Vous êtes sur la page 1sur 164
Manuel Diaz TOUS DIGITALISES Et si votre futur av Couverture: Cédric Aubry Le picogramme qui figure crcontre — densignemen! supérieur, provoquod! une mmétho one enpication. Son objet et basso brace dev ocho do ese do Slee cw sr mencce ue rewes apsilcveloposbiténenerow représente pour lawenir de V'écrit, Tes cules de créer des caves parficuliérement dans le domaine | DANGER ] nowelles et de les faire éditer cor de Féiion technique et universi- recement es ujourd hui menocée tir, le développement mas do Nous reppelens done que fouls photocopil reproduction, pattille ov tolole, Le Code de fa proprictéintelec- de lo. présente publicaion est tuele do Tulle! 1992 interct |LEROTUDPUME | inferdie. sans ovtorisation de en efletexpressémentla photoco- UELELIVRE) auteur, de son éditeur ov du pie & urage cole sas outeri- Centre francais dexpleittion du sation des ayants droit. Or, cetepratique droit de copie (CFC, 20, rue des Yet généralsée donsies Goblissemen's Gronds-Augusin, 75006 Por). © Dunod, 2015 5 rue Laromiguiére, 75005 Paris www.dunod.com ISBN: 978-2-10-074192-2 le Code de la propriété intellectuelle nfautorisant, aux termes de Varticle L. 1225, 2° et 3° a}, d'une par, que les « copies ou reproductions strictement réservées & I'usage privé du copiste et non destinées & une utilisation collective » «', d'cutre par, que les analyses e les courtes citations dans un but d’exemple et illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou parielle faite sons le conseniement de lauteur ou de ses ayanls droit ou oyants cause est ilcite » (art L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, por quelque procédé que ce soit, constie rait donc une contrefacon sonctionnée par les orfcles |. 335-2 et suivants du Code de la propriéi inellecuele Préface Loin d’étre une menace, le digital est une opportunité, 4 condition de savoir s’adapter. orsque j'ai pris la présidence du Groupe Accor — 1" hételier frangais, 6° mondial — il y a deux ans, il était clair que le digital allait constituer un chantier prioritaire. A moins d’avoir passé 15 ans dans une grotte, chacun sait que le digital est partout. Et, quelle que soit l'industrie qui vous concerne, croire que vous étes protégé par une sorte «d’abri anti-digital», c’est volontairement prendre le risque de se «faire sortir». Se faire sortir de sa vie sociale pour un individu, se faire sortir de sa vie professionnelle pour un salarié et, inélucta- blement, se faire sortir de son marché pour une entreprise. Tout le challenge est 1a. Le digital nous oblige a sortir de notre zone de confort car on ne peut pas traiter le sujet en faisant un simple copier/coller des bonnes pratiques observées ailleurs ou chez les concurrents. Tous digitalisés Je ne suis pas un geek, je ne suis certainement pas «digital native » mais je suis attentif au monde qui m’en- toure, je suis curieux et surtout, j’ai l’esprit suffisamment ouvert pour reconnaitre que je ne sais pas tout et pour apprendre de ceux qui savent. C’est pour ga que je me suis entouré de grands professionnels de la transforma- tion numérique pour batir la stratégie d’ AccorHotels. Et voila ce que j'ai compris. Pour une entreprise, le digital doit revétir quelque chose de trés «personnel» : derrigre la dimension technologique — souvent la plus visible -, 's 4 Pidentité d’une se trouvent des questionnements relati marque, la culture d’ une entreprise, voire le secteur d’acti- vité dans lequel elle se situe. Sans une réflexion profonde sur tous ces sujets, menée en amont, la meilleure des tech- nologies ne servira a rien. Elle pourra méme vous mainte- nir ou vous précipiter dans l’erreur. Il faut s’affranchir de certains principes que 1’on croyait intangibles, s’immerger, observer et se construire sa propre vérité. Aujourd’hui, les challengers d’AccorHotels ne sont plus seulement les acteurs habituels de I’hétellerie. Ce sont des startups. Mais ce sont aussi mes clients, ceux qui mettent leur bien immobilier sur Airbnb notamment. Désormais, les gens ne veulent plus seulement un produit, ils veulent un service. Une fois qu’on a compris ¢a, on commence 4 s’adapter, 4 regarder son écosystéme et A se poser les bonnes questions. vi Préface Qui sont mes partenaires? Certains de mes concur- rents avec qui je peux m/allier pour résister 4 ceux qui tentent de nous «uberiser ». Et ceux qui veulent transfor- mer mon marché aujourd’hui seront peut-étre mes alliés demain. Quel est mon produit? Ce n’est pas seulement un produit, c’est une expérience ! Car celui qui ne vend que des nuits d’hétel devient une «commodité», facilement remplagable par un concurrent moins cher et, en plus, il doit sacrifier ses marges pour survivre. Ma croissance de demain, c’est ce que je peux apporter 4 mon client avant et aprés qu’il soit arrivé dans mon hétel. C’est ce qu’on appelle «le cheminement client ». Quel est mon terrain de jeu? Si je ne propose pas une expérience cohérente entre le online et les hétels, le risque de retour de flamme est plus que réel. Quel est mon temps de jeu ? Si je me contente d’étre présent auprés de mes clients uniquement lorsqu’ ils se trouvent dans un de nos hotels, je les perds. Aujourd’ hui, il faut trouver le moyen d’étre présent en permanence a leurs cotés en leur délivrant de la valeur et des services. Quel est le principal levier d’une expérience client réussie? C’est une expérience «collaborateurs» du méme niveau. C’est-a-dire donner aux uns les moyens de tenir la promesse faite aux autres dans un métier ot la dimension « physique » ne disparaitra jamais. Vil Tous digitalisés Quelle est ma chaine de valeur? Elle est devenue une «chaine d’expérience» et c’est en fonction d’elle que nous prenons des initiatives qui auraient semblé hors de propos a un hételier il y a quelques années. D’ailleurs, Accor est devenu AccorHotels, la marque digitale est devenue le nom du Groupe et ce n'est pas le fruit du hasard! Si notre marque digitale s’est imposée c’est notamment parce que nous avons passé certains caps culturels et identitaires. Le digital m’a forcé 4 reconsidérer l’essentiel des grands principes qui gouvernent traditionnellement le secteur de I’hétellerie, 4 changer de paradigme, pour trouver mes propres réponses. Pour y parvenir il faut bien avoir a l’esprit que : + Le digital n’est pas le futur : il est 1a, il est 4 ’ceuvre, sous nos yeux. + Le digital ce n’est pas «les autres » : consciemment ou pas nous en sommes déja acteurs et les usages que nous avons développés en tant que consomma- teurs doivent guider les décisions que nous prenons en tant que dirigeants. * Le digital est une affaire de convictions : je dois incarner le futur que j’envisage pour le Groupe. Sans cela, il est impossible de mettre l’entre- prise en mouvement. C’est un rdle que je ne peux déléguer. Vill Préface * On ne transformera pas |’ organisation sans prendre le soin de transformer les hommes. A commencer par nous. Aucun dirigeant ne doit accepter d’étre la victime consentante d’une révolution dont il s’exclurait lui-méme. Notre futur est ce que nous en ferons. L’«uberisation » n’est pas une fatalité, si ce phénomene suscite parfois des craintes il génére avant tout de grandes opportunités. Jen suis persuadé, un acteur traditionnel, comme AccorHotels dans I’hétellerie, peut étre celui qui va révo- lutionner son marché. Parce que les sociétés issues de |’industrie tradition- nelle qui ont pour elles la force de I’Histoire, la force des talents et cette capacité d’innover sont et seront toujours capables d’innover, de prendre des risques, de se compor- ter comme des entrepreneurs, d’assumer leurs initia- et méme de les réussir! tives. Sébastien Bazin Président Directeur Général AccorHotels Sommaire Préface........ Introduction ........sssssse 1 De la guérison 4 la prévention: la santé en mode bien-étre 2 Les voyages et déplacements.... 3 Une consommation sur-mesure et responsable pour le client digital................ 4 Les loisirs: une expérience 4 la fois individualisée et partagée 5 Le collaborateur digital fait exploser la structure du travail 6 Lentrepreneur: un inspirateur qui met le monde en mouvement xl Al 59 79 95 5 Tous digitalisés 7 Apprendre: une fonction vitale dans un monde en changement... 8 La ville digitale: connectée et intelligente 9 Et apres Conclusion ooo... cece Glossaire.... Remerciements Table des matiéres...... XIl 129 141 151 157 161 167 169 Introduction i se classe la révolution digitale? Au rayon «nouvelles technologies» oui, mais pas seule- ment. Si le digital n’alimentait que les médias, les conversations entre professionnels et les communau- tés d’amateurs avertis, alors ce ne serait qu’une innova- tion technologique de plus, comme on en a déja beaucoup connu ces 60 derniéres années. Certes, ces innovations — de la télévision au pacemaker — ont marqué une avancée significative dans un domaine précis, mais elles n’ont pas pour autant transformé la société dans sa globalité. Or le digital est présent partout, dans tous les sujets. Telle une lame de fond, il sous-tend des conversations dans lesquelles il n’est pas toujours mentionné. Mais, que ce soit directement ou indirectement, qu’on le cite nommément ou non, on le retrouve dans les rubriques «politique», «économie», «culture», «emploi», «société», «santé», «mode», «philosophie», et j’en passe. On en parle beaucoup, méme si l’on constate para- doxalement que la majorité le comprend encore mal et refuse de se projeter dans un futur qu’elle n’arrive pas visualiser. Tous digitalisés Et pourtant. Od en serions-nous aujourd’hui sans cette foule d’inno- vations qui ont parfois prété a sourire, parfois fait peur, mais qui sont aujourd’hui ancrées dans notre quotidien? Qui pourrait imaginer sa vie sans? Sans remonter a l’invention de l'imprimerie, serions-nous préts & renoncer & ce que les 60 derniéres années nous ont apporté en termes de confort, de santé, d’accés 4 l'information, de communication avec nos proches ? Sans téléphone portable, sans carte bancaire, sans GPS, sans scanner, voire tout simplement sans télé- commande pour la télévision? Bien sfir que non. Ce qui nous attend est infiniment plus grand que ce que nous avons connu jusque-la. Pourquoi se refuser 4 un futur prometteur puisque nous ne pourrions retourner dans le passé ? L'ampleur des changements actuels en inquiéte certains mais nous devons avoir conscience que nous avons déja connu des périodes d’innovation qui ont chamboulé notre quotidien et que nous nous en sommes. fort bien accommodés. Revenons 60 ans en arriére. Je n’ai pas pris ce chiffre au hasard. Imaginez un enfant né en 1955. Cet enfant a été au ceeur de la transformation du monde industriel en un monde de services. Tl n’a que 10 ans quand Gordon Moore énonce la loi qui porte son nom et quand Digital sort le premier mini- ordinateur. C’est également l'année de l’invention du langage BASIC. Introduction Tl a 20 ans quand Bill Gates et Paul Allen fondent Microsoft. En France, l’ORTF disparait et BIC lance le premier rasoir jetable. Le Concorde fait son premier vol commercial. Tl a 30 ans quand on découvre les empreintes géné- tiques, quand Windows 1.0 sort sur le marché. Une nouvelle norme d’affichage voit le jour : 1’ EGA qui permet d’afficher 16 couleurs sur un écran de 640 pixels sur 350. On invente également le microscope électronique. Cela fait plus de 5 ans qu’il peut rouler 4 300 km/h en TGV entre Paris et Lyon. Quelques rares salariés commencent a recevoir des e-mails. Tla 40 ans quand Yahoo! est créé et Altavista n’indexe pas moins de 15 millions de pages web ! Le CIGREF lance son groupe de travail pour anticiper le passage informa- tique a I’an 2000. C’est également l’année de la sortie de Windows 95. A 50 ans, il entend pour la premiére fois parler du Web 2.0. et YouTube est créé. Il assiste a la télévision au premier vol de I’ Airbus A380. En France, on réalise la premiére greffe de visage. Remontons une génération et regardons la vie de la mére de cet enfant. En 1955, cette maman passe les derniers temps de sa grossesse devant sa télévision en noir et blanc — la couleur étant encore un produit rare et réservé 4 une classe priv ‘e. Elle doit d’ailleurs se lever pour chan- ger de chaine car la télécommande ne fera son apparition Tous digitalisés que des années plus tard. Peu importe, elle apprécie ce média qui a suscité quelque controverse chez. ses parents voyant d’un mauvais ceil cette boite a images: n’allait- elle pas bousculer I’équilibre social de la vie familiale? Amusée, elle repense d’ailleurs aux débuts du cinéma dont elle a lu dans les livres qu’ils avaient aussi créé leur lot d’émoi quand les spectateurs s’imaginaient que le train quwils voyaient a I’écran allait faire irruption dans la salle et leur rouler dessus. Cette mére de famille a d’ailleurs vu quelque chose de trés intéressant a la télévision derniérement. La médecine fait des progrés et désormais une machine appelée « stimu- lateur cardiaque » permettra a des personnes de vivre avec un cceur déficient. Si on avait parlé d’un tel outil 4 son grand-pére, il aurait sdrement parlé de sorcellerie. Et encore, elle n’imagine pas quel point le pacemaker va se miniaturiser jusqu’A étre relativement simple a poser et réglable 4 distance. C’était en tout cas une émission trés intéressante, dommage qu’elle n’ait pas chez elle une de ces nouvelles machines, mais encore trop onéreuses, qui permettent d’enregistrer des programmes pour les regarder plus tard. Elle se demande d’ailleurs dans quelle mesure les cinémas auront un avenir si le magnétoscope se généralise... C’est aussi devant la télévision que le jeune gargon voit le président Kennedy annoncer son intention d’envoyer un homme sur la Lune en 1962. Il ne comprend pas trop mais est passionné par les images de fusées et d’ avion qu’ il voit Introduction al’écran. Les plus anciens sont sceptiques : un Paris-New York ne se fait sans escale que depuis 1957 et encore, il faut 14 heures. Alors la Lune... Toutefois, peut-étre que cela permettra de faire des découvertes, mais lesquelles ? Apres tout, on sait déja que la Terre est ronde. Enfin, cela n’a pas toujours été aussi évident alors... pourquoi pas? Tl a vu naitre de nombreuses technologies et la société se transformer radicalement. S’il a pris certains de ces changements avec joie, il en a accueilli d’autres plus froi- dement, mais il sait que sa vie est meilleure que celle de ses parents. A 60 ans il est, en France, de la génération de ceux qui sont aujourd’hui au sommet du pouvoir poli- tique et économique, a VElysée comme dans les conseils d’administration du CAC 40 — méme si je ne pense pas que notre pays doive s’enorgueillir de la faible place faite aux plus jeunes a ce niveau de pouvoir. A ce titre, c’est a lui d’opérer les choix qui mettront la société, I’ entreprise et les générations futures dans les bonnes dispositions pour tirer le meilleur de ce qui nous attend. Lorsqu’il prend sa place dans la société et dans le monde du travail, on est 4 un point de bascule. Le monde industriel qu’on a construit depuis le début du siécle commence une profonde mutation. Les médias se développent, les ordinateurs commencent & trouver leur place en entreprise. On est 4 quelques années de I’arri- vée du Minitel. On ne parle pas encore de numérique ou de digital mais d’informatique. On s’intéresse davan- tage a la technologie pour ce qu’elle apporte que pour Tous digitalisés les usages nouveaux qu’elle va rendre possible. Pour autant, les générations qui l’ont précédé lui ont passé un témoin: c’était a lui de faire rentrer I’entreprise dans cette ére nouvelle. Aujourd’ hui, c’est 4 lui de préparer le terrain pour que les générations suivantes trouvent une entreprise préte pour les challenges de demain. C’est a lui de passer le témoin qu’on lui a passé, en se souve- nant qu’il a été, lui aussi, un précurseur a I’aube d'une époque nouvelle. Pas de console de jeu ni de walkman pour notre jeune adolescent. Il ne découvrira ces gadgets qu’a V’Age adulte. S’il manifeste un quelconque intérét pour la technologie ce sera a lui d’aller acheter des piéces détachées pour construire des appareils rudimen- taires qui, s’ils ne révolutionnent pas le monde ni ne changent rien 4 son quotidien, contribuent 4 son éveil et lui montrent que «ga peut marcher ». Mais de 1a a en faire sa profession? Le marché de l’informatique est réduit et peu de parents lui conseilleraient de s’engager dans une voie sans trop de débouchés. Thomas Watson Junior, président d’IBM alors, déclare en 1943: «Je pense qu’il y a un marché mondial pour quelque chose comme cing ordinateurs». Presque 25 ans plus tard, en 1977, Ken Olsen, président de DEC' ne le contredit pas «Un particulier n’a aucune raison d’avoir un ordinateur chez lui». Ils ont raison. tal Equipment Corporation, entreprise & | sur le marché de informatique. que pionnigre Introduction Si notre jeune étudiant poursuit dans la voie de l’infor- matique il sera donc confiné 4 un marché de niche ou, au contraire, contribuera 4 changer le monde si les Oracles se sont trompées. S’il choisit une autre voie il verra, de loin, une industrie naitre sans trop en comprendre les tenants et les aboutissants. En attendant, en 1969, on a enfin marché sur la Lune et le Concorde a effectué son premier vol. Deux idées folles sur lesquelles personnes n’aurait parié 10 ans plus tot, alors pourquoi ne pas croire en |’informatique ? En 1968 Stanley Kubrick porte a I’écran un livre d’Arthur C. Clarke: 2001 |’Odyssée de l’Espace. Notre jeune adolescent n’en ressortira pas tant fasciné par le scénario futuriste de la conquéte de I’ espace que par HAL, ce robot a l’intelligence quasi-humaine qui suscite passions, inquiétudes et incré- dulité. Passions car on se prend a réver d’une intelligence artificielle capable de seconder I’Homme; inquiétudes car cela fait peur; incrédulité car jamais une machine ne sera assez puissante pour atteindre ce résultat. Notre enfant attendra done de devenir quadragénaire pour voir I’ ordina- teur d’IBM Deep Blue battre le champion d’échecs Gary Kasparov en 1997. Un autre mur tombe. A 52 ans son smartphone est infiniment plus puis- sant que l’ordinateur de bord de la capsule Apollo qui a emmené Armstrong sur la Lune. A 55 ans il voit IBM annoncer son programme d’intel- ligence Cognitive Watson qui relégue Deep Blue au rang de machine préhistorique. Tous digitalisés Notre mére et son fils regrettent-ils tout ce qui a contri- bué a améliorer leur vie, leur monde pendant ces années ? Pas une seule seconde. Notre homme se demande pour- quoi les générations suivantes ont tant peur du change- ment qui s’annonce, lui qui en a tant vu et vit avec au quotidien. Sa vie lui a appris une chose: il ne faut pas avoir peur. Le monde avance qu’on le veuille ou non. Mieux vaut ouvrir les yeux, embrasser la nouveauté que la rejeter et s’en protéger. Ou sont les entreprises qu’il a vu briller au sommet tout au long de sa carriére ? Combien n’ ont jamais réussi 3 se remettre en cause et ont fini par disparaitre, non pas par manque de talent mais par aveuglement face & un changement qui s’est imposé alles? L’espérance de vie des entreprises du «Fortune 500» est passée en 50 ans de 75 a seulement 15 ans. Si les Apple et Microsoft ont su se renouveler, combien des autres pépites des années 1970 sont-elles encore 14? Que sont devenus les Atari, Comodore et consorts? Aujourd’ hui f€ter ses 30 ans en restant au sommet devient rare quand on ne sait pas se remettre en cause. Qui connaissait Google en 2000? Il n’est pas seulement question d’économie ici, mais également de choix de société. Introduction A travers cette introduction je souhaitais montrer qu’il n’y a aucune raison de craindre ce qui nous a réussi jusqu’a présent. A nous comme aux générations précé- dentes. Aucune raison, 4 condition de faire l’effort de comprendre ce qui se passe, ce vers quoi nous allons et de nous refuser 4 protéger le passé. La révolution qui s’annonce n’est pas technologique, ou pas exclusivement. Le cadre technologique est posé et, méme s’il s’améliore constamment, méme si des inno- vations majeures sont encore a attendre, nous avons déja le socle sur lequel construire la maniére dont nous allons vivre dans les décennies a venir. Vivre car cela dépasse la productivité, la communication. L’Homme Digital (nous tous) est doté, nous le verrons, de super-pouvoirs ! Le pire qui puisse lui arriver est de refuser de s’en servir pour construire et vivre son futur. En effet, nous avons tous été digitalisés. Qu’on le veuille ou non, qu’on en soit conscients ou non, a des degrés différents selon les individus, nous avons tous été exposés au géne de la transformation digitale et personne ne peut prétendre vivre dans un abri anti-digital et se penser extérieur 4 ce qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Digitalisés en tant qu’individus. Notre image, notre identité, notre réputation est ce qu’en dit Google. Refuser ce paradigme revient 4 laisser des étrangers aux commandes de notre identité. Tous digitalisés Digitalisés dans nos interactions. Les réseaux sociaux de messagerie ont radicalement changé notre maniére d’étre en contact avec les autres, notre maniére d’interagir. Et ne me dites pas que cela ne concerne que les jeunes. La population qui croit le plus actuellement sur Facebook est celle des 50 ans et plus. Pendant ce temps, les jeunes désertent déja pour aller ouvrir de nouvelles frontiéres ailleurs. et avant eux les outi Digitalisés en tant que consommateurs. Méme dans un magasin on utilise son smartphone pour se renseigner sur un produit, comparer les prix. En 2003, on disait que seuls des produits de moindre importance et peu chers se vendraient sur internet. Vendre des billets de train semblait trop ambitieux. Aujourd’hui on y vend méme des voitures, comme le montre |’exemple récent de la BNW i3. Digitalisée, également, la maniére dont les marques nous percoivent. A Vheure de la révolution des donné nous sommes nous-mémes devenus des données. Données démographiques, données comportementales, attentes, habitudes de consommation, intentions d’achat: tout ce qui nous caractérise est étudié et traité sous forme de données. Et le plus paradoxal, c’est que cela permet d’in- dividualiser voire de réhumaniser la relation. Digitalisés, nos activités et notre santé. Montres et bracelets connectés mesurent tout et nous aident a améliorer notre style de vie. Notre balance suit notre 10 Introduction évolution et nous donne des conseils. On peut partager tous nos indicateurs, du poids a la tension artérielle en passant par l’alimentation et l’exercice physique avec notre médecin. Digitalisée, enfin, notre consommation. On a vu naitre et mourir le CD en 30 ans. Le DVD n’aura méme pas atteint l’Age de la majorité. Quant au livre papier, il vit ses derniéres années. Tout est délivré désormais de maniére numérique, permettant par ailleurs des interactions nouvelles avec les contenus, voire des interactions entre individus au travers des contenus. Les piliers de notre vie de demain (et d’aujourd’hui d’ailleurs pour certains) ne sont pas des ordinateurs, des réseaux et des circuits imprimés mais leurs usages. Un domaine autrement plus large qui reléve autant de I’hu- main, de la sociologie et du comportement que de la tech- nologie. On y trouve péle-méle: * Les données: pour comprendre et se mouvoir dans un monde digital, prendre les bonnes décisions, anti- ciper, améliorer notre expérience de vie. * La mobilité: le digital est partout et ne peut plus étre réduit 4 un ordinateur que I’on utilise & un endroit dédié. L’ordinateur a occupé des piéces entiéres, puis s’est installé dans le salon, est devenu portable, s’est logé dans le téléphone et demain dans une montre, des vétements, le corps. VW Tous digitalisés * Le social: non pas le «social» dans l’acception francaise du terme mais dans son acception anglo- saxonne, «ce qu’on fait ensemble», «ce qu’on fait avec les autres», car le réseau n’a aucune valeur sans projets ni activités collectives. L’ intelligence collective et le pouvoir d’ agir et partager en s’affran- chissant des notions de temps et d’espace ont déja commencé a transformer la société. * Le cloud: \'informatique devient omniprésente jusqu’a en devenir invisible. Des infrastructures «dans les nuages» rendent nos données et nos services favoris accessibles n’importe quand, de mimporte oi. Surtout, cette infrastructure s’adapte et se redimensionne en permanence, en fonction des besoins, pour que jamais l'utilisateur n’ait besoin de se préoccuper de la maniére dont les choses fonc- tionnent. I] utilise, il ne gére pas. Si chacun de ces piliers en Iui seul est porteur de promesses et de changements, il est illusoire de les penser indépendamment. La révolution des usages digitaux n’est Pp: de tout ¢a a la fois. Notre monde se transforme parce qu’a un moment donné la convergence des quatre piliers crée une opportunité nouvelle. affaire de cloud, de mobile ou de social, mai: Tl est donc inutile — et peu pédagogique — d’ avoir une approche technologique du digital fondée sur l’impact distinct de chaque pilier. Au contraire, la démarche la plus 12 Introduction pertinente part des scénarios de nos vies de tous les jours pour comprendre comment la rencontre du cloud, des données, de la mobilité et du social vont les transformer. Dans les chapitres qui suivent, je ne vais donc pas vous parler de technologie, elle ne sera qu’un figurant de I’his- toire. L’histoire que je vais vous raconter est celle de nos vies, 4 travers des moments-clés de notre quotidien. Ce n'est pas de la prospective : tout est 1a, en place et se met en mouvement chaque jour un peu plus. Chapitre 1 Comment I’Homme Digital vivra mieux, en meilleure santé et plus longtemps gréce aux nouveaux services désormais envisageables? Telle est la premiére question que nous posons dans ce monde oi la prévention rempla- cera la guérison. Chapitre 2 La notion de mobilité et de déplacement est en train d’étre radicalement transformée. La notion de service aux voyageurs va s’en trouver révolutionnée tout autant que l’industrie des transports qui va devoir se réinventer en profondeur. Economie collaborative, «mobilité as a service », nouveaux acteurs et nouveaux moyens de trans- port vont profondément changer la face de ce secteur. 13 Tous digitalisés Chapitre 3 L’économie de l’abondance touche & sa fin mais le digital va nous permettre de consommer autrement, pas nécessairement plus, mais mieux. I] remet 4 la fois le consommateur — en tant qu’individu — et le collectif — en tant que corps social responsable — au centre du modéle. Chapitre 4 Des expériences immersives sur-mesure vont révolu- tionner le monde des loisirs, des médias. La personnali- sation va remplacer la diffusion de masse, l’individu va prendre place au centre des contenus au lieu d’étre leur cible. Chapitre 5 Dans un monde od tous les modéles sont bousculés, on ne peut plus penser et délivrer les offres, les produits et services de 2015, de la maniére que I’on travaillait en 1990. Qu’il s’agisse de 1’ évolution des business models, de la prise en compte de nouvelles attentes du corps social, de l’adaptation du management a un monde digi- tal, l’entreprise digitale n’aura plus grand chose a voir avec I’entreprise postindustrielle de la seconde moitié du xx® siécle. L’entreprise qui ratera son virage digi- tal ne sera plus en prise ni avec son marché ni avec ses collaborateurs. Introduction Chapitre 6 A nouveaux travailleurs, nouveaux entrepreneurs. Le salarié digital sera un peu — voire beaucoup — entrepre- neur et les entrepreneurs de demain auront a leur dispo- sition des moyens et des écosystémes qui changeront profondément la maniére dont ils créeront et piloteront leurs activités. Chapitre 7 L’apprentissage et la formation sont au coeur de la transformation digitale de la société. Parce qu’on apprend autrement, plus intelligemment, mais surtout parce qu’il est indispensable de former les jeunes et les moins jeunes a un monde qui se transforme rapidement. Les disposi- tifs d’apprentissage devront s’adapter & I’échelle et & la vitesse du changement et prendront une place majeure dans nos vies. Chapitre 8 La maniére dont nous «vivons la ville» individuel- lement et collectivement va profondément changer avec I’émergence des «villes intelligentes». Nouveaux services, nouveaux modes de vie et nouveaux rapports entre le citoyen et les services publics seront a l’ordre du jour. Tous digitalisés Chapitre 9 La digitalisation de la société, de nos vies, et I’émer- gence de machines de plus en plus intelligentes qui vont accompagner nos vies posent également des questions plus humanistes. Quid de l’Homme aujourd’hui mais égale- ment quid de nous demain? Le chapitre 9 sera I’ oc de s’interroger sur notre futur, notre legs aux autres et la persistance digitale de la personne aprés sa mort. sion Et puisque tout ce que je vais vous présenter est déja 1a, sous nos yeux, prét 4 se mettre en marche, je termine- rai par une note plus prospective sur ce qui nous attend apres. Car cet aprés arrivera beaucoup plus vite qu’on ne le croit. Nicholas Negroponte! a dit: «L’ informatique n’est plus une affaire d’ordinateurs, c’est la maniére dont on vit ».? Si nous voulons que la révolution digitale soit béné- fique pour tous, il nous appartient de la comprendre pour prendre en main la construction du monde dans lequel nous voulons vivre plutét que la subir. Une derniére chose, «One more thing» comme le disait Steve Job: des millions d’enfants sont nés en 1955 de par le monde. Si le «nétre» était né en Californie, pourquoi pas 4 San Francisco et, disons, un 24 février, 1. Fondateur du MIT Media Lab. 2. «Computing is not about computers anymore. It's about living. » 16 Introduction il aurait justement pu étre... Steve Jobs. Ce qui doit nous faire prendre conscience de deux choses avant d’aller plus loin. Tout d’abord, la transformation digitale n’est pas une affaire d’ge ou de génération. Lorsqu’il revient chez Apple, Steve Jobs n’est plus un jeune startuper mais un quadra mature. Cela ne l’a pas empéché de créer, au-dela des outils, les usages digitaux qui ont transformé nos vies et ouvert la voie 4 nombre de choses dont nous allons parler dans les chapitres qui suivent. C’est en transfor- mant les usages qu’il a ouvert des portes et accéléré le changement. Et c’est 450 ans qu’il I’a fait! Ensuite, la transformation digitale n’est pas l’affaire des «autres », de ceux qui ont le pouvoir ou de ceux qui arrivent et vont transformer le monde. De nombreux jeunes ont vu, comme Steve Jobs, le pouvoir de l’informatique dans les années 1970. Certains ont choisi une autre voie et ont peut-étre totalement raté le train de I’informatique, du web, et sont dans une position de protection aujourd’ hui. D’autres ont pris le train de maniére conventionnelle. Ils ont été des suivistes mais ont contribué a changer le monde. D’ autres enfin, comme lui, ont décidé de le chan- ger. Qui que l’on soit, quel que soit son Age, son métier, son statut social, c’est 4 chacun de décider le réle qu’il veut jouer. Il n’y a pas d’ENA ou de doctorat du digital, pas d’autre barriére 4 l’entrée que |’envie et la passion, pas d’autre risque que celui de ne pas essayer, car ceux qui n’essayeront pas échoueront de toute maniére. 7 1 De la guérison a la prévention: la santé en mode bien-étre De la guérison & la prévention. « Mieux vaut prévenir que gueérir. » L’Homme Digital — qui n’est personne d’autre que vous et moi — fait sien cet adage ancestral car il a enfin les moyens de le mettre en pratique. Aujourd’hui, Google peut déja prédire les risques d’épidémies et de maladies graves en leur localisation. De maniére générale, internet et les réseaux sociaux deviennent des sources de données qui permettent en temps réel de détecter les risques. Quant 4 chacun de nous, la possibilité de comparer nos données de santé a celles de centaines de millions de personnes permet déja de détecter les terrains a risque au niveau indi- viduel. Et la prolifération annoncée des objets connectés, des wearable (objets que l’on porte sur soi, vétements, etc.) ne va faire que multiplier de maniére exponentielle les données captées, traitées et partagées en temps quasi- réel, afin de mieux nous connaitre et nous aider a anticiper ce qui peut porter atteinte a notre santé. s’appuyant sur les requétes des internautes et Prévenir c’est bien, mais prévenir quoi, quand, comment? Depuis notre plus jeune age — et méme avant notre naissance — jusqu’A notre dernier jour, nous sommes exposés 4 une multitude de risques. Devons-nous, pour autant, tous les prévenir? Il n’en est pas question. Si chacun devait prévenir tous les risques nous ne vivrions plus. Ou plutét nous vivrions en faisant tout pour ne pas étre contaminé par la grippe, ne pas se casser une jambe, éviter la crise de foie, c’est-a-dire que nous vivrions d’un 21 Tous digitalisés point de vue biologique mais plus d’un point de vue «humain». Nous perdrions ce que tout étre recherche dans sa vie, ce qui fait son essence: vivre des expériences. Nous ne sommes pas égaux devant la maladie, devant tout ce qui peut affecter notre santé. Certains sont plus fragiles que d'autres. Il y a des personnes qui ne tombent jamais malades et d’autres qui collectionnent les virus. On sait que pour certaines maladies il y a des «terrains » familiaux plus propices que d’autres. Prévenir revient, si l’on veut étre efficace, 4 prendre en compte le risque du plus fragile et 4 en faire une norme pour tous. Si on prescrit & tous des comportements valables pour une personne diabétique, insuffisante rénale, souffrant d’os- téoporose... nous sommes certains de supprimer au maxi- mum le risque, mais cette norme, la grande majorité ne la suivra pas. En effet, elle ne reconnaitra pas son cas particulier dans la prescription générale. Le danger est évident: que la politique de prévention ne porte pa fruits face 4 une population qui a impression qu’on lui interdit tout de maniére générale sans prendre en compte son individualité. ses Le mot prévention prendra un tout autre sens pour Homme Digital. Il ne s’agira plus d’une injonction pour tous mais d’une recommandation pour chacun, une recommandation qui évoluera en fonction des individus, de leur contexte, de leur vie. Une recommandation sur- mesure dans laquelle chacun se reconnaitra. Chacun se verra recommander des comportements préventifs mais 22 De la guérison & la prévention. pas parce que, par exemple, il fait froid, que le virus de la grippe rode ou que manger certains aliments peut provo- quer des allergies. Non, c’est parce que je suis Manuel Diaz, avec mes antécédents, mes particularités, mon «héritage » génétique et ma capacité a résister ou non & telle ou telle chose qu’on me conseillera d’ éviter des acti- vités ou aliments que l’on tolére pour d’autres, et qu’on me laissera faire des choses qu’on déconseille a certains. Mieux se connaitre pour mieux se soigner La santé digitale commence avec un autre adage popu- laire qui, lui, trouve un sens nouveau: «connais-toi toi- méme». La prévention est impossible sans une bonne connaissance de soi. Et nous disposons aujourd’hui des moyens nécessaires 4 cette connaissance de soi, d’un point de vue médical, avec un niveau de précision et de granularité jamais atteint auparavant. Peut-étre avez-vous souri quand les balances connec- tées ont commencé & arriver sur le marché. En effet, quelle est donc la valeur ajoutée d’une balance connectée alors qu’elle ne mesure rien d’autre que ce que mesuraient déja nos antiques pése-personnes non connectés ? Aussi trivial que cela puisse paraitre, en partageant vos données avec votre ordinateur ou votre smartphone, la balance connec- tée vous aide 4 mieux suivre vos tendances dans le temps 23 Tous digitalisés et vous épargne la fastidieuse tenue d’ un carnet personnel qui, nuisant a votre expérience santé, vous incite a étre moins rigoureux sur votre suivi. Dorénavant, les derniers modéles mesurent également votre indice de masse corpo- rel ou votre pouls ; autant de paramétres qui vous aident & mieux visualiser votre évolution, vos progrés. Les béné- fices sont évidents: d’abord «visualiser» le fruit de ses efforts et déterminer ce qui fonctionne, ce qui est le plus impactant, et ainsi anticiper un programme qui aidera les uns 4 mieux perdre du poids, les autres a gagner en endu- rance, et enfin a prévenir un risque cardio-vasculaire. Votre téléphone ou votre montre sont également capables de mesurer votre tension, votre activité physique, les distances parcourues, les efforts effectués. La tech- nologie permettra aussi d’améliorer le quotidien de certaines personnes souffrant d’un handicap spécifique. Par exemple, Novartis et Google travaillent actuellement a une lentille connectée qui permettra aux diabétiques de suivre leur glycémie en temps réel, faisant ainsi de la contraignante prise de sang un souvenir lointain Une source de connaissances démultipliée Jamais il n’aura été possible de réunir autant de données sur vous-méme, de les suivre, voire de les corréler pour comprendre ce qui impacte quoi. Notre santé, notre forme 24 De la guérison 4 la prévention. aun moment donné est le fruit des interactions complexes entre une multitude de variables. Les dispositifs que l’on voit arriver aujourd’hui permettent de déterminer, par rapport 4 un objectif donné, ce qui est le plus impac- tant. Pour une personne donnée, vaut-il mieux pratiquer Ja course, surveiller son alimentation (et quels aliments favoriser ou non)? Il est désormais possible d’ identifier ce qui a un impact réel, fort, immédiat de ce qui n'est que marginal. Et bien sir, cela dépend des personnes. Une maniére simple, en tout cas, de se donner des objectifs et de les suivre car ils seront basés sur ce qui fonctionne vraiment pour soi. Toutefois, cela reste d’une utilité relative si on ne sait pas ce qui risque de nous arriver, si certains indicateurs dérapent, si on persiste dans tel ou tel comportement. Mais, comme nous le savons tous, il n’y a pas de vérité générale, nous sommes tous (presque) uniques. Si les données personnelles sont toutes uniques, il est désor- mais possible de les corréler avec celles des millions de personnes qui utilisent les mémes services. Ainsi, si seulement quelques dizaines ou centaines de personnes dans le monde présentent des profils similaires au votre, il sera possible d’identifier des similitudes, des «schémas» qui permettront de dire que pour 99 % des personnes tels résultats n’indiquent rien de significatif, mais que vous étes parmi les 1 % pour qui, étant donné certains traits qui vous sont propres, il convient de tirer le signal d’alarme. 25 Tous digitalisés C’est exactement le principe mis en ceuvre par le Memorial Sloan-Kettering Cancer Center de New York qui utilise le super-ordinateur Watson d’IBM pour élabo- rer les protocoles de soin des personnes malades du cancer. Chaque cas est unique, chacun réagit différemment aux interactions médicamenteuses et chacun n’est pas prét 2 supporter les effets collatéraux d’un traitement. Aucun médecin ne peut se tenir informé de tous les cas traités par le passé, de toutes les recherches et de toute la littérature sur les interactions médicamenteuses afin de proposer 4 chaque patient le meilleur traitement en fonction de son profil propre. Watson, lui, le peut. I] aide ainsi les médecins a élaborer le meilleur traitement en fonction de la nature du mal, des particularités du patient, de ce que ce dernier est prét a endurer ou non. Entre plusieurs protocoles possibles, le médecin sait ainsi lesquels seront les plus efficaces dans ce cas précis et lesquels seront les plus acceptables par un patient donné. Le patient en retire donc un vrai bénéfice également. Si vous avez la chance d’étre soigné dans un h6pital renommé & Paris ou 4 New York, vous serez pris en charge par une masse critique de talents qui pourront faire en sorte que votre cas trés rare soit convenablement diagnostiqué parce qu’une personne aura été confrontée aun cas similaire ou aura fait part 4 un confrére qu'il I’a été, Mais si vous habitez au fin fond du Montana ou de la Creuse? Eh bien justement, votre médecin, par l’intermé- diaire de Watson, pourra bénéficier de l’intégralité de I’ ex- périence de tous les médecins, de tous les cas de malades du cancer traités dans le pays, voire dans le monde. 26 De la guérison 4 la prévention. Un suivi quotidien De 14 a prendre en compte I’ ADN de chacun pour obtenir encore plus de précision ? Pourquoi pas. Aujourd’hui, tout le monde peut déja, pour quelques centaines de dollars, faire séquencer son ADN. Cette pratique et cette offre ne sont peut-étre pas du gotit de tous mais elles sont bel et bien une réalité offerte chaque jour a un public de plus en plus large. Une startup anglaise, Oxford Nanopore Technologies, a méme développé un séquenceur pas plus grand qu’une clé USB qui cofitera moins de 1 000 euros et n’aura plus besoin de prélévement sanguin. La clé utilise le flux électrique émis par les fragments d’ADN au travers de notre peau. Si cela vous semble lointain, détrompez-vous. IBM a annoncé fin 2014 un investissement dans Pathway Genomics, une startup spécialisée dans les tests géné- tiques et l’analyse des risques liés a la santé. En faisant travailler de concert les solutions de Pathway Genomics et son ordinateur intelligent Watson, Big Blue sera en mesure de fournir 4 tout un chacun un assistant personnel logé dans son téléphone, capable de répondre & des ques- tions telles que: que dois-je manger aujourd’hui? Ai-je fait assez ou trop d’exercice ? Puis-je reprendre un café? La réponse sera fonction de l’ADN, des données mé cales personnelles, des données captées par divers péri- phériques et issues d’une corrélation avec des millions voire, demain, une infinité de dossiers d’ autres personnes. 27 Tous digitalisés Cela vaut aussi pour le milieu du sport professionnel. Dés le début des années 2000, le club de football du Milan AC aadopté un systéme prédictif pour identifier les risques de blessures de ses joueurs en fonction de leur morpholo- gie, de leur style de jeu, des efforts effectués. Cela permet- tait au club d’adapter les entrainements en conséquence, voire de mettre un joueur au repos. L’évolution des tech- nologies permet aujourd’hui d’aller plus loin dans cette direction. Ces derniers mois, c’ est le monde du rugby qui a plongé dans le grand bain de I’analyse prédictive. Capacité a suivre les efforts et les déplacements en temps réel, de croiser le dossier médical du joueur avec de plus en plus de données pour prédire la nature des blessures auxquelles il s’expose et leur probabilité: c’est notamment ce qui a décidé de nombreux clubs comme les Waratahs (Australie) et des fédérations nationales conclure des partenariats avec IBM. Nul doute que demain la méme chose existera pour chacun d’entre nous, dans notre smartphone. Un secteur en révolution Mieux se connaitre, connaitre ses risques, mieux se soigner: le digital va étre une révolution pour le patient mais, plus encore, pour tout le secteur de la santé et ses métiers. Le premier changement est déja visible: la montée en puissance de l'industrie du well being, du bien-étre. 28 De la guérison 4 la prévention. Fort de la connaissance que l’on a de soi-méme et de la capacité & suivre ses progrés en temps réel, chacun pourra s’assigner des objectifs en fonction de ce qu’il recherche soit dans le cadre de la prévention du risque soit, simplement, pour améliorer son expérience de vie. Cette industrie prendra plusieurs formes. Bien sir une forme «humaine», avec des coachs personnels qui aident & adopter les bons comportements pour atteindre les objectifs, mais également une forme digitale. Qu’ ont fait des personnes aux profils similaires au mien pour réussir cet objectif? Qu’est-ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas? En analysant l’impact réel de tel ou tel comportement sur la santé et le bien-étre de centaines de millions d’utilisateurs, des agents intelligents pour- ront, via notre smartphone, notre montre ou n’importe quel objet, nous délivrer les conseils les plus appropriés. Faut-il faire de I’ exercice, quel type d’alimentation privi- légier pour le prochain repas, faut-il se faire vacciner contre telle maladie seront autant de sujets sur lesquels nous pourrons recevoir des recommandations en temps réel — parce que ces agents auront accés a votre agenda et sauront que dans trois mois vous partez en vacances dans un pays subtropical... Et, bien sir, ils vous alerte- ront si jamais ils détectent un risque imminent comme la survenue d’un AVC, d’une infection, etc. Ils pour- ront méme contacter automatiquement les secours sans aucune intervention de votre part. De maniére générale, votre expérience de vie sera optimisée en fonction de vos caractéristiques et attentes propres, avant de vous 29 Tous digitalisés soigner. Résumé en une phrase, la santé a l’ére digitale c’est la rencontre entre la prévention et la préservation des expériences. La fin des erreurs médicales? Le réle du médecin sera considérablement transformé. Son action «en amont» s’allégera_ progressivement pour se consacrer aux opérations lourdes. De la méme maniére, il pourra tirer parti de tout l’outillage digital du patient pour améliorer la qualité de ses diagnostics et de ses informations. Le dramatique accident arrivé 4 Jean- Michel Billaut en 2009 ne se reproduira plus 4 I’heure de la santé digitale. Pilier de l’internet frangais, fondateur de I’ Atelier BNP Paribas et aujourd’hui retraité, Jean-Michel Billaut a fait, en juin 2009, une rupture d’anévrisme dont les consé- quences auraient pu étre limitées s’il avait été opéré dans les deux heures. Malheureusement, ce n’est qu’au bout de sept heures qu’il est enfin arrivé sur une table d’ opération. Malgré le diagnostic opéré sur le champ par son fils, ostéo- pathe, le SAMU ne s’est pas déplacé et I’a fait envoyer dans un hépital ot le diagnostic a malheureusement été confirmé. Jean-Michel Billaut a encore df attendre une heure avant qu’une ambulance I’emméne au bon endroit, endroit ol personne n’était prévenu et prét a le prendre en charge. Que la justice ait reconnu la faute médicale ne 30 De la guérison & la prévention. rendra pas 4 notre retraité sa jambe qu’il a fallu amputer. Une faute médicale lourde de conséquences, on l'image, pour I’intéressé que ce soit en termes d’expérience de vie, en termes financiers, mais aussi en termes de coats pour le systéme de santé qui a da, par la suite, prendre en charge toutes les conséquences de I’ accident: amputation, appa- reillage, soins, etc. Méme si peu d’études sont disponibles, |’ Association d'aide aux victimes d’ accidents estime que 450 000 erreurs médicales causent 30 000 décés en France chaque année, chiffre également cité par l’OMS. Méme si cela ne repré- sente que 1 % des actes, c’est inacceptable en 2015. Notre médecine 1.0 est en bout de course. Un systéme de visioconférence, par Skype par exemple, aurait pu permettre d’affiner le diagnostic dés Je début. Une meilleure collaboration entre les services, aujourd’hui largement réalisable grace au digital, aurait dai éviter que le patient ne soit opéré qu’ aprés sept heures Demain, la montre connectée de Jean-Michel Billaut ou un appareil connecté 4 son téléphone mobile enverra en temps réel les constantes vitales aux services de santé afin qu’ils puissent instantanément procéder au bon diagnos- tic, a distance. Ce méme appareil préviendra d’ailleurs les secours de lui-méme dés le début de la crise et, plus encore, préviendra le patient longtemps a |’avance de Vexistence d’un risque lié a son profil et le conseillera afin qu’il adopte les comportements propices a éviter accident. 31 Tous digitalisés Une qualité de soins meilleure Puisque nous parlons d’appareillage, il y a de fortes chances que dans un avenir proche les prothéses soient fabriquées par des imprimantes 3D d’abord dans les hépi- taux, puis un jour au domicile du patient. Davantage de facilité donc pour usiner des petites pigces au départ, pour adapter une partie de I’ appareil, rapidement et a coat réduit. La encore, il n’est pas question d’un futur idéalisé mais de choses qui se passent déja aujourd’hui. Amputé de l’avant-bras, le frangais Nicolas Huchet s’est lancé en 2013 dans la fabrication de sa propre prothése afin de bénéficier d’avancées auxquelles les appareils proposés par la Sécurité sociale ne lui donnaient pas droit, les modéles les plus évolués n’étant pas remboursés. Utilisant des plans partagés en open source, il est parti d'une main de robot qu’il a adaptée a son besoin et s’est fabriqué une prothése de main, imprimée en 3D, en une nuit. Aujourd’hui, de telles fabrications n’atteignent pas le niveau de prothéses haut de gamme mais ont le mérite de permettre au plus grand nombre d’accéder & mieux que du matériel standard & moindre cofit. En mars 2014, dans un h6pital des Pays-Bas, c’est une prothése du crane qui a été réalisée en 23 heures, en plexiglas, dans des conditions infiniment plus optimales que les pratiques actuelles. La prothése ainsi réalisée s’adaptait parfaitement a la patiente alors que la pratique habituelle qui consiste 4 construire la prothése avec une sorte de ciment, directement en salle 32 De la guérison & la prévention. d’opération, ne permet jamais de recouvrir exactement Vespace a boucher. Et ce n’est pas tout. La Société PrinterInks travaille en ce moment sur la conception et l’impression de tissus humains destinés a l’impression 3D. L’objectif: des organes, oreilles, foies, vaisseaux sanguins «imprimés» & Ja demande 4 partir de cellules souches cultivées et trans- formées en «encre biologique ». La encore, cette solution n’a rien de futuriste: en 2013 une université chinoise a réussi 4 un rein. Si la chirurgie lourde est transformée, ’hépital lui- méme verra sa fonction évoluer. Il ne sera plus qu’un lieu d’intervention, le suivi et les soins postopératoires pouvant aisément étre réalisés 4 domicile grace aux inno- vations que nous avons déja mentionnées. Reste simple- ment 2 solutionner l’indispensable présence auprés du patient. Et pourquoi pas des robots infirmiers ? Au Japon ils ont déja commencé a prendre place dans les hépitaux pour pallier le manque de personnel. De 1a a les imagi- ner chez nous, dans notre chambre, il n’y a qu’un pas... Capables de manipuler les patients, de procéder aux soins les plus fréquents voire de prendre soin du patient et de son hygiéne, en lui lavant les cheveux par exemple, ils sont la fois une réponse au désir de vivre sa convales- cence dans un lieu familier, 4 la nécessaire réduction des cotits du systéme de santé et au manque de personnel. De plus, un robot ne dort pas, sa vigilance ne diminue jamais et il est capable de partager avec les « agents intelligents », 33 Tous digitalisés médecins et autres robots pour identifier des signaux faibles et prévenir les incidents. N’allons pas non plus nous imaginer une médecine déshumanisée. Ce serait aller exactement a l’opposé de ce que nous recherchons. Cette médecine digitale est, au contraire, le meilleur moyen de faire en sorte que les meédecins et les infirmiers puissent donner davantage de temps aux patients en déléguant les taches laborieuses et automatisables 4 des machines. C'est pour cela que les équipes médicales seront capables de donner plus de temps et d’attention a leurs patients et pourront se consacrer aux cas critiques sans que cela ne soit au détriment des autres. De méme, la technologie peut aider 4 humaniser la vie du patient. Méme si aux Etats-Unis la participation & des groupes de parole dans lesquels les malades parlent et partagent leur expérience avec d'autres malades fait souvent partie intégrante d’un traitement, ailleurs — et notamment en France — on a souvent l’impression de souffrir d’une maladie honteuse dont on n’ose pas parler. Si les médecins gagnent a partager leurs pratiques et leurs protocoles, les patients gagnent a partager leur expé- rience. Pour se sentir moins seuls, face 4 la maladie, pour se soutenir, pour comprendre. D’ailleurs les communau- tés de patients sont déja une réalité et un phénoméne de masse dans certains pays. Unami proche me racontait l’expérience de deux de ses propres amis, atteints de graves cancers. L’un s’est servi 34 De la guérison 4 la prévention. de sa page Facebook pour recréer une dynamique autour de son expérience, partager avec ses amis ce qu’il vivait, ce qu’il apprenait. Expatrié a I’ étranger il faisait face seul 4 sa maladie et les centaines de commentaires d’encoura- gement, de likes regus 4 chacun de ses messages, prove- nant de ses amis de par le monde, lui ont permis de trouver I’énergie et la volonté d’avancer sans se résigner. L’autre a ouvert un blog pour parler de sa maladie. Au départ pour «mettre son énergie quelque part». Puis au fur et & mesure qu’il apprenait sur son mal, le partageait — il souf- frait d'une forme trés rare de cancer -, il a rencontré de plus en plus de personnes qui vivaient la méme chose que lui. Ils n’étaient plus seuls, ne ressentaient plus la néces- sité de se cacher et au contraire, ont fait front ensemble. Le digital n’est pas un médicament mais il est capable de remettre de I"humain au coeur de moments difficiles, de se repositionner au centre d’une communauté quand les communautés traditionnelles commencent 4 vous exclure. Le cas de l’assurance-maladie Dernier pan du secteur de la santé qui sera profondément chamboulé, l’assurance. Toutes les pratiques et techno- logies que nous avons évoquées signifient une chose: Vindividualisation poussée des systémes de couverture santé et de primes en fonction du risque réel auquel est exposé un individu. II ne sera plus question de déterminer 35 Tous digitalisés une prime en fonction de l’ge, du sexe, de la profession, mais selon que I’on est Manuel Diaz ou Jean Dupont. Ainsi, c’est tout le principe de la mutualisation qui a prévalu dans notre systéme depuis des années qui se retrouve battu en bréche. Pour le meilleur, certainement, car en nous connais- sant mieux, nos assureurs vont pouvoir nous délivrer du conseil, du service préventif individualisé car, peu importe leur motivation, ils tiennent au moins autant que nous a ce que l’on reste en bonne santé. Pour le pire peut-étre, car on imagine facilement les dérives d’un systéme ot chacun paie en fonction de son risque propre. Mais je reviendrai sur ce point plus loin. Auparavant, je tiens a insister sur un point: rien de ce qui précéde n’est issu d’une vision futuriste qu'un guru illuminé aurait d’un monde soi-disant meilleur. Tout est déja notre présent, c’est déja une réalité. Et a la vitesse a laquelle se diffusent les technologies aujourd’hui, la vitesse & laquelle leur prix baisse, ce sera notre quotidien demain. Quid du futur? Ce sont les wearable, ces vétements, montres, chaussures connectés qui participent a la trans- formation que nous venons d’esquisser. Bien sir, c’est déja «un peu» notre présent, notamment pour ce qui est des montres et autres bracelets ou chaussures de running. Mais ce n’est que le début, nous n’avons encore rien vu! Si, par exemple, la lunette connectée existe déja - les 36 De la guérison 4 la prévention. Google Glass —, nous ne sommes qu’aux prémisses de la découverte de ses usages. Connectée a un ordinateur, elle pourrait traiter en temps réel les images pour des personnes mal voyantes ou souffrant d’une maladie de l’ceil, en transformant reliefs et couleurs pour restituer une vision claire de l’environnement en fonction de leur maladie et de leurs besoins propres. Une avancée majeure pour les personnes agées mais également pour les plus jeunes aujourd’hui condamnés a une perte quasi-totale d’autonomie pour l’essentiel de leur vie. Demain, les wearable vont non seulement capter et analyser nos signaux vitaux mais également se confor- mer A notre contexte. Des fibres intelligentes s’ adapteront pour rendre un vétement plus ou moins chaud en fonction de la température externe. Si les premiers textiles intel- ligents datent des années 2000, nous n’en sommes qu’a l'aube de leur popularisation; ce n’est qu’un pas vers la prochaine grande disruption. Ces textiles se caractérisent par leur capacité 4 réagir a un signal, ce qui ouvre un champ des possibles qui n’a de limites que notre imagina- tion. En fonction de l’environnement, de la température, ils peuvent ainsi s’adapter et changer de couleur, laisser plus ou moins respirer la peau voire émettre de la chaleur. Dans un avenir proche, les wearable ne seront plus des objets que l’on porte mais des composants biologiques que l’on nous implantera peut-étre dés la naissance. Remplissant les fonctions des capteurs déja évoqués, ils seront également capables de modifier le comportement 37 Tous digitalisés de l’organisme, de maniére préventive ou dans le cadre d’un traitement. Google travaille déja sur un projet de nanoparticules 4 injecter dans le sang qui enverraient toutes sortes d’informations sur notre organisme a une montre connectée. Selon les spécialistes, cela peut deve- nir une réalité pour le grand public a un horizon de 10 ans. Un premier pas vers ce que certains nomment I’« homme augmenté » et d'autres le «transhumanisme »'. La révolution de la santé digitale est done en marche. On le voit bien, les possibilités sont immenses. Et encore, il y a des technologies et, surtout, des cas d’usages que nous ne sommes pas encore en mesure d’imaginer. Pour autant les risques ne sont pas a négliger. Risques pour les entreprises, pour les pouvoirs publics et les profes- sionnels qui vont devoir rapidement faire évoluer leurs modeéles, leurs services. Mais ce n’est pas le plus impor- tant. Risques, bien sir, au niveau de la confidentialité des données, de la pérennité d’une certaine vision de la protec- tion sociale, risque que le prix 4 payer pour une meilleure santé et une meilleure expérience de vie soit la négation de ce que nous entendons par vivre, en tant qu’individus dotés d’un libre arbitre dans des pays ow la liberté, sous toutes ses formes, est une valeur fondamentale. 1. Le transhumanisme est un mouvement culture! et intellectuel international pronant 'usage des sciences et des techniques, ainsi que les croyances spirituelles afin d’améliorer les caractéristiques physiques et mentales des étres humains. (Wikipedia) 38 z De la guérison & la prévention. L’expérience de la santé digitale ne doit pas se faire au détriment de notre expérience globale en tant qu’étres humains soucieux de notre expérience de vie, laquelle nécessite I’exercice d’une certaine liberté de choix. Comment trouver le bon équilibre ? Certainement pas en fermant les yeux et en refusant de se frotter 4 ce qui est de toute maniére inéluctable. On ne mettra les bons garde- fous qu’en expérimentant, en comprenant et en domptant Ja vague digitale. Nier son existence ou croire qu’il est possible de construire des abris anti-digital est comme croire que le nuage de Tchernobyl pouvait s’arréter & nos frontiéres: un veeu pieux qui a impliqué, en plus, un risque sanitaire non prévenu puisque, évidemment, il ne s’était rien passé... Cette vague est 1a et elle ne va que s’accélérer. Pour la dompter, nous devons I’embrasser mais le temps presse. Dans cing ans il sera trop tard pour faire machine arriére. 39 2 Les voyages et déplacements Les voyages et déplacements e déplacer est tour a tour une nécessité (pour aller travailler, faire ses courses) ou un plaisir (lorsqu’on voyage) et le digital va assurément améliorer notre expérience de déplacement dans les années 4 venir. Envie ou contrainte, le transport sera simplifié, fluidifié, plus agréable. La dématérialisation et la simplification du trajet Nous avons la mémoire courte et avons déja oublié tout ce qui a changé en l’espace d’une dizaine d’années seulement. Aujourd’hui, les smartphones sont capables d’indiquer le meilleur chemin d’un point & un autre, via des systémes de cartographie comme Google Maps, en prenant en compte I’état du trafic en temps réel. Il en est de méme pour les transports en commun avec, par exemple, Citymapper a Paris. Les tickets de métro se sont transformés en pass magnétiques et commencent désor- mais a rejoindre les téléphones. La semaine derniére, j'ai acheté un billet d’avion et réservé ma chambre d’hétel depuis mon iPhone. La veille du départ je me suis enregistré, toujours grace a I’ applica- tion Air France et j’ai regu ma carte d’embarquement qui s'est enregistrée dans mon Passbook. Je n’avais plus 4 me préoccuper des documents, car c’est mon téléphone que j'ai présenté aux différents contréles et a |’embarquement. 43 Tous digitalisés Dans certains terminaux, d’ailleurs, les portes commencent étre automatisées: la présentation du téléphone ouvre une barriére qui donne accés a l’avion. Ma réservation d’hétel était elle aussi dans le Passbook avec toutes les informa- tions, plans et liens nécessaires pour m’y rendre: plus besoin, avant de partir, d’imprimer plans et adresses. A mon arrivée, la géolocalisation a joué son rdle: mon télé- phone me signale automatiquement que mon hétel est & proximité et affiche ma réservation sur mon écran sans que j aie a la rechercher. Je l’'ai présentée au comptoir d’ accueil une pratique qui va bientét étre révolue: de plus en plus d’hétels expérimentent la clé digitale, contenue dans votre téléphone; de 1a 4 ce qu’elle vous soit automatiquement envoyée lorsque votre entrée dans I’hétel sera détectée, sans avoir a passer par la case réception, ce n’est qu’une question de mois. En attendant ce jour béni, je me suis donc rendu au comptoir. Tous les formulaires étaient affichés s un écran digital intégré dans le meuble, |’h6tesse d’ accueil y aeffectué quelques modifications avec un stylet en fonc- tion de demandes nouvelles de ma part, puis j’ai signé. ur Que de progrés depuis 15 ans — je vous rappelle qu’en 2001, acheter un billet d’avion sur le site d’une compa- gnie relevait du fantasme et celui qui aurait prédit la dématérialisation totale du parcours client, billet et carte d’embarquement compris, serait passé pour un fou. Et ce n’est que le début! Le digital va done radicalement transformer notre expérience de déplacement et voici comment. 44 Les voyages et déplacements La révolution du quotidien Combien de temps perdons-nous dans les trajets les plus simples? dans nos déplacements professionnels? Surtout dans de grandes métropoles owt la circulation est soumise & de nombreux aléas et lorsque nos agendas professionnels débordent de contraintes... Dans ces villes, partir plus tot est synonyme d’étre 4 ’heure mais également de devoir abréger une tache avant de partir, puis finalement de peut- étre attendre, en avance parce que le trafic était normal. A Vinverse, étre en retard signifie souvent abréger le rendez- vous oit I’on se rend et laisser une impression mitigée a ses hétes. Et il faut, en plus, avoir le temps d’y penser: penser a son prochain déplacement lors de la réunion qui précéde oi lorsqu’on est pris par une tache, ce qui entraine souvent un déficit d’ attention, voire des erreurs. Aujourd’ hui, parce qu’il connait votre agenda, I’état de la circulation et le plan de la ville, Google peut vous alerter au bon moment. Sur votre ordinateur, votre téléphone, demain sur votre montre ou vos lunettes connectées, il vous indique: « Pour étre 4 l'heure au prochain rendez-vous, il faut partir dans 20 minutes en voiture, dans 34 minutes en métro...». II vous donne les lignes de bus ou de métro, les rues 8 emprun- ter pour se rendre a la station la plus proche, puis au lieu du rendez-vous. On se concentre alors sur son travail et il n’y a plus de perte de temps pour aller voir un client, prendre son train ou son avion. Bien stir Google prend en compte l'état du trafic, les travaux, les pannes et les gréves... 45 Tous digitalisés De maniére générale, I’ équation du déplacement quoti- dien se présente ainsi: Un temps disponible limité Trop ou pas assez de moyens de déplacement dispo- nibles (selon que l’on habite dans une grande ville ou une ville moyenne) Un environnement complexe (en raison de la complexité des choix dans certaines villes et de leur rareté dans d’ autres) L’impact des phénoménes extérieurs (autres person- nes se déplacant & la méme heure, climat, panes, gréves) Une diversité d’expérience (entre la marche, le vélo, le métro, le taxi, les chauffeurs privés) Pour autant, i] existe 4 un moment donné une offre, une demande et tout l’enjeu est de réussir la mise en adéqua- tion de l’offre et de la demande en fonction de l’expé- rience désirée et des contraintes de chacun. C'est ce que tente de faire Citymapper 4 Paris en vous aidant a déterminer le meilleur trajet en fonction du temps disponible, du mode de transport souhaité, du nombre de correspondances, de la distance a parcourir a pieds, etc., au moment précis ot! vous en avez besoin. Méme phénoméne du cété des taxis. Avant, deux mondes coexistaient : les taxis pour le plus grand nombre 46 Les voyages et déplacements et les chauffeurs privés pour ceux qui pouvaient payer davantage et — ce genre de service. Puis sont arrivés Uber et d’autres entreprises qui ont suivi son exemple. Sachant qu'il y avait souvent pénurie de taxis certaines heures, que certains chauffeurs privés étaient sous-utilisés sur leur marché traditionnel et qu’une partie significative de la population était préte 4 payer un peu plus cher pour un service de meilleure qualité, Uber s’est positionné sur le marché du transport «haut de gamme >» en voiture avec chauffeur. Uber ne fait rien de plus que mettre en relation une offre et une demande qui n’avaient pas les moyens de se croiser avant. Aujourd’ hui, I’utilisa- teur Uber sait combien de voitures sont disponibles, & quelle distance elles sont, combien de temps il faudra pour qu’on vienne le chercher et combien il paiera sa surtout — savaient comment accéder a course. Un service déja proposé par les compagnies de taxis & une certaine clientéle me direz-vous. Soit. Mais 4 une partie seulement, titulaire d’un abonnement payant. Uber met ce service la portée de tous depuis un simple télé- phone et y a ajouté la géolocalisation, élément véritable- ment différenciant du dispositif. De maniére intéressante, Uber poursuit aujourd’hui dans son modéle de recherche d’adéquation de I’ offre et de la demande. Un nouveau service permet de partager le cofit d'une course avec des inconnus partant du méme quartier et allant dans la méme direction. C’est la plate- 47 Tous digitalisés forme qui prend en compte les demandes et «distribue » les passagers entre les véhicules. Le digital, ici, n’a pas réinventé le métier du trans- port mais a fait ce qu’il sait le mieux faire: ouvrir des marchés en permettant une plus grande transparence entre offre et demande, donnant plus de choix au passager et permettant, in fine, d’inventer de nouveaux types de services. Uber n’est pas une société de transport mais une plateforme qui supporte des expériences et des business models nouveaux. Ce ne sont, 4 mon avis, que les premiers pas vers des systémes plus globalisés qui prennent en compte a la fois transports en commun, taxis, chauffeurs privés et autres Velibs et Autolibs. Ils proposeront 4 chaque personne une liste de choix en fonction de ses besoins 4 un moment donné, éventuellement priorisés selon qu’il s’agisse d’une réunion urgente ou d’un déplacement d’agrément. Et ce, de maniére proactive: n’oubliez pas que la plateforme connaitra votre agenda et vos gofits. Aux acteurs que je viens de citer, il convient d’en ajouter un nouveau qui va révolutionner le transport d’ici moins de 10 ans: la voiture intelligente, sans chauffeur. Si la « Google Car» roule déja et est certainement celle qui a fait le plus parler d’elle, nombre de constructeurs automo- biles sont également a I’affat. En Californie, en plus du géant de l’internet, ce ne sont ni plus ni moins que Tesla, Mercedes, Audi et Delphi qui ont obtenu des licences des 48 Les voyages et déplacements autorités pour faire circuler de tels véhicules. Le dévelop- pement massif de services les utilisant n’est plus qu’une question de temps. Demain, les querelles auxquelles nous assistons aujourd’hui entre chauffeurs privés et taxis nous semble- ront bien futiles: la plupart auront été remplacés par les véhicules intelligents, avec la possibilité d’optimiser le trafic et ’expérience passager comme jamais auparavant. Le transport sur-mesure Imaginez une seconde que des flottes de véhicules intel- ligents se positionnent en permanence 1a oi on va avoir besoin d’eux, en fonction de ce qu’ils savent des besoins et gotits des usagers. Luxe pour certains, petit véhicule urbain pour d’autres, ils prendront en compte les habi- tudes des grandes masses d’usagers: en fonction de la météo, des événements, des sites touristiques. Ils analy- seront sans interruption les historiques de données et ils seront capables d’étre au plus prés de chacun avant méme la commande, afin de réduire le temps d’attente. Si le service sait que je suis plutét métro pour mes rendez- vous et Uber pour mes diners, je recevrai pendant la jour- née des alertes me disant: «Manuel, tu dois partir dans 10 minutes pour ton prochain rendez-vous. La ligne 1 est en panne et tu devras faire un détour». Puis, plus tard: «Tuas un diner avec Julien ce soir, veux-tu qu'une berline 49 Tous digitalisés passe te chercher 4 19 h 45? Vu la météo et les estima- tions de trafic ce sera parfait pour une arrivée & 20h 15». Puis, encore plus tard: «Manuel, il y a eu un accident sur les boulevards qui complique beaucoup la circula- tion... Je te conseille d’avancer ta berline 4 19 h 20. Es-tu d’accord ? » Bien sir un seul compte sera nécessaire pour accéder a l’ensemble des services. Quel progrés, non? Certainement, mais le meilleur commencera une fois assis dans le véhicule. Google, Amazon, Apple et d’autres connaissent mes goiits, alors pourquoi pas ce «Service Digital de Transport Unifié » ? Une fois dans le véhicule, mon journal préféré s’affichera sur un écran tactile. La presse économique le matin, le résumé du dernier match du CSP Limoges en basket — vidéo incluse — le soir, quand je rentre d’un diner et que je n’ai pas pu suivre la rencontre de mon équipe favorite a la télévision. Ou alors simplement un air apaisant de mon compositeur favori. L’offre de presse digitale dans les transports existe, la géolocalisation fonctionne, de méme pour les voitures sans chauffeur. On est capable de croiser, analyser et prendre des décisions fondées sur des millions de données en temps réel, c’est-d-dire que I’on sait construire le cerveau, le centre névralgique d’un tel dispositif. Il ne reste plus qu’a assembler les morceaux — aujourd’ hui disparates — du puzzle et a l’industrialiser 4 grande 50 Les voyages et déplacements échelle. Le futur n’est pas devant nous, il toque 4 notre porte. Ce sera une avancée majeure pour soi et pour la collec- tivité. Pour soi d’abord, au travers d’une expérience plus fluide, de meilleure qualité et, surtout, adaptée a ses propres attentes. Les spécialistes du marketing parlent de «markets of one» pour désigner le futur de leur profes- sion: fini les segments, chaque client est un marché spécifique & lui seul et il faut le traiter en fonction de ses caractéristiques propres. Ce sera également un grand bénéfice pour la collec- tivité. Comprendre dans quelle mesure des logiques a priori individuelles s’inscrivent dans un schéma collec- tif, suivre et comprendre le fonctionnement d’écosys- témes humains larges aiderait les pouvoirs publics A anticiper et faciliter le quotidien. A New York, par exemple, des chercheurs ont commencé 4 collecter les données des GPS des fameux « Yellow Cabs », les taxis locaux, pour optimiser la gestion du trafic et comprendre les habitudes de déplacement. Ce systéme donne de meilleurs résultats que les multiples capteurs installés ¢a et 1a dans la ville, car ces derniers ne rendaient pas compte, par exemple, de la vitesse ou de la densité du trafic. Et les GPS offrent un autre avantage: toutes les voitures en sont équipées donc il n’y a aucun besoin d’investir dans le déploiement d’une infrastructure dédiée. Avec la généralisation de tels dispositifs c’est a une tout autre échelle qu’il sera possible d’ optimiser 51 Tous digitalisés la circulation, la ville, l’impact sur l'environnement. Et d’ailleurs, pourquoi posséder une voiture alors qu’on peut tout faire avec des services partagés ? Nous tenons 1a un triple bénéfice pour les hommes, la société et I’économie. Toutefois, les transports intelligents ne vont pas révolutionner que le transport de personnes en ville, ils vont radicalement bouleverser la maniére dont on déplace personnes ou marchandises d’un point A a un point B. Le camion intelligent existe et il est signé Mercedes. II devrait arriver sur nos routes en 2025. Si la machine ne peut encore tout faire — en tout cas pour Vinstant —, le chauffeur pourra se reposer et travailler sur son ordinateur pendant l’essentiel du trajet; un peu comme dans les avions ot les pilotes ne sont plus en charge que des phases critiques du vol. Optimisation du trafic, de la logistique et de la sécurité: 1a encore, une révolution. La sécurité des personnes La sécurité, parlons-en. En matiére de transport c’est un sujet critique. Comme pour ce qui est de la santé tout sera affaire de compromis. Les risques ne sont pas les mémes pour une flotte de véhicules roulant 4 30 km/h en moyenne et tous connectés les uns aux autres que sur les autoroutes od les vitesses sont plus importantes et la 52 Les voyages et déplacements mixité entre véhicules automatiques et 4 pilotage humain plus forte. Sans parler des départementales ou des phases critiques (entrée en entrep6t, manceuvres)... C’est pour cela que si la Google Car est sans chauffeur, le camion Mercedes et les avions gardent quelqu’un a bord, mais quelqu’un dont le réle évolue. Le véhicule sans chauffeur n’a pas besoin d’étre parfait. Il doit simplement étre moins imparfait que le seul dispositif de conduite dont nous disposons aujourd’hui: nous-mémes. Le véhicule sans chauffeur ne dort pas, ne s’assoupit pas, n’envoie pas de textos en conduisant (quoique lui en serait totalement capable), ne surestime pas son temps de réaction, ne se laisse pas distraire par une minijupe 4 un feu rouge. Il n'est pas difficile de penser, dés lors, qu’il sera largement plus stir que son prédécesseur humain. Parlons maintenant des «grands» déplacements, des voyages. A la différence du trajet quotidien, tout commence ici a la phase de choix, de conception du voyage. Aller au travail ou rejoindre son conjoint en ville ne demande pas de gros efforts en amont, c’est l’exécution qui prime. II en est tout autrement du voyage personnel ou du long déplacement professionnel. Une mauvaise organisation en amont conduit souvent 4 une expérience décevante voire a de vrais ennuis sur place. Dommage, lorsqu’il s’agit de vos (rares) vacances pour lesquelles vous avez si durement économisé. 53 Tous digitalisés Des vacances 100 % personnalisées Comment organisons-nous nos vacances aujourd’ hui? Commengons par le choix du lieu. Encore faut-il avoir une idée... Facile lorsqu’on a décidé de visiter la Thailande, plus compliqué lorsqu’on cherche «un endroit ou le climat est propice en juin et ot l’on peut allier culturel et balnéaire sur une période de deux semaines». Aujourd’hui, nous sommes limités dans nos choix par ce que nous connaissons. Je connais les caractéristiques de la Thailande donc c’est un choix spontané. Mais combien de pays me sont inconnus qui m’offriraient la méme chose ? Et pourquoi pas en mieux et pour moins cher? Bref. Je choisis ma destination. Vientalors le programme. Qu’est-ce qu’il y aa voir, quels choix opérer car je ne peux pas tout faire, combien de temps rester dans chaque ville? Quel hétel réserver sachant que peu m’importe le confort lorsque je vais visiter un temple au milieu d’une zone peu urbanisée, alors que je suis beaucoup plus regardant lorsque je suis dans une capitale ou que je vais terminer mes vacances au bord d’une superbe plage? C'est ensuite le choix des vols. Quelle compagnie prendre? Combien y a-t-il de correspondances ? Quel est le confort dans la cabine (parce que la classe économique d'une compagnie donnée peut étre en général meilleure que celle d’une autre mais pas sur les avions affectés & une destination précise)? Faut-il ensuite des excursions ? Quid des déplacements? Vous l’avez compris, (bien) 54 Les voyages et déplacements organiser ses vacances est un travail de longue haleine si on désire en retirer exactement l’expérience attendue. Demain, des systémes fonctionnant comme Watson (celui-la méme qui aide 4 soigner les malades du cancer) amélioreront considérablement I’expérience de voyage. Au lieu — forts de nos travaux préparatoires — de nous précipiter sur le premier moteur de recherche venu et de chercher des billets, des nuits d’hétel, vérifier la cohé- rence du tout et espérer avoir fait le bon programme, nous demanderons 4 un moteur de recherche spécialisé, en langage «naturel », quelque chose comme «un endroit oii le climat est propice en hiver et ott I’on peut allier culturel et balnéaire du 1* au 15 décembre». La machine proposera un itinéraire sur-mesure en fonction de cette demande, en prenant tout en compte: de la voiture qui nous améne 4 I’aéroport, aux excursions, en incluant les quelques restaurants a réservation obligatoire. Puis nous pourrons préciser notre demande: «pas trop de temples, je préfére la nature» ; «on évite les hétels bruyants » (a, elle comprendra que les «resorts» familiaux n’ont pas notre préférence). «Tu sais que je fais 1 m 90...» entrai- nera peut-étre le choix d’une autre compagnie aérienne dont l’espace entre les siéges est plus important. Et ainsi de suite... Le digital nous fait entrer dans l’ére du marketing de Vintention. Au lieu de capter I’attention du consommateur avec des publicités soi-disant ciblées, ce nouveau marke- ting comprendra son besoin spécifique, son intention 55 Tous digitalisés dans sa globalité et répondra non pas avec des produits mais avec une solution, globale, personnalisée, prenant en compte chaque micro-aspect de la demande. Ainsi, alors que je m’attendais a aller en Thailande, j'irai peut-étre au Sri Lanka parce que cela correspond mieux 4 mon intention. Comment ce miracle est-il possible? Par la capacité qu’a la machine 4 prendre en compte tous les paramétres, A avoir recours aux millions d’ avis de clients postés sur le net, aux bulletins météo, etc. Cette expérience « amont » optimisée pour moi ne pourra se traduire que par une expérience «aval» hors du commun, car tout aura été pensé pour moi, en tenant compte de toute information disponible. Et ce, sans avoir 4 multiplier les sites inter- net, appli mobiles, librairies ou autres agences de voyage ! Ce ne sera plus qu’un «one stop shopping» ov je pour- rai acheter |’intégralité des composantes de mon voyage auprés d’un seul prestataire. Muni de mon billet (électro- nique bien stir) stocké sur mon smartphone je n’aurai plus qu’a attendre qu’on m’emméne & I’agroport et vivre un parcours fluide et personnalisé. Je le reconnais, Ia je suis déja loin dans la prospec- tive. A moins que... Connaissez-vous Wayblazer? Cette startup fondée par des « vieux de la vieille» de I’indus- trie du voyage propose justement de mettre un systéme, relativement similaire, 4 disposition des professionnels du tourisme pour les aider 4 mieux satisfaire leurs propres 56 Les voyages et déplacements clients. La promesse? Des interactions en langage natu- rel, un plus haut niveau de conseil, une meilleure expé- rience, un choix facilité qui conduit — naturellement — a un meilleur taux de transformation. Ce service est sorti & Tautomne 2014, nul doute que d’ici trois ans, on ne sera pas loin du scénario que je viens de vous raconter. Au-dela de l’expérience client, c’est tout un secteur d’ activité qui va donc devoir se transformer. Ses différents acteurs vont devoir apprendre a partager leurs données et a mieux les exploiter. La valeur d’un acteur ne viendra, en effet, que de son inclusion dans un écosystéme et sa capacité & contribuer & un parcours client global. Quelle sera la valeur d’une agence de voyage lorsque les sites de vente en ligne utiliseront Wayblazer? Elle existera toujours certes — ne serait-ce que parce que Wayblazer pourra étre utilisé par leurs agents -, mais un reposition- nement sera inéluctable, vers le haut de gamme, la haute couture. Pour le reste, les systémes intelligents connec- teront les acteurs, mutualiseront les retours d’expérience et seront en mesure d’apporter non pas des listes des choix mais de vraies réponses, des solutions précises aux demandes des clients. Heureusement il reste le guide, cet incontournable acteur des séjours culturels. En étes-vous si sir? En fonc- tion de l’endroit ot vous vous trouvez, de ce que vous regardez, pourquoi les Google Glass ne vous donneraient- elles pas le commentaire approprié? Dans votre langue et avec le niveau de détail qui correspond a vos attentes ? 57 Tous digitalisés Humain ou papier le guide lui aussi sera impacté par les nouvelles expériences du tourisme digital. Imaginez alors V’alliance des meilleurs guides, avec les lunettes connec- tées et un assistant personnel intelligent comme Siri d’ Apple: que demander de plus? Quant aux publicités qui envahissent bizarrement les pages web lorsque je suis dans la période oi je prépare mes vacances, je peux vous promettre qu’elles ne me manqueront pas quand elles auront disparu du fait de leur manque de pertinence face 4 des dispositifs nouveaux. Et a vous non plus je pense. 58 3 Une consommation sur-mesure et responsable pour le client digital Une consommation sur-mesure et responsable. vec les déplacements et le voyage, nous avons touché du doigt un sujet essentiel: celui de la consommation. Je sais qu’en ces temps de crise et de recherche de nouvelles valeurs, le verbe est a la limite du tabou mais il ne faut pas se voiler la face. Pour satisfaire nos besoins, nous devons consommer. Pour consommer, nous devons exercer une activité. Pour exercer une activité, nous avons besoin que d'autres consomment. C'est au: simple que cela. Cependant, le digital s’inscrit bel et bien dans un mouvement de renouveau de la consommation, en nous amenant 4 consommer autre chose, autrement. Il nous permettra a la fois d’accroitre notre expérience, de géné- rer de la croissance et de minimiser I’impact de notre consommation sur la société et l'environnement. Rentabiliser ses objets Combien d’ objets avez-vous acheté trés cher pour finale- ment ne l’utiliser que rarement? De la perceuse au camés- cope il serait long d’en dresser l’inventaire... Méme la voiture est concernée. D’ailleurs dans le nouvel écosys- téme de déplacement intelligent que j’ai décrit dans le chapitre précédent, vous semble-t-il utile de posséder un véhicule? Moi non. 61 Tous digitalisés Qu’est-ce qui nous empéche d’optimiser l'utilisation de ces objets? Je veux dire par 1a faire en sorte qu’ils soient davantage utilisés tout en ne payant que le juste prix? La réponse est simple: utiliser le digital pour que mon voisin sache que j’ai une perceuse qui traine au fond dun placard, bien que je n’ai pas accroché de tableau depuis cing ans, et que je pourrais donc tres bien lui préter ou la lui louer. Comme on I’a vu avec Uber, la force du digital est de permettre la rencontre de l’offre et de la demande a grande échelle et, ce faisant, de faire émerger de nouveaux circuits économiques. On a toujours prété ou loué des choses. On a toujours essayé de trouver quelqu’un qui pourrait nous dépan- ner de quelque chose pour quelques heures ou quelques jours. Cela n’a rien de nouveau. Ce qui est nouveau est I’échelle 4 laquelle on peut désormais le faire, et la maniére dont cette masse critique d’acteurs nouveaux — vous et moi — transforme l’économie. Cette possibi- lité nouvelle, conjointement avec un contexte écono- mique difficile, a fait naitre de nouveaux comportements de consommation, telle la «consommation collabora- tive». Aujourd’hui, des services mettent en relation des personnes propriétaires d’un bien qu’elles n’utilisent pas avec des personnes ayant un usage occasionnel de ce bien qui ne justifie pas de I’acheter. De la perceuse (Zilok) 4 l'appartement (Airbnb), rien n’est exclu. Le digital est en train de tuer la propriété pour nous faire entrer dans une économie de l’usage. 62 Une consommation sur-mesure et responsable. La fin de la propriété L’Homme Digital a parfaitement compris que posséder est un luxe souvent inutile. Cela correspond bien, d’ail- leurs, 4 sa nouvelle vision de la valeur des choses: il ne juge plus par rapport a la valeur intrins¢que d’un bien ou d’un service mais par rapport 4 l’usage et a l’expérience qu'il en retire. Pourquoi posséder une voiture lorsqu’on peut en Jouer une quand le besoin s’en fait sentir? Et louer le bon modéle en fonction du besoin: un jour citadine, un jour berline, un jour transports en commun... La puissance du digital mise au service des particuliers leur ouvre des possibilités nouvelles autrefois réservées aux seules entreprises. En effet, les entreprises ont depuis des années opéré leur basculement dans des logiques d’ usage et de service. Tel constructeur de chariots élévateurs ne vend plus des chariots mais un service de manutention. Tel constructeur de machines-outils ne vend plus de machines mais une capacité de production. Ainsi, Michelin ne vend pas de pneus aux compagnies aériennes mais un certain nombre d’atterrissages et décollages. Quant aux constructeurs automobiles, ils vendent une chaine de services autour de la mobilité dont la voiture n’est plus qu’un maillon. Tous valorisent l’usage et la valeur qu’ils en retirent, charge au fournisseur de mettre en place la logique qui l’accompagne — services inclus — pour que la promesse 63 Tous digitalisés soit tenue. Ce qui compte n’est pas la possession de la machine mais le volume effectivement produit. Les particuliers sont eux aussi entrés dans ce monde, notamment dans le mode de consommation des télé- phones mobiles. Car aujourd’hui, finalement, nous n‘achetons plus un téléphone mobile mais une offre de services dans laquelle le téléphone est un accessoire, interchangeable et qui, bien souvent, est méme offert. Les opérateurs téléphoniques savent bien od se trouvent Ja valeur et l’expérience client: dans les services. Le téléphone n’est plus rien sans les services et les appli- cations qui vont avec. Certains magasins offrent méme de louer l’appareil plutét que de l’acheter. Le secteur de l'automobile a d’ailleurs précédé le téléphone sur ce domaine : la location avec option d’achat est une pratique courante. En effet, pourquoi acheter une voiture dont la valeur décroit avec le temps alors qu’on peut la louer et la changer pour une somme modique tous les trois ans ? En attendant, I’entretien et ’assurance sont méme inclus dans le prix. Cette logique du service, le digital la porte & un autre niveau. On parle maintenant d’ économie du partage ou de consommation collaborative et, 14 encore, cela se passe sous nos yeux sans que tout le monde n’ait forcément conscience de l’ampleur du phénoméne. Qui n’a pas encore entendu parler d’Airbnb? Ce service permet au propriétaire d’un logement de le louer 64 Une consommation sur-mesure et responsable. a une autre personne lorsqu’il ne I’utilise pas. De fait, pourquoi payer un emprunt ou un loyer pour un appar- tement qu’on n’utilise pas, par exemple lorsqu’on est en vacances soi-méme ? A cété de cela, des millions de voyageurs cherchent a se loger moins cher qu’a I’hé- tel, dans des lieux moins impersonnels, voire a parta- ger la vie des locaux. Il ne manquait plus que, aux deux parties, de se retrouver et c’est ce que propose Airbnb. Pour bien prendre conscience du phénoméne, il n’y a qu’a regarder les chiffres: en 2014, Airbnb se targue d’avoir plus de 20 millions de clients, 800 000 loge- ments dans prés de 34 000 villes a travers le monde'. Le tout, dans les meilleures conditions possibles: le systéme qui veut que loueur et visiteur se notent l’un l'autre n’est pas fait que pour remettre des valeurs telles que la confiance et la transparence — méme si elles sont centrales dans I’économie digitale — dans le modéle. C’est aussi un gage de qualité. Les uns font attention au produit qu’ils proposent, les autres a I’état dans lequel ils le rendent. La sanction: ne plus trouver de touristes ou de logement. De plus, l’offre est des plus larges, du studio au chfteau, en passant par des appartements de standing idéalement placés dans des villes ot I’hételle- rie est inabordable. Si Airbnb était propriétaire de ces logements, le site serait le plus grand groupe hételier au monde, rien de moins! Et ce n’est pas pour rien que les hétels d’un cété et les pouvoirs publics de l'autre I. Source: Airbnb. 65 Tous digitalisés voient le systéme d’un mauvais ceil. Les uns perdent des nuitées et les autres des taxes. Leurs préoccupations ne montrent qu'une chose: le modéle fonctionne, corres- pond a une nouvelle maniére de consommer et cela, & I’échelle mondiale. Plus terre a terre, Zilok est une plateforme francaise de location d’ objets entre particuliers. Vous vous souve- nez de ma perceuse? Ce type de site permet de la louer quelques heures, une demi-journée. C que de la laisser dormir dans un placard, surtout qu’elle fera le bonheur de personnes qui ne voient pas l’utilité — juste titre - d’en acheter une pour percer des trous. Zilok propose de faire de méme avec des biens aussi divers que votre voiture ou votre costume acheté pour le mariage de votre cousine et que vous ne portez que lors des fétes de fin d’année. st toujours mieux Rebaptisée OuiCar, l’activité de location de voitures de Zilok entend bien devenir rapidement le premier loueur de voiture en France. La encore, mieux vaut une voiture louée qu’une voiture qui dort dans un garage alors que lon continue & en rembourser le prét et que I’on paie l’en- tretien et l’assurance. Et puisque les transports sont une vraie problématique pour beaucoup de Frangais, regardons également la réussite du site de covoiturage Blablacar. Ce ne sont pas moins de 1,5 million de personnes qui, chaque mois, ont recours a ce service pour se déplacer et le site évalue 4 180 millions d’euros les économies réali- sées par les conducteurs, chaque année, en partageant leur 66 Une consommation sur-mesure et responsable. véhicule!. Et c’est sans compter les économies réalisées par les passagers. Consommer a l’ére du digital, c’est donc optimiser Vusage d’un bien, le partager et finalement ne payer que la valeur du service rendu. C’est aussi, dans une certaine mesure, faire face aux enjeux environnementaux: un objet peu utilisé mais partagé, c’est moins d’ objets fabri- qués. Quoi qu’il en soit, ce sont de nouveaux circuits économiques bien réels et des possibilités infinies pour les consommateurs que nous sommes de consommer juste et consommer malin. Et autant de besoins de réinvention pour les acteurs traditionnels qui devront s’adapter ou prendre le risque de voir leur marché leur échapper en un claquement de doigts, s‘ils n’arrivent pas a trouver leur place dans des logiques désormais plus collaboratives et responsables. Avant d’aller plus loin dans I’évolution des rapports entre les marques et les consommateurs — car c’est in fine de cela qu’il s’agit -, on ne peut pas ne pas parler du plus pénible et ennuyeux des avatars que le phénoméne consumériste ait engendré au fil des années: la publicité. Elle aussi va devoir se réinventer sous la pression des nouveaux comportements, des nouvelles attentes et des nouvelles possibilités offertes par le digital. Et personne ne s’en plaindra! 1. Source: Blablacar. 67 Tous digitalisés L’évolution nécessaire de la publicité La publicité telle que nous la connaissons a été congue pour un monde ow les médias existaient en quantité finie et oti elle pouvait étre imposée au consommateur. L’équation était simple: davantage de spots publicitaires + davantage d’encarts dans la presse = plus de ventes. Ce modéle est mort et aujourd’hui sans aucun avenir. Au départ, la publicité s*imposait et il n'y avait guére moyen de lui échapper. De plus, il était facile pour une marque d’«arroser» le nombre (limité) de médias néces- saires pour toucher sa cible. Laquelle cible était vaguement segmentée en fonction de la catégorie socioprofessionnelle, de l’ge, du sexe et de quelques autres facteurs faisant rentrer chacun dans une case composée de personnes ayant un dénominateur commun minimum. Aujourd’ hui, la masse de médias disponibles est quasi illimitée et la publicité qui cherchait 4 « voler» I’attention du consomma- teur (rappelez-vous donc la fameuse anecdote du «temps de cerveau disponible») est désormais une interruption et une intrusion que celui-ci fuit en changeant de chaine ou en mettant en place des «bloqueurs de publicité » sur son navigateur internet. Et lorsque la publicité arrive, par miracle, a atteindre le consommateur, elle ne le touche pas. Chacun a toujours voulu étre reconnu comme étant unique et non comme un membre d’un vague ensemble avec lequel il partage quelques similarités. Ce qui nous 68 Une consommation sur-mesure et responsable. distingue en tant qu’individu — et en tant que consom- mateur — n’est pas ce qui nous rapproche des autres, ce que I’on a en commun avec eux, mais au contraire ce qui nous en différencie. Les 20 %, 30 % ou 40 % de traits qui nous sont propres et nous distinguent de ceux a qui nous ressemblons par ailleurs. L7’Homme Digital, contraire- ment a ses prédécesseurs, a les moyens de faire prévaloir sa singularité, voire d’exiger sa prise en compte. Tout d’abord parce que contrairement a ses prédéces- seurs, il «existe » au vu et su de tous et peut étaler, procla- mer, faire connaitre sa singularité. Blogs, Facebook, Twitter, YouTube, LinkedIn sont autant de canaux pour promouvoir cette singularité, cette identité, cette marque personnelle. Tel le héros de la série Le Prisonnier, il n’ en- tend plus 6tre un numéro mais un homme libre. Ensuite, parce qu’il sait qu’en fonction de ses actions sur le web, de ce que les marques savent déja sur lui dans leurs fichiers clients — et a fortiori s’il est détenteur d’une carte de fidélité —, elles ont les moyens de comprendre sa singularité. Qui est-il, que fait-il, quelles sont ses valeurs, ses goiits, qui est-il en tant que professionnel, en tant que personne? Et d’ailleurs, les marques ne se privent pas de collecter et d’analyser toutes ces données; c’est simple- ment I’usage qui en est fait qui est inadéquat. Une affaire rapportée par le New York Times a défrayé la chronique en 2014. Le pére d’une adolescente s’en est ouvertement pris 4 une chaine de magasins, car elle 69 Tous digitalisés envoyait a sa fille des publicités pour des produits destinés aux jeunes méres. II leur reprochait de linciter ainsi & avoir un enfant, ce qui n’est pas acceptable du point de vue du pére de famille qu’il était. Quelque temps plus tard, il se fend d’un mot d’excuses: sa fille était effective- ment enceinte et le magasin |’avait simplement découvert avant elle. Comment? Sa navigation sur le site du maga- sin correspondait au profil type des centres d’intérét d'une femme enceinte tel que l’entreprise l’avait déterminé en analysant les comportements en ligne de ses clientes. Alors qu’elle ne savait pas elle-méme qu’elle atten- dait un enfant, ses besoins eux, montraient qu’elle était enceinte. Voila un exemple emblématique de compréhen- sion ciblée d’un besoin méme si, en |’ occurrence, le sujet &tait sensible et les esprits pas encore préparés. Nul doute que demain, nous trouverons cela complétement normal et remercierons |’émetteur de cette publicité ciblée et servicielle. Nous avons évoqué I’ importance de la notion de service. Eh bien c’est exactement ce qu’ attend le Consommateur Digital: que la publicité devienne servicielle, qu’elle ne soit plus un poids mais un service. Qu’elle lui apporte a un moment donné une solution 4 un probléme actuel et réel. Qu’elle aille plus loin que le placardage de produits plus ou moins ciblés. Qu’elle se présente 4 lui, au moment oi il en a besoin. Aujourd’hui, la publicité ciblée sur internet n’est plus une nouveauté. Mais pour quel taux de clic? quelle 70 é 1 ~ Toute reprodiuet Une consommation sur-mesure et responsable. pertinence? Trop de messages sont diffusés et pas nécessairement sur les «bons écrans». La publicité doit —et va — non seulement devenir servicielle mais se dépla- cer vers de nouveaux écrans 1a et au moment oi elle est pertinente. Et les possibilités sont infinies. Pourquoi dois-je regarder les mémes publicités que mon voisin du dessus qui regarde le méme programme télévisé 4 la méme heure ? Nous avons 30 ans d’écart, pas le méme mode de vie ni les mémes attentes. II serait telle- ment plus efficace — et techniquement possible — de me diffuser un écran publicitaire fait pour moi, qui m’intéres- serait au lieu de me donner envie de zapper ou aller me servir un verre a la cuisine ! Pourquoi I’écran devant moi, dans l’avion, ne me propose-t-il pas des services uniques, spécialement pour moi? Car, pourtant, ma compagnie aérienne favo- rite connait tout de mes goiits, le genre d’endroits que je recherche, ce que j’aime (au pire elle se fera aider par l’organisme avec qui elle émet une carte de crédit co-brandée...). Suggestions de restaurants, d’hétels, de services de voiture, d’expositions qui co1 mes goiits et non pas a ceux d’un passager qui voyage sur un long courrier. Ce n’est pas le plus petit dénominateur commun qui me fera acheter, c’est la prise en compte de ma singularité. ondent a D’ailleurs, pour étre totalement servicielle, la publi- cité ainsi proposée dans I’avion devrait me permettre, via 71 Tous digitalisés l’écran tactile, en un clic, de réserver le produit/service en question depuis mon siége. Et bien sar 4 mon arrivée a I’aéroport, certains écrans, lorsque je me tiendrais en face d’eux, pourraient me diffuser des publicités tout aussi ciblées, dans ma langue, avec la possibilité d’acheter directement depuis mon smartphone. Le digital permet de rentrer dans l’ére du marketing de Vintention. On ne nous proposera plus de produits mais des services qui, 8 ce moment précis, résolvent un probléme ou réalisent ce que l’on a en téte. Le message devient donc hautement contextuel, s’affiche sur I’écran le plus appro- prié pour ne pas géner nos activités prioritaires et est direc- tement «actionnable»: peu importe l’écran ou le format, puisqu’on y réagira depuis I’écran émetteur ou notre smartphone. Dans ce contexte, les marques se trouvent contraintes de réinventer leur modéle marketing. Fini l’époque ot elles «achetaient» des profils sociodémographiques (ah la fameuse ménagére de moins de 50 ans...), elles se dirigent aujourd’ hui vers des personnes qui ont tel besoin, tel probléme 4 un moment donné. L’ achat de données, de data, remplacera l’achat média puisque souvent le média sera le téléphone de la personne qui permettra non plus de toucher une personne qui un jour peut-étre passera devant un magasin, mais quelqu’un qui est a proximité du magasin, dont on connait les habitudes et A qui on peut 72 Une consommation sur-mesure et responsable. proposer une offre immédiatement, une offre qui corres- pond au temps d’attente dans le magasin, aux stocks, aux habitudes de la personne a cette heure-ci de la journée. Un distributeur de café le fait déja aux Etats-Unis. Les données prennent une telle importance — certains parlent de nouveau pétrole — qu’elles vont devenir une monnaie. Le produit ou le service sera offert ou vendu avec une large remise en contrepartie de l’accés aux données personnelles du client, lesquelles données permettront d@offrir des services personnalisés gratuits ou payants et de proposer des offres sans cesse plus ciblées, done perti- nentes, que le client verra comme une opportunité et non comme une intrusion. Ce modéle est-il viable 4 1’époque ot de plus en plus de personnes sont inquiétes de I’uti- lisation faite de leurs données? Une enquéte de 1’ Institut Toluna a la demande de Havas Media, réalisée en 2014, montre que si 84 % des sondés frangais sont effectivement inquiets, 45 % sont déja préts 4 autoriser l'utilisation de leurs données si contrepartie financiére. L’occasion d’un « deal » gagnant-gagnant avec une marque, pourvu que les conditions soient claires et régies par une certaine éthique ? Mais revenons-en 8 la relation client. Recréer du lien entre marques et clients Le digital est une formidable opportunité pour beaucoup de marques de reprendre contact avec leurs clients, de 73 Tous digitalisés recréer une relation. Etes-vous en contact avec Whirlpool lorsque vous achetez un réfrigérateur ? avec Braun lorsque vous achetez un rasoir ou une brosse a dent électrique ? Non. Vous étes en contact avec Darty, La Fnac ou un autre revendeur. Les marques ont ainsi perdu la relation avec le client. Grace a l’arrivée des objets connectés, elles vont pouvoir la retrouver. En effet, ce qui compte dans l'achat d’un objet connecté n'est pas I’ objet lui-méme, mais le service rendu possible au travers de I’ objet. Ledit service s’appuie sur utilisation de données et est donc Voccasion pour la marque de recréer une relation directe avec le client en devenant un prestataire de service, en réinvestissant son quotidien. Cette nouvelle relation, cette expérience «en direct» entre la marque et le client, dans un monde od, qui plus est, une part en constante augmentation des achats se fait en ligne, signifie-t-elle pour autant la mort des magasins, du «retail physique»? Non, a condition que le retail se réinvente autour l’expérience du Consommateur Digital. Le développement du e-commerce, contrairement & ce que l’on entend souvent, ne se fait pas au détriment du commerce «physique». Ou pas systématiquement. Ce dernier ne perd du terrain que dans un seul cas: lorsque l’expérience en ligne surpasse l’expérience en magasin et la rend froide, sans saveur, voire désagréable. Imaginez que vous vous rendez sur le site d’une enseigne de produits culturels. Vous vous identifiez et le 74 Une consommation sur-mesure et responsable. site vous propose automatiquement des titres, des albums, des livres en fonction de votre historique, de vos gotits, des recommandations de vos amis. Maintenant vous vous rendez dans un magasin de cette méme enseigne. Le vendeur qui vous prend en charge n’est compétent que sur son rayon... et encore ! I] ne connait pas vos goifits, ce que vous avez déja acheté alors méme que vous avez. dans votre poche ou votre smartphone, votre carte de fidélité. On passe du « Bonjour Manuel, vous devriez aimer ga. a «Bonjour, puis-je vous aider’?». Avec I’ arrivée de tech- nologies comme iBeacon, je devrais étre reconnu par le vendeur qui m’accueillera ainsi : « Bonjour Monsieur Diaz, j'ai quelque chose que vous devriez vraiment écouter ». Peut-étre que ses Google Glass m’auront également iden- tifié et que pendant qu’il me parlera, des informations sur mes préférences apparaitront sur I’écran de ses lunettes. Malgré les cétés pratiques du digital, nous continuerons a apprécier l’expérience d’un contact humain, pourvu que celui-ci soit efficace, de qualité, individualisé. Ce qui est vrai pour ces grandes enseignes I’est tout autant dans le monde de I’habillement, les agences de voyage et autres. » Quelques marques, comme Apple, ont réussi 4 déve- lopper une continuité et une cohérence d’expérience entre Je online et le physique. On achéte dans I’un et on retire sa commande dans I’autre. On scanne un produit avec son téléphone et on part sans passer par la caisse. Pourquoi est-ce si fastidieux de payer dans un magasin alors que la commande en « I-click» existe en ligne? Pourquoi faire 75 Tous digitalisés la queue & la caisse alors que le vendeur peut directement encaisser? Le paiement tel que nous l’avons toujours connu est bient6t mort, en tout cas sous sa forme actuelle, avec l’arrivée de technologies comme iBeacon et Apple Pay. Ce sont autant de questions que les enseignes doivent se poser si elles ne veulent pas que le client ne visite un magasin «en dur» que par contrainte, faute de mieux. Ce n’est déja plus et ce ne sera plus jamais son premier choix. Le retail physique doit se réinventer. Il deviendra un lieu de démonstration, un lieu d’engagement si l’expé- rience client est a la hauteur. Mais il ne sera plus un lieu de vente isolé d’un parcours, d’un cycle global. Une autre nécessité se fait alors jour: que les enseignes cessent de différencier leurs canaux de distribution comme s’ils étaient deux mondes différents. Au contraire, chacun est la prolongation de I’autre dans une expérience de marque globale; les dissocier rompt cette continuité de I’expé- rience. Avoir une logique omnicanal se traduira par I’ affi- chage sur mon téléphone, lorsque je passerai devant un produit, du nombre — voire du nom — de mes amis qui ont acheté le produit, de leurs commentaires, grace a I’éti- quette électronique sur le présentoir qui me reconnaitra via mon téléphone ou ma montre connectée. Et que dire des lieux de passage comme les aéroports? Certes la vente est effectuée avant I’entrée a I’aéroport, mais ce n’est pas une raison pour détruire le continuum de l’expérience client et ruiner les efforts réalisés auparavant. Les objets connectés signifient la fin des fastidieuses files 76 Une consommation sur-mesure et responsable. d’attente et des contréles. La carte d’embarquement élec- tronique ouvre toutes les portes nécessaires et permet une circulation fluide. Pour autant, les agents auront encore toute leur place dans ce dispositif nouveau, mais une place remodelée. Convenablement outillés ils deviennent des agents d’expérience, des customisateurs d’expérience, aptes 4 délivrer un service unique 4 un client unique. Deux exemples illustrent déja ce futur. Tout d’abord, Qantas, grace 4 un recours massif aux données et 4 l’analyse de ’historique des passagers, donne 4 ses agents des outils qui leur permettent de prendre la bonne décision pour un passager donné. Ce n’est pas parce que deux personnes voyagent dans deux siéges contigus qu’elles sont les mémes. En cas d’ incident, lune peut étre davantage sensible 4 un surclassement, tandis que autre préférera un remboursement. Et si un passager a déja connu un incident récemment, il faudra étre plus précau- tionneux avec lui qu’avec un autre. Toutes ces informa- tions seront encore une fois accessibles au personnel sur leurs terminaux mobiles. Ensuite, Virgin Atlantic commence a équiper son personnel de Google Glass. L’idée est la méme: recon- naitre le passager, connaitre son historique, ses préférences et étre en mesure de lui donner toutes les informations relatives 4 son voyage et résoudre ses problémes. La satisfaction client est passée de mode ou, plutét, elle n’est plus suffisante. C’est la premiére des politesses, 77 Tous digitalisés Je minimum vital pour continuer 4 exister sur le marché, fut-ce sous a stance respiratoire. Pour gagner, il faut mettre en ceuvre des expériences. La encore tout est disponible, mis en ceuvre progressi- vement de maniére disparate. Mais c’est la convergence de toutes ces initiatives qui réinventera la relation et, plus encore, l’expérience client 4 heure digitale. Toutefois, la technologie ne fera pas tout. Elle demande aux clients et aux marques de s’entendre sur un double contrat: un contrat d’expérience et un contrat de données. Le contrat d’expérience est en quelque sorte a |’ inter- section de la promesse de la marque au consommateur et de l’attente de ce dernier. Sans promesse pas d’expé- rience, pas de repére. Sans individualisation de ’expé- rience, la promesse reste anonyme, agréable 4 entendre mais fade dans sa mise en ceuvre. Le contrat de données est la dimension éthique du commerce 4l’heure du digital. Il est le nouveau contrat de confiance. Si la donnée est le carburant de I’expérience, c’est un carburant explosif et instable. Il est essentiel que les marques soient claires sur la maniére dont sont collectées et traitées les données, dont elles sont protégées et dont elles seront utilisées. A défaut d’un tel contrat, ou s‘il venait 4 ne pas étre respecté, c’est la confiance entre le client et la marque qui serait rompue de maniére irrémédiable. 78 4 Les loisirs: une expérience & la fois individualisée et partagée Les loisirs: une expérience 4 la fois individualisée. ne vie sans distraction n’existe pas, 4 moins d’étre fade, laborieuse. La part que les loisirs occupent dans notre temps n’a cessé de grandir jusqu’a devenir aujourd’hui une économie non négligeable, dont certains pays vivent. La crise de l'industrie culturelle Souvenez-vous en 2001 lorsqu’Apple a annoncé le duo iPod + iTunes, beaucoup ontri en se disant que personne n’aurait jamais besoin d’avoir 5 Go de musique sur lui. Et lorsque I’iTunes Music Store est apparu en 2003, Steve Jobs n’a eu aucun mal a imposer ses condi- tions aux maisons de disque, tant personne ne croyait au succés du modéle: vente des titres a l’unité, prix & 0,99 $. Quel risque prenaient les acteurs du marché & laisser faire ? Au pire Apple vendrait quelques centaines de milliers de titres, au mieux cela ferait un laboratoire a observer; de toute maniére, l’échec était programme. 300 millions de titres vendus en mars 2005, | milliard en février 2006, 10 milliards en 2010. La messe était dite et il n’y avait plus moyen de faire machine arriére ! Les maisons de disques étaient contraintes d’accep- ter un nouveau modéle qu’elles ne semblent d’ailleurs pas avoir encore totalement compris... Finalement, ce n'est pas le piratage ni les réseaux P2P comme Napster qui ont eu raison de leur modéle, mais une offre légale 81 Tous digitalisés lancée avec leur accord! Et déja le streaming pointe son nez, et des Deezer ou Spotify viennent perturber les perturbateurs. Puis ce fut le tour des films, sujet qui n’est pas encore totalement réglé faute d’une offre légale convaincante qui n'est pas tant affaire de prix que de fagon dont Vacheteur désire consommer ses films et ses séries et de délais de mise sur le marché. Le livre et, plus géné- ralement, le papier font également face 4 une crise de modéle majeure. Mais on aurait tort de croire que la technologie, internet, mp3 et smartphones sont au coeur de cette crise. Si la technologie est une partie de l’équation, il s’agit avant tout d’une question de business model et de modéles de consommation. Pour ressortir un vieil acro- nyme, le Consommateur Digital entend consommer les biens culturels ATAWAD: Any Time, Anywhere, Any Device; quand, oii et sur le périphérique qu’il souhaite. Il n’est pas question d’organiser son emploi du temps en fonction de I’heure de diffusion de sa série préférée, pas plus qu’il n’est envisageable d’attendre deux ans pour voir en France un épisode diffusé hier aux Etats- Unis et dont issue a déja été largement commentée sur les réseaux sociaux. Quant & son journal, il le lit sur sa tablette ou son téléphone dans les transports en commun. Et, bien sir, 4 des conditions financiéres qui lui conviennent: au titre ou a l’abonnement forfaitaire pour une consommation illimitée. 82 Les loisirs: une expérience 4 la fois individualisée. Aux éditeurs de trouver le modéle qui convient car le consommateur, en attendant, a de nombreus: de repli, quand bien méme leur caractére illégal - je ne m’étendrai donc pas sur le sujet. La encore, on retrouve la notion de service: peu importe de posséder CDs, DVDs et livres et d’en remplir ses étagéres, ce qui compte est de les consommer comme on I’entend. 's solutions Vous étes certainement déja vous-méme dans cette logique. Il y a dix ans, vous achetiez une licence que vous installiez sur votre ordinateur, aujourd’hui vous payez un abonnement. L’acronyme qui correspond ne vous est peut-étre pas inconnu: SaaS, Software as a Service, le logiciel sous forme de service. Demain, ce sera Music as a Service, Movies as a Service, Books as a Service. Mais ce n'est que la premiére étape! Avec la digitalisa- tion du format vient l’attente d’ une expérience plus riche. Un journal sur tablette n’est plus un PDF de la version papier mais inclut des compléments, des vidéos, la capa- cité 4 interagir avec les autres lecteurs. C’est aujourd’ hui Je minimum acceptable en termes d’expérience intégrée. Intégrée mais pas personnalisée. Une expérience 100 % sur-mesure L’expérience personnalisée, c’est une adaptation des contenus & mes goiits, A ma singularité. Une «Une» 83 Tous digitalisés personnalisée? C’est possible depuis plus de 10 ans! Au fil de mes lectures, de ma navigation, les éditeurs de médias connaissent mes goiits, les sujets qui m’intéressent. On est méme capable de «qualifier» un inconnu surfant sur un site en fonction de sa navigation sur d’ autres sites, quand bien méme il ne se serait pas identifié: quels sont ses gofits, qu’est-il susceptible de vouloir consommer. Pour aller encore plus loin, la composition de cette Une devrait évoluer au fil du temps en fonction de mes gotits, de l’évolution de mes habitudes de lecture. Dans un livre ou un film, ce sont par exemple des fins alternatives qui correspondent & mon état d’esprit et ce que j’aime, peut- étre aux avis que j’ai laissés sur un réseau social pour dire ce que je pensais des personnages et de I’évolution de Vhistoire. Si j’aime cet acteur ou ce cinéaste, des conclu- sions peuvent en étre tirées sur ce que j’ aimerais voir dans le scénario de ma série favorite, non? Les données sont Ja... Leur champ d’utilisation n’a plus pour limite la tech- nologie mais la créativité des auteurs. Et pourquoi pas des histoires ou des chansons écrites spécialement pour moi? Connaissez-vous une compositrice du nom d’Emily Howell? Oh, elle n’a pas — ou pas encore — glané de prix, mais elle compose de trés agréables musiques ! Simples mais agréables. Jallais oublier de vous prévenir: Emily est un ordinateur. Elle compose ses musiques en piochant dans une bibliothéque de sons et en prenant en compte les retours de ses auditeurs. Avec le temps, I’ objectif de ses créateurs est de lui apprendre 4 développer son style en fonction, juste- 84 Les loisirs: une expérience 4 la fois individualisée. ment, des commentaires des autres. Et pourquoi nous n’au- rions pas chacun notre propre Emily qui écrirait des titres spécialement pour chacun d’entre nous, selon nos propres. goiits ? Quand on sait que des robots écrivent déja nombre d’articles pour la presse américaine — notamment sur des choses trés formatées comme les comptes rendus sportifs & partir des statistiques du match — il n’est pas absurde d’en- visager qu'un jour, un écrivain virtuel n’écrira que pour moi, les livres que j’ai envie de lire, et des articles de presse uniques avec I’angle et le ton que j’affectionne le plus. La notion méme de consultation de média devient obsolete. Aujourd’ hui déj je peux lire sur mon iPad, mon iPhone, mon ordinateur, regarder un flash info sur mon téléphone plutét qu’a la télévision. Sans parler de mes lunettes. Les technologies sont déja 1a pour me permettre de ne plus m’organiser en fonction des médias mais de les organiser — intelligem- ment — autour de moi. ja, selon les heures et le contexte, Le New York Times R&D Lab a, par exemple, réfléchi al’ organisation spatiale des espaces média autour de nous, notamment sous forme de « miroir: peut imaginer le scénario suivant, lorsqu’on arrive dans sa salle de bain le matin: chaque membre de la famille, identifié par un dispositif de reconnaissance faciale, a une expérience, une mise en scéne de l’information et des services spécifiques. En fonction d’éléments comme les gofits personnels, I’heure de la journée, voire l’agenda de la personne, le miroir peut diffuser des articles de écrans». Ainsi, on 85 Tous digitalisés journaux, des flashs infos télévisés, 1’état des transports et de la circulation pour aller au travail... Demain, c’est donc en fonction non seulement des écrans mais de toutes les surfaces utilisables, que l’univers média pourra s’or- ganiser. Selon la piéce ow I’on se trouve, a la maison, au bureau et, pourquoi pas, dans les lieux publics. Bien sir, il y aura une continuité dans notre expé- rience au fil de la journée. On commence en écoutant la radio, on passe ensuite 4 la salle de bain, puis on prend sa voiture ou le métro, et on arrive au bureau. En fonc- tion de ce qu’on a consulté, de |’évolution de I’actualité, du média le plus approprié (ce ne sera pas le méme en voiture et dans le bus), nous recevrons la bonne informa- tion, au bon format, sur le bon support. Aujourd’ hui, nous sommes « éclatés » entre les médias. Nous zappons d’un site une chaine info puis une radio pour terminer par la presse. Et en relisant donc plusieurs fois les mémes chos non sur son lecteur. On peut imaginer l’avenir sous la forme d’un identifiant unique pour les utilisateurs, les faisant reconnaitre par toutes les plateformes média qui prendront en compte ce qu’ils ont déja vu avec d’ autres. A ce moment et a ce moment seulement, les médias auront effectué leur virage digital vers leur audience. ses, car le média est centré sur lui et D‘ailleurs, il ne va pas rester grand-chose de la notion de média — dans son acception actuelle — dans un monde organisé non plus autour de ces mémes médias mais de 86 Les loisirs: une expérience 4 la fois individualisée. leur audience digitale. Aujourd’hui, par exemple, je me réveille en écoutant la matinale d’une radio et je I’ écoute jusqu’au bout car zapper est quand méme fastidieux. Et ce, quand bien méme j’apprécie beaucoup certains éditorialistes et d’autres beaucoup moins, auxquels je préférerais ceux de la radio concurrente. La plateforme média de demain résoudra cette équation. Elle connait mes goiits, mes préférences et, de plus, continue a affi- ner cette connaissance au fil du temps. Elle me compo- sera donc «ma» matinale en piochant un éditorialiste ici, un autre 1a, un humoriste encore ailleurs (si j les humoristes), voire ne me proposera que les humo- ristes si tel est mon gofit. De la méme maniére qu’avec ViTunes Music Store la notion d’album est morte au profit du titre, la notion de chaine va disparaitre au profit de I’émission. ‘ime Cette évolution est déja en marche. Quasiment toutes les émissions de télévision et de radio sont désormais dispo- nibles 4 l'unité sous forme de podcast ou de «replay». Il ne reste plus au systéme intelligent qu’ piocher dans ces émissions, d’alterner direct et podcasts (pour ce que je ne pouvais écouter en direct) et le tour est joué. Les contenus existent, reste la plateforme intelligente utilisant les données pour me construire au fil de la journée mon programme personnalisé, en le finangant par des encarts de publicité servicielle, dont la valeur percue sera dés lors encore plus élevée dans un contexte ot je n’aurai plus envie de zapper. 87 Tous digitalisés Cela va entrainer également une recomposition du paysage des médias avec de nouvelles alliances, de nouveaux business models. J'ai beaucoup parlé de trans- ports jusqu’a présent et pour une bonne raison: choi- sie ou subie, la mobilité est au coeur de nos vies et doit €tre au coeur de nos expériences de vie. On parle beau- coup de surabondance d’information, d’infobésité mais je pense qu’il faut relativiser ce point. Notre probleme n’est pas d’avoir trop d’informations mais de ne pas avoir les bonnes, pas au moment of notre attention est disponible et pas nécessairement sur le bon écran. En septembre 2014, la SNCF a annoncé un service de bibliothéque en ligne 4 bord de ses TER en Lorraine, afin de fournir de la lecture aux voyageurs. Depuis mainte- nant presque deux ans, Air France a également ouvert un service de presse digitale pour ses passagers. L’alliance entre les fournisseurs de contenus et l’industrie du trans- port est devenue une nécessité objective. L’ objectif: poursuivre l’expérience que I’on connait déja un peu en avion avec les IFE (Jn Flight Entertainment), mais en mieux et centré sur l’utilisateur. Davantage de types de contenus, davantage de choix, disponibles 4 ma conve- nance sur un écran fixe ou accessible depuis mon télé- phone ou ma tablette, adaptés 4 mes gofits qui ne sont pas ceux des autres passagers ou de ceux qui voyagent avec moi. Métro, train, avion sont devenus des lieux de choix de consommation de «distraction as a service» pourvu que |’on puisse offrir le bon contenu en fonction de la personne et du contexte. 88 Les loisirs: une expérience 4 la fois individualisée. Une autre dimension des loisirs numériques en pleine explosion est celle des jeux vidéo. Aujourd’hui, des jeux comme GTA V, par exemple, ont des budgets et des retours sur investissement dignes de superproduc- tions hollywoodiennes. Et ne pensez pas qu’il ne s’agit que d’une industrie pour jeunes, vous seriez surpris de la moyenne d’Age des personnes que I’on voit jouer 4 Candy Crush dans le métro ! La encore, et sans parler de la dimen- sion purement qualitative de la réalisation, on va vers une personnalisation de plus en plus grande avec, bien sir, la notion de scénario individualisé, sur-mesure, déja évoquée pour les livres et les films. Mais, plus encore, le jeu va s’adapter & mes goats pour me plonger dans un environ- nement dans lequel je me sentirai encore davantage dans «mon monde». Mes marques favorites, qui ne sont pas les mémes que celles de mon voisin, y seront incluses, en offrant, au passage, a la marque, l'occasion d’ une relation qualifiée et privilégiée avec moi, l’occasion de me propo- ser une expérience et un service uniques. Et si, dans un jeu de courses de voitures, je choisis toujours le méme véhi- cule, peut-étre que ce sera l’occasion pour le constructeur de me proposer un essai «dans Ia vraie vie»! Ou peut- étre que mon loueur favori me la proposera sous forme de surclassement gratuit pour me remercier de ma fidélité... Pour le club de foot que je choisis toujours sur ma console (et que je développe, fais grandir et fais gagner), ce sera de m’inviter 4 un match! Avec cette expérience unique, la publicité est pergue comme une opportunité dans un moment de loisir. 89 Tous digitalisés La cuisine est également un loisir qui a le vent en poupe. Savez-vous que parmi les photos les plus parta- gées sur le web on trouve les photos de ce que les gens mangent chez eux et, surtout, au restaurant ? L’ abondance de programmes télévisés sur le sujet ne trompe pas. Je vous parlais de la salle de bain tout 4 I’heure, entrons maintenant dans la cuisine. Aujourd’ hui, certains appa- reils de cuisson connectés vous proposent déja des recettes en fonction des aliments que vous avez a la maison, mais ce n’est qu’un début. Il n’y a plus qu’un P proposées, congues spécifiquement pour vous en fonc- tion de votre palais, des aliments disponibles, de ce que vous avez mangé cette semaine afin d’équilibrer votre alimentation. s a franchir pour que des recettes uniques vous soient Je vous ai déja parlé d’IBM Watson et des applica- tions de ce service (car c’est un service: mi-ordinateur, mi-logiciel, caméléon en fonction de ce pour quoi on veut s’en servir) qui semblent vraiment infinies. L’an dernier, Watson a été utilisé pour créer des recettes de cuisine ! Une initiative trés sérieuse, réalisée conjointement avec un grand site de recettes aux Etats-Unis. En analysant de nombreuses recettes, Watson a compris ce qui se mariait ou non ensemble en termes d’ aliments, les assemblages qui ne fonctionnaient pas, et a pu ainsi proposer des plats. totalement innovants, sortis de sa propre imagination. Avec un certain succés si l’on en croit les critiques. Je vous le concéde, Watson ne semble pas encore prendre en 90 © Dunod Les loisirs: une expérience 4 la fois individualisée. compte la dimension visuelle du plat, mais nul doute que ce sera pour bientét! Terminons sur une note sportive. Courir, méme seul, est devenu une expérience sociale depuis des années, depuis que Nike a connecté ses chaussures aux périphé- riques Apple pour recueillir et partager ses données avec Jes autres. D’un coup, on ne court plus seul: on compare ses chiffres avec les autres, on découvre de nouveaux itinéraires, on se motive. Cela permet également de proposer des services nouveaux, pour bien programmer et suivre son effort en fonction des objectifs que l’on se donne: du coureur du dimanche qui ne vise que le plaisir celui qui recherche la performance en passant par celui qui a 5 kg a perdre, il y a autant de maniéres de courir que de coureurs. Aujourd’hui, la plupart des activités spor- tives solitaires, peu engageantes voire rébarbatives pour ceux qui les vivent comme des contraintes, sont done devenues & la fois des services et des activités de groupe méme lorsqu’on les pratique seul. II en ressort un béné- fice largement supérieur a celui — déja appréciable — de leffort physique réalisé. Méme I’amateur de sport, spectateur passif, souvent seul devant son poste de télévision ou dans un stade, a vu son expérience se transformer. Aux Etats-Unis, une jeune startup nommée Kwarter réunit les fans pendant les matchs. Qu’ils soient dans le stade ou devant leur télé, ils peuvent tous ensemble ou au sein de petits groupes, discuter, commenter le match comme on le fait entre 91 Tous digitalisés amis dans son salon. Et ils participent 4 leur maniére. Tout au long du match, ils font des pronostics sur ce qui va se passer dans les secondes qui arrivent. But, faute, coup franc... Ils gagnent des points qu’ils peuvent ensuite troquer contre des cadeaux. L’expérience soli- taire devient alors une activité de groupe, ludique et engageante. Et la marque qui s’invite dans le dispositif en jouant le jeu devient un membre de la communauté et touche les fans d’une maniére plus qualitative qu’elle ne I’a jamais fait avec un spot té Nous étions habitués étre les spectateurs souvent passif's de nos loisirs, le digital nous repla nos loisirs — numériques ou non —, au centre des médias, de par notre capacité a y participer. era au centre de Une participation « passive », d’une part, car ce sera de maniére invisible pour nous, en fonction de nos données et de la connaissance qu’ils auront de nous que vont s’or- ganiser nos médias, dans le continuum de notre journée et de nos déplacements. Une participation active, d’ autre part, car du match de football a la derniére émission 4 la mode, ce qui se passe est autant sur scéne qu’en dehors. Il n’y a qu’a regarder le nombre de tweets de téléspectateurs pendant une émis- sion de télévision ou une série phare! Le lien se recrée autour de I’écran, autour des spectateurs et les médias ont tout a y gagner. L’interaction entre l’émission et le public se fait en temps réel et en ligne, la conversation 92 é 1 ~ Toute reprodiuet Les loisirs: une expérience 4 la fois individualisée. devient méme bidirectionnelle avec les personnes sur le plateau qui répondent aux internautes, voire demandent une précision A un «sachant» derriére son écran. Quant aux auteurs des séries c’est, pour eux, une mine d’infor- mations de premier ordre au moment d’écrire le scénario des prochains épisodes, de décider de |’évolution d’un personnage ou de I’issue de la saison. L’Homme Digital ne consomme plus une distraction écrite pour la masse, il participe 4 son écriture, 4 sa mise en scéne, voire fait partie du dispositif. D’une certaine maniére, il investit les coulisses, la salle de rédaction et, aT occasion, monte sur scéne. 93 5 Le collaborateur digital fait exploser la structure du travail Le collaborateur digital fait exploser la structure... otre vie au travail n’est jamais déconnectée de notre vie en dehors. D’abord parce que nous ne pouvons faire abstraction de ce que nous sommes une fois que nous franchissons la porte du bureau. Ensuite parce ce que, en tant que clients, internautes, humains, citoyens, nous obligeons l’entreprise a se enter. Je sais que ces mots vont en faire sourire plus d’un. On parle de réinventer lentreprise, le management, le travail depuis que l’entreprise existe et depuis que le manage- ment existe en tant que discipline mais, en dehors de rares exceptions et sur la scéne des conférences dédiées au sujet oll se succédent les gourous, on n’a pas vu le quart d'un début de révolution. Le réveil des entreprises Construite pour un monde stable et prévisible, I’entre- prise telle qu'elle existe aujourd’hui génére elle-méme les anticorps qui la protégent du changement venu de Vextérieur. Un constat ironique s’impose d’ailleurs & V’heure oi les dirigeants s’inquiétent du retard digital de leurs collaborateurs, qui est un frein réel a la transfor- mation des organisations... Ce n’est pas tant le colla- borateur qui souffre d’un déficit d’ADN digital que Torganisation qui empéche cet ADN de s’exprimer au travers d'un certain nombre de garde-fous. Un mode de management orienté «control and command», des 97 Tous digitalisés process RH qui ménent au recrutement de clones qui se fondront dans le moule actuel, des process tout court concus par des sachants et destinés a étre exécutés par des personnes incapables d’apporter une quelconque valeur ajoutée individuelle. Cette situation est intenable dans un monde instable ow le salut ne passe que par une connexion renforcée avec l’externe, avec le client et la mise a profit du potentiel collaboratif et innovant du collaborateur. Et ce changement est en train d’arriver. Bien sir pas assez vite, mais plus vite que jamais. La raison? Apres avoir utilisé tous les moyens possibles et imagi- nables pour se protéger du changement, les entre- prises comprennent qu’elles ne peuvent plus soutenir la pression qui s’exerce sur elles. Soit elles seront en phase avec leur écosystéme soit elles disparaitront. II n'est pas ici question de phénoménes de mode mais de réalité économique, celle qui s’impose a tous, chiffres a Vappui. Dés 2010, le Shift Index de Deloitte fait apparaitre un chiffre qui ne peut qu’interpeller les dirigeants: le ROA (retour sur actifs — return on assets) des entreprises américaines est tombé & 25 % de son niveau de 1965. Ce n’est pas un déclin, c’est un effondrement! Et cela méme alors que, parallélement, la productivité des sala- riés ne cesse d’augmenter. Qu’est-ce que cela signifie? Que si le salarié pédale sans cesse plus vite, l’entreprise, elle, avance de moins en moins vite. Jusqu’a reculer. 98 Le collaborateur digital fait exploser la structure... Autre enseignement, la vitesse 4 laquelle les entreprises perdent leur position de leader a doublé ces derniéres années, preuve s’il en est que plus aucune position n’est quise et que les challengers qui adoptent de nouveaux business models et de nouvelles maniéres de travail- ler peuvent bouleverser un secteur d’ activité en peu de temps. Qu’étaient Google, Amazon, Apple et Facebook en 2000? Deux étaient encore dans l’enfance, l’une se remettait d’une quasi-faillite et la derniére n’existait pas. Qu’en est-il aujourd’hui? Combien de secteurs d’activités ces quatre-la — pour ne citer qu’eux — ont-ils transformé, sortant du jeu les leaders d’hier ? Et Deloitte de conclure que cette situation pour le moins inquié- tante a une cause principale: l’incapacité des entre- prises s’approprier les infrastructures digitales et tout ce qu’elles impliquent. Aprés des années de déni, il n’est plus aujourd’ hui une entreprise, un secteur d’activité qui puisse se prétendre protégé de la vague digitale. Banques, maisons de disque, presse, tourisme, taxis... les exemples s’étalent chaque jour dans la presse avec des conséquences parfois dramatiques pour les entreprises concernées et leurs collaborateurs. Le mal a un nom: le «darwinisme digital» qui désigne l’incapacité de l’entreprise & s’ap- proprier le sujet aussi vite que la société et les clients autour d’elle. 99 Tous digitalisés L’entreprise digitale sera donc infiniment plus colla- borative et moins en silos. Lorsqu’ Apple annonce I’iPod et iTunes, puis l’iTunes Music Store, qu’a la firme a la pomme que n’ont pas ses concurrents ? Alors que Sony, inventeur du walkman puis du discman détient, en plus, une maison de disques ! Que Microsoft détient la techno- logie et a des partenariats stratégiques dans les médias. Pourquoi n’ont-ils rien fait? Pourquoi sont-ils restés sans réponse ? Parce qu’ils fonctionnent en silos, isolant les compétences et les métiers alors qu’Apple pense conjointement le matériel, le logiciel et les services. Savoir faire des baladeurs mp3 et avoir la main sur un prestigieux catalogue de disques ne suffit pas 4 réinven- ter l'industrie musicale: encore faut-il que les personnes concernées se parlent, se comprennent et tirent dans la méme direction. On parle de la collaboration comme le Graal de lentreprise mais on cantonne souvent le sujet a la dimension exécution, alors que cela joue un réle prépon- dérant au niveau de la stratégie et de la conception des produits. Beaucoup d’entreprises excellent dans un ou plusieurs domaines, mais les business models digitaux demandent de le faire conjointement. Aucune personne ne peut avoir une connaissance profonde de tous les domaines, donc le seul et unique salut réside dans la collaboration. L’entreprise digitale sera donc collabora- tive en réponse au digital mais, heureusement, grace au digital également. 100 Le collaborateur digital fait exploser la structure... Loin est I’époque ot nous ne disposions pour travail- ler ensemble, pour communiquer, que du courrier et du téléphone. Les choses ont-elles changé pour autant ? Pas tant que cela, alors que la technologie a notre disposi- tion permet des choses incroyables. Réseaux sociaux d'entreprise, visioconférence, messagerie instantanée, suites bureautiques en ligne permettant la co-édition de documents... Les catalogues des éditeurs débordent de produits incarnant une nouvelle maniére de voir l’entre- prise et de travailler ensemble. Pour autant, le cabinet Gartner nous dit que 80 % des initiatives visant déployer de tels outils vont échouer. Preuve, une fois de plus, que le digital — dans toutes ces composantes — n’est pas un probléme de technologie mais une question humaine. On parle ici de management, d’ organisation et, in fine, de culture. Le digital signifie la fin ou tout au moins la réin- vention de certaines vaches sacrées dans I’entreprise et cela ne va pas se faire sans douleur. La premiére de ces vaches sacrées est bien la hiérarchie. Souvenons-nous qu’ avant que le terme mana- gement ne traverse |’Atlantique, on parlait d’«art du commandement». Tout un programme ! Une vision issue dune époque oi I’on séparait les sachants des exécu- tants, ces derniers n’ayant aucune valeur ajoutée propre donner a l’entreprise autre que leur capacité d’exécution. Aujourd’hui, le niveau de formation des collaborateurs est tel qu’il n’est plus le probléme. Le probléme est ce que |’entreprise en fait, et force est de reconnaitre qu’elle 101 Tous digitalisés bride leur utilisation optimale. Méme s’ils sont encore trop rares, les exemples d’entreprises ayant réinventé les modéles hiérarchiques sont nombreux. De startups comme Zappos 4 des entreprises plus traditionnelles comme WL Gore, les équipes s’auto-organisent voire s’auto-affectent en fonction de ce qui doit étre fait, de la valeur délivrée au client, et ot la responsabilité n’a pas pour autant disparu: elle est simplement distribuée entre des collaborateurs «intrapreneurs », responsables de leurs décisions et de leur impact. Des intrapreneurs qui collaborent davantage dans la prise de décision dés lors qu’elle impacte le groupe et ne peut plus étre le fait du Prince. Cette tendance s‘incarne dans un mouvement qui a un nom: lentreprise libérée. Elle interroge, séduit, suscite la controverse mais ne laisse pas indifférent, ce qui est tout de méme révélateur d'une prise de conscience. En fait de libérer l’entreprise, il s’agit surtout de libé- rer ses collaborateurs de logiques totalement contre- productives, du poids de la structure et du management, qui ont aujourd’hui l’effet inverse de leur objectif initial: ils compliquent le travail au lieu de l’accélérer et le faciliter. Jusqu’a présent, Ventreprise a répondu au change- ment et 4 la complexité externe par de la complication interne: une nouvelle division, une nouvelle couche managériale, une nouvelle dimension dans la matrice. Aujourd’ hui, on en est arrivé a un point ov la réactivité 102 Le collaborateur digital fait exploser la structure... et la capacité d’adaptation de I’ entreprise sont entravées par ce qu’elle a elle-méme mis en place; ott réunions, cycles de décision et reporting ont rendu pataudes des organisations qui, au contraire, ne s’en sortiront que par lagilité. A ’heure du digital, l’entreprise s’ organisera et vivra comme un organisme vivant, autour de projets et autour du client. Le manager deviendra alors davantage un facilitateur, un leader, au service de ses équipes. C'est d’ailleurs le modéle mis en place chez HCL, une importante société indienne de services. Selon les mots mémes de Vineet Nayar, son PDG, ceux qui créent de la valeur sont ceux qui sont en face du client et personne ne sait mieux qu’eux quels nouveaux services leur proposer. Le réle de la ligne managériale est de les aider a agir, pas de leur dire quoi faire. La encore, cela demande une forte volonté managériale mais la technologie aide : en rendant l’entreprise plus transparente, collabo- rative, elle favorise la coopération entre le manager et ses équipes et l’aide a passer a une posture de «servant leader» en le rapprochant de ses équipes, peu importe leur localisation. Un espace de travail revisité Seconde vache sacrée: le bureau ou poste de travail. La mobilité transforme notre relation au lieu de travail. 103 Tous digitalisés Le travail n’est plus un endroit mais une attitude, un besoin, un contexte. Aujourd’hui, non seulement les équipes sont de plus en plus éclatées (on ne travaille pas avec ceux qui nous cétoient physiquement), mais on doit étre en mesure de travailler 4 des endroits les plus divers. Transports en commun, site client, tiers lieu de travail, que ce soit sur un ordinateur, un smartphone ou une tablette: l'image du MAC posé sur un bureau comme seul endroit pour travailler disparaitra avec notre génération. La mobilité est une réalité, pourvu que l’entre- prise n’oblige pas son collaborateur & devoir revenir au bureau pour accomplir une action critique. Elle est également un impératif économique: ce qui doit étre fait doit étre fait, peu importe l’endroit ot se trouve la personne concernée. Elle est enfin un enjeu sociétal Vheure de la transition énergétique et de la réduction de l’impact des transports sur l’environnement, peut-on sérieusement penser que des centaines de milliers de personnes vont continuer 4 passer plus de deux heures par jour dans les transports en commun (pour ne prendre que l’exemple de Paris) ou dans leur voiture pour aller travailler? Beaucoup d’ entreprises réfléchissent au télé- travail, a la mise en place de tiers lieux de travail plus proches des domiciles, et vous vous doutez bien que cette réflexion n’est pas que technique. La technolo- gie existe, elle est 1a, et elle permet a certains pionniers de fonctionner comme des entreprises quasi-virtuelles, 104 Le collaborateur digital fait exploser la structure... sans bureaux ou dont les bureaux ne sont qu’un espace de rencontre. De l’engagement 4 l’expérience employé Cette révolution de l’espace de travail passe par deux aspects. Une fois encore, un renouvellement du mana- gement pour sortir d’une culture du présentisme et aller vers une culture de l’efficacité: l’important n'est pas le temps passé sur son siége mais ce que l’on produit effectivement. Ensuite, un travail sur engagement des collaborateurs : mobilité et travail 4 distance demandent, pour ne pas étre contre-productifs, un engagement fort des collaborateurs. Contrairement certains raccourcis rapides et rassurants, ce n’est pas le collaborateur qui décide de s’engager ou non mais l’entreprise qui, pour une large partie, est «engageante » ou ne I’est pas. Jirai méme beaucoup plus loin que I’engagement, concept a la mode ces derniéres années, pour parler de ce que j’appelle l’expérience employé. J’ai beaucoup utilisé le mot expérience dans les pages qui précédent et pour cause: I’expérience client est au coeur des busi- ness models digitaux. Transformer son entreprise, c’est créer de nouvelles expériences, mais croire que Von peut exclure les collaborateurs du dispositif serait une erreur dramatique. Comme le disait le CEO de Mercedes Benz USA a I’été 2014: «Ma marque c’est 105 Tous digitalisés mon expérience client. Et l’expérience client suit l’expérience employé». Un concept déja longuement travaillé en France par I’ Académie des Services sous le terme de symétrie des attentions: vos collaborateurs ne donneront pas au client ce qu’ils n’ont pas regu de leur entreprise. Rendez leur vie compliquée et peu agréable et vous saurez exactement ce qu’ ils feront de la vie de vos clients. La performance des collaborateurs, leur enga- gement, passe par une expérience employé digne de ce nom et cohérente avec la promesse d’expérience client. Si on prend en compte tous les points de contacts entre l’entreprise et ses collaborateurs, les axes d’améliora- tion sont quasiment infinis. Expérience avec les autres (collaboration), avec son manager, avec les process productifs et administratifs, avec les outils de travail, avec l'environnement de travail... autant de paramétres qui vont améliorer l’engagement et la productivité des salariés. Mais il ne faut pas commettre l’erreur de croire qu’on ne parle que de qualitatif, de ravalement de fagade et de remplacer des visages fermés par des sourires. L’expérience employé consiste, trés simple- ment, a rendre simple des activités qui étaient doulou- reuses, pénibles et chronophages: de la réservation d'une salle de réunion a la recherche d’information, en passant par un management qui doit aider 4 accomplir les taches et non les ralentir et les compliquer. Peter Drucker nous disait que «I’essentiel de ce qu’on appelle 106 Le collaborateur digital fait exploser la structure... le management consiste a rendre le travail difficile »; Vexpérience employé c’est au contraire, rendre les sala- riés engagés, efficaces, productifs en travaillant sur la simplicité de l’ organisation. De nouveaux acteurs dans le processus de décision Rendre Vorganisation et le travail plus simple, c’est aussi faciliter la prise de décision. Davantage de colla- boration et d’intelligence collective permet de prendre de meilleures décisions et, de plus, d’obtenir une plus grande mobilisation des acteurs dans la mise en ceuvre d’une décision qu’ils ont contribué a prendre. C’ est aussi utiliser davantage les données pour permettre une prise de décision rapide et informée. Aujourd’hui malgré tous les dispositifs, tous les process et le recours inces- sant 4 un reporting lourd et fastidieux, 80 % des déci- sions sont prises sur le seul fondement de l’intuition de la personne la plus haut placée autour de la table. Peu importe sa connaissance réelle des conséquences sur le terrain, Aujourd’hui, des agents intelligents aident déci- deurs et collaborateurs 4 mieux évaluer l’impact de leurs décisions, en étant capables de corréler un nombre quasi- illimité de données. Au final, la décision sera prise par un homme mais qui sera pleinement informé des consé- quences futures, avec un niveau de certitudes quantifié. 107 Tous digitalisés Qui peut prétendre étre capable de prendre en compte des dizaines de feuilles Excel pour faire un choix et le faire de maniére exhaustive, dans les délais requis ? Personne. Mais une machine, oui. Plut6ét que perdre temps et éner- gie 4 accumuler, mettre en forme et tenter de donner du sens a l’information pour au final, finir dans 80 % des cas avec une décision biaisée, nous avons la possi- bilité de laisser des machines analyser toute I’informa- tion disponible dans et hors de l’entreprise, et proposer des scénarios en fonction du degré de certitude évalué. Gain de temps et confort pour le décideur final, qui peut se concentrer sur ce dans quoi il surpassera toujours la machine: étre innovant et créatif dans le choix des options. Le champ des possibles est illimité! Aujourd’hui, en fonction du profil d’un candidat on est capable de prédire sa performance & un poste donné et ce, méme s'il a un profil atypique. Toujours au rayon RH, les cinémas AMC. ont pu identifier les postes clés dans la performance de l’entreprise, postes qui n’étaient pas nécessairement ceux auxquels on pensait a priori, ce qui a permis de mettre en place des programmes spécifiques 4 destination de ces salariés. C’est ainsi que I’on a pu se rendre compte que les plus gros contributeurs 4 la marge de |’ entreprise étaient les salariés en charge de la vente de snacks et de boissons aux clients, Ailleurs, on projette d’utiliser IBM. Watson pour répondre aux questions des dirigeants lors de réunions stratégiques : quelle entreprise acheter, quelle 108 Le collaborateur digital fait exploser la structure... décision critique prendre, le tout en interrogeant I’ ordi- nateur en langage naturel et en échangeant avec lui pour améliorer la réponse. Quant au fond d’investissement hong-kongais Deep Knowledge Ventures, c’est 4 son conseil d’administration qu’il fait siéger une machine afin de proposer et valider des stratégies d’investissement. A propos de Watson... Vous l’avez peut-étre vu battre 4 plate couture les meilleurs candidats (humains) a l’émission Jeopardy,! tres populaire aux Etats-Unis. I] faut bien comprendre que Watson est l’avenir de la tache la plus chronophage et la plus fastidieuse du travail: la recherche d’information. Il y a deux maniéres de collaborer dans l’entre- prise, l'une productive, l’autre non. La collaboration productive, c’est unir les intelligences, les savoirs et les talents pour innover, réaliser, produire. La collaboration improductive, c’est partir 4 la chasse aux informations en mobilisant ses collégues, en prenant le temps de tous, pour mettre la main sur des informations qui existent quelque part mais sans que personne ne sache vraiment ou les trouver. La «bouteille 4 la mer» est le dévoie- ment des outils collaboratifs pour pallier 4 l’ineffica- cité des solutions de recherche mises 4 disposition des collaborateurs. Une pratique bientt rendue obsoléte 1. Jeu télévisé populaire aux Etats-Unis depuis 1965. Le principe: A partir de réponses, trois candidats doivent trouver la question correspondante. 109 Tous digitalisés par les technologies. Un collaborateur pourra formu- ler une question en langage naturel comme «quel est le taux de remise habituel sur... », «qui est notre expert dans la supply chain pour un projet chez un constructeur automobile, idéalement quelqu’un a I’aise dans un envi- ronnement multiculturel », et recevoir non pas un lien vers un document, mais une réponse en toutes lettres, ou une série de réponses avec le degré de certitude relatif 4 chacune. C’est la machine qui s’occupera du travail de recherche a travers le patrimoine information- nel de l’entreprise, corrélera des données, comprendra de quoi il s’agit et apportera une réponse formalisée et intelligible. Donner du sens 4 son travail Le travail a l’ére digitale sera donc construit sur trois piliers: le leadership et l’expérience, les données, et un sens nouveau dans la vie de chacun. Leadership et expérience, nous avons vu, parce que le contrat de travail n’est plus suffisant pour garantir I’enga- gement de collaborateurs en recherche de sens. Notamment pour ce qui est des nouvelles générations, souvent désa- busées par ce qu’elles ont vu du monde de I’entreprise et qui conditionnent leur engagement a des challenges nouveaux, a des logiques de développement personnel et & l’existence de valeurs réellement mises en ceuvre. 110 Le collaborateur digital fait exploser la structure... Les entreprises qui surprennent aujourd’hui par leurs résultats et leurs modes d’ organis dénominateur commun: leurs collaborateurs croient en quelque chose de supérieur. Des Google, des Apple mais également des entreprises plus traditionnelles comme WL Gore ou SEMCO au Brésil, reposent sur l’adhé- sion sans faille des collaborateurs 4 un modéle. Ces entreprises sont construites comme des églises, sur la rencontre d’une vision d'entreprise et de l’aspiration de leurs collaborateurs. Leurs employés ne se lévent pas le matin pour travailler mais pour accomplir une miss pour changer les choses, avoir un impact non seulement sur leur entreprise mais sur le client et parfois sur la société. La compétence individuelle ne vaudra que par sa capacité 4 s’exprimer au sein d’un collectif soudé par des valeurs. ition novateurs ont un ion, Les données parce qu’elles vont changer radicale- ment la maniére dont on travaille et dont on prend des décisions mais, surtout, la notion méme de travail et de nombreux métiers. Vous n’avez pas pu manquer les nombreux débats qui portent sur la place des machines dans le monde du travail: des chauffeurs de taxis aux «cols blancs» dédiés 4 des opérations de recherche ou de maniement d’information en passant par les centres d’appels, ce sont de nombreux métiers qui deviendront obsolétes demain. Seuls les métiers créatifs sont encore dans une relative sécurité, peu importe que I’on parle de nal Tous digitalisés cols bleus ou blancs. Bien sir, la révolution digitale va créer de nouveaux métiers et il importe de bien gérer la transition entre les deux époques. Nous sommes face & un enjeu d’éducation et de formation sans précédent dans notre histoire. Mais je voudrais aller encore plus loin et parler du sens du travail dans nos vies. Ne sommes-nous pas a I’aube d'un monde nouveau ot Ia place du travail dans nos vies ne sera plus jamais la méme? La prophétie de Rifkin selon laquelle nous n’aurons plus besoin, demain, que de travailler 20 heures par semaine pour produire tout ce dont I’humanité a besoin est-elle en passe de se réaliser? Qu’il s’agisse du milliardaire mexicain Carlos Slim, de Larry Page (fondateur de Google) ou de Richard Branson (Virgin), certains grands entrepreneurs se demandent si entre I’émergence de l’économie du partage et l’arrivée en force des machines intelligentes, nous ne serons pas amenés 4 moins travailler dans un futur assez proche, et si toute la frénésie que nous connaissons autour du travail aura encore un sens. Si le travail se réinvente a l’ére digi- tale, la vraie révolution sera peut-étre de nous permettre de ne faire que ce pour quoi les Hommes sont supérieurs a la machine, c’est-a-dire créer, innover et redonner du temps pour apprendre, pour se développer, pour faire ce que nous aimons. Va-t-on passer de la notion d’emploi & celle d’activité? Une chose est siire, le travail ressemblera davantage au reste de notre vie. On y réussira parce qu’on pourra y 112 é 1 ~ Toute reprodiuet Le collaborateur digital fait exploser la structure... exprimer notre singularité, s’y épanouir et s’y transfor- mer. Et, idéalement, il nous permettra de mieux profiter de nos vies. Cela va arriver vite, donc nous devons d’ores et déja nous poser la question du futur que nous voulons et comment nous voulons le construire. La révolution est 4 nos portes et les machines ont commencé a prendre les emplois des travailleurs du savoir aprés avoir pris ceux des travailleurs manuels. Il nous appartient donc de prendre les choses a bras-le-corps et de ne pas fermer les yeux devant la réalité si nous voulons tirer le meilleur des révolutions en cours et non pas subir leurs aspects les plus sombres. 113 6 L’entrepreneur: un inspirateur qui met le monde en mouvement Uentrepreneur: un inspirateur qui met le monde... ‘ai créé mon entreprise 4 18 ans — une agence de communication digitale -, en 1997, & une époque ott convaincre un banquier qu’internet allait remplacer le minitel était une gageure. Ce fut — et cela reste — une formi- dable aventure faite d’idées, mais surtout de rencontres et de challenges a relever n’ayant que mes convictions avec moi. Car, au départ, je n’avais aucune expérience de lentre- preneuriat ni aucun réseau d’anciens éléves pour me donner des conseils. Aujourd’ hui, je rencontre de nombreux entrepreneurs, des jeunes pour la plupart, afin de partager mon expé- rience avec eux. Et si j’ai une certitude, c’est qu’entre- prendre aujourd’hui et a fortiori demain n’aura rien & voir avec ce que j'ai connu il y a presque 20 ans. Pour les entrepreneurs, le digital est une vraie source dopportunités et le nombre de startups de qualité que nous avons en France est 1a pour le prouver. Tout — ou presque — est 4 réinventer et les produits ou services nouveaux que |’on peut inventer n’ont pour limite que notre imagination. Mais le digital n’est pas que synonyme d’opportunités, il demande de radicalement changer nos pratiques si l’on veut passer de la promesse 8 la réussite. Si vous lisez ce livre et que vous vous sentez une 4me d’entrepreneur, vous désirez certainement rentrer de plain-pied dans I’économie digitale. Méme si vous pensez a des secteurs plus traditionnels, gardez bien en téte que votre business model sera au moins en partie digital 117 Tous digitalisés Vous comptez fabriquer des ustensiles de cuisine? Ils seront t6t ou tard des objets connectés. Vous pensez ouvrir une sandwicherie? Sachez que si vous ne pensez pas a mieux connaitre votre clientéle, pousser des offres et proposer des « coupons » aux personnes dans votre zone de chalandise, vos concurrents, eux, le feront et détourne- ront les clients leur profit. Et si vous vous dites que vous avez le temps, repensez 4 La Redoute, les maisons de disques ou Universalis qui croyaient exactement la méme chose... Elargir sa vision et aller vite Entreprendre aujourd’hui et demain dans une économie digitale demande avant toute chose de prendre en compte un certain nombre de réalités nouvelles. Tout d’abord, votre marché est global par nature. Vos concurrents ne sont pas que régionaux ou frangais, ils sont mondiaux. Si vous avez la chance d’étre sur un secteur émergent, vous aurez peut-étre un peu de temps devant vous, le temps que des champions nationaux se consti- tuent. Mais si vous n’étes pas préts d’emblée a sortir de vos frontiéres, sachez que vos concurrents n’auront aucun scrupule a venir chez vous. Ensuite, il vous faudra étre prét a revoir 4 maintes reprises votre business model avant de trouver le bon. 118 Uentrepreneur: un inspirateur qui met le monde... A faire des «pivots». Sur des marchés vierges, tout reste A inventer; essayer implique d’accepter l’échec et de repartir dans une autre direction. Car, par définition, sur un marché global, il y a davantage de risques qu'un concurrent trouve le «bon» modéle avant vous, ce qui vous obligera a réorienter vos recherches. Dans tous les cas, vous allez devoir élargir votre périmétre d’ innovation car les marchés digitaux ont des tendances monopolistiques trés fortes. Dans l’ancienne économie, il y avait de la place pour tous — ou presque — sur un marché. La preuve en sont les dizaines de grandes marques automobiles dans le monde et, méme si toutes ne connaissent pas la méme réussite, elles réussissent toutes a trouver leur place. Ce n’est plus possible dans l'économie digitale, globalisée par nature et od les coats marginaux sont quasi-nuls, permettant des croissances rapides sans besoin d’investissement proportionnel. Si je vous parle de réseau social, qui vous vient a l’esprit ? Facebook. Ensuite? Peut-étre Google +; les microblogs: Twitter ; les biens culturel: professionnels : LinkedIn. : Amazon; les réseaux sociaux D’accord, chacun de ces réseaux a des concurrents de niche, parfois locaux, et doit compter avec un ou deux compétiteurs au niveau mondial. Mais I’écart en termes de taille et de revenus entre le premier et le deuxiéme est impressionnant. Le troisiéme est encore plus loin derriére et le quatriéme se demande de quoi son avenir sera fait hors d’un repositionnement sur un marché de niche. Il n’y a pas 119 Tous digitalisés de place dans l’économie digitale pour un troisitme ou quatriéme meilleur dans un domaine, contrairement a ce que permettait I’ économie physique. « The winner takes it all», comme le disent les Américains. Le vainqueur prend tout et ne laisse que des miettes aux autres. Toutefois, contrairement & vos prédécesseurs, vous ne serez jamais totalement seuls. Bien sir votre réussite dépendra en grande partie de vous, mais vous disposez d'outils qui vous aident 4 mettre a profit la puissance de l'économie globale et connectée. Le crowdfunding en est un exemple. Le crowdfunding vous permet de faire financer tout ou partie d’un produit ou d’un service par des internautes qui sont souvent autant de clients potentiels: s’ils inves- tissent, c’est qu’ils croient en votre projet. D’ailleurs, le plus souvent, ces personnes seront également vos premiers acheteurs. Votre enjeu — et votre chance si vous y parvenez -, c’est donc d’aller vite et d’étre capable de pivoter vite. Si vous passez des années a peaufiner votre service, il y a de grandes chances pour que quelqu’un sorte la méme innovation avant vous. Elle ne sera pas aussi parfaite que la votre, car il aura été vite mais peu importe: le public, le marché et les investisseurs auront les yeux braqués sur lui. S’il attitre une masse critique d’utilisateurs, vous avez perdu avant méme de jouer. «Si vous n’avez pas honte de votre produit, c’est que vous l’avez sorti trop 120 Uentrepreneur: un inspirateur qui met le monde... tard'. » Ayez de l’ambition mais démarrez petit et soyez prét a courir vite. Ce qui est vrai en termes de produit vaut également pour le modéle économique. Donner son produit gratuite- ment pour avoir plus de clients et augmenter son chiffre peut paraitre contre-nature et pourtant cela fonctionne. Le freemium Un modéle intéressant est celui du freemium. Vous proposez votre produit — ou en tout cas un produit mini- maliste mais fonctionnel — gratuitement et vous regar- dez l’attitude des clients, vous créez du lien avec votre communauté. Les premiers retours vous permettront de valider votre produit et de recueillir des idées pour le faire évoluer. Elles ne correspondront peut-étre pas & votre plan initial, mais gardez en téte que c’est ce dont vos clients ont besoin. Ensuite, il ne vous reste plus qu’a proposer une version payante avec des fonctionnalités avancées. Cette version premium ne touchera peut-étre que 1 % des. utilisateurs mais vous permettra d’avoir une base de pros- pects infiniment plus importante a adresser, des prospects qui sont déja des utilisateurs satisfaits et contribuent 4 votre notoriété. I. Reid Hoffmann, fondateur de LinkedIn. 121 Tous digitalisés Ainsi, le freemium est un excellent moyen d’allier l’ac- quisition d’une masse critique de clients qui vous installe sur le marché a la découverte des fonctionnalités et d’un modéle économique qui correspondent aux attentes. I] est en plus — paradoxalement — plus rémunérateur qu’un modéle payant traditionnel. Pensez-vous que 45 millions de personnes auraient payé 10 euros pour acheter le jeu Candy Crush? En aucun En revanche, en offrant le jeu gratuitement et en faisant payer pour des fonctions «bonus», il démultiplie sa cible et sa rentabilité. En effet, il suffit qu’ 1 million de joueurs sur les 45 dépensent | euro par jour pour que le modéle soit infiniment plus rentable que de vendre le jeu 10 euros 4 seulement 10 millions de personnes. Dans le cas d’applications plus «professionnelles », le freemium permet a un acteur nouveau de profiter de sa notoriété auprés du grand public pour, ensuite, péné- trer le trés lucratif mais fermé marché des entreprises. Par exemple, c’est parce qu’il disposait d’une base de millions d@’utilisateurs gratuits qu’Evernote a pu ensuite proposer des fonctionnalités payantes pour les particu- liers et pour les entreprises. Sans cette masse critique, cette clientéle disposée 4 payer n’aurait jamais fait confiance a la plateforme et n’en aurait peut-étre jamais entendu parler. Evernote n’aurait peut-étre méme pas compris ce qu’attendaient ces clients « VIP » sans sa base d’utilisateurs. D’ailleurs, tous les grands s’y mettent: des Microsoft ou IBM passent au modéle freemium pour 122 Uentrepreneur: un inspirateur qui met le monde... d’abord proposer une expérience, rencontrer le marché et ensuite seulement, identifier une population pour une offre payante. Le freemium est donc parfaitement adapté 4 l’innova- tion, & la croissance et a l’identification du modéle écono- mique le plus adapté. Favoriser I’expérience client Entrepreneur dans le digital, vous devrez également lier intimement les notions de valeur et d’expérience. Vos clients n’ont que faire des 1 million d’euros dépensés pour lancer votre produit, ils ne s*intéressent qu’A son utilité pour eux-mémes. Ils ne diront pas «¢a les vaut » en fonction de la valeur intrins¢que de votre produit et de son prix, mais en fonction de ce qu’ils en retirent. Convaincus par I’expérience proposée, ils seront davan- tage enclins a acheter, & payer plus cher et a servir d’ambassadeurs. Car aujourd’hui, vous n’établirez plus votre marketing 4 coup d’achats d’espaces publicitaires — et sfirement pas lorsque vous vous lancez, faute de moyens — mais en mobilisant votre communauté, votre tribu. Le lancement d’une entreprise, d’un service ou d’un produit dans le monde digital, est également I’ occa- sion d’identifier ceux qui y croient, ses ambassadeurs, ceux qui vont inciter leurs amis 4 l’utiliser comme eux, avec eux. 123 Tous digitalisés Vous souvenez-vous avoir vu une publicité pour Gmail ou Twitter 4 leur lancement? Posez-vous cette méme question pour chacun des services que vous utili- sez aujourd’hui... Comment I’avez-vous connu? Vous constaterez que pour la plupart, vous I’avez découvert par vos proches ou par des influenceurs, mais jamais par une communication plus traditionnelle. Vous n’allez pas construire une entreprise mais une machine a délivrer de l’expérience. Une entreprise qui s’organise par rapport a son but et non par rapport a elle- méme. Une entreprise qui pense a servir ses clients avant de construire et de faire tourner ses fonctions internes. C’est-a-dire une entreprise Design Thinking. Le Design Thinking est une approche qui renoue avec ’impéra- tif d’étre en prise avec ses clients, ses communautés. II améne a penser I’ innovation et le management en fonction de ce que le marché attend et a s’organiser en consé- quence, plutét que pousser des choses muries en interne et attendre de voir si le marché les accepte. C’est, pour étre simple, construire une entreprise pilotée par le besoin client, dynamique, qui permet aussi a I’ entrepreneur de se concentrer sur l’essentiel, sans gacher ses ressources sur des postes ou des actions inutiles. En fait, votre entreprise sera Jean ou ne sera pas. Nous vivons une époque de rareté plus que d’abondance ; la clé de la réussite est de faire Jean, simple et frugal. Mobilisez vos communautés pour créer vos produits et les faire 124 Uentrepreneur: un inspirateur qui met le monde... connaitre, avancez pas a pas, de maniére incrémentale plutét que d’attendre d’avoir le produit parfait et soyez prét a faire un virage 4 180° si la concurrence ou une opportunité nouvelle le demande. Pour cela, plus vous serez, «léger» dans votre organisation, plus vos colla- borateurs seront engagés et responsabilisés, plus ce sera simple. Cela signifie également travailler en écosystéme. Vous ne pourrez jamais tout faire seul, alors identifiez des parte- naires stratégiques et externalisez tout ce qui n’est pas essentiel 4 votre business model. Cet écosystéme sera non seulement la clé pour avancer vite, mais également, d’un point de vue commercial, pour «chasser en meute», tirer le meilleur des opportunités, voire avoir des approches conjointes sur certains sujets. Méme vos concurrents peuvent étre de précieux alliés: parfois la coopétition est préférable a I’échec, seul dans son coin, chacun de son cété. Un bon partenariat vaut mieux qu’une compétition mortiphére, surtout lorsqu’on est encore jeune et fragile. Garder l’esprit ouvert J’insiste encore une fois sur la nécessité d’étre prét & faire évoluer son produit dans une direction nouvelle, & abandonner un marché pour en prendre un autre. Cela n’atteste pas I’échec, mais au contraire, c’est une condi- tion clé de survie dans un environnement globalisé et 125 Tous digitalisés ultra-compétitif. Vous avez sans doute entendu parler de Critéo, la demire pépite des startups frangaises qui a récemment réussi son entrée en Bourse au Nasdaq, a New York. Et peut-étre avez-vous oublié qu’en 2005, a ses débuts, il s’agissait d’une plateforme de recommandation de films. Critéo a « pivoté» pas moins de 3 fois avant de trouver le business model qui I’a mené au sommet. Je vous propose maintenant un exercice qui peut s’avé- rer salutaire pour votre avenir. Prenez les 10 services que vous utilisez le plus aujourd’hui. Google, Foursquare, Facebook, Scoop.it, etc., et essayez de retrouver ce qu’ils étaient a leur lancement. Quel était leur marché ? leur busi- ness model? Que monétisaient-ils ? auprés de qui? Vous vous rendrez compte que pour les leaders d’ aujourd'hui le passé a souvent été fait de tentatives et de changements de direction. Pour réussir, l’entreprise que vous construirez devra tre en adéquation avec votre projet. Si vos équipes n’ ont pas la possibilité d’ avoir des initiatives, de devenir auto- nomes, d’étre responsabilisées et responsables, si vous ne construisez p une équipe agile, taillée pour les environnements turbu- lents. une usine & gaz, n’espérez pas obtenir Je vous renvoie au chapitre précédent, car s’il décrit la vie de vos collaborateurs, ¢’est 4 vous qu’il appartient de construire ce futur, de le rendre possible. En vous posi- tionnant en leader davantage qu’en petit chef tout puissant 126 z Uentrepreneur: un inspirateur qui met le monde... vous assurerez la pérennité de vos équipes, car le marché créera une pression tellement forte sur elles qu’elles ne pourront résister en étant prises entre le marteau et l’en- clume. Et une équipe qui explose en vol, dans les premiers mois ou les premiéres années, scelle souvent le sort de Tentreprise. Pourtant, si l’économie digitale fait naitre des contraintes et des opportunités nouvelles, elle vous donne également les moyens de vous mouvoir dans cet environ- nement. Le coat d’accés 4 la technologie n’a jamais été aussi faible et le digital vous ouvre une porte gigantesque vers l’extérieur. I] n’a jamais été aussi simple de rester en prise avec ses communautés, d’interagir avec elles, de tester des options pour ne retenir que la meilleure. Les données sont une ressource sans précédent pour connaitre et comprendre vos clients: qui sont-ils, quel est leur parcours, ot cliquent-ils, ot vont-ils cliquer... Des options qui étaient auparavant I’apanage des trés grandes entreprises sont de plus en plus facilement accessibles aux plus petites d’entre elles, qui disposent a présent d’ outils d’« intelligence » dont elles n’auraient pas osé réver il y a 5 ans a peine. Les jeunes pousses auront d’ailleurs intérét 4 se rapprocher des programmes. «startups» des grands éditeurs, IBM et Microsoft en téte, qui les accompagnent dans leur croissance et leur offrent les briques technologiques nécessaires a leur développement. 127 Tous digitalisés Quant aux outils de travail, il est aujourd’hui possible de bénéficier, pour des tarifs tres abordables, de solu- tions d’e-mails, de vidéoconférences, de collaborations, de suites bureautiques en ligne. Rien 4 administrer ou & installer, tout est dans le cloud. Vous avez tout pour tirer le meilleur de l’agilité et de l’intelligence collective de vos équipes... Pourvu que votre leadership le permette. 128 7 Apprendre: une fonction vitale dans un monde en changement Apprendre: une fonction vitale dans un monde. aintenant que vous étes arrivé a cette page, vous réalisez: que de changements! Mais que Wopportunités aussi. Comment rester a jour, pertinent, capable de suivre cette évolution frénétique et den tirer le meilleur? Comment ne pas devenir soi-méme obsoléte dans ce monde ? Effectivement, ce sont des ques- tions que nous nous posons tous. Vous n’étes pas Ie seul et, rassurez-vous, vous n’étes ni en avance ni en retard sur les autres. Le seul moyen de se préparer 4 ce monde est d’ap- prendre et d’expérimenter. L’époque ow I’on remettait ses compétences a jour tous les quinze ou vingt ans est révo- lue. Aujourd’ hui, on compte en années et les choses vont tellement vite qu’il arrive déja qu’une partie de ce qu'un jeune a appris en premiére année d’école de management ou d’ingénieur soit obsoléte lorsqu’il obtient son dipléme. L’école ne doit plus seulement nous donner certaines compétences de base mais, surtout, nous apprendre a apprendre. Toutefois le digital ne s’apprend pas seule- ment d’un point de vue «traditionnel »: il se vit, il s’ap- prend par I’expérimentation. Avez-vous appris a utiliser Google ? Facebook ? votre iPhone ? Passé l’acquisition de grands principes, c’est par l’expérimentation personnelle que I’on apprend, que l’on comprend. 131 Tous digitalisés Une nouvelle posture d’apprenant L’apprentissage devient une activité permanente, expé- rientielle, immersive, sociale... et dont nous serons les premiers responsables. Permanente, on l’a vu, car nos compétences deviennent obsolétes en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Si vous avez étudié le marketing digital en 2010 et ne vous étes pas mis a jour depuis, votre poste est déja en danger en 2015. Les recruteurs qui ont regardé les réseaux sociaux de loin en 2005 ont di, pour beaucoup, courir vite pour rattraper leur retard. Nombreux sont ceux qui se contenteront de courir derrigre le changement, mais les vrais bénéficiaires de la transformation digitale seront ceux qui seront en phase avec elle: eux seuls pourront proposer 4 leur manager une solution quand tous les autres essaieront de courir derrigre le train qui passe. Permanente également car on apprendra tout au long de la journée et de nos activités, pas uniquement lors de longues plages de temps dédiées. Une entreprise comme AXA France a ainsi proposé a ses collabora- teurs une formation en ligne, sous forme ludique et trés granulaire, dont l’objectif est qu’ils n’y passent pas plus de 5 minutes par jour. La startup frangaise 2spark a d’ailleurs construit son modéle sur un concept simi- laire: apprendre en une minute par jour de maniére a s’insérer plus facilement dans le quotidien des collabo- 132 © Dunod Apprendre: une fonction vitale dans un monde. rateurs et devenir le compagnon de leurs instants libres, de leurs pauses. Expérientielle car se pose I’ éternel probléme de l’an- crage des connaissances. Ce n’est pas parce qu’on est exposé a un savoir qu’on I’assimile. [I faut avoir envie de l’assimiler, vivre une expérience qui donne envie de rentrer dans la démarche et qui facilite cet ancrage. Le fait qu’apprendre devienne une activité en tache de fonds dans nos journées pose de nouvelles exigences : le besoin d’ apprendre — mais on le sait depuis longtemps — ne suffit plus, I’envie d’apprendre et de continuer, d’y retourner est également indispensable. S’il ne devient pas une expérience que l'on apprécie et que l’on désire renouveler, l’apprentissage n’ occupera pas la place qui devra étre la sienne dans notre quotidien, peu importe la qualité intrins¢que des contenus proposés. Immersive car l’acte d’ apprendre se confondra autant que possible avec l’acte de faire. On fait en apprenant pour ancrer, on apprend en faisant pour comprendre. Sociale car on n’apprend pas seul: on apprend par et avec les autres. On apprend en échangeant avec d’ autres sur un probléme qui se pose & nous, on développe nos savoirs en échangeant, en se posant des questions, en se stimulant. 133

Vous aimerez peut-être aussi