Automobile :

PSA va faire
son retour

L’Etat vient au secours d’Areva en Iran

▶ Le groupe nucléaire
va bénéficier
d’une augmentation
A près un an d’âpres négo-
ciations, c’est enfin si-
gné. PSA et le construc-
teur iranien Iran Khodro ont an-
noncé, jeudi 28 janvier, lors de la
de capital visite à Paris du président ira-
de 5 milliards d’euros nien Hassan Rohani, la création
▶ « Un nouveau d’une coentreprise pour déve-
lopper et produire des véhicules
départ », affirme de marque Peugeot en Iran, dès
au « Monde » Philippe 2017. Les deux sociétés se don-
nent six mois pour finaliser les
Varin, patron d’Areva détails de leur contrat d’associa-
▶ Récit d’un échec tion.
français « La signature de cet accord stra-
tégique clôt le chapitre de la pé-
→ LIR E PAGE S 2 - 3 riode des sanctions internationa-
les et permet surtout à PSA et à
Iran Khodro d’écrire une nouvelle
page de leur histoire », a com-
menté Carlos Tavares, le prési-
dent du directoire du groupe
français. Pour le PDG d’Iran
Khodro, Hashem Yekehzare, ce
partenariat permettra de « propo-
ser aux clients le meilleur de la
technologie automobile à un coût
Le président compétitif ».
du conseil Avec cet accord, PSA assure non
d’administration seulement son retour en Iran,
d’Areva, mais revisite également complè-
Philippe Varin. tement ses rapports à son parte-
FRED MARVAUX/RÉA naire. Autrefois, ce dernier
ne faisait que lui fournir contre
paiement des véhicules en piè-
ces détachées d’ancienne géné-
ration. Les deux entreprises veu-

La Deutsche Bank accusée d’utiliser un logiciel trompeur lent aller bien plus loin.
philippe jacqué
→ LIR E L A S U IT E PAGE 4

▶ Une plainte en action collective a été déposée à New York par des fonds, des multinationales et des banques centrales

E
videmment, en Allemagne, la sim-
ple évocation d’un « logiciel trom-
peur » est sensible, ces jours-ci.
Voilà que, après Volkswagen et ses gaz
polluants, la Deutsche Bank pourrait se
trouver à son tour empêtrée dans une af-
faire de ce type.
La première banque allemande, qui a
annoncé, jeudi 28 janvier, une perte his-
torique de 6,8 milliards d’euros pour
2015, est accusée par plusieurs de ses
clients d’avoir utilisé un logiciel afin de
manipuler des transactions de change à
son avantage.
Une plainte en action collective a été
déposée le 21 décembre 2015 par le cabi-
net d’avocats Hausfeld devant un tribu-
nal new-yorkais. Le document, auquel
Le Monde a eu accès, décrit une manipu-
lation très sophistiquée : les plaignants
soupçonnent la Deutsche Bank d’avoir
inséré sur sa propre plate-forme de
transactions de devises, appelée Auto-
bahn, mais également sur d’autres pla-
tes-formes du même type, un algo-
rithme permettant de différer légère-
ment un ordre passé par un client de son
exécution, afin de rejeter les opérations
susceptibles de lui être défavorables, ou
de proposer au client un prix moins bon
qu’annoncé au départ.
Le cabinet Hausfeld envisage de dé-
poser une plainte similaire devant un
400
tribunal de Londres avant l’été 2016.
Parmi les clients qu’il représente
figurent des acteurs de premier plan :
à côté de fonds d’investissement, de
fonds de pension et de groupes multi-
nationaux, plusieurs banques centrales
européennes, africaines et asiatiques MILLIONS
estiment avoir été trompées par la
banque allemande au cours de leurs C’EST LE MONTANT, EN EUROS,
transactions. p DE L’INVESTISSEMENT CONJOINT
→ LIR E PAGE 6 DE PSA ET IRAN KHODRO

MULTINATIONALES PERTES & PROFITS | APPLE-SAMSUNG

BRUXELLES RENFORCE
SON ARSENAL Extension du domaine du smartphone
DE LUTTE CONTRE
L’ÉVASION FISCALE
A
insi Apple ne ferait plus rêver. Du promesses de croissance à long terme. Il est vrai
moins les marchés financiers. Ces qu’innover dans le design et la prise en main
derniers n’ont pas voulu voir les bé- d’un rectangle noir de 100 grammes tient de
→ LIR E PAGE 5
néfices historiques enregistrés au l’exploit. Après avoir joué sur la taille de l’écran
quatrième trimestre 2015 par le groupe améri- et la forme des bords, les ingénieurs peinent à
cain. Ils se sont focalisés sur la nouvelle qu’ils at- imaginer de nouveaux produits originaux. Le
BANDE DESSINÉE tendaient depuis longtemps : le ralentissement smartphone est indispensable, mais il ne fait
CLAUDE des ventes d’iPhone, annoncé pour 2016. Dans
un même ensemble, comme satisfaits d’avoir
plus rêver, alors que cent trente ans après son
invention, l’automobile sait encore créer de 220 PAGES

DE SAINT VINCENT, eu enfin raison, ils ont fait chuter le cours de

Bourse de plus de 6 % mercredi 27 janvier.
L’ÉDITEUR QUI A SECOUÉ Ils ont été plus indulgents envers Samsung.
L’action du groupe sud-coréen n’a perdu que
LE 9E ART 2,55 % à la Bourse de Séoul, jeudi 28 janvier. Il a
pourtant, lui, reconnu une chute de son béné-
→ LIR E PAGE 8 fice net de près de 40 %. Et ses perspectives sont
tout aussi moroses pour 2016. Mais ce n’est pas
la première fois que Samsung déçoit.
Popularisé en 2007 par Apple, le smartphone,
qui a apporté la révolution Internet dans des
milliards de poches, semble donc avoir atteint
ses limites. Il s’en est vendu plus de 1,4 milliard
d’exemplaires rien qu’en 2015, selon le cabinet
IDC, et la croissance future ne devrait plus être
que de quelques pour-cent par an. Moins de dix
ans après son émergence, il rejoint l’automo-
J CAC 40 | 4366 PTS – 0,31 % bile et les ordinateurs au rang des produits de
J DOW JONES | 15 944 PTS – 1,38 % grande consommation à croissance modérée.
l’émotion chez ses acheteurs potentiels. 12 €
Banalisation de l’objet
Mais ce serait une erreur de ne voir, dans cette
banalisation de l’objet, que la fin d’une histoire.
Comme cela fut le cas du chemin de fer ou du
téléphone, c’est au contraire à partir de son dé-
ploiement massif qu’une autre page peut
s’ouvrir. Celle de la fameuse société de l’accès,
théorisée par Jeremy Rifkin. D’abord en trans-
formant des biens matériels en services, un lo-
giciel, une musique, une voiture, n’ont plus be-
soin d’être achetés, ils sont accessibles partout,
tout le temps, grâce à au smartphone. Ensuite,
en s’attaquant au chantier de la productivité
des services eux-mêmes, des loisirs à la santé
ou aux transports, comme le montre toute
l’économie qui s’est déployée autour du GPS.
Pour Apple, la bonne nouvelle est que son ac-

j EURO-DOLLAR | 1,0878
j PÉTROLE | 33,20 $ LE BARIL
K TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,73 %
VALEURS AU 28/01 - 9 H 30
D’où l’inquiétude des analystes sur la valorisa-
tion stratosphérique d’une société comme Ap-
ple, encore dépendante de ses ventes d’iPhone.
D’où l’inquiétude aussi des économistes, qui
voient dans ce rapide atterrissage les prémices
de la fin de la révolution numérique et de ses
tivité service est celle qui connaît la croissance ANALYSEZ 2015 // DÉCHIFFREZ 2016
la plus forte. La moins bonne, c’est qu’il n’y re-
trouvera jamais les mêmes niveaux de marge
qu’avec les ventes d’iPhone. Ce sera alors peut-
être la fin d’une anomalie. p
philippe escande

Cahier du « Monde » No 22095 daté Vendredi 29 janvier 2016 - Ne peut être vendu séparément
2 | économie & entreprise 0123
VENDREDI 29 JANVIER 2016

NUCLÉAIRE

Areva
Un échec
français
Le rachat de la filiale « réacteurs »
du groupe par EDF a été approuvé
mercredi 27 janvier. Comment
l’ancien numéro un mondial
du nucléaire en est-il arrivé là ?

RÉCIT Areva a dégagé des bénéfices en-

tre 2002 et 2010. L’impéritie de

C’
est un chapitre de la
longue saga nu-
cléaire qui se ferme.
Le conseil d’admi-
nistration d’EDF a approuvé, mer-
credi 27 janvier, le rachat
d’Areva NP, la filiale du groupe nu-
cléaire chargée de la fabrication et
de la maintenance des réacteurs –
suivi dans la foulée par le conseil
d’Areva. Qui aurait pu imaginer,
lors de sa création en 2001,
qu’après être devenu le nu-
méro un mondial du secteur,
Areva serait synonyme de fiasco
industriel et financier – même si
le groupe conserve des équipes
d’ingénieurs à l’expertise mon-
dialement reconnue ?
Il y a quinze ans, tous les indus-
triels de l’atome civil n’étaient pas
convaincus de la pertinence d’un
groupe intégré mariant les deux
grands métiers de la filière : le cy-
cle du combustible (extraction et
enrichissement de l’uranium,
traitement-recyclage des déchets),
jusque-là assuré par la Cogema, et
la conception, la fabrication et la
maintenance des réacteurs nu-
cléaires, dévolues à Framatome.
Ces deux entreprises auraient pu
continuer à exister seules.
Pilotée, depuis le sommet de
l’Etat, par Jacques Chirac à l’Elysée
et Lionel Jospin à Matignon, Areva
devait être une de ces belles réussi-
tes industrielles qui font la gloire
de l’Etat stratège. Là où les diri-
geants d’Airbus, de Thales et de Sa-
fran ont réussi dans l’aéronautique
et la défense, ceux d’Areva ont
commis des erreurs stratégiques
qui conduisent aujourd’hui à son
démantèlement.
Il est de bon ton de faire porter
l’entière responsabilité de cet
échec à Anne Lauvergeon, qui a ré-
gné sur Areva de 2001 à 2011, avant
de trouver une « nouvelle vie »
dans l’innovation et le développe-
ment des objets connectés. De rire
de son « modèle Nespresso » con-
sistant à vendre la cafetière (la
centrale) et les dosettes (le com-
bustible et son retraitement). Il
avait du sens à un moment où les
pays cherchant à se doter de
l’énergie nucléaire pouvaient être
demandeurs d’une offre inté-
grant équipements et services.
l’Etat actionnaire a aussi joué son
rôle dans une déroute amplifiée
par la catastrophe de Fukushima
en mars 2011, qui a fait perdre au
groupe de juteux contrats au Ja-
pon et en Allemagne. Et par l’essor
des gaz de schiste, qui a entraîné
l’arrêt de la construction de cen-
trales nucléaires aux Etats-Unis.
Il n’en demeure pas moins que
celle que les Américains appe-
laient « Atomic Anne », alors pré-
sentée comme l’une des femmes
les plus puissantes du monde,
porte une lourde part de respon-
sabilité. Car en dépit d’un conseil
de surveillance où siégeaient des
membres de l’Agence des partici-
pations de l’Etat, sa « très forte per-
sonnalité », selon l’expression des
magistrats de la Cour des comptes,
l’a conduite à une forme d’exercice
solitaire du pouvoir. Et à ce qu’ils
ont eux-mêmes dénoncé comme
une véritable « fuite en avant ». De
nombreux mails internes publiés
dans la presse, y compris par Le
Monde, attestent qu’il était diffi-
cile de lui résister. Comme l’illus-
trera l’affaire UraMin.
Le fiasco finlandais L’erreur fon-
datrice de Mme Lauvergeon a été
sa stratégie finlandaise en soli-
taire. En 2003, la présidente du di-
rectoire est convaincue qu’Areva
peut reprendre à EDF le lea-
dership que l’électricien avait C’est le début d’une guerre avec juin 2007, pour 1,8 milliard le cours de l’uranium est au plus
acquis comme maître d’œuvre
Pilotée depuis EDF : feutrée sous la présidence de d’euros, pèsera également très haut et les mines hors de prix. Il
du programme électronucléaire l’Elysée, Pierre Gadonneix (2005-2009), lourd, même si ce risque-là a été s’avérera que Mme Lauvergeon a
français lancé en 1973. En dehors ouverte et sans merci sous celle circonscrit dès 2011-2012 par Luc tout fait pour tirer rapidement les
de la Chine, EDF n’a plus la main,
Areva devait être de son successeur, Henri Proglio. Oursel, successeur de Mme Lau- conséquences comptables de
et Areva veut prouver, à travers l’une de ces La filière tricolore se déchire sous vergeon. Il est vrai que, au milieu l’opération et déprécier des actifs.
l’EPR Olkiluoto 3, sa capacité d’ar- l’œil d’une communauté nu- des années 2000, des menaces L’affaire est si ténébreuse et les
chitecte-ensemblier.
belles réussites cléaire internationale abasourdie pèsent sur l’approvisionnement sommes en jeu si importantes
Pour arracher le marché à ses industrielles par cette lutte aussi fratricide que de la France en uranium : baisse que la Cour des comptes a trans-
concurrents américains, Mme Lau- dangereuse, au moment où la des réserves au Niger et renouvel- mis l’affaire au parquet national
vergeon signe un contrat clés en
qui font la gloire concurrence s’aiguise sur le mar- lement incertain de la conven- financier, qui a diligenté une ins-
main, s’engageant sur un devis de l’Etat stratège ché mondial. Fin 2009, la France tion minière avec Niamey ; épui- truction en cours.
(3 milliards d’euros) et des délais perd le marché d’Abou Dhabi et sement programmé des stocks
intenables pour ce premier EPR ses 20 milliards de dollars au pro- militaires ; arrêt de la mine cana- Les coûteuses éoliennes La di-
construit. Or, les pénalités de re- croix pour ses gestionnaires. Il fit de la Corée du Sud, et les ex- dienne de Cigar Lake, en raison versification d’Areva dans les
tard n’étaient pas limitées dans le s’est déjà soldé par 4,6 milliards perts estiment que les conditions d’une inondation majeure ; énergies renouvelables (éolien,
temps ni plafonnées. « Une bombe d’euros de provisions, qui pour- financières privilégiées des Co- échec de l’achat d’une mine solaire à concentration, bio-
à retardement », dit Jean Syrota, raient s’alourdir en 2015, et fait réens n’expliquent pas seules une géante en Australie. masse) s’est révélée être une troi-
l’ex-patron de la Cogema, que l’objet d’une procédure d’arbi- déroute aussi imputable au délite- C’est l’argument que Mme Lau- sième erreur, selon certains ana-
Mme Lauvergeon avait remplacé trage internationale avec son ment de la filière française. vergeon avancera pour justifier lystes, persuadés qu’elle devait
en 1999. Dès le début du chantier client, Teollisuuden Voima Oyj l’acquisition d’UraMin (et les cen- rester sur son cœur de métier.
en 2005-2006, les coûts et le ca- (TVO). Areva, qui réclame 3,6 mil- La ténébreuse « affaire Ura- taines de millions d’investisse- Mme Lauvergeon veut qu’Areva of-
lendrier dérapent, transformant liards à TVO, pourrait y laisser en- min » L’acquisition de la société ments supplémentaires sur son fre une gamme de solutions éner-
ce projet en véritable chemin de core plus de 2,5 milliards. minière canadienne UraMin, en gisement de Namibie), alors que gétiques sans CO2 et croit à la tran-

Cinq milliards pour recapitaliser un groupe en grande difficulté

L’Etat participera « pour une très grande part » à cet apport d’argent frais rendu nécessaire par les échéances qui attendent Areva d’ici trois ans

L e président de la Républi-
que, François Hollande, a
tranché, mercredi 27 janvier,
au cours d’une réunion à l’Elysée
avec les ministres concernés :
Areva bénéficiera d’une augmen-
tation de capital de 5 milliards
d’euros en grande partie assurée
par l’Etat. Cet apport d’argent frais
doit permettre au groupe nu-
cléaire en grande difficulté, recen-
tré sur le cycle du combustible (ex-
traction et enrichissement de
l’uranium, traitement-recyclage
des déchets radioactifs, démantè-
lement des centrales), de faire face
à des remboursements immi-
nents (1 milliard en septembre) et
de poursuivre son activité dans un
environnement post-Fukushima.
Le conseil d’administration
d’Areva a approuvé l’opération
mercredi. « L’Etat y participera en
tant qu’actionnaire de référence et
en assurera le plein succès, dans le
respect de la réglementation euro-
péenne », indique l’entreprise
dans un communiqué. A quelle
hauteur ? « Pour une très grande
part, puisqu’il souhaite évidem-
ment garder un contrôle fort sur le
nouvel Areva », précise-t-on dans
l’entourage du ministre de l’éco-
nomie, Emmanuel Macron. Parmi
les actionnaires minoritaires sus-
ceptibles d’y souscrire figurent le
fonds souverain koweïtien KIA,
déjà actionnaire, et China Natio-
nal Nuclear Corporation (CNNC),
partenaire industriel d’Areva.
Urgence
L’opération était devenue urgente,
puisque la cession d’Areva NP
(réacteurs) et le plan d’économies
de 1 milliard d’ici à 2017 ne suffi-
saient pas à combler des besoins
de financement estimés par ses di-
rigeants à 7 milliards pour les trois
prochaines années. Des besoins
qui seront revus à la hausse, le
25 février, à l’occasion de la publica-
tion des résultats annuels annon-
cés en baisse après un exer-
cice 2014 calamiteux (– 4,8 mil-
liards). Les besoins se sont accrus
avec de nouvelles provisions sur le
chantier finlandais du réacteur
EPR d’Olkiluoto (OL3) et ses activi-
tés dans les énergies renouvela-
bles (solaire, éolien), et un dépasse-
ment du devis du projet Cigeo de
stockage souterrain des déchets
hautement radioactifs.
Le même jour, le conseil d’admi-
nistration d’EDF a approuvé
l’autre volet du plan de sauvetage
d’Areva : une offre de 2,5 milliards
pour Areva NP, l’activité de cons-
truction et de maintenance des
réacteurs. Des clauses prévoient
un apport supplémentaire de
350 millions maximum, si ces ac-
tivités dégagent de meilleurs ré-
sultats que prévu en 2017-2018, et
une légère baisse du prix si les pro-
fits ne sont pas au rendez-vous.
Avant de faire une offre défini-
tive, EDF attend le résultat des né-
gociations entre Areva et son
client Teollisuuden Voima Oyj sur
le règlement du passif d’OL3. Il en-
trera en service avec au moins
neuf ans de retard, et son coût a été
multiplié par près de trois (8 mil-
liards). Lui-même confronté à
d’importants défis, notamment le
bouclage financier des deux EPR
d’Hinkley Point au Royaume-Uni
(24,5 milliards), le groupe d’électri-
cité a prévenu qu’il ne ferait pas
d’offre engageante sur Areva NP
avant de connaître le « dispositif
d’immunisation » contre « les coûts
et les risques » d’OL3. p
j.-m. b.
0123
VENDREDI 29 JANVIER 2016
sition énergétique vers une éco-
nomie bas carbone.
Dès 2004, elle tente d’acquérir à
bon prix le danois Bonus Energy.
L’Etat ne la suit qu’en 2007, quand
elle met la main sur l’allemand
Multibrid. Mais cette activité
brûle beaucoup de « cash », et
Areva est en concurrence avec un
autre français, Alstom, allié à EDF
pour répondre aux appels d’offres
français sur l’éolien en mer.
En 2014, Areva doit partager le ris-
que avec le fabricant espagnol
d’éoliennes Gamesa dans le cadre
de la coentreprise Adwen.
Une recapitalisation tardive
L’Etat n’a pas joué son rôle. Après
avoir promis une ouverture du ca-
pital en 2004, il y renonce en 2005.
Puis il diffère la recapitalisation,
qui n’interviendra qu’en 2010 et
pour 900 millions d’euros seule-
ment, avec l’aide du Koweït.
Un an plus tôt, le gouvernement
avait obligé Areva à céder à Alstom
et Schneider Electric sa lucrative
activité de transmission et distri-
bution d’électricité (T&D). L’opéra-
tion fait entrer 4 milliards d’euros
dans les caisses d’Areva, tout en
privant l’entreprise d’une activité
venant
de choc
Les travaux de l’EPR
d’Olkiluoto 3,
en Finlande, durent
depuis plus de dix ans.
CORENTIN FOHLEN/DIVERGENCE
qui assure une bonne part de ses
bénéfices. Il faudra attendre 2016
pour que l’Etat finisse par accorder
à Areva une forte augmentation
de capital… pour assurer sa survie.
Le coup de massue de
Fukushima La catastrophe sur-
vient en mars 2011, alors qu’Areva
est entré dans les turbulences
depuis plus d’un an. Elle fait
souffler un vent glacial sur le sec-
teur et retarde des projets, sans
pour autant tuer l’industrie nu-
cléaire. Areva a alors l’ambition
de vendre dix réacteurs EPR à
l’horizon 2016.
Depuis 2007 et la commande de
deux réacteurs par la Chine, le
groupe n’a plus vendu aucun EPR.
Et EDF a aujourd’hui les plus gran-
des difficultés à boucler le finan-
cement de 24,5 milliards d’euros
pour sa centrale d’Hinkley Point
(Royaume-Uni). A partir de 2011,
le groupe enchaînera les exercices
déficitaires, avec un record
en 2014, où la société affiche une
perte abyssale de 4,8 milliards. Et
ses dirigeants ont prévenu que
2015 se soldera encore par une
« forte perte ». p
jean-michel bezat
LES CHIFFRES
20 000
Le nombre de salariés que
comptera le « nouvel Areva ».
Il emploie actuellement
42 000 personnes dans
le monde, toutes activités
confondues
5 MILLIARDS
Le chiffre d’affaires d’Areva,
en euros, dans le cycle du com-
bustible. L’ensemble du groupe
affichait 8,3 milliards en 2014
8 MILLIARDS
Les pertes accumulées
par Areva, en euros, au cours
des cinq dernières années
Philippe Varin : « Le monde
a besoin du nucléaire »
Le président du conseil d’administration d’Areva estime que la
recapitalisation permet au groupe de « prendre un nouveau départ »
ENTRETIEN
P hilippe Varin, président du
conseil d’administration
d’Areva, explique dans un
entretien au Monde la place qu’oc-
cupera désormais le groupe dans
la filière nucléaire française après
la vente de son activité « réacteurs
et services » à EDF pour 2,5 mil-
liards d’euros. Areva restera, selon
lui, un pilier de cette industrie,
notamment grâce à une augmen-
tation de capital de 5 milliards
d’euros largement souscrite par
l’Etat, mais aussi par des partenai-
res minoritaires.
EDF vient d’approuver le rachat
d’Areva NP. C’est la fin d’une
grande entreprise intégrée.
Le regrettez-vous ?
Le chef de l’Etat et le gouverne-
ment ont pris deux décisions, le
3 juin 2015, pour refonder la filière
nucléaire : placer les grands pro-
jets et la fabrication des réacteurs
sous la responsabilité d’EDF ; et
recentrer Areva sur le cycle du
combustible tout en lui donnant
les moyens de son développe-
ment. Je suis très satisfait. Areva
va pouvoir prendre un nouveau
départ et développer sa stratégie
de croissance. Et toute la filière
française en sortira renforcée.
L’augmentation de capital
soutenue par l’Etat s’élève
à 5 milliards d’euros. C’est
un effort considérable,
mais est-il suffisant ?
Oui, l’Etat actionnaire est prêt à
faire un effort considérable. C’est
une étape-clé. J’avais indiqué que
nos besoins de financement d’ici à
la fin 2018 s’élevaient à 7 milliards
d’euros. Cette augmentation de
capital va nous assurer une liqui-
dité sur les trois prochaines an-
nées, si l’on y ajoute le produit de
la cession d’Areva NP et nos pro-
pres efforts sur la maîtrise des
coûts. Areva va d’abord consolider
son socle d’activités et son direc-
teur général, Philippe Knoche, est
en train de rendre la société plus
agile, plus simple, plus rentable.
Cela passe par des ajustements
d’effectifs, dans le cadre d’un ac-
cord approuvé par quatre syndi-
cats représentant les trois quarts
des personnels. Je tiens à saluer
leur attitude très responsable.
Cette consolidation passe aussi
par un renforcement des rela-
tions commerciales avec EDF,
avec qui nous allons signer des
contrats dans les semaines à ve-
nir. Nous aurons alors une bonne
visibilité de notre chiffre d’affai-
res sur sept ans. Sur ce socle,
Areva va pouvoir développer une
stratégie ambitieuse sur les mar-
chés en croissance, notamment
en Chine. Le groupe est, dans tous
nicolas demorand
le 18/20
15 un jour dans le mond
18:15 monde
19:20 le téléphone sonne
économie & entreprise | 3
« L’Etat
actionnaire est
prêt à faire
un effort
considérable »
ses métiers de la mine, de l’enri-
chissement ou du recyclage, dans
le top 3 mondial. Il a beaucoup in-
vesti ces dernières années [enri-
chissement, conversion…] et dis-
pose des capacités pour répondre
à l’augmentation attendue de la
demande.
Le nucléaire est de plus
en plus coûteux, une énergie
renouvelable comme le solaire
est désormais compétitive
dans certains pays.
Cette demande sera-t-elle
au rendez-vous ?
J’ai la conviction que le monde a
besoin du nucléaire et que la
France a les meilleurs atouts
pour y tenir son rang. A l’hori-
zon 2030, la production mon-
diale d’électricité augmentera de
50 % avec la croissance des be-
soins. Dans le même temps, la
COP21 a prévu un objectif de
baisse de 50 % des émissions de
gaz à effet de serre en 2050. Le dé-
veloppement du nucléaire est la
clé pour répondre à ce défi. La
puissance installée nucléaire re-
présente environ 400 gigawatts
(GW), soit 11 % de la capacité mon-
diale. Elle va progresser de 50 %
dans les quinze ans à venir, et la
Chine comptera pour la moitié de
cette augmentation.
Le monde asiatique et plus gé-
néralement les pays émergents
misent sur le nucléaire. Le Japon
vient d’annoncer qu’il assurera
20 % de sa production d’électri-
cité. De nouveaux projets émer-
gent au Moyen-Orient et en Afri-
que du Sud. La France a le bon mix
énergétique, du nucléaire pour
assurer la production de base et
des renouvelables [surtout de l’hy-
draulique]. Elle a aussi les moyens
et les acteurs capables d’accompa-
gner ce développement.
Même face à des pays
concurrents dont les
entreprises arrivent avec
le financement des projets ?
La France a mis au point une for-
mule de refinancement compéti-
tif qui va être testée sur les futurs
grands projets.
Le dossier de l’EPR finlandais
n’est toujours pas réglé.
Etes-vous optimiste sur un
accord avec votre client TVO ?
Je suis optimiste, mais aussi réa-
liste. Nous sommes en arbitrage
d’Arnaud Leparmentier
dans un jour dans le monde
avec TVO, qui nous réclame
2,6 milliards d’euros, alors que
nous lui demandons 3,4 milliards.
Mais cela n’a pas d’incidence sur
la performance du chantier d’Olk-
iluoto 3 (OL3), qui se déroule bien
depuis un an. Nous allons entrer
dans la phase des essais du réac-
teur. Dans les négociations sur la
cession d’Areva NP, EDF a exprimé
le souhait très légitime de ne pas
être exposé au risque OL3. De son
côté, TVO veut que le chantier se
termine dans les meilleures con-
ditions. Il faut concilier les diffé-
rents points de vue. Nous n’y
sommes pas encore. Ce que je
peux dire, c’est que l’Etat est très
déterminé à mener à bien la réor-
ganisation de la filière nucléaire.
Est-ce que vous allez vous
ouvrir, comme prévu, à votre
partenaire chinois China
National Nuclear Corporation
(CNNC) ? Et à d’autres
investisseurs ?
En novembre 2015, nous avons
signé un accord avec CNNC, qui
est le grand acteur chinois dans le
cycle du combustible. Il renforce
notre partenariat industriel, no-
tamment dans le traitement-re-
cyclage des combustibles et des
déchets. En complément, CNNC
pourrait prendre une part mino-
ritaire dans le capital d’Areva,
l’Etat français restant bien en-
tendu largement majoritaire.
L’intérêt de la France est de parti-
ciper au développement du mar-
ché chinois qui, je le rappelle, va
être le premier du monde ; l’inté-
rêt de la Chine, qui construit de 6 à
10 réacteurs par an, est d’accéder
aux meilleures technologies. Par
ailleurs, nous renforçons nos
liens privilégiés et historiques
avec le Japon.
Pensez-vous qu’avec ces
décisions la filière française
soit sortie de l’hiver nucléaire ?
Les Chinois disent : « L’hiver ne
dure que jusqu’au printemps. »
La filière se tourne vers l’avenir,
oui. C’est important, car le nu-
cléaire est la troisième filière in-
dustrielle française, avec plus de
150 000 emplois directs et
400 000 emplois au total. On at-
tend beaucoup de l’« équipe de
France du nucléaire ». Cela de-
vient une réalité entre EDF, Areva
et le Commissariat à l’énergie
atomique. Nous allons désor-
mais mieux nous coordonner
dans l’innovation et la recherche
et développement, la stratégie de
conquête à l’international, la
mise en œuvre des standards de
sûreté. Il est essentiel de faire
baisser les coûts des centrales
tout en respectant de strictes nor-
mes de sûreté. p
propos recueillis par j.-m.b.
avec les chroniques
et d’Alain Frachon
de 18 :15 à 19 :00
4 | économie & entreprise 0123
VENDREDI 29 JANVIER 2016

Alstom fait face à de nouveaux défis

Délesté de l’énergie et recentré sur les transports, le groupe est confronté à la concurrence asiatique

C’
est la fin d’un long
feuilleton et le début
Le français
d’une nouvelle ne part pas sans
aventure. Jeudi
28 janvier, Alstom devait conclure
atouts, avec un
le recentrage de son activité sur chiffre d’affaires
les transports. Après la cession de
ses activités dans l’énergie à Ge-
de 6,1 milliards
neral Electric (GE), le PDG du d’euros
groupe Alstom, Patrick Kron, de-
vait tirer sa révérence ce même
jour, et laisser la place à Henri Par ailleurs, Alstom diversifie
Poupart-Lafarge, le nouveau PDG, ses investissements sur tous les
déjà aux manettes de la division continents, à l’image de la mon-
transports depuis mi-2011. tée au capital en décembre du
Les défis qui se présentent à ce groupe russe Transmashholding,
polytechnicien sont considéra- qui lui donne un accès direct à ce
bles. Le secteur ferroviaire tra- marché ou la création de coentre-
verse une période de mutation prises en Afrique du Sud, en Algé-
avec la montée en puissance des rie ou au Kazakhstan.
grands constructeurs asiatiques :
le chinois CRRC, premier groupe Succès commerciaux
mondial, qui vient de gagner un Si toutes ses usines ne tournent
premier appel d’offres sur le pas à 100 % de leurs capacités, le
Vieux Continent, en Hongrie, le constructeur de matériel ferro-
japonais Hitachi, qui a racheté viaire accumule les succès com-
en 2015 l’Italien Ansaldo, et le co- merciaux. En 2015, le groupe a ré-
réen Hyundai Rotem. colté 8 milliards de commandes L’usine Alstom
Face à ces concurrents de plus nouvelles : trains régionaux en du Creusot
en plus pressants, Alstom ne part Belgique ou en Allemagne, trains (Saône-et-Loire)
pas sans atouts. C’est l’un des ra- à grande vitesse en Italie, locomo- fabrique
res spécialistes des transports qui tives en Inde et en Suisse, tram- du matériel
propose l’ensemble des matériels, ways à Nice ou extension du mé- ferroviaire.
de la locomotive de fret au tram- tro de Panama. Aux Etats-Unis, HAMILTON/REA
way en passant par le TGV ou les Alstom devrait être choisi pour
infrastructures de transports… fournir le nouveau matériel de
Mieux, son chiffre d’affaires pro- l’Acela, le TGV qui circule entre
gresse, à quelque 6,1 milliards Boston et Washington. pour Alstom est de transformer ces le groupe peine à faire tourner ses Cette année, il devra en revan- péen, où il réalise 70 % de son
d’euros sur le dernier exercice, Le groupe dispose d’une visibi- commandes en bénéfices. » Avec usines, car les contrats internatio- che batailler pour remporter les chiffre d’affaires.
tandis que sa dette a fondu. Il peut lité de quatre ans et demi d’activité 5,6 % de marge opérationnelle, il naux qu’il engrange nécessitent appels d’offres pour le RER nou- Cependant, une fusion avec
également compter sur une pour ses usines et ses bureaux ne fait pas aujourd’hui figure de souvent une production locale. velle génération en Ile-de-France Bombardier poserait des ques-
soulte de 2,4 milliards d’euros, d’études à travers le monde. « C’est premier de la classe. Son concur- Dans l’Hexagone, il est cependant ou les futurs trains Intercités, né- tions difficiles à résoudre au ni-
qu’il récupérera de la part de GE un carnet de commandes sain et rent allemand, Siemens, dégage assuré de développer le TGV du cessaires pour maintenir l’acti- veau de la concurrence sur le
en 2018 en échange de la cession qui continue à grossir, relève Ber- dans le transport 7 % de marge. futur en coopération avec vité de ses sites, en attendant les Vieux Continent, ou au niveau so-
de ses participations dans trois trand Mouly-Aigrot, du cabinet Ar- En France, où les commandes de l’Ademe, ce qui occupera ses bu- appels d’offres pour les nouvelles cial. La France est-elle prête à sa-
coentreprises d’énergie. chery Strategy Consulting. L’enjeu la SNCF ou des régions stagnent, reaux d’études. lignes du Grand Paris. crifier de nouveaux sites indus-
A moyen terme, l’entreprise va triels ? Pas sûr.
aussi devoir se poser la question « Il existe des scénarios alterna-
La famille Poupart-Lafarge, incubateur de PDG de sa taille. Par rapport à ses con-
currents, et notamment CRRC,
tifs à une grande fusion, relève
Bertrand Mouly-Aigrot. On pour-
dont le chiffre d’affaires dépasse rait imaginer des acquisitions ci-
« ne faites donc pas de portrait, ce ciétés sœurs, deux « champions natio- qué dans les questions techniques, constate les 20 milliards d’euros et qui se blées dans la signalisation et le
sera mieux. Dites juste que j’adore le ferro- naux » malmenés par la crise. William Emmanuel, de la société de conseil développe à l’international, le contrôle-commande. » Après
viaire. » Henri Poupart-Lafarge ne cherche Si la famille est devenue un incubateur de ZoneFinance. Son frère Henri a un profil français reste modeste sur un avoir repris depuis 2014 les divi-
pas la lumière. A 46 ans, l’homme qui prend PDG, cela tient sans doute à Olivier, le père plus généraliste, plus politique. » marché évalué à 120 milliards sions signalisation d’Areva et GE,
cette semaine la tête d’Alstom est prêt à par- d’Arnaud et Henri. Une figure du capita- Cet ingénieur est passé par le Trésor et le d’euros par an. Alstom souhaiterait en effet re-
ler des heures des TGV, du « footprint indus- lisme tricolore, pilier du groupe Bouygues, cabinet du ministre de l’économie Jean Ar- Comment faire, dès lors, pour prendre celle de Thales. Ce der-
triel » et de la « never-ending story » du dont il a été numéro deux jusqu’en 2008. Il thuis, lorsque Alain Juppé était premier mi- croître ? Un rapprochement avec nier n’est cependant pas ven-
groupe – son passage à Washington en dé- investit aujourd’hui dans des start-up. nistre, avant d’entrer chez Alstom en 1998. Il un autre acteur est le plus évident. deur. L’Etat devrait soutenir
but de carrière a laissé des traces. Ses mains y a occupé plusieurs postes financiers, jus- De nombreux scénarios sont ana- l’opération.
virevoltent pour appuyer son propos. Sur Négocier avec son père qu’à en devenir grand argentier. En 2006, lysés, comme racheter un petit ac- « Alstom pourrait également ac-
lui-même, en revanche, discrétion totale. Sur ses cinq enfants, quatre sont dans les quand Bouygues est devenu le premier ac- teur national pour s’assurer un quérir des sociétés dans les services
Pas de portrait, donc, mais un constat. affaires. Les deux passés par Polytechnique tionnaire, il négocie avec son père, son ho- accès privilégié à un marché, ou et la maintenance, reprend le con-
Avec sa nomination, deux des plus grands dirigent des groupes industriels. Arnaud, mologue dans le groupe de BTP… tenter la fusion avec l’un de ses sultant. Cela apporte des revenus
groupes français sont désormais dirigés l’aîné, a fait carrière chez Usinor, devenu Des turbulences d’Alstom, il a tout connu, grands concurrents, Siemens ou récurrents quand les ventes de ma-
par des Poupart-Lafarge : Alstom par Henri, Arcelor puis ArcelorMittal, avant d’être ap- les succès et les crises, les ventes d’actifs. Il Bombardier. tériel neuf baissent. Et ces secteurs
le fabricant de câbles Nexans par son grand pelé à la rescousse pour aider le patron de devient patron d’une société recentrée sur Alstom a déjà refusé le premier, évoluent fortement grâce au nu-
frère Arnaud. Situation d’autant plus frap- Nexans à redresser la barre. Quand les ac- les transports, et dont le bilan a été regonflé. en 2014. En revanche, il est cultu- mérique. » Alstom croit en parti-
pante que ces entreprises sont issues du tionnaires ont écarté le PDG, il a pris sa re- « Avant j’avais une maison mère ruinée, rellement proche du second. culier au développement de la
démantèlement de la Compagnie générale lève, en 2014. Depuis, il restructure sans maintenant j’ai un pot de cash », s’amuse-t-il Avec le canadien Bombardier, « maintenance prédictive », en
d’électricité, l’un des plus puissants conglo- cesse pour endiguer les pertes. en privé. Avec l’espoir, comme son frère, de Alstom pourrait renforcer sa pré- s’appuyant sur des systèmes de
mérats de l’histoire française. Deux frères « Arnaud Poupart-Lafarge est très focalisé maintenir l’indépendance du groupe. p sence internationale, et réduire capteurs et sur le big data. p
se retrouvent aux commandes de deux so- sur les changements industriels, très impli- denis cosnard sa dépendance au marché euro- philippe jacqué

PSA signe son grand retour en Iran

Dans le cadre d’une coentreprise avec Iran Khodro, le constructeur automobile va produire des véhicules Peugeot sur place dès 2017

suite de la première page
Avant l’établissement de la nou-
velle coentreprise, PSA reprendra
certes les exportations de pièces
et de véhicules en pièces déta-
chées. Mais veut surtout rééditer
le succès de DPCA, sa coentreprise
chinoise avec Dongfeng. Le fran-
çais et l’iranien se sont donc en-
tendus pour investir conjointe-
ment jusqu’à 400 millions euros
d’ici à cinq ans. Une partie de ces
dépenses seront consacrées à la
recherche et développement, me-
née en France.
Au deuxième semestre 2017, la
coentreprise franco-iranienne
produira dans une usine installée
à Téhéran jusqu’à 200 000 véhi-
cules de marque Peugeot (208,
2008 et 301). Quelque 70 % des
pièces des nouveaux véhicules se-
ront produites sur place pour li-
miter au maximum les coûts.
L’accord prévoit également
d’autoriser la nouvelle coentre-
prise à exporter sa production
dans l’ensemble du Moyen-
Orient.
Parallèlement, PSA négocie l’ins-
tallation de Citroën, son autre
marque généraliste. Mais, cette
fois, ce sera avec un autre parte-
naire local, Saipa, qui travaille déjà
avec Renault. « Les négociations
sont toujours en cours », précise-
t-on au siège du groupe.
Après la levée des sanctions con-
tre l’Iran, PSA est le premier cons-
tructeur international à annoncer
un accord industriel d’une telle
ampleur. A l’automne 2015, le
groupe avait officialisé le lance-
ment sur place de sa marque haut
de gamme DS avec un importateur
local. Mais cet accord n’a aucun ca-
ractère industriel.
Le retour de PSA sur ce marché-
clé du Moyen-Orient n’est pas
anodin puisque Peugeot est, et de
loin, la marque leader du marché.
Quelque quatre millions de Peu-
geot circulent là-bas, dont la my-
thique 504 ou les plus récentes
206 et 405. Cependant, en 2012,
quand le groupe français s’est rap-
proché de General Motors, Phi-
lippe Varin, son président du di-
rectoire de l’époque, a décidé de
quitter le marché et de couper
tous les liens avec lui.
Cette décision a été vécue
comme un véritable affront après
trente-cinq ans de coopération,
même si Iran Khodro poursuit
l’assemblage de Peugeot en s’ap-
provisionnant en Chine. « Il a fallu
beaucoup se faire pardonner, rap-
pelait courant 2015 Carlos Tava-
res, ce qui explique la longueur des
négociations. »
Avec un âge
moyen du parc
automobile
iranien de dix-
neuf ans, les
perspectives
commerciales
sont importantes
C’est en 1978 que Peugeot est ar-
rivé en Iran. En rachetant Chrysler
Europe, le constructeur héritait
d’une présence industrielle locale
qu’il a depuis développée. En 2011,
au plus haut du marché iranien,
Peugeot écoulait quelque 458 000
véhicules. Près d’une Peugeot sur
quatre était vendue à l’époque sur
ce marché.
Au contraire de PSA, Renault n’a
jamais réellement abandonné le
marché iranien, friand de la Ton-
dar, la version perse de la Logan, ou
de la Sandero. Le groupe a trouvé
un arrangement pour approvi-
sionner en pièces de rechange le
pays. En 2015, la marque au losange
écoulait encore plus de 50 000 vé-
hicules sur ce marché avec Saipa.
C’est avec cet assembleur que le
constructeur de Boulogne-Billan-
court entend accélérer sur ce mar-
ché. Outre la Tondar, il voudrait y
importer son Duster et peut-être
y produire à plus long terme sa
Kwid, un véhicule à très bas coût
développé en Inde. Comme PSA,
Renault, mais aussi Volkswagen,
GM ou Fiat, veulent prendre leur
part d’un marché très prometteur
laissé pendant trois ans aux cons-
tructeurs locaux et chinois.
Avec une centaine de véhicules
pour mille habitants, six fois
moins qu’en Europe ou aux Etats-
Unis, et un âge moyen du parc
automobile de dix-neuf ans, les
perspectives commerciales sont
importantes. S’il s’est vendu
1,1 million de voitures en 2015, il
devrait s’en écouler environ
1,3 million d’ici à 2017 et au maxi-
mum 1,8 million en 2025, selon
IHS Automotive. PSA est plus op-
timiste, il envisage un marché de
2 millions d’unités en 2022.
Pour PSA, la présence en Iran est
cruciale pour tenir son objectif
stratégique de vendre d’ici à 2025
un million de véhicules dans la
zone Afrique - Moyen-Orient, soit
cinq fois plus qu’aujourd’hui.
Outre l’Iran, PSA prépare son ins-
tallation industrielle au Maroc et
discute toujours pour ouvrir un
site en Algérie. p
ph. j.
0123
VENDREDI 29 JANVIER 2016 économie & entreprise | 5

Bruxelles
LUXE
révélées et ces précieux rensei- fameuse directive sur la transmis- Maureen Chiquet
gnements pourront être échan-
Pour les Etats sion automatique des rulings en- quitte Chanel
gés entre Etats. « C’est une avancée membres, tre administrations – ces accords Chanel a annoncé le départ de

poursuit sa
importante pour les administra- fiscaux entre Etats et entreprises. sa PDG, Maureen Chiquet, « en
tions fiscales », souligne-t-on
la fiscalité reste Le fait que ce soit le Grand-Du- raison de divergences sur la
à Bruxelles. L’objectif de la Com- un enjeu de ché qui, fin 2015, assumait la pré- stratégie », a annoncé le
mission est de faire adopter le sidence tournante de l’UE l’aura groupe de luxe mercredi
texte rapidement, avant la fin du
souveraineté, obligé à jouer les bons élèves. Cela 27 janvier. Cette Américaine

croisade contre premier semestre. Un calendrier

jugé réaliste au vu du large con-
sensus politique sur ce texte.
La deuxième directive – un
une arme de
différenciation
économique
sera-t-il aussi le cas pour les Pays-
Bas ? Ce pays, considéré comme
un havre fiscal pour les multina-
tionales, a à son tour hérité de la
de 53 ans, en poste depuis
2007, sera remplacée par
Alain Wertheimer, actionnaire
majoritaire de la société.

l’évasion fiscale texte, lui, tout à fait nouveau –

De nouveaux textes visent à ce que
les multinationales payent leurs
impôts là où elles font leurs profits
bruxelles - bureau européen
sur la « coopération administra-
tive », dont la première mouture
vise à neutraliser l’évasion fiscale,
en empêchant le recours abusif
aux dispositifs fortement « défis-
calisants » (prêts intragroupe, dé-
duction d’intérêts, etc.) qui, addi-
tionnés ou détournés de leur ob-
jet, permettent aux grandes en-
treprises de n’être imposées nulle
part. Ce texte de loi agglomère six
mesures très techniques calquées
pour partie, une fois encore, sur le
plan d’action de l’OCDE contre les
pratiques dites « dommageables »
landage fiscal », cette pratique
consistant à créer une filiale arti-
ficielle dans un pays uniquement
pour profiter de ses traités fiscaux
avantageux.
Volet « répressif »
Les élus Verts du Parlement euro-
péen, pourtant parmi les plus re-
vendicatifs sur la lutte contre la
fraude fiscale, semblent plutôt sa-
tisfaits de ce plan d’action. Même
présidence tournante, pour le
premier semestre de 2016.
Au-delà des mesures présentées
jeudi, le commissaire Moscovici
T RAN S PORTS
Uber condamné à verser
1,2 million d’euros
veut aller plus loin. Une liste noire
unique de paradis fiscaux opa-
aux taxis
Le tribunal de grande instance
ques et non coopératifs, exté-
rieurs à l’UE, pourrait ainsi être
de Paris a condamné la so-
ciété américaine Uber, mer-
publiée en 2017. Surtout, l’ex-mi-
nistre français prévoit de s’atta-
credi 27 janvier, à payer
1,2 million d’euros à l’Union
quer, dès l’automne, à une falaise : nationale des taxis pour l’am-
remettre sur la table une proposi- biguïté de sa communication
tion concernant l’assiette fiscale relative au stationnement des
commune et consolidée pour véhicules entre deux courses.

U
n peu plus d’un an
après le scandale
« LuxLeaks », Bruxel-
les poursuit sa croi-
sade contre l’évasion et la fraude
fiscales. Jeudi 28 janvier, le com-
missaire aux affaires économi-
ques, le Français Pierre Moscovici,
devait proposer une nouvelle sé-
rie de textes législatifs visant à ce
que les multinationales payent
leurs impôts là où elles réalisent
des profits. Et ce, au lieu de les dé-
localiser dans les paradis fiscaux.
Il s’agit en fait de deux directives
et d’une « recommandation »
sans valeur obligatoire, avec, à la
clé, un enjeu financier colossal…
Selon l’estimation admise par le
Parlement européen, les budgets
des pays de l’Union européenne
(UE) perdraient chaque année de
50 à 70 milliards d’euros du fait de
l’évasion fiscale des entreprises.
La Commission propose
d’abord de « toiletter » la directive
date de 1977 et qui a déjà été révi-
sée à plusieurs reprises. Elle veut y
ajouter l’obligation, pour les mul-
tinationales, de transmettre des
informations détaillées sur leurs
activités, pays par pays, aux fiscs
de leurs pays (chiffre d’affaires,
profits, impôts payés, etc.).
Stratégie économique
Cette obligation nouvelle, redou-
tée par les lobbys économiques
mais réclamée avec insistance par
une partie de la gauche euro-
péenne, reprend mot pour mot la
mesure préconisée par l’Organi-
sation de coopération et de déve-
loppement économiques (OCDE),
le bras armé du G20 sur la lutte
mondiale contre l’évasion fiscale.
Même si ce reporting ne sera pas
rendu public, il représente un pro-
grès considérable en termes de
transparence. Les stratégies de
planification fiscale des grandes
entreprises s’en trouveront de fait
– le plan d’action baptisé BEPS
(érosion de la base d’imposition
et transfert de bénéfices), ap-
prouvé en octobre 2015 par les
grandes puissances du G20.
Les débats sur ce projet de direc-
tive devraient être plus nourris,
alimentés par les pays ayant fait
de l’accueil des multinationales
une stratégie économique (Ir-
lande, Luxembourg, Pays-Bas…).
De fait, à travers ce texte, c’est bien
la possibilité de délocaliser les
profits vers les pays dotés de régi-
mes fiscaux avantageux qui serait
entravée.
Enfin, dans une « recommanda-
tion » ad hoc, Bruxelles invite les
Etats à protéger leurs traités fis-
caux – ils sont conclus avec des
pays tiers, pour éviter des phéno-
mènes de double imposition – de
la façon la plus efficace, afin qu’ils
ne soient pas dévoyés. Certaines
entreprises sont en effet passées
expertes dans l’art du « cha-
s’ils regrettent que le reporting
pays par pays ne soit pas rendu
public – en tout cas à ce stade – et
espèrent davantage d’ambition.
« La proposition de la Commission
ne permet pas de mettre fin à l’en-
semble de la créativité fiscale des
grandes multinationales, déclare
ainsi Eva Joly. C’est une proposi-
tion de départ qui, pour atteindre
son objectif, doit être renforcée. Les
Etats membres doivent jouer le
jeu. »
Lors des débats futurs, c’est sur-
tout le Conseil européen qui
pourrait poser problème, la fisca-
lité restant un enjeu considérable
de souveraineté pour les pays
membres, et l’une de leurs princi-
pales armes de différenciation
économique.
Pourtant, probablement grâce à
l’effet de LuxLeaks, qui a pointé les
abus du régime fiscal luxembour-
geois, les Etats ont validé, en octo-
bre 2015, dans un temps record, la
l’impôt sur les sociétés en Europe.
Jusqu’à présent, les Etats mem-
bres n’ont jamais voulu en enten-
dre parler…
Bruxelles ne relâche pas non
plus la pression sur le volet « ré-
pressif ». La très active commis-
saire à la concurrence, la Danoise
Margrethe Vestager, s’est atta-
quée aux rulings abusifs, considé-
rant que certains étaient illégaux :
celui de Starbucks avec les Pays-
Bas, de Fiat au Luxembourg, et
tous ceux qui ont été signés, sur le
même modèle, entre l’Etat belge
et des dizaines de multinationa-
les. Prochains sur la liste ? Proba-
blement Amazon, qui a signé un
accord fiscal avantageux avec le
Luxembourg, et surtout Apple,
dont le niveau des impôts payés
en Irlande est dans le viseur de la
Commission depuis septem-
bre 2014. p
cécile ducourtieux
et anne michel (à paris)
Fusion confirmée
entre l’ex-SNCM
et Corsica Maritima
Patrick Rocca, patron de Mari-
tima Ferries (ex-SNCM), a con-
firmé mercredi 27 janvier,
l’existence d’un projet d’ac-
cord avec son rival Corsica
Maritima. Ce dernier pourrait
prendre jusqu’à 49 % du capi-
tal de l’ex-SNCM.
MÉD I AS
Vivendi discute d’un
accord avec BeIN Sports
Vivendi, propriétaire de Ca-
nal+, discute avec la chaîne
qatarie BeIN Sports, précise
une source proche du dossier,
confirmant un article de Libé-
ration du 28 janvier. Un ac-
cord de distribution exclusive
de BeIN Sports par CanalSat
ou une fusion de Canal+ et de
BeIN Sports sont envisagés.

Le redressement fiscal « dérisoire »

de Google suscite l’ire des Britanniques
Le taux d’imposition appliqué au groupe américain en vertu
de l’accord passé avec le fisc britannique ne serait que de 3 %

accord, le Royaume-Uni avait mis

londres - correspondance L’accord pourrait en place dès le mois d’avril de nou-

G eorge Osborne croyait

avoir obtenu une belle
concession. Le chancelier
de l’Echiquier britannique (le mi-
nistre chargé des finances et du
trésor) avait annoncé en fanfare,
vendredi 22 janvier, que Google
avait accepté de payer 130 millions
de livres (170 millions d’euros)
d’impôts pour régler un différend
fiscal qui s’étend sur dix ans. « Un
succès majeur », clamait-il depuis
le sommet de Davos, en Suisse, où
il était alors présent.
Mal lui en a pris. Depuis cette
annonce, la polémique enfle, les
critiques estimant que le redres-
sement fiscal est bien trop géné-
reux envers le groupe californien.
Mercredi 27 janvier, une large par-
tie des questions au premier mi-
nistre a été consacrée à cette af-
faire. « Pourquoi y a-t-il une règle
pour les grandes multinationales
et une autre pour les petites entre-
prises ? » a attaqué Jeremy Corbyn,
le leader du parti travailliste. Se-
lon lui, Google ne paie avec cet ac-
cord qu’un taux d’imposition ef-
fectif de 3 %, très loin de l’impôt
sur les sociétés, fixé à 20 %.
Les critiques proviennent de
toutes parts, y compris de la majo-
rité. Boris Johnson, le maire de
Londres, parle d’impôts « dérisoi-
res » versés par le géant informati-
que. Mark Garnier, un député
conservateur, évoque un mon-
tant « relativement faible ».
L’accord exact passé entre les
services fiscaux britanniques et
Google n’est pas public, ce qui
rend son évaluation délicate. La
somme de 130 millions de livres,
qui couvre un contentieux re-
montant jusqu’à 2005, a été révé-
lée par la multinationale elle-
même, sans doute dans l’espoir de
affaiblir les
redressements
fiscaux menés
actuellement
contre Google en
France et en Italie
prouver qu’elle faisait des efforts.
La firme précise également qu’elle
paie l’équivalent de 30 millions de
livres d’impôts au Royaume-Uni
pour l’année 2014-2015.
Un montant qui fait bondir Jo-
lyon Maugham, avocat spécialisé
dans les affaires fiscales. En se ba-
sant sur les données publiées par
Google, il effectue un calcul sim-
ple. Le chiffre d’affaires de la firme
au Royaume-Uni en 2014 était de
6 milliards d’euros ; sa marge bé-
néficiaire avant impôts dans le
monde de 25 % ; Google devrait
donc avoir dégagé un bénéfice bri-
tannique de 1,5 milliard d’euros.
Avec une imposition à 20 %, cela
donne une facture fiscale d’envi-
ron 300 millions d’euros. Très loin
des 40 millions réellement versés.
« Mauvaise nouvelle »
Au-delà de la bataille de chiffres, la
polémique peut avoir des réper-
cussions mondiales. En octo-
bre 2015, l’Organisation de coopé-
ration et de développement éco-
nomiques (OCDE) a annoncé un
accord historique pour lutter con-
tre l’optimisation fiscale. Le plan
vise à forcer les multinationales à
payer leurs impôts en fonction de
leur activité réelle dans chaque
pays, plutôt que de transférer arti-
ficiellement leurs bénéfices vers
des paradis fiscaux. Anticipant cet
velles règles similaires, surnom-
mées à l’époque « Google Tax ».
Mais les militants craignent
que, derrière l’unanimité de fa-
çade, la concurrence fiscale entre
les pays soit repartie de plus belle,
avec une interprétation plus ou
moins souple des nouvelles rè-
gles. « Malgré tout le temps passé
dans les sommets internationaux
et le soi-disant engagement [de
Londres] envers le processus de re-
négociation de l’OCDE, rien ne
semble avoir changé, regrette Ri-
chard Murphy, de l’association
Tax Justice Network. Google
payait très peu d’impôts avant […],
et il en paie très peu après. »
L’accord signé entre la multina-
tionale et les autorités britanni-
ques pourrait également affaiblir
les redressements fiscaux contre
Google menés actuellement par
la France et l’Italie. Les autorités
fiscales réclament des sommes
beaucoup plus importantes
qu’au Royaume-Uni : selon la
presse britannique, la France ré-
clame 1 milliard d’euros et l’Italie
150 millions (sur un chiffre d’af-
faires six fois plus faible).
Sur la BBC, la députée euro-
péenne Eva Joly s’emportait mer-
credi. « C’est une mauvaise nou-
velle pour tout le monde, parce que
ça prouve que le Royaume-Uni se
prépare à devenir une sorte de pa-
radis fiscal pour attirer les multi-
nationales. » Elle entend convo-
quer M. Osborne devant la com-
mission du Parlement européen En vEntE chEz
consacrée à la fiscalité, dont elle
est vice-présidente.
Quant à Google, il se contente de
votrE marchand
répliquer : « Les gouvernements
font les lois fiscales […] et Google
dE journaux
s’y conforme. » p
éric albert
6 | économie & entreprise 0123
VENDREDI 29 JANVIER 2016

La Deutsche Bank accusée d’avoir trompé ses clients

Des banques centrales et des fonds d’investissement portent plainte sur l’utilisation frauduleuse d’un logiciel

berlin - correspondance centaines de millisecondes le pas-

sage d’un ordre de transaction de

D
écidément, les temps son exécution, ou de son rejet.
sont durs pour la Une éternité dans la galaxie du tra-
Deutsche Bank (DB). ding à haute fréquence.
Alors que la première Ce délai permet à la banque d’ef-
banque allemande a annoncé, fectuer un dernier contrôle, ap-
jeudi 28 janvier, une perte histori- pelé dans le jargon last look. Cette
que de 6,8 milliards d’euros pour pratique n’est pas forcément illé-
2015, elle accuse également un re- gale : les banques la justifient en
cul de 15 % de son chiffre d’affaires rappelant la nécessité de se proté-
au quatrième trimestre, en raison ger des « flux toxiques », ces inter-
d’une baisse des recettes sur son ventions réalisées par des fonds
département finance de marché, d’investissement aux équipe-
l’une de ses spécialités. Et une nou- ments très sophistiqués capables
velle affaire pourrait affecter sa ré- d’exploiter à leur avantage les
putation déjà très malmenée : elle failles des systèmes de transac-
est accusée par plusieurs de ses tions des banques.
clients d’avoir utilisé un logiciel Mais le last look est de plus en
trompeur afin de manipuler des plus controversé. La Barclays a
transactions de change à son ainsi été condamnée, en novem-
avantage. bre 2015, à 150 millions de dollars
Une plainte en action collective a d’amende après avoir reconnu de-
été déposée le 21 décembre 2015 vant l’autorité new-yorkaise de
par le cabinet d’avocats Hausfeld surveillance des marchés finan-
devant un tribunal new-yorkais. Le ciers (NYDFS) avoir utilisé cette
document, auquel Le Monde a eu pratique de façon abusive : la ban-
accès, décrit une manipulation que a appliqué ce dernier contrôle
très sophistiquée : les plaignants à tous ses clients sans distinction
soupçonnent la DB d’avoir inséré et a rejeté, entre 2009 et 2014, un
sur sa propre plate-forme de tran- grand nombre d’opérations qui
sactions de devises appelée Auto- n’étaient pas considérées comme
bahn, mais également sur d’autres toxiques. La Barclays a utilisé l’in-
plates-formes du même type, un tervalle pour évaluer dans quelle
algorithme permettant de différer direction évoluait le marché et re-
légèrement le passage l’ordre d’un Deutsche Bank a annoncé, jeudi 28 janvier, une perte de 6,8 milliards d’euros pour 2015. KAI PFAFFENBACH/REUTERS jeter des ordres qui lui étaient dé-
client de son exécution, afin de re- favorables. DB est aujourd’hui ac-
jeter les opérations susceptibles de cusée de pratiques similaires.
lui être défavorables, ou de propo- vant un tribunal de Londres avant et de groupes multinationaux, ses équivalent à 5 300 milliards de Longtemps numéro un du sec- « Il y avait des soupçons de cer-
ser au client un prix moins bon l’été 2016. Parmi les clients qu’il re- plusieurs banques centrales euro- dollars (4 873 milliards d’euros) est teur, la Deutsche Bank s’en est tains traders, explique Christo-
qu’annoncé au départ. présente figurent des acteurs de péennes, africaines et asiatiques échangé, la plupart du temps par pour l’instant sortie sans dom- pher Rother, qui dirige le bureau
Le cabinet Hausfeld envisage de premier plan : à côté de fonds d’in- estiment avoir été trompées par la voie électronique et de gré à gré, mage. Dans ces affaires, les ban- berlinois du cabinet Hausfeld.
déposer une plainte similaire de- vestissement, de fonds de pension banque allemande au cours de c’est-à-dire sans intermédiaire ques invoquent volontiers la res- Mais, même quand on connaît bien
leurs transactions. boursier, entre divers acteurs. Les ponsabilité individuelle de tra- le marché, on ne sait pas comment
banques centrales sont des acteurs ders. Mais, s’il était avéré que DB agit la banque, on ne peut pas prou-
Subprimes : RBS continue de payer Décaler l’ordre de son exécution majeurs du marché des changes. ou d’autres banques ont installé ver la présence d’un algorithme. Ce
Interrogée par Le Monde, la Ban- Cinq grandes banques dominent un logiciel pour tromper systéma- n’est que parce que les autorités en-
La banque britannique RBS a annoncé, mercredi 27 janvier, que que de France a indiqué n’avoir pas le marché : Citigroup, Deutsche tiquement leurs clients, la mani- quêtent que les faits arrivent sur la
ses résultats annuels pour 2015 devraient à nouveau être dans le porté plainte. Selon les informa- Bank, Barclays, JPMorgan et UBS. pulation prendrait une nouvelle table. » Comme dans le cas de Volk-
rouge. En cause, des provisions supplémentaires, à hauteur de tions de la Frankfurter Allgemeine Celles-ci sont soupçonnées de- dimension. swagen, il est très difficile pour
2 milliards de livres sterling (2,6 milliards d’euros), principalement Zeitung, ni la Bundesbank, la ban- puis plusieurs années de s’être en- Dans le détail, la fraude soupçon- une autorité de débusquer la pré-
pour faire face aux enquêtes dont l’établissement fait l’objet aux que centrale allemande, ni la Ban- tendues sur les cours des devises née vient se loger dans les confins sence d’un logiciel illégal caché
Etats-Unis. La banque avait élaboré des produits financiers ados- que centrale européenne ne figu- pour s’enrichir. Plusieurs d’entre du rythme fulgurant avec lequel dans un programme complexe si
sés à des prêts subprimes. Ses résultats annuels seront dévoilés rent parmi les plaignants. elles ont versé des amendes de s’effectuent les échanges sur le l’entreprise ne coopère pas. La
le 26 février. Nationalisée pendant la crise financière, RBS est dé- Le marché des changes est le plus plusieurs milliards d’euros aux marché des devises. L’algorithme Deutsche Bank a jusqu’ici rejeté les
tenue à hauteur de 72,9 % par l’Etat britannique, qui a commencé gros marché financier du monde. autorités américaines et britanni- incriminé permettrait de décaler accusations. p
en août 2015 à vendre, à perte, des parts de l’établissement. Chaque jour, un volume de devi- ques en 2015. de quelques dizaines à quelques cécile boutelet

La santé de l’économie mondiale inquiète L’HISTOIRE DU JOUR

Bingo pour Partouche !
la banque centrale américaine
La Fed a laissé ses taux directeurs inchangés, mais prévoit un relèvement « graduel » en 2016 F ini la scoumoune. Après sept ans de malheur, de pertes et
de batailles avec ses créanciers, Partouche a enfin repris
la main. Les résultats de l’exercice 2015-2016, publiés mer-
credi 27 janvier, le montrent. Pour la première fois depuis 2007,
le numéro deux français des casinos a dégagé un bénéfice net,
gements dans le communiqué vont La publication, vendredi, de la même s’il reste modeste : 2 millions d’euros. Soit 0,5 % du chif-
new york - correspondant La montée du dans le sens de la prudence », re- première estimation de la crois- fre d’affaires, établi à 400 millions d’euros.

L a Réserve fédérale améri-

caine (Fed, banque cen-
trale) a fait part, mercredi
27 janvier, de sa préoccupation à
propos des turbulences financiè-
res actuelles et du ralentissement
de la croissance mondiale. A l’is-
sue d’une réunion de deux jours
de son comité de politique moné-
taire, elle a laissé ses taux direc-
teurs inchangés. Ces derniers évo-
luent dans la fourchette de 0,25 %
à 0,50 %. Malgré un discours un
peu plus pessimiste que celui
adopté en décembre 2015, lors de
la précédente réunion, l’institu-
tion monétaire continue toute-
fois de prévoir un relèvement
« graduel » du loyer de l’argent au
cours des prochains mois.
Après avoir relevé les taux direc-
teurs pour la première fois en neuf
ans, il y a six semaines, la Fed a
donc légèrement changé de ton.
« La croissance économique [aux
Etats-Unis] a ralenti en fin d’an-
née », dit-elle dans son communi-
qué. Par ailleurs, « le comité sur-
veille étroitement l’économie mon-
diale et les développements finan-
ciers, et évalue leurs implications
sur le marché du travail et l’infla-
tion » dans le pays, souligne-t-elle.
Un diagnostic qui fait l’objet d’une
unanimité au sein du comité.
dollar face aux
autres devises
commence
à miner les
exportations
La Fed semble avoir de plus en
plus de difficultés à jauger l’impact
sur l’économie américaine de la
baisse du pétrole et du ralentisse-
ment dans un certain nombre de
pays, à commencer par la Chine.
Malgré les progrès sur le marché
de l’emploi, la bonne tenue de la
consommation et la reprise du
marché immobilier, l’économie
des Etats-Unis est menacée de l’ex-
térieur. Les turbulences sur les
marchés financiers pourraient sa-
per la confiance des ménages et
des entreprises, tandis que la
montée du dollar commence à mi-
ner les exportations.
Alors que jusqu’à présent beau-
coup d’acteurs de marché ta-
blaient sur un nouveau relève-
ment des taux d’intérêt dès la pro-
chaine réunion de la Fed, les 15 et
16 mars, cette probabilité s’est plu-
tôt amoindrie ces derniers jours
en raison de ce contexte tumul-
tueux. « Dans l’ensemble, les chan-
marque Joshua Shapiro, écono-
miste chez MFR, qui anticipe deux
relèvements cette année.
« La principale nouveauté du
communiqué est que la Fed indi-
que qu’elle surveille de près les dé-
veloppements économiques et fi-
nanciers mondiaux, ajoute Tho-
mas Julien, spécialiste des Etats-
Unis chez Natixis, dans une note
sur le sujet. La décision d’une
hausse des taux ou non en mars dé-
pendra donc beaucoup des évolu-
tions en la matière. » Une enquête
Reuters menée auprès des inves-
tisseurs montre que ces derniers
n’attendent plus qu’une seule
hausse cette année, d’un quart de
point, alors que la Fed avait évo-
qué, en décembre 2015, quatre
hausses sur l’année.
Prudence
La banque centrale américaine re-
connaît que l’inflation aux Etats-
Unis devrait rester basse à court
terme en raison de la baisse des
prix du pétrole. Mais elle reste con-
vaincue que, « une fois que les effets
provisoires des baisses de l’énergie
et des prix à l’importation se seront
dissipés », la hausse des prix va
s’accélérer « à moyen terme », pour
tendre vers l’objectif de 2 % qu’elle
s’est fixé.
sance américaine au quatrième
trimestre 2015 devrait confirmer
les craintes de la Fed sur le ralen-
tissement en cours, après avoir
enregistré une hausse du produit
intérieur brut (PIB) en rythme an-
nuel de 3,9 % au deuxième tri-
mestre et de 2 % au troisième.
Un contexte qui devrait inciter
la Fed à la prudence. Toutefois,
peu avant la réunion de mercredi,
l’Office of Financial Research, l’un
des régulateurs financiers améri-
cains, a mis en garde, dans son
rapport annuel, contre un relève-
ment trop lent des taux d’intérêt,
qui risquerait d’inciter les inves-
tisseurs à prendre plus de risques
et, par conséquent, accroître la
vulnérabilité du système finan-
cier à d’éventuels chocs. Entre
deux maux, la Fed devra trancher.
Pour en savoir plus et tenter de
comprendre l’évolution des dé-
bats au sein de l’institution, les in-
vestisseurs attendent désormais
le discours de sa présidente, Janet
Yellen, devant le Congrès améri-
cain prévu pour le 10 février. La pu-
blication du compte rendu de la
réunion du 27 janvier (les minu-
tes), programmée pour le 17 fé-
vrier, délivrera également de pré-
cieux indices. p
stéphane lauer
« Les banquiers reviennent nous voir avec le sourire. On nous
propose de placer notre trésorerie, ça change ! », s’amuse Fabrice
Paire, l’homme de confiance placé par la famille Partouche à la
tête de l’affaire. En Bourse, l’action a doublé en un an. Le groupe
y vaut désormais 260 millions d’euros.
De quoi soulager le patriarche Isidore Partouche, ce rapatrié
d’Algérie qui a fondé le groupe en 1973, et son fils Patrick, le pré-
sident du conseil. Pour rivaliser avec le champion français Bar-
rière, ils avaient réalisé des acquisi-
tions à grands frais et s’étaient suren-
LE NUMÉRO DEUX dettés. La crise de 2008-2009 les a fait
plonger, d’autant qu’ils ont raté leur in-
FRANÇAIS DES cursion dans les paris en ligne. Incapa-
bles de rembourser en temps et en
CASINOS A DÉGAGÉ heure, ils ont dû recourir à une procé-
UN BÉNÉFICE NET dure de sauvegarde pour se mettre à
l’abri de leurs créanciers, emmenés par
POUR LA PREMIÈRE l’américain Oaktree.
Aujourd’hui, la situation est assainie.
FOIS DEPUIS 2007 Un accord, validé par la justice, a été
trouvé avec les créanciers en
mars 2014, et un plan de redressement a été engagé. Le groupe a
cédé ou fermé une série de casinos déficitaires. Il a vendu pour
100 millions d’euros d’actifs au total en un an et demi, la moitié
des fonds allant aux créanciers, l’autre revenant à l’entreprise.
De quoi ramener la dette à un niveau supportable.
« Tout l’enjeu consiste maintenant à relancer durablement l’ac-
tivité », relève Harold de Decker, analyste chez Oddo. Les Partou-
che misent sur de nouveaux jeux : la roulette anglaise électroni-
que, et bientôt le Bingo, tout juste autorisé par l’administration.
Le groupe bâtit aussi un nouveau casino à La Ciotat (Bouches-
du-Rhône), avec une terrasse qui permettra de fumer en jouant.
Mieux qu’à Las Vegas ! En route pour sept ans de bonheur et
même davantage, espèrent les Partouche. p
denis cosnard
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VENDREDI 29 JANVIER 2016 idées | 7

#MUTATIONS | CHRONIQUE
par vince nt gir e t

Le libéralisme n’est pas un économisme

L a liberté sans modération,
comme un talisman, comme
une perspective, comme une
réplique détonante aux maux qui
nous assaillent. Il faut opposer la
puissance de la liberté à la peur vis-
cérale, à la tentation du repli général
et de la sécurité barricadée. C’est le
parti pris que l’essayiste Mathieu
Laine défend dans un Dictionnaire
amoureux de la liberté (Plon, 848 pa-
ges, 25 euros), un livre personnel,
atypique et lyrique qui tombe à pic
pour conjurer les risques de cette an-
née qui vient.
Disons-le tout net : ce n’est pas
parce que la France a sculpté le mot
de « liberté » tout en haut de sa devise
républicaine que notre pays a noué,
avec elle, une relation apaisée et con-
fiante. Bien au contraire. « Si la France
a fait naître parmi les plus grands et
les plus talentueux adorateurs de la li-
berté, écrit Laine, nul ne peut nier que
nous entretenons avec elle des senti-
ments mêlés. » Doux euphémisme. Le
procès de la liberté et de ses « excès »
ne s’est jamais éteint.
Au-delà d’un voyage subjectif, éru-
dit et ébouriffant mêlant écrivains,
scientifiques, danseurs, acteurs,
peintres, personnages de théâtre,
« startupers » et théoriciens tout-ter-
rain, Mathieu Laine défend l’idée
que la liberté ne se découpe pas,
mais qu’elle est d’un « bloc ».
L’auteur en revient à l’esprit des pè-
res fondateurs et à celui d’un « âge
d’or » pour la liberté, quand, dans la
première moitié du XIXe siècle, une
pléiade de grands noms avaient
ajouté leur pierre à l’édifice du siècle
passé : Benjamin Constant, Ger-
maine de Staël, Jean-Baptiste Say,
Alexis de Tocqueville ou encore Fré-
déric Bastiat.
Au-delà de leur diversité, tous se si-
tuent dans la lignée des Lumières et
de la Révolution, et de ceux qui com-
battaient alors la toute-puissance du
monarque pour libérer l’individu de
ses entraves, qu’elles soient politi-
ques ou religieuses. D’un pas d’un
seul, cette « école française » est pas-
sée de la défense des libertés contre
le despotisme à l’invention du « libé-
ralisme ».
Mathieu Laine n’y voit aucune con-
tradiction pour ces humanistes : c’est
au nom d’une émancipation de l’in-
dividu qu’ils prônent le « doux com-
merce », la concurrence et le libre-
échange ; d’un même élan, ils
s’opposent aux conservateurs, aux
privilèges, aux rentes de situation et
à l’ordre moral.
C’est cet héritage volontiers oublié,
contesté ou rejeté que Laine ressus-
cite. Quitte à malmener certaines
idées reçues. « Quand on part à la ra-
cine du mot libéral, on est bien loin
des caricatures, affirme l’auteur : des
origines françaises, une défense
acharnée des droits fondamentaux
de chacun et une empreinte géné-
reuse très éloignée du grand méchant
marché. »
DIVERS, PROTÉIFORME
Dans un ouvrage précédent et collec-
tif dont il avait assuré la direction –
Le Dictionnaire du libéralisme (La-
rousse, 2012), Mathieu Laine rappe-
lait déjà que, historiquement, « les li-
béraux [ont constitué] un
mouvement de gauche jusqu’à la fin
du XIXe siècle ». En tant qu’« indépen-
dant », Benjamin Constant a été le
chef de la gauche libérale. Alexis de
Tocqueville a siégé au centre gauche.
L’économiste Frédéric Bastiat, lui, dé-
puté de 1848 jusqu’à sa mort, deux
ans plus tard, a mêlé sa voix tantôt
avec la droite, tantôt avec la gauche,
voire avec l’extrême gauche, quand il
jugeait injustes et indécentes les exi-
gences des plus privilégiés. « Le libé-
ralisme n’est pas un économisme »,
plaide Mathieu Laine, mais il est di-
vers, protéiforme et transcende tou-
tes les chapelles. Le libéralisme,
autant que la liberté d’expression,
appartient, donc, aussi au génie fran-
çais : la thèse, pourtant peu contesta-
ble, va agacer et déranger.
Qu’il nous soit permis d’ajouter
deux entrées au dictionnaire de Ma-
thieu Laine. Jacques Rueff, d’abord,
étrangement absent, et sans doute le
dernier libéral à avoir assumé des
responsabilités au cœur de l’Etat.
Rueff n’a pas seulement donné son
nom au plan d’assainissement finan-
cier qui a permis au général de
Gaulle d’ouvrir la France à la concur-
rence en 1958, il a mis toute son
énergie à défendre un libéralisme ré-
nové, attentif à l’ordre social, sans re-
noncer au rôle de l’Etat. Ses analyses
sur les travers de l’Etat n’ont pas pris
une ride. Une biographie intelligente
lui rend hommage (Jacques Rueff, un
libéral français, Gérard Minart, Odile
Jacob, 368 pages, 25,90 euros).
Dans un tout autre domaine, le
grand historien et islamologue Ber-
nard Lewis aurait pu mériter quel-
ques pages, tant ses mots résonnent
encore aujourd’hui. Quelques mois
après le choc du 11-Septembre, Lewis
avait signé un ultime ouvrage de ré-
férence (Que s’est-il passé ? L’islam,
l’Occident et la modernité, Gallimard,
2002). Il y disait ceci : « C’est le man-
que de liberté qui est à la base des
maux dont souffre le monde musul-
man : liberté de l’esprit affranchi des
dogmes et de la censure ; liberté de
l’économie affranchie de la corrup-
tion et de l’incurie ; liberté des fem-
mes affranchies de l’oppression mas-
culine ; liberté des citoyens affranchis
de la tyrannie. » p
giret@lemonde.fr
¶
Dictionnaire amoureux de la liberté,
Mathieu Laine, Plon, 848 pages, 25 euros

HISTOIRE Les risques juridiques

Le repli nationaliste,
comme il y a cent ans du « mirage » iranien
que monétaire durablement expan-
Renouer avec Téhéran va contraindre cher à une entreprise. Car au-delà
par pierre-cyrille hautcœur
sionniste, même face à la tendance dé- les entreprises à redoubler de vigilance vis-à-vis des risques opérationnels et juridic-
flationniste qui a pesé sur l’économie tionnels classiques, les entreprises
d’une législation internationale très sourcilleuse

A
la fin du XIXe siècle, le
Royaume-Uni et la France,
les deux pays qui avan-
çaient le plus rapidement
dans la marche vers l’économie de
marché, ont connu une longue sta-
gnation économique et une montée
mondiale jusqu’en 1900 environ, en
partie du fait de la démonétisation
quasi générale de l’argent métallique.
Le sauvetage de banques, lors des cri-
ses financières (1867, 1882 et 1889 en
France ; 1867, 1891 et 1907 au Royau-
me-Uni), et l’impunité des coupables
sur le respect des droits humains et sociaux
ploi. Les pratiques de discrimination
par arnaud poitevin
concernent également les minorités
religieuses et ethniques, et l’orienta-
doivent affronter ce que Stéphane
Brabant, avocat associé chez Herbert
Smith Freehills, appelle les « nou-
veaux juges » que sont les parties
prenantes affectées et, à travers elles,
les marchés financiers, les ONG, les
banques ou encore les institutions

du nationalisme. Ces phénomènes,
montrent les historiens, étaient liés.
Sur le plan commercial, les importa-
tions massives de produits agricoles,
favorisées par le libre-échange et la
baisse des coûts des transports tran-
satlantiques, faisaient baisser les prix
des produits alimentaires au détri-
ment des paysans européens. Cela a
renforcé l’exode rural et le chômage.
Les partis conservateurs ont prôné le
protectionnisme (tarifs Méline en
France) et ont développé des campa-
gnes nationalistes (« Buy British », au
Royaume-Uni).
Sur un marché du travail complète-
ment libéralisé, l’asymétrie de forces
entre salariés et employeurs était ac-
crue par la concentration du capital
dans des sociétés anonymes, libérées
de presque tout contrôle depuis les
années 1860. Les artisans et les pa-
trons de petites entreprises, qui en
étaient aussi les victimes, ont sou-
tenu, en premier lieu, les mouve-
ments nationalistes, tandis qu’une
frange des ouvriers socialistes, frus-
trés par les lenteurs des progrès obte-
nus par l’action syndicale, ont basculé
dans l’anarchisme violent. Huit chefs
d’Etat européens ont été victimes
d’assassinats anarchistes, qui ont pro-
voqué, en retour, répression et législa-
tion d’exception, comme les lois dites
« scélérates » de 1894 en France.
Enfin, l’adhésion des gouverne-
ments et des banques à l’orthodoxie
de l’étalon or a empêché toute politi-
de la plupart des scandales financiers
ont renforcé les arguments populistes
contre les « banquiers cosmopolites »
et la complicité entre pouvoir politi-
que et puissances de l’argent. Des ar-
guments appuyés par le rôle des ban-
ques dans l’exportation des capitaux
nationaux au détriment de l’investis-
sement intérieur.
INÉGALITÉS TRÈS FORTES
Sur le plan budgétaire, la doctrine libé-
rale de strict équilibre des finances pu-
bliques, hors période de guerre, a ré-
duit la marge de manœuvre pour in-
vestir dans les politiques sociales et
l’éducation. L’impôt sur le revenu a été
minime au Royaume-Uni (moins de
5 % pour les plus riches) et a été banni
en France (jusqu’en 1914), car perçu
comme une menace pour la propriété
et la liberté individuelle. Les faibles
possibilités de promotion sociale et
les inégalités très fortes ont alimenté
le ressentiment.
Les politiques et les doctrines éco-
nomiques en vigueur ont ainsi con-
tribué à la montée des populismes et
des idéologies extrêmes. L’impéria-
lisme, teinté de racisme, a servi de
soupape aux sentiments nationalis-
tes. Mais il a abouti à des conflits de
plus en plus fréquents entre grandes
puissances, au fur et à mesure de l’ex-
pansion coloniale.
Aujourd’hui, les effets de la mondia-
lisation des échanges internationaux
sur l’emploi et les salaires, l’abandon
de zones rurales ou de quartiers ur-
bains entiers mènent, de la même
manière, à une protestation sociale de
plus en plus forte. D’autant que les
Etats européens sont de nouveau sou-
mis à une orthodoxie budgétaire em-
pêchant la modernisation des systè-
mes sociaux et de formation qui, en
partie désuets, restent logiquement
défendus par leurs bénéficiaires, en
A
u menu de la visite du pré-
sident iranien, Hassan Ro-
hani, les 27 et 28 janvier à
Paris, ont figuré bien sûr
des discussions politiques, mais aussi,
et surtout, des discussions commer-
ciales. Des opportunités prometteu-
ses sont maintenant à portée de
main, alors que les sanctions interna-
tionales contre l’Iran ont été levées le
16 janvier, reconnectant le pays au
système commercial international.
La disparition des sanctions n’est
cependant pas synonyme d’absence
de risques pour les investisseurs dans
un pays qui a un long chemin à par-
courir en matière de gouvernance et
de respect des droits fondamentaux.
Les risques de corruption sont criti-
ques, avec, pour les investisseurs,
l’éventualité de subir des sanctions fi-
nancières et pénales sévèrkjes, en
particulier via les régulations améri-
caine (Foreign Corrupt Practices Act)
et britannique (Bribery Act). Plus lar-
gement, ce sont tous les risques envi-
ronnementaux et sociaux que de-
vront prendre en compte les
investisseurs.
Un dialogue avec les autorités et
parties prenantes locales sera souvent
un exercice incontournable. Or, l’ONU
a de nouveau déploré récemment que
Téhéran ait recours massivement aux
exécutions et à la torture, et mène
une politique d’oppression des fem-
mes, des opposants politiques et des
journalistes. La non-discrimination,
particulièrement des femmes, au sein
des filiales, des fournisseurs et des
sous-traitants, sera un enjeu de taille,
alors que la loi iranienne impose aux
femmes un statut de deuxième classe,
y compris en termes d’accès à l’em-
LA NON-DISCRIMINATION
tion sexuelle. Autres sujets sensibles,
sur lesquels les autorités iraniennes
sont régulièrement critiquées par la
société civile : la liberté d’association,
la liberté syndicale et le droit d’organi-
sation et de négociation collective.
Certains secteurs devront être parti-
culièrement vigilants. L’armement,
tout d’abord, dans un pays qui entre-
tient des liens étroits avec le régime
syrien de Bachar Al-Assad et le terro-
risme. Le secteur des services de sécu-
rité, traditionnellement sensible, de-
vra anticiper strictement les risques.
Le secteur des technologies de l’infor-
mation et de la communication fera
lui aussi face à des défis délicats. Les
éditeurs de logiciels de surveillance
sont particulièrement concernés
alors que, rien qu’en France, deux so-
ciétés font encore l’objet d’enquêtes
pour complicité d’actes de torture
pour avoir vendu des solutions aux
régimes libyen et syrien. Plus large-
ment, le secteur de l’Internet et du
numérique aura un rôle-clé à jouer
pour assurer la neutralité du Net, la li-
berté d’expression et le respect de la
vie privée, mais aussi la lutte contre
les discours de haine nationale, ra-
ciale et religieuse.
DES PROCÉDURES DE DILIGENCE
Pour se prémunir et assumer leurs
responsabilités vis-à-vis de l’ensem-
ble de leurs parties prenantes, les en-
treprises doivent mettre en œuvre
des procédures de diligence raisonna-
ble (en anglais « due diligence ») telles
que promues par les standards inter-
nationaux que sont les « Principes di-
recteurs des Nations unies sur les en-
treprises et les droits de l’homme » et
les « Principes directeurs de l’OCDE à
l’intention des entreprises multina-
tionales ». L’Organisation de coopéra-
tion et de développement économi-
ques (OCDE) a mis en place des
financières.
La Banque mondiale et l’écrasante
majorité des institutions financières
internationales, y compris le Fonds
vert pour le climat, imposent
aujourd’hui des standards environne-
mentaux et sociaux aux projets fi-
nancés. Elle a récemment annulé un
prêt de 265 millions de dollars
(244 millions d’euros) en Ouganda
pour des faits d’abus sexuels de la
part de sous-traitants. Les agences de
crédits à l’exportation (ACE), dont la
Coface, les institutions financières de
développement européennes, y com-
pris Proparco, filiale de l’Agence fran-
çaise de développement (AFD), et
quelque 80 institutions financières
internationales membres des « Princi-
pes de l’Equateur » (PE), ont adopté
des standards similaires.
La montée en puissance continue de
l’évaluation extrafinancière dans les
stratégies des investisseurs et des
bailleurs de fonds est un élément sup-
plémentaire à prendre en compte
dans la démarche des entreprises dé-
sireuses de s’imposer sur le marché
iranien. Elle devra inclure une vigi-
lance et un dialogue régulier avec le
régime pour que des solutions soient
trouvées. Il est de la responsabilité des
Etats d’origine des flux d’investisse-
ment, dont la France, de soutenir et
coordonner ce mouvement. Les en-
treprises pourront ainsi jouer un rôle
bénéfique et décisif, gagnant-gagnant,
dans leur intérêt et dans celui de la
société iranienne. p

¶
l’absence d’alternative crédible.
Si la définition de nouveaux objec-
DES FEMMES, AU SEIN « points de contact nationaux », qui
peuvent être saisis par les parties af-
Pierre-Cyrille tifs communs mondiaux a progressé, DES FILIALES, DES fectées pour qu’une décision soit ren- ¶
Hautcœur par exemple lors de la COP21, fin 2015, due sur la bonne mise en œuvre de Arnaud Poitevin est chercheur CNRS en
est directeur en France, les moyens de les atteindre FOURNISSEURS ET DES ces principes. droit international au Centre d’études et
d’études à l’Ecole
des hautes études
ne sont pas réunis. Populismes et
anarchismes ont de beaux jours de-
SOUS-TRAITANTS, SERA L’absence de prise en compte des
risques environnementaux, sociaux
de recherches internationales et commu-
nautaires (Ceric) et chargé d’enseigne-
en sciences sociales vant eux… p UN ENJEU DE TAILLE et de gouvernance (ESG) peut coûter ment à l’université Paris Sorbonne-Cité
8 | MÉDIAS&PIXELS 0123
VENDREDI 29 JANVIER 2016

L’homme L’éditeur a été

le premier

qui a fait à se tourner

vers le cinéma
pour doper

sortir la BD la notoriété de
ses personnages.
Un pari gagnant

de sa case cow-boy est désormais présent

En rachetant les droits de héros
du 9e art, Claude de Saint Vincent
a révolutionné le secteur
PORTRAIT
sur sept ou huit supports.
Sur la forme, celui qui s’est im-
posé comme l’un des meilleurs
stratèges du 9e art a aussi apporté
une nouvelle façon de travailler,
plus professionnelle. « Dans un
monde où tout le monde se tutoie,
il vouvoie ses interlocuteurs et cela
passe très bien, observe un de ses
suel ou le numérique, avec des fi- auteurs, car chez lui, cela n’ins-
liales comme Mediatoon Interac- taure pas de la distance, mais au

A
l’écouter, Claude de
Saint Vincent est une
anomalie. Arrivé par
hasard dans la bande
dessinée il y a vingt-cinq ans, le
sexagénaire dirige aujourd’hui
Média Participations, le premier
éditeur européen du secteur, qui
possède Dargaud, mais aussi Du-
puis, Le Lombard, Blake et Morti-
mer, Lucky Comics, Marsu, Kana
et Urban Comics. A lui seul, il
pèse 35 % du marché hexagonal
des amateurs de bulles, dont le
Festival d’Angoulême, qui ouvre
ses portes jeudi 28 janvier, est la
vitrine.
Pourtant, Claude de Saint Vin-
cent n’est pas issu du sérail. Il n’a
pas fondé sa maison, comme Jac-
ques Glénat ou Guy Delcourt,
deux de ses principaux concur-
rents. Avant d’être recruté chez
Dargaud par un chasseur de têtes
qui l’avait repéré dans une publi-
cité, l’ancien élève de HEC était
passé par Sisley, une société de
cosmétiques fondée par son père,
puis par Air France, dont il fut le
directeur marketing, et enfin la
chaîne la Sept, ancêtre d’Arte. « Je
tive, Anuman Interactive et Izneo.
Lorsqu’il arrive chez Dargaud
en 1991, la maison perd de l’ar-
gent. Elle est en plein divorce avec
Albert Uderzo, le dessinateur d’As-
térix, qui veut récupérer les droits
de son personnage, accusant son
éditeur de l’avoir floué sur les
royalties issues des ventes d’al-
bums à l’étranger. Après un long
procès, la rupture est consommée
en 1998 et chamboule la vénéra-
ble maison, dont les aventures du
petit Gaulois assuraient le tiers du
chiffre d’affaires. Dargaud doit se
séparer de 30 % de son personnel
et déménager son siège du bour-
geois XVe arrondissement de Pa-
ris à la plus populaire porte
d’Aubervilliers. D’une manière gé-
nérale, la bande dessinée est alors
au creux de la vague, victime du
manque de reconnaissance.
Claude de Saint Vincent se re-
trousse les manches. D’abord, il
arrête toutes les petites séries qui
ne gagnent pas d’argent, ce qui
fait grincer les dents des auteurs,
et décide de racheter les droits de
personnages plus connus. Son
meilleur coup : Blake et Mortimer,
Claude de Saint Vincent, directeur général de Média Participations. YANNICK RIBEAUT POUR « LE MONDE »
teurs et scénaristes sur la même
série, afin d’accélérer le rythme
de sortie des albums. Là aussi,
l’idée dérange.
Mais, ça marche. Aujourd’hui,
65 % du chiffre d’affaires de l’édi-
teur repose sur les nouveaux al-
bums, alors qu’il y a vingt ans les
maisons faisaient 75 % de leur ac-
tivité avec le fonds, c’est-à-dire les
anciens tomes. Claude de Saint
Vincent a su accompagner le
mouvement avec des séries nou-
« Nous sommes devenus des pro-
ducteurs de contenus pour des sup-
ports de plus en plus nombreux »,
poursuit Claude de Saint Vincent
pour justifier son effervescence.
Si l’on prend l’exemple de Lucky
Luke, né sous la plume de Morris
en 1946, le héros a d’abord connu
une première vie dans la presse,
puis sous forme d’albums – plus
de 70 à ce jour. Ensuite, son uni-
vers a inspiré des dessins animés,
des films et est également source
de merchandising. Au total, le
contraire cela est ressenti comme
une marque de respect ». Pourtant,
lui se voit comme un « transgres-
sif » et conserve toujours une
pointe d’ironie dans ses propos.
Résultat : grâce à des personna-
ges comme Claude de Saint Vin-
cent, la BD a redressé la tête et re-
présente aujourd’hui 10 % du
marché de l’édition. Le secteur a
littéralement explosé, passant de
500 nouveautés par an à… 400 par
mois, inondant les tables des li-
braires et les rayons des grandes
surfaces. Son contenu s’est consi-
dérablement élargi : la BD franco-
belge cohabite désormais avec les
mangas et les comics. Elle a aussi
quitté le giron de la jeunesse pour
s’ouvrir aux adultes, avec le suc-
cès des BD historiques, policières,
érotiques et la percée des romans
graphiques. p
alain beuve-méry
et cédric pietralunga

Crédit illustration : Satoshi Hashimoto

suis meilleur lecteur qu’éditeur »,
lâche-t-il de sa voix légèrement
cassée, faussement modeste.
Nouvelles séries
Au côté de Vincent Montagne,
l’actionnaire et PDG du groupe ca-
tholique, avec lequel il forme un
tandem soudé et efficace, Claude
de Saint Vincent est pourtant
l’homme qui a révolutionné le
9e art. Aujourd’hui, Média Partici-
pations pèse 350 millions d’euros
de chiffre d’affaires et emploie
1 000 personnes. Outre la BD, le
groupe est présent dans la presse
(Rustica), l’édition jeunesse, reli-
gieuse et pratique (Fleurus,
Mame), la diffusion et l’audiovi-
une série tombée en désuétude
après la mort de son créateur, Ed-
gar P. Jacobs, dont il fait l’un des
best-sellers de la maison. Il met
aussi la main sur les Schtroumpfs,
Blueberry, Lucky Luke, le Marsupi-
lami… Plus récemment, il a re-
donné vie à Ric Hochet, Achille Ta-
lon, Boule et Bill, Bob Morane,
avec parfois moins de réussite.
A l’époque, l’idée qu’une série
puisse survivre à son auteur
n’avait rien d’évident. Mais le ma-
nageur au regard bleu clair est
persuadé que « les personnages
de BD sont plus forts que leurs
créateurs ». Preuve de son prag-
matisme, il n’hésite pas à mettre
plusieurs équipes de dessina-
velles telles que le Chat du rabbin,
Blacksad, les Vieux Fourneaux, et
des auteurs comme Manu Larce-
net, Jul, Lewis Trondheim…
De même, l’éditeur a été l’un des
premiers à parier sur le cinéma
pour doper la notoriété de ses per-
sonnages. Un bon choix : alors
que seulement huit BD ont été
adaptées au cinéma ou à la télévi-
sion en 2006, 28 l’ont été l’an der-
nier, avec notamment Le Combat
ordinaire, d’après Manu Larcenet,
ou L’Enquête, tiré de L’Affaire des
affaires, de Laurent Astier et Denis
Robert. Pour le patron de Dar-
gaud, « il faut que les titres voya-
gent. Un mauvais film n’a jamais
nui à une bonne BD ».

Les espoirs de Delitoon sur écran connecté

pratique de lecture horizontale depuis
sa création au XIXe siècle, la bande dessinée va-
t-elle devoir penser son avenir dans la vertica-
lité ? Didier Borg y croit. Cet éditeur de chez Cas-
terman est le promoteur en France du « web-
toon », un format BD venu de Corée du Sud pro-
posant des récits qu’on fait défiler de haut en
bas, en « scrollant », sur tous les types d’écrans
connectés.
Didier Borg a créé sa propre société, Delitoon,
en 2010, afin de développer ce nouveau mode
de consommation culturelle. Après six années
d’expérimentations diverses, gratuites pour le
lecteur, son projet s’apprête à entrer dans sa
phase payante, à la faveur d’un nouveau tour de
table qui a vu Daou Technology – l’un des chefs
de file, en Corée, des nouvelles technologies de
l’information et de la communication – acqué-
rir 30 % de Delitoon en octobre 2015. Cette arri-
vée a permis à la société de lever 700 000 euros.
« Une véritable attente » des lecteurs
Lancée à l’occasion du Festival international de
la bande dessinée d’Angoulême (28 au 31 jan-
vier), la refonte de Delitoon propose une dizaine
de récits – traduits du coréen – qu’il est possible
d’acheter à l’unité via un portefeuille électroni-
que accessible à partir de 10 euros. Chaque épi-
sode, d’un temps de lecture compris entre trois
et cinq minutes, coûte moins de 80 centimes.
Chaque série comprend entre 20 et 25 épisodes.
Certains contenus sont également consultables
gratuitement, alors que d’autres le sont en
mode freemium. Une centaine de séries de-
vraient être disponibles d’ici à la fin de l’année.
« Il y a une véritable attente pour ce genre de lec-
tures de la part d’un public qui n’est pas celui de la
bande dessinée et qui n’est pas non plus celui des
blogs », indique Didier Borg, qui espère rallier un
demi-million de visiteurs uniques en 2016. La
version initiale de Delitoon avait laissé entrevoir
de réels espoirs de développement. Sa tête de
gondole – les six premiers tomes de Lastman,
une série de Bastien Vivès, Michaël Sanlaville et
Yves Balak, par ailleurs publiée en album chez
Casterman – avait enregistré 500 000 lectures.
« Notre objectif est de prendre une place qui
n’existe pas aujourd’hui dans les smartphones de
toute une génération. YouTube, Netflix et Deezer
y cohabitent. Pas encore la bande dessinée »,
poursuit le fondateur de Delitoon.
Exclusivement coréen à ce stade, le catalogue
va prochainement s’étoffer de productions
françaises. Des auteurs peu connus issus du ci-
néma d’animation ont été sollicités pour réali-
ser deux versions de leurs récits : la première au
format « webtoon », avec des vignettes uniques
placées les unes au-dessus des autres ; la se-
conde dans un format plus traditionnel de © Jean-Baptiste Talbourdet-Napoleone/M le magazine
du Monde à partir
bande dessinée, dans le but d’être potentielle- d’une photo d’Alexandre Guirkinger pour M Le magazine
du Monde.
ment publiée en album.
Didier Borg n’exclut pas, non plus, de faire mi-
grer vers Delitoon des grands classiques du
9e art, ce qui supposera de les redécouper. Il EN KIOSQUE DÈS DEMAIN
compte bien en parler prochainement à Nick
Rodwell, le patron de Moulinsart, la société
ayant en charge l’exploitation commerciale de
l’œuvre d’Hergé. Tintin sur smartphone : sacri-
lège ou révolution ? p
frédéric potet