La reprise européenne déjà menacée Taxis :

les mesures
▶ Les turbulences boursières et le ralentissement chinois pourraient étouffer la croissance à l’œuvre dans la zone euro
L es doutes sur la croissance mon-
diale et la tornade sur les marchés
financiers risquent-ils de mettre à
mal la reprise européenne ? « C’est la
question à 1 million d’euros », résume Jo-
nathan Loynes, chez Capital Economics.
« Ce scénario est possible mais il peut en-
core être évité », rassure de son côté Pa-
trice Gautry, chef économiste de l’Union
bancaire privée.
Les derniers chiffres de la croissance
en 2015 donnent en tout cas un avant-
goût des défis qui attendent la zone euro
en 2016. Son produit intérieur brut (PIB)
a en effet crû de 0,3 % au quatrième tri-
mestre, selon les données publiées ven-
dredi 12 février par Eurostat, l’institut
européen de statistiques. C’est autant
qu’au troisième trimestre, mais moins
qu’au deuxième (0,4 %) et qu’au premier
pour sortir
du conflit
(0,5 %). « La consommation domestique et
les dépenses publiques ont soutenu l’acti-
vité tandis que les exportations, elles, ont
ble de 2015. Si la France (0,2 % entre octo-
bre et décembre et 1,1 % en 2015) et l’Italie
(0,1 % et 0,7 %) offrent un tableau plus
freiné », résume Howard Archer, chez IHS
Global Insight.
Malgré la baisse des ventes vers les pays
émergents, la croissance allemande a
ainsi tenu bon grâce aux dépenses des
mitigé, la croissance espagnole, elle,
étonne toujours par son dynamisme
(0,8 % et 3,2 %). Au total, la zone euro affi-
che une croissance de 1,5 % sur l’ensem-
ble de 2015, après 0,9 % en 2014.
L a balle est désormais dans
le camp de Matignon. Le
médiateur Laurent Grand-
guillaume a remis, jeudi 11 février,
son plan d’action au premier mi-
ménages : le PIB a crû de 0,3 % au qua- marie charrel nistre pour mettre fin à la crise
trième trimestre et de 1,7 % sur l’ensem- → LIR E L A S U IT E PAGE 3 qui, depuis fin janvier, traverse le
secteur du transport de person-
nes sur réservation. Le député
(PS) de Côte-d’Or a beau affirmer
n’avoir « rien [proposé] de révolu-

« The Independent » devient 100 % numérique tionnaire », ses solutions pour-

raient déconcerter.
La première risque de faire tous-
ser les chauffeurs de taxi. Le plan
d’action de M. Grandguillaume
suggère en effet un crime de lèse-
▶ Le quotidien majesté : le rattachement de tous
les transports de personnes à
britannique va « un seul ministère », celui des
mettre fin à son transports, autorité de tutelle des
véhicules de tourisme avec chauf-
édition papier feur (VTC). Les taxis n’auraient
à partir du mois alors plus pour référent le minis-
de mars tère de l’intérieur, leur autorité de
tutelle depuis… 1961.
▶ Lancé en 1986, Sur la question épineuse de l’in-
le journal, demnisation des chauffeurs de
taxi, M. Grandguillaume espère
dont les ventes monter un « fonds de réserve »
n’ont cessé de pour les chauffeurs dont la li-
décliner, conti- cence a perdu de la valeur depuis
le boom des VTC. « L’indemnisa-
nuera d’exister tion est un point qui fera l’objet de
sous forme réunions avec des experts à
Bercy », précise l’élu de Bourgo-
numérique gne, qui espère récupérer des so-
lutions validées par le gouverne-
→ LIR E PAGE 8 ment d’ici au 19 février. p
→ LIR E PAGE 5

Le journal
britannique
ne tire plus
10 000
C’EST, EN FRANCE, LE NOMBRE
DE CHAUFFEURS PROFESSIONNELS
qu’à 56 000
copies par jour. CONNECTÉS AUX PLATES-FORMES
K. WIGGLESWORTH/ DE VTC POUR S’ASSURER
AP PHOTO UNE ACTIVITÉ

PLEIN CADRE
LES EX-TRADERS
VU DE MOSCOU
HORS-SÉRIE
DE LA CITY FACE « La nuit des longues pelleteuses »
À LEURS JUGES UNe vie, UNe ŒUvRe

L’
opération nocturne a laissé au réveil
→ LIR E PAGE 2 les Moscovites pantois devant des
montagnes de gravats. Puis, avec la
découverte aux quatre coins de la ca-
AUTOMOBILE pitale russe des mêmes scènes de destruction,
Sur son compte VKontakte, le Facebook
russe, le maire, Sergueï Sobianine, s’est félicité
de la destruction de ces « bâtiments dangereux
illégalement construits au-dessus d’installa-
tions techniques du métro », qui ont émergé

RENAULT PROMET ses habitants ont fini par lui donner un nom :
« la nuit des longues pelleteuses ». Sur instruc-
1 000 EMBAUCHES tion de la mairie, 97 kiosques et échoppes re-
groupés dans des bâtiments autour des bou-
EN FRANCE EN 2016 ches de métro ont été détruits dans la nuit du
9 février. Leurs propriétaires n’ont parfois
même pas eu le temps de vider le contenu de
→ LIR E PAGE 5
ces commerces de proximité.
Passé la stupéfaction, des dizaines de photos
d’enchevêtrements de bois, de tôle et de ciment
ont inondé les réseaux sociaux, accompagnées
de messages furieux, certains allant jusqu’à
comparer ces images à des scènes de bombar-
dement. « La brutalité semble aujourd’hui à la
mode », commentait, désabusé, le politologue
Kirill Rogov. Bras ballants devant la station
Tchistye-Proudy, dans le centre de Moscou, une
dame en avait les larmes aux yeux : « Pourquoi ?
C’était bien pratique, tout de même ! »
« dans les années 1990 avec la complicité ou
même la participation de fonctionnaires ». Mais
la polémique n’a cessé d’enfler. Car nombre de
ces échoppes qui se savaient menacées ont
porté l’affaire devant les tribunaux. Le petit
centre commercial Albatros, situé à côté du
métro Chtchiolkovskaïa, avait ainsi obtenu
gain de cause en justice le 20 janvier après avoir François
prouvé qu’il était dûment enregistré. En vain. Il
a été détruit comme les autres, en vertu de l’ar- Mitterrand
ticle 222 du code civil adopté le 13 juillet 2015 qui Le pouvoir
autorise la destruction de constructions jugées et la séduction
illégales sur décision administrative.
La mesure est surtout apparue incompréhen- ÉdItIOn
sible aux yeux des Moscovites, alors que la Rus- 2016
sie est plongée pour la seconde année dans une
profonde récession économique et que ses diri- Le centenaire de la naissance de l’ancien président
geants n’ont cessé de promettre de tout faire
pour développer le « petit business ». Quoique
modestement rémunérés, des milliers d’em-

j OR | 1 237 $ L'ONCE
j PÉTROLE | 33,36 $ LE BARIL
J EURO-DOLLAR | 1,1256
J TAUX AMÉRICAIN À 10 ANS | 1,74 %
j TAUX FRANÇAIS À 10 ANS | 0,65 %
VALEURS AU 13/02 - 7 HEURES
Des milliers d’emplois détruits
Depuis une vingtaine d’années, ces bâtiments,
parfois à deux étages, faisaient partie du décor
familier de la ville et étaient très prisés pour y
déjeuner sur le pouce, refaire ses clés, s’équiper
d’un mobile, acheter des fleurs, voire une tasse
à l’effigie de Vladimir Poutine. Leur disparition
s’ajoute à celle de dizaines de kiosques dans les
nombreux passages souterrains de Moscou.
plois auraient disparu avec les murs. A cela
s’ajoute une perte annuelle pour le budget mu- FRANÇOIS MITTERRAND
nicipal de « 2 milliards de roubles [22 millions LE POUVOIR ET LA SÉDUCTION
d’euros] d’impôts », selon Edouard Gouliane, Un hors-série du « Monde »
membre de l’association Russie des entrepre-
124 pages - 8,50 €
neurs, qui évalue, avec le coût des destructions
Chez votre marchand de journaux
et les frais de justice, à « 30 milliards de roubles »
le préjudice financier pour Moscou. p et sur Lemonde.fr/boutique
isabelle mandraud

Cahier du « Monde » No 22109 daté Dimanche 14 - Lundi 15 février 2016 - Ne peut être vendu séparément
2 | plein cadre 0123
DIMANCHE 14 - LUNDI 15 FÉVRIER 2016

Tom Hayes,
ex-courtier d’UBS
et Citigroup, a été
condamné par la
justice britannique
à une peine de prison
dans le cadre
du scandale
de la manipulation
du taux interbancaire
Libor. NELL HALL/REUTERS

Les ex-traders Le Bureau britannique des fraudes (Serious

Fraud Office, SFO) a aussi durci son jeu.
marge d’un des procès, l’un d’entre eux té-
moignait au Monde, sous réserve d’anony-

de la City au banc
Quand il en a pris la direction en 2012, David
Green a estimé qu’il avait un coup à jouer sur
le Libor. Son prédécesseur estimait que ce
scandale de manipulation d’un taux ne rele-
vait pas d’une procédure criminelle mais du
mat : « Cette condamnation a été un énorme
coup de bambou. J’ai toujours cru que la justice
saurait faire la part des choses. Mais je m’aper-
çois que, face à un jury, on passe juste pour des
salauds qui ont gagné des millions. »

des accusés
régulateur. Lui en a décidé autrement, vou-
lant prouver que le SFO pouvait mener à bien
des dossiers complexes et spectaculaires.
« Nous devons nous attaquer aux cas qui met-
tent à mal la réputation de la City et en particu-
lier à ceux qui ont un fort élément d’intérêt pu-
Libor, Euribor, délits d’initiés : blic », confiait-il en 2013.
des années après les faits, Londres accueille « ON PASSE JUSTE POUR DES SALAUDS »
Les procédures judiciaires étant lentes, les
une cascade de procès, où les prévenus procès ne déferlent que maintenant. La con-
damnation de Tom Hayes dans le scandale du
estiment jouer le rôle de boucs émissaires Libor représente jusqu’à présent le principal
« scalp » obtenu par les autorités. « Le message
et où toute la crise financière est disséquée est clair : le SFO est capable de punir sévère-
ment le crime financier à la City », relève Leila
Gaafar, avocate au cabinet WilmerHale.
Avec cependant un malaise : traîne-t-on les
bons coupables face à la justice ? « Il existe de
bonnes raisons de poursuivre ces gens, qui
londres - correspondance Lundi 15 février, devait s’ouvrir le troisième semblent avoir franchi une ligne rouge. Mais
« On fait de nous des boucs émissaires », a
déclaré Noel Cryan, l’un des courtiers blan-
chis dans l’affaire du Libor, à la sortie de son
procès. Lui comme ses anciens confrères ont
le sentiment de payer pour l’ensemble de la
crise financière. Henry Blaxland, leur avocat,
exhortait d’ailleurs le jury pendant le pro-
cès : « N’utilisez pas cette opportunité pour ex-
primer votre désapprobation du système ban-
caire en général. » Pour lui, il s’agissait d’un
« procès-spectacle. » Les jurés l’ont entendu,
et ont jugé ses clients non coupables.
Parler de boucs émissaires pour tous les
traders du Libor serait aller un peu loin : per-
sonne ne les a obligés à s’entendre entre eux.
A l’époque, certains engrangeaient des bo-
nus qui se comptaient en dizaines de mil-
lions d’euros. Pas vraiment le pauvre orphe-
lin sans défense…
Néanmoins, selon les traders, l’accusation
de manipulation des marchés, qui remonte

A
u commencement était la
crise financière de 2007 à
2009. Dans un premier
temps, il a fallu parer au plus
pressé et sauver le système
bancaire d’un effondrement
généralisé. Puis l’heure réglementaire est arri-
vée : les banques ont dû renforcer leurs fonds
propres et leurs liquidités, tandis que les régu-
lateurs haussaient le ton et multipliaient les
amendes d’un montant toujours plus lourd.
Depuis quelques mois, une troisième période
s’est ouverte : celle de la justice.
A Londres, le petit tribunal de Southwark,
près de la City, voit défiler depuis quelques
mois les procès d’anciens traders. Dans ce bâ-
timent en briques marron, avec sa moquette
usée et l’acoustique désastreuse de ses salles
d’audience, le monde de la haute finance en-
tre en collision avec la vie de tous les jours.
Des jurés qui n’ont jamais mis les pieds dans
une salle de marché doivent trancher, dans
des dossiers très techniques : les traders
étaient-ils coupables ? En filigrane, c’est toute
la crise financière qui est disséquée.
La grande affaire du moment concerne le
Libor. En août 2015, Tom Hayes, un ancien
courtier d’UBS et de Citigroup, a été con-
damné pour avoir manipulé ce taux d’inté-
rêt, qui sert de référence dans les prêts inter-
bancaires, une activité qui traite pour
350 000 milliards de dollars (310 000 mil-
liards d’euros) de produits financiers à tra-
vers le monde. La sentence fut lourde : qua-
torze années de prison, ramenées à onze ans
en appel. Le 27 janvier 2016, six de ses suppo-
sés complices, qui travaillaient pour des mai-
sons de courtage, ont en revanche été blan-
chis. Non coupables, ont tranché les jurés.
procès du Libor, où six traders de Barclays
étaient appelés à comparaître. Mais il a été re-
porté à avril, après que la banque a soumis
des centaines de milliers de pages de docu-
mentation supplémentaire.
LE RÉGULATEUR MONTRE LES DENTS
Parallèlement, les procédures préliminaires
ont commencé dans l’affaire de l’Euribor, un
taux similaire au Libor mais déterminé à
Bruxelles plutôt qu’à Londres. Onze traders
sont sur le banc des accusés, dont trois Fran-
çais. Le plus gros procès pour délit d’initié ja-
mais jugé est aussi en cours : depuis un mois,
cinq hommes comparaissent, dont un ancien
directeur de Deutsche Bank. Enfin, la justice
doit bientôt trancher sur l’extradition vers les
Etats-Unis d’un jeune trader, qui travaillait
seul depuis le pavillon de banlieue londo-
nienne de ses parents, et qui est accusé par les
autorités américaines d’avoir causé le « flash
crash », cette soudaine et inexpliquée chute de
la Bourse de New York survenue le 6 mai 2010
– en dix minutes, le Dow Jones avait perdu
900 points avant d’en regagner 600.
Le rapport entre tous ces procès ? Le régula-
teur a décidé de montrer les dents. A Londres,
après la crise, la Financial Services Authority
(FSA) a été accusée à juste titre de n’avoir rien
vu venir. Elle a été supprimée et remplacée
par la Financial Conduct Authority (FCA),
beaucoup plus agressive. Son action sur les
délits d’initiés le prouve. Jusqu’en 2008, ja-
mais la FSA n’avait lancé de poursuites judi-
ciaires pour ce délit. Depuis, vingt-sept con-
damnations ont été obtenues. S’il s’agissait
initialement de petites escroqueries, les affai-
res ont pris de l’importance, jusqu’à l’actuel
procès en cours, qui concerne d’anciens gros
poissons de la City.
sont-ils responsables de la crise financière ? Ab-
solument pas », dit Peter Hahn, professeur à la
Cass Business School, et ancien conseiller de
la Banque d’Angleterre sur les risques bancai-
res. Le Libor est un taux important, parce qu’il
sert de référence à des produits aussi divers
que les prêts immobiliers ou des produits dé-
rivés. Mais il n’a rien à voir avec les prêts sub-
primes américains. Aucune banque n’a ja-
mais fait faillite à cause de sa manipulation.
Selon M. Hahn, l’absence de gros poissons
dans ces procès est aussi frappante. « La plus
grande omission est le manque de dirigeants
seniors », précise-t-il. Comme souvent, seuls
« LA PLUS GRANDE les traders, excessivement bien payés mais
OMISSION EST sans responsabilité hiérarchique, sont
inquiétés.
LE MANQUE M. Hayes n’avait que 26 ans quand il a été
recruté par UBS à Tokyo. « Ce jeune diplômé [il
DE DIRIGEANTS avait alors cinq ans d’expérience] rejoint un
SENIORS » DANS segment de la banque qui n’est d’habitude pas
très profitable, et il se met à gagner des centai-
CES PROCÈS nes de millions pour UBS. Il reçoit de gros bo-
nus. Et personne ne s’est demandé comment il
PETER HAHN faisait ? », s’agace M. Hahn.
ancien conseiller Son procès a depuis démontré qu’il avait
de la Banque d’Angleterre mis en place un système d’entente avec
d’autres traders de banques rivales et de mai-
sons de courtage pour manipuler le Libor au
niveau qu’il souhaitait. « Soit les dirigeants
d’UBS n’ont pas posé de questions, et il faut se
demander s’ils méritent d’être banquiers, con-
tinue M. Hahn. Soit ils ont posé des questions,
et il faut se demander pourquoi ils n’en ont pas
averti les autorités. »
Reste que la condamnation à onze ans de
prison ferme de M. Hayes est bien réelle. La
sentence a provoqué la stupeur parmi les di-
zaines de traders en attente de jugement
dans le même dossier et dans l’Euribor. En
pour l’essentiel à avant la crise, revient à re-
voir l’histoire avec une loupe déformante. A
l’époque, les acteurs du marché se parlaient
entre eux couramment. Tout le monde le fai-
sait, et personne ne s’en cachait. Sur leurs or-
dinateurs, entre les courbes des marchés et
les dernières statistiques économiques, se
trouvaient des forums de discussions électro-
niques où ils passaient leur temps à échanger.
« C’était la fabrique même du marché, confie
un ex-trader, qui est poursuivi. Jamais je n’ai
pensé que je faisais quelque chose d’illégal. »
Cela ne rend pas forcément la pratique li-
cite. Mais alors, l’ensemble des traders du Li-
bor devraient être condamnés et leur hiérar-
chie avec eux. D’autant que, au plus fort de
la crise, la manipulation est remontée au
plus haut niveau, y compris dans les ban-
ques centrales.
C’était à l’automne 2008, juste après la
faillite de Lehman Brothers. Le niveau du
Libor était utilisé pour évaluer la santé fi-
nancière de chaque banque. Si un établisse-
ment soumettait un taux haut, cela indi-
quait que les autres refusaient de lui prêter
de l’argent. Pour éviter la panique, les taux
ont donc été artificiellement baissés, avec
l’approbation – au moins tacite – des diri-
geants. Même la Banque d’Angleterre s’en
est mêlée. Le 29 octobre 2008, Paul Tucker,
alors son vice-gouverneur, a téléphoné à
Bob Diamond, le directeur général de Bar-
clays. Juste après, le niveau de Libor de la
banque a baissé. Pour l’Euribor, les autori-
tés de la Banque de France auraient or-
donné aux établissements tricolores de
faire de même. Mais ni M. Tucker, ni
M. Diamond, ni les dirigeants de la Banque
de France ne font face à la justice. p
éric albert
0123
DIMANCHE 14 - LUNDI 15 FÉVRIER 2016
Convalescente, la zone euro craint la rechute
La croissance de l’union monétaire est au plus haut depuis quatre ans. Mais l’horizon s’obscurcit déjà…
suite de la première page
« Il s’agit de la plus forte hausse en-
registrée depuis 2011 », se réjouit
Howard Archer, chez IHS Global
Insight. De fait, il y a quelques se-
maines encore, l’optimisme était
de mise. L’année 2016 semblait dé-
marrer sous d’excellents auspices
pour l’Union monétaire. Dans la
plupart des pays membres, le chô-
mage reflue enfin nettement,
même s’il reste supérieur à son ni-
veau d’avant-crise. « Entre juin 2013
et septembre 2015, 2,7 millions
d’Européens ont retrouvé un em-
ploi, et près de 50 % des postes créés
l’ont été sur les trois premiers tri-
mestres de 2015 », soulignent ainsi
les économistes de Natixis. Une
tendance de nature à soutenir une
solide reprise de la consommation
des ménages, par ailleurs dopée
par les bas coûts du pétrole et l’in-
flation faible.
D’autant qu’après des années
d’austérité, les politiques budgé-
taires sont désormais légèrement
expansionnistes dans les pays du
Sud de la zone euro, notamment
en Italie et au Portugal. De même,
l’investissement des entreprises
frémit enfin, profitant des taux
d’intérêt très bas de la Banque
centrale européenne (BCE) et de la
reconstitution des marges des
PME. « Les fondamentaux écono-
miques sont bons », juge Marc-An-
toine Collard, chef économiste
chez Rothschild & Cie. « L’année
2016 était partie pour être celle du
jackpot pour la zone euro », ajoute
Stéphanie Villers, chef écono-
miste du groupe de protection
sociale Humanis.
Seulement voilà : la tempête se-
couant les Bourses depuis plu-
sieurs semaines, tout comme le
ÉVOLUTION TRIMESTRIELLE DU PIB, EN 2015, EN %
Zone euro France
Espagne Grèce
1,5
1 0,8
0,5
0
– 0,5
–1
– 1,5
T1 T2
Fini l’argent facile sur les marchés pour les entreprises
Introductions en Bourse et émissions de dettes pâtissent de l’aversion au risque des investisseurs en ce début d’année
L’ argent était facile pour les
entreprises. Il se donne
désormais au compte-
gouttes. Selon les pointages réali-
sés vendredi 12 février par Thom-
son Reuters, les marchés finan-
ciers ont presque fermé les robi-
nets depuis le début de 2016. Dans
le contexte boursier marqué par
une volatilité extrême, les intro-
ductions en Bourse en Europe
n’ont permis de lever que 1,8 mil-
liard de dollars (1,59 milliard
d’euros) depuis le 1er janvier, soit
84 % de moins que sur la même
période en 2015.
Rien de très étonnant, mais la
situation n’est guère meilleure sur
le front de la dette. Les émissions
lancées par des entreprises jugées
risquées (high yield) dans le monde
atteignent 15,4 milliards de dollars,
en recul de 71 %. Le marché améri-
cain des émissions de dette pour
les meilleures signatures (invest-
ment grade) a l’air de tenir, accu-
Si les doutes sur
la solidité des
banques ne sont
pas rapidement
dissipés, l’offre
de crédit pourrait
se raréfier
ralentissement des pays émer-
gents et de l’économie améri-
caine, pourraient bien faire dé-
railler la reprise européenne. « Les
conséquences de ces turbulences
sont encore difficiles à évaluer »,
explique M. Collard. Comme lui,
la plupart des économistes se
montrent très prudents. Avec pré-
cautions et nuances, ils dressent
aujourd’hui deux scénarios possi-
bles pour les mois à venir.
Prévisions revues à la baisse
Dans le premier, les places finan-
cières et marchés reprendraient
des couleurs sans tarder. La zone
euro profiterait alors à plein des
effets de la baisse du pétrole. Elle
devrait néanmoins faire face au
ralentissement de ses partenaires
– Etats-Unis, pays émergents et
Chine. « Toute la question serait
alors de savoir si sa consomma-
tion interne compense le tasse-
ment des exportations vers l’Asie
et l’Amérique, analyse Philippe
Waechter, chez Natixis AM. Et sur-
tout, si elle s’accompagne d’un vé-
ritable redémarrage de l’investis-
sement, sans lequel la reprise res-
terait fébrile. » Dans les deux cas,
il semble néanmoins peu proba-
ble que le PIB de la zone euro
croisse de 1,7 % sur 2016, comme
Allemagne Italie
0,3
0,2
0,1
– 0,6
T3 T4
SOURCE : EUROSTAT
sant une baisse de 19 % seulement
sur les six premières semaines de
l’année, mais cette résistance se ré-
vèle en trompe-l’œil : si l’on retire
les 45,8 milliards de dollars levés
par le brasseur AB InBev pour fi-
nancer le rachat d’Anheuser-
Busch, en fait, il s’agit du démar-
rage le plus poussif depuis 2005.
« En vingt ans de métier, je n’avais
jamais vu un mois aussi creux. En
réalité, le marché obligataire euro-
péen est devenu très compliqué de-
puis le printemps 2015, témoigne
Cédric Burford, associé du cabinet
d’avocats Clifford Chance. Les en-
treprises qui ont renoncé à émettre
l’année dernière attendent tou-
jours la bonne opportunité. Nos
clients espèrent désormais qu’elle
se présentera en mars. Il risque d’y
avoir des embouteillages. »
Les investisseurs sont devenus
tellement sélectifs qu’il faut s’ap-
peler Daimler ou Schlumberger
pour oser les affronter.
Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, avec des grands argentiers européens, le 11 février, à Bruxelles. THIERRY MONASSE/AFP
l’estime la Commission euro-
péenne. Depuis la chute des Bour-
ses, la plupart des économistes
revoient tour à tour leurs prévi-
sions à la baisse…
Dans le second scénario, les trou-
bles boursiers se prolongeraient,
rappelant la terrible séquence de la
crise de 2008. « Beaucoup d’inves-
tisseurs ne croient plus au modèle
de croissance de la zone euro, qui a
consacré ces sept dernières années
à la rigueur en oubliant de miser sur
les secteurs d’avenir », assène Sté-
phanie Villers. Le risque serait
alors que le plongeon continu des
marchés finisse par contaminer
l’économie réelle. Comment ?
Par le canal bancaire, d’abord. Si
les doutes sur la solidité du secteur
ne sont pas rapidement dissipés,
l’offre de crédit pourrait se raréfier
dans la zone euro, tandis que son
coût s’envolerait. Comme en
2008, cela pénaliserait violem-
ment les entreprises, alors privées
de financement. Et donc, l’activité.
Par le canal de la confiance, en-
suite. Si celle-ci s’effrite, les PME
repousseront leurs investisse-
« Neuf émetteurs seulement se sont
présentés sur le marché obligataire
en euro depuis début 2016. J’en con-
nais douze autres qui piaffent. Cela
veut dire qu’une trentaine peut-
être est en attente », calcule un
membre de l’Association française
des trésoriers d’entreprise.
La température est prise tous les
jours. Ceux qui sont dans les star-
ting-blocks appellent leurs ban-
quiers à 8 heures pour faire le
point sur les conditions de mar-
chés, avec un regard sur les Bour-
ses asiatiques. Si tout va bien, à
Les financiers
sont devenus
tellement
sélectifs qu’il faut
s’appeler Daimler
pour les affronter
ments et les embauches. De leur
côté, les consommateurs inquiets
annuleraient leurs achats pour
privilégier l’épargne de précau-
tion. Au détriment, là aussi, de la
croissance…
D’autres facteurs internes à l’Eu-
rope sont également susceptibles
de nuire à la reprise. « La séquence
politique s’annonce chargée et
porteuse de risques », souligne
M. Waechter. Menace d’une sortie
britannique de l’Union euro-
péenne (le « Brexit »), instabilité
gouvernementale en Espagne,
dissensions autour de la crise des
réfugiés…
Mais le pire peut encore être
évité. Pour empêcher la tour-
mente financière de se muer en
crise de l’économie réelle, la prio-
rité est, selon M. Gautry, de faire la
lumière sur l’état de santé réel des
banques du Vieux Continent.
« Les cartes sont entre les mains du
superviseur bancaire unique, ex-
plique-t-il. Lui seul dispose des
données permettant de lever les
doutes et de mettre un terme à la
spéculation. »
9 h 30 l’opération peut être lancée
et à 11 h 30, c’est fini. « La nervosité
est telle que mercredi encore,
deux émetteurs ont testé l’eau et
ont préféré renoncer », poursuit ce
trésorier.
Une mécanique dissuasive
A cette période de l’année, beau-
coup d’entreprises cherchent des
financements après la publica-
tion des comptes annuels. L’occa-
sion de refinancer des dettes arri-
vées à échéance ou de rembour-
ser un prêt relais ayant permis de
payer une acquisition.
Le chimiste belge Solvay peut se
féliciter d’avoir ainsi levé, en dé-
cembre, des emprunts obligatai-
res lui permettant de refinancer le
rachat de son concurrent Cytec
pour 5,5 milliards de dollars. La
période apparaît, à ce stade, nette-
ment moins favorable pour Air li-
quide, qui a annoncé, en novem-
bre, un accord visant à mettre la
économie & entreprise | 3
La menace
d’un « Brexit »,
l’instabilité
politique
espagnole, la
crise des réfugiés
sont des facteurs
susceptibles de
nuire à la reprise
La balle est également dans le
camp de la BCE, qui se réunit le
10 mars. Les économistes sont
divisés sur ses marges de
manœuvre. Pour certains, elle a
déjà tiré toutes ses cartouches et
est aujourd’hui démunie pour
calmer les marchés. De fait, son
taux directeur est au plus bas
(0,05 %) et son taux de dépôt né-
gatif (– 0,3 %) a des effets mitigés.
En taxant les banques pour les li-
quidités qu’elles laissent dans les
coffres de la BCE, cette mesure
main sur l’américain Airgas pour
13,4 milliards de dollars.
Si la transaction va à son terme,
le leader des gaz industriels a
prévu une augmentation de capi-
tal de 3 à 4 milliards d’euros. A
Paris, les seules levées de fonds ont
concerné des entreprises comme
CGG et Vallourec, soutenues par
l’Etat et de grands actionnaires.
Les mises en Bourse, elles, sont
au point mort, alors que les Ober-
thur Technologies (cartes à puce),
Maisons du monde (ameuble-
ment) ou encore MediPôle Parte-
naires (cliniques) se préparent acti-
vement. « Traditionnellement, le
premier semestre est plutôt favora-
ble aux introductions en Bourse. On
assiste en ce début d’année à un
trou d’air inhabituel », souligne
Aline Cardin, associée du cabinet
d’avocats Clifford Chance.
La mécanique est encore plus
dissuasive que sur les marchés de
dette. « Une dizaine de jours au mi-
vise en effet à relancer le crédit
tout en poussant l’euro à la
baisse par différents mécanis-
mes complexes. Mais en rognant
les marges des banques, le taux
négatif contribue également à
alimenter les inquiétudes sur
l’état de santé et la rentabilité du
secteur…
D’autres experts estiment néan-
moins qu’il ne faut pas sous-esti-
mer la créativité de Mario Draghi,
le président de l’institut moné-
taire européen. Il pourrait, par
exemple, modifier ses quotas de
rachats de dettes publiques sur les
marchés. En augmentant le vo-
lume de titres souverains des pays
du Sud qu’il reprend, il enverrait
ainsi un signal clair aux investis-
seurs doutant aujourd’hui de la
solidité de l’Italie ou du Portugal.
« Cela ne fonctionnera que si les in-
vestisseurs ont le sentiment que les
Etats membres ont une véritable
stratégie de croissance com-
mune », juge Mme Villers. Sujet sur
lequel, en dépit de l’urgence, ils
peinent à s’entendre… p
marie charrel
nimum sont nécessaires pour réali-
ser l’offre de titres dans le cadre
d’une introduction en Bourse. Ni les
actionnaires ni les sociétés ne veu-
lent prendre le risque de se lancer
dans les marchés actuels », pour-
suit la spécialiste.
Dans ce contexte, le fonds d’in-
vestissement KKR, qui envisageait
de mettre en Bourse Sandro, Maje,
Claudie Pierlot, s’oriente vers une
cession. « La plupart du temps,
quand les fonds d’investissement
préparent l’introduction en Bourse
d’une entreprise dont ils sont ac-
tionnaires, ils laissent la porte
ouverte aux marques d’intérêt
d’éventuels acheteurs », relate Eric
Meyer, directeur général de RBC
Capital Markets. Et de noter : « Pour
l’instant, les processus de vente se
poursuivent. Le financement reste
disponible fût-ce au prix de condi-
tions un peu plus onéreuses ou con-
traignantes. » p
isabelle chaperon
4 | économie & entreprise
Le désarroi
des agriculteurs
sous l’œil
de Bruxelles
Les ministres européens
de la filière se réunissent lundi
bruxelles - bureau européen
P
as question de changer le
capitaine en pleine tem-
pête. C’est, en substance,
le message du président
François Hollande, qui a choisi de
conforter Stéphane Le Foll dans
son double rôle de ministre de
l’agriculture et de porte-parole du
gouvernement. C’est donc bien lui
qui viendra défendre à Bruxelles,
lundi 15 février, lors du conseil des
ministres européens de l’agricul-
ture, la cause des éleveurs français,
dont certains continuent de mani-
fester. Les choses vont « bouger »
au niveau européen, a assuré
M. Hollande le 11 février.
Les Français risquent d’être dé-
çus : pour l’heure, le conseil ne de-
vrait déboucher sur aucune me-
sure d’aide supplémentaire. Les
Néerlandais, qui assurent la prési-
dence de l’Union européenne (UE)
depuis janvier, n’ont inscrit à l’or-
dre du jour qu’une « discussion »
sur la situation du marché, à
l’heure du déjeuner…
Pour autant, la Commission
européenne est très consciente du
désarroi des agriculteurs et des éle-
veurs français. « Les difficultés dans
le secteur du lait et de l’élevage por-
cin sont profondes, plus profondes
qu’on aurait pu le penser », résume
une source européenne. Le com-
missaire chargé du dossier, l’Irlan-
dais Phil Hogan, devait, lundi, faire
le point de la situation, et écouter
les ministres. « La crise n’est pas
que française, les Polonais, les Espa-
gnols, ont des points à soulever [le
F I N AN C E
Deutsche Bank rachète
4,8 milliards d’euros
de sa propre dette
Le groupe bancaire Deutsche
Bank, fragilisé par des inquié-
tudes concernant sa solidité
financière, a annoncé, ven-
dredi 12 février, son projet de
racheter pour environ
4,8 milliards d’euros de titres
de sa propre dette. Quelques
jours plus tôt, sur fond de dé-
gringolade de son action en
Bourse, la banque avait déjà
Ce dimanche à 12h10
THIBAULT LANXADE
Vice-président du MEDEF
répond aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),
Sophie Malibeaux (RFI), Christophe AYAD (Le Monde).
Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr
lait dans le cas des Polonais, les
fruits et légumes pour les Espa-
gnols]. Le commissaire sera très at-
tentif aux propositions, on veut ar-
river au déjeuner avec un esprit
neuf », dit cette source. M. Le Foll le
reconnaît, il s’agit pour le moment
de « discussions, en essayant de ras-
sembler d’autres pays, alors que la
Commission est plus dans une logi-
que extrêmement libérale ».
Le système s’est emballé
Le constat est connu : la produc-
tion de porc et de lait a progressé
dans plusieurs pays européens
alors que la demande mondiale
n’était pas au rendez-vous. Sans
outil de régulation, le système s’est
emballé et les prix ont chuté. Le
gouvernement français demande
un relèvement du « prix d’inter-
vention » du lait (prix d’achat ga-
ranti par l’UE) de manière tempo-
raire et une réflexion de fond sur
les mécanismes pour éviter une
course à la production. Il propose
ainsi d’octroyer des aides aux agri-
culteurs limitant volontairement
leur production en période de
baisse des prix.
Pour le porc, la France reconnaît
que les mesures d’aide au stockage
privé n’ont eu que des effets limi-
tés et préconise une réduction du
nombre de truies dans les éleva-
ges. Surtout, elle demande à la
Commission d’intervenir pour ob-
tenir la levée de l’embargo sani-
taire russe sur les produits porcins
décrété début 2014.
Enfin, la France demande à la
Commission de se saisir du dos-
dû assurer les marchés de sa
capacité à payer ses dettes.
SI D ÉR U R GI E
Bruxelles lance trois
enquêtes antidumping
sur l’acier chinois
Bruxelles a signalé, vendredi
12 février, l’ouverture de trois
enquêtes visant les importa-
tions sur son sol de trois ty-
pes de produits en acier chi-
nois, soupçonnés d’être
vendus à perte et d’enfreindre
les règles de la concurrence.
0123
sier de l’étiquetage de l’origine du
lait et de la viande dans les pro-
duits transformés. M. Le Foll af-
firme qu’un décret est prêt en
France pour appliquer ces nouvel-
les règles du jeu.
Réputé libéral, M. Hogan est op-
posé à la remise en question des
orientations de la politique agri-
cole commune. Il est résolument
contre le retour des quotas laitiers,
définitivement abandonnés par
l’UE en 2015. Il voit aussi d’un très
mauvais œil le relèvement du
« prix d’intervention », considérant
qu’une hausse n’encourage pas à la
baisse de la production alors que la
crise du lait est essentiellement
une crise de surproduction. En
coulisses, on souligne aussi que
dans le cas du porc, le marché fran-
çais souffre de faiblesses structu-
relles (exploitations trop petites,
abattoirs pas assez rentables).
Pour l’instant, Bruxelles campe
sur ses positions : il existe des ins-
truments communautaires pour
aider les filières, certes limités
mais qu’il faut utiliser à plein. Il y a
les aides au stockage privé comme
celles concernant les produits lai-
Les eurodéputés Verts dénoncent
les montages fiscaux du géant Ikea
Un rapport détaille les pratiques mises en œuvre par le groupe suédois pour échapper au fisc
bruxelles - bureau européen
M aintenir au maximum
la pression politique
sur les Etats euro-
péens, et la Commission de
Bruxelles, pour que la lutte contre
la fraude et l’évasion fiscale ne fai-
blisse pas. Tel est le sens du rap-
port dénonçant les pratiques
d’Ikea rendu public vendredi
12 février par les députés euro-
péens Verts.
Les pratiques du géant suédois
ont souvent été dénoncées par les
médias, mais les Verts entendent
aller plus loin, et de manière plus
détaillée. Pour ce faire, ils se sont
adjoint les services d’un cher-
cheur indépendant basé aux
Etats-Unis, Marc Auerbach, coau-
teur, en juin 2015, d’un rapport
sur les techniques d’évasion fis-
cale de Walmart.
Selon l’étude, Ikea aurait
échappé en grande partie à l’im-
pôt ces dernières années, notam-
ment grâce à deux fondations,
l’une au Lichtenstein, l’autre aux
Pays-Bas. Soit un manque à ga-
gner total d’environ 1 milliard
d’euros pour les fiscs européens
entre 2009 et 2014. Ces montages
auraient fait perdre, pour la seule
année 2014, 35 millions d’euros à
l’Allemagne, 24 millions à la
France, et 10 millions à la Suède.
tiers décidées en 2014, à la suite de
la mise en place de l’embargo
russe, et prolongées depuis. Une
aide au stockage privé de la viande
porcine a été ouverte pour trois se-
maines, début janvier 2016, mais
dont la France n’a pas fait grand
usage, souligne-t-on à Bruxelles.
La Commission insiste aussi sur
les efforts de M. Hogan pour trou-
ver de nouveaux débouchés com-
merciaux aux produits européens.
Il était en tournée en Amérique du
Sud ces derniers jours (Mexique et
Colombie) et doit se rendre au Ja-
pon, en Chine et en Indonésie au
printemps. Bruxelles souligne en-
fin que l’embargo russe sur le porc
est un des facteurs de la crise mais
que sa levée n’a rien d’évident,
Moscou l’utilisant comme une
arme diplomatique pour mieux
diviser les Européens.
Et il ne faut pas trop compter,
dit-on encore à Bruxelles, sur les
« poches profondes » de l’Europe.
Trouver les 500 millions d’aide
d’urgence pour l’ensemble des
28 pays membres, en septem-
bre 2015, n’a pas été politiquement
chose facile alors qu’autour de la
Comment fonctionne ce sys-
tème bien rodé d’évasion fiscale ?
En 1982, Ingvar Kamprad, le fon-
dateur d’Ikea, a divisé sa société
(plus de 33 milliards d’euros de
chiffres d’affaires et environ
172 000 salariés), en deux entités
juridiques distinctes : Inter IKEA
Group, contrôlé par une fonda-
tion basée au Lichtenstein, Inte-
rogo Foundation. Et Ikea Group,
contrôlé par une fondation néer-
landaise, la Stichting INGKA.
« Acrobaties » comptables
L’étude s’est concentrée sur le cas
d’Inter Ikea Group, une holding
néerlandaise possédant la mar-
que Ikea. Chaque magasin Ikea re-
verse à cette entité, en royalties,
l’équivalent de 3 % de ses ventes,
au titre de l’usage de la marque
Ikea. Cela permet à ces magasins
de réduire leur base imposable
dans les pays concernés. Et aussi,
à l’entité néerlandaise de ne qua-
siment pas payer d’impôts, les
Pays-Bas étant connus pour leur
législation généreuse sur la non-
imposition des royalties.
L’entité batave, pour racheter la
marque Ikea, s’est endettée en 2012
auprès d’une filiale luxembour-
geoise, et lui renvoie une grande
partie des royalties, sous forme
d’intérêts, qui servent à rembour-
ser son prêt. Or, ces intérêts ne
En France,
les négociations
entre industriels
et distributeurs
se déroulent
sous la haute
surveillance
de l’Etat
table de plus en plus de pays (Alle-
magne, Danemark, Pays-Bas,
Suède) estiment qu’une trop
grande part du budget de l’UE est
encore réservée à la PAC (38 %), au
moment même où l’Europe fait
face à des crises bien plus graves,
comme celle des migrants.
En attendant de faire bouger les
positions à Bruxelles, M. Le Foll et
Emmanuel Macron, le ministre de
l’économie, ont mis la pression,
vendredi 12 février, sur la grande
distribution. A l’issue d’une réu-
nion où étaient conviés des repré-
sentants de l’industrie agroali-
mentaire, de la distribution, des
sont pas taxés à leur « sortie » des
Pays-Bas. Par ailleurs, au Luxem-
bourg, il existe un « ruling » (un ac-
cord entre Ikea et le fisc du Grand-
Duché), qui permet à Inter Ikea
Group de n’être taxé qu’à seule-
ment 0,06 % de ses profits. Enfin,
des dividendes sont versés de la fi-
liale Luxembourgeoise vers la fon-
dation du Lichtenstein. Or il se
trouve que, dans ce paradis fiscal,
les dividendes des filiales venues
de l’étranger ne sont pas taxés…
Ce que les Verts veulent pointer
avec cet édifiant exemple ? Que les
récentes propositions de la Com-
mission européenne pour lutter
contre les montages fiscaux les
plus abusifs ne permettraient pas
de mettre fin à toutes les « acroba-
ties » comptables d’Ikea.
Bruxelles n’a pas chômé depuis
l’éclatement du scandale
LuxLeaks, en novembre 2014, qui a
mis indirectement en cause son
président, Jean-Claude Juncker,
premier ministre du Luxembourg
pendant près de dix-neuf ans. Le
commissaire chargé du dossier,
Pierre Moscovici, a réussi à faire
adopter par les 28 Etats membres,
en octobre 2015, le principe de la
transmission automatique et obli-
gatoire des « rulings » entre fiscs
des Etats membres.
Et fin janvier, M. Moscovici a pro-
posé une législation obligeant les
0123
DIMANCHE 14 - LUNDI 15 FÉVRIER 2016
Une
opération
du syndicat
Jeunes
Agriculteurs
dans un
supermarché
Leclerc
à Saint-Paul-
Lès-Dax
(Landes),
le 12 février.
IROZ GAIZKA/AFP
coopératives et du syndicat agri-
cole FNSEA, les deux ministres ont
affirmé que les négociations com-
merciales entre industriels et dis-
tributeurs – qui doivent s’achever
fin février – se déroulaient sous
haute surveillance. « Elles ne doi-
vent pas entraîner de baisses sur les
prix payés aux producteurs », ont-
ils martelé. Soulignant que le
nombre de contrôles avait aug-
menté et qu’une enseigne avait
fait l’objet d’une perquisition le
9 février après dénonciation pour
fautes graves. Avec la menace d’un
durcissement législatif à la clé
après un bilan prévu pour la pre-
mière quinzaine de mars et la pré-
sentation par chacun de proposi-
tions pour améliorer les relations.
Le premier ministre, Manuel
Valls, avait déjà reçu les représen-
tants de la grande distribution
lundi. Il doit maintenant mettre
en musique une autre promesse
formulée par M. Hollande : « Une
nouvelle baisse des cotisations so-
ciales, tout de suite, pour l’ensemble
des agriculteurs. » p
cécile ducourtieux
et laurence girard
multinationales à transmettre
leurs profits à tous les fiscs des
pays où elles sont implantées,
ainsi qu’une directive visant à em-
pêcher le recours abusif aux dispo-
sitifs fortement « défiscalisants »
(prêts intragroupe, déduction d’in-
térêts…). Additionnés ou détour-
nés de leur objet, ils permettent
aux multinationales de n’être im-
posées nulle part.
Les Verts réclament une trans-
parence tous azimuts, très effi-
cace, selon eux, pour que cessent
les pratiques les plus « limites ».
Les « rulings » devraient être ren-
dus publics à une bien plus large
échelle, et non pas seulement
transmis entre fiscs nationaux.
Idem pour les profits réalisés pays
par pays, qui devraient figurer
dans les rapports annuels des
multinationales.
Les députés européens vont
continuer à exercer leur pression
politique au travers de la Com-
mission spéciale TAXE du Parle-
ment européen, mise en place en
février 2015, juste après LuxLeaks,
et dont ils ont obtenu le prolonge-
ment pour six mois en novem-
bre 2015. Ils espèrent notamment
décrocher l’audition du ministre
des finances (et aussi président de
l’Eurogroupe), Jeroen Dijssel-
bloem. p
cécile ducourtieux
0123
DIMANCHE 14 - LUNDI 15 FÉVRIER 2016
Taxis : des mesures fortes pour sortir de la crise
Bercy doit notamment étudier la création d’un fonds de garantie de la valeur des licences
F in de la phase une. Le mé-
diateur Laurent Grand-
guillaume a remis, jeudi
11 février, son plan d’action au pre-
mier ministre pour mettre fin à la
crise qui, depuis fin janvier, tra-
verse le secteur du transport de
personnes sur réservation. Le dé-
puté (PS) de Côte-d’Or a beau affir-
mer n’avoir « rien [proposé] de ré-
volutionnaire », ses solutions
pourraient déconcerter.
Première surprise : « Pas un
mot » à propos de Heetch, la plate-
forme française qui met en rela-
tion conducteurs amateurs et
passagers, de nuit, en Ile-de-
France. Les taxis parisiens en exi-
gent l’interdiction. Tous y voient
une concurrence déloyale, un er-
satz de UberPop. Lancée en fé-
vrier 2014, l’application Uber avait
été interdite par arrêté préfectoral
en juin 2015, sous la pression des
organisations de taxis. Le parquet
a d’ailleurs requis, vendredi, de
condamner ses deux dirigeants,
Thibaud Simphal et Pierre-Dimi-
tri Gore-Coty, à 50 000 et
70 000 euros d’amende et à une
interdiction de gestion pendant
cinq ans. La société Uber pourrait,
elle, se voir infliger un million
d’euros d’amende.
Dans le cas de Heetch, l’Etat n’in-
terviendra pas, avait prévenu, fin
janvier, le premier ministre, Ma-
nuel Valls. Il s’en tiendra à la pro-
cédure judiciaire en cours. Dès
lors, M. Grandguillaume se garde
bien d’évoquer ce cas. Voilà qui
pourrait irriter les organisations
de taxis.
Ce n’est pas la seule surprise. Le
plan d’action de M. Grand-
Renault recrute 1 000 personnes pour
répondre à la reprise de ses ventes
Entre 2004 et 2014, les effectifs du constructeur automobile
ont néanmoins baissé de 40 % en France
E t 1 000 de plus. Vendredi
12 février, lors de la présen-
tation de résultats finan-
ciers solides, Carlos Ghosn, le
PDG de Renault, a annoncé la
création d’un millier de postes en
contrat à durée indéterminée en
France, et le recrutement de
1 000 apprentis ou alternants.
Pour le patron, il s’agit de « soute-
nir la croissance du groupe et ré-
pondre à nos ambitions ».
C’est la seconde année d’affilée
que Renault desserre l’étau des
embauches. En 2015, le construc-
teur avait déjà recruté mille per-
sonnes. Comme l’an dernier, envi-
ron 500 embauches seront réali-
sées dans les usines, qui tournent
pour certaines avec plus de 50 %
d’intérimaires, et 500 autres dans
les centres d’ingénierie. Renault
veut notamment se renforcer sur
les « métiers sensibles », en recru-
tant des ingénieurs télécoms par
exemple, pour préparer l’avène-
ment de la voiture connectée.
Quelques jours avant l’ouver-
ture des négociations annuelles
des salaires, le groupe a égale-
ment annoncé le versement
d’une prime exceptionnelle de
400 euros à l’ensemble des sala-
En Russie, AvtoVAZ sera recapitalisé
Plongé dans une crise économique profonde, le marché automo-
bile russe a chuté de plus de 35 % en 2015. Et cela coûte cher à
l’alliance Renault-Nissan, le numéro un du secteur dans ce pays
avec sa filiale commune AvtoVAZ. L’entité russe a enregistré une
perte de 823 millions d’euros en 2015. Dans les comptes de Re-
nault, cela se traduit par une perte de 620 millions d’euros pour
l’année écoulée. Pour sortir de cette situation difficile, le cons-
tructeur tricolore est entré en discussion avec les autres action-
naires de la holding détentrice d’AvtoVAZ – dont Nissan et un
groupe russe –, pour recapitaliser la société. Le prêt et les créan-
ces qui sont détenus par Renault sur le russe seraient transfor-
més en capital de l’entreprise.
Près de 10 000
chauffeurs
professionnels
en France se
connecteraient
aux plates-
formes de VTC
guillaume suggère un crime de lè-
se-majesté : le rattachement de
tous les transports de personnes à
« un seul ministère ». Le choix se-
rait celui du ministère des trans-
ports, autorité de tutelle des véhi-
cules de tourisme avec chauffeur
(VTC). Les taxis n’auraient alors
plus pour référent le ministère de
l’intérieur. « Mais ils conserve-
raient un lien avec l’intérieur et les
offices de contrôle des “boers” [la
police des taxis] », précise pru-
demment M. Grandguillaume.
Cette réforme mettrait fin à des
relations séculaires : le ministère
de l’intérieur est l’autorité de tu-
telle des taxis depuis 1961, date à
laquelle, dans leurs voitures, s’est
imposé l’usage des transmissions
par radio.
Pragmatisme
Autre réforme : les chauffeurs
professionnels relevant de la loi
d’orientation territoriale (Loti) de
1982 seraient toujours autorisés à
se connecter aux plates-formes
de VTC. « Il faut faire un rappel à la
loi », préconise le médiateur. Les
textes autorisent ces chauffeurs à
transporter des groupes. Or, pour
riés. Une prime d’intéressement
conséquente sera aussi versée, re-
flétant l’augmentation de près de
50 % du bénéfice du groupe, à
2,9 milliards d’euros en 2015. Se-
lon les calculs de FO, les ouvriers
les moins bien payés de Renault
pourraient obtenir une prime at-
teignant jusqu’à un mois de sa-
laire, en augmentation de plus de
50 % par rapport à 2014.
« Ne pas se laisser manipuler »
« Les salariés sont aujourd’hui ré-
compensés des efforts consentis
pour le plan de compétitivité signé
en 2013 », salue la CFDT, qui avait
validé cet accord. Autre signataire,
FO estime qu’« en signant cet ac-
cord, [le syndicat] avait fait un pari
sur l’avenir et aujourd’hui les résul-
tats nous donnent raison. Avec l’af-
fectation de nouveaux modèles
dans les usines et les 1 000 embau-
ches pour 2015, les effets de l’accord
se concrétisent clairement ».
Opposée à cet accord, la CGT cri-
tique au contraire les destruc-
tions d’emplois. Elle exhorte par
ailleurs les salariés à « ne pas se
laisser manipuler » : « La direction
va se servir » de l’octroi de ces pri-
mes pour « éviter d’aborder la
accélérer leur croissance et élargir
leur flotte à ce statut moins régle-
menté, la plupart des plates-for-
mes ont contourné la loi : elles
émettent des bons de commande
mentionnant systématiquement
deux passagers, y compris pour
les transports initialement pré-
vus pour une seule personne.
« L’ordre de mission ne doit pas
être falsifié », prévient un diri-
geant de Taxis Bleus, filiale du
groupe G7.
Le médiateur fait ici dans le
pragmatisme. Car ces chauffeurs
professionnels sont de plus en
plus nombreux à se connecter
aux plates-formes de VTC pour
s’assurer une activité. Ils seraient
près de 10 000 en France. Et ils re-
présenteraient 15 % à 30 % des
chauffeurs connectés à Uber,
Chauffeur-Privé et autres VTC.
Laurent Grandguillaume a mani-
festement entendu ces chauf-
feurs jeunes ou récemment con-
vertis au métier. Depuis le 3 fé-
vrier, ils manifestaient dans Paris
pour « défendre leur emploi ».
Déjà, certains de leurs représen-
tants crient victoire. « C’est une
bonne chose d’avoir eu cette assu-
rance de pouvoir travailler », réagit
Joseph François, président d’Alter-
native mobilité transport, qui, dès
jeudi, a appelé les chauffeurs Loti
à cesser de manifester. « Rien n’est
fait », nuance-t-on chez OTRE, or-
ganisation des PME du transport
routier.
Reste un très gros point de dé-
bat : l’indemnisation des chauf-
feurs de taxi. Cette fois, la voie ex-
plorée devrait satisfaire les orga-
nisations de taxis. M. Grand-
question des augmentations géné-
rales de salaires », prévient le
deuxième syndicat du groupe.
Pour rappel, en 2013, la direction
de Renault avait promis, en
échange d’économies et de
7 500 suppressions de postes en
trois ans, la pérennité des usines
françaises, ainsi que l’augmenta-
tion de leur production. À l’hori-
zon 2017, le groupe promettait un
volume de fabrication de
710 000 véhicules au minimum.
Ces objectifs, prudents voire
conservateurs, sont en passe
d’être tenus et pourraient même
être dépassés. En 2015, le groupe a
assemblé 670 000 véhicules en
France, a annoncé vendredi Car-
los Ghosn, contre 533 000 un an
plus tôt. Le niveau de 710 000 uni-
tés devrait être largement dé-
passé en 2016. Cela restera néan-
moins loin de l’année 2004,
quand Renault avait produit
1,3 million d’unités dans le pays.
De même, plus de 5 000 person-
nes se sont déjà inscrites pour
quitter le groupe, selon les syndi-
cats. « C’est en ligne avec l’accord »,
assure la direction de Renault.
« En 2013 et 2014, la direction des
ressources humaines poussait les
salariés à accepter les conditions
de départ, assure un syndicaliste.
Aujourd’hui, face au succès du
plan, c’est plutôt le contraire. Elle
freine des quatre fers. »
Renault s’est surtout résolu à re-
prendre réellement les embau-
ches. Sur trois ans, le constructeur
devrait supprimer quelque
6 200 emplois nets, 1 300 de moins
que prévu… Les effectifs français
du groupe ne sont pas encore près
de repartir à la hausse. Entre 2004
et 2014, ils sont passés de 76 000 à
moins de 45 000 personnes. p
philippe jacqué
économie & entreprise | 5
L'HISTOIRE DU JOUR
Un « Baiser » qui fait s’envoler
les millions
guillaume espère monter un
« fonds de réserve » pour les chauf-
feurs dont la licence a perdu de la
valeur depuis le boom des VTC.
Une plaque de taxi se négocie dé-
C e sera le clou des ventes de l’hôtel Drouot au premier se-
mestre 2016. Mardi 16 février, la société Binoche et Gi-
quello met en vente un important ensemble de cinq
sculptures en bronze d’Auguste Rodin (1840-1917), dont une ver-
sormais « 165 000 euros, contre sion du Baiser, estimée 1,5 à 2 millions d’euros, et un exemplaire
220 000 euros en 2014 », assure G7. de L’Eternel Printemps, évalué de 300 000 à 400 000 euros.
« L’indemnisation est un point Quatre-vingt-dix-neuf ans après sa mort, le sculpteur a tou-
qui fera l’objet de réunions avec jours la cote. Le 3 février, chez Sotheby’s, à Londres, une Iris,
des experts à Bercy », précise l’élu messagère des dieux a atteint le montant record de 15,3 millions
de Bourgogne. Il s’agit notam- d’euros. Il est vrai que c’était une édition ancienne, faite du vi-
ment de « trouver le mode de fi- vant de l’auteur et qui avait appartenu à… Sylvester Stallone.
nancement » idoine. « Prélève- Habituellement, « ce genre de vente est presque toujours capté
ment sur chaque course ? Partici- par Londres », explique le commissaire-priseur Alexandre Gi-
pation des plates-formes à un quello. Cette fois-ci, la place parisienne va pouvoir se pousser
fonds obligatoire ? Ce sont les diffé- un peu du col. Bien sûr, la vente aurait pu être encore plus pres-
rents scénarios à présenter aux ac- tigieuse si les pièces avaient été réalisées du vivant de l’auteur.
teurs du secteur », avance Mais ce tirage de 1927 du Baiser, réalisé par le fondeur Alexis Ru-
M. Grandguillaume. dier, est considéré par les experts
Les cabinets ministériels vont comme de très bonne facture.
désormais être le théâtre de trac- « IRIS, MESSAGÈRE Aujourd’hui, il est quasi impossible
tations. D’ici au 19 février, de trouver sur le marché des représen-
M. Grandguillaume espère « ré- DES DIEUX » tations du Baiser de grande taille. Or,
cupérer les solutions validées » par
le gouvernement et les « soumet-
A ATTEINT cette édition de 82,5 cm est peut-être
celle qui se rapproche le plus du mo-
tre ensuite » aux représentants. LE MONTANT RECORD dèle original, conçu pour orner La
Viendra alors la phase deux, Porte de l’enfer, inspirée de Dante.
celle de la « réflexion à moyen et DE 15,3 MILLIONS Pour les sculptures de Rodin, il existe
long terme », précise M. Grand- un Top 5 des œuvres les plus recher-
guillaume. Le maître mot sera
D’EUROS chées par les collectionneurs. A la pre-
alors régulation. « La concurrence mière place, figure l’incontournable
doit être régulée. On ne peut pas Penseur. Le Baiser arrive en deuxième position, suivi de L’Eternel
faire que des gens qui ne paient pas Printemps, d’Eve et de L’Age d’airain. Deux sont à l’affiche de la
d’impôts ni de cotisations sociales vente du 16 février, avec en plus L’Eternelle Idole, La Jeune Mère
puissent s’introduire sur les mar- et enfin Le Bon Génie, qui ferme la marche.
chés », a déclaré le président de la Concernant Rodin, une deuxième difficulté provient du nom-
République, François Hollande, bre important de fausses copies en circulation. La provenance
lors de son allocution télévisée, est par conséquent un gage d’authenticité. L’ensemble présenté
jeudi 11 février. Quel sera le mode vient de la collection du galeriste Jean de Ruaz, et il s’agit d’une
de régulation choisi ? La création première main. De plus, cette représentation du Baiser a été ex-
d’un tronc commun de formation posée au Museum of Modern Art (Moma), à New York, lors
à suivre pour devenir chauffeur de d’une grande rétrospective consacrée à l’artiste, en 1963.
taxi, de VTC ou de transport col- Un chemin qu’elle pourrait de nouveau prendre, une fois
lectif est toujours sur la table. p passé le 16 février. p
juliette garnier alain beuve-méry
220 PAGES
12 €
UN ATLAS EXHAUSTIF Pour chacun des 198 pays du ENTREPRISES Scandale Volkswagen, crise sociale à
monde, les chiffres-clés (population, PIB, émissions Air France, déboires de la filière nucléaire française, les
de CO2...), une carte et une analyse politique et feuilletons « business » de l’année 2015.
économique de l’année par les correspondants du Monde.
FRANCE Du pacte de compétitivité au pacte de sécurité,
INTERNATIONAL Le monde face à Daech. L’organisation François Hollande change de priorité tandis que le Front
Etat islamique déploie ses tentacules jusque dans les rues national impose ses thèmes dans les urnes et dans le
de Paris ; les grandes puissances se coalisent, mais débat public.
peinent à surmonter leurs divergences d’intérêts.
IDÉES Olivier Roy, Michel Onfray, Louis Maurin... les textes
PLANÈTE L’accord mondial de la COP21 pour lutter contre publiés dans Le Monde qui ont marqué l’année 2015.
le réchauffement climatique et l’entente internationale
pour stopper l’épidémie d’Ebola en Afrique, meilleures
nouvelles de l’année.
En partenariat avec
6 | bourses & monnaies 0123
DIMANCHE 14 - LUNDI 15 FÉVRIER 2016

PARIS FRANCFORT LONDRES EURO STOXX 50 NEW YORK NASDAQ TOKYO

– 4,89 % – 3,43 % – 2,40 % – 4,28 % – 1,43 % – 0,59 % – 7,04 %

CAC 4 0 DAX 3 0 FTSE 10 0 DOW JONES NIKKEI

(sur 4 jours)

3 995,06 POINTS 8 967,51 POINTS 5 707,60 POINTS 2 756,16 POINTS 15 973,84 POINTS 4 337,51 POINTS 14 952,61 POINTS

La débâcle boursière met à mal les certitudes des marchés

Les fonds d’investissement et les banques paient un lourd tribut à la crise actuelle

P our certains, c’est l’alpha et

l’oméga de la banque d’in-
vestissement. Pour
d’autres, le symbole des dérives de
la finance dans ce qu’elle a de plus
européens ont dégringolé de 15 % et
que la Bourse japonaise a perdu
plus de 20 % ? Personne, pas même
Goldman Sachs. « Les marchés ont
commencé à rejeter le risque de fa-
de transaction qu’elle avait recom-
mandés pour 2016. Goldman Sachs
avait conseillé à ses clients de pré-
férer le dollar à l’euro et au yen,
alors que la devise américaine ne
En moins
de deux mois,
Goldman Sachs
mis à rude épreuve. Les Blackstone,
Carlyle, Apollo et autres KKR n’en
finissent pas de dégringoler en
Bourse. Ils souffrent de la baisse du
pétrole, qui dévalorise leurs inves-
sombre. Cette semaine, c’est en çon très agressive cette semaine, cé- cesse de chuter par rapport aux est revenue sur tissements dans le secteur de
tant qu’oracle déchu que Goldman dant apparemment à la crainte que autres monnaies, et d’acheter des l’énergie, mais aussi de la difficulté
Sachs a fait la « une ». La banque le récent ralentissement de la crois- obligations souveraines italiennes
cinq des six à céder leurs participations au mo-
américaine, qui a compté dans ses sance puisse se transformer en ré- plutôt que les « Bund » allemands, grands « paris » ment où ils le souhaiteraient, dans
rangs Mario Draghi, l’actuel patron cession », a concédé Charles Him- valeurs refuges moins rémunéra- un marché devenu plus frileux. Ces
de la Banque centrale européenne melberg, le responsable de la straté- trices. L’établissement avait aussi
de transaction spécialistes du « non-coté » (ils in-
(BCE), ou encore Henry Paulson, gie crédit de la banque, dans une let- anticipé un retour de l’inflation à qu’elle avait vestissent dans des secteurs aussi
ancien secrétaire du Trésor améri- tre à ses clients reprise par l’agence près de 2 % aux Etats-Unis cette an- divers que l’immobilier ou la ges-
cain, n’a pourtant guère l’habitude Bloomberg, mardi 9 février. née, l’objectif de la Fed (banque
recommandés tion alternative), censés parier sur
de faire son mea culpa. Le risque, ce sont les produits fi- centrale américaine), alors que cet pour 2016 le long terme, ont en effet tous cédé
Mais, à circonstances exception- nanciers les plus volatils, au pre- indicateur est en baisse continue… ces dernières années à la mode de
nelles, attitude exceptionnelle. Qui mier rang desquels les actions. Ré- Au final, Goldman Sachs ne con- la cotation en Bourse. Ce faisant, ils
peut se targuer d’avoir échappé à la sultat : moins de six semaines serve qu’un seul de ses conseils : trole, craintes de récession améri- se retrouvent soumis aux impéra-
saignée boursière des dernières se- après le début de l’année, « la miser sur un panier de 48 sociétés caine. Mais aussi, depuis cette se- tifs des marchés, avec des action-
maines, alors que Wall Street a Firme », comme l’ont surnommée exportatrices (hors matières pre- maine, les interrogations sur la naires qui scrutent chaque résultat
chuté de plus de 10 % depuis le dé- ses détracteurs, est carrément reve- mières) contre 50 actions de ban- santé du secteur bancaire, exposé financier. Et bien sûr, ils n’échap-
but de l’année, que les marchés nue sur cinq des six grands « paris » ques des pays émergents. au pétrole et en perte de vitesse pent pas aux soubresauts finan-
dans un contexte réglementaire ciers actuels.
Wall Street planche sur une charte Un détonant cocktail qui met à mal la rentabilité des éta- Face à ce paradoxe, les dirigeants
C’est que les marchés ont subi ces blissements. De là à semer la pani- de fonds ont décidé de céder à une
L’irruption sur la scène financière d’investisseurs militants qui derniers jours une véritable purge. que parmi des investisseurs qui y autre mode : celle des rachats d’ac-
contestent la gestion des dirigeants d’entreprises pousse Wall Sur la semaine du lundi 8 au ven- voient un mauvais remake de la tions. Ce tour de passe-passe bour-
Street à envisager de se doter d’un « code de bonne conduite ». dredi 12 février, le CAC 40 a reculé crise des subprimes de 2007-2008, sier, qui consiste pour une société
Ce bréviaire listerait les pratiques vertueuses de gouvernance de 4,89 %, passant sous le seuil à même de se propager à l’écono- à racheter ses propres titres pour
d’une société cotée. Jamie Dimon, le patron de la banque JP- symbolique des 4 000 points et ef- mie réelle, il n’y a qu’un pas… que ensuite les annuler, permet ma-
Morgan Chase, est à la manœuvre ; depuis août 2015, il a con- façant tous ses gains depuis l’été les marchés ont allègrement fran- thématiquement de faire aug-
vié à des réunions tout un aréopage de personnalités au siège 2013. Le DAX allemand a perdu chi. Même si ni l’ampleur ni le pro- menter le bénéfice par action – cri-
de son groupe. La liste des participants comprend le milliar- 3,43 %, le S&P 500 américain a lâ- fil des secousses actuelles ne sont tère essentiel de la valeur d’un
daire – et ami de M. Dimon – Warren Buffett, dont la société ché 0,81 % et, au Japon, le Nikkei a encore comparables. groupe coté. Apollo va ainsi rache-
Berkshire Hathaway est présente au capital de nombreuses chuté de 7,04 %. Goldman Sachs n’est pas la seule ter pour la première fois des ac-
entreprises américaines. Le gratin des hedge funds est aussi En cause, le cocktail détonant qui dont l’étoile semble pâlir. Les prin- tions depuis son entrée en Bourse
de la partie. Laurence Fink, le patron de BlackRock, Abigail Jo- fait se convulser la planète finance cipaux fonds d’investissement, en 2011. Pas sûr que ce type de si-
hnson, de Fidelity, de hauts responsables de Vanguard, de Ca- depuis début janvier : douloureux dont le métier consiste à miser sur gnal contribue à ramener la séré-
pital Group et du fonds de pension canadien CPPIB ont rejoint atterrissage de l’économie chi- les grandes tendances de l’écono- nité sur les marchés. p
ce groupe de travail. noise, chute sans fin du baril de pé- mie pour réaliser des profits, sont audrey tonnelier

MATIÈRES PREMIÈRES TAUX & CHANGES

La Saint-Valentin redonne de l’éclat au diamant Revivons-nous la crise de 2008 ?

A près une année absolu-

ment catastrophique, le
diamant remonte tout
doucement la pente. La Saint-Va-
lentin ne suffira pas à lui faire re-
trouver les sommets que la pierre
précieuse avait atteints voici tout
juste un an. Les Américains de-
vraient pourtant dépenser
4,4 milliards de dollars (3,9 mil-
liards d’euros) en joaillerie et donc
aussi en diamants pour leur
chéri(e) pour fêter cette journée
des amoureux, dimanche 14 fé-
vrier. Mais c’est un peu moins
qu’en 2015 (– 8 %), selon les prévi-
sions de la Fédération nationale du
commerce de détail.
Les pierres non traitées retrou-
vent quant à elles des couleurs. Les
deux plus grands groupes mon-
diaux de mines de diamant, le sud-
africain De Beers et le russe Alrosa,
qui contrôlent les deux tiers du
marché, ont fait des étincelles lors
Embellie
PRIX MOYEN D'UN DIAMANT DE TRÈS BONNE QUALITÉ DE 1 CARAT,
EN DOLLARS
7 003
5 JANVIER 2015
de leurs premières ventes de l’an-
née à leurs grossistes en touchant
la barre du milliard de dollars.
Les cent clients – pas un de plus –
de De Beers, la filiale d’Anglo Ame-
rican, ont dépensé pour 540 mil-
lions de dollars, soit deux fois plus
que lors des précédentes ventes de
décembre 2015. Ces grossistes, qui
vont ensuite tailler les diamants,
arrêtent donc de bouder la mar-
chandise.
Enjeu géopolitique
De son côté, Alrosa a fait deux fois
mieux qu’escompté, à 460 mil-
lions de dollars. Leurs concurrents
commencent donc à montrer un
peu de nervosité. « Janvier est un
bon départ sur la route du redresse-
ment », affirme Stuart Brown, PDG
de Firestone Diamonds, à Bloom-
berg. Mais selon lui, « il est trop
tôt » pour savoir si ce phénomène
va perdurer.
6 755
1ER FÉVRIER 2016
Ces signes sont encourageants,
mais « l’année 2016 devrait être vo-
latile », a prévenu le PDG de De
Beers, Philippe Mellier. L’effondre-
ment des valeurs minières a obligé
les géants du secteur à réduire,
en 2015, les coûts et freiner la pro-
duction. De Beers a achevé, fin jan-
vier, la cession de Kimberley, sa
plus ancienne mine sud-africaine
de diamants qu’il n’exploitait plus
depuis neuf ans, à Ekapa Minerals.
Les diamants constituent parfois
un enjeu géopolitique. Jeudi, la
Haute Cour de Lahore, la cour su-
prême du Pakistan, était appelée à
se prononcer sur une épineuse
question. La monarchie britanni-
que devra-t-elle restituer à la pro-
vince du Penjab pakistanais le
Koh-i-Noor, une pierre légendaire
de 105,6 carats qu’elle s’était procu-
rée pendant la colonisation ?
La requête a été déposée par un
avocat et peintre anglo-pakista-
nais, Iqbal Geoffrey. A ses yeux, ce
diamant – qui fut la propriété de
princes moghols, de guerriers per-
ses, de souverains afghans et de
maharajas du Penjab avant d’être
offert, en 1849, à la reine Victoria –
doit revenir au Pakistan. Le juge a
préféré vérifier si ce problème était
de sa compétence et demandé
l’aide du Conseil du gouverne-
ment fédéral. Rendez-vous le 25 fé-
vrier. Pour l’heure, le diamant,
gardé à Londres, orne la couronne
portée pour la dernière fois par la
reine Elizabeth pour le sacre d’Eli-
zabeth II. Marque d’amour, le pré-
cieux caillou peut aussi raviver
d’ancestrales détestations. p
nicole vulser
P anique des marchés, angoisse sur
l’état de santé des banques, peur sur
la croissance mondiale… Difficile,
lorsque l’on fait état des troubles agitant la
planète économique depuis quelques se-
les établissements à se croire tout permis et
à prendre trop de risques –, elle a en effet
instauré la règle du « bail in », en vigueur
depuis quelques semaines.
L’idée ? En cas de difficulté, ce sont les ac-
maines, de ne pas penser à la crise de 2008. tionnaires et les grands créanciers de l’éta-
Sommes-nous sur le point de revivre un blissement qui sont mis à contribution en
choc de même ampleur ? premier, et non plus l’Etat. Le principe est
« Le cocktail infernal est en place », s’in- louable : protéger l’argent du contribuable.
quiète Christopher Dembik, chez Saxo Ban- Seulement voilà, il présente un effet per-
que. Les économistes ne sont bien sûr pas vers, révélé par le fiasco du sauvetage de
tous d’accord sur le sujet. A première vue, il quatre banques italiennes en décem-
n’y a pas, cette fois, de bombe comparable à bre 2015. Le « bail in » y a bien été appliqué.
celle des subprimes, ces crédits pourris aux Mais parmi les « gros créanciers », tels que
ménages américains transformés en titres les règles européennes les définissent, il y
et disséminés sur les marchés. avait des petits épargnants qui ont tout
Mais par bien des aspects, la situation est perdu… Surtout, les marchés ont pris cons-
plus inquiétante encore. Les dettes publi- cience que les Etats européens ne sauve-
ques et privées ont explosé partout, la ront plus leurs banques. Ils s’interrogent :
chute des prix du pétrole fragilise les ban- quelle sera la prochaine banque à mordre la
ques, sans parler du ralentissement de la poussière ? Voilà le retour des incertitudes
Chine… Manque l’étincelle qui pourrait de la spéculation. Comme en 2008.
mettre le feu aux poudres. Avec en prime, la peur du scénario noir
où la crise financière se muerait, cette fois
Les actionnaires mis à contribution encore, en récession mondiale. Sauf qu’à la
En 2008, ce fut la chute de la banque améri- différence de 2008, les Etats surendettés
caine Lehman Brothers. Soudain, les inves- n’auraient plus de marge de manœuvre
tisseurs prirent conscience qu’un Etat pou- budgétaire pour soutenir l’activité. Tout
vait laisser un géant bancaire faire faillite. comme les banques centrales, qui ont déjà
La panique grimpa encore d’un cran, para- tiré toutes leurs cartouches. Démunies, el-
lysant les marchés. Quel serait le prochain les constatent avec désarroi que les liquidi-
domino à tomber ? Pour mettre un terme à tés qu’elles ont injectées ces dernières an-
la spéculation, les Etats européens – Ir- nées dans le système financier sont
lande, Royaume-Uni ou encore Allemagne aujourd’hui l’huile qui alimente le feu des
– n’hésitèrent pas à renflouer leurs établis-
sements fragiles. Dans la foulée, la zone
marchés p
marie charrel
euro créa l’union bancaire, afin de mieux
surveiller et renforcer le secteur. LA SOCIÉTÉ DES LECTEURS DU « MONDE »
Mais le mieux est parfois l’ennemi du
bien. L’Europe a peut-être, malgré elle,
semé la graine susceptible de précipiter la
crise. Pour éviter qu’à l’avenir les Etats in-
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0123
DIMANCHE 14 - LUNDI 15 FÉVRIER 2016
Les logements connectés, une réalité
Avec un habitat plus intelligent se pose la question du coût et de la sécurité des données
F
ini le temps de la domotique,
bienvenue à l’ère du logement
connecté. Les promoteurs im-
mobiliers s’apprêtent à com-
mercialiser un habitat nouvelle généra-
tion destiné à être plus intelligent, plus
confortable à vivre. La grande innova-
tion réside dans le pilotage centralisé et
personnalisé de nombreuses fonctions
via une application installée sur un
smartphone. Ou comment votre télé-
phone vous permet d’augmenter la
température de l’appartement, couper
le gaz, éteindre tous les appareils en
veille, actionner les volets roulants…
« L’idée consiste à installer dans chaque
appartement une box capable de centra-
liser les commandes de tous les équipe-
ments de la maison et de permettre d’y
brancher par la suite d’autres objets », ex-
plique Bruno Corinti, directeur général
adjoint de Nexity.
Un bouquet de services
L’arrivée de ces logements innovants
est prévue pour 2018, mais quelques
opérations sont déjà en test. En décem-
bre 2015, Nexity a livré 25 appartements
connectés dans le 18e arrondissement de
Paris. Un bouquet de services, gérable à
partir d’une application mobile, a été of-
fert aux habitants en contrepartie d’une
analyse de leurs usages.
De son côté, BNP Paribas Immobilier
peaufine ses futures offres baptisées
Share Box, qui permet de partager du
courrier à partir de sa boîte aux lettres,
ou Light Inn, une interface lumineuse
qui module l’éclairage selon la météo…
Expérimentée dans une cinquantaine
de logements, la mise sur le marché de
ces services est prévue pour 2017. « Dès
l’achat, il sera possible de demander de
les activer ou non, comme des options
dans une voiture », indique Kevin Car-
VILLES EN MUE
Rénovation du quartier Bel Air à Montreuil
P our la mairie de Montreuil (Seine-
Saint-Denis), qui mène la transfor-
mation du secteur Bel Air – Grands-
Pêchers, au sud de la ville, c’est un signe de
reconnaissance bienvenu. Ce quartier po-
pulaire d’environ 7 000 habitants fait partie
des sept opérations labellisées écoquartier
par le ministère du logement en 2015.
Composé de grands ensembles de loge-
ments sociaux des années 1950-1970, ce sec-
teur fait l’objet depuis dix ans d’un vaste
projet de rénovation urbaine et sociale
(PRUS). La mairie évalue à 120 millions
d’euros les sommes engagées jusqu’ici.
Au total, 1 375 logements vétustes ont été
réhabilités. La mise aux normes et l’amélio-
ration de la performance énergétique des
bâtiments ont permis de réduire le mon-
tant des charges payées par les habitants.
Environ 300 logements sociaux ont été dé-
molis puis 450 neufs construits, dont près
de la moitié affectée au logement social, 110
en accession libre, 70 en sociale… Lors d’un
programme d’une trentaine de logements
en accession sociale, ceux-ci ont été vendus
3 670 euros/m2, lorsque le mètre carré
s’élève à 4 550 euros, selon les notaires.
A côté de l’effort engagé sur la rénovation
des bâtiments, l’écoquartier s’est notam-
ment doté d’un nouveau système de ges-
dona, directeur de l’innovation du pro-
moteur.
La première utilité de ce qui ressemble
fort à des gadgets est de réaliser des éco-
nomies d’eau, de gaz et d’électricité.
« Grâce à un suivi en temps réel et une vi-
sion générale des consommations, l’oc-
cupant peut changer son comportement
et, à terme, maîtriser sa facture », souli-
gne Sylvie Jéhanno, directrice des
clients particuliers d’EDF. « L’analyse de
ces informations simplifie la vie des utili-
sateurs et leur permet de réaliser des éco-
nomies », ajoute Marc Gédoux, prési-
dent de Pierre Etoile.
La sécurité est une autre facette du lo-
gement intelligent. Il sera, par exemple,
possible de déverrouiller à distance sa
porte palière équipée d’une serrure élec-
trique. « Téléphone, serrure et visiophone
seront interconnectés », avance Kevin
Cardona.
Au-delà du logement, c’est l’immeuble
entier qui sera connecté. De nombreux
promoteurs prévoient déjà de réaliser
des halls d’entrée dotés de casiers réser-
Adapté aux seniors
Le logement connecté est « senior compatible », car il faci-
lite le maintien à domicile. Dans l’habitation, l’accent est
mis sur la santé et la sécurité. « Grâce aux services et aux
équipements installés, on facilite le quotidien d’une per-
sonne âgée qui a du mal à se déplacer ou peine à faire cer-
tains gestes », explique Nathalie Watine, directrice géné-
rale « Logement France » chez Bouygues Immobilier. Déjà,
certains promoteurs prévoient lors de la construction un
chemin lumineux qui s’allume la nuit, des capteurs sus-
ceptibles de détecter les chutes et intègrent un relais de
télésurveillance, prévoient un pilotage centralisé à partir
du lit pour manœuvrer les volets roulants ou pour ouvrir
la porte d’entrée. Facturé 7 000 euros, le « pack senior » de
Bouygues Immobilier peut être activé au moment de la li-
vraison ou quelques années plus tard.
tion des eaux de pluie et limite la place de
l’automobile. Les espaces publics font aussi
peau neuve : trois écoles ont été réhabili-
tées, deux crèches ouvertes et plusieurs
Dans le
quartier Bel
Air – Grands-
Pêchers,
équipements sportifs renouvelés. Ces amé- à Montreuil
nagements ont été réalisés autour d’une (Seine-Saint-
place centrale créée au cœur du quartier, en Denis). DR
lieu et place de l’ancien château d’eau.
« Renforcer la mixité »
« Le quartier conserve une forte fonction rési-
dentielle sociale à hauteur de 60 %, contre
33 % dans le reste de la commune. Mais cette
rénovation permet de renforcer la mixité, qui
devrait se poursuivre avec le prolongement
de la ligne 11 du métro parisien prévue pour
2022 », explique Alain Maillard, directeur gé-
néral adjoint chargé de l’habitat et de l’urba-
nisme à la mairie de Montreuil.
L’autre préoccupation majeure est de
mieux desservir le quartier excentré. La
ville compte sur l’extension du tramway T1,
d’ici à 2019, ou de la ligne 1 du métro, plus
hypothétique, « qui permettrait de désencla-
ver durablement le secteur des Grands-Pê-
chers » estime M. Maillard. Un réseau de
transports plus dense serait en effet de na-
ture à développer l’activité économique qui
manque dans ce quartier. p
pauline janicot
argent & placements | 7
CLIGNOTANT
ÉPAR GN E
La pierre, refuge des investisseurs en 2016
Dans une étude publiée en février, le bureau de recher-
che indépendant Xerfi l’affirme : « La pierre bénéficiera
vables à distance. Ces emplacements sé- des piètres performances des autres actifs et représen-
curisés serviront à réceptionner des li- tera une alternative pour beaucoup de petits investis-
vraisons ou achats commandés sur le seurs, d’autant que de nombreuses offres proposent des
site Internet. cadres sécurisants et fiscalement avantageux. » Parmi
Le bailleur social Habitat du Nord a, celles-ci, le Pinel, dispositif de défiscalisation par l’in-
lui, équipé les parties communes de la vestissement locatif en vigueur jusqu’à fin 2016, de-
moitié de son parc locatif – soit 4 500 lo- vrait se tailler la part du lion. En 2015, environ
gements – en chaudières, ascenseurs et 50 000 opérations ont été réalisées en Pinel, soit la
compteurs connectés. « C’est désormais moitié des ventes dans le neuf. Dans l’ancien, la ten-
plus facile de détecter un dysfonctionne- dance s’annonce favorable également, Xerfi table sur
ment dans l’immeuble (panne d’ascen- une hausse des prix de 1,7 % en 2016 et de 2,1 % en 2017.
seur, fuites d’eau, etc.), de le réparer et
d’informer les habitants », explique Sté-
phane Berriot, responsable du système
d’information de cette société HLM. QUESTION À UN EXPERT
« Des équipements encore onéreux »
« Dans une opération à Rueil-Malmaison murielle gamet, Cheuvreux Notaires
livrable en 2018, nous prévoyons une con-
ciergerie connectée afin de mettre en re-
lation les habitants d’une même rési- A quoi sert un certificat successoral
dence et même ceux du quartier. L’idée
est de favoriser le prêt d’objets, de se ren- européen ?
dre des services ou d’organiser du covoi-
turage », détaille Marc Verrecchia, prési- En France, pour prouver la dévolution successorale d’une personne
dent de Construction Verrecchia. c’est-à-dire désigner qui sont ses héritiers, le notaire établit un acte
S’ils souhaitent que cette offre se dif- de notoriété. Jusqu’à peu, si le défunt avait des biens dans un autre
fuse, les promoteurs doivent éclaircir de pays, les héritiers devaient produire cet acte en faisant les formali-
nombreux points. La facture de cette tés pour le rendre exécutoire dans le pays choisi. Ils devaient le tra-
technologie ajoutée dans le logement, duire, le faire valider par la cour d’appel. Parfois ils devaient même
tout d’abord, n’est pas complètement faire établir un nouvel acte dans ce pays. Une procédure longue et
cadrée. « Certains équipements sont en- fastidieuse.
core onéreux », reconnaît un promoteur. Depuis le 2 novembre 2015, les héritiers peuvent demander au no-
« En matière de construction, il faut taire français d’établir un certificat successoral européen qui pro-
compter un surcoût de 3 000 à duira ses effets dans tous les Etats membres sans qu’il soit néces-
5 000 euros par logement », avance le saire de recourir à aucune procédure.
président Marc Verrechia. Ce document comprendra outre la dévolution successorale, l’attri-
Quant à la box, sera-t-elle vendue ou bution des biens particuliers aux héritiers ou légataires et les pou-
louée ? Même interrogation concernant voirs de l’exécuteur testamentaire ou de l’administrateur de la suc-
l’application et son coût de fonctionne- cession, c’est-à-dire les personnes chargées de mener à bien vos
ment. Autre incertitude : quid de la sé- volontés.
curité de ces données privées ? Com- Grâce à ce document, les personnes concernées pourront appréhen-
ment seront-elles transférées, stockées der plus facilement la succession et faire valoir leurs droits sur les
et exploitées, et surtout… protégées ? p biens plus rapidement pour éventuellement les céder ou en tirer des
laurence boccara revenus. p
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DIMANCHE 14 - LUNDI 15 FÉVRIER 2016

« The Independent » joue son va-tout sur Internet

Confronté à la chute de ses ventes, le tabloïd britannique a décidé d’arrêter son édition papier à partir de mars

londres - correspondance Une centaine

L’
édition papier de The
Independent ne fêtera
pas son 30e anniver-
saire. Lancé en octo-
bre 1986, le quotidien britannique
va cesser d’être imprimé, a an-
noncé, vendredi 12 février, son
propriétaire, Evgeny Lebedev.
L’oligarque russe a décidé de met-
tre fin à l’hémorragie financière
du plus petit journal national du
Royaume-Uni, qui ne tire plus
qu’à 56 000 copies chaque jour. La
dernière édition sera publiée le
26 mars. Le quotidien va conti-
nuer à exister, mais uniquement
en ligne.
« L’industrie des journaux change
et ce changement est tiré par les lec-
teurs, qui nous montrent que l’ave-
nir est numérique, explique M. Le-
bedev. Cette décision préserve la
marque The Independent et nous
permet d’investir dans du contenu
éditorial de haute qualité. »
De fait, la première conséquence
va être un grand plan de licencie-
ments. Une centaine de journalis-
tes devraient perdre leur emploi,
ce qui représente plus de la moitié
de la rédaction. Parallèlement,
vingt-cinq embauches sont pré-
vues pour renforcer le site.
La décision n’est guère une sur-
prise. La diffusion du quotidien
connaît un déclin catastrophique,
ayant été divisée par trois en
cinq ans. « The Independent vend
tellement peu de copies que cela
n’avait plus beaucoup de sens de
continuer à l’imprimer », estime
sur la BBC Stephen Glover, l’un de
ses fondateurs.
Inversement, la présence du
quotidien en ligne est importante,
sans commune mesure avec son
édition papier. Chaque mois,
58 millions d’utilisateurs uniques
le lisent. The Independent est éga-
lement très actif sur les médias so-
ciaux. Cela s’est fait au détriment
de la qualité, accusent de nom-
breux journalistes du quotidien,
qui s’agacent de voir les articles
« The Independent », gratuit sur Internet, est confronté au manque de rentabilité de la publicité numérique. D. KITWOOD/GETTY IMAGES/AFP
faire la chasse au « clic ». Dernier
exemple ce vendredi : « 10 in-
croyables histoires qui prouvent
que les animaux domestiques
sont nos meilleurs amis ».
Un quotidien novateur
Si sa présence en ligne est impor-
tante, dépassant les frontières bri-
tanniques, le problème est sa ren-
tabilité. The Independent, entière-
ment gratuit sur Internet, bute sur
le même problème que le reste des
journaux du monde entier : la pu-
blicité numérique rapporte beau-
coup moins que sur papier.
The Independent a toujours été
un quotidien très novateur au
Royaume-Uni. A son lancement, il
s’était largement inspiré de Libéra-
tion. Une équipe de journalistes
estimait que les journaux britan-
niques étaient trop proches des
partis politiques, et que leur ton
était trop institutionnel. Son es-
prit plus libre et plus impertinent
a été un rapide succès, avec un pic
de diffusion à plus de 400 000 co-
pies au début des années 1990.
Inquiet, le magnat de la presse
Rupert Murdoch avait répliqué en
baissant le prix du Times.
En 2004, The Independent, qui
avait déjà perdu la moitié de sa
diffusion, a su reprendre des cou-
leurs en devenant le premier des
journaux « sérieux » à passer au
format tabloïd, plus adapté à la
lecture dans les transports en
commun. Le Times a suivi et le
Guardian s’est adapté, passant à
un format « berlinois » (le même
que Le Monde).
En rachetant The Independent
en 2010, M. Lebedev a redonné
une bouffée d’air financière. Fils
d’un riche oligarque, âgé alors de
30 ans, mais réel passionné de
journaux, il a pour lui quelques
succès. En particulier, il a lancé i,
une sorte de produit dérivé de The
Independent : un quotidien vendu
50 centimes, qui reprend en plus
court les articles de son journal
frère, offrant un résumé de l’ac-
tualité sérieux mais rapide à lire.
Créer un journal papier en
pleine crise de la presse était un
étrange pari, mais i vend désor-
mais 260 000 copies par jour, dé-
passant le Guardian ou le Finan-
cial Times (uniquement au Royau-
me-Uni, tandis que ces deux der-
niers journaux se vendent aussi à
de journalistes
devraient perdre
leur emploi,
ce qui représente
plus de la moitié
de la rédaction
l’étranger). Son bénéfice opéra-
tionnel est de 5,2 millions de li-
vres (6,4 millions d’euros), de quoi
renflouer les caisses de The Inde-
pendent.
Mais vendredi, M. Lebedev a dé-
cidé de récolter les fruits de son
investissement. Il a vendu i pour
24 millions de livres (31 millions
d’euros) à Johnston Press, un
groupe de journaux régionaux
britanniques. Désormais seul,
The Independent ne pouvait plus
continuer.
S’il est le premier quotidien na-
tional britannique à mettre fin à
son édition papier, il ne devrait
pas être le dernier. En cinq ans, les
quotidiens britanniques ont
perdu le tiers de leur diffusion.
« Les deux prochains à cesser leur
impression devraient être le Fi-
nancial Times et le Guardian »,
prédit M. Glover.
L’industrie des journaux au
Royaume-Uni – comme dans le
reste du monde – traverse une pé-
riode troublée. Le Guardian pré-
pare un large plan d’économies,
après avoir perdu 65 millions
d’euros en 2015. Il entend réduire
ses dépenses de 20 %, avec des
coupes dans les effectifs à la clé. Le
Telegraph, qui reste bénéficiaire,
vient de commander à Deloitte
un rapport pour faire le point sur
son avenir, alimentant des ru-
meurs d’une vente par les frères
Barclay, les propriétaires. Il reste
encore douze quotidiens natio-
naux sur papier au Royaume-Uni.
Combien dans cinq ans ? p
éric albert

La justice française peut juger Facebook L’HISTOIRE DU JOUR

Bolloré, l’ogre homéopathique ?
La cour d’appel de Paris a confirmé, vendredi 12 février, une décision qui établissait
que les tribunaux français étaient compétents pour juger le réseau social américain
C omme souvent dans une audience, il y a des idées fixes
des deux côtés. Celle d’Olivier Baratelli, c’est que son
client, « l’ogre Bolloré », dit l’avocat, « l’abominable Bol-
loré », est victime en raison de sa richesse d’une telle suspicion

F in de partie juridique pour

Facebook. Le réseau social
américain affirmait
n’avoir aucun compte à rendre
aux tribunaux français en ma-
tière de litiges avec ses utilisa-
teurs. La justice en a décidé autre-
ment. La cour d’appel de Paris a
en effet estimé, vendredi 12 fé-
vrier, que la justice française était
bien compétente pour juger l’en-
treprise de Mark Zuckerberg.
Poursuivi en justice depuis près
de cinq ans par un enseignant,
Facebook maintenait n’avoir de
comptes à rendre qu’aux tribu-
naux américains, en s’appuyant
sur une clause de ses conditions
d’utilisation qui affirme que
seuls les tribunaux de l’Etat de
Californie sont compétents en
cas de litige. L’avocat du plai-
gnant, Me Stéphane Cottineau,
plaidait que cette clause créait
« un déséquilibre » puisqu’il est
difficile pour un utilisateur fran-
çais d’aller poursuivre en justice
une entreprise aux Etats-Unis.
L’affaire a démarré en février
2011, lorsqu’un utilisateur de
Facebook a vu son compte désac-
tivé, au motif qu’il avait publié sur
son profil le tableau L’Origine du
monde, de Gustave Courbet, re-
présentant un sexe féminin – et
contrevenait ainsi aux règles
d’utilisation du réseau social.
L’internaute avait alors assigné en
justice l’entreprise quelques mois
plus tard pour atteinte à la liberté
d’expression, et demandé la réac-
tivation de son compte. L’entre-
prise avait alors répliqué que ce
litige devait être réglé devant un
tribunal californien.
En mars 2015, le tribunal de
grande instance de Paris avait
jugé en première instance cette
clause des conditions d’utilisa-
tion « abusive », et le géant du
Net avait fait appel. C’est cette
ordonnance du 5 mars que vient
de confirmer vendredi la cour
d’appel.
Une semaine difficile
Il avait été relevé durant les
audiences que Facebook dispo-
sait des moyens de se défendre à
l’international, disposant par
ailleurs de bureaux français, et
qu’il était au contraire plus diffi-
cile pour un particulier d’aller
porter une affaire devant un tri-
bunal étranger.
Cet arrêt de la cour d’appel
pourrait concerner la plupart des
réseaux sociaux et services nu-
mériques américains. « C’est une
décision qui à mon avis va faire
date. Elle va obliger Facebook à
supprimer cette clause, mais aussi
tous les services américains qui
l’utilisent », estime Me Cottineau.
Interrogé sur la possibilité d’une
nouvelle réplique de Facebook,
l’avocat du plaignant relativise :
« Ils sont inventifs, mais ils sont
bloqués. Ils peuvent se pourvoir
en cassation, mais ça n’est pas
suspensif. » Pour l’avocat, c’est
aussi « une décision qui est un sur-
saut de souveraineté des juridic-
tions françaises » face aux masto-
dontes d’Internet.
Les audiences sur le fond de-
vraient reprendre, et se concen-
trer à partir de maintenant sur
un sujet bien plus épineux : la
modération de Facebook. Selon
Me Cottineau, l’audience défini-
tive pourrait bien avoir lieu dans
le courant de l’année.
La semaine a été difficile pour
Facebook. Mardi 9 février, ses
conditions d’utilisation ont été
dénoncées par la Direction géné-
rale de la concurrence, de la con-
sommation et de la répression
des fraudes (DGCCRF). « Le pou-
voir discrétionnaire de retirer des
contenus ou informations publiés
par l’internaute » et « le droit de
Les audiences sur
le fond devraient
reprendre, et se
concentrer sur
un sujet bien
plus épineux :
la modération
de Facebook
modifier unilatéralement ses con-
ditions d’utilisation sans que l’in-
ternaute en soit informé préala-
blement ou en présumant son ac-
cord » ont notamment été épin-
glés par l’autorité, qui donne
deux mois pour supprimer ces
clauses qui créent selon elle « un
déséquilibre ».
La Commission nationale de
l’informatique et des libertés
(CNIL) a également épinglé le ré-
seau social et lui a donné
trois mois pour se conformer à la
législation française sur la pro-
tection des données, faute de
quoi il écopera d’une amende
qui pourra s’élever jusqu’à
150 000 euros. Sont entre autres
pointés le tracking des internau-
tes même lorsqu’ils ne sont pas
inscrits et la collecte de données
relatives à la sexualité et à la reli-
gion des utilisateurs, ou encore à
leurs opinions politiques.
Enfin, le géant de la Silicon Val-
ley a subi un revers important en
Inde en début de semaine, avec la
confirmation par les autorités de
l’interdiction de Free Basics, son
offre low cost d’Internet mobile
qui donnait accès à un nombre li-
mité de services et d’applica-
tions, soulevant l’indignation
des défenseurs de la neutralité
du Net, au nom du principe d’ac-
cès égal et non discriminé à In-
ternet. p
florian reynaud
de la part des journalistes qu’il peut être « accusé de n’importe
quoi (…), de crimes contre l’humanité », sans vérification.
Quant aux prévenus, dans ce procès en diffamation du 11 fé-
vrier devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris,
ils sont convaincus que le groupe Bolloré mène une « guérilla ju-
diciaire » contre les articles qui ne lui plaisent pas. Pierre Haski,
directeur de Rue89, parlera d’une « volonté maladive du groupe
Bolloré d’empêcher que soit discuté ce qu’il fait en Afrique ».
Le site Basta !, édité par l’association Alter-médias, a publié
en octobre 2012 un article intitulé « Bolloré, Crédit agricole,
Louis Dreyfus : ces groupes français,
champions de l’accaparement de ter-
LE PROCÈS OPPOSE res ». Il y est question de paysans « ex-
torqués » en Afrique et en Asie ou de
NOTAMMENT plantations d’hévéas au Liberia où tra-
M. BOLLORÉ À UN vailleraient des enfants de moins de
14 ans. L’auteure principale, Nadia Dja-
ÉBÉNISTE BLOGUEUR bali, n’est pas allée sur place mais s’est
appuyée sur des rapports d’ONG
qu’elle estime fiables. « Je n’ai pas ap-
pelé tout le monde », dit-elle. Ni le groupe Bolloré ni le groupe
luxembourgeois Socfin dont Bolloré possède 38,75 % des parts
et qui exploite ces plantations.
Cet article est-il « un brûlot » ou un « travail très sérieux » ? Le
délibéré sera rendu le 7 avril. En attendant, les neuf heures de dé-
bats ont porté sur les avantages comparés de l’agriculture indus-
trielle ou familiale, mais aussi sur la méthode « rouleau com-
presseur » du groupe Bolloré, consistant à poursuivre non seule-
ment Basta ! mais aussi quatre sites, dont Rue89, ayant relayé
l’article. Il y a là le blog d’un ébéniste de Loire-Atlantique qui ga-
gne 1 600 euros par mois et qui, selon son avocat, ne dort plus
depuis qu’il a été mis en examen, il y a trois ans, par le groupe
appartenant à la 9e fortune de France pour un post de blog sur
lequel n’ont cliqué que sept internautes, Me Baratelli compris.
« Nos poursuites sont homéopathiques », a clamé l’accusateur.
Mais le voilà maintenant, et avec force, accusé de « mépris ».
Est-il allé trop loin ? Jeudi 11 février, Me Baratelli a soudain res-
senti le besoin de préciser que son père était aussi ébéniste. p
serge michel