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PIERRE – Excusez-moi, docteur, je vous avais fait venir pour un tour de reins,

pas pour une scène de ménage.


LE DOCTEUR – Mais je vous en prie... Euh, je peux me laver les mains ?
PIERRE – Première porte à gauche.
LE DOCTEUR – Quand j'étais étudiant, on faisait des dîners de mo ches. Fallait
inviter la fille la plus laide possible, puis, à la fin du dîner, on décernait une
palme.
PIERRE – Oui oui, j'ai fait ça moi aussi. /R/ Mais c'est plus drôle avec les cons.
LE DOCTEUR – Ça me paraît moins objectif, tout de même.
PIERRE – Non, non, croyez-moi docteur, y’a des cons totalement objectifs. J’en
attends un d’un moment à l’autre, vous allez voir, on ne peut pas se tromper.
LE DOCTEUR – C'est un ami à vous ?
PIERRE – Non, j'ai des amis très cons, mais pas à ce point-là. Ceux qu'on
sélectionne sont des champions, c'est de la haute compétition.
LE DOCTEUR –Et vous les trouvez où, ces champions ?
PIERRE – Oh, c’est pas simple, c'est une vraie chasse à l'homme. On a des
rabatteurs qui nous signalent un con qui vaut le détour.
LE DOCTEUR – 5ème lombaire.
PIERRE – C'est grave ?
LE DOCTEUR – Non, mais j'ai peur qu'il faille annuler votre dîner.
PIERRE – Ah non.
LE DOCTEUR – Je n'aime pas manipuler à chaud, reposez-vous cette nuit je
repasserai demain matin.
PIERRE – Docteur, j'ai un con de classe mondiale, ce soir, je vous en supplie,
faites quelque chose, un calmant, des anti-inflammatoires, je veux pas le savoir,
mais faites quelque chose !
LE DOCTEUR – Le sac de glace et du repos, ou vous en avez pour trois
semaines.
PIERRE – Ah c’est vraiment pas de chance. Carnet, s’il vous plaît. Merci.
Téléphone. Comment il s’appelle déjà ? Ah oui, Pignon, François Pignon.
LE DOCTEUR – Et il fait quoi, dans la vie ?
PIERRE – Il travaille aux impôts.
LE DOCTEUR – Oh dites donc, c'est dangereux, ça, imaginez qu'il apprenne
pourquoi vous l'avez invité.
PIERRE – Aucun risque, on fait très attention, jamais un con n'a su pourquoi on
l'avait invité. Il est pas là. Oh putain. Son répondeur. Vous allez voir il essaye d’être
drôle c’est pathétique. Hein, il est pas beau celui-là ?
LE DOCTEUR – Ah il a l’air assez exceptionnel oui.
PIERRE – Le voilà.
LE DOCTEUR – Bougez pas, j’y vais.
Il arrive. Je vais vous laisser des calmants, deux comprimés dans la nuit si vous
avez vraiment mal.
PIERRE – Vous voulez pas l’attendre qu’on rigole un peu ?
LE DOCTEUR – Non non, non, non, faut que je file. A demain. Et n’hésitez pas à
m’appeler chez moi si vous avez un problème.
PIERRE – A demain docteur. Laissez la porte ouverte s’il vous plaît.
LE DOCTEUR – J’aimerais vous demander une faveur.
PIERRE – Mais je vous en prie.
LE DOCTEUR – Ne m’invitez jamais à dîner j’aurai toujours un doute.
PIERRE – Bonsoir Monsieur Pignon. Entrez, entrez.
Excusez-moi je ne me lève pas, je suis complètement bloqué, je me suis fait un tour
de reins.
Je suis désolé, il va falloir remettre notre dîner.
FRANCOIS – C'est moi qui suis désolé pour vous, c'est p as drôle, un tour de
reins.
PIERRE – C’est surtout très bête. Qu’est-ce que vous faites mercredi prochain ?
FRANCOIS – Mercredi prochain ? Euh rien.
PIERRE – Parfait, l'ami chez qui on devait aller ce soir redonne un dîner.
Vous êtes bien sûr invité.
FRANCOIS – C'est vraiment très gentil, ça.
PIERRE – Non, c’est normal. On vous a raté aujourd'hui, on ne va pas vous
rater la semaine prochaine.
D’accord mais comptez pas trop sur nous hein.
Oui, oui il est là, oui.
Très sympathique.
Il a une belle tête de vainqueur.
Non t’inquiète pas, si je peux pas ce soir je te l’amène la semaine prochaine. Salut.
Alors comment ça va Monsieur Pignon ?
FRANCOIS – Très bien je vous remercie.
PIERRE – Je suis tombé sur votre répondeur tout à l'heure, il est très amusant.
FRANCOIS – Ah ! oui... J'ai essayé de faire un message un peu original...
PIERRE – Très réussi. J'en ris encore.
FRANCOIS – Figurez-vous que m'en parle, et j'ai même des amis qui me
demandent de faire leur message.
PIERRE – Ah mais ça ne m'étonne pas du tout.
FRANCOIS – Je vois que vous avez un répondeur si vous voulez je peux…
PIERRE – Non ce n’est pas la peine.
FRANCOIS – Parce que j’en ai vraiment pour une minute.
PIERRE – Non non vraiment il est très bien comme ça. Bon, peut-être un peu
classique pour vous, mais…
Je suis vraiment ravi de vous connaître, monsieur Pignon.
FRANCOIS – Moi aussi, monsieur Brochant... depuis que vous m’avez appelé
au Ministère c’est bête à dire mais je suis...Comme sur un nuage. J’ai
d’abord cru que c’était une blague. /R/ J’ai dû vous paraître stupide au
téléphone.
PIERRE – Oui. Euh, non, non non, vous étiez parfait.
FRANCOIS – Qu’un grand éditeur comme vous veuille publier un ouvrage sur mes
maquettes et que vous m’invitiez à diner en plus. Vous avez changé ma vie Monsieur
Brochant.
PIERRE – Oui pour ce qui est de l’ouvrage c’est encore un projet un peu vague hein.
FRANCOIS – Alors, je vous ai apporté les photos de mes plus belles pièces...
La Tour Eiffel.
PIERRE – Superbe.
FRANCOIS – 8 mois d’effort.
PIERRE – Ça se voit. Et vous faites ça le soir après votre travail ?
FRANCOIS – Le soir et pendant les week-ends dès que j’ai un moment de libre quoi.
PIERRE – Et vous êtes marié ?
FRANCOIS – Oui. Enfin non. Tancarville.
PIERRE – Magnifique, mais vous êtes marié oui ou non ?
FRANCOIS – C’est-à-dire que ma femme est partie.
PIERRE – Ah bon.
FRANCOIS – Avec un ami à moi
PIERRE – Ça arrive ces choses-là.
FRANCOIS – Un type que j’ai connu au ministère pas méchant. Un soir, je l'ai
amené à la maison et il lui a plu. Je n’ai pas très bien compris pourquoi
d’ailleurs parce qu’entre nous c’est pas une lumière. Combien d’allumettes
d’après vous pour un ouvrage pareil ?
PIERRE – Comment ça pas une lumière ?
FRANCOIS – Le garçon avec qui elle est partie, c'est pas pour dire, mais qu'est-
ce qu'il est bête ! Allez dites un chiffre.
PIERRE – Mais plus bête que ?... Enfin, je veux dire, vous êtes intelligent, vous,
alors par rapport à vous ?
FRANCOIS – Écoutez, je n'aime pas être grossier, mais là il faut
employer le mot, c'est un con.
PIERRE – Mon Dieu.
FRANCOIS – Alors ?
PIERRE – Excusez moi mais je n’arrive pas à croire que votre femme soit partie avec
un con.
FRANCOIS – Mais moi non plus. Et c’est un vrai débile et il ne parle que de planche
à voile.
PIERRE – Et ou peut-on le rencontrer ce garçon ?
FRANCOIS – Pourquoi vous aimez la planche à voile ?
PIERRE – Mais énormément. Je suis passionné de planche à voile
FRANCOIS – Alors vous allez bien vous entendre avec lui. Il s’appelle Jean-Patrice
Benjamin. Mais au ministère on l’appelle Ducon. Vous trouverez son numéro
dans l’annuaire. A Benjamin hein, pas à Ducon.
Alors, combien d’allumettes ?
PIERRE – 2000 ?
FRANCOIS – 346 422.
PIERRE – Wow
FRANCOIS – Hein ? Et attendez c’est pas fini, combien de tubes de colle ?
PIERRE – Monsieur Pignon ? On va tout de même aller à ce dîner.
FRANCOIS – Mais vous pouvez marcher ?
PIERRE – Je vais essayer. Vous avez une voiture ?
FRANCOIS – Oui.
PIERRE – Si vous me conduisez on devrait y arriver. Aidez-moi seulement à me
lever.
FRANCOIS – Allez, en route.
Ça va ?
Doucement.
37.
PIERRE – Comment ?
FRANCOIS – Les tubes de colle, 37.
PIERRE – On va passer une bonne soirée Monsieur Pignon, une très bonne soirée.
FRANCOIS – Désolé. Vous vous êtes fait mal ?
Y’a peut-être quelque chose de cassé.
PIERRE – Qu'est-ce que vous faites ?
FRANCOIS – J'appelle un kiné.
PIERRE – C'est pas la peine !
FRANCOIS – C'est un copain à moi, il est formidable
PIERRE – C‘est pas la peine, je vous dis
FRANCOIS – C'est le meilleur kiné de Courbevoie.
PIERRE – Je ne veux pas du meilleur kiné de Courbevoie ! Rentrez chez vous,
ça va aller.
FRANCOIS – Ah bon ? On va pas dîner alors ?
PIERRE – Non on ne va pas dîner je ne suis plus tout à fait en état figurez vous.
Laissez y’a le répondeur.
FRANCOIS – C’est vrai qu’il pourrait être plus rigolo votre message. Bon, ben, je
vais vous laisser. Vous êtes sûr que vous n'avez besoin de rien ?
PIERRE – Non, non, tout va bien. Bonsoir.
FRANCOIS – Excusez-moi, j'avais oublié mon porte-documents. Je suis avec
vous, monsieur Brochant, je suis vraiment de tout cœur avec vous.
PIERRE – Merci beaucoup. Au revoir.
FRANCOIS – Au revoir. Qu'est-ce que je peux faire pour vous ?

PIERRE – Rien du tout, ça va très bien. Bonne nuit.


FRANCOIS – Monsieur Brochant, s'il y a un homme qui peut comprendre ce qui
vous arrive, c'est bien moi.
PIERRE – Monsieur Pignon, j'aimerais qu'on me laisse tran quille.
FRANCOIS – C'est ce que je disais moi aussi quand elle m'a quitté, puis j'ai
failli mourir de solitude et de chagrin dans mon living-room. Vous, en plus, vous
avez le dos en compote.
PIERRE – Personne ne m'a quitté. C'est un message incohérent dans un
moment de déprime, elle va revenir tout à l'heure, vous pouvez rentrer chez
vous. Bonsoir !
FRANCOIS – Elle va revenir tout à l'heure, voilà encore une chose que je disais
moi aussi, et ça fait deux ans qu'elle doit revenir tout à l'heure !
PIERRE – Je vais me coucher, vous éteindrez en sortant.
FRANCOIS – Vous ne voulez vraiment pas que j'appelle Maurice ? C'est mon
copain kiné...
PIERRE – Non.
FRANCOIS – C’est vraiment un crack Maurice et puis il est pas cher en plus. Vous
savez combien il prend quand il vient à domicile ?
PIERRE – Je suis entre les mains du Pr Sorbier qui dirige le service de
rhumatologie de l'hôpital Broussais, je n'ai pas besoin de Maurice !
FRANCOIS – Oui, bah je sais pas comment il dirige son service, mais
regardez-vous, vous êtes dans un état !
PIERRE – Je suis dans cet état-là parce que vous m'êtes tombé dessus. Je ne
sais pas pourquoi je discute avec cet abruti bordel de merde.
FRANCOIS – Vous faites peine à voir, on dirait un cheval qui a raté une haie.
On vous abattrait sur un champ de courses.
PIERRE – Allez-vous-en, monsieur Pignon.
FRANCOIS – C'est des coups à rester paralysé, ça. Je ne veux pas vous affoler,
mais si la moelle épinière est touchée, c'est paralysé à tous les coups. Et là à
part un voyage à Lourdes.
PIERRE – Appelez Sorbier.
FRANCOIS – Ah, j’aime mieux ça. C'est quoi, son numéro ?
PIERRE – Dans le carnet là.
FRANCOIS – Allô ? Je voudrais parler au Dr Sorbier, j'appelle de la part de
Pierre Brochant...
Oui passez-moi vite le docteur s’il vous plaît c’est une urgence.
Ouh, excusez-moi, je me suis trompé de numéro, j'ai dû sauter une ligne dans
le répertoire, faut dire que c'est écrit tellement petit...
PIERRE – On s’en fout, raccrochez.
FRANCOIS – Oui je suis chez lui. Oui ,oui il est là. Ah non, il ne va pas bien du
tout. Il a un tour de reins... Oui, le sale truc, il ne peut plus bouger, il est affalé
sur le plancher comme un vieux sac, c'est dégoutant...
PIERRE – Mais à qui il parle, là ? A qui vous parlez, bordel ?
FRANCOIS – Excusez-moi, mais qui est à l'appareil ?... Ah bon, eh bien, je
peux vous le dire, alors. Ça va très mal, sa femme l'a quitté, en plus. C'est un
homme brisé, le coeur, les reins, tout...
PIERRE – Mais arrêtez, enfin !
FRANCOIS – Il faut que je vous quitte, ses nerfs sont en train de lâcher en
plus... Je n’y manquerai pas, au revoir, c’était votre sœur. C'était votre sœur.
PIERRE – Je n'ai pas de sœur.

FRANCOIS – Vous n'avez pas de soeur ? Je lui ai dit : « Qui est à l'appareil ? » Et
elle m'a dit : « Sa sœur. »
PIERRE – Il a appelé Marlène !
FRANCOIS – C'est pas votre sœur ?
PIERRE – C’est son nom Sasoeur. Marlène Sasoeur.
FRANCOIS – Je pouvais pas savoir, moi. Elle m’a dit c’est Marlène Sasoeur, avouez
que c’est confusant.
PIERRE – Donnez moi ce téléphone. Mais vite bon Dieu maintenant qu’elle sait que
la place est libre, elle va se ruer, cette malade ! C'est tout ce qui me manquait,
ce soir ! Une nymphomane !
FRANCOIS – Ah bon, elle est nymphomane, en plus ? Oh ! là là là là ! Oh! là
là là là !
PIERRE – Bon c’est fini oui ? Si je l’appelle elle va pas me lâcher cette folle j’en ai
pour des heures. Dites-lui que ma femme est rentrée. Mais dépêchez-vous bon Dieu.
Ma femme vient de rentrer tout va bien.
FRANCOIS – Ah bon ?
PIERRE – Mais non c’est ce qu’il faut lui dire.
FRANCOIS – Pardon.
Marlène Sasoeur ?... C’est encore moi, je vous rappelle pour vous dire que
madame Brochant est rentrée... Oui, oui, à l'instant, elle va bien, monsieur Bro -
chant va bien aussi, tout le monde va bien, quoi... Si, il a toujours mal aux
reins, mais il prend ça avec bonne humeur, maintenant...
PIERRE – Bon, au revoir !
FRANCOIS – Non, je ne suis pas vraiment un ami de monsieur Bro chant, je l'ai
rencontré parce qu'il s'intéresse à mes maquettes... Oui, je reproduis avec des
allumettes tous les grands chefs-d'oeuvre du Génie civil, le pont de Tan carville,
le Golden Gate de San Francisco...
PIERRE – Mais elle s'en fout !
FRANCOIS – Pas du tout ça la passionne figurez-vous !
PIERRE – N'immobilisez pas mon téléphone !
FRANCOIS – Excusez-moi, je vais être obligé de vous quitter, parce que, il
m'appelle et j'ai peur de le laisser tout seul dans l'état où il est...
PIERRE – Oh nom de Dieu.
FRANCOIS – Comment ?... Si si, elle est rentrée mais... Elle est ressortie  !
Non, pas repartie, ressortie. Une seconde pour... pour vider la poubelle...
PIERRE – Mais qu’est-ce qu’il raconte ?
FRANCOIS –Bélier... Bélier ascendant Gémeaux...Les Béliers sont pas des
menteurs mais je ne mens pas, je vous assure.
PIERRE – Bon ça suffit.
FRANCOIS – Allô ? Elle a raccroché. Elle a dit j’arrive et elle a raccroché.
PIERRE – Donnez-moi ce téléphone.
FRANCOIS – Je suis désolé, j'avoue que je l'ai jouée un peu relax. Mais je
pouvais pas deviner qu’elle était aussi pointue hein.
PIERRE – Non surtout pas Marlène ne dépose les chiens nulle part. ma femme va
re ntre r d'un mome nt à l'autre, je t’e n prie ne déba rque pa s chez moi
ma intenant. Mais quoi, Leblanc ? Pourquoi tu me parles de Leblanc ?... Mais
sûrement pas, c'est une histoire terminée, Leblanc, elle s'en fout de Leblanc !...
Bon, tu penses ce que tu veux, mais moi je te dis qu’elle n'est partie avec
personne et que je préfère que tu restes chez toi ce soir, c'est clair ... Allô ?...
Elle veut rien entendre cette folle. Bon vous pouvez me laisser M. Pignon j’ai
besoin d’être seul.
FRANCOIS – Vous voulez pas que je vous aide à aller dans votre chambre ? Vous
allez pas rester par terre toute la nuit.
PIERRE – Amenez moi jusqu’au canapé.
FRANCOIS – Doucement.
PIERRE – Non, regardez devant vous.
FRANCOIS – Toutes les mêmes hein ?
PIERRE – Comment ?
FRANCOIS – Non j’écoutais un peu malgré moi tout à l’heure et j’ai cru comprendre
que la vôtre était partie avec quelqu’un elle aussi.
PIERRE – Elle n’est partie avec personne.
FRANCOIS – La mienne non plus elle n’est partie avec personne parce que Jean
Patrice Benjamin ou personne, c’est pareil mais elle est tout de même partie avec lui.
PIERRE – On s’était dit au revoir, je crois.
FRANCOIS – Oui oui je file. Je vous apporte un peu d’eau pour les cachets et je file.
C’est un ami à vous ?
PIERRE – Vous allez me foutre la paix, oui ? Porte documents.
FRANCOIS – Quand vous m'avez demandé de raconter ma vie, moi je ne
vous ai pas répondu « foutez moi la paix ». Adieu Monsieur Brochant.
PIERRE – Leblanc était un ami à moi, mon meilleur ami, on est brouillés
depuis deux ans, voilà, vous êtes content ?
FRANCOIS – Et vous vous êtes brouillés pourquoi ? Parce qu'il tour nait
autour de votre femme ?
PIERRE – Mais pas du tout, c'est moi qui la lui ai prise. Il vivait avec
Christine et elle l'a quitté pour moi. Ils avaient écrit un roman ensemble et ils
étaient venus me le proposer.
FRANCOIS – Et alors ?
PIERRE – J'ai pris les deux : le roman et Christine.
FRANCOIS – Mais c’est effrayant ça. Tous les types qui font de la planche à
voile piquent la femme de leurs amis alors
PIERRE – Mais je ne fais pas de planche à voile vous allez me lâcher avec ça ?
FRANCOIS – Comment ça vous faites pas de planche à voile vous m’avez dit tout à
l’heure que…
PIERRE – J’en fais pas assez pour piquer la femme de mes… Mais qu’est-ce que je
raconte moi ? Bon, votre curiosité est satisfaite maintenant ?
FRANCOIS – Et pourquoi vous lui téléphonez pas ?
PIERRE – A qui ?
FRANCOIS – A lui, pour savoir si elle est retournée chez lui.
PIERRE – C'est ça, je ne lui ai pas parlé depuis deux ans, je l'appelle et je lui
dis : « Est-ce que la femme que je t'ai piquée est revenue chez toi ?
FRANCOIS – Au moins vous seriez fixé. Moi j’ai appelé Jean Patrice Benjamin, je
lui ai dit est-ce que tu es parti avec Florence ? Il m’a dit oui et il a raccroché, j’étais
fixé. Vous voulez que je l’appelle
PIERRE – Vous ?
FRANCOIS – Oui, j'appelle et je dis : « Allo, je suis un vieil ami de madame
Brochant, est-ce que savez pas où je peux la joindre ? »
PIERRE –Il va pas se méfier du tout !
FRANCOIS – J'essaie seulement de vous aider, hein.
PIERRE – Vous êtes gentil mais elle n’est sûrement pas retournée chez lui et je
voudrais me reposer maintenant.
FRANCOIS – Je n’insiste pas. Bonne nuit Monsieur Brochant.
PIERRE – Monsieur Pignon ?
FRANCOIS – Oui ?
PIERRE – Si je vous dis précisément ce qu'il faut lui dire, vous pensez que vous
pouvez le faire ?
FRANCOIS – Y’a des moments où j'ai vraiment l'impression que vous me
prenez pour un imbécile. Mais bien sûr que je peux le faire. Qu'est-ce que je dois
dire ?
PIERRE – On pourrait se servir du bouquin qu'ils ont écrit ensemble.
FRANCOIS – Oui
PIERRE – Vous appelez Leblanc et vous lui dites que vous êtes producteur de
films.
FRANCOIS – Oui
PIERRE – Vous avez lu le roman et vous voulez lui acheter les droits pour le
cinéma.
FRANCOIS – Ah oui c’est bien ça.
PIERRE – Et, en fin de conversation, vous lui demandez où vous pouvez joindre
sa collaboratrice.
FRANCOIS – Quelle collaboratrice ?
PIERRE – Ma femme ! Je vous ai dit qu'il avait écrit un bouquin avec elle.
FRANCOIS – Mais oui, exact, O.K, d'accord, excusez-moi.
PIERRE – Ça marchera jamais.
FRANCOIS – Mais si, j'ai compris. C'est pas simple, mais j'ai compris.
PIERRE – Quoi, c'est pas simple ! C'est tout simple : vous êtes producteur,
O.K. ?
FRANCOIS – O.K., O.K.
PIERRE – Vous avez une maison de production à Paris. Non, pas à Paris, il
connaît tout le monde à Paris... Vous êtes un producteur étranger.
FRANCOIS – Ok, Américain, allemand ?
PIERRE – Belge. Voilà c’est parfait ça, belge.
FRANCOIS – Pourquoi belge ?
PIERRE – Parce que c'est très bien, belge, vous êtes un gros producteur belge,
vous avez lu Le Petit Cheval de manège — c'est le titre du roman — et vous
voulez acheter les droits pour le cinéma, O.K. ?
FRANCOIS – C'est un bon livre ?
PIERRE – Très mauvais, quelle importance ?
FRANCOIS – Ça m'embête un peu, ça.
PIERRE – Pourquoi ?
FRANCOIS – Si le bouquin est mauvais, pourquoi j'irais acheter les droits  ? ah
ah ah ah ah
PIERRE – Monsieur Pignon...
FRANCOIS – Oui
PIERRE – Vous n’êtes pas producteur ?
FRANCOIS – Non
PIERRE – Vous n'êtes pas belge, non plus ?
FRANCOIS – Non
PIERRE – Ça n'est donc pas pour acheter les droits du livre que vous
téléphonez, mais pour essayer de savoir où est ma femme.
FRANCOIS – Ouh, alors ça c'est très tordu, mais bougrement intelligent. C'est
quoi, son numéro ?
PIERRE – 01 47 45... (Prudent.) Je vais le faire moi-même. (Il décroche.) Il
s'appelle Juste Leblanc.
FRANCOIS – Ah bon il n'a pas de prénom ?
PIERRE – Je viens de vous le dire, Juste le Blanc. Le Blanc c’est son nom et
c’est Juste son prénom. Monsieur Pignon votre prénom à vous c’est François
c’est juste ? Eh ben lui c’est pareil c’est Juste. Bon, on a assez perdu de temps
comme ça. Ma femme a signé le roman de son nom de jeune fille Christine Le
Guirec.
FRANCOIS – Ah bon. Elle est bretonne ?!
PIERRE – Je vous en prie, restez concentré.
FRANCOIS – Excusez-moi.
PIERRE – N’oubliez pas, en fin de conversation vous lui demandez ou vous pouvez
joindre Christine Le Guirec. Ça sonne, je vous mets sur haut-parleur. C’est à
vous !
FRANCOIS – Je prends l'accent belge ?
PIERRE – Non.
FRANCOIS – Allô, Allô, pourrais-je parler à monsieur Leblanc, juste une fois ?
Bonsoir, monsieur Leblanc, Georges Van Brueghel à l'appareil, pardon de vous
déranger à une heure aussi tardive, mais je suis producteur belge, n'est-ce pas,
j'arrive de Belgique une fois, et je suis très inté ressé par votre roman... (Il a
oublié le titre.) par votre roman...
PIERRE – Le Petit Cheval de manège.
FRANCOIS – Le Petit Cheval de manège, et j'aimerais discuter l'achat des droits
pour le cinéma.
Pas du tout, pourquoi une blague ?
Pardon ?
Vous faites erreur, monsieur Leblanc, je ne suis pas Etienne, je suis producteur et
j'arrive de Bruxelles.
Pardon ?
Les Films du Plat Pays.
C'est ça, une production jeune, mais dynamique, monsieur Leblanc.
Absolument, très intéressé, oui.
Pour le cinéma, monsieur Leblanc, pour le grand écran, pas pour la petite
lucarne !
Ça ne paraît pas poser de problèmes, ça, monsieur Leblanc, mais vous
devez seulement savoir que nous ne sommes pas une grosse production et
que nous n'avons pas d'énormes moyens, mais si vous n'êtes pas trop gourmand...
Van Brueghel, je vous appelle demain chez vous et on prend rendez-vous, une fois.
A demain, monsieur Leblanc.
Et voilà ! On a les droits ! Ouh, oh la la la la. Et pour pas cher, sûrement ! Il a
marché, il a marché à fond le gars !
PIERRE – Et ma femme ?
FRANCOIS – Quoi ?
PIERRE – Il a oublié ma femme ! Il fait le clown pendant cinq minutes, et il
oublie ma femme !
FRANCOIS – Ah la boulette !
PIERRE – Ça dépasse tout ce que j'ai pu imaginer.
FRANCOIS – Ah ! oui, j'ai fait la boulette.
PIERRE – On a repoussé les limites, là.
FRANCOIS – Je le rappelle.
PIERRE – Donnez-moi ce téléphone !
FRANCOIS – Je lui dis : « A propos, monsieur Leblanc, j'ai oublié de vous
demander où je pouvais joindre votre collaboratrice, Christine Le Guirrec »,
c'est tout simple !
PIERRE – Rendez-moi ce téléphone.
FRANCOIS – C'est dommage, on allait être fixé.
PIERRE – Vous ne lui direz rien de plus que : « A propos, j'ai oublié de vous
demander où je pouvais joindre votre collaboratrice, Christine Le Guirrec » ?
FRANCOIS – Pas un mot de plus.
Allo, Monsieur Leblanc, pardon de vous déranger de nouveau, c'est encore
monsieur Van Brueghel à l'appareil...
0145, nonente, 56 03.
Allo, allo ? Il a coupé.
PIERRE – Mais non, c'est moi, abruti !
FRANCOIS – Comment ça, abruti ?
PIERRE – Vous lui avez donné mon numéro de téléphone !
FRANCOIS – Eh bien, oui, il me demande où il peut me rappeler !
PIERRE – Vous ne vous reposez jamais, vous, hein ?
FRANCOIS – Excusez-moi, j'avoue que je suis un peu perdu. J'essaie de
comprendre, mais...
PIERRE – La classe mondiale. Peut-être même le champion du monde.
FRANCOIS – Ça sonne.
PIERRE – II est content ! Ça sonne et il est content !
FRANCOIS – C'est lui qui rappelle... On répond pas ?
PIERRE – Juste ?
C’est moi. Ou est-elle ?
Je ne t'en demande pas tant, dis-moi seulement si elle est chez toi ?
Elle t’a pas dit ou elle allait ?
Où elle a pu aller bon Dieu ?
Je sais t’as vécu ça toi aussi mais moi en plus j’ai un tour de reins.
Tu me verrais tu rigolerais bien je peux plus bouger je suis cassé en deux, lamentable
quoi.
T’es gentil. Te dérange pas. Je préfère rester seul. Bonne nuit, et encore merci.
Juste ? T’es pas obligé de le faire mais si par hasard elle te rappelait…
Merci. Je mérite vraiment pas un ami comme toi.
Vous pouvez me passer le bloc, là, s'il vous plaît ? Vous allez laisser ce petit mot
sur la porte « J'ai pris des calmants, je dors, je ne veux voir personne ce soir. »
Voilà, j'espère qu'elle aura le bon goût de me foutre la paix.
FRANCOIS – Vous voulez pas que je l'attende ? Vous vous enfermez dans votre
chambre, et hop je fais barrage.
PIERRE – Non, non, vous en avez assez fait comme ça.
FRANCOIS – Je sais que je n'ai pas été à la hauteur, tout à l'heure, au téléphone,
et je suis vraiment désolé, monsieur Brochant, j'aurais tellement voulu vous aider...
PIERRE – Vous allez m'aider à aller jusqu'à mon lit, je ne vous en demande pas
plus.
FRANCOIS – Vous savez ce qui m’a manqué quand la mienne est partie ? Un ami qui
me tienne la main.
PIERRE – Au revoir Monsieur Pignon.
FRANCOIS – Ah, Madame Sasoeur. J’allais mettre ça pour vous sur la porte. C'est
moi que vous avez eu tout à l'heure au télé phone... le Bélier, ascendant
Gémeaux ! Je voulais appeler le médecin et je suis tombé sur vous, et j’ai
compris ensuite que vous étiez sa petite amie.
Oui, et je suis désolé si j'ai été un peu embrouillé au bout du fil, parce qu'en
fait, la situation est toute simple : sa femme l'a quitté, mais alors il s’en fout à un
point. Il va très bien, il est très heureux, il dort, et veut pas qu'on le dérange,
c'est clair ?
Marlène... Vous me permettez que je vous appelle Marl ène ?
Je ne connais pas Pierre depuis longtemps, mais je crois assez bien le
comprendre, et j'aimerais vous donner un conseil d'ami.
Attendez un peu. Sa femme est partie, ne vous préci pitez pas dans la brèche.
Restez la maîtresse sensuelle et amusante que j'imagine, soyez porte-jarretelles
et champagne, si vous voyez ce que je veux dire. Conti nuez à le voir trois,
quatre fois par semaine comme avant, distrayez-le et attendez votre tour. S'il
doit venir, il viendra.
J’ai cru comprendre qu’il vous verrait tous les jours s'il le pouvait, alors croyez-
moi n’insistez pas. Rentre chez vous c’est ce que vous avez de mieux à faire.
Oui comment le savez-vous ? Il vous a parlé de moi ?
Et voilà le travail ! J’ai vu la lumière sous la porte j’ai cru que vous ne dormiez
pas.
PIERRE – Vous êtes encore là, vous ?
FRANCOIS – Oui, et vous pouvez remercier le ciel que je sois encore là.
PIERRE – Pourquoi ?
FRANCOIS – On a eu de la visite.
PIERRE – Qui ça ?
FRANCOIS – La folle.
PIERRE – Marlène ?
FRANCOIS – Mais oui. Elle sort d’ici à l’instant, elle allait forcer la porte de votre
chambre, mais vous avez la chance de connaître un monsieur qui s’appelle
François Pignon et qui a dit « on ne passe pas ».
PIERRE – Vous avez réussi à virer Marlène ?
FRANCOIS – Oui, et sans me vanter, je crois que je l'ai jouée assez finement, ce
coup-ci. J'ai alterné la douceur, la fermeté et elle s'est retrouvée dehors vite
fait !... Vous n'êtes pas près de la revoir, celle-là !
PIERRE – Eh bah tant mieux.
FRANCOIS – Remarquez, c’est peut-être dommage parce qu’entre nous elle est
vraiment jolie. Elle fait quoi dans la vie ?
PIERRE – Elle écrit.
FRANCOIS – Elle aussi. Mais vous couchez avec tous vos auteurs dites-moi.
PIERRE – Mais je vous emmerde mon petit vieux
FRANCOIS – Bon d’accord, ça me regarde pas mais je vous dis ce que je pense c’est
pas bien. Moi j’ai toujours été fidèle à ma femme et pourtant c’est pas les occasions
qui manquent au ministère des finances.
PIERRE – Je voudrais qu’on me laisse tranquille maintenant.
FRANCOIS – Dites donc ça n’arrête pas ce soir.
PIERRE –
FRANCOIS –
PIERRE –
FRANCOIS –
PIERRE –
FRANCOIS –
PIERRE –
FRANCOIS –
PIERRE –
FRANCOIS –
PIERRE –

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