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Le géant BHP Billiton met ses dents dans les engrais

Raf Custers
Gresea
Septembre 2010
10.600 signes
[Mots clés:Multinationales – Oligopoles – Agroalimentaire]
http://www.gresea.be/ED10RC09potashER_CorrNV.html
La perspective lucrative d'une population mondiale croissante pousse le congloméra
t minier BHP Billiton à investir dans le secteur des engrais. Si ce géant réussit à s'em
parer de PotashCorp, le premier producteur de potasse, BHP devient le leader inc
ontesté de ce secteur.
La perspective d'une population mondiale croissante pousse le conglomérat minier B
HP Billiton à investir dans le secteur des engrais. Si ce géant réussit à s'emparer de P
otashCorp, le premier producteur de potasse, BHP devient le leader incontesté de c
e secteur.
BHP Billiton a une nouvelle proie dans le collimateur. BHP, la plus grande société m
inière tout court, veut s’acheter Potash Corporation du Canada. Celle-ci, à son tour,
est la plus grande productrice de potasse, une matière première servant à la fabricati
on d’engrais. Dans ce secteur des profits sérieux semblent s’annoncer. Parce que, dit
le raisonnement courant, à l’avenir plus de gens voudront manger plus et mieux, tand
is que la superficie arable reste limitée. Et donc, l’agriculture aura besoin de plu
s d’engrais. Cette logique arrange bien la grande industrie qui cherche aussi à haus
ser son chiffre d’affaires avec des engrais.
BHP Billiton est prêt à dépenser plus de 30 milliards d euros pour s emparer de la soc
iété minière canadienne. Potash Corporation of Saskatchewan (PotashCorp ou PCS) n’est pa
s un petit acteur. Ses mines ont la capacité de fournir un cinquième de la productio
n mondiale de potasse. La potasse est, avec l’azote et le phosphate, un des ingrédie
nts classiques des engrais.
C est un secteur très concentré. On ne trouve la potasse que dans treize pays, mais
une poignée seulement (le Canada, la Biélorussie, la Chine, l’Allemagne, Israël, la Jord
anie et la Russie) représente 90 % de la production.1 Et un groupe sélect d’entreprise
s, avec PotashCorp en tête, domine la production dans ces pays.2 Peu d’acteurs, donc
très puissants.
Ces dernières années, PotashCorp a pleinement usé de sa puissance. Avec deux autres pr
oducteurs de potasse, la société Mosaic des Etats-Unis (une filiale de Cargill)3 et
Agrium du Canada, PotashCorp a créé la société Canpotex qui commercialise la potasse en
dehors de l’Amérique du Nord. Au sein de Canpotex, un cartel tout ce qu il y a de pl
us légal, les trois membres concluent des accords secrets sur la production et les
prix.4 Lorsqu’en 2007 et 2008 les prix de l’alimentation ont connu une forte hausse
sur le marché mondial, le prix de la potasse a suivi rapidement: il a septuplé, pas
sant d environ 120 euros la tonne en 2006 à plus ou moins 780 euros la tonne en 20
08. A partir de fin 2008, cependant, la demande de potasse s est tassée, à cause de
la crise économique mondiale et les prix de potasse ont chuté. Enfin, pas vraiment,
car les membres du cartel Canpotex ont de commun accord réduit la production (de 4
0%!) et ont de cette manière réussi à soutenir artificiellement le prix de la potasse.
PCS n a pas de scrupules dans ce petit jeu de cartel. Il faut savoir que, si BHP
Billiton devait réussir à mettre la main sur les mines de potasse de PotashCorp, c
est pour les faire tourner à plein régime. Ce n est pas l avis de Bill Doyle, admini
strateur délégué de PotashCorp, qui a dissuadé BHP de suivre cette stratégie ("elle condui
t à la banqueroute", dixit Doyle), ajoutant que BHP devrait maintenir la politique
de pénurie artificielle.5 C est dans le besoin qu on reconnaît ses amis. Des dirige
ants des autres membres du cartel, Mosaic et Agrium, se sont rangés du côté de PotashC
orp. Eux aussi veulent évidemment pouvoir ‘réguler’ le marché.
Quiconque pense que le profit vient avant toute autre préoccupation, découvrira d’autr
es aspects attrayants chez PotashCorp. Contrairement à des concurrents plus modest
es, ses coûts de production restent relativement réduits. Combinés avec un prix souten
u artificiellement, voilà qui donne une belle marge de profit. Pendant le premier
semestre de 2010, elle était de 56%.6 Les affaires vont bien pour PotashCorp. En 2
007 le groupe publiait un bénéfice de plus de 780 millions d euros, en 2008 de près de
2,7 milliards d euros et en 2009 de nouveau de près de 780 millions d euros, et c
ela surtout grâce à ses mines de potasse.
L’hebdomadaire boursier Trends-Tendance désignait l’action PotashCorp dernièrement de "d
igne d achat sous US$105". Soit en dessous de 82 euros. Cet avis était publié dans l’édi
tion du 19 août 2010, bouclée au moment où l’offre de BHP Billiton sur PotashCorp était re
ndue publique. A cause de cette offre, le cours de l’action PotashCorp a monté, comm
e par hasard, à 116 euros!
Les commerçants de la potasse, et des engrais en général, aiment bien gonfler leur bus
iness pour chauffer ceux qui voudraient placer leur argent et les investisseurs.
Leur devise: The World Wants More (Le Monde en Demande Plus). PotashCorp prophéti
se que la population mondiale croîtra de 6,1 milliards de personnes en 2000 à 9,2 mi
lliards en 2050. Ces êtres humains voudront plus de nourriture d’une meilleure quali
té, tandis que la superficie arable ne croîtra pas. Pour résoudre ce dilemme PotashCor
p propose des solutions toutes faites: Fertile soils grow More, More of the qual
ity nutrient, More flexibility, More advantages, More value, We have More than a
nyone!7 (Les sols fertiles produisent Plus, Plus d aliments de qualité, Plus de fl
exibilité, Plus d avantages, Plus de valeur, Nous en avons plus que tous les autre
s). La Chine et l’Inde seraient donc des marchés prometteurs pour le secteur des eng
rais. En passant: est-ce que la "flexibilité" dont il est question ici exprime la
capacité d’augmenter ou de réduire, selon les besoins, la production pour maintenir un
prix élevé? Comme si des prix élevés faisaient l affaire des agriculteurs dans les marc
hés émergents.
Les médias boursiers font écho aux slogans du Toujours Plus, si nécessaire avec des ra
pports de la FAO à l’appui. Mais ces slogans sont boiteux. De un, il n’y pas que les e
ngrais qui fertilisent le sol: selon certains les engrais produisent même un effet
contraire à long terme.8 En plus, la grande industrie des engrais s’aligne sur le m
odèle de croissance des agro-industriels. Mais est-ce un modèle? Dans une note de la
Banque Mondiale, parmi tant d’autres, la Chine figure plutôt comme un modèle alternat
if. Ce pays a doublé sa production de céréales entre 1991 et 2001 en s’appuyant sur les
petites fermes de moins de 0,2 hectare chacune.9
Les grandes entreprises minières par contre, cela n’étonnera personne, considèrent le se
cteur des engrais comme une très bonne affaire. Le géant australo-britannique BHP Bi
lliton, le numéro un mondial dans le secteur minier, extrait toute une gamme de mi
nerais de la terre et aussi de la potasse. Depuis quelque temps, BHP développe la
mine de Jansen au Canada. Jansen sera prête à produire dans cinq ans. Puisque, compt
e tenu du marché prospère actuel, BHP ne veut pas attendre aussi longtemps, il a ach
eté en janvier 2010 l’entreprise canadienne Athabasca Potash pour 257 millions d eur
os. Et maintenant BHP espère tirer le gros lot en achetant PotashCorp.
BHP Billiton accumule les bénéfices depuis des années. Lors de la dernière année comptable
, clôturée le 30 juin 2010, BHP a doublé le bénéfice par rapport à l’année précédente pour
9,8 milliards d euros, grâce à des ventes records de fer, de coke et de pétrole.10 BH
P Billiton est assis sur un montant de cash (qui serait actuellement de 6,5 mill
iards euros)11 et des investisseurs impatients se demandent pourquoi BHP ne le dép
enserait pas. D’autres miniers géants, Rio Tinto (UK) et Vale (Brésil) ont aussi des i
ntérêts dans le secteur des engrais. Mais si BHP Billiton réussit à s’emparer de PotashCor
p, BHP deviendrait le leader incontesté du secteur. Il contrôlerait alors près d’un tier
s de la production globale de potasse.
Journaux et Bourses spéculent en espérant que d’autres acteurs pousseraient l’enchère en l
ançant une offre supérieure à celle de BHP Billiton. Le nom le plus cité est celui de Si
nochem, un group chimique chinois. PotashCorp a un intérêt dans le capital de Sinofe
rt, une filiale de Sinochem, qui serait donc le candidat le plus probable à ripost
er contre BHP.
Notes:
1 Potash. Minerals Yearbook 2008. US Geological Service.
2 PotashCorp donne cette liste de producteurs de potasse selon le volume de prod
uction:1. PotashCorp, 2. Belaruskali (Biélorussie), 3. Mosaic (Canada, Etats-Unis)
, 4. Silvinit (Russie), 5. ICL (Israël, Espagne, Royaume-Uni, avec une participati
on de PotashCorp), 6. Uralkali (Russie), 7. K+S (Allemagne), 8. Chine (participa
tion de PotashCop dans Sinofert), 9. APC (Jordanie, participation de PotashCorp)
, 10. Agrium (Canada), 11. Intrepid (Etats-Unis), 12. SQM (Chili, participation
de PotashCorp), 13. Vale (Brésil). Dans : Potash industry overview, PotashCorp 200
9.
3 Mosaic a été créé en 2004 par Cargill Fertilizer et IMC Global. Le géant agro-industriel
Cargill détient une part majoritaire dans le capital de Mosaic.
4 A part Canpotex (PotashCorp, Mosaic, Agrium) deux autres cartels existent : Be
larusian Potash Company (société de vente d’Uralkali de la Russie et de Belaruskali de
la Biélorussie) et PhosChem (qui vend les phosphates de PotashCorp et de Mosaic e
n dehors des Etats-Unis). Ces trois cartels, dont les accords restent secrets, c
ontrôlent 70% du commerce mondial de potasse et de phosphate. Voir: End looms for
fertiliser cartels, Financial Times, 19 août 2010.
5 Potash Corp warning on BHP strategy, Financial Times, 24 août 2010.
6 Dreams can go to pot, Financial Times, 25 août 2010.
7 PotashCorp 2009 Annual Report Financial Review. Voir aussi: Industry Overview,
http://www.potashcorp.com/industry_overview/2009/our_business/introduction/
8 Un texte recommandable à ce sujet est ‘Small farmers can cool the planet’, de l’ong GR
AIN (qui nous a été signalé par Oxfam-Solidarité). Voir : http://www.grain.org/o_files/c
limatecrisis-presentation-11-2009.pdf
9 "(…) from 1991 to 2001. During that period, China doubled its cereal yields base
d on a smallholder sector with an average plot size of less than 0.2 hectares, a
nd in so doing raised some 400 million people out of poverty". Dans: Vera Songwe
and Klaus Deininger, Foreign investment in agricultural production. Opportuniti
es and challenges. Agriculture and Rural Development Notes. World Bank, #45 janv
ier 2009.
10 Report of the year ended June 30, 2010. BHP Billiton, 25 août 2010.
11 Potash bid puts M&A back on mining agenda, Financial Times, 18 août 2010

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