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Quelques heures seulement après avoir repoussé les rebelles venus d'Ouganda en début de
semaine, l'armée rwandaise a dû répliquer vendredi à l'aube, dans les rues mêmes de la
capitale Kigali, à des attaques nocturnes de groupes armés. Des soldats français, disposés près
de l'ambassade de France, ont été mêlés à ces engagements et « obligés de riposter, à titre
purement défensif», face à «des éléments armés», a-t-on précisé de source militaire à Paris.
La situation paraissait hier revenue sous contrôle des autorités, «sous réserve de nouvelles
attaques cette nuit», analyse un diplomate rwandais. Il estime que les rebelles ont changé de
tactique après leur échec initial, et adopté les méthodes de la guérilla urbaine faute d'avoir
réussi leur invasion. A Kigali, toute activité est paralysée, et les 400000 habitants sont
consignés chez eux par un couvre-feu permanent. Le pouvoir interdit toute circulation
automobile pour mieux repérer d'éventuels mouvements ennemis. Le général-président,
Juvénal Habyarimana, demande à ses compatriotes « de coopérer avec les forces de sécurité »,
et assure que les étrangers résidant au Rwanda n'ont «aucune raison de s'inquiéter car leur
sécurité est assurée par l'Etat ».
Paris n'en demande pas moins aux Français de quitter le pays, en raison des « risques qu'ils
courent » s'ils restent sur place, a annoncé hier soir le ministre français des Affaires
étrangères, Roland Dumas. La France imite ainsi l'Allemagne et la Corée du Sud. 670
Français vivent au Rwanda, pour les deux tiers dans la capitale. La Belgique, de son côté,
n'entend pas évacuer dans l'immédiat ses 1630 ressortissants, qui constituent le groupe
étranger le plus important de leur ancienne colonie.
Les combats de la nuit dernière avaient débuté à 2h20 locales (lh20 en France), aux alentours
du palais présidentiel et de l'école militaire où le chef de l'Etat, le général-major Juvénal
Habyarimana, s'était momentanément retranché. Les rebelles, armés de fusils ou de
mitraillettes, ont ouvert le feu sur les militaires qui ont répliqué et conservé la maîtrise du
terrain. Les affrontements se sont par la suite déplacés à une dizaine de kilomètres vers l'est
de la capitale, à proximité de l'aéroport où est installé un camp militaire. Le calme est revenu
vers 7h30.
L'aéroport était hier considéré comme «sûr» en raison notamment de la présence des 150
légionnaires du 2e REP et des 150 parachutistes du 3e régiment parachutiste de l'infanterie de
marine, ordinairement basés à Bangui (Centrafrique). Le porte-parole du Quai d'Orsay, Daniel
Bernard, a précisé que leur mission est «exclusivement d'assurer la sécurité des ressortissants
français ainsi que la protection de l'ambassade de France». A 9h25 hier matin, quatre Hercules
C-130 et un DC-10 s'étaient déjà posés sans encombre avec quelque 500 parachutistes belges.
Le chef de l'Etat zaïrois, le maréchal Mobutu Sese Seko, a lui aussi répondu favorablement à
la demande d'assistance militaire de Kigali, en envoyant jeudi 500 hommes au Rwanda et en
mettant en état d'alerte un bataillon de parachutiste de Kinshasa. Le Front patriotique
rwandais (FPR), groupe d'opposition au régime de Juvénal Habyarimana, a revendiqué, de
Kampala où il est basé, l'initiative de la tentative d'invasion, qui aurait mobilisé 5000
hommes, selon des estimations ougandaises. Ceux-ci ont été recrutés en Ouganda,
principalement parmi les 250000 ressortissants rwandais de l'ethnie tutsie. Ces réfugiés
s'étaient installés en Ouganda en 1956, après les massacres intertribaux qui ont accompagné la
prise de pouvoir au Rwanda par l'ethnie Hutu, démographiquement majoritaire. Le chef des
rebelles, le commandant Fred Rwigyema, appartient effectivement à l'ethnie tutsie. Le FPR
dément néanmoins répondre à des préoccupations d'ordre ethnique. Il assure bénéficier du
soutien de nombreux Hutus, qui composeraient le tiers de ses effectifs. C'est le cas du colonel
Alexis Kanyarengwe, l'un des chefs de la rébellion. Il avait aidé Juvénal Habyarimana à
s'emparer du pouvoir en 1973, avant de s'enfuir du Rwanda après un coup d'Etat manqué en
1980. A Kigali, on s'interroge sur le rôle joué dans toute cette affaire par l'Ouganda. Fred
Rwigyema fut en effet chef d'état-major adjoint de l'armée ougandaise, et ses hommes sont
pour la plupart des «déserteurs» qui ont franchi la frontière sous uniforme ougandais, avec
armes et véhicules de l'armée régulière. Auraient-ils pu (…) sans la bienveillante neutralité,
(…) moins, de l'actuel président ougandais, Yoweri Museveni, également président en
exercice de l'Organisation de l'unité africaine (OUA)?