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HOW FAITH COMES WORKBOOK:

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offre successivement, afin de nous adoucir, des poignées de
fromage en poudre, du zamba, de la viande séchée. Nous refusons,
et il reste là, marmottant des prières. Son émotion lui donne une
étonnante activité de cuisinier, car il ne cesse de puiser dans les
sacs, d’enfoncer de la glace dans les petits pots placés devant le
feu, de mélanger la farine et le beurre dans l’eau chaude, et il nous
paraît qu’il gâte les sauces. Il mange avec ses doigts de petites
boulettes, il boit à petites gorgées cette mixture de beurre rance et
d’eau chaude.
Cela continue longtemps, sans qu’il cesse de murmurer des
« Om mané padmé houm » et de nous considérer d’un petit œil où le
moins observateur lirait une vive inquiétude.
Nous nous amusons un instant de son embarras, puis nous
engageons conversation quand tout notre monde est là. On lui
explique que si nous voulons des chevaux, c’est parce que plusieurs
de nos gens ne peuvent plus marcher et que nous ne voulons rien
prendre sans le payer généreusement. Nous l’appelons appa,
popeunn, c’est-à-dire père, frère, et il approuve en levant les pouces.
Nos chiens, qui courent sur lui avec des intentions malveillantes
lui causent un véritable effroi, et il nous supplie de les éloigner. Nous
le rassurons en lui expliquant qu’ils ne mordent pas ceux que nous
appelons « frères ». Puis nous l’apprivoisons avec du sucre, et
lorsqu’il le goûte, il ne cache pas sa joie ; puis c’est du raisin, des
abricots : il exulte, et il nous qualifie de « frères » à son tour.
Puis nous montrons des iambas et nous marchandons son
cheval. Et, pour prouver que nos intentions sont bonnes, nous
rendons la liberté à son compagnon, en lui permettant d’emporter sa
pelisse. Celui-ci est à peine à cent pas qu’il se sauve vers la
montagne, abandonnant son chef sans la moindre vergogne. Peut-
être que la consigne est de fuir.
Sur ces entrefaites arrive un cavalier ayant un fanion rouge au
canon de son fusil. Il se dit propriétaire de moutons fusillés par
Rachmed, et immédiatement nous lui offrons le thé, mais il le boit
dans sa propre tasse, qu’il tenait enfouie sous sa pelisse. Ainsi le
veulent la coutume et le rite religieux : un Tibétain ne doit pas
apposer ses lèvres à la même place que des lèvres impures. Vous
comprenez que les lèvres impures sont les lèvres des autres.
Pendant ces réflexions on a tiré du sac un lingot d’argent, on le
montre au Tibétain propriétaire, qui demande à l’éprouver. Il le frotte
sur une pierre, le regarde, y remarque un cachet, et nous lui disons
que c’est le cachet de Péking. « Pétsin ! Pétsin ! » Il est rassuré.
Néanmoins, lorsqu’on lui a pesé le prix de ses agneaux, il
examine encore l’argent ; puis, satisfait, il l’enferme dans un petit sac
pendu à son cou. Nous lui faisons cadeau d’un petit miroir : il n’en
sait pas l’usage, et d’abord ne voit pas son image reflétée. Notre
prisonnier, soumis à la même épreuve, se reconnaît et éclate d’un
rire presque idiot. Il donne avec volubilité des explications à son
congénère, lequel se regarde à nouveau et rit beaucoup en voyant
son nez et son bonnet en face de lui. Comme la nuit approche, il
nous salue et part en riant.
Notre prisonnier est parfaitement apprivoisé, et il n’hésite pas à
nous demander l’autorisation de dormir à la place où il se trouve. Il
supplie qu’on le défende de nos chiens, et exprime le désir de
posséder un petit miroir. Nous lui promettons cela pour demain.
Dès ce soir, nous lui payons son cheval, que nous attachons près
de nos tentes, où nous transportons une panoplie de fusils à mèches
et de sabres appartenant aux fuyards.
Toute la nuit nos chiens aboient, et, dans le lointain, d’autres
chiens leurs répondent. A l’heure où commence cette demi-obscurité
qui précède les jours d’hiver, des hurlements de loups éclatent dans
le silence. Ils sont, de l’autre côté du lac, toute une bande, à nous
donner le plus lugubre des concerts. Je sors de la tente à ce
moment et je trouve Rachmed déjà debout.
« Rien de nouveau ? dis-je.
— Rien ; tout va comme hier, hommes et bêtes. »
A peine suis-je rentré dans la tente qu’il arrive, et, très triste, dit :
« Imatch vient de mourir. »
Hier encore, à l’arrivée au camp, je lui ai demandé s’il allait
mieux. « Mieux », avait-il répondu. Il avait bu du thé avec plaisir. Il
est vrai que son souffle était haletant, sa figure enflée. C’était pitié
de le voir étendre vers le feu ses doigts rouges et gonflés, qu’il
promenait sur la flamme sans les pouvoir réchauffer. Pourtant il
s’intéressait encore à ce qu’on faisait dans la tente ; je l’avais vu
poser des argols dans le foyer par habitude de vieux Kizaï, véritable
homme de steppe. Placé à l’entrée de la tente, à l’endroit qu’il
préférait, on l’avait soigneusement enroulé dans sa pelisse et ses
couvertures, et il s’était étendu pour dormir.
Lorsqu’on lui avait demandé s’il désirait quelque chose, il avait
dit : « Merci. » Nul ne croyait que sa mort fût proche. Nous
demandons à Rachmed des détails sur la dernière heure de ce
brave homme. « Quand les loups ont hurlé, Imatch a appelé :
« Parpa, aka (frère aîné), donne-moi de l’eau ; Parpa, aka, j’ai soif. »
Parpa a répondu : « L’eau est gelée, mais je vais allumer du feu, je
fondrai la glace et tu boiras. » — « C’est bien. » Puis, l’eau prête,
Imatch l’a bue sans aide, mais avec peine, et en se réjouissant
d’étancher la dernière soif. Ensuite il s’est étendu, et s’est mis à
gémir doucement. Soudain il s’est dressé, il est sorti de la tente sur
ses genoux afin de satisfaire un besoin et il est revenu à sa place.
Nous préparions le thé, on lui a offert la première tasse prête ; il a pu
la tenir. Il a essayé de boire, mais il a dû rejeter la gorgée qu’il avait
dans la bouche. Il a rendu la tasse, et se couchant il nous a
appelés : « Hé ! Timour, Iça, Abdoullah, Parpa, Rachmed. » Nous
l’avons entouré. S’étant soulevé péniblement sur son coude, il a dit,
séparant les paroles par des soupirs : « Je n’arriverai pas. Allah ne
veut pas me porter plus loin. Adieu. Je suis content de vous tous,
vous m’avez bien soigné. Adieu. Je suis mort. » Il est retombé sur le
dos, et d’un seul coup l’âme est sortie de son corps. »
Tel est le récit que nous écoutons à la lueur de notre lanterne, car
le jour n’est pas levé.
« Dès qu’il fera clair, dis-je à Rachmed, nous l’enterrerons.
Cherche un creux dans les fondrières. Il y en a d’assez grand pour y
coucher un homme. »
Imatch nous avait suivis depuis Djarkent, depuis la frontière de
Sibérie. Tous nous l’aimions, car s’il était rude en paroles, il était
bon, courageux, travailleur. Il soignait fort bien ses chameaux, qu’il
avait autrefois possédés en partie. Étant tombé dans les griffes d’un
usurier, il avait dû lui vendre ses bêtes avec lesquelles il transportait
des marchandises, et de propriétaire qu’il était, il était devenu le
serviteur de son créancier. Celui-ci nous avait vendu les chameaux
deux fois au moins le prix qu’il les avait achetés et Imatch avait suivi
la fortune de ses bêtes. Les gages que nous lui payions étant très
élevés, il comptait faire des économies, pouvoir acheter des
chameaux à son retour, et redevenir libre, « redevenir Imatch comme
devant », ainsi qu’il disait lui-même. Mais Allah en a décidé
autrement. Le pauvre Kirghiz ne reverra plus sa steppe.
On l’étend au fond d’un trou, enveloppé du feutre qui lui servait
de lit. On lui tourne la face vers le sud-est ; il nous regardera partir et
verra la ville sainte par-dessus les océans qui embrassent le
Nouveau Monde. Les uns apportent des pierres dans le pan de leur
pelisse, les autres de la terre dans des sacs, afin de recouvrir le
mort. Puis les prières sont récitées avec des sanglots.
On fait les préparatifs de départ pour le Namtso, qui serait de
l’autre côté d’un chaînon s’allongeant en travers de notre chemin, au
dire de notre prisonnier.
Nous lui rendons la liberté, et nous lui remettons des cadeaux
ainsi que les armes prises la veille. A peine sommes-nous partis que
les fuyards d’hier apparaissent. Ils nous guettaient du haut de la
montagne, nous les voyons trotter vers leur chef.
La certitude que le Tengri Nor, que le Namtso, comme disent les
Tibétains, est là, nous donne un regain de vigueur. Nous regrettons
que nos chevaux soient incapables de nous suivre ; nous les tirons
par la bride ; ils se traînent derrière nous, car ils ne peuvent plus
nous servir qu’à porter notre selle, nos sacoches et notre manteau.
A mesure qu’on avance vers le sud, le lac semble s’élargir et
grandir aussi dans la direction du sud-ouest, et, comme la brume
nous empêche de voir sa fin, il prend l’immensité d’une mer sans
rivage. Mais la brume évanouie, on voit bien que ce n’est qu’une
petite mer, qu’un grand lac emprisonné dans les montagnes.
Le soleil du soir frappant la glace en fait jaillir des pierreries
superbes, des diamants énormes, des parures pour géants, et, entre
toutes ces merveilles d’une joaillerie féerique, éclate, isolé, un
brillant ayant les dimensions d’une colline. Nous nous souvenons
alors que nous avons devant nous le « Lac du Ciel », et cette
fantasmagorie ne nous surprend plus, un tel lac pouvant offrir tous
les spectacles. Le soleil descend, il se pose sur le sommet des
collines, et le diamant extraordinaire ne jette plus de feux : il devient
un bloc de glace, et l’écrin magique étalé devant nous semble une
eau limpide qu’aucun vent ne ride. Puis tout est rose. Le soleil
plonge derrière la chaîne ; il verse un ruissellement d’or en fusion à
l’extrémité du lac, et le paysage se silhouette en offrant ce
contraste : à notre droite, c’est-à-dire au nord, d’où nous venons, ce
sont des lignes douces, et au sud, du côté de Lhaça, ce ne sont que
lignes brisées, que crêtes menaçantes, toute une traînée de pics
semés à dessein dans le but d’élever une insurmontable barrière.
Le temps de me demander si l’on a mis le Ningling Tanla à cette
place pour nous empêcher de passer, et la nuit tombe. Les loups
poussent des hurlements lamentables.
CHAPITRE IX
LES GENS DE LHAÇA

Après avoir dépassé le Namtso, nous sommes restés dans la


passe de Dam jusqu’au 7 mars, puis nous avons eu un premier faux
départ.
Nous avons profité de ce premier arrêt pour observer des
Tibétains de conditions diverses et des lamas venus à cette place
pour nous surveiller. Nous avions besoin de leur aide pour continuer
notre voyage et nous ne nous sommes entendus qu’après des
pourparlers qui semblaient interminables, car on est assez mal pour
bavarder à plus de cinq mille mètres d’altitude, en hiver.
Le 20 février est le premier jour de leur année, qu’ils font suivre
de cinq autres jours de réjouissances. Dès le matin, l’interprète vient
nous inviter à nous rendre chez l’amban afin de célébrer la fête.
Ce brave Mogol a coiffé une sorte de capuchon rouge pour la
circonstance et il s’est livré à des libations nombreuses, on le voit
bien. Il a les yeux plus brillants que de coutume, il répand du reste
une odeur d’arki qui nous dispense de chercher la raison de sa
bonne humeur et de la béatitude de son sourire.
« Venez, dit-il, venez vite. C’est le premier jour de la nouvelle
année. L’amban vous attend avec impatience. Il vous a préparé un
repas. Venez. »
Nous descendons vers le camp tibétain, situé en aval du nôtre,
de l’autre côté de la glace. De nombreuses tentes noires entourent
la tente de l’amban et des principaux. C’est un va-et-vient de
serviteurs qu’aident les sauvages habitants des hauts plateaux.
Malgré la rigueur de la température, ceux-ci ont le bras droit hors de
la pelisse, et la moitié de leur corps apparaît complètement nu. Ce
sont eux qui recueillent l’argol, vont quérir la glace, dépècent les
bêtes, soignent les chevaux de selle, les mules, les yaks de bât et
enfin soufflent constamment le feu au moyen d’une outre fendue où
ils emprisonnent habilement l’air qu’ils expulsent par un tube de fer
plongé dans le tas d’argol.
Des guirlandes de prières relient les uns aux autres les sommets
des tentes, on dirait le pavoisement d’une flottille. Dans le camp il y
a un grouillement d’êtres et tout autour, sur les flancs de la
montagne, un fourmillement de yaks : ils ont servi à transporter les
provisions pour les cent ou deux cents individus qui nous honorent
de leur présence. En face de la tente de l’amban en est une autre
ouverte, servant de cuisine. Nous voyons auprès, un homme faisant
les gestes de battre le beurre dans une jarre : c’est, paraît-il, afin de
mélanger le beurre au thé : les Tibétains boivent ce mélange avec
plaisir.
L’amban, leur chef laïque, nous attend devant sa tente, il envoie
quelques serviteurs assurer notre marche sur la glace en nous
tenant par le bras, car nous sommes des hôtes précieux. Nous
grimpons la berge au bas de laquelle on doit marcher avec
précaution, et l’amban s’avance au-devant de nous. Une fois de
plus, nous constatons qu’il n’est pas grand. Il nous accueille avec un
sourire traversant sa lune ronde et glabre ; son front découvert de
vieille fille qui perd les cheveux vers la quarantaine nous semble
marquer beaucoup d’intelligence. Il nous fait entrer les premiers
dans sa tente de toile à quatre faces, formée par des portants sur
lesquels se pose un toit pointu également à quatre faces. Comme
l’amban est un laïque, il n’emploie que des laïques pas tondus, et un
serviteur à cheveux longs, à tresse pendante, soulève la portière.
L’amban nous invite à nous installer sur une sorte d’estrade, à
droite de la porte. Une autre estrade un peu plus haute, adossée au
fond de la tente, lui est réservée. Il s’y assied, jambes croisées, sur
une peau de tigre, s’adossant à des coussins, doublés les uns de
soie de Chine, les autres de calicot des Indes, si je ne me trompe.
Puis, sans plus tarder, nous lui demandons à quelle date viendra
la réponse de ses supérieurs, permettant l’organisation de notre
départ.
« Vite, dit-il.
— Vous seriez bien aimable de nous dire ce que vous entendez
par le mot « vite », car dans certains pays cela veut dire : « Au bout
d’une heure vous aurez ce que vous demandez » ; dans d’autres :
« Après un jour ou une année ». Et chez vous quel sens à Ce
mot ? »
Le traducteur mogol nous paraît plus que jamais sous l’influence
de l’arki et il commence par rire de bon cœur, puis il traduit ces
paroles, et l’amban rit à son tour.
« Il est vrai, dit-il, que l’on doit s’entendre sur le sens des mots.
Je puis vous dire que « vite » signifie dans six jours environ, car nos
chefs auront sans doute besoin de consulter le mandarin chinois. Or
il est absent de Lhaça et il habite à l’ouest, à deux journées de la
ville. Croyez que je regrette ces retards, mais ils sont inévitables. »
Sur ces entrefaites, entre le chef des lamas ici présents, et il
s’assied à gauche de l’amban. Devant eux, une petite table supporte
leurs tasses que surmonte un couvercle en argent. Des jeunes gens
versent fréquemment du thé au beurre contenu dans des théières en
terre cuite.
Tous se disputent l’honneur de nous servir afin de nous
examiner. L’un d’eux a sans doute pris la théière des mains d’un
camarade qui veut l’empêcher de pénétrer dans la tente et le retient
par le pan de sa robe. Pour se dégager, il lance derrière lui de
vigoureux coups de pied tandis qu’il soulève la portière avec le plus
aimable des sourires.
A gauche de l’amban, un autel a été installé sur des coffres :
l’image de Bouddha enfermée dans un cadre doré sourit ; devant
sont alignées sept petites coupes en cuivre contenant du safran et
de l’huile ; un luminaire flambe doucement ; des aromates brûlent
dans une cassolette ; des bâtons d’odeur se carbonisent lentement,
plantés dans les cols de petites théières. On a déposé sur les deux
degrés de l’autel des figurines en beurre ; je puis distinguer une tête
de mouton à cornes ayant sur le front des protubérances en sucre
blanc, des colonnettes en même matière, et, dans des soucoupes,
des confiseries offertes en holocauste à la divinité.
Après avoir bu un nombre considérable de tasses de thé, nous
manifestons le désir de nous retirer. L’amban, appuyé par son chef
des lamas, nous réitère ce qu’il a dit vingt fois déjà.
« Tâchons d’arranger les affaires, d’être toujours d’accord, d’être
toujours comme cela », et ce disant, il joint les index par la face
interne, et, insistant pour que nous soyons amis, il se sert de cette
comparaison :
« Deux tasses d’une belle porcelaine posées sur une table font
un bel effet. On les entrechoque, elles se cassent, et il n’y a que
débris. Ne nous entrechoquons pas, ne nous entrechoquons pas »,
répète-t-il en se levant pour nous reconduire.
A la sortie, tout le monde nous salue en souriant et l’on voit bien
que la consigne est de ne pas nous choquer.
Sous prétexte de nous promener, nous nous dirigeons vers une
tente noire qu’on a dressée depuis peu sur le chemin de la passe en
amont de notre camp. Nous voyons accroupis autour d’un feu
d’argol huit hommes à longue chevelure qu’un lama tondu
commande. Ils se tiennent au fond d’un trou, ils bavardent
tranquillement, fumant une petite pipe à fourneau de terre et à tube
en os qu’ils se passent à tour de rôle. Ce sont de pauvres diables
chargés de ramasser l’argol et qui ne célèbrent pas du tout la fête de
la nouvelle année. Ce que nous prenions pour une tente, de loin,
n’est qu’une moitié de tente, un abri de bure noire ouvert du côté où
le vent ne souffle pas. Les Tibétains y dorment sur un peu de menue
paille mêlée à des argols ; dans un coin sont entassés leurs arcs et
leurs lances, et au milieu trois pierres forment le foyer pour les jours
où le vent souffle fort. Leur costume rudimentaire est taillé dans des
peaux de mouton effiloquées dans le bas, trouées et d’une saleté
extraordinaire. Leurs figures, noires de graisse et de fumée,
contribuent à réaliser le type le plus pur du sauvage qu’on puisse
imaginer.
En considérant ces crânes étroits, on se demande quelles
cervelles ils peuvent bien abriter, et nous ne nous étonnons pas que
les lamas exercent un ascendant extraordinaire sur des êtres aussi
peu intelligents, aussi peu susceptibles de volonté, dont les
sensations doivent être à peu près celles de leurs yaks et de leurs
chiens. Espérons que tous les Tibétains ne ressemblent pas à cette
bande de bêtes à face humaine.
Le 21 février, par un vent d’ouest, les fêtes continuent : on sonne
les trompes en haut des rochers, on chante dans le camp, et les
guirlandes de prières sont agitées par le vent.
Le 1er mars, dès le matin, le ciel est couvert, puis un ouragan se
déchaîne et la vallée disparaît sous la poussière. Le vent souffle
toute la nuit, quelques tentes des Tibétains sont emportées par la
bourrasque et nous nous trouvons très bien dans la nôtre, qui est
quadruple : en effet, l’amban nous a fait cadeau d’une tente double,
que nous avons jetée sur la nôtre, et cela nous permet d’avoir un
réduit à l’arrière pour divers objets, et un vestibule à l’entrée. De
grosses pierres consolident notre habitation, et notre toile défie le
vent. Le minimum de la nuit est de − 23°,5, aussi, au réveil, notre
troupe se plaint du mal de tête. Les ouragans amènent toujours une
recrudescence du mal de montagne, même pendant les repos.
Ce 2 mars, vers midi, un nuage de neige passe sur nous ; le ciel
reste couvert avec un vent de nord-ouest qui n’est que le vent
d’ouest du Namtso s’engouffrant dans le col.
Dans l’après-midi, l’interprète à la dent longue nous apporte un
peu de lait, que nous réclamons depuis longtemps pour nos
malades, et en même temps il nous fait part de la prochaine arrivée
de grands chefs. Nous nous en étions doutés dès le matin, car de
nombreux yaks chargés étaient arrivés dans la nuit et nous avions
vu dresser une grande tente avec beaucoup de difficultés, et même
nous avions ri lorsqu’un coup de vent avait enlevé la toile. Le remue-
ménage, le va-et-vient des hommes, les petits chefs surveillant les
travaux, nous avaient mis en éveil, et l’indiscrétion de l’interprète ne
servait qu’à préciser nos prévisions.
Aussi, cet homme parti, nous nous postons à une bonne place
avec nos lorgnettes et nous surveillons la descente de la passe.
D’abord arrivent des chevaux chargés, bien harnachés, ayant au
cou des sonnettes sonores ou des houppes de couleur rouge,
couleur du pouvoir. Puis, voici des cavaliers bien vêtus ; ils errent à
travers les fondrières et paraissent ignorer le sentier tracé au bas
des contreforts et qu’on atteint avec un détour. Des sauvages à
longue tresse les appellent ; d’autres s’empressent à leur rencontre,
prennent les brides et soutiennent leurs montures sur la glace. Ils
arrivent au camp et toutes les tentes se vident, on se presse autour
d’eux. Ce n’est que l’avant-garde, car l’agitation reprend dans le
camp tibétain et des serviteurs se dirigent vers la passe.
Bientôt apparaissent les grands chefs, montés sur des chevaux
au pas rapide et sûr, entraînant les hommes qui les tiennent par la
bride sous prétexte de les soutenir, et peut-être par politesse. Nous
distinguons trois grands personnages. Couverts de fourrures
doublées de soie jaune, ils paraissent ventrus, rebondis, énormes, et
l’on s’étonne qu’ils n’écrasent pas de cette masse leurs agiles petits
chevaux. Sur la tête, ils ont les chapeaux à plume des mandarins
chinois, mais posés sur une cagoule qui leur garantit la nuque et la
face, dont on ne voit rien ; leurs yeux sont en outre abrités par des
lunettes protubérantes que surplombe une visière par surcroît de
précaution. Une escorte assez nombreuse, aux costumes bigarrés,
trottine derrière eux avec un grand bruit de grelots. Ce spectacle
offre une certaine pompe, mais il nous semble ridicule et nous
pensons à un défilé de mi-carême.
Dans le camp tous les chefs civils et religieux attendent placés
sur une ligne les mandarins ; là ils s’inclinent profondément en
restant à leur place. Seul l’amban s’approche, complimente deux
des arrivants, avec lesquels il échange une poignée de main ; ceux-
ci, sans descendre de cheval, gagnent les tentes qui leur sont
destinées. La foule se disperse et chacun court où sa besogne
l’appelle.
Lorsque nous réfléchissons que tout ce rassemblement de
peuple a lieu parce que nous sommes ici, nous trouvons qu’on nous
fait beaucoup d’honneur.
Puis, les interprètes viennent nous demander si nous voulons
accorder une audience aux grands personnages qui sont arrivés.
Nous disons que nous serons trop heureux de les recevoir
immédiatement. Notre réponse transmise, toute une troupe se dirige
vers nous, ayant en tête deux individus somptueusement vêtus à la
chinoise. Ils avancent bras dessus bras dessous, et l’un d’eux, petit,
court, rond, voûté, s’appuie sur son compagnon. Ces deux
vénérables marchent lentement, reprennent haleine tous les quinze
pas. Nous restons impoliment sous notre tente et nous n’en sortons
que quand la troupe est sur notre territoire.
Nous échangeons des saluts avec ceux qu’on nous présente
comme le ta-lama et le ta-amban. Des porteurs déposent à nos
pieds, ou plutôt sur notre provision d’argols, cinq sacs : un sac de
riz, un de zamba, un de farine, un de pois chiches, un de beurre. Là-
dessus nous invitons les deux ambassadeurs à s’abriter sous notre
tente, où des feutres les attendent. La simplicité de notre
ameublement les effarouche sans doute un peu, car ils ont l’air
d’hésiter, ils font des difficultés avant d’entrer. Ils demandent la
permission de s’asseoir sur leurs petits tapis, et leurs serviteurs
étendent pour l’un une peau de guépard, pour l’autre un petit
matelas doublé de soie. Ils excusent ces précautions en disant :
« Nous sommes vieux et fatigués. »
Les trois premiers négociateurs s’assoient auprès d’eux, en face
de nous, et la conversation commence. D’abord ce sont des
politesses :
« Comment vous portez-vous ? dit le ta-lama.
— Fort mal, car nous sommes dans une mauvaise place. »
Cette réponse ne laisse pas de les désorienter un peu, ils
s’attendaient à plus d’amabilité de notre part, et notre connaissance
le petit amban baisse la tête. Il nous avait dépeints comme des gens
convenables, et, pas du tout, nous répondons avec rudesse.
Nous leur demandons à notre tour s’ils ont fait un bon voyage.
« Oui, quoique la route soit mauvaise. Nous avons dû venir à
petites étapes, à cause de notre âge. Les fêtes nous ont aussi
retardés, sans quoi vous nous auriez vus plus tôt. Ces fêtes sont
commandées par la religion, et nous devons les célébrer. »
Ensuite viennent des questions sur nos personnes, sur le but de
notre voyage, et nous répondons ce que nous avons déjà dit vingt
fois au petit amban. Et ils nous font les mêmes propositions que ce
dernier nous a déjà faites :
« Vous allez retourner sur vos pas !
— Non. Cela est impossible.
— Retournez, nous vous procurerons tout ce qu’il vous faudra.
C’est ce que vous avez de mieux à faire. Nous nous quitterons bons
amis. Réfléchissez à ma proposition, et je vous le conseille,
acceptez-la : j’espère que nous nous arrangerons à l’amiable, car
nous sommes venus sans soldats, et nous aurions pu en amener de
Lhaça. Cela vous prouve nos bonnes intentions.
— Il est inutile de nous proposer le retour et de nous conseiller
de réfléchir. Nous ne parlons pas à la légère. Nous sommes venus
de l’Occident, poussés par un destin, par une force qui nous a
transportés à travers les déserts en suivant un chemin que vous-
mêmes ignorez. Notre volonté est d’aller à Batang et de rejoindre
nos compatriotes au Tonkin, où ils habitent sur les terres prises à
l’empereur de Chine. Vous ne pouvez rien contre notre volonté, nous
ne ferons pas un seul pas vers le nord, soyez-en persuadés. Vous
ne nous effrayez pas, nous venons de l’extrémité de la terre sans
avoir pu être arrêtés, nous poursuivrons notre marche et vous nous
y aiderez. Vous réfléchirez vous-mêmes et vous verrez que Bouddha
lui-même en a décidé ainsi. Nous préférons mourir plutôt que de
retourner. C’est notre dernier mot. »
Le soleil se couchant, ils se lèvent et s’éloignent, visiblement
mécontents d’avoir entendu de semblables paroles en présence de
leur escorte.
Ils nous disent adieu, et, avant de s’éloigner, voulant avoir le
dernier mot, le ta-lama nous répète :
« Réfléchissez. Réfléchissez. »
A quoi je réponds en français, irrespectueusement :
« Oui, mon vieux.
— Que dit-il ?
— Il vous souhaite bonne nuit dans sa langue », répond
Abdoullah.
Les deux grands chefs s’éloignent et nous restons aux prises
avec le petit amban et les deux autres négociateurs des premiers
jours.
Le petit amban — qui nous a pris en affection, nous
commençons à le croire — nous fait des reproches :
« Pourquoi avez-vous parlé sur ce ton à mes chefs ? Songez
donc que ce sont les deux premiers de Lhaça, ils peuvent autant que
les kaloun (ministres). Soyez plus aimables demain. Dites-moi ce
que vous désirez. Je leur parlerai dans ce sens. Mais ne changez
pas d’idées, car si vous me contredites ensuite, ils m’accuseront de
m’être vendu à vous et d’avoir pris en main vos intérêts et même
cherché à obtenir pour vous plus que vous ne vouliez.
— Notre désir est d’aller à Batang, ainsi que nous vous l’avons
cent fois répété. Vous nous fournirez les moyens de transport, des
vivres, et nous vous les payerons. C’est ce que nous voulons
aujourd’hui et ce que nous voudrons jusqu’à ce que nous
l’obtenions.
— Je le dirai à mes chefs, mais sans pouvoir insister, car ils se
défieraient de nous, ils nous accuseraient et nous serions punis
terriblement. »
Il s’éloigne sur ces mots. Nous allons nous asseoir près de notre
feu d’argol et nous échangeons nos impressions sur les deux
ambassadeurs.
On reste longtemps à bavarder au clair de la lune. On entend
Abdoullah réciter des prières en compagnie du Doungane, sous la
tente duquel il est allé se réfugier. C’est le signe qu’ils ne voient pas
l’avenir en beau, car ils s’adressent toujours au ciel dans les
mauvais moments. Les temps sont-ils meilleurs ? ni Abdoullah ni le
Doungane ne récitent une fatiha.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les pourparlers avec les deux grands chefs continuent le 3 mars


et les jours suivants, et après des phases diverses, des fâcheries et
des raccommodements, nous arrivons à les convaincre que nous ne
sommes ni Anglais, ni Russes, mais Français. Et nous obtenons un
déplacement pour le 7 mars.
« Enfin, nous allons lever le camp, disons-nous, et changer de
place. »
Le matin du 7 mars, le soleil luit, il a neigé les jours précédents et
la montagne est resplendissante, éblouissante. C’est un superbe
temps de départ, mais un faux départ, car nous nous déplaçons pour
nous installer dans une meilleure place, où nous attendrons encore.
Le camp est très animé. Il ne faut pas moins de trois ou quatre
cents yaks ou chevaux pour transporter les bagages, les tentes et
les vivres. De tous côtés on voit les hommes noirs courir derrière
leurs bêtes, les rassembler, les pousser devant eux avec des
sifflements aigus et en faisant tournoyer leurs frondes. Pour n’être
point gênés dans leurs mouvements, ils ont tiré leurs bras hors des
manches de leurs pelisses, qui leur tombent sur les reins et laissent
leurs torses à nu. Leurs longues tresses les embarrassent lorsqu’ils
se baissent et ils en ceignent leur front. Ils paraissent avoir des
bandelettes comme de chastes matrones romaines, ou bien des
diadèmes, et l’on dirait ces barbares que, dans les jeux publics, on
déguisait en rois pour l’amusement de la populace.
Ces Tibétains aussi sauvages que leurs bêtes ont grand’peine à
les saisir. Nos chameaux les épouvantent. Et ce n’est pas du
premier coup que les yaks se laissent prendre par la corne d’où l’on
détache le cordon attaché à la cheville qui perce leur mufle. Leurs
maîtres les approchent avec précaution et ne les saisissent que par
surprise. C’est bien pis pour les charger : il faut un temps infini avant
de pouvoir ficeler sur leur dos nos coffres, dont ils ne veulent à
aucun prix. Mais la patience de ces hommes est sans borne, et ils
finissent toujours par avoir raison de l’animal récalcitrant ; dès qu’ils
le tiennent, ils l’entravent, le chargent malgré les ruades et les coups
de cornes, mais ne le châtient pas.
Des lamas, le bâton à la main, leur donnent des ordres, les
réprimandent. Ces sauvages exécutent gaiement leur besogne : ils
sont très obéissants, très respectueux à l’égard de leurs lamas : ils
leur parlent et ils les écoutent dans la plus humble posture, courbés
en deux, la langue pendante.
Tous nos chevaux étant morts, on a sellé pour nous, de petits
chevaux tibétains pleins de feu. Ils sont mangeurs de viande crue,
ainsi que nous nous en sommes assurés de nos propres yeux. Ces
carnivores ont des jambes merveilleuses, une adresse acrobatique,
ils se tiennent en équilibre sur la glace, sur les mottes des tourbières
limoneuses, et, s’enlevant, bondissant sur le sentier, ils nous
emportent avec un trottinement rapide auquel nous ne sommes plus
habitués. On dirait que les petits diables nous trouvent légers
comme des plumes ; au fait, notre embonpoint est nul, notre
maigreur est ascétique.
En trois heures et demie nous chevauchons 22 verstes par
monts et par vaux, mais surtout en descendant. Nous allons camper
près d’une rivière gelée qui verse ses eaux au Namtso.
Le petit amban nous reçoit sous sa tente, où il nous a préparé un
repas délicieux. C’est d’abord une langue de yak fumée, à laquelle
succède une autre langue de yak, que nous faisons disparaître, y
compris les environs de l’œsophage ; puis des légumes, des
carottes salées de conserve, et du poivre rouge et vert ; enfin des
galettes de pain sans levain, et du thé au beurre à discrétion. Cet
excellent amban admire notre appétit et nous excite à le satisfaire.
Avouons que nous n’avons pas besoin d’encouragement.
L’amban nous a reconduits près de notre camp, posé sur la rive
droite du cours d’eau. Il voulait nous retenir sous sa tente jusqu’à ce
que la nôtre fût dressée, mais nous avons manifesté le désir de
marcher, parce que nous avons froid aux pieds, et il nous a
accompagnés disant :
« La coutume ne veut pas qu’on laisse seul un hôte sans abri. On
doit lui tenir compagnie. »
Nous profitons de cette coutume pour lui poser diverses
questions. D’abord c’est le nom de la belle chaîne que dominent les
pics Huc et Gabet. Ils ont ce soir chacun un turban de nuages, cela
me rappelle la Perse et le turban bien connu du Demavend. Cette
chaîne s’appellerait Samda Kansain, et la rivière au bord de laquelle
nous nous trouvons, Samda Tchou, empruntant son nom à la
montagne qui la nourrit.
Ensuite nous lui parlons du serou, de la licorne dont le père Huc
a entendu certifier l’existence. Après des explications, nous
apprenons que cet animal vit au pays du Gourkas (dans l’Inde) et
qu’il a une corne non pas sur le sommet de la tête, mais sur le nez,
et que c’est du rhinocéros qu’il s’agit.
8 mars. — Le vent souffle d’ouest. Il neige par instants. Le soleil
paraît, disparaît. Puis, la violence du vent plus grande, le ciel se
couvre et le froid est insupportable après la tiédeur de l’après-midi.
L’amban vient nous entretenir. Il nous engage à prendre
patience. Car il faut qu’on nous prépare à Lhaça les objets que nous
avons demandés. Avant de quitter Dam, on a dressé, sous notre
dictée, une longue liste de nos désirs.
Nous avons demandé des costumes de tous genres, des
chaussures, des coiffures, les objets de culte, les cymbales grandes
et petites, des peaux, des prières même. On nous a promis de réunir
des chevaux pour nous, et de les expédier vite ici. Mais l’amban
craint notre impatience. Il se rend compte de l’envie que nos gens
ont de partir. Personne d’entre nous ne se soucie de rester ici, à
commencer par moi. Cependant il y a des degrés dans l’impatience,
et jusqu’à nouvel ordre nous avons le devoir d’attendre, car les
Tibétains ne nous témoignent aucune malveillance.
L’amban proteste de la pureté de ses intentions. « Vous êtes des
frères pour nous. Nous voulons vous être agréables. Si nous vous
retenons, c’est parce que mes deux supérieurs doivent écrire à
Lhaça. Ils sont convaincus que vous êtes des gens de bien. Mais,
que voulez-vous, nous n’avons pas vos habitudes, nous ne savons
pas expédier vite les affaires. Un conseil décide des affaires
importantes, et vous savez que les membres d’un conseil nombreux
ne tombent pas immédiatement d’accord. Si j’étais seul, vous auriez
de suite ce qu’il vous faut, mais rien qu’ici nous sommes trois grands
chefs et vingt petits environ. Les uns se défient des autres et il faut
beaucoup de prudence pour ne pas être accusé. »
Cette crainte d’être accusé que l’amban a manifestée déjà
semblerait prouver que Lhaça est un foyer d’intrigues, que le pouvoir
y est partagé, qu’il est très recherché, et que ceux qui le possèdent
se montrent jaloux de le conserver.
L’amban demande des renseignements sur la façon dont on vit
en France ; quelle situation est faite aux femmes ; sont-elles jolies ?
Puis il parle des inventions étonnantes que les Anglais ont
appliquées dans les Indes et qu’il n’a pas vues. « Avez-vous aussi
des machines ? Avez-vous aussi de grands bateaux avançant sur
l’eau sans voiles ? Et des livres ? »
Et apprenant que nous possédons beaucoup de livres traitant de
toutes les questions auxquelles l’homme s’intéresse, il s’étonne que
nous voyagions.
« Car, dit-il, à quoi bon parcourir les pays lointains lorsqu’on peut
occuper sa vie à lire sans quitter son foyer. Ainsi je n’ai moi-même
aucun désir de sortir du Tibet : les livres de notre religion suffisent à
ma curiosité. »
L’amban n’a évidemment pas d’idées modernes, son esprit n’a
pas besoin de l’activité fébrile où nous nous complaisons, il est
heureux de vivre sans efforts dans son pays, il ne se soucie pas des
« grands problèmes » de l’humanité, le progrès n’existe pas pour lui ;
il fait de la politique autant que l’exige l’instinct de conservation, il lit
et relit un livre, marmotte des formules incompréhensibles et il est
heureux. Ses actions n’ont qu’un but : conserver le fromage où sa
naissance l’a placé, et peut-être, si cela est possible sans trop de
risque, évincer son supérieur du fromage de Hollande plus gros que
le sien, et s’y fourrer avec la satisfaction du devoir accompli. C’est
surtout en ceci que l’amban ressemble aux gens d’Europe. Du reste,
c’est un homme très aimable. Il a peut-être raison de ne pas
s’intéresser au reste du monde.
CHAPITRE X
LES GENS DE LHAÇA

(SUITE.)

Le 14 mars, on nous invite à déjeuner chez le ta-lama, en


compagnie du ta-amban et de l’amban. Un repas de gala a été
préparé à notre intention ; il dure quatre heures, pendant lesquelles
nous pêchons avec nos bâtonnets dans une trentaine de plats
rarissimes et qui doivent coûter excessivement cher. En effet, il n’est
pas facile de se procurer au Tibet des jeunes pousses de palmier,
des dattes de l’Indoustan, des pêches de Lada (Leh), des jujubes de
Ba (tang), des petites baies de Landjou, des algues de mer, des
mollusques des bords de l’océan, etc.
Malgré cette profusion, le ta-lama regrette de ne pouvoir faire
mieux les choses, attendu qu’il est loin de la ville et que les
transports sont difficiles. Il espère que nous l’excuserons, car c’est
un repas d’amis. Toutefois, parmi ces divers produits de l’art
culinaire asiatique, quelques-uns sont mangeables et nous leur
marquons toute notre considération. Mais le lait chaud, qu’on nous
sert en quantité suffisante, est ce que nous préférons à tout, nous
nous plaisons à y plonger des dattes de l’Indoustan pour les dégeler.
L’abondance et l’excellence du repas n’amollissent pas nos
cœurs, et nous ne nous laissons pas fléchir lorsque, les petites

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