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Jacques LEWKOWICZ
Professeur des Universités en sciences de gestion
Pascal KOEBERLE
Doctorant en sciences de gestion
INTRODUCTION
L’approche de la stratégie par les forces concurrentielles (Porter, 1980) et celle par les
ressources et compétences de la firme, initiée par Penrose (1959) cherchent les éléments à
l’origine du succès de la stratégie. La première perspective avance que le succès dépend de la
position visée (et effectivement atteinte) par l’organisation, en réponse aux opportunités et
aux menaces propres à son environnement. La seconde explique ce succès par la trajectoire de
la firme. Celle-ci détermine les ressources dont elle dispose à l’origine de ses forces et de ses
faiblesses.
Est-il possible, sur ces bases, d’aboutir à une démarche d’élaboration stratégique
dynamique ? Ainsi, la stratégie comme position risque d’être un succès, dans un contexte
donné, alors que l’organisation s’avèrerait parfaitement inadaptée si ce contexte changeait. De
même, le pilotage par les ressources et compétences laisse s’échapper la possibilité, pour
l’organisation, de se diversifier dans des activités pour lesquelles elle ne semblait disposer, a
priori, d’aucun savoir-faire distinctif. Or, parmi ces activités se trouvait peut-être une source
de valeur future de l’organisation, même si des investissements et un apprentissage préalables
auraient été nécessaires. Les deux perspectives présentent donc des limites : la position-cible,
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Colloque International « Services, innovation et développement durable », Poitiers, 26-28 mars 2008.
« In short, enterprises may be more like biological organisms than some economists, managers, and
strategy scholars are willing to admit ; but they are also more malleable than some organizational
ecologists are willing to recognize » (Teece, 2007, p. 1341).
Face à ces objections, nous nous inscrivons de préférence dans une approche basée sur les
ressources. Les limites, inhérentes au caractère statique de ce paradigme, sont dépassées par le
cadre analytique des capacités dynamiques (Teece, Pisano, Shuen, 1997 ; Teece, 2007). Ce
cadre de travail se concentre sur les capacités requises pour maintenir un avantage
concurrentiel durable, dans un régime de changement rapide. En effet, l’instabilité est
désormais une caractéristique essentielle de l’environnement des organisations. La prise en
compte de cette caractéristique suggère que les choix s’effectuent, en priorité, dans une
perspective d’adaptabilité à long terme, plutôt que d’adaptation immédiate de l’organisation
(Weick et Quinn, 1999). Les capacités dynamiques permettent à l’organisation, non seulement
de s’ajuster à son environnement, mais également d’en modifier les règles à son avantage.
C’est ce cadre de travail des capacités dynamiques qui est sous-jacent à notre contribution.
Nos investigations mettent l’accent sur la capacité d’innovation des organisations, laquelle
découle par hypothèse de la possession de capacités dynamiques, y compris la capacité
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d’apprentissage. Nous avançons que la capacité à innover constitue l’élément principal en vue
de construire un avantage concurrentiel durable.
Le modèle de Lam (2004) s’inscrit dans cette veine et constitue le point de départ de notre
projet de recherche d’une nouvelle théorie du changement stratégique et organisationnel. Il
développe une typologie renouvelée des configurations organisationnelles. Dans la lignée des
travaux de Mintzberg (1980, 1984), Lam associe aux structures organisationnelles, des
composantes cognitives et sociétales. Elle avance que chaque configuration se caractérise par
une interaction entre trois niveaux : organisationnel (croisant le degré de standardisation de
la connaissance et des processus de travail avec la nature individuelle ou collective de l’agent
de connaissance essentiel), sociétal (croisant la nature de l’appel au marché du travail, ouvert
ou interne, avec le degré de formalisation du système éducatif), et de la connaissance
(croisant la dimension épistémologique : tacite ou explicite, et ontologique : individuelle ou
collective). En outre, une composante stratégico-économique (croisant le type de métier,
hérité ou recherché, avec le type de valorisation, actionnariale ou partenariale) s’ajoute à
l’interaction des trois niveaux originaux du modèle de Lam (Lewkowicz, 2006). Cette
interaction aboutit à une cohérence entre les quatre niveaux, formant une configuration.
L’hypothèse fondamentale du modèle est celle d’un alignement entre des valeurs spécifiques
prises par les quatre composantes. Chaque configuration est représentée, avec l’alignement
des composantes qui la soutiennent, par l’un des quatre quadrants de la figure 1. Cette
représentation fait apparaître une capacité d’innovation différant d’une configuration à une
autre (Lam, 2004).
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Bureaucratie Bureaucratie
Bureaucratie
professionnelle mécaniste
mécaniste
Encodée
Encodée
Encervelée Encodée
Incarnée
Incarnée Encastrée
Encastrée
Recherché
Métier Recherch é
Adhocratie
Adhocratie Forme
Forme JJ
Modèle
Modèle de
de la
la communauté
communauté Modèle
Modèle de
de la
la communauté
communauté
ouverte
ouverte sur
sur l’emploi
l’emploi organisationnelle
organisationnelle
externe
externe
Apprentissage
Apprentissage dynamique
dynamique Apprentissage
Apprentissage cumulatif
cumulatif
favorisant l’innovation
favorisant l’innovation favorisant l’innovation
favorisant l’innovation
radicale
radicale incrémentale
incrémentale
Cré
Création de Développement
valeur durable
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Les libéraux croient en l’efficacité du marché (par exemple, Friedman, 1962). Ils pensent
que la poursuite d’objectifs financiers permet un développement économique lequel répond
spontanément aux besoins sociaux et environnementaux. Ainsi, Quiénnec (2004) récuse
l’opposition supposée entre les intérêts des actionnaires et ceux de la société civile, arguant
que la maximisation des intérêts individuels conduit à l’optimum collectif. Ceci peut être
questionné (Griffin et Mahon, 1997). Il reste que les adeptes de la concurrence pure et parfaite
perçoivent la société civile comme « un concept moins anachronique que l’Etat pour
s’opposer au capitalisme » (Quiénnec, 2004). Inversement, dans une perspective
interventionniste, Doane (2005) doute de la capacité des marchés libres à prendre en compte
l’intérêt général. Elle conteste notamment quatre mythes, en affirmant que : (1) la RSE est un
luxe que l’organisation supprime en cas de difficultés économiques, afin de prévenir le risque
de retrait de leur capitaux par les actionnaires ; (2) les consommateurs agissent sous
contraintes (pouvoir d’achat, goûts,…) : le poids des consommateurs ‘éthiques’, supposés
déclencher une adaptation des organisations à cette évolution de la demande, demeure
anecdotique ; (3) la RSE est un outil de relations publiques, permettant aux organisations de
minimiser les conséquences liées à une éventuelle révélation de comportements (jugés)
irresponsables : les classements ‘éthiques’ récompensent, selon Doane, « the best of the
baddies » (2005, p. 27) ; (4) les gouvernements des pays en développement limitent leurs
exigences sociales et environnementales vis-à-vis des firmes étrangères, afin d’attirer les
investisseurs : l’internationalisation nivellerait ainsi les modes de vie à la baisse.
En fait, la RSE n’a pas le même sens pour les libéraux et les interventionnistes. Pour les
uns, elle est une conséquence naturelle, pour les autres, elle doit être au centre de la décision.
Il reste que des actions, revendiquées socialement responsables, se multiplient dans le monde
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des organisations. Ces actions reflètent une stratégie 1 , laquelle entre parfois en contradiction
avec celle poursuivie jusqu’alors par l’organisation. Une tension apparaît alors entre la
stratégie passée et celle impliquant les actions socialement responsables. Etant donnée
l’hypothèse d’alignement du modèle de Lam (2004) et l’interaction entre les quatre niveaux
(cognitif, organisationnel, sociétal et stratégico-économique), cette tension dépasse le niveau
de la stratégie et oppose, plus largement, deux configurations. Ainsi, le changement
stratégique est l’un des précurseurs possibles du changement de configuration. Quels sont,
alors, les mécanismes qui permettent de rendre compte de ce changement, de son déroulement
et de son aboutissement ?
Dans une première partie, nous montrons en quoi la configuration de forme J est celle qui
s’approche le mieux de l’esprit du développement durable. Nous suggérons, cependant, que
les caractéristiques de la firme J sont instables. La seconde partie développe nos propositions
d’explication des mécanismes du changement configurationnel. A cette occasion, nous
distinguons des sources de résistance au changement de configuration. Ces mécanismes et ces
freins, associés à l’instabilité intrinsèque de la firme J, nous amènent à questionner la
durabilité du développement durable.
Enfin il faut remarquer que, si les prérogatives du développement durable semblent alerter
en premier lieu le secteur industriel, notre questionnement s’adresse également aux
organisations de services. Le produit de l’activité industrielle étant généralement de nature
plus matérielle et concrète que celui de la prestation de services, les externalités sociétales et
environnementales de l’industrie peuvent être plus apparentes ; l’industrie court ainsi un
risque plus important d’attirer l’attention des parties prenantes. Cependant, si la société civile
aiguise sa sensibilité au développement durable et/ou si des systèmes d’évaluation
systématique se développent, les organisations de services feront vraisemblablement l’objet
d’une vigilance comparable à celle supportée par les firmes industrielles.
1
A ce sujet, le centre de recherche Novethic a proposé une typologie des différents positionnements stratégiques
face au développement durable, dans son étude intitulée « Impact du développement durable dans la stratégie
des grandes entreprises », novembre 2002.
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Le modèle des ressources et compétences, prolongé par le cadre analytique des capacités
dynamiques, accorde une place prépondérante aux ressources humaines. A ce titre, l’accent a
été mis, ces dernières décennies, sur les connaissances organisationnelles et l’apprentissage,
ce qui renforce cette prépondérance. Le courant des Relations Humaines et, plus spécialement
les théories de la motivation, reconnaissent les enjeux afférents au bien-être et à l’implication
du personnel. Notamment, la théorie de l’autodétermination (Deci et Ryan, 2000) établit un
lien direct entre le degré de motivation et le comportement apprenant des individus. Dans la
mesure où l’apprentissage stimule la capacité d’innovation, la composante relative aux
ressources humaines joue un rôle fondamental dans l’élaboration stratégique. Le
développement durable implique, en conséquence, une prise en compte aussi fidèle que
possible des besoins et attentes des salariés, dans les critères de décision et dans les actions
qui en découlent.
Une première section tente de spécifier les besoins et attentes actuels des salariés et
montre en quoi ces éléments appellent la configuration de forme J. Nous avançons, dans un
second temps, que les conditions de la firme J sont instables : des décisions contraires à la
satisfaction du personnel, peuvent s’imposer. Les managers recherchent cette satisfaction,
dans la limite des choix jugés compatibles avec les priorités qu’ils attribuent à leurs diverses
responsabilités (y compris celle d’assurer la rentabilité et la solvabilité de l’organisation). Ce
pragmatisme managérial admet difficilement l’existence d’une corrélation positive entre le
développement durable et la performance financière, sans pour autant découler de l’idéologie
libérale. Il fournit, au demeurant, une interprétation des écarts existant entre les déclarations
d’intention et les pratiques effectives, en matière de développement durable.
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En ligne avec cette combinaison, considérer le personnel comme un groupe unifié est peu
réaliste. Nous proposons de distinguer entre un premier sous-ensemble composé d’individus
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Ce mode de recrutement, interne, rassure les managers quant à la capacité d’un candidat à
satisfaire les exigences de l’emploi proposé. Ceci relève d’une problématique d’économie de
la qualité (Karpik, 1989) : une asymétrie d’information à la défaveur du recruteur, incite ce
dernier à adapter son comportement en vue de réduire son incertitude quant à la qualité du
candidat. D’abord, le recruteur peut chercher à s’informer a priori sur le candidat, le moyen le
plus fréquemment mobilisé étant le triptyque ‘CV, lettre de motivation, entretien’. Mais ces
outils n’ont qu’une fiabilité limitée (Lévy-Leboyer, 2002). Par ailleurs, les managers
recourent à ces techniques d’une façon conventionnelle, laquelle « dispense chacun de porter
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Au niveau économique, la firme J est engagée dans un effort pour mieux s’insérer dans un
champ de forces concurrentielles en constante évolution. Ceci correspond aux concepts de
métier recherché (Lewkowicz, 2006) et d’exploration (March, 1991), lesquels impliquent la
recherche, la variation, la prise de risque, l’expérimentation, le jeu, la flexibilité, la
découverte, l’innovation. Par ailleurs, l’organisation de forme J se distingue par son système
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La mise en place d’indicateurs diversifiés n’est toutefois pas suffisante pour assurer un
développement durable. D’une part, de tels indicateurs sont parfois présents, alors même que
la création de valeur à court terme demeure prioritaire. Par exemple, dans une organisation de
service public, la rapidité de versement des subventions accordées est plus importante que les
indicateurs mesurant la pertinence de ces subventions (tels qu’a priori, les caractéristiques des
projets sollicitant les fonds et, a posteriori, les créations d’emplois ou les innovations
résultantes). Ceci découle du souhait, émanant des dirigeants, que ceux qui les ont nommés
soient réélus. Il est donc nécessaire d’examiner le poids des indicateurs, afin d’établir un
diagnostic correct de la configuration. D’autre part, même lorsque aucune prépondérance ne
biaise la gestion de l’organisation, le développement durable requiert l’exploration (March,
1991), ce que la firme J met en œuvre. Selon le cas, l’élaboration de solutions plus économes
en ressources, plus respectueuses de l’environnement, plus équitables envers les personnes,
mieux compatibles avec l’instauration de relations de confiance entre clients et fournisseurs,
distributeurs et producteurs,… est à ce prix. A l’inverse de l’exploration, l’exploitation
(March, 1991) indique un ancrage mental, conduisant à conserver les technologies héritées du
passé. Plusieurs cas, dont ceux des entreprises Polaroïd et France Télécom (jusqu’à
récemment), en sont des exemples significatifs. Un développement durable est peu
vraisemblable en présence d’un tel ancrage.
Les caractéristiques de la firme J, telles que nous venons de les définir, apparaissent les
mieux adaptées à l’esprit du développement durable. Toutefois dans une seconde section,
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nous suggérons que ces caractéristiques sont instables. La configuration de forme J est un cap
difficile à tenir pour les organisations.
Comme nous l’avons vu, la firme J motive les individus, en reconnaissant la valeur de
leurs connaissances tacites et en recherchant la diffusion de ces connaissances à l’ensemble de
l’organisation. Mais cette diffusion nécessite que les connaissances tacites locales soient
explicitées (Nonaka, 1994). Les savoirs tacites sont fortement liés au contexte dans lequel ils
se sont développés (Brown et Duguid, 1991) ; la connaissance de ce contexte conditionne
l’appropriation de ces savoirs. Ainsi, le transfert de ces connaissances dans un contexte
étranger, prive leurs destinataires d’une part importante de leur signification. Il en résulte des
difficultés d’interprétation et donc, d’application de ces connaissances. Une phase
intermédiaire d’explicitation des connaissances, améliore la transférabilité des connaissances
tacites.
Cet effort d’expression des savoirs d’action doit être entrepris soigneusement. La qualité
de cette abstraction détermine celle de la diffusion des savoirs. Or, l’abstraction est le
domaine des détenteurs de connaissances théoriques, lesquels disposent d’une expertise dans
l’explicitation de l’action. En conséquence, la firme J doit valoriser les connaissances
théoriques au même titre que les connaissances tacites. Elle est tributaire des deux types de
savoirs, la domination de l’un sur l’autre condamnant le processus de création de
connaissances et le maintien en forme J. Ainsi au quotidien, les managers doivent décider de
l’allocation des ressources entre les activités génératrices de connaissances tacites et celles
génératrices de connaissances abstraites. Cependant, les dirigeants éprouvent parfois des
difficultés à renoncer à un contrôle sur les processus, lequel est facilité par l’implémentation
de procédures explicites. Dans une multinationale américaine de haute technologie, les
décisions dont l’impact perçu par le sommet stratégique est élevé, interviennent dans une
logique top-down bureaucratique aboutissant à la mise en place d’outils standardisés,
déstabilisant une organisation par ailleurs proche du modèle de la firme J. Les répercussions
de telles décisions accentuent, en cascade, cette instabilité. En somme, la stabilité de la firme J
dépend de celle des rapports de pouvoir dans l’organisation.
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Figure 2 - The Integrated Knowledge-Based View of the Firm (Kaplan et al., 2001)
Par ailleurs, la logique d’innovation poursuivie par la firme J, passe par une activité de
recherche laquelle implique des compétences théoriques. La valorisation des connaissances
tacites peut se révéler être une stratégie destinée à maintenir la paix sociale (plutôt qu’une
véritable conviction de l’intérêt de cette valorisation). Dans ce cas, les managers encouragent,
de fait, les connaissances théoriques. Dans ce cas, la firme J n’existe que dans les déclarations
d’intention. Inversement, si la valorisation des connaissances tacites est réelle, l’attention des
managers risque d’être détournée des détenteurs de connaissances théoriques. Dans cette
situation, et dans la mesure où les connaissances pratiques sont tournées vers l’exploitation,
l’innovation peut être compromise. Il s’agirait alors d’un « coup de force » dont les
détenteurs des connaissances pratiques sont les auteurs. Les dirigeants éprouveront alors des
difficultés à conserver la forme J d’organisation. Le ralentissement de l’innovation
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Est-ce à dire que la firme J soit la seule à être soumise à cette instabilité ?
Dans une seconde partie, au cours de laquelle nous rendons compte des premiers résultats
de notre examen des mécanismes du changement configurationnel, nous allons, précisément,
tenter de montrer que toute forme d’organisation est plongée dans un processus de
désalignement/réalignement.
Le modèle de Lam (2004), décrit plus haut, propose quatre configurations se caractérisant
par l’alignement entre des valeurs spécifiques prises par les quatre niveaux (cognitif,
organisationnel, sociétal et stratégico-économique).
A
B
A
B
A
B
A
B
C D
C D
C D
C D
Légende : ce modèle identifie quatre configurations organisationnelles (A, B, C et D). Chaque configuration se
compose de quatre couches : un noyau cognitif, un manteau organisationnel, une croûte sociétale et une
enveloppe économique. Pour chaque configuration « pure », les quatre couches s’alignent en prenant des formes
cohérentes entre elles (A, A, A, A ; B, B, B, B,…).
Au cours de notre étude pilote, nous avons adopté une démarche exploratoire et inductive,
en vue d’examiner les mécanismes du changement de configuration. Notre stratégie de
recherche, à base de quatre études de cas, nous a conduits à rechercher une interprétation de
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ce changement. Les données du terrain ont fait émerger l’hypothèse d’un désalignement des
quatre composantes, comme amorce du processus de changement. Nous consacrons la
première section à l’introduction de ce concept. La seconde section identifie les freins au
changement configurationnel, lesquels alimentent alors un réalignement des composantes. Le
résultat de la tension entre désalignement et réalignement détermine, par hypothèse,
l’évolution de configuration : variation ou rétention.
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Nous réalisons ce diagnostic des états stables, à partir de données collectées auprès de
quatre organisations. S’agissant d’un travail exploratoire et inductif, ces dernières ont
néanmoins été sélectionnées parce qu’elles vérifient les hypothèses du modèle de Lam (2004)
étendu (Lewkowicz, 2006). En particulier, les valeurs prises par les quatre
composantes configurationnelles de ces entités, appartiennent à une même configuration-type.
En somme, il s’agit d’une première spécification de la population à laquelle nos conclusions
seront susceptibles d’être généralisées (Eisenhardt, 1989).
Par ailleurs, il existe un changement de type II, désignant les changements qui déclenchent
le passage d’un quadrant à l’autre du modèle de Lam (2004). Ainsi, on peut concevoir qu’une
formalisation progressive d’une structure adhocratique finisse par la transformer en
bureaucratie professionnelle. Ce changement pourrait, certes, s’accompagner d’un
apprentissage en double boucle. Il ne s’y réduit pourtant pas. Dans le cadre de cet exemple, le
maintien des choix relatifs aux positionnements sur le marché et donc des valeurs soutenant
les théories en usage, pourrait très bien accompagner le passage de l’adhocratie à la
bureaucratie professionnelle. Ainsi, le changement de type II est également compatible avec
un apprentissage en simple boucle. En définitive, types d’apprentissage et types de
changement sont des catégories conceptuelles différentes.
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1. Alignement
stable 3. Nouvel
alignement
B
B
B
B
A
AA
A
B
B
B
2. Dé
Désalignement
A
Figure 4 – Le désalignement
En effet, les composantes gravitent autour d’un idéal-type, sans lui correspondre
parfaitement. Une comparaison intéressante est, ici, celle de la structure d’un atome (figure 5).
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Nous prenons pour acquis que toute organisation se rapproche d’une configuration-type
théorique. Les composantes cognitive, organisationnelle, sociétale et stratégico-économique
constituent la couche externe, observable, de cette configuration. Chaque composante prend
une valeur réelle proche de – mais toujours inégale à – sa valeur théorique. De plus, cette
valeur réelle varie en permanence, autour de sa valeur théorique. Ainsi, ce que nous avons
qualifié d’état stable dispose, néanmoins, d’une dynamique interne. Par suite, une composante
tout en gravitant autour de sa configuration-type, peut s’approcher d’un autre idéal-type. La
composante se trouve alors dans le champ d’attraction de deux idéaux-types, ce qui créé une
tension. Si la nouvelle configuration-type parvient à s’emparer de la composante limitrophe,
la configuration précédente est déstabilisée. Un changement configurationnel s’initie sous la
forme d’un désalignement. On peut extrapoler la configuration d’arrivée comme étant la celle
ayant capté la composante désalignée.
Composantes
Idéal-type
TENSION
A travers cette représentation, nous espérons montrer que la distance séparant les variables
observées (les composantes configurationnelles) du concept mesuré (la configuration-type)
comporte, lorsqu’elle est contrôlée, un intérêt méthodologique pour étudier le changement.
Cette approche imparfaite du concept par les variables, nous a mis sur la piste d’une nouvelle
interprétation du changement configurationnel, fondée sur le concept de désalignement. Ainsi,
pour chacune des organisations examinées ci-après, cette imperfection nous permet de
diagnostiquer à la fois la configuration-type initiale et celle d’arrivée. Comme nous l’avons
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2000). Dans le cas contraire, une logique d’échange se met en place, réductrice du conflit,
mais sans influence sur l’acceptabilité du changement. On aboutit à un réalignement et,
finalement, un immobilisme configurationnel. Ce frein au changement est donc caractérisé par
une non-effectivité de la prise de décision.
CONCLUSION
Au titre des facteurs spécifiques, les caractéristiques qui font de la firme J la mieux
adaptée au développement durable peuvent être amenées à s’essouffler. De plus, au titre des
facteurs généraux, se trouve le phénomène du désalignement.
Ces observations tendent à légitimer l’écart existant entre les déclarations d’intention et les
faits. Puisque l’action socialement responsable n’est pas toujours possible (en raison des
facteurs d’instabilité de la firme J), si le discours permet de retarder l’apparition (et de réduire
les conséquences) d’une suspicion autour du comportement de l’organisation, faut-il le
reprocher aux managers ?
Enfin, les exigences sociétales sont contingentes. Les attentes sociétales notamment,
diffèrent fortement selon les Etats. Un risque de dumping sociétal existe, lequel pourrait
considérablement aggraver la difficulté des pays occidentaux à endurer le développement
durable. De même, les exigences du développement durable varient dans le temps. Les
innovations sociétales, découlant de stratégies volontaristes, débouchent sur une évolution des
attentes des parties prenantes.
En somme, la firme J est la configuration la mieux adaptée pour répondre aux attentes
actuelles, dans les pays occidentaux. Cette conclusion pourrait elle-même s’avérer instable
dans le temps et dans l’espace.
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