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Première approche thématique :

LE PHENOMENE SUICIDAIRE CHEZ LES


JEUNES ET LES ADOLESCENTS

En Bretagne, le suicide n’est pas une fatalité

CONFERENCE DE CONSENSUS :
Comprendre ensemble pour agir
Première partie : Débats de la séance publique

Le suicide des jeunes est évidemment particulièrement choquant, plusieurs raisons ou


spécificités peuvent en partie l’expliquer. Ceci étant, dans un souci d’opérationnalité le
comité de pilotage a souhaité avoir un éclairage particulier sur l’éventualité d’un lien entre
les « exigences de réussite » pesant sur les jeunes et le phénomène suicidaire.
Le comité de pilotage constate en effet que la famille, « l’environnement social »
interpellent constamment les jeunes sur la nécessité de réussir, en particulier sur le plan
scolaire. Il semble que le monde scolaire et l’enseignement supérieur relayent pour partie
cette exigence, et semblent même l’amplifier dans un certain nombre de cas.
Cette question de la pression « scolaire » trouve à l’évidence une résonance particulière
dans une région comptant l’un des plus forts taux de réussite au baccalauréat.

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1 INTERVENTION DU DOCTEUR FREDERIC MEDOUZE, PSYCHIATRE

Questions posées par le comité de pilotage :

 La pression scolaire peut-elle être considérée comme un facteur de


risque en matière de suicide ?
 Peut-on faire l’hypothèse d’un lien entre les tentatives de suicide et la
pression scolaire?
 Peut-on caractériser les effets de cette pression scolaire ?
 Enfin, cette pression et son impact peuvent-ils être considérés comme
plus forts en Bretagne ?

1.1 L’EXIGENCE DE REUSSITE PESANT SUR LES JEUNES PEUT-ELLE ETRE CONSIDEREE COMME
UN FACTEUR DE RISQUE DE SUICIDE ?

Le suicide de l’adolescent, deuxième cause de décès, ne survient que rarement comme un


orage dans un ciel serein. Une tentative de suicide est à prendre au sérieux, quelle que puisse
être l’apparente bénignité des motifs invoqués au lendemain de la tentative ou malgré
l’absence de préméditation. Souvent, des symptômes divers peuvent traduire antérieurement
un état de mal-être, voire de souffrance, un état de risque en somme.

Certaines manifestations, si elles se multiplient et s'associent, doivent interpeller les parents


et les professionnels soignants et non soignants, en particulier lorsqu'elles s'inscrivent en
rupture avec la trajectoire antérieure du jeune.

Les signes suivants, appelés signes d'alarme traduisent en règle générale une souffrance
intense chez un adolescent, et peuvent parfois évoquer une situation de "crise suicidaire":
- contexte de deuil, de perte affective;
- propos écrits faisant des allusions directes ou indirectes au suicide;
- comportement de retrait, avec repli et recherche de l'isolement social et amical;
- désinvestissement scolaire, fléchissement des résultats, absentéisme;
- conduites d'auto-sabotage, de fugues;
- attitudes d'opposition systématique, de provocations;
- conduites agressives avec menaces et brutalité, actes délictueux gratuits;
- escalades dans les conduites à risque, conduites ordaliques;
- consommation répétée de toxiques (alcool, drogues)

Un passage à l’acte suicidaire est la résultante d’un ensemble de facteurs générant une
situation à risque. Ces facteurs dits « de risque » ont été identifiés dans les études
épidémiologiques, en particulier dans les travaux menés à l’INSERM par Marie Choquet.

Les premiers sont en liés à l’environnement familial :


- précarité de l'insertion sociale;
- antécédents d’alcoolisme;
- antécédents de suicide ou de maladie mentale;
- dissociation familiale, relations interpersonnelles perturbées ou carentielles;
- violences intrafamiliales, maltraitance, abus sexuels.

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Les autres se situent dans le champ de la personnalité de chacun et sont ou non corrélés aux
premiers :
- facteurs neurobiologiques et génétiques ;
- troubles du caractère et du comportement :
- impulsivité;
- consommation abusive de substances (alcool, cannabis, autres drogues), addictions;
- troubles de l’identité de genre, homosexualité;
- pauvreté des relations sociales.

D’autres enfin exigent pour être repérés l’intervention d’un professionnel : troubles
psychopathologiques ou psychiatriques: troubles de l'humeur, bipolaires ou dépressifs.

On voit donc que les facteurs de risque ont beaucoup à voir avec l'histoire et le contexte
biographique de l'adolescent.

Mettre en évidence ces facteurs de risque ne suffit cependant pas à expliquer un passage à
l’acte suicidaire. Aucun d’entre eux n’est en effet pathognomonique d’une conduite suicidaire.
Leur mécanisme d’action suicidogène n’a rien d’évident.

Mais dans une situation donnée, ils sont plutôt un "terreau" fragilisant.

Dans une telle situation, une exigence scolaire particulièrement intense mettant l’adolescent
en difficulté, on observe que le contexte affectif, l’histoire personnelle et familiale pourront,
selon les cas, être protecteurs ou déstabilisateurs. La pression scolaire pourra ainsi dans
certains cas devenir un facteur déclenchant, si elle entre en résonance avec une histoire ou
des conflits antérieurs. C’est toujours à ce dernier niveau que se situent les causes profondes
des conduites suicidaires.

1.2 PEUT-ON FAIRE L’HYPOTHESE D’UN LIEN ENTRE LES TENTATIVES DE SUICIDE ET LA
PRESSION SUR LES JEUNES ?

Intéressons-nous de plus près aux enjeux de cette "pression scolaire".

Les attentes concernant la scolarité peuvent être dans certains cas un moteur, une source de
motivation pour le jeune apte à trouver dans la scolarité des gratifications, qu’elles soient
narcissiques, affectives, ou sociales. A l’inverse, elles peuvent submerger un jeune, soit parce
qu’il est confronté à ses limites cognitives, soit parce que les enjeux (inconscients) de
l’attente de réussite le menacent.

Concernant les différentes natures de l’exigence de réussite, il faut distinguer les attentes de
l’adolescent lui-même, celles de son entourage familial, et celles du contexte socio-culturel.
Ces trois niveaux « de pression » peuvent être plus ou moins étroitement liés entre eux, et
bien souvent inconscients.

Ce sont d’abord les enjeux familiaux des attentes de réussite qui peuvent devenir plus ou
moins insupportables pour un jeune. C’est la manière dont le jeune se vit comme respecté et
reconnu dans son identité propre, différenciée, qui est déterminante. La réussite tant
attendue par tel ou tel parent correspond-elle au souhait de voir le jeune s’épanouir, dans
l’autonomie ? Ou bien à l'inverse, s’agit-il plutôt pour ce dernier de soigner un narcissisme
parental défaillant ? Ou encore de reproduire un schéma familial, marque de filiation
indispensable ? Si la réussite d’un jeune est en enjeu narcissique pour les parents, si les
échecs de leur enfant blessent les parents dans leur identité propre, alors cet échec (ou la
menace d’échec) est déstructurant au cœur même du fonctionnement familial. Les éprouvés

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de culpabilité du jeune, de dévalorisation, de désarroi et de détresse peuvent alors être
intenses et contribuer à le mener au sentiment d’impasse. L’impossibilité pour l’adolescent
de trouver un étayage ou un support dans son entourage affectif (précisément parce que
celui-ci est trop fragilisé par le risque ou la situation d’échec), est profondément
insécurisante. Le passage à l’acte, qui peut alors survenir, peut soit évoquer un signal de
désespoir, cri mêlé de colère et de détresse, soit s’inscrire dans un désir de mort plus
mélancolique.

C’est aussi l’insécurité interne du jeune qui est un facteur déterminant. Celle-ci est ravivée
chez certains adolescents, en écho à un vécu précoce. Les interactions précoces ont pu, dans
des cas particuliers, faire éprouver au bébé de manière durable et continue un sentiment de
dépendance et d’impuissance dans sa vie relationnelle. Cette insécurité profonde, née de ce
ressenti angoissant de dépendre de l’extérieur, refait surface avec les remaniements
relationnels de l’adolescence (impératif de la séparation, nécessité de s’étayer sur des figures
d’identification, transformations de l’apparence physique). Ce sentiment de ne rien pouvoir
maîtriser de son destin, générateur d’une angoisse massive, est accentué par les déceptions
répétées qui deviennent insupportables. Il faut dès lors réussir de façon rapide et
merveilleuse, ou laisser définitivement tomber (ce qui évite d’être déçu). Une certaine force
est trouvée par le jeune dans le refus : « non, je ne passe pas mon bac, mais je me suicide ».
Il s’agit d’une reprise de maîtrise enragée et désespérée de son destin.

Les différents enjeux psychiques, affectifs et relationnels du jeune et de ses parents sont
importants, spécifiques à chaque histoire, et ils doivent être compris et abordés dans les
situations où apparaît une souffrance apparemment centrée sur la pression scolaire.

1.3 PEUT-ON CARACTERISER LES EFFETS DE CETTE PRESSION ?

Nous venons de voir comment et dans quelles conditions cette pression peut générer des
situations délétères, et parfois être un facteur déclencheur d'un passage à l’acte suicidaire.

Lorsque le jeune est conduit au sentiment subjectif d’échec ou d’incomplétude par rapport à
l’idéal (idéal requis par l’adolescent lui-même, les partenaires scolaires, l'entourage familial,
le contexte socio-culturel), les sentiments de gâchis, de médiocrité et de dévalorisation sont
intenses, l’estime de soi altérée. Le regard de l’autre est vécu comme culpabilisant. S'il
n'existe pas d'autre source de gratifications ou d’étayage narcissique, une situation de
souffrance psychique s'installe.
Les projections dans l’avenir peuvent être obturées par le sentiment de « ne pas être à la
hauteur », l’angoisse liée à l’avenir devient envahissante et un sentiment de désespoir
émerge. On se situe alors volontiers dans une problématique dépressive, définie par une
situation d’épuisement physique et psychologique. Il est important de rappeler ici quelques
signes qui doivent évoquer la dépression chez l'adolescent: l'apparition d'une tristesse, de
troubles du sommeil, d'un repli sur soi, d'une perte des investissements sociaux.

Face à la lutte anxieuse par rapport aux exigences scolaires, le jeune peut mettre en place des
mécanismes d’évitement des situations d’évaluation générant une angoisse de performance
(oral, écrit, rendu de devoir).

C’est ainsi qu’il peut en arriver à des conduites d’absentéisme, qui lorsqu’elles deviennent
plus envahissantes conduisent parfois à un décrochage scolaire.

En outre, les relations intrafamiliales peuvent, comme nous l’avons vu, se trouver dégradées,
conflictuelles, le regard parental perçu par l'adolescent comme lourd de déception ou
d’agressivité, et devenant insupportable.

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De tels tableaux doivent conduire à une rencontre avec un professionnel (psychologue ou
psychiatre), et à la mise en place d'un accompagnement adapté. En effet, nous constatons que
c'est notamment lorsque les affects ne peuvent pas être exprimés que les situations
deviennent à risque. Dans ces cas-là, la rencontre du jeune et de ses parents avec un
professionnel peut permettre une prise de conscience des dysfonctionnements dans la
dynamique familiale et apporter un soulagement.

1.4 CETTE PRESSION ET SON IMPACT PEUVENT-ILS ETRE CONSIDERES COMME PLUS FORTS
EN BRETAGNE ?

Les travaux épidémiologiques montrent une surmortalité par suicide chez les jeunes en
Bretagne, en particulier pour la tranche 15-24 ans. L’impact de la pression scolaire a été
régulièrement avancé comme un facteur explicatif au cours des dernières années.

La pratique clinique montre combien le suicide des jeunes entre dans une problématique
complexe intriquant volontiers différents enjeux, et n’est en aucun cas une conduite qui peut
s’interpréter dans un registre de cause à effet direct.

Il nous paraît peu pertinent d’un point de vue clinique de se contenter d’expliquer la
surmortalité par suicide au sein d’une communauté toute entière par le seul enjeu de la
pression scolaire, bien que les effets de celle-ci ne doivent pas, comme nous l’avons vu, être
négligés. En revanche, on peut évoquer trois aspects auxquels il faut penser pour tenter de
comprendre un tel phénomène de "sursuicide".

Il est nécessaire de s’interroger sur le rôle de certaines spécificités de santé publique en


Bretagne. Ainsi, il existe selon les rapports sanitaires une surreprésentation au sein de la
population bretonne des problèmes de consommation alcoolique et cannabique chez les
adultes comme chez les adolescents. Chez ces derniers, il existe une prévalence des ivresses
aigües significativement plus élevée que chez les autres jeunes français (tant chez les garçons
que chez les filles), ainsi qu'un usage régulier d'alcool plus élevé (chez les garçons). Les jeunes
bretons sont ceux, parmi tous les jeunes français, qui déclarent le plus une consommation de
cannabis. Or ces deux facteurs (alcool et cannabis), qu’ils concernent le jeune lui-même ou
son environnement familial proche, sont connus pour augmenter la prévalence des passages
à l’acte suicidaire.

De plus, si les indicateurs sociaux ne sont pas si défavorables en Bretagne, on y observe en


revanche une inégalité sociale de santé flagrante. Les catégories sociales les moins favorisées
sont plus exposées aux risques de mortalité, et cette inégalité semble être encore accrue pour
les "pathologies" dont la mortalité est surreprésentée en Bretagne (rapport du Haut Comité
de la Santé Publique de 2002): cancers du poumon, maladies cardiovasculaires, et suicide
(rapport du Haut Comité de la Santé Publique de 2002). Ainsi, entre d'une part la catégorie
des ouvriers et employés et, d'autre part, celle des professions libérales et des cadres, la
mortalité par suicide chez les 15-24 ans est entre 2 et 3 fois plus élevée chez les premiers.

Enfin, dans un contexte où les références, les repères et les modèles identitaires ont pu, pour
diverses raisons, être fortement bousculés au cours des dernières décennies, ne peut-on pas
faire l’hypothèse de difficultés plus spécifiques que peuvent rencontrer les jeunes dans les
processus de subjectivation et d’intégration ? La diminution des contraintes liées aux
traditions socio-culturelles, familiales ou religieuses notamment, est une réalité de la société
actuelle, en Bretagne en particulier. Certes, les adolescents d'aujourd'hui vont mieux que
dans le passé pour la plupart. Cependant les plus vulnérables sont paradoxalement aux prises
avec une angoisse bien plus importante : celle qui naît de la liberté. La liberté, en effet,
renvoie l’adolescent à son sentiment d’insuffisance et à ses contradictions. Cette angoisse, née
de la liberté, fait surgir de l'adolescent lui-même (et non d’une quelconque instance

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extérieure, qu’il est au moins possible d’accepter ou d’affronter) une implacable injonction
qui pourrait se résumer ainsi: « réussis ta vie pour être heureux », idéal existentiel sans
alternative et tyrannique précisément à la mesure de l'intensité de sa fragilité existentielle,
c'est-à-dire de son insécurité identitaire et narcissique.

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2 INTERVENTION DU PROFESSEUR MICHEL WALTER, PSYCHIATRE

Questions
Le comité deposées
pilotagepar le comité
a souhaité avoirdeun
pilotage
éclairage: sur les dispositifs existants en matière de
prévention. Il a souhaité poser au Professeur Michel WALTER les questions suivantes :
 En Bretagne, existe-t-il des dispositifs (sensibilisation, écoute,
 En Bretagne, existe-t-il des
accompagnement…) de dispositifs
prise en (sensibilisation,
compte des écoute,
risques accompagnement…)
liés à la pression de prise
en compte des risques liés à la pression familiale, sociale et scolaire sous ses différentes formes?
familiale, sociale et scolaire sous ses différentes formes ?
 Quelles sont les forces et les faiblesses de ces dispositifs ?
  Quelles sont les
Ces dispositifs forces etêtre
doivent-ils les améliorés
faiblessesoudedéveloppés
ces dispositifs ?
? Quelles sont les pistes de travail à
 Ces dispositifs
privilégier en ce domaine ? doivent-ils être améliorés ou développés ? Quelles sont les
pistes de travail à privilégier en ce domaine ?

2.1 QUELLE EFFICACITE DES DISPOSITIFS DE SENSIBILISATION, D’ECOUTE


ET D’ACCOMPAGNEMENT DES JEUNES POUR UNE MEILLEURE
PREVENTION DU RISQUE SUICIDAIRE ?

Pour répondre à cette question il importe de distinguer les dispositifs destinés aux adultes
(professionnels et non-professionnels comme la famille) et les dispositifs destinés aux
jeunes :
 Dispositifs de sensibilisation et de formation destinés aux professionnels,
 Dispositifs de sensibilisation et d’écoute de l’entourage (parents, familles),
 Dispositifs d’accueil, d’écoute et d’accompagnement destinés aux jeunes.

Cette distinction n’a pas seulement une valeur pédagogique mais repose aussi sur un principe
de prévention : la mise en place des dispositifs à destination des adultes doit précéder la mise
en place des dispositifs à destination des jeunes, réalisant ainsi un filet humain autour de
l’adolescent qui souffre.

2.1.1. Les dispositifs de sensibilisation et de formation destinés aux


professionnels : exemple d’un stage de formation à destination des
professionnels de l’éducation.

 Caractéristiques d’un stage : ces stages ont trois caractéristiques majeures : ils se
déroulent en deux journées, regroupent 15 à 20 personnes et sont pluri-catégoriels. Ces
points correspondent aux trois principes de prévention et composent un processus (une
démarche et non un coup de projecteur ponctuel), nécessitant un engagement de
l’ensemble des adultes de la communauté scolaire,
Chaque stage se déroule donc en deux journées consécutives ; la première journée est
consacrée à la présentation des participants, à une réflexion générale en matière de
promotion de la santé et à un travail en petits groupes sur les représentations des
stagiaires concernant l’adolescence, les difficultés de l’adolescence et des adultes vis-à-vis
des adolescents, et les conduites suicidaires. La deuxième journée est entièrement
consacrée à la problématique suicidaire et aux actions spécifiques de prévention à mettre
en place. Il s’agit pour chaque groupe de construire un scénario à partir d’une
présomption de passage à l’acte ou à partir d’une tentative de suicide, correspondant de
préférence à un événement vécu au sein de l’établissement scolaire ; ce scénario doit
évoquer les signes de souffrance repérés, les difficultés rencontrées, les attitudes adoptées
et les solutions proposées. Enfin, une journée supplémentaire, appelée journée plus, est
proposée environ six mois plus tard ; idéalement, elle rassemble les mêmes stagiaires et
vise à évaluer les modifications de vécu et de pratiques depuis le stage.

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Cette progression sur deux jours (plus un) permet donc d’aborder les conduites
suicidaires en tant que telles, mais surtout de situer leur prévention dans un processus
plus global de promotion de la santé, et finalement de rappeler que la prévention primaire
est une démarche qui demande du temps et qui doit être préparée, intégrée et
accompagnée.
Chaque stage regroupe 15 à 20 participants de catégories multiples : enseignants,
infirmières scolaires, conseillers principaux d’éducation, chefs d’établissements,
médecins scolaires, assistances sociales, agents administratifs,…La relative petite taille du
groupe doit permettre à chacun de s’exprimer et vise à favoriser l’interactivité, effet
encore amplifié par le travail en sous-groupe lors de la construction des scénarios. La
prévention implique en effet un engagement et un rôle actif de chacun, mais aussi de ne
jamais rester seul et donc de travailler en équipe. La dimension pluri-catégorielle a pour
but de rappeler qu’il s’agit de l’affaire de tous les adultes de la communauté scolaire, tout
en respectant les limites et les compétences de chacun.

 Objectifs d’un stage : Trois objectifs principaux se dégagent : mieux comprendre (le
lien entre conduites suicidaires et conduites à risque, le caractère multifactoriel de la T.S.,
les fonctions du geste suicidaire, l’ambivalence de l’intentionnalité) pour mieux repérer
(en particulier les signes d’appel) afin de mieux intervenir (partage de l’information,
notion de secret partagé, articulation avec le réseau sanitaire et social extérieur à
l’établissement).
Il s’agit dans un premier temps de mieux comprendre le phénomène suicidaire et ses
liens avec les conduites à risque (qui sont autant de modalités différentes de « se casser »
- POMMEREAU, 1997), leur caractère multifactoriel, les fonctions du geste suicidaire
(auto-agressivité, hétéro-agressivité, appel, fuite, ordalie) et l’ambivalence de
l’intentionnalité (vouloir mourir mais aussi vouloir vivre autrement : « je ne veux plus de
cette vie-là »). Ceci revient à remettre en cause un certain nombre d’idées reçues
(tableau1, infra). Il s’agit ensuite de mieux repérer, en particulier les signes d’appel,
tout en rappelant que c’est l’association de plusieurs de ces signes et surtout leur
développement qui augmentent le risque de passage à l’acte. Il s’agit enfin de mieux
agir, c’est-à-dire à la fois de communiquer ce qui doit et peut être partagé avec d’autres
membres de l’équipe éducative et médico-sociale (c’est la notion du secret partagé) et
aussi d’intervenir en articulation avec le réseau sanitaire et social extérieur à
l’établissement, et avec les familles.

 Les principes de prévention : les caractéristiques des stages et leur objectif reposent
sur trois principes de prévention : le repérage et la communication des signes d’alerte
sont l’affaire de tous (notion de « capteur » de souffrance) ; aller au devant de la
demande : « je me fais du souci pour toi » ; ne jamais rester seul et toujours
travailler en équipe (respect du champ de compétence de chacun et de ses limites
d’intervention).
Le premier d’entre eux insiste sur le fait que le repérage et la communication des signes
d’alerte, c’est-à-dire des signes de mal-être, sont l’affaire de tous. Chaque membre
adulte de la communauté scolaire peut en effet être un « capteur » de souffrance (les
Québécois parlent de « sentinelles »), participant de ce fait à la mise en place d’un filet
humain autour de l’élève en souffrance. Ceci implique un second principe qui est d’aller
au devant de la demande, sans attendre d’être explicitement interpellé pour réagir.
En effet, le message de souffrance émanant de l’élève est souvent émis avec beaucoup
d’ambiguïté. Le meilleur moyen de reconnaître cette souffrance, et donc accuser réception
du message, consiste pour l’interlocuteur adulte à communiquer à l’élève le ressenti que
provoque son comportement ou son discours « je me fais du souci pour toi en ce moment

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car j’ai l’impression que tu ne vas pas bien du tout ; je pense même que tu peux avoir des
idées noires » (POMMEREAU, 1997). Cette formulation est très souvent acceptée par
l’adolescent car elle témoigne d’une volonté de dire ce que l’on pense sans le contraindre à
se justifier ; il n’a donc pas le sentiment de risquer d’être dépossédé de quelque chose et
garde le choix d’entrer ou de rester sur le seuil de cette porte ouverte. Il n’en reste pas
moins que l’identification d’un élève « à risque » va de pair avec le partage de
l’information entre tous les intervenants afin que ceux-ci adoptent une conduite à tenir
solidaire et cohérente. Il s’agit là d’un troisième principe, à savoir ne jamais rester seul
et toujours travailler en équipe. Ceci suppose des moments et des lieux pour se
parler, mais aussi le strict respect du champ de compétence de chacun et de ses limites
d’intervention. L’attitude la plus adaptée consiste alors à indiquer clairement le rôle et les
attributions de chaque intervenant, ce qui permet de définir les limites de son propre
champ de compétence et d’aider l’adolescent à comprendre la démarche suggérée. Un
obstacle supplémentaire est représenté par la crainte de trahir le secret de la confidence :
« c’est à moi que l’élève s’est confié, c’est à moi qu’il revient de trouver une issue
favorable ». Entrer dans cette logique revient d’une part à renvoyer à l’adolescent une
image de toute-puissance (ce qui ne peut que raviver chez lui un sentiment
d’impuissance) et d’autre part à nier une évidence : dans tout établissement, chaque
intervenant engage l’ensemble de l’équipe à laquelle il appartient. La notion de « secret
partagé » est ici incontournable.

 Nécessité d’une évaluation : comme toute action de prévention, ces stages doivent
être évalués. Trois modalités existent : immédiate, à distance, externe.
L’évaluation immédiate consiste à demander à la fin des deux journées de stage à
chacun des participants d’exprimer son opinion écrite en trois points positifs et trois
points négatifs. Les résultats sont très majoritairement favorables, mais il est connu que
ce mode d’évaluation reflète plus les liens affectifs qui se sont noués entre les stagiaires et
avec les animateurs que la pertinence de l’action elle-même.
L’évaluation à distance repose sur la journée supplémentaire, ou journée « plus » qui
se déroule environ 6 mois après le stage. Il est intéressant de noter que la plupart des
participants font part d’une modification de leurs attitudes (se sentir moins démuni,
moins mal à l’aise) mais aussi des pratiques (travail en équipe plus facile du fait de
l’existence d’un savoir commun). Un point important paraît être l’institutionnalisation
d’un réseau pluri-catégoriel interne à l’établissement permettant la mise en commun
périodique des informations et l’élaboration des interventions.
La dernière modalité est une évaluation externe confiée à une association privée et
indépendante. Deux étapes complémentaires sont prévues : une enquête par
questionnaires adressés à tous les personnels ayant participé aux formations, une enquête
par entretiens concernant un certain nombre d’établissements et de personnels choisis en
fonction de différentes variables.

2.1.2. Les dispositifs de sensibilisation et d’écoute de l’entourage


(parents, famille).

Ces dispositifs diffèrent nécessairement des dispositifs destinés aux professionnels du fait de
l’inévitable implication affective des parents quand « leur » adolescent va mal ou pose des
problèmes. Alors que les dispositifs destinés aux professionnels ont une dimension plus
théorique (notions d’épidémiologie, de psychopathologie concernant la crise suicidaire,…),
plus technique (distinction des différents types de prévention primaire, secondaire et

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tertiaire) et plus organisationnelle (modalités d’articulation des différents types de
prévention), les dispositifs destinés aux parents sont nécessairement plus contextualisés,
voire plus individualisés. Ils peuvent s’appuyer sur des conférences-débats, des films-débats,
et des séances de théâtre-forum.

Deux objectifs paraissent essentiels :

 Un travail sur les représentations (les vraies idées fausses- tableau 1), car prendre en
compte les représentations des adultes permet d’aider les jeunes.

TABLEAU 1 : Quelques vraies idées fausses


1. Quand on en parle, c’est qu’on ne le fera pas.
2. Faire une T.S., c’est un choix
3. Il faut souffrir d’une maladie mentale pour faire une T.S.
4. C’est héréditaire
5. Parler du suicide à un adolescent peut lui donner envie de le
faire
6. Certaines T.S. sont sans gravité
7. Suicidaire un jour, suicidaire toujours

 Une amélioration de la lisibilité des dispositifs locaux.

2.1.3. Les dispositifs d’accueil, d’écoute et d’accompagnement destinés


aux jeunes.

 Leur importance repose sur le constat suivant : du fait de leur fragilité (fragilité de leurs
assises narcissiques) et de leur dépendance (manque d’autonomie), les adolescents
suicidaires et suicidants témoignent d’une très grande sensibilité aux réponses de
l’entourage. L’espace de parole, le lien et l’appui qui peuvent alors être offerts à ces jeunes
sont très précieux dans la mesure où ces dispositifs respectent certains principes :
• Proximité avec les lieux de vie ou de passage des jeunes,
• Accessibilité sans filtre sanitaire (pas de rendez-vous),
• Interdisciplinarité (notion de plateau de compétences).

 Les intervenants de ces dispositifs doivent être en capacité :


● d’établir un lien de confiance et de confidentialité,
● tout en fixant des limites à l’aide qui peut être apportée (ne pas s’engager au-delà
de ses possibilités)
● et en assurant des relais vers d’autres intervenants (spécialisés).

 Dès qu’un lien de confidentialité a pu s’établir, l’intervenant doit quelquefois s’attendre à


de brusques variations dans la distance avec l’adolescent. En effet, au moment même où il
demande désespérément à être entendu et compris d’un adulte, il peut craindre d’être
privé d’intimité et compromis dans son identité (« ceux dont j’ai le plus besoin sont aussi
ceux qui me menacent le plus »). Il est important de respecter ces mouvements parfois
déconcertants sans perdre de vue pourtant que ce refus du dialogue masque un grand
besoin d’aide et une très grande vulnérabilité.

Dans d’autres circonstances, la demande de l’adolescent est tellement désespérée qu’elle peut
donner à l’intervenant le sentiment d’une très, voire trop, lourde responsabilité. Il importe

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alors, sans se sentir coupable, défaillant ou dévalorisé, qu’il fixe des limites à l’aide qui peut
être apportée et ne s’engage pas au-delà de ses possibilités ni au-delà de sa fonction.

C’est dire toute l’importance des relais présents au sein même du dispositif (Point Accueil
Ecoute Jeune, Maison des Adolescents), mais également avec des structures et des
professionnels plus spécialisés (Centres de Guidance, Services de Santé Mentale, Psychiatres,
Psychologues et Psychothérapeutes privés ou publics).

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3 QUESTIONS COMPLEMENTAIRES POSEES PAR LE JURY AUX EXPERTS

Les travaux du groupe bibliographique montrent que les jeunes n’ont pas tout à fait le
même rapport à la mort et à l’acte suicidaire que les autres catégories de population.
Certains d’entre eux n’hésitent pas à se mettre en danger, multiplient les expériences à
risque, prennent des risques incompréhensibles pour les adultes, des risques par jeu ou
par défi (exemple des jeunes qui « jouent » à éviter le train), Sans renvoyer à un désir de
mourir, ces comportements, qu’on peut peut-être situer dans les comportements
ordaliques de l’adolescent, s’inscrivent dans une logique suicidaire et doivent donc nous
interroger.

Dans d’autres cas, le suicide renvoie à une forme de protestation contre la vie, contre la
banalité du quotidien, contre les frustrations qu’il induit. Ce serait ainsi la difficulté à
accepter le décalage entre une vie rêvée, une vie fantasmée, une vie idéale, absolue et la
réalité, une vie réelle qui serait à l’origine du mal-être observé chez certains jeunes en
quête de sens.
Conduite à risque et mal-être doivent donc nous interroger à plusieurs titres,
premièrement du point de vue de leur signification, deuxièmement du point de vue des
rapports entre jeunes et adultes, troisièmement des actions à mettre en place, mais vous
en avez parlé Monsieur, pour éviter que des drames ne se produisent.

C’est pourquoi nous souhaitons poser aux experts présents, trois questions qui n’en font
en fait qu’une seule :
 Comment aborder ouvertement avec les jeunes la question du sens de la vie, du sens
de la mort, du sens de l’échec ou de la réussite ?
 Existe-t-il des lieux où jeunes et adultes peuvent échanger sur ces questions ? Sur
quels adultes les jeunes peuvent-ils aujourd’hui s’appuyer pour discuter de la
spiritualité, de la morale, de la loi, de la responsabilité, du sens de la vie et de la
mort…?
 Comment les éducateurs, qu’il s’agisse des familles ou des enseignants, peuvent-ils
agir pour éviter que ces conduites à risques ne conduisent au drame ? Comment
intervenir auprès des jeunes ? Comment se comporter avec les jeunes ? Quelle est la
bonne attitude, la posture à adopter ? »

3.1 REPONSE DU DOCTEUR FREDERIC MEDOUZE

Il y a deux points que j’aurais envie d’aborder par rapport aux questions que vous posez.

Sur les conduites ordaliques, c’est vrai que la différence n’est pas toujours claire entre ce
qu’on appellerait entre guillemets « un vrai suicide », prémédité ou réfléchi et un jeu avec la
mort dont l’issue a été fatale. Ce sont des conduites qui traduisent me semble t-il toujours de
graves fragilités personnelles et identitaires, ces conduites de jeu avec le destin et cette façon
de s’en remettre à une puissance supérieure qui décidera si le jeune passera ou non l’épreuve.

Pour ce qui est plus généralement de la prévention des conduites suicidaires ou des conduites
à risques lié au destin, je dirais que les enjeux de la prévention sont quand même à deux
niveaux.

D’une part, c’est la question de comment amener l’adolescent à plus d’ouverture sur le monde
et, d’autre part, comment le rassurer en lui faisant éprouver les capacités qui sont les siennes.
Ce sont les deux axes par lesquels il peut être apporté une aide à l’adolescent dans sa
construction identitaire, car c’est quand même ce dont il s’agit : « comment lui apporter plus
d’ouverture sur le monde ? » et « comment lui restituer un sentiment de sécurité en lui

13
faisant sentir ce qu’il a en lui-même de capacités ? ». C’est là qu’il est très important que
l’aide qu’on apporte ne mette pas l’adolescent en situation de dépendance puisque c’est
précisément ce qui, comme le disait mon collègue à l’instant, le menace le plus, ce vécu de
dépendance. Soulignons l’importance de donner un rôle actif au jeune, de lui poser des
limites sans l’humilier. Une chose est de poser des limites et de limiter, une autre est
d’humilier. Limiter, c’est quelque chose qui respecte narcissiquement l’adolescent et c’est
tout à fait sécurisant pour l’adolescent.

Concernant les principes de la prévention d’un point de vue assez général, je crois que c’est
autour de la question de « comment l’accompagner dans sa construction identitaire ? » en
respectant son autonomie et en étant vigilant au fait que ce qui menace le plus l’adolescent
c’est précisément le sentiment d’impuissance, de dépendance.

3.2 REPONSE DU PROFESSEUR MICHEL WALTER

C’est vrai qu’il faudrait un colloque entier pour répondre à votre question, mais je ne vais pas
m’en tenir à cette pirouette.

La question du rapport à la mort et la question des conduites à risque, c’est un petit peu lié,
ça se situe dans le diaporama que j’ai essayé de présenter dans la partie « mieux
comprendre » : cet enjeu, mieux comprendre pour mieux repérer et mieux intervenir. Il me
semble que les choses avancent un petit peu si on arrive à se modéliser la question de la
tentative de suicide, de l’intentionnalité suicidaire, comme on dit avec un terme un peu
technique, comme quelque chose d’éminemment ambivalent. Faire une tentative de suicide
ou avoir une conduite à risque, si on étend la tentative de suicide à l’ensemble des conduites à
risque en parlant d’équivalent suicidaire, c’est à la fois et de façon très liée, très intriquée
vouloir mourir, mais en même temps : vouloir que quelque chose change, vouloir ne plus
souffrir. C’est ce qui a été dit tout à l’heure des différentes fonctions du geste suicidaire. Dans
les fonctions du geste suicidaire, il y a bien vouloir mourir, c’est évident, mais il y a aussi
vouloir fuir, vouloir appeler au secours, vouloir ne plus penser, vouloir jouer avec sa vie. C’est
les conduites ordaliques. Tout cela est intimement lié.
Vous posiez en dernière question : « sur quels adultes un adolescent qui ne va pas bien peut
prendre appui ? ».
Je dirais : tous. Tous les adultes, potentiellement. Pas n’importe comment, pas à n’importe
quelle place, pas jusqu’au bout du processus, mais théoriquement, potentiellement, n’importe
quel adulte, à condition d’avoir déjà cette représentation de la complexité de l’intentionnalité
suicidaire.
Quand on a ce modèle en tête, ça va déjà beaucoup mieux en terme de « qu’est ce qu’on fait
pour apporter la meilleure aide et le meilleur accompagnement à ce jeune qui ne va pas
bien? »
Autre chose à propos de la notion de conduite à risque : il me semble qu’il faut distinguer ce
qui est de l’ordre de l’équivalent suicidaire et ce qui est de l’ordre de la recherche de
sensation. Ce n’est pas la même chose. Sinon on fait de l’adolescence une maladie avec 100%
de malades ou d’êtres en souffrance alors que ce n’est quand même pas si dramatique que ça
l’adolescence, c’est plutôt une bonne période de la vie. Et les adolescents de 2007 vont quand
même beaucoup mieux que les adolescents de 1907 qui devaient descendre à la mine pour
travailler. Certes il y en a à peu près 20 % qui ne vont pas bien, ce qui est déjà énorme, mais
80% des adolescents, c’est ce que dit Philippe Jamais chaque fois qu’il parle des adolescents,
80% des adolescents vont bien et les adolescents d’aujourd’hui vont nettement mieux que les
adolescents du siècle dernier.

Juste un dernier point sur « quels adultes ? ». Je prends juste votre dernière question parce
que je n’arriverai pas à répondre dans le détail à toutes les questions. C’est vrai que quand on

14
est interpelé par un adolescent qui ne va pas bien, ce qui est compliqué à accepter, c’est qu’on
est obligé, ça fait partie de l’éthique humaine, d’accuser réception du message de souffrance.
En terme de prévention, il faudrait éviter de faire comme si on n’avait rien vu ou rien
entendu. C’est vrai que ça a de sacrés implications subjectives. Accuser réception du message
de souffrance, ça ne veut pas dire ipso facto se transformer en assistante sociale, en
éducateur, en psychothérapeute, en psychiatre ou en infirmier psy. Parce qu’alors on
tomberait dans la situation de toute puissance dont je disais les écueils tout à l’heure. Accuser
réception du message de souffrance c’est : « ce que tu me dis… je suis inquiet de ce que tu me
dis »…en reformulant, en communiquant son ressenti, et puis ne pas rester seul avec tout ça.
D’où la notion de « relais » et de « travail en équipe ». Voilà comment je pourrais essayer de
répondre à votre question compliquée.

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4 QUESTIONS COMPLEMENTAIRES POSEES PAR LES PARTICIPANTS AUX
EXPERTS

Question de Mme BRILHAUT, membre du jury

Peut être une dernière précision, j’ai compris deux choses essentielles pour moi :

 « 80% des adolescents vont bien », merci de le redire, je crois que c’est effectivement
très important.
 Je comprends aussi que nous sommes tous acteurs de prévention : parents,
éducateurs ou simplement personnes en relation avec l’adolescence. Est-ce que cette
lourde responsabilité que vous venez de nous renvoyer, et je reprends la notion de
« prévenance », indique que simplement la posture de l’adulte est importante face à
l’adolescent ?

REPONSE DU PROFESSEUR MICHEL WALTER

Merci de cette question plus simple qui me permet une réponse courte. Exactement,
Madame. le souci de l’autre, on pourrait dire que c’est l’éthique de l’inquiétude, se faire du
souci de l’autre. C’est ce que disait Philippe Lecorps, faire attention, être prévenant : qu’est ce
que c’est, si ce n’est faire preuve d’humanité ?
Dans le respect des limites et des compétences de chacun. Parce qu’on voit tout de suite la
dérive : c’est le poids, avec la culpabilité qui s’y attache, qui paralyse. Dans le respect des
limites et des compétences de chacun : d’où l’idée qu’on ne peut pas faire ça tout seul, du
réseau interne et du réseau externe. Moi, j’avais lu ça chez un philosophe suisse un monsieur
qui s’appelle Michel Cornu, qui appelle ça « l’éthique de l’inquiétude ». Je trouve qu’en terme
de prévention, mais vraiment de prévention au plus proche de la personne qui souffre - que
ce soient les adolescents, les adultes ou les personnes âgées, c’est strictement la même chose
pour les autres catégories d’âge - ça m’a beaucoup appris. Il y a quelque chose qui me semble
compliqué dans la prévention du suicide en général, c’est l’articulation entre le premier
cercle, c’est à dire ceux qui sont au plus proche : les parents, la famille, les enseignants et puis
le dernier cercle, des plus professionnels mais qui sont aussi les plus éloignés. Comment faire
que ces différents cercles d’acteurs de prévention puisse coordonner leurs différentes
interventions pour qu’elles aboutissent à une certaine efficacité ?

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Première question posée par les jeunes du Conseil Régional des Jeunes

André Lefèvre : responsable de la commission de santé, qualité de vie au


Conseil régional des jeunes lycéens et apprentis

On a souhaité créer une délégation pour se rendre ici aujourd’hui, parce qu’on est tous
concernés dans nos établissements, dans les centres de formation, on est tous concerné
par le thème du suicide. On s’est posé beaucoup questions, on a réfléchi, on s’est entretenu
au sein de la commission mais aussi sur l’extranet qui est un outil dont on dispose pour
communiquer quand on n’est pas ensemble à Rennes et deux questions sont revenues :

Dans la commission « santé et qualité de vie » du conseil régional des jeunes, on s’est
souvent questionné sur les espaces ouverts aux jeunes dans nos lycées et dans nos CFA.
Vous avez parlé de médecin, médecins psychologues, assistantes sociales. Ça arrive dans
certains lycées, les gros lycées. Il faut savoir que dans la plupart des lycées il n’y a rien.
Donc on trouve qu’il y en a peu, qu’ils sont souvent mal connus ou mal adaptés. C’est un
problème qui a besoin d’être détecté, on a besoin d’être écouté. Nous, en tant que jeunes,
on a le sentiment de porter une responsabilité collective face à cet enjeu, à des jeunes de
nos établissements qui ne vont pas bien. Comment peut-on jouer ce rôle d’écoute ? Qui est
légitime à le faire si on a effectivement un défaut d’infrastructure, de personne
ressource ? Les limites de ces personnes ? et dans quel but ?

REPONSE DU DOCTEUR FREDERIC MEDOUZE:

Sur la question des dispositifs dans le cadre de la prévention, un point important est
d’essayer de mettre en place un espace où puisse être effectivement reçu le jeune en difficulté
et repérer les difficultés, notamment une dépression ou un trouble psychique et ça c’est
quand même l’importance du rôle du médecin ou de l’infirmière scolaire parce que c’est un
dépistage précieux. C’est multiplier les moyens de repérer ces troubles qui, on le sait, ne sont
pas forcément faciles à diagnostiquer chez l’adolescent : donc un moyen pour les
professionnels de repérer ces troubles, c’est un point important.

Ce qui me paraît important aussi dans le cadre des lycées et des établissements scolaires, c’est
la lutte contre la violence, on ne l’a pas abordé, mais c’est vrai que c’est un aspect, un élément
assez déterminant en tant que facteur déclenchant éventuel de certains passages à l’acte. Il
semble que la violence scolaire soit une question d’importance et la prévention au sein des
établissements scolaires se fait aussi sur cet axe là, de manière concrète.

Deuxième question posée par le conseil régional des jeunes

Quand on a posé la question du suicide au conseil régional des jeunes on a remarqué que
ça touchait vraiment les jeunes. Comment nous, en tant que délégués, parce qu’on a tous
un rôle à jouer, comment on peut aider à l’écoute et à l’accompagnement des personnes
suicidaires ou qui ont fait une tentative de suicide, sachant que le suicide est un sujet
toujours tabou ?

REPONSE DU PROFESSEUR MICHEL WALTER


D’autant plus compliqué que très souvent la révélation de velléités suicidaires entre élèves,
entre pairs se fait sur une modalité bien particulière qui est celle du secret : « toi qui est mon
meilleur copain, toi qui est ma meilleure copine, toi en qui j’ai confiance, c’est parce que j’ai

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confiance en toi que je sais que tu ne le diras à personne et que tu ne me trahiras pas, que je
te raconte ce que j’ai prévu de faire demain ou après demain ». Donc le résultat des courses,
c’est que vous en avez deux qui ne vont pas bien : celui ou celle qui a le projet funeste et celui
ou celle qui recueille le secret s’il se laisse piéger par cette problématique du secret et qui est
coincé entre la non-assistance à personne en danger et la trahison – qui de toute façon n’est
pas très agréable comme position. Ça, vous voyez, ce sont des points sur lesquels pendant les
stages on essaie de travailler, même dans les stages à destination des professionnels, des
adultes de l’éducation nationale parce que ce sont des questions qui peuvent leurs être posées
par les jeunes. Derrière votre question, je sens poindre quelque chose autour de cette notion,
je dirais, de « pair sentinelle », vous parliez de délégué. Que vous dire là dessus ? Si ce n’est
qu’on est quand même nombreux à penser que ce n’est pas la meilleure idée du monde de
confier toute cette responsabilité là à des pairs. Ce qui ne veut pas dire que le délégué de
classe ne peut pas avoir un rôle mais à l’intérieur de tout un maillage. Moi je trouve que c’est
beaucoup trop lourd pour quelqu’un du même âge, qui a potentiellement les mêmes
difficultés, que de se voir confier ce rôle de sentinelle, que ce soit en matière de suicide ou de
toxicomanie, je crois que c’est un petit peu la même chose. Le relais à l’intérieur de
l’établissement scolaire, le relais essentiel à mon sens, ce sont les adultes et le réseau médico-
social, je sais aussi qu’il peut être parfois un peu insuffisant.

Intervention d’un des jeunes du conseil régional des jeunes

Si je peux me permettre juste une petite précision par rapport à ce que vous venez de
dire : vous soulignez l’importance des personnes dans les établissements, nous ce que l’on
souligne c’est surtout la présence ou non de ces personnes. Je prends le cas de mon lycée,
et c’est le cas de beaucoup de lycées bretons, l’infirmière, elle est là le jeudi matin. Si on
veut être malade, c’est le jeudi matin. Donc vous voyez c’est ça qu’on demande.

REPONSE DU PROFESSEUR MICHEL WALTER


Je sais. Ceci étant la question d’accuser réception du message de souffrance, être capteur de
souffrance, le repérage des premiers signes, n’importe quel adulte de la communauté scolaire
peut en être l’acteur dans le respect de ses limites et de ses compétences. Mais vous savez
c’est moins théorique que le débat qu’on a ici, parce que quelqu’un qui ne va pas bien choisit
celui ou celle à qui il va parler. Et il choisit en fonction de critères dont on ne peut rien dire
comme ça tellement c’est subjectif : en fonction de l’histoire personnelle, en fonction de la
relation, en fonction de plein de choses. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il peut choisir
n’importe qui en fonction de critères très subjectifs et quand on fait les stages à destination
des adultes on leur dit : « ça peut tomber sur n’importe lequel ou n’importe laquelle d’entre
vous donc il faut vous préparer à ça. Il faut vous préparer avec des grandes idées, des grands
principes de prévention, c’est-à-dire aller au devant de la demande, ne pas rester seul,
travailler en équipe dans le respect de ses limites et de ses compétences.

REPONSE DU DOCTEUR FREDERIC MEDOUZE


Juste un petit point par rapport à la question que vous abordiez parce qu’effectivement être
dépositaire du secret, de la confidence en tant que pair ou que camarade, c’est une position
compliquée.

Mais au fond, je crois que l’essentiel, c’est de pouvoir aussi essayer d’évoquer ce que renvoie
la personne qui vous confie quelque chose et qui vous inquiète. De renvoyer que vous êtes
inquiet, je crois que c’est quelque chose qui est important. Renvoyer que vous êtes inquiet, ça

18
passe aussi par le fait d’en parler à d’autres qui peuvent aussi l’aider et l’accompagner. Je
crois qu’il faut sortir de cette position, de ce qui serait une espèce de dilemme au fond. De
renvoyer qu’on est inquiet, c’est quand même toujours plus sécurisant que d’être pris dans ce
qu’il y a de piégeant dans le suicide. C’est une situation où l’on est enfermé, où on est isolé,
c’est une coupure finalement qui conduit au suicide. D’être pris dans la coupure n’est pas
aidant alors que de dire qu’on est inquiet et du coup qu’on fait quelque chose, qu’on parle
tout simplement à d’autres adultes c’est une façon de ne pas rentrer dans cette coupure aussi,
dans cet isolement.

Question de M. Cyril PERCHEC, membre du jury et président du centre Gay-


Lesbien et Trans de Rennes.

Voici un constat : Quand on parle de suicide, on n’aborde jamais, ou à de rares


exceptions, la question de l’orientation sexuelle. A l’inverse, allez voir n’importe quelles
associations qui accueillent des personnes gay, lesbiennes, bi ou transsexuelles ou des
personnes qui s’interrogent sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre, la question du
mal-être, du suicide ou de la tentative de suicide sera systématiquement abordée. Les
chiffres sont pourtant inquiétants - même s’il y en a peu en France-, il y a des chiffres en
Amérique du Nord et surtout au Canada, qui montrent qu’il y a 17 fois plus de tentatives
de suicide et de suicides « complétés » comme on dit au Québec, chez les adolescents
garçons homos ou en questionnement que chez les adolescents garçons hétéros entre 15
et 24 ans. Juste une précision aussi, une précaution : ce n’est pas le fait d’être homosexuel
qui présente un risque mais bien le fait d’être victime d’homophobie ou d’homophobie
intériorisée (homophobie : le fait de concrètement avoir dans l’entourage insultes ou
agressions physiques et homophobie intériorisée : le fait pour une personne de craindre
d’avoir des réactions de l’entourage, de la famille et plus largement de la société) Je le
précise parce que, dans les médias, on voit souvent des raccourcis terribles, et pas
seulement dans les médias d’ailleurs, avec des articles du type : « le suicide des jeunes
gays » qui est un raccourci assez impressionnant.
Ma question est la suivante :
Pourquoi cette question des suicides liés aux discriminations d’ordre sexuel ou à l’identité
de genre est elle si peu abordée ? Et comment faire en sorte que cette question ne soit plus
seulement abordée par les personnes directement ou très indirectement concernées, mais
soit traitée comme un véritable problème de société par les pouvoirs publics et par la
société dans son entier?

REPONSE DU PROFESSEUR MICHEL WALTER

Je vais répondre à côté mais ça va peut être vous aider dans votre réflexion.
J’ai essayé de définir tout à l’heure très rapidement ce qu’était un « facteur de risque ». Là
vous dites, je simplifie un peu votre propos, qu’être homosexuel est un facteur de risque, c’est
vrai que ça a été mesuré, ça multiplie par un facteur, de ce que j’ai lu, qui est compris entre 4
et 15 le risque de tentative de suicide. Tout dépend de ce que l’on appelle facteur de risque.
Je crois qu’un des éléments de réponse, c’est que le facteur de risque est un événement ou un
constat qui est dans une relation de corrélation et non pas de causalité. Donc il y a déjà
quelque chose qu’il faut essayer de se sortir de la tête, le chômage, l’orientation sexuelle, le
divorce des parents, la dépression sont des facteurs corrélés à un risque de faire une tentative
de suicide. C’est de la corrélation et non pas de la causalité.

19
Deuxième point : c’est que les modèles qui permettent de comprendre le risque de passage à
l’acte suicidaire sont des modèles polyfactoriels : des facteurs de risques psychologiques, des
facteurs de risques sociologiques, des facteurs de risques environnementaux.
Troisième élément : ces facteurs interagissent les uns avec les autres, ça a également été dit
par rapport à la pression scolaire. La pression scolaire peut être un facteur précipitant mais
ça peut aussi être pour un autre un facteur protecteur. Imaginez dans un autre contexte, le
suicide des personnes âgées, un des facteurs de risque c’est l’institutionnalisation de la
personne âgée, quand elle passe de son domicile à la maison de retraite. Pour l’une, ça peut
être un facteur de risque, parce qu’elle vivait - même si elle était seule chez elle- dans un
milieu où il y avait un certain nombre de liens sociaux, pour une autre ça peut être un facteur
de protection parce que chez elle, elle était entourée de solitude et qu’aller à la maison de
retraite va recréer du lien. Et pour la question de l’identité et de l’orientation sexuelles, je
crois que c’est exactement la même chose. Mais vous l’avez dit un petit peu, c’est à la fois :
comment c’est vécu par soi-même et la façon dont c’est vécu par les autres. Le regard des
autres et le regard de soi même.
Donc une des réponses à votre question, en termes psychologiques, c’est la question de
l’estime de soi : quel impact ce choix sexuel différent ou cette identité de genre différente a
sur l’estime qu’on a de soi même ?
Et l’estime qu’on a de soi même a quelque chose à voir avec ce qui a été dit par mon collègue,
à savoir tout le développement psycho-affectif – c’est la question de la fragilité narcissique ou
non – et puis aussi, ça rejoint une question plus globale et plus politique, avec le regard que
la société, que l’autre, que l’extérieur porte là-dessus.

Question de M. Cyril Perchec

Je ne l’ai pas précisé mais je suis enseignant chercheur en psychologie du développement


et de l’adolescence, donc je travaille sur ces thématiques et je suis d’accord avec vous.
Ma question était :
Pourquoi cette question émerge uniquement des personnes concernées, des associations
qui traitent ces questions-là ? Et encore aujourd’hui, c’est le président du centre gay, bi,
lesbien et trans qui vient en parler. Comment faire en sorte que ce ne soit pas
uniquement les personnes directement concernées qui apportent des éléments à ce
débat ?

REPONSE DU DOCTEUR FREDERIC MEDOUZE

Je crois que c’est une question qui est dans les travaux qui cherchent à définir ou à
caractériser le contexte des adolescents qui se suicident. C’est une question qui est abordée,
comme mon collègue le disait à l’instant, avec d’autres facteurs, parmi en tout cas les facteurs
qui sont considérés comme susceptibles, en se conjuguant ou se multipliant entre eux, de
générer une situation à risque. C’est quelque chose de reconnu et cité classiquement comme
une situation à vraiment prendre en considération.
Par contre, est ce que c’est plus ou moins abordé publiquement ?
D’abord, la question du suicide n’est pas facilement abordée, c’est une question qui sans être
tabou est en tout cas une question violente. La question de l’homosexualité n’est pas
facilement abordée non plus dans la société qui est la nôtre. Les deux font qu’effectivement ce

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n’est peut être pas une question facilement, ouvertement, publiquement abordée. Mais c’est
une question, qu’en tout cas ceux qui travaillent auprès des adolescents, ont en tête
forcément et inévitablement.

« J’avais une question sur la fonction de la tentative de suicide. Je travaille


comme psychologue et psychanalyste à recevoir des parents depuis début
septembre à Rennes pour la création d’un nouveau lieu. C’était pour savoir
si vous étiez d’accord avec moi sur :
- la tentative de suicide comme acte de séparation
- et la famille aussi comme lieu à la fois d’accueil ou de séparation ?
Mon idée c’est qu’il manque peut être d’espace symbolique où les parents
peuvent venir parler de comment permettre à l’enfant de se séparer et
aussi aux jeunes des lieux symboliques où ils se retrouvent entre eux pour
se séparer aussi de ce qui fait pression pour eux ?
Donc ma question : les professionnels n’ont-ils pas, peut être, à se séparer aussi un peu
des standards dans leur manière de travailler et d’être plutôt dans l’invention et se
dégager de règles qu’ils instituent eux mêmes, et d’aller au devant des publics ?

REPONSE DU DOCTEUR FREDERIC MEDOUZE

Sur la question de la séparation comme enjeu à l’adolescence et qui peut être déterminante
dans les conduites suicidaires : oui, c’est quelque chose qui dans la pratique clinique avec les
adolescents est claire. Je crois que c’est Philipe Jamais qui dit parfois, de manière un peu
caricaturale : « lorsqu’un adolescent ne peut pas sortir par la porte, il sort par la fenêtre ».
C’est un peu une façon de signifier que quand prendre de la distance n’est pas possible, il est
acculé à des situations parfois extrêmes, pour pouvoir tenter d’échapper avec plus ou moins
de marges à cette relation de dépendance aux figures parentales en particulier. Les conduites
comme par exemple certaines conduites de scarifications, qui sont aussi mises en lien avec
ces problématiques là, la question de la coupure, de couper le lien, et les conduites suicidaires
avec ce qu’elles incarnent en termes de rupture sont dans certains cas, dans certaines
histoires, à lire avec ce regard là. Dès lors qu’on interagit avec un adolescent, quand on
intervient en tant qu’adulte, il est toujours essentiel d’avoir en tête que l’adolescent doit, de
manière essentielle, expérimenter quelque chose d’une autonomie dans la relation, d’une
marge dans la relation. Et finalement, il faut être attentif, quand on intervient et qu’on veut
bien faire, à ne pas se retrouver prisonnier, parce que quand on est prisonnier c’est
l’adolescent qui est prisonnier de la relation. Il faut être vigilant quand on veut aider, avoir en
tête de ne jamais emprisonner l’adolescent dans la relation. C’est difficile et c’est quelque
chose qui nécessite d’être plusieurs, de connaître un petit peu les enjeux de l’adolescence et
c’est vrai que le fait de pouvoir en parler aide à ça. Et toujours se dire que l’on n’est pas
dépositaire, qu’on n’est pas celui qui va régler une situation, sauver un adolescent. On est une
rencontre dans le parcours de l’adolescent sur laquelle il doit pouvoir s’appuyer, s’étayer. Etre
là quand il a besoin de s’étayer, ça s’est important et c’est déjà une façon très importante
d’aider l’adolescent.

21
Je suis membre co-fondateur d’une association de prévention du suicide chez les jeunes et
cadre de santé dans un service d’urgence dans un établissement de santé publique :
On sait que l’évaluation des pratiques professionnelles s’appuie sur les conférences de
consensus.
Ne serait-il pas intéressant de réfléchir, quand on reçoit des jeunes qui ont des conduites
à risque avec des alcoolémies effrayantes ? Est ce qu’on ne devrait pas les inscrire dans
cette conférence ?
La prise en charge des jeunes suicidants ou en tout cas identifiés comme tels est
évidemment automatique mais il faudrait réfléchir au dépistage de ces conduites à
risques qui passent par des alcoolisations féroces et non d’autres types de conduite ; ces
jeunes ne devraient-ils pas être systématiquement vus par des psychiatres ?
Ça me semblerait intéressant que ce soit inscrit là parce qu’on va s’appuyer sur les
conférences pour revoir nos pratiques professionnelles.

REPONSE DU PROFESSEUR MICHEL WALTER

Pour répondre brièvement à la question de Madame, la réponse est oui.


La question était, je peux peut-être la reformuler de la façon suivante : ne peut-on pas inclure
dans les recommandations concernant les tentatives de suicides les mêmes recommandations
concernant les conduites à risque ? Et il est vrai qu’on devrait parler du « spectre des
conduites à risque » ou du « spectre des conduites suicidaires » dont la tentative de suicide
est le représentant le plus sous les feux de la rampe : les alcoolisations massives de fin de
week-end, les overdoses toxicomaniaques, certains type de fugues. J’ai beaucoup appris de
Xavier Povero pour essayer de décliner l’ensemble des conduites à risque, à savoir que c’est
l’ensemble des possibilités de décliner le verbe « se casser » dans toutes ses acceptions :
casser du lien, toutes les conduites de rupture. Donc c’est sauter par la fenêtre évidemment,
c’est la conduite à risque la plus dramatique, la tentative de suicide, mais aussi les fugues ;
c’est casser sa conscience : une overdose toxicomaniaque, une alcoolisation massive, abuser
de médicaments pour ne plus penser, pour casser sa conscience ; mais il y a aussi casser le
comportement alimentaire, certaines anorexies, certains évanouissements à l’emporte-pièce,
certains comportements violents qui visent à casser l’autre mais à se faire casser en retour.
D’ailleurs, je vous le ferai remarquer cet après midi, ça concerne les personnes âgées, les
conduites de rupture et à risque ne sont pas l’apanage des adolescents. Chez les gens âgés on
a l’équivalent de ce qu’on pourrait appeler les conduites de renoncement et on aurait intérêt à
parler pour eux du spectre de renoncement comme on parle aujourd’hui chez les jeunes du
spectre des conduites à risque.

Simplement pour comprendre ce que veut dire « ordalique » et « anomie » ?

REPONSE DU PROFESSEUR MICHEL WALTER

L’ordalie, si on prend des références dans les cours d’histoire, c’est le jeu avec la mort. Ça
passe ou ça casse. La roulette russe c’est de l’ordalie. Etre dans un processus suicidaire, aller
dans son armoire à pharmacie, sortir un certain nombre de cachets et en avaler une poignée
en disant : « on verra bien ce qui se passe », c’est de l’ordalie. Emprunter un deux roues ou
une quatre roues et traverser les grands carrefours de la ville dans laquelle on vit à trois
heures du matin sans tenir compte de la couleur des feux tricolores, c’est de l’ordalie. Ça
casse ou ça passe, c’est le jeu avec la vie.

22
L’anomie cela a été défini tout à l’heure, c’est la perte des liens sociaux, le délitement du tissu
social.

23
Deuxième partie : Préconisations du jury

24
Pour le jury, le suicide des jeunes doit être abordé à travers la défaillance de la relation aux
adultes. Parler du suicide des jeunes équivaut à interroger la capacité des adultes à s’assumer
en tant qu’adulte, dans une relation de maturité et d’attention vis-à-vis de jeunes.

Dès lors la réflexion du jury a porté d’une part sur ce qui est susceptible de produire de la
souffrance psychique dans les évolutions actuelles de la société et, d’autre part, sur les
modalités de veille et d’écoute des jeunes.

Cette approche induit quatre niveaux de recommandations :


 La recherche d’une meilleure connaissance des dimensions psychologiques, sociales et
culturelles des logiques suicidaires,
 Le développement d’une prévention primaire portée par une nouvelle éthique de
l’attention aux autres,
 La sensibilisation et la formation des adultes et en particulier des professionnels en
milieu scolaire,
 L’information, la prévention et l’aide en direction des jeunes eux-mêmes et des parents.

Le jury n’a pas souhaité, et ce n’était pas son rôle, revenir sur les dispositifs existants faisant
confiance aux spécialistes et professionnels qui les ont déployés et qui les font vivre en
proximité avec les réalités de terrain.

C’est donc plus sur le registre des principes que le jury s’est exprimé.

1. LES ETUDES COMPLEMENTAIRES

La multiplicité des facteurs de risque, la complexité des raisons pouvant entraîner souffrance
et crise suicidaire, les points de vue différents des experts, le désarroi face à ce qui reste
d’incompréhensible dans un passage à l’acte, militent pour un approfondissement de la
recherche.
Les débats sur les facteurs de risque, la dimension multifactorielle de la souffrance et de la
crise rappellent aux chercheurs que, dans ce domaine plus encore que dans les autres,
corrélation n’est pas causalité et qu’il est vain de chercher des déterminismes simples et des
recettes éducatives qui en seraient issues. Reste que le jury pense qu’il manque des travaux
sur qui s’est tué, qui a essayé de le faire et qui y a pensé. Il s’interroge notamment sur les
relations entre idées suicidaires, courantes chez les adolescents, et les tentatives de suicide.1
Le jury pense que des programmes de recherche, notamment interdisciplinaires devraient
être déployés en Bretagne de façon à mieux comprendre la souffrance des jeunes dans leurs
relations aux autres et aux adultes et cela de façon à aider la réflexion et la mise en œuvre des
politiques de prévention.
C’est dans ce cadre qu’une meilleure compréhension des raisons des conduites addictives des
jeunes en Bretagne doit être recherchée. Il apparaît en effet au jury que le travail sur les
facteurs culturels de la sursuicidité bretonne ne peut faire l’économie de l’analyse des raisons
pour lesquelles la consommation d’alcool et de cannabis est plus forte en Bretagne que dans
les autres régions françaises.
Ces programmes de recherche devront aussi avoir pour ambition de comprendre l’impact des
évolutions culturelles plus globales sur les difficultés propres à l’adolescence et notamment
face aux perspectives d’avenir que lui propose une société d’individuation et de compétition
où les solidarités sont à recomposer.

1Baromètre santé jeune 97/98 23% des garçons et 35% des filles de 15 à 19 ans ont pensé au suicide dans les 12
derniers mois.

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Il est en outre apparu au jury que les études et recherches permettant une meilleure
intelligence des facteurs et des logiques suicidaires seront utiles à la construction des
démarches de postvention et au développement des solidarités avec les familles dans la
douleur.

2. L’ETHIQUE DE L’INQUIETUDE

Le jury s’est réapproprié cette expression de Philippe Lecorps pour signifier que les
démarches de prévention doivent se construire sur une plus grande solidarité des adultes
envers les jeunes. L’enjeu principal pour le jury est en réalité que les adultes retrouvent le
chemin de l’amour de la jeunesse, c'est-à-dire de l’attention et de la prévenance vis-à-vis des
jeunes. Il s’agit de s’inquiéter de l’autre, d’aller au devant de la demande. Cette éthique repose
sur trois idées simples :
 L’idéation suicidaire et la crise suicidaire sont des moments de suspension du recours à
l’autre, c’est contre cette interruption qu’il faut lutter par la présence, l’attention, la
bienveillance,
 L’écoute et l’aide supposent une altérité assumée, c'est-à-dire une posture d’adulte, de
différence, de désaccord s’il y a lieu. Derrière cette idée, le jury énonce un constat de
pusillanimité trop fréquente des adultes, au détriment des repères des jeunes,
 Les questions de la mort et de la souffrance ne peuvent être absentes de l’éducation mais
au contraire rappelées comme réalités faisant partie de la vie, lui donnant même son prix.
Il s’agit d’opposer à l’évitement des difficultés, à la forclusion de la mort, une pédagogie
du réel et de la responsabilité préparant les jeunes au plaisir de la vie et à l’affrontement
de ses difficultés et de ses chagrins. Cette préparation des jeunes à la vie et au courage
nécessite aussi de rompre avec les discours catastrophiques de certains adultes sur le
monde à venir qui nourrissent l’angoisse sociale et découragent les plus fragiles.
Les politiques de prévention à mettre en place ou à renforcer découlent de cette attitude
générale de responsabilité vis-à-vis des jeunes. Pour le jury, le milieu scolaire est un espace
privilégié de déploiement de cette éthique.

3. LE MILIEU SCOLAIRE

 Le jury souligne que les questions de santé publique sont des thèmes qui doivent être
intégrés explicitement aux projets d’établissement. L’attention à la souffrance des jeunes,
le repérage des jeunes en difficulté, la prévention des comportements addictifs, la
prévention du suicide doivent être clairement inscrites dans les projets d’établissement.
 La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 89, dite loi Jospin, prévoyait des stages de
formation liés aux missions éducatives de l’école. Le jury constate que ces stages portant
sur des thèmes éducatifs sont peu fréquentés. Il souhaite qu’ils soient rendus obligatoires
et intègrent une formation traitant du suicide et de sa prévention, de façon à mobiliser le
plus possible d’acteurs de l’éducation à l’identification des signes de dépression et à
l’écoute.
 Les commissions de suivi des élèves en difficulté permettent de mutualiser les regards sur
les jeunes qui ne vont pas bien (enseignants, CPE, infirmier, proviseur…). Dans
l’établissement, tous les personnels devraient avoir le droit de saisine de cette
commission, chacun ayant pu repérer un élève en difficulté sociale ou manifestant un
mal-être ou des comportements ordaliques particuliers. Le jury pense qu’il faudrait
systématiser ces commissions et faciliter la mise en réseau des établissements sur ces
sujets pour mutualiser leurs acquis et leurs expériences.
 Le jury, suivant en cela les Docteurs Medouze et Walter ainsi que M. Leguay, pensent que
l’information des adolescents est nécessaire. Il souhaite que l’ECJS (éducation civique,

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juridique et sociale) retrouve une dimension de débats et d’échanges avec les élèves et que
dans ce cadre soient abordées les questions liées aux idées suicidaires, aux TS et aux
comportements à risque. La présence des membres du Conseil Régional Jeune, à la
journée du 20 octobre, leur sensibilité au sujet et la pertinence de leurs questions
témoignent, si besoin, de l’utilité de l’organisation d’un dialogue dans les établissements.
Il s’agit de débattre de ces sujets, d’aider les jeunes en mal-être et d’éviter que le statut de
confident des idées noires soit trop lourd à porter. Le jury souhaite que les spécialistes
travaillent aux différentes façons d’aborder ces questions dans le cadre de l’ECJS. Il s’agit
aussi d’analyser si les cessions et animations portant sur le bien-être et le mal-être
développées dans certains lycées sont pertinentes et à développer dans ce cadre.

4. LE DEVELOPPEMENT DE LA VEILLE ET DE L’ECOUTE

 Le jury est sensibilisé à la notion de « première ligne » développée par certains


spécialistes2 qui vise à ne pas se limiter aux professionnels et impliquer un large public
dans la formation à la veille et à la reconnaissance des comportements à risque suicidaire.
L’objectif annoncé est que près de 1% de la population ait reçu une formation. Il s’agit de
constituer un maillage territorial de personnes formées au repérage facilitant ainsi le
développement de l’écoute et de la prise en charge.
 Le jury s’interroge sur les lieux d’écoute à proposer aux jeunes, hors établissements
scolaires, des lieux du « lâcher prise », c'est-à-dire des lieux de parole et de
décompression, d’écoute et d’attention ni psychiatrisés ni spécialisés. Le jury s’interroge
de façon générale sur les limites de la spécialisation des lieux et des professionnels, sur
leur dissémination sur le territoire et donc sur la pertinence de regrouper dans un même
lieu, les Points Accueil Ecoute Jeunes, les CRIJ, les PIJ, les missions locales, …. sous
réserve d’une meilleure formation des adultes accueillants.
 Quoiqu’il en soit le jury pense que la délivrance d’une information fiable, rémanente et
localisée reste une priorité de la prévention. Cette politique d’information doit articuler
un niveau régional et un niveau local, (sans doute à l’échelon du Pays). Le contenu de
cette information et son mode de diffusion, (lieux, dispositifs, numéros d’appels,
situations de recours) doivent faire l’objet d’une réflexion spécifique pour un déploiement
efficace et rapide.
 Parmi ces informations à promouvoir, il s’agit notamment de l’accueil conjoint parents
enfants avec un psychologue ou un psychiatre. Ce type de consultation apparait au jury
nécessaire à développer et à faire connaître et venir utilement compléter les actions de
soutien parental, aujourd’hui insuffisantes.
 Bien que le sujet ait été peu abordé dans la conférence de consensus, le jury a tenu à
rappeler l’importance du rôle des médecins généralistes et pense qu’une des priorités des
actions est celle de leur formation, tant pour identifier les symptômes dépressifs et les
risques suicidaires que pour conseiller, orienter et jouer leur rôle dans le maillage local de
la prévention.

5. MUTUALISER, DECLOISONNER, COMMUNIQUER

 Le jury s’est investi dans la conférence de consensus et y a trouvé un apport intellectuel et


humain qui montre l’intérêt de ce type de manifestation. Il a estimé que ce mode de
communication remplissait une fonction exigeante de sensibilisation et de réflexion, et
devrait être poursuivi sous cette forme ou d’autres.

2 Et notamment le Professeur Jean Louis Terra de l’université de Lyon

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 Par ailleurs, les interventions ont montré l’importance du partage d’expériences, l’utilité
de la confrontation des approches et des disciplines (sociologiques, psychologiques et
médicales) et la pertinence à faire connaître les dispositifs et à en discuter. Le jury
souhaite encourager ces lieux et ces moments d’échanges et d’ouverture, de confrontation
entre les différentes politiques régionales et d’apports des expériences étrangères.
 Le jury à travers ses préconisations a souhaité, d’une part, rendre hommage au travail des
bénévoles et professionnels qui œuvrent dans les différents dispositifs existants et,
d’autre part, rappeler que la souffrance des jeunes est une souffrance de leur rapport aux
adultes et à la société que ceux-ci leur proposent.

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