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Femmes savantes De Marguerite de

Navarre à Jacqueline de Romilly 1st


Edition Laure De Chantal
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réservés pour tous les pays.

© 2020, pour la présente édition et la traduction


Société d’édition Les Belles Lettres
95, bd Raspail 75006 Paris.

ISBN : 978-2-251-91255-4
Sous l’égide d’Athéna
par
Laure de Chantal

I l n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, / Qu’une femme étudie et
sache tant de choses, voilà, en deux vers mémorables dans la langue de
Molière, un préjugé qui nous colle au cerveau. Une femme savante inspire
la méfiance, la dérision et d’autres pensées peu amènes. Une femme
savante n’est jamais vraiment à sa place, où qu’elle se trouve, elle
demeure en porte à faux.
Quelle jeune femme avant de passer un concours, qui ne serait pas un
concours de beauté, n’a pas entendu, au fond de son esprit, la petite
musique : « Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, qu’une
femme étudie et sache tant de choses » ?
Quelle intellectuelle ne s’est pas entendu demander : « mais ce livre,
c’est un peu votre enfant ? », et la même de répondre par l’affirmative,
pour faire glisser les choses, suivant la pente douce et dangereuse du
préjugé : « Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, qu’une
femme étudie et sache tant de choses. »
La formule de Molière est profondément ancrée dans une époque, le
Grand Siècle et la préciosité, elle vise un groupe bien identifié, les
Précieuses, et a donné lieu à une querelle prenant place dans un contexte
et une polémique spécifiques. Elle résonne pourtant à nos oreilles, fort
heureusement moins fort, mais tout aussi juste, et ce, pour les deux sexes,
car les idées reçues ne font pas de différence ni entre les catégories
sociales, ni entre les niveaux d’études, ni enfin entre une intelligence XY
et une intelligence à 2 X.
Entre l’époque de Molière et la nôtre, il y a une différence de degré mais
non de nature. Le préjugé s’accroche. Une femme savante a toujours
quelque chose à se faire pardonner, elle demeure une entité et une
identité étranges, un précipité surréaliste. Pire, l’égalité gagnée dans les
lois s’accompagne d’une négation de la féminité dans la vie : une femme
savante soit n’est pas honnête soit n’est pas une vraie femme, elle est
toujours vue comme un tantinet masculine. Parfois, il est question de
double vie, comme pour une liaison, activité pas bien honnête s’il en est :
comme s’il y avait d’un côté la vie de femme, faite de séduction frivole et de
maternité dévouée, et de l’autre la vie intellectuelle ou la vie au travail,
parce que n’oublions pas qu’« il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup
de causes, qu’une femme étudie et sache tant de choses ». Ou bien alors,
pour rester galant (car avec une femme il est poli de toujours rester galant
même lorsqu’elle est savante), la métaphore devient soit celle de l’amour,
soit celle de l’accouchement. Une thèse, un essai, un projet, un succès
deviennent des enfants, mis au monde dans la douleur, mais tellement
épanouissants, fruits d’une relation amoureuse avec un sujet qui n’est pas
un individu, mais un thème de recherche. Quelle tristesse !
Les préjugés ont au moins un mérite : unisexes, ils vont aussi bien aux
hommes qu’aux femmes, se portent à toutes les époques et pour toutes les
occasions. Rien de tel donc qu’une femme savante pour en dénoncer une
autre. En 1644, Madeleine de Scudéry, prêtresse de la préciosité, fait la
connaissance d’une jeune Marseillaise, Françoise Diodée. Elle écrit à son
propos :
« [C’est] une demoiselle belle et jeune, qui dans les conversations
ordinaires, cite souvent, si j’ai bien retenu, Trismégiste, Zoroastre et
autres semblables messieurs qui ne sont pas de ma connaissance. Elle
entend l’espagnol, l’italien, le latin et même le grec ; elle est fort douce,
fort civile, et de fort bonne maison. Cependant, parce qu’elle n’a pas l’art
de cacher une part des trésors qu’elle possède à des gens qui ne la
connaissent pas, ils prennent pour du verre et du cuivre de l’or et des
diamants ; et l’injustice qu’on lui fait ici est si grande que je n’oserai la voir
souvent, de peur de me charger de la haine publique1. »
L’auteur des Femmes illustres ou Les Harangues héroïques (Paris, 1642), elle
qui se faisait appeler Sappho et qui a contribué à l’émergence des femmes
de lettres, n’ose pas s’afficher avec une autre femme savante parce qu’« il
n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, qu’une femme étudie
et sache tant de choses ». Pour vivre heureuses et savantes, mieux vaut
vivre cachées.
Et tous en chœur, hommes & femmes, d’hier et d’aujourd’hui de répéter
la ritournelle, égaux dans la bêtise comme dans l’intelligence, avec un bel
ensemble, mus par la puissance aberrante, obscure, féroce et dévastatrice
que seuls les préjugés les plus stupides peuvent avoir : « Il n’est pas bien
honnête, et pour beaucoup de causes, qu’une femme étudie et sache tant
de choses. »
Notre langue, qui est notre âme commune, et notre dictionnaire, qui en
est la psyché, en témoignent de manière éclatante. Le vocabulaire
cristallise l’évidence. Il y a cent façons, argotiques, charmantes,
précieuses, vulgaires, admiratives, méprisantes ou sarcastiques d’évoquer
le corps des femmes dans les dictionnaires, il n’y a aucun mot désignant
une femme par son intelligence qui ne soit pas péjoratif ou moqueur.
« Bas-bleus », « péronnelles », « pimbêches »…, la liste est longue, très
drôle, et un peu triste : les femmes ont toujours tort d’avoir raison, et ce, à
toutes les époques.
Il y a bien sûr les torrents de haine qu’ont suscités les bas-bleus et le bas-
bleuisme, référence peu euphonique au salon de Lady Montagu, où
hommes et femmes se réunissaient pour discuter de littérature, et de tout
le reste. Pour se démarquer du costume trop habillé, les dames y portaient
de simples bas de laine bleue. En traversant la Manche, l’expression
devient péjorative. Un paragraphe ‒ sur les 300 pages ‒ du pamphlet de
Barbey d’Aurevilly pourra suffire : « Il y a de petites décadences, disait
Galiani. Mais je ne crois pas que dans l’histoire, il y en ait une plus petite
que celle qui nous menace. Je ne crois pas qu’il y en ait de plus honteuse
que celle d’un peuple qui fut mâle et qui va mourir en proie aux femelles
de son espèce… Rome mourut en proie aux Gladiateurs ; la Grèce, aux
Sophistes ; Byzance, aux Eunuques : mais les Eunuques sont encore des
débris d’hommes. Il peut rester à ces mutilés une tête virile, comme celle
de Narsès, tandis que nous, nous mourons en proie aux femmes, et
émasculés par elles, pour être mieux en égalité avec elles… Beaucoup de
peuples sont morts pourris par des courtisanes, mais les courtisanes sont
dans la nature et les Bas-bleus n’y sont pas !2 »
Que ceux qui préfèrent les images jettent un œil aux nombreuses
estampes désopilantes que Daumier a consacrées aux « Bas-bleus » (1844),
où de maigres mesdames négligent les tâches ménagères pour des livres.
Sur l’une, elle a troqué le plumeau contre la plume, tandis que le pauvre
enfant vagit, les pieds en l’air et la tête dans un seau d’eau sale, sur une
autre un mari déguenillé déplore : « Allons bon ! voilà qu’elle ne se
contente plus de porter les culottes, il faut qu’elle me les jette à la tête ! »
Sur d’autres, grillons du foyer démoniaques, des femmes fument à la
maison et boivent comme des hommes qui, eux, vont au cabaret. Car c’est
là toute la condition de l’intellectuelle, elle est toujours soit virile soit
hautaine et dédaigneuse, toujours risible.
La femme d’esprit est la Muse malade des dictionnaires : quoi qu’elle
touche, elle le flétrit.
En voici un dernier exemple, ou plutôt deux, chez Littré. À l’article
« Lettré », on lit, en guise d’exemples : « Il est l’homme le plus lettré de
son temps », suivi d’une citation de Rousseau : « Toute fille lettrée restera
fille toute sa vie ».
Molière n’a rien fait d’autre que formuler brillamment, exactement, un
préjugé, une pensée collante, vaporeuse mais obstinée qui, quoique
fumeuse, traverse comme un nuage le ciel des idées. L’honnête homme
peut être honnête, une femme, si elle veut être honnête, doit être
vertueuse, et cette vertu, par un raisonnement aberrant, a pour propriété
de fondre au soleil du savoir. C’est donc en manière de pied de nez que
nous avons appelé ce livre : les Femmes savantes, car des femmes savantes il
y a mille manières d’en rire, mais plus encore de les admirer.
Les sociétés antiques n’ont en rien échappé aux préjugés, voire en ont
créé quelques-uns. Grecs et Romains, qui pour nous ont tout inventé, ont
été nos précurseurs et des initiateurs en matière de haine de la femme :
Pandore, cadeau empoisonné de tous les dieux, est selon Hésiode un
« malheur aux hommes qui mangent le pain ». Mais le paradoxe veut que
Grecs et Romains ont donné des visages féminins à absolument toutes les
formes d’intelligence : l’intelligence créatrice par le biais des Muses dont
les artistes ne sont que les vaisseaux, l’intelligence technique par le visage
disparu de Mètis engloutie par Zeus et l’intelligence sage sous les traits
triomphants d’Athéna, déesse pensive et toute-puissante dont le poète
Callimaque nous dit qu’elle seule partage avec Zeus le pouvoir de tout
accomplir (Callimaque, Hymne V), et de tout faire s’accomplir d’un seul
mouvement de tête. C’est à elle seule aussi que Zeus confie son égide, le
bouclier sacré. Il n’est donc pas étonnant que l’Antiquité rêvée, l’Antiquité
telle que l’a sublimée l’histoire, ait fourni une place à part, un locus
amoenus, un lieu idéal, aux femmes désireuses de s’instruire, se rangeant
ainsi sous l’égide d’Athéna. Certes, tout n’est pas rose dans le monde des
classicistes et des philologues, mais, particulièrement en France via le
mouvement des Précieuses, les femmes ont pu y trouver une place. Aussi
les philologues de langue française ont-elles été nombreuses par
comparaison avec les autres domaines d’études et avec les autres pays : ce
livre est loin d’être exhaustif, et voilà qui est une bonne nouvelle !
Sans militantisme acharné, ce volume offre l’occasion inédite de voir
vivre douze femmes flamboyantes que leur condition a eu tendance à
pousser dans l’ombre. Dans cette galerie de portraits à la fois classiques et
atypiques, le lecteur fera la connaissance de quelques-unes de ces femmes
sages et sagaces qui ont trouvé dans l’étude des classiques de quoi
épanouir leur propre intelligence. Au fil des pages et de la longue période
que couvre cet ouvrage se dessine non une histoire des femmes
philologues, mais plutôt un arbre généalogique, un stemma pour employer
le vocabulaire propre à la philologie.
Charles Senard nous présente une Marguerite de Navarre amoureuse des
mots, philologue au sens étymologique du terme, pour nous faire admirer
le cénacle d’une reine protectrice des bonae literae et mécène des premiers
humanistes. Avec Perrette Bade (1506-1546), Nicolas Roudet nous dévoile
l’univers naissant de l’imprimerie : au cœur du Quartier latin, nous voyons
vivre une entreprise familiale où chacun travaille à la transmission
physique des textes de l’Antiquité. Marie-Laurentine Caëtano nous fait
rentrer dans un couvent, à la rencontre d’Anne de Marquets (1533-1588),
religieuse et auteur de vers latins étonnants qui nous rappellent le rôle
qu’a joué le latin d’Église. Avec les Dames des Roches, Madeleine (1520-
1587) et Catherine (1542-1587), nous pénétrons dans l’intimité charmante
de femmes savantes de mère en fille, traduisant Pythagore et Claudien,
écrivant et publiant ensemble Les Œuvres de Mesdames des Roches de Poitiers
mère et fille.
Blanche Cerquiglini nous invite à la cour d’Élisabeth de Bohême (1618-
1680), « l’étoile du Nord », qui a transposé le dialogue philosophique
hérité de Platon dans l’échange épistolaire. Via sa correspondance avec
Descartes, princesse sans royaume et sans règne, en exil toute sa vie,
Élisabeth de Bohême forge sa propre pensée philosophique.
Éliane Itti offre à voir le portrait d’un génie, Anne Dacier (1645-1720),
monstre sacré de la philologie, traductrice, entre autres, d’Homère. Louis
XV en fut impressionné qui lui accorda le privilège de reprendre la charge
de son mari à sa mort avec ses termes : « Nous avons bien voulu marquer,
par une grâce si singulière, l’estime que Nous faisons d’une personne qui a
su joindre à la vertu et à la modestie de son sexe ce que les talents et
l’érudition, héréditaires dans sa famille, ont de plus distingué. » L’héritier
du Roi-Soleil s’incline devant le prodige Anne Dacier, pour qui le mot de
« traductrice » fut forgé. Grâce à elle, au siècle de Molière et des femmes
savantes, certains ont pu se dire : Il est peut-être honnête, et pour beaucoup de
causes, qu’une femme étudie et sache tant de choses.
Émilie du Châtelet (1706-1749) nous introduit dans le beau siècle des
Lumières. Gérard Salamon nous fait découvrir un autre visage de celle qui
selon le mot d’Élisabeth Badinter aurait incarné « l’ambition féminine au
XVIIIe siècle ». Nous voyons Mme Pompon Newton en philologue
passionnée faisant l’admiration de Voltaire qui confia dans ses Mémoires
qu’elle « possédait le latin comme Mme Dacier » sachant « par cœur les
plus beaux morceaux d’Horace, de Virgile, et de Lucrèce ; tous les
ouvrages philosophiques de Cicéron lui étaient familiers ». Nous voyons
aussi que dans le couple qu’elle forma avec Voltaire le maître et l’élève ne
sont pas ceux que la vox populi aimerait croire. C’est Voltaire qui eut
recours aux talents de latiniste et de physicienne d’Émilie du Châtelet,
notamment pour écrire ses Éléments de la philosophie de Newton.
Si grâce à toutes ces femmes, quelques-uns ont pu se dire : Il est parfois
honnête, et pour beaucoup de causes, qu’une femme étudie et sache tant de choses,
avec Julie Favre (1833-1896), la situation change radicalement, en mieux.
Le paradoxe veut que c’est au siècle où fut introduit le mot « misogyne »
au dictionnaire que furent ouvertes les premières écoles publiques pour
filles. Clémence Roux relate comment fut créée, avec presque un siècle de
retard sur son équivalent masculin, l’École normale supérieure de jeunes
filles dont Julie Favre fut la première, et éminente, directrice. Grâce à elle
nous voyons se former l’élite future qui va éclore au XXe siècle.
Résultat heureux de toute cette tradition, de toute cette filiation, le
XXe siècle a porté de toujours plus nombreuses femmes savantes et le
XXIe siècle offre quantité de nouvelles promesses. Nous aurions pu
consacrer tout un livre à ces personnalités hors du commun, dont nous
n’avons pu retenir ici que quatre figures majeures.
Malika Bastin nous raconte l’héroïsme pudique de Marie Delcourt (1891-
1979) qui nous montre que l’étude de l’Antiquité et de l’Humanisme est
loin d’être incompatible avec l’éclectisme et l’originalité. Pierre Chiron
évoque l’épopée orageuse de la discrète Juliette Ernst (1900-2001),
patronne passionnée de l’Année philologique, qui, mêlant courage et
érudition, multiplia durant la Seconde Guerre mondiale les voyages et les
expéditions, parfois clandestines voire dangereuses « pour l’amour du
grec ». S’il faut chercher dans l’œuvre de Marguerite Yourcenar (1903-
1987) autre chose que notre seule délectation de lecteur, nul doute qu’il
s’y dessine le visage pensif d’une femme d’exception, celui d’une
humaniste digne de Marc Aurèle, d’Érasme et de Montaigne, c’est-à-dire
ombré de pessimisme, ou de lucidité. C’est cet « humanisme sur un fond
d’ébène immuable » qu’interroge l’écrivain Jean-Marie Blas de Roblès.
Notre arbre généalogique s’arrête, mais sans s’éteindre, avec Jacqueline de
Romilly (1913-2010) dont la clarté illumine encore notre présent. Nous la
découvrons dans les mots précis et affectueux de Monique Trédé qui fut
d’abord son élève puis son amie, car telle était cette immense pédagogue
qui écrivait à la fin de sa vie :
« Qui a eu la vie qu’il souhaitait ? Avoir été juive pendant l’Occupation,
finir seule, presque aveugle, sans enfants et sans famille, est-ce vraiment
sensationnel ? Prétendre que tout dans ma vie m’a parfaitement plu
tiendrait du délire ! Mais ma vie de professeur a été d’un bout à l’autre
celle que je souhaitais. »
En effet, s’il fallait trouver, hors l’amour du latin et du grec, un autre
point commun à toutes ces femmes, d’époques, de conditions et de
caractères si variés, ce serait sans aucun doute la passion de la
transmission de la culture antique. Que ce soit en l’enseignant, en la
traduisant ou en la réinventant dans leurs œuvres, l’objectif est le même :
faire vivre ou survivre, advenir ou devenir l’idéal classique. Moins
évidents, les liens du savoir sont pourtant plus forts, et plus vivaces, que
les liens du sang : Athéna déesse vierge n’a pas eu d’enfant, mais elle a en
ces intelligences de toutes les époques autant de filles spirituelles. De
même que les Muses enseignèrent au berger Hésiode au pied de l’Hélicon
des paroles vraies, de même ces douze Muses du latin et du grec nous
adressent ces mots véridiques : Il sera toujours honnête, et pour beaucoup de
causes, qu’une femme étudie et sache tant de choses. À nous de les croire et de
les transmettre.

1. Lettre à Mlle de Chalais, 13-12, 1644.


2. J. Barbey d’Aurevilly, Les œuvres et les hommes V. Les bas-bleus, 1878.
Marguerite de Navarre philologue,
amour des mots, amour de Dieu
par
Charles Senard

À Margot S.

L e visage délicat, au fin sourire, de Marguerite de Navarre (1492-1549),


la sœur chérie de François Ier, « l’aimable mère de la Renaissance »
(Michelet), nous apparaît aujourd’hui nimbé des rayons triomphants de
l’humanisme et de sa discipline fondatrice, la philologie. Dans une France
italianisante qui s’acharnait à envahir le berceau péninsulaire de
l’humanisme tandis que les royautés ibériques partaient à la conquête du
monde, ne composa-t-elle pas les contes de l’Heptaméron, pendant français
du Décaméron de Boccace, « gentil livre pour son estoffe » (Montaigne) et
grand succès de librairie du temps ? Ne fut-elle pas l’amie et la protectrice
de Clément Marot, la dédicataire du Tiers Livre de François Rabelais, la
correspondante de l’égérie de Michel-Ange, la poétesse Vittoria Colonna ?
Et pourtant, faire le portrait de la reine de Navarre en philologue relève,
pour une part, de la gageure ‒ d’abord si l’on observe que son œuvre
littéraire, pourtant fort volumineuse, ne comporte aucun ouvrage
relevant à proprement parler de la philologie, au sens de « travail
d’édition des textes classiques » : nul instrument de travail philologique,
comme les Commentaires de ses contemporains sur la langue grecque
(Guillaume Budé, 1529) ou latine (Étienne Dolet, 1536) ; pas de réflexions
sur la philologie et ses méthodes ; aucune édition ou traduction de textes
antiques, profanes (philologia minor) ou religieux (philologia major) ; enfin,
nul exemple de cette prose ou de cette poésie néolatines qui utilisaient
avec ostentation les ouvrages de philologie, et où s’illustraient alors,
parmi tant d’autres, Nicolas Bourbon, Salmon Macrin, Étienne Dolet, ou
Jules César Scaliger. Et pour cause, puisque la reine de Navarre ne savait
pas le grec, et guère le latin ‒ assez pour composer de brèves devises, pour
lesquelles elle fut célèbre en son temps, mais pas assez, semble-t-il, pour
lire dans le texte les auteurs antiques.
Ensuite parce que les contemporains de la sœur de François Ier nous la
décrivent occupée avant tout de religion, et non d’érudition. Marguerite,
qui s’était choisi pour devise Non inferiora secutus ‒ elle ne s’intéressait pas
aux choses d’ici-bas ‒, fut à partir des années 1520 et demeura tout au
long de sa vie une des figures majeures du réseau évangélique, qui voulait
affermir et réformer l’Église, la ramener à ses sources évangéliques et
pauliniennes en mettant en avant l’importance de la prière et la
prééminence de la figure christique, sans pour autant rompre avec Rome.
En 1524, un contemporain affirme qu’« il n’y a point aujourd’hui en France
plus évangélique que la dame d’Alençon » ‒ Marguerite était alors, de son
premier mariage en 1509, duchesse d’Alençon, avant d’épouser en 1527 le
roi de Navarre. « Ta poitrine brûle d’amour divin ! », s’exclame à son
adresse Bourbon dans les années 1530. Maurice Scève, qui l’avait
rencontrée à Lyon dans les mêmes années, affirme dans l’un des dizains de
sa Délie avoir vu s’iriser dans la « perle » (margarita en latin) qu’était la
reine de Navarre le « blanc pur » de la Foi, le « vert gai » de l’Espérance et
le « rouge ardent » de la Charité. Elle est pour Rabelais, dans le poème de
dédicace du Tiers Livre en 1543, un « esprit abstraict, ravy et ecstatic ».
C’était, note le chroniqueur Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme,
qui avait passé son enfance à la cour de la reine à Nérac dans les années
1540, « une des dames aussy devotieuses que l’on eust sceu voir, et qui
avoit Dieu aussy souvent en la bouche et le craignoit autant ».
Enfin, parce que la reine de Navarre se mêla de près aux affaires de son
temps ‒ bien loin de se cantonner, dans la solitude de quelque studiolo
béarnais, à des travaux linguistiques. Elle parcourait ses divers royaume
(Navarre), duchés (Alençon, Berry…), comtés (Agen, Rouergue, etc.), à
cheval ou en litière, pour les administrer avec soin ; elle fut un
personnage public important du royaume de France ‒ participant au
Camp du Drap d’or (1520), à la paix des Dames (1529), ou encore jouant un
rôle de premier plan dans les négociations pour la libération de François
Ier après Pavie (1525). Marguerite chevaucha alors jusqu’à Madrid pour
réconforter le roi prisonnier et malade, tenter de négocier sa libération et
même essayer ‒ en vain ‒ de le faire évader ; lors de ce séjour en Espagne,
elle fit merveille, d’après Brantôme :
Elle triumpha de bien dire et de bien haranguer, et avecques une bonne grace dont elle
n’estoit point despourveue. Et fit si bien par son beau dire, qu’elle ne s’en rendit plus
agréable qu’odieuse ny fascheuse ; d’autant qu’avec cela elle estoit belle, jeune, veufve
de M. d’Allançon, et en la fleur de son age.
La reine fut aussi, durant tout le règne de son frère, un interlocuteur
privilégié des ambassadeurs étrangers, auxquels elle savait prodiguer de
« beaux discours » et tirer les vers du nez, d’après le même Brantôme :
ceux-ci
… l’alloient trouver tousjours après avoir faict leur principale ambassade, et, bien
souvent, lorsqu’il avoit de grandes affaires, les remettoit à elle. En attendant sa
definition et totalle resolution, elle les sçavoit fort bien entretenir et contenter de
beaux discours, comme elle y estoit fort opulente, et fort habille à tirer les vers du nez
d’eux ; dont le roy disoit souvent qu’elle luy assistoit très-bien, et le deschargeoit de
beaucoup.
Elle était une femme de tempérament, jalouse de son influence sur le roi
son frère, capable par exemple de remettre à sa place sans sourciller, en
1534, le puissant connétable de France, Anne de Montmorency :
l’ambassadeur de Ferrare rapporte qu’elle l’interpella dans une salle du
Louvre : « Vous n’êtes que le serviteur du roi. Je suis sa sœur », avant de
lui tourner le dos, le laissant pâle de fureur ; ou bien, en 1545, ulcérée par
le massacre de plusieurs milliers de vaudois ralliés au protestantisme, de
tenir à genoux devant elle, une heure durant, pour lui dire son
ressentiment, le baron d’Oppède, qui en était responsable.
Comment Marguerite, pieuse femme de pouvoir, serait-elle une
philologue ? Le grand historien Lucien Febvre ironisait il y a quelques
décennies sur le portrait, qu’il jugeait erroné, de Marguerite en « grande
protectrice de l’humanisme en France » et « disciple fervente des
humanistes ». Il notait par exemple qu’il ne subsiste aucune trace des
relations entre la reine de Navarre et Guillaume Budé, familier de son
frère et unanimement considéré comme le plus grand philologue français
du temps ; qu’elle ne daigna jamais répondre aux deux lettres que lui
envoya le grand rival de ce dernier, Érasme, en 1525 puis en 1527, ce dont
celui-ci fut piqué ; et que, pour finir, les intimes de Marguerite, en
particulier les membres du célèbre cénacle de Meaux des années 1520,
« hommes à qui la philologie sacrée importe moins que la nourriture
évangélique », ne sont pas des humanistes. Et pourtant…

L’amoureuse des mots : Marguerite, « toujours lisant, escrivant, prouffitant »


Le philologue avait été défini par le grammairien et humaniste picénien
Niccolò Perotti, dans son ouvrage de référence, la Corne d’abondance (1489,
ouvrage posthume), comme l’« amoureux des mots » (philologus : amator
verborum). Cette définition, qui est une traduction littérale du grec,
suggère la riche polysémie qu’avait alors ce terme, lequel doit s’entendre
à l’époque dans un sens bien plus large qu’aujourd’hui. Budé répète ainsi
que la philologie englobe tous les arts libéraux. Dans l’une des versions de
son Institution du prince, un traité d’éducation offert à François Ier en 1519,
il affirme que tout « homme mercurial » ‒ c’est-à-dire tout humaniste, car
pour Budé le Mercure logius est la figure emblématique de la parole,
qu’elle soit éloquence, herméneutique, traduction, etc. ‒ doit avoir pour
« compaigne, concubine, et commensale familière de jour et de nuict une
dame, qui s’appelle Philologie, c’est-à-dire, desir, et amour des bonnes
lettres, et fervente inclination à l’estude des sciences, qui se nomment
liberales ». Remarquons que pour Budé, dans ce passage, la Philologie est
femme, et que c’est à un homme qu’elle inspire du désir ‒ il est vrai que
philologia est féminin en latin. Plus tard, dans son traité L’Étude des lettres,
Principes pour sa juste et bonne institution (De studio literarum recte et commode
instituendo), paru en 1532, Budé affirme à nouveau que la philologie est
devenue de son temps synonyme des « disciplines libérales », « que de nos
jours rassemble sous son nom notre chère Philologie » (L’Étude des lettres,
39). Ailleurs dans le même traité, Budé fait de ce « chœur des disciplines
libérales » (chorus disciplinarum liberalium), évoquant la ronde des Muses
aux mains fermement unies, l’équivalent de la culture littéraire (literarum
peritia) et de ce que les Grecs appelaient la paideia (L’Étude des lettres, 32). Il
parle aussi des « belles-lettres » (bonae literae), une expression qui
recouvre « absolument tout ce qu’on peut imaginer comme commerce
avec les Muses ; commerce lui-même varié, multiple et qui s’étend lui-
même en tout sens » (L’Étude des lettres, 2). Ailleurs encore, il recourt à une
autre notion synonyme, celle des « études d’humanité » (studia
humanitatis), tournure cicéronienne qui est à l’origine du terme actuel
d’« humanisme » ‒ c’est essentiellement Cicéron qui donna à humanitas le
sens de paideia en considérant que la culture et les belles-lettres rendent
plus humain (cf. Pour Archias, 3). En arrière-plan, il y a bien sûr aussi la
notion d’« encyclopédie », fondamentale dans la représentation de la
culture de Budé. Si la philologie prend alors de telles proportions, c’est
parce que l’on considère que, pour bien comprendre les textes classiques,
il faut disposer d’une culture encyclopédique, maîtriser la culture et la
civilisation antiques et, plus généralement, l’ensemble des savoirs
humains, des arts libéraux ; et inversement, parce que c’est la
connaissance des mots pour la dire qui donne accès à cette connaissance
encyclopédique. Car pour les savants de l’époque, tout est dit, tout savoir
est déjà enclos dans les grands textes fondateurs, une conception qui est
tout à rebours de celle de nos contemporains. Le champ du savoir est uni
et il n’y a par conséquent qu’une seule science, la science des lettres, la
philologie.
En cette acception plus large, est-il légitime de considérer Marguerite
comme une philologue ? Marguerite fut-elle une « femme mercuriale »,
maîtresse ès arts libéraux ? Il est difficile d’affirmer aujourd’hui, de façon
définitive, que la reine disposait en effet d’une culture encyclopédique.
Certains contemporains de la reine l’assurent, tel Giovanni Battista
Possevino dans ses Dialogues d’honneur (1547), dont la traduction par
Claude Gruget parut dix ans plus tard ‒ mais peut-être faut-il faire ici la
part de la rhétorique de l’éloge :
la tresclaire Marguerite tresillustre Royne de Nauarre, la grande & unique sœur du
treschretien Roy François, premier de ce nom […], ornée si excellement, & des vertuz
morales, & des intellectives […] a touiours aymé l’estude des artz liberales […] ; es
sienses principales, comme sont la Filosophie & la Theologie, elle y fait tel fruit qu’il n’y
a es parties de Frãce aucun docteur ny professeur de telles disciplines, qui ne confesse
que par le discours & propos qu’ilz ont avec elle, ilz comprennent le fond de vraye
doctrine : De quoy donnent aussi un clair indice ses livres, composez en Langue
françoise, avec un stile si pur & elegant & auec voix si nettes, si eleuës : & propres qu’il
y a peu d’écrivains en céte langue là, soit en prose, ou en vers, qui l’égalent, tant s’en
faut qu’ilz la surmontent. [Elle] y a touiours si bien prosperé, depuis le douzieme an de
son aage, iusques à maintenant, qu’elle est parvenue au cinquãtecinquieme qu’il ne se
soit passé d’année en laquelle elle n’ait composé quelque bel euuvre.
Il est indéniable en tout cas que la reine eut toute sa vie une vive
inclination pour les sciences et les arts. Le troisième livre des Prisons, long
poème écrit deux ans avant sa mort, constitue à cet égard un texte de
première importance. Marguerite y retrace, par la voix du narrateur, un
« gentilhomme », un itinéraire intellectuel qui n’est sans doute pas sans
ressemblance avec le sien propre. Le narrateur évoque ainsi le « beau
verger de ces liberaulx artz » (III, v. 95) qu’il a parcouru, « toujours lisant,
escrivant, prouffitant » (III, v. 413) : non pas il est vrai les traditionnels
triuium et quadriuium, mais, pour le narrateur, la philosophie, la poésie, le
droit, les mathématiques, la musique, la médecine, l’histoire, la rhétorique
et la théologie. Remarquons que Marguerite ignore royalement dans cette
énumération la discipline philologique, au sens restreint, qui n’a pas
même droit à une mention dans tout le poème. À chacune de ces
disciplines, le narrateur affirme avoir consacré de nombreuses heures de
lecture, pour élever des « pilliers de beaulx livres » (v. 35), dont chacun
correspond à une discipline différente. Ces piliers ont été édifiés
« par grand labeur et par long travailler, / Par mainctes nuictz estudiant
veiller » (III, v. 33-34), mais aussi avec « mainctz plaisirs et prouffitz », car
« tel plaisir ne sçauroit recevoir / L’entendement que de beaucoup
sçavoir » (III, v. 21-22). Le plaisir que tous ces livres procurent est renforcé
par les reliures choisies dont ils sont ornés : les livres de poésie sont
couverts de fleurs « faictes d’esmail, sur fondz de veloux verd » (III, v. 56) ;
ceux de mathématiques sont « couvertz d’argent » (III, v. 99) ; ceux de
médecine « d’or tout semé de feu et flambes fortes, / Remply de differentz
oyseaulx, / D’argent tout plain de poisson, de bateaulx, / De vert paré de
tous arbres et bestes, / Bien faictz au vif des pieds jusques aux testes » (III,
v. 146-150) ; quant au « Livre Sainct », « couvert estoit de la peau d’un
aigneau, / [Goutté] de sang tresvermeil et nouveau » (III, v. 297-298), etc.
Ces pratiques bibliophiles raffinées, dignes d’un Des Esseintes, sont à
replacer dans un temps où, avec la diffusion de l’imprimerie, le métier de
relieur prend son essor ‒ la fonction prestigieuse de relieur du roi est
créée en 1539. L’inventaire de la bibliothèque de Nérac, effectué après la
mort de la reine, confirme toute l’attention qu’elle donna à la reliure de
ses livres : cuirs aux teintes diverses, velours, satins, toiles tissées de fil de
soie ou d’argent, draps d’or filés en relief : dans l’histoire de la reliure, la
principale innovation de la Renaissance, venue d’Italie, fut en effet
l’introduction de la dorure à la feuille. La palette des couleurs est
complète ; un quart des reliures est rouge, couleur qui varie d’après
l’inventaire, selon les reliures, entre le rouge clair, le rose, le cramoisi,
l’incarnat ou le violet. Certains livres sont garnis d’accessoires, boucles
dorées, ferrures d’argent, courroies de cuir ; les « sept pièces » (volumes)
de la Bible ne sont pas, comme dans les Prisons, recouvertes d’un vélin
orné de symboliques gouttes de sang, mais tout aussi précieusement
« couthées [cotées] d’argent ». Cette Bible fait partie, avec un Nouveau
Testament, des seuls ouvrages que nomme l’inventaire de la bibliothèque
de la reine à Nérac ‒ pour les autres, nous en sommes réduits à des
suppositions. La bibliothèque (on disait alors la « librairie ») et le cabinet
d’étude qui la jouxtait ‒ les deux pièces se visitent toujours, vides
désormais, dans l’unique aile subsistante du château ‒ étaient sans doute
pour la reine des lieux d’étude et de méditation, ce dont témoignaient
aussi une riche collection de crucifix d’or ornés d’agates et de diamants,
une Annonciation en écaille de perle, des reliquaires sertis d’agate, ou
encore des figurines de Marie Madeleine, en agate ou en jaspe, couvertes
de cristal et d’or. Le même inventaire indique quels autres sujets avaient
pu exciter la curiosité de Marguerite et quels étaient ses goûts artistiques,
au moins dans ses dernières années : le cabinet d’étude était aussi un
cabinet de curiosités, où s’offraient à l’admiration des visiteurs bouquets
de fleurs en soie ; riches figurines d’orfèvrerie, tels une cage d’or
contenant un perroquet émaillé de vert, une écrevisse d’or émaillée de
rouge, un petit coffret d’argent décoré de médailles antiques ; naturalia :
un rocher naturel, des rubis, des saphirs, des cristaux, des agates… ; ou
encore exotica : une coupe de porcelaine blanche de Chine, incrustée de
rubis et de perles, un panier fait de filets d’or provenant des « terres
neuves » d’Amérique.
La reine semble en tout cas avoir été une grande lectrice. L’éducation
qu’elle avait reçue de sa mère, Louise de Savoie, veuve à dix-neuf ans et
qui ne voulut pas se remarier pour se consacrer entièrement à ses enfants,
l’y avait certainement prédisposée ; la devise de cette dernière était Libris
et liberis : « Pour mes livres et pour mes enfants ». Marguerite apprit sans
doute très tôt à broder, activité à laquelle elle se livrait plusieurs heures
par jour et dont elle garda le goût à l’âge adulte ; elle apprit aussi à monter
à cheval, ce qui lui permettait d’accompagner souvent, sur les rives de la
Charente ou de la Loire, les chasses de son frère François et de ses amis ;
mais sa mère veilla à ce que son éducation et celle de son frère fussent
sérieuses ‒ même si le niveau d’exigence en la matière, pour l’élite de la
France pré-humaniste du temps, était certainement moins élevé que dans
les décennies à venir. Si elle ne sut jamais que des rudiments de latin, on
lui enseigna l’italien et l’espagnol. Leur mère leur acheta, notamment, un
livre d’histoire et un atlas, aujourd’hui conservés à la BNF. La riche
bibliothèque de leur père, Charles de Valois, au château de Cognac où ils
passèrent une partie de leur enfance, leur était ouverte ‒ elle comportait
de nombreux romans de chevalerie, quelques classiques italiens, Dante,
Pétrarque, Boccace, ainsi que les Héroïdes d’Ovide, récemment traduites du
latin par Octavien de Saint-Gelais, un des favoris de Louise de Savoie. Plus
tard, quand Marguerite séjourna au château de Blois par exemple, elle
pouvait puiser à loisir dans l’importante bibliothèque du lieu : la
bibliothèque de Cognac y avait été transférée, et y rejoignit le millier de
volumes ramenés d’Italie par Charles VIII et Louis XII ; l’ensemble fut
ordonné, sous Louis XII, par l’érudit byzantin Jean Lascaris. Marguerite
dut aussi bénéficier, au moins indirectement, des enseignements du
précepteur du futur François Ier, le franciscain François Demoulins de
Rochefort, inscrit au service de Louise de Savoie comme « maistre
d’ecole » de 1501 à 1508. Celui-ci composa pour son royal élève de
nombreux opuscules, parmi lesquels le Dialogue à deux personnages par
lequel un homme apprend à vivre seurement, traité pédagogique contre le jeu
aujourd’hui conservé à la bibliothèque de l’Arsenal, dans lequel, citant
Platon, Aristote, Cicéron en ses rhétoriques ou Virgile, il enseignait,
invoquant la figure de Socrate, que le chemin de la vertu est celui du
savoir. Cette éducation plutôt soignée, sous la tutelle de maîtres
stimulants, avec les encouragements d’une mère aimante, contribua sans
doute à forger l’indépendance d’esprit de Marguerite ; un indice nous en
est donné par la miniature d’un manuscrit aujourd’hui conservé à la
bibliothèque de l’Arsenal, reproduisant une scène où Demoulins présente
à Louise de Savoie le philologue Jacques Lefèvre d’Étaples, lequel allait
jouer un rôle majeur dans la vie intellectuelle de Marguerite et son
adhésion aux thèses évangéliques.
Marguerite ne cessa par la suite de donner le témoignage d’une vive
curiosité intellectuelle. En 1527, lors de son premier séjour en Navarre,
peu après son second mariage, elle écrivait ainsi à son frère : « dans ma
montagne, j’ay appris à vivre plus de papier que d’aultre chose » ; sa
bibliothèque à Nérac comportait à sa mort, d’après l’inventaire, deux
cents livres, un nombre élevé pour l’époque. Il est certain que la reine
disposait d’une connaissance très approfondie de la Sainte Écriture. Un
poème comme Le Miroir de l’âme pécheresse (publié en 1531), parmi tant
d’autres, est un tissu de citations de l’Ancien et du Nouveau Testament,
dont les références figurent dans la marge de la première édition. Tout en
haut du pilier de livres correspondant, dans les Prisons, le narrateur met
« la Bible admirable / Comme le but où tous les autres tendent » (III, v.
272-273). Dans l’oraison funèbre qu’il prononça lors de l’enterrement de la
reine, écrite en latin puis traduite plus tard par ses propres soins, Charles
de Sainte-Marthe, un familier de la reine, la décrit lisant ou écoutant sans
cesse historiens et poètes, sans toutefois ‒ hélas ! ‒ préciser lesquels :
Si donc tu eusses voulu sçavoir ce quelle faisoit de jour, mesmement en l’absence du
Roy de Navarre, son mari, quand elle se trouveoit seule en sa chambre, tu l’eusses veue
tenir entre ses mains un livre au lieu de la quenoille, une plume au lieu du fuseau & la
touche de ses tablettes au lieu de l’éguille, &, si elle s’appliqueoit ou aux tappis ou à
d’aultres ouvrages de l’éguille, qui luy estoit une très délectable occupation, elle havoit
près d’elle quelcun, qui luy lisoit ou un Historiographe, ou un Poète, ou un aultre
notable & utile auteur.
On ne retrouve guère de traces, toutefois, des poètes, orateurs et
philosophes antiques dans l’œuvre de Marguerite, à part quelques
allusions qui n’exigent généralement pas une connaissance précise de
leurs ouvrages. Par ailleurs, s’agissant en particulier de sa connaissance
des poètes italiens, souvent mise en avant, tel critique contemporain a pu
remarquer que les allusions à la Divine Comédie de Dante contenues dans
les poésies de la reine et l’Heptaméron ne se rapportent qu’aux cinq
premiers chants de l’Enfer ‒ Marguerite aurait-elle interrompu sa lecture,
à bout de souffle ? Cela dit, dans l’Heptaméron, en dépit des affirmations de
la reine dans le prologue, où elle affirme ‒ à l’instar de tant d’autres
auteurs de recueils de contes ‒ que les histoires relatées sont toutes
« véritables », il est vraisemblable qu’outre les premiers livres du
Décaméron, qu’elle avait fait traduire par Le Maçon, il faut compter parmi
les sources de la reine tel ou tel récit de Sabadino ou de Masuccio.
Marguerite, « toujours lisant », donc, mais aussi toujours « escrivant ».
Elle qui mena tout au long de sa vie, tout comme son frère, une existence
itinérante, entre Paris, Fontainebleau, Amboise, Blois, Chambord, Lyon,
Alençon, Pau, Nérac et tant d’autres châteaux et abbayes, de France ou de
Navarre, n’avait de cesse d’écrire, semble-t-il, dès qu’elle avait un instant
de libre ; Brantôme évoque ainsi, d’après les souvenirs de sa grand-mère,
dame de compagnie de la reine, les circonstances de la composition de
l’Heptaméron :
Elle composa toutes ces Nouvelles, la pluspart dans sa litière en allant par pays ; car elle
avoit de plus grandes occupations estant retirée. Je l’ay ouy ainsy conter à ma
grand’mere, qui alloit toujours avecques elle dans sa litière comme sa dame d’honneur,
et luy tenoit l’escritoire dont elle escrivoit, et les mettoit par escrit aussy tost et
habilement, et plus, que si on luy eust dicté.
Sainte-Marthe, dans son oraison funèbre, retrace une scène similaire :
C’est que bien souvent elle entendoit à son ouvrage &, des deus costés au tour d’elle,
deus de ses Secrétaires ou aultres estoient soubs elle occupés, l’un à recevoir des vers
françois, qu’elle composoit promptement, mais avec une érudition & gravité
admirable ; l’aultre à escrire des lettres, qu’elle envoieoit à quelcun.
De toute sa correspondance avec les interlocuteurs les plus divers se
détache notamment, entre 1521 et 1524, la correspondance nourrie qu’elle
eut avec l’évêque de Meaux, Guillaume Briçonnet ; ce « grand duo
mystique » (Febvre) devait influencer durablement son œuvre ; il en
subsiste aujourd’hui plus d’une centaine de lettres, retrouvées et éditées
au XIXe siècle. Elle composa aussi de nombreux ouvrages, poèmes, épîtres,
pièces théâtrales, contes. Certains furent imprimés de son vivant : elle
publia en 1531, à Alençon, plusieurs œuvres religieuses, dont Le Miroir de
l’âme pécheresse, déjà évoqué, et Le Discord estant en l’homme par la contrariété
envers l’esprit et la chair ; puis en 1547, à Lyon, Les Marguerites de la
Marguerite des princesses, recueil d’œuvres diverses. D’autres étaient
encore, à sa mort, à l’état de manuscrit ; ainsi de l’Heptaméron, dont la
première édition parut en 1558 ; ou bien de La Navire, des Prisons et de la
Comédie sur le trépas du roy qui durent attendre plusieurs siècles avant
d’être exhumés et publiés par Abel Lefranc en 1896. Une œuvre
considérable, que l’on pourrait situer, pour reprendre la typologie des arts
libéraux des Prisons, aux confins de la poésie, de la philosophie et de la
théologie.
Le « désir d’apprendre » (Les Prisons, III, v. 375) de la reine était
certainement aussi stimulé par les brillants esprits qui se succédaient à sa
cour. C’est sans doute au vif bonheur que lui procurait leurs conversations
qu’elle fait allusion, par la voix du narrateur, dans un passage du même
recueil :
En me voyant tant aller et venir,
Et par plaisir lisant, entretenir
Tos ceulx qui sont tressavantz estimez,
Dont les sçavoirs sont veuz et enfermez
En leurs escriptz, ne m’eussiez reputé
Pour prisonnier. Car tout bien disputé,
Failloit juger ma vie tresheureuse
Et moy vivant en liberté joyeuse. (III, v. 393-401)
Sainte-Marthe décrit un peu plus loin dans son oraison funèbre la
stupéfaction dans laquelle la conversation brillante de la reine et de ses
proches avait plongé un gentilhomme espagnol, venu « faire révérence » à
Marguerite au monastère de Tusson, en Charente, où elle composa
d’ailleurs Les Prisons. Marguerite discutait avec ses familiers, dont Sainte-
Marthe, de l’interprétation qu’il convient de donner à un passage des
Évangiles ; on cite, qui saint Augustin, qui saint Jérôme, qui saint Jean
Chrysostome, avant que la reine ne prenne la parole : « alors ! s’écrie
Sainte-Marthe, de quelles parolles & gravité de sentences la trèssçavante
Royne nous expliqua ce qui luy en sembleoit ! ». Le vif intérêt
qu’éprouvait la reine pour les sujets religieux prenait parfois un tour
quelque peu morbide, comme dans cette anecdote célèbre relatée par
Brantôme : Marguerite avait tenu à assister à l’agonie d’une de ses filles de
chambre qu’elle aimait beaucoup, en la regardant fixement au visage ;
quand on lui demanda pourquoi,
Elle respondit qu’ayant ouy tant discourir à tant de sçavans docteurs que l’ame et
l’esprit sortoient du corps aussy tost ainsy qu’il trespassoit, elle vouloit voir si l’on
sentiroit quelque vent ou bruict, ou le moindre resonnement du monde, au desloger et
sortir, mais qu’elle n’y avoit rien aperceu.

Marguerite philologue donc, pour son amour des mots lus, écoutés,
écrits ou prononcés ‒ par sa culture sinon encyclopédique, tout au moins
vaste, nourrie par une vive curiosité intellectuelle s’appliquant aux objets
les plus divers, mais avant tout aux choses d’en haut, non aux inférieures.

Marguerite philologue : l’esprit plutôt que la lettre


La reine incite toutefois dans de nombreux passages ses lecteurs à ne pas
prêter attention aux mots, à la lettre, mais uniquement à l’esprit. Voilà qui
la met en porte à faux avec ce qui est au cœur même de la philologie :
l’amour du mot juste ; cette idée, évidemment primordiale quand il s’agit
d’éditer ou de commenter un texte, que les mots comptent, que le choix
de tel mot plutôt que de tel autre est lourd de sens, que le signifiant a au
moins autant d’importance que le signifié. Ainsi des premiers vers du
Miroir de l’âme pécheresse :
Si vous lisez ceste œuvre toute entiere
Arrestez vous, sans plus, à la matiere,
En excusant la rhythme et le langage,
Voyant que c’est d’une femme l’ouvrage,
Qui n’a en soy science, ne sçavoir…
Topos traditionnel d’humilité, destiné à s’attirer la sympathie de son
lecteur ? Sans doute pour une bonne part. Dans le prologue de
l’Heptaméron, composé quelque vingt ans plus tard, le manque d’attention
à la forme est cette fois revendiqué et présenté comme une condition sine
qua non, pour ce qu’il serait un gage supplémentaire de vérité : lors d’un
dialogue entre les « devisants » qui vont bientôt se conter les uns aux
autres les nouvelles qui composent le recueil, l’une des interlocutrices,
répondant au doux nom de Parlemente et généralement considérée
comme étant la voix de Marguerite de Navarre elle-même, dit avoir
entendu à la Cour la Dauphine, Catherine de Médicis, la reine de Navarre
et quelques autres former le projet d’imiter le Décaméron de Boccace, à une
différence près :
… c’est de n’escripre nulle nouvelle qui ne soit veritable histoire. Et promisrent les
dictes dames et monseigneur le Daulphin avecq d’en faire chascun dix et d’assembler
jusques à dix personnes qu’ilz pensoient plus dignes de racompter quelque chose, sauf
ceulx qui avoient estudié et estoient gens de lettres ; car monseigneur le Daulphin ne
voulloit que leur art y fut meslé, et aussy de paour que la beaulté de la rethoricque feit
tort en quelque partye à la vérité de l’histoire.
À en croire certains de ses critiques, la reine aurait appliqué à la lettre, si
l’on peut dire, ce programme : Pierre Jourda, auteur d’une étude de
référence sur Marguerite de Navarre, n’hésite pas, par exemple, à affirmer
que « le style était la dernière de ses préoccupations », et Simone Glasson,
l’éditrice des Prisons, estime que, « d’une manière générale, l’œuvre de la
reine ne porte pas trace d’une émotion esthétique profonde ». C’est sans
doute que pour la reine, à l’instar d’Érasme et contre le Dolet du De
imitatione ciceroniana (1535), l’élocution, utilitaire, est subordonnée à
l’invention et ne doit pas faire l’objet d’un soin particulier ; la renovatio
spiritus prime sur la renovatio literarum et artium.
Dans Les Prisons, le ton de l’offensive anti-littéraire de la reine se durcit.
Le narrateur du poème affirme ainsi que la lettre fait courir un péril
mortel à celui qui s’y attache : « La lettre occit le vivant qui s’y fie » (III, v.
1911) ‒ il s’agit là, bien sûr, d’une réminiscence paulinienne (Corinthiens,
II, 3, 6). Parvenu au terme de ses lectures, ayant parcouru tout le cercle du
savoir, il se croit libre, et il a tort : « enfermé dans la lettre, / en liberté je
pensoys du tout estre » (III, v. 329-330). La « lettre » est une prison
mortifère, car ce ne peut être que par orgueil et outrecuidance, par ce que
la reine appelle le « cuyder », objet récurrent de condamnation dans
l’œuvre de Marguerite, que l’homme s’y attache :
Cuyder faisoit mon labeur sembler moindre
pour parvenir où il vouloit attaindre :
c’estoit d’avoir sur tout honneur, louanges… (III, v. 379-381)
L’attention trop soutenue à la lettre des textes ne peut que détourner
l’homme de ce qui importe vraiment, et de ce dont, au fond, ils parlent :
l’Esprit (saint). Dans ce livre des Prisons, après une première partie qui
évoque la construction du temple du Savoir, dont les neuf piliers, un pour
chacune des grandes disciplines du savoir humain, sont faits de livres
empilés, voilà que l’édifice est soudain détruit, quand le narrateur prend
conscience que ce temple est en réalité une prison ‒ la troisième de celles
qui donnent son titre au recueil, après celles de l’amour (livre I) et de la
mondanité (livre II). Le « Treshault » a bien vu en effet que le
gentilhomme/narrateur est « pris et lyé finement d’un cuyder / Faulx et
menteur, contraire à verité » (III, v. 424-425) ; le « feu divin » de l’Esprit
s’abat alors sur la prison des sciences, met en cendres son orgueilleux
« chapeau de laurier » et délivre le gentilhomme : les piliers sont abattus.
Pour autant, les livres ne sont pas détruits et nous n’assistons pas à un
autodafé :
Tous mes pilliers pilliers ne furent plus,
Et ne fuz plus en leurs vertuz recluz ;
Mais toutesfoys les livres des pilliers
Viz sans nul mal à terre tous entiers,
Subjectz à moy abbattuz à l’envers,
Sans nulz fermantz, deslyez et ouvertz.
Mais toutesfoys rien que ung mot je ne viz,
Bien qu’il y eust de differentz devis :
Ce mot « Je suys » par tout je y retrouvay,
Tout le surplus fut de moy reprouvé. (III, v. 667-676)
Le narrateur prend conscience du fait que les livres n’ont de valeur que
pour autant qu’ils parlent de Dieu, de celui qui dit, dans le buisson ardent,
« je suys qui suys » (III, v. 641 ; cf. Exode, 3, 14). C’est l’esprit ou plutôt
l’Esprit de ces ouvrages qui importe seul, et non leur lettre. Les livres ne
sont plus, désormais, une fin en soi, mais des auxiliaires qui permettent au
prisonnier d’avancer dans sa recherche de la vérité et de Dieu. Le feu qui
les frappe ne les détruit donc pas, mais au contraire les embellit :
… viz tumber mes livres beaulx
Où sont comprins les sept artz liberaulx.
Ce feu les a de trebuscher hastez,
Mais toutesfoys ne les a pas gastez,
Car j’apperceuz que leur beaulté premier
Croissoit, tant plus recevoit de lumiere. (III, v. 769-774)
Ainsi, le narrateur n’hésite pas à affirmer qu’il retrouve désormais de
façon limpide le Dieu chrétien dans le Pimandre, traité le plus célèbre d’un
Corpus hermeticum d’Hermès Trismégiste qui n’a plus rien à présent
d’hermétique :
L’on ne sçauroit Pere et filz demander
Ne Sainct Esprit plus clair que en Pimander. (III, v. 679-680)
On retrouve là peut-être une influence du cercle de Meaux ; la
traduction latine du Pimandre de Marsile Ficin avait été éditée par Lefèvre
d’Étaples en 1483 ; Lefèvre fit précéder une publication ultérieure (1505)
d’une dédicace à Guillaume Briçonnet, dans laquelle il soulignait les
nombreuses concordances reliant la doctrine hermétique à
l’enseignement des Évangiles. Les dialogues platoniciens mettant en scène
Socrate s’éclairent désormais, aux yeux du narrateur, d’un autre sens, tel
le Phédon (114e-115b) :
Cette lumiere a Socrates receue
Quand doulcement accepta la seguë,
Croyant si bien que l’ame est immortelle
Que pour avoir ceste vie eternelle
La mort receut comme en alant aux nopces,
En oubliant les mondaines negoces ;
Disant le corps, lequel devoit perir,
N’estre [pas] luy, qui ne povoit mourir,
Mais qu’il estoit celeste, auquel la mort
Ne peult toucher, ne luy faire aucun tort.
Nature en luy estoit illuminée
D’une clarté qui du hault ciel est née. (III, v. 699-710)
Notons qu’il n’est pas besoin d’avoir lu le dialogue pour connaître la fin
édifiante de Socrate, honoré au XVIe siècle comme un exemple de vertu ;
c’est vrai également d’autres allusions à des passages du Banquet qui
annoncent désormais, pour le narrateur, la doctrine chrétienne, tels le
mythe de Poros et Pénia (203b-e) ou bien celui de l’androgyne (189d-
191d) :
Celluy qui est, à qui bien l’ymagine,
Se voit aussy dedans ceste Androgine
Qui sa moictié ne cesse de cercher,
Ne la trouvant ne se fait que fascher. (III, v. 921-924)
Dans les Métamorphoses d’Ovide aussi, où désormais « la fiction faicte
subtilement / ne donnoit plus du vray l’empeschement » (III, v. 847-848),
il voit très clairement « Cestuy là qui est » :
C’est luy qui fist la terre, et le deluge
Là où trouva Deucalion refuge.
C’est luy qui fut destructeur des Giens
Qui furent faictz des serpentines dentz.
Celluy qui est, c’est le tresfort Athlas
Et le sçavoir de la sage Palas.
C’est Jupiter les Geantz fouldroyant
Et le cuyder et l’orgueil pouldroyant,
Qui dans la tour dont Danés fut concierge
Par pluye d’or rendit grosse la vierge. (III, v. 871-880)
La traduction des deux premiers chants des Métamorphoses par Marot
(1534 et 1539) fut peut-être pour la reine l’occasion de relire ces textes ;
l’interprétation donnée ici à ce poème se situe aussi dans la lignée des
nombreux Ovide moralisés composés et diffusés à la fin du Moyen Âge. Le
narrateur retrouve aussi en Ulysse et Énée l’image du Christ, en
établissant une équivalence entre la descente d’Ulysse et d’Énée au
royaume des morts et le séjour du Christ aux enfers, dont le récit détaillé
avait été donné, initialement, dans l’Évangile apocryphe de Nicodème, un
texte du IVe siècle après Jésus-Christ qui avait connu une large diffusion
au Moyen Âge :
Celluy qui est en celluy se monstra
Qui tout armé dedans le gouffre entra,
Lequel sembla si contant d’ung tel chef
Qu’il se ferma sans ouvrir de rechef :
Le povoys veoir, enfer pour nous fermé,
Quand le Puyssant y entra tout armé. (III, v. 1033-1038)
Pour cette fois, la reine fait référence à des passages précis de textes
antiques. Dans l’Odyssée (XI, 48) et l’Énéide (VI, 260), les héros sont en effet
armés d’une épée ; l’expression « tout armé » qu’utilise ici la reine fait
plus précisément allusion au vers VI, 388 de l’Énéide (Quisquis es armatus qui
nostra ad flumina tendis…)
La lecture allégorique prend donc désormais, pour le narrateur des
Prisons, une entière prééminence sur la lecture littérale. La reine s’inscrit
ainsi dans la tradition de l’herméneutique médiévale, fondée sur la
patristique et saint Augustin en particulier, qui cherche à tout reconduire
à l’œuvre de Dieu. Ainsi, conclut, le narrateur,
… tournant ces livres et virant,
Que tant je fuz de sçavoir desirant,
Je congneuz bien que de tout leur possible
Chascun tendoit de declairer la Bible,
Qui de science est le vray fundement,
Ce que nul œil ne peult veoir clairement
Sans la clarté de l’Esprit veritable. (III, v. 1423-1429)
Puisque ce n’est plus à la lettre mais à l’esprit des livres que le narrateur
s’attache désormais, ils n’édifient plus les murs d’une prison, mais,
jonchant le sol, lui servent désormais de « pavement », où il peut, enfin,
« en liberté marcher » (III, v. 1540-1541).
Il y a dans ce rejet, partiel il est vrai, des livres et du savoir par le
narrateur des Prisons, une variante atténuée de la posture anti-
intellectualiste qu’adopte régulièrement la reine. Elle s’inscrit par là dans
une longue tradition remontant aux Évangiles et illustrée notamment
dans le siècle précédent par les adeptes de la devotio moderna, tel Thomas a
Kempis dans son Imitation du Christ : la méfiance à l’égard du savoir, l’éloge
de l’ignorance et l’exaltation de la figure de l’idiota, de l’homme simple, est
en effet une idée fondamentale du christianisme. Ainsi, c’est en lisant un
passage des Évangiles (Matthieu, 11, 25-26 ; cf. aussi Luc 10, 21-24), que le
narrateur, dans Les Prisons, prend conscience pour la première fois de son
aveuglement, de la vanité et du danger de la science :
Et la façon fut en lisant ung texte
Où Jesuschrist sa bonté manifeste,
Disant à Dieu : « Père, je te rendz graces,
Qui aux petis et à personnes basses
As révelé les tresors et secretz,
Et aux sçavants, gentz doctes et discretz,
Les as cachez ; tel est ton bon plaisir. »
Lisant ce mot, soudain me vint saisir
Une clarté plaisante à veoir et belle (III, v. 483-491)
Dans cette perspective, le livre idéal en quelque sorte apparaît être, pour
le narrateur des Prisons, celui que Simone Glasson, l’éditrice du poème,
identifie comme étant Le Miroir des simples âmes d’une autre Marguerite,
Porete de son nom de famille, une béguine de Valenciennes morte sur le
bûcher en 1310, son livre ayant été décrété hérétique par l’évêque de
Cambrai et elle-même ayant par la suite refusé de se rétracter :
… entre tous j’en viz ung d’une femme,
Depuys cent ans escript, remply de flamme
De charité, si tresardentement,
Que rien qu’amour n’estoit son argument (III, v. 1315-1318)
En effet, celle-ci y parle « clair comme un ange » (III, v. 1389) de Dieu et
de l’amour divin, alors qu’elle est, affirme Marguerite,
… remplye d’ignorance,
Qui n’avoit point des lettres apparence,
Et qui n’avoit point frequenté nulle escolle
Fors de l’Esprit qui tout estre consolle (III, v. 1385-1388)
Soulignons qu’il s’agit là du point de vue de Marguerite de Navarre ; tout
‒ dont son œuvre ‒ semblant indiquer, au contraire, que la mystique de
Valenciennes n’avait rien d’une inculte.
Ce motif paradoxal de l’ignorance du sage hantait déjà la
correspondance de Marguerite avec l’évêque de Meaux, Briçonnet, vingt-
cinq ans avant l’écriture des Prisons ; en 1522, Briçonnet lui écrivait ainsi :
Savoir est cecité, aussy est ygnorance et toutesfois lumiere (au regard du sçavoir), en
cecité excelente transcendant toute clarté. Quelque diligence que on prengne, plus on
cuyde sçavoir, plus on devient ygnorant et aveugle. Qui plus prouffite en ygnorance,
plus est cler-voyant sans veoir et sçavant sans sçavoir, fors en oubliance en laquelle se
consumme. Car qui plus excellemment oublie, plus est sçavemment ygnorant.
Oubliance et ygnorance maistrisent science, et par elle on acquiet inacessible lumiere
qui tout sçavoir accompagne. (Lettre du 6 mars 1522)
L’éloge de l’idiota constitue d’ailleurs indéniablement chez la reine un
paradoxe, une tension avec ses aspirations intellectuelles, son goût des
sciences, des arts et des lettres ‒ elle-même, on l’a vu, n’ayant rien d’une
idiote. Pour le dire dans ses propres termes, dans la Comédie de Mont-de-
Marsan, datée du Mardi gras 1548, où elle fait dialoguer quatre
personnages : la Mondaine, la Superstitieuse, la Sage et la Ravie,
Marguerite semble osciller entre les postures de la Sage et de la Ravie : la
Sage est celle qui encourage la lecture et la connaissance intime des textes
sacrés :
M’ami-e, lisez hardiment
Le vieil et nouveau Testament (v. 549-550)
La Ravie en revanche est, dans la Comédie, une bergère qui, en chantant
(ce qui donne à certains moments dans le texte : « Ho ho hi hi hon hon
hon hon »), célèbre l’amour divin, qui la tient et la ravit ; elle aime, cela
suffit, son Ami vaut mieux que richesses, science et sagesse ; et les trois
autres de la prendre pour une folle ‒ une folle en Christ, pourrait-on dire
avec Corinthiens, I, 1, 26-27. La Ravie trouve ainsi des accents similaires à
la Folie à qui Érasme, dans les derniers chapitres de l’Éloge qu’il lui
consacre, fait remarquer que « la religion chrétienne de façon générale
semble avoir une parenté avec une certaine folie et n’avoir à peu près
aucun rapport avec la sagesse » (chap. 66). Le rapport de la reine à la
philologie et au savoir en général semble bien marqué par une ambiguïté
fondamentale, entre rejet et désir de savoir.
Or, la reine rejoint par là, de façon quelque peu paradoxale, les princes
des philologues de son temps, un Lefèvre d’Étaples, un Budé ou un
Érasme ; si bien que Marguerite, qui, on l’a vu, n’est pas une philologue à
la lettre (elle n’édite pas de textes antiques) peut bien être définie, dans
l’esprit, comme telle. Ainsi, la trajectoire intellectuelle du
« gentilhomme » des Prisons évoque tout d’abord celle de Lefèvre d’Étaples
‒ pour Dolet, dans l’immense allégorie guerrière, souvent citée, du
prologue des Commentaires de la langue latine, où il évoque le long combat
mené par la philologie humaniste contre la barbarie, celui-ci ne le cédait
qu’à Budé, par rang d’importance, dans l’« escadron de la science »
philologique française. À mi-chemin de sa longue carrière, il se détourna
de l’aristotélisme et des sciences profanes pour se consacrer à la
méditation sur la Bible et à la contemplation, guidé par deux maîtres,
Denys l’Aréopagite, le théoricien du non-savoir, en qui il voyait le disciple
de saint Paul et qui était alors confondu avec le premier évêque de Paris,
et Nicolas de Cuse. Ce dernier préconisait une ignorance qui a passé par
tout le cercle des connaissances, en a éprouvé les limites, pour parvenir
finalement au comble du savoir, qui est la conscience du non-savoir. Une
telle évolution n’est pas sans ressemblances non plus avec celle que prône
le grand Budé lui-même à l’égard de la philologie ; pour lui, dans L’Étude
des lettres, celle-ci ne doit être que le « pédagogue de l’esprit adolescent » ;
« sans attendre la vieillesse, il faut regarder vers le ciel, ne pas s’attarder
au chant des sirènes » que sont les Muses (L’Étude des lettres, 38) :
Ceux qui ont eu la chance ‒ comme beaucoup l’eurent autrefois ‒ de s’acquitter avec
succès de leur service dans les disciplines profanes, pour aspirer ensuite à l’étude de la
sagesse chrétienne, je les déclare, quant à moi, aussi heureux que ces voyageurs qui,
après avoir longtemps visité beaucoup de villes, observé des mœurs diverses et
remarquables, deviennent finalement citoyens d’une ville exquise et bienheureuse, et y
fixent leur domicile et leur foyer. (L’Étude des lettres, 32)
La culture profane contient des éléments de théologie et Budé se livre
aussi, dans le même traité, à des lectures allégoriques d’Horace, de Platon,
de divers mythes antiques, à l’instar de la Marguerite des Prisons. Mais le
but du voyage, la ville « exquise et bienheureuse », est ce qu’il appelle la
philotheoria, terme qui n’évoque pas seulement l’étude, mais son
dépassement, son « brusque passage » (abruptum… transitum, L’Étude des
lettres, 34) dans la contemplation. À ce transitus, passage et transfert du
profane au sacré, Budé consacra son œuvre philosophique et religieuse
majeure, Le Passage de l’hellénisme au christianisme (De transitu Hellenismi ad
Christianismum), publiée en 1535. Érasme lui aussi considérait, dans les
textes liminaires qui accompagnent l’édition de son Novum Testamentum
(1516), que les labeurs de la philologie ne devaient être qu’un préalable
qu’il convient de dépasser pour en arriver à une compréhension en
profondeur ; le lecteur idéal était pour lui cet idiota mentionné plus haut,
un être simple et sans préjugé, totalement disponible à la rencontre
bouleversante avec la Parole, car pour la comprendre, il importe moins de
savoir que d’aimer.

Marguerite, protectrice des philologues


Enfin, rappelons un aspect bien connu de son action, par laquelle la
reine peut se voir décerner, tout au moins honoris causa, le titre de
philologue : son mécénat, dont bénéficièrent de nombreux « hommes
mercuriaux », amants de dame Philologie, et qui est l’un des principaux
exemples de mécénat féminin de son temps, avec ceux d’Anne de
Bretagne, de Renée de Ferrare ou de sa nièce Marguerite de France.
Sainte-Marthe, dans son oraison funèbre, qualifiant la reine de « soubstien
& appuy des bonnes lettres », évoque les diverses formes par lesquelles
s’exerçait ce mécénat et la compare, en une jolie métaphore, à une poule
protégeant ses poussins de ses ailes :
Si elle avoit ouy estimer quelcun d’érudition & probité, quand il vacqueoit un Office,
luy conféreoit libéralement, ou, si elle estoit requise par quelcun de sa Maison le
conférer en sa faveur, elle prenoit premièrement de luy le serment qu’il n’en avoit
reçeu & n’en espèreoit recevoir argent. […] Tous les malades de griefves maladies, tous
ceuls qui souffroient nécessité & indigence, tous ceuls qui avaient perdu leurs biens &
abandonné leur patrie, tous ceuls qui fuioient la persécution de la mort, bref, tous ceuls
qui estoient en quelque adversité, fust du corps ou de l’esprit, se retiroient à la Royne
de Navarre comme à leur ancre sacré & extrême refuge de salut en ce monde. Tu les
eusses veus, à ce port, les uns lever la teste hors de mendicité, les aultres, comme après
le naufrage, embrasser la tranquillité tant desirée, les aultres se couvrir de sa faveur,
comme d’un second boucler d’Ajax, contre ceuls qui les persécutoient. Somme, les
veoiant à l’entour ceste bonne Dame, tu eusses dit d’elle que c’estoit une poulle qui
soigneusement appelle & assemble ses petits poullets & les couvre de ses aèles.
Brantôme n’hésite pas d’ailleurs à mettre le mécénat du roi et de
Marguerite sur le même plan :
Elle s’adonna fort aux lettres en son jeune age ; et les continua tant qu’elle vescut,
aimant et conversant du temps de sa grandeur, ordinairement à la cour, avec les gens
les plus sçavants du royaume de son frère. Aussy tous l’honoroient tellement qu’ils
l’appeloient leur Moeceneas ; et la plupart de leurs livres qui se composoient alors,
s’addressoient au roy son frère, qui estoit bien sçavant, ou à elle.
François Ier semble bien toutefois avoir, ici comme ailleurs, le premier
rôle. Dans sa Philologie (De philologia, 1532), Budé met en scène son
dialogue, lors d’un banquet, avec François Ier, en roi des philologues
s’adressant, comme d’égal à égal, au roi de France pour défendre la cause
de l’humanisme ‒ sans jamais mentionner Marguerite, alors qu’il devait
certainement sinon la fréquenter, tout au moins la rencontrer très
régulièrement, par exemple dans les banquets organisés par le roi. C’est à
la faveur de François Ier que Bourbon ‒ Marguerite étant pourtant
d’ailleurs sa mécène et protectrice, et non le roi ; sans doute y a-t-il là une
part d’obligatoire ou de calcul ‒ attribue, dans une lettre de 1533 à un
correspondant italien, « l’admirable efflorescence de l’étude des disciples
humaines » (mirifice humaniorum disciplinarum studia reflorescunt), dans une
France qui apparaît alors à l’avant-garde du courant humaniste dont l’élan
s’essouffle en Espagne ou dans cette Angleterre où l’on exécute Thomas
More. En une génération, « les Français paraissent un autre peuple à eux-
mêmes et aux autres » (G. Gadoffre). Alors s’impose progressivement, dans
les classes dirigeantes françaises, le modèle éducatif du jeune homme
vaillant et lettré, tel que Marguerite le met en exergue dans l’Heptaméron,
de ce « seigneur de bonne maison, qui estoit aux escolles, desirant
parvenir au sçavoir par qui la vertu et l’honneur se doibvent acquerir
entre les vertueux hommes » (début de la XVIIIe nouvelle). La philologie
connaissait alors, en France, une période faste ; elle prenait même, bien
souvent, le pas sur les autres disciplines, dans la « révolution culturelle »
(G. Gadoffre) qui se jouait au bénéfice des humanistes, poètes et
professeurs du royaume, et elle remporta une victoire symbolique
importante avec la création du Collège royal, futur Collège de France, par
François Ier en 1530, à l’instigation de Budé. Dans cette institution
nouvelle, les savants, choisis et rémunérés par lui, assuraient des cours
dans les disciplines interdites par la Sorbonne, au premier rang desquelles
le grec et l’hébreu ‒ réalisation saluée par les humanistes, même si elle
était bien moins ambitieuse que le projet initial de Mouseion, sorte de
« Fontainebleau de la culture » soutenu par Budé. C’est François Ier dont
Bourbon dit, dans une épigramme publiée en 1538, que « savant lui-même,
il favorise les savants » (rex noster, doctis, doctus et ipse, favet, Nugarum libri
octo, V, 3, 22).
Si la reine dispose d’un certain pouvoir et peut accorder sa protection,
cela tient pour une bonne part à son influence sur son frère, inégale selon
les périodes, mais aussi à son statut de reine d’un royaume indépendant
de la France ‒ Bourbon le lui disait quand, pour la complimenter, il la
qualifiait de « Femme puissante par le Roi ton frère et le Roi ton mari »
(Foemina rege potens germano et rege marito, Nugae, 169, v. 3). Par le roi son
mari, car, en dernier recours, le mécénat de la reine pouvait l’amener à
accueillir chez elle, dans le royaume de Navarre, hors d’atteinte de la
faculté de théologie de la Sorbonne ou du parlement de Bordeaux, ses
protégés qui se trouvaient en mauvaise posture. L’appui qu’elle donna par
exemple au poète Clément Marot en fournit un exemple. Celui-ci entra à
son service en 1519, à l’instigation de François Ier, figurant sur son état
comme secrétaire, et célébra dans divers épîtres ballades et rondeaux et
épîtres sa « maîtresse / Qui toute femme ayant noble hautesse / Passe en
vertus ». Lors de la répression qui suivit l’affaire des Placards (1534), après
que le parlement eut perquisitionné son domicile parisien et fait brûler
livres et manuscrits, c’est à Nérac qu’il se réfugie, auprès de Marguerite,
avant de partir en exil à Ferrare. Marot est avant tout, bien sûr, un poète,
même si l’édition qu’il fournit des œuvres de Villon ou ses traductions des
Psaumes font aussi de lui, au moins dans une certaine mesure, un
philologue.
Le plus grand philologue qui bénéficia d’un séjour, plus ou moins forcé,
dans la petite et brillante cour de la reine à Nérac fut certainement
Lefèvre d’Étaples, dont l’activité philologique aboutit notamment à des
traductions en français et des commentaires des textes sacrés : Épîtres de
saint Paul, Nouveau Testament, puis Ancien Testament, corrigeant le
texte de la Vulgate. S’il ne dédia pas d’ouvrages à Marguerite, il fut le
fondateur en 1521 et l’inspirateur du cénacle de Meaux ; menacé et
condamné par la Sorbonne, il dut s’exiler à Strasbourg en 1525, jusqu’à ce
que le retour de captivité du roi lui permît de bénéficier à nouveau de la
protection de Marguerite, qui lui obtint en 1526 le poste prestigieux de
précepteur des enfants royaux ‒ ceux tout au moins qui n’étaient pas
restés otages de Charles Quint. Après la publication de son Ancien
Testament, se trouvant dans une situation de plus en plus menacée et
précaire, il vint s’installer à Nérac en 1530, où il mourut quelques années
plus tard.
Pour les autres, parcourons le catalogue, établi par Jourda, de toutes les
dédicaces adressées à Marguerite par les écrivains de son temps.
Concernant les auteurs d’instruments de travail philologique ou
d’ouvrages sur la philologie, pas de traces, il est vrai, de Budé. Quant à
Dolet, qui dédia les deux volumes de ses Commentarii linguae latinae à ce
dernier ainsi qu’à François Ier, il devint un proche de Marguerite après
leur rencontre en 1536 à Lyon. Elle le protégea et contribua à son
élargissement après qu’il eut tué le peintre Compaing le 31 décembre de la
même année ; il lui adressa, pour l’en remercier, un poème dans ses
Carmina publiés en 1538. Quelques années plus tard, en 1544, Dolet publia,
dans son Second Enfer qu’il était imprudemment revenu imprimer à Lyon,
une épître « à la Royne de Navarre, la seule Minerve de France », où il
demande sa protection ; il fut arrêté bientôt après et Marguerite ne put,
cette fois, l’empêcher d’être brûlé place Maubert en 1546. Un autre
philologue, hébraïsant celui-là, Juif vénitien naturalisé sous le nom de
Paul Paradis, dédia à Marguerite en 1534 un dialogue sur la façon de lire
l’hébreu (De modo legendi hebraïce) ; protégé de la reine, il lui avait dû
d’occuper la chaire de lecteur royal d’hébreu, ouverte pour lui en 1531.
S’agissant des philologues éditeurs et traducteurs, le catalogue de Jourda
mentionne Gérard Roussel (1480-1550), éditeur et commentateur
d’Aristote et de Boèce, qui bénéficia aussi du soutien de la reine, à qui il
offrit sa traduction des livres de Moïse. Ce disciple et collaborateur de
Lefèvre, qu’il avait suivi en 1521 à Meaux, fut inquiété quand des placards
hostiles au pape furent affichés dans cette ville en 1524 ; il s’était alors
réfugié à Strasbourg avec son mentor, et revint avec lui à Paris. La reine
en fit son aumônier et confesseur, et le fit nommer abbé de Clairac en
1530. Il prêcha le carême au Louvre en 1531, 1532 et 1533 avec un succès
croissant qui suscita inquiétude et hostilité chez les théologiens de la
Sorbonne ; un scandale provoqué en novembre 1533 par un discours de
Nicolas Cop, nouveau recteur de l’Université de Paris conduisit à son
arrestation. Grâce à l’entremise de Marguerite, Roussel finit par être
absous ; il se retira avec elle à Nérac, après l’affaire des Placards, avant de
se voir accorder en 1536 l’évêché d’Oléron, sur les terres de la reine, et
donc sous sa protection. Citons aussi Bonaventure Des Périers (1510 ?
-1543), qui fut pensionné par la reine à partir de 1536, comme valet de
chambre et secrétaire, et dont l’œuvre littéraire comporte notamment des
traductions du Lysis de Platon et d’une satire d’Horace.
Enfin, parmi les poètes néolatins, dont l’usage assidu qu’ils faisaient
nécessairement des ouvrages de philologie permet, dans une certaine
mesure, de les assimiler à des philologues, c’est avant tout Bourbon qui
bénéficia de la protection de la reine ‒ un protégé de choix, puisqu’il fut
sans doute le premier à utiliser, dans un poème publié en 1538,
l’expression de « Renaissance », en se décrivant ainsi : « Moi qui ai tant
souffert jusqu’ici, et soufre, et suis prêt à souffrir, pour l’amour des lettres
renaissantes » (Qui tam multa tuli usque et ecce / Qui tam multa fero et feram
libenter / Renascentium amore literarum, VIII, 15, 1-3). Évangélique
convaincu, il la célébra dans des épigrammes de plus en plus nombreuses
au cours des années 1530, tandis qu’il parvenait peu à peu à intégrer le
milieu de la cour de France et surtout de la famille royale. Les relations
entre Bourbon et Marguerite prirent un tour plus personnel lors de son
emprisonnement, qui fut la grande épreuve de sa vie : en 1533, alors
régent au collège de Beauvais à Paris, il se livrait à un travail important de
prosélytisme des idées nouvelles auprès de ses élèves. L’attitude de
François Ier à l’égard des évangéliques se durcit brutalement à l’automne
1533 ; il chargea le recteur de l’Université de Paris de remettre de l’ordre
dans les collèges, principaux vecteurs des ces idées ; lorsqu’en janvier
1534, le tour du collège de Beauvais arriva, Bourbon fut arrêté pour
prosélytisme et conduit à la prison du Petit Châtelet. Il resta enfermé
jusqu’au mois de mai ; il dut sa libération au roi, mais il est probable que
Marguerite de Navarre s’entremit pour lui, comme elle avait coutume de
le faire quand les évangéliques étaient en danger ; c’est sans doute elle
qui, de concert avec Jean de Dinteville, alors ambassadeur en Angleterre,
lui procura, à sa sortie de prison, un refuge à la cour d’Henri VIII, auprès
d’Anne Boleyn, la deuxième épouse du roi, où il passa quelques années
avant de revenir en France. Marguerite le choisit aux alentours de 1539
comme précepteur pour sa fille unique, Jeanne d’Albret, alors âgée de
onze ans ; il conserva ce poste prestigieux une petite dizaine d’années
jusqu’au mariage de son élève. On mesure bien là à quel point, au cours du
XVIe siècle, les mentalités ont changé à l’égard de la philologie : la reine
de Navarre, qui n’avait elle-même pas appris le grec et guère le latin,
choisit comme précepteur de sa fille un des plus grands poètes néolatins
de son temps, qui disposait de surcroît d’une connaissance de l’Antiquité
et de la langue grecque exceptionnelle pour l’époque. D’autres poètes
néolatins adressèrent, toujours d’après le catalogue de Jourda, des recueils
ou des vers à Marguerite, même si elle ne leur accorda pas un appui aussi
éclatant qu’à Bourbon ; citons parmi eux Macrin (en 1528, 1530 et 1537),
ancien élève de Lefèvre et valet de chambre de François Ier ; ainsi que les
Lyonnais Gilbert Ducher (en 1538) et Jean Visagier (en 1537, 1538).
Soulignons toutefois que ce sont d’abord des membres du réseau
évangélique ‒ Lefèvre, Marot, Bourbon… ‒ que protège la reine. Ceux-ci
étant souvent philologues, la cause de la philologie fut alors par
conséquent, et indéniablement, très redevable à la protection de la reine
de Navarre, comme en contrepoint au mécénat fastueux du roi de France,
mais aussi pour atténuer certaines de ses erreurs.

Marguerite, femme de tête et femme libre


Au terme de ce bref parcours, c’est sans doute l’indépendance d’esprit
de la reine, sa liberté, qui nous frappent : Marguerite qui n’hésite pas, par
exemple, à prendre des prises de position parfois risquées, même pour la
sœur du roi de France, quand elle protège les évangéliques et les
philologues menacés. Cette liberté, elle l’acquit sans doute pour une part
par la pratique des arts libéraux, par son savoir, nourri par l’éducation, les
lectures et de brillantes fréquentations intellectuelles. Mais la véritable
liberté, répète-t-elle, se trouve dans l’Esprit divin ; c’est lui qui donne son
véritable sens à la culture littéraire. La reine avait brodé elle-même sur
des tentures de satin noir ornant le château royal de Pau, en l’entourant
de feuillages vert et or, un passage de saint Paul, comme une manière de
devise : Ubi Spiritus, ibi Libertas (Corinthiens, I, 3, 17). Et le poème des
Prisons, dans lequel le narrateur se libère successivement de l’amour, de
l’ambition et du savoir (philologique), se conclut sur ces mots qui en sont
une paraphrase :
Ceste voix là ne puys ny ne doy taire :
Que où l’Esprit est divin et vehement,
La liberté y est parfaictement. (III, v. 3212-3215)

Suggestions bibliographiques
Bourbon, N., Nugae (Bagatelles) 1533, édité et traduit par S. Laigneau-Fontaine, Genève,
Droz, 2008.
Brantôme, Vies des dames illustres françoises et étrangères, Paris, Garnier Frères, 1868.
Budé, G., L’Étude des lettres, Principes pour sa juste et bonne institution, De studio literarum recte
et commode instituendo, texte original traduit, présenté et annoté par M.-M. de La
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Déjean, J.-L., Marguerite de Navarre, Paris, Fayard, 1987.
Édouard, S., Les Devoirs du prince. L’éducation princière à la Renaissance, Paris, Classiques
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Érasme, Œuvres choisies, Paris, Librairie générale française, 1991.
Febvre, L., Autour de l’Heptaméron. Amour sacré, amour profane, Paris, Gallimard, 1944.
Fumaroli, M., L’Âge de l’éloquence : Rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de
l’époque classique, Genève, Droz, 2009.
Humanism and Letters in the Age of François Ier, Proceedings of the Fourth French Renaissance
Colloquium, éd. P. Ford et G. Jondorf, Cambridge, Cambridge French Colloquia, 1996.
Jourda, P., Marguerite d’Angoulême : duchesse d’Alençon, reine de Navarre (1492-1549), étude
biographique et littéraire, vol. 2, Paris, H. Champion, coll. « Bibliothèque littéraire de la
Renaissance » (nos 19 et 20), 1930.
—, « Le mécénat de Marguerite de Navarre », Revue du seizième siècle, 1931, t. 18, p. 253-
271.
—, Une princesse de la Renaissance, Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre (1492-1549), Paris,
Desclée de Brouwer, 1932.
Laigneau-Fontaine, S., Nicolas Bourbon, protégé de Marguerite, actes du colloque « Le réseau
de Marguerite de Navarre », organisé par S. Geonget, Tours, novembre 2018, à paraître.
La Philologie humaniste et ses représentations dans la théorie et dans la fiction, sous la direction
de P. Galand-Hallyn, F. Hallyn et G. Tournoy, Genève, Droz, 2005.
Marguerite de Navarre, Les Prisons, édité et commenté par S. Glasson, Genève, Droz, 1978.
Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, édité par A. Le Roux de Lincy et A. de Montaiglon,
Paris, 1880 (contenant l’oraison funèbre de C. de Sainte-Marthe, traduite par ses soins).
Marguerite de Navarre, Heptaméron, Paris, Garnier Frères, 1967.
Montagne, V., « “Ceste tant aymée rhetorique” : dialogue et dialectique dans l’Heptaméron
de Marguerite de Navarre », thèse pour l’obtention du grade de docteur de l’université
Paris IV, 2000.
Plantey, D., Les Bibliothèques des princesses de Navarre au xvie siècle : livres, objets, mobilier,
décor, espaces et usages, Presses de l’Enssib, Villeurbanne, 2016.
Perrette Bade ou le fantôme
de la maison Estienne
par
Nicolas Roudet*

Aux femmes savantes, qui depuis cent ans,


font vivre la maison Budé.

P hilologie, une mortelle s’adonnant à des veilles exténuantes, et dont la


pâleur dénotait des « travaux à perpétuité à la lueur de la lampe », dut
à la bonne faveur d’Apollon de pouvoir épouser Mercure : c’est là ce que
Martianus Capella, témoin digne de foi de ces épousailles, nous narre au
premier livre des Noces de Philologie et de Mercure1.
Comme Mercure, bien des hommes de la Renaissance consacrèrent leurs
nuits à Philologie, au point parfois d’en rendre leurs épouses jalouses.
Guillaume Budé, parmi d’autres, succomba aux charmes de la belle. Il nota
dans une lettre à Thomas More que sa légitime « souffrait et murmurait de
voir [s]a chère Philologie lui être préférée comme une sorte de rivale2 ».
Pétrarque, Rodolphe Agricola, Johannes Reuchlin, Érasme de Rotterdam,
Guillaume Budé, Thomas More, Martin Luther, Philippe Melanchthon,
Jean Calvin, Joseph Juste Scaliger, Juste Lipse, Henri Estienne, Isaac
Casaubon… Dans le panthéon de l’humanisme, sur une période longue
s’étirant du XIVe siècle au début du XVIIe siècle, de Rome à Rotterdam, de
Porto à Stockholm, on ne trouve guère de femme s’étant distinguée par sa
maîtrise du grec ou du beau latin. En cherchant bien, on finit par tomber
sur les figures d’Elisabeth Johanna Weston (1582-1612)3 ou d’Helena Maria
Wacker von Wackenfels (1598-1607), femmes de lettres néolatines actives
à la cour de Rodolphe II à Prague vers 16004. Ou sur les trois filles de
Thomas More, latinistes et hellénistes qui eurent l’honneur d’un portrait
par Hans Holbein le Jeune et furent célébrées par Érasme dans sa
correspondance :
More a pris soin de les former toutes les trois, dès leurs plus tendres années, d’abord à
un genre de vie châtié et pur, ensuite à une culture littéraire des plus raffinées. […] Il y
a moins d’un an, More a voulu me donner un certain spécimen de leurs progrès en
littérature. Il prescrivit à toutes de m’écrire, et, bien sûr, chacune par ses propres
moyens. Le sujet n’était pas imposé, et absolument rien ne fut corrigé à leur exposé. Or,
quand elles eurent soumis les brouillons à leur père, il fit semblant d’être gêné par la
mauvaise écriture et leur dit de les recopier avec plus de soin et de netteté. Quand cela
fut fait, sans y changer même une syllabe, il scella les lettres et me les envoya. Crois-
moi, Budé, il n’est rien qui m’ait autant surpris. Pour les idées, ni sottises, ni naïvetés
de fillettes. Quant à l’expression, tu jugerais qu’elle caractérise celles qui font des
progrès tous les jours5.

La femme docte était donc une denrée rare, au point que, parmi les
humanistes mâles, circulaient des catalogues de ces curiosités6. Rarement
admises au temple de Philologie, les femmes furent en revanche plus
nombreuses à pouvoir célébrer le culte de Typosine, promue dixième
muse par le poète Jacques Grévin7. Nombre d’entre elles, on le sait,
reprirent l’officine de leur époux après le décès de celui-ci8. Certaines,
plus rares il est vrai, jouissaient également d’une réputation flatteuse de
femmes cultivées. C’est le cas de Perrette Bade, que nous allons ici
examiner.
Perrette Bade ? Fille de l’imprimeur Josse Bade, épouse de Robert
Estienne, son nom était encore assez fameux au XVIIIe siècle pour que
Pierre Bayle, par exemple, éprouvât le besoin de le mentionner dans le
Dictionnaire historique et critique, Seconde édition, Revuë, corrigée & augmentée
par l’Auteur (Rotterdam, Reinier Leers, 1702). Au tome I, page 448, à
l’article « Badius », remarque (I), on lit :
Catherine Badius, fille de Jodocus, fut mariée à Michel Vascosan (r). Perrette Badius
autre fille de Jodocus fut femme de Robert Etienne(s). Jeanne Badius sa sœur épousa
Jean de Roigny (t) qui prit la marque de son beau-père […]9.
C’est bien peu, d’autant que Bayle ne distingue pas Perrette de ses
sœurs, au contraire de bien des contemporains du XVIe siècle. Nous
proposons ici de compléter l’information succincte donnée par le
philosophe du Carla au sujet de Perrette Bade.
¶ BADE, Perrette10. Fille cadette de Hottelye Trechsel11 et Josse Bade
(Jodocus Badius)12, imprimeur fameux. Sa date de naissance est inconnue
à ce jour, même si un universitaire lui a assigné récemment la même que
celle de son époux Robert13. Un dictionnariste du XIXe siècle suppose
qu’elle dut naître « de 1506 à 1510 »14.
En vérité, on ne sait encore rien de l’enfance de Perrette Bade, mais il est
permis d’espérer que l’on trouvera un jour dans les lettres de Josse Bade
ou de certains de ses correspondants quelque allusion. Un historien
suppose qu’elle ne reçut point (ou guère) d’instruction dans son enfance,
mais qu’elle profita néanmoins du milieu familial pour s’instruire15. Un
autre suppose sans plus de preuve que Josse Bade « fit donner une solide
instruction à sa fille »16. Peut-on avancer quelque argument en faveur de
l’une ou l’autre hypothèse ? On sait que Josse Bade enseigna le latin à des
écoliers lorsqu’il était à Valence et à Lyon, entre 1488 et 149817. Devenu
correcteur dans l’officine de Johannes Trechsel, il devint l’imprimeur
français le plus prolifique autour de 1500 : on lui doit plus de 700 titres,
sans compter les rééditions18. Parmi ces titres, de très nombreuses
éditions scolaires de classiques, des grammaires. Sa biographie est très
mal connue et sa correspondance encore inexplorée. On peut toutefois
conjecturer avec quelque vraisemblance qu’il donna à sa fille Perrette,
comme à ses fils, un peu de ce qu’il transmettait quotidiennement à ses
écoliers lyonnais19.
Perrette Bade fait son apparition dans les archives lorsqu’elle épouse en
152620, le lundi 9 juillet, le fameux imprimeur parisien Robert Estienne
(1503-1559), sis rue Saint-Jean-de-Beauvais, en plein Quartier latin. Robert
était le fils d’Henri I Estienne (ca 1460-1520) et le beau-fils de l’imprimeur
Simon de Colines (1475/1480-1546). Le contrat de mariage, conservé aux
Archives nationales dans les dossiers du notaire Pierre Crozon, stipulait
que la dot s’élèverait à 1 000 livres tournois, dont 600 en deniers
comptants, 200 en volumes de livres imprimés de Josse Bade et 200 en
habits pour la mariée21. En voici le texte, tel qu’il est donné par Henri
Stein en 1895 :
Furent présens en leurs personnages honnorable homme me Josse Badius, marchant
imprimeur libraire, bourgeois de Paris, en son nom, stipullant en ceste partie pour
Perrette, fille de luy et de Hottelye, sa femme, d’une part, et Robert Estienne, aussi
imprimeur et libraire à l’auctorité de Simon de Colines, dudit estat, et me Gilles
Nepveu, procureur au Chastellet et bailliage de Paris, à ce présens, qui ont esté ses
tuteurs et curateurs, d’autre part ; lesquelles parties de leurs bons grez, etc., confessent
avoir faiz, feirent et font entre eulx et l’un d’eulx avec l’aultre les traictié, accordz,
douaire, promesses, apointement et autres choses qui s’ensuyvent, pour raison du
mariage qui, par le plaisir de Notre Seigneur, sera fait et solempnisé en saincte Église
desdicts Robert Estienne et Perrette ; c’est assavoir ledit Badius avoir promis et
promect donner et bailler ladite Perrette, sa fille, par loy et nom de mariage, se Dieu et
nostre mère saincte Église s’i accordent, audit Estienne, qui icelle a aussi promis, sera
tenu et promect prendre en sa femme et espouze le plus brief que faire se pourra, et
advisé sera entre eulx, leurs parens et amys ; en contemplation, faveur et advancement
duquel mariage, et pour à icelluy preneur ledit Badius a promis, sera tenu, promect et
gaige baillier et paier ausditz mariez futurs la somme de mil livres tournois en ceste
manière, assavoir est six cens livres tournois en deniers contans le jour de leurs
espousailles, deux cens livres tournois en volumes de livres des sortes et impression
dudit Badius, telz que ledit Estienne vouldra eslire et choisir, et au pris des marchans,
et les aultres deux cens livres tournois en habillemens pour l’usage de ladite Perrette
selon son estat ; et, partant, ledit Estienne doua et doue ladite Perrette sa femme future
de douaire coustumier, pour icelluy avoir et prandre si tost, etc., et dedans la première
année dudit mariage et après la consommation d’icelluy, mil livres tournoiz de telz
biens qui seront trouvez estre communs entre eulx au jour du trespas, et selon la prisée
qui en sera faicte d’iceulx biens par l’inventaire qui s’en fera, etc., obligeant, etc., y
renonçant, etc. Faict et passé l’an mil cinq cens vingt six, le lundi ix juillet.
[Au dos :] Ledit Robert Estienne confesse avoir receu dudit me Josse Badius, à ce
présent, la somme de mil livres tournoiz, qui lui avoient et ont esté promis, etc.

Par son montant, cette dot trouve place dans le palmarès des « mariages
dans les plus riches familles de marchands libraires » établi par Annie
Parent-Charon, mais dans le bas du tableau toutefois22. La Bibliothèque
nationale de France conserve en outre un exemplaire des Heures à l’usage
de Rome édité par Geoffroy Tory et Simon de Colines en 1525, s’ouvrant sur
une superbe page de titre enluminée par Étienne Colaud. Un charmant
petit cœur surplombant une presse à imprimer, orné des initiales R & P, a
fait supposer que cet exemplaire-ci fut offert en cadeau de mariage pour
Robert Estienne et Perrette Bade23. En 1545, on trouve encore une
mention des époux Estienne dans le Minutier central des notaires
parisiens, à l’occasion de la constitution d’une rente24.
De cette union devaient naître neuf enfants, dont la destinée intéresse
au plus haut point l’historien du livre, de l’humanisme et de la Réforme25 :
1528/1531 ( † 1598)26. Henri II, le plus célèbre des enfants, fameux
auteur et éditeur du Thesaurus græcæ linguæ en quatre tomes (Genève, H.
Estienne, 1572). Il composa également un Traité de la conformité du langage
françois avec le grec (Genève, H. Estienne, 1565). Ennemi de l’italianisme qui
sévissait à la Cour, il composa les Deux dialogues du nouveau langage françois
italianizé (Genève, H. Estienne, 1578). On lui doit également un très
intéressant document sur ce qu’était et représentait la Foire de Francfort
au XVIe siècle27. L’enfant aura convaincu son père de lui faire apprendre
le grec avant le latin28. Plus tard, et pendant une dizaine d’années (de 1558
à 1568), il parviendra à obtenir d’Ulrich Fugger un mécénat régulier29.
Marié le 1er décembre 1555 à « Marguerite, fille de feu Pierre Pillot »30.
Leur fille Florence épousa le grand hébraïsant Isaac Casaubon31.
1530 († 1570/1571). Robert II, envoyé à Lausanne pour étudier l’hébreu,
devenu imprimeur, converti au catholicisme32. Il refusa de suivre son père
à Genève, et fut déshérité. Il parvint néanmoins à racheter les parts
d’héritage à ses frères et sœurs et à reprendre l’imprimerie de la rue
Saint-Jean-de-Beauvais en 156433. Marié à Denise Barbé († 1564), fille d’un
libraire, qui reprendra l’officine à la mort du mari, puis la transmettra à
Mamert Patisson34. Un jour qu’elle visitait l’officine de Robert II Estienne,
imprimeur du roi ‒ c’était le 21 mai 1566 très précisément ‒ Jeanne
d’Albret, reine de Navarre, composa un quatrain dédié autant « à
l’Imprimerie de R.E. » qu’à la foi réformée :
Art singulier, d’icy aux derniers ans
Representez aux enfans de ma race
Que i’ay suiuy des craignans Dieu la trace,
Afin qu’ils soyent les mesmes pas suyuants.

L’Imprimerie lui répondit dans la foulée. Une feuille in-plano, sans doute
composée et imprimée à l’occasion de la visite, a survécu jusqu’à
aujourd’hui35. On lui doit des dizaines de publications officielles en tant
qu’imprimeur du roi, par exemple un Edict et déclaration faicte par le roy
Charles IX. de ce nom sur la pacification des troubles de ce Royaume : le XIX iour
de mars, mil cinq cens soixante deux (Paris, Robert [II] Estienne, 1563). Et
nombre d’éditions scolaires, de dictionnaires. Il meurt à Genève peu après
être revenu à la religion réformée.
ca 1533/1537. Charles II, envoyé avec Robert II à Lausanne, mais pour
étudier l’hébreu. Converti au catholicisme, il fut également déshérité36.
Tailleur et fondeur de lettres à Paris37.
ca 1536 ( † après 1582). François fut envoyé à Strasbourg pour
apprendre l’allemand et le métier d’imprimeur38. Le 13 juillet 1563, il
épousa à Genève Blanche, fille de Philippe de Corguilleray et de
Marguerite de Machault39. Autorisé à exercer le métier d’imprimeur à
Genève à partir de 1562, on lui doit l’impression des Commentaires de M.
Jean Calvin sur le livre des Pseaumes (Genève, 1563)40 et les Commentaires sur
les cinq livres de Moyse (Genève, 1564)41. En mai 1563, il eut quelques
démêlés avec la censure au sujet d’un livre destiné à instruire la jeunesse,
Calvin estimant qu’il s’y trouvait des propos hérétiques42. Condamné pour
ivrognerie le 10 mai 1582, il dut s’exiler en Normandie. Selon La Caille, il y
épousa une certaine Marguerite Cave en secondes noces43. Puis il revint à
Genève. On lui doit en outre la traduction d’un pamphlet calviniste dont
l’auteur est encore discuté44.
1540, 12 décembre. Baptême de Jehanne45. Elle épousa l’imprimeur
Jean Anastaze à Genève le 8 juillet 155946.
1542, 3 mars. Baptême de Catherine47. Le 8 juillet 155948, elle épousa à
Genève l’imprimeur Étienne Anastaze ( † 1573)49. Puis, le 31 décembre
1584, Jean Servin50.
1543, 14 juin. Baptême de Jehan51.
1544, 31 janvier. Baptême de Marie52.
1546, 22 août. Baptême de Simon53.
Elizabeth Armstrong estime, avec quelque vraisemblance, que Perrette
Bade dut décéder peu après la naissance de Simon. L’enfant mourut en bas
âge, et on ne compte plus de naissance dans le couple Estienne après celle
de Simon54. La chose est vraisemblable : Robert Estienne se remarie à
Genève le 14 décembre 1550, « au sermon du matin », avec Marguerite Du
Chemin (ou Des Champs) ; le mariage est célébré par le pasteur Michel Cop
(1505 ? -1566), frère de Nicolas Cop, recteur de l’Université de Paris et
grand ami de Calvin55.
Neuf naissances au foyer des Estienne entre 1528 et 1546… Il nous faut ici
garder en mémoire le fait que, mettant au monde neuf enfants dans un
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à cette heure, que mon poil gris me donne le credit. Nous appellons
sagesse la difficulté de nos humeurs, le desgoust des choses
presentes: mais à la verité, nous ne quittons pas tant les vices,
comme nous les changeons; et, à mon opinion, en pis. Outre une
sotte et caduque fierté, un babil ennuyeux, ces humeures
espineuses et inassociables, et la superstition, et un soin ridicule des
richesses, lors que l'usage en est perdu, j'y trouve plus d'envie,
d'injustice, et de malignité. Elle nous attache plus de rides en l'esprit
qu'au visage: et ne se void point d'ames ou fort rares, qui en
vieillissant ne sentent l'aigre, et le moisi.

Take this extract, my worthy friends who are not skilled in French, or
know no more of it than a Governess may have taught you,—in the
English of John Florio, Reader of the Italian tongue unto the
Sovereign Majesty of Anna, Queen of England, Scotland, &c. and
one of the gentlemen of her Royal privy chamber, the same Florio
whom some commentators upon very insufficient grounds, have
supposed to have been designed by Shakespere in the Holofernes
of Love's Labour's Lost.

“Methinks our souls in age are subject unto more importunate


diseases and imperfections than they are in youth. I said so being
young, when my beardless chin was upbraided me, and I say it
again, now that my gray beard gives me authority. We entitle
wisdom, the frowardness of our humours, and the distaste of present
things; but in truth we abandon not vices so much as we change
them; and in mine opinion for the worse. Besides a silly and ruinous
pride, cumbersome tattle, wayward and unsociable humours,
superstition, and a ridiculous carking for wealth, when the use of it is
well nigh lost. I find the more envy, injustice and malignity in it. It sets
more wrinkles in our minds than in our foreheads, nor are there any
spirits, or very rare ones, which in growing old taste not sourly and
mustily.”

In the same spirit, recollecting perhaps this very passage of the


delightful old Gascon, one of our own poets says,
Old age doth give by too long space,
Our souls as many wrinkles as our face;

and the same thing, no doubt in imitation of Montagne has been said
by Corneille in a poem of thanks addressed to Louis XIV., when that
King had ordered some of his plays to be represented during the
winter of 1685, though he had ceased to be a popular writer,

Je vieillis, ou du moins, ils se le persuadent;


Pour bien écrire encor j'ai trop long tems écrit,
Et les rides du front passent jusqu' à l'esprit.

The opinion proceeded not in the poet Daniel from perverted


philosophy, or sourness of natural disposition, for all his affections
were kindly, and he was a tender-hearted, wise, good man. But he
wrote this in the evening of his days, when he had

out lived the date


Of former grace, acceptance and delight,

when,

those bright stars from whence


He had his light, were set for evermore;

and when he complained that years had done to him

this wrong,
To make him write too much, and live too long;

so that this comfortless opinion may be ascribed in him rather to a


dejected state of mind, than to a clear untroubled judgement. But
Hubert Languet must have written more from observation and
reflection than from feeling, when he said in one of his letters to Sir
Philip Sidney, “you are mistaken if you believe that men are made
better by age; for it is very rarely so. They become indeed more
cautious, and learn to conceal their faults and their evil inclinations;
so that if you have known any old man in whom you think some
probity were still remaining, be assured that he must have been
excellently virtuous in his youth.” Erras si credis homines fieri ætate
meliores; id nam est rarissimum. Fiunt quidem cautiores, et vitia
animi, ac pravos suos affectus occultare discunt: quod si quem
senem novisti in quo aliquid probitatis superesse judices, crede eum
in adolescentiâ fuisse optimum.

Languet spoke of its effects upon others. Old Estienne Pasquier in


that uncomfortable portion of his Jeux Poëtiques which he entitles
Vieillesse Rechignée writes as a self-observer, and his picture is not
more favourable.

Je ne nourry dans moy qu'une humeur noire,


Chagrin, fascheux, melancholic, hagard,
Grongneux, despit, presomptueux, langard,
Je fay l'amour au bon vin et au boire.

But the bottle seems not to have put him in good humour either with
others or himself.
Tout la monde me put; je vy de telle sort,
Que je ne fay meshuy que tousser et cracher,
Que de fascher autruy, et d'autruy me fascher;
Je ne supporte nul, et nul ne me supporte.
Un mal de corps je sens, un mal d'esprit je porte;
Foible de corps je veux, mais je ne puis marcher;
Foible de esprit je n'oze à mon argent toucher,
Voilà les beaux effects que la vieillesse apporte!
O combien est heureux celuy qui, de ses ans
Jeune, ne passe point la fleur de son printans,
Ou celuy qui venu s'en retourne aussi vite!
Non: je m'abuze; ainçois ces maux ce sont appas
Qui me feront un jour trouver doux mon trespas,
Quand il plaira a Dieu que ce monde je quitte.

The miserable life I lead is such,


That now the world loathes me and I loathe it;
What do I do all day but cough and spit,
Annoying others, and annoyed as much!
My limbs no longer serve me, and the wealth
Which I have heap'd, I want the will to spend.
So mind and body both are out of health,
Behold the blessings that on age attend!
Happy whose fate is not to overlive
The joys which youth, and only youth can give,
But in his prime is taken, happy he!
Alas, that thought is of an erring heart,
These evils make me willing to depart
When it shall please the Lord to summon me.

The Rustic, in Hammerlein's curious dialogues de Nobilitate et


Rusticitate, describes his old age in colours as dark as Pasquier's;
plenus dierum, he says, ymmo senex valde, id est, octogenarius, et
senio confractus, et heri et nudiustercius, ymmo plerisque
revolutionibus annorum temporibus, corporis statera recurvatus,
singulto, tussito, sterto, ossito, sternuto, balbutio, catharizo, mussico,
paraleso, gargariso, cretico, tremo, sudo, titillo, digitis sæpe geliso,
et insuper (quod deterius est) cor meum affligitur, et caput excutitur,
languet spiritus, fetet anhelitus, caligant oculi et facillant1 articuli,
nares confluunt, crines defluunt, tremunt tactus et deperit actus,
dentes putrescunt et aures surdescunt; de facili ad iram provocor,
difficili revocor, cito credo, tarde discedo.
1 Facillant is here evidently the same as vacillant. For the real meaning of facillo the
reader is referred to Du Cange in v. or to Martinii Lexicon.

The effects of age are described in language not less characteristic


by the Conte Baldessar Castiglione in his Cortegiano. He is
explaining wherefore the old man is always “laudator temporis acti;”
and thus he accounts for the universal propensity;—gli anni
fuggendo se ne portan seco molte commodità, e tra l' altre levano
dal sangue gran parte de gli spiriti vitali; onde la complession si
muta, e divengon debili gli organi, per i quali l' anima opera le sue
virtù. Però de i cori nostri in quel tempo, come allo autunno le fogli
de gli arbori, caggiono i soavi fiori di contento; e nel loco de i sereni
et chiari pensieri, entra la nubilosa e turbida tristitia di mille calamità
compagnata, di modo che non solamente il corpo, ma l' animo
anchora è infermo; ne de i passati piaceri reserva altro che una
tenace memoria, e la imagine di quel caro tempo della tenera eta,
nella quale quando ci troviamo, ci pare che sempre il cielo, e la terra,
e ogni cosa faccia festa, e rida intorno à gli occhi nostri e nel
pensiero, come in un delitioso et vago giardino, fiorisca la dolce
primavera d' allegrezza: onde forse saria utile, quando gia nella
fredda stagione comincia il sole della nostra vita, spogliandoci de
quei piaceri, andarsene verso l' occaso, perdere insieme con essi
anchor la lor memoria, e trovar (come disse Temistocle) un' arte, che
a scordar insegnasse; perche tanto sono fallaci i sensi del corpo
nostro, che spesso ingannano anchora il giudicio della mente. Però
parmi che i vecchi siano alla condition di quelli, che partendosi dal
porto, tengon gli occhi in terra, e par loro che la nave stia ferma, e la
riva si parta; e pur è il contrario; che il porto, e medesimamente il
tempo, e i piaceri restano nel suo stato, e noi con la nave della
mortalità fuggendo n' andiamo, l' un dopo l' altro, per quel procelloso
mare che ogni cosa assorbe et devora; ne mai piu pigliar terra ci è
concesso; anzi sempre da contrarii venti combattuti, al fine in
qualche scoglio la nave rompemo.

Take this passage, gentle reader, as Master Thomas Hoby has


translated it to my hand.

“Years wearing away carry also with them many commodities, and
among others take away from the blood a great part of the lively
spirits; that altereth the complection, and the instruments wax feeble
whereby the soul worketh his effects. Therefore the sweet flowers of
delight vade2 away in that season out of our hearts, as the leaves fall
from the trees after harvest; and instead of open and clear thoughts,
there entereth cloudy and troublous heaviness, accompanied with a
thousand heart griefs: so that not only the blood, but the mind is also
feeble, neither of the former pleasures retaineth it any thing else but
a fast memory, and the print of the beloved time of tender age, which
when we have upon us, the heaven, the earth and each thing to our
seeming rejoiceth and laugheth always about our eyes, and in
thought (as in a savoury and pleasant garden) flourisheth the sweet
spring time of mirth: So that peradventure, it were not unprofitable
when now, in the cold season, the sun of our life, taking away from
us our delights beginneth to draw toward the West, to lose
therewithall the mindfulness of them, and to find out as Themistocles
saith, an art to teach us to forget; for the senses of our body are so
deceivable, that they beguile many times also the judgement of the
mind. Therefore, methinks, old men be like unto them that sailing in
a vessel out of an haven, behold the ground with their eyes, and the
vessel to their seeming standeth still, and the shore goeth; and yet is
it clean contrary, for the haven, and likewise the time and pleasures,
continue still in their estate, and we with the vessel of mortality flying
away, go one after another through the tempestuous sea that
swalloweth up and devoureth all things, neither is it granted us at
any time to come on shore again; but, always beaten with contrary
winds, at the end we break our vessel at some rock.”
2 ‘Vade’ is no doubt the true word here. The double sense of it,—that is, to fade, or to
go away,—may be seen in Todd's Johnson and in Nares' Glossary. Neither of them
quote the following lines from the Earl of Surrey's Poems. They occur in his
Ecclesiastes.

We, that live on the earth, draw toward our decay,


Our children fill our place awhile, and then they vade away.

And again,

New fancies daily spring, which vade, returning mo.

“Why Sir,” said Dr. Johnson, “a man grows better humoured as he


grows older. He improves by experience. When young he thinks
himself of great consequence, and every thing of importance. As he
advances in life, he learns to think himself of no consequence, and
little things of little importance, and so he becomes more patient and
better pleased.” This was the observation of a wise and good man,
who felt in himself as he grew old, the effect of Christian principles
upon a kind heart and a vigorous understanding. One of a very
different stamp came to the same conclusion before him; Crescit
ætate pulchritudo animorum, says, Antonio Perez, quantum minuitur
eorundem corporum venustas.

One more of these dark pictures. “The heart” says Lord Chesterfield,
“never grows better by age; I fear rather worse; always harder. A
young liar will be an old one; and a young knave will only be a
greater knave as he grows older. But should a bad young heart,
accompanied with a good head, (which by the way, very seldom is
the case) really reform, in a more advanced age, from a
consciousness of its folly, as well as of its guilt; such a conversion
would only be thought prudential and political, but never sincere.”

It is remarkable that Johnson, though, as has just been seen, he felt


in himself and saw in other good men, that the natural effect of time
was to sear away asperities of character

Till the smooth temper of their age should be


Like the high leaves upon the Holly Tree,
yet he expressed an opinion closely agreeing with this of Lord
Chesterfield. “A man, he said, commonly grew wicked as he grew
older, at least he but changed the vices of youth, head-strong
passion and wild temerity, for treacherous caution and desire to
circumvent.” These he can only have meant of wicked men. But what
follows seems to imply a mournful conviction that the tendency of
society is to foster our evil propensities and counteract our better
ones: “I am always, he said, on the young people's side when there
is a dispute between them and the old ones; for you have at least a
charm for virtue, till age has withered its very root.” Alas, this is true
of the irreligious and worldly-minded, and it is generally true because
they composed the majority of our corrupt contemporaries.

But Johnson knew that good men became better as they grew older,
because his philosophy was that of the Gospel. Something of a
philosopher Lord Chesterfield was, and had he lived in the days of
Trajan or Hadrian, might have done honour to the school of
Epicurus. But if he had not in the pride of his poor philosophy shut
both his understanding and his heart against the truths of revealed
religion, in how different a light would the evening of his life have
closed.

Une raison essentielle, says the Epicurean Saint Evremond, qui


nous oblige à nous retirer quand nous sommes vieux, c'est qu'il faut
prevenir le ridicule où l'age nous fait tomber presque toujours. And in
another place he says, certes le plus honnéte-homme dont personne
n'a besoin, a de la peine a s'exempter du ridicule en vieillissant. This
was the opinion of a courtier, a sensualist, and a Frenchman.

I cannot more appositely conclude this chapter than by a quotation


ascribed, whether truly or not, to St. Bernard. Maledictum caput
canum et cor vanum, caput tremulum et cor emulum, canities in
vertice et pernicies in mente: facies rugosa et lingua nugosa, cutis
sicca et fides ficta; visus caligans et caritas claudicans; labium
pendens et dens detrahens; virtus debilis et vita flebilis; dies uberes
et fructus steriles, amici multi, et actus stulti.
CHAPTER CLXXXIV.

FURTHER OBSERVATIONS CONCERNING OLD AGE. BISHOP REYNOLDS.


OPINION OF THE DOCTOR CONCERNING BEASTS AND MEN. M. DE CUSTINE.
THE WORLD IS TOO MUCH WITH US. WORDSWORTH. SIR WALTER RALEIGH.

In these reflections, which are of a serious, and somewhat of a melancholy cast, it is


best to indulge; because it is always of use to be serious, and not unprofitable
sometimes to be melancholy.

FREEMAN'S SERMONS.

“As usurers,” says Bishop Reynolds, “before the whole debt is paid,
do fetch away some good parts of it for the loan, so before the debt
of death be paid by the whole body, old age doth by little and little,
take away sometimes one sense sometimes another, this year one
limb, the next another; and causeth a man as it were to die daily. No
one can dispel the clouds and sorrows of old age, but Christ who is
the sun of righteousness and the bright morning star.”

Yet our Lord and Saviour hath not left those who are in darkness and
the shadow of death, without the light of a heavenly hope at their
departure, if their ways have not wilfully been evil,—if they have
done their duty according to that law of nature which is written in the
heart of man. It is the pride of presumptuous wisdom (itself the worst
of follies) that has robbed the natural man of his consolation in old
age, and of his hope in death, and exacts the forfeit of that hope
from the infidel as the consequence and punishment of his sin. Thus
it was in heathen times, as it now is in countries that are called
christian. When Cicero speaks of those things which depend upon
opinion, he says, hujusmodi sunt probabilia; impiis apud inferos
pœnas esse præparatas; eos, qui philosophiæ dent operam, non
arbitrari Deos esse. Hence it appears he regarded it as equally
probable that there was an account to be rendered after death; and
that those who professed philosophy would disbelieve this as a
vulgar delusion, live therefore without religion, and die without hope,
like the beasts that perish!

“If they perish,” the Doctor, used always reverently to say when he
talked upon this subject. Oh Reader, it would have done you good as
it has done me, if you had heard him speak upon it, in his own
beautiful old age! “If they perish,” he would say. “That the beasts die
without hope we may conclude; death being to them like falling
asleep, an act of which the mind is not cognizant! But that they live
without religion, he would not say,—that they might not have some
sense of it according to their kind; nor that all things animate, and
seemingly inanimate did not actually praise the Lord, as they are
called upon to do by the Psalmist, and in the Benedicite!”

It is a pious fancy of the good old lexicographist Adam Littleton that


our Lord took up his first lodging in a stable amongst the cattle, as if
he had come to be the Saviour of them as well as of men; being by
one perfect oblation of himself, to put an end to all other sacrifices,
as well as to take away sins. This, he adds the Psalmist fears not to
affirm speaking of God's mercy. “Thou savest,” says he, “both man
and beast.”

The text may lead us further than Adam Littleton's interpretation.

“Qu'on ne me parle plus de NATURE MORTE, says M. de Custine, in his


youth and enthusiasm, writing from Mont-Auvert; on sent ici que la
Divinité est partout, et que les pierres sont pénétrées comme nous-
mêmes d'une puissance créatrice! Quand on me dit que les rochers
sont insensibles, je crois entendre un enfant soutenir que l'aiguille
d'une montre ne marche pas, parce qu'il ne la voit pas se mouvoir.”
Do not, said our Philosopher, when he threw out a thought like this,
do not ask me how this can be! I guess at every thing, and can
account for nothing. It is more comprehensible to me that stocks and
stones should have a sense of devotion, than that men should be
without it. I could much more easily persuade myself that the birds in
the air, and the beasts in the field have souls to be saved, than I can
believe that very many of my fellow bipeds have any more soul than,
as some of our divines have said, serves to keep their bodies from
putrefaction. “God forgive me, worm that I am! for the sinful thought
of which I am too often conscious,—that of the greater part of the
human race, the souls are not worth saving!”—I have not forgotten
the look which accompanied these words, and the tone in which he
uttered them, dropping his voice toward the close.

We must of necessity, said he, become better or worse as we


advance in years. Unless we endeavour to spiritualize ourselves,
and supplicate in this endeavour for that Grace which is never
withheld when it is sincerely and earnestly sought, age bodilizes us
more and more, and the older we grow the more we are embruted
and debased: so manifestly is the awful text verified which warns us
that “unto every one which hath shall be given, and from him that
hath not, even that he hath shall be taken away from him.” In some
the soul seems gradually to be absorbed and extinguished in its
crust of clay; in others as if it purified and sublimed the vehicle to
which it was united. Viget animus, et gaudet non multum sibi esse
cum corpore; magnam oneris partem sui posuit.1 Nothing therefore is
more beautiful than a wise and religious old age; nothing so pitiable
as the latter stages of mortal existence—when the World and the
Flesh, and that false philosophy which is of the Devil, have secured
the victory for the Grave!
1 SENECA.

“He that hath led a holy life,” says one of our old Bishops, “is like a
man which hath travelled over a beautiful valley, and being on the
top of a hill, turneth about with delight, to take a view of it again.” The
retrospect is delightful, and perhaps it is even more grateful if his
journey has been by a rough and difficult way. But whatever may
have been his fortune on the road, the Pilgrim who has reached the
Delectable Mountains looks back with thankfulness and forward with
delight.

And wherefore is it not always thus? Wherefore, but because as


Wordsworth has said,

The World is too much with us, late and soon


Getting and spending, we lay waste our powers.

“Though our own eyes,” says Sir Walter Raleigh, “do every where
behold the sudden and resistless assaults of Death, and Nature
assureth us by never failing experience, and Reason by infallible
demonstration, that our times upon the earth have neither certainty
nor durability, that our bodies are but the anvils of pain and diseases,
and our minds the hives of unnumbered cares, sorrows and
passions; and that when we are most glorified, we are but those
painted posts against which Envy and Fortune direct their darts; yet
such is the true unhappiness of our condition, and the dark
ignorance which covereth the eyes of our understanding, that we
only prize, pamper, and exalt this vassal and slave of death, and
forget altogether, or only remember at our cast-away leisure, the
imprisoned immortal Soul, which can neither die with the reprobate,
nor perish with the mortal parts of virtuous men; seeing God's justice
in the one, and his goodness in the other, is exercised for evermore,
as the everliving subjects of his reward and punishment. But when is
it that we examine this great account? Never, while we have one
vanity left us to spend! We plead for titles till our breath fail us; dig for
riches whilst our strength enableth us; exercise malice while we can
revenge; and then when time hath beaten from us both youth,
pleasure and health, and that Nature itself hateth the house of Old
Age, we remember with Job that ‘we must go the way from whence
we shall not return, and that our bed is made ready for us in the
dark.’ And then I say, looking over-late into the bottom of our
conscience, which Pleasure and Ambition had locked up from us all
our lives, we behold therein the fearful images of our actions past,
and withal this terrible inscription that ‘God will bring every work into
judgement that man hath done under the Sun.’

“But what examples have ever moved us? what persuasions


reformed us? or what threatenings made us afraid? We behold other
mens tragedies played before us; we hear what is promised and
threatened; but the world's bright glory hath put out the eyes of our
minds; and these betraying lights, with which we only see, do neither
look up towards termless joys, nor down towards endless sorrows,
till we neither know, nor can look for anything else at the world's
hands.—But let us not flatter our immortal Souls herein! For to
neglect God all our lives, and know that we neglect Him; to offend
God voluntarily, and know that we offend Him, casting our hopes on
the peace which we trust to make at parting, is no other than a
rebellious presumption, and that which is the worst of all, even a
contemptuous laughing to scorn, and deriding of God, his laws and
precepts. Frustrà sperant qui sic de misericordiâ Dei sibi blandiuntur;
they hope in vain, saith Bernard, which in this sort flatter themselves
with God's mercy.”

CHAPTER CLXXXV.

EVOLVEMENTS. ANALOGIES. ANTICIPATIONS.


I have heard, how true
I know not, most physicians as they grow
Greater in skill, grow less in their religion;
Attributing so much to natural causes,
That they have little faith in that they cannot
Deliver reason for: this Doctor steers
Another course.
MASSINGER.

I forget what poet it is, who, speaking of old age, says that

The Soul's dark mansion, battered and decayed,


Lets in new light through chinks that time has made;

a strange conceit, imputing to the decay of our nature that which


results from its maturation.

As the ancients found in the butterfly a beautiful emblem of the


immortality of the Soul, my true philosopher and friend looked, in like
manner, upon the chrysalis as a type of old age. The gradual
impairment of the senses and of the bodily powers, and the
diminution of the whole frame as it shrinks and contracts itself in age,
afforded analogy enough for a mind like his to work on, which quickly
apprehended remote similitudes, and delighted in remarking them.
The sense of flying in our sleep, might probably, he thought, be the
anticipation or forefeeling of an unevolved power, like an aurelia's
dream of butterfly motion.

The tadpole has no intermediate state of torpor. This merriest of all


creatures, if mirth may be measured by motion, puts out legs before
it discards its tail and commences frog. It was not in our outward
frame that the Doctor could discern any resemblance to this process;
but he found it in that expansion of the intellectual faculties, those
aspirations of the spiritual part, wherein the Soul seems to feel its
wings and to imp them for future flight.
One has always something for which to look forward, some change
for the better. The boy in petticoats longs to be drest in the
masculine gender. Little boys wish to be big ones. In youth we are
eager to attain manhood, and in manhood matrimony becomes the
next natural step of our desires. “Days then should speak, and
multitude of years should teach wisdom;” and teach it they will, if
man will but learn, for nature brings the heart into a state for
receiving it.

Jucundissima est ætas devexa jam, non tamen præceps; et illam


quoque in extremâ regulâ stantem, judico habere suas voluptates;
aut hoc ipsum succedit in locum voluptatum, nullis egere. Quam
dulce est, cupiditates fatigasse ac reliquisse!1 This was not Dr.
Dove's philosophy: he thought the stage of senescence a happy
one, not because we outgrow the desires and enjoyments of youth
and manhood, but because wiser desires, more permanent
enjoyments, and holier hopes succeed to them,—because time in its
course brings us nearer to eternity, and as earth recedes, Heaven
opens upon our prospect.
1 SENECA.

“It is the will of God and nature,” says Franklin, “that these mortal
bodies be laid aside when the soul is to enter into real life. This is
rather an embryo state, a preparation for living. A man is not
completely born until he be dead. Why, then, should we grieve that a
new child is born among the immortals, a new member added to
their happy society? We are spirits. That bodies should be lent us,
while they can afford us pleasure, assist us in acquiring knowledge,
or in doing good to our fellow-creatures, is a kind and benevolent act
of God. When they become unfit for these purposes, and afford us
pain instead of pleasure, instead of an aid become an encumbrance,
and answer none of the intentions for which they were given, it is
equally kind and benevolent, that a way is provided by which we may
get rid of them. Death is that way.”

“God,” says Fuller, “sends his servants to bed, when they have done
their work.”
This is a subject upon which even Sir Richard Blackmore could write
with a poet's feeling.

Thou dost, O Death, a peaceful harbour lie


Upon the margin of Eternity;
Where the rough waves of Time's impetuous tide
Their motion lose, and quietly subside:
Weary, they roll their drousy heads asleep
At the dark entrance of Duration's deep.
Hither our vessels in their turn retreat;
Here still they find a safe untroubled seat,
When worn with adverse passions, furious strife,
And the hard passage of tempestuous life.

Thou dost to man unfeigned compassion show,


Soothe all his grief, and solace all his woe.
Thy spiceries with noble drugs abound,
That every sickness cure and every wound.
That which anoints the corpse will only prove
The sovereign balm our anguish to remove.
The cooling draught administered by thee,
O Death! from all our sufferings sets us free.
Impetuous life is by thy force subdued,
Life, the most lasting fever of the blood.
The weary in thy arms lie down to rest,
No more with breath's laborious task opprest.
Hear, how the men that long life-ridden lie,
In constant pain, for thy assistance cry,
Hear how they beg and pray for leave to die.
For vagabonds that o'er the country roam,
Forlorn, unpitied and without a home,
Thy friendly care provides a lodging-room.
The comfortless, the naked, and the poor,
Much pinch'd with cold, with grievous hunger more,
Thy subterranean hospitals receive,
Assuage their anguish and their wants relieve.
Cripples with aches and with age opprest,
Crawl on their crutches to the Grave for rest
Crawl on their crutches to the Grave for rest.
Exhausted travellers that have undergone
The scorching heats of life's intemperate zone,
Haste for refreshment to their beds beneath
And stretch themselves in the cool shades of death.
Poor labourers who their daily task repeat,
Tired with their still returning toil and sweat,
Lie down at last; and at the wish'd for close
Of life's long day, enjoy a sweet repose.

Thy realms, indulgent Death, have still possest


Profound tranquillity and unmolested rest.
No raging tempests, which the living dread,
Beat on the silent regions of the dead:
Proud Princes ne'er excite with war's alarms
Thy subterranean colonies to arms.
They undisturbed their peaceful mansions keep,
And earthquakes only rock them in their sleep.

Much has been omitted, which may be found in the original, and one
couplet removed from its place; but the whole is Blackmore's.

CHAPTER CLXXXVI.

LEONE HEBREO'S DIALOGI DE AMORE.—THE ELIXIR OF LIFE NO OBSTACLE


TO DEATH.—PARACELSUS.—VAN HELMONT AND JAN MASS.—DR. DOVE'S
OPINION OF A BIOGRAPHER'S DUTIES.

There's a lean fellow beats all conquerors!

OLD FORTUNATUS.
In Leone Hebreo's Dialogi de Amore, one of the interlocutors says,
“Vediamo che gli huomini naturalmente desiano di mai non morire;
lagual cosa è impossibile, manifesta, e senza speranza.” To which
the other replies, “Coloro chel desiano, non credeno interamente che
sia impossibile, et hanno inteso per le historie legali, che Enoc, et
Elia, et ancor Santo Giovanni Evangelista sono immortali in corpo, et
anima: se ben veggono essere stato per miracolo: onde ciascuno
pensa che à loro Dio potria fare simil miracolo. E però con questa
possibilita si gionta qualche remota speranza, laquale incita un lento
desiderio, massimamente per essere la morte horribile, e la
corruttione propria odiosa à chi si vuole, et il desiderio non è d'
acquistare cosa nuova, ma di non perdere la vita, che si truova;
laquale havendosi di presente, è facil cosa ingannarsi l'huomo à
desiare che non si perda; se ben naturalmente è impossibile: chel
desiderio di ciò è talmente lento, che può essere di cosa impossibile
et imaginabile, essendo di tanta importantia al desiderante. Et
ancora ti dirò chel fondamento di questo desiderio non è vano in se,
se bene è alquanto ingannoso, però chel desiderio dell' huomo
d'essere immortale è veramente possibile; perche l'esentia dell'
huomu, (come rettamente Platon vuole) non è altro che la sua anima
intellettiva, laquale per la virtu, sapientia, cognitione, et amore divino
si fa gloriosa et immortale.”

Paracelsus used to boast that he would not die till he thought proper
so to do, thus wishing it to be understood that he had discovered the
Elixir of life. He died suddenly, and at a time when he seemed to be
in full health; and hence arose a report, that he had made a compact
with the Devil, who enabled him to perform all his cures, but came
for him as soon as the term of their agreement was up.

Wherefore indeed should he have died by any natural means who so


well understood the mysteries of life and of death. What, says he, is
life? Nihil meherclè vita est aliud, nisi Mumia quædam Balsamita
conservans mortale corpus à mortalibus vermibus, et eschara cum
impressâ liquoris salium commisturâ. What is Death? Nihil certe
aliud quam Balsami dominium, Mumiæ interitus, salium ultima
materia. Do you understand this, Reader? If you do, I do not.

But he is intelligible when he tells us that Life may be likened to Fire,


and that all we want is to discover the fuel for keeping it up,—the
true Lignum Vitæ. It is not against nature, he contends, that we
should live till the renovation of all things; it is only against our
knowledge, and beyond it. But there are medicaments for prolonging
life; and none but the foolish or the ignorant would ask why then is it
that Princes and Kings who can afford to purchase them, die
nevertheless like other people. The reason says the great Bombast
von Hohenheim is that their physicians know less about medicine
than the very boors, and moreover that Princes and Kings lead
dissolute lives. And if it be asked why no one except Hermes
Trismegistus has used such medicaments; he replies that others
have used them, but have not let it be known.

Van Helmont was once of opinion that no metallic preparation could


contain in itself the blessing of the Tree of Life, though that the
Philosopher's stone had been discovered was a fact that consisted
with his own sure knowledge. This opinion however was in part
changed, in consequence of some experiments made with an aurific
powder, given him by a stranger after a single evening's
acquaintance; (vir peregrinus, unius vesperi amicus:) these
experiments convinced him that the stone partook of what he calls
Zoophyte life, as distinguished both from vegetative and sensitive.
But the true secret he thought, must be derived from the vegetable
world, and he sought for it in the Cedar, induced, as it seems, by the
frequent mention of that tree in the Old Testament. He says much
concerning the cedar,—among other things, that when all other
plants were destroyed by the Deluge, and their kinds preserved only
in their seed, the Cedars of Lebanon remained uninjured under the
waters. However when he comes to the main point, he makes a full
stop, saying, Cætera autem quæ de Cedro sunt, mecum sepelientur:
nam mundus non capax est. It is not unlikely that if his mysticism
had been expressed in the language of intelligible speculation, it
might have been found to accord with some of Berkeley's theories in
the Siris. But for his reticence upon this subject, as if the world were
not worthy of his discoveries, he ought to have been deprived of his
two remaining talents. Five he tells us he had received for his
portion, but because instead of improving them, he had shown
himself unworthy of so large a trust, he by whom they were given
had taken from him three. “Ago illi gratias, quod cum contulisset in
me quinque talenta, fecissemque me indignum, et hactenus
repudium coram eo factus essem, placuit divinæ bonitati, auferre à
me tria, et relinquere adhuc bina, ut me sic ad meliorem frugem
exspectaret. Maluit, inquam, me depauperare et tolerare, ut non
essem utilis plurimis, modò me salvaret ab hujus mundi periculis. Sit
ipsi æterna sanctificatio.”

He has however informed posterity of the means by which he


prolonged the life of a man to extreme old age. This person whose
name was Jan Mass, was in the service of Martin Rythovius, the first
Bishop of Ypres, when that prelate, by desire of the illustrious
sufferers, assisted at the execution of Counts Egmond and Horn.
Mass was then in the twenty-fifth year of his age. When he was fifty-
eight, being poor, and having a large family of young children, he
came to Van Helmont, and entreated him to prolong his life if he
could, for the sake of these children, who would be left destitute in
case of his death, and must have to beg their bread from door to
door. Van Helmont, then a young man, was moved by such an
application, and considering what might be the likeliest means of
sustaining life in its decay, he called to mind the fact that wine is
preserved from corruption by the fumes of burnt brimstone; it then
occurred to him that the acid liquor of sulphur, acidum sulfuris
stagma, (it is better so to translate his words than to call it the
sulphuric acid,) must of necessity contain the fumes and odour of
sulphur, being, according to his chemistry, nothing but those fumes
of sulphur, combined with, or imbibed in, its mercurial salt. The next
step in his reasoning was to regard the blood as the wine of life; if
this could be kept sound, though longevity might not be the
necessary consequence, life would at least be preserved from the
many maladies which arose from its corruption, and the sanity, and
immunity from such diseases, and from the sufferings consequent

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