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Philippot Ier le nouveau visage du Front

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EAN : 978-2-259-25332-1

© Editions Plon, un département d’Edi8, 2017


12, avenue d’Italie
75013 Paris
Tél. : 01 44 16 09 00
Fax : 01 44 16 09 01
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de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales. »

Composition numérique réalisée par Facompo


Quo non ascendet ?
(« Jusqu’où ne montera-t-il pas ? »)
Devise de Nicolas Fouquet,
ministre de Louis XIV
Prologue

« Mais qui a envie de lire un livre sur Florian Philippot ? » Voilà une
question qui est souvent revenue au cours des entretiens que nous avons pu
mener avec ceux qui, au sein du Front national, n’apprécient que
moyennement l’émergence d’un Philippot, premier du nom. Car,
finalement, le FN s’est d’abord construit sur la popularité d’un homme et
d’un seul : Jean-Marie Le Pen. « Mégalomaniaque », « pervers
narcissique », « tribun hors pair », « visionnaire », « attachant » : nous
avons tout entendu sur le Patriarche, au cours de cette année d’enquête.
Preuve, s’il en est, qu’il est encore un élément du jeu frontiste. L’histoire du
Front national ne peut se comprendre sans y associer celle de la famille, du
clan Le Pen. Ce lien indéfectible qui unit Jean-Marie, Marine et Marion,
malgré leurs divergences et leurs colères.
Alors, quand on ne vient pas du clan, qu’on est en dehors du cercle
familial et politique, ou, pire, qu’on essaie de transformer un mouvement
vieux de plus de quarante ans, il faut s’accrocher. Avoir un très bon sens
politique, un sacré caractère et être, en somme, prêt à tout. C’est ce qui nous
a conduites à nous pencher sur Florian Philippot. Un homme venu de la
gauche dans un parti qui la hait, un gaulliste au pays de l’OAS, un
redistributeur chez les conservateurs, un souverainiste convaincu dans la
sphère la plus nationaliste du paysage politique. Un curieux personnage
pour les militants historiques. Qui plus est, parce qu’il lui aura fallu
seulement deux ans pour se frayer un chemin, de l’ombre à la lumière
frontiste. Une ascension fulgurante pour ce jeune haut fonctionnaire
propulsé directeur de la campagne présidentielle de Marine Le Pen en 2012,
devenu vice-président du Front national en charge de la stratégie et de la
communication et député européen. Comment a-t-il pu gravir les échelons
aussi rapidement, lui qui est tant conspué en interne ? Qui se cache derrière
cette image lisse et pourtant accro aux médias ?
Notre enquête nous a aussi bien menées au Parlement européen de
Strasbourg, au siège du Front national à Nanterre et à l’Assemblée nationale
que dans le sud-est de Paris, aux abords de la porte d’Auteuil ou du
boulevard Murat. Non loin de Radio Courtoisie et de la chaîne de
« réinformations » TV Libertés, c’est dans ces quartiers que nos
interlocuteurs semblaient assez à leur aise pour oser, comme Philippe
Péninque, saluer une connaissance à la manière des fascistes, ou pour
déjeuner, comme David Rachline bien avant qu’il ne soit nommé directeur
de campagne, avec le très extrême Frédéric Chatillon. Tous ont accepté de
nous répondre, sauf Louis Aliot qui ne nous a jamais rappelées, et Damien
Philippot qui n’a pas trouvé de temps dans son agenda surchargé.
Des dessous de l’affaire Closer qui révèle au public son homosexualité
en passant par sa relation unique avec Marine Le Pen, et la toile stratégique
qu’il tisse en vue d’assurer son propre avenir, voici ce que nous avons pu
apprendre sur Florian Philippot, ce personnage clé de la transformation du
FN, cet homme qui a pour objectif ultime de faire accéder Marine Le Pen
au pouvoir, à tout prix.
1
Une campagne décisive

2017. C’est la campagne de sa vie. Celle qui va décider de son sort.


Florian Philippot donne tout au Front national depuis le jour où il a
rencontré Marine Le Pen, un soir de 2009 dans un café parisien1. Son
engagement est total pour la candidate à la présidentielle. Son rôle de
numéro deux n’a, depuis, jamais été remis en cause. Philippot a pris un
poids essentiel dans un appareil dont il n’est pas originaire mais qu’il a
largement contribué à transformer, sans hésiter à écarter ceux qui ne
correspondaient pas à l’idée qu’il s’en faisait. Marine Le Pen lui a accordé
sa pleine confiance. Cependant, à l’aube de l’élection présidentielle, Florian
Philippot n’a, cette fois, plus le droit à l’erreur. Beaucoup lui reprochent
encore sa campagne précédente. « Je n’ai jamais trouvé les discours
de 2012 transcendants », se souvient un membre de la famille de
Marine Le Pen bien placé dans le parti. « Moi, j’ai déjà été au second tour
d’une élection présidentielle », lance, piquant, un ancien proche de Jean-
Marie Le Pen qui a coutume de rappeler que Marine Le Pen n’a obtenu
qu’un point de plus que son père, dix ans après lui. « Alors que nos idées
avaient beaucoup progressé dans l’opinion2. » Les historiques, ceux qui
connaissent le FN depuis des décennies, ont très mal vécu l’importance
qu’a prise Florian Philippot auprès de Marine Le Pen. Tous louent sa force
de travail, son dévouement, la professionnalisation qu’il a introduite dans
un parti où l’on faisait souvent passer la convivialité d’une entreprise
familiale avant la réalité des chiffres ou la stratégie. Il ne s’agissait pas de
gagner à cette époque-là. Mais nombreux sont ceux qui sont en désaccord
total avec sa ligne politique qui mêle un gaullisme « niveau école
maternelle », selon Paul-Marie Coûteaux3, à un courant souverainiste dont il
est politiquement issu et qui constitue sa marque de fabrique. Cette alliance,
très marquée à gauche pour le parti des petits artisans libéraux, ne passe pas
très bien. L’élection de François Fillon lors de la primaire de la droite a
conforté Florian Philippot et Marine Le Pen dans l’idée d’affirmer encore
un peu plus la ligne sociale, à destination des catégories populaires, celles
dont font partie les déçus du hollandisme, les victimes de la crise, les
« oubliés », ceux qui s’opposent à la loi Travail4 et au programme de
« casse sociale » déjà annoncé par le candidat de la droite. « Philippot
oublie un peu vite que dans notre électorat, il n’y a pas que des couches
populaires », souffle Jean-Yves Le Gallou, théoricien de la préférence
nationale, aujourd’hui en retrait du FN pour ses positions à l’ultra-droite.
Mais son constat est partagé par d’autres au sein du parti. Même par
certains membres des comités chargés de préparer le programme de la
candidate pour 2017, pourtant pilotés par Florian Philippot. C’est le cas du
comité « Audace », des jeunes actifs du FN qui réfléchissent aux
propositions de Marine Le Pen à destination du monde de l’entreprise. Le
24 novembre 2016, jour du débat de l’entre-deux-tours de la primaire de la
droite, ils sont une trentaine, réunis sur le toit-terrasse d’un appartement
cossu du XVIe arrondissement de Paris, près du Trocadéro. Le tout nouveau
président du collectif, François de Voyer, introduit le débat par un mot
d’accueil : « Ce soir, vous avez préféré être là plutôt que d’écouter le
géopoliticien de la Sarthe et Ali Juppé. » La salle se divise entre rires francs
et silences gênés. Ce type de dénomination dont fera l’objet plus tard
François Fillon – rebaptisé « Farid Fillon » – est utilisé par la fachosphère
et divise le parti, entre ceux qui estiment qu’il faut dénoncer « la porosité
des élus Les Républicains avec l’islam » et ceux qui ne considèrent pas ces
attaques du niveau d’un parti politique qui aspire à gouverner la France. Ce
soir de novembre, « les jeunes actifs patriotes » sont venus écouter Jean
Messiha, haut fonctionnaire d’origine égyptienne, récemment sorti de
l’ombre, et qui a pris la tête du collectif « Les Horaces », chargé de préparer
les cent premiers jours de gouvernance de Marine Le Pen si elle parvenait
au pouvoir en 2017. Le thème du débat : « Pourquoi le FN est-il devenu un
parti de gouvernement ? » Dans la salle, la première question est posée par
un trentenaire assis au premier rang : « Que pouvons-nous répondre à ceux
qui hésitent à venir chez nous à cause de notre programme trotsko-
communiste ? » Rires aux éclats. Le participant ne se démonte pas et
poursuit : « Je suis sérieux, moi ça me pose un problème, il faut qu’on
baisse les charges, qu’on libère un peu le travail ! » Dans le public, de
nombreux participants acquiescent. Ce discours-là, Florian Philippot ne
veut pas l’entendre. Il compte sur les classes populaires pour faire grossir
les rangs du Front, pas sur les bourgeois. Marine Le Pen y souscrit
également. Mais ils laissent derrière eux une grande partie du mouvement,
dont fait partie Marion Maréchal-Le Pen, qui espère un jour un
rassemblement de toutes les droites, traditionnelle, libérale et nationale.
Philippe de Villiers incarne
cette « droite hors les murs » qu’appellent également de leurs vœux Robert
Ménard, Jean-Frédéric Poisson, voire, pourquoi pas un jour, Nicolas
Dupont-Aignan. Philippot refuse catégoriquement ce « mantra de l’union
des droites » et préfère ironiser : « Donc expliquez-moi, ces gens-là veulent
une alliance avec la droite, face à des gens de droite ? Face à François
Fillon ? C’est intéressant… Je pense que je vais leur offrir “La stratégie
pour les nuls”5. »

A la veille de la présidentielle la plus incertaine de la Ve République,


trois scénarios se préparent pour le stratège de ce Front national new-look.
Soit sa candidate remporte l’élection présidentielle. Un événement, un choc,
un tremblement de terre bien plus important que celui qui avait conduit
Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002. Dans
ce cas-là, tous les observateurs verront en Florian Philippot l’artisan de la
victoire, l’homme qui aura réussi l’impensable : faire entrer l’extrême droite
à l’Elysée, par la grande porte. Un exploit. Le champ des possibles
s’élargira alors également pour lui. Premier ministre ? C’est l’option la
plus probable. « Il en a la volonté et il serait le plus indiqué pour le poste. Il
est celui qui a le plus grand sang-froid6 », observe Wallerand de Saint-Just,
trésorier du parti et très introduit auprès de Marine Le Pen. Ministre de
l’Economie ? L’idée revient souvent. Président de l’Assemblée nationale ?
Encore faudrait-il qu’il remporte sa législative à Forbach, persiflent ses
détracteurs. Président du FN ? Pas assez soutenu par la base. Et pourquoi
pas… Le Quai d’Orsay ? Certaines sources bien informées évoquent cette
possibilité pourtant assez surprenante au vu de son parcours et de ses
thèmes de prédilection. « Il n’y a pas de sujets qui ne m’intéressent pas. Le
ministère des Affaires étrangères, oui, pourquoi pas, mais aussi l’Education,
l’Intérieur, l’Economie…7. » C’est rare, mais en ce début d’année 2017,
comme s’il avait formulé le vœu de ne plus avoir peur de parler de lui,
Philippot évoque ouvertement son ambition personnelle. Très vite
cependant, il se reprend : « C’est Marine qui décidera. J’irai où elle
voudra. »
Deuxième scénario, Marine Le Pen se qualifie pour le second tour, mais
n’arrive pas à gagner l’élection. Le parti manque désespérément de réserves
de voix. Une fois de plus, le fameux plafond de verre a tenu bon : les
Français ne sont pas prêts à laisser le Front national s’emparer du pouvoir.
Cette possibilité est d’ores et déjà ressentie comme un potentiel échec par
Florian Philippot : « Pour que ce soit une victoire, il faut qu’elle gagne
l’élection présidentielle. Sinon, ce serait une déception. En mon for
intérieur, je suis convaincu qu’elle peut l’emporter, mais je sais que ce sera
difficile8. » Il sait également qu’une telle configuration serait extrêmement
négative pour lui. Car les couteaux sont aiguisés chez ceux qui n’adhèrent
pas à sa ligne. « Si ça ne se passe pas bien à la présidentielle, on va voir ce
qu’on va voir ! » prévient Robert Ménard en secouant la main comme pour
prévenir un enfant qui aurait fait une bêtise. « Ça ne va pas passer comme
une lettre à la poste ! Si elle est en tête au premier tour mais qu’elle ne
progresse pas au second, il y a trop de tiraillements sur les lignes pour que
cela passe inaperçu9. » « Si Marine ne remporte pas la présidentielle, il va
s’en prendre plein la gueule », abonde Gilbert Collard, qui serait même prêt
à se présenter à l’élection du comité central lors du prochain congrès10
uniquement pour « virer Philippot11 ».
Cette haine tenace serait alors exacerbée si le troisième scénario se
produit : une élimination dès le premier tour de la présidentielle. Ce serait le
pire échec du Front national depuis l’arrivée de Florian Philippot. Une
déculottée pour le parti que tous les sondages qualifient au second tour
depuis plus de deux ans. Difficilement concevable pour les membres de
l’équipe de campagne qui perçoivent 2017 comme une élection gagnable,
« bien différente de celle de 2012 », reconnaît aujourd’hui Philippot. Son
destin, intimement lié à celui de Marine Le Pen, se dessinerait alors en
fonction d’elle. « Par le fait du Prince, il pourrait disparaître. Elle peut
décider de le larguer pour se sauver elle-même », prédit-on dans les couloirs
du Carré, le siège du Front national. De même pour l’hypothèse selon
laquelle elle pourrait arrêter la politique en cas de défaite. Dans ce cas-là, il
sera impossible pour Philippot de prétendre occuper la place du chef. Il sera
désigné comme le responsable de la défaite. Il validera alors la théorie de
« la place des maudits », celle occupée par tous les numéros deux du Front
national depuis sa création et qui ont toujours fini aux oubliettes. Les
Mégret, Stirbois et consorts. Peut-être le retrouvera-t-on alors dans une
nouvelle famille politique… Cependant, aujourd’hui, dans le clan de
Florian Philippot, personne n’envisage de rupture avec Marine Le Pen.
« C’est impossible », affirme avec aplomb Joffrey Bollée, son directeur de
cabinet. « On a traversé trop de choses ensemble, des victoires, des
déceptions. Je ne l’imagine pas », évacue Philippot. Il faut dire que, pour le
moment, Marine Le Pen a toujours donné raison à son numéro deux, malgré
les très nombreuses critiques qu’il suscite au sein du parti. Pour l’instant, le
vice-président du FN n’a commis aucune erreur. Il a même réussi à écarter
la plupart de ses nombreux ennemis en interne. A commencer par un certain
Jean-Marie Le Pen.

1. Voir chapitre 3.

2. Jean-Marie Le Pen obtient 16,8 % au premier tour de l’élection présidentielle de 2002, Marine Le Pen 17,9 % en
2012. Mais elle devance son père de plus d’un million et demi de voix.

3. Intellectuel souverainiste à l’origine de la rencontre de Marine Le Pen et Florian Philippot (voir chapitre 3).

4. Loi portée par la ministre du Travail Myriam El Khomri et adoptée à l’aide de l’article 49-3 par le Premier
ministre Manuel Valls en 2016.

5. Entretien avec l’une des auteurs (3 janvier 2017).

6. Entretien avec les auteurs (8 septembre 2016).

7. Entretien avec l’une des auteurs (3 janvier 2017).

8. Entretien avec l’une des auteurs (3 janvier 2017).

9. Entretien avec les auteurs (30 septembre 2016).

10. Le XVIe Congrès du Front national, prévu à l’automne 2017.

11. Entretien avec l’une des auteurs (21 décembre 2016).


2
Le bureau d’exécution du Patriarche

Il devrait attendre sagement dans son bureau de la rue des Suisses à


Nanterre. Ce n’est pas vraiment dans son style d’être calme, de
« patienter », mais il sait qu’aujourd’hui il n’a pas le choix : s’il court,
comme à son habitude, les plateaux de télévision, il sera perçu comme
l’homme qui fanfaronne. Au contraire, s’il se rend au bureau exécutif, c’est
l’étiquette de traître que Jean-Marie Le Pen lui collera immédiatement sur
le front. Une sorte de Mazarin de Louis XIV… même si le Cardinal a eu
« le bon goût » de mourir à la majorité du roi, ironise-t-on en coulisse.
Nous sommes le 20 août 2015 et Florian Philippot n’a donc pas d’autres
choix, il faut qu’il prenne le large, délaisse ce grand bureau qu’il a essayé
d’arranger à son goût, comme pour créer un environnement rassurant dans
ce parti qui lui est de plus en plus hostile. Tout autour de lui, bien sûr, des
photos officielles du général de Gaulle, son idole. Pour avoir abandonné
l’Algérie française, Philippot sait que le Grand Charles est très mal perçu au
sein du Front national – peut-être est-ce même l’un des points communs
entre les deux hommes – mais tant pis, son admiration est plus forte. Et
puis, il faut dire qu’il n’a que faire des critiques. Au contraire, il s’arrange
toujours, par exemple, pour se montrer à Colombey-les-Deux-Eglises
chaque 9 novembre, anniversaire de la mort du premier président de la
Ve République, pour déposer une gerbe de fleurs sur sa tombe. Histoire de
dire que rien ne l’atteint. Et peut-être un peu aussi qu’il n’est pas prêt aux
concessions.
A la droite de son bureau, lorsqu’il regarde la porte, un immense
drapeau du Québec, poste avancé de la francophonie en Amérique du Nord,
et qu’il affectionne particulièrement. Un autre point commun avec le
Général. Et face à lui, sur une petite table à part, une sorte de sanctuaire où
se mêlent tirage de lui scandant à la tribune et photo officielle du président
de Gaulle. Et surtout, une ancienne édition des meilleurs discours gaullistes
offerts, dit-il, par le président d’honneur du Front national lui-même, en des
temps où, même s’ils n’étaient pas amis, ils n’étaient pas ennemis non plus.
Etrange venant de la part d’un homme qui revendique encore aujourd’hui sa
haine pour celui qui a « bradé la France »… Cependant, il n’y a pas si
longtemps, Philippot était encore un illustre inconnu du grand public, un
jeune haut fonctionnaire tout juste sorti de l’ENA et qui « traînait dans les
couloirs du FN, sans que personne ne sache précisément mettre une
fonction ou un nom sur son visage ». Pas vraiment une menace pour le
cofondateur du Front. Pas encore.
Le Pen père savait déjà que le petit nouveau n’était au parti que pour et
par Marine, et qu’il n’avait pas voté pour lui en 2002, mais il savait aussi
qu’il n’avait pas manifesté contre lui pendant l’entre-deux-tours puis qu’il
avait mis un bulletin blanc dans l’urne. Ce qui n’était pas un si mauvais
début pour cet homme qui n’est « qu’énarque et HEC, ce qui ne prédispose
pas forcément à une culture générale étendue1 ». Pour amadouer le grand
chef, Philippot a bien tenté de l’inviter une ou deux fois à déjeuner, mais le
courant n’est pas franchement passé. Pour l’un, ce sont des « déjeuners où
Jean-Marie Le Pen passe 80 % de son temps à parler, ce qui est bien normal
étant donné son âge et ce qu’il a vécu. Il est tout de même devenu député
pour la première fois sous la IVe République2 ». Pour l’autre, ce sont des
moments « où l’on parlait des choses de la vie, de la politique du moment…
Ce n’est pas Socrate3 ! ». Bref, Jean-Marie Le Pen et Florian Philippot se
croisent rarement dans les couloirs du Carré. Sans que cela soit à regret.
Ni l’un ni l’autre ne se doutent alors de l’hostilité réciproque qu’ils
nourrissent déjà. En signe de sa bonne foi, Philippot dévoile d’ailleurs
volontiers un message vocal que lui a laissé Le Pen père un 19 décembre
2014, avant la rupture définitive. Un message d’amitié comme il pouvait y
en avoir fréquemment et dans lequel le Menhir jette d’une voix mal assurée
mais enjouée un : « Je viens de t’entendre sur BFMTV. Tu as été parfait !
Bravo ! [rires] Allez, à demain. » De son côté, Jean-Marie Le Pen raconte à
qui veut l’entendre qu’« il n’y a de rivalités qu’entre des gens qui sont
d’égale dimension. Philippot ne m’est pas comparable. En aucune manière.
Je ne suis pas en rivalité avec monsieur Philippot, je ne l’ai jamais été
d’ailleurs. Jamais ».
Pourtant, ce que ne sait pas encore le Patriarche, c’est que Philippot a
alors déjà en tête une tactique bien élaborée, voire sophistiquée, pour le
faire expulser du Front national. Elle fait partie d’une stratégie plus globale,
à laquelle il souscrit depuis sa première rencontre avec Marine Le Pen, en
2009 : la dédiabolisation. Une manœuvre qui existe depuis un certain temps
au sein du Front, elle a même fait ses preuves puisque, de plus en plus
régulièrement, le parti affiche des scores qui dépassent les 15 %, et surtout :
le 21 avril 2002 est passé par là. Mais pour être complète, cette stratégie,
pense-t-il, implique de tuer le diable, de l’éradiquer. Comme son nom
l’indique. Or le diable c’est lui, Jean-Marie Le Pen. Peu importe qu’il soit le
père de la présidente du FN, le cofondateur historique du parti, une figure
incontestable de l’extrême droite, un orateur populaire : à sa personne colle
toujours une politique anti-immigrationniste trop forte, des idées trop
rétrogrades, trop « guerre d’Algérie ». Avec lui, il entraîne tout le Front
national, le leste sans failles du poids d’un parti de contestation, alors qu’il
faudrait en faire un parti de gouvernement. Et puis reviennent aussi,
souvent, les phrases racistes, xénophobes, antisémites, les sempiternelles
références au « point de détail » de l’Histoire. Cela fait partie du
personnage Jean-Marie Le Pen. C’est presque une marque de fabrique.
Malgré tout, après soixante ans de carrière politique, cela ne tient plus qu’à
une seule et désespérante volonté de faire parler de soi. Et c’est encore le
cas cette semaine d’avril 2015. Lorsqu’il est reçu sur le plateau de Jean-
Jacques Bourdin4 et quand il est interviewé par le journal extrémiste
Rivarol5. L’homme s’en donne à cœur joie : les chambres à gaz durant la
Seconde Guerre mondiale ? Un autre « point de détail de l’Histoire ». Le
désaveu public de sa fille après ce nouveau dérapage ? « Une trahison qui
n’est possible que par les siens. » Une belle pirouette. Comme pour dire
qu’il fait encore ce qu’il veut, qu’il n’est tributaire de personne et que
personne ne peut contrôler celui qui a cofondé en 1972 le grand parti qu’est
aujourd’hui le Front national. Alors même que ses relations avec Marine Le
Pen sont déjà houleuses. Cela confine ouvertement à la provocation et peut-
être même à une sorte de tactique d’agitateur puisque, depuis le début de
l’année, Jean-Marie Le Pen enchaîne les frasques. Plus encore que
d’habitude. Il affirme que « le maréchal Pétain n’est pas un traître », qu’il
faut s’allier à la Russie « pour sauver le monde blanc » ou encore que la
France est gouvernée par des « immigrés à tous les niveaux ». Ce nouvel
entretien6 qui se veut exclusif et « à cœur ouvert » ne déroge, une fois de
plus, pas à la règle. Du Le Pen père tout craché. Sauf que, cette fois-ci, cet
énième dérapage, cette millième sortie médiatique que Jean-Marie Le Pen
se croit permis de faire – car il est persuadé d’être intouchable en raison de
son statut de président d’honneur et de père –, pour Florian Philippot, c’est
la provocation de trop. Chaque fois, c’est la même histoire : le Patriarche
divague et les médias ne parlent plus que de ça. Impossible de développer la
moindre idée politique de fond pendant ce temps-là. C’est un parasitage
permanent. Il faut que cela cesse. Immédiatement, le vice-président du parti
ose tweeter : « La rupture politique avec JMLP est désormais totale et
définitive. Sous l’impulsion de Marine Le Pen des décisions seront prises
rapidement. » Cette interview est donc le moment rêvé pour enfin mettre le
Menhir à la porte du parti et, dans le même mouvement, passer un grand
coup de balai au FN afin d’éliminer définitivement toutes traces
tendancieuses et extrémistes. Même Marine Le Pen est prête. Elle avait bien
quelques réticences au début, car après tout il s’agit de son père, âgé tout de
même de quatre-vingt-six ans et qu’elle admire beaucoup, mais toutes les
tentatives pour le calmer, les discussions à huis clos au domaine de
Montretout, l’antre du clan Le Pen, n’y ont rien changé. Jean-Marie Le Pen
est têtu, sa fille plus encore. Pour Florian Philippot, c’est le moment d’en
profiter. C’est le moment de mener l’offensive, et d’en faire le point de
départ d’un Front national nouveau qui impulsera une dynamique
victorieuse pour Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2017. Il en est
convaincu. Pour autant, il le sait aussi, inutile de se précipiter. Nombreux
sont ceux qui veulent sa perte, qui rôdent autour de lui, dans l’attente du
moindre faux pas de sa part. Car Florian Philippot est un catalogue d’à peu
près tout ce qu’exècrent les frontistes de la première heure : haut
fonctionnaire, gaulliste, accusé d’être de gauche et peut-être même
homosexuel. Et le pire c’est qu’il n’a jamais fait aucun effort pour
s’intégrer. Dans les couloirs, en réunion, et même au Parlement européen où
il est député, il dit à peine bonjour. Sauf à Marine, bien sûr. C’est pour elle
qu’il s’est encarté au Front national, c’est pour elle qu’il travaille. Le reste
lui importe peu. Et cette indifférence couplée à cette « froideur », dirait
même Nicolas Bay, le secrétaire général du FN, ça ne plaît pas du tout aux
cadres du parti. Cela a même tendance à les agacer : pour qui se prend-il ce
Philippot qui n’est au FN que depuis à peine cinq ans et qui croit être maître
en son royaume ? Au Front, ça lui a d’ailleurs valu le doux surnom de
« Philippot Ier » : partout où il va, il fait ce qu’il veut et avec la bénédiction
de Marine Le Pen en plus ! Car le problème est bien là : Florian Philippot
est écouté de la présidente du FN, ils sont sur la même longueur d’onde. « Il
met en musique ce qu’elle pense », résume Jean-Lin Lacapelle, secrétaire
général adjoint du parti.
Il tire donc les ficelles d’une machination dédiabolisante, et cette
interview de Jean-Marie Le Pen dans Rivarol lui apparaît sans conteste
comme la première page de l’épilogue. A Marine Le Pen, il va donc
susurrer que la rupture est irrémédiable, qu’elle n’a pas d’autres choix que
de sévir, vite et franchement. A contrecœur, elle est d’accord et fait publier
dans la journée un communiqué de presse cinglant où elle dénonce la
« stratégie de la terre brûlée » et le « suicide politique » de son père. Et pour
être sûre qu’il ne recommencera pas, la présidente du FN lève l’investiture
du Patriarche qui devait, quelques mois plus tard, être tête de liste aux
élections régionales en Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Pire, elle annonce la
tenue d’un bureau exécutif, organe décisionnaire du Front national, pour
sanctionner officiellement le comportement de Jean-Marie Le Pen. Le
président d’honneur n’y croit pas, il a l’impression d’être un petit garçon à
qui l’on tape sur les doigts après l’avoir pris la main dans le pot de
confiture. Inconcevable. De fait, même s’il est membre de droit de ce
bureau, il ne s’y rendra pas. De toute façon, Marine n’osera jamais aller
jusqu’au bout, même si, le soir même, invitée du 20 heures de TF1, elle
confirme l’ouverture d’une procédure disciplinaire et suggère à son père
d’« arrêter ses responsabilités politiques7 ». Une porte ouverte pour qu’il
mette un terme de lui-même, et par le haut, à la situation ridicule dans
laquelle il s’est mis. Le Pen père comprend parfaitement le message :
quelques semaines plus tard, il renonce à sa candidature en PACA, soutient
à sa place sa petite-fille Marion Maréchal-Le Pen, mais, comme point trop
n’en faut, refuse de s’excuser pour les propos qu’il a pu tenir
précédemment. Un geste symbolique certes, mais pas assez important pour
que Marine Le Pen décolère. Et puis Florian Philippot reste en soutien
derrière elle, rajoute peut-être même un peu d’huile sur le feu en mettant sa
démission dans la balance. « C’est simple, c’est lui ou moi », aurait-il
menacé. C’est en tout cas ce qui se murmure dans les couloirs du Carré,
chez les cadres du parti qui le jalousent, même si la réalité est légèrement
différente. « Je n’ai pas eu à le lui dire clairement, c’était implicite. Je me
voyais mal faire de la politique, parler du chômage, du terrorisme, du
pouvoir d’achat, et devoir répondre en même temps sur Pétain, Vichy, le
monde blanc… Il n’y avait pas de choix à faire8 », raconte-t-il. Au FN, cette
menace à peine voilée est perçue comme un caprice. On hésite : la tentation
est bien forte d’aider Jean-Marie Le Pen à se sortir de ce mauvais pas pour
définitivement clouer le bec à l’énarque. Le problème, c’est toujours sa
proximité avec la présidente, elle le défend coûte que coûte : « Il n’a jamais
mis sa démission dans la balance mais a parfois exprimé la difficulté qu’il a
eue face à des gens qui ne cessaient de le détruire. Je me suis reconnue dans
ce qu’il disait : c’est fatigant de faire Sisyphe toute la journée9. » Et puis,
finalement, il n’a pas tort : Le Pen père nuit à l’image du parti, à la marque
Front national.
Le bureau exécutif est convoqué pour le 27 avril. Il faut agir vite, avant
le grand défilé du 1er mai, l’un des moments les plus marquants de la vie
interne du FN. Fort de son irrémédiable désir d’attirer l’attention, le Menhir
pourrait bien calculer un nouveau coup à cette date symbolique. Un temps,
le parti croit y avoir échappé car Jean-Marie Le Pen est hospitalisé. La
commission de discipline doit être reportée à la semaine d’après. Et c’est là
tout son génie, car cela n’empêche pas ce que redoutait Marine Le Pen de se
produire : son père organise son propre défilé le fameux vendredi, remonte
la rue de Rivoli pour déposer une gerbe de fleurs devant la sacro-sainte
statue de Jeanne d’Arc en hurlant mélodramatiquement : « Jeanne… Au
secours ! » La scène est gênante, Jean-Marie Le Pen dans le cliché le plus
total et les journalistes attroupés en masse, aux anges. A quelques mètres de
là, la présidente est prévenue, elle sait que son père a trop besoin d’être
dans la lumière pour se cantonner à ce sketch ridicule, mais choisit tout de
même de monter sur scène pour prononcer son discours. Elle gravit les
marches une à une, s’avance vers le pupitre, salut la foule qui l’acclame…
puis l’acclame à nouveau. Etrange. Ce n’est qu’arrivée au micro qu’elle se
retourne et constate, consternée, que Jean-Marie Le Pen l’a suivie. Il est sur
la scène, dans sa parka rouge, les bras levés, le sourire large, fier, semble-t-
il, de sa nouvelle pitrerie. La foule l’applaudit, longtemps. Il est heureux car
il a réussi à démontrer à sa fille l’essentiel à ses yeux : il est irremplaçable
et indispensable au parti. Les gens l’aiment et ne veulent pas le voir partir,
encore moins le voir vulgairement puni. En voilà la preuve incontestable.
En bas de l’estrade, légèrement à l’écart de la foule, Florian Philippot
est témoin de toute la scène. Il est partagé entre stupéfaction et rire nerveux.
Il pense à « Marine », imagine ce qu’elle peut endurer sur scène. Sans
parler du discours important qu’elle devait prononcer et auquel le « système
médiatique » ne fera désormais plus du tout attention. Cette nouvelle sortie
de Jean-Marie Le Pen a des airs pathétiques mais il sait aussi que cela va
servir sa cause, sceller définitivement le cercueil de la longue carrière
politique du Menhir. C’est un coup de grâce inattendu, qu’il n’avait pas
anticipé. Le conseil de discipline devrait donc désormais se dérouler
logiquement. A moins que. A moins que Jean-Marie Le Pen ne sorte un
nouveau lapin de son chapeau et que, par la même occasion, il refasse
pencher la balance de Marine Le Pen, la balance du cœur, en sa faveur. Au
fil de ses années au FN, Philippot a appris que rien n’était jamais joué
d’avance, alors il fait du lobbying. « Enormément de lobbying », concède
Nicolas Bay. Comme cette fois où il raconte en off à une journaliste de
télévision que la procédure d’exclusion à l’encontre de Le Pen père est
enclenchée alors que ça n’est pas encore le cas. « J’ai été dépêché par
Marine Le Pen sur une chaîne d’information en continu concurrente pour
démentir ses propos10 », raconte-t-il. Conséquence : l’éditorialiste est
furieuse et décide sans scrupule de balancer le nom de son informateur.
Mais le mal est fait. Florian Philippot avance ses pions, consolide ses
positions.
Le 4 mai 2015 se réunit le bureau politique du parti. Jean-Marie Le Pen
en est encore membre de droit, il décide donc d’y assister même si, quelque
part, il n’est pas vraiment prêt à entendre des critiques infondées sur sa
personne. Car, bien sûr, la réunion ne tourne qu’autour de ses dernières
frasques, de ce comportement qui porte tant préjudice au FN. Tous essayent
de raisonner le Menhir. Nicolas Bay, qui se trouve fortuitement assis entre
le père et la fille, tente un : « Vous pourriez, par exemple, vous mettre en
retrait du bureau politique et du bureau exécutif ? — Never ! » tranche le
Patriarche. Louis Aliot et Bruno Gollnisch cherchent alors à l’amadouer. Ils
lui expliquent qu’ils ont beaucoup d’estime pour lui, qu’ils comprennent
qu’au vu de son parcours politique il veuille avoir « une liberté totale de
parole », mais dans ce cas, cela n’est pas possible au sein des instances
dirigeantes. Jean-Marie Le Pen doit lâcher plus que la PACA, ça tout le
monde en est convaincu. Sauf Jean-Marie, une fois encore. Il est combatif,
prisonnier de sa logique. Il a compris que, même si personne n’ose le dire,
tous veulent qu’il se mette en retrait du parti, alors il fait la sourde oreille.
Un peu plus tard dans la journée, c’est un bureau exécutif sous forme de
conseil de discipline qui se réunit. Le seul habilité à décider de l’avenir de
Le Pen père. Après plusieurs heures de réunion, la sanction tombe. Elle est
lourde. Beaucoup plus lourde que ce à quoi le Patriarche s’attendait : il est
suspendu de sa qualité d’adhérent jusqu’à la tenue d’un congrès
extraordinaire par correspondance. Les militants décideront de la révision
des statuts du FN qui prévoient principalement la suppression du titre de
président d’honneur. En voilà une jolie manière de mettre Jean-Marie
Le Pen à la porte de son propre parti. Le Patriarche comprend alors la
stratégie de « revendication de virginité politique11 ». Il est furieux. Il crie à
la félonie, assure qu’il ne se laissera pas faire et décide, une bonne fois pour
toutes, d’entrer en guerre contre sa fille. Ou contre Florian Philippot. Il n’a
pas encore vraiment choisi. Officiellement, c’est le Front national dans son
entier qu’il envoie donc devant les tribunaux pour faire annuler l’assemblée
en question.
De son côté, Marine Le Pen est malheureuse, cette histoire à
rebondissements, qui dure depuis trop longtemps, lui coûte beaucoup.
Pourtant, elle sait pertinemment que « la cohabitation était devenue
ingérable. Le politique avait déteint sur le personnel12 », concède Marion
Maréchal-Le Pen, petite-fille et nièce comme déchirée entre ses deux
parents. Philippot lui aussi est à bout, mais pas pour les mêmes raisons. Il
voit l’affaire traîner en longueur, et, après des mois à pousser pour
l’exclusion du Menhir, il a peur que son plan ne finisse par échouer. Il faut à
nouveau rappeler à Marine qu’elle fait ça pour son bien et celui du parti tout
entier. Le coup de génie ? Faire publier le résultat de l’assemblée
extraordinaire par correspondance, et ce, même si la justice a donné raison
au futur-ex-président d’honneur. En soi, ce n’est qu’un geste symbolique
qu’il ne sera pas possible d’utiliser pour justifier le renvoi du Patriarche,
mais le résultat est tellement criant qu’il serait dommage de ne pas
l’exploiter : 94 % des militants frontistes se sont prononcés en faveur d’une
modification des statuts du parti et donc de la suppression du poste de
président d’honneur. De leur côté, les sondages donnent neuf sympathisants
FN sur dix prêts à « tourner la page » Jean-Marie Le Pen. Pour ceux des
membres du bureau exécutif qui avaient encore des scrupules à le limoger,
ces chiffres sont une aubaine. Et pour Florian Philippot aussi. Le Menhir est
à genoux, il n’y a plus qu’à porter l’estocade finale. Grâce à ces sondages,
et au résultat du vote surtout, il n’aura même pas besoin d’être présent pour
actionner la guillotine. La stratégie a trop bien fonctionné : ce sont les
autres membres du bureau exécutif du FN, du « peloton d’exécution de
Jean-Marie Le Pen », comme dirait Nicolas Bay, qui s’en chargeront.
Nous sommes donc le 20 août 2015, au cœur d’un été frais, presque
pluvieux. L’énarque fait les cent pas très loin de son bureau, en attendant
que le couperet tombe. Aux journalistes qui ont presque planté leur tente
devant le Carré depuis quelques jours, il a expliqué qu’il ne se rendrait pas à
cette réunion pour « éviter d’être accusé d’être juge et partie ». Tout comme
Marine Le Pen. Moins dupe, Jean-Marie Le Pen, lui, arrive en claironnant :
« Les chefs sont aux abris, il n’y a que les fantassins ici. » Il plastronne, à
l’arrière de sa berline noire dont il a baissé une des vitres pour asséner l’une
de ses vérités à la nuée de caméras et de micros littéralement agglutinés
contre les parois de la voiture afin d’avoir la bonne image, le bon son. Le
véhicule ne peut plus avancer, il est bloqué par les câbles, les perches, les
journalistes. Le Patriarche aime être dans la lumière, d’autant que c’est
probablement pour la dernière fois. Alors il leur en donne pour leur argent.
Il tempête, gesticule, argumente sous le regard amusé des médias collés
entre eux par la chaleur des corps et des imperméables. La voiture finit par
réussir à se libérer de cette toile d’araignée. Elle franchit la grille de l’entrée
et va se garer dans le parking souterrain, sous les yeux de la statue de
Jeanne d’Arc, encore elle, qui fait face à la porte principale, et au drapeau
de la France qui, ce jour-là, flotte lourdement. Il sort difficilement de la
voiture, aidé par sa seconde femme, Jany, et son avocat Frédéric Joachim.
Bruno Gollnisch, un soutien historique à qui il a demandé de venir pour
l’aider à se défendre, c’est son droit, est déjà installé dans la salle où se
tiendra le bureau exécutif. L’ambiance promet d’être tendue, le Patriarche
sait que ses bourreaux ne sont présents que pour exécuter la sentence. Cela
dit, contrairement à la fois précédente, il a fait le déplacement. Il est venu,
dit-il, pour exprimer ses « griefs, dans l’idée d’administrer une leçon et non
d’en recevoir une ». Son intention ? Faire récuser les membres restants du
bureau exécutif, contester le droit qu’ils ont de le juger et, pour le spectacle,
demander à rendre publique la réunion, ce qui lui est catégoriquement
refusé. Au fond de lui, il déteste l’idée d’être jugé. Et par des subalternes en
plus. Car en l’absence de sa fille et de son acolyte, c’est un autre vice-
président du FN qui préside la réunion. Il s’appelle Jean-François Jalkh.
Même si c’est un membre historique du parti, encarté depuis 1974, il ne
pèse pas grand-chose dans l’appareil. Les autres, à savoir Steeve Briois,
Louis Aliot, Nicolas Bay et Wallerand de Saint-Just, sont acquis à la cause
de Marine Le Pen. Seule Marie-Christine Arnautu ose se ranger de son côté.
Voilà ce dont se persuade Jean-Marie Le Pen lorsqu’il s’assied face à
ses six juges. Mais la vérité est quelque peu différente : en réalité, tous sont
des membres historiques du FN, encartés pour la plupart dans les années
1970-1980, pour lui, parce que ses discours les avaient convaincus. Les voir
installés là, prêts à l’expulser de son propre parti politique, alors qu’ils y
sont grâce à lui, le rend malade. Ils ont retourné leur veste pour Marine
pensent-ils, sans voir que c’est Florian Philippot qui tire les ficelles de leurs
marionnettes.
Pendant presque trois heures, Jean-Marie Le Pen se voit donc contraint
de s’expliquer devant eux. Quinze griefs sont retenus contre lui, des fautes
graves pouvant provoquer « suspension provisoire, radiation ou exclusion »,
précise le règlement du FN. « Marine et Florian n’avaient pas d’autres
choix que de ne pas y être. C’était difficile, nous avions un peu le rôle de
Père Fouettard. Je l’ai très mal vécu13 », confie Wallerand de Saint-Just. Les
débats sont courtois mais fermes, parfois quelque peu condescendants.
Chacun tente, encore, d’expliquer au Patriarche le tort qu’il peut porter au
parti mais celui-ci ne veut rien entendre. Il ne cesse de répéter « c’est à vous
de dire ce que vous me reprochez ». Sans qu’il y ait de tensions des deux
côtés, le dialogue semble définitivement rompu. D’ailleurs, comme pour
montrer qu’il ne lâchera rien, ne changera jamais d’opinion, Jean-Marie
Le Pen a fait distribuer une déclaration de presse aux journalistes qui
patientent en bas. Avant le bureau exécutif.
Vers 17 h 30, le cofondateur du Front national sort. « Comme vous
pouvez le constater, j’ai toujours la tête sur les épaules donc tout va bien »,
ironise-t-il. Pourtant il sait que la partie est terminée. A la fin de la journée,
il ne sera plus frontiste. Seulement un ancien : ancien président d’honneur,
ancien patron du FN, ancien militant. Il tente de garder la face devant la
horde de journalistes qui l’attend de pied ferme mais le cœur ne semble plus
y être. « Maintenant que le FN est l’un des trois grands partis politiques
français, on connaît les mêmes problèmes que les autres », conclut-il.
Pendant ce temps-là, dans cette même salle d’audience, les cinq
membres restants du bureau exécutif délibèrent. Ils prennent leur temps :
presque trois heures… ou alors ils attendent que les gros titres des journaux
télévisés du soir soient passés. La situation est complexe et embarrassante.
Ils en connaissent déjà l’issue. Louis Aliot, lui, a préféré partir juste avant le
vote final et déléguer son pouvoir « contre ». Il a énormément de respect
pour Jean-Marie Le Pen mais est aussi le compagnon de Marine Le Pen. Le
choix est bien trop cornélien. Il a donc préféré ne pas assister à la scène. Car
à 20 h 20 précises, c’est sous la forme d’un communiqué discret mais
catégorique envoyé aux rédactions que le Patriarche voit sa carrière
politique mourir. Il a été décidé, « à la majorité requise, l’exclusion de
M. Jean-Marie Le Pen comme membre du Front national », peut-on y lire.
Le désormais ex-président d’honneur du parti se dit piégé, « victime d’un
guet-apens ». Dans sa ligne de mire, il n’hésite plus à viser et nommer celui
qu’il considère maintenant comme l’unique responsable de sa chute :
Florian Philippot. Dans le communiqué de presse qu’il publie en réaction à
son expulsion mais aussi dans les interviews qu’il donne ce soir-là et par la
voix de son avocat Frédéric Joachim, il accuse. « C’est un assassinat
politique. Cette décision était déjà prise à l’avance. Depuis 2011, Florian
Philippot veut la peau de Jean-Marie Le Pen14. »
La riposte est attendue, personne ne peut la contester, et surtout pas le
bras droit de Marine Le Pen. Il a fait le choix d’abattre ses cartes pour
atteindre un ultime objectif et par ce biais montrer aux autres cadres du FN,
et surtout aux membres du bureau exécutif, qu’il obtient toujours gain de
cause. Robert Ménard, le maire de Béziers proche du FN et de Marine
Le Pen, juge sévèrement l’attitude de Florian Philippot pendant cette
période. Pour lui, il « aurait pu s’abstenir de certaines phrases, certains
qualificatifs. Ce n’était pas à lui de les dire. Il a eu des mots très durs.
Marine était décidée à en finir, le dernier coup de poignard, il aurait donc pu
s’en passer15 ». Car tous s’accordent pour dire que Marine Le Pen reste
maîtresse de ses décisions, que si elle subit l’influence de l’énarque c’est
qu’elle l’a choisi. « Si j’ai déjà viré des gens du parti ? Oui, un assez
célèbre dernièrement ! Je ne vire pas les gens pour des positionnements de
stratégies ou de vues. Je vire les gens quand ils sont dans la déloyauté,
quand ils ont une démarche de sabotage du FN16 », tranche-t-elle. Bruno
Gollnisch, témoin privilégié de ce régicide et éternel lieutenant de Jean-
Marie Le Pen, a bien essayé de le lui dire à maintes reprises : « Ne l’attaque
pas, c’est inutile, contre-productif et ça te desservirait. Il vaut mieux s’en
tenir au registre de la stupéfaction douloureuse plutôt que de s’en prendre à
lui. C’est un garçon difficilement saisissable17 », tente-t-il de le convaincre.
Mais le Menhir ne veut rien entendre. Il n’arrive pas à croire que sa propre
fille ait pu lui faire ça, alors il faut bien trouver un autre fautif. Pour se
rassurer, il suppose que l’influence que l’énarque exerce sur elle était
devenue tellement importante qu’il a « entraîné, semble-t-il, Marine Le Pen
à se croire de gauche18 ». Et cela le fait beaucoup rire, à défaut.
Désormais seul dans cette villa aux airs désuets qui jouxte le parc de
Saint-Cloud, assis dans ces fauteuils qui semblent avoir toujours été là,
entre les murs décrépis, les rideaux aux couleurs passées et le grand escalier
de bois qui craque un peu trop, Jean-Marie Le Pen a le temps d’envisager sa
vengeance. Partout des portraits de lui, du temps de sa gloire passée, des
peintures qui rappellent ce qu’il a été, et, devant la cheminée de son bureau,
au premier étage, une statue de Jeanne d’Arc. Toujours. Ceux qui le
côtoient dans cette intimité continuent de l’appeler « monsieur le
Président ». Le temps, ici, semble s’être arrêté. Alors, à la question de
savoir s’il envisageait une telle chute, la réponse finalement n’est pas
étonnante : « Je ne m’y attendais à vrai dire pas. Quand on apporte son
biberon au bébé, on ne s’attend pas à ce qu’il prenne un rasoir et essaye de
vous trancher la gorge avec. Non, c’est même la chose qu’on n’a
absolument pas prévue. Je crois que c’est extraordinaire, que ça ne s’est
jamais produit. […] Elle devait faire son holocauste… il fallait tuer le
père19 », analyse-t-il, caricatural et amer.
A quelques kilomètres de là, dans son même bureau de Nanterre cette
fois, Florian Philippot, seul lui aussi, mais victorieux, exulte. Désormais la
voie est libre, plus rien, ou presque, ne fait barrage entre Marine et lui, entre
sa stratégie politique et l’élection présidentielle de 2017.

1. Entretien avec les auteurs (26 août 2016).

2. Entretien avec l’une des auteurs (3 novembre 2016).

3. Entretien avec les auteurs (26 août 2016).

4. Interview de Jean-Jacques Bourdin sur BFMTV-RMC (2 avril 2015).

5. Interview de Robert Spieler pour Rivarol : « Jean-Marie Le Pen : “On n’est jamais trahi que par les siens” » (9
avril 2015).

6. Interview de Robert Spieler pour Rivarol : « Jean-Marie Le Pen : “On n’est jamais trahi que par les siens” » (9
avril 2015).

7. Journal de 20 heures, TF1 (9 avril 2015).

8. Entretien avec l’une des auteurs (1er janvier 2017).

9. Entretien avec l’une des auteurs (12 décembre 2016).


10. Entretien avec les auteurs (13 juillet 2016).

11. Entretien avec les auteurs (26 août 2016).

12. Entretien avec les auteurs (13 septembre 2016).

13. Entretien avec les auteurs (8 septembre 2016).

14. Interview réalisée sur I-Télé (20 août 2015).

15. Entretien avec les auteurs (30 septembre 2016).

16. Entretien avec l’une des auteurs (12 décembre 2016).

17. Entretien avec les auteurs (31 août 2016).

18. Entretien avec les auteurs (26 août 2016).

19. Entretien avec les auteurs (26 août 2016).


3
Quand Florian rencontre Marine

« Oh non, pas un énarque, ça va être barbant », soupire Marine Le Pen,


ce soir du 13 mai 2009. Attablée à la brasserie des Trois Obus, sur le rond-
point de la porte de Saint-Cloud, celle qui est alors vice-présidente du Front
national, en charge des « affaires intérieures », semble agacée. Dans un coin
de ce bistrot qu’elle connaît bien, entre les fauteuils en similicuir brun et les
grandes dalles de carrelage beige qui, bizarrement, assombrissent encore un
peu plus l’endroit, elle touche nerveusement son verre, tout en réfléchissant
à la situation. Paul-Marie Coûteaux, un ami proche du Front national, lui
avait promis une rencontre sympa, avec un garçon qui pourrait beaucoup
apporter au parti, mais elle ne s’attendait pas à ça. Un haut fonctionnaire, ce
n’est pas vraiment le profil qu’elle recherche pour renforcer son équipe. Et
puis, ce ne serait pas très bien vu dans les couloirs du Carré. Ils font partie
d’une élite trop prétentieuse et dépourvue de toute capacité intellectuelle
propre. C’est en tout cas ce que ne cesse de lui répéter son père. « Florian
Philippot voulait la rencontrer, je savais qu’il était bosseur et j’ai toujours
trouvé bien qu’il y ait des énarques dans les milieux souverainistes1 »,
se justifie-t-il.
Cela étant dit, il est malheureusement trop tard pour faire machine
arrière, Paul-Marie vient d’entrer dans la brasserie où ils ont choisi de se
retrouver juste avant l’émission qu’il présente sur Radio Courtoisie, la
« radio libre du pays réel et de la francophonie », et où Marine Le Pen est
invitée. Les locaux sont à deux pas, boulevard Murat. Il est suivi par,
surprise, ce qui ne ressemble pas vraiment à l’image que Marine Le Pen se
faisait d’un énarque type. Le jeune homme, qui ne doit pas avoir trente ans,
porte une simple veste et un jean. Nulle trace d’un costume guindé à
l’horizon. Il a l’air timide tout en étant souriant, mal à l’aise tout en lui
serrant énergiquement la main, et il est venu accompagné de son frère dont
il ne se sépare visiblement jamais. Le jeune homme s’appelle Florian.
Florian Philippot. Il a vingt-sept ans et vient tout juste d’être diplômé de
l’ENA, classé 34e sur les 92 élèves de la promotion Willy Brandt. Après
avoir été ballotté de stage en stage, de ville en ville, il s’est réinstallé à Paris
voilà deux mois à peine et n’a de cesse, depuis, de forcer pour rencontrer
Marine Le Pen. Paul-Marie Coûteaux ne le connaît pas très bien, il a dû le
voir une ou deux fois en tout depuis que l’étudiant l’a accosté à une séance
de dédicaces pour la sortie de son dernier livre, mais il a senti que Florian
Philippot ne se contenterait pas d’un non. Et puis, il a promis à la vice-
présidente de l’aider à « chercher de nouvelles têtes » car, depuis qu’elle a
été nommée à ce poste par Jean-Marie Le Pen, tout le monde a compris que
le Menhir allait bientôt céder sa place de président du Front national, et de
préférence, à sa fille cadette. Le prochain congrès n’a lieu que dans deux
ans, en janvier 2011, mais Marine Le Pen veut d’ores et déjà se préparer
pour être sûre, le moment venu, de ne pas avoir de déconvenues face à celui
qui devrait être son adversaire : Bruno Gollnisch, militant historique et
éternel numéro deux de Jean-Marie Le Pen. Il va donc falloir qu’elle se
force à écouter cet énarque, qu’elle soit polie avec lui, et puis, sait-on
jamais, peut-être qu’il réussira à la convaincre.
De son côté, Florian Philippot, lui, est anxieux. « Stressé, émoustillé,
content… mais forcément un peu stressé2. » Cela fait quatre ans qu’il attend
ça. Depuis qu’il l’a vue et surtout entendue sur le plateau de « Mots
croisés », l’émission de télévision présentée à l’époque par la journaliste
politique Arlette Chabot. A l’aube du référendum qui doit décider de
l’instauration d’une nouvelle Constitution européenne, la frontiste aux longs
cheveux blonds fait l’une de ses apparitions télévisées remarquées où elle
n’hésite pas à vitupérer l’ancien ministre chargé des Affaires européennes
du gouvernement Jospin, Pierre Moscovici3. « Votre Constitution, c’est
celle du pognon, Monsieur ! » tempête-t-elle. Et de lancer, en jetant le traité
sur la table : « Votre Constitution du fric, on n’en veut pas. » Florian
Philippot est conquis. Il est en train de terminer ses études à HEC, ne sait
pas vraiment ce qu’il a envie de faire ensuite mais a la certitude que « c’est
la meilleure personne du moment sur l’offre politique ». Il a envie de
participer à sa victoire. Il doit la rencontrer pour lui proposer ses services.
« Qu’est-ce qui me plaît chez elle ? Un peu tout, ses idées. Je suis d’accord
sur l’inflexion sociale, et j’aime la manière dont elle aborde les sujets. Sur
l’immigration, par exemple, elle en parle mieux que son père, c’est moins
agressif, pas stigmatisant. Il n’y a pas de brutalité, c’est argumenté, ça me
parle plus. Et puis on sent qu’elle a la volonté d’arriver au pouvoir, elle
n’est pas là pour faire le trublion sur les plateaux TV. On peut le faire dans
les débats, mais là il y a du fond, une volonté d’y arriver4 », raconte-t-il.
Florian Philippot s’installe, commande un verre et essaye de se concentrer
pour faire bonne impression. Il commence par lui raconter ce qu’il a fait et
ce qu’il fait maintenant. Marine Le Pen le coupe : « Vous avez déjà eu un
engagement politique ? — Oui. Auprès de Chevènement », répond
l’énarque. Et la vice-présidente du FN d’en conclure : « Eh bien, on n’est
pas loin alors. » Au fond de lui, Philippot est conforté dans son idée : Jean-
Marie Le Pen n’aurait jamais pu répondre ainsi, il fait bien de suivre sa
fille. Convaincu par Marine, Florian veut aussi la réciproque. Il n’est donc
pas arrivé les mains vides et a préparé un argumentaire sur deux
thématiques. La laïcité d’abord, car il veut lui dire de « continuer à fond,
c’est un sujet porteur chez l’électorat frontiste ». Et les fonctionnaires
ensuite. Car Philippot ne comprend pas pourquoi le FN est si faible auprès
d’eux. Pour lui, c’est un malentendu puisque la plupart du temps, entrer
dans la fonction publique se fait par conviction. Il le sait, il a plein de
fonctionnaires dans sa famille. Or, avoir des convictions implique de
vouloir défendre l’intérêt général et la France, « comme le fait le Front
national », donc une entente est possible. « Nous sommes tombés d’accord
sur ces deux points, c’est là qu’il y a eu la symbiose dont on parle tant »,
raconte-t-il. Ce soir de mai 2009, il n’est donc pas le seul à être
impressionné. Marine Le Pen boit elle aussi ses paroles. Immédiatement
s’installe entre eux une complicité étonnante. Ils sont sur la même longueur
d’onde. « Nous réfléchissions de la même manière. Ça a été un coup de
foudre intellectuel », avance-t-elle. Et le jeune énarque de confirmer et de
compléter : « Un coup de foudre intellectuel et politique. » Au cours de
cette rencontre, Marine et Florian discutent aussi de l’euro, d’économie
et… de Jean-Marie Le Pen. « Il me semble lui avoir dit dès le départ que je
n’avais pas voté pour son père en 2002 et que je n’étais pas foncièrement
d’accord avec ses idées à lui », tente-t-il de se remémorer. Car la rencontre
reste assez floue pour le tout nouveau haut fonctionnaire du ministère de
l’Intérieur. Il est impressionné, c’est un fait, mais aussi quelque peu
impatient à l’idée d’enfin pouvoir « être utile » à celle qu’il admire déjà. A
ce moment-là, il ne sait plus vraiment qui est présent, qui ne l’est pas.
Même pas son frère Damien. La seule chose dont il est sûr, c’est que la
rencontre a lieu dans cette brasserie du XVIe arrondissement et que, en
partant, Marine Le Pen lui griffonne sur un bout de papier son adresse mail
personnelle. Une fierté pour l’énarque.
Paul-Marie Coûteaux, qui assiste à toute la scène, n’arrive qu’à en être
un spectateur. Il n’y a pas réellement de place pour lui dans cette fusion
nouvelle, il l’a bien compris. Son rôle ne se résume alors qu’à « tenir la
chandelle ». Ce qui lui convient bien. Il aime l’idée d’être le « super
directeur des ressources humaines » de celle qui, il en est alors certain,
réussira à rassembler au-delà de l’extrême droite pour gouverner la France,
bientôt. Comme Florian Philippot, lui aussi a longtemps cherché la
personne qui représenterait le mieux ses idées politiques. Souverainiste
avant tout, il est obsédé par la volonté de créer une grande et vaste droite.
Depuis qu’il a rencontré Marine Le Pen à la fin des années 2000, qu’il
« prend des thés » avec elle au Parlement européen, il sent que ce rêve est
enfin accessible, et il veut en être l’artisan en coulisses. Car il a
immédiatement remarqué que Philippot « structurait » Marine Le Pen, elle
qui raconte à qui veut l’entendre qu’elle n’est pas une professionnelle de la
politique. Il pourrait l’aider à mettre un peu d’ordre dans son cabinet en
construction. Au vu du courant qui passe si bien avec la vice-présidente, il
se dit donc que l’énarque pourrait être une prise de guerre décisive pour la
suite. Il faut qu’il organise un dîner pour les faire se rencontrer de nouveau.
Forcer quelque peu le destin.
A la fin de cet apéritif, Florian Philippot n’a que ça en tête lui aussi. Il
réfléchit déjà au mail qu’il va pouvoir envoyer à celle que, bientôt, il
appellera « Marine ». Quelques jours plus tard, la vice-présidente doit
participer à une émission sur le plateau de France 3, qui a pour thème les
élections européennes qui approchent à grands pas. Sans surprise, ils sont
donc convenus qu’il lui enverrait des arguments sur l’Europe, et plus
particulièrement sur la contribution de la France à l’Union européenne.
« Parce qu’on donne plus qu’on ne reçoit », pensent-ils.
De son côté, Paul-Marie Coûteaux tient promesse. Un peu après l’été
2009, il organise un dîner et place côte à côte Marine et Florian. L’homme
aime recevoir chez lui, rue du Vieux-Colombier, près de l’église Saint-
Sulpice, ses amis de la sphère souverainiste. Au menu, il choisit ce soir-là
de faire servir un sauté de veau, accompagné d’un vin d’excellence du
château de Pommard. L’ambiance est bonne et détendue, Paul-Marie est
satisfait de son placement de table même si, au départ, il avait prévu de
faire rencontrer à Marine Le Pen un éditeur pour son prochain livre. De là
où il se trouve, il peut les entendre disserter sur le rôle de l’Etat.
« L’alchimie est totale », pense-t-il alors. L’autre Philippot, Damien, est
venu lui aussi. Son petit frère arrive toujours à le convaincre de tout.
Comme cette fois où, en 1999 et alors qu’il était encore tout jeune étudiant
à Sciences-Po Paris, il avait réussi à se faire traîner avec sa mère jusque
dans un meeting de Philippe de Villiers et Charles Pasqua à Lille. Et tout ça
parce que Florian était curieux de voir « en vrai » ces deux grands hommes
politiques, qu’il avait envie de comprendre ce que ces ténors de la droite
pouvaient proposer pour sauver la France de la casse sociale orchestrée par
l’Europe de Bruxelles, aux élections européennes. Alors même qu’il n’était
pas encore en âge de voter ! Cependant, comme chaque fois, Damien
approuve Florian : il apprécie la personnalité de Marine Le Pen et serait
même tenté de travailler pour elle, comme son frère. Le problème est qu’il
vient tout juste d’être embauché à l’institut de sondage Ifop, il a donc
l’obligation d’observer un droit de réserve. Sans s’exposer, peut-être qu’il
lui rédigera des notes, voire des éléments de discours. Il n’a pas encore pris
sa décision.
Tôt le lendemain matin, Florian Philippot se met au travail. Bien sûr, il
est toujours haut fonctionnaire à l’IGA, l’Inspection générale de
l’Administration, et ne sait pas encore s’il va oser se mettre en disponibilité
de la fonction publique pour rejoindre le FN, mais il lui tarde d’écrire pour
Marine. Et plus les jours, les semaines, les mois passent, plus il apprécie
cela. La vice-présidente du Front national est satisfaite de ses notes, surtout
celles qui portent sur les questions macroéconomiques, alors Philippot l’est
aussi. Qui plus est parce qu’il se sent à l’aise avec elle. Pas au point de
partir en vacances ou en week-end avec elle, comme le font d’autres cadres
du Front, mais tout de même, il lui arrive souvent d’aller chez elle. Comme
ce jour de décembre 2010 où il neige « au point qu’il n’y avait plus de
taxi ». Florian Philippot emprunte donc le transilien qui passe par Saint-
Cloud. « Je sortais du ministère de l’Intérieur, j’étais en costard et
chaussures de ville. J’arrive avec une heure et demie de retard, j’étais
complètement trempé. Elle m’a mis une couverture sur les épaules. Je me
souviens qu’il y avait au moins vingt centimètres de neige dans son jardin.
Ce jour-là, on a préparé son intervention dans l’émission “A vous de juger”
d’Arlette Chabot. On a réfléchi à toutes les questions possibles5 », détaille-
t-il. Lui qui d’ordinaire est de nature plutôt réservée se met aussi à venir de
plus en plus souvent au nouveau siège du FN, rue des Suisses à Nanterre.
Le parti s’est installé dans la ville communiste il y a un an à peine, après
avoir vainement tenté de sauver l’historique Paquebot, ce siège qui lui
coûtait beaucoup trop cher. « On le voyait dans les couloirs mais il était
interdit de le prendre en photo », se souvient un militant. Et peu importe si
certains frontistes, aux rangs desquels figure Jean-Marie Le Pen, le
houspillent un peu, Philippot sent qu’il a trouvé sa place. Au point d’avoir
envie de se montrer aux médias. Pas sous son vrai nom, bien sûr, son devoir
de réserve l’en empêche toujours, mais sous des pseudonymes. Tour à tour,
Florian Philippot va donc s’appeler Adrien, François ou Bernard. D’abord
lorsqu’il se fait interviewer le 8 avril 2011 par le journal Le Parisien.
Adrien est alors un haut fonctionnaire du ministère des Finances qui « fait
profiter Marine Le Pen de son réseau, des hauts fonctionnaires et des
fiscalistes qui l’aident à développer sa culture économique6 ». Il affirme
même qu’il « sort des rapports confidentiels de l’Inspection générale
des finances ». Le même mois, « François » est chargé par la toute nouvelle
présidente du Front national, élue à plus de 67 % quelques mois plus tôt, de
présenter aux médias les grandes lignes du programme économique du
Front national. Car lorsqu’elle a pris ses fonctions, Marine Le Pen a presque
immédiatement fait retirer celui qui était sur le site internet du parti.
Beaucoup trop libéral, pas assez construit, pensent-ils avec Florian
Philippot. Problème : chaque fois qu’elle va sur un plateau de télévision ou
fait un débat, « on lui envoie cette absence de programme économique à la
figure donc on se dit qu’on ne peut pas attendre la présidentielle7 », raconte
Philippot. A l’aise avec cette thématique et en accord total avec la
présidente, c’est lui qui va donc construire les propositions, aidé par
Bernard Monod8 qui, à l’époque, préfère lui aussi rester anonyme et se fait
alors appeler Nicolas Pavillon. Le matin de la conférence de presse, les
journalistes sont donc convoqués sans caméras, ni Nagra9. Le petit déjeuner
a lieu sur une péniche de la Seine, à Boulogne-Billancourt. Les médias sont
nombreux, intrigués par la nouveauté : depuis sa création en 1972, le Front
national n’a jamais vraiment réussi à les convaincre sur l’économie. Le
parti n’est pas jugé crédible, ni même sérieux sur ce sujet.
Avant le début de la conférence de presse, entre les pains au chocolat et
le jus d’orange, Florian « François » Philippot tente de se fondre dans la
masse, de passer inaperçu. Il sait déjà qu’il va aimer être le centre de
l’attention mais appréhende aussi de l’être. Il a peur d’être traqué sur le
programme économique qu’il va détailler dans quelques minutes bien sûr,
mais aussi sur son identité. C’est Marine qui l’a jeté dans le grand bain avec
cette conférence de presse. Un signe de son envie de le voir se mettre en
disponibilité de la fonction publique pour pouvoir travailler à plein-temps
pour le parti ? Pas vraiment, car Marine a toujours été claire sur le sujet.
« C’est une décision que personne d’autre n’aurait pu prendre à sa place.
Mais il est évident que s’il quittait son ministère, c’était pour qu’il puisse
travailler à plein-temps, pas pour aller travailler au McDo en parallèle10 ! »
argue-t-elle. Cela étant, Philippot n’est pas vraiment homme à se lancer
dans la précipitation : l’élection présidentielle n’a lieu que dans un peu plus
d’un an, une décision franche ne s’impose donc pas pour le moment. Ce
poste, il le veut, mais il faut d’abord voir s’il peut résister aux médias. Et
puis il y a toujours ce satané devoir de réserve. Il hésite, traîne un peu des
pieds. En attendant, hors de question qu’il soit démasqué.
Et de fait, les peurs de « François » sont fondées. Les questions sur le
programme économique fusent, et, parmi elles, celles d’un journaliste de
presse écrite nationale. Sa principale préoccupation n’a pas vraiment de lien
avec l’euro ou la crise financière de 2008 mais plutôt avec la personne qui
s’est attelée durant presque trois heures, de manière un peu scolaire et à
l’aide de trop nombreuses diapositives PowerPoint, à détailler les grandes
lignes du nouveau programme économique du Front national. « Quel est
votre véritable nom et que faites-vous au FN ? » demande-t-il à
« François ». « Mes fonctions m’interdisent de dire ce que je fais
précisément », répond Philippot. La passe d’armes dure quelques minutes
sans que l’un ou l’autre ne semble vouloir y mettre un terme. « Le
journaliste ne l’a pas lâché ! » raconte le trésorier du FN, Wallerand de
Saint-Just. Intrigués, ses confrères s’y mettent aussi. « J’étais étonné de voir
qu’il y avait autant d’agressivité, même si maintenant j’y suis habitué », se
remémore Florian Philippot.
Au point que, le lendemain, c’est l’anonymat du prétendu « haut
fonctionnaire de Bercy » qui fera l’ouverture des articles de la presse
quotidienne. Sortie de l’euro, protectionnisme et réindustrialisation
passeront au second plan. De son côté, tout en assurant que certains
éléments sont « un peu invraisemblables », le ministère de l’Economie
affirmera avoir lancé des investigations pour savoir, lui aussi, qui se cache
derrière « François ».
Voilà qui agace profondément Marine Le Pen. Que la presse s’attaque à
son protégé comme des chiens sur un os l’énerve, assurément. Alors elle
s’en prend, elle aussi, aux journalistes. Elle assène qu’elle a l’impression
d’être revenue au temps du « maccarthysme », qu’il y a comme « un climat
de terrorisme intellectuel » dans l’air. Elle soupire, lève les yeux au ciel,
cherche à montrer que l’important n’est pas l’anonymat de l’orateur mais ce
qu’il raconte. En son for intérieur, elle s’inquiète aussi : « Quand il a
commencé sa vie publique, c’était un jeune homme, il n’avait pas eu à subir
les difficultés de la vie publique, alors vous vous dites forcément : est-ce
qu’il y arrivera quand il y aura des tempêtes ? J’ai été frappée par sa
solidité, son sang-froid dans des situations désagréables ou compliquées. Il
est plus solide que l’image qu’il peut donner11. »
Et puis, la vérité c’est que, quelque part, Marine se reconnaît
énormément en Florian. Depuis deux ans qu’ils se connaissent, elle a
compris qu’ils avaient le même sérieux, la même sensibilité politique. « On
peut dire la même chose de mille manières différentes. Quand vous trouvez
quelqu’un qui dit la même chose que vous, de la même manière, il est
évident qu’une relation de confiance s’installe12 », argumente-t-elle. La
nouvelle présidente du parti n’oublie pas non plus qu’elle a, il n’y a pas si
longtemps, été à sa place, dans les petits papiers de l’ancien président du
FN qui n’était autre que son père. « Tout le monde veut être celui qui a
l’oreille du chef. Il y a toujours des petits concours d’influence, des gens
qui vont dire “c’est moi qui ai écrit ça” alors que bien souvent ce n’est pas
vrai d’ailleurs. La plupart des choses qu’il vit, je les ai vécues avant : les
campagnes contre lui, les jalousies, etc. »
Quelques semaines après cet insolite petit déjeuner avec la presse,
Philippot finit par franchir le pas : il se met en disponibilité de l’Inspection
générale de l’Administration pour rejoindre officiellement les rangs du
Front. Bien sûr, il a pensé aux conséquences, mais les plus l’emportent sur
les moins : il y a plus d’excitation, d’envie. Et puis, il sait qu’il ne risque
pas sa peau non plus. « C’est dur parce que le score de l’époque était de
5 %13, ce qui n’est pas pareil que de rejoindre un parti à 30 %, mais je
croyais beaucoup en elle et j’avais envie de la rejoindre14 », raconte-t-il.
Une surprise pour bon nombre de ses anciens collègues. Sauf pour son ami
d’alors, Jean-Yves Le Gallou. « Tout le monde pensait qu’il était
chevènementiste à cause de son attrait pour le souverainisme, mais moi je
savais qu’il allait vers le FN15. » Tant bien que mal, il tente tout de même de
le prévenir avec des conseils de bon père de famille : « Fais gaffe, c’est un
voyage sans retour. Moi, quand je suis passé au Front, Patrick Devedjian
m’a dit16 : “Tu seras carbonisé.” Mesure bien le risque parce que c’est un
ticket aller. » Mais Philippot ne le croit pas, il n’imagine pas avoir besoin de
ticket retour.
En cette rentrée 2011, Florian Philippot vient donc de sortir de l’ombre.
Jean-Yves Le Gallou se rend à la cantine de l’IGA, « histoire de rigoler
deux minutes » et d’observer les réactions des anciens collègues du
nouveau directeur stratégique de Marine Le Pen. Son plateau de déjeuner
entre les mains, l’agent administratif s’installe à table et se fait aborder par
une collègue qui, encore étonnée, finit par oser demander : « Est-ce que
Florian a les idées du Front national ? — C’est préférable », espère celui
que tous ici connaissent pour avoir été au parti et surtout pour avoir
participé activement à la scission mégretiste en 1998. C’est d’ailleurs en
partie pour cela que Florian Philippot a accepté de travailler avec lui après
avoir été diplômé de l’ENA. A l’époque, sur la route de leurs missions ou à
l’heure du déjeuner dans les cafés des petites villes de France, le jeune
énarque l’interroge beaucoup sur les coulisses du putsch raté. Et puis,
quelque part, il est un peu intrigué par celui qui a, un temps, dirigé le
groupe FN en Ile-de-France. Lors de leur première mission ensemble en
2009 à Bordeaux, le voilà qui ose lui dire : « Je ne vois rien d’autre que les
identitaires. » Immédiatement, Philippot répond : « Moi je ne vois rien
d’autre que Marine Le Pen. — J’y crois pas une seconde », assène
Le Gallou. Les deux hommes ne se comprennent pas.
Florian Philippot plie donc bagage, serein, car il sait déjà quelle
fonction il va occuper au sein du Front national. Quelques mois plus tôt, fin
juin 2011, il a pris un verre dans le jardin de Marine Le Pen afin de réfléchir
à la personne qui pourrait devenir son directeur de campagne pour la
présidentielle à venir. Ils cherchent, évoquent une dizaine de noms. La
conversation est sur le point de tourner court quand Marine Le Pen tente
un : « Et pourquoi ça ne serait pas toi ? » Florian est surpris : « Oui, ça me
plairait, mais est-ce que c’est la bonne solution ? Je suis totalement nouveau
dans le parti aux yeux de 99 % des gens », questionne-t-il. Pour Marine,
c’est une évidence, mais elle ne veut pas le brusquer : sa décision, il peut
bien avoir quelques semaines pour la prendre. De toute façon, il ne se passe
pas grand-chose l’été, rien ne presse. Les grandes vacances passent et
Florian accepte le poste. Dans la foulée, il se met donc en disponibilité de
l’IGA. C’est ce qu’il fallait pour qu’il ose se lancer.
« J’ai choisi de privilégier la méritocratie sur l’ancienneté17 », explique
Marine Le Pen. Car si tous au sein du parti sont unanimes pour dire que
Florian Philippot gravit assez naturellement les échelons du FN, beaucoup
envient aussi cette proximité, cette relation de confiance qu’il a avec la
présidente. L’autre problème, c’est que le désormais vice-président du Front
national se fiche éperdument de ces jalousies. Il le dit volontiers à qui veut
l’entendre. Et ce détachement passe pour un manque d’intérêt de sa part.
« Florian Philippot n’aime pas les Le Pen, il n’aime que Marine », entend-
on dans les couloirs du parti. Or, « un mouvement politique c’est une
famille, il y a les joies et les blessures qu’on a vécues en commun, il y a des
codes18 », explique la patronne du FN. Et un cadre de surenchérir : « Il
pouvait se permettre ce genre de comportement parce qu’en 2011, Marion
n’existait pas encore. »

1. Entretien avec les auteurs (30 décembre 2016).

2. Entretien avec les auteurs (16 décembre 2016).

3. Emission « Mots croisés », France 2 (11 avril 2005).

4. Entretien avec les auteurs (16 décembre 2016).

5. Entretien avec les auteurs (16 décembre 2016).

6. Article du Parisien : « Adrien, haut fonctionnaire à Bercy et conseiller de Marine Le Pen » (8 avril 2011).

7. Entretien avec les auteurs (16 décembre 2016).

8. Economiste, élu député européen en 2014.

9. Enregistreur sonore portable utilisé par les journalistes radio.

10. Entretien avec l’une des auteurs (12 décembre 2016).

11. Entretien avec l’une des auteurs (12 décembre 2016).

12. Idem.

13. Aux européennes de 2009, le FN obtient 6,3 % des voix.

14. Entretien avec les auteurs (16 décembre 2016).

15. Entretien avec les auteurs (14 décembre 2016).

16. Jean-Yves Le Gallou était adjoint à la culture de Patrick Devedjian à la mairie d’Antony (Hauts-de-Seine) avant
de rejoindre le Front national en 1985.
17. Artiucle de David Doucet pour Les Inrocks : « Florian Philippot, le “gourou” de Marine Le Pen »
(17 mars 2013).

18. Entretien avec les auteurs (12 décembre 2016).


4
Le clan Le Pen

Ce week-end de novembre 2014, les adhérents et militants du Front


national ont rendez-vous dans la salle 3000, à Lyon. Un magnifique
amphithéâtre dessiné par Renzo Piano, en plein cœur de la cité
internationale de la ville, quai Charles-de-Gaulle. Tout est presque parfait.
Tout, sauf les deux mille militants de l’extrême gauche venus manifester
contre la tenue du XVe Congrès du FN dans « la capitale de la
Résistance » : une provocation. A les regarder, Florian Philippot se rend
compte qu’il reste encore quelques obstacles à l’entreprise de
dédiabolisation du parti. Pourtant, à l’intérieur, le spectacle n’est guère plus
réjouissant, même si Marine Le Pen vient d’être réélue présidente du parti,
avec 100 % des voix. Un score plus que soviétique, mais, après tout, elle
n’avait pas d’adversaire. En réalité, la difficulté vient plutôt de l’autre
élection du week-end : celle qui concerne le comité central du parti. Les
adhérents doivent se prononcer sur la centaine de personnes qui siégera au
Parlement du FN durant les trois prochaines années. Ce vote est crucial
pour qui veut tester sa popularité auprès des militants frontistes. Et pour
Florian Philippot en particulier, car c’est la première fois qu’il va s’y
confronter.
Normalement, le résultat devrait être annoncé le dimanche du congrès.
Les journalistes n’attendent que ça. Qui est devant qui ? Qui va faire son
entrée dans cette assemblée très prisée ? Qui sera contraint de la quitter ?
Les résultats vont être analysés, décortiqués, et toutes les conclusions
politiques ensuite tirées. Le suspense rend Florian Philippot quelque peu
nerveux. Il sait que son score va faire l’objet de tous les commentaires dans
les jours à venir. Ça tombe bien, à ce moment-là, il devrait être à Vienne
avec son amoureux, loin de tout ça. Il pourra souffler un peu. Ou pas, car
les premiers résultats finissent par fuiter dans la presse dès le samedi matin.
Ce n’est pas vraiment une surprise mais le score laisse cois la plupart des
observateurs et des cadres : Marion Maréchal-Le Pen arrive première au
classement, et avec 80 % des suffrages en plus1 ! A seulement vingt-quatre
ans, députée depuis deux ans, elle vient à peine de sortir du berceau
politique et passe déjà devant tous les cadres historiques du parti. C’est un
triomphe pour la jeune femme qui savoure, sur scène, sa mise en orbite.
Elle est applaudie, acclamée, elle sourit et lève la main pour saluer la foule.
En coulisse, Philippot, lui, manque de s’étrangler : il n’est arrivé que
quatrième. Et, qui plus est, derrière Steeve Briois et Louis Aliot. Pourtant,
plus de 68 % des adhérents ont voté pour lui, ce qui n’est pas si mal pour
quelqu’un qui n’est pas du sérail et qui n’a pas été biberonné au lait
lepéniste. C’est en tout cas le commentaire qu’en fait Marine Le Pen :
« Que Florian arrive à se hisser à une telle place, j’ai trouvé que c’était une
performance. Le congrès est toujours le reflet d’une actualité récente : ceux
qui viennent d’être élus députés ou maires ont en général une plus-value. »
Et de relativiser l’importance des idées dans cette élection. « A l’époque,
Marion n’avait pas exprimé de ligne politique spécifique. C’est une jeune
femme intelligente, jolie, très jeune. Courageuse. »2. Dans les coulisses,
Philippot assiste donc impuissant au sacre de la députée du Vaucluse. Les
médias, les militants, tout le monde ne parle que d’elle pendant tout le
week-end. La benjamine du clan Le Pen arrivée première, l’étoile montante
du parti adoubée, la révélation. La claque est dure à encaisser. D’autant que
certains soutiens de Marion Maréchal-Le Pen soupçonnent une fraude à son
bénéfice : Florian Philippot aurait en réalité recueilli moins de 68 % des
voix. « Il n’est pas impossible qu’on ait enjolivé un peu son résultat »,
commente un proche de la députée qui se souvient que, deux semaines
avant le début du congrès, « Philippot minimisait déjà l’importance du vote
pour le comité central. Il savait qu’il allait prendre une raclée ». Des
accusations graves, corroborées par un élu Front national des Hauts-de-
France : « Florian Philippot est allé pleurer auprès de Marine Le Pen. Elle a
fait en sorte que son score soit remonté. »
« C’est totalement faux », répond Nicolas Bay, secrétaire général du
parti et à l’époque responsable de cette élection. « Les résultats que nous
avons donnés sont ceux qui sont sortis du dépouillement le jeudi précédant
le congrès. Il y avait deux huissiers3. »
En attendant, le résultat reste le même : une fois de plus, c’est le clan
Le Pen qui est sacré. Alors, comme pour se rassurer, Florian Philippot lâche
à la presse : « Je n’ai pas ce coup de pouce de m’appeler Le Pen. Cela reste
indéniablement un coup de pouce. » Une référence au soutien explicite de la
présidente à sa nièce, juste avant le congrès. « Marion est courageuse et elle
a une qualité supplémentaire : elle s’appelle Le Pen », avait-elle concédé.
Des propos rapidement oubliés le samedi soir, lorsqu’une réunion est
organisée pour tirer les leçons de ce scrutin. Comme le veut la tradition,
Marion Maréchal-Le Pen, arrivée en tête, a transmis à sa tante une liste de
« noms à placer » dans les instances dirigeantes du parti. Pourtant, ce soir-
là, ses propositions ne sont pas prises en compte. Marion Maréchal-Le Pen
n’en revient pas. A la fin de la réunion, elle va donc trouver sa tante pour lui
faire part de sa contrariété. La présidente du FN ne veut rien savoir.
« Marion était mécontente du choix que j’ai fait au bureau politique parce
qu’un de ses proches n’avait pas été choisi. Ces mécontentements-là, j’en
gère quatorze par jour4 », lâche la patronne du parti. La discussion est
houleuse. A la sortie, Marion est « en larmes et en état de sidération »,
raconte un témoin. « Ils finiront par me le payer », aurait-elle même
déclaré. La scène est également rapportée par le journaliste Geoffroy
Lejeune de l’hebdomadaire Valeurs actuelles5. Une dispute que dément
catégoriquement Marine Le Pen. « M. Lejeune est un menteur, ami de
Marion, c’est un lobbyiste religieux », lance fermement la présidente du
Front national à l’encontre du désormais directeur de la rédaction du
magazine. « Je m’étonne d’ailleurs que Valeurs actuelles lui ait accordé une
telle place6 », ajoute-t-elle. Et l’un de ses proches d’abonder : « Ce n’est pas
une obligation pour la présidente de prendre en compte tous les souhaits de
Marion. Florian aussi, cela lui est arrivé qu’on lui refuse des postes pour ses
proches. »
A partir de ce moment-là, les deux rivaux vont se livrer une guerre de
positions. De toute façon, ce n’est pas comme s’ils s’entendaient bien avant,
simplement ils n’étaient alors pas dans l’opposition frontale. Leur relation
était réduite à son strict minimum. A peine quelques coups de fil pour caler
des éléments de langage. « Tu vas voter quoi tout à l’heure ? » lui demande-
t-il parfois, laconique, avant l’examen d’un texte à l’Assemblée nationale.
Histoire de présenter un minimum de cohérence sur les plateaux de
télévision. Et basta. C’est par leurs poulains que Marion et Florian
s’envoient des amabilités à la figure, notamment sur les réseaux sociaux, ce
qui met hors d’elle Marine Le Pen. « Tenez vos clébards », lance-t-elle
quand cela prend des proportions trop importantes. « Quand ils se prennent
un scud de Marine Le Pen, ils sont accrochés au plafond pour plusieurs
jours », raconte un « non-aligné ».
Entre eux, c’est à qui sera le mieux traité par Marine Le Pen. Le
problème pour Florian Philippot est que, malgré leurs divergences
politiques, Marine et Marion, elles, font partie de la même famille. Marine a
de l’affection pour Marion qu’elle considère comme « sa fille » sans jamais
oublier qu’elle est une « responsable politique ». Marion respecte sa tante
comme une figure autoritaire. « Avant d’être la présidente du parti, c’est ma
tante. Jamais je n’entrerai en concurrence avec ma tante7 », assure-t-elle…
au moins jusqu’à la présidentielle de 2017. Ce lien familial et indestructible,
Philippot le redoute. Marine Le Pen est beaucoup plus proche de lui sur le
plan des idées mais il ne fait pas partie de sa famille, de son clan. Entre
elles, c’est le chaud et le froid, le ciel breton. En bureau politique, Marion
Maréchal-Le Pen monte souvent au créneau pour affirmer ses positions sur
les sujets du moment. Marine peut la recadrer sévèrement, mais elles
finissent souvent par se tomber dans les bras. « Marion n’arrive pas à voir
sa tante comme une responsable politique, tout est dans l’affect. Elle
n’arrive pas à avoir de conversation franche et politique avec elle »,
décrypte un membre du bureau politique qui assiste souvent aux passes
d’armes. Florian Philippot, lui, reste en retrait. Il n’intervient que très
rarement au sein des instances dirigeantes. Ses silences en bureau politique,
sa complicité tacite avec Marine Le Pen, ses sourires en coin qu’on devine
derrière son regard de glace rendent fou le clan Le Pen. « Mais qu’il parle,
bon sang ! » « On ne sait jamais ce qu’il pense ! » Lui reste de marbre. Il
sait que le lendemain, il sera en tête à tête avec Marine Le Pen, dans son
bureau, autour d’un café, et qu’ils pourront définir ensemble la stratégie du
parti. Malgré cette grande confiance et ce sentiment d’être protégé,
Sébastien Chenu l’a prévenu : « N’oublie jamais que Marine et Marion ont
le même sang qui coule dans leurs veines. »
Entre Marion Maréchal-Le Pen et Florian Philippot, chacun reste donc
dans sa tranchée. Elle joue sur son nom, sa popularité, son sourire ravageur
et ses idées très à droite auxquelles elle n’a pas l’intention de renoncer. Lui
a les sondages et les bons résultats aux élections dus à la dédiabolisation du
parti. Et par moments, une charge lourde est envoyée. Comme ce soir
d’avril 2016, dans les colonnes du Monde. L’abrogation du mariage pour
tous ? « Un sujet aussi important que la culture du bonsaï8 », ironise
Philippot. Riposte immédiate de l’égérie frontiste de La Manif pour tous :
« Je trouve la phrase de Florian Philippot maladroite. Si la culture du bonsaï
entraînait des millions de gens dans la rue, cela vaudrait le coup de s’y
intéresser9. » De même, Marion Maréchal-Le Pen n’hésite pas à participer à
un colloque de l’Action française. Elle affirme aussi appartenir à une
génération « un peu soûlée par les valeurs de la République10 ». « Je ne
comprends pas cette obsession pour la République », poursuit-elle en
août 2015, dans la revue Charles11. Des propos impossibles pour Florian
Philippot qui rêve encore des « Républicains des deux rives », quand
Chevènement et Pasqua pouvaient peut-être imaginer une alliance, au nom
du souverainisme. Le gaullisme ? Elle le rejette comme tous les anciens de
l’OAS qu’elle a fréquentés petite. « Quand on parle de gaullisme, on oublie
un peu vite les harkis. Sans parler de l’anticommunisme qui est important
chez nous : les communistes ont causé une partie des problèmes auxquels
on est confrontés aujourd’hui, comme dans l’éducation. » La jeune députée,
qui n’a pas fini ses études de droit, estime que les programmes scolaires
« culpabilisent les élèves », notamment sur l’esclavage ou la décolonisation.
Elle aimerait qu’on se souvienne que les chrétiens aussi ont été mis en
esclavage. Florian Philippot, lui, ne supporte pas la droite réactionnaire et
ne veut surtout pas de polémiques publiques qui mettraient en danger sa
stratégie si fragile. Pire encore, à quatre mois de la présidentielle de 2017,
Marion Maréchal-Le Pen intervient dans les colonnes de Présent, quotidien
intégriste catholique, pour affirmer qu’il faudra « revenir sur le
remboursement intégral et illimité de l’interruption volontaire de
grossesse12 ». Le recadrage de Marine Le Pen ne se fait pas attendre : « Il
n’y aura aucune modification, ni du périmètre, ni de l’accès, ni du
remboursement de l’IVG13. » L’affaire était presque classée, mais Florian
Philippot intervient dès le lendemain sur BFMTV14 : « Cette personne est
seule et isolée au Front national. » Des mots qui font mal pour les
nombreux fans de la jeune députée. Dans la journée, de nombreux messages
de soutien lui parviennent sur les réseaux sociaux : des cadres locaux et des
militants postent sur Twitter et Facebook des photos d’eux à côté de Marion
et ajoutent ce commentaire : « Seule et isolée Marion ? Pas vraiment. On est
déjà deux… » Philippot enrage. Il demande à l’un de ses sbires de recenser
tous ceux qui la soutiennent. Façon de ne pas oublier. Wallerand de Saint-
Just regrette le comportement de Marion Maréchal-Le Pen « qui ne va pas
nous mener à la victoire » et qui ajoute de la division à la division. Nicolas
Bay, lui, ironise : « On se demande qui est isolé… » Marion Maréchal-
Le Pen va dans le même sens le dimanche suivant, dans les colonnes du
JDD15. Elle demande « plus de respect » de la part de Florian Philippot
après ce qu’elle qualifie « d’agression ». Elle appuie là où ça fait mal et dit
tout haut ce que de nombreux cadres n’osent même plus penser : « On ne
fait pas la ligne politique d’un parti seul, sur BFMTV. » Marine Le Pen est
vent debout. Elle est une nouvelle fois obligée d’intervenir pour éteindre le
feu entre les deux trublions. « Elle a trouvé cela honteux et leur a bien fait
comprendre qu’ils n’avaient pas intérêt à ce que cela se reproduise »,
rapporte un proche de Marine Le Pen. « Ils sont aussi sectaires l’un que
l’autre », tranche un cadre.
Bref, ils ne sont d’accord sur rien et cela commence à se voir. Sur les
hauteurs de Saint-Cloud, on observe cette guerre intestine avec délectation.
« Ce sont deux personnalités tout à fait antinomiques. Un homme, une
femme. Lui est un énarque, elle une juriste. Elle est catholique pratiquante,
lui je ne sais pas… Je ne crois pas, Lorrain ? » Jean-Marie Le Pen interroge
son conseiller de toujours, Lorrain de Saint Affrique. « Pratiquant, ça oui,
mais pas catholique… » La blague homophobe à peine voilée fera pouffer
les deux complices. « Ah, le coquin ! » conclut Jean-Marie Le Pen,
conscient du dérapage et changeant brutalement de sujet, tout sourire. « Où
en étions-nous déjà ? » Le Patriarche poursuit sur sa lancée : « Philippot ne
me gênait pas dans la mesure où il y avait des Gabriac16. Il y avait une
espèce d’éventail d’opinions, de gens qui ne pensent pas la même chose.
C’était ça le Front national. » Comme pour se faire remarquer, Jean-Marie
Le Pen étend alors son bras afin d’effectuer un salut nazi, de plusieurs
longues secondes. « Il paraît qu’on a vu une photo où le conseiller régional
Alexandre Gabriac faisait le salut nazi. Salut nazi qui aurait très bien pu être
d’ailleurs le serment du tribunal, le salut olympique ou même le salut
fasciste. Mais là, c’était le salut nazi. Bon, ça mérite un blâme, pas
l’exclusion17. »
De fait, il faut bien se rendre à l’évidence, même s’il a séduit la fille,
Florian Philippot fait face à un obstacle difficile à franchir : le clan Le Pen.
Car n’entre pas qui veut dans la famille du Menhir. Il faut présenter de
sérieuses références d’extrême droite et au moins une bonne dose de
« franchouillardise » pour y être accepté. Chaque anniversaire, chaque
réunion de famille est un moment privilégié pour se retrouver, se taquiner,
parler politique, rire aux éclats, festoyer autour de buffets généreux et
surtout chanter, la passion de Marine Le Pen, directement héritée de son
père. C’est bon vivant. C’est convivial. Florian Philippot, lui, ne vient pas
de cet univers. Il n’a ni l’histoire ni la culture de la droite nationale festive
et décomplexée. Pire, il n’en a même pas les qualités. Timide, discret, poli,
silencieux, il est l’inverse d’eux. « Toute la famille Le Pen le déteste. Et lui
ne peut pas les blairer non plus », résume l’un de ses amis du FN. Les
Le Pen n’ont surtout pas compris pourquoi ce « haut fonctionnaire venu de
la gauche » avait un jour atterri chez eux. A leurs yeux, le petit énarque
passe-partout de la banlieue de Lille n’aura jamais leur envergure. Eux, les
orateurs bretons fiers et puissants qui font bloc contre vents et marées
depuis plusieurs décennies n’ont aucune leçon à recevoir d’un gaulliste au
petit pied issu du système. Lui, Jean-Marie Le Pen, qui a dominé la scène
populiste française pendant tant d’années, qui a fait trembler la République
en 2002 et qui, comme le rappelle son portrait grimé en pirate à la longue-
vue accroché au-dessus de son bureau, a toujours eu un flair politique hors
norme, n’a pas à entendre les remarques déplacées d’un jeune homme. A
Montretout, assis près de sa cheminée un après-midi d’été, Jean-Marie
Le Pen ne veut même pas perdre son temps à discuter de celui qu’il ne
considère pas « comme un personnage central de la vie politique
française ». Son bras droit en revanche est plus loquace. Lorrain de Saint
Affrique a toujours une critique à formuler. « Il aurait la tête de Brad Pitt,
on s’inquiéterait. M’enfin là, franchement, on est tranquille… Il a beau aller
sur BFMTV matin, midi et soir, il n’imprime pas. Il est trop techno. On ne
comprend rien quand il parle, c’est son drame… » Les mots sont durs. Sous
les percussions du festival de musique Rock en Seine qui a lieu en
contrebas, Saint Affrique ferme le grand portail vert en fer forgé, avec un
sourire en coin, avant de remonter quatre à quatre les marches du perron
pour rejoindre son manitou.
C’est juste à côté de cette grande maison de style Napoléon III que
Florian Philippot a passé des soirées entières chez Marine Le Pen. Elle qui
occupait jusqu’en 2015 les anciennes écuries du domaine. Seul un jardin
sépare les deux édifices. Philippot passait donc par une entrée
indépendante, celle qui mène directement à son domicile, sans avoir à
s’arrêter devant la case paternelle. Une métaphore de son rôle au sein du
Front national : toujours avoir un accès direct à la présidente, jamais
d’intermédiaire.
De toute façon, ce n’est pas la peine de faire semblant avec la famille de
Marine Le Pen. Philippot s’est résolu à l’accepter : il n’aura jamais sa place
dans cette histoire familiale aux multiples rebondissements, où vies
politique et personnelle sont intimement mêlées. Il se souvient que la propre
sœur de Marine Le Pen, Marie-Caroline, a claqué la porte de chez son père
pour suivre son mari Philippe Olivier, proche de Bruno Mégret, au moment
de la scission de 1998, ajoutant un drame familial au drame politique qui se
joue déjà devant la France entière. Il connaît par cœur la phrase prononcée
par le Menhir, invité du 20 heures de TF1 un soir de décembre 1998 quand
il fustige « ces femmes qui ont l’habitude de suivre leur mari ou leur amant
plutôt que leur père18 ». Il sait que, depuis, père et fille aînée ne sont plus
jamais adressé la parole. Lui qui n’est même pas de la famille, ils
n’hésiteront pas à le rejeter à la moindre occasion. D’ailleurs, il sent bien
qu’on murmure des horreurs sur son compte dès qu’il tourne les talons.
« Tiens, je te présente celui dont tu as dû entendre parler comme de
Lucifer. » C’est ainsi que Marine Le Pen l’a présenté à sa mère, Pierrette
Le Pen, la première fois. Pour autant, Philippot ne tarit pas d’éloges à son
égard : il la trouve adorable, belle, géniale. La première épouse de Jean-
Marie Le Pen est même classée à « reine mère » dans son répertoire
téléphonique. Un surnom qu’elle s’est elle-même attribué lors d’un échange
de SMS alors qu’il avait perdu ses numéros et qu’il lui répondait d’un
timide « C’est qui ? ». Elle écrit souvent au conseiller de sa fille, comme ce
soir d’hiver, après un passage à la radio : « Je viens de t’écouter, tu m’as
enlevé toutes mes angoisses. Merci. » Philippot fait mine de ne pas
comprendre, mais il est touché par ce commentaire. Des mots doux de la
part d’une autre Le Pen que Marine, il faut savoir en profiter, ce n’est pas
monnaie courante. Pour autant, lorsqu’il a le dos tourné, ce n’est pas
vraiment la même histoire. En 2015, en pleine soirée du premier tour des
élections régionales, l’octogénaire est à Hénin-Beaumont quand elle
découvre les résultats à la télévision avec quelques cadres du parti réunis.
Florian Philippot apparaît alors sur BFMTV en duplex de l’Alsace-
Champagne-Ardenne-Lorraine où il est arrivé en tête avec 36,07 % des
voix. A côté d’elle, son voisin lui susurre : « Vous savez, il peut gagner… »
Soupirs de l’ancienne pin-up qui, depuis son fauteuil, lance un « Si au
moins ça pouvait lui apporter un peu de charisme ». Le mot est lâché.
Philippot n’a pas le « charisme » d’un Le Pen.
Peu lui importe. Il n’est pas venu au Front pour entendre les
commentaires désobligeants des anciens de l’Algérie française, des
catholiques intégristes ou des identitaires affirmés, de ceux qui, en somme,
n’ont jamais voulu rendre le FN acceptable. Au contraire, il veut justement
amener le parti loin de cette ambiance de rigolards toujours prêts à un bon
mot, surtout s’il est politiquement incorrect. Son truc à lui, c’est le fond : les
idées, la stratégie et la mise en place d’un mouvement efficace et
professionnel. Alors, pendant de longs mois, il va rénover le parti de fond
en comble avec un seul objectif : la victoire en 2017. Il met de l’ordre dans
les fédérations, vire les vieux tradis-nationalistes pour les remplacer par des
petits jeunes bien coiffés, dynamiques et « dans l’air du temps ». Son
professionnalisme est reconnu par tous. « C’est le seul à bosser », explique
Sébastien Chenu. « Evidemment que Marine s’appuie sur lui, il est
corvéable à merci », persifle Robert Ménard. Philippot bosse, sent
l’actualité, connaît parfaitement l’état de l’opinion publique, notamment
grâce à son frère, directeur d’études à l’Ifop jusqu’en 2016 et qui vient
d’ailleurs de rejoindre officiellement le mouvement19. Façon également de
placer l’un des siens au plus près de la présidente pour contrebalancer la
dynastie Le Pen et imposer son propre clan. Et puis, Florian Philippot
préfère se tenir éloigné de cette atmosphère qu’il abhorre. De toute façon, il
n’a pas besoin d’eux, il a réussi à créer une exclusivité avec Marine Le Pen
et entend bien en profiter. Quitte à se faire des ennemis fidèles, au sein
même de son propre camp.

1. Lors de l’élection du comité central, les adhérents FN peuvent voter pour plusieurs personnes.

2. Entretien avec l’une des auteurs (12 décembre 2016).

3. Entretien avec l’une des auteurs (30 décembre 2016).

4. Entretien avec l’une des auteurs (12 décembre 2016).

5. Emission « Envoyé spécial », « Florian Philippot, le Mazarin de Marine » par Raphaël Tresanini, France 2
(13 octobre 2016).

6. Idem.

7. Entretien avec les auteurs (13 septembre 2016).

8. Article d’Olivier Faye pour Le Monde. « Le FN capte l’attention d’une partie de l’électorat gay » (12 avril 2016).

9. Emission Le Grand Jury RTL-Le Figaro-LCI (17 avril 2016).


10. Interview réalisée sur I-Télé (27 avril 2016).

11. Article de Mathieu Dejean et David Doucet pour la revue Charles : « Marion Maréchal-Le Pen : “Je ne suis la
marionnette de personne” » (juin 2015).

12. Article de Samuel Martin pour Présent.fr. « Avortement et délit d’entrave : interview de Marion Maréchal-
Le Pen » (5 décembre 2016).

13. Article d’Olivier Faye pour lemonde.fr – Blog « Droites extrêmes ». « Marine Le Pen recadre Marion
Maréchal-Le Pen sur la question de l’avortement » (5 décembre 2016).

14. Interview réalisée sur BFMTV (6 décembre 2016).

15. Interview d’Anna Cabana et David Revault d’Allonnes pour Le Journal du dimanche : « Marion Maréchal-
Le Pen contre Florian Philippot : “On ne définit pas la ligne du FN tout seul sur BFMTV” » (11 décembre 2016).

16. Conseiller régional de Rhône-Alpes (2010-2015), exclu du FN en avril 2011.

17. Entretien avec les auteurs (26 août 2016).

18. Journal de 20 heures, TF1 (9 décembre 1998).

19. Damien Philippot rejoint le Front national en tant que directeur du pôle Rédaction de l’équipe de campagne de
Marine Le Pen, le 22 décembre 2016.
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schemes at a favorable moment, and the equally prompt recession
when conditions alter; the investment of great resources in
enterprises which yield no immediate return; the decision and
secrecy important in overcoming competitors; the unhesitating
sacrifice of workmen and their families when the market calls for a
shut-down of production—such traits as these are of the utmost
importance to commercial success, and belong to arbitrary control
rather than to anything of a more popular sort. On the other hand, it
would be easy to show at any length desired that such control is
accompanied by a widespread disaffection of spirit on the part of the
working classes, which, expressed in unwilling labor, strikes and
agitation, is a commercial disadvantage, and a social problem so
urgent as to unsettle the whole economic system.
The autocratic system has evidently a special advantage in a time
of rapid and confused development, when conditions are little
understood or regulated, and the state of things is one of somewhat
blind and ruthless warfare; but it is quite possible that as the new
industries become established and comparatively stable, there will
be a commercial as well as a social demand for a system that shall
invite and utilize more of the good-will and self-activity of the
workman. “The system which comes nearest to calling out all the
self-interests and using all the faculties and sharing all the benefits
will outcompete any system that strikes a lower level of motive
faculty and profit.”[120] And the penetrating thinker who wrote this
sentence believed that the function of the autocratic “captain of
industry” was essentially that of an explorer and conqueror of new
domains destined to come later under the rule of a commonwealth.
Indeed the rise, on purely commercial grounds, of a more humane
and individualizing tendency, aiming in one way or another to
propitiate the self-feeling of the workman and get him to identify
himself with his work, is well ascertained. Among the familiar phases
of this are the notable growth of coöperative production and
exchange in Belgium, Russia and other European countries, the
increasing respect for labor unions and the development by large
concerns of devices for insurance, for pensions, for profit-sharing
and for the material and social comfort of their employees. “As a
better government has come up from the people than came down
from the kings, so a better industry appears to be coming up from
the people than came down from the capitalists.”[121]
In some form or other the democratic principle is sure to make its
way into the economic system. Coöperation, labor unions, public
regulation, public ownership and the informal control of opinion will
no doubt all have a part; the general outcome being that the citizen
becomes a more vital agent in the life of the whole.
Before discussing further the power of the capitalist-manager
class, we ought to think out clearly just what we mean by social
power, since nowhere are we more likely to go astray than in
vagueness regarding such notions.
Evidently the essence of it is control over the human spirit, and the
most direct phases of power are immediately spiritual, such as one
mind exercises over another by virtue of what it is, without any
means but the ordinary symbols of communication. This is live,
human power, and those who have it in great degree are the prime
movers of society, whether they gain any more formal or
conventional sort or not. Such, for instance, are the poets, prophets,
philosophers, inventors and men of science of all ages, the great
political, military and religious organizers, and even the real captains
of industry and commerce. All power involves in its origin mental or
spiritual force of some sort; and so far as it attaches to passive
attributes, like hereditary social position, offices, bank-accounts, and
the like, it does so through the aid of conventions and habits which
regard these things as repositories of spiritual force and allow them
to exercise its function.
In its immediate spiritual phase power is at a maximum of vitality
and a minimum of establishment. Only a few can recognize it. Its
possessors, then, strive to establish and organize it, to give it social
expression and efficacy, to gain position, reputation or wealth. Since
power is not apparent to the common mind until it takes on these
forms, they are, to superficial observation and in all the conventional
business of life, the only valid evidence of it. And yet by the time
these symbols appear, the spiritual basis has often passed away.
Primary power goes for the most part unseen, much of it taking on
no palpable form until late in life, much yielding only posthumous
reputation, and much, and that perhaps the finest sort, having never
any vulgar recognition whatever.
Regarding money-value we may say, in general, that it is one
expression of the conventional or institutional phase of society, and
exhibits all that mixture of grandeur and confusion with which nature
usually presents herself to our understanding. I mean that its
appraisal of men and things is partly expressive of great principles,
and partly, so far as we can see, unjust, trivial or accidental. Some
gains are vital or organic, springing from the very nature of life and
justified as we come to understand that life; some are fanciful,
springing from the tastes or whims of the rich, like the value of
diamonds or first editions, and some parasitical, like those of the
legally-protected swindler. In general the values of the market are
those of the habitual world in all its grossness; spiritual values,
except those that have become conventional, being little felt in it.
These appeal to the future. The detailed working of market value has
no ascertainable connection with moral worth, and we must not
expect it to have. If a man’s work is moral, in the higher sense, it is in
its nature an attack upon the habitual world which the latter is more
likely to resent than reward. One can only take up that useful work
that seems best suited to him, trying to be content if its value is
small, and, if large, to feel that the power over money it gives him is
rightly his only in so far as he uses it for the general good.
The more tangible kind of social power—so far as it is intrinsic to
the man and not adventitious like inherited wealth—depends chiefly
upon organizing capacity, which may be described as the ability to
build and operate human machinery. It has its roots in tact and skill
in dealing with men, in tenacity, and in a certain instinct for
construction. One who possesses it sees a new person as social
material, and is likely to know what can be made of him better than
he knows himself.[122]
Of all kinds of leadership this has the readiest recognition and the
highest market value; and naturally so, since it is essential to every
sort of coöperative achievement. Its possessors understand the
immediate control of the world, which they will exercise no matter
what the apparent forms of organization may be. In all ages they
have gained and held the grosser forms of power, whenever these
were at all open to competition. Thus, during the early Middle Age,
men of energy and management, more or less favored by situation,
built up for themselves local authority and estate, or perhaps
exploited the opportunities for still wider organization, like the
founders of Burgundy and Brittany and the early kings of France;
very much in the same manner as men of our own day build up
commercial and industrial systems and become senators and railway
presidents.
Indeed, this type of ability was never in such demand as it now is,
for the conduct of the vast and diverse social structures rising about
us—industrial enterprises, political parties, labor unions,
newspapers, universities and philanthropies.
It has its high money value partly because of its rarity and partly
because there is a regular market for it; the need being so urgent
and obvious as to create a steady and intelligent demand. In this
latter respect it contrasts with services, like moral leadership, which
people need but will seldom pay for. A third reason is that its
possessors are almost always clever enough to know their own
value and secure its recognition.
In discussing the power of the capitalist class there is no question
of the finer and higher forms of power. We shall rarely find among
the rich any pregnant spiritual leadership, theirs being a pedestrian
kind of authority which has a great deal to do with the every-day
comfort of their contemporaries but does not attempt to sway the
profounder destinies of the race. Nor does the world often accord
them enduring fame: lacking spiritual significance their names are
writ in water. Even in industry the creative thought, the inventions
which are the germs of a new era, seldom come from money-
winners, since they require a different kind of insight.
The capitalist represents power over those social values that are
tangible and obvious enough to have a definite standing in the
market. His money and prestige will command food, houses, clothes,
tools and all conventional and standard sorts of personal service,
from lawn-mowing to the administration of a railroad, not genius or
love or anything of that nature. That wealth means social power of
this coarser sort is apparent in a general way, and yet merits a
somewhat closer examination.
We have, first, its immediate power over goods and services: the
master of riches goes attended by an invisible army of potential
servitors, ready to do for him anything that the law allows, and often
more. He is in this way, as in so many others, the successor of the
nobleman of mediæval and early modern history, who went about
with a band of visible retainers eager to work his will upon all
opposers. He is the ruler of a social system wherever he may be.
The political power of wealth is due only in part to direct
corruption, vast as that is, but is even more an indirect and perfectly
legal pressure in the shape of inducements which its adroit use can
always bring to bear—trade to the business man, practice to the
lawyer and employment to the hand-worker: every one when he
thinks of his income wishes to conciliate the rich. Influence of this
sort makes almost every rich man a political power, even without his
especially wishing to be. But when wealth is united to a shrewd and
unscrupulous political ambition, when it sets out to control legislation
or the administration of the laws, it becomes truly perilous. We
cannot fail to see that a large part of our high offices are held by men
who have no marked qualification but wealth, and would be
insignificant without it; also that our legislation—municipal, state and
national—and most of our administrative machinery, feel constantly
the grasp of pecuniary power. Probably it is not too much to say that
except when public opinion is unusually aroused wealth can
generally have its way in our politics if it makes an effort to do so.
As to the influence of the rich over the professional classes—
lawyers, doctors, clergymen, teachers, civil and mechanical
engineers and the like—we may say in general that it is potent but
somewhat indirect, implying not conscious subservience but a moral
ascendency through habit and suggestion. The abler men of this sort
are generally educated and self-respecting, have a good deal of
professional spirit and are not wholly dependent upon any one
employer. At the same time, they get their living largely through the
rich, from whom the most lucrative employment comes, and who
have many indirect ways of making and marring careers. The ablest
men in the legal profession are in close relations with the rich and
commonly become capitalists themselves; physicians are more
independent, because their art is not directly concerned with
property, yet look to wealthy patients for their most profitable
practice; clergymen are under pressure to satisfy wealthy
parishioners, and teachers must win the good will of the opulent
citizens who control educational boards.
Now there is nothing in social psychology surer than that if there is
a man by whose good will we desire to profit, we are likely to adapt
our way of thinking to his. Impelled to imagine frequently his state of
mind, and to desire that it should be favorable to our aims, we are
unconsciously swayed by his thought, the more so if he treats us
with a courtesy which does not alarm our self-respect. It is in this
way that wealth imposes upon intellect. Who can deny it?
Newspapers are generally owned by men of wealth, which has no
doubt an important influence upon the sentiments expressed in
them; but a weightier consideration is the fact that they depend for
profit chiefly upon advertisements, the most lucrative of which come
from rich merchants who naturally resent doctrines that threaten their
interest. Of course the papers must reach the people, in order to
have a value for advertising or any other purpose, and this requires
adaptation to public opinion; but the public of what are known as the
better class of papers are chiefly the comparatively well-to-do. And
even that portion of the press which aims to please the hand-working
class is usually more willing to carry on a loud but vague agitation,
not intended to accomplish anything but increase circulation, than to
push real and definite reform.
All phases of opinion, including the most earnest and honest
inquiry into social questions, finds some voice in print, but—leaving
aside times when public opinion is greatly aroused—those phases
that are backed by wealthy interests have a great advantage in the
urgency, persistence and cleverness with which they are presented.
At least, this has been the case in the past. It is a general feeling of
thoughtful men among the hand-working class that it is hard to get a
really fair statement of their view of industrial questions from that
portion of the newspaper and magazine press that is read by well-to-
do people. The reason seems to be mainly that the writers live
unconsciously in an atmosphere of upper-class ideas from which
they do not free themselves by thorough inquiry. Besides this, there
is a sense of what their readers expect, and also, perhaps, a vague
feeling that the sentiments of the hand-working class may threaten
public order.
Since the public has supplanted the patron, a man of letters has
least of all to hope or fear from the rich—if he accepts the opinion of
Mr. Howells that the latter can do nothing toward making or marring
a new book.
The power of wealth over public sentiment is exercised partly
through sway over the educated classes and the press, but also by
the more direct channel of prestige. Minds of no great insight, that is
to say the majority, mould their ideals from the spectacle of visible
and tangible success. In a commercial epoch this pertains to the
rich; who consequently add to the other sources of their influence
power over the imagination. Millions accept the money-making ideal
who are unsuited to attain it, and run themselves out of breath and
courage in a race they should never have entered; it is as if the thin-
legged and flat-chested people of the land should seek glory in foot-
ball. The money-game is mere foolishness and mortification for most
of us, and there is a madness of the crowd in the way we enter into
it. Even those who most abuse the rich commonly show mental
subservience in that they assume that the rich have, in fact, gotten
what is best worth having.
As hinted above, there is such a thing as an upper-class
atmosphere, in the sense of a state of mind regarding social
questions, initiated by the more successful money-winners and
consciously or unconsciously imposed upon business and
professional people at large. Most of us exist in this atmosphere and
are so pervaded by it that it is not easy for us to understand or fairly
judge the sentiment of the hand-working classes. The spokesmen of
radical doctrines are, in this regard, doing good service to the public
mind by setting in motion counterbalancing, if not more trustworthy,
currents of opinion.
If any one of business or professional antecedents doubts that he
breathes a class atmosphere, let him live for a time at a social
settlement in the industrial part of one of our cities—not a real
escape but as near it as most of us have the resolution to achieve—
reading working-class literature (he will be surprised to find how well
worth reading it is), talking with hand-working people, attending
meetings, and in general opening his mind as wide as possible to the
influences about him. He will presently become aware of being in a
new medium of thought and feeling; which may or may not be
congenial but cannot fail to be instructive.

FOOTNOTES:
[119] The Spirit of Laws, book v, chap. 6.
[120] Henry D. Lloyd, Man the Social Creator, 255.
[121] Idem, 246. Lloyd was rather a prophet than a man of
science, but there is a shrewd sense of fact back of his visions.
[122] Such a one

“Lässt jeden ganz das bleiben was er ist;


Er wacht nur drüber das er’s immer sei
Am rechten Ort; so weiss er aller Menschen
Vermögen zu dem seinigen zu machen.”

“He lets every one remain just what he is, but takes care that
he shall always be it in the right place: thus he knows how to
make all men’s power his own.” Schiller, Wallenstein’s Lager, I, 4.
CHAPTER XXIV
ON THE ASCENDENCY OF A CAPITALIST CLASS—

Continued

The Influence of Ambitious Young Men—Security of the


Dominant Class in an Open System—Is there Danger of
Anarchy and Spoliation?—Whether the Sway of Riches is
Greater now than Formerly—Whether Greater in
America than in England.
In any society where there is some freedom of opportunity
ambitious young men are an element of extreme importance. Their
numbers are formidable and their intelligence and aggressiveness
much more so: in short, they want an opening and are bound to get
it.
As the members of this class are mainly impecunious, it might be
supposed that they would be a notable offset to the power of wealth;
and in a sense they are. It is their interest to keep open the
opportunity to rise, and they are accordingly inimical to caste and
everything which tends toward it. But it by no means follows that they
are opposed to the ascendency of an upper class based on wealth
and position. This becomes evident when one remembers that their
aim is not to raise the lower class, but to get out of it. The rising
young man does not identify himself with the lowly stratum of society
in which he is born, but, dissatisfied with his antecedents, he strikes
out for wealth, power or fame. In doing so he fixes his eyes on those
who have these things, and from whose example he may learn how
to gain them; thus tending to accept the ideals and standards of the
actual upper class. He gives a great deal of attention to the points of
view of A, a railroad president, B, a senator, and even of C, head of
a labor organization, but to a mere farmer or laborer, whose hand is
on no levers, he is indifferent.
The students of our universities are subject to a conflict between
the healthy idealism of youth, which prevails with the more generous,
and the influences just indicated, which become stronger as
education draws closer to practical affairs. On the whole, possessed
of one great privilege and eager to gain others, they are not so close
in spirit to the unprivileged classes as might be imagined.
Thus the force of ambitious youth goes largely to support the
ascendency of the money-getting class; directly, in that it accepts the
ideals of this class and looks forward to sharing its power; indirectly,
in that it is withdrawn from the resources of the humbler class. How
long will the rising lawyer retain his college enthusiasm for social
reform if the powers that be welcome him and pay him salaries?
We have then the fact, rather paradoxical at first sight, that the
dominant class in a competitive society, although unstable as to its
individual membership, may well be more secure as a whole than
the corresponding class under any other system—precisely because
it continually draws into itself most of the natural ability from the
other classes. Throughout English history, we are told, the salvation
of the aristocracy has been its comparative openness, the fact that
ability could percolate into it, instead of rising up behind it like water
behind a dam, as was the case in pre-revolutionary France. And the
same principle is working even more effectually in our own economic
order. A great weakness of the trades-union movement, as of all
attempts at self-assertion on the part of the less privileged classes, is
that it is constantly losing able leaders. As soon as a man shows that
marked capacity which would fit him to do something for his fellows,
it is ten to one that he accepts a remunerative position, and so
passes into the upper class. It is increasingly the practice—perhaps
in some degree the deliberate policy—of organized wealth to win
over in this way the more promising leaders from the side of labor;
and this is one respect in which a greater class-consciousness and
loyalty on the part of the latter would add to its strength.
Thus it is possible to have freedom to rise and yet have at the
same time a miserable and perhaps degraded lower class—
degraded because the social system is administered with little regard
to its just needs. This is more the case with our own industrial
system, and with modern society in general, than our self-
satisfaction commonly perceives. Our one-sided ideal of freedom,
excellent so far as it goes, has somewhat blinded us to the
encroachments of slavery on an unguarded flank. I mean such
things as bad housing, insecurity, excessive and deadening work,
child labor and the lack of any education suited to the industrial
masses—the last likely to be remedied now that it is seen to threaten
industrial prosperity.
It is hard to say how much of the timidity noticeable in the
discussion of questions of this sort by the comfortable classes is due
to a vague dread of anarchy and spoliation by an organized and self-
conscious lower class; but probably a good deal. If power, under
democracy, goes with numbers, and the many are poor, it would
seem at first glance that they would despoil the few.
To conservative thinkers a hundred, or even fifty, years ago this
seemed almost an axiom, but a less superficial philosophy has
combined with experience to show that anarchy, in Mr. Bryce’s
words, “is of all dangers or bugbears the one which the modern
world has least cause to fear.”[123]
The most apparent reason for this is the one already discussed,
namely, that power does not go with mere numbers, under a
democracy more than under any other form of government; a
democratic aristocracy, that is, one whose members maintain their
position in an open struggle, being without doubt the strongest that
can exist. We shall never have a revolution until we have caste;
which, as I have tried to show, is but a remote possibility. And as an
ally of established power we have to reckon with the inertia of social
structure, something so massive and profound that the loudest
agitation is no more than a breeze ruffling the surface of deep
waters. Dominated by the habits which it has generated, we all of us,
even the agitators, uphold the existing order without knowing it.
There may, of course, be sudden changes due to the fall of what has
long been rotten, but I see little cause to suppose that the timbers of
our system are in this condition: they are rough and unlovely, but far
from weak.
Another conservative condition is that economic solidarity which
makes the welfare of all classes hang together, so that any general
disturbance causes suffering to all, and more to the weak than to the
strong. A sudden change, however reasonable its direction, must in
this way discredit its authors and bring about reaction. The hand-
working classes may get much less of the economic product than
they ought to; but they are not so badly off that they cannot be
worse, and, unless they lose their heads, will always unite with other
classes to preserve that state of order which is the guaranty of what
they have. Anarchy would benefit no one, unless criminals, and
anything resembling a general strike I take to be a childish expedient
not likely to be countenanced by the more sober and hard-headed
leaders of the labor movement. All solid betterment of the workers
must be based on and get its nourishment from the existing system
of production, which must only gradually be changed, however
defective it may be. The success of strikes, and of all similar tactics,
depends, in the nature of things, on their being partial, and drawing
support from the undisturbed remainder of the process. It is the
same principle of mingling stability with improvement which governs
progress everywhere.
And, finally, effective organization on the part of the less privileged
classes goes along with intelligence, with training in orderly methods
of self-assertion, and with education in the necessity of patience and
compromise. The more real power they get, the more conservatively,
as a rule, they use it. Where free speech exists there will always be
a noisy party advocating precipitate change (and a timid party who
are afraid of them), but the more the people are trained in real
democracy the less will be the influence of this element.
Whatever divisions there may be in our society, it is quite enough
an organic whole to unite in casting out tendencies that are clearly
anarchic. And it is also evident that such tendencies are to be looked
for at least as much among the rich as among the poor. If we have at
one extreme anarchists who would like to despoil other people, we
have, at the other, monopolists and financiers who actually do so.
It is a common opinion that the sway of riches over the human
mind is greater in our time than previously, and greater in America
than elsewhere. How far is this really the case?
To understand this matter we must not forget that the ardor of the
chase—as in a fox hunt—may have little to do with the value of the
quarry. The former, certainly, was never so great in the pursuit of
wealth as here and now; chiefly because the commercial trend of the
times, due to a variety of causes, supplies unequalled opportunities
and incitements to engage in the money-game. In this, therefore, the
competitive zeal of an energetic people finds its main expression.
But to say that wealth stands for more in the inner thought of men,
that to have or not to have it makes a greater intrinsic difference, is
another and a questionable proposition, which I am inclined to think
opposite to the truth. Such spiritual value as personal wealth has
comes from its power over the means of spiritual development. It is,
therefore, diminished by everything which tends to make those
means common property: and the new order has this tendency.
When money was the only way to education, to choice of
occupation, to books, leisure and variety of intercourse, it was
essential to the intellectual life; there was no belonging to the
cultured class without it. But with free schools and libraries, the
diffusion of magazines and newspapers, cheap travel, less
stupefying labor and shorter hours, culture opportunity is more and
more extended, and the best goods of life are opened, if not to all,
yet to an ever-growing proportion. Men of the humblest occupations
can and do become gentlemen and scholars. Indeed, people are
coming more and more to think that exclusive advantages are
uncongenial to real culture, since the deepest insight into humanity
can belong only to those who share and reflect upon the common
life.
The effect is that wealth is shorn of much of that prestige of
knowledge, breeding and opportunity which always meant more than
its material power. The intellectual and spiritual centre of gravity, like
the political, sinks down into the masses of the people. Though our
rich are rich beyond the dreams of avarice, they mean less to the
inner life of the time, exercise less spiritual authority, perhaps, than
the corresponding class in any older society. They are the objects of
popular curiosity, resentment, admiration or envy, rather than the
moral deference given to a real aristocracy. They are not taken too
seriously. Indeed, there could be no better proof that the rich are no
overwhelming power with us than the amount of good-natured
ridicule expended upon them. Were they really a dominant order, the
ridicule, if ventured at all, would not be good-natured. Their
ascendency is great when compared with a theory of equality—and
in this sense the remarks in the last chapter should be understood—
but small compared with that of the ruling classes of the Old World.
Over a class of frenzied gold-seekers, rich or poor, chiefly in the
towns, the money-idea is no doubt ascendant; but if you approach
the ordinary farmer, mechanic or sober tradesman you are likely to
find that he sets no high rate on wealth beyond what is necessary for
the frugal support of a family, and that he neither admires nor envies
the rich, but looks at the millionaire and thinks: “After all, it isn’t life.
What does he get out of it more than the rest of us?” The typical
American is an idealist, and the people he looks up to are those who
stand in some way for the ideal life—or whom he supposes to do so
—most commonly statesmen, but often writers, scientists or
teachers. Education and culture, as Mr. Bryce and others have
noticed, is cherished by plain people all over the land, often to a
degree that puts to shame its professed representatives.
We find, then, that agitators who strive to incite the people against
the rich encounter with disgust an idealism which refuses to believe
that their advantages are extravagantly great; and one of the main
grievances of such men is what they look upon as the folly or lack of
spirit of the poor in this regard.
Never before, probably, was there so large a class of people who,
having riches, feel that they are a doubtful blessing, especially in
relation to the nurture of children. Many a successful man is at his
wits’ end to give his children those advantages of enforced industry,
frugality and self-control which he himself enjoyed. One of the richest
men of the day holds that accumulations are generally bad for the
children, as well as for society, and favors almost unlimited
graduated taxation of inheritances.[124] According to the philosophy
which he supports by practice as well as theory, the man who finds
himself rich is to live modestly and use his surplus as a trust fund for
the benefit of the public.
What would a man wish for his own son, if he could choose? First,
no doubt, some high and engrossing purpose, which should fill his
life with the sense of worthy striving and aspiration. After this he
would wish for health, friends, peace of mind, the enjoyment of
books, a happy family life and material comfort. But the last, beyond
that degree which even unskilled labor should bring, he would regard
as of secondary importance. Not a straitened house and table but a
straitened soul is the real evil, and the two are more separable now
than formerly. The more a real democracy prevails, the less is the
spiritual ascendency of riches.
There is, for instance, no such settled and institutional deference
to wealth in the United States as there seems to be in England; the
reason being, in part, that where there are inherited classes there
are also class standards of living, costly in the upper class, to which
those who would live in good company are under pressure to
conform. In England there is actually a ruling order, however ill
defined, which is generally looked up to and membership in which is
apparently the ambition of a large majority of all aspiring men who do
not belong to it by birth. Its habits and standards are such that only
the comparatively rich can be at home in it. There is nothing
corresponding to this with us. We have richer men and the pursuit of
riches is an even livelier game, but there is no such ascendency in
wealth, no such feeling that one must be rich to be respectable. With
us, if people have money they enjoy it; if not, they manage with what
they have, neither regarding themselves nor regarded by others as
essentially inferior.
It is also a general feeling here that wealth should not be a
controlling factor in marriage, and it is not common for American
parents to object seriously to a proposed son-in-law (much less a
daughter-in-law) on the mere ground of lack of means, apart from his
capacity to earn a living. The matter-of-fact mercenariness in this
regard which, as we are led to believe by the novelists, prevails in
the upper circles of England, is as yet somewhat shocking to the
American mind.
Hereditary titles, sometimes imagined to be a counterpoise to the
ascendency of wealth, are really, in our time at least, a support and
sanction to it, giving it an official standing and permanence it cannot
have in democracy. We understand that in England wealth—with
tact, patience and maybe political services—will procure a title,
which, unlike anything one can get for money in America, is
indestructible by vice and folly, and can be used over and over to
buy wealth in marriage. “Nothing works better in America than the
promptness with which the degenerate scions of honored parents
drop out of sight.”[125] Rank is not an offset but a reward and bribe to
wealth; perhaps the only merit that can be claimed for it in this
connection being that the desire and deference for it imposes a
certain discipline on the arrogance of newly acquired riches.
The English idea that those in high offices should have a
magnificent style of living, “becoming to their station,” is also one that
goes with caste feeling. It makes it hardly decent for the poor to hold
such offices, and is almost absent here, where, if riches are
important to political success, the condition is one of which the
people do not approve and would gladly dispense with.
I doubt whether the whole conception which imputes merit to
wealth and seeks at least the appearance of the latter in modes of
dress, attendance and the like, is not stronger everywhere in Europe
than in the United States.

FOOTNOTES:
[123] The American Commonwealth, Chapter 94.
[124] Andrew Carnegie.
[125] T. W. Higginson, Book and Heart, 145.
CHAPTER XXV
THE ORGANIZATION OF THE ILL-PAID CLASSES

The Need of Class Organization—Uses and Dangers of


Unions—General Disposition of the Hand-Working
Classes.
It is not the purpose of this book to add anything to the merely
controversial literature of the time; and in treating the present topic I
intend no more than to state a few simple and perhaps obvious
principles designed to connect it with our general line of thought.
It is quite apparent that an organized and intelligent class-
consciousness in the hand-working people is one of the primary
needs of a democratic society. In so far as this part of the people is
lacking in a knowledge of its situation and in the practice of orderly
self-assertion, a real freedom will also be lacking, and we shall have
some kind of subjection in its place; freedom being impossible
without group organization. That industrial classes exist—in the
sense already explained[126]—cannot well be denied, and existing
they ought to be conscious and self-directing.
The most obvious need of class-consciousness is for self-
assertion against the pressure of other classes, and this is both most
necessary and most difficult with those who lack wealth and the
command over organized forces which it implies. In a free society,
especially, the Lord helps those who help themselves; and those
who are weak in money must be strong in union, and must also exert
themselves to make good any deficiency in leadership that comes
from ability deserting to more favored classes.
That the dominant power of wealth has an oppressive action, for
the most part involuntary, upon the people below, will hardly be
denied by any competent student. The industrial progress of our time
is accompanied by sufferings that are involved with the progress.
These sufferings—at least in their more tangible forms—fall almost
wholly upon the poorer classes, while the richer get a larger share of
the increased product which the progress brings. By sufferings I
mean not only the physical hardship and liability to disease, early
decay, and mutilation or death by accident, which fall to the hand-
worker; but also the debasement of children by premature and
stunting labor, the comparative lack of intellectual and social
opportunities, the ugly and discouraging surroundings, and the
insecurity of employment, to which he and his are subject. There is
no purpose to inflict these things; but they are inflicted, and the only
remedy is a public consciousness, especially in the classes who
suffer from them, of their causes and the means by which they can
be done away with.
The principal expressions of class-consciousness in the hand-
working classes in our day are labor unions and that wider, vaguer,
more philosophical or religious movement, too various for definition,
which is known as socialism. Regarding the latter I will only say at
present that it includes much of what is most vital in the
contemporary working of the democratic spirit; the large problems
with which its doctrines deal I prefer to discuss in my own way.
Labor unions are a simpler matter. They have arisen out of the
urgent need of self-defence, not so much against deliberate
aggression as against brutal confusion and neglect. The industrial
population has been tossed about on the swirl of economic change
like so much sawdust on a river, sometimes prosperous, sometimes
miserable, never secure, and living largely under degrading,
inhuman conditions. Against this state of things the higher class of
artisans—as measured by skill, wages and general intelligence—
have made a partly successful struggle through coöperation in
associations, which, however, include much less than half of those
who might be expected to take advantage of them.[127] That they are
an effective means of class self-assertion is evident from the
antagonism they have aroused.
Besides their primary function of group-bargaining, which has
come to be generally recognized as essential, unions are performing
a variety of services hardly less important to their members, and
serviceable to society at large. In the way of influencing legislation
they have probably done more than all other agencies together to
combat child-labor, excessive hours, and other inhuman and
degrading kinds of work; also to provide for safeguards against
accident, for proper sanitation of factories, and the like. In this field
their work is as much defensive as aggressive, since employing
interests, on the other side, are constantly influencing legislation and
administration to their own advantage.
Their function as spheres of fellowship and self-development is
equally vital and less understood. To have a we-feeling, to live
shoulder to shoulder with one’s fellows, is the only human life; we all
need it to keep us from selfishness, sensuality and despair, and the
hand-worker needs it even more than the rest of us. Usually without
pecuniary resource and insecure of his job and his home, he is, in
isolation, miserably weak and in a way to be cowed and unmanned
by misfortune or mere apprehension. Drifting about in a confused
society, unimportant, apparently, to the rest of the world, it is no
wonder if he feels

“I am no link of Thy great chain,”[128]

and loses faith in himself, in life and in God. The union makes him
feel that he is part of a whole, one of a fellowship, that there are
those who will stand by him in trouble, that he counts for something
in the great life. He gets from it that thrill of broader sentiment, the
same in kind that men get in fighting for their country; his self is
enlarged and enriched and his imagination fed with objects,
comparatively, “immense and eternal.”
Moreover, the life of labor unions and other class associations,
through the training which it gives in democratic organization and
discipline, is perhaps the chief guaranty of the healthy political
development of the hand-working class—especially those imported
from non-democratic civilizations—and the surest barrier against
recklessness and disorder. That their members get this training will
be evident to anyone who studies their working, and it is not
apparent that they would get it in any other way. Men learn most in
acting for purposes which they understand and are interested in, and
this is more certain to be the case with economic aims than with any
other.
Thus, if unions should never raise wages or shorten hours, they
would yet be invaluable to the manhood of their members. At worst,
they ensure the joy of an open fight and of companionship in defeat.
Self-assertion through voluntary organization is of the essence of
democracy, and if any part of the people proves incapable of it it is a
bad sign for the country. On this ground alone it would seem that
patriots should desire to see organization of this sort extend
throughout the industrial population.
The danger of these associations is that which besets human
nature everywhere—the selfish use of power. It is feared with reason
that if they have too much their own way they will monopolize
opportunity by restricting apprenticeship and limiting the number of
their members; that they will seek their ends through intimidation and
violence; that they will be made the instruments of corrupt leaders.
These and similar wrongs have from time to time been brought home
to them, and, unless their members are superior to the common run
of men, they are such as must be expected. But it would be a
mistake to regard these or any other kinds of injustice as a part of
the essential policy of unions. They are feeling their way in a human,
fallible manner, and their eventual policy will be determined by what,
in the way of class advancement, they find by experience to be
practicable. In so far as they attempt things that are unjust we may
expect them, in the long run, to fail, through the resistance of others
and through the awakening of their own consciences. It is the part of
other people to check their excesses and cherish their benefits.
In general no sort of persons mean better than hand-laboring men.
They are simple, honest people, as a rule, with that bent toward
integrity which is fostered by working in wood and iron and often lost
in the subtleties of business. Moreover, their experience is such as to
develop a sense of the brotherhood of man and a desire to realize it
in institutions. Not having enjoyed the artificial support of
accumulated property, they have the more reason to know the
dependence of each on his fellows. Nor have they any great hopes

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