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romancier genevois
Louis
Dumur
(1863-
1933)
« ...je me demande si tu es bien d'âge suffisant pour voir et comprendre Paris. Tu
désires pouvoir rester toujours dans cette ville, tu penses que le journalisme ferait
ton affaire ! Pauvre enfant, as-tu donc fermé les yeux ? Faisant abstraction des
exceptions honorables, as-tu trouvé dans ce fameux Paris une religion sérieuse, une
morale même terre-à-terre, le respect des institutions et des magistrats, le respect du
prochain, de sa femme, de son honneur, le respect de soi-même. As-tu vu l'adultère
méprisé et le concubinage considéré comme le ver rongeur de la famille ? Trouves-
tu la littérature contemporaine en général forte et capable de faire surgir des nobles
pensées et des sentiments délicats ; la vérité est-elle donc l'emblème du
journalisme ?
Paris cherche le beau, c'est vrai, mais le beau ne suffit pas, et sans le
bien c'est peu de chose. Cette grande ville est tout de surface : les
brillants jeux de lumière t'éblouissent et, jeune comme tu l'es, je crains
que tu ne fasses comme le papillon. Crois-moi cher Louis : un peu plus
de calme et de sens pratique feront mieux ton affaire que la poursuite de
vaines illusions. Puisque tu as pensé que Genève était pour toi trop petit,
c'est bien, rassemble toute ton énergie et toutes tes forces pour parcourir
le champ d'activité plus vaste que tu t'es choisi : sème le bon grain et la
moisson viendra plus tard. Pas de précipitation, pas de découragement,
et surtout pas de faiblesse. Ouvre l'oeil et que Dieu soit avec toi. »
Amélie « Quelle excellence idée que celle de cette
correspondance circulaire !.. Notre cher Louis, à
Dumur-Berguer, Paris depuis deux ans pour ses études, nous a
30 mars 1885 donné de grandes inquiétudes cet été, nous
laissant pendant des mois sans nouvelles de lui.
Il nous a enfin écrit, et nous voyons qu'il a lutté
et souffert moralement, et qu'il a travaillé outre
mesure pour vivre, et pour arriver à son but qui
est la littérature ! Il veut à tout prix devenir
auteur !! Hélas, que de déboires et de déceptions
il va s'attirer, même s'il a du talent, ce que
j'ignore. Paris n'est-il pas pavé de littérateurs qui
meurent de faim ? »
« Il y a tantôt une quinzaine, nous recevions de Paris une carte annonçant l'arrivée très prochaine du
précepteur Louis et de son élève, en tournée de vacances. Vous jugez de l'émoi ! tout juste comme
dans l'île de Calypso lors de l'arrivée de Mentor et Télémaque. On commence par mettre la maison
sens dessus dessous, sous prétexte de faire de la place ; on donne le branle bas à toute la batterie de
cuisine, et l'on exhume un Brillat Savarin de la poussière où il dormait depuis longtemps, à cent lieues
des fourneaux. Bref, quand nos gens arrivent, tout est en l'air ! Je ne vous fais pas de description
détaillée de notre aîné : il a été visiter à la grande course presque tous les parents, à part Gland et
Berne... Je l'ai trouvé pour ma part assez différent de ce qu'il était il y a deux ans ; peut-être moins
parisien mais plus grand seigneur, genre peigné, plus pratique aussi, connaissant les nouveautés et
rompu aux usages du monde ; l'extérieur en somme changé à son avantage ; vis-à-vis de son élève,
parfait magister. Quant au petit russe, c'est un français fini, très éveillé, tournant tout en riant et
occupant tout le monde de sa petite personne, du reste de la façon la plus risible du monde. Il a fait la
conquête de Maman et Susanne. Ces huit jours nous ont dilaté la rate pour toute la fin de l'année... »
Alfred
Vallette
(1858-
1935)
Paul
Léautaud
(1872-
1956)
La correction de
Salignon
Gustave Wendt
Il y a beaucoup de fine observation dans cet ouvrage, mais
du sentiment aussi, et de la qualité la meilleure ; et encore
des traits recueillis, auxquels on reconnaît qu'il s'agit là des
enfants d'un peuple qui a sa physionomie spéciale... M.
Louis Dumur a dû s'amuser beaucoup en écrivant cette
nouvelle. Les ouvrages que l'on fait en s'amusant sont
souvent parmi les meilleurs. Ce livre est un vrai bijou de
grâce attendrie, en même temps que d'humour malicieux. Le
Petit Chose, s'il vivait encore, s'y fût indubitablement
délecté.
Illustration de
Gustave Wendt pour
L’École du Dimanche
(1911)
Illustration de
Gustave Wendt pour
L’École du
Dimanche (1911)
Ses arguments contre le christianisme ont un relent du
XVIIIe siècle. Serait-il dû à l’influence du Mercure et au
voisinage de M. Remy de Gourmont qu’on pourrait bien
Robert de
surnommer le dernier des Encyclopédistes ? Quoi qu’il en
soit, M. Dumur voit dans les écoles du dimanche une
tentative abominable de duper et de faire souffrir les enfants.
Feuillets,
à la bouche ouverte pour chater d’attendrissants cantiques,
et très réjouis par l’approche de Noël. Il n’importe,
d’ailleurs. M. Dumur joint à cette satire des traits comiques,
et la Croix
moitié du crâne. Les yeux, minces et
luisants, se fermaient à demi, s’étiraient, se
bridaient sous des sourcils obliques ; un gros
blanche, 1925
nez aux narines épatées surmontait une
maigre moustache et des lèvres charnues ;
une barbiche informe au poil terne
s’attachait comme une broussaille au menton
rocheux. Le geste était lent, rare, têtu, la
voix monotone, sèche, dominatrice. De forts
roulements des épaules basses, d’immenses
plissements du front sans cesse houleux
marquaient la tempête intérieure.
De vastes affaires se créeraient, d’énormes entreprises, qui assureraient des
bénéfices fabuleux à ceux qui en prendraient l’initiative ou y apporteraient
leur participation. Il en serait de même d’un grand nombre d’affaires déjà
existantes qui, par leur genre d’exploitation ou leur activité transformée,
pourraient devenir des fournisseurs de la guerre. Sans sortir de Suisse, tout
ce qui concernait l’alimentation, laits condensés, chocolats, biscuits,
conserves de fruits, salaisons, fromages, était destiné à
d’incommensurables pré-values. Le commerce des bestiaux prospérerait.
Les fabriques de produits chimiques donneraient de l’or. Les usines et
établissements métallurgiques enfanteraient des fortunes. Et par-dessus
tout régneraient les transports. Investir des capitaux dans d’aussi
merveilleuses affaires, ce serait doubler, tripler, décupler les sources de ses
revenus, à condition de savoir s’en retirer au moment opportun.
À ces riantes perspectives, l’imagination de M. Tallatin s’enfiévrait ; il
voyait les dividendes, les parts se gonfler, les émoluments
d’administrateurs, les jetons de présence se multiplier, les bénéfices
proliférer : et devant ses yeux agrandis les millions et les millions,
s’engendrant les uns les autres, dansaient une sarabande éblouissante, où
l’or français, les marks allemands, les livres sterling, les florins et les
roubles, après de furibonds entrechats, venaient s’engouffrer derrière la
soie brochée d’aigles et de couronnes qui couvrait l’antre de son coffre-
fort.
Aussi, bien qu’il fût philanthrope et bon chrétien, M. Pyrame Tallatin se
prit-il à souhaiter, dans le fond de son cœur, que la guerre fût longue.
« A propos
d’un
mauvais
livre »,
8 septembre
1925
Edmond
Jaloux
(1878-
1949)
Lettre du 15 novembre 1925,
inédite
...on a très mal pris, en Suisse, cette vérité. On n’a pas manqué, bien entendu,
de la taxer de mensonge. Pas tout de suite d’ailleurs. On voulut, au début,
garder le silence, considérer le livre comme inexistant. Ce fut le mot d’ordre
qui courut dans la presse romande et qui fut un temps religieusement observé.
À telles enseignes que le vaillant Pilori, surpris de ce silence étrange fait par les
journaux autour d’un livre dont tout le monde parlait, publia un article sous le
titre Ce qu’on n’ose pas dire, et que le très rouge Travail (en Suisse, chose
bizarre, les socialistes me défendent) en publia trois sous la rubrique : La presse
romande boycotte !
Claire Eschmann-Dumur, 1 er septembre
1925
Editions MétisPresses,
Genève, 2021