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UPANISHADS DE SHAKTI
TRIPURA UPANISHAD
Upanishad de Tripura, déesse de la Triple Cité
Note préliminaire : Certaines Upanishads, dont celle-ci, foisonnent d'expressions symboliques (syl-
labes-mantras, emblèmes, périphrases, etc.), souvent difficiles à clarifier. Afin de ne pas surcharger de
notes approximatives, ou d'y glisser des erreurs, je survole ces expressions. Non pas qu'elles soient de
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moindre intérêt ! Mais il n'y pas d'exégèse de ces textes, et les sources manquent. Je le regrette, mais
suggère au lecteur cette consolation : le flou poétique de ces expressions contribue à l'ambiance
surréaliste – voire magique – de ces passages, ce qui n'est pas plus mal !
TRIPURA : 1) « Les trois cités » – les 3 états de conscience : veille (jagrat –la conscience se meut sur le
plan physique), rêve (svapna – la conscience se meut sur le plan subtil) et sommeil profond (sushupti –
la conscience s'est retirée dans le corps causal).
2) « Les trois mondes» - Cf. Triloka.
3) Les trois fils de Taraka obtinrent de Brahma que le grand architecte Mayasura leur bâtisse trois
villes, citadelles imprenables qui dureraient éternellement. Ce fut Tripura, la triple cité, construite en 3
parties : une cité enceinte d'un mur de fer fut bâtie sur la Terre; une seconde, enceinte d'un mur
d'argent, au firmament; une troisième, enceinte d'un mur d'or, dans le ciel cosmique. Les trois cités
étaient mobiles, et coïncidaient rarement (uniquement lors de certaines conjonctions lunaires, espa-
cées de milliers d'années), ce qui garantissait leur caractère inexpugnable. Elles devinrent vite les cités
majeures du monde entier, richissimes et luxurieuses, et furent colonisées par les Asuras. Dans le
contexte de la guerre entre Asuras et dieux, Shiva fut chargé d'exterminer Tripura, qui était devenue
dangereuse pour l'équilibre cosmique.
TRILOKA : « Les trois mondes » est une expression fondamentale et très courante, reprise par l'ésoté-
risme, qui désigne trois triades différentes ! Voici un peu de clarté, bien qu'au cas par cas, il est rare-
ment précisé de quelle triade il s'agit.
a) les 3 premiers plans cosmiques : 1) Bhuloka : « monde de terre », le plan physique; 2) Antarloka ou
Bhuvaloka : « entre-deux mondes », le plan astral ou kama-manasique, correspondant aux plans astral,
mental inférieur et supérieur, en ésotérisme; 3) Shivaloka (ou S(u)valoka) : « monde de Shiva », monde
céleste où demeurent les dieux et les âmes hautement évoluées, correspondant au plan causal en éso-
térisme.
A noter que selon l'Upanishad, ou l'auteur ésotérique, il y a des variations – non pas sur la hiérarchie
des plans, qui est la même partout – mais sur les définitions de ces mondes, ainsi que sur le groupe des
« trois mondes » ou plans cosmiques.
b) la triple expression de Maya, la grande illusionniste qui projette l'univers : c'est l'acception la plus
courante en ésotérisme, transcendant la simple donnée physique du monde et du cosmos (dont l'être
humain-microcosme), en lui adjoignant le plan émotionnel (astral) et le plan mental (manasique);
donne l'équivalent « physique, émotionnel et mental », soit les trois plans dans lesquels évolue l'être
humain dans la vie ordinaire.
c) « Divinité, Âme, Univers » : Pati (Maître), pashu (troupeau), pasha (chaînes), telle est la triade fon-
damentale dans le Shivaïsme. Le monde, l'univers engendré par Maya, est bel et bien la chaîne qui
capture l'âme et la garde en servitude (tel le bétail), au moyen du voile d'illusions que tisse Maya, lui
permettant ainsi d'évoluer. Qui plus est, le monde (pasha) est triple, qui comprend anava (la loi
d'individuation et de finitude), karma (la loi de cause à effet) et maya (la loi de l'apparence illusoire et
de l'ignorance).
Om ! Mon discours est enraciné dans mon esprit,
et mon esprit est enraciné dans mon discours.
Qu'ils soient manifestes, patents en moi;
Que ces deux, esprit et discours, soient pour moi
la cheville de l'essieu sur la roue des Védas.
Que la science des Védas ne me déserte pas.
Avec la maîtrise de cette science, j'unis le jour à la nuit.
Je dirai ce qui est juste; je dirai ce qui est vrai.
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Que Cela me protège; que Cela protège celui qui parle.
Que Cela me protège.
Que Cela protège celui qui parle, protège celui qui parle !
1. Il existe trois cités dans le monde, où mènent trois sentiers.
Sur le dais de la Fortune, se trouvent les lettres A, Ka, Tha, et d'autres.
C'est là que réside, hors du temps et de la décrépitude, sans âge,
L'incomparable Majesté des dieux.
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Elle était les quarante déesses; puissent Ses trois énergies vibrantes,
Telle une mère aimante, s'assembler autour de moi !
5. Des trois lettres, des trois cités, des trois mondes et des trois sphères,
Elle est le soutien, au moyen des trois constituants (1);
Cette triade est capitale dans l'élaboration des gaines du corps humain (2).
Dans le diagramme que dessinent les syllabes mystiques,
Se tient Kama, dieu de l'amour, avec Lakshmi, déesse de la Fortune.
1 Gunas : Qualités, attributs ou caractéristiques de l’énergie universelle, au nombre de 3, dont
la combinaison crée les divers éléments d’où procède la nature multiforme. On les considère
souvent en rapport à Prakriti, la substance cosmique et la nature issue de celle-ci, dont ils sont
les 3 ingrédients de base, utilisés pour constituer les éléments de l'univers phénoménal, et qui
déterminent leurs qualités et modes d'être : illuminant (Sattva), activant (Rajas) et entravant
(Tamas).
Ces 3 qualités ou modes d'être sont inhérents à l'univers phénoménal, et déterminent
les caractéristiques propres à chaque créature (animée ou inanimée) : Sattva, ou la qualité du
bien, de lumière, pureté et calme; Rajas, ou la qualité d'activité, convoitise, passion et agita-
tion; Tamas, ou la qualité de ténèbres, inertie, illusion et ignorance.
2 Kosha : « gaine, enveloppe, fourreau » - L’individualité humaine, le jiva, est composé de 5
koshas (pancha koshas), fourreaux ou gaines constituant les enveloppes superposées dont est
fait le corps, tant physique que subtil. L'âme incarnée (jiva) fonctionne simultanément dans les
divers plans ou niveaux d'existence par l'intermédiaire de ces koshas. Par ordre de subtilité
croissante :
1) annamaya kosha, ou gaine anatomique de la nourriture; forme le sthula sharira, le corps
physique.
2) pranayama kosha, gaine physiologique comprenant l’appareil respiratoire et les systèmes du
corps;
3) manomaya kosha, gaine psychologique concernant la conscience, les sentiments et les
motivations qui ne proviennent pas d’expériences subjectives;
4) vijnamaya kosha, ou gaine intellectuelle concernant les processus de raisonnement et de
jugement qui proviennent d’expériences subjectives;
2), 3) et 4) forment le sukshuma sharira, le corps subtil
5) anandamaya kosha, ou gaine spirituelle de la joie; forme le karana sharira, le corps causal.
6. La Vivifiante et la Fière,
La Propice, la Chanceuse et la Charmante,
La Parfaite, la Réservée, l'Esprit plaisant,
La Comblée, Celle-que-l'on-choisit, la Plénitude,
La Riche, l'Interdite, la Gracieuse, L'Éloquente –
Tous ces aspects de la Déesse sont au service de la Conscience.
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Et pénètre dans la Triple Cité suprême.
1 Amrita : « absence de mort (mrita), immortalité » - Le nectar d’immortalité qui fut produit,
selon le Mahabharata, lors du barattage de l'océan par les dieux et les anti-dieux (Suras et
Asuras), ce qui est une métaphore du développement spirituel résultant du conflit fondamen-
tal entre notre double nature, supérieure et inférieure. L'amrita est la boisson de soma, cette
boisson que les Védas attribuent exclusivement aux dieux et qui est en soi une divinité, d'ail-
leurs, en tant qu'elle procure béatitude et immortalité; c'est aussi le symbole de l'ensemble des
immortels, de la lumière suprême et de la libération finale. Mais il existe un amrita spontané,
engendré par la méditation profonde : c'est le nectar de félicité divine qui s'écoule à flots du
sahasrara chakra (le coronal) durant le samadhi.
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La Shakti primordiale (2), Mère du monde, Celle-qui-résorbe-la-Manifesta-
tion,
Attrape au lasso les créatures qui tâtonnent et trébuchent
Sur les sentiers de l'attachement au monde; et prestement,
Elle les atteint des cinq flèches de son arc.
1 Sarasvati : « flot » - 1) affluent du Gange; 2) « le Flot », déesse de la parole et de la science,
fille de Prajapati, le Progéniteur, épouse de Brahma. Elle est source de la Création par le verbe
(Vak), tandis que Brahma est source de la Création par la forme. Elle est en conséquent la
déesse de l'éloquence, de la sagesse, du savoir, mais aussi l'inventrice du langage et de l'écri-
ture, mère de la poésie, des arts plastiques et, bien sûr, de la musique.
Sous sa forme suprême, Maha-Sarasvati, elle incarne le Pouvoir transcendant de la connais-
sance.
Lakshmi : Couleur d'or, déesse de la beauté, de la chance et de la richesse, elle est toujours
associée au lotus, sa fleur emblématique. Épouse de Vishnu, elle l'accompagna dans chacune
de ses avatars, et “descendit” elle aussi sous diverses formes (Padma, la Femme-Lotus, Sita, le
Sillon-de-la-Terre, Rukmini, l'amante de Krishna, Indira, Kamalika, etc.; à la fin des âges, elle
descendra avec Vishnu-Kalki pour accomplir la destruction du monde.
Dans sa forme tantrique de Mahalakshmi, elle est la Fortune transcendante : substance
intime projetée du corps de tous les dieux (elle est alors couleur de corail, assise sur un lotus)
et Pouvoir (Shakti) transcendant de démultiplication, c'est elle qui affronta victorieusement le
Titan MahishAsura, grand amateur de méditation et de pouvoirs magiques, dont l'orgueil
démesuré offensait l'harmonie des mondes divins.
Gauri: « au teint de lait, ou dorée » - 1) épithète de la Mère Divine, à l'origine déesse de la fer-
tilité, notamment mère du blé, d'où sa couleur dorée; puis elle devient un des aspects de Par-
vati, la “fille des montagnes”, compagne de Shiva; 2) la même, mère de Ganesh.
2 Shakti : « puissance, pouvoir, énergie » - 1) Énergie créatrice représentant le pouvoir d'action
de la conscience; 2) l’aspect féminin du Principe Cosmique, symbolisant sa puissance exécu-
tive; 3) la Mère divine, considérée comme la force efficiente du Divin, déifiée comme l’épouse
de Shiva. Cf. avriti ou avarana shakti et vikshepa shakti.
Le pouvoir actif, l'énergie manifestée de Shiva, qui s'infiltre de part en part de l'univers, c'est
Shakti. Dans son aspect le plus subtil, quintessencié, c'est Parashakti, c'est à dire Sat-Chit-
Ananda, la pure Existence-Conscience-Félicité, qui est le substrat originel de toute forme et de
tout existant. Cette énergie divine, immaculée, se déploie en une triple forme : iccha shakti, le
pouvoir du désir, de la volonté aimante; kriya shakti, le pouvoir de l'action; et jnana shakti, le
pouvoir de la sagesse toute-connaissante, trois flux que symbolisent les trois pointes du trident
(trishula) de Shiva. Et c'est de cette triple énergie de Shakti que sont issus les cinq pouvoirs de
manifestation, obscuration, création, préservation et dissolution du Dieu Shiva (cf. Sadashiva-
murti).
Dans le Shivaïsme, Shiva est la Totalité, et son énergie créatrice, Shakti, est inséparable de lui.
Ensemble, ils forment une unité androgyne, Ardhanarishvara. Celle-ci est représentée soit
comme un seul être, soit comme un couple enlacé, mais c'est toujours de la complémentarité
des deux pôles, masculin et féminin, négatif et positif, passif et actif, dont il s'agit. En tant
qu'épouse de Shiva ou des autres dieux de la Trimurti, Shakti emprunte de nouvelles identités,
multiples bien que l'essence sous-jacente de la déesse soit toujours la même : Parvati,
Lakshmi, Sarasvati, Durga, Bhavani, Kali... toutes les déesses sont LA Grande Déesse ! Philoso-
phiquement parlant, il ne s'agit toujours que de la Divinité et son énergie, qui sont l'Unique, la
Totalité : le couple sexué est une métaphore de l'Unique qui se scinde pour engendrer la multi-
plicité universelle...
Dans le Shaktisme, la Grande Déesse est devenue l'élément capital, nombreuses sont ses auto-
manifestations, redoutables ou bienveillantes. Shakti est l'univers manifesté, tandis que Shiva
est l'Absolu non-manifesté. Sous ses formes destructrices, noires (asita), on la nomme Kali,
Durga, Chandi, Chamundi, Bhadrakali, Bhairavi, etc. Sous ses formes protectrices, blanches
(sita), on la nomme Uma, Gauri, Ambika, Parvati, Maheshvari, Lalita, Annapurna, etc. Sous le
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nom de Rajarajeshvari, « Reine divine pour les rois », elle est la divinité tutélaire du plus
célèbre des yantras, le Shri Chakra. Elle est également les dix Mahavidyas, manifestations du
Savoir suprême : Kali, Tara, Shodashi, Bhuvaneshvari, Chinnamasta, Bhairavi, Dhumavati,
Bagata, Matangi et Kamala.
Dans le Yoga, et dans toutes ses traditions, Shakti est l'énergie divine, qui réside à l'intérieur
du corps humain, sous les 3 aspects suivants : 1) l'énergie féminine, ida shakti; 2) l'énergie mas-
culine, pingala shakti; 3) kundalini shakti, fusion androgyne de ces deux, qui s'écoule dans le
sushumna nadi.
Enfin, dans l'expérience courante, on nomme Shakti ce fluide spirituel qui émane des saints et
de toute personne spirituellement très développée, ainsi que des temples sacrés, et qui donne
au dévot ou au disciple un avant-goût de la félicité de la libération.
Om ! Mon discours est enraciné dans mon esprit,
et mon esprit est enraciné dans mon discours.
Qu'ils soient manifestes, patents en moi;
Que ces deux, esprit et discours, soient pour moi
la cheville de l'essieu sur la roue des Védas.
Que la science des Védas ne me déserte pas.
Avec la maîtrise de cette science, j'unis le jour à la nuit.
Je dirai ce qui est juste; je dirai ce qui est vrai.
Que Cela me protège; que Cela protège celui qui parle.
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Que Cela me protège.
Que Cela protège celui qui parle, protège celui qui parle !