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LE GLAIVE

Dès l'Antiquité, le glaive sert comme arme offensive et mortelle. Cette


arme est réservée au Chef (armées espagnoles et gauloises). A Rome le
glaive est réservé à tous les légionnaires. Il en existe deux types : le
Mayence (le plus ancien avec une lame de 40 à 50 cm et une pointe de 10
à 20 cm) et le Pompei (il a une pointe plus courte, mieux équilibrée, c'est
lui qui est retenu comme l'emblème de la justice).

Le glaive ne sert pas à arracher le bouclier de l'adversaire (pillum). Dans


le combat de corps à corps il sert à passer sous le bouclier pour
poignarder l'adversaire. Le glaive tranche, il ne transperce pas, c'est une
arme de décision.

A Rome, comme le glaive, la hache a une très forte charge symbolique.


Les 12 licteurs qui précèdent le Roi portent la double hache. Ils sont les
éxécutants du pouvoir royal, permettent de chatier par la mort le refus
d'obéissance ou l'atteinte à l'autorité du Roi. Ils garentissent le droit
régalien de vie et de mort.
Sous la République romaine les magistrats (titulaire de l'imperium) sont
toujours précédés des licteurs. Idem pour le prêteur.
Paul (l'apôtre) dans son épitre aux romains (13,4) se fait l'écho de cette
autorité du magistrat : "ils ne sont pas à craindre quand on fait le bien
(…)". La force du symbole est donc ancienne.

I. LA JUSTICE TIENT UN GLAIVE

Tout au long du Moyen Age papauté et royauté vont revendiquer leur


autorité judiciaire grâce au symbole des glaives (temporel et spirituel). Le
pape Boniface VIII, dans la bulle unam sanctam (18 novembre 1302),
écrit contre les prétentions de Philippe le Bel que les deux glaives
(temporels et spirituels) sont en la puissance de l'Eglise.
A l'assemblée de Vincennes en 1329, Pierre de Cugnières, pour le défense
des droits royaux, répond avec le symbole des glaives pour revendiquer
les spécificités de l'Eglise gallicane (celle du royaume de France). Il
retourne l'argument au profit du roi et traduit les deux glaives en
sacerdoce et empire (destinée humaine). L'Eglise ne doit ni toucher à
l'empire, ni intervenir dans la justice temporelle.
Au moment du sacre le roi recoit des insignes appelées regalia qui sont les
symboles éminents de sa souveraineté.

A. Le glaive et le main

Les regalias des rois d'Angleterre comprennent encore à ce jour 3 épées :


celle du pouvoir temporel, du pouvoir spirituel, de la justice. Les deux
premières sont entières et celle de la justice à moitié parce que l'épée de
la justice est celle du pardon, de la miséricorde.

Au royaume de France, lorsque les rois sont figurés en majesté sur le


grand sceau de la chancellerie, différentes insignes sont représentées : le
globe, la croix, le trône et souvent l'épée.
Le jour de son sacre, le Roi est armé par l'archevêque d'une épée qu'il
tient la pointe levée pendant le temps d'une oraison évoquant les énemis
de l'Eglise que le roi devra combattre.
Outre l'épée, le roi reçoit deux sceptres de longueur différente. Le plus
haut (le "haut sceptre") fait six pieds. Il symbolise le pasteur, la conduite
du peuple. Le plus court (une coudée) est surmonté d'une fleur de Lys.

Début 14ème apparaît, au sommet du sceptre court à la place de la fleur de


Lys, une main. Elle se veut à l'origine un rappel de la royauté de David
(du fait de sa signification de "main forte" qui est éthymologiquement
fausse mais symboliquement pratique).

Elle devient une main de justice avec Louis X (1314-1316) qui est le
premier roi représenté avec la main de justice sur son sceptre. C'est une
main droite à l'index et au majeur tendu et les autres doigts repliés. C'est
une main bénissante, de paix qui doit équilibrer le glaive. Cette main va
recevoir la qualification de main de justice dans le courant du 15ème, siècle
où les justiciables mécontents d'un arrêt du Parlement commencent à
s'adresser au Roi en son conseil pour lui demander de le casser. Le conseil
du roi, sans juger au fond, peut casser et renvoyer l'arrêt au Parlement.
La qualification de main de justice est donc assez révélatrice d'une
puissance qui transmet à la justice sa souveraineté.
Le symbole existe jusqu'en 1793. La révolution française se donne pour
objet de déstabiliser définitivement la royautéet dans ce projet le glaive
ne va plus trouver de contrepartie. Le glaive est désormais le seul attribut
de la justice.

B. Le glaive pour juger

En 1793, le Roi est non seulement éxécuté mais la royauté elle-même doit
disparaître.
Parmis les regalias, les révolutionnaires cherchent à detruire les symboles
les plus éclatants de la royauté. Ils n'en détruisent que deux.
D'abord la Sainte Ampoule. La tradition de l'ampoule vient de Hincmar,
archevêque de Reims. La Sainte Ampoule fut apportée miraculeusement à
l'évêque par une colombe le jour du baptème de Clovis et contenant l'huile
d'origine céleste elle se trouve intégrée à la cérémonie du sacre. Elle en
devient un symbole essentiel à partir du 13ème siècle.
Puis ils s'en prennent à la main de justice. Par l'ampoule c'est l'origine
royale du pouvoir qui est détruite et par la main c'est la nature
miséricordieuse du pouvoir royal qui est détruit. Ces deux symboles sont
plus importants que la couronne. En détruisant la main, est détruit le
pouvoir royal par excellence, c'est-à-dire celui de la Grâce. Il n'y a plus de
main de justice capable de gracier. Il ne reste que l'arme, le glaive qui
éxécute la peine de mort.
Sous l'ancien régime la décapitation est un privillège nobiliaire. En
choisissant le glaive, la justice révolutionnaire démocratise le privillège
noble. La guillotine est octroyée à tout le monde. La main de justice va
survivre à la révolution. Napoléon la fait revivre en 1804 et la commande
pour son sacre du 2 décembre. Mais il faut en réaliser une nouvelle. Le
modèle pris pour le sacre est une gravure trouvée dans l'ouvrage d'un
bénédictain (Bernard de Montfaucon, Monument de la monarchie
française). La main y est dessinée sans y réfléchir. A l'impression finale
présente une main gauche au lieu d'une main droite. Napoléon tient donc
lors de son sacre une main gauche de justice. Cela montre la réussite des
révolutionnaires dans la destruction de la royauté. Quand Napoléon
réintroduit les lettres de grâce, la miséricorde n'y apparaît pas. La
miséricorde des rois de France est remplacée par la clémence d'Auguste
(romaine). La grâce est devenue l'instrument du gouvernement et ne
relève plus du pouvoir des juges. La grâce n'est plus une voie de recours
judiciaire comme elle l'était sous l'ancien régime.
Si la grâce revient à l'éxécutif, il ne reste plus au pouvoir judiciaire qu'un
glaive sans la grâce, sans protection.

II. LE GLAIVE N' A PAS DE FOURREAU

Joseph de Maistre, dans le premier entretien des soirées de St


Petersbourg, évoque le mal qui agit constamment sur la terre et qui doit
être constamment réprimé : "(…) le glaive de la justice n'a point de
fourreau, toujours il doit menacer ou frapper."

A. Le glaive à lame nue

Il ne peut que trancher, c'est son devoir. Il le fait au sens propre et figuré.
Au sens propre : pouvoir de décider une sentence de mort ou une
répression sanglante. Le pouvoir de donner la mort est réservé aux
juridictions laiques et séculiaires. Les juridictions ecclésiastiques, en dépit
de leur glaive spirituel, ne tranchent jamais au sens propre et cela dès
1140 lorsque le decret de Gratien dispose à la Cause 23, question 8 que
les prêtres ne doivent pas saisir les armes mais qu'il leur est permis
d'exhorter les laiques à les saisir pour la défense des opprimés. Le 4ème
concile de Latran en 1215 énonce dans son canon 18 qu'aucun clerc ne
porte de sentence de mort ni n'éxécute de peines de sang.
Au sens figuré, le glaive doit trancher, au risque du denni. Le juge est
tenu de dire le droit et d'appliquer la loi. Cette obligation apparaît au
siècle des lumières qui prépare le légalisme.
Montesquieu, dans L'esprit des lois (livre 6, chap 3) considère que "plus le
gouvernement approche de la République, plus la manière de juger
devient fixe. Il est de la nature de la constitution que les juges suivent la
lettre de la loi".
Pour Voltaire, interpréter une loi, c'est toujours la corrompre. Cette
position se trouve étayée par une tradition législative ancienne qui
remonte à l'ordonnance civile de 1667 (titre I, article 7) qui fait défense
au juge d'interpréter les ordonnances et autres édits. Cette ordonnance
avait pour but de mettre les cours souveraines hors de la concurrence du
roi législateur.
Les lois du 16 et 24 aout 1790 (titre II, article 2) en consacrant le référé
législatif réserve au législateur le monopole de l'interprétation de la loi.
La question du denni de justice se pose quand la loi est obscure,
incomplète ou muette ou quand les faits présentent une combinaison non
prévue par la loi. Le glaive de la justice doit cependant, ici aussi, trancher.
Le denni de justice reste d'actualité pour une institution judiciaire qui ne
juge pas seulement mais qui se consolide et s'affirme comme un
contrepoid sous la pression de Bruxelles. Le glaive de la justice se doit
donc d'être constamment utilisé.

B. Le glaive utilisé

A force d'être constamment sollicité pour trancher, le tranchant


s'émousse. La pondération qui peut adoucir la sentence entre aussi dans
le devoir de juger. Le glaive est sans fourreau mais non sans mesure.
Proportion du but à atteindre par rapport à la sanction. La déclaration des
droits de l'homme de 1789 énonce que la loi ne doit établir que des peines
strictement et évidemment nécessaires. Même contenue dans les limites
de la loi une violence ne peut entraîner en réponse qu'une nouvelle
violence de révolte, individuelle ou collective.

Personnalisée, la sanction est une obligation légale pour le juge dans le


nouveau code pénal.
Il n'y a pas si longtemps sa marge était étroite : amende, prison, peine de
mort. Son éventail s'est à la fois réduit (plus de peine de mort) et élargit
(sursis avec mise à l'épreuve, travail d'intérêt général, prison, restriction
des droits, confiscation et interdiction professionnelle).
Le devoir de personnaliser est une altération au tranchant de la justice.
Cela peut poser des problèmes d'appréciation, des divergences d'opinion.
En Grande-Bretagne de véritables barêmes sont fixés par la cour d'appel
pour les juridictions de base. Le comité des ministres de Conseil de
l'Europe a recommendé en octobre 1992 la recherche de principes de
base, révisables pour que des cas analogues soient traités de façon
identique, pour que les disparités susceptibles de discréditer la justice
pénale fassent l'objet d'une prise de conscience.
C'est toujours au magistrat de trancher et, par sa motivation, de
convaincre de l'adéquation de son jugement aux circonstances et à la
personnalité des parties.
La violence du glaive a ses limites. Les decisions du juge ne sont pas
toujours définitives : assistance éducative à l'égard d'un mineur en danger
est une mesure limitée à 2 ans et modifiable av l'expiration des 2 années.
Le juge civil peut accorder un délai de grâce pour l'éxécution d'un
jugement définitif.
Au pénal, le juge d'application des peines peut assortir d'un sursis
accompagné d'un travail d'intérêt général une peine d'emprisonnement
ferme d'une année. En dehors des grâces, amnisties, réhabilitations
peuvent être décidées des réductions de peines, des libérations
conditionnelles.

Lorsque le glaive de la justice est si peu tranchant, on peut regretter


l'absence de son fourreau. Le législateur a introduit une justice de
médiation, de dialogue avec les délinquants (loi du 10 juin 1983).
Une justice de conciliation : loi du 8 février 1995.
Une justice de mesures alternatives : loi du 13 décembre 1998.
Une justice non plus basée sur le tranchant d'une sanction mais sur
l'écoute et la responsabilisation.
Le législateur tente par là de retrouver une justice de paix, de retrouver la
main de justice. Les jugements définitifs passés en force de chose jugée
ont une force éxécutoire à laquelle les procureurs doivent "tenir la main"
selon l'expression.
Mais la justice peut elle vraiment dans le même temps brandir le glaive et
tendre la main ?

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