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Les sciences expérimentales sont-elles distinctes de la philosophie de la nature? 1. Il semble qu’elles soient tout a fait distinctes. La philosopbie de la nature est en effet présentée comme un corps de doctrine trés définitif dont les conclusions n’ont pas besoin d'etre eonfirmées par Vexpérience Par science expérimentale au contraire on entend communément aujour- hui une connaissance qui puise ses principes propres daus Vexpérience sensible, mais ces principes mémes sont tels que les conclusions qui en déri- vent doivent étre & leur tour contrdlées par l'expérieace. Si malgré la bonté de le. conséquence formelle une conclusion n’est pas suffisamment garantie, c'est que les principes dont elle dérive ne sont pas eux-mémes certains, ais qu'on peut toujours interroger & leur sujet. Si Vexpérience appuyant Is conclusion ne peut étre & son tour principe de conclusions qui n'ont pas besoin d’étre contrblées dans Vexpérience, c'est qu'on peut encore inter- roger & son sujet. Pour cette raison les sciences expérimentales sont dans le genre dialectique, alors que la connaissance proprement démonstrative Riinterroge qu’au sujet des conclusions. Les suppositions des sciences expérimentales ne doivent étre ni vraies ni fausses, mais il leur suffit de mieux sauver les apparences sensibles. En philosophie de la nature au con traire il semble que les propositions doivent étre vraies 2, D’autre part, il semble bien que les sciences expérimentales réalisent mieux la fin que se proposaient méme les anciens dans l'étude de la nature qui s’achive dans les Météorologiques, les traités Des Animauz, et les Parva Naturalia; les traités antérieurs, tels la Physique et le De Anima, restant plutOt dans la généralité et la confusion 3.3. L’on dit ausei que « la physique ancienne se coustruisait par la vertu dlintelligibles ordonnés & Vintelligibilité de V’étre (ou & l'abstraction méta- physique) », alors qu’en fait «la physique étudie le réel de l'expérience dans toutes ses manifestations indépendantes des activités des 6tres vi- ‘vants (en tant que tela) »* {_4. Sion veut que la philosophie de la ‘nature s'appuie sur Vexpérience, peut-elle etre autre chose qu'une réflexion générale sur l'acquis des sciences T—B, Twouas, f Post Analy lect. 21, a. 3. 2 — J. Dore (Louvain), Physique ancienne of physique moderne: Leura conceptions de Vintligite. Teavaux da TX» Congria International de Philosophie. Pais, Hermann, 1997, t. V5 pp. 172-173. 4 466 Cuanves pz Konner expérimentales rétabliseant en méme temps 'unité compromise par Ja spécialisation? Nous reposant sur Vexpérience cette fois, nous pourrions rejoindre la philosopbie de Ia nature dans des considérations tr8e générales analogues & celle des anciens. 5. Disilleurs Aristote lui-méme marquait I diffrence de gon traité des Parties des Animauz de ses traités éerits « selon In philosophie »°, ‘Dans la conception aristotélicionne la philosophie de Ja nature se dis- tingue des autres sciences par son mode de définir: les définitions natu- relles impliquent matitre sensible. En tant qu’elle eat une aruvre de la raison, Ia science de la nature suit un certain ordre: Le marche naturelle, c'est d'aller des choses les plus connaissables pour nous ct les plus elaies pour nous celles quisont plum clares en goi et plus connalssableay ‘a¥ ce ne sont pas les mémes choses qui cont connaiseables pour nous et absolument, C'est pourquol il faut provéder ainsi: partir des choses moins claires en soi, plus claires pour nous, pour aller vers les choses plus olaires en eoi et plus connaisea bles, Or, oe qui, pour nous, est dsbord manifeste ot clair, ce sont les ensembles Jes plus mélés; c'est seulement ensuite que, do cette indiatinction, Jes éléments et les prineipes se dégagent et se font connattre par voie d'anslyse. C'est pour uo! il faut aller des choses générales aux particulires; car le tout est plus con uaissable elon Ia sensation, et le général est une sorte de tout: il enfermme une luralité qui constitue comme ses parties *, Et aussi afin de n’étre pas obligé de redire a propos de chaque chose. Gtudiée ce qu'elle a en commun avec d’autres choses, I'on traite d’abord de ce que Jes étres naturels ont en commun, descendant ainsi par degrés vers Jes espéees dans leur particularité. Ktudiant d'abord la propriété commune & tout étre mobile, l'on descend vers les esp2ees les plus commu- nes de mouvement; aprés avoir traité de chaque espce en général, Von étudie chaque espéce dans ses applications d’abord les plus communee: abord le mouvement local le plus commun des mouvements dans un traité qui aura pour sujet univers matériel dans son ensemble; ensuite le mou- vement selon la qualité dans un traité sur Ia génération et la corruption qui sera poussé jusqu’a l'étude des éléments (les Météorologiques); en der- nier lieu le mouvement selon la quantité ou Paugmentation vitale, d’abord 8 — De Part. Anim, J, e. 1, 6428 6, 4 =I Physic, eI, 18ia 1525 i Las scruxces mxrinnemn7ALes 467 en général dans le De Anima, ob Von traite en premier lieu du prineipe ‘que tous les vivants ont on commun, pour descendre ensuite vera les es- pees de principes de vie les plus communes. Ce traité trés général est suivi de traités dans lesquels on passe & application de ces principes, les Parva Naturatia ot les traités des Animaur. Ici Y'on étudiera toujours en premier lieu le plus général, tel la génération des animaux; ensuite la génération dans certains genres d’animaux, le terme ultime étant la géné- ration propre & chaque espace ultime, autant que possible. Or, pour une raison que ni le texte d’Aristote ni celui de ses grands commentateurs ne peuvent expliquer, on entend aujourd’bui en un sens jdéaliste cette maniére de procéder. Au philosophe de la nature on con- fierait uniquement les considérations les plus générales, le De Ansma par exemple et non équivalent moderne du De Sensi et Sensato, ou du De Incessu Animalium, parce que dans les considérations tris générales que Von trouve dans les manus, on atteindrait davantage V'essence des choses et la substance; le philosophe de la nature aurait une connaissance plus profonde des choses en tant qu’il les embrasse dans une plus grande ‘universalité, Dans le De Anima on aurait atteint la substance méme de me, les mouches et los éléphants relevant de l'étude des modalités acci- dentelles de la substance de la brute, Bref, comme chez Hegel, le général serait la substance, Vespace un mode phénoménal, élaboration ultérieure de la substance, Inquelle espce no regarderait pas proprement le philo- sophe qui s'arréte davantoge A essence profonde des choses. C'est dire que d’aprés les ariatotdliciens, le plus conau pour nous et le plus clair serait, aussi Je plus essentiel, le plus connu et clair en soi. Qui connalt Ie genre connattrait la substance des esptces. L’on précise que l'idéal seolastique, poussé & sa limite, consisterait & dériver par un jeu de concepts logique, In trompe de léléphant & partir de la substance de V’animal, et V'expérience ne serait qu'une confirmation profane des puissances de Ia pens6e logique. Cette interprétation est contraire tant aux principes qu'au procédé effectivement suivis des péripatétioiens, Elle attribue & Aristote une opi- nion quill n'a cessé de combattre. La raison qui emptche d’embrasser aussi bien ensemble des concordances, eat Vinsuffsance de Vexpérience. C'est pourquoi ceux qui vivent dans une in- ‘Gmité plus grande dea phénoménes do la nature, sont aussi plus capables de poser des principes fondamentaux, tele qu’ils permettent un vaste encbatnement, Par contre, ceux que Pabus des raigonnements dialectiques a détournés de Vobserva-

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