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INGT SIECLES DE CHRISTIANISME

L'EGLISE AU MOYEN AGE


En 636, Isidore de Séville est mort, ayant achevé son oeuvre de rassemblement du savoir
antique et patristique. L’année précédente, l’armée musulmane a ravi Damas à l’Empire chrétien de
Byzance, et Damas va devenir la capitale d’un Empire arabo-islamique, qui s’empare de la ville sainte
de Jérusalem dès 638.
En 1453, Constantinople1 tombe aux mains des Turcs. Un ou deux ans plus tard (la date exacte
reste incertaine), la première Bible imprimée paraît à Mayence. Mais ce n’est qu’en 1492 que la
chrétienté espagnole achèvera sa reconquête en prenant Grenade, et que Colomb découvrira un Nou-
veau Monde.
Entre ces deux époques, plus de huit siècles. Moins encore qu’ailleurs il n’est possible de tout
raconter. On mettra donc en valeur quelques moments et quelques thèmes. Il a fallu choisir.

1. Les conséquences de la conquête arabo-musulmane.

En un siècle, à partir de 632 (mort du Prophète), les armées arabes ont porté l’Islam loin dans
toutes les directions. Des régions profondément christianisées ont été ainsi submergées, au Proche-
Orient bien sûr, mais aussi par la rive sud de la Méditerranée jusqu’en Espagne, presque totalement
soumise (quelques cantons résistent dans les Asturies) et jusqu’à Poitiers où une incursion arabe est
arrêtée en 732. Pour le monde chrétien, les conséquences sont considérables.

Les chrétiens sous domination musulmane.


Selon le Coran, les musulmans, qui peuvent mettre à mort les païens qui s’obstinent dans le
polythéisme, doivent respecter les "gens du Livre", juifs et chrétiens, et les protéger. Cette protection
ne va pas sans dispositions particulières onéreuses et à l’occasion humiliantes : impôt spécial, vête-
ments distinctifs, interdiction d’aller à cheval, etc. Les enfants d’un musulman et d’une chrétienne (les
noces dans l’autre sens sont interdites) sont automatiquement musulmans, et comme l’apostasie d’un
musulman est passible de mort, cette disposition a fait des martyrs lorsque des enfants ont voulu suivre
la religion de leur mère, ou lorsque d’anciens chrétiens ont voulu revenir sur une conversion à l’Islam
quelque peu provoquée. Cela s’est produit même dans cette Andalousie musulmane souvent présentée
comme un lieu idéal de coexistence. La pression officielle ou de fait exercée sur les chrétiens a varié
selon les lieux et les époques. Le désir d’échapper à l’impôt spécial a pu inciter des chrétiens peu
convaincus à changer de religion, et l’intérêt financier pousser au contraire l’Etat arabo-musulman à ne
pas trop rechercher les conversions. D’ordinaire, les chrétiens restent majoritaires au cours du siècle
qui suit la conquête, mais bientôt leur importance relative dans la population diminue, de manière
variable selon les régions.
On renonce ici à exposer dans le détail ce que sont devenues les Eglises chrétiennes des régions
que nous appelons maintenant l’Irak et l’Iran. Elles se sont étiolées peu à peu au cours des siècles.
C’est en Irak qu’elles se sont le mieux maintenues, jusqu’à nos jours. L’Eglise nestorienne, en particu-
lier, n’a pas mis fin aussitôt à ses entreprises missionnaires vers l’Orient, comme l’atteste une stèle
découverte dans la capitale de la Chine de cette époque, et gravée en 781.

1
Byzance est le nom que la ville portait avant sa refondation par Constantin en 330, et le nom qu'on continue à donner à
l'Empire dont elle fut la capitale.
1
En Syrie-Palestine, où l’hostilité à la domination byzantine était vive, la conquête arabe n’avait
pas été mal accueillie, et des chrétiens occupèrent de hauts postes administratifs auprès des premiers
califes de Damas. Le père de saint Jean de Damas fut l’un d’entre eux. Les monastères demeurèrent
nombreux, les pèlerinages et les fêtes célébrés avec solennité (et les musulmans ne dédaignaient pas de
participer aux réjouissances), de nombreux ouvrages de controverse, de théologie et de spiritualité
furent écrits, constituant une littérature chrétienne arabe peu connue en Occident. La vitalité de cette
chrétienté, issue directement des premiers disciples mais divisée en multiples fractions sur des bases
doctrinales (orthodoxie, nestorianisme, monophysisme) et linguistiques, n’a pu empêcher une lente
érosion : sauf au Liban, les chrétiens sont aujourd’hui moins de dix pour cent dans ces régions.
En Egypte, le patriarcat d’Alexandrie, traditionnellement rival de celui de Constantinople, avait
choisi massivement le monophysisme. Sa cohésion ne l’a pas empêché, certes, de devenir minoritaire
dans une Egypte arabisée et progressivement islamisée, mais les coptes, comme on les appelle désor-
mais, ont résisté à la pression ambiante et à des périodes difficiles. Ils constituent aujourd’hui la
communauté la plus massive de chrétiens en monde arabe, quelque six millions. Avec le recul du
temps, aussi bien Rome que Constantinople ont reconnu récemment que les divergences doctrinales ne
sont plus exactement ce qu’on avait pensé et que la foi au Christ Dieu et homme de cette Eglise
"monophysite" est substantiellement la même que la nôtre sous une expression différente. L’Eglise de
saint Athanase et de saint Cyrille a maintenu vigoureusement notre foi dans le pays qui, avec
l’Université al Azhar, est aussi depuis la fin du dixième siècle le haut lieu de la pensée musulmane.
De l’antique chrétienté africaine de saint Cyprien et de saint Augustin, il n’est rien resté. La
conquête musulmane avait rencontré une forte résistance durant une trentaine d’années dans le nord de
l’actuelle Tunisie. C’est ensuite que le ressort s’est cassé. En Afrique du Nord, on compte une quaran-
taine d’évêques au huitième siècle, cinq en 1053, deux en 1076. Les derniers chrétiens disparaissent au
début du douzième siècle.
La péninsule ibérique ne fut pas conquise entièrement. Un petit réduit chrétien indépendant
réussit à se préserver dans les Asturies (bataille de Covadonga, 722) : il fut la base de la Reconquête,
qui dura plus de sept siècles. L’Andalousie musulmane fut longtemps un lieu d’échanges culturels où
dialoguaient juifs, chrétiens et musulmans. Avec le temps, il se produisit un phénomène curieux mais
compréhensible : à mesure que la Reconquête progressait vers le sud, le christianisme s’affaiblissait
dans les régions encore régies par des souverains arabes, car les chrétiens, lorsqu’ils s’y trouvaient en
difficulté, avaient de plus en plus le recours d’une émigration vers le nord. Les traditions du christia-
nisme de l’ancienne Espagne wisigothique, perpétuées par l’Eglise sous domination arabe (c’est ce
qu’on appelle le christianisme mozarabe) disparurent ainsi peu à peu, tandis que les royaumes chrétiens
du nord adoptaient les rites et les traditions du christianisme d’outre-Pyrénées et de Rome.

Rétrécissement et fragmentation du monde chrétien.


Au moment de la conquête arabe, la chrétienté ne dépassait pas au nord le Rhin et le Danube, la
Grande-Bretagne relevait encore largement de la mission. L’amputation fut énorme, les terres perdues
représentaient à peu près la moitié du monde chrétien. Certes, on l’a vu, il restait des chrétiens et des
Eglises en zone musulmane, mais leur participation à la vie de l’Eglise universelle était compromise et
devenait intermittente : c’était le cas des antiques patriarcats d’Alexandrie, d’Antioche et de Jérusalem.
En zone chrétienne, Rome et Constantinople restaient seuls face à face, et entre eux la Méditerranée ne
constituait plus une voie sûre de communication. Simultanément la descente des Slaves, alors païens,
sur les Balkans et même jusqu’en Grèce, enfonçait un coin entre les deux villes sur la route terrestre.
Chacun était plus préoccupé par le danger proche, en Espagne, en Méditerranée centrale, ou face à la
Syrie des califes, que par ce qui se passait à l’autre extrémité de la chrétienté. Le latin était demeuré
jusqu’alors la langue de l’administration impériale byzantine, il céda la place au grec. Lorsque vinrent,
plus tard, les crises les plus graves entre l’Orient et l’Occident chrétiens, l’habitude de vivre ensemble,
de réagir ensemble aux problèmes, de penser ensemble, était déjà largement perdue.

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Un mauvais exemple ? Conquête et reconquête, djihad et croisade.
Même lorsque l’Empire Romain était devenu chrétien et avait interdit le paganisme sur son
territoire, jamais il n’avait eu l’idée d’élargir ses frontières pour faire progresser la foi. Etait-ce par
vertu ou par impuissance militaire? Peu importe. L’initiative de ce genre de conquête revint aux
premiers successeurs du Prophète. La leçon ne fut pas perdue, notamment par Charlemagne, qui ira
plus loin encore en imposant aux Saxons vaincus le choix entre le baptême et le massacre.
Certes, la forme guerrière de la lutte pour Dieu, ou djihad, n’en est pas, nous disent les musul-
mans, la forme la plus haute ; la lutte sur soi-même lui est supérieure. Il n’empêche que c’est le djihad
guerrier et conquérant que la chrétienté médiévale a dû affronter et subir. Que quelques villes chrétien-
nes aient capitulé sans bataille n'y change rien : c'était toujours une armée qui avançait. La conquête
appelle la reconquête, le djihad suscite en retour la croisade. La guerre, hélas ! est devenue sainte.

Les chemins détournés de la culture.


L’expansion arabe n’a pas eu sur la chrétienté que ces conséquences néfastes. Les conquérants
musulmans, indifférents et même méfiants à l’égard de la culture grecque sous son aspect littéraire, ont
senti très vite qu’en matière de sciences, d’astronomie, d’agronomie, de médecine, ils pouvaient
apprendre beaucoup de leurs nouveaux sujets. Ils ont fait traduire de nombreuses oeuvres techniques
héritées de l’Antiquité grecque, et parmi ces textes il faut compter les traités philosophiques, principa-
lement ceux d’Aristote, qui s’occupent des règles de la pensée et de la connaissance vraie : il y a une
prépondérance de la logique dans l’intérêt porté par les arabes à la philosophie antique. Les chrétiens
de Syrie et d’Egypte, lorsqu’ils eurent appris la langue de leurs maîtres, furent ces traducteurs. De là,
cette culture antique de caractère philosophique et technique alla irriguer l’Espagne arabe, où elle fut
abondamment lue et commentée, et c’est de là qu’au bout de plusieurs siècles elle viendra stimuler,
non sans controverses, la réflexion de nos grands scolastiques de l’âge d’or de la chrétienté médiévale.

2. La renaissance carolingienne.

Lorsque Pépin, le père de Charlemagne, déposa en 751 le dernier roi mérovingien et fut lui-
même sacré roi des Francs par le légat du pape (ce fut le premier sacre de notre histoire), ce ne sont pas
seulement les institutions politiques et la société qu’il fallait relever de leur déliquescence, l’Eglise
aussi était en piteux état.
Rome et la papauté se trouvaient sur un territoire resté officiellement jusque-là partie intégrante
de l’Empire byzantin, mais celui-ci était bien incapable de les défendre contre les empiétements de
nouveaux envahisseurs d’origine germanique, les Lombards, et le pape avait dû faire appel à Pépin. En
pays franc, l’institution ecclésiastique était désorganisée, la plupart des églises de la campagne étaient
propriété privée d’un seigneur (le système féodal commence à se constituer) qui nommait le curé, pris
souvent parmi ses serfs, et l’évêque n’avait guère d’autorité sur ces curés. Des évêques de leur côté
s’étaient approprié les revenus d’abbayes, ou ceux-ci avaient été donnés par l’autorité royale à des laïcs
en récompense de leur service en armes contre les Sarrasins.
C’est outre-Manche que l’Eglise manifestait le mieux sa vitalité : après les Celtes d’Irlande,
très actifs autour de 600 (c’était alors que saint Colomban était allé fonder des monastères en France et
en Italie), les Anglo-Saxons avaient pris le relais. Les héritiers de saint Augustin de Cantorbéry ne se
contentèrent pas de parachever la mission chez eux autour de nombreux monastères, mais ils allèrent
sur le continent évangéliser leurs cousins germaniques encore païens. Le moine puis évêque Winfrith,
qui prit le nom de Boniface lors d’un séjour à Rome, reste le plus illustre et le plus efficace de ces
missionnaires, mais il ne fut pas le seul. De la Frise à la Bavière, il fonda des évêchés et des abbayes. Il
mourut martyr en 754, massacré en Frise au cours d’une tournée de prédication. Rome avait envoyé
saint Augustin en Angleterre, et maintenant saint Boniface en Allemagne : les Eglises fondées dans ces
conditions ne se posaient pas la question de l’autorité romaine à leur égard, celle-ci allait de soi.
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L’effort de Charlemagne et d’Alcuin.
Entre temps Boniface, en tant que légat du pape, avait aussi aidé Pépin à mettre en train la
réorganisation de l’Eglise franque. C’est aussi d’un monastère anglais que sortit Alcuin, le principal
des conseillers dont s’entoura Charlemagne. Celui-ci mena de front, et considéra comme une unique
tâche, l’organisation d’un Etat et d’une administration dignes de ce nom, et la réforme de l’institution
ecclésiastique en vue d’une meilleure cohésion, d’une meilleure formation, d’un meilleur encadrement
de la vie religieuse, familiale et sociale. Faute de pouvoir tout dire, on ne retiendra que ce qui a eu des
conséquences durables.
Quand on parle de "renaissance carolingienne", on pense avant tout à la renaissance de la vie
culturelle. La langue courante s’éloignant de plus en plus du latin, et celui-ci étant seul à être écrit, il
n’y avait plus guère dans la vie laïque que des illettrés (Charlemagne lui-même !). Certains prêtres se
débrouillaient eux aussi assez mal, en dehors des textes les plus courants de la messe et des psaumes.
Sous l’impulsion d’Alcuin, on revivifia les études autour des monastères : on initia aux lettres les fils
des seigneurs illettrés, on intensifia la copie des manuscrits, on pratiqua un meilleur latin, ce qui eut
d’ailleurs pour conséquence d’élargir encore le fossé entre la langue savante et la langue courante,
jusqu’à la reconnaissance de l’autonomie de la seconde lorsqu’en 842 les petits-fils de Charlemagne
rédigent le "serment de Strasbourg" en vieux français et en vieil haut-allemand. Ce bilinguisme subsis-
tera pendant tout le Moyen Age en Occident, mais le latin y demeurera l’unique moyen de communica-
tion en matière religieuse, favorisant les débats d’idées et les pérégrinations de professeurs de l’Ecosse
ou l’Italie jusqu’à Paris ou Cologne. Quant à la transmission de la littérature patristique, pour ne pas
parler ici de l’antiquité classique, elle doit beaucoup aux ateliers de copistes carolingiens.
C’est aussi à cette époque que triomphe définitivement en Occident la Règle monastique de
saint Benoît. Elle avait pendant tout un temps subi la concurrence de la Règle de saint Colomban, plus
austère, faisant moins de la communauté monastique une famille. D’autres monastères suivaient des
coutumes locales. La vie monastique selon saint Benoît, centrée sur la prière et le travail de frères
d’abord majoritairement laïcs, avait peu à peu évolué : les moines y étaient devenus des clercs, lon-
guement occupés par la liturgie, donnant une large part de leur travail à des activités intellectuelles, à
l’enseignement, à la reproduction de manuscrits, tandis que des domestiques travaillaient le domaine.
Charlemagne, en imposant qu’il n’y eût plus d’autre règle que celle de Benoît, entérina une évolution
pratiquement achevée. Il s’appuya sur Benoît d’Aniane, fondateur d’abbayes et commentateur de la
Règle. Louis le Pieux, le fils de Charlemagne, fit de même et, avec Benoît, convoqua en 817 à Aix-la-
Chapelle un synode de tous les abbés de l’Empire, qui approuva un livre de constitutions monastiques
pour une meilleure application de la Règle. Peu après, Louis décidait le partage des revenus de la
propriété monastique en deux portions, dont l’une était attribuée à l’abbé, l’autre à la communauté des
moines. C’était mettre ceux-ci à l’abri des détournements lorsque des abbayes étaient attribuées à des
laïcs ou à des évêques, une pratique à laquelle on ne renonça pas. Les conclusions et l’esprit de
l’assemblée de 817 continuèrent à influencer la vie bénédictine dans les siècles suivants.
Au nord-est l’évangélisation des Saxons, pour brutale qu’elle ait été, se révéla durable. Au sud-
ouest, le réduit asturien tenait bon face à l’émirat musulman de Cordoue, et même s’élargissait de la
Galice aux Pyrénées, tandis que les armées de Charlemagne établissaient au sud des Pyrénées une
"Marche d’Espagne" autour de Barcelone. L’embuscade de Roncevaux, imputable aux Basques plutôt
qu’aux Arabes, eut plus de fortune littéraire que de conséquences historiques.
En Italie, Pépin puis Charlemagne remettent entre les mains du pape, qu’ils ont délivré de la
pression lombarde, le gouvernement de la région de Rome et ajoutent à cela la donation d’un territoire
autour de Ravenne et Rimini, arraché aux Byzantins par les Lombards et maintenant repris à ceux-ci.
C’est le début des Etats Pontificaux. L’avantage était de soustraire le titulaire de la chaire de Pierre à la
souveraineté de l’empereur de Byzance (en 653 un pape, qui avait déplu à l’empereur en condamnant
vigoureusement une hérésie que le prince voulait ménager, s’était retrouvé arrêté, condamné et déporté
en Crimée où il mourut), sans l’assujettir cependant au nouvel empereur d’Occident, titre que Charle-
magne rétablit en 800 à son profit avec la bénédiction du pape. L’inconvénient était de transformer le
pape en souverain d’un territoire, ayant les mêmes soucis et les mêmes tentations qu’un prince, mais ce
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fut d’autant moins aperçu alors que depuis trois siècles au moins le malheur des temps avait souvent
contraint papes et évêques à prendre en mains les intérêts et parfois la subsistance de leurs ouailles à la
place de l’autorité civile défaillante.
Les responsabilités respectives du pape et de l’empereur franc, protecteur de l’Eglise, n’avaient
pas reçu de définition précise. Telle lettre de Charlemagne au pape ferait presque de ce dernier un
simple Grand Aumônier de l’Empire : "Il m’appartient de défendre au-dehors et de tous côtés la sainte
Eglise du Christ contre les incursions païennes et les dévastations commises par les infidèles et, au-
dedans, de renforcer la foi catholique en l’énonçant clairement et en m’y soumettant. A vous il appar-
tient, élevant vos mains vers Dieu comme Moïse, de soutenir notre bras afin que par votre intercession
... le peuple chrétien puisse partout et toujours triompher de ses ennemis."
Charlemagne, ou ses conseillers, intervinrent même dans les débats théologiques, de manière
assez peu heureuse. En Espagne, dès la fin du 6ème siècle, au moment où le roi wisigoth Reccarède
abandonnait l’arianisme pour rejoindre l’orthodoxie catholique de ses sujets, on avait introduit dans la
récitation du Credo de Nicée-Constantinople une addition : au lieu de dire que l’Esprit "procède du
Père", on ajoutait "et du Fils", en latin Filioque. On voulait probablement par là mettre en relief la
parfaite égalité du Fils avec le Père, contre tout retour de tentations ariennes. D’Espagne, l’usage du
Filioque était passé en France. Rome, qui ne récitait pas le Credo à la messe, continuait à l’ignorer. A
un moment de tension avec l’impératrice régente de Byzance, Irène, Charlemagne demanda à ses
théologiens de s’en prendre aux erreurs des Grecs. Pour Alcuin et ses collaborateurs, le Filioque faisait
partie de l’héritage, ils ne comprenaient pas pourquoi il manquait dans la profession de foi des Orien-
taux, et ils les attaquèrent là-dessus.
Le pape Adrien 1er objecta que le texte adopté jadis en concile de toute l’Eglise ne comportait
pas Filioque, et que le reproche n’était pas fondé. Plus tard, malgré l’insistance des théologiens francs
qui avaient même réuni un concile à Aix-la-Chapelle, le pape Léon III, sans nier l’orthodoxie du
Filioque, persista dans son refus de changer l’usage romain. Le Filioque resta absent de la liturgie à
Rome pendant un ou deux siècles encore, le conflit avec l’Eglise d’Orient fut évité, mais le mal était
fait, les théologiens byzantins avaient été alertés : non seulement ils ne pouvaient accepter (c’est bien
normal) qu’une partie du monde chrétien ajoute quelque chose au Credo sans l’accord de l’autre et sans
un concile universel, mais cela les porta à soupçonner en retour les occidentaux de vouloir rendre
l’Esprit inférieur au Fils, ce qui n’était ni leur intention ni un effet obligé de l’addition. La controverse
ne rebondirait que plus tard.

En Orient : la crise iconoclaste et la victoire des images.


L’Orient chrétien était il est vrai occupé alors par une crise majeure. La crise iconoclaste dura
plus d’un siècle, de 726 à 843. Ses origines demeurent obscures pour les historiens. L’empereur Léon
III la déclenche en faisant détruire une image du Christ très vénérée qui surmontait la porte de son
palais. S’appuyant sur des textes de l’Ancien Testament, ses théologiens proscrivent comme idolâtri-
que toute représentation du Christ ou des saints. Le patriarche Germain dut démissionner, faute de
s’être laissé convaincre. Sous Léon et plus encore sous son fils Constantin V, les "briseurs d’images"
(tel est le sens du mot "iconoclaste ") se déchaînèrent, et remplacèrent partout où ils le purent peintures
et mosaïques par de simples croix. La résistance vint surtout du petit peuple, dont la dévotion sincère
avait besoin de cet appui sensible, et des moines, plus indépendants et plus déterminés que les évêques
à l’égard des interventions du pouvoir dans la vie de l’Eglise ; elle trouva aussi un ferme soutien à
l’extérieur, en pays arabe, chez le patriarche Jean de Jérusalem et le théologien Jean de Damas.
L’iconoclasme fit des martyrs parmi les moines.
La violence s’arrêta avec la mort de Constantin en 775. En 787, l’impératrice Irène put réunir le
second concile de Nicée, qui justifia la vénération des images. Il est reconnu comme septième concile
oecuménique. Mais la controverse n’était pas éteinte, et une deuxième période iconoclaste, moins
brutale, dura de 813 à 843, année où un synode reconnu jusqu’à nos jours comme le "triomphe de
l’orthodoxie" légitima définitivement les images saintes.

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L’enjeu n’avait pas été mince. Certes, contre les exagérations toujours possibles de la dévotion
populaire, il était indispensable de distinguer nettement l’adoration, due à Dieu seul et s’adressant à lui
au-delà de toute représentation, et la simple vénération des images saintes, symboles d’autre chose
qu’elles-mêmes, signes pour nous de Jésus Seigneur et Sauveur ou de la grâce de Dieu ayant opéré
dans ses saints. Mais, ceci acquis, le rejet radical de toute représentation du Christ mettait en péril le
sérieux de l’Incarnation : les théologiens vivant au contact de l’Islam, qui précisément refuse l'incarna-
tion de Dieu en la personne de Jésus en même temps que toute image, ne s’y trompèrent pas. "Je ne
représente pas par une image la divinité invisible, écrivait Jean de Damas, mais je représente par une
image la chair visible de Dieu ." Au sortir de la crise, il apparut que, pour jouer pleinement son rôle de
chemin vers un authentique qui la dépasse, l’image sainte, pour légitime qu’elle soit, ne doit pas non
plus être une illustration livrée à l’imagination de l’artiste, d’où les règles strictes qu’appliquent
jusqu’à nos jours les peintres d’icônes, afin que celles-ci mènent au mystère sans s’y substituer ni
l’occulter. La "peinture religieuse" de nos musées et même de nos églises est autre chose : elle peut
certes nourrir la méditation, illustrer le dogme ou l’histoire sainte, elle n’est que rarement un chemin de
prière.

3. Les nouvelles nations chrétiennes de l’an mille.

Notre époque a célébré et célébrera encore plusieurs millénaires. En 966, le duc de Pologne
Mieszko décidait de se faire baptiser, en 988 Vladimir, souverain de la Russie de Kiev, en faisait
autant. Baptisé en 985, le roi de Hongrie saint Etienne ceint son front en 1001 d’une couronne que le
pape lui a envoyée, et organise dans son pays la hiérarchie ecclésiastique. C’est aussi dans les mêmes
années, à partir de la conversion vers 965 du roi de Danemark Harald, que la foi chrétienne conquiert
en quelques décennies toute la Scandinavie.
Le baptême du souverain, souvent précédé par le passage à la foi chrétienne de femmes de la
famille princière et rapidement suivi de conversions massives parmi ses sujets, c’est aussi, pour des
peuples jusque-là considérés comme des voisins instables et dangereux, le passage au statut de vérita-
ble nation parmi les nations. Le millénaire du baptême de Vladimir a été célébré, on s’en souvient,
comme le millénaire de la Russie.
Cette moisson de l’an mille est en réalité l’aboutissement d’un effort commencé depuis long-
temps. La chrétienté, amputée au sud par l’expansion arabo-musulmane, se rééquilibrait au nord.
La conviction chrétienne et le désir d’étendre leur zone d’influence se mêlaient chez les empe-
reurs byzantins et chez les successeurs de Charlemagne en pays allemand, lorsque les uns et les autres
patronnaient les entreprises missionnaires au nord de Constantinople ou au-delà de l’Elbe. Entre les
deux, le pape de Rome bénissait ces tentatives, mais la papauté échoua parfois à rendre les meilleurs
arbitrages lorsque les deux poussées évangélisatrices passèrent de l’émulation au conflit. On le vit bien
lorsque l’oeuvre de Cyrille et Méthode fut sabotée par des contestations venues de l’ouest.

Le génie trahi de Cyrille et Méthode.


Vers le milieu du 9ème siècle, alors que la plupart des Slaves ne connaissaient pas encore d’Etats
véritablement cohérents, il s’était constitué parmi eux au centre de l’Europe un Etat de Grande-
Moravie, qui débordait de tous côtés les limites de l’actuelle Moravie (partie orientale de la République
Tchèque), notamment en Slovaquie. Le prince de cet Etat, Rastislav, sans doute avec le désir
d’échapper à la suzeraineté de Louis le Germanique, envoya en 862 une ambassade à Constantinople,
afin de conclure une alliance. En même temps, il demandait qu’on lui envoie un missionnaire connais-
sant la langue de ses compatriotes : le latin que les clercs occidentaux d’origine franque voulaient
imposer ne le satisfaisait pas, et le grec ne lui aurait pas convenu non plus.
Les invasions slaves des siècles précédents étaient parvenues jusqu’en Macédoine, et toute une
population slave y demeurait à côté de la population grecque. Les deux frères Méthode et Constantin,
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nés à Thessalonique, étaient probablement de famille grecque mais connaissaient bien la langue slave
locale, et à cette époque les différences entre tous les parlers slaves étaient moins prononcées
qu’aujourd’hui. Méthode, l’aîné, s’était fait moine après une courte carrière administrative, Constantin
(qui ne prit le nom de Cyrille que lors de sa profession monastique à Rome aux derniers mois de sa
vie) avait fait de très solides études à Constantinople, sous un maître devenu ensuite le patriarche
Photios, puis il avait participé à plusieurs ambassades impériales. La cour byzantine envoya les deux
frères à Rastislav.
Avant même de quitter Constantinople, Constantin élabora un alphabet adapté aux particulari-
tés phonétiques slaves. Ce n’est pas l’alphabet appelé aujourd’hui cyrillique et utilisé avec quelques
variantes par les Russes, les Bulgares et les Serbes, mais c’en est le précurseur. Arrivés à pied-
d’oeuvre, les deux frères mirent en train la traduction de l’Ecriture et de la liturgie. Le "slavon" qu’ils
pratiquaient devint ainsi langue liturgique, et langue de culture. Cela suscita l’opposition des clercs
francs qui étaient aussi dans le pays. Soutenus par le prince, Constantin et Méthode continuèrent leur
apostolat, dans le plein respect de l’originalité nationale des Moraves.
Comme ils n’étaient pas évêques, il leur fallut repartir vers le sud, accompagnés de disciples
qu’ils voulaient faire ordonner. Au passage, ils gagnèrent le soutien d’un autre prince slave, Kocel, qui
régissait des régions actuellement croates et serbes. Arrivés à Venise, ils furent appelés à Rome par le
pape. Malgré l’opposition de ceux qui prétendaient que ne peuvent intervenir dans les fonctions sacrées
que les trois langues hébraïque, grecque et latine, seules présentes sur l’inscription mise par Pilate sur
la croix du Christ, le pape Adrien 1er donna son appui total aux deux missionnaires. Il fit ordonner
leurs disciples et célébrer la messe en slavon à Rome même, et il approuva leur travail de traduction.
Constantin devenu Cyrille fut emporté à Rome par une brutale maladie en février 869. Méthode
fut consacré archevêque de Sirmium, une ville antique maintenant sur les terres de Kocel, pour
l’ensemble des Slaves du sud et de Moravie. Malgré le soutien de Rome, qui lui fut renouvelé en 880
par le pape Jean VIII, malgré la faveur maintenue de Constantinople, Méthode ne cessa de subir, quand
Rastislav eut été déposé par son neveu, l’opposition et même les persécutions des clercs francs soute-
nus par l’épiscopat d’Allemagne du sud. Après sa mort, ses disciples et successeurs furent chassés de
Moravie. Certes, ils furent alors accueillis en Bulgarie, où ils poursuivirent leur oeuvre, mais Rome,
avec le nouveau pape Etienne V, s’était maintenant rangée du côté des adversaires du slavon, et portait
contre la liturgie en langue vernaculaire une condamnation qui allait perdurer en Occident. Il y aurait
désormais en Europe deux évangélisations concurrentes. Aujourd’hui la tombe de Cyrille, dans la
crypte de Saint-Clément à Rome, rassemble dans une commune vénération les chrétiens latins et
orientaux. Un peu tard.

La poursuite de l’évangélisation.
En Allemagne les évêchés de Hambourg, de Magdebourg et de Ratisbonne furent conçus
comme des bases de départ pour l’évangélisation des mondes scandinave et slave. Les Tchèques furent
les premiers atteints. Dans leur pays, Prague et la Bohême avaient rapidement remplacé la Moravie
comme centre de cohésion nationale. Le jeune duc Venceslas, qui avait été élevé par une grand-mère
jadis baptisée par Méthode, sainte Ludmila, accéda au pouvoir en 923 et se fit bientôt baptiser, mon-
trant un grand zèle pour l’évangélisation et la construction d’églises. Son frère Boleslas le fit assassi-
ner en 929, mais la foi chrétienne continua à progresser, et Boleslas II obtint en 975 la création de
l’évêché de Prague. Ainsi était atténuée mais non supprimée la dépendance à l’égard des évêques
allemands : Prague n’obtint un archevêque qu’au 14ème siècle.
De même, lors des conversions de la Pologne et de la Hongrie, les souverains se soucièrent
d’obtenir le plus rapidement possible la création d’une hiérarchie ecclésiastique qui ne soit plus
suffragante d’archevêques allemands, avec l’érection d’un archevêché dépendant immédiatement du
pape. On voit comment l’extension de la juridiction directe de Rome a pu dans ces circonstances être
émancipatrice pour les nouvelles nations.

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En Orient, les Bulgares, un peuple formé par la fusion de tribus slaves (dont la langue
l’emporta) et de nouveaux arrivants d’origine turque, avaient hésité entre les patronages de Rome et de
Byzance pour leur entrée en christianisme. Ce fut Byzance que préféra le tsar Boris en 865, et bientôt
l’arrivée des disciples de Méthode chassés de Moravie permit aux Bulgares d’adopter la liturgie en
slavon, qui conforta leur indépendance. Comme l’empire bulgare de Siméon (893-927) s’étendit au
nord du Danube, c’est à un même christianisme byzantin et slavon que se rallièrent les Roumains,
tandis que plus tard le christianisme latin se répandit partiellement en Transylvanie avec les Hongrois.
Longtemps les tribus slaves orientales, dispersées sur un vaste territoire du lac Ladoga à la Mer
Noire, n’avaient connu aucune unité. Lorsque se fut constitué autour de Kiev (aujourd'hui en Ukraine)
un premier véritable Etat, le grand-prince Vladimir voulut le faire entrer dans le concert des nations
européennes et se fit baptiser en 988. Il reçut de Byzance sa hiérarchie (le métropolite de Kiev dépendit
du patriarche de Constantinople) et des Bulgares l’usage du slavon dans la liturgie. La christianisation
des immenses terres russes ne si fit pas en un jour, mais l’impulsion était donnée sans retour.
Au moment où commence le onzième siècle, l’Europe du centre et du nord a presque entière-
ment rejoint dans une même religion la vieille Europe chrétienne de la Méditerranée et de l’Atlantique.
Les amputations subies au sud ont été compensées au nord, elles ne continuent pas moins d’être
ressenties comme une plaie vive, et comme une menace.

4. Orient et Occident. La rupture de 1054.

Les précédents chapitres ont marqué au passage tout ce qui séparait déjà les deux patriarcats
restés en présence en terre chrétienne libre. A l’ouest, où la querelle des images n’avait pas eu d’écho,
la prééminence du pape de Rome sur les autres évêques allait désormais de soi; le Filioque, entré
finalement dans la liturgie romaine en 1014, y paraissait traditionnel à presque tout le monde sans
qu’on se pose la question de ses origines. A l’est, dans l’Empire Romain préservé que se flattait d’être
Byzance, on se méfiait de ce que pouvaient inventer les Barbares d’Occident, on se heurtait à leur
concurrence en Europe centrale, on savait bien que les patriarcats orientaux ne devaient en rien leur
existence à Rome, à la différence des Eglises anglo-saxonne ou allemande par exemple, et on n’était
pas loin de considérer qu’en se liant à l’Empire carolingien puis allemand le pape avait trahi son
souverain légitime.
Entre patriarcats, des conflits de juridiction peuvent malheureusement conduire à des ruptures
passagères de la communion, en général assez vite réparées : notre vingtième siècle l’a encore vu
récemment entre Constantinople et Moscou à propos de l’Estonie. C’est pourquoi les conflits des
temps médiévaux n’ont pas toujours inquiété gravement leurs contemporains.
En 858, après la déposition du patriarche Ignace, jugé par la cour trop intransigeant à divers
égards, un érudit et grand savant encore laïc, Photios, fut élu avec l’appui de l’empereur. Des légats du
pape, arrivés pour un concile qui devait réitérer la condamnation de l’iconoclasme, reconnurent la
déposition et l’élection. Mais à Rome le pape Nicolas 1er, influencé par des rapports de partisans
d’Ignace, désavoua ses légats et excommunia Photios. Cela fut ressenti à Constantinople comme une
ingérence injustifiée dans les affaires de l’Eglise d’Orient, et le patriarche Photios dénonça tout à la
fois les prétentions du pape à une juridiction supérieure et le Filioque introduit en Bulgarie par des
missionnaires francs. Peu importe qu’après cela Rome et Byzance se soient retrouvées d’accord, à la
suite d’un changement d’empereur et de deux successions papales, pour réinstaller Ignace puis pour
reconnaître à nouveau Photios après la mort d’Ignace : l’événement avait montré que le pape interpré-
tait sa primauté comme lui donnant en cas de conflit le droit de juger en appel, y compris de sa propre
initiative, et cela n’était pas accepté à Constantinople. Etait-ce grave pour l’avenir ? Sur le moment on
ne le jugea pas, puisque pendant la crise la papauté n’avait pas ménagé son soutien à Cyrille et Mé-
thode, pourtant missionnaires byzantins, et que Photios rétabli dans ses fonctions se tint en accord
déférent avec le nouveau pape.

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Il ne faut donc pas s’étonner que les événements de 1054 soient passés presque inaperçus des
contemporains. Des griefs réciproques amenèrent le pape Léon IX à envoyer une ambassade à Constan-
tinople : les Grecs se plaignaient qu’en Italie du sud on cherchât à imposer aux chrétiens d’origine
byzantine les pratiques occidentales, à Constantinople le patriarche Michel Cérulaire tolérait des
violences et des sacrilèges commis contre les églises latines de la ville, tandis que Léon d’Ochrid, chef
de l’Eglise bulgare, s’en prenait dans une lettre pleine d’insultes aux pratiques romaines, comme
l’usage du pain sans levain pour l’eucharistie. Le pape souhaitait un accord, mais il commit l’erreur de
confier la direction de l’ambassade au cardinal Humbert, aussi impulsif et emporté que son vis-à-vis
Cérulaire, et si mal préparé à sa mission qu’il fit entrer dans la polémique le Filioque, dont il n’avait
pas été question, en accusant à tort les Grecs de l’avoir effacé du Credo !
Le heurt de ces deux personnalités fut violent. Le 13 juillet 1054, Humbert prononça dans la
basilique Sainte-Sophie l’excommunication du patriarche, et déposa la sentence sur l’autel. Le patriar-
che répliqua en faisant excommunier les légats occidentaux par un synode. Entre temps, le pape était
mort, et son successeur n’eut pas pour premier souci le sort des négociations engagées par le défunt. La
rupture ne paraissait pas plus irrémédiable que les précédentes. En beaucoup d’endroits, il n’y eut pas
de changements immédiats dans les relations entre les chrétiens des deux obédiences. On n’eut pas
conscience d’une date-pivot.
Ce qui rendit le divorce définitif, outre l’habitude de vivre séparés et d’évoluer sans plus penser
à l’autre, ce furent les Croisades, qui virent les occidentaux au mieux méconnaître les particularités des
orientaux, au pire mettre Constantinople à feu et à sang et y installer un Empire latin. Quant aux
conciles d’union de Lyon (1274) et de Florence (1439), il en sortit des accords de sommet, négociés
dans des conditions inégales par les empereurs byzantins pour sauver leur pays menacé par les Ange-
vins de Naples ou par les Turcs, mais sans effet sur la masse des fidèles et vite abandonnés.
Les excommunications de 1054 ont été levées en 1965. L’union reste à construire.

5. L’Eglise d’Occident dans le piège de la féodalité. La réforme "grégorienne" (11ème et 12ème


siècles).

Un des paradoxes de la malheureuse ambassade de 1054 est que le pape qui l’envoya était un
pape conscient des nécessités de l’époque, acquis à la recherche de réformes. Le terme de réforme
grégorienne se réfère à Grégoire VII (1073-1085), mais son pontificat constitue seulement un moment
fort, et particulièrement dramatique, d’un processus engagé avant lui, et qui allait se poursuivre après
lui.
On sait que, deux générations après Charlemagne, l’Empire d’Occident avait subi un partage, et
était entré dans une période d’instabilité. Dans les deux Etats les plus cohérents, les royaumes de
France et de Germanie, les princes de la famille carolingienne s’étaient vite révélés peu efficaces. La
couronne impériale elle-même cessa d’être attribuée pendant plusieurs décennies au milieu du dixième
siècle. Reprise en 962 par un prince allemand, elle ne devait plus quitter l’Allemagne malgré les
conflits et les alternances de dynasties, et l’Empire d’Occident allait se muer en Saint-Empire romain-
germanique.
C’est au cours de cette époque troublée que la féodalité prend définitivement forme. Voici ce
qu’écrit l’historien Jean Comby (Pour lire l’Histoire de l’Eglise, I, p. 136) : "Les guerres civiles
comme les invasions entraînent la décomposition de l’Etat. Seuls comptent les liens que les hommes
établissent entre eux par un serment. La terre appartient au guerrier qui la défend. Celui-ci se recom-
mande à un seigneur plus puissant, qui reconnaît à son vassal la possession et la gestion d’un fief ou
bénéfice. Les liens sociaux se transforment en une hiérarchie de guerriers et de propriétaires. L’Eglise
qui possède d’importants domaines est prise dans le système. Tout détenteur d’une fonction ecclésias-
tique dispose d’une terre, d’un bénéfice qui le fait vivre. L’évêque est seigneur et vassal au même titre
que les laïcs. (...) Les règles anciennes de l'élection par le clergé et par le peuple ne sont plus respec-
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tées. N'étant pas héréditaires comme les autres fiefs, évêchés et abbayes sont redistribués à la mort de
leurs titulaires. Les seigneurs, empereur, rois, ducs, etc. en disposent en faveur de qui leur plaît.
Comme le fief épiscopal comprend une double juridiction spirituelle et temporelle, celle-ci est accor-
dée en une même cérémonie d'investiture : le seigneur remet à son candidat la crosse et l'anneau. (...)
Les choix des princes n'obéissent pas uniquement à des considérations religieuses. Ils peuvent souhai-
ter comme évêque un bon militaire; ils veulent caser leurs nombreux enfants; ou encore ils vendent la
charge à qui paie le mieux." La papauté elle-même, à certaines époques, a été traitée par de puissantes
familles romaines comme une propriété qu'elles se disputaient, et qu'on pouvait mettre entre les mains
d'un fils de dix-huit ans.
Certes, le pire n'est pas constant, et il y a eu aussi de bons prélats mis en place par un pieux
empereur. mais la situation n'est pas saine, et appelle des réformes.

L'essor de Cluny
Lorsque le duc Guillaume d'Aquitaine fonde en 910 l'abbaye bénédictine de Cluny en Bourgo-
gne, il croit probablement ne manifester qu'un modeste surcroît de piété en abandonnant toute préten-
tion de suzeraineté sur sa fondation et en la soumettant directement à Rome. En fait, il assure ainsi son
indépendance à l'égard de tous seigneurs laïcs ou épiscopaux. Des abbés de grande qualité, élus
librement, se succéderont pendant plus de deux siècles, et la longue vie de certains d'entre eux favorise
la continuité et l'essor. La règle est strictement appliquée, du moins tant que l'abondance des recrues ne
nuit pas encore à la qualité des vocations. La liturgie de la louange au choeur et de l'eucharistie est
célébrée avec magnificence. Cluny attire, Cluny acquiert des domaines, Cluny essaime par de nouvel-
les fondations ou parce que des abbayes plus anciennes se rallient à sa réforme. En 994, 37 maisons
dépendaient ainsi de Cluny. A la mort de l'abbé Hugues, en 1109, elles étaient plus de mille, de taille
diverse, du Yorkshire à la Campanie, de l'Espagne aux rives de l'Elbe. Du sein de cet "ordre" sortaient
des évêques et des papes. Une stricte hiérarchie soumettait les abbés ou les prieurs à l'abbé de Cluny,
directement ou par l'intermédiaire des abbés de grands monastères. Les moines clunisiens échappaient
ainsi à la féodalité générale, mais au sein d'une sorte de féodalité monastique particulière. La réforme
clunisienne avait montré la voie, mais elle risquait d'être écrasée sous son propre succès et l'abondance
de ses biens et de sa puissance, malgré la qualité spirituelle de ses grands abbés.
A la même époque, d'autres abbayes, telles le Bec-Hellouin ou la Chaise-Dieu, furent des foyers
de renouveau et constituèrent autour d'elles des sortes d'ordres, mais sans la même extension ni surtout
la même permanence. En même temps certains fondateurs recréent un espace pour la vie érémitique, la
vie monastique solitaire, en la tempérant de moments de regroupement communautaire : ainsi saint
Romuald au début du onzième siècle à Camaldoli en Italie, ou saint Bruno en 1084 à la Grande-
Chartreuse.
Un renouveau monastique a donc précédé et accompagné la réforme le l'institution ecclésiasti-
que.

La réforme "grégorienne".
A partir du milieu du onzième siècle, des papes conscients des dérives tentent de redresser la
situation. En 1046 encore, l'empereur Henri III avait pris l'initiative de déposer trois papes ou antipapes
en lutte l'un contre l'autre. Et c'est lui qui en 1049 désigne un de ses parents, l'évêque de Toul Bruno,
qui devient Léon IX. Celui-ci arrive à Rome accompagné par le jeune moine Hildebrand, le futur
Grégoire VII. En cinq ans d'un court pontificat, Léon IX passa plusieurs fois les Alpes, tint des synodes
réformateurs à Rome, à Reims, à Mayence, combattit partout la simonie (vente des charges ecclésiasti-
ques). Nicolas II, pape de 1058 à 1061, décide en 1059 que le choix du pape sera réservé aux cardi-
naux-évêques délibérant les premiers, rejoints ensuite par les autres cardinaux, clercs des principales
églises de Rome, l'approbation du clergé et du peuple de Rome venant seulement parachever le proces-
sus. L'empereur Henri IV (à cette date il s'agit plus exactement de sa mère, qui exerce la régence)
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accepte mal d'être mis à l'écart de l'élection, et à la mort de Nicolas il oppose quelque temps son
candidat à l'élu romain. En 1073 une succession régulière amène Hildebrand, Grégoire VII, au pontifi-
cat.
Grégoire mit toute son énergie à affranchir l'Eglise de la tutelle des laïcs puissants, et principa-
lement de l'empereur. Il voulut mettre fin à l'investiture des évêques par les princes. Le long conflit qui
l'opposa à Henri IV, et qui dura sous leurs successeurs, est connu sous le nom de Querelle des Investi-
tures. L'épisode le plus illustre en est l'humiliation de Canossa : l'empereur avait prétendu faire déposer
le pape par un synode allemand réuni à Worms, Grégoire l'avait excommunié et avait délié ses sujets
de leur serment de fidélité, les princes allemands en profitaient pour se révolter contre l'excommunié,
qui n'eut d'autre ressource que de se présenter en pénitent devant le château des Apennins où le pape
s'était arrêté. Il dut attendre trois jours en plein hiver devant les grilles avant d'être reçu, et de pouvoir
faire amende honorable.
En fait, cet épisode célèbre ne régla rien. Le conflit reprit de plus belle, et quand Grégoire
mourut en 1085, à Salerne car il avait été chassé de Rome, les adversaires s'étaient à nouveau mutuel-
lement déposés, l'empereur était de nouveau excommunié, un antipape impérial tenait Rome. C'est
seulement en 1122 que par le concordat de Worms Calixte II et Henri V mirent fin à la querelle, en
distinguant les pouvoirs spirituels de l'évêque, du seul ressort de l'Eglise et du pape, et son fief tempo-
rel, dont il est investi par le prince.
On peut donc dire que la réforme "grégorienne" se déploie sur trois quarts de siècle, à partir du
pontificat de Léon IX. Et elle ne concerna pas seulement l'investiture des évêques, ni même plus
largement le choix des clercs. Ce fut un effort, parfois interrompu, mais toujours repris, pour éviter que
l'immersion de l'Eglise dans la féodalité fasse passer au second plan sa mission religieuse en la subor-
donnant soit à la politique des rois et des autres puissants, soit aux intérêts de ses propres dignitaires.
Les papes réformateurs multiplièrent les déplacements personnels et les envois de légats. Le solde de
cette activité fut largement positif pour la liberté de l'institution ecclésiastique et pour l'efficacité de sa
mission auprès des fidèles. Mais il y eut une contrepartie.
Quelle qu'ait été la connivence d'un bon nombre d'évêques, d'abbés, et de certains rois ou
empereurs avec le nouvel esprit, l'impulsion était toujours partie de Rome, et il n'avait été possible de
faire échapper évêchés et abbayes à la subordination à la société laïque (en partie seulement d'ailleurs)
qu'en les soumettant à la supervision directe du pape, dont la juridiction immédiate sur toutes les
Eglises locales est affirmée. On est en marche vers la centralisation romaine, et la curie prend un
important développement. Selon Grégoire VII, le pape peut juger tout le monde, déposer un empereur,
déposer les évêques, mais il ne peut être jugé par personne.
Certes, dans le monde médiéval où les communications sont lentes, les effets du centralisme
sont ordinairement limités, et la possibilité d'un appel à Rome constitue plutôt une garantie, dont on
doit même regretter qu'elle ait été déniée trois siècles plus tard à Jeanne d'Arc. Il n'empêche qu'un
processus est enclenché, qui déploie jusqu'à nos jours ses conséquences, les mauvaises comme les
bonnes.
Pour ne pas parler de tout à la fois, on a laissé de côté jusqu'ici un aspect particulier de la
réforme : la continence des clercs. L'Eglise antique avait ordonné prêtres des hommes mariés, des pères
de famille, en Occident comme en Orient. Mais dès la fin du 4ème siècle de nombreux prêtres s'abstien-
nent en Occident de continuer les relations conjugales après leur ordination : l'exemple de la vie
monastique a valorisé la chasteté pour Dieu, des évêques comme Ambroise ou Augustin ont établi
autour d'eux une communauté de clercs quasi monastique qui donne le même exemple, enfin, raison
plus contestable et qui relève plus de vieux tabous que de scrupules chrétiens, la vie sexuelle dans le
mariage est souvent tenue pour une concession à la faiblesse humaine et à la perpétuation de l'humani-
té, trop peu pure pour être conciliable avec le maniement des choses saintes. Au 5ème siècle, le pape fait
de cet usage une règle pour les clercs majeurs, évêques, prêtres et diacres. La règle sera plus ou moins
exactement observée, et sera périodiquement rappelée par des conciles régionaux. D'autre part, à partir
de Charlemagne surtout, le développement des écoles épiscopales et monastiques amène des jeunes
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gens directement à la cléricature, avant toute perspective de mariage, et la règle, commune celle-ci à
l'Orient et à l'Occident, est de rester dans l'état où on se trouvait lors de l'ordination.
Au début du onzième siècle, la discipline officielle était souvent oubliée, et de toute façon fort
mal respectée. Les prêtres mariés et en principe continents continuant à vivre en famille, et le mariage
lui-même ne requérant pas à cette époque que la promesse mutuelle soit prononcée devant un prêtre, il
était difficile de contrôler l'obéissance des clercs en cette matière, d'autant que les récalcitrants pou-
vaient apaiser leur conscience en se disant que le mariage d'un ordonné était illicite certes, mais valide.
De nombreux prêtres vivaient donc dans le mariage, contracté avant ou après l'ordination, ou dans le
concubinage, sans qu'il soit toujours possible de distinguer ces deux états.
On ne refera pas ici l'histoire en se demandant s'il aurait mieux valu que la discipline fût autre.
Il n'est jamais sain en tout cas qu'une règle publique soit publiquement bafouée. Il ne faut pas négliger
non plus l'inconvénient qu'on trouvait à ce que le titulaire d'un bénéfice ecclésiastique, si modeste soit-
il, ait des fils : l'un d'eux pouvait prétendre lui succéder, et le seigneur local ou l'autorité religieuse
supérieure ne pouvaient plus alors y placer leur candidat. Grégoire VII en particulier s'attela à la tâche
de faire respecter la loi, et rappela énergiquement dès la première année de son pontificat les sanctions
canoniques encourues par les contrevenants. Il y eut des résistances, un synode parisien protesta. Rome
menaça de déposition les évêques qui accordaient des dispenses. En 1089, sous Urbain II, l'interdiction
fut étendue aux sous-diacres. En 1139, le deuxième concile du Latran déclara invalide, et non plus
seulement illicite, le mariage d'un prêtre. Enfin, en 1170, il fut décidé de n'ordonner éventuellement un
homme marié qu'après l'autorisation donnée par sa femme et la séparation définitive des époux.

Un second renouveau monastique.


On a vu que le renouveau clunisien s'essoufflait. L'ordre était riche, ses moines avaient presque
complètement renoncé au travail manuel au profit de l'étude et de très longs offices, et c'était le travail
de leurs domestiques et de leurs métayers qui les entretenait. Un large recrutement (plus de trois cents
moines à Cluny même, sous l'abbé Hugues) diminuait le désir d'austérité et accroissait le poids de
l'administration dans la charge des abbés. On était en train de construire à Cluny la splendide basilique
romane qui allait être jusqu'à Bramante et Michel-Ange la plus vaste église de la chrétienté. Ne rele-
vant que du pape, ayant dans son obédience un millier de couvents avec d'abondants domaines et des
milliers de moines, l'abbé de Cluny était devenu un des personnages les plus considérables du monde
féodal.
L'abbaye de Citeaux, fondée en 1098 par Robert de Molesmes, organisée par Etienne Harding,
renforcée en 1113 par l'arrivée de Bernard, prit le contre-pied de tout cela. L'abbé de Citeaux n'eut pas
de pouvoir sur les abbayes-filles, mais une "Charte de charité" les unit, et leurs abbés se retrouvaient en
chapitre à Citeaux chaque année. L'abbaye cistercienne n'échappait pas à la juridiction de l'évêque du
lieu (une telle "exemption" était certes devenue moins nécessaire à la suite de la réforme grégorienne,
l'Eglise étant désormais moins asservie aux pouvoirs laïcs). On choisit pour implanter les monastères
des vallées à l'écart et l'on se garda de desservir des églises de pèlerinage attirant les foules et les
offrandes. La règle bénédictine fut observée dans toute son austérité, l'office fut débarrassé de supplé-
ments et le travail manuel des moines put ainsi être rétabli. Comme malgré cela les moines, occupés
aussi au choeur et à l'étude, ne pouvaient assurer tout le travail, surtout dans les "granges" un peu
éloignées des abbayes, on recruta de vrais religieux prononçant des voeux, les convers, plutôt que
d'avoir des domestiques et des fermiers.
Citeaux essaima rapidement : 343 abbayes lorsque meurt saint Bernard, le double à la fin du
13ème siècle. Le rayonnement de l'ordre, favorisé par le prestige de Bernard, fut grand. Cependant, au
bout de quelques décennies, les cisterciens retournèrent à l'exemption, l'ordre s'assagit et n'échappa pas
dans les siècles suivants au sort commun des assoupissements et des renouveaux.
A côté de Citeaux, il faut mentionner Prémontré. Le point de départ est différent. Dans les
cathédrales, mais aussi dans de nombreuses églises appelées collégiales, un chapitre de chanoines
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chante l'office et dessert l'église. Ce peut être un simple rassemblement de prêtres séculiers. Ce peut
être une vraie communauté, suivant en principe la règle de saint Augustin. Même dans ce dernier cas,
l'austérité et la vie commune avaient été largement délaissées, et une stalle de chanoine était un béné-
fice, assorti de revenus, guigné par les familles pour leurs cadets. Norbert de Xanten avait été pourvu
d'un tel bénéfice. "Converti", il fonda en 1120 près de Laon, à Prémontré, une abbaye de chanoines
réguliers qui emprunta beaucoup aux usages de Citeaux, mais les prémontrés associent à une vie
commune monastique, avec l'office au choeur, les charges apostoliques normales du prêtre. Prémontré
devint un ordre comptant de nombreuses abbayes, et il y eut d'autres congrégations de chanoines
réguliers, par exemple celle de l'abbaye Saint-Victor de Paris. Cluny même connut un regain de qualité
spirituelle avec l'abbatiat de Pierre le Vénérable (1132-1156).

6. Les croisades.

Dans la péninsule ibérique au début du onzième siècle, les royaumes chrétiens s'étendent
seulement jusqu'au Douro, et plus à l'est ils se limitent à une bande étroite au contact des Pyrénées,
tandis que Saragosse et la vallée de l'Ebre restent solidement tenus par les Arabes. Mais à ce moment le
califat de Cordoue se désintègre en une vingtaine de petits royaumes. Les chrétiens en profitent. Dans
la seconde moitié du siècle, la Reconquista fait un bond en avant au centre de l'Espagne et atteint le
Tage : Tolède est prise en 1085, et cette reconquête de l'ancienne capitale du royaume wisigoth, siège
de l'évêque primat d'Espagne, est d'une grande valeur symbolique. Au siècle suivant tomberont succes-
sivement Saragosse (1118), Lisbonne (1147), Lerida (1149), et les royaumes musulmans ne contrôle-
ront plus alors qu'un peu moins de la moitié de l'Espagne et du Portugal. Il reste un assez grand nombre
de musulmans au nord, et de chrétiens au sud. Au nord, la contribution des artisans arabes à la décora-
tion des palais et des églises sera importante (art mudéjar).
Les historiens continuent à débattre des raisons qui ont poussé Urbain II à lancer en 1095,
depuis Clermont, un appel en faveur d'une croisade en direction de la Terre Sainte. Ce n'était pas pour
cela, mais pour promouvoir les réformes en France, que le pape se trouvait alors en Auvergne. L'exem-
ple espagnol a pu jouer un rôle. De même l'appel à l'aide que le pape venait de recevoir de l'empereur
d'Orient Alexis, encore que celui-ci, semble-t-il, ait désiré recevoir des soldats occidentaux pour son
armée, non une armée complète avec ses chefs, et la croisade prit pour cible Jérusalem, non les Turcs
qui pressaient les Byzantins en Asie Mineure. C'est l'époque où se développent les pèlerinages, où sur
les chemins de Saint-Jacques, vers Compostelle, se bâtissent les églises romanes que nous voyons
encore. Le pèlerinage majeur, c'est celui de Jérusalem, et on considérait de plus en plus insupportable
de dépendre d'un pouvoir infidèle pour l'accomplir, avec les dangers et l'arbitraire que cela peut
entraîner. On en vint à désirer délivrer le tombeau du Christ. Peut-être a-t-on voulu aussi détourner des
guerres féodales fratricides l'agressivité des chevaliers et leur besoin de plus larges fiefs. Le partage
entre toutes ces hypothèses reste à faire.
Une raison n'a pas été invoquée, car elle fut vraiment absente : le projet de convertir les musul-
mans ou de réunir les dissidents par la contrainte des armes. Les méthodes expéditives de Charlemagne
avec les Saxons n'ont pas été reprises, le principe même en a été écarté, la conversion ou le ralliement
ne devant être obtenus que par la persuasion. Si le catholicos des Arméniens, le patriarche des Maroni-
tes et le patriarche grec d'Antioche ont fait profession de communion avec Rome respectivement en
1195, 1215 et 1246, ce fut à la suite de contacts et d'ambassades. Ceci dit, la présence d'une armée
constitue toujours une pression.
Le déroulement militaire de ces expéditions, qui se renouvelèrent pendant près de deux siècles,
ne sera pas retracé en détail. La première croisade commença dans un grand enthousiasme. Elle lança
sur les routes de l'Orient non seulement plusieurs armées de chevaliers, mais aussi des masses de
pauvres gens qui se firent massacrer en Asie Mineure par les Turcs. Les chevaliers prirent Antioche en
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1098, et Jérusalem en 1099. La Palestine et une grande partie de la Syrie, Damas exceptée, tombèrent
aux mains des chrétiens d'Occident. On oublia de rendre ces territoires à l'empereur de Byzance, et ils
furent constitués en principautés franques, avec en particulier un royaume de Jérusalem. Mais les
princes musulmans voisins, arabes puis turcs, ne se résignèrent jamais à cette implantation latine, et la
contre-offensive fut à peu près constante. Dès lors, les croisades suivantes furent en fait des expédi-
tions de secours destinées à desserrer un étau qui se resserrait de plus en plus. Les territoires francs se
réduisirent comme peau de chagrin, Jérusalem fut perdue en 1187 (victoire du sultan Saladin), récupé-
rée en 1228, perdue définitivement en 1244. En 1291, la chute de Saint-Jean d'Acre met le point final à
l'aventure.
Car la croisade fut aussi une aventure, et parmi les croisés les aventuriers avides de batailles et
de butin se mêlaient aux pèlerins armés venus délivrer Jérusalem, ou plutôt chacun était un peu l'un et
l'autre dans des proportions diverses. La prise de Jérusalem fut un carnage, comme l'avait déjà été celle
d'Antioche. Le pire fut atteint avec la 4ème croisade, en 1204. Ne parvenant pas à convaincre les princes
occidentaux et l'empereur de Byzance de s'unir pour reconquérir la Terre Sainte, le pape Innocent III
avait cru pouvoir forcer l'événement en appelant directement évêques et chevaliers à s'armer. L'expédi-
tion lui échappa. Venise, qui fournissait les bateaux, et les chefs des croisés détournèrent l'armée vers
Constantinople pour y détrôner l'empereur régnant, et réinstaller à sa place son prédécesseur évincé,
dont le fils avait gagné leurs bonnes grâces (juillet 1203). L'année suivante, une révolte populaire mit à
mort les protégés des croisés, qui continuaient à camper à proximité. Ils reprirent la ville, et se livrèrent
alors au pillage et aux pires violences, jusque dans les églises. Puis ils installèrent un empereur latin et
un patriarche latin, et se partagèrent la Thrace et la Grèce en s'y constituant des fiefs. De lutte contre
l'infidèle il n'était plus question, on s'était installé chez des chrétiens orientaux en pays conquis, on
tentait de les agréger au christianisme latin. Les empereurs grecs, repliés avec le patriarche à Nicée, sur
la rive asiatique, réussirent à récupérer Constantinople dès 1261, mais les barons francs tinrent certai-
nes régions du Péloponnèse jusqu'en 1428. Dès 1274 (concile de Lyon) les autorités byzantines ont
tenté de renouer avec l'Occident et avec Rome, mais le souvenir des exactions des croisés était trop vif
dans le peuple et le clergé pour que cela puisse être accepté. Notons cependant que quelques églises à
double nef construites en Grèce à cette époque témoignent d'une timide tentative de coexistence
harmonieuse : chaque rite y avait son sanctuaire.
En Syrie et en Palestine, le bilan des croisades se révèle mitigé. Il y eut des batailles sanglantes,
des pillages; il y eut aussi des périodes de rémission dans les affrontements, et même des alliances avec
des princes musulmans voisins contre les visées du sultan d'Egypte. Il arriva que les adversaires, par
exemple Saladin et Richard Coeur de Lion, fassent assaut d'esprit chevaleresque. Les relations com-
merciales et économiques entre l'Occident et la rive orientale de la Méditerranée s'intensifièrent, et
elles ne disparurent pas après le repli des derniers chevaliers. Les chrétiens orientaux des diverses
obédiences n'avaient sans doute pas été fâchés d'échapper à l'emprise musulmane, mais les barons
latins firent vite figure de maîtres étrangers plus que de libérateurs, et l'on comprit bientôt qu'ils
risquaient de repartir : que deviendrait-on alors? La greffe ne prit pas, l'union ne se fit pas. Pourtant
l'Occident latin, et notamment français, n'a jamais plus perdu de vue et de pensée ces chrétiens
d'Orient, qu'on comprenait mal, mais à l'égard desquels on se sentait une certaine responsabilité alors
qu'ils devaient vivre désormais sous les Turcs.
En Europe, la croisade ne fut pas sans conséquences pour la vie religieuse. Avant elle déjà, un
pèlerinage lointain et difficile pouvait tenir lieu des pénitences imposées par le confesseur à un pécheur
demandant l'absolution de fautes graves, et le pèlerinage de Jérusalem venait en tête pour cela. La
croisade unissait ce pèlerinage et le sacrifice de ses aises, éventuellement de sa vie, pour la défense du
tombeau du Christ et des chrétiens que l'Islam avait submergés dans ces régions. Très vite le pape
accorda l'indulgence plénière, c'est-à-dire la remise de toutes les pénitences dues, à ceux qui faisaient
voeu de croisade et se mettaient en route. En même temps, pour éviter que la famille et les biens du
croisé ne soient mis à mal en son absence par ses voisins (n'oublions pas les guerres féodales!), l'Eglise
les prenait sous sa protection et menaçait des peines les plus graves les contrevenants, ce qui favorisa
la paix. Elle recommandait aux partants de ne chercher ni la richesse ni la gloire pour eux-mêmes, et
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leurs armées étaient encadrées religieusement par un ou des légats du pape. Elle mettait aussi en place
tout un système de collecte de fonds pour soutenir les expéditions. Tout cela entraînait une emprise
plus grande de l'Eglise, et en premier lieu de la papauté, sur la vie de la société occidentale, en même
temps qu'un développement des indulgences, d'autant que bientôt frère François d'Assise fit remarquer
que les pauvres et les petits, qui n'avaient pas de quoi s'armer pour partir en croisade, risquaient de
rester les laissés pour compte des indulgences, et obtint pour eux les mêmes privilèges à moindre frais,
par la visite de la chapelle de la Portioncule.
Pour les croisés sincères, tout quitter pour aller combattre pouvait constituer une véritable
"conversion", analogue selon saint Bernard à la conversion de qui entre au monastère. Un pas de plus
en ce sens fut accompli quand des chevaliers prononcèrent les voeux monastiques et se groupèrent en
ordres religieux militaires pour assurer l'assistance aux pèlerins et la protection des terres chrétiennes
contre l'assaut des infidèles. Ainsi naquirent successivement l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, les
Chevaliers du Temple, les Chevaliers Teutoniques. On pouvait devenir moine en restant soldat. Ces
ordres ont eu des destins divers. Les Templiers finirent comme l'on sait sous les coups de Philippe le
Bel. Les Teutoniques repliés en Prusse se taillèrent au 14ème siècle un Etat face aux Baltes encore
païens, mais s'en prirent aussi aux Russes orthodoxes et aux Polonais catholiques! Les Chevaliers de
Saint-Jean continuèrent la lutte à Rhodes puis à Malte, et subsistent aujourd'hui comme association
caritative et hospitalière. Des ordres militaires furent fondés également dans l'Espagne de la Re-
conquête (1158 : fondation de l'Ordre de Calatrava).
Car au moment où la croisade s'enlise et va échouer en Orient, la reconquête espagnole
fait un nouveau bond en avant, en reprenant Cordoue en 1236, Valence en 1238, Murcie en 1243,
Séville en 1248. C'est un petit réduit musulman qui va seul subsister durant deux siècles et demi
autour de Grenade, l'essentiel est acquis. Pourquoi ce succès en Espagne face à la déroute de la
croisade orientale? Outre les raisons tenant aux personnalités des chefs (les musulmans d'Orient
ont eu quelques chefs remarquables), outre l'éloignement qui fragilise l'approvisionnement et
l'envoi de renforts, outre les rivalités entre souverains et autres princes engagés dans la croisade,
l'essentiel semble ceci : dans la péninsule ibérique, les populations chrétiennes soumises à la
domination de l'Islam et les chrétiens du nord étaient le même peuple, avec la même langue et les
mêmes traditions religieuses, tandis que les croisés étaient des étrangers, dont l'Eglise était en
état de rupture avec les Eglises locales. La chrétienté espagnole a vécu la Reconquête comme une
libération, la reconquête de la Terre Sainte qu'ont tentée les croisades n'était pas faite par ceux
qui avaient été conquis, et les populations chrétiennes locales n'étaient pas actrices de leur
libération supposée. Et pour le reste de la région, l'incursion des croisés n'était qu'une invasion.
Elle a été rejetée à la mer

7. Le siècle de saint Dominique, saint François et saint Louis.

Le 13ème siècle (et, dans certains domaines, déjà la seconde moitié du 12ème) est le Grand
Siècle du Moyen Age chrétien. Si aux trois saints du titre on ajoute les saints de la recherche
théologique, Albert le Grand, Thomas d'Aquin, Bonaventure, quelle impression d'épanouisse-
ment!
Non que tout ait été parfait dans le christianisme de cette époque. Il y eut un immense
effort pour bâtir ou maintenir un monde chrétien en Europe occidentale, face à plusieurs défis.
Mais la réponse à ces défis a parfois eu deux faces, l'une moins belle que l'autre.

Face à la violence des armes, la trêve de Dieu.

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Les guerres locales entre seigneurs, causes de ravages pour toute la population, scandale
entre barons chrétiens, n'avaient cessé de préoccuper l'Eglise. Faute de pouvoir les extirper, elle
avait dès longtemps essayé de les limiter, au nom du respect dû au jour du Seigneur pour com-
mencer, ensuite aussi aux jours de son agonie et de sa passion, ce qui fait qu'à la fin du onzième
siècle les opérations guerrières ne sont en principe plus possibles que du lundi matin au mercredi
soir, et sont entièrement interdites de l'Avent à l'Epiphanie et du Carême à l'octave de Pâques.
Cette "trêve de Dieu" fut à nouveau et solennellement proclamée au 3ème concile du Latran, en
1179. Tel est le régime sous lequel on vit dans la chrétienté à l'aube du 13ème siècle, sous peine
d'excommunication, ce qui il est vrai n'est pas décisif à une époque où on peut être à plusieurs
reprises dans une vie frappé puis relevé de l'excommunication. Et surtout on peut se demander si
l'esprit de violence a vraiment diminué, il a été plutôt dérivé vers la croisade, extérieure ou
intérieure, avec tous les excès que permet alors la bonne conscience. Reste que les paysans des
royaumes chrétiens ont été heureux que leurs récoltes soient moins dévastées.

Face à la nouvelle richesse urbaine : de Pierre Valdès à François d'Assise.


L'Europe de cette époque demeure très majoritairement un monde rural. Mais la progres-
sion démographique et le développement des échanges ont favorisé la croissance et l'enrichisse-
ment des villes, avec l'émergence d'une bourgeoisie urbaine soucieuse de ses affaires, certes,
mais également avide de participation au pouvoir, au moins au plan local (c'est le mouvement
communal), et avide de reconnaissance jusque dans l'Eglise.
Dans certaines régions, notamment en France du Nord, les cathédrales et les églises de
pèlerinage ne sont plus assez grandes lors des fêtes. On entreprend de les reconstruire. Dès le
milieu du 12ème siècle, c'est le cas à Saint-Denis, sous l'impulsion de l'abbé du monastère,
Suger : pour la première fois, toute l'architecture d'un monument s'ordonne autour de l'utilisation
des voûtes sur croisées d'ogives, l'art qu'on appellera plus tard gothique est né. Il permet des
églises plus vastes, plus lumineuses. Au 13ème siècle, il est le langage dans lequel s'exprime la
piété bâtisseuse de toute l'Europe occidentale, à l'exception de certains secteurs de la seule Italie.
La construction de chacune de ces cathédrales demande des décennies, quelquefois plusieurs
siècles; l'opiniâtreté des chapitres de chanoines compense les discontinuités liées à la succession
des évêques, et le peuple chrétien participe à l'effort. Ces édifices signifient si bien la prière,
lorsqu'on les voit pointer vers le ciel en approchant d'une ville, que beaucoup ont du mal, aujour-
d'hui encore, à imaginer autrement les églises.
Pour la beauté de ces constructions, mais aussi pour le confort des bourgeois et des
princes, y compris les princes de l'Eglise, il se dépensait beaucoup d'argent. Ces temps connais-
saient aussi des famines, et les ravages des guerres. Dans les "communes" récemment libérées
des dominations seigneuriales, de nouveaux clivages sociaux étaient apparus : le luxe de certains,
face à la précarité du plus grand nombre, posait problème. Le relâchement, parfois l'indignité, de
la vie de certains clercs faisait scandale, et depuis la réforme grégorienne les laïcs étaient avertis
que les choses devraient se passer autrement.
Laissons ici la parole à l'historien Pierre Riché : "Vers 1773 un riche marchand de Lyon,
Pierre Valdès, très pieux, se convertit à la pauvreté en entendant l'Evangile en langue vulgaire et
le conseil du Christ de tout laisser pour le suivre. Il quitte sa femme en lui laissant ses terres et
distribue le reste de ses biens en aumônes. Il se met à prêcher sur les places publiques et groupe
autour de lui des disciples. L'archevêque de Lyon s'en inquiète et interdit leur prédication. Alors
Valdès en appelle au pape Alexandre III pendant le 3ème concile de Latran. Le pape reçut bien
Valdès et ses compagnons et leur donna la permission de prêcher avec l'autorisation du curé du
lieu" et, ajoutons-le, à condition qu'ils n'abordent que les questions de morale, de vie chrétienne,
en laissant aux clercs l'explication de la doctrine.
Mais, à Rome déjà, certains fonctionnaires de la curie avaient été moins compréhensifs.
L'un d'eux écrit : "Ces gens sont des illettrés (il faut comprendre : ne lisent pas le latin)... Ils
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suivent nus le Christ nu. Ils commencent humblement parce qu'ils n'ont rien. Si nous les laissons
faire, c'est nous qui serons mis dehors." A Lyon, un nouvel archevêque leur interdit à nouveau de
prêcher. Ils estiment qu'il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes, et continuent. Excommuniés,
ils voient la sentence épiscopale confirmée en 1184 par le pape Lucius III. Valdès, tout en ne
renonçant pas à prêcher, semble être resté dans l'Eglise, car bien des chrétiens, clercs compris,
persistaient à lui faire confiance, sans trop se soucier de l'excommunication. En 1208, après sa
disparition, certains de ses disciples furent réconciliés par Innocent III, et purent prêcher la
pénitence sous le nom de Pauvres Catholiques. Mais d'autres s'éloignèrent de plus en plus, mirent
en question la validité des sacrements dispensés par des prêtres indignes, ou même tout simple-
ment par l'Eglise dont ils étaient désormais séparés. Le rejet du culte des saints et de toute
institution hiérarchique s'ensuivit. On était passé d'une initiative louable mais mal reçue à une
rupture mettant en cause la doctrine elle-même, ce qui les classait parmi les hérétiques. Pour-
chassés, persécutés, de petits groupes de Vaudois subsistèrent en Italie et dans le sud de la
France, et plus tard rejoignirent la Réforme.
L'histoire de François d'Assise ne commence pas d'une manière très différente, sauf qu'il
n'eut pas d'épouse à quitter, et qu'il pratiquait le latin. Il sort du même milieu, le négoce alors en
pleine expansion. La vie qui s'ouvre devant lui ne mène qu'à l'accumulation de richesses, si
honnêtement qu'elles aient été gagnées. En face, il y a la radicalité de l'Evangile, et le modèle du
Christ pauvre sur les chemins de Galilée. Le petit groupe avec lequel il va solliciter l'approbation
du pape en 1209 ou 1210 ressemble fort à celui qui avait suivi Pierre Valdès quelque trente ans
plus tôt. D'où vient alors la divergence des résultats? Elle tient d'abord à la perspicacité spiri-
tuelle des hommes d'Eglise que François à rencontrés, le pape Innocent III et le cardinal Hugolin,
futur pape Grégoire IX, qui surent lui faire confiance. Elle tient surtout à ce que pour François,
ses interlocuteurs romains l'ont tout de suite senti, la fidélité à l'Eglise dont il a reçu Jésus Christ
est inconditionnelle.
Dès les premiers conflits que soulève son choix de la pauvreté, face à son père outragé,
c'est dans les bras de l'évêque d'Assise qu'il se jette. Il n'attend pas d'avoir besoin d'un appui
contre un prélat pour aller demander l'accord du pape. Devant l'évêque au train de vie le plus
princier, devant tel petit prêtre de paroisse concubinaire ou malhonnête, il n'abdique rien des
exigences de sa vocation et de l'Evangile, mais il s'incline aussi bien bas devant eux, car ils sont
prêtres du Christ, et il reçoit humblement de leurs mains même souillées le Corps de son Sau-
veur. Les disciples affluent, la spontanéité des premières années n'est plus tenable, le petit groupe
fraternel devient un ordre nombreux qu'il faut organiser et auquel on ne peut imposer uniformé-
ment la radicalité des choix du fondateur : il renâcle, il faut insister pour qu'il remette en chantier
une règle trop exigeante et peu applicable, mais il le fait, persuadé que c'est Dieu qui le lui
demande, par l'Eglise et ses responsables. Cela le crucifie, mais à ce prix son oeuvre a duré.
Tel fut François dans l'Eglise de son temps. Il ne condamne pas la croisade guerrière,
mais il ne la suit que pour se présenter sans armes ni argent devant le sultan d'Egypte et lui
proposer sa foi. Naïveté? Les armes à la fin n'ont pas mieux réussi, et l'on n'a pas pu aujourd'hui
trouver un meilleur endroit que sa ville d'Assise pour lancer le dialogue interreligieux. Il ne
maudit pas la nouvelle civilisation urbaine, il n'en écarte pas ses frères pour les confiner dans
quelque vallon (même s'il aime s'y retirer pour un temps), mais il la conteste par leur genre de
vie, et leurs couvents s'installent en plein milieu. Il n'accuse pas les vastes domaines des abbayes,
mais il défend à ses frères de posséder quoi que ce soit, non seulement individuellement mais
collectivement, et ils ne doivent vivre que de leur travail et d'aumônes. Il prêche la pénitence aux
laïcs, mais sans prétendre qu'ils auront grand mal à se sauver s'ils n'entrent pas au couvent, et il
leur ouvre avec le tiers-ordre la possibilité de participer à sa fraternité sans abdiquer leurs
responsabilités familiales et civiques. Il renouvelle et revivifie sans prendre le risque de briser.

Face à l'hérésie : de saint Dominique à l'Inquisition.

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A dire vrai, l'hérésie cathare, ou albigeoise du nom de la région où elle a été particulière-
ment virulente en France, était plus qu'une hérésie : quand on enseigne que la matière a été créée
non pas par le Dieu bon, créateur des seuls esprits, mais par un dieu antagoniste ou un ange
déchu, quand on ajoute que Jésus a été un esprit envoyé dans une apparence de corps pour
prêcher aux hommes la voie du salut mais n'a pas souffert réellement, on n'est plus dans le
christianisme, même déviant. Il s'agissait d'une résurgence du vieux dualisme manichéen, venue
d'Orient probablement par la Bulgarie, où avait sévi l'hérésie bogomile assez analogue. L'austéri-
té ascétique des "parfaits" cathares, continents parce qu'à leurs yeux la transmission de la vie est
perpétuation du mal de l'existence charnelle, contrastait avec l'installation dans le siècle de
nombreux prélats catholiques, et l'on était séduit par la promesse du salut pour tout homme ou
femme qui à son lit de mort reçoit le consolamentum l'assimilant aux parfaits. Le danger pour la
foi était grand.
Ces doctrines se répandent en Europe occidentale au milieu du 12ème siècle, tout particu-
lièrement en Languedoc, en Provence et dans le nord de l'Italie. Face à la condamnation de la
chair affichée par les cathares, l'Eglise reconnut dans le mariage conclu par des chrétiens un
sacrement (synode de Vérone, 1184). On envoya des prédicateurs parcourir les régions atteintes,
ils n'obtinrent pas grand-chose. On livra des récalcitrants au pouvoir séculier, et celui-ci passa
vite de l'emprisonnement et de la confiscation des biens à la peine du feu (décret de Pierre
d'Aragon en 1197). L'hérésie était toujours là.
Dominique de Guzman était un espagnol, chanoine régulier à Osma, en Castille. Il
accompagnait son évêque Diego lorsque celui-ci traversa le Languedoc en 1205 et se joignit à
trois abbés cisterciens (dont celui de Citeaux) que le pape avait envoyés combattre l'hérésie par la
prédication. Dominique s'aperçut vite que la mission n'obtiendrait rien tant que la pompe de
l'Eglise officielle contrasterait avec la pauvreté et l'austérité des prédicants cathares. Demeuré sur
place après le départ de Diego, il parcourut le pays en tentant de convaincre. Il réussit même,
raconte-t-on, à obtenir d'un évêque avec lequel il se rendait à une controverse publique avec les
hérétiques qu'il abandonne son train seigneurial et son cheval, et se présente à la dispute sans
escorte et nu-pieds.
Bientôt il groupa des compagnons, tout en installant dès 1206 à Prouille, non loin de
Toulouse, un monastère féminin qui les soutiendrait de sa prière. Dominique et ses amis décidè-
rent d'adopter une stricte pauvreté, moins par une vocation personnelle que pour authentifier leur
apostolat par la fidélité au mode de vie qui avait été celui des apôtres aux premiers jours du
christianisme. Il s'agit d'opposer à l'erreur cathare non le poids d'une Eglise dominatrice, mais un
humble et pauvre service de la vérité. En 1215, Dominique se rend à Rome, Innocent III ap-
prouve ce qui est devenu un ordre, caractérisé par l'étude approfondie de la parole de Dieu en vue
de la répandre, le renoncement à tout revenu pour ne vivre que des offrandes des fidèles, une
participation active de tous au choix des responsables (les constitutions de l'ordre dominicain
sont parmi les plus démocratiques). Après la fraternité franciscaine, un second ordre "mendiant"
était né. Les deux fondateurs se sont probablement rencontrés à Rome en 1215. Saint Dominique
mourut dès 1221 à Bologne.
Entre temps, la situation s'était aggravée en France. Dès 1208 un légat du pape, Pierre de
Castelnau, avait été assassiné au cours d'une de ses tournées. On accusait du meurtre un des
officiers du comte de Toulouse. De toute façon, celui-ci se montrait peu enclin à pourchasser les
hérétiques, ne voulant pas entreprendre une guerre contre une notable partie de ses sujets.
Innocent III appela à une croisade. Le comte se soumit, et offrit même de prendre la tête de la
croisade contre les "albigeois", mais il était trop tard, les barons du nord s'étaient précipités pour
profiter de l'aubaine, sous la direction de Simon de Monrfort. Prenant Béziers d'assaut, ils
massacrèrent tout ce qui se présentait, catholiques et cathares mêlés, en présence du légat, qui
n'était autre que l'abbé de Citeaux! Le pape avait largement perdu le contrôle des événements, et
après divers retournements de situation, la couronne de France enleva la mise, lorsqu'en 1229 la
régente Blanche de Castille imposa au comte de Toulouse un traité qui programmait la réunion
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du comté au domaine royal. Sur place la répression armée de l'hérésie culmina et s'acheva avec le
siège et le bûcher de Montségur (1244), mais l'Inquisition continua à pourchasser les hérétiques
véritables ou supposés.
Car ces troubles avaient eu une autre conséquence : la systématisation de la violence
contre les déviants sous la forme de l'Inquisitiion. Au début, on avait cherché à convaincre les
cathares de revenir à la foi catholique et à l'Eglise. Devant l'échec, on avait demandé au pouvoir
séculier de les châtier, et on avait déclenché la croisade. On fit un pas de plus quand on demanda
aux évêques d'organiser eux-mêmes, en les confiant à des prêtres spécialement choisis, la recher-
che et le châtiment des hérétiques. En 1231, Grégoire IX donna à l'Inquisition un statut pontifical
et l'intégra au droit canon. Dès lors les dénonciations, l'enquête par la torture, les châtiments
cruels, que pratiquait déjà la justice civile, furent mis en oeuvre par des ecclésiastiques avec
d'autant plus de violence qu'ils se sentaient responsables de la cohésion de la chrétienté menacée
de dislocation, et du salut des âmes, mis en péril par la contagion des erreurs . L'Eglise du
Crucifié suppliciait avec bonne conscience.
Sans désavouer la croisade (qui en aurait eu l'idée à l'époque?), Dominique avait prôné
d'autres méthodes. Le moindre paradoxe n'est pas que ses fils ont pris rapidement une part
prépondérante dans l'expansion de l'Inquisition. Un autre sujet d'étonnement est celui-ci : nul n'a
eu plus de discernement spirituel face à François et Dominique qu'Innocent III, il a su reconnaître
et approuver ces va-nu-pieds contre les préjugés de bien des gens de son entourage et peut-être
les siens propres; le même pape a fini par excuser le sac de Constantinople, et il a déclenché les
ravages de la croisade albigeoise. Et qui a mieux soutenu saint François que le cardinal Hugolin?
Le même homme, devenu Grégoire IX, organise et pérennise l'Inquisition. Saint Louis a su être
un exemple de droiture et de piété pour son entourage, rendre bonne justice aux plus humbles, ou
encore, pour affermir la paix, laisser ou rendre des territoires à un vassal vaincu, mais c'est
pendant son règne personnel que le bûcher de Montségur a été allumé.

Construire une culture chrétienne.


Les siècles précédents avaient connu des écoles cathédrales et monastiques. La culture
antique et patristique n'avait jamais cessé d'être transmise, au moins partiellement : partiellement
dans son contenu, parce qu'un petit nombre d'auteurs seulement continuait à être étudié, partiel-
lement dans ses destinataires, limités presque totalement aux clercs. C'est ainsi que, lors du
passage à Constantinople des croisés de la première expédition, la fille de l'empereur Alexis,
lectrice de Platon, s'étonnait de l'inculture et même de l'illettrisme de nombreux barons francs.
Au 12ème siècle, les écoles se sont multipliées dans certaines villes, notamment à Paris, où
des maîtres privés enseignent non sans le contrôle de l'Eglise, certes, mais en rassemblant des
étudiants pour leur propre compte. Tel fut le cas d'Abélard (mort en 1142). A l'orée du 13ème
siècle se produisent plusieurs évolutions importantes.
A Oxford et à Paris, maîtres et étudiants sont maintenant nombreux, principalement dans
l'étude des arts libéraux (grammaire, rhétorique, dialectique constituent une sorte de propédeuti-
que à toute autre étude) et dans le commentaire de l'Ecriture sainte, qui commence à devenir un
véritable enseignement théologique. Dans d'autres villes on est plus spécialisé : c'est le droit
(droit romain et droit canon) à Bologne, la médecine à Montpellier. Etudiants et maîtres, sans
prétendre sortir du giron de l'Eglise ni cesser d'être considérés comme des clercs, aspirent à ne
plus dépendre directement des évêques locaux et à constituer des communautés largement
autonomes. C'est ce qu'ils obtiennent en s'appuyant sur la papauté, en gros entre 1180 et 1230 :
ainsi naquirent les premières universités dans les quatre villes dont nous avons parlé, et bientôt
aussi à Cambridge, Padoue, Naples, Salamanque, Toulouse (fondée comme foyer de formation
face à l'hérésie), d'autres encore.

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Les maîtres séculiers qui y enseignaient reçurent aussitôt un renfort, ou affrontèrent une
concurrence, dont ils se seraient bien passés et qu'à Paris notamment ils n'acceptèrent pleinement,
après des crises graves, que sur l'injonction du pape : il s'agit des ordres mendiants. Pour les
dominicains, voués à l'étude en vue de la prédication, c'était une vocation évidente, et deux ans
après la naissance de l'ordre ils sont à Paris et à Bologne. François, lui, ne voulait d'abord prêcher
que la pénitence, il se méfiait des subtilités et de l'orgueil des savants, mais devant la science
théologique d'une recrue de choix qui n'en était pas moins un vrai et humble frère mineur, frère
Antoine (saint Antoine de Padoue), il reconnut que ce serait pécher que de ne pas lui confier un
enseignement. D'autres suivirent. Dès 1257, trente ans après la mort du fondateur, un franciscain
enseignant à l'université de Paris, Bonaventure, devenait ministre général de l'ordre. Quelles
qu'aient été les résistances, dominicains et franciscains avaient désormais toute leur place dans
les universités, et s'y montraient les intelligences les plus fécondes au service de la foi.
Précisément, la chrétienté avait besoin alors de ces esprits à la fois audacieux, inventifs, et
fidèles. Car, progressivement, des pans entiers de la science et de la philosophie antiques, perdus
ou négligés, resurgissaient, et venaient perturber la réflexion chrétienne, mais aussi l'enrichir et la
stimuler. On a dit plus haut comment le monde arabe s'était approprié notamment Aristote, et
comment par l'Espagne celui-ci allait un jour parvenir dans la chrétienté latine. C'est ce qui se
passe au moment qui nous occupe : des traductions des oeuvres d'Aristote portant sur la logique,
sur la biologie, enfin la métaphysique, apparaissent les unes après les autres, assorties de com-
mentaires, notamment ceux du savant et philosophe arabe cordouan Averrroès (1126-1198). Bon
nombre de ces traductions ont été faites, de l'arabe au latin, par des juifs de Tolède : de Cordoue
encore arabe à Tolède reconquise, l'Espagne est un extraordinaire creuset culturel. Stimulé par
ces apports, on se met à rechercher aussi au fond des bibliothèques du monde chrétien les
manuscrits oubliés. Aristote devient "le" philosophe.
Jusque-là, on avait plutôt appuyé l'effort intellectuel, à travers l'influence de saint Augus-
tin, sur une philosophie héritée du platonisme et du néo-platonisme, qui favorisait une interpréta-
tion symbolique des réalités naturelles, chaque niveau de réalité renvoyant à un niveau plus élevé
comme à son modèle. Cela aidait la méditation spirituelle. La pensée d'Aristote est plus orientée
vers la saisie rationnelle du monde sensible en lui-même, et elle offrait à ceux qui la découvraient
alors des instruments d'investigation qu'ils n'avaient osé espérer. Certains s'enthousiasmèrent, au
point de négliger le fait que la métaphysique d'Aristote ne peut être adoptée telle quelle par le
chrétien : chez lui la divinité n'est qu'un premier moteur impersonnel et impassible, bien éloigné
du Dieu biblique engagé dans l'histoire et dans notre salut. Ces enthousiastes restaient chrétiens,
ils n'auraient d'ailleurs pu dans cette civilisation avoir même l'idée de ne plus l'être, mais dès lors
ils séparaient radicalement le monde de la foi et celui des recherches rationnelles. Le musulman
Averroès était allé dans ce sens, le chrétien Siger de Brabant lui emboîte le pas à Paris. D'autres
ne virent que les dangers, et condamnèrent indistinctement tout recours à Aristote.
Le mérite des grands docteurs dominicains, l'allemand Albert le Grand (1206-1280) et
l'italien Thomas d'Aquin (1225-1274), le second ayant été à Paris l'élève du premier, fut de se
mettre au travail pour tenter non pas une conciliation mais un approfondissement qui, se servant
d'Aristote sans s'y asservir, produirait une réflexion authentiquement chrétienne et cependant
bien à jour, en phase avec les besoins intellectuels du temps. Thomas y parvint plus parfaitement
que son maître, chez qui subsistent des manques de cohérence entre les divers apports. Il y
parvint notamment avec la Somme contre les Gentils et la Somme théologique, ses deux ouvrages
majeurs. La synthèse qu'il élabore rend justice à la fois aux requêtes de la révélation et à l'effica-
cité propre de la raison, y compris lorsqu'il s'agit de creuser la compréhension des mystères
révélés. Il se montre là plus optimiste à l'égard de la raison humaine que la tradition augusti-
nienne, qui ne méprise pas l'intelligence, certes, mais éprouve le besoin d'en contrôler de près
l'exercice dans notre nature blessée par le péché.
Saint Thomas d'Aquin ne put imposer ces idées sans débat. Le franciscain saint Bonaven-
ture, de tradition augustinienne, lui aurait reproché amicalement de mettre l'eau de la raison dans
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le vin pur de la sagesse divine, à quoi saint Thomas aurait rétorqué que l'eau, comme à Cana, est
changée en vin. C'est donc sur des bases différentes que saint Bonaventure développe une
réflexion également riche, notamment dans son Itinéraire de l'esprit vers Dieu. Tous deux ont été
reconnus "docteurs de l'Eglise".
D'ailleurs, les idées de Thomas se sont-elles vraiment imposées? Trois ans après sa mort,
l'évêque de Paris, Etienne Tempier, craint qu'il n'ait fait la part trop belle à une philosophie
étrangère au christianisme, au risque de contaminer de naturalisme la pensée chrétienne. Poussé
aussi bien par des adversaires de l'aristotélisme que par des séculiers hostiles aux maîtres issus
des ordres mendiants, il condamne une brassée de thèses puisées dans les écrits de Thomas, que
l'on a mêlées à un plus grand nombre de thèses averroïstes pour les frapper d'une condamnation
globale. Thomas sera réhabilité plus tard, et canonisé, mais le thomisme qui sera ultérieurement
enseigné sera devenu un système bien propre et figé, non plus cette réponse vivante aux exigen-
ces du temps qu'avait été son travail dans le bouillonnement intellectuel du 13ème siècle.
On aura remarqué le rôle de Paris dans cette floraison. Albert le Grand a enseigné aussi à
Cologne, Thomas à Naples, Jean Duns Scot (1266-1308), un franciscain comme Bonaventure, à
Oxford et Cologne. Tous sont passés par Paris, y ont pris leurs grades. C'était la plaque tournante,
au milieu d'une chrétienté occidentale où les théologiens ne cessaient de circuler, à pied plus
souvent qu'à cheval ou sur une mule, comme faisaient aussi les marchands pour d'autres raisons.
Grâce à cette circulation, qui concerne aussi les évêques, les légats des papes, parfois les papes
eux-mêmes, grâce aussi au latin, langue de tous les échanges intellectuels, la culture chrétienne
est une sans se soucier des frontières, et bien vivante.
Même l'art gothique, qui se répand alors dans toutes les directions, peut être mis en
relation avec cet épanouissement de la raison au service de la foi. Car, par rapport à l'art roman,
si beau pourtant mais voué à des murs épais et des voûtes plutôt étroites, l'architecture gothique
marque une libération des formes due à une rationalisation de l'équilibre des édifices, avec le
report des poussées sur les piliers et les contreforts. Bien sûr, en cette matière aussi l'effort
rationnel peut se lancer un peu trop haut imprudemment, l'effondrement des voûtes du choeur de
Beauvais en 1284 est là pour le prouver.

Appuyé sur les réformes des siècles précédents depuis Grégoire VII, le 13ème siècle a
vraiment voulu bâtir non seulement une culture chrétienne, mais plus largement un monde
chrétien cohérent, purgé de l'hérésie, où les excès de la richesse seraient contestés par la pauvreté
volontaire, où les laïcs ne seraient plus des laissés pour compte de la sainteté, où l'on irait
ensemble vers Dieu sous la direction de l'Eglise et du pape. La figure de saint Louis symbolise
bien cet effort, et c'est au temps de ce roi qu'on a été le plus près de réaliser ce programme. On l'a
fait avec les moyens qui paraissaient normaux à l'époque, et nous avons pris conscience depuis
lors que certains sont radicalement anti-évangéliques. Parallèlement, l'échec de la croisade en
Orient devenait définitif. Les réussites mêmes reposaient sur des équilibres menacés. La
condamnation des thèses thomistes en 1277, les disputes entre franciscains sur la fidélité aux
intentions du fondateur, l'écart entre les méthodes de Dominique et les pratiques de l'Inquisition,
témoignent de cette fragilité.
Rêver de refaire le 13ème siècle est absurde. S'inspirer des intuitions de Dominique pour la
mission, de François face à l'argent et à la puissance, de Thomas face à la science et à la philoso-
phie, ne l'est pas.

8. Après 1300 : déclin de la chrétienté médiévale?

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Durant cet "automne du Moyen Age" (l'expression est de l'historien J. Huizinga), la
cohésion de la cité chrétienne construite au 13ème siècle en Europe occidentale se défait, sous
l'influence à la fois de facteurs internes à l'Eglise ou la concernant directement, et de malheurs
généraux comme la peste noire, qui détruisit entre le quart et le tiers de la population entre 1348
et 1351, ou la Guerre de Cent Ans, destructrice aussi pendant les trêves du fait des bandes armées
sans emploi. Mais, en même temps, ici et là de nouvelles voies sont ouvertes, qui mèneront à la
Renaissance, à la Réforme, ou plutôt aux Réformes, protestante et catholique, et aussi à une
société moins totalisante, où les Etats se dégagent de l'emprise du pouvoir religieux.

Vers l'autonomie du pouvoir temporel.


On connaît le conflit qui, de 1296 à la mort du pape en 1303, opposa Philippe le Bel à
Boniface VIII. Au départ, il s'agissait pour le roi de lever des impôts sur les clercs sans se soucier
des immunités décrétées par le pape. Bien vite, le débat s'élargit et Boniface affirma la prétention
de la papauté à être sur cette terre l'unique source d'une autorité légitime, au temporel comme au
spirituel, le roi étant titulaire seulement d'un pouvoir exécutif dans l'obéissance (bulle Unam
Sanctam, 1302). Appuyé sur les arguments de ses légistes, pour qui le roi n'a pas de supérieur au
temporel, Philippe ne tint aucun compte des anathèmes du pape, et envoya une armée le faire
prisonnier. Le pape mourut peu après, et si aucun de ses successeurs ne désavoua Unam Sanc-
tam, en fait l'incapacité où s'était trouvé Boniface d'appliquer ses vues fit en quelque sorte
jurisprudence, d'autant plus que les papes français d'Avignon ne cherchèrent jamais la confronta-
tion avec le roi de leur pays d'origine.
Du côté de l'empereur, depuis Grégoire VII la papauté se trouvait affranchie de toute
dépendance envers celui qui portait le titre de roi des Romains et se considérait comme l'héritier
de Constantin et de Charlemagne, mais de l'ancien état de dépendance réciproque entre les deux
pouvoirs demeurait chez les papes l'habitude d'intervenir lors des successions (l'empire était
électif), au moins lorsqu'il y avait compétition et que les princes allemands se divisaient sur le
choix : était légitime celui que le pape acceptait de couronner. En 1323 encore, Jean XXII prit
parti contre Louis de Bavière, qui n'avait triomphé d'un compétiteur que par les armes. Charles
de Bohême, qui devint ensuite empereur sous le nom de Charles IV avec l'accord du successeur
de Jean, promulgua en 1356 un règlement de l'élection impériale destiné à éviter les contesta-
tions : la "Bulle d'Or" fixait la liste des électeurs (quatre princes et trois archevêques), déclarait
inviolables les territoires attachés à leur titre, organisait la procédure sans équivoque. Rien dans
le texte ne niait les pouvoirs du pape, mais on n'en parlait pas, et ils étaient devenus sans objet.

Les vicissitudes de la papauté. Avignon. Le grand schisme.


En 1304, un pape dont le nom importe peu fuit Rome, troublée par les affrontements des
grandes familles (presque une guerre civile), et se réfugie à Pérouse, dans ses domaines d'Italie
centrale, où il meurt. Les cardinaux, toujours à Pérouse , mettent onze mois à lui désigner un
successeur, l'archevêque de Bordeaux. Celui-ci, Clément V, d'abord retenu en France par ses
efforts pour éviter la guerre entre la France et l'Angleterre et ses négociations avec Philippe le
Bel sur l'affaire des Templiers, est ensuite empêché de gagner l'Italie par des révoltes et une
invasion des armées impériales. En 1309, il décide de se fixer à Avignon, ville sûre et bien située
au coeur de la chrétienté catholique, sur la lisière des possessions pontificales du Comtat Venais-
sin. C'est seulement vers 1360 qu'un cardinal-légat bon militaire réussit à rétablir l'autorité du
pape sur ses Etats d'Italie, et en 1377 que Grégoire XI rentre définitivement à Rome. Entre temps,
sept papes français, tous gascons, limousins ou languedociens, se sont succédé à Avignon.
Le pape est pape, exerce le primat dans l'Eglise universelle, parce qu'il est évêque de
l'Eglise de Rome, là où Pierre et Paul sont venus achever leur mission par le martyre. Le séjour
prolongé dans une résidence si lointaine, la confiscation de la fonction par des prélats tous sujets
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du roi de France, avaient quelque chose d'anormal. De plus, les papes finançaient jusque-là leur
activité et celle de la curie grâce aux revenus que leur procurait leur souveraineté sur l'Italie
centrale. Ces revenus, compromis par les troubles, ne leur parvenaient pas à Avignon. Ils mirent
en place une fiscalité ecclésiastique qui pesa sur l'ensemble des diocèses et des monastères de la
chrétienté latine, et coûtait à peu près un an de revenus à tout clerc prenant possession d'un
"bénéfice" (évêché, abbaye, etc.) Administrativement, la papauté d'Avignon fut un succès.
Spirituellement, c'est autre chose.
Grégoire XI rentre à Rome en 1377. Dès 1378, à sa mort, c'est le schisme. Les cardinaux
sont français en majorité, le peuple romain réclame dans la rue un Italien, non sans quelques
violences. On élit l'archevêque de Bari, Urbain VI. On le croyait modéré, il se révèle aussitôt
despotique, cruel même, car les récalcitrants subissent la torture. Les cardinaux français quittent
Rome, et sont bientôt rejoints par les Italiens, tout aussi consternés. On se met d'accord pour
déclarer invalide l'élection en raison des pressions extérieures, et on choisit le cardinal Robert de
Genève, Clément VII, qui, ne pouvant prendre possession de Rome, reprend le chemin d'Avi-
gnon. Ce n'étaient donc pas deux partis en désaccord qui avaient élu deux antagonistes, mais les
mêmes qui s'étaient ravisés. En sortir par un compromis était d'autant plus difficile, et l'on ne s'en
sortit pas. Pouvait-on espérer qu'à la mort d'un des deux, l'autre serait accepté par tous? Chacun
des deux papes créa un nombre suffisant de cardinaux parmi ses partisans pour qu'à sa mort un
conclave lui donne un successeur.
La confusion fut grande. De futurs saints canonisés, Catherine de Sienne et Vincent
Ferrier, soutinrent des partis contraires. Les grands Etats se repartirent à peu près à égalité dans
les deux camps, selon des soucis politiques : la France soutenait Avignon, l'Angleterre prenait
donc parti pour Rome, et l'Ecosse contre la préférence de l'Angleterre. Il ne semble pas cependant
que la vie du peuple chrétien en ait été grandement affectée à la base, on ne se posait pas de
question sur le choix fait par les évêques et le roi du pays où l'on vivait. La confiance dans
l'institution pouvait pourtant être ébranlée. Que faire?
Un concile pour trancher? Mais normalement c'est le pape (ici : quel pape?) qui le
convoque. Selon les canonistes, l'urgence peut permettre que les cardinaux ou l'empereur se
substituent à la papauté défaillante. Des cardinaux des deux bords convoquent à Pise en 1409 un
concile, qui ne fit qu'ajouter à la confusion parce que la démission qu'il exigea des antagonistes
du moment ne fut pas donnée, et que l'élu unique qu'il voulut leur substituer devint en fait un
troisième pape! Le concile de Constance (1414-1418) convoqué par l'empereur Sigismond,
réussit mieux, puisque deux des papes acceptèrent de se retirer, que le troisième fut abandonné
de tous, et que l'élection de Martin V en 1417, par les cardinaux présents au concile, fut rapide-
ment acceptée.
Le concile de Constance avait dû à certains moments délibérer en l'absence de tout pape,
même contesté. Que valaient ses délibérations? Certains théologiens présents affirmèrent la
pleine valeur du concile, et que tous, pape compris, lui doivent alors obéissance en matière de foi
ou de réforme de l'Eglise. Un décret fut voté en ce sens. En tout cas le concile imposa à Martin
V, qui accepta, la tenue périodique de conciles. Mais les conciles de Pavie (1423) et de Bâle (à
partir de 1431) se déroulent de manière confuse, sans résultats durables; à Bâle, on vota pour des
thèses conciliaristes extrêmes, subordonnant le pape au concile, mais à un moment où les évê-
ques étaient devenus minoritaires parmi les votants, l'assemblée ayant été étendue à une foule de
théologiens. Après que le pape Eugène IV eut décidé le transfert du concile à Ferrare puis à
Florence (5 juillet 1439 : union avec les Grecs), ce transfert fut refusé par la majorité des partici-
pants, mais les débats s'enlisèrent et le concile bâlois s'éteignit. Dans les faits, les thèses concilia-
ristes s'étaient révélées inopérantes une fois que le schisme avait été résorbé et qu'on avait un
pape incontestable. Mais elles pouvaient refaire surface en cas de conflits. On peut peut-être
penser que l'approche juridique, voulant à toute force établir que le concile domine le pape, ou
l'inverse, n'est pas la meilleure pour être fidèle à l'Esprit.

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Dans la seconde moitié du 15ème siècle, les papes, maintenant installés au Vatican,
jouissent à nouveau d'un pouvoir sans mélange. Mais est-ce encore un service spirituel? Ne sont-
ils pas devenus avant tout des princes temporels et des mécènes humanistes, certes soucieux de
religion même quand leur vie privée pourrait le démentir, mais n'est-ce pas le cas aussi de bien
des rois?

Les épreuves de l'Orient chrétien.


En 1240, les Mongols ont détruit Kiev, et vont tenir les principautés russes en vassalité
durant plusieurs siècles. Le nord-ouest du pays russe échappe mieux à leur emprise mais le
prince de Novgorod, Alexandre Nevski, un saint pour l'Eglise orthodoxe, a dû aussi repousser en
1242 une invasion des Chevaliers Teutoniques! En 1325, le métropolite de l'Eglise russe, qui a
quitté Kiev, s'installe à Moscou.
Pendant ce temps, le christianisme byzantin est pris dans un étau de plus en plus étroit par
l'Islam turc : les Turcs sont passés en Europe dès la fin du 13ème siècle et se sont répandus dans
les Balkans, où ils vassalisent les royaumes chrétiens (bataille du Kosovo, 1389). Constantinople
encerclée tombera comme un fruit mûr en 1453. Dès 1448, Moscou a pris acte de la situation
nouvelle, et proclamé son indépendance canonique. Cependant, à partir du 14ème siècle, la
montagne de l'Athos (une presqu'île en mer Egée au nord de la Grèce) a commencé à se couvrir
de monastères, et la "sainte montagne" demeurera malgré la domination turque un lieu de sancti-
fication et aussi de contact entre les différents branches du monde orthodoxe.
Des cinq patriarcats de l'Antiquité, Rome seule demeure en zone chrétienne indépendante.

Les nouveautés de la philosophie et de la dévotion.


La tentative thomiste de synthèse philosophico-théologique avait suscité des oppositions
et même une condamnation, on ne l'a pas oublié. Certains penseurs des générations suivantes
vont s'orienter dans une tout autre direction, c'est ce qu'on appelle le nominalisme, avec en
particulier le franciscain Guillaume d'Occam. Pour un penseur nominaliste, les concepts géné-
raux, comme "homme", ne désignent rien de réel, il n'existe que des individus, tels Pierre ou Paul
ou Marie, et "homme" n'est qu'un nom sous lequel on les réunit, en raison de proximités entre
eux que constate l'expérience. De telles vues permettent le développement de la science expéri-
mentale, mais non pas une réflexion sur l'essence de la "nature humaine", ni par voie de consé-
quence sur la "nature divine", dont de toute façon on ne pourrait parler que par analogie. Tout
discours sur Dieu, et même simplement sur son existence, utilisant des instruments philosophi-
ques empruntés à Aristote ou à quelque autre, devient alors illusoire. Cela ne veut pas dire que
Guillaume d'Occam renonce à Dieu, au contraire, mais il n'attend de clartés que de la Révélation,
que de la Bible et de la tradition de l'Eglise. Ainsi se trouvent fortifiés à la fois un savoir sur le
monde, de caractère expérimental, et une foi qui tend à devenir fidéiste. Entre les deux domaines
est instaurée une coupure radicale. Ces idées se répandirent rapidement dans les universités.
A la même époque, chez des âmes d'élite, un courant mystique se développe. Il faut citer
ici les noms de Maître Eckhart, un dominicain mort en 1327, encore très théologien, et du
religieux augustin Ruysbroeck "l'Admirable", mort en 1381, initiateur de ce qu'on a appelé la
"dévotion moderne", et qui sait parler de l'union contemplative avec Dieu dans la langue de tous,
et non plus seulement en latin. Cette dévotion moderne se répand dans les Pays-Bas, chez les
"Frères de la Vie commune", où se retrouvent des clercs d'humble niveau et des laïcs de forte
exigence spirituelle, associant le dévouement charitable et la prière, la recherche d'une vie
intérieure plus sensible que spéculative, fondée sur l'imitation du Christ. L'Imitation de Jésus-
Christ a été écrite dans ce milieu entre 1420 et 1440.

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La piété populaire évolue elle aussi. Cela faisait longtemps qu'on se confiait à l'interces-
sion des saints, c'est un aspect essentiel de la dévotion tout au long du Moyen Age. Le malheur
des temps fait qu'on sent de plus en plus la besoin de ces soutiens célestes, et tout particulière-
ment de celui de la Vierge Marie. La considération de la mort se fait obsédante, on peint un peu
partout des danses macabres qui rappellent que du pape au paysan tout le monde est entraîné vers
le même trou, et doit sans attendre se soucier de son salut. On a peur de la damnation, on recher-
che les indulgences, on récite par quantités des Pater et des Ave, tandis qu'on assiste dévotement
à des messes qu'on ne peut plus suivre en détail, faute de comprendre et même d'entendre ce que
dit le prêtre en latin. La compassion aux souffrances rédemptrices de Jésus et à celles de sa mère
(le Stabat Mater dolorosa date de cette période) est un élément important de la piété, les crucifix
douloureux succèdent alors dans l'art religieux au Christ en majesté des tympans romans et au
Christ serein et beau de la statuaire gothique du 13ème siècle. Ne nous y trompons pas, cette piété
est authentique même quand ses formes nous sont étrangères, et les deux Ballades de François
Villon, celle des Pendus et celle pour prier Notre-Dame, n'ont rien perdu de leur intensité
priante.

Le besoin de réformes.
Quoi qu'il en soit, et même si tout n'est pas déclin dans ces deux siècles, il existait entre
ce qui se défaisait et ce qui se cherchait un déséquilibre, qui poussait des chrétiens exigeants à
vouloir des réformes, ou même une réforme de l'Eglise.
On ne fera pas l'inventaire de tout ce qui faisait problème et allait être remis en question
par la Réforme du 16ème siècle. On ne décrira pas non plus les tentatives des précurseurs tels que
l'anglais Wyclif (mort en 1384) et le tchèque Jan Hus, sinon pour dire que le concile de Cons-
tance, qui sut mettre fin au grand schisme, fut aussi celui qui condamna Hus au bûcher en 1416.
Leur apport sera examiné en prologue au livret sur le christianisme à l'époque de la Réforme.
On se contentera plus modestement de retracer quels furent dans les ordres religieux et le
clergé les réformes partielles mais réelles qui furent mises en oeuvre dès avant la fin du Moyen
Age. Dans le clergé séculier, les évêques, lorsqu'ils avaient le désir de corriger les abus et les
défaillances, ce qui n'était pas toujours le cas, n'en avaient pas non plus toujours les moyens. Les
nominations leur échappaient souvent, en raison de divers privilèges, et contre les sanctions la
lettre du droit canon procurait bien des protections aux curés de moralité contestable ou pares-
seux à remplir leur mission. Dans les ordres, monastiques ou mendiants, les accommodements
avec la règle, avec l'obéissance, avec les jeûnes, avec la pauvreté, s'étaient largement répandus,
chez les simples religieux et encore plus chez les dignitaires. Les tentatives de réforme générale
(Benoît XII l'essaya vers 1340 pour les bénédictins et les cisterciens) échouèrent. Alors on vit,
aussi bien chez les moines que chez les mendiants, des abbayes ou des couvents entreprendre
sans attendre les autres leur propre réforme, leur retour à une observance plus conforme à l'esprit
de leur fondation. L'ennui était qu'ils demeuraient sous la coupe de supérieurs généraux qui
voyaient assez mal cette contestation implicite. Peu à peu, les religieux qui se réformaient
obtinrent, non sans conflits, de constituer à l'intérieur de leur ordre des groupements particuliers,
congrégations d'abbayes, provinces d'ordres mendiants, avec une large autonomie, et dans un cas
une pleine indépendance : chez les franciscains, les "observants" finirent par constituer un ordre
complètement séparé des "conventuels" chez qui l'absence de propriété n'était plus que faux
semblant. Seuls les chartreux n'eurent pas besoin de se réformer, la ferveur s'était maintenue.
Quelques noms propres : chez les bénédictins, les abbayes de Valladolid en Espagne, de
Padoue, du Mont-Olivet et de Subiaco en Italie, de Melk en Autriche, animèrent ce renouveau.
Chez les franciscains, saint Bernardin de Sienne (1380-1444) fut à la fois un réformateur écouté
et un prédicateur de grand renom et efficace.

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Lorsque, face au défi de la Réforme protestante, l'Eglise catholique entreprit sa propre
réforme, elle profita de ce que ces "observants" de toutes robes avaient commencé.
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Pour écrire ce livret, divers ouvrages ont été consultés. Les plus constamment utilisés ont été :
Jean COMBY, Pour lire l’histoire de l’Eglise, tome 1, Des origines au XVe siècle, Paris, Editions du Cerf, 1984.
Roland FRÖHLICH, Histoire de l'Eglise. Panorama et chronologie, traduit et adapté par R. RINGENBACH, o.p., Paris,
Desclée, 1984.
M. D. KNOWLES et D. OBOLENSKY, le Moyen Age (tome 2 de la Nouvelle Histoire de l’Eglise), Paris, Editions du
Seuil, 1968.
Histoire du Christianisme des origines à nos jours, tomes 4 (1993), 5 (1993) et 6 (1990), sous la responsabilité de
Gilbert DAGRON, Michel MOLLAT DU JOURDIN, Pierre RICHE, André VAUCHEZ, Paris, Desclée de
Brouwer.
2.000 ans de Christianisme (ouvrage collectif), tomes III et IV, Paris, Société d'Histoire chrétienne, 1975.

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