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Jeudi 19 février – Petite semaine

08 h 20
Il faut bien se rendre compte que l’édition # 6 de ce RoadBook sera forcément ténue. Catherine
est arrivée mardi soir. Hier, mercredi, j’ai planché sur un travail relatif à l’innovation et à l’analyse
de l’innovation, en particulier en ce qui concerne les nouvelles technologies. Aujourd’hui, je dois
faire pas mal de lectures pour la classe de Nanotechnology in Society. Demain, avec Catherine et
Anne, nous mettons les voiles pour un week-end qui débutera à Las Vegas et continuera vers le
Grand Canyon. (addendum au 5 mars : finalement, c’est une édition dodue).

Dimanche 1er mars – Au rapport, colonel!


20 h 54
Que de temps ai-je délaissé ces pages! Une bonne semaine s’est écoulée depuis mes dernières
sentences sentencieuses dans ces quelques pages. Et que d’événements depuis, que d’anecdotes,
que de bons moments... Pour reprendre une conception du bonheur développée once upon a time
par un collègue, que de «micro-définitions»! (pour la lectrice et le lecteur curieux, cela signifie que
le bonheur est constitué d’une mosaïque d’instants insaisissables, à l’occasion desquelles les
éphémères conditions du bonheur se trouvent réunies).

Dès lors, conscient de ma dette dont je m’acquitte avec le plus grand plaisir, me voici au rapport!

Dernier détail, pour ceux que cela pourrait intéresser : notre adresse définitive ici est maintenant
connue et certaine :

1019 E Lemon Street

APT #204

TEMPE, AZ - 85281

USA

21 h 08 - VISA dependency
Lorsqu’un système s’engonce dans sa propre logique, qui se prétend rationnelle, il en découle des
résultats proprement irrationnels. Vendredi, je me suis rendu sur «l’Autoplex Loop», artère sinueuse
d’un centre commercial. En l’espèce, le terme de «centre» s’avère particulièrement impropre, tant
ces mégastructures commerciales se succèdent indéfiniment, sur un espace proprement
ahurissant (Belle-Île, à côté, c’est du petit lait!). Entre ces énormes surfaces, de larges voiries et
des parkings démesurés assurent le confort de l’automobiliste-consommateur.

Car si c’en est une de connue, c’est une caractéristique de l’Amérique qui ne laisse pas d’étonner :
tout est drive-in, ici, ou plutôt pour faire usage du correctif local, tout est drive-throu. À tout
prendre, n’est-ce pas, on envisage aisément qu’il soit préférable de conduire «à travers» que
«dedans»! Tout est donc drive-throu ici: les fast food bien sûr, mais également les liquor shops, ou
vous pouvez à bon prix vous fournir des alcools parfois vils, les banques, les cafés du Dutch Bros
voisin, et même... certaines pharmacies!

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Bref, tout peut s’acheter drive-throu en ce compris, même si cela peut paraître étonnant, les
voitures! Me voici en effet arrivé sur l’Autoplex Loop, lieu où se situe l’agence de location de
voitures. Je marche une demi-heure le long de cette artère parsemée de garages, de gauche
comme de droite. Des concessionnaires de toutes les marques qu’il soit possible d’imaginer... et
même de celles qu’il est impossible de concevoir. Etendues de voiture parquées à perte de vue;
spectacle sans cesse recommencé; affichettes jaunes annonçant que sont bienvenues les personnes
à «credit problem», atteintes de «personnal bankruptcy», etc.

Au détour d’un tournant, je pénètre dans l’antre du garage Honda qui contient l’agence Hertz, ma
destination finale. Là, stupéfaction. Impossible de louer une voiture. IM-POS-SIB-LE. Ma carte
de crédit a souffert des achats de billets d’avion pour venir jusqu’ici, des nombreuses dépenses
d’emménagement, des courses classiques, ainsi que de deux magnifiques vélos que je présenterai
bientôt. Bref, le plafond est atteint. Or, je dois produire une garantie de solvabilité de 200 $, en
sus du montant de la location et la carte le refuse. Après une heure de palabres, négociations,
stress, coups de téléphone en Belgique, rien n’y fit ; pas de carte de crédit, pas de voiture. J’étais
parfaitement en mesure et, l’on s’en doute, désireux de prouver ma solvabilité par toute autre
voie ; dépôt d’une caution en liquide ou de tout document d’identité, à l’exception du permis de
conduire, remise d’un Money order personnalisé, pré-payement par Maestro (qui est accepté dans
toutes les surfaces ici), voire même photocopie de mon illustre derrière pour autant que cela
puisse leur chanter.

Rien à faire. J’ai eu beau chanter Malbrouck (et ce fut délicieusement anachronique de chanter
Malbrouck en ces circonstances), mon interlocuteur, un stéréotype d’employé quadragénaire,
chemise grise, cravate noire, air fade, calvitie précoce (joli massacre), gel bon marché pour les
survivants, sens-bon de mauvais goût, grosse-voiture-mais-pas-trop (je suppose), conventionnel à
en périr, mon interlocuteur disais-je, m’a répété avec un malin plaisir, presque sadique, que «my
hands are tied». «C’est le système, je n’y peux rien». «Ce n’est pas ma responsabilité, c’est le
système». «J’aimerais sincèrement vous aider, mais vous comprenez, je n’en ai pas la possibilité».
«Se je pouvais faire autrement, je le ferais... mais je ne peux pas».

«Si c’était mon business, je vous aurais déjà filé cette putain de bagnole avec un sourire
dégoulinant et une courbette jusqu’au sol, une clé en or 36 carats, les trois premiers litres de
Starbucks gratuits et un plein d’essence en prime, mais vous comprenez, je ne suis qu’un
subalterne sans envergure et après tout c’est pas mon gagne-pain standardisé qui est ici en péril,
c’est juste ton voyage à la con mon pote. Rends-toi à l’évidence. J’en ai rien à foutre de te la louer
cette putain de bagnole, je toucherai pareil le 28, à la limite je suis presque content que la boîte de
merde pour laquelle je suis exploité fasse des bénéfices d’autant moins faramineux. C’est tombé
sur ta gueule, que veux-tu?, c’est la vie, il faut aussi des connards pour être victimes des systèmes
débiles mis en place par ces firmes qui le sont tout autant... C’est là loi aux USA, mon vieux. T’as
pas de carte de crédit qui fonctionne, t’es rien, t’es personne, t’es mort. Aller simple. Sans ta
MasterCard, t’es dans l’impasse à sens unique...» (nous traduisons).

Bon, il fallait que ça sorte. Haaaa (soulagement)! Ca, c’est fait.

Je dois exprimer ici toute ma reconnaissance à mon collègue arizonien, Walter, qui a accepté de
nous prêter sa voiture entièrement assurée pour le week-end, ce pour quoi je lui serai
éternellement reconnaissant.

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