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CERVEAU E-SANTÉ PORTRAIT

MALADIE D’ALZHEIMER : LA MÉDECINE EST-ELLE VINCENT DEMASSIET ENTEND


MOINS DE NOUVEAUX CAS MENACÉE D’ « UBÉRISATION » ? MAÎTRISER SES VOIX
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Buruli: panser une des plaies d’Afrique


L’ulcère de Buruli fait partie des « maladies tropicales négligées » identifiées par l’OMS. Sévissant notamment en Afrique de l’Ouest,
cette affection grave mais méconnue des populations reste difficile à juguler. Reportage dans un centre de dépistage et de soins, au Bénin.
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Des enfants soignés au Centre de diagnostic et de traitement de l’ulcère de Buruli, à Pobè (Bénin). FONDATION RAOUL-FOLLEREAU

L’imaginaire des physiciens


L’
annonce que le Système solaire pourrait conte- L’imagination des scientifiques n’a pas toujours été scientifique. Mais depuis fort longtemps, les physi-
nir une neuvième planète a récemment en- récompensée : l’hypothétique planète Vulcain, invo- ciens n’observent plus les phénomènes au moyen
thousiasmé les foules. Il ne s’agissait pas d’une quée en 1860 par Le Verrier pour rendre compte de leurs seuls sens. Ils construisent des instruments
découverte, mais d’une hypothèse pour rendre de l’avance du périhélie de l’orbite de Mercure, n’a sophistiqués, souvent gigantesques, pour recueillir
compte d’un effet visible – des similitudes dans les jamais été découverte. Il fallut attendre 1915 et la publi- des informations sur notre monde et en capter
orbites de plusieurs petits corps du Système solaire loin- cation de la théorie de la relativité générale d’Einstein les signaux parfois très faibles. Se fondant sur des
tain – par une cause invisible – une nouvelle planète. pour expliquer cette « anomalie » du mouvement hypothèses abstraites, parfois hardies, et menant
Cette situation s’est déjà produite. de Mercure. Plus près de nous, une accumulation des calculs complexes, les physiciens rendent alors
carte blanche En 1846, les astronomes Le Verrier (1811-1877) et Adams de données suggère qu’une fraction importante de la compte des apparences du monde en élaborant
(1819-1892) attribuèrent les anomalies du mouvement masse de l’Univers échappe à l’observation et n’est une représentation cohérente entre ce qui est observé
d’Uranus – qui semblait ne pas tout à fait respecter la révélée qu’indirectement, par ses effets gravitationnels. et ce qui est déjà connu. Explicative, une proposition
gravitation de Newton – à une planète encore inconnue. La question de la nature de cette matière noire est scientifique doit également suggérer des phénomènes
Roland L’astronome Galle (1812-1910), suivant les indications de l’une des plus excitante de la physique, et la confirma- nouveaux qui, s’ils sont effectivement observés,
Le Verrier, observa une nouvelle planète – finalement tion directe de son existence est attendue avec impa- renforceront l’interprétation proposée et, s’ils ne
Lehoucq baptisée Neptune – à moins de 1 degré de la position tience. C’est ce qui vient de se passer avec la détection le sont pas, la mettront à bas.
calculée. En 1930, le physicien autrichien Pauli (1900- directe des ondes gravitationnelles par l’expérience Rendre compte d’un effet visible en invoquant une
1958) est intrigué par l’apparente non-conservation américaine LIGO. Conséquence inattendue de la relati- cause invisible est donc scientifiquement légitime
Astrophysicien, de l’énergie lors d’une désintégration bêta et émet l’hy- vité générale, l’existence de ces ondes fut d’abord confir- parce qu’une telle prédiction contient en elle le germe
Commissariat à l’énergie pothèse qu’une particule, nommée plus tard « neu- mée indirectement par l’analyse de la période d’un de sa possible réfutation. En dépit de son imposante
atomique et aux énergies trino », emporte l’énergie manquante. L’existence pulsar binaire découvert par Hulse et Taylor en 1974. instrumentation, c’est bien l’imagination du physicien
alternatives de cette particule fut confirmée en 1956, grâce à une On l’aura compris, l’imagination débridée des physi- qui lui permet de décrire le monde en jetant un pont
(PHOTO: MARC CHAUMEIL) expérience réalisée près d’un réacteur nucléaire. ciens est souvent le prélude nécessaire à une découverte entre le visible et l’invisible. p

Cahier du « Monde » No 22111 daté Mercredi 17 février 2016 - Ne peut être vendu séparément
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Mercredi 17 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | AC T UA L I T É

Le risque d’Alzheimer revu à la baisse


épidémiologie | Le nombre de nouveaux cas de démence diminue de 20 % à chaque décennie, selon plusieurs études.
Une tendance rassurante qui laisse espérer, à terme, une meilleure prévention des maladies neurodégénératives

sandrine cabut et nathaniel herzberg mais elle est plus spectaculaire chez les hom-
mes et particulièrement marquée dans les po-

C’
Washington, envoyé spécial pulations éduquées. Dans la cohorte de Framin-
est désormais presque une gham, l’élévation du niveau d’éducation pour-
certitude. La maladie rait expliquer en partie le recul de l’âge moyen
d’Alzheimer et les autres dé- de début de la démence : 80 ans dans la pre-
mences sont sur le déclin. mière période, 85 dans la dernière.
Plusieurs études publiées de- Ces résultats ouvrent-ils des perspectives
puis trois ans retrouvent la pour prévenir ces maladies, ou du moins retar-
même tendance dans différents pays du der leur apparition ? Permettront-ils de revoir à
monde : une diminution du nombre de nou- la baisse les scénarios les plus pessimistes ?
veaux cas, ce qu’on nomme l’incidence, au « Les données de Framingham sont sérieuses et
cours des dernières décennies. Des données is- intéressantes, mais pour aller plus loin cela va
sues de la célèbre cohorte américaine de Fra- être difficile, long et coûteux, estime Joël Mé-
mingham, dévoilées le 11 février dans le New nard, professeur émérite de santé publique, qui
England Journal of Medicine, enfoncent le clou. a présidé le conseil scientifique de la Fondation
Claudia Satizabal (université de Boston) et ses Plan Alzheimer (2008-2012). Nous avons
collègues américains et français constatent aujourd’hui beaucoup d’études d’observation,
ainsi depuis les années 1980, à chaque décen- qui ont mesuré le poids des différents facteurs de
nie, une baisse moyenne de 20 % de l’incidence risque des troubles cognitivo-comportementaux
des démences. Ces constats ont été confirmés, dont l’incidence est associée à l’âge. Mais des étu-
samedi 13 février, par les premiers résultats
d’une autre étude menée aux Etats-Unis sur
20 000 personnes âgées de plus de 50 ans. L’arti-
cle n’a pas encore été publié mais le docteur Ken-
L’élévation du niveau
neth Langa, de l’université du Michigan, en a li-
vré les tendances dominantes, lors du congrès
d’éducation depuis les années
de l’American association for the advancement
of science (AAAS), à Washington. Chez les plus de
1980 pourrait expliquer en
65 ans, la prévalence de la démence est passée,
entre 2000 et 2010, de 11,7 % à 9,2 %. Une bouffée
partie le recul de l’âge moyen
d’optimisme bienvenue, d’autant que la préva-
lence, c’est-à-dire le nombre total de patients,
du début de la démence
augmente, elle, très rapidement, notamment
dans les pays à revenu faible et intermédiaire.
Altérations des fonctions cognitives, avec des dites d’intervention, comparant le devenir de
troubles de la mémoire, du raisonnement, de deux groupes, l’un traité, l’autre non, sont néces-
l’orientation, qui surviennent le plus souvent saires pour savoir ce qui serait vraiment efficace.
après 60 ans, les démences touchent environ Ainsi, sont attendus les résultats d’un vaste essai
47,5 millions de personnes dans le monde, se- américain, Sprint, qui dira si un traitement inten-
lon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). sif de l’hypertension artérielle est bénéfique pour
Et ses dernières prévisions sont sombres, du les fonctions cognitives. » D’autres essais d’inter-
fait du vieillissement des populations et de l’ab- vention sont en cours, tel Finger, qui évalue les
sence de traitements capables de freiner l’évo- effets préventifs de l’activité physique et intel-
lution de ces maladies : 75 millions d’individus lectuelle chez des seniors finlandais.
pourraient être concernés en 2030, et plus de Reste à savoir quelle part des démences pour-
135 millions d’ici à 2050. La plupart des démen- rait être évitée. « Accentuer la prévention cardio-
ces sont neurodégénératives, la plus fréquente vasculaire permettrait de diminuer encore l’inci-
(75 %) étant la maladie d’Alzheimer ; environ dence des maladies cardio-vasculaires et donc les
20 % sont d’origine vasculaire, liées à des acci- Les démences touchent près de 47,5 millions d’individus dans le monde. JOAN accidents vasculaires cérébraux, qui contribuent
dents vasculaires cérébraux à répétition. BARDELETTI/PICTURETANK aux démences, mais de telles mesures peuvent
Lancée en 1948, avec quelque 5 200 habitants avoir des effets paradoxaux, souligne Joël
de cette ville proche de Boston (Massachusetts), Soit une réduction moyenne de 20 % d’une dé- n’était pas significatif, mais, depuis, une ten- Ménard. Dans chaque tranche d’âge, et en parti-
l’étude de Framingham a notamment permis cennie à l’autre. « La baisse de risque était statisti- dance comparable a été décrite au Danemark, culier dans les plus élevées, le recul des décès de
de définir les principaux facteurs de risque des quement significative seulement chez les person- puis au Royaume-Uni. » cause cardio-vasculaire exposerait davantage
infarctus et autres accidents cardio-vasculaires : nes avec un niveau d’études au moins équivalent Dans la mesure où l’évolution est rapide, sur d’individus à une dégénérescence neuronale. »
excès de cholestérol, hypertension artérielle, au bac », souligne le docteur Vincent Chouraki, quelques décennies, elle n’est probablement pas Lors de sa présentation à l’AAAS, la Britannique
diabète, tabagisme… Depuis 1975, les partici- troisième auteur de l’article, postdoctorant à d’origine génétique, selon Philippe Amouyel. « Il Carol Brayne (Cambridge) a affirmé que, selon
pants font aussi l’objet d’examens systémati- Boston au moment de l’étude. Il précise aussi faut donc rechercher le rôle de l’environnement : les calculs de son équipe, la baisse de la préva-
ques de leurs fonctions cognitives. qu’une baisse des principaux facteurs de risque les facteurs de risques vasculaires classiques (hy- lence des démences compenserait dorénavant
Les résultats qui viennent d’être publiés ont vasculaire – excepté le diabète et l’obésité – a été pertension, cholestérol…), mais aussi la dépres- l’augmentation de l’espérance de vie, qui faisait
été obtenus à partir du suivi de volontaires de la observée durant les trois décennies, mais que sion, l’inflammation, le niveau intellectuel. » mécaniquement augmenter le nombre de cas.
première génération et de leurs descendants. celle-ci ne peut à elle seule expliquer l’évolution En ce qui concerne le niveau intellectuel, évalué « Si bien qu’on devrait stabiliser le nombre global
Les chercheurs ont scruté l’apparition d’une ma- du nombre de nouveaux cas de démences. par le nombre d’années d’études, il protégerait de cas », a-t-elle assuré. Une prédiction qu’il con-
ladie d’Alzheimer ou autre démence chez les « Cette étude, robuste, apporte un argument des démences par un effet sur la réserve cogni- vient de prendre avec prudence. D’abord parce
plus de 60 ans – soit plus de 5 200 individus au supplémentaire pour confirmer la baisse d’inci- tive : les individus les plus stimulés intellectuelle- que ce calcul ne concerne qu’un pays – les Améri-
total – pendant quatre périodes successives de dence des démences, se réjouit Philippe Amou- ment disposant de connexions neuronales plus cains ne sont pour l’heure pas aussi optimistes –,
cinq ans (allant de la fin des années 1970 jusqu’à yel, professeur d’épidémiologie au CHRU de performantes peuvent compenser plus long- et qu’à l’échelle du globe, l’augmentation risque
la fin des années 2010). Le risque a été évalué à Lille. La question a émergé en 2012, quand les temps sans symptômes une altération des fonc- de se poursuivre en Asie et en Afrique. Surtout,
3,6 % (taux d’individus) lors de la première pé- chercheurs qui suivent la cohorte de Rotterdam tions cognitives. Dans l’étude présentée à Kenneth Langa met en garde contre l’explosion
riode ; 2,8 % dans la deuxième ; 2,2 % durant la ont publié une baisse de 20 % des démences l’AAAS, l’évolution favorable du nombre de de l’obésité et du diabète, « deux facteurs qui
troisième ; et 2 % lors de la quatrième période. entre 1990 et 2000. Sur le plan statistique, ce démences touche toutes les catégories d’âges, pourraient bien à nouveau inverser la courbe ». p

Un scandale agite l’Institut suédois Karolinska


Un chirurgien de la prestigieuse université médicale est soupçonné de fraude scientifique. Son recteur vient de démissionner

L
e scandale qui secoue de- chiarini rêve d’un monde où on Macchiarini devient le magicien lice sur plainte de l’agence phar- Au-delà du cas Macchiarini et de caux à la tête de KI, reprochant à
puis des semaines la utilisera les cellules pour réparer de la greffe de la trachée. Pour- maceutique suédoise. ses conséquences à venir, le scan- l’institut de s’être laissé éblouir par
Suède, avec la mise en les fonctions d’un organe. La chi- tant, ses deux premiers patients Début janvier 2016, le magazine dale jette une lumière crue sur le son rôle dans l’attribution du prix
cause du chirurgien Paolo rurgie remplacée par la thérapie décèdent, et la troisième survit américain Vanity Fair raconte fonctionnement de l’institution Nobel et de manquer de culture
Macchiarini au sein du presti- cellulaire, telle est son idée. Les rê- dans un service de soins intensifs comment le chirurgien a pré- suédoise. Plusieurs de ses coau- académique. Torbjörn Tännsjö ra-
gieux institut suédois qui décerne ves de l’Italien coïncident avec aux Etats-Unis, dans l’attente tendu avoir Clinton et Obama teurs maintiennent leur signa- conte par le menu comment on
tous les ans le prix Nobel de méde- l’ambition de KI, institution d’élite d’un don d’organe. comme patients et être le méde- ture dans ses publications ; les ar- devient professeur au KI, avec les
cine, continue de défrayer la chro- en concurrence avec les meilleurs cin personnel du pape. ticles scientifiques ne sont pas re- « bons contacts », après un déjeu-
nique. Samedi 13 février, le recteur établissements mondiaux pour Six de ses patients sont morts D’autres accusations émergent ; tirés. En dépit des accusations, KI ner avec le recteur, et si l’on sait fi-
de l’Institut Karolinska (KI) de attirer la crème des chercheurs. KI, En juin 2014, l’image se cra- on le soupçonne de pratiquer de l’a soutenu jusqu’à ces derniers nancer son propre poste avec des
Stockholm, Anders Hamsten, a alors absent de ce secteur de la quelle lorsque quatre chirurgiens la chirurgie expérimentale. La dif- jours, où il a annoncé l’ouverture revenus extérieurs.
annoncé qu’il démissionnait, esti- médecine régénératrice, voit en de KI, cosignataires de plusieurs fusion récente d’une série de trois d’une nouvelle enquête indépen- Karin Ragsjö, députée du Parti de
mant qu’il avait failli à prendre la Paolo Macchiarini l’homme idéal publications scientifiques avec documentaires sur la chaîne pu- dante et le non-renouvellement gauche, a dénoncé les conséquen-
pleine mesure de l’inconduite pour lancer et diriger un tel dépar- Paolo Macchiarini, l’accusent de blique suédoise SVT précipite la de son contrat. ces d’une politique de droite. Elle
scientifique de Paolo Macchiarini. tement à Stockholm. fraude scientifique, relevant des chute du chirurgien. Le documen- Le professeur de génétique Ur- met en cause les réductions budgé-
Recruté en 2010 par le KI, celui-ci En 2011, le chirurgien réalise la différences entre l’article scienti- tariste Bosse Lindquist démonte ban Lendahl a démissionné le 7 fé- taires et la dépendance croissante
est alors en pleine ascension. Ce première greffe mondiale d’une fique et le dossier médical des pa- les mensonges de Paolo Macchia- vrier du poste de secrétaire général aux sponsors privés pour attirer
chercheur et chirurgien de haut trachée artificielle recouverte de tients. Un an plus tard, une en- rini et trouve en outre que le chi- de l’instance chargée de décerner les fonds qui fait le lit de ce star-sys-
vol veut fabriquer de nouveaux cellules souches. Depuis, deux quête externe sur Macchiarini rurgien a opéré des patients dans le prix Nobel de médecine. Plu- tem encouragé par le KI, qui
organes pour faire face à la pénu- autres patients ont été opérés se- parvient à la même conclusion. sa seconde base, située à Krasno- sieurs professeurs demandaient la pousse et aide les professeurs à
rie de dons, l’un des problèmes les lon cette méthode. La Suède est En outre, six de ses huit patients dar, dans le sud de la Russie, sans démission des responsables de KI. commercialiser les produits issus
plus cruciaux auxquels est con- alors le premier pays à pratiquer sont morts, ce qui provoque examen par un comité d’éthique Le philosophe Torbjörn Tännsjö de leurs recherches. p
frontée la médecine. Paolo Mac- une telle transplantation. Paolo l’ouverture d’une enquête de po- de son procédé scientifique. réclame des changements radi- olivier truc
AC T UA L I T É | SCIENCE & MÉDECINE | 0123
Mercredi 17 février 2016 |3

Télémédecine : des règles à clarifier Neurologie


télescope

L’apnée du sommeil modifie


la chimie du cerveau
santé| Un rapport du conseil national de l’ordre des médecins réclame Touchant un adulte sur quinze, l’apnée
du sommeil s’accompagne de modifica-
une meilleure réglementation de l’e-santé, menacée selon lui d’« ubérisation » tions dans la concentration cérébrale
de certains transmetteurs, indique une
équipe de l’université de Californie à Los
Angeles. Elle a mesuré les niveaux de
pascale santi commerciale ne sauraient s’affranchir médecin traitant, et l’Assurance-ma- tant le suivi d’une pathologie au long glutamate et d’acide amino-gammabu-

D
du contrat social français en matière ladie ne débourse pas un centime. cours, serait plus approprié. Par exem- tyrique (GABA) dans l’insula, une zone
emander conseil pour de protection sociale ». En clair, les rè- Certaines mutuelles comme la ple, un patient souffrant d’insuffi- du cerveau impliquée notamment dans
une allergie par télé- gles doivent être clarifiées, notam- MGEN, Harmonie ou Intériale (adhé- sance cardiaque a besoin d’adapter la régulation des émotions et de la pres-
phone, prendre un ment sur qui paie quoi et sur la ma- rentes de la Mutualité française) pro- son traitement. Un rendez-vous télé- sion sanguine. Chez les personnes tou-
deuxième avis médi- nière dont est rémunéré le médecin. posent des services à distance tels que phonique suffit souvent pour ajuster chées, le taux de glutamate, qui agit sur
cal ou encore avoir C’est d’ailleurs le prix de 295 euros le téléconseil médical ou de préven- la posologie, ce qui évite un déplace- le niveau de stress et peut engendrer
une consultation en qui avait fait réagir la Confédération tion aux adhérents. « La vraie question ment pour le patient. des atteintes neuronales, était plus élevé.
ligne, les offres se multiplient, sur des syndicats médicaux français, qui est de savoir de quoi la population a be- La réglementation est jugée trop Celui de GABA, un inhibiteur qui pos-
Internet, sur mobile… Face à ce qu’il avait dénoncé « une démarche com- soin. Ces technologies sont une chance. complexe. Les acteurs parlent de par- sède une action calmante, était, lui, ré-
appelle l’« ubérisation de la santé », le merciale ». Pour Jean-Paul Hamon, Il est essentiel de ne pas bloquer ces évo- cours du combattant pour mettre en duit. Ces mesures sont corrélées avec les
Conseil national de l’ordre des méde- président de la Fédération des méde- lutions », estime Etienne Caniard, pré- place ces expériences de télémédecine. symptômes rapportés par les patients
cins (CNOM) a rendu public, le 10 fé- cins de France, « c’est une remise en sident de la Mutualité française. « Les modalités administratives sont (pertes de concentration et de mémoire,
vrier, un rapport pour réclamer la cause de l’examen clinique et du face- trop lourdes, reconnaît-on au minis- état de stress et épisodes dépressifs).
réglementation de la télémédecine et à-face ». « Notre approche n’est pas tère de la santé, un travail de simplifica- > Sarma et al., « Journal of Sleep
une meilleure régulation de ces offres
émanant de sociétés privées.
celle de l’ubérisation, elle s’intègre
dans le parcours de soins et répond
Les acteurs parlent tion est en cours. ». « La télémédecine
est une priorité, à la condition que ce
Research », 11 février.

La télémédecine (selon le décret du aux inégalités sanitaires. Nous propo-


de parcours soit intégré dans le parcours de soins »,

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19 octobre 2010) recouvre les actes sons un avis de médecins experts pour insiste-t-on. Par ailleurs, un arrêté de-
médicaux réalisés à distance : télé-ex-
pertise, télésurveillance, téléassis-
répondre à ceux qui ont du mal à
savoir où s’adresser », répond Pauline
du combattant pour vrait être rendu dans quelques semai-
nes pour étendre le dispositif d’expéri-
tance, téléconsultation et la régula-
tion médicale – ce que fait le Samu
d’Orgeval, l’une des trois cofondatri-
ces de Deuxiemeavismedical.fr. Une
mettre en place mentation de la télémédecine, testé
dans neuf régions pilotes pour envi-
par téléphone depuis des années. Elle
est aussi utilisée de longue date dans
dizaine d’avis ont été rendus à ce jour.
Axa Santé a, quant à lui, lancé un
ces expériences ron 3 millions de patients en affection
longue durée. Une évaluation écono-
des établissements d’hébergement service de téléconsultations en mique est en cours pour préciser les C’est, en mètres par seconde (soit
pour personnes âgées dépendantes mai 2015 pour ses adhérents (entre 1,5 rôles de chacun et les financements. 151,2 km/h), la vitesse du vent à partir
ou d’autres établissements de santé. et 2 millions de personnes). A l’instar Paradoxe mis en avant par le Conseil Pour l’heure, si des travaux montrent de laquelle aucun arbre ne résiste,
Mais le lancement, en décem- de Deuxiemeavismedical.fr, Axa sou- de l’ordre, les médecins n’ont plus le les bénéfices de l’e-santé, son usage quels que soient sa hauteur, son
bre 2015, du site Deuxiemeavis.fr, qui haite proposer son service en « mar- temps de rappeler leurs patients – et réel reste timide en France, note une diamètre ou son espèce. Ce résultat
propose le service éponyme pour que blanche » (sous-traitance). « Ce ne sont pas payés pour cela. Ils deman- étude coordonnée par le Pôle intermi- empirique, constaté notamment après
295 euros, ainsi que les téléconsulta- service de téléconsultation en ligne dent donc « que les activités réalisées nistériel de prospective et d’anticipa- la tempête Klaus en 2009 en France,
tions proposées par des assureurs correspond à un vrai besoin », déclare par télémédecine soient inscrites dans tion des mutations économiques (Pi- a été confirmé par des expériences et
privés tel Axa depuis mai, ont fait le docteur Philippe Presles, directeur la nomenclature [la Classification com- pame) qui vient d’être publiée. « L’enjeu des modèles, exposés dans Physical
grincer des dents. recherche et développement d’Axa mune des actes médicaux] », souligne principal est de passer des expérimenta- Review E par une équipe de l’Ecole
Si 70 % des médecins jugent « néces- Santé. Au moment de Noël, il y a eu le docteur Jacques Lucas, vice-prési- tions à un réel déploiement des solu- polytechnique et de l’ESPCI ParisTech,
saire d’intégrer le numérique dans l’or- des pics à une trentaine de consulta- dent du CNOM et délégué général aux tions d’e-santé », souligne le Syndicat le 2 février. Selon ce calcul, la vitesse
ganisation des soins sur les territoi- tions en ligne par jour pour des ques- systèmes d’information en santé, des technologies médicales. Dans les de rupture ne varie que très peu avec la
res », selon Patrick Bouet, président du tions sur le syndrome grippal, les al- auteur du rapport. La seule rémunéra- faits, les freins sont parfois nombreux hauteur de l’arbre. Le modèle ne tient
CNOM, « les prestations ouvertes par lergies… Dans tous les cas, il est pro- tion à l’acte ne conviendrait pas, note en dépit de la volonté affichée par les cependant pas compte de vents tour-
des sociétés intermédiaires à vocation posé de faire un compte rendu au le CNOM, pour qui un forfait, permet- pouvoirs publics. p billonnants et du rôle des branches.

THOMAS LECUIT
Exploration de l’architecture et de la plasticité des tissus biologiques
INSTITUT DE BIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT DE MARSEILLE LUMINY

Avec ses 4 prix annuels, la Fondation Bettencourt


Schueller favorise le rayonnement de la recherche
française pour l’amélioration de la santé :
CE CHERCHEUR • Prix Liliane Bettencourt pour les sciences du vivant
• Prix Coups d’élan pour la recherche française
MISE SUR LES FORCES DU VIVANT • Dotation du programme ATIP-Avenir
• Prix pour les jeunes chercheurs.

Depuis 1990, pour les sciences de la vie, elle a déjà


attribué 352 prix, accordé 306 M€ de dons cumulés,
LA FONDATION BETTENCOURT SCHUELLER CULTIVE SON TALENT.
encouragé plus de 5 000 chercheurs.
ELLE LUI DÉCERNE LE PRIX LILIANE BETTENCOURT POUR LES SCIENCES DU VIVANT,
POUR LE CARACTÈRE INNOVANT ET PROMETTEUR DE SON PROJET.

FONDATION RECONNUE D’UTILITÉ PUBLIQUE


Pour en savoir plus : www.fondationbs.org
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Mercredi 17 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | ÉVÉNEMENT

Buruli
Une maladie tropicale négligée
bactériologie

En Afrique de l’Ouest, l’ulcère de Buruli affecte principalement les enfants et les adolescents vivant aux abords des fleuves
et des marécages. Négligé car peu douloureux, il peut entraîner jusqu’à des amputations

la même famille d’agents que ceux qui


raphaëlle maruchitch répandent la tuberculose et la lèpre. A la

U
différence de ces dernières, cependant,
Région de Pobè (Bénin), envoyée spéciale l’UB ne fait pas l’objet de transmission
n garçonnet de interhumaine. La majeure partie des per-
3 ans se laisse sonnes infectées ont moins de 15 ans.
examiner docile- Cette maladie tropicale négligée se tra-
ment. Son bras duit par des nodules, qui évoluent en né-
droit est gonflé crose des tissus cutanés aux bords décol-
d’un œdème, et la lés. Ils peuvent s’étendre sur le corps de
chair de son coude façon impressionnante, et s’accompa-
est à vif sur un dia- gnent fréquemment d’œdèmes.
mètre de 5 centimètres. Jusqu’en 2005, la chirurgie était l’uni-
Des villageois rassemblés autour de que traitement. Depuis, les antibiotiques
lui observent les échanges entre son (rifampicine et streptomycine) assurent
père et les médecins. Même si l’œdème a la guérison sans séquelles s’ils sont ad-
régressé, l’état de l’enfant reste préoccu- ministrés à temps. Dans le cas contraire,
pant. Les docteurs souhaitent le prendre les lésions peuvent aboutir à de grandes
en charge, mais sa mère n’est pas là et le invalidités, allant de la perte de fonction-
père est réticent à le laisser partir. Faute nalité d’un membre à la nécessité d’am-
de mieux, un pansement propre est puter. Dans quelques cas heureusement
apposé sur la plaie du garçon, puis les rares, l’UB peut même entraîner le décès.
médecins s’en vont. Pour ajouter au drame, les personnes
La scène se déroule fin novembre 2015 touchées ou leur entourage tardent sou-
au Bénin (Afrique de l’Ouest), dans un vent à décider d’une prise en charge, car
village de la vallée qui borde le fleuve les ulcères provoqués par Mycobacte-
Ouémé, à une centaine de kilomètres rium ulcerans sont peu douloureux. La
faute à une toxine produite par la bacté-
rie, la mycolactone. « Celle-ci a la capa-
L’UB est provoquée par la bactérie cité d’hyperpolariser le neurone, c’est-à-
dire de produire un effet qui l’empêche de
« Mycobacterium ulcerans », véhiculer l’information “douleur” », ex-
plique Laurent Marsollier, chercheur In- Cicatrice sur
de la famille des agents qui serm à Angers. Travaillant depuis 2000
sur le sujet, le scientifique a démontré
le torse d’un
enfant soigné d’un barrage ou la mise en place de cul- centres de proximité pour la prise en
répandent la tuberculose et la lèpre ce mécanisme dans une publication. Le
tableau ne serait pas complet si l’on ne
au Centre de
diagnostic et
tures… Nous avons en outre mis en évi-
dence la présence de bactéries vivant
charge, à l’image du CDTUB.
Les premières descriptions de cas
mentionnait pas les croyances ancestra- de traitement dans les glandes salivaires de punaises d’UB datent de la fin du XIXe siècle.
les qui lient l’UB à la sorcellerie. « Dans de l’ulcère aquatiques prélevées en zone endémi- Quelques-uns sont recensés en Austra-
au nord du littoral. L’affection dont la langue locale, la maladie est dite de Buruli, à que. » Reste à connaître l’ampleur du lie et au Japon, mais c’est en Afrique
souffre le petit garçon n’est pas une “plaie qui ne guérit jamais”, comme si Pobè (Bénin). rôle de ces insectes hôtes de la bactérie subsaharienne, notamment en Afrique
plaie banale mais un ulcère de Buruli elle ne pouvait être qu’envoyée », expli- CESAR GABA dans la transmission de la maladie. De de l’Ouest, que cette maladie infec-
(UB), du nom d’une région de l’Ouganda que Oswald Attolou, le gestionnaire du POUR « LE MONDE » par cette sélection géographique, l’UB tieuse chronique se développe dans les
où la maladie a été décrite dans les an- Centre de Pobè. touche essentiellement des popula- années 1980. Une prise en charge spéci-
nées 1950. L’équipe médicale fait quant M. ulcerans fait partie des mycobacté- tions pauvres, habitant dans des lieux fique s’impose.
à elle partie du Centre de diagnostic et ries atypiques présentes dans l’environ- reculés. « Les gens cultivent la terre et la- L’impulsion est donnée avec l’initia-
de traitement de l’UB (CDTUB) de la ville nement, plus particulièrement aux vent leur linge aux abords du fleuve tive mondiale contre l’ulcère de Buruli
voisine, Pobè. Il leur a fallu parcourir abords des fleuves et des marécages. Ouémé, là où il n’y a pas de courant. C’est lancée par l’OMS en 1998 lors de la con-
une bonne heure de route, sur une piste « Tout tend à dire que la contamination dans ces endroits que l’on trouve les pu- férence de Yamoussoukro, en Côte
bordée de termitières et de maisons se ferait via un environnement aquati- naises, dans les jacinthes d’eau », précise d’Ivoire. A cette même époque, le Bénin
traditionnelles de terre rouge, pour at- que, dit Laurent Marsollier. Lorsqu’il y a le docteur Annick Chauty, directrice du prend pleinement conscience que l’UB
teindre le village où vit l’enfant. une flambée de la maladie, c’est toujours Centre de Pobè. De cette situation cou- constitue un problème de santé publi-
L’UB est provoqué par une bactérie, en corrélation avec un bouleversement plée à la méconnaissance de la maladie que pour le pays. « Le ministère de la
Mycobacterium ulcerans, appartenant à de l’environnement, comme la création a découlé la nécessité d’implanter des santé du Bénin est alors venu nous sollici-
ter », se souvient Bénédicte de Charette,
responsable du département lèpre et
santé à la Fondation Raoul-Follereau

Une composante génétique en jeu (FRF), organisation connue pour ses ac-
tions en Afrique de l’Ouest. « Nous avons
accepté de financer la construction et le

P
our Laurent Marsollier (In- de la lèpre. Laurent Marsollier, lui, Ces travaux permettent ainsi de « don- un rôle dans l’immunité du corps. fonctionnement d’un centre à Pobè »,
serm), l’ulcère de Buruli (UB) connaît déjà le Centre de diagnostic et ner la première vision globale sur la pa- La confirmation du rôle des bêta- poursuit-elle.
constitue « une aventure de traitement de l’ulcère de Buruli (CD- thologie », résume Alexandre Alcaïs. défensines dans l’infection par la bacté- Inauguré en 2004, le CDTUB fait
scientifique, où tout est à faire ». TUB) de Pobè, au Bénin, et a pressenti En plus de cette dimension épidémio- rie responsable de l’UB pourrait ouvrir aujourd’hui partie des quatre centres de
Expert sur les questions d’environne- le potentiel que représentent les don- logique, la composante génétique de nouvelles voies thérapeutiques. référence de traitement de la maladie
ment de la bactérie, Laurent nées qui y sont archivées. Ils se rendent de la maladie a été largement explorée Pour la constitution de leur cohorte, implantés dans les zones endémiques
Marsollier est allé, en 2008, chercher donc à Pobè afin d’examiner les dos- à cette échelle pour la première fois. les chercheurs se sont attachés du Bénin, au plus près des populations.
une complémentarité d’approche siers des patients. Enthousiasmés par Pourquoi en effet certaines person- à confirmer chaque diagnostic par Sous l’autorité du Programme national
avec les travaux d’Alexandre Alcaïs, ce trésor, ils entreprennent de convain- nes résistent-elles à l’infection par un test fondé sur la technique de de lutte contre la lèpre et l’ulcère de Bu-
directeur de recherche en génétique cre différents partenaires de lever des un microbe alors qu’elles y sont tout « réaction en chaîne par polymérase » ruli du pays, il dialogue constamment
humaine des maladies infectieuses fonds pour le projet. Quentin Vincent, autant exposées que d’autres qui tom- (PCR). Dans un premier temps, avec l’Organisation mondiale de la santé
à l’Institut Imagine, à Paris. Les deux qui prépare une thèse sur l’ulcère bent malades ? Comment expliquer les échantillons étaient envoyés au (OMS). Le Centre est constitué de plu-
chercheurs s’associent dans une soif de Buruli, embarque dans l’aventure. que les manifestations cliniques soient laboratoire du CHU d’Angers, mais sieurs bâtiments entourés de verdure,
commune de percer le mystère qui très différentes d’une personne le centre de Pobè est désormais auto- répartis sur un vaste terrain en bordure
entoure l’UB. A l’époque, les quelques « Première vision globale » à l’autre ? Certains individus auraient nome. C’est d’ailleurs aujourd’hui de la route principale de Pobè. Une
publications scientifiques sur le sujet Les chercheurs épluchent alors une susceptibilité génétique au le seul laboratoire de brousse soixantaine de patients peuvent y être
ne s’appuient que sur une centaine les informations du CDTUB. En trois développement de la maladie. C’est par du continent africain qui possède une hospitalisés et une cinquantaine de sala-
de cas, disséminés dans plusieurs ans, ils réussissent ainsi à mettre sur exemple le cas de la lèpre, et la variabi- PCR. Outre le temps gagné dans riés y œuvrent. Chacun sa fonction : ac-
pays. « Je me suis aperçu qu’on ne pied une cohorte d’étude de plus lité des cas observés d’UB fait pencher l’obtention du diagnostic des patients, cueil, soins, bloc opératoire, suivi des pa-
connaissait rien à cette maladie. Par de 1 200 patients, « un travail qui aurait vers cette hypothèse. « Personne ne l’équipement « offre au CDTUB tients opérés. Du traitement antibioti-
rapport à la lèpre et à la tuberculose, été impossible à réaliser ailleurs », juge s’était jamais intéressé à la sévérité de la de la visibilité, la possibilité de réaliser que jusqu’à la cicatrisation complète des
le différentiel d’information scientifi- Alexandre Alcaïs. Quentin Vincent maladie », commente Quentin Vincent. de la recherche de dimension interna- plaies, tout a été pensé pour faciliter
que est colossal », souligne Alexandre a soumis sa thèse « Epidémiologie et Il s’est notamment penché sur un cas tionale et lui permet de créer du lien », l’hospitalisation des malades pendant
Alcaïs. En 2009, les deux chercheurs génétique humaine de l’ulcère de très sévère d’UB, issu d’une famille ajoute Laurent Marsollier. D’ailleurs, souvent plusieurs mois.
décident de faire une étude généti- Buruli » fin novembre 2015 (qui a rem- consanguine. Les résultats d’analyses le centre a récemment étendu ses Partout, le personnel soignant s’affaire.
que à grande échelle et prévoient de porté le Prix « Le Monde » de la re- génétiques ont mis en évidence un dé- perspectives ; en témoigne sa récente Nombreux sont les patients qui auront
se rendre en zone endémique pour cherche universitaire 2015). Plusieurs faut sur le chromosome 8 du patient. habilitation pour traiter la lèpre mais besoin de chirurgie, pour nettoyer la plaie
lancer leurs travaux. Alexandre Alcaïs publications ont été issues directe- Plus précisément, il s’agit de la portion aussi les plaies chroniques d’une ou pour faire une greffe de reconstruc-
a retiré une grande expérience de ment de ce travail, d’autres sont nées du chromosome qui implique les façon générale afin de ne plus passer tion. Ainsi, le docteur Ambroise Adeye,
terrain de son travail sur la génétique de collaborations au cours de celui-ci. bêta-défensines, des molécules jouant à côté de diagnostics de l’UB. p ra. m. 59 ans, est présent deux jours par se-
ÉVÉNEMENT | SCIENCE & MÉDECINE | 0123
Mercredi 17 février 2016 |5

Repères
Afrique de l’Ouest
et Afrique centrale
En 2014, plus de
2 100 nouveaux cas ont
été diagnostiqués (dont
330 au Bénin), contre
plus de 5 000 en 2009
(674 au Bénin). Il est
vraisemblable que
le nombre de nouveaux
cas soit sous-estimé.
Les données, trop in-
complètes, ne permet-
tent pas de fournir
de chiffres mondiaux.

Pays les plus


touchés Bénin,
Cameroun, Côte d’Ivoire,
Ghana et République
démocratique du Congo.

Au Bénin Le Centre
de Pobè a traité 145 cas
en 2003, 303 en 2006,
147 en 2014.

Sources : OMS, CDTUB


de Pobè

Le docteur
Annick
maine. Formé et spécialisé en chirurgie pour lesquels on a pu commencer les Chauty Mieux, elles ont été compilées dans de plus amples moyens, sans pour
des plaies, il partage son temps de travail antibiothérapies », se souvient le collecte des des tableurs Excel par Marie-Françoise autant se substituer aux structures de
avec l’hôpital de Pobè. Chaque cas est dif- docteur Chauty. informations Ardant, médecin généraliste, qui a offi- soins déjà mises en place », analyse Lau-
férent. « On s’adapte à la plaie », souligne Les tournées ont aujourd’hui lieu deux sur l’ulcère cié au CDTUB jusqu’en 2013, année où rent Marsollier. D’autant que « faire
Armelle Zitty, infirmière responsable fois par semaine dans les villages aux de Buruli elle a pris sa retraite. « A mon arrivée, changer les mentalités demande du
d’équipe. Mais pas seulement : « Les pa- alentours de Pobè, dans le département depuis la en 2004, l’activité commençait tout juste. temps », rappelle le docteur Chauty.
tients peuvent développer des symptô- de l’Ouémé-Plateau. Les équipes médi- création Je cherchais un peu à trouver ma place, Pour l’heure, les équipes soignantes
mes purement psychologiques, il faut être cales développent ainsi des actions de du centre raconte-t-elle. J’ai alors eu l’idée de réper- continuent à s’y employer. Lors de cha-
très attentif », continue-t-elle. sensibilisation, font le relais avec les dis- de Pobè, torier les données chiffrées des patients que tournée, à chaque arrêt dans les dis-
Pour prendre cet aspect en charge, la pensaires de la région et assurent le en 2004. pour en tirer des statistiques. Des critères pensaires, des patients attendent le pas-
jeune assistante sociale Blandine Sezolin suivi des patients. Lors d’une de ces CESAR GABA ajoutés au fur et à mesure ont élargi le ta- sage du véhicule du Centre. La préven-
a été affectée au Centre il y a trois ans. tournées où sont présents Annick POUR « LE MONDE » bleau au fil des années. Nous voulions tion paie, le bouche-à-oreille fonctionne.
« J’essaie de faire le lien avec la famille, ex- Chauty et le docteur Espoir Sodjinou, lui voir s’il y avait des pics saisonniers, en sa- Ainsi une mère accompagne en cette
plique-t-elle. La politique de réinsertion aussi du CDTUB, d’anciens malades voir plus sur le vecteur de la maladie et le fin novembre sa fille d’une quinzaine
est née du fait que l’UB crée des incapaci- viennent les saluer. Annick Chauty ar- mode de transmission. » Car on connaît d’années, Catherine, pour la faire exami-
tés chez les enfants. Nous réfléchissons rive à échanger un peu dans la langue lo- encore très peu de choses de l’UB, qui ner. La jeune apprentie couturière coiffée
avec les parents à mettre en place des so- cale grâce à sa longue expérience, tandis commence seulement à attirer la re- d’un fichu mauve montre son avant-bras
lutions pour que ces enfants ne devien- qu’Espoir Sodjinou maîtrise plusieurs cherche. Et, justement, les informations à Annick Chauty et à Espoir Sodjinou. Il y
nent pas dépendants à l’avenir. » langues du Bénin. Un atout de taille, car collectées par Pobè sont une véritable a une plaie caractéristique, surinfectée,
A la tête du Centre depuis le début, le les villageois sont nombreux ici à ne pas mine d’or pour les chercheurs. accompagnée d’un œdème qui s’étend
docteur Chauty est l’unique Française Comme d’autres maladies négligées, de la main jusqu’au coude. Le diagnostic,
du CDTUB. Agée de 65 ans, elle vit au l’ulcère de Buruli ne s’inscrit plus dans qui sera par ailleurs confirmé, ne laisse
Bénin depuis trente-quatre ans et cé-
dera son poste cette année. Il y a un
Ceux qui ont été soignés avec une stratégie de lutte isolée. « L’approche
centrée sur une maladie est abandonnée
pas de place au doute pour les médecins :
c’est un UB. Ils discutent avec la mère, qui
peu plus de dix ans, la Fondation l’a re-
crutée pour monter le projet du CD-
succès contribuent largement pour une approche transversale. Nous
devons développer des synergies avec
se laisse convaincre de l’utilité d’une
prise en charge pour Catherine. Elle re-
TUB. Elle travaille alors dans les cités d’autres programmes de santé publique, partira à Pobè dans le véhicule de la tour-
lacustres, non loin de Cotonou, se dé-
à faire progresser la confiance détaille le docteur Christian Johnson, née. Pour elle, très certainement, l’ulcère
plaçant en pirogue de village en vil- conseiller médical pour la FRF concer- de Buruli se résumera bientôt à une pe-
lage. « M’occuper de plaies, ça ne m’inté-
des populations nant l’Afrique depuis 2010 et ancien tite cicatrice. p
ressait pas », déclare-t-elle tout de go. coordinateur du programme de lutte
Mais, épuisée par le rythme de travail contre la lèpre et l’UB du Bénin. Nous en-
sur le lac, elle se laisse convaincre et se parler français. Un sourire fendu jus- trons par exemple dans un programme
joint à l’aventure. En parallèle de la qu’aux oreilles, ils leur montrent spon- de santé publique avec des infirmiers for-
construction du Centre, Annick Chauty tanément leurs cicatrices sur le torse, les més sur les maladies de la peau : la lèpre,
commence à travailler dans la vallée jambes, qui résultent souvent de greffes. l’ulcère de Buruli et d’autres. Ainsi, le ma-
du fleuve Ouémé. Elle recrute comme Ceux qui ont été soignés avec succès ont lade n’est pas stigmatisé. » En outre,
chauffeur Pierre Detounou, qui en est largement contribué à faire progresser cette stratégie peut aussi être une ré-
originaire et est lui aussi toujours en
poste. Ils débutent ensemble les tour-
la confiance des populations.
Dans des pochettes en carton couleur
ponse à la mobilisation de ressources.
Sinon, « comment engager des dépenses Dans l’ êt de
nées dans les villages, afin de faire
connaître la maladie et de soigner les
personnes touchées par la bactérie.
vieux rose soigneusement archivées,
Annick Chauty a consigné dès le départ
les informations et photos relatives à
de santé avec aussi peu de cas ? Comment
maintenir l’expertise sur ce sujet ? », inter-
roge Christian Johnson.
la science
« C’est grâce à lui que l’on a trouvé les l’historique et au suivi de chaque patient La lutte contre l’UB au Bénin a servi
premiers cas, avec de petites plaies, qui passe par le Centre. de modèle pour les autres pays, notam-
ment au niveau du dépistage précoce.

mathieu vidard
« Nous avons beaucoup appris du Bu-
ruli. Les efforts de lutte ont été bien con-
La stratégie de l’OMS arré
la tête au c
duits. Mais si on arrête aujourd’hui, tous
les acquis vont se perdre », prévient le
La dénomination de « maladie tropicale négligée » (MTN) a vu le jour docteur Johnson.
en 2006, à l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il y a encore beaucoup à faire dans le 14 :00 -15 :00
A l’heure actuelle, 17 maladies sont considérées comme des MTN : il s’agit combat contre l’UB. Des essais clini-
de maladies connues du grand public comme la lèpre, la rage, la dengue ; ques sont en cours pour tester un autre
mais aussi d’autres beaucoup moins médiatisées telles que l’ulcère antibiotique (la clarithromycine), qui
de Buruli. « La région africaine supporte près de la moitié de la charge pourrait être administré par voie orale
de morbidité mondiale due aux MTN », indique l’OMS. Elles font l’objet de à la place de l’association d’antibioti-
plans mondiaux de lutte coordonnés par l’OMS, dans le but de prévenir, ques injectable actuelle.
maîtriser, éliminer ou éradiquer ces maladies. Cependant, l’organisation Côté diagnostic, des chercheurs de
intervenait sur le sujet des MTN bien avant 2006, même si les maladies Harvard, à Boston, travaillent à un test avec, tous les mardis,
n’étaient pas encore regroupées sous ce sigle. Concernant l’ulcère qui détecterait la mycolactone produite la chronique de Pierre Barthélémy
de Buruli en particulier, les premières actions de l’OMS datent de 1998. par M. ulcerans et faciliterait grande-
La mise en place de la stratégie de lutte a été une décision motivée par ment la confirmation du diagnostic en
« la négligence entourant cette maladie dévastatrice pour laquelle les lieu et place de la PCR. Quant à l’offre
connaissances étaient très limitées », explique le docteur Kingsley Asiedu, proposée au CDTUB, « bien que de
à la tête de l’initiative mondiale contre l’ulcère de Buruli à l’OMS. grande qualité, elle ne suffit pas. Il faut
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Mercredi 17 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE | RENDEZ-VOUS

« Anent », La machine à IRM, annexe du supermarché


les chants de la bidoche ou encore de nouvelles sorte de cartographie des zones acti- l’impression que ces machines se sont
du crépuscule méthodes pour tester la qualité
musculaire des vieux bœufs. Et parmi
vées dans l’encéphale. Le troisième et
dernier « scan » avait lieu une demi-
transformées en annexes du super-
marché. On a ainsi vu paraître des
tous ces articles où l’on triture tous heure plus tard, quand la bouchée articles sur la manière dont le cerveau
les morceaux, bas et nobles, des diffé- de viande n’était plus qu’un souvenir. « répondait » aux crèmes glacées, aux
la bande dessinée rents animaux d’élevage, figure, dans Pour varier les plaisirs, certains tests chocolats, aux sodas aux édulcorants,
le numéro daté de février de cette étaient effectués avec de la barbaque aux sodas sans édulcorant, aux sodas
revue, une étude dont le sujet est… de qualité supérieure (tendre, juteuse, de grandes marques, aux sodas pas
le cerveau humain. Je vous rassure, goûteuse) tandis que l’on servait de grandes marques, au vin cher,
nous ne sommes pas encore dans de la semelle le reste du temps. au vin bon marché, aux calandres
le film Soleil vert (Richard Fleischer, de voitures et peut-être même, en
Un roman graphique part sur 1973), et l’objet de ce travail n’est pas Du plaisir passé à la moulinette cherchant bien, aux ratons laveurs…
les traces de la culture jivaro, improbablologie de déterminer si on va pouvoir rem- L’expérience montre, sans trop de Il y aurait de quoi s’interroger sur
placer la cervelle de mouton par de surprise, la corrélation entre la qualité l’utilisation marketing que l’on fait
dans la forêt amazonienne la matière grise d’Homo sapiens. Non, – bonne ou mauvaise – de la viande ensuite du décorticage de nos neuro-
Pierre son objectif consistait à déterminer
les zones du cerveau qui sont excitées
et les régions du cerveau impliquées
dans ce que les neurosciences appel-
nes… si l’IRM dite fonctionnelle
permettait vraiment d’explorer en

anne favalier
Barthélémy lors de la consommation de viande.
Chercheurs à l’université Texas
lent le « système de récompense »,
comme, par exemple, les petites struc-
finesse la tuyauterie cérébrale, ce qui
est loin d’être le cas. On rappellera
Tech, ses auteurs ont convié quelques tures nommées noyaux accumbens. une étude américaine savoureuse,

N
ous n’avions rien compris à ce qu’ils Journaliste et blogueur « cobayes » non végétariens à venir Les auteurs suggèrent que « cette infor- parue en 2010, au cours de laquelle
disaient, nous n’avions rien compris à Passeurdesciences.blog.lemonde.fr s’allonger trois fois dans une ma- mation pourrait conduire à de nouvel- était examinée la cervelle d’un sau-
ce qu’ils faisaient : c’était une situation chine à imagerie par résonance les méthodes pour développer les pro- mon mort glissé dans une machine

V
ethnographique exemplaire. » ous ne l’imaginiez sans magnétique (IRM). La première fois duits carnés et en faire le marketing ». à IRM : les chercheurs eurent la
L’épigraphe d’Anent, la première bande dessi- doute pas, mais il existe une avant que le test ne commence, pour Bienvenue, donc, dans l’ère dite du surprise de constater que des zones
née d’Alessandro Pignocchi, est tirée du livre revue de recherche intitulée avoir le paysage cérébral au repos. « neuromarketing », l’ère du plaisir « s’allumaient » encore dans la tête de
auquel elle fait écho : Les Lances du crépuscule, Meat Science. Littéralement, Puis les participants allaient manger passé à la moulinette de la neuro- la défunte bête. Cela ne montrait pas
de Philippe Descola (Plon, 1993, réédition « science de la viande ». On peut y un morceau de steak grillé et reve- imagerie. Depuis quelques années, que l’expérience l’avait ressuscitée
Pocket, 2006), chronique d’un long séjour chez trouver des travaux sur l’évolution des naient aussitôt après se glisser les études utilisant l’IRM fonction- mais que le protocole standard em-
les Indiens Ashuars en haute Amazonie. testicules chez les cochons non cas- de nouveau dans la machine, pour nelle se multiplient pour toutes ployé se révélait incapable d’éliminer
Au milieu des années 1970, ce disciple de trés, les effets du stress sur la qualité une deuxième IRM fonctionnelle, sortes de produits, au point qu’on a les résultats faussement positifs. p
Claude Lévi-Strauss a partagé trois ans durant
la vie de membres de cette tribu, la plus isolée
du groupe des Jivaros. Son livre montre
le minutieux et patient travail par lequel un
ethnologue acquiert au jour le jour, souvent
de façon fortuite, la connaissance d’une
société très éloignée de celle dont il provient.
Alessandro Pignocchi, lui, a découvert
l’Equateur grâce aux oiseaux. Ce jeune cher-
cheur en sciences cognitives est aussi, depuis Là d’où venaient
l’enfance, un fervent ornithologue amateur.
A l’âge de 16 ans, il est « tétanisé » par la richesse les ondes
de la faune amazonienne lors d’un premier
voyage. A 18 ans, il séjourne dans une commu- gravitationnelles
nauté amazonienne : il y est venu en touriste
goûter avec des amis à la pharmacopée psycho- Difficile de dire avec précision
trope des chamans. D’autres voyages suivront, d’où venaient les ondes gravita-
pour observer et dessiner colibris ou toucans. tionnelles détectées le 14 sep-
tembre 2015 par les instruments
Invocation des esprits et des êtres des observatoires américains
« Ce n’est que bien plus tard que la lecture des LIGO. Le signal correspondait bien
Lances du crépuscule m’a permis de prendre à la signature prédite de la fusion
la mesure de ce à côté de quoi j’étais passé », ra- de deux trous noirs, et on pouvait
conte Pignocchi. Les scènes incompréhensibles en déduire mathématiquement
vécues par le jeune buveur d’ayahuasca s’éclai- la distance parcourue par les rides
rent. Ce chaman qui lui a pratiqué un suçon sur de l’espace-temps engendrées
le crâne, cet Indien qui vomissait au petit ma- par cette collision, située à 1,3 mil-
tin ? Autant d’indices d’une culture animiste ri- liard d’années-lumière.
che et complexe. De cette découverte est né le Le décalage de 7 millisecondes
projet de donner des nouvelles des Indiens Jiva- entre la détection par le site
ros. Le titre de la BD, Anent, désigne les chants de Hanford (Etat de Washington)
par lesquels les Ashuars invoquent les esprits et celui de Livingston (Louisiane),
et les êtres de la nature ; un trésor jalousement distants de 3 000 km, a donné
gardé, transmis de génération en génération. une indication sur la partie du ciel
Pour réaliser son livre, Alessandro Pignocchi austral d’où provenaient ces ondes.
s’est remis aux pinceaux, a rencontré le cher- Les chercheurs évaluent à 90 %
cheur au Collège de France, est retourné en les chances pour que l’origine
Amazonie. Par une alternance de croquis rapi- du phénomène se soit trouvée à
des, de somptueux lavis et d’aquarelles subti- l’intérieur de la zone délimitée par
les, il montre ses tâtonnements et ses bévues, la ligne pourpre, et à 10 % dans
ses déconvenues et ses émerveillements. la zone délimitée par la ligne jaune.
Il saisit les reflets de la lune sur le fleuve, les Il faudra attendre fin 2016 la mise
éclats de soleil dans les sous-bois, la grâce d’un en service près de Pise du détecteur
boa ou d’un oiseau en vol. Il donne à voir des franco-italien Virgo pour effectuer
villages gagnés par le christianisme, une des triangulations plus précises
communauté sous la menace des compagnies lors de futures détections. p
pétrolières, une jeunesse férue de cumbia-rock.
Il décrit aussi comment, dans ce monde
qui change, mille traits attestent de la perma- LIGO

nence du mode de vie ashuar – comme


ce jour de grande chaleur où une petite fille
a fredonné dans son jardin un anent appris
de sa mère. Philippe Descola avait prévenu affaire de logique
le jeune auteur : « Lévi-Strauss avait déjà
l’impression d’arriver trop tard. » p

« Anent. Nouvelles des Indiens Jivaros »,


d’Alessandro Pignocchi, préface
de Philippe Descola (Steinkis, 144 p., 20 €).

Agenda
Conférence
« Les ondes gravitationnelles »
Pour ceux dont la curiosité concernant ces vi-
brations de l’espace-temps, détectées par l’ob-
servatoire américain LIGO, n’est pas rassasiée, le
Palais de la découverte accueille Pierre Binétruy,
l’un des spécialistes du phénomène. Professeur
à l’université Paris-Diderot, Laboratoire
astroparticule et cosmologie et membre senior
de l’Institut universitaire de France, il fera
le point sur cette découverte, et évoquera ce
que cette nouvelle astronomie peut explorer.
> Palais de la découverte, Paris 8e,
jeudi 18 février à 19 heures.
RENDEZ-VOUS | SCIENCE & MÉDECINE | 0123
Mercredi 17 février 2016 |7

Vincent Demassiet,
le 2 février,
à Tourcoing (Nord).
Le cheval, ami
OLIVIER TOURON/DIVERGENCE
de l’homme…
qui lui sourit
zoologie

nathaniel herzberg

F
aites le test autour de vous. « Quel est
le meilleur ami de l’homme ? » Lors de
la rédaction de cet article, la majorité
des personnes interrogées ont ré-
pondu « le chien ». Dans la vie courante et le
dictionnaire, l’expression désigne toutefois
aussi le cheval. Une équipe de l’université du
Sussex (Royaume-Uni) publie, dans les Biology
Letters, un article plaçant cette noble conquête
au niveau du canidé : l’étude montre en effet
que les chevaux distinguent, sur le visage d’un
être humain, les expressions de colère ou de
joie, privilège qu’on pensait réservé au chien.
Discerner les signaux positifs ou négatifs à
travers la barrière des espèces n’est pas en soi
exceptionnel. La menace d’un coup ou la
course agressive en direction d’un animal sont
des stimuli corporels que bien des animaux
reconnaissent. Quant aux expressions faciales,
elles peuvent être là encore reconnues par
plusieurs espèces – qui auraient été préalable-
ment entraînées. Mais opérer cette distinction
spontanément, et sans connaître le sujet
présenté, est autrement exceptionnel.

Vincent Demassiet, de pognon, et j’essayais tout ce qui peut se


faire en matière de sexe, résume-t-il. C’est
parce que je ne vivais pas d’émotions que je
pouvais être un requin. »
Pour le caractériser chez les chevaux, les
scientifiques britanniques ont utilisé trois
indicateurs. Le premier est la latéralisation :
plusieurs études ont en effet montré que

« entendeur de voix » Un jour pourtant, il tombe amoureux ; et


les voix entendues à 17 ans reviennent. Il n’en
parle pas mais consulte un psychiatre qui le
soigne pour une dépression. Un jour, n’y te-
les animaux privilégient l’œil gauche pour
observer les stimuli négatifs, et ce afin de
traiter ces informations inquiétantes avec
l’hémisphère cérébral droit. Le deuxième est
nant plus, il avoue entendre des voix, et son l’évitement. Et le troisième, le rythme cardia-
portrait | Etiqueté schizophrène car hanté par des voix, ce patient psychiatre se met à lui prescrire des neuro-
leptiques sans l’informer du nouveau dia-
que, qui s’accélère face à la menace.

a pu mettre son expertise au service de l’institution psychiatrique gnostic qu’il pose, la schizophrénie. Jusqu’à
ce que Vincent Demassiet le questionne, lors
d’un rendez-vous où son ami l’accompa-
gnait. « Il s’est tourné vers mon ami comme si
catherine mary Tout commence par une série de viols qu’il je n’étais pas là et lui a dit : “Vincent est schi-

V
subit pendant deux ans à l’adolescence, par zophrène” », se souvient-il, accusant encore
incent Demassiet entend des un jeune homme, seul d’abord, puis collecti- le coup. Les voix se font rétives et les doses de
voix. « T’es nul, t’es un mina- vement. Vincent Demassiet a 11 ans et vit neuroleptiques augmentent, comme leurs
ble », lui disaient-elles na- dans la métropole lilloise. A la maison, c’est effets secondaires, inhibition des émotions
guère. Et il les croyait. Il les son père, un commerçant flamand catholi- et de la satiété, impuissance.
croyait car il les entendait que, qui commande. Avec lui, il faut se mon- Vincent Demassiet grossit, s’avachit, multi-
vraiment, comme si elles trer toujours fort. Chaque mercredi, Vincent plie les séjours en hôpital psychiatrique. A sa Le cheval privilégie l’œil gauche
étaient celles de personnes réelles. Parfois Demassiet est confié à « la bonne dame du demande d’abord, puis à celle d’un tiers, et en- pour examiner les stimuli négatifs.
même, elles lui donnaient des ordres et lui cathé ». Celle-ci a un fils, auprès duquel il fin d’office, lorsqu’il lui arrive de se retrouver FRÉDÉRIC DECANTE/BIOSPHOTO
prédisaient le pire s’il ne les exécutait pas. Par trouve, dans un premier temps, l’attention égaré à des kilomètres de chez lui. L’image
exemple, la mort de ses parents. Aux yeux qui lui manque. « J’ai vu un jeune adulte qui qu’il a de lui-même se dégrade. Ne se suppor- Vingt-huit chevaux, provenant de cinq éleva-
des psychiatres, Vincent Demassiet était prenait du temps pour s’occuper de moi », tant plus, il pousse son ami à le quitter, envi- ges différents, se sont donc vu présenter les
schizophrène et ses voix le rendaient dan- confie-t-il. Jusqu’à ce que l’ami se transforme sage le suicide, s’achète un pistolet et s’en- photos agrandies d’un visage humain, soit
gereux. Pour lui et pour les autres. Il fallait en bourreau, « des attouchements d’abord, traîne à tirer sur une citrouille, « pour ne pas souriant, soit grimaçant. Face à l’individu
donc les éradiquer. puis des viols avec pénétration ». Pour sup- [se] manquer ». Mais son projet n’aboutira pas. montrant les dents, les canassons ont claire-
Et pour cela, un seul moyen, les neurolepti- porter, Vincent Demassiet se raccroche à des Entre-temps, il est informé de l’existence d’un ment tourné la tête vers la droite pour obser-
ques, prescrits à des doses croissantes, attei- détails du décor restés gravés dans sa mé- groupe d’entendeurs de voix qui se tient à ver la scène de l’œil gauche. Puis ils ont dé-
gnant sept fois celle préconisée par l’autori- moire, les défauts de la reliure d’un livre en Lille, dans le centre collaborateur de l’Organi- tourné le regard, comme pour fuir. Quant à
sation de mise sur le marché. « J’avais la tête cuir, les brins du nid d’un oiseau dans l’arbre sation mondiale de la santé. Il s’y rend malgré leur rythme cardiaque, il a rapidement aug-
qui penchait, je pesais 204 kg, et un filet de vu par la fenêtre, un stylo rapporté d’un son poids, qui le handicape lors de tout dépla- menté. Cette dernière réaction apparaît parti-
bave coulait de mon menton », raconte-t-il voyage au Royaume-Uni. Il ne parle pas, crai- cement. A son arrivée dans le groupe, on l’ac- culièrement précieuse à l’équipe anglaise. Car
face à la vingtaine de personnes, captives et gnant la réaction de son père, « parce que cueille en lui offrant une tasse de café, une si le choix de l’œil gauche en pareille situation
graves, venues l’écouter dans la petite salle c’était ma représentation des choses, et aussi marque de considération qui le surprend. Il avait déjà été décrit chez le chien, l’accélération
de l’espace Khiasma, aux Lilas (Seine-Saint- mon éducation ». s’installe sur une chaise pour somnoler quand des palpitations, elle, n’avait encore été mise
Denis). Son élocution est parfois hachée, puis un des membres du groupe l’interpelle : « Toi en évidence sur aucune espèce.
les mots se bousculent, comme précipités tu n’es pas schizophrène. Tu es Vincent et tu es L’observation des visages avenants a été
par l’urgence de dire. Invité par Dingding-
dong, collectif de production de savoirs sur la
Il apprend à identifier ses voix entendeur de voix. » Vincent Demassiet tend
l’oreille, s’étonnant qu’on ne l’appelle pas « le
moins convaincante, relève l’étude. La latérali-
sation du regard (côté droit, donc) n’est pas
maladie de Huntington qui s’appuie sur l’ex- schizo », comme il en a pris l’habitude. clairement établie ; pas davantage la volonté
pertise des patients pour inventer de nou-
d’après leur sexe, leur tonalité, Il reviendra ensuite au centre, y trouve de manifeste de rapprochement. « Peut-être parce
velles manières de vivre avec la maladie, il l’aide. Comme cette fois où les entendeurs lui qu’il est particulièrement important pour les
témoigne, en tant que président du Réseau
leurs habitudes. Et commence suggèrent de s’équiper d’un portable pour se animaux de reconnaître les menaces qui se pré-
français sur l’entente de voix (REV). libérer de l’angoisse d’être remarqué en train sentent à eux, souligne Amy Smith, doctorante
« Cela provoque un effet de soulagement ab-
alors à leur fixer des règles de crier durant le trajet jusqu’au lieu où se au groupe de recherche sur la communication
solu quand un entendeur rencontre un autre tient la réunion. « Si tu cries dans le téléphone, et la cognition des mammifères à l’université
entendeur sans la stigmatisation de la psy- les gens ne te regarderont pas de la même ma- du Sussex, et première signatrice de l’article.
chiatrie », se souvient-il, évoquant sa rencon- Son corps, cependant, ne le laisse pas tran- nière. » Il apprend à profiler ses voix en les Un visage agressif peut servir d’alerte aux
tre avec le groupe du REV. « C’est un témoi- quille. Il a des crises de spasmophilie, asso- identifiant d’après leur sexe, leur tonalité, chevaux, leur permettre d’anticiper un futur
gnage puissant, qui illustre ce qui peut se pro- ciées à l’image d’un oiseau tombant d’un nid leurs habitudes. Il commence alors à leur comportement violent. »
duire lorsque la rencontre entre le psychiatre et suivies d’un évanouissement. Son père fixer des règles, les réprimander, les appri- Ce constat invite les chercheurs à tenter de
et son patient ne se fait pas. Vincent a le cou- l’emmène alors chez un exorciste qui dé- voiser. Il comprend qu’elles surviennent à comprendre l’origine d’un tel caractère chez le
rage de s’exposer et c’est important », com- tecte en lui un démon sexuel. Une cérémo- chaque fois qu’il tombe amoureux. Il se rap- cheval. Première hypothèse : l’animal a profité
mente à son tour la psychologue Magali Mo- nie a lieu, et sans que Vincent Demassiet se pelle en effet s’être senti aimé par son vio- d’une compétence ancestrale à lire les expres-
linié, secrétaire du REV, qui intervient ce l’explique encore, les crises disparaissent. leur, et réalise que les émotions liées au désir sions de ses congénères, l’adaptant aux émo-
soir-là à ses côtés. « Vincent Demassiet a vécu Il grandit avec son fardeau jusqu’à ce jour sexuel réveillaient son traumatisme. Petit à tions humaines au cours de la coévolution des
quelque chose d’extrême. Dans son cas, il a dû où, à l’âge de 17 ans, il s’apprête à avoir pour la petit, il reprend le contrôle de sa vie et, en ac- deux espèces. On peut aussi supposer que les
y avoir un effet miroir, et tout le monde a eu première fois une expérience sexuelle con- cord avec son psychiatre, diminue les doses chevaux apprennent à lire les traits des visages
peur que les voix le poussent à agir dangereu- sentie. Alors, une voix se met l’insulter, il de neuroleptiques jusqu’à pouvoir s’en pas- humains au cours de leur vie. Chez les chiens,
sement », ajoute le psychiatre Erwan Le Dui- croit que c’est celle de l’ami désiré. Il rentre ser. De patient, il est devenu expert au sein il a été constaté que l’animal répond mieux
gou, de l’unité de psychologie médicale de chez lui, fait sa première tentative de suicide, de l’institution psychiatrique et aide à son devant le visage de son maître, ou devant une
Lunéville (Meurthe-et-Moselle), qui a accom- est hospitalisé pour dépression. Puis il pour- tour les entendeurs de voix. personne du même sexe que son propriétaire.
pagné la mise en place d’un groupe d’en- suit ses études et débute dans le milieu de la A présent, affirme-t-il, ses voix sont deve- Cette importance de la familiarité « plaide pour
tendeurs de voix. « Son parcours est exem- publicité. Il est doué, gravit les échelons dans nues sa force. Elles l’avertissent quand une un rôle non négligeable de l’expérience person-
plaire d’une trajectoire remarquable en psy- une agence renommée, se lance à corps émotion trop violente surgit et l’aident à gé- nelle dans le développement de cette compé-
chiatrie. Vincent Demassiet a été au-delà de la perdu dans une vie mondaine et débridée. rer le stress. « Elles sont devenues un outil for- tence », écrivent les scientifiques. Elle devra
stigmatisation et de la codification des ma- Pour tenir le coup, il consomme de la co- midable pour moi. Je suis quelqu’un de plus être vérifiée chez le cheval pour mieux com-
ladies », complète le psychiatre et psycha- caïne, devient dépendant du sexe. « Je croyais heureux maintenant, et cela, c’est grâce à mes prendre la nature de cette fameuse amitié : in-
nalyste Patrick Landman. être heureux, j’étais un bouffeur d’affaires et voix », conclut-il. p née ou acquise ? Encore une vieille question. p
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Mercredi 17 février 2016 | SCIENCE & MÉDECINE |

Une pince souple pour saisir des objets fragiles


Petite mais costaude. Cette pince
développée par l’Ecole L’activation
polytechnique fédérale de Une couche d’élastomère pré-étiré est coincée entre
Lausanne (Suisse) pèse 1,5 g deux électrodes. L’ensemble est pris en sandwich entre Elévation
seulement mais peut porter deux couches isolantes. Lorsque le courant passe, 3
jusqu’à 80 fois sa masse. Que ce des charges électriques opposées sur les électrodes
soit un tube de Téflon de 81 g, une « pincent » l’élastique, qui se détend et revient
feuille de papier de moins de 1 g, à sa position non étirée, fermant la pince.
un œuf de 70 g (sans le casser)
ou un ballon de 35 g plein d’eau. Sa Pince
force est également sa souplesse, électrostatique
Sous tension 2
Hors tension
puisqu’elle semble s’adapter 1
aux objets qu’elle doit tenir.
Jusqu’à présent, de telles mains
artificielles étaient plus Support
complexes, avec des activations mobile
pneumatiques, des matériaux à
mémoire de forme, des « mains »
pleines de billes et d’air, des fluides
à la viscosité variable en fonction
d’un courant électrique… En outre, Ventouse
elles sont souvent programmées électrostatique
pour des formes bien précises.
Le secret de cette pince est double : L’adhésion
activation électrique et adhésion Les charges électriques des électrodes créent d’autres
Objet
électrostatique. La première charges en surface des objets, même isolants
à déplacer
technique n’est pas nouvelle, elle (diélectriques). Une force électrostatique s’exerce
consiste à détendre un élastique à donc entre la pince et l’objet, comme un ballon
l’aide d’une tension électrique en Isolant de baudruche frotté sur un chiffon, qui adhère ensuite
moins de 100 millisecondes. Mais à un mur. Les chercheurs ont optimisé le dessin
Electrode
« les forces supplémentaires qu’elle de leurs électrodes, en forme de créneaux,
peut induire sont généralement pour augmenter ces forces électrostatiques.
ignorées et n’avaient jamais été Membrane
utilisées », estiment les chercheurs Pince élastomère pré-étirée
dans leur article paru dans électrostatique
Advanced Materials. Electrode
Force
Cette pince légère et adaptable d’adhésion
peut trouver des applications Isolant totale
dans des procédés industriels en
Objet à déplacer
agroalimentaire ou pharmacie,
ou sur des robots volants. p 114 mm
david larousserie INFOGRAPHIE : HENRI-OLIVIER 47 mm SOURCE : JUN SHINTAKE, ADVANCED MATERIALS, JANVIER 2016

François Carré et Yannick Guillodo, médecins du sport, s’étonnent que le dernier rapport de l’OCDE sur la santé ne prenne
pas en compte la sédentarité et l’inactivité physique. Ces paramètres constituant le 4e facteur de risque de mortalité

Sédentarité et inactivité physique, des urgences médicales


| tribune |

D
ans son « Panorama de la santé ment pas changé depuis les sociétés paléolithiques. der la télévision… Le temps journalier de sédenta-
2015 », l’Organisation de coopéra- En d’autres termes, l’homme reste programmé gé- rité devient délétère pour la santé lorsqu’il dépasse
tion et de développement économi- nétiquement pour se tenir debout et bouger. Mais régulièrement sept heures.
ques (OCDE) fait le point sur l’état de si le génome de l’être humain n’a pas changé, son Sédentarité et inactivité physique sont donc deux ¶
santé des populations et sur les dé- environnement a été bouleversé en peu de temps. facteurs de risque différents ; on peut être actif (par Yannick Guillodo,
terminants non médicaux de la L’activité physique quotidienne a ainsi progressive- exemple marcher plus de trente minutes tous les médecin du sport
santé de ses 34 pays membres. Les Français vivent ment diminué, d’année en année. jours) et sédentaire (plus de sept heures quotidien- au CHU de Brest,
plus vieux que la moyenne des habitants des pays Cette baisse d’activité s’est accélérée dans les an- nes de position assise). Pendant longtemps, seuls secrétaire scientifique
riches : 82,3 ans en moyenne contre 80,5 ans dans nées 1970 pour devenir vertigineuse dans les quinze les méfaits de l’inactivité physique ont été souli- de la Société française
les autres pays. L’espérance de vie à la naissance a dernières années avec l’apparition du numérique. gnés. Depuis les années 1990, les méfaits indépen- de traumatologie
augmenté de trois à quatre mois par an depuis 1970, Insidieusement, l’homme s’est ainsi laissé imposer dants de la sédentarité ont été prouvés. du sport, fondateur
soit une majoration d’environ dix ans. L’OCDE cite un environnement totalement désadapté à son po- Aujourd’hui, les preuves scientifiques des méfaits du programme « Bouge ».
comme principales raisons de cette évolution favo- tentiel génétique. Cette désadaptation s’annonce sanitaires de la sédentarité et de l’inactivité physi-
rable un mode de vie plus sain, une meilleure édu- comme désastreuse malgré les données rassurantes que sont accablantes. Ainsi, choisir d’avoir un mode François Carré,
cation et une amélioration des soins de santé. Néan- produites par l’OCDE sur l’espérance de vie. En effet, de vie sédentaire ou inactif, c’est augmenter son ris- professeur en
moins, le rapport souligne que chaque pays pré- les personnes incluses dans les statistiques présen- que d’infarctus du myocarde, d’accident vasculaire physiologie cardio-
sente de mauvais résultats pour un ou plusieurs tées sont les parents ou les grands-parents (nés cérébral et de certains cancers, de diabète et d’hy- vasculaire au CHU
facteurs de risque pour la santé. En France, le taba- en 1930-1940) des trentenaires et quadragénaires pertension artérielle. Les mécanismes qui favori- de Rennes, cardiologue
gisme et l’alcoolisme (en 30e position pour ces deux sent le développement de ces pathologies sont et médecin du sport
indicateurs) sont pointés. aussi bien expliqués. En bref, il s’agit d’une aug- à l’hôpital Pontchaillou
Arrêtons-nous sur ces facteurs de risque cités par
l’OCDE. L’organisme tient compte du tabagisme, de
« Rien ne permet d’affirmer mentation des niveaux d’inflammation et de stress
oxydant qui « encrassent » l’organisme.
de Rennes, cofondateur
de l’Observatoire de
la consommation d’alcool, de l’obésité chez les adul-
tes et du surpoids et de l’obésité chez les enfants. Il
que l’espérance de vie des plus jeunes, Alors pourquoi l’OCDE n’attache-t-elle pas plus
d’importance à l’inactivité physique et à la sédenta-
la sédentarité, auteur
de Danger sédentarité
ajoute, dans les déterminants non médicaux de rité ? Très certainement par la difficulté classique de (Le Cherche Midi, 2013).
santé, la consommation de fruits et légumes chez
notamment en bonne santé, sera la mesure de ces paramètres, ce qui peut en rendre
l’adulte. Curieusement, la sédentarité et l’inactivité aléatoire l’analyse à grande échelle. En effet, l’acti-
physique n’apparaissent pas en première ligne de
la même que celle de leurs parents » vité physique d’un sujet était, encore récemment,
ces facteurs de risque modifiables pour la santé des estimée par un questionnaire déclaratif. La subjecti-
sujets. Cela est très surprenant ! D’autant que les ef- vité de cet outil a été prouvée par sa comparaison
fets de ces deux facteurs sont considérés par l’OMS (nés en 1970-1980) actuels. Ces « survivants » actuels avec les données objectives des accéléromètres, ac-
comme le 4e facteur de risque de mortalité du n’ont pas eu à subir, dans leur jeune âge, les méfaits cessibles sur le moindre smartphone.
monde, responsable de plus de 3 millions de morts sanitaires de la sédentarité et de l’inactivité physi- Les données sur le niveau de sédentarité sont en-
par an, à égalité avec le tabac et avant l’obésité. que auxquels leur descendance est confrontée. Rien core insuffisantes pour que l’OCDE puisse incorpo-
Ne pas parler de ces deux facteurs interpelle ne permet donc d’affirmer que l’espérance de vie, rer ce facteur de risque dans ses analyses. Là encore,
d’autant plus que l’OCDE insiste sur les maladies notamment en bonne santé, des plus jeunes sera la de récentes applications sur smartphone permet-
cardio-vasculaires, qui restent, malgré un recul ré- même que celle de leurs parents. tent de mesurer le temps quotidien de sédentarité.
cent, la première cause de mortalité mondiale. Sur- Pourquoi différencions-nous sédentarité et inacti- L’utilisation du smartphone, nouvel allié de la
tout que le rapport ajoute qu’il est probable que vité physique ? Ces deux termes, souvent employés santé, devrait permettre une santé du futur plus
cette amélioration ne se maintiendra probable- à tort comme synonymes, sont deux facteurs de ris- personnalisée et plus préventive. Il devrait donc
ment pas en raison des méfaits de l’obésité et du que modifiables avec un impact indépendant sur la être possible pour les médecins de travailler sur ces
diabète, deux facteurs de risque qui augmentent santé. Une activité physique peut se définir comme deux facteurs de risque modifiables, sédentarité et
dramatiquement. Sédentarité et inactivité physi- un effort physique qui augmente la dépense éner- inactivité physique.
que ne sont toujours pas mentionnées ! Elles figu- gétique par rapport au repos. L’inactivité physique Il y a là une urgence médicale car, à l’échelle fran-
rent uniquement dans le chapitre « cancer ». se définit par une quantité insuffisante d’activité çaise, selon une étude de 2015, 78 % des personnes
L’OCDE souligne l’importance pour les pays d’ac- physique, quotidienne ou hebdomadaire, pour la âgées de 18 à 64 ans n’effectuent pas les 10 000 pas Le supplément « Science
corder la priorité à la promotion de la santé et à la santé. Deux mesures sont classiquement retenues quotidiens nécessaires à leur santé. Les temps de & médecine » publie
prévention des maladies afin de réduire les facteurs pour définir l’inactivité : moins de trente minutes sédentarité, probablement tout aussi catastrophi- chaque semaine une
de risque modifiables et la mortalité. Alors, pour- d’activité physique modérée par jour, ou moins de ques, ne sont pas mesurés dans cette étude. L’en- tribune libre ouverte au
quoi l’OCDE n’attache-t-elle pas plus d’importance, 10 000 pas quotidiens. semble du monde de la santé doit informer le pu- monde de la recherche.
dans son analyse, aux méfaits de l’inactivité physi- La sédentarité se définit comme un état d’éveil as- blic sur les conséquences néfastes de ces facteurs de Si vous souhaitez
que et de la sédentarité ? socié à une dépense énergétique très faible. Le ni- risque mais également lancer et financer toutes re- soumettre un texte,
L’homme moderne descend des chasseurs- veau de sédentarité journalier correspond donc aux cherches et solutions de changement face à ce véri- prière de l’adresser à
cueilleurs, et son potentiel génétique n’a pratique- temps cumulés assis devant un ordinateur, à regar- table tsunami sociétal. p sciences@lemonde.fr

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