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ORAGNIER – MEDJABRA - DIABY

LE DIALOGUE SOCIAL ET LES MILITAIRES

Selon l’Organisation Internationale du Travail, le dialogue social inclut tous types de consultation, de négociation,
ou simplement d’échange d’informations à propos des conditions de travail.

En France, les droits politiques et syndicaux des personnels militaires sont limités par la loi du 24 Mars 2005
portant sur le Statut Général des Militaires (articles L4111-1 à 4145-3 du Code de la Défense), qui comporte des
dispositions dérogatoires du droit commun.

Si les textes ont été largement modifiés depuis, notamment par la loi du 28 Juillet 2015 qui a permis une certaine
forme d'expression collective dans les instances de concertation internes aux forces armées, le « dialogue social »
chez les militaires garde une forme très différente du civil.

Elle doit en effet composer avec le devoir de réserve qui incombe au statut militaire, en prenant la forme
particulière de la concertation, qui n’est cependant pas exclusive d’autres dispositifs permettant la prise en
compte des intérêts particuliers et collectifs concernant le métier de militaire.
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I. LE DEVOIR DE RESERVE

A. Cas général

Comme tout fonctionnaire, le militaire est soumis à une obligation de réserve qui préserve la liberté d’opinion.
Cette obligation de réserve limite la liberté d’expression, sans toutefois l’annihiler.

La particularité des militaires tient à ce que l’obligation de réserve, qui est généralement une création
jurisprudentielle, est codifiée les concernant, comme c’est le cas pour les magistrats, les membres du Conseil
d’État et les policiers : aux termes de l’article L. 4121-2 du Code de la défense, « les opinions ou croyances,
notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. Elles ne peuvent cependant être exprimées
qu’en dehors du service et avec la réserve exigée par l’état militaire ».

B. Implications

D’une façon générale, les militaires n'ont pas le droit d'adhérer à des groupements ou à des associations à
caractère politique. D’ailleurs, le droit de vote des militaires remonte à la loi du 17 Août 1945. Pour rappel, celui
des femmes date du 21 Avril 1944. Cependant, à condition d’en informer leur hiérarchie, ils peuvent se porter
candidats aux mandats électoraux.

De plus, l'article L.4111-1 du Code de la Défense rappelle la spécificité de l'état militaire en énumérant
solennellement les exigences qui découlent de cet état : « (…) ; la discipline ; (…) le loyalisme et la neutralité ».
Ainsi, la hiérarchie pourrait invoquer un manquement à ces exigences pour sanctionner un militaire souhaitant
faire valoir des droits personnels ou collectifs.

Cependant, les juridictions veillent à une conciliation équilibrée de l’obligation de réserve avec la liberté
d’expression et pratiquent désormais un contrôle normal de proportionnalité.

Dans le cas du jugement rendu par le Conseil d’Etat dans l’Affaire Matelly du 12 Janvier 2011, il est intéressant de
noter que si la condamnation initiale consécutive à la parution d’un article critiquant la politique
gouvernementale de rattachement de la gendarmerie au Ministère de l’Intérieur (ce qui pourrait rentrer dans les
attributions normales d’un syndicat ou d’un représentant du personnel) a été confirmée. En revanche, la sanction
de radiation des cadres de la Gendarmerie a été annulée car le Conseil d’Etat estimait qu’elle était
disproportionnée.

C. Une évolution sensible depuis 2015

Après la première Affaire Matelly évoquée ci-dessus, la direction générale de la gendarmerie nationale décide
d'engager une nouvelle procédure disciplinaire à son encontre concernant sa participation au forum
« Gendarmes et citoyens » et sa transformation en association.

Saisie par Jean-Hugues Matelly, la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France, dans le double
arrêt du 2 octobre 2014 (avec l’Association de Défense des Droits des Militaires – Adefdromil c/France), pour
l'interdiction absolue faite aux militaires de constituer un syndicat ou d'y adhérer.

A la suite du jugement de la CEDH, la création d’associations professionnelles nationales de militaires (ANPM) a


été autorisée et elles se sont vu reconnaître le droit d’ester en justice.

Après ces avancées entérinées par la loi de 2015, la circulaire du 6 Avril 2022 a également permis de définir le
champ de la concertation, de la participation et de la représentation des militaires pour la défense de leurs
intérêts.
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II. LE CADRE GENERAL DE LA CONCERTATION MILITAIRE

A. Définition

La concertation constitue le mode de dialogue spécifique aux militaires avec le ministre et ses grands
subordonnés. Elle permet d’aborder, dans le respect des spécificités liées à l’état militaire, les sujets
fondamentaux qui les concernent dans les domaines statutaires et de condition militaire. La condition militaire,
définie par la Loi 2015-917 du 28 Juillet 2015, transposées dans L. 4111-1 du code de la défense, recouvre « les
aspects statutaires, économiques, sociaux et culturels susceptibles d’avoir une influence sur l’attractivité de la
profession et des parcours professionnels, le moral et les conditions de vie des militaires et de leurs ayants droit,
la situation et l’environnement des professionnels des militaires, le soutien aux malades, aux blessés et aux
familles, ainsi que les conditions de départ des armées et d’emploi après l’exercice du métier militaire ».

La concertation traite exclusivement des questions de caractère général relatives à la condition militaire et aux
conditions de vie, d’exercice du métier militaire ou d’organisation du travail (article L 4124-1 du code de la
défense).

Les instances et organes de participation et de représentation traitent de questions particulières aux Formations
et peuvent prendre en compte les sujets d’intérêt individuel. Le nombre de questions reçues oscille entre 900 et
1500 questions par an.

B. L’organisation des instances nationales de concertation

Au niveau national et ministériel, les instances de concertation sont : le Conseil Supérieur de la Fonction Militaire
(CSFM) et les neuf Conseils de la Fonction Militaire (CFM).

Le Conseil Supérieur de la Fonction Militaire

Le CSFM informe directement et librement le Ministre et la hiérarchie militaire, examine, propose, conseille et
rend des avis consultatifs.

Le CSFM est le cadre institutionnel dans lequel sont examinés les éléments constitutifs de la condition de
l’ensemble des militaires. Il est obligatoirement consulté sur les projets de textes à portée statutaire, indemnitaire
ou relatifs à la condition du personnel.

Les Conseils de la Fonction Militaire

Les neuf Conseils de la fonction militaire (CFM) sont des instances des Forces Armées et Formations Rattachées
(FAFR) : Terre, Mer, Air, Gendarmerie, Direction Générale pour l’Armement, Service de Santé des Armées, Service
de l’Energie Opérationnelle, Service du Commissariat des Armées, Service d’Infrastructure de la Défense.

En coordination avec le CSFM, les CFM apporte la diversité, l’expertise de milieu et la proximité indispensables à
l’efficacité du processus de concertation.

C. L’organisation des instances locales de concertation

Au niveau local, la représentation des intérêts collectifs des militaires auprès du Commandement est assurée par
les Présidents et Vice-Présidents de catégorie (PC et VPC) et par la participation au sein des Commissions
Participatives Locales (CPL).

Les Présidents de Catégorie

À l'échelon des corps, la concertation se fait principalement par l'intermédiaire des présidents de catégorie « qui
sont désignés parmi les officiers, sous-officiers et militaires du rang pour une durée de deux ans, renouvelable ».
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Les présidents de catégories sont chargés de soumettre les problèmes de leur catégorie au commandement, qui
peut solliciter leur avis sur les questions ayant trait au déroulement de la carrière et à la discipline principalement.

Les Commissions Participatives Locales

Par ailleurs, dans les unités comptant plus de cinquante militaires, la création d'une Commission Participative
Locale est obligatoire.

Les CPL sont des instances traitant, au niveau local, des questions de condition du personnel militaire. Elles
examinent les différents aspects de la vie courante, du service, des conditions de travail et des loisirs sur les sites
qu’elles couvrent.

Elles font remonter aux instances supérieures les préoccupations du personnel militaire et ont un rôle consultatif,
les décisions appartenant au commandant de formation.

D. Les intérêts particuliers

Néanmoins, les militaires peuvent aussi avoir des intérêts qui leur sont propres à défendre ainsi, il ne s’agit pas
des mêmes instances que celles citées précédemment.

Les militaires ont la possibilité de s’adresser aux autorités suivantes en charge de la condition militaire pour régler
les questions relatives à leurs intérêts particuliers.

- Le supérieur hiérarchique : il doit veiller aux intérêts de ses subordonnés et rendre compte par la voie
hiérarchique de toute difficulté portée à sa connaissance (article L4124-4 du code de la défense). Il lui
incombe de porter attention aux préoccupations personnelles de ses subordonnés et à leurs conditions
matérielles (article D4122-2 du code de la défense) ;
- Les inspecteurs : les militaires peuvent être reçus en entretien, sur demande circonstanciée, par
l’inspecteur de l’armement de leur choix ;
- L’inspecteur général des armées : tout militaire peut saisir les officiers généraux inspecteurs. Les motifs
de la demande n’ont pas à être fournis d’avance (article D4121-2 du Code de la défense) ;

E. Les Associations Professionnelles Nationales de Militaires

La création des APNM découle des deux arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme vus précédemment.

Elles ont pour objectif « la préservation et la promotion des intérêts des militaires en ce qui concerne la condition
militaire ».

On retient deux plus-values principales par rapport aux instances précitée. En premier lieu, le caractère
représentatif des associations montre qu’elles incluent une part importante de militaires. En effet, un
pourcentage minimum d’adhérents est fixé dans chaque catégorie de grade. Puis, la nature associative des APNM
les place hors de la hiérarchie militaire ce qui constitue une nouveauté.
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Conclusion

Pour conclure, le dialogue social est loin d’être une nouveauté dans les Armées, il est vieux de près de 30 ans sans
réellement être nommé ainsi, à l’instar de Monsieur Jourdain dans la satire Le Bourgeois Gentilhomme de Molière
qui s’étonne de faire de la prose. Le métier de militaire est tellement particulier qu’il oblige l’institution à s’assurer
du bien-être de ses ressortissants. En effet, ils ont, plus ou moins, les mêmes préoccupations que les salariés dans
le milieu civil mais qui impliquent des dimensions ayant toujours plus de conséquences. A titre d’exemples, la
recherche de logement en cas d’ordre de mission loin du domicile initial ou encore le soutien aux familles lors du
décès d’un militaire. Toutes ces aides ont été obtenues grâce aux négociations internes et au dialogue social. Les
Armées ont tout intérêt à faire attention à la condition militaire car elle a besoin de rester attractive. Par ailleurs,
il y a une grande différence entre les syndicats qui défendent les salariés et le dialogue social. Le premier oppose
l’employeur contre les salariés, il y a alors une véritable confrontation des intérêts. Néanmoins, le second essaie
d’apporter des solutions et de faire converger les volontés. Les Armées veulent absolument éviter les
confrontations qui ont des effets contradictoires car si le dialogue se suspend et que les supérieurs imposent leur
vision, on bascule dans un régime autoritaire qui n’est pas bénéfique. Enfin, l’interdiction des syndicats au sein
des Armées ne signifie pas une absence de dialogue sur les conditions d’exercice du métier on peut relever
d’ailleurs que chez les policiers (où le taux de syndicalisation est très fort – 90%), le taux de suicide en raison de
la profession est bien plus élevé que celui des militaires.
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Enquête de terrain

Un militaire est blessé au visage lors d’une séance de tir à l’arme collective en 2014, malgré le port de protection
individuelle.
Cette blessure constitue une blessure en service et n’entre pas dans les dispositifs de prise en charge de
l’Institution ne serait-ce que pour l’accompagnement individuel. Il a notamment souhaité une mutation car cette
blessure rendait difficile ses trajets réguliers pour rejoindre sa famille.

Son cas a permis de faire réfléchir sur l’avenir et les évolutions des dispositifs d’accompagnement des blessés en
service. C’est en ce sens que le CEMAT (Chef d’Etat-major de l’armée de Terre) a demandé en séance plénière
de suivre son cas.
Après quelques mois, son cas a servi à faire évoluer les textes règlementaires et l’intéressé a été rapidement
muté pour ne plus être gêné dans son quotidien. Il est toujours militaire et poursuit une carrière tout à fait
normalement malgré les séquelles de la blessure, il constitue un bel exemple d’abnégation et de réadaptation
post blessure.
Désormais les blessures en service sont mieux suivies et prises en charge même s’il reste encore beaucoup de
dispositifs à faire évoluer pour une reconnaissance pleine et entière des militaires blessés.

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