programmes standards : chanson, sonorisation,
enregistrement, composition, technologies audio à l'image, etc.
10 « Les divisions qui assurent l'enseignement de l a musique dans les universités sont
habituellement appelées facultés, départements ou écoles. Dans le langage traditionnel au Canada,
198
l'Université Laval, l'Université du Québec, l'Université Concordia, l'Université
de Sherbrooke et l'Université Bishop's.
Selon les données actuellement disponibles, l a formation musicale
universitaire se porte bien. Le nombre d'étudiants inscrits aux quelques cent
programmes de musique offerts à travers la province est en progression depuis
les années 1980 et se situe maintenant aux environs de 3000. Les différents
programmes de musique peuvent être divisés en six catégories :
1) Formation générale en musique : ces programmes de ler cycle offrent
une formation fondamentale dans les différents champs d e spécialisation
musicale et donnent accès aux études de 2e cycle.
2) Formation spécialisée en interprétation : ces programmes visent la
formation d'interprètes professionnels. Leur contenu varie selon les instruments
(voix, piano, direction d'ensemble, etc.) et les genres musicaux (classique, jazz,
pop) privilégiés par les différentes institutions.
3) Formation spécialisée en composition : ces programmes visent la
formation d e compositeurs, d'orchestrateurs o u d'arrangeurs. Selon l e s
spécialités développées p a r les différentes institutions, l'ensemble d e ces
programmes couvre un large spectre d'esthétiques musicales.
4) Formation spécialisée en musicologie : ces programmes visent l a
formation d'historiens de la musique, de musicologues et d'ethnomusicologues.
5) Formation spécialisée e n enseignement : l e s programmes e n
enseignement de la musique se divisent en deux catégories. La première vise la
formation d'enseignants qualifiés p o u r oeuvrer dans l e système scolaire
québécois. La seconde vise la formation d'instrumentistes professionnels de haut
niveau possédant aussi l e s connaissances pédagogiques nécessaires à
l'enseignement d'un instrument spécifique.
6) Formation spécialisée en musicothérapie : u n seul programme de
musicothérapie est offert au Québec. I l est dispensé par le Department o f
Creative Arts Therapies de l'Université Concordia et vise l a formation de
musicothérapeutes pouvant œuvrer dans les milieux scolaire et hospitalier.
C'est l'Université Bishop's qui créa le premier programme de musique
universitaire, en 1886. Les autres universités mirent progressivement sur pied
leur propre école, département ou faculté de musique. La dernière à le faire fut
l'université de Sherbrooke, en 1990. Au départ, chaque université exploitait un
créneau spécifique dans l'une des deux filières linguistiques habituelles. L a
demande croissante d e formation musicale a cependant provoqué u n
développement incohérent de l'offre de services menaçant l a pérennité de
une faculté universitaire est un corps qui gère son propre grade tandis qu'un département est une
subdivision d'une faculté qui offre un programme spécialisé. Le terme "école de musique"
s'applique de façon caractéristique à une division de musique qui se trouve dans une grande
université d'Etat aux Etats-Unis ; il a été adopté par un nombre restreint d'établissements canadiens
et désigne simplement une variante de la division de musique, offrant ou non un grade en musique.
En pratique cependant, l'utilisation des termes n'est pas uniforme. » (« Programmes universitaires
en musique », 2011).
199
l'ensemble. En 1997, à la suite des travaux de la Commission des universités sur
les programmes, l e s universités o n t entrepris u n vaste programme d e
rationalisation des activités d'enseignement pour réduire l a duplication des
programmes de formation musicale et les dédoublements de services.
Aujourd'hui, l'enseignement musical universitaire e s t concentré à
Montréal et à Québec. Les universités régionales de Sherbrooke et de Bishop's
desservent une clientèle réduite, mais ces universités jouent un rôle important de
soutien à l'industrie culturelle locale.
1" cycle :
11http://www.mcgill.ca/musid
200
- Bachelor of Music — Major Performance Jazz (91 crédits)
- Bachelor o f Music — Major Performance Orchestral Instruments (90
crédits)
- Bachelor of Music— Minor Early Music Performance (18 crédits)
- Licentiate in Music — Major Performance Voice (105 crédits)
- Licentiate in Music — Major Performance Jazz (100 crédits)
- Licentiate in Music — Major Performance Piano (93 crédits)
- Licentiate in Music — Major Performance Ail Instruments except Piano,
Voice and Jazz (93 crédits)
- A r t i s t Diploma — Major Performance Voice (65 crédits)
- A r t i s t Diploma — Major Performance Ali Instruments (62 crédits)
- Faculty of Arts
- Bachelor of Arts : Major Concentration Music (36 crédits)
- Bachelor of Arts : Minor Concentration Music (18 crédits)
2e cycle :
3e cycle :
201
Department of Music Performance
- D o c t o r of Music— Performance Studies
- Graduate Diploma in Professional Perfbrmance (30 crédits)
1" cycle :
2` cycle :
12http://www.musique.umontreal.ca/
202
- Diplôme d'études supérieures spécialisées (30 crédits) — Interprétation
- Diplôme d'études supérieures spécialisées (30 crédits) — Répertoire
d'orchestre
3e cycle :
1" cycle :
13http://www.mus.ulaval.ca/
203
2e cycle :
3` cycle :
1" cycle :
204
- Majeure en musique16 (60 crédits)
2e cycle :
3e cycle :
cycle
2e cycle :
16La majeure en musique peut être complétée par un certificat de 30 crédits dans une autre
discipline, par exemple en communication, pour obtenir le grade de bachelier en arts.
17http://music.concordia.ca/
205
Master in Creative Arts Therapies — Music Therapy Option (45 crédits)
- D i p l o m a in Advanced Music Performance Studies (30 crédits)
Graduate Certificate in Creative Practices in Technical Production for
Live Performance (21 crédits)
Graduate Certificate in Music Therapy (21 crédits)
3e cycle :
1er cycle :
2e cycle :
18http://www.usherbrooke.ca/musique/
206
g. L ' U n i v e r s i t é Bishop's (Sherbrooke)
1" cycle :
19http://www.ubishops.caNdacademic-programs/humanities/musicfindex.html
207
Le Conservatoire propose deux profils de formation étalés sur cinq
cycles : le profil interprétation (instruments, chant et direction d'orchestre) et le
profil création (écriture, composition et composition électroacoustique) 20.
Le 1 " cycle, appelé «Préparatoire », conduit au Certificat d'études
préparatoires en musique. L'élève inscrit à ce cycle fréquente le Conservatoire
pour une durée qui varie de cinq à sept ans tout en poursuivant sa formation
générale dans une école primaire ou secondaire du système scolaire.
Le 2e cycle, appelé «Intermédiaire », correspond à l'enseignement
collégial préuniversitaire. I l est donné en partenariat avec les établissements
d'enseignement collégial q u i assurent l a formation générale (langues e t
littérature, philosophie, éducation physique). Ce programme est sanctionné par le
DEC du MELS. Le Conservatoire délivre aussi, dans le cadre de son Régime
pédagogique, le Diplôme d'études intermédiaires en musique.
Le 3` cycle, appelé «Supérieur I », correspond au 1" cycle universitaire.
Il est sanctionné par différents diplômes :
208
formation artistique professionnelle et est sanctionné par un Certificat de stage
de perfectionnement en musique de 18 à 36 crédits selon la nature du projet.
209
Annexe 1 - Système scolaire québécois21 et correspondance internationale
Préscolaire
Primaire
Secondaire
Universitaire
Collégial
21Ce tableau ne présente que le parcours général menant au doctorat. Des voies de formation
professionnelle peuvent être empruntées dès le secondaire.
210
BIBLIOGRAPHIE
211
GIUDICE, Daniela (2013), « La situation au collégial », Musique et pédagogie, la
revue FAMEQ à la une, vol. 28 n° 1 (Automne), pp. 24-25.
212
QUEBEC (1969), Programme d'études des écoles secondaires. Arts : éducation
musicale : 11 21 31 41 51 12 22 32 42 52 13 23 33 43 53 54, Québec,
Ministère d e l'Éducation, Direction générale d e l'enseignement
élémentaire et secondaire, service des programmes.
(2014a, ler mai), Loi sur l'instruction publique : L.R.Q., chapitre 1-13.3,
Québec, Éditeur officiel du Québec [en ligne]
http://www2 .publicationsduquebec.gouv.qc. ca/dynamicSearch/telecharge
.php?type=2&file=/I_13_3/113_3.html (Page consultée le 10 mai 2014).
213
TAFURI, Johannella (2004), « La formation musicale supérieure en Europe et en
Amérique du Nord », NATTIEZ, Jean-Jacques (éd.), Musiques — une
encyclopédie pour le XXle siècle (Vol. 2 : Les savoirs musicaux, pp. 873-
898), Arles, France/Paris, Actes sud/Cité de la musique.
214
FORMATION MUSICALE ET RECHERCHE EN ITALIE
Johannella TAFURI
Introduction
215
que quelqu'un qui parle de musique n'ait pas la capacité de jouer ou chanter,
même à un niveau modeste.
Dans l'ancienne tradition aristotélicienne, il existait une séparation nette
dans la connaissance entre théorie et pratique, cette dernière comprenant toutes
les «techniques », qui se retrouve au Moyen Age entre musici et cantores, c'est-
à-dire entre théoriciens et praticiens. Comme on peut l'imaginer, les premiers se
considéraient comme bien supérieurs aux seconds, au point d'affirmer que «celui
qui agit sans comprendre est semblable à une bête » (qui facit quod non sapit,
diffinitur bestia). Malheureusement, cette affirmation n'a pas empêché que cette
dissociation continue d'avoir cours, e t i l faut admettre que c'est assez
récemment, au moins en Italie, qu'est intervenu un changement de mentalité dans
le sens d'un enrichissement formatif avec de bonnes bases théoriques pour ceux
qui se dédient à la pratique et vice versa.
La formation musicale est également la base d'un second niveau de
capacités que l ' o n pourrait appeler l e «savoir-faire faire », c'est-à-dire
l'enseignement : enseigner aux autres à faire quelque chose. Il n'est évidemment
pas suffisant de savoir jouer pour savoir enseigner comment jouer ! C'est
l'essentielle formation de ceux qui doivent créer les conditions favorables pour
que les élèves puissent apprendre. On pourrait les définir comme les facilitateurs
de l'apprentissage qui doivent avant tout avoir développé eux-mêmes leurs
propres aptitudes musicales, y compris leur propre potentiel créatif, connaître les
processus de développement musical spécifiques de leur discipline, apprendre et
maîtriser les orientations méthodologiques appropriées pour promouvoir les
capacités de leurs élèves, lesquelles devront s'intégrer à beaucoup d'autres pour
donner lieu à une formation musicale riche et articulée.
216
Aujourd'hui, la formation de base qui est appelée « pré-académique » ne
doit plus être de la responsabilité des conservatoires (qui, depuis de la loi de
1999, sont devenus des « Institutions de formation supérieure »). Le décret
d'application est imminent.
La conséquence est que les professeurs ont pu (finalement !) changer les
programmes et le nom de la discipline qui porte des noms différents selon les
conservatoires, mais qui comporte un tronc commun d'activités : éducation de
l'oreille et de la voix, rythmique, lecture chantée, improvisation, dictée, théorie,
etc. Cette nouvelle orientation est presque généralement adoptée. Les élèves
doivent aussi suivre d'autres cours, participer à l'orchestre et/ou à la chorale du
conservatoire, etc.
Avant cette réforme, dans les cours supérieurs, appelés « académiques »,
l'étude de l'instrument était associée uniquement à des cours d'histoire de la
musique et de d'harmonie. Désormais, les élèves doivent étudier aussi d'autres
disciplines, quelques-unes obligatoires, d'autres optionnelles parmi celles qui
sont proposées par chaque conservatoire, selon le plan d'études choisi. Il existe
une certaine diversité entre les conservatoires. On peut s'en informer en
consultant les sites Internet des établissements et les élèves choisissent selon
leurs intérêts.
Ce changement a également été favorisé par l'existence et la diffusion
des écoles de musique, privées ou bien dépendant d'institutions publiques telles
que les municipalités, par exemple, assez nombreuses sur le territoire national.
Après des années d'expérimentation dans certaines d'entre elles, s'est développé
un modèle d'études plus varié et plus attentif aux besoins des élèves et aux
résultats des recherches sur les caractéristiques du développement musical de
l'enfant.
Dans le même temps on offrait la possibilité d'étudier un instrument à
l'école primaire (premier degré) et cette innovation a permis aux professeurs les
plus avertis de mettre en place de nouvelles stratégies didactiques.
L'une des conséquences de l'activité de formation artistique dans ces
institutions a été une diminution notable des élèves des conservatoires,
phénomène qui a tout autant contribué à la volonté de renouvellement de la
structure et du contenu des études en conservatoire.
Formation et recherche
217
appel à l'intuition, à l'expérience personnelle, aux échanges entre les enseignants
de musique et les musiciens en général. Mais i l s'agit toujours d'opinions.
Quelqu'un formule des hypothèses : s'il s'agit d'une question d'attention auditive
on pourrait travailler cet aspect, mais... comment ? S'il s'agit d'une question de
motricité que pourrait-on faire ? Se poser une question et formuler une hypothèse
sont les deux premiers pas d'un processus de recherche, parce que l'hypothèse
requiert une phase de validation qui la confirme ou la réfute, c'est-à-dire un
processus articulé dont le but est un résultat valide pour une collectivité.
La recherche est liée aux domaines scientifiques, aux méthodes
spécifiques des sciences physiques et naturelles. La recherche en sciences
humaines a été confrontée aux différences substantielles entre les événements à
étudier, c'est-à-dire entre les phénomènes physiques et naturels, d'une part, et les
phénomènes humains, d'autre part. Le mot « recherche » fait référence à une
méthode de travail qui essaie de donner une réponse à une question ou à un
problème, d'une façon intentionnelle, à travers d'un processus rigoureux qui,
pour être considéré comme scientifique, doit être systématique, vérifiable et
reproductible (De Bartolomeis 1993, Carlsen 1995). La recherche en sciences
humaines ne saurait se limiter à la méthode expérimentale, mais elle doit
également employer et développer des méthodes diverses qui soient fructueuses
tout en respectant les contraintes propres aux contextes des expérimentations
tentées avec des individus.
Depuis une vingtaine d'années, la recherche pour l'enseignement musical
connaît un discret développement, surtout dans les pays anglophones, même si
quelques problèmes demeurent : d'une part, i l est définitivement admis
(subsistent quelques résistances) que les sciences humaines sont réellement des
« sciences » e t que leur objet d'étude peut être soumis à l a recherche
scientifique ; d'autre part, la nécessité de continuer à rechercher des méthodes de
plus en plus efficaces pour étudier les phénomènes humains entraîne parfois le
risque d'adopter des stratégies qui peuvent n'avoir plus rien de scientifique. Il
faut reconnaître que la recherche dans les domaines de la psychologie de la
musique et de l'éducation/enseignement musical est bien développée dans les
pays anglophones tandis que, dans les pays de langues néo-latines, elle a
commencé assez récemment à se diffuser, soit comme source pour les études
personnelles, soit comme activité engagée dans l e sens de contributions
originales à l'évolution des sciences humaines, en particulier dans le domaine de
l'enseignement.
En Italie, le vecteur officiel de recherche est le Doctorat des universités,
également prévu dans les conservatoires mais, malheureusement, non encore
entré en vigueur. Les doctorats en musicologie sont, en majorité, les thèses de
recherche en musicologie historique, mais on peut parfois rencontrer des
recherches sur des problèmes propres à l'enseignement musical, surtout lorsque
des professeurs universitaires sont spécialistes en ce domaine.
218
Depuis une dizaine d'année, la SIEM (Società italiana per l'Educazione
Musicale), représentante italienne de l'ISME (International Society for Music
Education), a mis en place à Bologne, en collaboration avec l'université de
Bologne et de Padoue (Italie), un cours biennal de méthodologie de la recherche
sur l'enseignement musical, où l'on peut acquérir des instruments précieux et
réaliser un travail avec des professeurs italiens et étrangers. Parmi les recherches
achevées, les meilleures sont publiées dans des revues italiennes et étrangères ;
parmi les italiennes, on peut mentionner le Quaderni della SIEM qui publie,
depuis quelques années, des résultats de travaux tant italiens qu'étrangers.
Les questions que l'on peut aborder dans les domaines auxquels je fais
allusion sont assez diverses, selon les exigences actuelles de la formation et de
l'enseignement musical, et selon les intérêts des chercheurs. Les objectifs
possibles varient sans doute selon les types de problèmes (perceptifs, cognitifs,
moteurs, créatifs, etc.), les compétences des enseignants, les stratégies
didactiques employées, les contextes culturels d'origine, l'âge, les conditions
socio-économiques et psychologiques des élèves, etc.
A priori, la présentation qui va suivre pourrait sembler très éloignée du
sujet de ce livre, mais elle tente cependant de mettre en pleine lumière quelques
aspects fondamentaux de l'origine des capacités musicales, et donc de la
formation musicale.
Il arrive parfois aux professeurs, surtout pendant les cours de chant, mais
aussi pendant ceux d'instrument, d'une manière générale, lorsque l'on doit
chanter, ou même chantonner un motif, d'entendre l'un des élèves chanter faux.
Quelle est leur réaction en France ? En Italie, ils réagissent, en général, en disant
que l'élève n'est pas doué pour la musique parce qu'il ne « possède » pas la
capacité de chanter juste, jugement tranchant qui n'admet pas de réplique.
Beaucoup d'adultes aussi se déclarent incapables de chanter juste, affirmant
qu'ils ne peuvent pas faire de musique. L'élève qui chante faux dans les écoles
de musique, et même dans l'enseignement général, est mis de côté parce que la
capacité de chanter juste est encore considérée comme innée par beaucoup de
gens, y compris beaucoup de professeurs de musique. On n'y pourrait rien ! Il
s'agit d'une façon quelque peu expéditive de liquider la question en arguant
d'hypothétiques « dons » génétiques, au lieu de chercher l'origine de cette
difficulté. On devrait plutôt s'interroger (et les psychologues de la musique le
font depuis longtemps : Teplov 1966, Welch 1988, par exemple) sur les
mécanismes physio-psychologiques et surtout sur le rôle de l'éducation et du
milieu culturel dans lequel on vit. On pourrait s'interroger sur le fait que, les
enfants anang (Nigeria) sont capables de chanter juste dès leur plus jeune âge
(Gardner, 1987), de même que les enfants hongrois éduqués avec la méthode
Kodâly. Nous ne voudrions pas supposer une générosité particulière de la nature
219
avec ces deux peuples ! J'ai décidé d'entreprendre une recherche scientifique qui
s'attache à étudier d'une façon rigoureuse e t systématique l'origine e t l e
développement des capacités musicales principales, en particulier celle qui
consiste à chanter juste. Mon projet était né.
Avec mon amie et collègue Donatella Villa, nous avons décidé de faire
une recherche longitudinale (un travail poursuivi avec les mêmes sujets pendant
une certaine durée). A f i n de remonter véritablement à l'origine, nous avons
d'abord travaillé avec un groupe de mères enceintes qui se trouvaient à peu près
dans le dernier trimestre de leur grossesse, puis, après l'accouchement, avec leurs
enfants. Les sujets que nous souhaitions observer étaient précisément les enfants,
et ce dès l a vie prénatale, lorsque leurs facultés auditives commencent à
fonctionner. Les années suivantes, nous souhaitions bénéficier de la collaboration
des mères dans le cours du développement musical des enfants. Nous avons
intitulé cette recherche Progetto in Canto ; nous l'avons menée à Bologne et à
Imola, en 1999, dès la vie prénatale des enfants, jusqu'à l'âge de six ans (Tafuri
2007).
220
3) facteurs psychologiques : cognitifs en relation avec d'autres facteurs
tels que la perception de soi, la fatigue, etc. ;
4) facteurs musicaux : hauteur, registre, style vocal, complexité musicale,
etc.
5) facteurs pédagogiques : stratégies pédagogiques appropriés a u x
nécessités de chacun.
D'autres chercheurs se sont interrogés sur les premières tentatives de
chant venant des enfants eux-mêmes (Dowling 1994, Papousek 1995). Après les
nombreuses études sur la phase 3/6 ans, les chercheurs ont dirigé leur attention
vers les premières manifestations vocales des nouveau-nés. Après la publication
de résultats qui démontraient que l'ouïe commence à fonctionner pendant la vie
prénatale (Tomatis 1977, Porzionato 1980, Aucher 1987), des travaux ont
démontré que l'ouïe commence à fonctionner entre le cinquième et le sixième
mois de la vie intra-utérine (Lecanuet 1995). Parmi les études détaillées sur la
production musicale enfantine, celles de Moog (1976) nous apprend que, vers le
sixième mois, le bébé manifeste ses premières tentatives de chant (que Moog
appelle «musical babbling »), et que ces lallations se différencient des autres
parce que ce sont des explorations d u spectre fréquentiel et non pas des
répétitions de phonèmes.
Plus récemment, il a été possible de commencer à mettre en relation les
productions musicales des enfants avec les expériences pré et néonatales. Les
anang du Nigéria initient leurs enfants à la musique dès la première semaine de
vie, et pour cette raison nous ne devrions pas nous étonner (ce n'est pas un
«don ») qu'à l'âge de cinq ans ils sachent chanter correctement des centaines de
chansons, danser et jouer des instruments (Gardner 1987). D'autres travaux
démontrent comment la capacité précoce de « bien » chanter se manifeste chez
des enfants dont la mère chantait beaucoup, surtout pendant les derniers mois de
sa grossesse (par ex.: Shetler 1989, Papousek 1995, Stadler Elmer 2000). Des
recherches ont mis en évidence l'invention de chansons ou de musiques avec les
petites percussions ou de petits claviers. Ce domaine de la créativité musicale a
suscité, e n particulier, des études s u r l e s procédés d e composition e t
d'improvisation de chansons enfantines, de l'enfance jusqu'à 5/7 ans (Hargreaves
1986, Davies 1992, Bjôrkvold 1990, Dowling 1994, Barrett 2006, Barrett et
Tafuri 2012).
Bien qu'il existe des résistances à propos du fait que les enfants puissent
inventer des chansons, i l est démontré qu'entre un an et demi et deux ans les
enfants commencent à inventer des séquences mélodiques qui se transforment
rapidement en petites histoires chantées (pour accompagner leurs jeux o u
s'amuser pendant les gestes de la vie quotidienne), des dialogues avec leurs
parents, leurs frères et soeurs, leurs amis, jusqu'à concevoir de véritables petites
chansons. Ceci se produit si les enfants sont entourés et encouragés, soutenus par
des personnes qui chantent (les parents, les grands-parents, les enseignants...).
221
Il existe un autre aspect qu'il faut prendre en considération : la relation
entre la perception musicale et le mouvement. Moog (1976), par exemple, nous a
signalé que les réponses motrices à la musique, bien qu'elles ne soient pas encore
synchronisées, augmentent considérablement jusqu'à 16/18 mois, pour diminuer
quant au nombre mais non quant à la variété. A propos de la synchronie de ces
mouvements, la contribution la plus importante a été proposée par le chercheur
argentin Silvia Malbràn qui, en employant un protocole de recherche utilisant des
instruments informatiques, a identifié et vérifié les différentes composantes de la
capacité d e synchronie rythmico-motrice, e t les durées nécessaires à son
développement (Malbràn 2002).
A la racine de tous ces aspects repose la dimension biologique de la
prédisposition musicale générale donnée à tous, telle que démontrée par Sandra
Trehub (2001).
222
occidentaux. Les chants assurent l'unité entre musique et paroles, propres à la
culture spécifique de chacun : pour les occidentaux, le système tonal, enrichi
progressivement avec des chants et des musiques appartenant à des styles, genres
et systèmes musicaux différents. L'écoute musicale est vécue avec le corps à
travers les gestes, les mouvements.
Sujets participants :
- 11 9 femmes enceintes à partir du sixième mois de grossesse.
Protocole :
- d i x rencontres musicales hebdomadaires, avant l'accouchement, avec
l'un des deux chercheurs et, après la naissance des enfants, continuation des
rencontres, toujours à un rythme hebdomadaire ;
- activités : vocalisations, chants, écoutes de pièces instrumentales, danses
et rondes enfantines, jeux rythmiques avec les petites percussions ou les frappes
de mains, de pieds, des mains sur les genoux, etc. ;
- rédaction, de la part des mères, d'un journal préparé par les chercheurs
avec des questions-guides ;
- enregistrements audio/vidéo périodiques des productions vocales des
enfants, selon les consignes des chercheurs.
Matériaux employés :
chansons populaires et d'auteur, en majeur, mineur, et modales ;
pièces musicales de différents styles et genres ;
danses ethniques et classiques ;
petites percussions.
223
naissance et montrent un grand intérêt pour les expériences musicales ; les
capacités musicales principales telles que chanter, jouer des rythmes et des
mélodies, bouger (se balancer, sauter, marcher...) avec la musique, mûrissent
plus rapidement chez les enfants s'ils peuvent faire des expériences musicales
dès la naissance et en continuité par la suite.
Les résultats
Après une longue et attentive étude des données brutes, nous sommes
parvenues à des résultats qui vont bien au-delà de ce q u ' i l était possible
d'imaginer. Les plus intéressants sont certainement ceux qui proviennent de
l'observation des trois premières années, au cours de l a première phase de
recherche longitudinale, d'une durée de six ans, avec un groupe d'enfants assez
nombreux, commencée pendant leur vie prénatale. Je devrai me limiter à une
synthèse des résultats les plus significatifs. (Pour une présentation détaillée, voir
Tafuri 2007 qui contient un CD d'enregistrements audio et vidéo).
A la recherche ont donc participé 119 femmes enceintes, dont 77 ont
continué avec leurs nouveau-nés un mois après l'accouchement. Soixante d'entre
elles ont poursuivi l'expérience jusqu'à l'âge de deux ans avec leur enfant,
environ cinquante jusqu'à trois ans, environ trente jusqu'à six ans. Les données
ont été recueillies principalement par les parents à travers la rédaction du journal
que nous avions préparé, et surtout à travers les enregistrements audio et vidéo.
Ces données ont été analysées rigoureusement et, par rapport à certains facteurs,
ont été soumises à un traitement statistique afin d'éliminer le risque que les
résultats ne soient fortuits. Quant aux dialogues chantés e t à l a synchronie
métrique de la musique, nous avons comparé le résultats avec ceux obtenus par
un groupe d'enfants choisi en tant que groupe de contrôle, du même âge et placé
dans les mêmes conditions scolaires, mais qui n'avait pas reçu une «nourriture »
musicale continue dès la vie prénatale, pour mieux évaluer les conséquences
d'une expérience musicale systématique précoce.
224
- une synchronisation instrumentale (généralement un tambour) avec la
métrique d'une pièce musicale écoutée (une marche), non encore vraiment
correcte mais à un meilleur niveau que celui du groupe de contrôle ;
- une exploration riche et variée des instruments à percussion, reproduction
et invention de phrases rythmiques, capacité de chanter et jouer en mesure.
225
siècle (documentée — cf. Montessori 1938), déjà citée dans l'introduction, qui
pointait, au cours du développement individuel, l'existence de «périodes
sensitives» mettant en jeu une extraordinaire sensibilité au service de
l'apprentissage de certaines capacités. Si telle ou telle capacité n'a pas été
acquise pendant cette période sensitive spécifique, la perte est définitive pour les
autres espèces animales. S'agissant des êtres humains, il est encore possible de
faire des acquisitions, mais bien plus lentement et avec difficulté. L'exemple le
plus immédiat est celui de l'apprentissage de la langue maternelle dont la période
sensitive s'étend des derniers mois de la vie prénatale jusqu'à la troisième année
de vie. Citons l'exemple d'un enfant né avec une forte hypoacousie, ayant été
opéré, et ayant commencé à apprendre à parler vers l'âge de trois ans. Il pouvait
le faire, après un an de traitement, avec une voix assez gutturale et presque sans
intonation, en devant s'exercer considérablement.
Cette recherche n'a pas pris en considération, d'une façon prioritaire, le
contrôle de la durée de la période sensitive pour les capacités musicales de base
comme le chant, la synchronisation sensori-motrice, etc. Cependant, sur la base
d'une comparaison entre les résultats obtenus avec les enfants de cette expérience
jusqu'à trois ans et demi et les capacités moyennes relevées chez les enfants de
six ans dans une école primaire (Jorquera et al. 2000, Tafuri 2008), je me
hasarderai à faire l'hypothèse que les trois premières années, y compris les
derniers mois de la vie intra-utérine, sont déterminantes.
Il faudrait également ajouter que, lorsque l'on évoque les premières
manifestations de la capacité de chanter juste vers deux ans, ceci ne signifie pas
que cette aptitude est déjà stable. Ainsi que nous l'avons vérifié dans cette étude,
le même enfant peut chanter faux quelques passages le jour suivant, ou bien
même deux heures après. Il faut attendre encore au moins deux ou trois années
pour constater une certaine stabilité tonale. De toute façon, i l est toujours
nécessaire de déployer beaucoup d'attention pour que le contrôle oreille-voix soit
constant. On peut comparer cette capacité avec celle de la marche : l'enfant qui
apprend à se déplacer continue à tomber de temps en temps, et quelquefois on
tombe encore à l'âge adulte ! Il en va de même pour le chant. Pavarotti lui-même
a quelquefois chanté faux...
Ces résultats ont des conséquences importantes sur la conception de
l'enseignement, et il reste à espérer que l'on puisse abandonner le préjugé selon
lequel la capacité de chanter juste est innée. On n'insistera jamais assez
suffisamment sur le fait qu'il s'agit d'une capacité culturelle : dans la culture
occidentale, «chanter juste» est en rapport avec le système tonal. S'ils doivent
chanter un raga indien, les occidentaux ne sont pas capables de respecter
parfaitement les intervalles.
Ainsi que le remarque le psychologue russe A. Leont'ev (1969), nous ne
naissons pas avec des organes capables d'accomplir les fonctions générées par le
développement historique humain, mais ces organes se développent pendant
notre vie sur la base de notre expérience. S'il existe des carences, des défauts
226
d'habileté, ceci dépend avant tout de la pauvreté de cette dernière. Il peut se
produire des déficiences organiques, un sous-développement de zones cérébrales,
mais c'est assez rare. Dans le domaine musical, nous connaissons l'existence de
l'amusie, depuis les premières études qui lui sont consacrées par Fraisse (1974)
jusqu'aux plus récentes—celles de Sloboda (2006), de Peretz et al. (2008).
Cette question est donc d'importance par la place qu'elle occupe dans la
formation musicale et pour démonter les préjugés qui circulent, mais, avant de
conclure, il faut dire encore quelques mots sur les capacités rythmiques et plus
précisément sur la synchronisation sensori-motrice qui a été également étudiée
dans la recherche ici brièvement présentée. La capacité de jouer sur un tambour
la pulsation d'une mélodie que l'on écoute a été vérifiée avec des instruments
informatiques et a révélé des aspects remarquables (Tafuri, Malbràn 2010). S'il
peut sembler facile que des enfants de deux ans frappent un instrument de
manière synchronique avec une mélodie, le contrôle effectué par des moyens
informatiques nous a révélé que la véritable difficulté, à cet âge, est plutôt de
maintenir la synchronisation tout au long d'une mélodie (comme, pour les
adultes, pendant tout un mouvement d'une forme de longue durée). Les enfants
impliqués dans la recherche ont montré une capacité apparemment bonne, mais
en réalité (selon les contrôles informatiques) plutôt faible vers deux ans et demi,
avec un progrès considérable vers trois ans et demi et plus contenu à quatre ans et
demi. Une synchronisation suppose la coordination ouïe/geste du bras, la maîtrise
des mouvements nécessaires pour atteindre une régularité stable. Après avoir
comparé les résultats atteints par les enfants de la recherche avec ceux atteints
par les enfants d'un groupe de contrôle italien, et avec ceux d'un groupe d'enfants
argentins (Malbràn, Tafuri 2006), nous avons pu constater que le groupe initial,
qui avait reçu une éducation musicale pendant les premières aimées, a progressé
davantage.
La relation entre musique et mouvement, c'est la relation entre deux
formes expressives qui se situent dans le temps, et les mouvements (même
spontanés) effectués pendant l'écoute musicale nous permettent d'expérimenter
la structuration du temps dès la naissance (Imberty 2002). L'organisation
temporelle métriquement régulière des sons, dans une pièce musicale, invite à
réagir avec des mouvements qui reproduisent avant tout cette régularité métrique.
Il est fréquent de voir de tout petits enfants, dès l'âge de six mois, sur les genoux
de la mère ou assis sur le sol, se balancer en avant et en arrière en écoutant une
marche, par exemple. Ce phénomène est d'autant plus intéressant qu'il ne s'agit
pas alors d'une conduite apprise, mais d'une réponse spontanée qui constitue,
comme le théorise Fraisse (1974), «un système spontané de réponse de l'être
humain. Une cadence crée une induction motrice et la synchronisation est
presque incoercible'. »
FRAISSE, Paul (1974), Psychologie du rythme, Paris, Presses universitaires de France, p. 64.
227
Quelques conclusions
2GARDNER, Howard (1987), Formae mentis. Saggio sulla pluralità dell'intelligenza, Milano,
Feltrinelli (édition originale : Frames of mind : The theory of multiple intelligences, New York,
Basic Books), p. 394 de l'édition italienne.
228
BIBLIOGRAPHIE
BLACKING, John (1976), How musical is man ?, London, Faber and Faber.
229
FRAISSE, Paul (1974), Psychologie du rythme, Paris, Presses universitaires de
France.
230
MALBRAN, Silvia et TAFURI, Johannella (2006), « Experiencia musical prccoz
y sincronia rftmica con el tactus », Eufonia, 38, pp. 14-38.
MOOG, Helmut (1976), The Musical Experience of the Pre-school Child (1968),
London, Schott.
231
Barcelona, Gra6 2006 (con CD) ; traduction anglaise : Infant Musicality:
New Research for Educators and Parents, Farnham, GB, Ashgate, 2008,
with DVD).
232
OUVERTURES ET NOUVEAUX ENJEUX
LA FORMATION DE L'OREILLE
Jean-Paul DESPAX
235
A. Q u e l espace-temps pour la formation de l'oreille ?
236
conclusions révèlent que « les non-musiciens font preuve d'une très grande
aptitude à intégrer diverses sources d'informations lors du traitement des
structures mélodiques, à réagir à de fines manipulations harmoniques et à
apprendre implicitement de nouveaux systèmes de combinaisons de sons3. »
Ainsi, les performances des deux catégories d'auditeurs ne seraient pas
fondamentalement différentes au regard des tâches proposées lors des divers
protocoles expérimentaux et l'apport d'une formation musicale explicite ne s'est
pas avéré déterminant. Loin de nous l'idée saugrenue de contester ces résultats.
Rappelons toutefois que les exercices proposés aux sujets interrogent
principalement l a cohérence des énoncés musicaux, en particulier tonals,
notamment sur le plan mélodique et harmonique.
Comment peut-on dès lors; à la lumière de ces différents travaux,
appréhender plus précisément la notion de formation de l'oreille dans le cadre de
l'enseignement spécialisé de la musique ? Quelles compétences spécifiques
peuvent être acquises grâce à une formation explicite ? Quelles capacités
distinguent in fine un auditeur spécialisé d'un mélomane—fût-il averti ?
237
L'oreille étant l'organe des sens dévolu à l'audition, il est naturel de
s'intéresser prioritairement à la manière dont nous recevons et traitons les
séquences sonores, autrement dit, à la perception. Mais la musique étant fugace
par définition, s'écoulant continuellement du présent vers le passé, il nous faut
également envisager la façon dont nous nous saisissons d'elle pour la maintenir
présente malgré tout, à savoir la mémorisation, et son corollaire, qui seule
garantit le maintien et le rappel de la musique à la conscience : l'audition
intérieure. Ensuite, i l faut nous interroger sur ce que nous faisons de cette
musique entendue et mémorisée, la manière dont nous l'analysons, lui donnons
du sens, la jugeons et la classifions ; enfin, sur ce que nous déciderons d'en faire
pour de bon : l'abandonner là et l'oublier, tout simplement, ou se l'approprier et
partir avec, c'est-à-dire la stocker durablement dans les archives de notre
bibliothèque intérieure, la ranger comme un bien précieux parmi les autres
références de notre répertoire personnel, de notre portion de patrimoine en
quelque sorte.
I. L a perception
Tout d'abord, on peut dire que la formation de l'oreille passe par une
éducation de et à l'écoute. La première étape consiste à orienter et focaliser son
écoute, ce qui exige un contrôle conscient de l'attention. Comme nous
l'enseignent Richard Gerrig et Philip Zimbardo, la perception est régie par deux
types de processus : attentionnels et organisationnels5. Selon eux, notre attention
obéit soit à la « sélection volontaire (attention endogène) » soit à la « capture
conduite par le stimulus (attention exogène) 6. » Ainsi, je peux tantôt me laisser
balloter par les remous et les secousses de l'oeuvre que j'écoute, ou au contraire
fixer, par un effort volontaire, mon attention sur tel ou tel aspect, tel ou tel
paramètre, telle ou telle dimension. Dans les deux cas, certains éléments du
discours sonore seront éclairés par les projecteurs de mon faisceau attentionnel et
placés dans la pleine lumière de ma conscience, tandis que d'autres resteront
comme ignorés, dans l'ombre, non traités ou traités seulement de manière
inconsciente. Le cerveau dispose de ressources attentionnelles limitées, et « cette
limitation exige de l'attention qu'elle régule de façon stricte le flux d'information
depuis les signaux entrants jusqu'à la conscience. La théorie du filtre de
l'attention stipule que la sélection se produit relativement tôt dans le processus,
avant même que la signification des informations d'entrée ne soit accessible'. »
C'est pourquoi les consignes d'écoute devront être données en amont et ne
5GERRIG, Richard et ZIMBARDO, Philip (2008), Psychologie, 18` édition, traduction française
dirigée par Serge Nicolas, Paris, Pearson Education France, chapitre 4 «Sensation et perception »,
pp. 71-110. Voir plus particulièrement le §4.6 " Les processus organisationnels de la perception ",
pp. 95-104.
Ibid, p. 96.
7 Ibid., p. 97.
238
sauront être trop nombreuses à la fois, car l'attention ne peut se porter
simultanément sur tous les aspects d'une oeuvre. De même, ces consignes doivent
être bien distinctes et clairement graduées : on peut obtenir lors d'une troisième
écoute des éléments de structuration hiérarchique du discours fondés sur la
mémoire (par exemple, le repérage d'une forme à reprises) alors qu'il serait plus
hasardeux d'espérer l'obtenir à la première écoute. Enfin, si une consigne
monopolise l'attention auditive des élèves durant toute la durée du fragment (par
exemple la question : listez les instruments dans leur ordre d'intervention), il
semble utopique d'espérer la moindre autre investigation menée en parallèle !
Notre cerveau est capable de beaucoup de choses, mais pas forcément de toutes à
la fois.
Les théoriciens de la Forme (Gestalt) ont établi des lois qui gouvernent
les principes d u groupement perceptif : proximité, similarité, continuité,
fermeture, mouvement ou destin commun. Ces lois semblent pouvoir être
appliquées à la musique : regroupement selon les lois de proximité en termes de
hauteurs (mouvement conjoint, petits intervalles, même registre), de similarité de
timbre, de continuité (absence de silence), de fermeture (comblement des silences
très brefs ou des respirations), de destin commun (même rythme, même direction
mélodique...)8. Les scientifiques se sont également penchés sur la manière dont
notre attention auditive pouvait être diversement attirée selon la nature des
événements musicaux. John A. Sloboda9 s'interroge sur les raisons pouvant
expliquer la polarisation naturelle de l'écoute sur la ligne mélodique supérieure et
conclut : « I l semble donc que l'expérience de la musique normale, où la
prédominance des parties supérieures est notoire, conduise, dans l'ensemble, à
une disposition acquise qui, en l'absence de contre-signaux puissants, polarisera
l'attention sur l a voix supérieure. » Ensuite, i l énonce une série d e
caractéristiques permettant de distinguer certaines voix de la polyphonie (volume
sonore, timbre spécifique...). C'est ainsi par exemple qu'il est possible d'isoler
les différentes voix d'une fugue de Bach jouée sur un piano, en timbrant
davantage ou différemment chaque voix, en adoptant différentes articulations, en
jouant plus fort ou moins fort telle ou telle partie... ainsi qu'en témoignent les
enregistrements de Glenn Gould notamment. En outre, il relève « une inclination
naturelle, qu'on appelle parfois la "réponse orientée", à porter une plus grande
attention à un événement nouveau, intervenant au sein d'un environnement
complexe, qu'aux événements familiers". » C'est ainsi que l'apparition d'une
nouvelle voix dans une fugue aura naturellement tendance à attirer l'attention sur
elle et à masquer la poursuite des autres voix. Enfin, il postule qu'« un auditeur
Ibid., p. 98.
9 SLOBODA, John A . (1988), op. cit., chapitre 5 «L'écoute musicale », §5.3 "L'attention dans
l'écoute musicale ", pp. 227-239.
I° Ibid., p. 238.
Ibid.
239
inclinera à se maintenir sur une ligne particulière une fois qu'il y aura été attiré,
sauf si son attention se trouve fortement sollicitée ailleurs12. »
Le travail de la perception, tout au long de la formation musicale, conduit
donc progressivement à isoler les composants individuels d'un son complexe, à
distinguer et suivre le destin indépendant des voix d'une polyphonie, mais aussi à
suivre la succession des événements musicaux et à les organiser. Pour cela, un
musicien dispose avec l'âge et les aimées d'outils perceptifs de plus en plus
sophistiqués. Il apprend à subdiviser ou à multiplier la pulsation de référence et à
jouer avec des niveaux de pulsation de plus en plus nombreux, ainsi que l'a
montré Carolyn Draken. De même, il apprend à segmenter le discours musical en
unités perceptives cohérentes (phrases ou membres de phrases) et à hiérarchiser
les différents segments ; cette capacité augmente avec l'âge et la formation
musicale, mais également en fonction du degré de connaissance de l'ouvre « L e
niveau de structuration de la représentation mentale devient plus complexe au
cours d ' u n apprentissage e n y incorporant des niveaux hiérarchiques
supérieurs'''. » La perception des structures de hauteurs se fonde également sur
un certain nombre d'échelles intériorisées, de la gamme majeure aux échelles
modales de toutes nature, jusqu'à la gamme panchromatique et, pourquoi pas,
aux échelles micro-intervalliques (1/3 de ton, 1/4 de ton, 1/6 de ton...). Dans
cette perspective, le commentaire d'écoute, quelle que soit sa forme, se révèle un
exercice précieux tout au long des études car il sollicite l'écoute active et apprend
à focaliser l'écoute. De plus, i l permet une forme d'écoute « globale » qui
structure le discours avant de l'analyser. Enfin, il est le temps de la rencontre et
de l'imprégnation avec le matériau étudié, et ce temps, préalable à toute
mémorisation, analyse, relevé... ne saurait être éludé sans compromettre la
poursuite du processus. Parallèlement, les exercices d'affinement perceptif,
conseillés par tous les grands pédagogues depuis l'avènement des méthodes dites
«actives », illimités dans leur variété et donc dans l'intérêt qu'ils suscitent,
pourront être poussés très loin, en fonction de la progression des élèves. Le
contrôle de la justesse notamment ne pourra s'effectuer qu'au moyen d'une
perception de la hauteur et des rapports de hauteurs extrêmement fine. C'est
pourquoi les exercices de discrimination des hauteurs devront nécessairement
descendre sous l a limite d u demi-ton. D e même, l'appréciation d'une
interprétation ou sa comparaison avec une autre repose sur d'infimes variations
de chaque paramètre du son : si ce n'est de timbre, du moins de sonorité, de
« couleur », d'attaque et/ou d'entretien du son, si ce n'est d'intensité, du moins
d'accentuation et d'appui, si ce n'est de hauteur, du moins de justesse relative ou
expressive, si ce n'est de rythme, du moins de phrasé, d'élans, de rubato et/ou
d' agogique.
12Mid., p. 239.
13DRAKE, Carolyn (2010), op. cit., pp. 187-189.
14 Ibid., p. 187.
240
IL L a mémorisation
241
« calepin visuo-spatial » qui permet de se représenter les objets ou les mots
mémorisésI6.
242
remémoration d'informations anciennes'''. » L'interférence proactive explique
pourquoi certains élèves ont du mal à mémoriser une variation mélodique ou un
conséquent immédiatement après a v o i r mémorisé l a mélodie d'origine,
confondant voire mélangeant les deux. E n cela, une analyse partielle des
segments peut s'avérer nécessaire, toute forme de conscientisation verbale venant
à l'appui du travail de mémoire (visualisation des mouvements mélodiques,
identification de certains intervalles, repérage des redites et variantes, recours
spontané au nom des notes...). L'interférence rétroactive dénote quant à elle la
difficulté à se remémorer une phrase A après avoir passé du temps à mémoriser
une phrase B . C'est pourquoi nous conseillons l e schéma d'apprentissage
suivant : phrase A — phrase B — phrases A+B — phrase C — phrase D — phrases
C+D — phrases A+B+C+D, etc. En suivant cette méthode, et avec suffisamment
d'entraînement, il est possible de mémoriser un thème entier en quelques minutes
seulement.
Le troisième et dernier type de mémorisation concerne le long terme ; il
correspond à l'apprentissage par coeur d'extraits d'oeuvres ou d'oeuvres entières.
Nous avons choisi de traiter ce point ultérieurement (voir paragraphe V).
17GERR1G, Richard et ZIMBARDO, Philip (2008), op. cit., chapitre 7 «La mémoire », p. 180.
18MARTENOT, Maurice (1970), Principes fondamentaux de formation musicale et leur application
(1967), Paris, Magnard. Lire également l'article de Marguerite Labrousse, qui assume pleinement
l'héritage de Martenot dans sa pédagogie.
243
d'imaginer des séquences musicales originales, inouïes au sens premier de ce
terme (c'est-à-dire jamais entendues auparavant). I l me semble indispensable
d'aborder ces deux fonctions dès les débuts de la formation, en particulier dès
l'éveil. L e chant spontané ayant tendance à disparaître à mesure que la
reproduction exacte de chansons se fait plus précise, il nous revient de le stimuler
souvent, afin que le plaisir de l'exploration sonore et de la production personnelle
ne s'éteigne pas à tout jamais. C'est pourquoi toutes les situations permettant à
l'apprenti-musicien de produire du sonore doivent être multipliées et réalisées
dans un climat d'encouragement et de confiance permanents, le regard des autres,
l'auto jugement et l'inhibition étant les pires ennemis de la création !
Les jeux proposés par Martenot pour développer l'audition intérieure
peuvent être prolongés tout au long des études par quantité d'exercices visant la
manipulation intérieure des sons. Les enfants sont habitués à manipuler les
objets : ils peuvent les déplacer, les assembler pour créer diverses structures, les
compter, les classer, etc. Plus tard, les adolescents jouent avec des abstractions :
des grandeurs, des formes ou des concepts : il y a eu intériorisation19 ! Cela est
plus difficile avec les sons, du fait de leur immatérialité, et aussi parce que nous
avons très tôt besoin de pouvoir les intérioriser. C'est pourquoi nous conseillons
les exercices de manipulation suivants à réaliser aussi fréquemment que possible
sur des segments mélodiques mémorisés : 1) changer de tempo, ralentir ou
accélérer en cours de route, voire la combinaison des deux ; 2) changer l'ordre
des sons, s'arrêter sur un son, cibler et isoler deux sons successifs, deux sons
distants ; 3) cibler un intervalle disjoint et le «remplir », c'est-à-dire chanter tous
les degrés intermédiaires ; 4) octavier tout ou partie de la séquence, renverser un
ou plusieurs intervalles, transposer la séquence ; 5) varier la séquence en
introduisant des diminutions, en changeant les intervalles, en modifiant la fin ;
6) chanter le mouvement contraire, le mouvement rétrograde ou le rétrograde
contraire (pour les plus avancés)...
En outre, l'audition intérieure ne saurait rester longtemps monodique : la
polyphonie aussi nécessite d'être intériorisée ! Comme l e rappelle Edgar
Willems, « il est bien entendu que le développement auditif et musical se
poursuivra à travers toutes les années d'étude, puisqu'il faudrait arriver à une
audition intérieure harmonique et polyphonique correspondante aux oeuvres
qu'on exécuten. » L'intériorisation de la polyphonie passe par deux dimensions
complémentaires : l ' u n e horizontale ( l e destin indépendant des lignes
superposées), l'autre verticale (les rencontres intervalliques et harmoniques se
produisant à chaque instant du fait de la superposition des voix). Pour pouvoir
être intériorisées, ces deux dimensions doivent au préalable être explorées à haute
voix, en situation. A cette fin, tous les exercices de contrepoint vocal improvisé
seront les bienvenus (canons, contrepoints note contre note, faux-bourdon...) et
on ne saurait trop recommander à chacun de nous d'aller se former à ces
244
techniques séculaires dont les apports restent aujourd'hui encore pleinement
d'actualité. De même, toutes les formes de musique collective doivent être
pratiquées très tôt, car l'intériorisation que représente l'audition silencieuse ne
peut se développer que grâce à une pratique régulière.
Enfin, il serait souhaitable que chaque musicien puisse être initié à la
pratique du clavier, au moins jusqu'à être en mesure de jouer des pièces
polyphoniques à deux voix, des accords et de la mélodie accompagnée. En effet,
pour pouvoir être entendue intérieurement l'harmonie doit d'abord être
pratiquée ! Les classes d'écriture, que nous intégrons tardivement dans notre
formation, seront suivies avec d'autant plus de bonheur que l'audition intérieure
harmonique aura été initiée plus tôt. C'est pourquoi, en l'absence d'une pratique
régulière au clavier, nous conseillons intensément le chant vertical. Maîtrisé
suffisamment, c'est-à-dire réalisé avec sûreté et rapidité, il permet à l'oreille de
synthétiser l'image des sons successifs en une représentation harmonique
cohérente. Exécuté à la perfection, il est le seul à même de permettre la lecture
intérieure des partitions polyphoniques dont chaque musicien a besoin, pas
seulement les musicologues ou les chefs d'orchestre !
245
inestimables : le passage à l'instrument, qui permet de s'approprier physiquement
la séquence, et le passage à l'écrit, sous la forme d'un relevé sur portées ou de
tout autre système de signes (lorsque la portée se révèle inopérante), qui permet
de fixer en donnant une forme graphique. Ces deux moments nous apparaissent
essentiels à la formation de l'oreille, et ne sauraient être éludés, ni au détriment
l'un de l'autre, ni purement et simplement, au profit de la seule oralité.
Ce travail d'analyse auditive, progressif et patient, va ainsi nous
permettre de passer graduellement de la sonorité aux sons, des sons aux notes,
des notes aux signes et des signes aux gestes. La boucle est bouclée ! Ainsi, nous
ne nous contentons pas de décomposer, de disséquer, de façon gratuite, mais au
contraire nous redonnons du sens. En effet, il s'agit à la fois de replacer la
séquence travaillée dans une perspective historique, stylistique et esthétique,
mais aussi de se positionner en musiciens-interprètes : analyser pour mieux
connaître, mieux comprendre, et donc pour mieux jouer2' !
Mais tout cela paraît peut-être trop beau, utopique en quelque sorte. En
effet, nous avons tous des élèves qui vont se trouver systématiquement en échec
au moment de dire de quelles notes i l s'agit, de quels rythmes, de quels
accords... Envisageons ces quelques points en détail, car il s'agit là du point
crucial de notre étude, de la pierre angulaire en quelque sorte. Précisons
auparavant que nous nous fondons i c i sur une conception modulaire du
traitement musical par le cerveau, telles que les recherches récentes en
neurosciences l'ont mise en lumière. Voici notamment ce qu'en dit l e
neuroscientifique canadien Daniel Levitin : «L'activité musicale sollicite
presque toutes les régions du cerveau connues, ainsi que la plupart des sous-
systèmes neuronaux. Les différents aspects de la musique sont pris en charge par
des régions cérébrales spécifiques : le cerveau utilise la ségrégation fonctionnelle
et emploie un système de détection de caractéristiques pour analyser les divers
aspects du signal musical (la hauteur tonale, le tempo, le timbre, etc.) 22. »
a. Les hauteurs
21 Ainsi, une appoggiature ne sera plus une simple réponse à un devoir de théorie sur les notes
étrangères, mais une note expressive créant une dissonance lors de son attaque, retrouvant la
consonance au moment de sa résolution, ce qui appelle une intention musicale particulière. De
même, une syncope ne sera plus un phénomène rythmique plus ou moins déstabilisant, mais un
accent délibérément choisi et positionné pour contrecarrer la régularité de la hiérarchie métrique.
22 LEVITIN, Daniel (2010), De la note au cerveau, L'influence de la musique sur le comportement
(2006), trad. française par Samuel Sfez, Paris, Editions Héloïse d'Ormesson, p . 11 2 ; v o i r
également CHOUARD, Claude-Henri (2001), op. cit., chapitre 3 «Les chemins de la musique »,
pp. 215-238, et plus particulièrement le paragraphe intitulé " Localisations cérébrales des centres
traitant les différents constituants physiques de la musique ", pp. 224-235.
246
Un contour est une forme de visualisation des hauteurs relatives pouvant
être exprimée soit par un geste de la main, soit par un dessin formant une courbe
reliant entre eux des points symbolisant les sons (cf. la notation neumatique du
IX' siècle). Le module d'analyse des contours semble privilégié par les enfants
en début de formation musicale ainsi que par les non-musiciens. Cependant, un
entraînement progressif à l'appréciation des contours mélodiques nous semble
excellent tout au long de la formation, et ce à plus d'un titre. Tout d'abord, nous
voyons chaque année des élèves qui, bien qu'arrivés en 3' cycle, peinent à
reconnaître des sons identiques dans un fragment mélodique lorsque ceux-ci ne
se suivent pas immédiatement, preuve que leur analyse auditive se limite à la
direction du mouvement entre chaque note et celle qui la suit, sans appréhension
globale de la forme mélodique. Ensuite, l'analyse des contours épouse à peu de
choses près, toujours selon les chercheurs, les limites de la mémoire à court
terme, ce qui la rend très pertinente sur de petits groupes de quelques notes
rapidement mémorisables (cellules ou motifs caractéristiques). De plus, un
contour correspond généralement assez bien à un schéma digital permettant le
passage à l'instrument. Il peut aussi se « translater »23 facilement, ce qui limite la
dépendance à l'égard des noms des notes et permet une souplesse de jeu avec les
ordonnances. L'ensemble pourra être relié à des exercices de lecture relative,
lesquels ne seront plus simplement lus, mais joués et chantés, en lien donc avec
la construction de l'oreille.
En deuxième lieu arrive la reconnaissance des intervalles. Certaines
questions24 demeurent à son sujet : est-elle 1) de type analytique (une quinte juste
est un intervalle contenant trois fois un ton et une fois un demi-ton), le cerveau
utilisant l'échelle sous-jacente pour évaluer la distance entre deux sons ?
2) mémorielle (une quinte juste ascendante, c'est comme le début d'« Ah ! Vous
dirai-je maman »), le cerveau utilisant telle quinte particulière disponible en
mémoire à long terme pour reconnaître toutes les quintes qui lui sont proposées ?
3) catégorielle (une quinte est une quinte parce qu'elle sonne comme une quinte),
le cerveau utilisant toutes les quintes entendues jusque là et qui lui ont peu à peu
permis d'échafauder une représentation intuitive de ce qu'est une quinte ? Par
ailleurs, il est vrai qu'en do majeur, la quinte do-sol et la quinte ré-la ne sonnent
pas du tout de la même manière ! Kirnberger, dans son traité de rhétorique
musicale Die Kunst des reinen Satzes, différencie la « petite » et la « fausse
quinte » (si-fa respectivement en la mineur et en do majeur) ainsi que la « grande
quarte » et la « quarte augmentée » (fa-si respectivement en la mineur et en do
23Nous empruntons ce terme à la géométrie, où il signifie «déplacer une figure dans l'espace »,
afin de créer une nuance par rapport à l'idée de transposition tonale. La translation revient donc à
déplacer diatoniquement un motif mélodique vers le haut ou vers le bas, à l'intérieur d'une échelle
donnée, comme dans les exercices de Hanon par exemple.
24 Lire notamment LEVITIN, Daniel (2010), op. cit., chapitre 5 «Tu connais mon nom, cherche
mon numéro », pp. 169-211, et plus particulièrement la discussion autour de l'évolution de la
notion de catégorie à partir d'Aristote, Wittgenstein, Rosch (théorie du prototype), de la théorie de
l'exemplaire et du modèle de mémoire à traces multiples de Hintzman et Goldinger, pp. 177 sqq.
247
majeur). Dans un contexte atonal, les intervalles acquièrent une «identité
acoustique » propre, que la subordination à la logique scalaire avait jusque là
masqué (la seconde majeure chez Debussy, la tierce mineure chez Bada ou
Ligeti, la quarte juste chez Hindemith, le triton chez Messiaen...). Là encore, la
transposition sera le meilleur exercice pour préparer à la reconnaissance des
intervalles, mais de façon encore plus conscientisée et analytique, donc plus
tardive dans la formation des élèves. Dans tous les cas, pour être efficiente, cette
reconnaissance doit être quasi instantanée, puisque dans la musique réelle les
intervalles se succèdent très rapidement. Sans doute y a-t-il là une limite dans
l'analyse fondée seulement sur les intervalles, et la coopération judicieuse des
trois modules (contour/intervalles/sens tonal) semble indispensable dans bien des
cas. Combien d'élèves voyons-nous réussir sans aucun mal des exercices isolés
de reconnaissance intervallique e t échouer dans l'écriture de fragments
mélodiques, ceci prouvant que l'un n'implique pas forcément l'autre, e t
réciproquement !
En dernier lieu vient donc le sens tonal. Puisque la gamme majeure est
généralement chez nos élèves le premier modèle d'échelle intériorisée par
acculturation, il nous semble opportun de partir de cette échelle «première », de
ce prototype en quelque sorte, au moyen de laquelle les autres échelles pourront
être à leur tour mémorisées, théorisées consciemment et intériorisées. L'idée du
travail autour de la notion de sens tonal est que chaque note n'est pas tant définie
par son nom que par la place qu'elle occupe au sein de l'échelle. C'est là que les
notions de tonique, dominante, médiante, sensible... commencent à prendre tout
leur sens. Là encore, la transposition (de mémoire, et non lue !) permettra de
relativiser l'étiquette de chaque note au profit de la relation hiérarchique que les
notes entretiennent entre elles. A u passage apparaîtront les altérations,
indispensables au respect des tons et demi-tons entre chaque degré... d'où
l'intérêt encore du passage à l'instrument, puisqu'une transposition simplement
vocale de do majeur vers sol majeur risque de rendre l'arrivée du fa dièse
totalement inaperçue ! Idéalement, i l faudrait amener progressivement d'une
transposition au ton (inférieur et supérieur) à des transpositions plus éloignées,
car s'il est possible de transposer une mélodie un ton plus haut en faisant du note
à note dans sa tête, cela devient plus difficile et laborieux à la quarte ou à la
quinte. A ce moment-là, la transposition devient véritablement re-création de la
mélodie, avec ses contours, ses intervalles et son centre tonal, seul le repère du
nom des notes ayant changé !
Permettons-nous ici une brève pause dans notre exposé, et abordons la
question épineuse des oreilles dites « relative » et « absolue ». Les chercheurs ont
montré que « [l'oreille absolue] est associée à l'activation simultanée d'une zone
frontale gauche proche de l'aire de Broca. Tout se passe comme si l'audition de
la note activait également sa dénomination par l'intermédiaire d'un circuit reliant
directement le planum temporal et les régions proches de la production du
langage. Au contraire, l'oreille relative implique un recours à la mémoire de
248
travail et à l'activation de zones frontales bilatérales25. » Cela révèle donc des
différences anatomiques fortes entre les deux catégories d'auditeurs, et par
conséquent des stratégies cognitives spécifiques dont l'enseignant ne peut plus
aujourd'hui ignorer la teneur. Il ne s'agit en aucun cas de privilégier l'une au
détriment de l'autre, encore moins de vouloir à tout prix former nos élèves à
l'obtention de l'oreille absolue dont on sait par ailleurs que son développement,
certes favorisé par une immersion musicale et un apprentissage précoce, reste
relativement marginal (une personne sur dix mille environ), mais plutôt de
permettre à chacun de prendre conscience de son profil auditif et de développer
les stratégies adéquates. Au sujet de l'oreille absolue, nous ne considérons en
aucun cas qu'il s'agisse du nec plus ultra en termes de formation de l'oreille, la
capacité à nommer les sons instantanément n'étant pas nécessairement synonyme
de compréhension ni de musicalité. De plus, celle-ci peut montrer certaines
limites : elle peut faiblir avec les années, fonctionner mieux certains jours que
d'autres ou en fonction des timbres, et elle déteste les variations de diapason !
L'oreille relative, a contrario, s'attache aux relations entre les sons et en cela
recèle un fort potentiel d'amélioration tout au long de la vie, notamment grâce à
la maturité, la culture musicale et le répertoire personnel.
Autre question éminemment épineuse : celle du nom des notes. Depuis
l'Antiquité, les spécialistes de la musique se sont attachés à donner une identité
précise aux hauteurs de sons afin de mieux les appréhender. Cela s'est fait au
moyen des lettres de l'alphabet dans un premier temps (tradition gréco-latine
toujours en vigueur dans les pays anglo-saxons), puis au moyen de syllabes, six à
l'origine (invention de Gui d'Arezzo) puis sept dès le XVIe siècle. Ces syllabes
ayant la faculté de faciliter la mémorisation et la reconnaissance des hauteurs,
pourquoi nous en priverions-nous ? De plus, elles sont un excellent moyen
d'encoder et de stocker la musique, nous y reviendrons dans la section suivante.
Enfin, nous sommes issus de cette tradition, autant l'assumer et construire à partir
de cela. On pourra certes regretter que les notes altérées portent le même nom
que les notes naturelles, ce qui pose des problèmes évidents. On pourra regretter
également que le solfège absolu, tel que nous le pratiquons, masque l a
ressemblance structurelle entre les gammes et la fonction de chaque degré, mais
les solfèges par transposition pratiqués autour de nous atteignent également leurs
limites lorsque l'on s'éloigne trop de la tonalité classique, et les solfèges par
degrés (« 1 » pour la tonique, etc.) n'ont jamais réussi à s'imposer durablement.
Qu'en pensent les scientifiques ? Selon Emmanuel Bigand, « Francès (1958)
suppose que la connaissance du code permettant de dénommer les notes et les
structures musicales dote les musiciens d'habiletés cognitives pour structurer la
musique que l'on ne trouve pas chez les non-musiciens. Le fait de pouvoir
25 LEMARQUIS, Pierre (2009), Sérénade pour un cerveau musicien, Paris, Odile Jacob, p. 53.
249
représenter mentalement une mélodie par le nom des notes qui la constituent
pourrait ainsi renforcer la trace en mémoire de cette mélodie26. »
b. Le rythme
c. L'harmonie
26 BIGAND, Emmanuel (2010), op. cit., p. 209. I l est fait référence ici à l'ouvrage de Robert
Francès, La perception de la musique, dont la première édition remonte à 1958.
27 GOSSELIN, Nathalie, PERETZ, Isabelle, CLEMENT, Juliette e t DALLA BELLA, Simone,
«Comment le cerveau reconnaît-il l a musique ? Autonomie et fractionnement du Système de
Reconnaissance Musicale », LECHEVALIER et al., op. cit., p. 104 sq.
28 Ibid., p. 105.
250
de stabilité ou de plus ou moins grande instabilité) et/ou une émotion, un affect
qui lui est propre (gai/lumineux pour l'accord parfait majeur, triste/sombre pour
l'accord parfait mineur, romantique/tourmenté pour la septième diminuée...)
mais ces sensations sont à manipuler avec circonspection car elles peuvent bien
souvent s'avérer subjectives ou dépendantes du contexte (une septième mineure à
l'état fondamental n'aura pas le même impact affectif si elle est utilisée dans un
contexte modal ou sur le deuxième degré d'une gamine majeure). En outre,
l'empreinte sonore de chaque harmonie et de chaque accord peut être archivée en
mémoire à long terme et reconnue quasi instantanément à chaque ré-audition,
chose que l'on constate beaucoup plus fréquemment chez nos étudiants
claviéristes ou ayant suivi les classes d'écriture, preuve qu'un tel type de
mémoire se trouve considérablement renforcé par une pratique accrue et
quotidienne de la dimension verticale de la musique. Enfin, l'harmonie peut être
reconnue par une déduction analytique qui envisage le contexte de l'accord et son
positionnement dans l a phrase, les intervalles séparant les notes qui l e
constituent, son degré dans l'échelle, son renversement, la façon dont il est
amené ou résolu... Tout cela nécessite à la fois de solides aptitudes perceptives
pour repérer les sons contenus dans les accords et évaluer les intervalles entre
eux, ainsi qu'un confortable bagage de connaissances théoriques sur l e
fonctionnement de l'harmonie, notamment tonale et modale.
251
progresse en dictée ! Un diagnostic précis est souvent nécessaire afin de détecter
où le bât blesse et imaginer des exercices correctifs adaptés.
A mon sens, telle qu'elle apparaît dans les programmes de nos conservatoires,
c'est-à-dire comme un cours séparé, sans relation avec d'autres disciplines plus
importantes, [la dictée] est une partie de l'éducation musicale totalement inutile.
(...) D'un autre côté, on ne peut le nier, l'absence totale d'une telle maîtrise chez
un musicien ne plaide pas en faveur du niveau de sa formation. Cette
compétence doit être développée aussi bien que toutes les autres facettes de son
talent. (...) Le plus grand danger du cours de dictée est que celui-ci dégénère en
une sorte de rébus. Rien n'est plus insensé que de combiner des aspirations
musicales avec l'idée d'une compétition mentale ou même avec un jeu de
devinettes encore plus puéril. Maintenir les exercices de dictée au plus haut
niveau, tel doit plutôt être le souci du maître qui met au premier plan le
développement artistique des élèves29.
Nous voyons bien que le programme de formation auditive, tel qu'il a été
imaginé par les auteurs de la réforme, dépasse largement le cadre de la seule
dictée, sans toutefois la renier ni la supprimer. Relisons enfin ce qu'écrit Eric
Sprogis dans un texte de 1985 intitulé « Pédagogie de l'écoute contre pédagogie
de l'échec» :
252
connaître et non seulement comme exercice gratuit) un fragment musical à partir
de l a « simple » écoute active. Cette démarche se réfère explicitement à la
pédagogie du projet (ou pédagogie par objectifs : principe de l'action qui est
organisée vers u n but au lieu d'imposer à l'enfant des leçons dont i l ne
comprend ni le but ni Putilité)31.
253
pas, et n'oublions jamais que la formation de l'oreille n'est pas qu'une formation
aux notes mais aussi une formation au(x) son(s).
De même, tout ce qui relève du qualitatif d'un point de vue sonore, le
« comment » du son (nuances et dynamiques, articulations, phrasé...) ainsi
nommé par opposition au « quoi » et au « quand », ne bénéficie que très rarement
d'un intérêt comparable à celui porté aux deux dimensions principales de la
notation musicale : les hauteurs et les durées. Mais un relevé de thème qui ne
s'attacherait pas à préciser les liaisons de phrasé et/ou d'articulation, les
éventuels accents, les indications de nuances et d'agogique, pourrait-il être
considéré comme satisfaisant ? Quel effort d'abstraction et de réduction faut-il
produire pour parvenir à ignorer à ce point toute l'enveloppe sensuelle de la
musique ? Au contraire, nous pensons que la formation de l'oreille ne vise pas
seulement à reconnaître, à identifier et à nommer des hauteurs, des rythmes, des
timbres ou leurs combinaisons, mais également à détecter les infinies manières de
nuancer et d'articuler les sons, à apprécier les différences, et donc à goûter les
saveurs respectives d e différentes propositions musicales. E n cela, l a
comparaison de différentes versions d'une même oeuvre nous semble un exercice
insuffisamment pratiqué, faute de temps probablement, et pourtant ô combien
formateur ! Il serait en quelque sorte l'extension, en beaucoup plus fin et subtil,
du mieux connu mais tout aussi peu pratiqué dépistage de fautes. Et pourtant,
comment prétendre enseigner l'autonomie si l'on n'enseigne pas à différencier
deux états d'une même oeuvre, par exemple celle imaginée, idéale en quelque
sorte, et celle effectivement entendue ou réalisée ?
Convenons-en, tout ceci est ardu et prend beaucoup de temps. Il faut de
longues années pour parvenir à un bon niveau de performances (une dizaine au
moins), le temps de cours hebdomadaire ne saurait être trop réduit étant donné le
champ de compétences à couvrir, e t le nombre d'élèves par groupe trop
important, afin de pouvoir assurer un suivi suffisamment personnalisé et, le cas
échéant, remédier aux difficultés de chacun. Par ailleurs, cela demande à
l'enseignant un véritable effort de structuration, afin que les connaissances et
compétences soient développées progressivement et parallèlement, et à l'élève un
investissement et une démarche active qui se prolonge au-delà du temps de cours,
notamment par un travail vocal ou instrumental personnel visant à entretenir les
savoirs et à affiner les savoir-faire.
254
qui va permettre le stockage à long terme. Cette mémoire à long terme repose sur
différentes sous-structures mémorielles : la mémoire kinesthésique, qui est celle
des mouvements que l'instrumentiste doit effectuer pour jouer l'oeuvre, ou du
geste de battue de mesure par exemple, la mémoire mélodique, qui est celle des
sons, la mémoire sémantique, qui relève notamment du nom des notes, des
paroles le cas échéant, ou de tout élément de la séquence analysé explicitement,
c'est-à-dire verbalisé et dénommé, la mémoire graphique, celle de l'écriture de la
partition, ou visuelle, celle de la lecture, ou encore autobiographique, celle des
événements de notre vie que nous retenons parce qu'ils nous ont marqué et que
nous leur avons accordé de l'importance. Ces sous-mémoires se complètent et se
renforcent mutuellement et tous les scientifiques s'accordent pour dire que c'est
de la qualité de l'encodage (c'est-à-dire la façon consciente et non-consciente
dont on a mémorisé l'oeuvre) qui fera la durée et la fiabilité de la mémorisation,
et donc la précision et la qualité du rappel ultérieur32. Rejoignant le témoignage
de Laurence Renault-Lescure, nous sommes toujours émerveillé d'entendre,
année après année, certains élèves rechanter au dernier cours, de mémoire et
intégralement, la chanson ou le thème appris au premier cours, ou encore certains
élèves utiliser tel incipit d'une mélodie étudiée plusieurs années auparavant
comme modèle de tel ou tel intervalle. Nous sommes souvent surpris de voir ce
que les élèves ont retenu le plus, il ne s'agit pas toujours de ce sur quoi nous
pensions avoir mis le plus l'accent...
Qu'importe, à chacun son répertoire, ses références, ses trésors cachés !
Ces oeuvres continuent de vivre en nous, enrichissant notre écoute et modelant
notre identité d'interprète. Elles évoluent même toutes seules, au contact des
autres musiques que nous enregistrons. Nous l'avons tous un jour ou l'autre
constaté en reprenant une pièce travaillée par le passé : nous ne la jouons plus de
la même manière ! Certes, notre technique a évolué, facilitant ou modifiant notre
façon d'aborder tel ou tel passage, mais surtout nous entendons l'oeuvre
autrement, nous nous en faisons une autre idée, une conception neuve à laquelle
nous donnons vie tout à coup. C'est proprement exaltant lorsque cela se produit.
Il est également amusant de penser que, s'il devait partir sur une île déserte, un
musicien amènerait tout de même avec lui toute sa musique intérieure, ce qui est
déjà beaucoup !
Mais revenons à la qualité de l'encodage... Tout ce qui peut permettre de
solidifier la mémorisation doit être utilisé, en particulier le codage harmonique,
qui permet de retenir sous une forme extrêmement « économique » (un degré et
un chiffrage, p a r exemple) des grappes entières d e notes, l'analyse
phraséologique et tonale, qui permet de reconstituer la logique interne du
discours musical, ou encore la schématisation structurelle (sous la forme de
tableaux, d'arborescences...), qui permet de se repérer dans l'oeuvre comme sur
un plan, et ainsi de toujours savoir où l'on en est !
32GERRIG, Richard et ZIMBARDO, Philip (2008), op. cit., chapitre 7 « La mémoire », pp. 174 sqq.
255
Tout travail consacré à un texte de répertoire qui n'aboutirait pas à une
mémorisation durable resterait lettre morte, serait comme vain et, autant le dire
franchement, relèverait d'une perte de temps. In fine, toute démarche d'écoute
quelle qu'elle soit, du simple relevé jusqu'au commentaire d'écoute, analytique,
historique ou esthétique, vient s'arc-bouter sur les contreforts de notre répertoire
patiemment accumulé, assimilé et construit au fil des ans, ce qui lui donne une
profondeur et une richesse inestimables.
I. Déchiffrage
33D'AREZZO, Gui (1996), Micrologus (ca. 1025), traduction et commentaires Marie-Noël Colette
et Jean-Christophe Jolivet, Paris, Cité de la musique — Centre de ressources musique et danse,
p. 17.
256
Sa méthode repose sur plusieurs outils originaux dont nous sommes les
héritiers : lignes de portée facilitant la lecture, syllabes de solmisation facilitant
l'intonation, usage du monocorde permettant de visualiser la place relative des
notes et, vraisemblablement, utilisation des phalanges comme aide-mémoire et
guide-chant (la fameuse «main guidonieme »). L'apprentissage se fonde
également sur la connaissance et la reconnaissance des huit modes utilisés dans le
chant grégorien (« Ces tropes (i.e. modes), certains chanteurs exercés en
reconnaissent les caractères propres et, pour ainsi dire, les différents visages sur
le champ, dès qu'ils les entendent34. ») et sur la maîtrise des intervalles (« Et
comme c'est à l'aide d'un si petit nombre d'intervalles que l'on forme toute
mélodie, il est fort utile de les inscrire au fond de sa mémoire et de s'exercer sans
cesse jusqu'à ce qu'on les distingue et les reconnaisse parfaitement quand on
chante, afin de pouvoir acquérir intelligemment, et donc avec plus de facilité, la
maîtrise du chant, grâce à ces éléments qui en sont comme les clefs35. »)
Par la suite, les éléments de base de la formation se sont lentement
transformés pour s'adapter aux besoins de chaque époque. Au x v i r siècle,
Nivers milite activement pour l'adoption de la septième syllabe de solmisation :
Entre toutes les méthodes qui ont jamais paru jusques à présent pour apprendre à
chanter la musique, il n'y en a point de plus facile, de plus courte, de plus docte
et de plus certaine que cette méthode que l'on appelle la méthode du si (...).
Pour exprimer les sons différents de la musique i l est juste de leur donner
différents noms ; or est-il qu'il y a sept sons différents dans la musique, donc il
doit y avoir sept différents noms36.
Pour commencer d'entonner i l faut chanter les notes par degrés conjoints ou
proches, ainsi [en montant puis en descendant, de ut à ut]. Pour entonner les
notes par degrés disjoints ou éloignés, il faut auparavant chanter toutes les notes
qui se peuvent rencontrer entre lesdites notes éloignées, et c'est ce qu'on appelle
dire l'intervalle, puis reprendre les notes extrêmes37.
Quand on sait chanter parfaitement toutes ces notes, on peut s'exercer dans
quelque livre de musique ou de plain-chant, et ne point faire application de la
lettre, que l'on ne soit fort assuré de la note à livre ouvert38.
34Ibid., p. 60.
35Ibid., p. 31.
36N1VERS, Guillaume Gabriel (1666), Méthode facile pour apprendre à chanter la musique, par un
maître célèbre de Paris, Paris, Ballard, p. 2 ; source : gallica.briffr NB : l'orthographe et la
ponctuation sont modernisés pour le confort du lecteur.
7/bid., p. 9.
38Ibid., p. 17.
257
Autrement dit : ne pas chanter avec les paroles tant que le déchiffrage
avec nom de notes n'est pas totalement maîtrisé !
258
longue évolution, aboutissement assorti d'une intention politique forte, inhérente
à cette partie de notre Histoire, et caractérisée par une volonté d'uniformisation et
de centralisation sans précédent. L'ouvrage se divise en deux parties, la première
comprenant les principes élémentaires suivis de solfèges gradués44, et la seconde
constituée uniquement de solfèges à deux parties et plus'''. Ces solfèges sont un
modèle de progression, tant sur le plan de la lecture que sur celui de la formation
de l'oreille. Dans le second livre de la première partie, contenant un « abrégé des
principes suivi de gammes et solfèges faciles », nous constatons le soin et la
rigueur accordée à la composition des exercices ainsi qu'à leur ordonnancement.
Première remarque : l'accompagnement (sous la forme d'une basse chiffrée) ne
fait jamais défaut, ce qui signifie que les élèves étaient accompagnés dès le début
de leur formation, habituant ainsi leur oreille à la polyphonie et développant leur
oreille harmonique dès le commencement des études. A titre d'exemple, les dix
premiers exercices présentent la gamme de do majeur harmonisée chaque fois
différemment ! Les exercices 27 à 58 présentent tous les intervalles (en do
majeur toujours) de la tierce à l'octave suivis d'une récapitulation. A chaque
intervalle sont attribués plusieurs exercices, les premiers proposant de « remplir »
l'intervalle par degrés diatoniques, puis par degrés disjoints intermédiaires (ex :
la quinte en passant par la tierce), et enfin l'intervalle direct. Viennent ensuite
plusieurs exercices pour l'intonation des altérations, préparant les tonalités de sol
majeur et fa majeur. Au fil des pages, graduellement et presque insensiblement,
on trouve un choix d'indications de mesures de plus en plus varié, assorties de
figures rythmiques plus nombreuses et de plus en plus complexes.
Déchiffrer régulièrement permet d'entraîner des procédures de lecture en
lien avec une audition intérieure anticipative. Il s'agit donc de lire, et d'entendre
à l'avance, à la fois sa propre partie, mais également celle de son ou ses
partenaires, en s'appuyant sur un sens du déroulement temporel (pulsation,
mesure, carrure, phrase) manifesté par un geste (nous conseillons encore et
toujours la battue) ou intériorisé. Plus précisément, l'audition intérieure dont il
est question ici va se fonder sur : 1) une échelle intériorisée des hauteurs, tonale
d'abord, puis progressivement modale et chromatique, voire micro-tonale pour
les plus exercés ; 2) un sens des intervalles intuitif ou construit, par remplissage
ou par modèle (les fameux incipits, notamment, mais aussi toutes les
ordonnances et formulettes mémorisées et chantées à partir de toutes les notes ou
dans tous les tons) ; 3) une mémoire à court-terme qui maintient dans un même
44AGUS, Henri, CATEL, Charles-Simon, CHERUBINI, Luigi et al. (1799), Principes élémentaires
de musique arrêtés par les membres du conservatoire pour servir à l'étude dans cet établissement
suivis de solfèges par les citoyens Agus, Catel, Cherubini, Gossec, Langlé, Lesueur, Méhul et Rigel,
première partie, Paris, Imprimerie du Conservatoire de Musique. Source : Bibliothèque du
conservatoire de Toulouse : Cons. 1850.
45AGUS, Henri, CATEL, Charles-Simon, CHERUBINI, Luigi et al. (1802), Solfèges pour servir à
l'étude dans le Conservatoire de musique par les citoyens Agus, Catel, Cherubini, Gossec, Langlé,
Lesueur, Martini, Méhul et Rey, seconde partie, Paris, Imprimerie du Conservatoire de Musique.
Cote Bnf : L. 8060 (2). Source : gallica.bnffr.
259
effort de conscience les quelques notes qui précèdent et celles qui suivent afin de
reconstituer l'un après l'autre chaque segment musical, chaque phrase ou
membre de phrase, et donc de recréer en temps réel le sens de ce qui est lu. La
mémorisation, l a transposition de mémoire, ainsi que toutes les situations
d'improvisation sur une échelle donnée, par exemple, sont d'excellents
stimulants pour une telle intériorisation. U n quatrième point se révèle
primordial : le sens harmonique. I l permet à la fois de contrôler la justesse
verticale, mais également de se situer par rapport à l'harmonie d'ensemble
(quelle place dans l'accord, ou quelle note étrangère...), et enfin de conduire la
ligne mélodique en fonction de la trajectoire harmonique sous-jacente. Chanter
en s'accompagnant est ici un entraînement d'une valeur inestimable, de même
que toutes les situations d'invention et d'improvisation en lien avec un canevas
harmonique préétabli (basses obstinées, grilles).
En dernier lieu, i l semble important d'habituer très tôt l'élève à
l'autonomie « consciente » d e l'oreille p a r rapport notamment à
l'accompagnement, puis par rapport aux autres voix de la polyphonie, afin
d'éviter deux types de comportements caractéristiques : le chanteur qui cherche
désespérément sa note dans l'aigu de la partie de piano, et celui qui se bouche les
oreilles (au sens figuré comme au sens propre) pour pouvoir continuer de chanter
sa partie ! Hindemith exprime cette triste remarque à propos des chanteurs qu'il a
rencontrés : «De nos jours, bien rares sont ceux qui possèdent cette qualité
primordiale : la maîtrise absolue des intervalles, la faculté d'attaquer facilement
n'importe quelle note, sans que cette note soit forcément incorporée à un
fragment de gamme ou à un accord, sans qu'elle soit obligatoirement soutenue
par l'accompagnement46. » S'agissant des intervalles mélodiques, la méthode
proposée par Hindemith est très progressive, partant des consonances
«parfaites » (quinte et quarte justes), passant ensuite par les tierces et sixtes pour
finalement arriver aux dissonances (secondes, septièmes, triton, puis tous
intervalles augmentés et diminués envisagés avec leur résolution). S'agissant des
intervalles harmoniques et du rapport aux accords, son exercice 30 innove en
proposant successivement de 1) «jouer un son et chanter la 5te supérieure »,
2) «jouer un accord et chanter la 5te de la note supérieure, médiane puis
inférieure », 3) «faire jouer les accords par une tierce personne ». Cet exercice
nous semble pouvoir être élargi à tous les âges et toutes les étapes de la
formation : chant avec ison ou bourdon, chant parallèle explorant tous les
intervalles, chanter n'importe quelle note d'un accord parfait à différentes
octaves, broder et appogiaturer chaque note d'un accord parfait, chanter
n'importe quelle note d'un accord de septième suivie de sa résolution naturelle,
etc., jusqu'à pouvoir chanter n'importe quel son à partir de n'importe quel autre
ou de n'importe quel accord, que la note fasse ou non partie de l'accord, et quel
que soit son degré de dissonance avec lui.
260
II. Interprétation : entre audition et musicalité
Puis enfin [après le sens des hauteurs et celui du rythme] i l y aura à enseigner
l'art de phraser et de nuancer47. (...) L'on s'imagine communément que c'est la
seule reconnaissance des noms e t des rapports des notes entendues q u i
constituent une bonne oreille. C'est une erreur. I l est d'autres qualités de la
sonorité que celle de la diversité d'élévation des notes. L'oreille doit apprécier
les divers degrés de l'intensité sonore, du dynamisme, de la rapidité ou lenteur
de succession des sons, du timbre, de tout ce qui constitue sous le nom de coloris
musical la qualité expressive du son. Cette qualité, à mon sens, est celle qu'il
importe l e plus que l'enfant possède naturellement pour qu'on puisse bien
augurer de son avenir musical48. »
261
instabilité (dissonance). Dans ce cadre, toute dissonance se voit accordée une
intention expressive particulière : augmentation de l'intensité, intensification
vibratoire...
Cependant, s ' i l est possible d e justifier p a r l'intellect tout choix
d'interprétation à partir de ces quelques lois ou de tout autre argument d'ordre
analytique, esthétique, historique, poétique, philologique..., le canal privilégié
pour la constitution de la personnalité artistique semble être, encore une fois,
l'oreille. Carl Philipp Emanuel Bach nous le rappelle sans ambages :
Nous avons pu dire (...) que la fréquentation de bons musiciens était l'un des
moyens d'apprendre la bonne exécution. A cela nous ajoutons qu'il ne faut
surtout laisser passer une occasion d'écouter les bons chanteurs ; c'est ainsi
qu'on apprend à penser en chantant, et il est toujours bon de commencer par
chanter pour soi une phrase, afin d'en trouver la bonne exécution. Cela sera
toujours bien plus utile que de la chercher dans ces livres ou ces discours trop
volumineux, où il n'est question que de nature, de goût, de chant, de mélodie,
sans que leurs auteurs soient en mesure de composer deux notes qui soient
précisément naturelles, de bon goût, chantantes et mélodiques5°.
C'est pendant les leçons du solfège, cette première étude de la musique, qu'on
doit ébaucher le talent d'un élève, afin de le préparer à recevoir les dernières
instructions qui doivent le perfectionner. (...) Si un élève à qui la nature a
accordé de l'intelligence ne montre que peu de talent au sortir de l'école, c'est la
faute du maître de solfège52.
50BACH, Carl Philipp Emanuel (1979), Essai sur la vraie manière de jouer des instruments à
clavier : expliqué avec des exemples et dix-huit leçons en six sonates (1753), traduction française
par Dennis Collins, Paris, J.-C. Lattés, collection «Musiques & musiciens » (n° 4), pp. 191 sq.
SIRON, Jacques (2004), La partition intérieure, jazz, musiques improvisées, Paris, Outre-Mesure,
p. 72.
52AGUS, Henri, CATEL, Charles-Simon, CHERUBINI, Luigi et al. (1802),op. cit., livre quatrième :
«Recueil de solfèges d'une difficulté progressive à une voix », p. ii.
262
Quelle responsabilité ! Mais poursuivons notre lecture :
Ainsi donc, c'est par l'oreille que nous apprenons à devenir musiciens.
Le chant est un outil précieux pour former le sens musical — ce que d'aucuns
nommeront «l'instinct », et qui n'est en réalité rien d'autre que l'assimilation en
partie inconsciente de tous les modèles musicaux auxquels l'apprenti musicien
aura été exposé.
III. I n v e n t i o n
53Ibid., p.
54Ibid., p. V.
263
En guise de conclusion : Quelle déontologie pour la formation de
l'oreille ? Quelles finalités pour une telle formation ?
264
points : 1) la transmission d'un patrimoine et l'ouverture sur la création ;
2) l'autonomisation des savoirs et des pratiques, engageant les jeunes musiciens à
revisiter avec pertinence et personnalité les oeuvres qu'ils connaissent déjà ou à
explorer avec confiance—et sans notre concours—des répertoires nouveaux ;
3) la connaissance de soi, qui permet à chacun d'estimer ses armes et ses
faiblesses et de compenser les unes par les autres, à la faveur de stratégies
adaptées, de méthodologies longuement et patiemment élaborées, expérimentées,
affinées, intégrées. Alors peut-être parviendrons-nous à remplacer les tristes
constats de certains (« j'ai fait dix ans de musique, puis j'ai tout arrêté et
aujourd'hui je ne me souviens plus de rien ! ») par la philosophie joyeuse et
gourmande de musiciens—praticiens et mélomanes—avides de découvertes, sûrs
de leurs goûts et de leurs choix, assumant leur héritage et soucieux de le
transmettre.
265
BIBLIOGRAPHIE
BACH, Carl Philipp Emanuel (1979), Essai sur la vraie manière de jouer des
instruments à clavier : expliqué avec des exemples et dix-huit leçons en
six sonates (1753), traduction française par Dennis Collins, Paris, J.-C.
Lattès, collection « Musiques & musiciens » (n° 4).
DRAKE, Carolyn (2010), « Ecouter et jouer la musique : une fenêtre sur les
processus d'organisation temporelle », LECHEVALIER, Bernard,
PLATEL, Hervé e t EUSTACHE, Francis (éd.), L e cerveau musicien,
Neuropsychologie et psychologie cognitive de l a perception musicale,
Bruxelles, De Boeck.
266
GERRIG, Richard e t ZIMBARDO, Philip (2008), Psychologie, 18e édition,
traduction française dirigée par Serge Nicolas, Paris, Pearson Education
France.
267
SIRON, Jacques (2004), L a partition intérieure, jazz, musiques improvisées,
Paris, Outre-Mesure.
268
LES ACTIVITES VOCALES,
UNE VOIE CENTRALE POUR LA FORMATION MUSICALE ?
Stefan MORIAMEZ
PLANEL, Jean (1948), L'école du chant, les lois de la spontanéité vocale, Paris, les Editions de
1'Ecole du chant.
269
toutes ses dimensions, à l'exception des aspects techniques liés à un instrument
spécifique, ce qui doit rester le domaine du cours individuel d'instrument. De
manière plus générale, cette discipline entend apprendre à l'élève comment
différencier les sons, les caractériser, les analyser pour les reconnaître et les
identifier avec de plus en plus de précision.
Comme on le constate, ce cours requiert de la part de l'enseignant un
nombre impressionnant de compétences. Il est en quelque sorte l'équivalent du
professeur des écoles, dont on attend qu'il puisse enseigner toutes les matières.
Cette mission, exigeante et difficile, ne devrait donc pas être confiée à la légère.
Cet écueil éviterait notamment à la discipline d'être parfois mal enseignée ou
enseignée de manière trop magistrale par des musiciens à la recherche d'heures
de complément ou de manière provisoire, « en attendant mieux ». Pour les
enseignants dont c'est la réelle vocation, la formation musicale est une des
disciplines les plus transversales et riches.
On se rend compte de la difficulté de la tâche puisque le programme de
cette discipline s'adresse à un jeune, voire, à un très jeune public. Le public
concerné par cette discipline interdit toute approche trop intellectuelle ou
abstraite. Aussi est-il indispensable de s'interroger sur l'approche qui doit être
adoptée par l'enseignant. Nous verrons que l'approche par la voix peut constituer
un début de solution. Mais d'abord, interrogeons-nous sur l'une des missions de la
Formation Musicale, l'apprentissage de l'alphabet de l a musique savante
occidentale, en tentant notamment un rapprochement avec les méthodes de
lecture.
270
ardu et systématique si possible, du sacro-saint solfège. C'est sans doute une
partie de l'explication du débat actuel autour de la formation musicale.
Il reste vrai que l'écriture des signes musicaux est une manipulation
indispensable à l'apprentissage, comme dans celui de la lecture et de l'écriture.
L'exercice d'écriture est important pour la maîtrise du langage. Il est pertinent,
comme pour une langue, d'enseigner l a lecture et l'écriture de manière
concomitante. En effet, «les exercices d'écriture (copie de lettres, de syllabes, de
mots) ont des effets en retour sur la lecture2. » Aussi, il est important d'inclure
dans la notion de « manipulation » la reproduction de clés de sol, notes,
portées... et si possible de manière ludique et créative. C'est un des éléments
constitutifs parmi d'autres de la formation musicale.
Il n'est pas incongru de rapprocher le débat que nous abordons et celui lié
à l'apprentissage de la lecture qui s'organise autour des trois méthodes souvent
commentées : la méthode syllabique, la méthode globale ou la méthode mixte.
Comme pour la formation musicale, cela revient en effet partiellement à une
querelle entre « anciens » et « modernes » !
Curieusement, ce sont les différences entre ces deux domaines qui nous
révèlent des informations intéressantes. Elles mettent en relief les différences
fondamentales qui existent entre la langue et le langage musical. La différence
fondamentale tient à la différence de nature entre les deux disciplines. Si la
musique est un art, avec ses codes, son langage, ses lois et ses règles, la langue,
elle, est un moyen de communication.
Pour y voir plus clair, revenons aux fondamentaux. Ferdinand de
Saussure théorise le fait que « le signe linguistique unit (...) un concept et une
image acoustique3. »
Si le décodage des signes de la langue donne naissance à un sens
renvoyant à une réalité objective ou à un concept, il n'en est pas de même pour la
musique. Il s'agirait bien plutôt dans l'art musical d'associer un « signifiant » à
une « information acoustique ». Celle-ci peut concerner tous les paramètres du
son : timbre, intensité, durée ou hauteur.
L'enfant qui apprend à lire décode les lettres pour former les mots qui, à
leur tour, débouchent sur une ou des significations. L'association de mots entre
eux donne naissance à des phrases qui, à leur tour et associées entre elles,
forment un récit.
En ce qui concerne la musique, les choses sont différentes. Si l'enfant
s'exerce à lire les notes, il formera une phrase certes, mais une phrase musicale.
Si d'ailleurs on parle de phrase musicale, c'est, semble-t-il, par pure analogie avec
la phrase faite de mots... Mais, pour l'enfant, quelle exaltation immédiate peut-il
tirer après avoir réussi à aligner des notes les unes après les autres, alors que
271
celles-ci sont p a r nature insignifiantes p a r elles-mêmes, e t qu'elles
n'accompliront leur mission informative que lorsqu'elles seront jouées ou
chantées ? L'exercice de la lecture de notes n'a d'intérêt que pour lui-même et
reste musicalement limité. C'est un moyen et non une fin en soi. Faire de la
lecture de notes pour elle-même, c'est en quelque sorte s'arrêter à mi-parcours.
Ainsi, à la différence de l'histoire déchiffrée avec les mots, de la lecture
des notes ne naît aucun sens, aucune histoire au sens propre du terme, avec ses
personnages, un enchaînement de faits, d'actions ou d'aventures, une situation
initiale et une situation finale, bref, tout ce qui intrigue et tient en haleine un
lecteur. Bien sûr, il y a Pierre et le Loup, L'Histoire de Babar, le Carnaval des
Animaux... Mais il s'agit là d'un sens figuré ou d'une illustration de l'ordre la
métaphore (qui s'appuie d'ailleurs ou s'inspire d'une histoire mise en mots).
Cela peut expliquer l'incompréhension parfois rencontrée chez certains
enfants à l'issue d'un exercice de lecture. Certes, ils ont lu les notes, mais
ensuite ? C'est sur cet aspect qu'il faut travailler et veiller à rester connecté avec
le cœur du projet musical. C'est en restant en contact avec le son comme
phénomène physique que l'apprentissage du vocabulaire musical se réalisera
correctement.
Or, il existe des possibilités pour rendre cet exercice plus ludique, plus
attractif, et la voix, dans son infini variété de subtilités, peut permettre une
approche plus séduisante de l'exercice rébarbatif.
3. L a FM et son image
272
une musique, une époque, une esthétique, paraissent essentiels pour l'enfant, qui
se sent un peu perdu dans ce cours où l'on enseigne en quelque sorte une langue
étrangère.
Dans l'esprit de l'élève, la Formation Musicale, c'est un cours imposé
par le cursus du conservatoire ou de l'école de musique. Il s'y retrouve sur une
chaise, assis à une table. Cette position lui rappelle sans doute les bancs de
l'école. De plus, on y fait, comme à l'école, des dictées, de la lecture, et on doit
compter ses temps... ! Le chant est par contre souvent perçu comme le moment
le plus agréable du cours parce qu'enfin on fait de la musique. On sait par ailleurs
qu'un élève plus détendu se trouve dans une meilleure posture d'apprentissage et
devient plus réceptif. C'est au professeur de bâtir, autour de cette pratique, un
cours qui puisse brasser toutes les dimensions de la formation musicale définies
plus haut. Et c'est possible !
1. U n geste du corps
Dans la pratique vocale, le son est produit avec l'ensemble du corps. Les
cordes vocales ne sont que les éléments vibratoires primaires dans un geste
corporel total. Lorsqu'un son est émis, c'est une quantité importante de muscles
et de nerfs qui sont mis à contribution. A l'instar de la danse ou de tout autre art
du corps, l'apprentissage du chant permet ainsi d'apprendre à gérer son corps et
son énergie.
273
véhicule émotionnel n'est pas médiatisé par un instrument extérieur à lui, mais
par le corps du musicien tout entier. Une approche globale de la personne est
donc inévitable. Instrument disponible dès la naissance, il est le véhicule des
émotions et permet l'expression des sentiments, des idées, de la personnalité. Par
le truchement du corps-instrument, la personnalité, la part d'humanité — et
l'âme—se révèlent à l'auditeur. Chez l'enfant-chanteur, la personnalité est en
pleine construction, e t notre rôle est d'aider à son évolution et à son
enrichissement. C'est néanmoins par une approche technique progressive que le
chanteur parvient à maîtriser son organe et son corps. La respiration, élément
fondamental de l'acte chanté, la posture, tout aussi stratégique, sont deux
éléments importants des cours de chant. Les sensations physiques sont peut-être
moins abordées mais demeurent des spécificités du cours de chant.
b. La respiration
c. La posture
274
La science l'a démontré en effet, il existe un lien fort entre la posture et
l'écoute. Les travaux des docteurs Tomatis et Abitbol ont permis d'avancer sur
cette question. Le premier nous le rappelle en ces termes : «L'un des principaux
agents d'activation de la fonction d'écoute se trouve, sans aucun doute, dans la
posture corporelle qui permet d'accéder à cette faculté de haut niveau4. »
L'expression est claire : l'écoute est une faculté « de haut niveau ». Cette
précision remet en lumière l a différence fondamentale qui existe entre
« entendre » et « écouter ».
Autre conséquence, apprendre à écouter, quelque part, c'est apprendre à
se tenir droit. Mais la réciproque semble tout aussi vraie : apprendre à se tenir
droit, c'est apprendre à écouter. Comme si l'accomplissement total de cette haute
faculté humaine nous rappelait l'histoire de l'Homme qui a appris, au fil de son
histoire, à se redresser. Leroi-Gourhan affirme que c'est l'évolution posturale qui
a permis à l'homme de devenir ce qu'il est, et notamment par la libération
progressive de la main, conférant à l'homme une faculté nouvelle : la préhension.
Les conséquences anthropologiques et neurologiques pour l'homme furent
décisives, comme on peut l'imaginer. Abitbol insiste sur l'importance du chant
dans l'apprentissage de l'écoute : «Reproduire une mélodie, chanter juste, dépend
de l'appareil vocal, mais aussi de la justesse de l'écoutes. » Apprendre à chanter
revient à apprendre à écouter. C'est un double apprentissage qui permet d'avancer
sur les deux points de vue du sujet, celui de l'auditeur (l'écoute), et celui de
l'acteur (le chanteur). Les deux s'interpénètrent, se complètent et interagissent.
Le chant participe donc autant à la formation de l'oreille qu'à celle de
l'écoute. Apprendre à chanter, donc à se tenir droit et à écouter, c'est finalement
apprendre à exprimer l'humanité dans le langage du corps, à imprimer au corps
l'image de l'humanité.
d. La sensation physique
275
Arbaretaz a d'ailleurs privilégié cette approche dans ses ouvrages sur les
intervalles, devenus des références en la matière6.
De plus, parler à un élève de moins de dix ans de fréquences, de hauteurs
ou d'intervalle, sans illustration concrète, sans activités de mise en situation, est
parfaitement inadapté. L'enfant, dans son apprentissage, a besoin d'éprouver ces
notions par l'activité pour les intégrer et se les approprier. N'est-ce pas là,
d'ailleurs, la définition du « musicien » ? Etre musicien, n'est-ce pas éprouver,
ressentir, les éléments de son langage artistique ? Maitriser son langage
artistique, n'est-ce pas d'abord identifier clairement ces sensations pour pouvoir
les retrouver seul ? N'est-ce pas la définition même de la « maîtrise » ?
A mesure que s'affine la sensation proprioceptive, l'élève chanteur
associe une sensation à une hauteur puis à une note. Cet apprentissage long et
progressif se déroule en plusieurs étapes. Progressivement, l'intensité, la hauteur,
la durée, et même parfois le timbre, bref, les quatre paramètres fondamentaux de
la musique acquerront pour le chanteur des repères corporels de plus en plus fins,
de plus en plus fiables. On associera d'abord une sensation à une tessiture, puis
en progressant, la vibration d'une région du corps (visage, nez, joue, palais...) à
une note. Le pédagogue et chanteur Charles Panera' en dessina un schéma qui
associe avec une précision étonnante la note et la sensation physique. Malgré le
peu de valeur scientifique de ce travail, cela donne une idée de ce que peut
amener un travail en ce sens.
6ARBARETAZ, Marie-Claude (1979), Lire la musique par la connaissance des intervalles, Paris,
Chappell.
7PANZERA, Charles (1926), L'art vocal, Paris, Editions théâtrales. Avec l'aimable autorisation des
Editions théâtrales pour la reproduction de la planche.
276
Le développement des sensations musicales chantées associées aux
différentes zones d u corps permet l'acquisition de cette fameuse mémoire
pallesthésique8.
Et quelles perspectives pour l'enseignement musical ! Quelle discipline
en effet nous propose un apprentissage aussi transversal, concret, et parlant pour
le jeune musicien, que le chant ? Cette approche peut aider à rééquilibrer un
enseignement trop abstrait, trop théorique — trop apollinien —de la musique. Pour
nous, il est au coeur même d'une méthode plus vivante et plus proche de la réalité
musicale. L a musique n'est pas une matière de pure abstraction. L e chant
constitue en quelque sorte c e « baume secourable » dont parle Nietzsche,
permettant une réconciliation avec un aspect trop négligé de cet art dans la
formation musicale traditionnelle.
277
zones du cerveau déjà mises en éveil. Des connexions neuronales seront ainsi
multipliées entre les aires motrices, sensorielles (en l'occurrence, l'aire liée à
l'audition) et langagières. Exercer l'enfant à répéter des messages musicaux,
c'est augmenter le nombre de ces connexions neuronales.
Etape complémentaire et peut-être un peu moins connue, le mimétisme
fait naître la créativité chez le jeune musicien. En effet, après avoir intégré
l'activité de reproduction, l'enfant va vouloir y introduire la notion de variation.
Ce désir naîtra d'autant plus que le formateur aura pris soin d'introduire cette
notion au préalable en faisant varier différents paramètres dans les cellules
musicales qu'il aura choisies : nuance, phrasé, hauteur pour une phrase
mélodique, mais aussi, intonation, expression pour un jeu sur des syllabes ou un
mot.
On a donc un apprentissage de la reproduction à la création qui obéit à
l'enchainement logique suivant :
b. La création vocale
Extrait de «Nous sommes tous des géants », pour groupes vocaux et instrumentaux, de Guy
Reibel, d'après Rabelais.
278
possibilités de sa voix, aussi nombreuses que les langages musicaux sur Terre.
Quelques pistes nous montrent le chemin : travail sur le texte, travail sur le
rythme, travail sur les accents toniques, sur les syllabes, sur les phonèmes, mais
aussi poésie, théâtre, composition personnelle, travail sur les onomatopées, cris
d'animaux... Sigmund Freud affirmait que « chaque enfant qui joue se comporte
comme un poète »12, alors laissons-le créer ! Il existe donc un lien fort entre le
jeu et la création. Rappelons-nous que «c'est en jouant, et seulement en jouant,
que l'individu est capable d'être créatif et d'utiliser sa personnalité tout entière13. »
Ces activités vocales ludiques et créatives présentent l'avantage de transmettre
par le jeu, par l'activité, par la sensation individuelle et collective, des notions à
la fois complexes et essentielles. A ce propos, i l convient de souligner
l'importance des bonnes conditions d e travail indispensables a u bon
fonctionnement de cette pédagogie : espace aussi large que possible, acoustique
correcte, sols et environnement silencieux et confortables.
C'est cette approche qui a retenu notre attention dans ce que propose Guy
Reibel. Le recueil de jeux vocaux du compositeur14 part du postulat que l'enfant-
chanteur a un potentiel de créativité immense. C'est de ce potentiel qu'il faut
partir, et c'est par lui que peut se construire l'apprentissage de la musique. Les
ayant expérimenté à de nombreuses reprises à titre personnel, je puis témoigner
de l'importance de la création in vivo lors des séances de travail. L'élève ressent
ces moments grisants de création par l'improvisation, par le jeu, comme des
moments d'amusement, et ne se rend pas compte qu'il est en train d'apprendre. En
petit groupe — et cela est essentiel ! l e s moments de construction collective
emmènent le jeu dans des directions souvent surprenantes d'originalité. Une fois
l'activité réalisée, la satisfaction qui en ressort pour l'ensemble des acteurs, tout
aussi essentielle pour la suite de l'apprentissage, est immense. L'envie de
recommencer, d'aller plus loin, suivra naturellement ! Le jeu vocal tel que l'a
conçu Guy Reibel présente un avantage supplémentaire : i l y ajoute l e
mouvement du corps. D'un point de vue psychomoteur et cognitif, c'est un réel
avantage, les deux apprentissages se facilitant l'un par l'autre.
L'apprentissage de la musique par le jeu, comme l'avait déjà théorisé
Piaget, est essentiel. D'ailleurs, la langue ne trahit-elle pas la réalité ? Ne
« joue »-t-on pas d'un instrument ? Alors pourquoi ne jouerait-on pas de sa voix
de la même manière ? Le chant, au sens le plus traditionnel du mot, ne constitue
qu'un aspect parmi tant d'autres du travail de la voix tel que nous l'avons évoqué.
La voix est donc un vecteur privilégié de la création musicale. Les
pratiques vocales englobent en effet des formes d'expression diverses où le chant
mélodique n'est qu'un moyen d'expression parmi d'autres. L'élève lui-même
peut créer sa propre expression, ses propres outils vocaux : mélodies, sons,
12FREUD, Sigmund (1985), L'inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, p. 29.
13 WINNICOTT, Donald Woods (1975 pour l a traduction française), Jeu et réalité, L'espace
potentiel, «Jouer, l'activité créative et la quête du soi », Paris, Gallimard, p. 110.
14 REIBEL, Guy (1984), Jeux vocaux, Paris, Salabert.
279
voyelles, consonnes, onomatopées, cris, gémissements, jeux avec les syllabes ou
les mots, effets de répétitions, sirènes... Les possibilités sont quasiment infinies !
Ce qui compte avant tout, c'est d'inciter l'enfant à la création par la voix,
avec sa voix, l'inviter à inventer. Michel Serres l'affirme : « L e seul acte
intellectuel authentique, c'est l'invention' 5. » Et cela doit nous interpeller. Si, à
l'heure des nouvelles technologies, le professeur peut apporter quelque chose de
plus par rapport à l'ordinateur ou aux méthodes à distance assistées, c'est avant
tout dans ce domaine de la création. Car n'est-ce pas dans la création que réside le
mieux la « figure de l'homme » qui interroge Michel Onfray16 ?
Le professeur doit être un éclaireur dans cette voie de l'invention,
toujours à retracer. Il doit pouvoir inciter les élèves à innover, à s'étonner eux-
mêmes. Le professeur n'est rien moins qu'un avant-poste dans les chemins
parfois sinueux de la création où, loin de trouver immédiatement la direction, on
« tâtonne » souvent.
En cela, les cours de formation musicale devraient peut-être rester
davantage dans la continuité des cours d'éveil dans leur conception. Les phases
d'expérimentations, de découverte, ne doivent pas prendre fin l'année où l'on
choisit un instrument. L'aspect expérimental très présent dans les premières
années de l'apprentissage du jeune musicien doit rester l'un des moteurs de
l'activité de musicien tout au long de sa pratique. Donner aux enfants le goût de
l'improvisation en la pratiquant, c'est s'assurer de créer un groupe d'élèves
motivés et enthousiastes.
Autre aspect important induit par la création collective, le groupe
chantant, véritable société en miniature, est un espace social reproduisant
fidèlement les comportements humains et sociaux auxquels le futur adulte sera
confronté. Ce groupe permet à l'enfant choriste d'apprendre à écouter l'autre, à
lui laisser une place, l'importance et la beauté de la mise en commun de forces
complémentaires convergeant vers un objectif unique. La voix, autre avantage,
est un instrument commun à tous, transportable et qu'on ne peut prétexter
d'oublier ! C'est pourquoi elle est toujours disponible pour faire de la musique
ensemble.
280
inflexions des mots, le rythme des vers, des phrases, portent parfois à eux seuls
une musique. La langue n'est-elle pas, d'ailleurs, musique ?...
C'est une différence fondamentale par rapport aux instrumentistes qui
émettent un son « pur » (voir le débat esthétique sur l'idée de musique
« absolue »). Autrement dit, l'instrumentiste est l'interprète de la musique pure,
de la musique sans mots, allant même jusqu'à composer, suprême défi, des
Chants sans paroles (voir les Lieder ohne Worte chers à Mendelssohn). Le
chanteur, lui, porte un son sur du sens, ou l'inverse, si l'on estime que la parole
est première (autre vaste débat...). Le chanteur joue un son qui se rapporte à un
sens défini par le lexique de la langue dans laquelle il chante. Aussi le chanteur
est-il le véhicule de deux textes : le texte musical et le texte verbal. Abitbol, dans
son ouvrage L'odyssée de la voix, le résume clairement : « la voix est un
instrument à paroles et à mélodies »17, ou l'équilibre fragile entre l'expression du
beau son et l'intelligibilité du texte.
La voix serait donc un instrument comme un autre. Pourtant, imagine-t-
on, dans la cour d'un conservatoire, ce dialogue entre deux élèves : « — De quel
instrument joues-tu ? — Moi ? De la voix ! » ? Non, la voix a encore un statut à
part, au point d'établir une dichotomie entretenant une hiérarchie tenace entre
chanteurs et instrumentistes. Et pourtant, il semble bien que le chanteur soit un
instrumentiste, mais à l a différence d e ses collègues, l'instrument est
l'instrumentiste lui-même...
Conclusion
281
encourager l'enfant et sanctionner ses progrès autant que faire se peut. Il convient
également de réduire les exercices trop longs qui nécessitent u n effort de
concentration trop important pour des enfants (les dictées interminables, les
devoirs de théorie abscons, par exemple...).
Toutes ces réflexions invitent également à s'interroger sur le profil idéal
du professeur de formation musicale. A la fois polyvalent, passionné, pédagogue,
aussi imaginatif que compétent en chant, i l constitue u n profil aussi rare
qu'exigeant. Ce professeur n'aura pas le plaisir de préparer ses élèves à des
auditions, même si les choses semblent évoluer et qu'on assiste de plus en plus à
des projets musicaux réalisés par les classes de FM parfois vraiment étonnants.
Cela peut permettre de redorer le blason d'une discipline desservie par des
générations de professeurs aigris et d'âpres programmes qui ont découragé, c'est
un fait, certaines vocations. Gageons qu'une réflexion générale sur la formation
musicale saura encourager des changements d'approche et engager une nouvelle
ère o ù ce cours deviendra u n espace d'expression e t de plaisir pour u n
apprentissage plus créatif et plus efficace.
282
BIBLIOGRAPHIE
PLANEL, Jean (1948), L'école du chant, les lois de la spontanéité vocale, Paris,
les Editions de l'Ecole du chant.
283
IMPROVISER AUJOURD'HUI
Michaël ERTZSCHEID
Introduction
285
musique simultanément4. » Il s'agit donc d'éclairer cette notion d'une lumière
moins crue, plus diffuse : l'improvisation est un concept liquide, difficile à saisir,
épousant toutes les formes, se glissant dans tous les espaces musicaux, et
gouverné par leflo(t/w)5.
« D'une certaine manière, toute interprétation d'une oeuvre est une
improvisation6. » Interpréter / improviser, c'est comprendre et prendre des
libertés ; chaque interprétation / improvisation est unique, reconnaissable,
marquée. Tous les grands musiciens improvisent, selon des degrés divers. Miles
Davis et Charlie Parker, dans Bird Of Paradise, partent d'un thème et le
transcendent ; Pierre-Laurent Aimard embrasse la complexité des Diversions de
Carter et en propose son interprétation, sa lecture ; Keith Jarrett ne s'appuie que
sur du silence, et transforme un moment d'énergie et d'écoute en solo
pianistique.
Joseph Villa quand i l magnifie Rachmaninov ; Backhaus, Busoni et
Lipatti quand ils préludent en concert pour susciter l'atmosphère propice à une
pièce ; même Stravinsky, lors de la composition du Sacre du printemps ; tous, au
sens large, improvisent.
Dès lors, si tous les musiciens improvisent, pourquoi pas nos élèves ?
Comment la pratique de l'improvisation peut-elle irriguer l'enseignement d'une
pratique instrumentale ?
Avant d'explorer plus avant l e s intrications pédagogiques d e
l'improvisation (dont l'extemporisation n'est qu'un aspect) dans une classe de
conservatoire aujourd'hui, i l est utile d e rappeler d e quelle manière
l'enseignement musical est structuré. Même si l'improvisation est, dans notre
définition, inhérente à toute musique, sa pédagogie se décline ainsi de manières
très diverses, selon le contexte dans lequel on l'aborde :
- dans l e département « Ja77 », l a musique e t l'improvisation sont
intimement liées, voire indissociables, et l'on n'apprend pas l'une sans l'autre ;
- dans le département «Musique ancienne », l'improvisation est une
composante identifiée de la musique, et elle bénéficie d'un apprentissage dédié :
ornementation, diminutions, réalisation de basse continue en sont des exemples
bien documentés ;
- dans le département « Classique », l'improvisation est une « dimension »
supplémentaire de la musique, encore peu enseignée, ou alors de manière oblique
(trouver des libertés rythmiques dans une cadence de concerto, ajouter quelques
ornements, construire un rubato...).
4 Article «Improvisation » (1980), SADIE, Stanley e t TYRELL, John (éd.), The New Grove
Dictionary of Music and Musicians, Londres, Macmillan Publishers, 6` édition, tome 9, pp. 31-32 :
« Creation o f a musical work, or the final form o f a musical work, as i t is being performed »,
traduction de l'auteur.
5 Voir ci-après pour une définition du concept de.flo(t/w).
6Article «Improvisation », The new Grove dictionary of music and musicians, op. cit. : « To some
extent every performance involves elements of improvisation, though its degree varies according to
period and place », traduction de l'auteur.
286
Sans surprise, les musiciens les plus réticents à l a pratique de
l'improvisation sont ceux qui y sont le moins formés. La situation est paradoxale,
si l'on considère qu'une grande partie de la musique à laquelle ces étudiants se
confrontent chaque jour avec plaisir fut composée entre la fin du XVIII' et la fin
du XDC siècle, c'est-à-dire lors de ce que Robert Levid appelle «l'âge d'or de
l'improvisation pianistique ». Mozart, Beethoven, Chopin, Liszt et bien d'autres
étaient connus, nous dit-il, «d'abord pour leurs improvisations, ensuite pour
leurs qualités d'interprètes, et finalement pour leurs compositions8. »
Nous allons nous pencher sur ces situations d'improvisation inhérentes à
la musique classique, en essayant de trouver les moments dédiés à cette pratique,
et les raisons profondes qui la nourrissent. Nous interrogerons ensuite les
pratiques des grands pédagogues de la discipline, et proposerons deux façons
complémentaires d'enseigner l'improvisation, curriculum9 et exemples détaillés à
l'appui, avant de conclure sur son rôle au sein des différentes disciplines
musicales.
Quand improviser ?
287
Extemporiser avant : préluder
Extase, en latin, signifiait tout simplement se tenir à coté de quelque chose (du
latin ex-, « en dehors », et sto, stas, stare, « se tenir »). E t puis c'est devenu
essentiellement une analogie pour un état mental dans lequel on n'est pas en train
de vivre sa routine quotidienne. L'extase est donc par essence un passage dans
une autre réalité. Et quand on pense aux civilisations considérées comme le
summum de la réussite humaine — que ce soit la Chine, la Grèce, la civilisation
hindoue, ou les Mayas, les Égyptiens — ce qu'on sait d'eux concerne en fait leurs
extases, e t n o n leur v i e quotidienne. O n cornait les temples qu'ils o n t
construits — où l'on pouvait venir faire l'expérience d'une autre réalité. O n
connaît les cirques, les arènes, les théâtres — ce sont les restes de ces civilisations
et les endroits où les gens allaient faire l'expérience d'une vie plus concentrée,
plus ordonnée".
Le prélude tel qu'il nous est parvenu sous sa forme écrite, fixée,
magnifiée (grâce aux partitions des préludes de Bach, Chopin, Scriabine, et
autres) appartient à cette «autre réalité », à ces extases ; l'histoire de la musique
ne fait pas exception à l'histoire des civilisations, et l'écriture et le temps ont
conservé les formes les plus solides et les plus ordonnées.
Pourtant, préluder faisait partie de la « routine quotidienne » du
musicien ; c'était même, si l'on se souvient que certaines formes musicales
avaient une fonction sociale définie (musique funèbre, sonneries cynégétiques,
musique à danser, etc.), l'illustration musicale du « couteau suisse » formel.
Shane Levesque12 a dressé une liste exhaustive des usages du prélude dans
différentes situations (s'échauffer, vérifier l'accord de l'instrument, tester
l'acoustique, introduire une pièce, ménager des transitions harmoniques, etc.).
Certaines situations évoquées par l'auteur ont bien sûr évolué : l'accord
du piano est confié à un technicien spécialisé, et i l est d'usage de tester
l'acoustique d'un lieu durant l a générale ; mais beaucoup sont encore
parfaitement légitimes, au risque sinon de faire un contresens musical.
288
Prenons l'exemple du fameux Liebestraiime'3 (Rêve d'amour) pour
piano. Lors d'une de ses master-classes à Weimar"-, Liszt interrompit un pianiste
après la première note du chant, surpris et choqué que celui-ci commençât la
pièce sans préparation. Dans l'esprit du maestro, il était évident que la première
note écrite en présupposait d'autres improvisées, et qu'il ne viendrait à l'idée de
personne de commencer la mélodie sans un court prélude approprié.
En fait, la disparition de l'art de préluder est plus récente qu'on ne le
pense15. D'anciens enregistrements de concerts, captés en direct-live, nous
permettent d'entendre des préludes improvisés par Josef Hofinann (1876-1957),
Wilhelm Backhaus (1884-1969), ou Dinu Lipatti (1917-1950). De complexité
très variable, allant d u simple arpège d e dominante aux progressions
harmoniques très chromatiques, ces préludes leur permettaient d'installer une
atmosphère propice, ou parfois d'adoucir le passage d'une tonalité à une autre16.
Le prélude est le premier pas le plus naturel vers l'improvisation, car son
exécution précède sa conceptualisation ; c'est, dans sa forme la plus élémentaire,
un geste à la portée de tous (un accord de tonique arpégé, une cadence parfaite),
et que le musicien peut enrichir avec le temps, en devenant plus audacieux, en
cultivant un goût harmonique, en intégrant des textures pianistiques plus
élaborées, en consultant les nombreux exemples des traités (Corri, Czerny, Fétis
et Moscheles, Grétry, Hummel, Kalkbrenner, Kollmann...17).
289
Ce genre d'extemporisation, qui consiste à relier deux moments
musicaux, est facile à retrouver et à cultiver ; il présente l'avantage de ne pas
lancer l'apprenti musicien dans l'inconnu, puisque son improvisation est
fermement ancrée de part et d'autre. Sachant d'où l'on vient et où l'on va, on
peut s'adonner, avec une prise de risque contrôlée, à une sorte de funambulisme
musical.
Il est ainsi l'un des rares à improviser sur scène ses cadences de
concertos, toujours en respectant «un principe fondamental : on ne peut pas
essayer d'écrire ou d'improviser une cadence, sans une compréhension précise
du vocabulaire mélodique, harmonique et rythmique du compositeurn. »
Après avoir analysé en détail de nombreuses cadences écrites par Mozart,
Beethoven et d'autres, il en a extrait la substantifique moelle, une sorte de plan
de vol, pour ne pas se lancer complètement dans le vide... En voici une
description abrégée :
18Sorte de conduit musical improvisé, plus court que la cadence, généralement indiqué par un point
d'orgue sur l'accord de dominante précédant l'arrivée d'une nouvelle section.
19LEVIN, Robert et DA FONSECA-WOLLHEIM, Corinna, « The classical improviser », entretien
donné au Wall Street Journal du 23 Septembre 2010,
wwvv.online.wsj.com/article/SB10001424052748703466704575490203321546176.html, traduction
de l'auteur.
20LEVIN, Robert (1989), «Instrumental Ornarnentation, Improvisation and Cadenzas », BROWN,
Howard Mayer, et SADIE, Stanley (éd.), Performance Practice : Music After 1600, Londres,
MacMillan Press, pp. 279-291.
290
- Introduction (optionnelle) : passage de transition (1 mesure ou plus) qui
fonctionne comme un tremplin virtuose pour la suite.
- l i e Section, souvent dérivée du l ' groupe thématique. En général, le
matériau thématique est présenté sur une harmonie moins stable, plus
mouvementée que dans l'exposition ; ce qui se fait en évitant les accords de
tonique en position fondamentale (dont la présence affaiblirait la tension causée
par l'accord de quarte et sixte). La 11e section se termine sur un accord V7 ou sur
la tonique 6/4 ; c'est souvent souligné par un point d'orgue, puis un pont
optionnel ou une transition amène la 2e section.
- 2e Section, souvent dérivée du 2e groupe thématique. Encore une fois, la
stabilité des positions fondamentales est évitée, et les marches non modulantes ou
diatoniques sont chromatisées... Comme la 1", la 2e section culmine avec une
arrivée claire, sur l'accord de tonique 6/4, avec gammes brillantes et point
d' orgue.
- Conclusion : une gamme fusée ou un embellissement qui prépare le trille,
ce qui termine la cadence et relance l'orchestre.
Bien sûr, il faut aimer les sensations fortes pour se lancer sur scène dans
une cadenza complètement improvisée, et avoir une grande habitude du style, des
textures pianistiques, des techniques d'écriture, etc. Mais le public est très
réceptif à ce genre de prise de risque, comme en témoigne notre prochain
chapitre.
21HAMILTON Kenneth (2007), After the Golden Age : Romantic Pianism and Modern
Performance, Oxford University Press, p. 66.
291
2° Réminiscences des « Puritains Fantaisie composée et exécutée par le même
susdit !
3° Études et fragments, par le même au même !
4° Improvisations sur des motifs donnés, toujours par le même.
Et voilà tout. Ni plus ni moins. Seulement, durant les intervalles, conversations
animées et enthousiasme s'il y a lieu22.
Afin d'égayer un tant soit peu mes concerts auxquels o n reprochait d'être
toujours trop sérieux, il me vint à l'esprit d'improviser sur des thèmes proposés
par les dilettanti et choisis par acclamations.
Cette façon d'improviser établit entre le public et l'artiste un rapport plus direct.
Ceux qui ont proposé des motifs ont engagé jusqu'à un certain point leur amour-
propre ; l'adoption ou le rejet de ses motifs devient un sujet de triomphe pour
l'un, de dépit pour l'autre, de curiosité pour tous. Chacun est désireux d'entendre
ce que le musicien fera de l'idée qu'on lui a imposée. Chaque fois qu'il la
présente sous une forme nouvelle le donataire se réjouit du bon effet qu'elle
produit comme d'une chose à laquelle il a contribué. Cela devient une oeuvre en
commun, un travail de ciselure exécuté par l'artiste autour de joyaux qui lui ont
été confiés23.
292
- O u i , mais pour de mauvaises raisons24 !
Voilà ce que nous entendons par expérience optimale. C'est ce que ressent le
navigateur quand le vent fouette son visage [...] ; c'est ce qu'éprouve l'artiste
peintre quand les couleurs s'organisent sur le canevas et qu'une nouvelle oeuvre
prend forme sous la main de son créateur ébahi ; c'est le sentiment d'un parent
au premier sourire de son enfant. [...] Ces grands moments de la vie surviennent
quand le corps ou l'esprit sont utilisés jusqu'à leurs limites dans un effort
volontaire en vue de réaliser quelque chose de difficile et d'important27.
24Anecdote racontée par Nadia Boulanger dans le film Mademoiselle de Bruno Monsaingeon.
25AZZARA, Christopher David (1992), The effect of audition-based improvisation techniques on
the music achievement of elementary instrumental music students, University of Rochester.
26 David Dolan, dans une série d'articles consacrés à l'improvisation, consultable via son site
internet : www.david-dolan.com.
27HEUTTE, Jean, «Le flow : l'expérience optimale ou autotélique (Csikszentmihalyi, 1990, 2004,
2005) », wwwjean.heutte.freelespip.php?article54
293
L'état de f/o(t/w) comporte huit caractéristiques majeures :
1. La tâche entreprise est réalisable mais constitue un défi et exige une aptitude
particulière.
2. La tâche exige une concentration profonde qui absorbe et canalise l'attention.
3. Cette concentration est rendue possible parce que l'activité a un but précis et
bien compris.
4. L'activité donne lieu à un retour (feed-back) immédiat, car on sait quand le
but est atteint, l'activité ayant un sens pour elle-même.
5. On agit en s'impliquant complètement mais sans vraiment ressentir l'effort
comme quelque chose de douloureux. On n'est plus conscient des soucis et des
frustrations de la vie quotidienne.
6. On a le sentiment d'exercer un contrôle sur son action (et non pas d'être
contrôlé par elle, comme dans le cas d'une dépendance, quelle qu'elle soit).
7. Le souci de soi disparaît, mais paradoxalement, le sens de soi se trouve
renforcé après cette «expérience ».
8. Le sens du temps est altéré, les heures deviennent des minutes et les minutes
peuvent se prolonger en heures28.
294
l'accueillit et, après une courte discussion, lui demanda de prononcer plusieurs
fois son prénom, « Eric », et d'écouter attentivement comment cela sonnait. Il lui
fit répéter encore, pour prendre conscience de la musicalité de ce simple prénom,
de son rythme, de ses inflexions... Puis il l'installa au piano, et lui fit improviser
quelques notes, en cherchant à reproduire les mêmes inflexions ; il les transforma
avec lui, les fit évoluer, se répéter... En quelques minutes, Eric Liu improvisait
une courte pièce sur son propre prénom.
Robert Abramson considérait que jouer de la musique était aussi facile
(et aussi compliqué) que de maîtriser une langue. I l voyait des ponctuations
musicales, des points et des virgules ; des phrases, avec des points d'équilibre,
des moments névralgiques ; bref, il enseignait une syntaxe et une grammaire
musicales.
Pendant sa longue carrière à la Julliard School, il n'eut de cesse, selon
ses dires, de « déprogrammer » ses étudiants, de changer leur perspective sur la
musique : au lieu de les laisser se concentrer sur les notes et la partition, il les
incitait à chercher du sens, à comprendre les liens entre les notes, à « parler »
musique.
L'analogie entre musique et langage n'est pas nouvelle (citons entre
autres les Norton Lecture que donna Bernstein à l'université de Harvard,
intitulées The Unanswered Question), mais elle est particulièrement stimulante
quand on l'envisage sous l'angle de l'improvisation. Apprendre à improviser,
c'est ainsi apprendre à parler une nouvelle langue, et on peut dès lors s'inspirer
des nombreuses méthodes linguistiques pour imaginer un curriculum musical.
295
Viennent ensuite les consonances imparfaites (tierces et sixtes), qu'on
peut adroitement éclairer en faisant l e lien avec l a gamme par tons (pour
identifier immédiatement les tierces majeures et sixtes mineures).
Enfin, les dissonances ; on pourra intégrer dans le vocabulaire et dans la
main les tritons, septièmes et secondes, qui ouvrent les portes aux improvisations
type seconde école de Vienne, surtout si on les « éparpille » sur plusieurs
octaves.
Dès que les « sons de base » sont maîtrisés, il est nécessaire de gagner en
aisance, en confort, en virtuosité. Les orateurs entraînent leur élocution avec ce
que le linguiste Claude Hagège appelle joliment des «fourchelangues » (par
exemple : «Je veux et j'exige de sages exégèses »). De la même manière, les
improvisateurs ont fluidifié tout à la fois leur discours et leur technique en
travaillant des «fourchedoigts ».
Pour leurs élèves, les compositeurs baroques inventaient des pièces
pédagogiques. François Couperin composait des «passages », c'est-à-dire de
courtes pièces centrées autour d'une difficulté (coulé de tierce, mouvement sur 5
doigts) ; Johann Sebastian Bach composait ses Inventions autour d'un geste
simple, qu'il soit physique, musical ou contrapuntique...
Mais ces exercices n'étaient pas seulement destinés aux élèves : Clara
Schumann travaillait sa technique plusieurs heures par jour, e t toujours en
improvisant des exercices ou des études.
Il y a des ouvrages entiers de gymnastique digitale — autres que le
sacro-saint Hanon32 — qui encouragent la transposition et l'agilité mentale (les
Exercices de Brahms, ceux de Godowsky, d'Haberbier, de Liszt, l'École des
double notes de Moszkowski) ; mais ces volumes ne remplacent pas le fait que
cultiver sa propre virtuosité (mentale et digitale) est un acte résolument personnel
qui demande un état d'esprit créatif et actif33.
Il faut comprendre le rôle joué par le développement de l'imprimerie
musicale, qui a figé une pratique vivante en inondant les conservatoires et les
bibliothèques de recueil « prémâchés » ou pré-pensés. Pour revenir aux sources,
rien de tel donc que d'improviser ses exercices ; en partant de presque rien, d'un
geste, en faisant des jeux de doigts : autour d'une descente 4-3-2 sur les touches
blanches, de descente mélodique en tierces brisées ; puis en miroir avec la main
gauche, puis e n canon à l a dixième, puis e n modulant, suivre une grille
harmonique ; en partant de difficultés extraites du répertoire (listées par Czerny,
dans son encyclopédie des passages brillants), o u de pièces d e virtuosité
296
(certaines Etudes de Clémenti, composées pour servir de préparation aux oeuvres
de Chopin), extraire deux mesures difficiles d'une sonate de Beethoven ou d'une
étude de Chopin et en faire un morceau à part, en le répétant, le variant, le
complexifiant...
L'étape suivante, après ces jeux mélodiques sans réelle direction, c'est de
commencer à improviser une vraie mélodie. Le pianiste Gyôrgy Sebôk aimait
surprendre ses étudiants en leur demandant l a différence entre un four
traditionnel et un four à micro-ondes. Le premier chauffe de l'extérieur vers
l'intérieur, tandis que l'autre chauffe de l'intérieur vers l'extérieur. E n
improvisation, comme en musique, le modèle est celui du micro-ondes : le chant
intérieur précède le chant extérieur. Keith Hill, luthier et claveciniste dont nous
reparlerons plus tard, propose une vision très lucide de l'improvisation
mélodique, qu'il résume en cinq règles de base :
L Ne jouer que ce qu'on choisit de jouer, que ce que l'on entend intérieurement.
2. Garder le contrôle sur ce que l'on joue (ne pas jouer au-dessus de ses
moyens) ; ne pas jouer plus que ce que l'on peut contrôler (au début, une seule
ligne musicale peut suffire).
3. Faire en sorte de dépasser les règles 1 et 2 le plus souvent possible.
4. En improvisation, l'erreur n'existe pas.
5. Saisir chaque chance d'improviser devant les autres34.
297
Il faut ensuite reprendre les gammes majeures et mineures, mais en
déplaçant leur centre de gravité, leur tonique, pour les ré-instituer dans leur
modalité originelle, éventuellement grâce à l'ajout d'un simple bourdon en quinte
(dont le traitement embrasse à la fois les musettes du XVIe siècle, les fulgurances
du K5ln Concert de Keith Jarrett ou la vitalité de la musique indienne) ; ou
reprendre et adapter des mélodies folkloriques et populaires, comme le fit par
exemple Barték dans ses Noëls Roumains.
Aucun territoire mélodique n'est interdit, même celui réputé
infranchissable de la série. D'ailleurs, avec des règles simples, on peut arriver à
des lignes d'une haute sinuosité chromatique : 1) jouer un arpège d'un accord de
trois sons (triade), majeur ou mineur (par exemple do-mi-sol); 2) après la
dernière note, monter ou descendre mélodiquement d'un demi ton (par exemple
sol-sol#); 3 ) recommencer l'étape 1 , avec u n autre renversement, e t
éventuellement une autre direction (par exemple en descendant sol#-ré#-si).
Cet exercice de jazz36, simple dans ses consignes, est en fait très virtuose
pour l'esprit ; d'autant qu'on peut le complexifier à loisir (ajouter les accords
diminués et augmentés, les redoublements, permuter, le faire avec des accords de
quatre sons...).
En s'inspirant des oeuvres de Josef Matthias Hauer (qui a précédé
Schoenberg de quelques années dans la réflexion dodécaphonique), on peut
mémoriser des séries hexaphoniques (6 sons), les déplacer pour apprendre la
transposition intervallique, éprouver physiquement le geste miroir d'une série
(par clavisymétrie), et ressentir en quoi la planification mélodique libère et
fortifie les autres domaines musicaux (concentration sur le rythme, les timbres, le
phrasé, etc.).
À titre d'exemple, on pourra reprendre la partition du Lieblich de
Webern, en supprimer les portées, et la revêtir d'une nouvelle série ; ou
apprendre les séries célèbres (par exemple celle du Concerto à la mémoire d'un
ange de Berg) en les transformant en ostinato rythmique resserré à la main
gauche ; puis, à la manière d'un boogie-woogie sériel, les transposer sur des
degrés différents pour installer une grille, et inventer une main droite en accords
rythmés...
36Exercice de Georges Garzone, connu sous le nom de Triadic Chromatic Approach, voir par
exemple : www.jodyjazz.com/imagesidvd/georgemaster.pdf
298
simples, mais peuvent être remarquablement complexes (certains mots composés
en allemand par exemple).
De la même manière, les accords sont composés d'intervalles simples,
mais peuvent présenter des combinaisons très denses37.
La grande différence tient au fait que la musique est une des activités
humaines où la répétition tient le plus grand rôle ; c'est-à-dire que la quantité de
vocabulaire à intégrer est beaucoup plus limitée que dans le cas du langage.
Si on considère les accords essentiels à connaître, on peut les diviser en
grandes catégories :
- accords de trois sons (triades) : majeurs, mineurs diminués, augmentés ;
- accords de quatre sons (tétrades) : septième de dominante, septième
majeure, septième mineure, septième diminuée.
Le langage classique peut être appréhendé avec seulement les accords
soulignés, ce qui ne fait que quatre catégories. Mais, à la manière des jazzmen, il
faut maîtriser chaque nouvel accord sous toutes ses formes, c'est-à-dire ses douze
transpositions, ainsi que ses permutations (renversements) et ses éventuelles
doublures ou dispositions particulières.
Voici un exercice pour intégrer un nouveau type d'accord dans son
vocabulaire harmonique : prenons l'exemple de l'accord majeur, en position
fondamentale, présenté à trois sons (do-mi-sol).
- annoncer à haute voix (avant de jouer) l'accord : « do majeur », puis le
jouer ;
- continuer en transposant chromatiquement (en annonçant les dièses en
montant, et les bémols en descendant) ;
- ranger, mémoriser et jouer les accords selon leurs configurations (accords
sur les touches blanches uniquement, sur les touches noires, accords «mixtes ») ;
- déplacer les accords par tons, par tierces mineures ;
- déplacer les « accords bloqués » (block-chords) sur des gammes (ex. : le
pouce joue la gamme de ré majeur, en bloquant un accord parfait majeur), ou sur
des formules mélodiques (le 5e doigt joue «Bon anniversaire» en mi bémol
majeur).
On peut ensuite faire la même chose avec les accords mineurs, ou avec
les accords majeurs renversés, en répartissant l'accord sur les deux mains (par
exemple main gauche : do-sol, main droite : m i -do), avec les deux mains
parallèles en commençant sur des accords décalés (mg : do-mi-sol, md : ré-fa#-
la), les accords de quatre sons (en les réduisant au début à des formes simples,
par exemple mg : do-sol, md : mi-si, ce qui permet de faire sonner des accords de
septième majeure en jouant seulement des quintes justes), etc.
La plupart des méthodes de langues recommandent de consulter un
dictionnaire pour traduire systématiquement les mots qu'on ne comprend pas
dans des textes spécialisés, et de les noter dans un carnet. De la même manière, il
37Par exemple l'accord « catastrophe » dans la Symphonie n° 10 de Gustav Mahler (mesure 206).
299
y a des accords spécifiques p o u r chaque compositeur, des dispositions
idiomatiques fines (un accord majeur chez Mozart sera souvent plus compact que
chez Chopin, mais moins dense que chez Beethoven) qui requièrent notre
attention ; et je recommande de les transposer (c'est à dire de les interroger
harmoniquement) pour voir si on a compris comment ils se construisent, et quelle
est leur place dans le contexte, puis de les noter dans un carnet musical38.
Il s'agit de se constituer un répertoire d'accords compris et ressentis
(dans le corps et dans la main), et de commencer tôt ; cela facilitera grandement
la mémorisation des pièces ainsi que l e déchiffrage. Certains jazzmen ont
d'ailleurs publié un dictionnaire d'accords enrichis, en les classant par familles
(I, ii, V), selon leur note supérieure (tonique au soprano, quinte, tierce...), et avec
des variantes de textures39.
38 Messiaen conseillait à ses étudiants de tenir des carnets d'harmonie, de mélodies, de rythmes...
39 STANCHEV, Maria et RAYNAUD, Armand (1995), Les secrets de l'harmonisation p a r l a
mélodie, Paris, Paul Beuscher-Arpège.
40 Professeur de cognition et théorie de la musique à l'université de Northwestern.
41GJERDINGEN, Robert (2009), Music in die Galant Style, Oxford University Press USA.
42 BOQUET, Pascal et REBOUS, Gérard (2006), 50 standards Renaissance & Baroque, Courlay,
Anne Fuzeau Productions.
300
L'harmonie, malgré sa forte composante « verticale » en tant que science
des accords et des superpositions, a vocation à devenir horizontale, grâce
notamment à ce que certains auteurs appellent la syntaxe des notes voisines43 (qui
fait écho au voice-leading de la théorie schenkérienne).
Pour développer cet aspect linéaire de l'harmonie, il faut cultiver une
véritable « hygiène » polyphonique, affiner l a sensation digitale de jouer
exactement quatre voix (c'est-à-dire de n'avoir jamais ni plus ni moins de quatre
touches enfoncées) ; l'idéal pour cela est de travailler par exemple des fugues très
lentement, ou de jouer sans pédale des chorals de Bach avec beaucoup de doigtés
de substitution. On peut également s'entraîner à maintenir une polyphonie
improvisée à une main, avec deux voix en imitation, en alternance, en surveillant
bien les tenues et les substitutions pour toujours n'avoir ni plus ni moins de deux
touches enfoncées.
Dans un esprit plus improvisé, on peut aussi reprendre un exercice que
proposait Schoenberg dans son Traité d'harmonie, qui est en fait une adaptation
de la pratique de la basse continue. Il s'agit d'enchaîner des accords, avec la
basse (une voix) à la main gauche, et les accords (trois voix) à la main droite.
Pour cela, on laisse vagabonder la main gauche mélodiquement et on permute les
accords à droite en cherchant toujours le chemin le plus économe (conserver au
maximum les notes communes, et privilégier les mouvements contraires entre
main droite et main gauche), dans la descendance des clavecinistes qui réalisaient
à vue.
43 La syntaxe des notes voisines est une technique qui consiste à faire glisser une ou plusieurs voix
de la polyphonie vers une note voisine, proche d'un demi-ton ou d'un ton.
«Cette section s'appuie sur les différents écrits de David Dolan :
- DOLAN, David (2005), « Back to the future : towards the revival o f extemporisation in classical
performance », ODAM, George et BANNAN, Nicholas (éd.), The Reflective Conservatoire : Studies
in Music Education, Londres, Guildhall Research Studies ;
- Article sur l'improvisation, www.david-dolan.com, page consultée le 4/09/2013 ;
- « Extemporising dances : Minuette », www.vimeo.com/1032876, page consultée le 4/9/2013.
301
connaissances de base, l'accent est mis sur le sens du flo(t/w), tout en maintenant
la pratique d'éléments harmoniques, formels et stylistiques, qui doivent être
maîtrisés et intériorisés. Pour résumer, l'idée est de faire avant de comprendre, et
pour cela de cultiver un « laisser-faire », de s'appuyer sur l'instinct musical.
2) « Élaborer »
L'élève traite ensuite cette mélodie comme si c'était une esquisse, une
réduction, et cherche à la développer ; il va donc ajouter des broderies,
des notes de passage, en alternant toujours entre chant et piano.
45 Les jeux doivent se dérouler dans une atmosphère détendue, encourageant la prise de risque et le
sens du plaisir.
46 Un autre exemple vidéo est consultable sur www.vimeo.com/1032876.
302
Bien sûr, il y aura des imperfections, des tournures maladroites, des
incompréhensions entre soprano et basse, mais l'essentiel est de garder la
direction et le flo(t/w).
Impro- Viser
47 JARRETT, Keith (2006), The art of improvisation, Studio Euroarts Music Inter, 1 DVD.
303
6) Penser l'improvisation comme une série de petits défis personnels, et non
comme un obstacle infranchissable48.
Il faut aussi devenir sensible aux potentialités d'une idée ; les idées très
complexes ont moins de possibilités (penser aux thèmes variés). Il faut donc
garder son matériau simple, pour pouvoir continuer à improviser. Voyez ce que
nous dit Carl Philipp Emanuel Bach sur son père :
Écoutant une fugue complexe et à plusieurs voix, il pouvait déjà dire, après les
premières entrées des sujets, quels moyens du contrepoint i l était possible
d'utiliser et ce que le compositeur devait faire pour respecter les règles ; à l'une
de ces occasions, comme j'étais debout près de lui et qu'il me disait ce qu'il
supposait, i l me donna un joyeux coup de coude, lorsque ses prévisions se
réalisèrent49.
Enfin, improviser, c'est aussi tout faire pour maintenir l'intérêt des
auditeurs ; or cela dépend de la facilité avec laquelle le public comprend ce que
l'on fait. Être intéressant, c'est donc, au début, être prévisible, et trouver un
équilibre entre une musique facile à suivre, et des moments plus demandeurs,
plus complexes.
La co-improvisation
304
numéro. Le but est de contourner l'obstacle du temps réel au début, afin de ne
pas bloquer le flux musical par la suite ; ces compositions sont apprises par coeur
et jouées en classe. Les étudiants ont ensuite le choix entre composition et
improvisation ; pour ceux qui décident de se lancer dans l'improvisation
commence le travail propre à la co-improvisation. Après avoir donné une
consigne (une métrique, une tonalité, un mode de jeu, etc.), l'équipe AB joue
deux fois :
- A commence en prenant le rôle de soliste, pendant que B l'accompagne ;
- B reprend le rôle de soliste, et A l'accompagne (avec la contrainte de
retrouver le même accompagnement, ou au contraire de varier l a partie
secondaire).
Cela peut être sur un matériau musical très simple, par exemple une
gamme, accompagnée par une improvisation mélodique.
L'exercice est ensuite décliné selon différentes contraintes (harmonique,
mélodique, formelle, stylistique...) et il est également présenté sous la forme
d'une improvisation libre.
Voici un exemple de curriculum que Scott Spiegelberg développe avec
ses étudiants, sur un cours de quatre semestres :
1" semestre
le' cycle de 4 cours : phrases de 4 mesures, mélodies diatoniques,
rythmes simples
2e cycle : extension du rythme : syncopes, hémioles, triolets
2e semestre
1" cycle : phrases plus étendues, périodes, groupe de phrases
r cycle : harmonies diatoniques plus complexes (marches)
3e semestre
ler cycle : modulations et emprunts, thème et variations pour
s'entraîner aux embellissements
2e cycle : petites formes
4` semestre
1" cycle : grandes formes, harmonies chromatiques
Le complexe de Frankenstein
305
Contrepoint, Composition, Instrument, Déchiffrage, Accompagnement...). A
l'époque, recopier une partition (à la manière des peintres, qui copiaient des
tableaux pour se « faire la main »), analyser une pièce (la « démonter », pour
comprendre s o n fonctionnement), composer à l a manière d ' u n maître
(« remonter» l a pièce), composer dans son propre style, jouer, déchiffrer,
extemporiser, ornementer, tout cela faisait partie de l a vie quotidienne du
musicien.
La pratique et la théorie musicale étaient plus étroitement unies, et leurs
liens p l u s facilement discernables. C e q u e j'appelle l e «complexe d e
Frankenstein », c'est le fait d'utiliser par exemple l'analyse musicale à la manière
d'un scalpel intellectuel (après tout, analyser, étymologiquement, c'est diviser)
pour sonder le coeur de la matière musicale, voire pour théoriser cette matière,
mais sans réinjecter cette connaissance dans une interprétation vivante ; c'est
autopsier une oeuvre en oubliant de lui redonner vie ensuite.
Grâce à l'improvisation, certaines théories analytiques peuvent s'incarner
musicalement. A i n s i , D a v i d Dolan51 cherche à m o b i l i s e r l'analyse
schenkérienne d'une façon dynamique, en partant du principe que la perception
de l'improvisateur oscille (alterne) entre le niveau de surface de l'oeuvre (la
partition) et son niveau profond. Voici quelques applications qu'il propose :
1) Extemporiser sur des structures musicales données (le menuet, l a
cadence de concerto...) ;
2) Encourager l'écoute en avance (proactive), en se projetant au-delà de
la note suivante, vers une note pivot, qui fonctionne à la manière d'une
clé de voûte structurelle ;
3) Créer un filet de sécurité, pour lutter contre la peur de la fausse note ;
si un accident arrive, attendu que le point structurel visé est clair, l'oreille
intérieure sait comment se rattraper53 ;
4) Chercher ( o u f a i r e soi-même) d e s réductions schenkériennes
d'oeuvres, les jouer puis improviser sur ces schémas.
306
comprendre comment il est construit (quels intervalles, quel contexte) ; mais il
faut ensuite s e l'approprier, l e « buvardiser », c'est-à-dire l'intégrer
profondément, le faire passer dans le corps et dans la main, le transposer, le
déplacer, pour qu'il puisse être reconnu ou utilisé dans un autre contexte.
L'improvisation, envisagée comme un processus, est ainsi le lien, le «liant »,
entre les différentes activités du musicien (le déchiffrage, l'extemporisation,
l'analyse, l'exécution, la mémorisation...). C'est un flo(t/w) d'adrénaline qui
brasse et embrasse toutes les disciplines, et qui emporte tout sur son passage. Il
ne nous reste plus qu'à ouvrir les vannes.
Conclusion
Cette citation de Julien Gracq s'adresse à tous ; mais elle trouve un écho
particulier chez les musiciens, parce qu'elle nous parle du temps. Ou plutôt, des
temps : du temps concret, du temps de la fiction, du temps vécu et du temps en
conserve.
S'il fallait résumer la problématique de cet article en quelques mots, je
dirais qu'une éducation musicale équilibrée doit se structurer avec du «temps en
conserve » et du « temps frais ».
Le «temps en conserve », en musique, prend plusieurs formes : c'est
d'abord le support écrit (la partition), c'est aussi le grand répertoire (les oeuvres
composées p a r Beethoven, Schubert...) e t , d'une manière différente,
l'enregistrement (CD, streaming), même si, concernant l'enregistrement, je
parlerais plutôt, pour filer la métaphore, de « temps surgelé », c'est à dire stocké,
et prêt à être consommé immédiatement.
Le «temps frais» est plus difficile à définir ; c'est tout à la fois l'ici-et-
maintenant de la musique jouée «en direct », mais c'est également ce je-ne-sais-
quoi magique qui donne une dimension supplémentaire à certains interprètes ; et
une part importante de ce je-ne-sais-quoi réside dans le fait d'improviser, au sens
large.
Ce que je pose, c'est qu'il n'y a pas de différence de nature entre des
actes musicaux comme composer, extemporiser, déchiffrer, interpréter ou
analyser une partition, mais plutôt une différence de temporalité ; et que passer
d'une temporalité à l'autre, c'est improviser.
Il y a des compositions étirées, lentes, sans cesse remaniées, et d'autres
qui respirent l'instantané et la fluidité ; il y a des extemporisations fugitives, et
54GRACQ, Julien (1995), Entretien avec Jean Roudaut, Paris, Gallimard, collection La Pléiade
Œuvres Complètes, tome 2, p. 1228.
307
d'autres patiemment mûries. Plutôt que d'ériger une nouvelle frontière musicale
entre les improvisateurs e t les autres musiciens, i l est urgent d'envisager
l'improvisation comme une matière première musicale, un atome de carbone
sonore, qui peut se décliner de la mine de crayon en graphite au diamant brut,
mais qui est au coeur de toute matière musicalement vivante.
En guise de conclusion, et puisque conclure n'est pas l'objet de cet
article, je voudrais citer une introduction ; quelques lignes qui ouvrent le livre
lumineux du philosophe Jean-François de Raymond :
308
BILIOGRAPHIE
LIVRES
309
DOLAN, David (2005), « Back to the future : towards the revival o f
extemporisation i n classical performance », ODAM, George e t BANNAN,
Nicholas (éd.), The Reflective Conservatoire : Studies i n Music Education,
Londres, Guildhall Research Studies.
310
LEVESQUE, Shane A u r e l (2008), « The A r t o f the Improvised
Nineteenth-Century Piano Prelude », Dutch journal of music theory, volume 13,
n° 1.
311
SITES INTERNET [consultation le 4 septembre 2013]
312
CD — DVD
313
LES MOTIFS IDEOLOGIQUES DU JEU
COMME MOYEN D'ENSEIGNEMENT DE LA MUSIQUE
Jean-Luc LEROY'
La notion de « jeu » a toujours tenu une place centrale dans les réflexions sur
l'enseignement. Instrument naturel de l'éducation dans l'esprit de nombreux
philosophes, de Platon à Rousseau en passant par Montaigne et bien d'autres, le
jeu devient le point d'appui majeur des pédagogues de l'Education nouvelle à la
charnière des XIX' et >OC siècles, et reste encore aujourd'hui une référence pour
les modélisations dans les sciences de l'éducatiori2. En tant qu'activité spontanée,
« gratuite », le jeu des méthodes nouvelles en pédagogie s'est vu associé à la
«nature », à la liberté, au bonheur, à la joie, à l'insouciance, aux activités
concrètes, vivantes, au plaisir du faire et du vivre, au savoir construit dans
l'exploration et la découverte, à la créativité, au point de vue de l'apprenant, à
l'interaction et au partage social, à l a cogestion, à l a coordination (inter-)
disciplinaires, etc., et, à ces titres, opposé aux pédagogies «traditionnelles »,
assimilées à l'artifice, à la contrainte, à la peur (des notes, des sanctions), au
souci, aux activités intellectuelles, desséchantes, au travail abrutissant, à l'effort,
à la répétition, au savoir imposé, ingurgité, à la solitude, au rapport hiérarchique
de soumission vis-à-vis du maître, etc. En outre cette opposition, d'abord portée
par des psychologues et des médecins (Claparède, Decroly, Montessori...), s'est
rapidement vue, particulièrement dans les pays latins, aggravée par le poids des
luttes idéologiques qui ont sous-tendu la structure géopolitique du monde jusqu'à
la fin des années 1980, les méthodes « nouvelles » étant plutôt situées côté
« communiste », les méthodes « traditionnelles » plutôt côté « capitaliste ».
Très tôt, les activités artistiques ont constitué des domaines privilégiés pour
l'Education nouvelle. Les stéréotypes et les confusions de tous ordres ont
naturellement conduit à faire de ces disciplines les modèles de territoires où l'on
pouvait apprendre en jouant de manière créative. Ce point de vue s'est très
largement trouvé renforcé par l'évolution des esthétiques et des conceptions
artistiques au XXe siècle.
En musique, l'aléatoire radical, l'accent porté sur l'intention plutôt que sur la
structure de l'objet, l'abandon (voire le rejet) des composants traditionnels (les
notes) comme matériau de base du travail de composition, la théorisation de la
démarche exploratoire dans le champ compositionnel ouvert par la musique
concrète p u i s p a r l a musique électroacoustique, l ' a t t r a i t e t l a quasi
institutionnalisation de l'improvisation (collective, via le jazz) comme modèle de
315
l'art vivant, l'émergence de l'événementiel, etc., ont travaillé à une réécriture
radicale des aspirations et des modèles dans le domaine de l'enseignement. Par
ailleurs, les conceptions mêmes du travail compositionnel, avec notamment la
revendication d'une musique « expérimentale » (Schaeffer, etc.), la combinatoire
sérielle (Boulez, etc.), la musique stochastique (Xenakis, etc.), ont conduit à
souligner la dimension à la fois exploratoire et intellectuelle de la construction
musicale, dans le prolongement d'un formalisme regardant la musique comme un
jeu d'esprit, sans contradiction (certains, comme Xenakis, cultiveront les deux)
avec le principe d'une expérience musicale (y compris compositionnelle) vue
comme un investissement sensible, spontané, entier, sans les retenues imposées
par les codes socialement contrôlés. Bref, les grands courants qui ont charrié les
conceptions de l'expérience et de la créativité musicales au XXe siècle ont
contribué, à leur manière, à renforcer encore l'association de la musique au
ludique.
Ce sont ces multiples strates qui sont venues s'écraser dans la notion de jeu
comme modèle pour une nouvelle forme de l'éducation musicale. On voit que les
enjeux sont loin d'une simple efficacité de la formation. À vrai dire, les études
sur les méthodes d'enseignement de la musique via la créativité n'ont débouché
sur rien de concluant', et certaines légèretés méthodologiques laissent en outre
planer le soupçon d'une volonté de prouver le bien-fondé de la valeur a priori du
jeu supposé créatif plutôt que d'une réelle volonté d'en étudier les processus et
les effets en termes d'apprentissage. Remarquons bien que, quelles que soient les
perspectives, en éducation, c'est toujours peu ou prou du jeu symbolique dont il
s'agit, avec une référence qui a progressivement basculé à la fin des années 1970
de Piaget à Winnicott (1971/1975), chez qui la fonction médiatrice du jeu entre
l'externe et l'interne, le réel et les besoins du moi, devient le vecteur de la
créativité vraie. Bref, le modèle du jeu dont il est ici question est étroitement lié à
un modèle idéal de l'être humain. D'où les associations récurrentes évoquées
précédemment (jeu, créativité, spontanéité, gratuité, etc.), qui paraissent renvoyer
à un modèle de l'être comme une énième rengaine de l'état adamique d'avant la
chute du péché originel. Ainsi compris, le modèle du jeu, c'est l'expression du
souhait freudo-marxiste d'un principe de plaisir posé comme but ultime de
l'horizon éducatif ; l'art, le domaine qui doit porter ce mouvement'.
Enfin, l'ébranlement sévère des fondements mêmes de ce qui faisait art à partir
de la fin du XIX' siècle par la remise en cause systématique des critères de sa
valeur, faisant perdre à la critique sa fonction médiatrice d'assimilation de la
production artistique à la vie sociale, indissociable d'une profonde évolution des
mentalités et des moeurs, a laissé le pédagogue et le théoricien de l'enseignement
démunis au moment de l'accélération sans précédent qu'a connue cette évolution
à partir des années 1960. Vers le milieu des années 1970, puis de manière
massive à partir des années 1990, les révolutions dans les habitudes de vie ont
316
achevé de faire vaciller les anciennes « méthodes » de l'enseignement de la
musique. Le divorce s'est trouvé consommé entre la conception d'une formation
à l'excellence, dans la visée du virtuose romantique souvent entouré d'une aura
quasi mystique, et les attentes d'un public avide de consommer dans l'ici-et-
maintenant. A u principe d ' u n effort patient, long, répété, quotidien,
(relativement) solitaire, qui fondait la perspective de cette formation première,
s'est substitué celui d'une participation ludique porteuse de satisfactions rapides
voire immédiates. L'objet d'art, d'organe d'une médiation spirituelle qu'il était,
est devenu un produit de consommation courante. À l'idée d'une frontière entre
l'art et la vie, l'art « vivant » substituait le principe d'une confusion entre la vie
et l'oeuvre, où l'art se réalise dans la monstration fusionnelle d'un vécu subjectif,
dans le temps d'une performance dont la finalité est cette monstration même
plutôt que celle d'une transmutation spirituelle dans et par l'objet-oeuvre.
La place accordée aujourd'hui au jeu conune outil « naturel » d'apprentissage
dans le domaine des arts ne peut se comprendre sans apprécier la fonction que
cette nouvelle topique a exercée dans l'économie de ces évolutions. Ainsi, il est
possible que l'attrait pour le jeu coimne moyen d'enseignement de la musique
(sous toutes ses formes) soit davantage à la fois le produit et l'instrument de ces
évolutions que le fait d'une nécessité éducative qui se justifierait d'un point de
vue psychologique ou psychopédagogique a priori. Bien entendu, il ne s'agit pas
de porter un jugement de valeur, tout à fait hors de propos, mais d'évaluer la
pertinence des théories du jeu comme fondement de l'éducation musicale.
Toute connaissance est destinée humaine. Aussi, aucun problème en éducation,
aucune didactique ne peut faire l'économie d'un positionnement sur la dimension
axiologique, autrement dit sur la définition des fins. Toute théorie de l'éducation
est la théorie d'une valeur en devenir, d'une valeur en acte. Toute réflexion qui
escamoterait cette prise de position première en se justifiant d'un « absolu »
humain, fut-ce au nom de la liberté, serait un pur abus de pouvoir.
317
BIBLIOGRAPHIE
318
PROJET DE CRÉATION D'UN CENTRE NATIONAL
DE FORMATION À LA CRÉATION VOCALE
Guy REIB EL
De la recherche musicale...
319
... au jeu vocal
Qu'est-ce que le jeu vocal ? Le jeu vocal est une pratique du chant et de
la création musicale sous une forme spontanée.
Le jeu vocal suscite le chant spontané sous toutes ses formes, chanter,
murmurer, bruiter, parler... Un chant au-delà du chant qu'une pratique créative
globale fait naître, associant le chant au geste, l'écoute à l'invention.
Point n'est besoin de savoir lire la musique, d'avoir une culture savante
préalable.
Jouer de sa voix, jouir de sa voix, immenses sont les ressources de la
voix pour produire des sons à l'infini, éprouver des sensations inconnues, pour
créer, inventer, découvrir, se projeter hors de soi-même.
Le jeu vocal est plus qu'une pratique musicale. I l crée un lien social au
sein d'un groupe, ouvre la voie à une communication plus profonde entre les
êtres, contribue à développer l'expression individuelle et collective, canalise
l'énergie, apaise les tensions au sein des groupes, favorise l'échange entre tous.
Le jeu vocal donne un sens à la création, en l'enracinant au sein d'une
communauté vivante, participante, e t dans l'attente d'ceuvres nouvelles dans
lesquelles se projettent ses attentes, ses désirs. I l élève la pratique musicale de
tous à un niveau d'exigence comparable à celui des meilleures productions
professionnelles contemporaines.
320
Du jeu à la composition
Origines du projet
L'idée d'un tel projet m'est venue au cours de mes nombreuses activités,
qui m'ont placé au centre d'un éventail large d'entreprises multiples.
Observateur privilégié de la vie musicale, j'ai été amené à être actif dans
les domaines les plus variés : chercheur au GRM auprès de Pierre Schaeffer dans
les années 1960-70 (voir plus haut), producteur d'émissions à la radio (Concerts-
Lectures, émissions pédagogiques dans les années 1970-80), professeur de
composition au Conservatoire de Paris (1968-2001), directeur d'ensembles
vocaux (Choeurs de Radio France, Groupe Vocal de France), chargé de mission
sur des projets musicaux (Cité d e l a Musique), producteur d'événements
musicaux (« la Marseillaise des Mille »), créateur du jeu vocal, associé à la
création d'un instrumentarium informatique (les OMNI avec Patrice Moullet),
auteur d'oeuvres musicales et d'ouvrages sur le jeu vocal et la création.
Un projet global
321
- L e monde a changé, les attentes des publics pour la musique, et des
jeunes en particulier, ont évolué. On constate, en observant les comportements
des diverses populations musicales dans le monde, l'apparition d'un phénomène
essentiel : une nouvelle conscience du son, du phénomène sonore en général, non
pas le son que l'on écoute d'une façon abstraite et culturelle comme simple
support d'une musique, mais le son vécu en lui-même, comme une matière et une
forme, dans ses rapports profonds avec le corps, le geste, l'espace, et dans ses
effets multiples. L'homme musicien d'aujourd'hui n ' a plus envie d'être un
simple auditeur, consommateur de musique. Il éprouve le besoin de faire par lui-
même, mieux, de participer à la création d'une musique en rapport avec le monde
actuel, dans ses facettes culturelles, sociales, économiques.
- O n ne peut plus séparer le monde de l'enseignement et celui de la
création. L'enseignement doit s'ouvrir à la création, son contenu doit être élargi,
reformulé. La création elle-même doit sortir des milieux spécialisés et s'enraciner
dans des lieux de vie comme l'école. Les créateurs doivent imaginer d'autres
manières de créer, d'autres formes d'ceuvres, plus proches du grand public. La
création peut s'étendre des musiques « savantes » à un champ plus populaire
dans le domaine vocal, tout aussi exigeant, mais ouvert à des enseignants.
- L e chant, dans une approche ludique et créative comme le jeu vocal,
devrait être au centre de toute pédagogie.
- I l est possible de proposer, dans le sillage du jeu vocal, une formation
à la composition pour tous les enseignants, même dépourvus de connaissances
techniques. La création a évolué depuis un demi-siècle et on peut aujourd'hui
répondre à une telle demande, participer à une telle aventure.
- I l existe plus d'une dizaine de centres nationaux de recherche et de
création dévolus aux nouvelles technologies. Pourquoi pas un centre affecté à la
création vocale ?
Découvrir, composer
1) Le jeu vocal
Pratique du jeu vocal afin d'explorer une infinité de mondes sonores, chantés-
parlés, bruités, tout à la jouissance de la vibration, du geste. L e joueur ne
reproduit pas des modèles, des genres particuliers de musique. I l s'efforce
d'inventer par lui-même quelque chose d'imprévisible l'instant d'avant. I l crée
des bibliothèques sonores originales, au sein desquelles i l pourra puiser et
constituer un vocabulaire sans cesse renouvelé.
2) Composer un chant, une oeuvre vocale
Le jeu provoque l a trouvaille. Comment passer de l a trouvaille spontanée,
éphémère, à la partition écrite, reproductible ? C'est la nouvelle phase de mon
322
travail avec des compositeurs depuis deux ans, en pleine expansion. Une
recherche qui associe pleinement un « professionnalisme » de la composition,
que mon équipe et moi-même pouvons garantir, et de la pédagogie que nous
amènent en retour les participants à ces formations, avec un enrichissement
réciproque.
323
compositeurs, trop coupés du monde extérieur, et qui devraient s'engager dans
une recherche destinée à améliorer ce qu'on appelle « les pratiques amateurs »,
souvent médiocres. Un vrai pari, spécialement dans le domaine de la création
vocale et de la recherche, avec une ambition professionnelle affirmée.
J'ai moi-même été professeur de composition dans cette maison de
longues années... J'ai essayé de sensibiliser mes étudiants dans cette direction.
Malheureusement, malgré u n accueil chaleureux de Bruno Mantovani, son
directeur actuel, des restrictions budgétaires sévères imposent au CNSM de
resserrer ses activités sur l'essentiel de ses missions, excluant pour l'immédiat
toute entreprise nouvelle.
324
ENTRER DANS LA MUSIQUE PAR LA CREATION
François DELALANDE
325
explorations de la petite enfance à la composition de l'adulte. Il faut maintenant
s'arrêter sur ce qui a rendu possible ce trajet, sur ses vertus pédagogiques de
formation non seulement à la musique contemporaine mais par la musique
contemporaine, et enfin sur les moyens de diffuser de telles pratiques encore
rares.
De la note au « son »
1Une étude de 2002 estimait à un million le nombre de personnes, en France, qui composaient sur
leur ordinateur domestique. Vo i r «Composer sur son ordinateur », Développement Culturel,
n° 138, J u i n 2002, Ministère d e l a Culture e t d e l a communication, téléchargeable s u r
www. culturel-.
326
maîtrise de l'écriture ni même du solfège, mais aussi, et peut-être même surtout,
parce que les musiciens contemporains peuvent entendre comme « musicales »
les productions sonores des enfants, même très jeunes.
Il s'est produit en musique dans, les années 1970 une transformation
comparable à celle qu'on avait observée en peinture dans les années 1930.
Jusqu'alors, les jeunes enfants faisaient des gribouillis avec leurs crayons de
couleur. Puis, vers 1950, leurs gribouillis ont acquis le statut d'Art Enfantin.
Entre les deux, des peintres avaient porté un autre regard sur les arts primitifs et
les dessins d'enfants. Du coup, des éducateurs, comme Arno Stem, ont fixé de
grandes feuilles de papier sur les murs de l'atelier de peinture, ont fourni des
pinceaux, des couleurs, ont valorisé les créations enfantines, donné quelques
conseils, et l'Art Enfantin a pu couvrir les pages de livres d'art2. La mutation des
dispositifs et des technologies a permis, de 1970 à maintenant, une évolution
comparable en ce qui concerne la création musicale enfantine.
C'est au début des années 1970 que sont apparus le concept et la pratique
de l'éveil musical (Delalande 1974/19763). Depuis les années 1960, la pédagogie
française faisait place à l'éveil des jeunes enfants aux matières scientifiques. Par
exemple, en chimie, on tordait des tubes de verre sur le bec Bunsen, on
provoquait des réactions, mais sans jamais donner le nom d'une molécule et
encore moins afficher une formule au tableau noir. Il s'agissait d'éveiller un goût
et une curiosité avant d'enseigner. En musique, le mot « éveil » prenait un sens
un peu différent puisqu'on supposait qu'il préexistait à toute intervention adulte
un goût du son, une envie de le faire évoluer par variation. Il s'agissait donc de
réveiller, d'aider à s'épanouir une prédisposition qui sommeille en chaque enfant.
C'est d'abord dans les écoles maternelles que ces conceptions ont été
mises en application, donnant lieu à des activités d'exploration, expression et
représentation, construction, selon l e modèle d u j e u piagétien sensori-
moteur/symbolique/réglé (Delalande 1984). Elles ont ensuite été élargies à la
crèche (Céleste, Delalande, Dumaurier, 1982) autant dans un but de recherche
fondamentale — mieux décrire et comprendre l a dimension musicale des
explorations sonores — qu'avec un objectif d'application pédagogique. Cette
recherche est loin d'être achevée (Delalande et al. 2009).
Dans les conservatoires et écoles de musique, le mot « éveil » a
2Comme les 55 planches, en noir et en couleur, du livre Art et Education publié par l'Unesco en
1954.
3Le concept de « pédagogie d'éveil» est très français et difficile à traduire. Cet article : «Trois
idées-clé pour une pédagogie musicale d'éveil », a été traduit en italien : « Tre idee-chiave per un
risveglio della pedagogia musicale » (i.e. «Trois idées clefs pour un réveil de la pédagogie
musicale »). En espagnol, Inmaculada Càrdenas, dans un livre de présentation de cette approche
pédagogique (2003) a adopté l a dénomination «pédagogie de création musicale ». Vo i r
bibliographie.
327
généralement pris un sens un peu différent de sensibilisation au répertoire et aux
instruments avant de transmettre des connaissances — pratique pédagogique
comparable à l'éveil à la chimie cité plus haut.
En maternelle, les essais créatifs des aimées 1970 faisaient souvent appel
à un instrumentarium rudimentaire : surtout pas de xylophone, pour ne pas
retomber dans l'ornière des notes, immédiatement suivie d e ses règles
combinatoires, du juste et du faux, mais plutôt un matériel de récupération —
tubes cannelés, bouteilles en plastique, pots de yaourt, etc., ou instruments
construits, — ou encore la voix. L'idée de faire de la musique avec les objets de
tous les jours était séduisante, mais on en voyait bien les limites, lorsque les
enfants avancent en âge.
Pendant ce temps, vers 1985, une deuxième voie de création s'est ouverte
au collège. Jusqu'alors, le professeur de musique avait le choix entre l'écoute
commentée de disques, la flûte à bec, le chant, mais aucun outil favorisant la
création n'était à s a disposition. C'est pourtant a u collège e t a u lycée
qu'apparaissent des moyens de composition : synthétiseurs, puis ordinateurs4. Ils
sont évidemment aujourd'hui plus variés, puissants, et moins chers5.
Les conservatoires et écoles de musique, qui dès 1967 (Marseille) et
surtout après 1968 avaient ouvert des classes d'électroacoustique pour les
adultes, accueillent maintenant parfois les adolescents et préadolescents.
C'est dans la tranche intermédiaire, à âge de l'école élémentaire, qu'il
restait un « trou » dans l a continuité du cursus. Les pots de yaourt et les
bouteilles en plastique ne correspondent pas aux ambitions et aux conceptions
musicales d'enfants de huit à dix ans, sauf si le son de la bouteille en plastique est
capté par u n microphone (confié à u n « microphoniste »), envoyé dans u n
ordinateur qui le transforme en un son étonnant, le répartit dans l'espace dans la
salle de classe ou de concert6. La continuité est assurée entre une production
sensori-motrice, avec l e corps — les doigts, l a bouche, l e souffle — et l a
composition sur ordinateur.
Pourquoi la création ?
4 Une étape : les deux cahiers «Education musicale et Informatique », publiés par le Centre
National de Documentation Pédagogique en 1991 et 1993.
Des dispositifs électroacoustiques o n t aussi été utilisés localement par des associations : l e
Gmebogosse à Bourges, le Mélisson à Albi, sans oublier le système Upic, imaginé par Xenakis. On
trouve u n inventaire d e s technologies d e création utilisée e n France v e r s 1 9 8 0 dans
« Electroacoustique et pédagogie », Les cahiers de l'animation musicale n° 29, 1983.
5 Cahier «Des outils pour la musique », Dossiers de l'ingénierie éducative n° 43, CNDP, 2003,
téléchargeable.
6 Allusion à un travail réalisé par deux musiciens de l'association Tempo Reale de Florence,
Stefano Luca et Michele Tadini, encadrant les productions de cinq classes. Reportage détaillé sur le
site Ina Grm, www.inagrm.com, rechercher « gamelan 01 ».
328
musique n'est pas une évidence. Je n'apporterai i c i qu'une toute petite
contribution à la réflexion. La formation musicale telle qu'elle se définit en
pratique dans ces établissements n'a pas l'ambition de former l'Homme Musicien
(Reibel 2000) selon une conception anthropologique totalement ouverte, mais
bien de préparer des élèves, de la façon la plus intelligente possible, à jouer d'un
instrument occidental o u à chanter une musique écrite occidentale. Une
pédagogie fondée sur l'exploration et la recherche y conduit-elle ? Apparemment,
il y a conflit. La recherche d'un enfant sur un corps sonore ne va pas l'amener,
comme par hasard, à découvrir par lui-même la mesure à trois temps ou les
modes majeur e t mineur. C e sont des objectifs distincts. Sont-ils
complémentaires ? La question a été débattue maintes fois et on peut résumer en
deux mots les conclusions. D'une part, le conservatoire peut, s'il le souhaite,
accueillir un cursus autonome qui aille des explorations sonores à la composition
d'une musique pensée non pas en notes mais en sons— combinaison de sons,
développement de processus sonores—dans un « style » de facto contemporain.
D'autre part, sans viser la composition comme une pratique en soi, l'expérience
de création enrichit les pratiques orientées vers un répertoire plus classique.
Interpréter, dans le meilleur des cas, c'est exécuter avec invention, trouver le petit
détaché, le petit accent qui donnera une légèreté, ou plus généralement un sens,
juste ou nouveau, qu'on découvre en l'expérimentant. Maîtriser le son d'un violon
ou d'une flûte, c'est contrôler un bouclage sensori-moteur complexe non
seulement entre le son et le geste mais entre l'effectuation et un ensemble de
récepteurs sensoriels et kinesthésiques de pressions, de tensions, de mouvements
internes, aussi bien qu'un exercice de concentration. Pour une bonne part, ces
aptitudes sont transférables d'un instrument à un autre, ou à la voix. Ces
exemples concernent la production musicale, mais l'écoute aussi s'éduque par
l'expérience de création :
écouter activement ce que l'on produit soi-même, pleinement centré sur
le présent tout en ayant en tête le moment passé et déjà le futur ;
s'écouter soi-même au milieu des autres ;
écouter les autres, dans une posture de réception mais à travers une
expérience de production.
Une pédagogie fondée sur l'expérience de la création apparaît comme une
pédagogie des conduites musicales les plus générales, voire universelles,
indépendamment des « langages » dans lesquels elles s'épanouissent.
329
importante à cette approche dans les cursus scolaires'. Elle touche aussi les
conservatoires et les universités, surtout là où la formation des enseignants de
musique se fait dans les conservatoires (Italie) ou dans les universités (Espagne).
Aussi le projet est-il né de créer un site Internet qui permette à un enseignant, un
animateur, ou même à un enfant ou un adolescent de se faire une idée de ce que
l'on peut espérer obtenir à un âge donné, dans un contexte donné. C'est le site
Creamus8 qui présente en quatre langues (français, italien, espagnol, anglais) des
productions musicales d'enfants et d'adolescents, classées et commentées. A
terme, les travaux musicaux seront suffisamment nombreux (plusieurs dizaines
ou centaines) pour être triés selon différentes entrées : par âge, par contexte
éducatif, par genre (avec ou sans texte, musique accompagnant des images, une
action théâtrale, etc.), par nombre d'enfants ou adultes impliqués (seul, à deux ou
trois, en groupe), et selon les sources et moyens utilisés (ordinateurs, instruments,
voix, corps sonores, environnement sonore...). Des expériences remarquables ont
lieu dans beaucoup de pays, à l'école, en crèche, ou dans d'autres milieux
éducatifs, mais sont en général insuffisamment connues, et rarement diffusées en
dehors de leur pays d'origine. L'objectif est de favoriser une large circulation
internationale d'expériences d e création musicale exemplaires, susceptibles
d'inciter les enseignants et éducateurs à s'en inspirer, ou simplement à échanger
avec d'autres qui font un travail comparable au leur. C'est le moyen de découvrir
des compositions d'enfants d'une qualité ou d'une inventivité qu'on n'aurait pas pu
imaginer. C'est surtout l'espoir de susciter des projets, d'éveiller l'imagination des
éducateurs.
7En Italie, le programme d'éducation musicale dans l'école obligatoire s'intitule depuis 1987
« éducation au son et à la musique ». Dans d'autres pays de langue romane (Espagne, Argentine,
Chili, Brésil), ces courants, bien que minoritaires, sont actifs et militants. C'est plutôt l'ordinateur
qui a permis une éducation « créative » dans les pays du Nord, soutenue par plusieurs projets
européens (« Composing with sounds »). Un colloque international tenu à Rome en octobre 2012 a
permis de dresser un bilan provisoire : «La creazione musicale dei bambini e dei adolescenti
nell'era digitale », (i.e. «La création musicale des enfants et adolescents à l'ère du numérique »).
8« Création musicale à l'école et au-delà », creamus.inagrm.com.
330
BIBLIOGRAPHIE
331
Collection \ I usique/ Pédagogie
Formation musicale
Formation du musicien
Textes de :
Jean-Michel Bardez, Mikaël Le Padan, Daniel Blackstone, Anne-Gabrielle
Chatoux (équipe de Dalcroze France), Laurence Renault-Lescure, Marguerite
Labrousse, Virginie Dao, Agnès Retailleau-Matry, Bruno Rossignol, Nino
Barkalaïa, Antonin Servière, Pierre Kolp, Michel Jaspar, Vincent Bouchard-
Valentine, Johannella Tafuri, Jean-Paul Despax, Stefan Moriamez, Michaël
Ertzscheid, Jean-Luc Leroy, Guy Reibel, François Delalande.
ISSN 18e4-0183
ISBN 978-2 7521-0246-1