Master_14-15:Master_CSH 15/07/09 16:18 Page14

SOCIÉTÉ

La croisade s’amuse
Depuis plus de trente
ans, les bénévoles
du Doulos sillonnent
les mers du globe à la
rencontre des peuples
des cinq continents,
pour leur vendre des
livres… et prêcher
la bonne parole.

U
n navire un peu particu-
lier a accosté dans le port
de Sihanoukville ven-
dredi 10 juillet. Le Doulos, qui
arrive de Hong Kong, transporte
en effet plus de livres que de pas-
sagers. Sa renommée, il la doit à
sa librairie flottante, la plus
grande du monde. Les 18 mil-
lions de passagers qui sont mon-
tés à bord dans 500 ports de plus
d’une centaine de pays, ont tous
eu la possibilité de feuilleter et
d’acheter romans, livres de cui-
sine, ouvrages pour enfants, CD,
DVD, et bien sûr livres éducatifs
et bibles. « Des tas de bibles »,
précise Felipe. Ce jeune Brésilien
est chargé de préparer le terrain
lors des escales successives du

navire. « Je contacte les chefs de
communauté, les officiels, je
cherche ce qui intéresse les gens »,
explique-t-il.
Des rayonnages pleins à cra-
quer accueillent plus de 6 000 ti-
tres, soit un stock de 500 000 ou-
vrages en anglais et en khmer,
même si le roulis incessant n’in-
vite pas vraiment à la lecture. Les
livres sont regroupés par thème :
cuisine, santé, sciences, langues
étrangères, avec inévitablement
un vaste espace consacré à la re-
ligion. Les plus jeunes ne sont pas
en reste, un espace « enfant chré-
tien » leur est dédié avec notam-
ment des fables pour s’initier à la
vie de Jésus et ses disciples.
Construit en 1914, le Doulos est
le plus vieux transporteur de pas-
sagers en haute mer encore en ac-
tivité. Long de 130 mètres, il
transportait alors des oignons, ce
Le Doulos est arrivé à Sihanoukville après une escale à Hong-Kong.
qui lui a valu le surnom de « Tears
ship », le navire des pleurs. Ra-
cheté en 1977 par l’association ca-
ritative allemande Gute Bücher
für alle (de bons livres pour tous),
il devient Le Doulos, du mot grec
signifiant « esclave ».
Sa nouvelle carrière nécessi-
tera de lourds travaux d’aména-
gement, effectués par des béné-
voles motivés. La piscine et le
casino qui datent du temps ou le
navire effectuait des croisières de
luxe, seront transformés en salle
de conférence et librairie.
Sur le pont
Le travail ne manque pas pour
l’équipe en charge de la mainte-
Benjamin Vokar
nance qui doit s’assurer de la
protection des livres contre les
inévitables intempéries qu’af-
fronte le navire en mer. De
même l’équipage travaille par-
fois de nuit de façon à pouvoir
accueillir les visiteurs dans la
journée. Selon le « responsable
communication » du Doulos, un
Philippin d’une trentaine d’an-
nées, près de 3 000 visiteurs sont
montés à bord le premier jour
de notre escale à Sihanoukville.
« Nous espérons obtenir un suc-
cès populaire comme lors de no-
tre précédente visite en 2006 »,
explique-t-il tout sourire.
Les membres d’équipage, tous
volontaires, se définissent comme
des « serviteurs de Dieu et des na-
tions qu’ils visitent ». Ces 340 pro-
testants convaincus sont origi-
naires de 50 pays différents et
forment une communauté où cha-
cun sert selon ses compétences.
Âgés de 6 mois à 60 ans, ils sont
venus seuls ou en famille, et sur-
tout se sont engagés pour deux
ans. Ils financent cette « expé-
rience » grâce à leurs économies
personnelles ou bénéficient du
soutien de leur communauté d’ori-
gine. Le tarif pour la croisière va-
rie suivant la nationalité du ma-
La deuxième « mission » du
Doulos est d’organiser des confé-
rences dans les pays où il
mouille. « En Afrique par exem-
ple, nous avons choisi le thème
du planning familial », explique
le jeune « serviteur de Dieu ». Au
Cambodge, nous allons préparer
des séances réservées aux profes-
seurs, et d’autres qui s’intitule-
ront « Être un vrai homme »,
continue-t-il. Les conseils sont-
ils techniques ? « Non pas du
tout, précise Felipe, on se concen-
tre sur les valeurs, mais en fai-
sant attention de les adapter au
public. Vous savez, il y a des gens
qui travaillent très dur, et qui
n’ont pas une grande estime
d’eux-mêmes. Lorsque nous se-
rons à Sihanoukville, nous irons
voir les dockers, et nous leur di-
ront que Dieu les aime. »
Une fois à quai, l’équipage du
Doulos collabore avec des asso-
ciations locales dans des projets
de développement, en accord avec
leur credo d’ « apporter des connais-
sances, de l’aide et de l’espoir » aux
quatre coins du monde.
Une volonté de s’engager et
une foi à toute épreuve semblent
être les traits communs à cet
équipage hétéroclite.
Benjamin Vokar
en France pour des grosses boîtes
qui ne pensent qu’à faire du fric.
Étant ingénieur de formation, je
me suis dit que je pouvais être
plus utile ailleurs. »
Les motivations des engagés du
Doulos sont souvent les mêmes :
voyager, rencontrer d’autres cul-
tures, se sentir utile, bref, donner
un nouveau sens à leur vie.
Certains apprécient tellement
la vie à bord qu’ils prolongent
leur aventure en mer.
Felipe a signé pour deux ans
supplémentaires sur le Doulos :
« La première fois que j’ai en-
tendu parler du projet, j’ai trouvé
ça intéressant, mais les bateaux
ne m’intéressaient pas particuliè-
rement. Et puis je me suis dit que
c’était un bon moyen de connaître
le monde, mais aussi d’en ap-
prendre plus sur les gens et les
cultures. Au fond, tout ce que je
désire, c’est aider les gens. » En
août, il rentrera « enfin » chez lui,
entre Belo Horizonte et Brasilia.
« Je suis content de rentrer à la
maison. Ici, c’est un véritable tra-
vail, avec beaucoup de responsa-
bilités et des journées de plus de
12 heures. » Le bateau, lui, conti-
nuera sa route à travers les
mers, apportant au monde des li-

telot. Si un Allemand paye 800 Un Français d’une trentaine vres et la parole de Dieu.
dollars par mois, un Philippin s’en d’années évoque les raisons de sa
tire mieux avec seulement 280 présence à bord du Doulos : « J’en Florent Chevallier
La librairie propose quelques ouvrages en khmer. dollars pour sa couchette. avais un peu marre de travailler et Benjamin Vokar

14 Cambodge Soir Hebdo n˚ 91 – 2e année, 16 au 22 juillet 2009